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CR 2012/17 (traduction)

CR 2012/17 (translation)

Vendredi 4 mai 2012 à 15 h 10

Friday 4 May 2012 at 3.10 p.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audi ence est ouverte. J’invite M.Crawford à

continuer sa plaidoirie et à présenter ses cinq points. Vous avez la parole, M. Crawford.

M. CRAWFORD :

4. LA PRÉTENTION DU N ICARAGUA À UNE ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE

SUITE DE LA PREMIÈRE PARTIE )

21. (Suite) Bien, le premier de ces points, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de

la Cour, concerne la tentative faite par M.O udeElferink de vous convaincre que l’objectif des

cartes marines était de montrer les rochers qui se trouvent au-dessus des niveaux de référence des

1
marées . Or, la véritable raison d’être des levés hydrographiques est, comme je l’ai dit, d’établir

des cartes qui font apparaître les dangers pour la sécurité de la navigation.

22. Deuxièmement, il vous a présenté une marée astronomique la plus haute ⎯ HAT ⎯ de

80cm, tout à fait erronée pour une région de micr omarées telle que la mer des Caraïbes. J’ai

examiné ce point au cours de mon premier expo sé de la semaine dernière. Dans sa seconde

présentation, M. Oude Elferink a changé de ton et a indiqué : «nous ne critiquions pas le niveau de

référence utilisé par [M.Smith]» 2. Au lieu de cela, il a critiqué le modèleFES comme n’étant

guère fiable en eaux peu profondes, affirmant que ce point serait étayé par l’examen critique par

des pairs que j’ai cité dans ma dernière intervention 3. Or, au contraire, MM.Torres et Tsimplis

⎯les auteurs du rapport ⎯ évaluent le modèle de marée à partir de marégraphes placés en eaux

peu profondes. «[Le rapport] conclut à une co ncordance importante entre les marées observées et

les marées modélisées, avec des différences d’amplitude harmonique inférieures à 1,5 cm.» 4

23. Troisièmement, à l’occasion de sa proj ection de la carte intituléeAOE2-16, qui

représentait Providencia, M. Oude Elferink a soutenu que, puisque le symbole du «récif

5
découvrant» n’était pas utilisé sur les cartes de Quitasueño, la zone n’en comptait aucun . Il ne se

rend toutefois pas compte de la différence qui ex iste entre les échelles utilisées pour les cartes où

1CR 2012/14, p. 33, par. 7 (Oude Elferink).

2Ibid., p. 39, par. 18 (Oude Elferink).
3
Ibid., par. 19 (Oude Elferink).
4CR 2012/12, p. 42, par. 49 (Crawford).

5CR 2012/14, p. 35-36, par. 11 (Oude Elferink). - 3 -

figure Providencia et celles utilisées pour les cart es où figure Quitasueño. La résolution de la

carte 218 est cinq fois meilleure que celle des cartes 630 et 631 et dix fois meilleure que celle de la

11 carte431, ces trois cartes représentant toutes le banc de Quitasueño. L’échelle de ces dernières

cartes marines et l’hydrographie de la zone rendent inappropriée l’utilisation du symbole des récifs

découvrants recommandée par M. Oude Elferink.

24. Quatrièmement, sur l’illustration AOE2-12, le Nicaragua vous a montré le symbole

correspondant à des rochers en permanence émergés suivant le niveau de référence des altitudes,

symbole qui n’a pas été utilisé sur les cartes mari nes colombiennes de Quit asueño. Le Nicaragua

n’est, toutefois, pas parvenu à expliquer le premier symbole qui figure sur la carte de

o
l’amirauté n 5011/INT1, apparaissant en haut de la même projection, et qui correspond à une

ligne de danger.

25. L’Organisation hydrographique internationale reconnaît qu’il est difficile d’effectuer des

levés hydrographiques dans des eaux contenant des récifs coralliens tels que Quitasueño, comme le

confirme la brochure «Règlement de l’OHI pour l es cartes internationales (INT) et spécifications

de l’OHI pour les cartes marines» que voici mainte nant à l’écran, sous le graphique6. Je me

contenterai de lire le second extrait :

B-420.1 «Une ligne de danger, constituée par une ligne poin tillée soutenue par
une teinte bleue aplat, doit être utilisée pour attirer l’attention du navigateur sur un
danger qui ne ressortirait pas assez nettement s’il n’était représenté que par son
symbole. On doit également utiliser la ligne de danger pour délimiter les zones

contenant de nombreux dangers, à travers l esquels la navigation n’est pas sûre à
l’échelle de la carte.»

26. Ces zones sont indiquées sur les cartes marines de Quitasueño de manière à attirer

l’attention du navigateur sur l es zones dangereuses en eaux peu profondes. C’est bien le symbole

qu’il faut utiliser lorsque les données hydrographiqu es proviennent d’un levé dont les lignes sont

distantes de 500mètres. Encore une fois, ces directives soulignent l’objectif d’un levé

hydrographique ⎯à savoir fournir un instrument visant à garantir la sécurité
de la navigation et

non à apporter des éléments de preuve.

27. Cinquièmement, le Nicaragua a critiqué le recours par la Colombie à l’image satellite de

Quitasueño. L’image a été utilisée pendant les plaidoiries de la Colombie à titre d’illustration pour

montrer les zones d’eaux peu profondes, qui perm ettent de déterminer l’étendue du banc de - 4 -

Quitasueño. Au premier tour de plaidoiries, M. Oude Elferink a présenté la même image satellite

traitée à l’aide de fréquences rouges et infrarouges. Ces bandes de fréquence ne pénétrant pas dans

l’eau, il en a conclu que «l’image satellite ne fai[sai]t apparaître aucune formation émergée sur

6
Quitasueño» . Au contraire, la conclusion de la Colo mbie est que cette image ne saurait servir à

réfuter l’existence de formations émergées, et ce, pour une raison essentielle, à savoir sa résolution

spatiale de 30 mètres. La résolution spatiale perm et de déterminer la dimension du plus petit objet

12 observable au sol et est donc clairement inadaptée dans cette zone. Les deux levés colombiens ont

démontré de manière frappante l’existence d’îles sur Quitasueño et je ne reviendrai pas dessus.

28. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je dois insister sur le fait que

M.Smith a adopté une approche conservatrice pour parvenir à ses conclusions sur la question de

7
savoir si les formations appartenant à Quitasueño constituaient des îles . La première étape de son

raisonnement en témoigne: il a utilisé la marée astronomique la plus haute pour déterminer le

niveau moyen de la mer. Cela signifie que pendant les dix-neufannées où les marées ont été

mesurées, la formation considérée devrait être r estée découverte même pendant les marées les plus

hautes, condition qui n’est pas exigée dans la défi nition qui figure dans les conventions. Pour

déterminer leurs lignes de base, les Etats côtiers recourent généralement au niveau moyen de marée

haute, prédéterminé, mais pas au niveau de la marée la plus haute. Toutes les cartes marines du

service hydrographique colombien utilisent comme référence le niveau moyen de la mer pour

indiquer toute élévation au-dessus du niveau de la mer. L’approche adoptée par M. Smith est donc

très conservatrice.

29. Il pourrait être utile de faire la comparais on avec la pratique des Etats-Unis, telle qu’elle

ressort de sources relevant du domaine public. Pe rmettez-moi de signaler quelques éléments de ce

schéma détaillé. Observez tout d’abord le terme «moyenne» qui figure après «laisse de basse mer

la plus basse» et «laisse de pleine mer la plus haute». Sur dix-neuf années de mesures, l’agence des

Etats-Unis chargée d’établir les cartes marines (que l’on appelle tout simplement NOAA dans le

milieu, semble-t-il) a pris la valeur «moyenne» ⎯pas la plus haute, ni la plus basse, mais la

moyenne. Ce sont les niveaux dont se servent les autorités américaines pour définir la ligne de

6
CR 2012/9, p. 55-56, par. 43 (Oude Elferink).
7
Rapport Smith, p. 9. - 5 -

base à partir de laquelle établir leur mer territoriale (hauteur moyenne de la basse mer inférieure) et

le niveau de la pleine mer (hau teur moyenne de la pleine mer s upérieure). Vous remarquerez que

ni la basse mer de vive eau ni la marée astronomique la plus haute n’y sont mentionnées.

30. Le Nicaragua a fait grand cas de la méthode employée par la Colombie pour déterminer

la hauteur des formations sur Quitasueño. Le procédé était en fait assez simple. Les hauteurs

étaient mesurées au centimètre près. Ces photographies ont été prises sur la formatio
n

dénomméeQS32. Lorsque le modèle de corre ction des marées a été appliqué aux données

topographiques, les résultats ont été exprimés avec trois décimales, c’est-à-dire au centimètre près.

Le degré de précision atteint est donc le centimètre, pas le millimètre. La troisième décimale

n’était pas pertinente pour parvenir aux conclusions du rapport de M. Smith.

13 31. Enfin, j’aimerais formuler une observati on à propos de l’affirmation du Nicaragua selon

laquelle les levés topographiques n’ont mis au jo ur que des «débris coralliens». Voici des

photographies qui figurent à l’appendice 1, annexe 6 du rapport Smith. Ce ne sont pas des débris

de coraux, mais une partie d’un récif corallien beaucoup plus gros solidement fixé au substrat. Nul

besoin d’être expert technique pour conclure que Quitasueño est une de ces îles coralliennes qui se

sont formées au cours des siècles par accumulati on progressive de squelettes de polypes coralliens

dans les eaux tempérées 8.

32. Tentant de discréditer les conclusions du rapport Smith, M.OudeElferink a essayé de

dénigrer à la fois l’indépendance et l’expertise de M. Smith. Permettez-moi tout d’abord d’évoquer

9
l’argument de l’«expert indépendant» . M.Smith devait-il travailler réellement tout seul et

indépendamment ⎯ s’enchaîner au banc, installer l’équipement de levé topographique, prendre les

mesures, passer la nuit dans la petite embarcation et se faire à manger? La méthode de travail,

notamment l’assistance fournie par la marine colombienne, est décrite dans le rapport Smith. Mais

M. Smith précise bien que les conclusions qui y figurent sont les siennes.

33. Intéressons-nous à présent à la tentative de ternir la réputation de M.Smith en tant

qu’expert des aspects géographiques et techniques du droit de la mer. M. Oude Elferink a exhumé

8
CR2012/14, p.41, par.21 (Oude Elferink), citant D.W.Bowett, The Legal Regime of Islands in International
Law, Oceana, 1979, p. 4-5.
9
Ibid., p. 36, par. 12 (Oude Elferink). - 6 -

une question posée à M.Smith lors de son intervention comme expert technique pour le Guyana

dans l’arbitrage entre celui-ci et le Suriname 10. Lorsqu’on l’a interrogé sur le concept de basse mer

de vive eau, M. Smith a honnêtement reconnu qu’il ne pouvait pas le définir. Cela ne signifie pas

pour autant qu’il ne soit pas expert des questions géographiques et techniques du droit de mer. Son

expérience, qui transparaît dans son curriculum vitae, prouve le contraire. Comme je l’ai dit, les

Etats-Unis n’utilisent pas cette notion pour établir leurs cartes marines.

34. Enfin, au cours de sa présentation, M. O ude Elferink a fait référence à l’accord de pêche

de 1983 qui comportait une illustration représen tant un cadre gris autour de Quitasueño 1. Il a fait

observer que M.Smith travaillait à l’époque pour le département d’Etat. En fait, le bureau de

M. Smith se trouvait alors dans un service du départ ement qui n’était pas chargé de la négociation

des accords de pêche. Voilà qui conclut enfin mon exposé sur Quitasueño.

14 4. L ES PRÉTENTIONS DU N ICARAGUA CONCERNANT LES ZONES ÉCONOMIQUES
EXCLUSIVES (DEUXIÈME PARTIE )

Côtes pertinentes

1. Je passerai maintenant aux côtes pertinentes. Lors du premier tour de plaidoiries, j’ai fait

observer que, si le Nicaragua insistait pour que soit délimitée toute la zone où des zones

économiques exclusives se chevauchent, notamment à l’est de l’archipel, il faudrait alors tenir

compte des côtes orientales des îles colombiennes, lesquelles font naître des droits qui vont bien

au-delà de la zone économique exclusive généré e par la côte nicaragua yenne. Il était donc

nécessaire de compter à la fois les côtes orientées vers l’est et celles orientées vers l’ouest.

12
2. M.Reichler n’était pas content de la projection radiale des îles , qui, selon lui,

«ressort[ait] moins clairement de la jurisprudence» 13 que je ne le prétendais. La jurisprudence à

laquelle il fait allusion est une opinion distincte de MM.les juges Ruda et Bedjaoui dans

Libye/Malte, auxquels s’est joint le juge ad hoc Jiménez de Aréchaga. L’opinion distincte, citée

par M. Reichler, se lisait comme suit :

10CR 2012/14, p. 37, par. 12 (Oude Elferink).
11
Ibid., p. 35, par. 10 (Oude Elferink).
12
CR 2012/14, p. 44, par. 15 (Reichler).
13Ibid. - 7 -

«Il se peut en effet que cette projection radiale joue dans le cas des îles qui,

situées en plein océan, ne font face aux côtes d’aucun autre Etat. Mais elle ne
correspond pas à la pratique étatique des les mers fermées ou semi-fermées où plus de
deux Etats peuvent émettre des prétentions sur une même zone maritime.» 14

Une lecture du passage cité fait immédiatement apparaître ce qui ne fonctionne pas dans la

tentative de M.Reichler d’atté nuer l’effet radial des îles. L’opinion distincte portait sur des

situations «où plus de deux Etat s peuvent émettre des prétentions sur une même zone maritime».

Ce n’est pas le cas en l’espèce : il y a seulement deux Etats qui revendiquent la zone en question,

du moins en ce qui concerne ses parties centrales. Le problème le plus sérieux naît toutefois du fait

que l’opinion distincte visait deux Etat tiers bien précis: l’Italie et la Grèce, avec lesquels les

projections radiales de Malte généraient un ch evauchement de droits potentiels, non encore

déterminés. Le Nicaragua prétend invalider une pratique de délimitati on qui existe dans les

Caraïbes occidentales, alors que, comme nous l’av ons déjà fait observer, elle est des plus

pertinentes. L’empressement avec lequel il essay e de l’écarter lui fait négliger la raison pour

laquelle deux juges et un juge ad hoc en l’affaire Libye/Malte avaient à cŒur d’atténuer l’effet

radial des îles: dans les circonstances particu lières de cette espèce, deux Etats tiers proches

n’étaient pas parvenus à déterminer leurs droits vis-à-vis de Malte. La situation qui nous occupe

est bien différente. Le problème potentiel de la projection radiale ne se pose pas.

15 3. De plus, la partie des îles que le Nicaragua a passée sous silence la semaine dernière est

celle qui ne lui fait pas face. La manière dont il a, à tort, exclu ces côte s de la comparaison de

longueurs côtières à laquelle il a procédé la semaine dernière était complètement trompeuse.

4. Malgré ses réticences, MR . eichler a apparemment accepté, «aux fins de la

démonstration», que les îles génèrent un droi t à une zone économique exclusive s’étendant

15
potentiellement jusqu’à 200milles dans toutes les directions . Mais il ne l’a admis que pour

environ cinq minutes. Il s’est ensuite plaint que, da ns la zone pertinente, le Nicaragua n’aurait que

16
28% de la zone maritime, ce qu’il a appelé l’«exemple même de la disproportion» . Mais de

quelle «disproportion» parle-t-on? De celle qui concerne le vi eux rapport côtier de 21sur1?

14CR2012/14, note 120, citant C.I.J. Recueil 1985, p.78, par.5 (opinion distin cte conjointe de MM. les juges
Ruda et Bedjaoui et de M. le juge ad hoc Jiménez de Aréchaga).
15
Ibid., p. 44, par. 15 (Reichler).
16Ibid., p. 45, par. 16. - 8 -

Après avoir accepté que des îles ont des projections radiales, M. Reichler a choisi d’ignorer toutes

leurs côtes à l’exception de celles qui étaient orientées vers l’ouest.

5. Il m’a accusé d’avoir «soudainement modifié la position colombienne» 17. Je n’ai rien fait

de tel. Je me suis borné à faire observer que, si la zone pertinente à laquelle prétendait le

Nicaragua était effectivement la zone pertinente, il faudrait utiliser des mesures côtières totalement

différentes. Nous ne faisions qu’aller à la rencontre du Nicaragua afin d’aider la Cour: nous

essayions d’avancer bien que le Nicaragua semble considérer, à tort, que le rapport côtier est

l’élément déterminant à appliquer de façon mécani que, pour obtenir les résultats escomptés dans

une délimitation maritime.

6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour résumer ce qui précède, je

rappellerai que, mardi, M. Reichler a d’abord semblé accepter, et il aurait vraiment dû le faire, que

les îles de l’archipel ont des côtes orientales et des côtes occidentales; que les côtes orientales

génèrent des droits, qui pourraie nt aller 100milles au-delà des côtes orientales du Nicaragua; et

que si la zone de délimitation entoure l’archipel, il faudra alors mesurer à la fois les côtes orientales

et les côtes occidentales. En fait, selon le calcul de M.Re ichler, nous avons obtenu quelques

kilomètres de côte de plus que selon nos propres calcu ls. Mais, au moment crucial, au moment des

chiffres, il est revenu au vieux rapport de 21 pour 1, pourtant discrédité, qui permettrait de générer

un rapport de zones économiques exclusives de 35 pour 1 en faveur du Nicaragua. J’ai déjà montré

où était l’erreur.

16 7. En même temps, M. Reichler nous a servi une nouvelle longueur côtière pour le Nicaragua

qui est à présent, tenez-vous bien, de 453kilomètres 18. Il n’a pas pris la peine d’expliquer

comment il arrivait à ce chiffre. Il a peut-être u tilisé son modèle breveté d’allongeur de côtes,

véritable planche de salut pour conseil en détresse dans les affaires de délimitation. Pensez à un

chiffre et ajoutez-le à la longueur de votre côte. Le système fait merveille ! M. Reichler pourrait

même vous offrir un prix spécial ! Selon notre cal cul, en utilisant les graphiques du Nicaragua, la

véritable longueur de la côte est de 550 kilomètres : vous pouvez constater par vous-mêmes qu’elle

ne saurait s’être allongée de 250 kilomètres. Le rapport des longueurs côtières est donc de 8,5 pour

17
CR 2012/14, par. 17.
18
Ibid., p. 46, par. 21 (Reichler). - 9 -

1, soit 550 kilomètres pour le Nicaragua, contre 65 kilomètres pour l’archipel de San Andrés. C’est

beaucoup moins que le premier rapport proposé de 21pour1 et encore beaucoup moins que le

rapport de 33 pour 1 auquel on parvient en utilisant la longueur inexpliquée de 701 kilomètres. Ce

rapport de 8,5 pour 1 est du même ordre que dans Jan Mayen et Libye/Malte : important, oui, mais

pas écrasant et certainement pas au point d’imp liquer une zone économique exclusive nulle, ou

presque, pour l’archipel.

Le test de la proportionnalité et sa pertinence pour des îles dans un contexte
de côtes se faisant face

8. M.le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les deux affaires dans votre

jurisprudence dans lesquelles il était question d’ une île ou de quelques petites îles en face d’une

longue côte continentale sont l’affaire Jan Mayen 19et Libye/Malte. Il n’a été procédé à une

analyse de la proportionnalité dans aucune de ces deux affaires; dans chaque affaire, vous avez

estimé que la disproportion entre les côtes était une raison de procéder à un ajustement de la ligne

d’équidistance provisoire, mais vous n’avez pas u tilisé le rapport de longueur côtière comme aune

à laquelle déterminer l’ampleur de l’ajustement ou son caractère équitable. Dans les deux cas, vous

avez donné un effet significatif à la côte insulaire.

9. Une des raisons pour lesquelles il est ma laisé d’analyser la proportionnalité dans une

situation où deux côtes se font face est qu’il est difficile de déterminer quelle est la zone pertinente.

Mais il peut être utile de se pe ncher sur ces deux affaires afin d’év aluer les résultats que la Cour a

jugé équitables dans des situations où une petite île au larg e fait face à une longue côte

continentale.

10. L’affaire qui ressemble le plus à la nôtre est celle de Jan Mayen. Le rapport des façades

côtières était de 1 pour 11. Il paraît raisonnable de considérer comme zone pertinente, les zones de

chevauchement de droits potentiels à une zone éc onomique exclusive, bordée au sud par la zone

économique exclusive de l’Islande et au nord pa r l’intersection des lignes des 200milles marins

17 des deux Parties. On parvenait ainsi à une zone pertinente de 161532ki lomètres carrés. La

19
Délimitation maritime dans la région situ ée entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c.Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1993, p. 38. - 10 -

division de cette zone sur la base de l’équidistance aurait donné un rapport de 1 pour 1,27 en faveur

du Groenland contre un rapport ajusté de 1 pour 3,30 en faveur du Groenland.

11. Je ferai les observations suivantes :

a) Premièrement, aucune priorité n’a été donnée à la côte continentale en tant que telle. La Cour

n’est pas partie du principe, par exempl e, que le plateau continental était a priori le plateau

continental du Groenland 20.

b) Deuxièmement, vous avez expressément rejeté la demande du Danemark tendant à ce que la

côte continentale reçoive une zone de 200m illes tandis que JanMayen ne recevrait que la

partie résiduelle 21.

c) Troisièmement, l’ajustement était modeste eu égard aux circonstances et beaucoup moins

important que le rapport des façades côtières.

d) Quatrièmement, les facteurs pertinents non gé ographiques, dont M. Bundy a discuté, jouent en

faveur de la Colombie dans notre affaire. Ces facteurs étaient absents ⎯ sécurité et

administration ⎯ ou favorisaient le Danemark ⎯ existence d’une communauté établie, accès à

la zone de pêche du capelan.

12. M. Reichler essaie de distinguer l’affaire Jan Mayen de notre affaire en soulignant que la

zone de chevauchement potentiel est située entre les côtes des Parties et n’inclut pas JanMayen

elle-même 22. Mais, en fait, vous n’avez guère accordé de poids à cette circonstance. La distinction

établie par M.Reichler est censée impliquer que la zone attribuée à JanMayen aurait été

radicalement différente, allant peut-être jusqu’à l’ enclavement, si l’île avait été située à moins de

200 milles marins de la côte du Groenland. Mais il n’ y a aucune raison de le penser et l’arrêt ne le

dit certainement pas. Si une priorité à la nicaraguayenne devait être accordée, comme le prétend le

Nicaragua ⎯ son plateau continental, sa zone maritime ⎯ si vous aviez accordé la même priorité,

20 Délimitation maritime dans la région situ ée entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c.Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1993, p. 69-70, par. 71 :

«Au stade actuel de son analyse, la Cour estime dès lors qu’il n’y a lieu de retenir ni la ligne médiane ni la
ligne des 200milles calculée à partir des côtes du Groenland oriental dans la zone pertinen te pour la délimitation du
plateau continental ou de la zone de pêche. Il s’ensuit que la ligne de délimitation doit être située entre les deux lignes
décrites ci-dessus, et à un emplacement tel que la solution obtenue soit justifiée par les circonstances spéciales envisagées

dans la convention sur le plateau continental de1958, et soit équitable au rega rd des principes et règles du droit
international coutumier.»
21 Ibid., p. 69, par. 70, p. 78, par. 88.

22 CR 2012/14, p. 48-49, par. 34 (Reichler). - 11 -

disais-je, à la côte continentale du Groenland, cela se serait reflété dans l’arrêt ⎯ par exemple,

18 vous auriez donné au Groenland une zone de 200 milles marins ou pl us. On voit donc que la côte

de Jan Mayen vient étayer notre position et non celle du Nicaragua.

13. Et puis il y a l’affaire Libye/Malte. Il est plus problématique ici de déterminer quelle est

la zone pertinente étant donné l’effet d’entonnoir des revendications italiennes vers l’ouest et vers

l’est. Pour évaluer la proportionnalité de l’ajustement sur une base purement bilatérale, je ne me

suis pas occupé de la découpe de l’Italie, si je pui s l’appeler ainsi, et j’ai tiré des lignes à partir de

la côte pertinente de Malte jusqu’aux points équivalents sur la côte libyenne (RajsAjdir et

RasZarruk). Le rapport des façades côtières est de 1pour8 en faveur de la Libye. Une ligne

d’équidistance divise cette zone selon un rappor t de 1pour2,8. Vous avez estimé qu’un

ajustement était nécessaire, étant donné la disparité des longueurs des côtes. Mais l’ajustement

était modeste, produisant un rapport de zone de 1 pour 3,49, pas même la moitié de ce qui aurait pu

être décrit comme un rapport paritaire, c’est-à-dire le même rapport pour la répartition de la zone

que pour la côte.

14. M.Reichler essaie d’établir une distinction avec l’affaire Libye/Malte en se fondant sur

le fait que l’entité dont les zones devaient être déterminées était un Etat indépendant et non un

23
territoire dépendant . Mais on voit mal en quoi cela pourrait faire une différence, le distinguo

qu’il a tenté d’établir entre les Groenlandais autonomes et les scientifiques subventionnés sur

JanMayen n’a certainement pas fait grande impressi on à la Cour. De plus, la nécessité d’établir

une telle distinction prouve que le point de vue nicaraguayen a besoin d’être expliqué, ce qui est

effectivement le cas. Si le Nicaragua a raison à propos des effets excessifs des côtes

métropolitaines par rapport à celles des îles situées au large, alors l’ajustement en faveur de la

Libye aurait dû être plus grand, beaucoup plus grand. Mais l’ajustement dans l’affaire Jan Mayen

était du même ordre de grandeur, dans une affa ire où l’île au large était un simple territoire

dépendant. M. Reichler a raison, une explication s’impose, mais le moyen qu’il utilise pour éviter

une telle explication, le fait que Malte soit un Etat, ne fonctionne pas.

23
CR 2012/14, p. 49, par. 37 (Reichler). - 12 -

La pratique diplomatique

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en ce qui concerne la pratique

diplomatique, nous avons entendu tout ce que chacun av ait à dire à ce sujet, et je suis sûr que vous

ne manquerez pas d’examiner les arguments avec soin. Je me bornerai à mentionner deux cas. Le

19 premier concerne le traité franco- australien relatif à la Nouvelle-C alédonie. M. Reichler a évoqué

plusieurs petites formations de chaque côté de la frontière à qui un effet avait été donné puis ajusté,

et c’est exact, du moins pour certains segments de la frontière 24. Mais il omet de reconnaître le rôle

crucial que joue Middleton Reef dans le secteur central, ce récif que j’ai décrit l’autre jour comme

n’étant guère plus qu’un haut-fond découvrant, bien moins important que les composantes de

l’archipel de SanAndrés. A marée haute sur Middleton, seule une caye est visible, à un mètre

au-dessus du niveau de la mer. La caye est appelée The Sound et mesure 100mètres sur

70 mètres 25. Il a fallu user d’un véritable esprit de persuasion pour convaincre les autorités

australiennes de reclasser Middleton qui n’était al ors qu’un haut-fond découvrant, mais une fois

qu’il a été établi que la caye solitaire était une île proprement dite et un bon emplacement pour un

point de base, les Australiens se sont ralliés à la cause du récif de Middleton avec enthousiasme et

succès. La zone est maintenant un parc national marin.

16. Le deuxième cas auquel je voudrais me réfé rer, parce que M.Reichler en a parlé deux

26 27
fois , est l’arbitrage canadien dans l’affaire Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse .

Monsieur le président, je comptais parmi les arbitres dans cette affaire et je dois donc être prudent.

Il est vrai qu’aucun effet n’a été accordé à l’île de Sable. Considérant qu’étant donné

l’emplacement de cette petite île inhabitée et le caractère fortement disproportionné de l’effet

qu’elle aurait eu sur la délimitation, le tribunal ne lui a donné aucun effet et la ligne d’équidistance

28
a été ajustée en conséquence . Les circonstances de cette affaire ne ressemblent en rien à celle de

la présente espèce.

24
CR 2012/13, p. 62, par. 86 (Reichler).
25
Voir l’article de V.Prescott, «The Unce rtainties of Middleton and Elizabeth Reefs» IBRU Boundary and
Security Bulletin , p1rine,mps http://www.dur.ac.uk/resources/ibru/publications/full/
bsb6-1_prescott.pdf
26
CR 2012/10, p. 44, par. 47 (Reichler) ; CR 2012/14, p. 54, par. 55 (Reichler).
27Terre-Neuve-et-Labrador/Nouvelle-Ecosse, sentence arbitrale (deuxième phase) (2002) 128 ILR 425.

28Ibid., p. 572-573, par. 5.9-5.15. - 13 -

17. Je voudrais ajouter quelque chose concernant les trois «nouvelles» affaires dont a parlé

M.Reichler à la fin de sa conclusion mardi 29. Il en a parlé comme d’exemples de pratique

bilatérale où les Etats conviennent d’enclaver ou de semi-enclaver des îles à l’intérieur de la mer

territoriale pour les empêcher d’avoir un effet disproportionné sur la délimitation.

18. Etant donné que M.Reichler considère ma nifestement la pratique diplomatique comme

30
«une base très instable pour les demandes de délimitation maritime» , j’ai été un peu surpris de le

voir outrepasser le cadre de son exposé qui consistait à distinguer les situations allant dans le sens
20
31
de la Colombie et commencer à «trier sur le volet» lui aussi. Et comme il m’a reproché de «faire

défiler» 32 un grand nombre de cartes, peut-être la Cour voudra-t-elle m’autoriser à en faire défiler

quelques-unes de plus, à l’appui des trois cont re-exemples que M.Reichler a évoqués, sans

toutefois montrer la moindre carte.

19. Avant de commencer ce «tour du monde en quatre-vingts secondes» 3, comme l’a appelé

M.Reichler, et au risque de gâcher l’effet de surprise, je vous dirai que chacun des exemples

donnés par M.Reichler n’a aucune pertinence en l’espèce. Tous ces exemples portent sur des

situations dans lesquelles deux Etats possèdent des côtes adjacentes ou opposées qui définissent la

zone délimitée, et avec une petite distance entre eux. Chacun des exemples concernaient donc une

situation où une ligne médiane proposée existait et risquait de subir une distorsion indue si les îles

dont il était question se voyaient attribuer plein effet. Aucun de ces facteurs ne s’applique ici.

20. Je commencerai par Daiyina. La Cour peut apercevoir clairement la côte du Qatar sur le

côté gauche de la carte, avec la côte d’Abou Dh abi, devenu par la suite Emirats arabes unis, qui

s’éloigne vers le sud-est et vers le sud fo rmant un L. Daiyina se trouve au creux du coude

Qatar-EAU; donner plein effet à cette île se serait tr aduit par une distorsion considérable de la

ligne médiane, empiétant de manière inacceptable sur la mer territoriale du Qatar.

29
CR 2012/14, p. 62, par. 87 (Reichler).
30
Ibid., p. 60, par. 81 (Reichler).
31Ibid., p. 62, par. 87 (Reichler).

32Ibid., p. 60, par. 81 (Reichler).

33 Ibid., p.61, par.81 (Reichler). Et aussi: J.Verne, Le tour du monde en quatre-vingts jours
(Pierre-Jules Hetzel, 1873). - 14 -

21. Laissez-moi à présent vous emmener en mer Ad riatique, sur l’île de Peragruz, près de la

côte continentale de ce qui est maintenant la Cr oatie. Cette île ne repose pas dans le creux d’un

coude ; elle se trouve entre des orteils. Comme la Cour peut le voir, donner plein effet à Peragruz

aurait conduit à une situation où la zone maritime empiéterait de façon inacceptable sur la mer

territoriale italienne. Ici encore, l’exemple n’a rien à voir avec la situation à l’examen.

22. Passons à présent à Pantelleria, Linosa et Lampedusa. Nous avons de nouveau affaire à

un espace extrêmement confiné. Particulièrement dans le cas de Pantelleria, les frontières des deux

mers territoriales sont si proches que leur contact provoque une friction. La côte sicilienne se

profile à l’arrière plan. De nouveau, on peut voir les similitudes avec les Scillies et peut-être même

34
avec St Pierre et Miquelon . Mais pas avec notre affaire, pas avec Nicaragua/Colombie. Celui

qui criait «au loup» crie à présent «enclave», touj ours à mauvais escient, mais avec deux fois plus
21

de vocabulaire !

23. Nous revenons donc à notre affaire, avec un certain soulagement. Comme la Cour peut

le voir, la situation maritime en ce qui concerne le Nicaragua et la Colombie est complètement

différente de celle qui prévalait dans les exempl es donnés par M.Reichler. Tout d’abord, nous

observons l’absence totale de la côte colomb ienne. On a l’impression que le Nicaragua a

abandonné toute velléité de prétendre que la côte continentale colombienne constituait une côte

pertinente aux fins de la délim itation de la zone économique exclusive. Mais, même si c’était le

cas, même si elle était pertinente, qu’en résulte rait-il? Donner aux îles un plein effet ne se

traduirait par aucun empiètement sur la mer territoriale du Nicaragua. Et la côte continentale

colombienne est tellement éloignée qu’elle ne sa urait affecter la délimitation de la zone

économique exclusive.

Conclusions

24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je reviendrai plus tard cet

après-midi pour récapituler la situation, je n’en ferai donc rien à présent. Qu’il me suffise de

souligner que la délimitation de la zone économique exclusive doit avoir lieu entre les côtes

opposées du Nicaragua et de l’archipel, que l’enclavement est catégoriquement exclu, en particulier

34
Délimitation des zones maritimes comprises entre le Canada et la République française (St Pierre et Miquelon)
(1992), ILR, vol. 95, p. 645. - 15 -

par votre jurisprudence et que, et ce n’est pas la moindre raison, Quitasueño a droit à une mer

territoriale et à une zone adjacente.

Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour.

Le PRESIDENT: Merci, M.Crawford. Je passe à présent la parole à M.Bundy, qui

poursuivra la plaidoirie au nom de la Colombie. Vous avez la parole, Monsieur.

M. BUNDY :

5. FACTEURS GÉOGRAPHIQUES ET AUTRES CIRCONSTANCES PERTINENTES

1. Dans cet exposé ⎯ qui, je vous l’assure, sera plus court que ma plaidoirie de ce matin ⎯,

j’évoquerai un certain nombre de facteurs géogr aphiques et autres circonstances pertinentes qui

revêtent une importance absolument primordiale pour la Colombie et sont déterminants pour

parvenir à une solution équitable en la présente af faire. J’entends pour ce faire me concentrer sur

les questions qui continuent de diviser les Parties.

22 Il est reconnu plein effet aux îles colombiennes

2. La première est que le Nicaragua qualifie toutes les îles colombiennes —hormis

SanAndrés, Santa Catalina et Providencia ⎯ de simples «rochers» au sens du paragraphe3 de

l’article 121 de la convention. Si M. Pellet a eu raison de dire que la jurisprudence s’est en général

35
abstenue de déterminer le statut juridique des îles , en l’espèce, cette question revêt une très

grande importance du fait que le Nicaragua tente de priver les îles colombiennes de leur droit à des

espaces maritimes, et non seulement à une mer territo riale et à une zone contigüe, que toute île

possède au minimum, mais aussi à une zone économique exclusive et à un plateau continental.

3. Les informations dont dispose la Cour, dont des photographies des îles et maints exemples

d’un comportement général ayant trait aux activités menées sur les îles et dans les eaux adjacentes,

attestent que ce ne sont pas de simples «rochers». Rockall, par exemple, qui appartient au

Royaume-Uni, est un rocher. MiddleRocks, que la Cour connaît bien depuis l’affaire

Malaisie/Singapour, sont des rochers. Ces îles n’en sont pas. Par conséquent, la question de savoir

35
CR 2012/15, p. 46, par. 27 (Pellet). - 16 -

si elles se prêtent à une habitation humaine ou à une vie économique ne se pose même pas. Toutes

les îles, petites ou grandes, dès lors qu’elles ne sont pas des rochers, génèrent tout un ensemble

d’espaces maritimes, espaces que le droit leur acco rde au même titre que tout autre territoire

terrestre. Les assertions du Nicaragua, très sûr de s on fait, sur la nature des îles colombiennes sont

contraires aux vues de tous les autres Etats rivera ins de la région et ne sont guère convaincantes

pour la simple et bonne raison que le Nicaragua n’a jamais mis un pied sur l’une quelconque de ces

îles à quelque moment que ce soit. Peut-être serait- on davantage enclin à le croire s’il y était au

moins allé !

4. Les éléments de preuve versés au dossier ⎯ ô combien nombreux ⎯ montrent que toutes

ces îles ont généré un nombre considérable d’activités humaines et économiques à compter

du XIX esiècle et jusqu’à aujourd’hui. Auraient-ell es été de simples «rochers», ces formations

insulaires n’auraient pas suscité un si vif intérêt.

5. Je sais que, pour M. Pellet, ces activités prêtent à rire. Il qualifie les effectivités que j’ai

énumérées dans mon exposé du premier tour de pl aidoiries d’«effectivités de papier». Et il se

gausse de l’exploitation des cocotiers sur Quitasueño 36.

23 6. Outre ce dont a déjà parlé mon collègue, M. Kohen, j’inviterai m on bon ami de la partie

adverse à lire les preuves documentaires avant de tourner mes propos en dérision. La concession

pour la collecte de noix de coco que j’ai évoqu ée pendant le premier tour de plaidoiries, par

exemple, était l’objet de l’annexe 77 du contre-mémoire, que vous avez pu voir à l’écran. Il s’agit

d’un permis d’exploitation d’une cocoteraie sur Alburquerque et non sur Quitasueño. Le document

en question le montre très clairement. Le titulaire a déboursé une forte somme pour obtenir ce

permis: 1001pesos, une somme coquette en1915. Manifestement, il a considéré que la valeur

marchande des produits de l’île méritait la dépense.

7. Quant à Roncador, l’annexe 78 du contre-mémoire de la Colombie montre que la personne

qui travaillait pour la société d’exploitation de guano «s’était installée» su r l’île, île sur laquelle

avait été bâtie une maison et où vivaient des ouvr iers. Tels sont les termes utilisés dans le

document de l’époque. L’île était habitée. De même, il est écrit dans un rapport de 1890 adressé

36
CR 2012/15, p. 40, par. 14 (Pellet). - 17 -

au gouvernement local à Carthagène par le préfet de l’archipel que, pendant plus de la moitié de

l’année, Roncador était «habitée en permanence par une grande partie de la population des îles de

l’archipel, qui se rend sur Roncador pour pêcher la tortue, les écailles de tortue constituant l’une

37
des principales richesses de la région» . Il est expliqué dans ce même document que Roncador,

Alburquerque, Serrana et Quitasu eño recélaient des «dépôts de guano de grande valeur» et

qu’Alburquerque — et non Quitasueño — abritait de s cocoteraies. Dans un autre rapport consacré

aux îles de l’archipel, qui date de1894, il est i ndiqué que les permis délivrés pour Roncador et

38
Quitasueño étaient susceptibles de fournir au trésor public «un revenu assez considérable» , pour

reprendre la terminologie utilisée. Et, en1913, comme je l’ai mentionné la semaine dernière,

l’Allemagne a nommé un vice-consul à Carthagène , dont la juridiction s’étendait à Roncador.

Rares sont les vice-consuls nommés pour administrer des «rochers».

8. Quant à Serrana, il ressort du dossier que les agents de la société de négoce qui menait des

39
activités économiques sur l’île et y exploitait le guano s’y étaient, eux aussi, «installés» . Tels

sont les termes employés dans les documents de l’époque. Ces activités étaient d’une grande

valeur économique. Il est indiqué dans un ra pport que, pour assurer le respect du contrat, le

titulaire d’un permis d’exploitation sur Serrana av ait versé un dépôt de gara ntie d’une valeur de

24 2000 pesos (de l’époque, en 1893) 40. Dans un autre rapport adressé au gouverneur de la Jamaïque

par le BritishColonial Office, la quantité de guano transportée par bateau en provenance de

Serrana sur une période de deux ans était estimée à 1500tonnes, l’île semblant très riche en

41
guano . En1915, des permis d’exploitation du guano sur Roncador, Quitasueño, Serranilla et

Alburquerque ont été délivrés moyennant le ve rsement de 4000pesos, une petite fortune à

l’époque 42.

9. L’importance économique de Serranilla et BajoNuevo remonte, elle aussi, au début

du XX esiècle, lorsqu’il est apparu que les pêcheurs jamaïcains et colombiens considéraient ces îles

37CMC, vol. II-A, annexe 82.

38Ibid., annexe 87.
39
Ibid., annexe 78.
40
Ibid., annexe 86.
41CMC, vol. II-A, annexe 173, p. 632-633.

42Ibid., annexe 97. - 18 -

comme l’une de leurs principales sources de subs istance. Cette réalité a conduit les autorités

britanniques, en 1924, à rappeler aux pêcheurs qui opé raient dans les eaux de l’archipel qu’il leur

43
était interdit de pêcher sans un permis délivré par le Gouvernement colombien .

10. L’importance économique de Serranilla et Ba jo Nuevo perdure aujourd’hui. En vertu de

l’accord de pêche conclu en1981 entre la Colombie et la Jamaïque, dont je vous ai déjà parlé,

36pêcheurs ont été autorisés à séjourner sur Serranilla et24, sur BajoNuevo 4. Il est consigné

dans l’accord de pêche de 1984 que les deux îles se prêtaient à l’habitation humaine et à la vie des

pêcheurs jamaïcains qui y résidaient 45. La Jamaïque, dont les ressortissants ont effectivement vécu

sur les deux îles, est à mes yeux bien mieux placée que le Nicaragua, qui n’y a jamais mis les pieds,

pour savoir si elles se prêtaient à l’habitation humaine ou à une vie économique.

La position des Etats tiers

25 11. Des Etats tiers comme la Jamaïque, le Panama et le CostaRica n’ont jamais considéré

que les îles colombiennes étaient de simples «roche rs», incapables d’ouvrir des droits à un plateau

continental et à une zone économique exclusive. Les accords de délimitation signés par la

Colombie avec ces trois Etats sont là pour le confirmer, comme je l’ai expliqué de manière assez

détaillée la semaine dernière. En vertu de ces accords, ces îles se sont vu reconnaître plein effet

dans le cadre du calcul de l’équidistance. Tous reconnaissent à la Colombie des droits maritimes,

dont le droit à une zone économique exclusive et à un plateau continental de son côté de la ligne

frontière. Le Nicaragua n’a pas cherché à réfuter ce point.

12. Au contraire, mardi après-midi, M. Lowe a fait la déclaration suiv ante : «comme l’a dit

son agent, le Nicaragua ne demande pas à la Cour de modifier les délimi tations qui ont déjà été

effectuées» 46. N’est-ce pas là une déclaration extraordinai re si l’on considère que, lorsqu’il s’est

lancé dans son exposé des prétentions du Nicaragua, M.Lowe s’est employé à mettre en pièces,

littéralement, tout accord de frontière entre la Colombie et le Panama, la Colombie et le Costa Rica,

et la Colombie et la Jamaïque dans la partie centrale de la mer?

43 CMC, vol. II-A, annexes 185, 186 et 194.
44
Ibid., annexe 7.
45
Ibid., annexe 9.
46 CR 2012/15, p. 27, par. 58 (Lowe). - 19 -

13. Si l’on en croit la théorie du sablier défendue par M.Lowe, tous les espaces maritimes

situés à l’est de la zone de 200milles marins reve ndiquée par le Nicaragua à partir de sa côte, et

au-delà de 200milles marins à partir de la côte c ontinentale de la Colombie, seraient aujourd’hui

transformés, comme par magie, en zones de haute mer. Et, comme si cela ne suffisait pas, tous les

autres espaces situés à l’est des îles colombiennes reviendraient au Nicaragua, selon la position de

repli qu’il a adoptée, sur une distance de 200 miles marins à partir de sa côte continentale. Ainsi,

tous les droits maritimes de la Colombie dans ce tte zone n’existeraient plus, hormis des enclaves

de 3 ou 12 milles marins. Finis les accords de délimitation signés par la Colombie avec le Panama,

le Costa Rica et la Jamaïque ! Quelle ne serait la surprise de ces trois pays d’apprendre qu’ils ne

partagent plus de frontière maritime avec la Colomb ie dans ces zones, surtout si l’on pense que le

Nicaragua n’y a jamais possédé ni exercé le moindre droit, et qu’il n’a jamais coopéré avec eux

dans les domaines de la gestion et de la conser vation des ressources biologiques qui s’y trouvent.

S’il ne faut pas y voir une «modification» des délimitations qui ont déjà été opérées, de quoi

s’agit-il alors ?

14. Le Nicaragua aime à répéter qu’il souhaite une solution équitable. Mais il n’y a rien

d’équitable dans la destruction des accords de délimitation que la Colombie a conclus avec des

Etats tiers. Si le Nicaragua est sincère lorsqu’il affirme ne pas demander à la Cour de modifier des

délimitations existantes, il devrait alors pleinement respecter les accords de délimitation conclus

par la Colombie avec d’autres Etats riverains de la région.

26 Pers.onne ⎯aucun Etat de la région hormis le Ni caragua dans le cadre de la présente

procédure ⎯ ne considère que cette partie des Caraïb es est une zone de haute mer ou une zone

dans laquelle la Colombie est en quelque sorte dépossédée de ses droits à une ZEE et à un plateau

continental. Tous les accords conclus avec le s Etats voisins ont défini une frontière maritime

unique et délimité non seulement le plateau continental mais aussi la colonne d’eau.

16. Il en va de même au sein de la communa uté internationale. Il n’existe pas l’once d’une

preuve selon laquelle un Etat consid érerait que cette partie des Caraïbes est une zone de haute mer

ou que la Colombie n’a pas droit à un plateau continental et à une zone économique exclusive dans

toutes les zones situées à l’est des îles de Quitasu eño, SantaCatalina, Pr ovidencia, SanAndrés et

Alburquerque, du côté colombien de la ligne frontière tracée avec des Etats tiers. - 20 -

17. La semaine dernière, j’ai indiqué que la Colombie avait octroyé des permis de pêche à

des navires battant pavillon d’une douzaine de pays, dont le Nicaragua, qui opéraient dans les eaux

de l’archipel de San Andrés, un fait attesté par de nombreux documents versés au dossier 47. Cela

présuppose nécessairement que la Colombie posséda it des droits à une zone économique exclusive

sur l’ensemble de cette zone. La Colombie a exercé sa juridiction et assumé ses responsabilités

dans cette zone maritime. Pas une seule fois, ni au premier ni au second tour de plaidoiries, le

Nicaragua n’a tenté de contester l’un quelconque de s éléments de preuve que nous avons versés au

dossier pour étayer les faits. Et aucun autre Etat ne les a mis en doute.

L’importance des eaux de l’archipel de San Andrés pour la Colombie

18. Mardi matin, il a été déclaré par nos contradi cteurs que les eaux baignant cette partie des

Caraïbes étaient un repaire de criminels «e n provenance essentiellement de Colombie, avec

d’importantes bases à San Andrés et à Providencia» 48. Rien ne venait étayer cette accusation, pour

le moins outrancière —trait caractéristique, il faut le dire, de bien des assertions du Nicaragua.

Celui-ci pense apparemment que si la Colombie est la reine des Caraïbes, il en est l’ange gardien.

L’un et l’autre sont faux.

19. L’important aux fins de l’espèce est que la Colombie a adopté un comportement

responsable en s’employant à assurer la sécurité dans la région, en collaboration avec d’autres

27 Etats, contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua , dont le comportement ne peut en rien se

comparer à celui de la Colombie. Ces activités de la Colombie, de même que les autres mesures

que j’ai déjà évoquées, sont amplement attestées.

20. Les questions de sécurité revêtent une im portance primordiale pour la Colombie. C’est

l’une des raisons pour lesquelles elle a tenu à m ontrer que, non seulement elle avait mis en Œuvre

et fait respecter ses lois en matière de douanes, de fiscalité, d’ immigration et autres dans les zones

contigües entourant chacune de ces îles, mais aussi exercé sa juridiction dans la totalité de la zone

économique exclusive. La semaine dernière, j’ ai évoqué plusieurs éléments qui définissent le

comportement de la Colombie en la matière. Je n’y reviendrai pas car le Nicaragua a gardé le

47
CR 2012/13, p. 26, par. 24 (Bundy).
48
CR 2012/14, p. 12, par. 10 (Argüello Gomez). - 21 -

silence à ce sujet. Pourtant, dans son mémoire, il avait souligné que les tribunaux internationaux

ont toujours résolument reconnu la pertinence des co nsidérations de sécurité dans l’évaluation du
49
caractère équitable d’une délimitation .

21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme l’agent de la

Colombie l’a rappelé ce matin, quelque 80000 pe rsonnes vivent dans l’archipel de SanAndrés;

leur subsistance, et avant eux celle de leurs ancêtres, dépend de la mer ⎯ vous le voyez à la lecture

des pièces. Ce fait s’explique par la géographie de la région. Priver la Colombie et les habitants de

l’archipel de droits établis de longue date, droits qui sont accordés par le droit international sur les

espaces maritimes relevant de ces îles, aurait des conséquences catastrophiques. On ne saurait

parler de solution équitable.

22. Il convient de rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 59 de la convention de 1982,

dans les cas où la Convention n’attr ibue pas de droits ou de juridiction, à l’intérieur de la zone

économique exclusive, à l’Etat côtier et où il y a conflit avec un autre Etat, ce conflit devrait être

résolu sur la base de l’équité et eu égard à t outes les circonstances pertinentes, compte tenu de

l’importance que les intérêts en cause présentent pour les différentes parties et pour la communauté

internationale dans son ensemble.

23. La Colombie a montré qu’elle exerce sa juridiction dans les eaux de l’archipel de

SanAndrés conformément au droit international, que les intérêts en cause sont d’une importance

vitale pour elle et pour les habitants de l’archipel , et qu’elle prend en compte les intérêts de la

communauté internationale en concluant avec cette dernière des accords de coopération en matière

28 de sécurité et de protection des ressources biologiques de la région. Aucun Etat ne le conteste,

hormis le Nicaragua.

24. Au lieu de s’intéresser à ce type de questions, le Nicaragua a tenté de déplacer le cŒur du

sujet en répétant que l’élément dominant de ce côté de la mer était sa côte continentale. S’il a joué

avec la longueur de sa côte ⎯ comme nous l’a expliqué M. Crawford ⎯, il n’a pas fourni à la Cour

la moindre information relative à sa géographie cô tière. Il n’a pas nommé une seule ville, un seul

village de sa côte continentale. Il n’a pas tenté de démontrer que les habitants du littoral

49
MN, par. 3.69. - 22 -

dépendent, notamment sur le plan économique , des zones maritimes s ituées au-delà des îles

du Maïs au sud et des cayes de Miskitos au nord. Il n’existe quasiment aucun élément de preuve

attestant que le Nicaragua aurait exercé une juridi ction dans cette zone, et encore moins à l’est

e
du 82 méridien. Il n’a pas davantage été démontré que le Nicaragua s’était préoccupé de la

protection de l’environnement, de la gestion des ressources ou des questions de sécurité dans les

eaux de l’archipel.

25. Mardi après-midi, M. Pellet a semblé accepter, un peu à contrecŒur, que le 82 eméridien

pouvait avoir une importance, quoique négligeable a-t-il précisé, en tant que circonstance

pertinente aux fins de la délimitation, mais c’ était en fait pour nous déclarer que cela ne

fonctionnait qu’à sens unique, la Co lombie ne pouvant plus prétendre à des zones situées à l’ouest

de cette ligne 5.

26. Cette argumentation méconnaît les faits. Il y a une période dont tous les conseils du

Nicaragua ont évité de parler, fuyant la questio n comme la peste, une période qui a duré près de

quarante ans ⎯c’est-à-dire entre1930, date de la signature du protocole établissant le

82 eméridien, et la fin des années1960. Le Nicaragua est incapable de fournir la moindre preuve

attestant qu’il a, pendant cette longue période , exercé une juridiction maritime à l’est du
e
82 méridien, ou qu’il ait même eu l’intention de le faire, ni même qu’il a contesté les activités de

la Colombie. Nos contradicteurs restent muets, absolument muets, sur ces quatre décennies. Et

l’explication n’est pas à rechercher dans les canonnières colombienn es, mais dans l’absence totale

d’intérêt de la part du Nicaragua pour cette zone maritime, qu’il re vendique âprement aujourd’hui.

Les lieux de pêche du Nicaragua, pour importants qu’ils étaient à l’époque et le demeurent

aujourd’hui, se trouvaient à très faible distance de la côte continentale, essentiellement autour des

29 îles du Maïs, des cayes de Miskitos et des îlots s’égrenant entre les deux. J’ai fait cette observation

la semaine dernière ; elle n’a donné lieu à aucune réaction ni réfu tation. Le Nicaragua a obtenu ce

qu’il voulait lorsqu’il a signé le protocole de 1930 : une reconnaissance de sa souveraineté sur les

cayes de Miskitos situées à l’ouest du 82 e méridien ; et il n’a rien fait à l’est de ce méridien pendant

les 40 ans qui ont suivi.

50CR 2012/15, p. 46-47, par. 28 (Pellet). - 23 -

27. La Colombie, pour sa part, a démontré non seulement qu’elle avait administré l’archipel

et les îles en tant qu’une seule et même entité pendant des années, des di zaines d’années et même

plus d’un siècle, mais aussi qu’elle avait exercé sa juridiction maritime sur toutes les eaux

adjacentes.

La zone pertinente

28. La seule zone, peu étendue, où il y a eu plus récemment un semblant d’activités

concurrentes entre les deux Parties se situe à l’extrême nord-ouest de la zone pertinente, à

e
proximité du 82 méridien.

29. La carte qui apparaît à l’écran a déjà ét é utilisée par M.Kohen la semaine dernière.

A partir de la correspondance diplomatique versée au dossier, il a été possible d’indiquer en vert les

lieux où la Colombie a intercepté des navires qui op éraient dans sa juridiction et en rouge ceux où

des navires ont été interdits de circulation par le Nicaragua. Vous constaterez que la couleur rouge

se limite à une zone qui s’étend plus ou moins à l’ouest de Quitasueño à proximité du 82 e méridien.

Pas la moindre trace d’une présence nicaraguayenne au sud, et encore moins à l’est.

30. Le Nicaragua vous a dit avoir accordé des concessions pétrolières à la fin des

années 1960. Curieusement, il n’a fourni aucun détail concernant ces activités, comme des contrats

ou des cartes de ces concessions pétrolières. Il est néanmoins possible, à partir de la

correspondance diplomatique versée au dossier, d’ établir trois faits relatifs à ces concessions:

premièrement, elles étaient situées à l’extrême nord-ouest de la zone pertinente; deuxièmement,

leur durée de vie a été très brève ; il s’agissait a pparemment d’autorisations préliminaires qui n’ont

fait l’objet d’aucun renouvellement ou suivi ; et, troisièmement, elles ont été rapidement contestées

51
par la Colombie .

31. La Colombie a, elle aussi, mené des ac tivités pétrolières dans cette zone, pour l’essentiel

des projets sismologiques conduits par une sociét é française avec le concours de la compagnie

pétrolière nationale colombienne, et une compagni e américaine, qui travaillait elle aussi avec la

52
30 compagnie pétrolière colombienne . Ces zones d’activités sont représentées à l’écran. Ces

51
CMC, par. 3.116. Voir aussi vol. II-A, annexes 54-59.
52Ibid., par. 3.109-3.110, 3.113. - 24 -

informations figurent également dans le cont re-mémoire de la Colombie. Elles couvrent

Quitasueño, une zone située au nord de Quitasueño, ainsi que des zones situées autour de Serrana et

de Serranilla. Fait important, ces activités n’ont soulevé aucune protestation de la part du

Nicaragua.

32. Ces éléments, selon moi, corroborent l’argument selon lequel la zone véritablement

pertinente en l’espèce, dans laquelle devrait être opérée la délimitation, s’étend entre les îles les

plus occidentales de la Colombie et les côtes nicaraguayennes. C’est là que se situent les limites du

territoire de chaque Partie ; c’est là que tous les incidents se sont produits ; c’est là que se trouve la

e
limite du 82 méridien, respectée par le Nicaragua pendant près de quarante ans ; et c’est là que les

droits des Parties à des espaces maritimes se rejoignent et commencent à se chevaucher.

33. La semaine dernière, j’ai fait observer qu’il n’existe aucune décision judiciaire ou

sentence arbitrale en vertu de laquelle des îles situées aussi loin de la côte d’un autre Etat, comme

le sont les îles colombiennes par rapport au Nicaragua, ont été enclavées. Le Nicaragua n’a pu

avancer aucune preuve du contraire.

34. Aujourd’hui, j’irai même plus loin. Il n’ existe dans la pratique des Etats aucun exemple

dans lequel des îles dans une situation analogue on t été enclavées. M.Crawford a répondu à la

tentative de M.Reichler d’utiliser les accords de délimitation conclus entre l’Italie et la

Yougoslavie, l’Italie et la Tunisie et le Qatar et les Emirats arabes unis en apportant la preuve du

contraire 53. Vous avez vu ces exemples à l’écran. Il s’agissait à chaque fois d’îles situées de part

et d’autre d’une ligne médiane tracée entre deux territoires terrestres dont les côtes se trouvaient à

une distance bien inférieure à 400 milles marins. Et, même là, les îles n’ont été que partiellement

enclavées, jamais entièrement.

35. La pratique de la Cour, ainsi que celle d es tribunaux d’arbitrage, est de considérer que la

zone pertinente à l’intérieur de laquelle doit être effectuée la délimitation est la zone située entre les

côtes pertinentes des Parties. En la présente es pèce, cette zone est celle que vous avez sous les

yeux. Ni les côtes pertinentes ni la zone pertin ente ne concernent la cô te continentale de la

Colombie, pour les raisons que nous avons longuement expliquées la semaine dernière. En outre,

53
CR 2012/14, p. 62, par. 87 (Reichler). - 25 -

les circonstances pertinentes que j’ai décrites en détail la semaine dernière et sur lesquelles je suis

revenu aujourd’hui confirment qu’il ne serait tout simplement pas équitable d’étendre cette zone, et

encore moins de prolonger la ligne de délimitation, un peu plus loin vers l’est.

31 36. Monsieur le président, voilà qui clôt ma présentation. Je remercie une nouvelle fois la

Cour de son attention et l’invite à donner la parole à M. Crawford. Je vous remercie.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Bundy et j’appelle de nouveau à la barre,

M. Crawford, pour la dernière fois en la présente procédure. M. Crawford, vous avez la parole.

M. CRAWFORD :

6.C ONCLUSION

1. Je vous remercie, Monsieur le président. Je me rends compte que c’est la dernière fois

que je m’adresse à vous dans la salle d’audiences avant qu’elle ne soit rénovée. Je me souviens,

comme si c’était hier, de ma première intervention ici, en 1991; mon contradicteur était alors

M.Pellet. «Plus ça change, plus c’est la même chose.» Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, dans mes observations fina les, je démontrerai brièvement trois points,

aborderai accessoirement deux graphiques que le Nicaragua a projetés à l’écran ce mardi, puis

résumerai la position constante de la Colombie sur cette délimitation.

Des îles situées au milieu de l’océan ne peuvent pas être mises sur le même plan que
des côtes continentales sans procéder à un remodelage complet de la géographie

2. J’entends montrer, en premier lieu, que d es îles situées au milieu de l’océan ne sauraient

être mises sur un pied d’égalité avec des côtes continentales, au risque de procéder à un remodelage

complet de la géographie. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, et

comme cela l’était dans l’affaire Jan Mayen, l’espace maritime disponible est particulièrement

étendu en raison de la distance qui sépare les formations de la côte.

3. Cet argument découle de ce que j’ai déjà exposé tout à l’heure concernant la jurisprudence

et de ce que j’ai dit au début de cette procédur e à propos de la pratique des Etats. Je tiens à

souligner qu’il n’est pas question, dans cette affa ire, de récifs comme tous ceux qui, de par le

monde, telles de minuscules formations comme Q it’at Jaradah ou Middleton Reef, paralysent les - 26 -

délimitations entre Etats côtiers. Or il est fréquent que même de telles formations ⎯ surtout

lorsqu’elles sont situées au large ⎯ soient prises en compte dans le cadre de dispositifs plus larges,

comme ce fut le cas dans le traité franco-austra lien sur la Nouvelle-Calédonie. Selon la position

officielle adoptée en toute conscience par les Etats-Unis ⎯et qu’ils ont systématiquement

respectée par la suite ⎯, les petites îles comptent. Et par «p etites», j’entends très petites, comme

l’île Aves dans la mer des Caraïbes, l’île Swains dans l’océan Pacifique et bien d’autres encore. Il

s’agit là d’une pratique dont on ne peut pas faire abstraction.

4. Mais bien que le conseil du Nicaragua c onsidère implicitement l’archipel de San Andrés

comme une formation «pathologique», tel n’est abso lument pas le cas. Les îles principales de cet

32 archipel jouent un rôle majeur pour la délimitati on dans la présente affaire. Comme vient de le

faire remarquer M. Bundy, il n’est jamais arrivé qu’un ensemble territorial important relativement

éloigné d’une côte continentale soit enclavé et traité comme une entité négligeable, voire

inexistante, aux fins de la délimitation de la ZEE.

5. Et cela, j’insiste sur ce point, découle de l’existence de droits, et non d’une appréciation

discrétionnaire. L’article10, paragraphe1, de la convention de Genève de1958 et l’article121,

paragraphes1 et2 de la convention de1982, refl ètent les choix clairs et délibérés opérés par la

communauté internationale des Etats agissant de concert. S’il est vrai que certaines réserves ont été

formulées quant à l’article 121, paragraphe 3, celles-ci ne font que démontrer l’importance générale

attachée aux très petites formations à des fins de dé limitation. En tout état de cause, les trois îles

nommées ici ne sont pas des rochers au sens de l’article 121, paragraphe 3 ⎯ et le Nicaragua ne dit

pas le contraire ⎯, mais cela n’est pas le cas non plus de Roncador, Serrana, Serranilla et

Alburquerque. Ces formations génèrent des droits maritimes que le Nicaragua tente de minimiser

en leur attribuant des enclaves de 3 milles de manière ouvertement discriminatoire. Je vous renvoie

à ce que j’ai expliqué sur ce point en ce qui concerne Roncador. Le caractère intrinsèquement et,

dans une certaine mesure, inévitablement ad hoc de la délimitation maritime ne saurait être utilisé

pour nier l’existence de ces droits juridiques. - 27 -

Non-pertinence de la géomorphologie dans la zone de 200 milles marins

de n’importe quelle côte

6. En second lieu, dans une zone s’inscrivant dans les 200milles marins à partir des côtes

pertinentes d’un Etat, aucun autre Etat ne peut prétendre à un plateau continental étendu.

7. Vous avez sans doute encore à l’esprit le schéma que je vous ai présenté la semaine

dernière, illustrant ce que j’ai appelé le «paradoxe de Lowe». Le voici à nouveau.

8. Comme je l’ai expliqué, ce paradoxe est le suivant: selon l’interprétation que fait

M.Lowe de la pratique en matière de délimit ation, lorsque la distance entre deux Etats est

54
inférieure à 400 milles, alors le dictum de l’affaire Lybie/Malte s’applique et la géomorphologie

est sans pertinence; en revanche, si la distance entre les deux Etats est supérieure à 400milles

marins, la géomorphologie l’emporte et le plateau continental se poursuit encore et encore ⎯ et ce,

même s’il empiète largement sur la ZEE de l’autre Etat. En d’au tres termes, plus la côte est

éloignée du bord du plateau continental, plus le prolongement attribué est étendu. L’éloignement

des côtes allonge le plateau continental.

33 9. M.Lowe a tenté, mercredi, de résoudr e ce paradoxe. Pour cela, il a indiqué que la

position adoptée par la Cour dans l’affaire Libye/Malte n’était applicable que si la distance entre les

deux Etats était inférieure à 200 milles ⎯ et non, comme je l’ai dit, à 400 milles. Etant donné que

la Libye et Malte sont séparés de 185 milles, nous dit-il, et que chaque Etat a droit à une ZEE de

200milles marins, il s’ensuit que la géomorphol ogie est sans pertinence. Donner effet au

prolongement naturel aurait rendu caduc l’article76 de la CNUDM 5. Ainsi, explique M.Lowe,

puisque les côtes continentales du Nicaragua et de la Colombie sont éloignées de plus de 200 milles

marins, le plateau continental du Nicaragua peut se poursuivre autant qu’il le souhaite 56 : C.Q.F.D.

10. Cela n’est pas tout à fait exact. Permettez-moi de revenir précisément sur ce que la Cour

a dit dans l’affaire Libye/Malte (l’extrait est assez long mais il présente une certaine importance

pour la présente affaire) :

«Selon la Cour cependant, du moment que l’évolution du droit permet à un Etat

de prétendre que le plateau continental re levant de lui s’étend jusqu’à 200milles de
ses côtes, quelles que soient les caractéristiques géologiques du sol et du sous-sol

54Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 13.
55
CR 2012/15, p. 23-4, par. 36-7 (Lowe).
56Ibid., p. 24-5, 41-4 (Lowe). - 28 -

correspondants, il n’existe aucune raison de faire jouer un rôle aux facteurs
géologiques ou géophysiques jusqu’à cette distance, que ce soit au stade de la
vérification du titre juridique des Etats intéressés ou à celui de la délimitation de leurs

prétentions. Cela est d’une particulière évid ence en ce qui concerne la vérification de
la validité du titre, puisque celle-ci ne dépend que de la distance à laquelle les fonds
marins revendiqués comme plateau continen tal se trouvent par rapport aux côtes des
Etats qui les revendiquent, sans que les caractéristiques géologiques ou

géomorphologiques de ces fonds jouent le moindre rôle, du moins tant que ces fonds
sont situés à moins de 200m illes des côtes en cause.» ( Plateau continental
(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 35, par. 39.)

11. J’insiste sur les termes sans équivoque employés par la Cour: «tant que ces fonds sont

situés à moins de 200 milles des côtes en cause»

«[la validité du titre] ne dé pend que de la distance à laquelle les fonds marins
revendiqués comme plateau continental se trouvent par rapport aux côtes des Etats
qui les revendiquent, sans que les caractéristiques géologiques ou

géomorphologiques de ces fonds jouent le moindre rôle».

La Cour n’a pas dit 100, mais 200 milles, et d’évidence, ce dictum s’applique séparément à chaque

Etat côtier et à chaque zone de 200 milles marins autour d’une ZEE.

12. Quelle est donc la signification de tout cela? Cela signifie que chaque Etat peut

prétendre à un plateau continental de 200milles marins en accord avec son droit à une ZEE de

34 même étendue et ce, indépendamment de la géomorphologie des fonds marins sous-jacents.

M.Lowe se trompe: la conclusion rendue dans Libye/Malte quant à la non-pertinence de la

géomorphologie n’a pas vocation à s’appliquer au x côtes situées à moin s de 200 milles marins

l’une de l’autre ⎯ elle s’applique dans les 200 milles marins de toute côte quelle qu’elle soit, et il

importe peu que la ZEE soit contiguë à la haute mer ou à un autre plateau continental. Bien

entendu, lorsque des ZEE se chevauchent, il est nécessaire d’opérer une délimitation de celles-ci et

du plateau continental. Toutefois, si le prolongement naturel du plateau continental d’un autre Etat

au-delà de 200 milles marins empiète sur les droits d’un autre Etat à l’égard du plateau continental

tel qu’il découle de l’étendue de sa ZEE, alors les droits de ce dernier prévalent.

13. Selon M. Lowe, l’article 76 de la CNUDM aurait une fonction différente, celle de mettre

les Etats en concurrence lorsque le prolongement naturel du plateau continental d’un Etat rencontre

les droits générés par la ZEE d’un autre. En conséquence de quoi, affirme-t-il, le Nicaragua

pourrait potentiellement prétendre à une partie du pl ateau continental de la Colombie au titre des - 29 -

droits générés par la côte continentale du Nicaragua ! Ainsi, non content d’avoir privé les îles de la

Colombie de leurs zones maritimes légitimes, le Nicaragua croit maintenant pouvoir revendiquer

des droits maritimes au titre du plat eau continental de la Colombie. Encore une fois, le Nicaragua

veut le beurre et l’argent du beurre !

14. Je relèverai que ma thèse s’inscrit non seuleme nt parfaitement dans la continuité de ce

qu’a énoncé la Cour dans l’affaire Libye/Malte, mais qu’elle est également confirmée par

l’abondante pratique des Etats ⎯ notamment par le fait qu’ils se s ont, pour la plupart, abstenus de

présenter toute revendication dans laquelle la lim ite extérieure du plateau continental se trouverait

dans les 200 milles marins de la côte d’un autre Etat . M. Bundy vous a prés enté cette pratique au

premier tour. Le Nicaragua n’a pas daigné répondre. Toute autre conclusion aurait au moins deux

effets secondaires néfastes. Tout d’abord, cela accroîtrait les conflits entre Etats ⎯ ceux

concernant les ressources s’en trouvant particulière ment aggravés. Par ailleurs, cela impliquerait

pour la Cour la perspective de devoir écouter pendant de longues heures mes semblables lui parler

de la tectonique des plaques et de la morphologie des fonds marins ⎯ ces roches d’âge canonique

qui contribuent, bien malgré elles, à parvenir à une solution (voire, il faut bien le reconnaître, à

créer une plus grande confusion) ⎯ dans des différends relatifs à la délimitation maritime. Je vous

souhaite bien du courage pour démêler l’imbroglio auquel vous vous trouveriez alors confrontés.

35 La nécessité de parvenir à une solution globalement équitable

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à mon troisième

point, à savoir que les articles 74 et83 de la convention de1982 ⎯ par leur objectif commun qui

est d’«aboutir à une solution équitable» ⎯ s’appliquent séparément à la ZEE et au plateau

continental, mais également conjointement, lorsqu’une ZEE et un plateau continental sont

simultanément revendiqués. Ils s’appliquent par con séquent aux revendications relatives à un

plateau continental étendu, y compris ⎯ si la démonstration que je vous ai donnée dans le cadre de

mon deuxième point ne vous satisfait pas ⎯ lorsque ledit plateau continental étendu se prolonge

jusque dans la zone de 200milles marins d’un autre Etat. Tout simplement, la solution globale

apportée par la délimitation dans son ensemble doit être équitable. - 30 -

16. Il serait peut-être plus approprié de qualifier mon troisième point, ou ma troisième

proposition, de «métaproposition», car elle a trait à la nature même de la délimitation maritime

⎯et, plus particulièrement, au type de résultat auquel ce processus est destiné à aboutir. Il a été

demandé à la Cour d’opérer une délimitation traversant plusieurs zones maritimes, délimitation qui

concerne principalement la ZEE et le plateau continental de la Colombie et ses îles dans la mer des

Caraïbes. Le droit applicable à cet égard est codifié aux articles 74 et 83 de la convention de 1982,

deux dispositions qui imposent à la Cour d’applique r le droit international de manière à aboutir à

une «solution équitable» 5. Bien qu’elle ne soit pas partie à cet instrument, la Colombie tire à la

fois des droits et des obligations de ces deux articles, lesquels s’appliquent à toutes les

délimitations, y compris à celles relatives à un plat eau continental s’étendant au-delà de 200 milles

marins, et s’y appliquent sans segmentation. L’équité ne se métamorphose pas subitement

lorsqu’on franchit la limite de 200 milles marins calcu lée depuis la côte : et ce que je viens de dire

vient compléter ma réponse à la question posée par M. le juge Bennouna.

17. Bien entendu, l’équité est une notion évasive en droit international et je ne reviendrai pas

sur ce que vous avez déclaré à ce sujet, notamment dans l’affaire Libye/Malte . Ce n’est toutefois

pas une notion totalement dépourvue de contours et statuer en équité ne relève donc pas de

l’exercice d’un pouvoir purement discrétionnaire.

18. Ce qui ressort des divers extraits tirés notamment des arrêts rendus en l’affaire

Tunisie/Libye et en l’affaire Libye/Malte, c’est que l’équité est le résu ltat final de la mise en Œuvre

d’un processus juridique dans une zone à l’égard de laquelle s’expriment des revendications de

droits concurrentes. Ainsi, si les articles 74 et 83 opèrent une distinction entre les actes juridiques

que la Cour est amenée à effectuer dans le cadre du processus de délimitation, ils n’en requièrent

pas moins la recherche d’une solution globalement et concrètement équitable. En cas de conflit, il

36 ne suffit pas d’adopter ce que l’on considère être la délimitation la plus équitable du plateau

continental si celle de la ZEE doit en pâtir: la Cour doit, au contraire, mettre en Œuvre ces

processus de façon équilibrée, de manière à aboutir au résultat concret le plus globalement

57
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, paragraphe 1 de l’article 74 et paragraphe 1 de l’article 83. - 31 -

équitable. On peut trouver l’origin e de ce principe dans les affaires du Plateau continental de la

mer du Nord, où la Cour a déclaré ce qui suit :

«En réalité il n’y a pas de limites juridiques aux considérations que les Etats

peuvent examiner afin de s’assurer qu’ils vont appliquer des procédés équitables et
c’est le plus souvent la balance entre toutes ces considérations qui créera l’équitable
plutôt que l’adoption d’une seule considération en excluant toutes les autres. De tels
problèmes d’équilibre entre diverses considérations varient naturellement selon les

circonstances de l’espèce.» ( Plateau continental de la mer du Nord (République
fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt,
C.I.J. Recueil 1969, p. 50, par. 93.)

19. Tout cela ne va pas dans le sens de l’image démesurée que le Nicaragua a projetée, d’un

droit à un plateau continental s’étendant singulièrement sur 500 milles marins à partir de ses côtes,

au mépris de toutes les autres dans la région.

Les images subliminales projetées par le Nicaragua

20. Monsieur le président, Mesdames et Me ssieurs de la Cour, mardi, M.Reichler a

brièvement projeté sous vos yeux deux graphiques qui ne sont pas parvenus à se frayer un chemin

jusqu’au dossier de plaidoiries. C’était presque subliminal. Mais ceux d’entre vous qui disposent

d’une bonne mémoire visuelle s’en souviendront, et de toute façon ils auraient bien besoin d’une

analyse plus approfondie que celle que M. Reichler a pris le temps de nous proposer.

21. Voici le premier d’entre eux: Ligne de délimitation provisoire divisant la zone de

chevauchement des droits: PR2-13. Vous re marquerez que Providencia, Santa Catalina et

SanAndrés y sont représentées comme étant situées dans la ZEE nicaraguayenne . Il doit

certainement s’agir d’une erreur puisque, comme toutes les îles, elles ouvrent droit à une mer

territoriale de 12milles marins, ainsi qu’à leur propre ZEE et à leur propre plateau continental.

Zéro pointé, donc. M. Reichler a affirmé que cette situation d’égalité approximative entre les zones
58
de chevauchement des droits était inéquitable . Nous nous rangeons totalement à sa conclusion,

mais pas du tout pour les raisons qu’il a avancées. Cette situation est inéquitable, entre autres,

parce que la ligne de délimitation se trouve du mauvais côté de l’archipel. Elle le divise. Mais la

raison avancée par le Nicaragua pour la rejeter ⎯ le rapport d’environ 1 à 1 entre les zones ⎯ n’est

58
CR 2012/14, p. 58, par. 73 (Reichler). - 32 -

pas en soi inéquitable, étant donné tout ce que j’ai dit au sujet de l’effet des îles situées au cŒur de

l’océan.

37 22. Voici le deuxième graphique projeté par M.Reichler, intitulé «Demi-effet accordé à

San Andrés et Providencia». Il représente ce qui est censé être une ligne obtenue en accordant un

demi-effet aux trois îles mentionnées 59. Aucune explication n’a été donnée quant au degré de

précision avec lequel cette ligne obtenue par la méthode du demi-effet a été calculée et certaines

erreurs ont été commises, mais par-dessus tout, aucun effet n’a été accordé aux autres îles

colombiennes, alors que celles-ci ne sont pas des rochers au sens du paragraphe 3 de l’article 121

de la convention de1982. De surcroît, p our les raisons que j’ai exposées, il donne une

représentation erronée du rapport entre les côtes.

23. Je vais toutefois préciser, aux seules fi ns d’informer la Cour, comment il convient selon

nous de procéder au tracé d’une ligne en appliquant la méthode du demi-effet.

24. Voici tout d’abord la ligne d’équidistance entre les îles, qui est celle que nous

revendiquons. Vous la connaissez désormais bien.

25. Ensuite, uniquement aux fins de not re argumentation, nous traçons la ligne

d’équidistance provisoire entre les ZEE sans tenir compte de Quitasueño. Cela donne lieu à un

ajustement, comme vous pouvez le constater actuellement à l’écran.

26. Puis on accorde un demi-effet aux îles qui génèrent la ligne, à savoir Serranilla, Serrana

au nord et Alburquerque au sud. Le tracé en forme de patte de chien que vous voyez au nord est dû

à Serranilla, mais il s’agit là d’une formation insulaire importante qui, selon vos propres termes,

60
«doit comme telle être prise en considérati on aux fins du tracé de la ligne d’équidistance» . Dans

la zone de Quitasueño, la ligne suit la courbe occidentale de la mer territoriale de 12 milles marins.

27. Le résultat est une ligne d’équidist ance à demi-effet que vous voyez maintenant à

l’écran. Il est à noter qu’elle respecte l’unité de l’ar chipel. Comme je l’ai dit, nous ne la montrons

que pour la bonne information de la Cour. Nous ne la présentons en aucun cas comme une ligne de

59
CR 2012/14, p. 59, par. 78 (Reichler).
60 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 99, par. 195 ; cité dans CR 2012/12, p. 27-28, par. 5 (Crawford). - 33 -

délimitation, mais simplement pour corriger l’éventuelle impress ion trompeuse que le Nicaragua

aurait pu donner à la Cour.

Conclusions

28. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, au terme de ces exposés, je

résumerai succinctement en sept propositions l es arguments avancés par la Colombie en ce qui

concerne la délimitation. Ces propositions reposent toutes sur le postulat d’une souveraineté

colombienne sur l’ensemble des cayes, qui n’a guère été contesté mardi.

38 1) Les îles, y compris les cayes et les rochers, telles que définies à l’article 121 de la convention de

1982, ouvrent droit à une mer territoriale de 12milles marins. Cette règle s’applique sous

réserve de délimitation, notamment en cas de chev auchement de droits à une mer territoriale.

Mais de façon générale, ce droit à une mer terr itoriale de 12milles marins l’emporte sur les

droits concurrents à une ZEE ⎯la souveraineté l’emporte sur les droits souverains. La

référence que j’ai faite la semaine dernière à l’affaire Bangladesh/Myanmar pour étayer cette

proposition n’a donné lieu à aucune réponse ou réfutation de la part du Nicaragua.

2) La portée territoriale des demandes visant à la reconnaissance d’un plateau continental étendu

s’arrête de plein droit à 200 milles marins de la côte d’un autre Etat ouvrant droit à un plateau

continental.

3) La demande visant à la reconnaissance d’un plateau continental étendu formulée par le

Nicaragua dans la présente affaire est de toute façon irrecevable. - 34 -

4) Les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, tout comme les autres îles qui font partie

de l’archipel, génèrent des droits à une ZEE et à un plateau continental dans toutes les

directions, y compris vers l’est.

5) Dans ces conditions, la dema nde de délimitation se borne au tracé d’une frontière maritime

unique entre les côtes du Nicaragua et de l’archipel qui se font face.

6) Conformément à la méthode ordinaire désormais établie, il convient de tracer tout d’abord une

ligne d’équidistance provisoire.

7) Il doit être tenu compte de toutes les circ onstances pertinentes, lesquelles conduisent, selon

nous, à confirmer la ligne d’équidistance provisoir e comme frontière maritime unique entre les

territoires des Parties.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, voilà qui vient clore mon exposé.

Je vous remercie pour votre attention. Monsieur le président, je vous saurais gré de bien vouloir

appeler maintenant à la barre l’agent de la Colombie, qui donnera lecture de nos conclusions.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup M.Crawford. Je donne maintenant la parole à

S. Exc. M. l’ambassadeur Julio Londoño Paredes, agent de la Colombie, pour qu’il présente les

conclusions finales du Gouvernement colombien.

39 M. LONDOÑO PAREDES :

3.C ONCLUSIONS FINALES

1. Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Monsieur le président,

je vais maintenant procéder à la lecture des conclusions finales de la Colombie :

Conclusions finales

Conformément à l’article60 du Règlement de la Cour, la République de Colombie, sur la

base des moyens exposés dans ses écritures et à l’audience, au vu de l’arrêt rendu sur les exceptions

préliminaires et toute conclusion contraire du Nicaragua étant rejetée, prie la Cour de dire et juger : - 35 -

a) que la nouvelle revendication du Nicaragua concer nant le plateau continental est irrecevable et

le point 3) I) des conclusions est en conséquence rejeté ;

b) que la Colombie a la souveraineté sur toutes les formations maritimes en litige entre les Parties

⎯ à savoir Alburquerque, Est-Sud-Est, Roncador, Serrana, Quitasueño, Serranilla, Bajo Nuevo

et toutes les autres formations qui en dépendent — formations qui appartiennent à l’archipel de

San Andrés ;

c) que la délimitation de la z one économique exclusive et du plateau continental entre le

Nicaragua et la Colombie doit être opérée en traçant une frontière maritime unique, constituée

par une ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des

lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacune des

Parties, comme indiqué sur la figure jointe aux présentes conclusions ;

d) que le point II des conclusions du Nicaragua est rejeté.

2. Monsieur le président, une copie sign ée du texte de nos conclusions finales a été

communiquée à la Cour aujourd’hui même.

3. Au nom de mon gouvernement et des me mbres de notre délégation, je tiens à vous

exprimer, à vous-même ainsi qu’à chacun des éminents membres de la Cour, notre profonde

gratitude pour l’attention que vous avez aimabl ement prêtée à nos exposés. J’adresse également

nos remerciements, Monsieur le président, au Greffe de la Cour et à l’équipe des interprètes.

Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. - 37 -

41 Le PRESIDENT : Merci, Votre Excellence. La Cour prend acte des conclusions finales que

vous venez de lire au nom de la République de Colo mbie. Avant de clore la séance, je donnerai la

parole à M. le juge Bennouna, qui souhaite adres ser une question aux Parties. You have the floor,

Mr. Bennouna.

Judge BENNOUNA: Thank you, Mr.President. My question is to both Parties. It is as

follows: Can the rules laid down in Article 76 of the 1982 United Nations Convention on the Law

of the Sea concerning the determination of the outer limit of the continental shelf beyond

200nautical miles today be considered as rules of customary international law? Thank you,

Mr. President.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Bennouna.

Le texte de cette question sera communiqué aux Parties dès que possible. Celles-ci sont

invitées à communiquer leur réponse par écrit au plus tard le vendredi ma2i 012.

Conformément à l’article72 du Règlement de la Cour, les observations qu’une partie souhaite

présenter au sujet de la réponse écrite de l’autre partie doivent être communiquées au plus tard le

vendredi 18 mai 2012.

Ainsi s’achève la procédure orale en l’espèce. Je tiens à remercier les agents, conseils et

avocats pour leurs exposés.

Conformément à la pratique habituelle, je pr ierai les agents des Parties de demeurer à la

disposition de la Cour pour tous renseigneme nts complémentaires dont celle-ci pourrait avoir

besoin. Sous cette réserve, je déclare maintena nt close la procédure orale relative à l’affaire du

Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie).

La Cour va à présent se retirer pour délibérer. Les agents des Parties seront avisés en temps

utile de la date à laquelle la C our rendra son arrêt. La Cour n’ étant saisie d’aucune autre question

aujourd’hui, l’audience est levée.

L’audience est levée à 16 h 35.

___________

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