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CR 2012/12 (traduction)

CR 2012/12 (translation)

Vendredi 27 avril 2012 à 10 heures

Friday 27 April 2012 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est maintenant ouverte. Ce matin, la

Cour entendra la suite du premier tour de plaidoirie de la Colombie. Je cède la parole à M. Bundy.

You have the floor, Sir.

M. BUNDY : Thank you, Mr. President.

1. LE CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE DE LA DÉLIMITATION MARITIME

Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Colombie abordera ce matin

la question de la délimitation maritime entre les Parties, qui se trouve au cŒur même de la présente

affaire.

2. Il me revient, ce matin, de «planter le décor» en décrivant les conditions géographiques

dans lesquelles doit s’effectuer la délimitation. Je m’efforcerai, pour cela, de m’attacher aux

questions qui, à la lumière du premier tour de plaidoiries du Nicaragua, continuent à diviser les

Parties.

3. Les vues des Parties divergent sur cinq points principaux :

i) la détermination des côtes des Parties qui sont pertinentes aux fins de délimitation et celle, tout

aussi importante, des côtes qui ne le sont pas ;

ii) la nature et l’importance de l’archipel de San Andrés en tant qu’unité historique, géographique,

politique et économique ;

iii)l’incidence, sur la délimitation dans la présente affaire, de la présence d’Etats tiers dans la

région ;

iv) la zone pertinente dans laquelle doit s’opérer la délimitation ;

v) la situation juridique de Quitasueño et la place qui lui revient dans la délimitation.

4. Je parlerai pour ma part des quatre premiers de ces points. Le cinquième

⎯ Quitasueño ⎯ sera l’objet d’un exposé distinct de M. Crawford, qui me succédera à la barre.

5. Après cet aperçu général, j’en viens maintenant au premier point de désaccord : les côtes

qui sont pertinentes ou non pour les besoins de la délimitation en l’espèce. - 3 -

1. Les côtes pertinentes

6. La carte qui apparaît maintenant à l’écran représente la zone en cause.

11 7. Du côté nicaraguayen, elle montre la côte continentale et les îles situées au large de

celle-ci, notamment les îles du Maïs au sud, les cayes de Miskito au nord et un chapelet d’îles plus

petites entre les deux. Du côté colombien apparai ssent les îles formant l’archipel de SanAndrés,

soit l’île de SanAndrés elle-même et celles de Providencia et SantaCatalina, les cayes

d’Alburquerque et d’Est-Sud-Est, Quitasueño, Serrana, Roncador, les cayes de Serranilla et

Bajo Nuevo.

8. Concernant le côté nicaraguayen, les plaidoiries présentées par le Nicaragua au premier

tour se sont focalisées sur la côte continentale.

9. On a prétendu que la Colombie n’avait pas te nu compte de cette côte. Or, ce n’est pas le

cas. La zone litigieuse en l’espèce s’étend des îles colombiennes les pl us à l’ouest jusqu’à la côte

continentale du Nicaragua. Elle ne s’arrête pas aux îles du Nicaragua, comme l’a laissé entendre

M. Reichler. S’il est vrai que la ligne d’équidistance provisoire de la Colombie est mesurée à partir

des îles du Nicaragua, et non de son territoire contin ental, c’est uniquement parce que, en droit, la

ligne d’équidistance doit être tracée à partir de points de base correspondant aux points les plus

rapprochés des lignes de base à partir desquelles les Parties mesurent l’étendue de leur mer

territoriale. C’est ce qu’a dit la Cour dans Qatar c.Bahreïn et dans Cameroun c.Nigéria, et ce

qu’a également confirmé le tribunal arbitral, citant la jurisprudence de la Cour, dans

1
Guyana/Suriname . Les lignes de base les plus proches des deux Etats sont situées sur leurs îles

respectives. Cela étant, la Colombie a également souligné, dans ses écritures, que si l’on utilisait la

côte continentale du Nicaragua pour le tracé de la ligne provisoire d’équidistance, celle-ci se

situerait plus àl’ouest. Même si cette ligne était ensuite ajustée en fonction des circonstances

pertinentes, à l’étape suivante du processus de délimitation ⎯en suivant, par exemple, l’ordre de

grandeur arrêté dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) ou de celle

de la Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et JanMayen (Danemark

c. Norvège) ⎯, elle resterait située entre les deux groupes d’îles.

1 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 94, par. 177Frontière terrestre et maritime en tre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 442, par. 290 ; Guyana/Suriname,

sentence du tribunal arbitral du 17 septembre 2007, p. 113, par. 352. - 4 -

10. Pour ce qui est de ses îles, le Nicaragua prétend aujourd’hui qu’elles font partie

intégrante de sa masse continentale et sont , à tous autres égards, comparables aux îles
2
12 colombiennes de l’archipel de SanAndrés . Telle est la position exprimée par le Nicaragua cette

semaine et dans ses écritures.

11. Or ces allégations, selon lesquelles les îles feraient partie intégrante de la masse

continentale du Nicaragua, sont en contradicti on avec la frontière mar itime unique de masse

continentale à masse continentale qu’il avait initia lement revendiquée, pour le tracé de laquelle les

îles nicaraguayennes n’étaient en aucune manière considérées comme faisant partie de la masse

continentale. De plus, ces affirmations ne sont pas étayées par les preuves.

12. Les îles du Nicaragua ne sont en rien comp arables aux îles de l’archipel de San Andrés.

Les îles principales de l’archipel colombien compte nt une population plus de dix fois supérieure à

celle des îles du Nicaragua. Ces dernières sont di spersées le long de la côte mais se concentrent

principalement en deux groupes, les îles du Maïs ausud et les cayes de Miskito aunord. Les

premières font face aux cayes d’Alburquerque et d’Est-Sud-Est, et les secondes à Quitasueño.

Certaines de ces îles nicaraguayennes se trouvent à pl us de 24 milles de la côte continentale. Les

îles formant l’archipel de SanAndrés, quant à elles, s’étendent dunord ausud tout le long de la

zone de délimitation. Comme je l’ai démontré hier, elles ont toujours été administrées globalement

et pour l’essentiel, comme nous le verrons ce matin, se sont vu accorder plein effet dans le cadre du

calcul de l’équidistance effectué aux fins de délimitation par rapport aux Etats tiers de la région.

13. Ces côtes sont celles qui doivent être prises en considération pour la délimitation. Celles

du Nicaragua sont orientées vers l’est ; les îles de la Colombie, orientées à l’ouest, en direction du

Nicaragua, ont également une projection à 360° du fait de la géographie de la zone et des règles du

droit international en matière de prétentions maritimes. Les zones maritimes revendiquées,

obtenues par projection des côtes des Parties, se rencontrent et commencent à se chevaucher dans la

zone située entre les territoires respectifs des Parties ⎯en d’autres termes, entre le point le plus

à l’ouest du chapelet d’îles colombiennes (Quitasueño, Santa Catalina, Providencia, San Andrés et

2
Réplique du Nicaragua (RN), par. 4.24. - 5 -

cayes d’Alburquerque) et les côtes du Nicaragua. C’est entre ces côtes-là que les projections se

rencontrent et se chevauchent.

La non-pertinence de la côte continentale de la Colombie

14. Cela étant posé, la carte qui apparaît main tenant à l’écran représente l’intégralité de la

zone caraïbe du sud-ouest, jusqu’à la côte continenta le de la Colombie. Si je tiens à vous montrer

cette carte, c’est qu’elle illustre l’un des problèmes essentiels qui divisent les Parties, la question de
13

la pertinence ⎯ ou, devrais-je dire, de l’absence totale de pertinence ⎯ de la côte continentale de

la Colombie aux fins de délimitation.

15. Je rappellerai que le Nicaragua, dans sa requête, avait prié la Cour de déterminer le tracé

d’une frontière maritime unique entre les portions du plateau continental et les zones économiques

exclusives revenant à chacune des Parties.

16. Dans son mémoire, il a précisé sa demande en indiquant que la frontière maritime unique

sollicitée correspondait à la ligne médiane à tracer entre les côtes continen tales respectives des

Parties (conclusion no°2).

17. Or cette position pose problème, du fait que la côte continentale de la Colombie ne peut

être considérée ni comme une «côte opposée» ⎯ au sens juridique du terme ⎯ à celle du

Nicaragua, ni comme une côte pertinente aux fins de délimitation. En effet, la côte colombienne se

trouve à bien plus de 400millesmarins de la côte nicaraguayenne, et deux autres Etats ⎯ le

Panama et le Costa Rica ⎯ s’intercalent entre eux.

18. C’est précisément la raison ou, devrais-je dire, les raisons pour lesquelles la Colombie a

souligné, dans son c ontre-mémoire, que l’ar gumentation du Nicaragua était fondamentalement

viciée. En deux mots, le Nicaragua avait escamoté la distance entre les deux côtes continentales,

qui est, comme il apparaît à l’écran, de plus de 400milles. En conséquence, le Nicaragua ne

pouvait donc prétendre à aucun droit susceptible de chevaucher avec ceux générés par la côte

continentale colombienne. Celle-ci est tout simp lement trop éloignée pour constituer une côte

pertinente.

19. Dans ces conditions, le Nicaragua n’a eu d’autre choix, dans sa réplique, que de

reconnaître le bien-fondé de la position colombienne et a donc admis qu’aucune délimitation n’était - 6 -

nécessaire entre les zones économiques exclusives des Parties, ni entre leurs côtes continentales,

3
puisque celles-ci étaient séparées par une distance de plus de 400 milles marins .

20. Toutefois, malgré cette concession formulée dans sa réplique, le Nicaragua a persisté à

tenter d’imposer la prise en compte de la côte continentale colombienne.

14 21. Pour y parvenir, il a été contraint de m odifier radicalement, dans sa réplique, son

argumentation en matière de délimitation. J’aurai tout à l’heure l’occasion de revenir beaucoup

plus amplement, dans le cadre d’un exposé sépar é, sur la nouvelle revendication du Nicaragua en

ce qui concerne le plateau continental, où je dé montrerai que celle-ci est dénuée de tout fondement

en droit, tant du point de vue de la procédure que de celui du fond, et qu’elle ne saurait, de quelque

manière que ce soit, remettre en jeu la côte co ntinentale de la Colombie pour faire avancer

vers l’est les revendications maritimes du Nicaragua.

22. Je tiens à souligner que le conseil du Ni caragua a semblé avoir, lui aussi, quelque

hésitation quant à la pertinence de la côte con tinentale de la Colombie. MM.OudeElferink

etReichler ont tous deux présenté, plus tôt cette semaine, une toute nouvelle «zone à délimiter»

dont était exclue la côte continentale colombienne [lundi, ongletn o4 ; mardi après-midi,

o
onglet n 87]. Je reviendrai dans un moment sur cette volte-face.

23. En réalité, force est de constater que, ta nt du point de vue géog raphique que du point de

vue juridique, la côte continentale est sans intérêt dans la présente affaire. Les côtes pertinentes

sont celles des îles les plus à l’ouest de l’archipel de San Andrés, d’une part, et la côte continentale

du Nicaragua, d’autre part. Ce sont ces côtes qui se font face directement, sans aucun Etat tiers

s’intercalant entre elles.

2. L’unité géographique de l’archipel de San Andrés

24. Le Nicaragua s’est donné beaucoup de ma l pour tenter de mini miser l’importance des

îles de la Colombie et nier les droits qui s’y rapportent. On ne saurait donc s’étonner qu’il ne cesse

de répéter que les îles colombiennes sont situées sur sa portion du plateau continental, comme si les

côtes nicaraguayennes ⎯ continentales ⎯ étaient les seules à générer des droits sur des espaces

4
maritimes dans cette zone . Il est même allé jusqu’à soutenir, dans ses écritures, qu’«il n’existait

3
RN, p. 59, par. 1.
4Ibid., par. 3.63, 5.4 et 5.27. - 7 -

pas de côte colombienne faisant face à celle du Nicaragua», et que les îles formant San Andrés ne

5
faisaient pas partie de la masse continentale de la Colombie .

25. En adoptant cette position à courte vue , le Nicaragua refaçonne la géographie à

l’extrême. Les îles de la Colombie existent et certaines de leurs côtes font face au Nicaragua,

tandis que d’autres sont orientées vers l’est. Il ressort en outre très clairement du paragraphe 2 de

l’article 121 de la convention de 1982 et du droit international coutumier que les droits générés par

une île en ce qui concerne la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le

15 plateau continental sont déterminés de la même manière exactement que ceux générés par les autres

territoires terrestres.

26. Aussi, lorsque le professeurPellet a affirmé mardi qu’il existait une jurisprudence

abondante étayant la thèse selon laquelle, même au sens du paragraphe2 de l’article121, les îles

n’emporteraient de droits que sur des espaces maritimes très limités, il a non seulement mis la

charrue avant les bŒufs ⎯ expression qu’il aime à utiliser, en bon cartésien ⎯, mais a confondu la

question des droits engendrés par les îles avec celle de la délimitation. Dans l’affaire

Qatar/Bahreïn, la Cour s’est exprimée très clairement :

«Conformément au paragraphe2 de l’ article121 de la convention de1982 sur
le droit de la mer, qui reflète le droit international coutumier, les îles, quelles que
soient leurs dimensions, jouissent à cet égard du même statut, et par conséquent

engendrent les mêmes droits en mer que les autres territoires possédant la qualité de
terre ferme.» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 97, par. 185.)

27. La carte projetée à l’écran en ce moment figure les zones sur lesquelles s’étendent les

droits engendrés en mer par les îles de l’archipel de San Andrés. La Colombie a bien sûr procédé à

la délimitation de l’espace maritime situé entre l’archipel et chacun de ses voisins, à l’exception du

Nicaragua. Lundi, le Nicaragua a toutefois trouvé à redire à cette carte. Il est pourtant un fait que

les îles colombiennes emportent de plein droit dé volution de droits maritimes. Aussi n’est-ce

qu’une pétition de principe, de la part du Nicaragua, que d’affirmer sans relâche que les îles

colombiennes se trouvent sur son plateau continen tal, comme il n’a cessé de le faire pendant le

premier tour de plaidoiries. Les îles colombiennes génèrent des droits propres sur le plateau

5
RN, par. 6.72 ; MN, p. 239. - 8 -

continental, comme elles possèdent une zone éc onomique exclusive propre, une zone contigüe

propre et une mer territoriale propre.

28. Le Nicaragua ne cesse par ailleurs de ré péter que les îles colombiennes sont de petite

taille et que, à l’exception de SanAndrés, Provide ncia et SantaCatalina, il s’agit de simples

«rochers» au sens du paragraphe3 de l’article121 de la convention. Il ajoute, pour faire bonne

mesure, que les distances séparant les îles colombiennes sont «énorme[s]» 6.

29. Permettez-moi de revenir tout à tour sur chacune de ces affirmations afin de démontrer à

quel point elles sont erronées.

30. Comme je l’ai expliqué hier, d’importantes activités sont associées à l’ensemble des îles

formant l’archipel de San Andrés, activités qui sont étroitement liées aux espaces maritimes qui les

entourent.

16 31. Les îles les plus importantes aux fins de la présente délimitation sont celles situées dans

la partie occidentale de l’archipel. Il s’agit, du nord au sud, des îles de Quitasueño, Santa Catalina,

Providencia et San Andrés, et des cayes d’Alburquerque.

32. Ces formations font directement face au Nicaragua; c’est donc pour cette raison que la

Colombie soutient que la délimitation doit être effectuée entre ces îles et le Nicaragua.

Evidemment, le Nicaragua ne possède aucune côte au nord, au sud ou à l’est des îles colombiennes

et ce, contrairement à la France en ce qui concerne les îles de la Manche ⎯ces dernières sont

entourées, sur trois cotés, par le territoire françai s et leurs mers territori ales se chevauchent avec

celle revenant à celui-ci ⎯ ou le Canada en ce qui concerne les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon

⎯ là encore, le territoire canadien encadre les îles sur trois côtés, et se trouve si près d’elles que les

mers territoriales des îles et du Canada se chevauch ent. En l’espèce, la côte nicaraguayenne se

trouve à l’ouest uniquement.

33. Comme cela a déjà été précisé, l’île de San Andrés est située à quelque 105 milles marins

du continent nicaraguayen, Provide ncia à quelque 125milles, et Quitasueño ainsi que les cayes

d’Alburquerque à plus de 100millesmarins. Il existe dès lors entre le s côtes des Parties une

importante étendue d’eau, où une frontière mariti me pourrait aisément être tracée conformément à

6
RN, par. 4.14 et 5.3. - 9 -

la règle «équidistance/circonstances spéciales». Cette situation diffère donc de celles où les îles

sont situées à proximité de la côte, comme l’île de SaintMartin, au large du Myanmar, ou

Qit’at Jaradah, au large du Qatar.

34. L’île de San Andrés, qui est le centre économ ique et administratif de l’archipel, est une

formation très importante. Elle compte plus de 70000habitants. Sa capitale, SanAndrés, est

également celle du département de l’archipel. L’ île abrite la capitainerie du port créée, pour des

raisons de compétence maritime, dès1911, c’est-àdi re du temps de la direction générale de la

marine colombienne. Son économie, fondée sur la pêche, le tourisme et l’agriculture, est

dynamique ; on y trouve également un aéroport bien desservi.

35. Aunord, Providencia est bordée par une barrière de corail fort étendue. Un phare,

construit et exploité par la Colombie, se trouve sur LowCay, au nord de Providencia. Celle-ci

abrite pour sa part une autre capitainerie de port, compte, à titre permanent, quelque 5000 habitants

et est également dotée d’un aéroport. Comme vous pouvez le voir sur la carte, l’île de

Santa Catalina se trouve à proximité immédiate de la côte septentrionale de Providencia ; elle est,

17 elle aussi, habitée. La population des deux îles se livre à la pêche, à l’agriculture et aux activités

liées au tourisme.

36. Le Nicaragua reconnaît que SanAndrés, Pr ovidencia et SantaCatalina génèrent toutes

7
des droits sur le plateau continental et sur une zone économique exclusive .

37. Au sud, les cayes d’Alburquerque se com posent de deux îles principales — North Cay et

SouthCay— et ne peuvent être considérées co mme des rochers au sens du paragraphe3 de

l’article121 de la convention. Les photographi es qui apparaissent actuellement à l’écran n’ont

8
produit aucun effet sur M. Oude Elferink . Pourtant, le terme «rocher» figurant au paragraphe 3 de

l’article 121 devrait être interprété selon son sens ordinaire. Or, ce que vous voyez à l’écran, ce ne

sont pas des rochers. Et même à supposer le contraire ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯, j’ai montré hier

que ces îles se prêtaient à une importante vie économique qui leur est propre. En outre, un

détachement colombien d’infanterie de marine, char gé du contrôle des activités de pêche et de la

7
RN, par. 5.3.
8
CR 2012/9, p. 41, par. 11 (Oude Elferink). - 10 -

répression de la contrebande dans la zone, est stationné à titre permanent sur NorthCay, où l’on

trouve également une station météo et un phare.

38. Al’est des cayes d’Alburquerque se trouvent les cayes de l’Est-Sud-Est, que j’ai

également évoquées dans mon exposé d’hier. Ces cay es ne sont pas, elles non plus, des «rochers».

On y trouve de l’eau douce, une station météo, un phare et une station radio ainsi qu’un

détachement permanent de marines colombiens. Ces cayes ont, elles aussi, été le centre d’activités

économiques importantes, comme cela a été exposé hier.

39. Au nord de SantaCatalina se trouve Quitasueño. Il s’agit d’une formation importante

s’étendant sur plus de 80 kilomètres carrés. Mais, comme elle fera l’objet d’un exposé séparé de la

part de M. Crawford, je n’en dirai pas plus à ce stade.

40. Au-delà, c’est-à-dire à l’est de ces forma tions, s’égrènent quatre chapelets d’îles faisant

également partie de l’archipel de SanAndrés. Il s’agit de Roncador, de Serrana, des cayes de

Serranilla et de Bajo Nuevo. Ces îles ne peuve nt pas, elles non plus, être considérées comme des

«rochers». Et là encore, il ressort des éléments de fait qu’elles se prêtent toutes à une vie

économique et que des dizaines de pêcheurs peuvent séjourner à Bajo Nuevo.

18 41. Cela étant précisé, lorsqu’il évoque les él éments constitutifs de l’archipel, le Nicaragua

cherche en outre à les présenter comme des îles disjointes, séparées les unes des autres par de

grandes distances. Il s’agit pourtant là d’une façon plus que fallacieuse de présenter les choses…

42. A l’évidence, la ZEE et le plateau contin ental entourant les îles colombiennes dans un

rayon de 200milles marins se chevauchent. En outre, même à supposer, pour les besoins de

l’argumentation, que Roncador, Quit asueño et Serrana n’existent pas ⎯ce qui n’est évidemment

pas le cas ⎯, les îles de San Andrés, Providencia et Sant a Catalina généreraient des droits propres

sur le plateau continental et une ZEE dans un rayon de 200millesmarins. Quant à leurs mers

territoriales et zones contigües ⎯ comme vous pouvez le voir sur la carte apparaissant à l’écran et

figurant dans le dossier de plaidoiries ⎯, elles sont si rapprochées qu’elles se chevauchent tout le

long du côté ouest du chapelet d’îles.

43. En partant du nord, il y a tout d’abor d chevauchement entre les zones contiguës de

Quitasueño, d’une part, et de Providencia et Santa Catalina, d’autre part ; ensuite, la zone contiguë

de Providencia et celle de l’île de SanAndrés se chevauchent à leur tour; plus au sud encore, ce - 11 -

sont les zones contiguës ainsi que les mers territoriales de San Andrés, des cayes d’Alburquerque et

de l’Est-Sud-Est qui se chevauchent. Enfin, au-d elà de ces îles, les zones contiguës de Serrana et

Quitasueño se chevauchent, tout comme celles de Roncador et Serrana. Cela confirme donc bien

qu’il ne s’agit pas de formations isolées.

44. Lors des audiences consacrées à la requête à fin d’intervention du Costa Rica, l’éminent

agent du Nicaragua nous a porté la contradiction sur ce point, déclarant que la Colombie ne

9
revendiquait pas de zone contiguë . Avec tout le respect du à la partie adverse, ce n’est pas le cas.

L’article 101 de la Constitution co lombienne dispose que les îles de l’archipel de San Andrés font

partie de la Colombie et que celle-ci revendi que, depuis son littoral, une zone contiguë, ainsi

qu’une mer territoriale, une portion du plateau continental et une zone économique exclusive,

conformément au droit international 10.

45. Or, lundi, M.OudeElferink a tenté de dé peindre une situation différente. Il a soutenu

que la zone de chevauchement que vous pouvez voir à l’écran n’était pas la preuve de la proximité

11
des îles les unes par rapport aux autres . Cette remarque était d’au tant plus surprenante que,

19 quelques minutes plus tard à peine, M. Remiro Brotóns s’est présenté à la barre et a soutenu avec

vigueur que les îles de l’archipel de SanAndrés étaient extrêmement proches de la côte du

12
Nicaragua, évoquant «leur plus grande proximité» . Monsieur le président, s’il y a une «grande

proximité» entre l’archipel et la côte continentale du Nicaragua, qui est située à bien plus de

100milles marins, même en son point le plus proche, alors leurs zones contiguës, qui se

chevauchent, sont assurément proc hes les unes des autres. Cela est d’ailleurs vrai non seulement

du point de vue géographique, mais aussi sur le plan juridique, puisque la Colombie exerce,

conformément au droit international, une autorité en matière douanière, fiscale, d’immigration et de

sécurité à l’intérieur des zones contiguës de ses îl es. Pour résumer, il ressort des éléments de

preuve versés au dossier que les îles de la Colombie sont géographiquement, historiquement,

9
CR 2010/16, p. 14, par. 20 (Argüello Gómez).
10 o
Voir, pour la référence à la Constitution de la Colombie, la note34 du contre-mémoire de la Colombie,
p. 91.
11CR 2012/8, p. 31, par. 17 (Oude Elferink).

12Ibid., p. 42, par. 45 (Oude Elferink). - 12 -

économiquement et juridiquement liées les unes a ux autres et qu’elles revêtent une importance

fondamentale pour la sécurité de cette zone maritime.

46. Il y a également chevauchement entre le plateau continental et la zone économique

exclusive des îles colombiennes, d’une part, et les z ones maritimes afférentes à la côte continentale

de la Colombie, d’autre part, ce qui n’est pas le cas de la côte continentale du Nicaragua.

Autrement dit, toutes les zones maritimes situées, dans la partie centrale de la mer, à l’est de

l’archipel de SanAndrés ainsi que des îles de Sa nAndrés et Providencia se trouvent à moins de

200 milles marins du territoire de la Colombie.

3. La présence d’Etats tiers dans la région

47. J’en arrive ainsi à mon troisième point : l’ incidence de la présence d’Etats tiers. Je n’ai

nullement besoin de m’étendre sur ce point car la Cour a déjà pu prendre connaissance des intérêts

de deux des Etats voisins ⎯ le Costa Rica et le Honduras ⎯ lors des audiences qu’elle a tenues sur

leurs requêtes à fin d’intervention.

48. Toutefois, le Costa Rica et le Honduras ne sont pas les seuls Etats de la région à disposer

de droits maritimes ; il en existe deux autres, qui n’ont pas demandé à intervenir ⎯ le Panama et la

Jamaïque. Comme l’a fait observer la Cour dans l’arrêt qu’elle a re ndu sur la requête du

CostaRica, la protection qu’elle accorde aux intérêts des Etats tiers vaut pour l’ensemble de ces

13
derniers, qu’ils interviennent ou non à l’instance .

20 49. Permettez-moi de commencer par le sud. La Cour sait que les zones maritimes situées

ausud ont fait l’objet d’une série d’accords de dé limitation entre la Colombie, le CostaRica et le

Panama, qui remontent à plus de trente cinq ans.

50. L’accord entre la Colombie et le Pana ma fut conclu en1976. Comme vous pouvez le

constater, la frontière suit une ligne en escalier entre la côte du Panama et les cayes d’Alburquerque

et de l’Est-Sud-Est, l’île de San Andrés, Providencia et Roncador. M. Reichler a avancé mardi que

la ligne semblait n’accorder aucun effet à Roncador 14. Or c’est manifestement inexact. L’accord

lui-même stipule que la frontière est fondée su r une ligne médiane, qui ne dessine une forme

13
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt du
4 mai 2011, par. 86.
14CR 2012/10, p. 51, par. 69 (Reichler). - 13 -

d’escalier que «pour simplifier le tracé». Dans la publication largement reconnue du département

d’Etat des Etats-Unis, « Limits in the Seas », il est également fait observer que la configuration

géométrique de la frontière maritime ne permet pas de soutenir que les cayes situées au large de la

côte colombienne aient pu se voir accorder moins d’importance ou de «poids» que le territoire

15
continental du Panama .

51. A l’évidence, les deux pays étaient partis du principe non seulement que la Colombie

avait souveraineté sur les îles, mais également que les zones maritimes situées dans cette portion de

la mer n’étaient à délimiter qu’entre la Colombie et le Panama. Le Nicaragua semblait partager

sans réserve cette opinion puisqu’il n’a jamais protesté. M.Reichler a soutenu que l’accord était

res inter alios acta pour le Nicaragua et que le silence de ce dernier ne pouvait être interprété

comme valant acceptation 1. Or le Nicaragua savait assurément comment protester contre un

accord de frontière couvrant une zone où il estima it avoir un intérêt véritable. S’agissant de

l’accord de1986 entre la Colombie et le H onduras, par exemple, il adressa une protestation

17
diplomatique à la Colombie un mois après la signature . Par la suite, il exerça une pression

énergique sur le Honduras pour qu’il s’abstienne de ratifier l’accord et alla jusqu’à introduire une

instance contre lui devant la Cour de justice centram éricaine. Il ne s’est jamais rien passé de tel

concernant l’accord conclu avec le Panama. Ri en ne montre que le Nicaragua considérait

lui-même partager une frontière avec cet Etat et il n’a, en réalité, jamais eu la moindre présence

dans cette zone située à l’est et au sud-est des îles.

21 52. L’accord entre la Colombie et le CostaRi ca fut conclu en1977, soit une année après.

18
M. Reichler a fait observer que le Costa Rica ne l’avait pas ratifié, ce qui est juste . Cependant, le

CostaRica a maintes fois fait savoir qu’il avait appliqué le traité de 1977 volontairement et

continuerait de le faire 1. En outre, un accord conclu en 1984 entre la Colombie et le Costa Rica et

portant sur la délimitation dans l’océan Pacifique, qui a bien été ratifié, mentionne que la frontière

maritime entre les deux Etats dans les Caraïbes av ait été «fixée». Au cours des audiences sur la

15 CMC, p. 223, par. 4.144 et note 115.

16 CR 2012/10, p. 51, par. 70 (Reichler).
17
Annexe 70 du mémoire du Nicaragua dans l’affaire Nicaragua c. Honduras.
18 CR 2012/10, p. 51, par. 68 (Reichler).

19 CMC, par. 4.156 à 4.159. - 14 -

requête à fin d’intervention, le Nicaragua a égal ement reconnu que le CostaRica était lié par les

obligations qui lui incombaient en vertu du traité de 1977, du fait du comportement constant qu’il

avait eu durant plus de trente ans 2.

53. L’accord conclu entre la Colombie et le CostaRica établissait une frontière constituée,

encore une fois, par une ligne d’équidistance simplifiée qui accordait plein effet aux cayes

d’Alburquerque. Je répète que le Nicaragua n’ a jamais eu la moindre présence dans les zones

maritimes situées au sud, au sud-est et à l’est d’Alburquerque. Comme l’a confirmé le conseil du

Costa Rica pendant les audiences sur la requête à fin d’intervention : «la Colombie était l’Etat avec

lequel le Costa Rica avait une frontière dans cette partie de la mer des Caraïbes» 21. Le Nicaragua

n’a rien fait pour réfuter cette affirmation.

54. Regardons à présent vers le nord; deux acco rds ont été conclus par la Colombie, l’un

avec le Honduras en 1986, et l’autre avec la Jamaïque en 1993.

55. Au cours de la procédure concernant la requête à fin d’intervention du Honduras, le

Nicaragua a soutenu que les intérêts de la Colombie par rapport à lui se limitaient aux zones situées

au sud du premier segment de la frontière entre la Colombie et le Honduras, frontière qui longe

plus ou moins le 15 e parallèle . En d’autres termes, le Nicaragua estimait que la Colombie se

trouvait en quelque sorte empêchée de revendiquer d es zones à son encontre au nord de cette ligne

du fait de l’accord qu’elle avait conclu avec un Etat tiers.

56. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur la requê te à fin d’intervention du Honduras, la Cour a

fermement rejeté cette thèse :

22 «La frontière maritime entre la Colombie et le Nicaragua sera déterminée en
fonction de la côte et des formations mariti mes des deux Parties. Ce faisant, la Cour,

pour déterminer cette frontière, ne se fondera pas sur le traité de1986.» (Différend
territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Honduras à fin
d’intervention, arrêt du 4 mai 2011, par. 73.)

57. Cela étant dit, aucune des Parties en l’ espèce ne revendique à l’encontre de l’autre de

zone maritime au nord de la bissectrice tracée par la Cour en2007 entre le Nicaragua et le

20
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt du
4 mai 2011, par. 59.
21
. CR 2010/12, p. 35, par. 13 (Lathrop).
22Observations écrites du Nicaragua sur la requête à fin d’intervention du Hondurpar.22; voir également
CR 2010/19, p. 31, par. 46. - 15 -

Honduras, quelle que soit la distance sur laquelle elle s’étend. C’est la zone située au sud de la

bissectrice, jusqu’à son point d’intersection avec la ligne à tracer en l’espèce, qui est en cause.

58. Enfin, il y a l’accord de1993 qui a été conc lu entre la Colombie et la Jamaïque et qui

succédait à d’autres, dont j’ai parlé hier, que les deux pays avaient conclus précédemment en

matière de pêche. A l’est, les Parties se mire nt d’accord sur une délimitation fondée sur les

principes de l’équidistance. Au nord, elles établirent une zone de régime commun. Les Etats tiers,

le Nicaragua y compris, n’étaient pas autorisés à y exercer des activités et aucun d’eux n’a eu

d’activité dans cette zone ou au sud de celle-ci sans autorisation.

59. Il est selon moi souhaitable d’associer le s Etats tiers de la région aux mesures de

délimitation et ce, pour quatre raisons essentielles.

60. Premièrement, il est évident que la Cour a toujours veillé, au moment de statuer en cette

matière, à ne porter préjudice à aucun droit effec tif ou potentiel d’Etats tiers. En conséquence,

l’existence de zones où des Etats tiers ont des in térêts maritimes constitue un facteur à prendre en

compte pour examiner la zone à délimiter entre la Colombie et le Nicaragua.

61. Deuxièmement, la pratique des Etats voisins en l’occurrence révèle que ceux-ci

considèrent que la Colombie a la souveraineté sur toutes les îles consti tuant l’archipel de

San Andrés.

62. Troisièmement, aucun de ces Etats ne pensait avoir de problèmes de délimitation avec le

Nicaragua, que ce soit au sud, à l’est ou au nord-est des îles colombiennes, ou au voisinage de

Serrana et de Roncador, et encore moins de Serra nilla et de BajoNuevo. Il n’est aucunement

démontré, par exemple, que le Nicaragua ait jamais cherché à établir de délimitation avec le

Panama dans les zones sur lesquelles portent à présent ses prétentions en la matière. En ce qui

concerne la Jamaïque, le Nicaragua a fait remarquer, dans l’affaire qui l’opposait au Honduras, que

des problèmes de délimitation existaient entre les trois pays dans la zone de RosalindBank, qui,

comme vous pouvez le voir, est assez éloignée au nord 2. Il n’a cependant jamais laissé entendre
23

que des questions de délimitation l’opposaient à la Jamaïque dans les zones couvertes par l’accord

conclu entre celle-ci et la Colombie.

23
CR 2007/5, p. 25, par. 73 (Pellet). - 16 -

63. Quatrièmement, dans les accords de délimitation qu’ils ont conclus avec la Colombie, les

Etats tiers ont également reconnu que, en raison des caractéristiques géographiques de la zone, il

était équitable d’appliquer, du moins pour l’essentiel, la pleine équidistance aux îles de l’archipel

de San Andrés.

64. Pendant la procédure d’intervention, la Partie nicaraguayenne a laissé entendre que ces

24
accords étaient une sorte de machina tion visant à enclaver le Nicaragua . Eh bien, Monsieur le

président, ce jeu se joue à deux. Les autres Etats voisins étaient tous également parties à ces

accords et ils ont clairement reconnu que les zones délimitées ne concernaient en rien le Nicaragua.

Il ne s’agissait pas là d’une machination, mais d’une pratique parfaitement conforme aux principes

du droit de la mer, selon lesquels la délimitation doit impérativement s’effectuer par voie d’accord.

65. J’ajouterai que le recours aux principes de l’équidistance là où des îles sont en cause

n’est pas propre à cette partie des Caraïbes. Par exemple, la frontière maritime entre, d’une part, le

Royaume-Uni, pour les îlesCaïmanes, et, d’autre part, le Honduras, est délimitée à l’aide d’une

ligne médiane simplifiée qui donne plein effet a ux îlesCaïmanes ainsi qu’à de petites formations

maritimes telles que SwanIsland et GordoCay, situées au large du territoire continental du

Honduras. L’accord entre ce dernier et le Mexique tient pareillement compte des îles. Par ailleurs,

la délimitation entre les Etats-Unis d’Amérique et Cuba accorde plein effet aux cayes situées à

l’extrémité méridionale de la Floride qui font face à la côte cubaine, plus longue. Et la frontière

entre, d’une part, les îles Turques et Caïques et, d’ autre part, la côte plus longue et opposée de la

République dominicaine suit également de près une ligne d’équidistance 25.

4. La zone à délimiter

66. Après avoir ainsi examiné la configurati on géographique de la région, j’en viens à mon

dernier point, soit la détermination de la zone qui doit faire l’objet de la délimitation.

67. La carte à l’écran montre la délimitation proposée par le Nicaragua, du moins telle

qu’elle a été représentée dans le mémoire et la rép lique, et tout au long de la phase écrite de la

24
CR 2010/16, p. 17, par. 28 (Argüello Gómez).
25DC, par. 7.50 et figure R-7.9, p. 266. - 17 -

procédure. Elle donne au plateau continental revendiqué une étendue prodigieuse qui ne résiste pas

à l’analyse, et ce, pour trois raisons.

24 68. Premièrement, l’espace maritime en question s’étend jusqu’à la côte continentale de la

Colombie. Or, comme je l’ai expliqué précédemme nt, cette côte ne peut être considérée comme

pertinente, étant donné les distances en jeu. Une telle délimitation peut certes servir les fins du

Nicaragua, puisqu’elle permet de justifier visuellement le tracé d’une frontière située à peu près au

centre, mais elle ne repose sur aucun fondement juridique ou factuel.

69. Deuxièmement, la zone délimitée par le Nicaragua empiète sur de vastes espaces

maritimes susceptibles d’appartenir à des Etats tiers. Au sud, la zone en question s’étend jusqu’à la

côte panaméenne, annexant des espaces relevant de Panama et du Costa Rica. Au nord, l’espace

délimité par le Nicaragua recouvre une grande partie des espaces revendiqués par la Jamaïque et

absorbe presque entièrement la zone de régime commun de la Colombie et de la Jamaïque.

Comme je l’ai dit, en dehors des revendications qu’il a formulées en l’espèce, le Nicaragua n’a

jamais manifesté, que ce soit par sa pratique ou pa r l’ouverture de discussions ou de négociations

avec des Etats tiers dans la région, le moindre intérêt pour les espaces situés à l’est des îles de la

Colombie.

70. Troisièmement, la position du Nicaragua ne tient pas compte du fait que les zones

maritimes revendiquées par les Parties se rencont rent et commencent à se chevaucher entre

l’extrémité occidentale de l’archipel de San Andrés et les côtes du Nicaragua, y compris ses îles. Il

s’agit là de la zone située entre les territoires respectifs des Parties, de la zone où les côtes

pertinentes se font directement face, c’est-à-dire de la zone à délimiter en l’espèce.

71. Plus tôt cette semaine, le Nicaragua s’est abstenu de montrer cette carte, et je comprends

bien pourquoi. Elle correspond pourtant à la position qu’il a tenue depuis huitans que dure la

présente instance. Dans un nouvel exemple de l’ inconstance de la position nicaraguayenne, c’est

une nouvelle zone de délimitation qui a été présentée à la Cour mardi après-midi, celle qui figure à

l’écran (onglet 87 du dossier des plaidoiries de mardi après-midi, figure PR-3e).

72. Non seulement cette délimitation présente de manière erronée la zone revenant à la

Colombie ⎯nous avons bien dit que cette zone s’ét endait jusqu’à la côte continentale du - 18 -

Nicaragua ⎯, mais elle constitue une grossière exagéra tion dans la mesure où elle englobe de

vastes zones maritimes situées à l’est des îles de la Colombie.

73. Le Nicaragua soutient qu’il y a, dans cette zone orientale, chevauchement de droits

fondés sur le critère des 200 milles marins. Or, comme je l’ai dit, les zones visées ne se rencontrent

et ne commencent à se chevaucher qu’à l’ouest des îles de la Colombie, et non à l’est. Monsieur le
25

président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il n’existe dans la jurisprudence de la Cour et des

tribunaux arbitraux aucun précédent où, dans une affaire de délimitation entre deux Etats dont les

côtes se font face et en l’absence d’îles à proxim ité de la masse continentale entraînant le

chevauchement de leurs mers territoriales respectiv es, la zone à délimiter n’était pas celle située

entre ces deux côtes opposées. J’ajouterai que, dans nombre d’affaires ⎯ par exemple,

Libye/Tunisie, Libye/Malte, Cameroun c. Nigeria, Qatar c. Bahreïn et Barbade -Trinidad et

Tobago — la zone devant faire l’objet de la délimi tation n’était pas définie par le chevauchement

de droits fondés sur le critère des 200milles mari ns. La délimitation a toujours eu pour objet les

zones maritimes s’étendant entre les côtes opposées ou adjacentes, et c’est là le royaume de la règle

«équidistance/circonstances pertinentes».

74. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les caractéristiques

géographiques sont incontournables. Les Etats enclavés n’ont de droits sur aucun espace maritime.

D’autres Etats possèdent quant à eux des îles. Et les îles de la Colombie ne sont pas des formations

sans importance situées au large de la masse continen tale et susceptibles, aux fins de délimitation,

d’être écartées au profit de la côte continentale. Ces îles sont des éléments distincts de la masse

continentale, situés à une distance considérable de la côte nicaraguayenne et emportant dévolution

de droits propres sur les espaces maritimes les entourant.

75. Comme je l’ai dit, ces espaces chevau chent, dans une certaine zone, ceux qui sont

afférents à la côte du Nicaragua. C’est dans cette zo ne qu’entre en jeu l’app lication de la règle de

l’équidistance. Au nord, cette zone s’arrête à la ligne tracée par la Cour entre le Nicaragua et le

Honduras. Au sud, il faudra tenir compte des in térêts du Costa Rica. Comme nous l’avons déjà

dit, la Cour est parfaitement en mesure de protéger les intérêts des Etats tiers par l’application de sa

méthode habituelle consistant à placer une flèche, pl utôt qu’un point final, à l’extrémité de la ligne

de délimitation qu’elle trace. - 19 -

76. Monsieur le président, ainsi prend fi n mon exposé sur la situation géographique

d’ensemble, y compris les côtes à retenir aux fins de délimitation de la zone en cause. Je vous

serais maintenant reconnaissant de donner la parole à M. Crawford. Je vous remercie.

26 Le PRESIDENT: Merci pour votre exposé, M. Bundy. J’invite maintenant M.Crawford à

la barre. Vous avez la parole, Monsieur.

M. CRAWFORD :

2. QUITASUEÑO

Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’apporterai dans cet exposé la

preuve du caractère territorial de la partie de l’archipel de SanAndrés connue sous le nom de

Quitasueño et du droit qu’il ouvre à des zones ma ritimes. Vous voyez à l’écran le banc de

Quitasueño et les 34 îles indiquées en rouge. Le caractère territorial de Quitasueño est établi dans

26
deux rapports fondés sur des études scientifiques qui ont été demandées par la Colombie .

Jusqu’à cette semaine, le Nicaragua n’a jamais tenté d’y opposer des arguments factuels ou

scientifiques. Il prétend avoir souveraineté et juridiction sur les îles de Quitasueño, ses hauts-fonds

découvrants, son récif frangeant et les eaux qui l’entourent. Pourtant, tout comme il n’a présenté

aucun élément de preuve, le Nicaragua n’a jamais administré Quitasueño ⎯contrairement à la

Colombie dans les deux cas. Il y a eu un différend concernant la souveraineté sur Quitasueño,

lequel opposait les Etats-Unis et la Colombie. Il en est fait dûment état dans le traité de 1928 qui

mettait sur le même plan les trois formations de Quitasueño, Roncador et Serrana et qui, comme

M. Cohen l’a établi, excluait toute prétention du Nica ragua à leur sujet. De fait, le différend avec

les Etats-Unis a été réglé en faveur de la Colombie en 1972.

2. Cet exposé comporte trois parties. Je retr acerai d’abord l’évolution du droit concernant

les zones maritimes des petites formations ⎯ un droit maintenant fermement établi du moins en ce

qui concerne la définitions des îles, la mer territo riale et la zone contigüe qu’elles engendrent.

26Etude de Quitasueño et Albuquerqueétablie par la marine colombie nne, septembre2008. CMC, vol.II,
annexe171, p.603; rapport d’expert de M.Robert Smith, «Carte des îles de Quitasueño (Colombie) ⎯Leurs lignes de

base, mer territoriale et zone contigüe», février 2010 : DC, vol. II, ap. I, p. 2. - 20 -

J’appliquerai ensuite ce droit au cas de Quitasueño. Enfin, j’en viendrai aux tentatives faites par

M.OudeElfering pour dénier toute importance à cette formation ⎯ce que j’appellerai la théorie

du «pauvre débris corallien».

27 La définition des îles et leur titre à des zones maritimes

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le droit moderne définissant les

îles est clair, ferme et bien arrêté. Il est énoncé dans l’article 10 (1) de la convention de 1958 sur la

mer territoriale et la zone contigüe et repris à l’ identique au paragraphe1 de l’article121 de la

convention de 1982 sur le droit de la mer. En droit, les zones qui restent découvertes à marée haute

sont des îles. Il n’est fait mention de taille mi nimum dans aucune des ces conventions. Il n’y est

exigé ni implantation par l’homme, ni vie économi que, quelle que soit la définition de ces termes.

Une formation qui reste découverte à marée haute moyenne est une île en droit et, de ce fait, génère

au minimum une mer territoriale de 12milles et une zone contiguë de 12milles elle aussi. Et

puisque la terre domine la mer, la mer territoriale ainsi générée ⎯ cette zone de souveraineté et non

simplement de droit souverain ⎯a la priorité sur les reve ndications de zones économiques

exclusives et de plateau continen tal d’autres Etats dans une affaire de délimitation. C’est ce qu’a

déclaré le tribunal international sur le droit de la mer dans l’affaire Bangladesh/Myanmar. Voici ce

qu’il a dit :

«Le tribunal constate que le Bangladesh a droit a une mer territoriale de
12milles autour de l’île de SaintMartin dans la zone où sa mer territoriale ne
chevauche plus la mer territoriale du Myanmar. Le contraire reviendrait à accorder

davantage de poids au droit souverain et à la juridiction du Myanmar dans sa zone
économique exclusive et sur son plateau continental qu’à la souveraineté du
Bangladesh sur sa mer territoriale.» 27 (Les italiques sont de nous.)

4. Quant à la mer territoriale des îles, le droit international moderne est clair sur ce point et la

convention de1982 en est le reflet fidèle. Le paragraphe1 de l’article 121 donne de l’île une

définition géographique simple: «Une île est une étendue naturelle de terre entourée d’eau qui

reste découvert à marée haute.» C’est mot pour mot la définition donnée au paragraphe1 de

l’article 10 de la convention de Genève de 1958 sur la mer territoriale.

27
Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du
Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, p. 57-58, par. 169. - 21 -

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, vous acceptez sans restriction

ni réserve que telle est la définition de l’«île» en droit international. Par exemple, voici ce que la

Cour a déclaré dans l’affaire Qatar/Bahreïn :

«La Cour rappelle qu’une île est défini e en droit comme «une étendue naturelle
de terre entourée d’eau qui reste découvert e a marée haute»… La Cour a examiné

attentivement les éléments de preuve produits par les Parties et évalué les conclusions
des expertises susmentionnées, en particulier le fait que les experts de Qatar
eux-mêmes n’aient pas soutenu qu’il était sci entifiquement prouvé que Qit’at Jaradah

soit un haut-fond découvrant. Sur ces bas es, la Cour conclut que la formation
maritime de Qit’at Jaradah répond aux critères énumérés ci-dessus et qu’il s’agit d’une
île qui doit comme telle être prise en c onsidération aux fins du tracé de la ligne

28 d’équidistance.» (Affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre
Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 99, par. 195.)

6. Je relève quatre points dans ce passage.

1) Premièrement, vous avez expressément accepté la définition de «l’île» contenue à l’article10

de la convention de1958 et l’ar ticle121 de la convention de 1982 comme étant applicable en

droit international général.

2) Deuxièmement, vous interprétez cette définiti on comme se rapportant à la réalité d’aujourd’hui

et non à des définitions anciennes ou réputées correctes.

3) Troisièmement, étant donné qu’il s’agit d’une question de fait, les éléments de preuve

permettent de trancher dans les cas douteux.

4) Quatrièmement, si une formation répond aux critè res énumérés dans la définition, elle peut

générer un point de base ou des points de base ; elle doit «être prise en considération aux fins du

tracé de la ligne d’équidistance». A fortiori, elle doit être considérée comme faisant partie de la

ligne de base d’un Etat aux fins de la détermination de la mer territoriale et de la zone contiguë.

7. La définition a des avantages clairs, ce qui explique pourquoi elle s’est cristallisée en une

e 28
règle acceptée au cours du XX siècle . C’est un exemple classique d’une règle bien arrêtée. La

formation en question doit répondre à trois critères pr écis, et à ces critères seulement, et chacun

d’eux est objectif: 1)ce doit être une formation naturelle ⎯autrement dit une installation due à

28Différend concernant la délimitation de la frontière mar itime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe
du Bengale (Bangladesh/Myanmar) , arrêt du 14mars2012, p.55-56, par.16 9. Voir aussi: D.P.O’Connell, The
International Law of the Sea , vol.1 (Clarendon Press, Oxford, 1982, diubl. I.Shearer), p.193-195 (qui se réfère
essentiellement à l’article10 de la conve ntion de Genève sur la mer territoriale et la zone contiguë, 29avril1958, 516
RTNU 205) ; R. R. Churchill et A. V. Lowe, The Law of the Sea (3., Manchester University Press, Manchester 1999),
p. 49 ; H. Dipla, «Islands», dans R. Wolfrum (dir. publ.), Max Plank Encyclopaedia of Public International Law (Oxford
University Press, Oxford, 2008), par. 2. - 22 -

l’homme, une plateforme par exemple, ne constitue pas une île ; 2) elle doit être entourée d’eau ; et

3)elle doit être découverte à marée haute ⎯ce n’est pas une formation découvrante. Une

formation est une île, ou n’en est pas une, et pour en décider, il faut déte rminer si elle répond ou

non à ces trois critères objectifs. Il n’y a pas de position intermédiaire; et il n’y a pas d’autre

critère. Pour une fois, le doute ⎯le droit international n’est jamais certain, il est vague et

indéterminé, on ne sait jamais où il va mener ⎯, n’est pas permis. C’est ici que le postmodernisme

29
rencontre ses limites : il existe une réponse précise .

e
8. Plus tôt au XX siècle, les Etats auraient pu conveni r d’une approche différente de la

question des îles. Il fut un moment où le Royaum e-Uni avait une autre position : il ne considérait

29 les formations comme des îles qu’à partir d’une taille minimum et si elles possédaient une

importance distincte. Dans son commentaire à l’époque de la conférence de LaHaye de1930, le

30
Royaume-Uni restreignait les îles aux zones «pouva nt être occupées et utilisées effectivement» .

Mais cette position, rejetée par d’autres Etats, a été abandonnée par le Royaume-Uni lui-même

31
en 1958 . Le droit, tel qu’il s’est cristallisé en cout ume et a été adopté en vertu de la convention

de1958 accorde une mer territoriale à toutes les îles, indépendamment de leur taille, de leur

indépendance économique ou d’autres caractéristiques. Dès lors que la formation en question est

une île telle que définie dans l’article 10, elle génère une mer te rritoriale même si, pour reprendre

les termes de M. Lowe, sa taille ne dépasse pas celle d’une tribune.

9. Le droit tel qu’énoncé dans la convention de1982 est tout aussi clair. Il n’existe qu’un

type de mer territoriale. Un rocher au sens du paragraphe 3 de l’article 121 ouvre droit pleinement

à une mer territoriale et à une zone contiguë. Ce droit n’est restreint que par l’exclusion expresse et

29
Mais voir M.Koskenniemi, qui définit le droit in ternational comme une série de «modes d’argumentation,
pouvant conduire à tout» : (2004) 36 Studies in Transnational Legal Policy 109, p. 115-116.
30
Voir la réponse du Royaume-Uni au point VI des travaux préparatoires de la conférence pour la codification de
LaHaye de1930, Société des Nations, doc.C.74, M.39, 1929, v, reproduits dans McNair, dir. publ., International Law
Opinions (1956), p. 379.

«Par «île» il faut entendre une fraction de territoire entourée d’eau et, dans des circonstances
normales, se trouvant d’une façon pe rmanente au-dessus de la marée haute. On ne doit pas considérer
comme île une fraction de territoire qu’il serait impossible d’occuper et d’utiliser effectivement. Le
gouvernement de Sa Majesté estime qu’on n’est pas fondé à prétendre qu’il existe une zone d’eaux
territoriales autour de rochers et de bancs qui ne constituent pas des îles, conformément à la définition
ci-dessus...»

31Par exemple, en adhérant sans réserve à la convention de Genève de1958 sur la mer territoriale et la zone
contiguë, 29 avril 1958, 516 RTNU 205 et à la définition contenue en son article10. Le Roya ume-Uni a signé la
convention le 9 septembre 1958 et l’a ratifiée le 14 mars 1960. - 23 -

limitée des deux autres grandes catégories de zones de juridiction, que s ont la zone économique

exclusive et le plateau continental. Comme toutes les formations soumises au régime des îles, un

rocher génère une mer territoriale et une zone contiguë, et cela signifie une mer territoriale de la

même largeur que celle projetée par d’autres territoir es terrestres. Pour appliquer le paragraphe2

de l’article121, lu avec les paragraphes1 et 3, «la mer territoriale...[d’un rocher répondant aux

critères énoncés au paragraphe1 est] déterminée conformément aux dispositions de la convention

applicables aux autres territoires terrestres».

10. Il y a lieu de rappeler que pendant la troisi ème conférence sur le droit de la mer d’autres

possibilités ont été avancées, qui ont toutes été cl airement rejetées. Un certain nombre d’Etats

participant au travail de rédaction ont pr oposé que les formations les plus mineures ⎯ les rochers

cités au paragraphe3 de l’article121 ⎯ n’ouvrent aucun droit concernant les zones maritimes.

Malte l’a proposé pour les îles de moins d’unkilomètre 32, la Libye pour «les petites îles et les

rochers, où qu’ils se trouvent, où il ne peut y a voir d’implantation humaine ou de vie économique

33 34
30 propre» , et la Roumanie pour «les îlots et les petites îles inhabités et sans vie économique» . La

Turquie a proposé d’exclure «les roch ers et les hauts-fonds découvrant» 35. Ces propositions n’ont

pas rallié grand soutien et la troisième conférence ne les a pas adoptées. Le texte de l’article 121

reconnaît que la mer territoriale est un droit généré par chaque île, quelles qu’en soient les

caractéristiques ou la taille. Dès lors qu’une formation maritime répond aux critères géographiques

objectifs énoncés au paragraphe1 de l’article121, elle constitue une île. Aux fins de la mer

territoriale et de la zone contiguë, il existe une catégorie d’îles et une seule.

11. La principale disposition pertinente «applicable aux autres territoires terrestres»,

y compris toutes les îles telles qu’elles ont été définies se trouve à l’article 3 qui concerne la largeur

de la mer territoriale : «Tout Etat a le droit de fixe r la largeur de sa mer territoriale, cette largeur ne

dépasse pas 12milles marins mesurés à partir de lignes de base établies conformément à la

convention.» Ce droit n’est pas restreint. Il n’ existe pas d’autre droit ré duit ou limité «de fixer la

32Virginia Commentary, p. 328.
33
R.Platzöder (dir. publ.), Troisième conférence des NationsUnies sur le droit de la mer; documents, vol.IV,
p. 347.
34
Virginia Commentary, p. 330.
35Ibid., p. 333. - 24 -

largeur de la mer territoriale». Il est vrai que les Etats n’ont pas toujours eu le droit d’établir une

mer territoriale de 12milles marins. Mais une mer territoriale réduite ne fait pas partie du droit

aujourd’hui ou tel qu’il existe depuis quelque temp s. Tout territoire terrestre génère une mer

territoriale et la largeur maximum de la mer territoriale à laquelle un Etat a droit est de 12milles

marins ⎯ sous réserve évidemment de délimitation, notamment dans le cas de chevauchement avec

la mer territoriale revendiquée par d’autres îles.

Les faits relatifs aux îles de Quitasueño

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, j’en viens maintenant aux faits

relatifs à Quitasueño. Ils ont été établis claireme nt et scientifiquement par la marine colombienne

lorsqu’elle a procédé au levé des îles durant l’été 2008, levé qui a donné lieu à un rapport versé au

dossier sous la forme d’une anne xe au contre-mémoire. Ils ont de surcroît été confirmés par

M. Robert Smith, consultant géographe indépendant, qui a effectué un autre levé en novembre et

décembre2009. La Cour connaît bien le trav ail que Monsieur Smith a effectué au service

géographique et au Bureau des affaires océaniques du département d’Etat des Etats-Unis. Pendant

les trente années qu’il y a passées, il a notamment été responsable de la série Limits in the Seas . Il
31

a également occupé la fonction d’expert géographi que et technique principal dans le cadre de

l’établissement des lignes de base et des limites maritimes des Etats-Unis. Il dispose d’une très

grande expertise sur les questions de droits et de délimitation maritimes.

13. Bien entendu, le fait que la Colombie ait s oumis, dans le cadre de la présente procédure,

deux levés topographiques, réalisés à l’aide de méthodes reconnues de recherche géographique sur

le terrain et couvrant la longueur considérable d’un groupe d’îles étendu, ne serait pas en soi

remarquable. Ce qui l’est, en revanche, c’est que le demandeur n’ait fourni, dans ses écritures,

absolument aucun élément de preuve équivalent à l’appui des questions factuelles qu’il a lui-même

soulevées. L’autre jour, M. Oude Elferink en était largement réduit à recourir à la spéculation et à

l’insinuation.

14. En parlant d’insinuation, j’aimerais me pencher brièvement sur la «théorie de la

canonnière» avancée par le Nicaragua. A trois ou qu atre reprises cette sema ine, ses représentants

ont affirmé que, en ce qui concerne Quitasueño, le Nicaragua avait été contraint au silence et à - 25 -

36
l’immobilisme par la marine colombienne , citant pour exemple la soi-disant mission Quitasueño

37
de février 2012 . Je n’ai pas le temps de traiter en profondeur cet argument fallacieux ⎯ qui, de

toute façon, ne le mérite pas. Je me bornerai à mentionner les trois points suivants : premièrement,

la soi-disant mission a eu lieu bien après la fin de la phase de procédure écrite et plusieurs années

après que le Nicaragua eut reçu le rapport établi à la suite du levé effectué par la marine;

deuxièmement, la Colombie n’a reçu aucune notification et les articles de presse relatifs à la

soi-disant mission (que nous avons communiqués au greffier) ne concernent pas Quitasueño;

troisièmement, il n’y a en fait pas eu de contact avec la marine, tout juste un prétendu rapport

communiqué par la voie radiophonique mal interprété comme signifiant que la marine était dans les

parages. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je ne peux que conclure qu’il ne

s’agissait pas de contrainte, pas même de l’ombre d’une contrainte.

15. J’en viens maintenant aux faits.

16. Quitasueño est un long banc, qui s’étend su r quelque 57 kilomètres du nord au sud. Son

point le plus méridional se trouve à moins de 48 milles marins du point le plus septentrional des

îles de Providencia et Santa Catalina 38.

17. Il comprend diverses formations terrestres. Le levé du banc le plus complet effectué à ce

jour, celui de M.Smith, fait état de 34 formati ons qui remplissent les conditions nécessaires pour

32 être qualifiées d’îles car elles sont constamment au-dessus de la laisse de haute mer. Elles sont

39
dispersées tout le long du banc. Il n’existe pas entre elles d’espace supérieur à cinq milles marins

et, sur une grande partie du banc, la distance qui les sépare est bien plus faible. Le banc contient en

40
outre au moins 20hauts-fonds découvrants identifiés , dont aucun n’est situé à plus d’un mille

41 42
marin trois-quarts de l’île la plus proche , la plupart étant bien plus près . Ces hauts-fonds

découvrants entraîneraient l’a pplication du paragraphe1 de l’ article13 de la convention des

36
CR2012/8, p. 19-20, par.23-28 (ArgüelloGómez); ibid., p. 23-24, par. 39-41 ; CR 2012/9, p. 50,
par. 31 (Lowe).
37
CR 2012/8, p. 19-20, par. 23-28 (Argüello Gómez).
38
Voir CMC, par. 2.25 ; CMC, vol. III, figure 2.8. Voir également DC, vol. II, figure R-3.2.
39Voir île QS 52 et île QS 47 pour l’espace le plus vaste, rapport Smith, figure n°7.

40DC, par. 5.36.

41Rapport Smith, par. 6.5.
42
Le plus éloigné est le haut-fond découvrant QS 44, rapport Smith, p. 27. - 26 -

NationsUnies de1982 sur le droit de la mer (par agraphe1 de l’article 11 de la convention de

Genève de 1958), qui est ainsi libellé :

«Lorsque des hauts-fonds découvrants se trouvent, entièrement ou en partie, à une

distance…d’une île ne dépassant pas la largeur de la mer territoriale, la laisse de
basse mer sur ces hauts-fonds peut être prise comme ligne de base pour mesurer la

largeur de la mer territoriale.»

18. Quitasueño présente une importante structure récifale. Le récif s’étend sur plus de

43
22 milles marins, formant le bord oriental du banc . Sa plus longue interruption est d’environ un

dixième de mille. Il constitue la frange orientale de Quitasueño et est clairement indiqué sur la

carte 44. Sa laisse de basse mer côté large peut constituer une ligne de base en vertu de l’article 6 de

45
la convention .

19. Il convient de commenter brièvement les méthodes employées par les deux équipes qui

ont procédé aux levés topographiques, puisqu’elles ont été mises en doute. Le travail des équipes a

notamment consisté à recueillir des données brutes et, pour ce faire, elles sont toutes deux

demeurées plusieurs jours sur le banc. Pour re cueillir les données, il leur a fallu observer et

mesurer un grand nombre de formati ons, afin de vérifier que certaines d’entre elles restaient en

permanence au-dessus de la laisse de haute mer et d’identifier celles qui étaient des hauts-fonds

découvrants 46. Dans certains cas, les observations ont été effectuées à quelques mètres de distance,

les eaux peu profondes et les vagues autour des formations concernées rendant un accostage trop

périlleux pour les chercheurs 47. Ce banc est jonché d’épaves . A d’autres endroits, les chercheurs

ont débarqué et ont rejoint les îles à pied.

43
Rapport Smith, par. 6.7.
44 Voir carte nautique de la Colombie 416, rapport Smith, figure n° 1.

45 Rapport Smith, par. 6.7.
46
Ibid., cartes dépliantes.
47
Par exemple, QS 21, 33 : rapport Smith, p. 18, 23.
48 Voir, par exemple, l’épave qui apparaît dans le fond du coin supérieur droit de la photographie : rapport Smith,

figure 2.4. - 27 -

49
33 20. Pour les îles qu’ils ont pu atteindre à pied, ils ont effectué des mesures sur place . Les

mesures recueillies sur une formation donnée ont constitué les données que les experts ont ensuite

analysées, appliquant pour ce faire des méthodes statistiques reconnues comme étant appropriées

pour mesurer la hauteur de formations telles que celles qui sont présentes sur le banc. Les rapports

contiennent une description complète de l’anal yse statistique et des ensembles de données

générales sur lesquels ils se sont appuyés ⎯notamment les données astronomiques relatives aux

50
marées .

21. En cas de doute sur la question de savoir si une formation était découverte à marée haute

ou si elle constituait un haut-fond découvrant, une «approche conser vatrice» a été adoptée et la

formation a été considérée comme un haut-fond découvrant. Ainsi, toute formation dont le sommet

était proche de la laisse de haute mer a été exclue de la liste des îles 51. De même, lorsque deux ou

plusieurs formations étaient suffi samment proches pour que la ques tion de savoir s’il s’agissait en

fait d’une ou de deux formations relève de l’appréciation de l’observateur, elles ont été

52
comptabilisées comme une seule .

La réfutation des faits par le Nicaragua

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, avant que le Nicaragua

n’engage la présente procédure, la Colombie pe nsait que la souveraineté engendrée par les îles de

Quitasueño ainsi que les droits qui en résultent ne prêtaient globalement pas à controverse. Certes

un différend s’était fait jour avec les Etat s-Unis depuis qu’ils avaient adopté le Guano Act 53, au

dix-neuvième siècle, qui fut résolu dans le cadre du traité de 1972 54. Mais il s’agissait d’un

différend relatif à un titre territorial et, pendant tout e cette période et par la suite, la pratique a

49Equipe à l’origine du rapport de la marine colo mbienne: 11 formations maritimes et hauts-fonds
découvrants ⎯ QS 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 18, 19 et 23 ⎯ voir CMC, vol. II-A, annexe 171, p. 369-376. Equipe à
l’origine du rapport Smith : 22 îl es et hauts-fonds découvrants ⎯ QS 1, 2, 4, 5, 15, 16, 17, 2, 22, 24, 25, 26, 27, 32, 35,

44, 45, 47, 51, 52 et 53 ⎯ voir DC, vol. II, appendice II, par. 2.3, et annexe 5.
50Etude sur Quitasueño et Alburquerque réalisée par la marine colombienne en septembre 2008 ; CMC, vol. II-A,

annexe 171, p. 369-376 ; rapport Smith, DC, vol. II, appendice I, par. 2.4.
51Rapport Smith, par. 2.6.

52Par exemple, QS 8, 9, 10, 11, 13, 16, 27, 30 : rapport Smith, p. 14-16, 21, 22 ; voir également ibid., par. 3.2.

53Code des Etats-Unis, titre 48, chapitre 8, par. 1411.
54
Traité entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique relatif aux statuts de Quita Sueño, de Roncador et de
Serrana, Bogotá, 8 septembre 1972 : Recueil des traités des Nations Unies, vol.1307, p.379reproduit sous l’annexe3
dans CMC, vol. II-A. - 28 -

largement confirmé que cette formation pouvait faire l’ objet de souveraineté. Pour ce qui est de la

pratique antérieure à1972, je vous renvoie à l’éch ange de notes de 1928 entre la Colombie et les

Etats-Unis, d’où il ressort que les Colombiens pouvaient poursuivre leurs activités de pêche tandis

que les Etats-Unis entretiendraient et exploiteraie nt le phare. Le Nicaragua a officiellement été
34

informé de cet échange de notes et n’a jamais émis la moindre protestation. Quant à la situation

après 1972, si les Etats-Unis ont officiellement fo rmulé des réserves sur ce point, ils ont ensuite en

pratique reconnu la compétence en matière de pêche aux environs de Quitasueño de ce qu’ils ont

nommément désigné les «autorités colombiennes», comme vous pourrez le constater en consultant,

par exemple, l’échange de notes qu’ils ont eu avec la Colombie en 1983, qui a ensuite donné lieu à

55
une très abondante pratique .

23. Cette pratique a été évoquée de ma nière détaillée dans le contre-mémoire 56. Le

Nicaragua, qui est demeuré silencieux sur la qu estion pendant 44 ans, n’a pas dit un mot pour

nuancer la pratique ou pour affaiblir les conclusions qui en ont été tirées. Lorsqu’il a effectivement

parlé du banc de Quitasueño, c’était pour dire qu ’il «apparten[ait] au Nicaragua en vertu de la

doctrine de l’uti possidetis juris ». En d’autres termes, bien qu’il n’ait commencé à le faire qu’en

1972, il affirmait, en le revendiquant, que Quitasueño faisait partie de sa masse territoriale ou qu’il

57
en incluait une partie . Dans son mémoire, le Nicaragua a fait état de la pratique antérieure, telle

que la déclaration par laquelle le président Wilson, en 1919, «réaffirma[it] l’appropriation des

58
cayes et les réserva[it] à l’établissement d’aides à la navigation» .

24. C’est donc tardivement qu’il est apparu que le Nicaragua affirmait que Quitasueño ne

59
comportait aucune île. Il n’a développé ce point que vers la fin de son mémoire . Sur cette

question, comme sur tant d’autres, la teneur de ses écritures était désespérément fluctuante: il a

reconnu la pratique tendant à accepter qu’il s’agit de formations territoriales relevant de la

55
Accord relatif à certains droits de pêche conclu entre la Colombie et les Etats-Unis en application du traité du
8septembre1972 concernant le statut de Quita Sueñ o, Roncador et Serrana, Bogotá, 24octobre 1983 et
6 décembre 1983, Recueil des traités des Nations Unies, vol.2015, p. 3, Recueil des traités des Etats-Unis, vol.10842:
CMC, vol. II-A, annexe 8, p. 11.
56
CMC, par. 4.3-4.77.
57
MN, par. 19, en ce qui concerne la revendicationformulée par le Nicaragua en 1972. Voir également ibid.,
par. 20, 23. Pour la déclaration nicaraguayenne de 1972, voir MN, vol. II, annexe 81.
58Ibid., par. 2.148.

59MN., par. 3.114. - 29 -

souveraineté d’un Etat, n’a pas soufflé le moindre mot en signe de réserve quant à cette pratique, a

émis des prétentions sur les formations, puis, da ns une de ses nombreuses voltes-faces, a contesté

que qui que ce soit d’autre puisse les posséder 60.

Monsieur le président, il me semble que l’heure est venue de faire une pause, si cela convient

à la Cour.

Le PRESIDENT : Il semble que cela vous convienne également.

35 M. CRAWFORD : Je ferai comme bon vous semble, votre Excellence.

Le PRESIDENT : Nous allons faire une pause-café de 15 minutes. La séance est suspendue.

L’audience est levée de 11h15 à 11h30.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. M.Crawford, vous pouvez

continuer.

M. CRAWFORD :

25. Merci, Monsieur le président. En Austra lie, on dit de quelqu’un qui veut le beurre et

l’argent du beurre qu’il a « a bob each way », en référence aux paris aux courses, expression que

l’on pourrait traduire par «miser sur les deux tableaux». La position initiale du Nicaragua à l’égard

de Quitasueño, consistait à «miser sur les deux tabl eaux». Si c’était une île, c’était son île ; si ce

n’en était pas une, c’était son plateau.

26. Dans sa réplique, le Nicaragua, tout en répétant son exposé des faits sans apporter de

preuves complémentaires, a décidé une fois pour toutes que Quitasueño n’était pas une île. Il a

affirmé que «tous les renseignements disponibles s’étalant sur [une] période de près de 200ans

indiqu[aient] que cette formation constitu[ait] un banc ne comportant ni rochers ni cayes émergés à

61
marée haute », ce qui présente l’avantage de décrire précisément l’objet du différend entre les

Parties. Voici les arguments que je voudrais formuler en réponse.

60
Ibid., par. 3.123.
61RN, p. 116, par. 4.25. - 30 -

27. Tout d’abord, l’existence de Quitasueño en tant qu’île ou d’îles sur Quitasueño n’est pas

déterminée par les «renseignements» qui auraient été «disponibles» par le passé. Qu’il y ait une ou

plusieurs îles présentes dans un secteur donné n’est pas une question d’histoire, c’est une question

de fait. Comme vous l’avez fait observer dans l’affaire Qatar c. Bahreïn , le fait qu’une formation

«n’a jamais été indiquée sur les cartes marines comme une île, mais l’a toujours été comme un

haut-fond découvrant» ne règle en aucune manière la question 62. Celle-ci doit être examinée à la

lumière des témoignages d’experts, seuls recevables pour trancher su r une question de fait dans la

situation actuelle.

28. Mais même si la géographie était une question de fait historique et non de fait

observable, le Nicaragua présente une version erronée de l’histoire. Les «renseignements

disponibles s’étalant sur [une] période de près de 200ans» que la Colombie expose dans le

36 contre-mémoire et qu’elle rappelle dans la duplique indiquent le contraire. Quitasueño a fait l’objet

de revendications de souveraineté ⎯c’est une formation précieuse ⎯ qui ont été reconnues

comme telles par le Nicaragua. Celui-ci fait référence à des levés effectués par le Royaume-Uni au

e 63
début du XIX siècle et par la Colombie elle-même en 1937 ⎯ exactement le type de cartes et de

levés dont vous avez dit dans l’affaire Qatar c.Bahreïn , qu’il ne permettait pas d’établir les faits

64
géographiques . Même M.Chamberlain, ministre d es affaires étrangères, a reconnu dans une

lettre de 1926 l’existence «d’un petit rocher isolé et complètement inhabitable» sur le banc 65. Si le

Royaume-Uni a adopté cette position à l’épo que, comme cela ressort de la lettre de

M.Chamberlain, ce n’est pas parce qu’il pensait que Quitasueño était totalement immergé mais

parce qu’il appliquait un critère de définition de l’ île qui était erroné selon les principes du droit

international énoncés en 1958 et 1982.

29. Le Nicaragua n’explique pas non plus pourquo i les Etats-Unis ont légiféré à l’égard des

îles en tant que formations pouvant faire l’objet d’une appropriation aux fins d’exploitation de leurs

62
Délimitation maritime et questionsterritoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 99, par. 193.
63
RN, p. 117-8, par. 4.28-4.29.
64 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn) , fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 2001, p. 70-71, par. 100 ; p. 85, par. 148. Voir aussi ibid., p. 99, par. 193.

65 Lettre du 7 juillet 1926 : contre-mémoire de la Colombie, vol. II, annexe 47. Voir aussi ibid., par. 4.29. - 31 -

ressources . Il fait référence à des déclarations indiquant la présence de cayes sur

Quitasueño ⎯et il mentionne lui-même l’existence de cayes. Le Nicaragua invoque une

déclaration du XX esiècle dans laquelle les Etats-Unis présentaient la formation en question comme

«une caye», dénomination également utilisée dans le traité de 1928.

30. Le Nicaragua se demande pourquoi «auc une caye ne fut découverte sur le banc 67» à la

suite d’un levé de la marine britannique dans les années 1830. Ce levé portait sur les dangers de la

navigation, dont les récifs de Quitasueño sont un exemple notoire. Même les chercheurs

contemporains, dotés d’équipement de positionnement et d’embarcations motorisées dernier cri,

doivent faire preuve d’une prudence extrême pour appr ocher l’ensemble de la formation. Le droit

maritime, tel qu’il existait dans les années1830, n’ habilitait pas les arpenteurs marins à examiner

de près un endroit aussi dangereux que Quitasueño. Il n’est guère surprenant que les premiers

arpenteurs, dans leurs voiliers en bois, ne s’en so ient guère approchés. Patrick O’Brian dirait que

ce sont les dangers d’une côte sous le vent.

37 31. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, un texte ancien ne saurait

façonner ni effacer la géographie. Une formation géographique ne peut pas non plus disparaître

parce qu’un observateur ne l’a pas remarquée. Les conséquences juridiques de la géographie

peuvent évoluer avec le temps, comme c’est le cas pour les petites formations territoriales en mer.

La règle qui définit les îles aux fins des droits maritimes, que j’ai exposée, est relativement

récente; il en est de même pour l’attribution d’une mer territoriale de 12milles à une formation

d’aussi petite taille. Mais aujourd’hui, les droits générés par les îles (rochers compris) sont

clairement établis. Aucune conséquence juridi que ne découle du fait que les observateurs de

l’époque n’aient pas trouvé ce qui ne revêtait de toute façon aucune importance en vertu du droit

68
d’alors et qu’ils ne cherchaient même pas .

32. Le Nicaragua dénigre les levés récents de la Colombie, à l’origine selon lui d’une

«découverte tardive d’«îles» sur le banc de Qu itasueño», laquelle est «sans incidence sur les

66
Par exemple, Guano Act: US Code, titre 48, chap. 8, par. 1411.
67RN, p. 117, par. 4.28.

68 Frontière terrestre et maritime entr e le Cameroun et le Nigéria (Camer oun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), C.I.J. Recueil 2002 , p.514, par.44 (indiquant que ces cs anciennes portaient les «stigmates des
techniques qui ont servi à l’époque pour les confectionner», même si ceux-ci ne constituent pas un motif de rejet de ces
cartes). - 32 -

conclusions concernant le statut de Quitasueño, comme il ressort des renseignements et de la

pratique des Parties s’étendant sur près de deux siècles 69». Mais qu’il y a-t-il de tardif dans le

comportement d’un Etat défendeur qui procède à un levé sur son territoire lorsqu’un demandeur

obstiné le somme de prouver l’existence d’un titre maritime ou territorial 70? C’est une tentative

dénuée de tout fondement juridique qui vise à discré diter un levé scientifique et ne porte ni sur le

levé au fond ni sur les conclusions qu’il étaye 71.

33. La réplique du Nicaragua est donc une pièce de procédure tour à tour contradictoire et

dénuée de pertinence. Elle n’ajoute rien aux affirmations non étayées qui sont au cŒur du

mémoire. Pourtant, face à cette tentative visant à sous traire à son contrôle une zone où elle exerce

son autorité depuis longtemps et à réduire drastiquement ses espaces maritimes, la Colombie joue

gros. Aussi a-t-elle demandé à M.Robert Smith d’établir une évaluation géographique

indépendante.

34. M. Elferink tourne en dé rision le fait que la hauteur des îles au-dessus du niveau moyen

de la mer a été mesurée au millimè tre près, précision qui ne pouvait être atteinte avec l’instrument

de mesure utilisé. Eh bien c’est exact. En fait, comme le m ontre clairement l’annexe5,

38 l’instrument utilisé pour le levé pe rmet de mesurer au centimètre près 72. L’apparente précision au

millimètre est fonction de la méthode de calcul.

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la situation dans laquelle la

Colombie a estimé nécessaire d’effectuer deux levés des cayes de Quitasueño est inhabituelle.

Normalement, c’est la partie qui formule les allégations factuelles qui présente des éléments de

preuve pour les étayer. Ce n’est pas le cas en l’espèce ⎯ ou du moins, jusqu’à cette semaine. Le

Nicaragua soutient qu’un groupe insulaire, qui relève depuis longtemps de la juridiction

colombienne, laquelle est reconnue de puis longtemps par des Etats tiers dans leur pratique, et qui,

au moins pendant un certain temps, a fait l’ob jet d’une revendication territoriale du Nicaragua

lui-même, n’a pas d’existence juridique ; mais il ne fournit aucun élément de preuve géographique,

69 RN, par. 4.34. Voir aussi ibid., p. 123, par. 4.42.

70 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn) , fond, réplique du
Bahreïn, 30 mai 1999, annexe 13.
71
Voir RN, p. 115-116, par. 4.25.

72 Rapport Smith, annexe 5, 7 colonne, «hauteur relevée sur place». - 33 -

aucune étude, aucun travail de recherche, aucun rapport de mission, aucune information actuelle

objective à l’appui de son affirmation catégorique.

36. Mais si la charge de la preuve incombe à la Colombie, celle-ci a relevé le défi. Elle a

prouvé l’existence de nombreuses formations terr estres sur Quitasueño qui constituent des îles au

sens du droit moderne. Elle a également établi l’ existence de nombreux hauts-fonds découvrants à

quelques milles de ces îles et d’un récif frangeant similaire à de nombreux autres dans le monde qui

ont été considérés comme des points de base appropriés. Il en résulte un domaine maritime

cumulatif qui n’est en rien disproportionné par rapport à son importance dans la région et qui est à

tous égards conforme au droit moderne de la me r. Quitasueño est une formation de grande taille,

administrée par la Colombie, qui revêt une importance particulière en raison de ses pêcheries mais

aussi des responsabilités associées au danger que sa présence constitue pour les navires. Au

deuxième jour du tour de plaidoiries, mieux vaut ne pas trop en dire sur la privation de sommeil.

Quitasueño, en espagnol, signifie bien sûr «empêche de dormir». C’est la marine colombienne qui

entretient deux phares situés sur le banc, sans lesquels de nombreux navires devraient renoncer non

seulement au sommeil mais aussi à l’espoir !

L’attaque lancée in absentia par M. Oude Elferink contre Quitasueño

37. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à l’assaut de

M.OudeElferink contre Quitasueño. Tout comme la prétendue expédition scientifique de

février2012 a fait l’objet de ce que j’appellerais une contrainte in absentia, on pourrait dire que

l’assaut de M. Oude Elferink contre le banc de Quitasueño a eu lieu in absentia : M. Elferink n’y a

jamais mis les pieds et n’a jamais demandé à s’y rendre. Mais il a relevé quatre points auxquels je
39

vais répondre: premièrement, les marées hautes; deuxièmement, l’utilisation d’un niveau de

référence des marées ; troisièmement, les cartes marines colombiennes et quatrièmement, la théorie

des débris coralliens, de la déformation de l’île.

a) Le sens de «marée haute» dans la définition du mot «île»

38. Je commencerai par le sens de l’expression «marée haute» en droit de la mer. - 34 -

39. Le Nicaragua s’oppose à la conclusi on de M.Smith selon laquelle un nombre

considérable de formations constituent des îles au sens du droit international 73. Il semble laisser

entendre que le droit international donne une définition précise de «maréehaute» et que

l’appréciation des faits par la Colombie était déficiente parce que non-conforme à cette définition.

40. Mais le droit international ne contient ri en de tel et ne prévoit pas de règle générale

prescrivant la manière dont les Etats doivent mesurer les marées. Cela ressort de la décision rendue

par la Cour suprême des Etats-Unis en l’affaire United States v. Alaska en 1997, qui fait autorité en

74
la matière . La question qui se posait alors était celle du statut d’une formation mal nommée

Dinkum Sands [sables Dinkum], relativement mouvante et assez fréquemment submergée. Je dis

mal nommée parce que, du moins dans le parler australien, Dinkum signifie «pour de vrai».

41. La Cour suprême n’a pas considéré qu’une formation ne pouvait constituer une île du

simple fait qu’elle était balayée par les vagues à un moment ou à un autre ou que, dans d’autres

circonstances, il arrivait qu’elle soit submergée. Partie à l’affaire, les Etats-Unis ont adopté une

position catégorique: pour constituer une île, Dinkum Sands doit être découverte en permanence,

autrement dit, l’eau, même exceptionnellement, ne doit pas la recouvrir. Cette position fut «rejetée

75
en substance» par le Special Master, qui s’est prononcé sur les faits . Celui-ci a conclu ⎯ et la

Cour suprême a adhéré à sa décision ⎯ que le critère applicable était «dans une certaine mesure

76
plus souple» , à savoir qu’«une île doit être «généralem ent», «normalement» ou «ordinairement»

située au-dessus du niveau de pleine mer moyenne» 77.

40 42. M. OudeElferink a contesté les rapports d’expertise soumis par la Colombie, car, selon

lui, les photos montraient que les îles de Quit asueño, du moins certaines d’entreelles, étaient

parfois couvertes par les vagues : «autrement dit, elles n’émergent pas en permanence» 78. Mais les

termes «enpermanence» n’apparaissent pas dans le critère que nous venons d’énoncer. Le

73CR 2012/9, p. 50-57, par. 32-46 (Oude Elferink).

74521 US.1, 1997.
75
Ibid., p. 24.
76
Ibid.
77Ibid.

78CR 2012/9, p. 52, par. 37 (Oude Elferink) ; les italiques sont de nous. - 35 -

Nicaragua semble adopter une position identique à celle adoptée par les Etats-Unis dans l’affaire

des Dinkum Sands et rejetée par la Cour suprême.

43. Les rédacteurs de la Convention de 1958 n’ont pas non plus réussi à s’accorder sur cette

position. Conformément aux prem ières versions du texte, une formation devait «émerger en

permanence par rapport à la laisse de pleine mer» 79. Le Royaume-Uni a proposé d’insérer

80
l’expression «dans des circonstances normales» [traduction du Greffe] . Les Etats-Unis ont

estimé quant à eux que l’association des expressions «enpermanence» et «dans des circonstances

normales» n’était ni logique ni fondée en droit international. Lors de la conférence de 1958, ils ont

déclaré qu’«il n’exist[ait] pas de pratique d’Etat établie quant à l’effet de l’action [submergeante],

anormale ou saisonnière des marées sur le statut des îles» 81 [traduction du Greffe] , ce qui a

entrainé l’abandon des deux termes restrictifs, puis l’adoption du texte ainsi modifié. Se fondant

sur les travaux de rédaction, la Cour suprême des Etats-Unis, dans son interprétation de la

convention, est parvenue à la conclusion suivan te: «même si une formation est submergée au

moment de la marée mensuelle la plus haute pe ndant une saison donnée ou dans des circonstances

climatiques exceptionnelles, elle peut se situer au-dessus du niveau «de pleine mer moyenne» et

être donc considérée comme une île» 82.

44. Cette conclusion demeure valide aujourd’hu i, rien ne l’a modifiée depuis: le droit

international ne prévoit pas de loi sur les maré es ou sur leurs mesures. D.P.O’Connell a fait

observer que les définitions appliquées dans la pratique variaient considérablement : plus haute mer

astronomique, pleines mers moyennes de vive eau , pleines mers moyennes de morte eau, niveau

moyen de la mer, pour ne citer que ces exemples 83.

79 Rapport de J.P.A. François, rapporteur sp écial sur le régime des eaux territoriales, Annuaire de la commission

du droit international, 1952, vol. .II, p. 25, 36, Nations Unies, doc. A/CN.4/53.
80 Summary Records of the 260 thmeeting, 1954, Annuaire de la commission du droit international , 1954, vol.I,

p. 92.
81 United Nations Conference on the Law of the Sea, Of ficial Records: First Committee (Territorial Sea and
Contiguous Zone), Summary Records of Meetings and Annexes, 1958, UN doc. A/CONF.13/C1./L.112, p. 242.

82 521 US, p. 26-27.

83 O’Connell, The International Law of the Sea, 1982, vol. I, p. 173. - 36 -

41 b) Le niveau de référence des marées approprié

45. J’en viens à la question du «niveau de référence des marées approprié». Le Nicaragua ne

se contente pas de déterminer la marge continentale de la Colombie à la place de celle-ci, il prétend

également nous dire quel niveau de référen ce des marées utiliser. Apparemment, le droit

international rejette l’utilisation du modèle de marée FES 95.2 élaboré à Grenoble et impose celui

84
appelé «Admiralty Total Tide Model» . Mais la communauté intern ationale n’a pas adopté de

norme universelle sur le modèle à utiliser.

46. La convention de 1982 autorise les Etats cô tiers à appliquer les critères techniques qu’ils

jugent appropriés. Le service hydrographique colombien est composé d’hydrographes compétents

qui ont une bonne connaissance des normes cartographiques: leur rapport technique figure à

l’appendice 1 de l’annexe 4 de la duplique. Leurs recommandations réfléchies sur le modèle utilisé

ne devraient pas être mises en cause par la Cour.

47. Dans ce contexte, permettez-moi de cite r le manuel publié en1993 par l’organisation

hydrographique internationale (OHI) :

«Etant donné que les caractéristiques des marées varient considérablement dans
le monde, il n’a pas été possible de convenir d’une définition scientifique précise du
niveau de référence pour les cartes marin es qui pourrait être utilisée universellement.

(Au cours des 200dernières années, les méthodes de calcul de ce niveau ont varié
selon les pays, en fonction généralement du type de marée prédominant.) Il n’existe à
ce jour que des lignes directrices générales.» 85 [Traduction du Greffe.]

48. Le Nicaragua souhaite que vous rejetiez le modèle utilisé par les experts de la Colombie

pour mesurer les formations de Quitasueño. Mais le modèle de Grenoble choisi par M. Smith est

largement appliqué à l’échelle internationale. Le Nicaragua semble croire que le droit international

contient une norme technique précise sur la mesure des marées. C’est sur cette base qu’il affirme

86
que le rapport Smith, fondé sur le modèle de Grenoble, doit être rejeté .

49. Pour les raisons que je viens d’exposer, cette affirmation est fausse, en tout cas en

principe. En réalité, il existe une base scientif ique suffisante pour justif ier le modèle que nous

avons adopté. Je vous renvoie à deux articles su r les marées dans la mer des Caraïbes publiés dans

84CR 2012/9, p. 51, par. 33-34 (Oude Elferink)
85
OHI, Manual on Technical Aspects of the LOS Convention, 1993, p. 68, par. 3.4.
86CR 2012/9, p. 51, par. 33 (Oude Elferink). - 37 -

le Journal of Geophysical Research, revue dont les articles sont examinés par des spécialistes dans

le monde entier. Le premier article, publié en 1981, indique que dans la région de Quitasueño

l’amplitude moyenne de la marée est toujours inférieure à50cm 8. Le second, qui date de2011,

42 confirme cette conclusion d’il y 30 ans et compare les harmoniques des marées, les marégraphes et

le modèle FES 2004, version mise à jour du FES 95.2 auquel M. Elferink s’est référé. Il conclut à

une concordance importante entre les marées observées et les marées modélisées, avec des

différences d’amplitude harmonique inférieures à 1,5cm 88. Ainsi, la mesure de la marée

astronomique la plus haute obtenue à l’aide de l’ Admiralty Total Tide, qui présente une différence

de plus d’undemi-mètre avec le modèle FES, est inexacte. De plus, la méthode appliquée pour

calculer la marée astronomique la plus haute av ec le modèle FES est clairement exposée dans le

rapport de M. Smith, alors que le Nicaragua n’a pas représenté à la Cour la méthode suivie avec le

modèle Admiralty Total Tide. Je préciserais que des exemplai res de ces deux rapports relevant du

domaine public ont été communiqués au Nicaragua et au greffier.

50. Soit dit en passant, si nous retenons, co mme le propose le Nicaragua, la valeur de

0,8mètre pour la marée astronomique la plus ha ute, celle de la plus basse serait de près de

0,8 mètres en-dessous du niveau moyen de la mer, et non 0,29 mètre comme l’a dit M. Smith (voir

annexe4). Il en résulterait que la plupart d es formations de Quitasueño seraient considérées

comme des hauts-fonds découvrants.

51. Pour conclure, rien en droit internati onal ne justifie le rejet des mesures prises à

Quitasueño. Celles-ci étaient modérées, exactes et claires dans leur identification des multiples

formations de ce banc qui répondent aux critères énoncés dans la définition juridique d’une île.

c) Les cartes marines colombiennes

52. Permettez-moi d’aborder brièvement la question des cartes marines colombiennes,

auxquelles M. Elferink s’est beaucoup référé tout en raisonnant sur la date critique 89. A l’en croire,

la carte et ce qu’elle montre l’emportent sur les faits géographiques. Ce n’est pas ce que vous avez

87
B. Kjerfeve, «Tides of the Caribbean Sea», 1981, 86 J Geophysical Res 4243-4247.
88
R. Torres et M.N. Tsimplis, «Tides and long term modulations in the Caribbean Sea», 2011, 116 J Geophysical
Res C10022.
89CR 2012/9, p. 58, par. 49 (Oude Elferink). - 38 -

dit ou fait dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, comme je l’ai montré. M. Elferink ajoute que les toutes

premières cartes marines colombiennes sont «hauteme nt pertinentes pour déterminer s’il existe des

effectivités concernant ces îles. La Colombie n’a découvert les débris coralliens à Quitasueño

90
qu’en 2008 et 2009.» Mais les effectivités n’ont aucun rapport avec les faits géographiques ou

avec leur détermination. Je reviendrai plus longuement sur la question des cartes marines la

semaine prochaine.

43 d) La théorie des «débris coralliens»

53. Quatrièmement, je constate avec étonnement qu’une nouvelle théorie a vu le jour. La

théorie des pauvres débris coralliens, si elle était confirmée, augmenterait considérablement le

nombre de sans-abris dans le monde. Citons donc M. Elferink : «un débris corallien, autrement dit

une partie du squelette d’un animal mort, n’est pas une étendue naturelle de terre» 91. Bien entendu,

nous avons eu un débat très animé sur la question de savoir si l’action de l’homme, par exemple la

construction de remblais avec des matériaux na turels, conduit à la formation d’«étendue[s]

naturelle[s] de terrain». Selon certains, c’est ce qui finit par arriver. Mais je ne connais pas

d’exemple de formations auxquelles le caractère insulaire n’a pas été reconnu parce qu’elles étaient

en corail. Selon sirDerekBowett: «[m]êm e si ces îles [les îles coralliennes] ne font

géologiquement pas partie du fond marin, elles constituent néanmoins des formations

«naturellement formées» et il n’a jamais été mi s en doute qu’elles généraient une mer territoriale

comme les îles normales» 92 [traduction du Greffe] . La convention de1982 renvoie aux îles

coralliennes ⎯ atolls ⎯ en son article6, et de nouveau aux paragraphes1 et7 de son article47.

Le fait que ces îles se sont formées à partir «de squelettes d’animaux morts» ne les disqualifie en

rien. Un grand nombre d’îles sont de nature co rallienne. Les habitant s des Maldives seraient

surpris, voire alarmés, par la théorie des pauvr es débris coralliens. Ils pourraient craindre que,

après avoir fait disparaître un archipel, les conseils de la partie adverse ne trouvent facile d’en faire

disparaître d’autres.

90Ibid.
91
CR 2012/9, p. 56-57, par. 44-46, et particulièrement p. 56-57, par. 46 (Oude Elferink).
92D. W. Bowett, The Legal regime of islands in international law (Oceana, 1979), p. 5. - 39 -

54. Je voudrais faire observer que l’étude de l’OHI reconnaît clairement qu’un corail peut

93
servir de ligne de base, autrement dit, qu’il est naturel

55. Enfin, pour ce qui est des débris coralliens, je vous invite à regarder les images. Elles

illustrent ce que M. Smith a vu : des rochers coralliens fixés au substrat.

Conclusion

56. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour ces motifs, les

arguments de M.Elferink ne tiennent pas. Qu itasueño est juridiquement tel que nous l’avons

décrit.

44 Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Monsieur le président , je vous prie de bien vouloir donner la parole à mon collègue,

M. Bundy, qui examinera les arguments du Nicaragua sur la délimitation. Je vous remercie.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Crawford. Je donne à présent la parole à

M. Bundy. Monsieur Bundy, vous avez la parole.

M. BUNDY :

3.L ES REVENDICATIONS DE DÉLIMITATION MARITIME DU N ICARAGUA

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

1. Introduction

1. Ma tâche consiste à examiner les prétentions du Nicaragua.

2. C’est à dessein que je parle de «prétentions», car l’un des aspects les plus remarquables de

la présente affaire est que les revendications maritimes du Nicaragua, et la base sur laquelle elles

sont censées reposer, ont radicalement changé à un stade très avancé de la procédure. Ce

changement a transformé du tout au tout l’objet du différend que le Nicaragua a demandé à la Cour

de trancher.

93
Etude de l’OHI, par. 4.6.1.4. - 40 -

3. Dans sa requête, le Nicaragua priait la C our de déterminer le tracé d’une frontière

maritime unique entre les portions de plateau c ontinental et les zones économiques exclusives

94
relevant des Parties .

4. Cette demande a été réitérée dans le mémo ire, dans lequel le Nicaragua a revendiqué une

frontière maritime unique basée sur la ligne médian e entre les côtes continentales respectives des

95
Parties . La même prétention a été maintenue dans les observations écrites du Nicaragua sur les

exceptions préliminaires d’incompétence de la Colombie 96, ainsi qu’au cours de la plaidoirie lors

97
des audiences consacrées à ces exceptions tenues en 2007 .

5. Comme je l’ai fait observer ce matin, le c ontre-mémoire de la Co lombie a montré qu’il

n’y avait aucune base juridique à la revendica tion nicaraguayenne relative à une ligne médiane

entre masses continentales.

45 6. Dans sa réplique, le Nicaragua a été forcé d’accepter ce fait, puisqu’il a indiqué dans sa

réplique :

«Une délimitation des zones éc onomiques exclusives revendiquées
respectivement par le Nicaragua et la Colombie ne s’impose pas, puisque les côtes

continenta98s des deux pays sont séparées par une distance supérieure à 400milles
marins.»

7. Au cours de la procédure orale relative à la requête à fin d’intervention du Costa Rica, le

conseil du Nicaragua a fait observer ce qui suit : «Certaines choses sont d’une évidence tellement

99
aveuglante qu’elles passent inaperçues même aux yeux des plus fins observateurs» . On a

probablement affaire à l’une de ces choses. S’ il n’est pas besoin d’une délimitation des zones

économiques exclusives entre les deux côtes con tinentales des Parties parce qu’elles sont trop

éloignées l’une de l’autre, il n’y a de toute évidence aucun fondement à la revendication tendant à

ce qu’une frontière maritime unique soit délimit ée entre les masses continentales. Cette

revendication s’évapore donc d’elle-même.

94RN, par. 8.

95MN, par. 3.28, et conclusions, par. 9.
96
Voir par. 3.40.
97
CR 2007/17, p. 22, par. 6.
98RN, p. 59, par. 1.

99CR 2010/13, p. 29, par. 1 (Reichler). - 41 -

8. Ce n’est que dans sa réplique que le Nicaragua a reconnu qu’il y avait un problème. C’est

la raison pour laquelle il a décidé d’abandonner sa revendication re lative à une frontière maritime

unique.

9. Comment le Nicaragua a-t-il traité ce problème ? Dans sa réplique, il a décide de modifier

du tout au tout la nature de sa prétention, sur leplan du droit comme sur celui des effets. Ayant

d’abord fait valoir que la géologie et la géomorphologie ne jouaient aucun rôle dans l’affaire, le

Nicaragua a modifié sa position, renonçant à sa revendication d’une ligne médiane entre les deux

masses continentales, écartant la règle de l’é quidistance et des circonstances pertinentes et

augmentant au contraire que la Cour ne devrait délimiter que le plateau continental entre les deux

Etats selon un partage de la marge continentale, et ce, sur la base de la nouvelle prétention qu’il a

formulée concernant le plateau continental étendu et d’une hypothèse quant à l’emplacement des

marges continentales des deux Parties.

10. La portée de ce changement de cap est rema rquable. En faisant valoir, huit ans après le

début de l’affaire, que la Cour devrait se borne r à délimiter des marges continentales, géologiques

et géomorphologiques, se trouvant à plus de 200m illes marins de la côte nicaraguayenne, mais

résolument dans les limites des 200milles marins à partir de la côte continentale colombienne et

des îles de la Colombie, le Nicaragua n’a pas simplement reformulé sa revendication, il a changé

l’objet même de l’affaire.

11. Mais ce changement n’a guère amélio ré la position du Nicaragua. Alors que son
46

ancienne revendication était non fondée sur le plan juridique, sa nouvelle prétention est

inadmissible, sans précédent, entachée de vice juridique et sans le moindre fondement.

12. J’aborderai ces questions sous peu. Avant de le faire, j’aimerais toutefois consacrer

quelques minutes à la revendication initiale du Nicar agua afin de mettre en perspective sa nouvelle

revendication.

2. La revendication initiale du Nicaragua

a) Requête du Nicaragua

13. Le Nicaragua est le requérant en cette a ffaire. Il a institué la présente instance le

6 décembre 2001 en déposant sa requête. - 42 -

14. Les Etats qui engagent une procédure devant la Cour réfléchissent longuement à la nature

de leur revendication avant d’introduire leur requête . Le Nicaragua ne fait pas exception. Dans sa

requête, il a indiqué que son président avait annoncé, dès décembre 1999, qu’il engagerait une

action contre la Colombie 10.

15. Le Nicaragua exposait donc la nature du différend qu’il en tendait porter devant la Cour

au moins deuxans avant d’avoir engagé la procé dure. Les demandes formulées dans la requête

doivent donc être considérées comme correspondant à la position du Nicaragua quant à l’objet du

différend qu’il souhaite voir la Cour trancher.

16. En ce qui concerne la délimitation maritime, la requête demandait à la Cour

«de déterminer le tracé d’une frontière ma ritime unique entre les portions de plateau
continental et les zones économiques exclusives relevant respectivement du Nicaragua
et de la Colombie, conformément aux principes équitables et aux circonstances

pertinentes que le droit inte101tional gé néral reconnaît comme s’appliquant à une
délimitation de cet ordre» .

Rien n’indique donc que le Nicaragua demandait uniquement une délimitation du plateau

continental géologique ou qu’il estimait avoir des dr oits sur un plateau continental étendu à plus de

200 milles marins de ses côtes.

47 b) Mémoire du Nicaragua

17. En avril2003, le Nicaragua a présenté son mémoire, dans lequel il répétait la demande

qui figurait dans sa requête, à savoir que la Cour détermine le tracé d’une frontière maritime unique

entre les Parties 102.

18. En ce qui concerne les questions de principe, le Nicaragua a indiqué que les principes

juridiques applicables étaient ceux qui s’appliquaient «à une délimitation de cet ordre», et non ceux

qui avaient trait à l’établissement de limites du plateau continental étendu ou au partage des marges

continentales 103.

100RN, par. 7.
101
Ibid., par. 8.
102
MN, par. 3.3 ; et conclusions, p. 266-267.
103RN, par. 8 ; MN, par. 3.37. - 43 -

19. Conformément à ce raisonnement, dans sa neuvième conclusion, le Nicaragua demande

officiellement à la Cour de dire et juger ce qui suit :

«Dans le cadre géographique et juridi que constitué par les côtes continentales

du Nicaragua et de la Colombie, la forme appropriée de délimitation consiste à tra104
une frontière maritime unique suivant une ligne médiane entre lesdites côtes.»

20. La manière dont le Nicaragua traite la géologie et la géomorphologie est tout aussi

intéressante. Alors qu’il a consacré 80 pages à la délimitation maritime dans son mémoire, ce qu’il

pense de ce qu’il a appelé «l’importance de la géologie de la géomorphologie» tenait en une seule

phrase. Etant donné que sa nouvelle revendication c oncernant le plateau continental étendu repose

exclusivement sur des éléments relatifs à la géologie et à la géomorphologie, il importe de rappeler

l’importance qu’il accorde à ces facteurs dans son mémoire. Voici ce que le Nicaragua avait à

dire :

«Pertinence de la géologie et de la géomorphologie

3.58. Du point de vue du Gouvernement du Nicaragua, les facteurs géologiques
et géomorphologiques ne présentent pas d’inté rêt pour la délimitation d’une frontière
maritime unique à l’intérieur de l’aire de délimitation.»

21. On ne saurait rêver d’une expression de position plus claire.

3. La nouvelle prétention que le Nicaragua formule dans sa réplique

22. En une volte-face complète, le Nicaragua demande à présent à la Cour de délimiter le

plateau continental géologique et géomorphologique entre les deux Parties. Et il ne s’agit pas

délimiter n’importe quel plateau continental, mais celui qui, en certains endroits, se situe à plus de

400 milles marins de la côte continentale du Nicaragua !

48 23. Selon cette thèse, le Nicaragua a des droits énormes sur la marge continentale, tandis que

la Colombie n’a même pas droit aux 200 milles marins que le droit lui reconnaît tant à partir de ses

îles qu’à partir du continent.

24. Ayant résumé l’évolution des revendicati ons nicaraguayennes, je vais à présent aborder

les raisons pour lesquelles la nouvelle revendication du Nicaragua est irrecevable, et sans

fondement juridique ni factuel.

104
MN, p. 266-267. - 44 -

a) La nouvelle prétention du Nicaragua est irrecevable

25. En ce qui concerne la recevabilité de sa nouvelle revendication concernant le plateau

continental, le Nicaragua n’en a rien dit dans s on premier tour de plaidoiries. Le bonheur réside

peut-être dans l’ignorance, Monsieur le préside nt, mais l’ignorance ne fait pas disparaître les

problèmes.

26. Pour déterminer la recevabilité de la re vendication nicaraguayenne relative au plateau

continental, il faut se reporter au paragraphe 1 de l’article 40 du St atut de la Cour, qui dispose que

«l’objet du différend» doit être indiqué dans la requête. Le paragra phe2 de l’article38 du

Règlement de la Cour précise que, lorsqu’une instance est introduite devant la Cour par une

requête, la requête indique la nature précise de la demande. A plusieurs reprises, la Cour a affirmé

qu’elle considérait ces dispositions «comme essentiell es au regard de la sécurité juridique et de la

bonne administration de la justice» ( Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c.Australie),

exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69) 10.

27. La requête du Nicaragua précisait l’objet du différend et la nature de la prétention

nicaraguayenne. Le Nicaragua demandait à la Cour de déterminer le tracé d’une frontière maritime

unique conformément aux principes du droit inte rnational applicables aux frontières maritimes

uniques.

28. Le Nicaragua a exposé la même position da ns son mémoire, qui ne contenait aucune

demande tendant à ce que la Cour délimite uniquement le plateau continental, sur la base de droits

présumés à un plateau continental étendu ou à des ma rges qui se chevauchent. Il a même insisté

sur le fait que la géologie et la géomorphologie n’étaient pas pertinentes. L’objet du différend,

ainsi que son fondement juridique, demeurait donc la délimitation d’une frontière maritime unique.

49 29. Le Nicaragua a maintenu cette position da ns le cadre des exceptions préliminaires

relatives à la compétence soulevées par la Colombie. Aussi tard que 2007, M. Pellet a fait observer

au cours des audiences consacrées aux exceptions préliminaires :

105
Voir également, Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 108 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée
c. République démocratique du Congo), arrêt du 30 novembre 2010, par. 38. - 45 -

«Est-il besoin de rappeler que celui-ci est fixé par le demandeur, dans sa

requête, et pr106sé, toujours par celui-ci, dans le mémoire, et non pas par le
défendeur ?»

30. Tout cela est très bien. La demande du Nicaragua d’une frontière maritime unique était

l’objet exposé dans la requête du Nicaragua et dans son mémoire. C’est par conséquent sur ce sujet

que la Colombie a répondu lorsqu’elle a déposé son contre-mémoire en novembre 2008.

31. Ce n’est que par la suite que la nature du différend dont le Nicaragua a saisi la Cour a

entièrement changé. La nouvelle revendication du Nicaragua en ce qui concerne le plateau

continental soulève une multitude de nouvelles questions ⎯certaines ayant trait au fondement

juridique de la demande, d’autres étant de nature technique ⎯ sur lesquelles la Cour devrait statuer

si elle décidait de connaître de la demande du Nicaragua. Ces questions sont sans rapport avec

l’objet du différend qu’il avait initialement demandé à la Cour de trancher et avec les principes

juridiques qui étaient, selon lui, applicables.

32. La Cour a maintes fois conclu qu’une nouvelle demande qui transforme l’objet du

différend initialement soumis est irrecevable. Ce principe, qui est implicitement contenu à

l’article 40 de son Statut et à l’article 38 de son Règlement, a été entériné par la Cour permanente

dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 4 février1933 en l’affaire relative à l’ Administration du

Prince von Pless, considérant «qu’aux termes de l’article40 du Statut, c’[était] la requête qui

indiqu[ait] l’objet du différend ; que le mémoire, to ut en pouvant éclaircir les termes de la requête,

o
ne p[ouvai]t pas dépasser les limites de la demande qu’elle cont[enai]t» (C.P.J.I., Série A/B, n 52,

p. 14).

33. La Cour permanente a confirmé ce principe dans l’affaire de la Société commerciale de

Belgique, exposant sa position comme suit :

«Il y a lieu d’observer que la faculté laissée aux parties de modifier leurs
conclusions jusqu’à la fin de la procédure orale doit être comprise d’une manière
raisonnable et sans porter atteinte à l’article 40 du Statut et à l’article32 [article38

actuel], alinéa2, du Règlement, qui dispo sent que la requête doit indiquer l’objet du
différend.»

La Cour permanente a ajouté :

106
CR 2007/17, p. 22, par. 4 (Pellet). - 46 -

50 «il est évident que la Cour ne saurait ad mettre, en principe, qu’un différend porté
devant elle par requête puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux
conclusions, en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même» ( Société
o 107
commerciale de Belgique, arrêt, 15 juin 1939, C.P.J.I. série A/B n 78, p. 173) .

34. Cela dit, ces déclarations correspondent au ssi aux vues que la Cour actuelle a exprimées

dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire de Certaines terres à phosphates à

Nauru. S’agissant de la question de savoir si une nouvelle demande pouvait être tenue pour incluse

dans la demande initiale, la Cour a, en l’espèce, également fait observer ce qui suit :

«il ne saurait suffire que des liens de nature générale existent entre ces demandes. Il
convient que la demande additionnelle soit implicitement contenue dans la
requête…ou découle «directement de la question qui fait l’objet de cette
108
requête».»

35. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en2010 dans l’affaire Diallo, la Cour a eu l’occasion de

développer la jurisprudence sur la question de la recevabilité d’une nouvelle demande introduite à

un stade avancé de l’instance. Il s’agissait, sel on la Cour, de savoir si, «bien que formellement

nouvelle, la demande en question ne p[ouvai]t être considérée comme étant matériellement incluse

dans la demande originelle» ( ibid., par.40, où sont citées les affaires Nicaragua c. Honduras et

Certaines terres à phosphates à Nauru ). Pour répondre à cette question, la Cour a puisé dans sa

jurisprudence en énonçant les deux critères su ivants: la demande additionnelle doit être

implicitement contenue dans la requête ou découler directement de la question qui fait l’objet de la

requête 109.

36. La nouvelle revendicati on du Nicaragua concernant le plateau continental ne remplit

aucun de ces deux critères.

37. Au regard de la question de savoir si la nouvelle demande est im plicitement contenue

dans la requête, il est essentiel de déterminer si le fondement juridique des deux demandes est le

10Voir aussi Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 267, par. 70-71.

108Certaines terres à phosphates à Nauru (N auru c. Australie), exceptions prélim inaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1992, p. 266, par. 67 ; Différend territorial et maritim e entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 110 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée
c.République démocratique du C ongo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 , p.18, par.41; et voir aussi Temple de PréahVihéar
(Cambodge c.Thaïlande), fond , arrêt, C.I.J. Recueil1962 , p.36 et Compétence en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72.

109 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée cR. épublique démocratique du Congo) , arrêt,
C.I.J. Recueil 2010, par. 41. - 47 -

110
même ⎯un point sur lequel la Cour a insisté dans l’affaire Diallo . En la présente espèce, le

fondement juridique de la nouvelle demande du Nicaragua concernant le plateau continental diffère

totalement de celui de la demande initiale portant sur une frontière maritime unique.

51 38. En ce qui concerne sa demande initiale, le Nicaragua a insisté sur le fait que le choix de

111
la méthode pertinente de délimitation dépendait essentiellement de la géographie . Comme je l’ai

rappelé, à ce stade-là, selon le Nicaragua, «l es facteurs géologiques et géomorphologiques ne

112
présent[ai]ent pas d’intérêt» . Comme l’a souligné M.Pellet au stade des exceptions

préliminaires de la présente instance, la Cour devrait s’en tenir à la méthode en deux étapes

⎯tracer une ligne d’équidistance provisoire et prendre en considération toutes les circonstances

113
spéciales ⎯, méthode qu’elle suit systématiquement dans les affaires de délimitation .

39. La nouvelle prétention du Nicaragua est diamétralement opposée à la position

susmentionnée. Le Nicaragua ne demande plus la délimitation d’une frontière maritime unique

fondée sur la règle de l’équidistance et des circonstances pertinentes ; M. Reichler a soutenu l’autre

114
jour que la méthode de l’équidistance n’était, en l’espèce, pas la bonne . Le Nicaragua l’a

remplacée par une délimitation de la marge contin entale reposant sur cinq nouveaux paramètres : il

s’agit, premièrement, d’accepter l’allégation selon laquelle il peut prétendre à des droits sur un

plateau continental étendu à plus de 200milles ma rins de sa côte; deuxièmement, d’établir la

position des points situés à distance du pied du talus utilisés pour fixer les limites extérieures de la

marge continentale du Nicaragua; troisièmement, de fixer les limites extérieures de cette marge

continentale mesurée à partir du pied du talus, en tenant compte des critères relatifs aux contraintes

énoncés dans la convention; quatrièmement, de déterminer l’emplacement des points du pied du

talus et l’épaisseur des roches sédimentaires aux fins du calcul de la marge géologique de la

Colombie; et cinquièmement, de partager en parts égales ces marges géologiques qui se

chevaucheraient.

110 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée cR. épublique démocratique du Congo) , arrêt,
C.I.J. Recueil 2010, par. 43-44.

111MN, par. 3.14.
112
Ibid., par. 3.58.
113CR 2007/19, p. 15, par. 9 (Pellet).

114CR 2012/10, p. 28, par. 4 (Reichler). - 48 -

40. Or, les règles permettant de trancher des questions de cet ordre diffèrent totalement de

celles invoquées par le Nicaragua dans sa requête et dans son mémoire. Elles dépendent de la

question de savoir si le Nicaragua a pu établir d’autres droits sur le plateau continental étendu qui

iraient jusqu’aux limites de la marge continentale telle que définie à l’article 76 de la convention de

1982. Cette question dépend, à son tour, de l’ emplacement du pied du talus et des marges

géologiques des deux pays, et de celle de savoir si la Colombie peut être systématiquement privée

de ses droits ipso facto à un plateau continental de 200 milles et si la règle de l’équidistance et des

circonstances pertinentes peut être écartée en fa veur d’une demande reposant sur une division de

marges continentales qui se chevauch eraient. Je dirais que, vue s ous cet angle, la demande du
52

Nicaragua ne saurait être considérée comme étant im plicitement contenue dans sa requête ou dans

son mémoire.

41. Selon le même raisonnement, la nouvelle demande du Nicaragua ne saurait davantage

procéder directement de la ques tion faisant l’objet de la requê te. Les objets des deux demandes

divergent complètement: le premier consistait en la délimitation d’une frontière maritime unique

fondée sur la géographie et sur la règle de l’équidistance et des circonstances pertinentes; le

second, c’est-à-dire le nouveau, consiste en une dé limitation de la marge continentale fondée sur

des droits hypothétiques applicables au plateau cont inental étendu, ainsi que sur la géologie, la

géomorphologie et une théorie du «partage des marges en parts égales».

42. Pour déterminer le tracé de la frontière maritime unique entre les Parties ⎯ ce qui

constituait, après tout, l’objet initial de la présente affaire ⎯, la Cour n’aura pas besoin de trancher

la question de savoir si le Nicaragua possède des droits sur le plateau continental au-delà de

200milles ni celle de l’emplacement des limites extérieures des marges continentales de la

Colombie ou du Nicaragua. Il suffit à la Cour d’ appliquer à la zone pertinente la règle de

l’équidistance et des circonstances pertinentes pour la délimitation.

43. Lundi, l’éminent agent du Nicaragua a déclaré que son pays avait d’emblée demandé à la

Cour de délimiter, conformément au droit inte rnational, l’ensemble des zones maritimes des

Parties, et que c’est ce que le Nicaragua continue de demander 115. Avec tout le respect qui lui est

115
CR 2012/8, p. 24, par. 43 (Argüello Gómez). - 49 -

dû, ce n’est pas tout à fait exact. Le Nicaragua avait initialement demandé à la Cour de délimiter

une frontière maritime unique sur la base des principes juridiques applicables aux frontières

maritimes uniques. En outre, comme je l’ai indi qué, la Cour a conclu à maintes reprises qu’il ne

suffit pas qu’existent des liens de nature générale entre la demande initiale et la nouvelle

demande 11. Le fait que l’on puisse dire que les deux demandes couvrent, de manière générale, un

certain type de délimitation n’est donc pas suffisant. En effet, les délimitations visées ne relèvent

pas du même régime juridique ; elles reposent sur d es principes et règles de droit différents et sur

des hypothèses factuelles qui divergent complèteme nt. La nouvelle dema nde du Nicaragua ne

saurait être considérée comme étant matériellement incluse dans sa demande initiale.

53 44. Pendant des années, l’affaire avait pour ob jet la délimitation d’une frontière maritime

unique. Et je pourrais ajouter qu’il en a également été ainsi dans l’affaire Nicaragua c. Honduras,

au cours de laquelle le Nicaragua lui-même a souligné qu’une ligne de délimitation unique

constituait et devait constituer la règle générale 117. La nouvelle demande du Nicaragua concernant

le plateau continental est sans rapport avec l’objet originel du différend. C’est pour ces raisons,

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, que la nouvelle demande est

irrecevable. L’objet du différend reste la délimitation d’une frontière maritime

unique ⎯délimitation à laquelle il convient de procéder par rapport aux côtes pertinentes des

Parties, et non par rapport à leurs côtes non pertinentes.

b) En tout état de cause, la nouvelle demande du Nicaragua n’est fondée ni en droit ni en fait

45. Cela dit, quand bien même la nouvelle demande du Nicaragua serait recevable—ce

qu’elle n’est pas —, elle se heurterait toujours à des obstacles insurmontables. Je m’explique.

46. Sur le plan juridique, elle pèche parce que le Nicaragua n’a pas démontré qu’il avait, au

titre de la convention de 1982, un droit à un plat eau continental étendu qui pourrait fonder la ligne

de «partage des marges continentales» qu’il re vendique. Sur le plan des faits, les prétendues

116Certaines terres à phosphates à Nauru (N auru c. Australie), exceptions prélim inaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1992, p. 266, par. 67 ; Différend territorial et maritim e entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes

(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 110 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée
c.République démocratique du Congo), arrêt du 30novembre2010 , par.41; et voir aussiTemple de PréahVihéar
(Cambodge c.Thaïlande), fond , arrêt, C.I.J. Recueil1962 , p.36 et Compétence en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72.
117MN, Nicaragua c. Honduras, p. 94, par. 15. - 50 -

«preuves» qu’il a produites dans sa réplique sont complètement viciées, et ne constitueraient même

pas un commencement de preuve pour la Commission des limites du plateau continental.

47. Dans sa duplique, la Colombie a fait valoir que le Nicaragua n’avait pas démontré avoir

droit à un plateau continental étendu car, bien que partie à la convention, il n’avait pas déposé de

dossier devant la Commission, qui n’avait donc formulé aucune recommandation sur la base de

laquelle il pourrait établir les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200milles

marins en tant que limites «définitives et de caract ère obligatoire», comme prévu au paragraphe 8

118
de l’article 76 de la convention de 1982 .

48. M. Lowe a convenu que les droits d’un Etat sur des espaces maritimes devaient avoir été

119
établis avant qu’une délimitation puisse être envisagée . Il a également dit que le plateau

continental engendrait une souveraineté de plein droit—soit, en d’autres termes, des droits

120
54 souverains qui existeraient ipso facto et abinitio et ne souffriraient aucune distinction, qu’ils

portent sur les 200 milles marins partant de la côte ou sur les eaux situées au-delà.

49. Toutefois, mon bon ami a ensuite ajouté que l’existence d’un plateau continental était

essentiellement une question de fait, et il a semblé c onsidérer que le Nicaragua n’avait plus rien à

prouver à cet égard puisque la géologie parlait d’elle-même 121. M. Lowe a ajouté que, même si la

Colombie n’était pas partie à la convention de1 982, le Nicaragua ne pouvait pas être privé des

droits qu’il tenait de la convention et du droit international général 122.

50. Il ne fait aucun doute que, étant partie à la convention, le Nicaragua retire certains droits

de celle-ci, mais aussi certaines obligations. L’une de ces obligations concerne les démarches à

accomplir s’il souhaite repousser les limites de son plateau continental à plus de 200 milles marins

de sa côte.

51. MM. Cleverly et Lowe se sont l’un et l’au tre référés au paragraphe 1 de l’article 76 de la

convention, qui prévoit que le plateau continen tal d’un Etat côtier s’étend au-delà de sa mer

territoriale sur toute l’étendue du prolongement na turel du territoire terrestre de cet Etat jusqu’au

118DC, par. 4.45.

119CR 2012/9, p. 23, par. 10 (Lowe).
120
Ibid., p. 24, par. 15 (Lowe).
121Ibid., p. 26, par. 25 et 28 (Lowe).

122Ibid., p. 24, par. 13 (Lowe). - 51 -

rebord externe de la marge continentale, ou jusq u’à 200milles marins si ce rebord ne va pas

123
jusque-là .

52. La nouvelle prétention du Nicaragua au-del à des 200 milles marins, mesurés à partir de

ses lignes de base, repose sur ce qu’il présente comme le rebord externe de sa marge continentale.

M.Lowe s’est bien gardé de dire que le paragr aphe8 de l’article76 exposait ce qu’un Etat—un

Etat partie à la convention s’entend—devait fa ire pour établir le rebord externe de la marge

continentale et, ainsi, conférer un caractère défin itif et contraignant aux limites extérieures de son

plateau continental. Il a également omis de pr éciser ce que ces prescriptions impliquaient pour la

nouvelle demande du Nicaragua concernant le plateau continental: le rebord externe de la marge

continentale devrait être fixé. Ni M.Cleverly ni M.Lowe n’ayant cité le paragraphe8 de

l’article 76, il me semble opportun d’en rappeler la te neur. En voici le texte à l’écran. La Cour le

connaît déjà certainement :

«L’Etat côtier communique des informa tions sur les limites de son plateau
55
continental, lorsque celui-ci s’étend au-d elà de 200 milles marins…, à la Commission
des limites du plateau continental constituée en vertu de l’annexe II sur la base d’une
représentation géographique équitable. La Commission adresse aux Etats côtiers des

recommandations sur les questions concernant la fixation des limites extérieures de
leur plateau continental. Les limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces
recommandations sont définitives et de caractère obligatoire.»

53. Les Etats parties à la convention ne peuvent se soustraire à ces obligations, qui revêtent

une importance absolument décisive aux fins de la présente affaire. La nouvelle demande du

Nicaragua repose sur une division entre ce qui, d’après lui, serait les limites extérieures de sa marge

continentale et celles de la marge continentale de la Colombie. Partant, sa demande relative au

«partage des marges continental es qui se chevauchent» repose à l’ évidence complètement sur la

fixation des limites de la marge continentale de ch aque Partie, qui doivent êt re établies sur la base

de la géologie et la géomorphologie. Or, si l’on suit la thèse du Nicaragua, cela signifie

nécessairement que vous allez devoir déterminer et entériner les limites du plateau continental

étendu revendiqué par le Nicaragua au-delà de 200milles marins pour pouvoir délimiter en

l’espèce les portions de plateau continental revenant respectivement aux Parties. Vous êtes donc

123
CR 2012/9, p. 13, par. 14 (Cleverly) ; et ibid., p. 26, par. 25 (Lowe). - 52 -

priés de déterminer et d’entériner les limites extérieures de la marge nicaraguayenne au-delà de

200 milles marins.

54. Dans l’affaire Bangladesh c.Myanmar , le Tribunal du droit de la mer a dit très

clairement que cette tâche incombait à la Commiss ion, et non à un tribunal. Voici le passage dans

lequel le Tribunal s’est exprimé sur la procédure qu e l’Etat côtier doit suivre pour fixer les limites

de son plateau continental étendu en vertu du para graphe8 de l’article76 de la convention — je

cite :

«Bien qu’il s’agisse d’un acte unilatéral, l’opposabilité à des Etats tiers des

limites ainsi fixées dépend du respect des prescriptions énoncées à l’
article76 et
notamment l’obligation de l’Etat côtier de communiquer à la Commission des
informations sur les limites du plateau contin ental au-delà de 200milles marins et la
formulation, par la Commission, de recommandations pertinentes à cet égard. Ce n’est

qu’après que les limites sont fixées par l’Etat côtier sur la base des recommandations
de la Commission qu’elles deviennent «définitives et de caractère obligatoire».» 124

55. Dans son arrêt en l’affaire Nicaragua c.Honduras , la Cour elle-même a évoqué cette

procédure, déclarant :

«A cet égard, il convient également de relever que la ligne ne saurait en aucun
cas être interprétée comme se prolongeant à plus de 200milles marins des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la largeu r de la mer territoriale; toute prétention
relative à des droits sur le plateau continental au-delà de 200 milles doit être conforme

à l’article76 de la CNUDM et examinée par la Commission des limites du plateau
56 continental constituée en vertu de ce traité.» (Différend territorial et maritime entre le
Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 759, par. 319.)

56. Le Nicaragua n’a déposé aucun dossier devant la Commission, et il lui a encore moins

soumis des informations pour examen et appr obation ou revision, en vue d’obtenir des

recommandations sur la base desquelles il pourrait fixe r de manière définitive et contraignante les

limites extérieures de son plateau ou de sa marge. Il s’ensuit que les limites putatives que le

Nicaragua utilise en l’espèce à l’appui de sa demande ne sont pas opposables à la Colombie, et ne

peuvent lui être opposées.

57. Le Nicaragua s’est borné à présenter des in formations préliminaires. M. Oude Elferink a

affirmé que, ce faisant, le Nicaragua avait agi «conformément aux dispos itions de la convention

124
Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du
Bengale, arrêt du 14 mars 2012, par. 407. - 53 -

de 1982» 125. Mais c’est faux. Les informations pré liminaires ne sont, par définition, même pas

susceptibles d’être examinées par la Commission. E lles ne peuvent être déclarées conformes à la

convention et ne satisfont assurément pas aux prescr iptions du paragraphe8 de l’article76. Elles

ne servaient en quelque sorte qu’à ne pas dépass er le délai de dépôt des dossiers convenu par les

Etats parties en 2008. Elles ne sont pas conformes à l’article 76 de la convention.

58. Il est étrange que le Nicaragua n’ait pas produit ces informations préliminaires en même

temps que sa réplique, encore que celle-ci con tienne effectivement les documents techniques y

relatifs. Ces informations préliminaires datent du mois d’août 2009 et la réplique a été déposée le

18 septembre 2009.

59. Toujours est-il que, dans les informations préliminaires qu’il a finalement présentées

⎯ en avril 2010 je crois —, il était indiqué très cl airement que «certains des données et des profils

décrits ci-dessous ne remplissent pas les critères rigoureux concernant la demande complète édictés

par la Commission des limites du plateau continental, tels qu’ils sont précisés dans les directives de

la Commission» 12.

60. Le Nicaragua s’est opportunément gardé de mentionner cette déclaration dans sa

réplique, et M.Cleverly n’en a pas fait état dans sa présentation en début de semaine. Cette

déclaration est, du reste, très en deçà de la vérité. Les éléments que le Nicaragua a soumis à titre

d’informations préliminaires, et dans le cadre des annexes 16 à 18 de sa réplique, sont bien loin de

suffire pour établir la moindre limite d’un plateau continental étendu conformément aux directives

de la Commission, instrument directeur pour la mise en Œuvre de l’article 76 sur le plan technique.

57 61. Examinons tout d’abord les points fixés par le Nicaragua sur le pied du talus, qui

déterminent tout le tracé de ce qu’il dit être la limite extérieure de son plateau continental — marge

et plateau confondus.

62. Monsieur le président, je dois dire que, au moment de me lancer dans cet exercice, je me

sens un peu comme sir Elihu Lauterpacht. Je me souviens que, en 1984, alors qu’il plaidait dans ce

prétoire en l’affaire Libye/Malte sur la tectonique des plaques dans la zone d’effondrement

libyenne et sur des questions de géologie et de géomorphologie, sir Lauterpacht avait déclaré qu’il

125
CR 2012/8, p. 27, par. 6 (Oude Elferink).
126
Informations préliminaires présentées par le Nicaragua à la Commission, août 2009, par. 21. - 54 -

avait l’impression d’être le Dr Who dans sa machine à voyager dans le temps. Mais je ferai de mon

mieux. Voyons donc ces points du pied du talus, qui commandent tout le tracé de ce que le

Nicaragua présente comme les limites de sa marge, ou de son plateau étendu. Cinq sont désignés à

l’annexe 18 de la réplique. Da ns le premier document de cette an nexe, il est dit que quatre de ces

points peuvent «en principe» être inclus dans le dossier complet qui sera adressé à la Commission.

Monsieur le président, si on vous dit qu’une chose peut se faire «en principe», la méfiance

s’impose. S’il est une chose que j’ai apprise lorsque je me suis installé en France, c’est que, si on

vous dit que quelque chose est possible «en principe», faites attention. C’est ce qu’il faut faire ici.

En ce qui concerne le cinquième point ⎯ le point n o1 du pied du talus (PTC-1) ⎯, il ne peut

même pas être utilisé «en principe» pour indiquer la limite extérieure du plateau à la Commission,

ce que le Nicaragua reconnaît d’ailleurs lui-mê me. Pourtant, ce point impropre (PTC-1) ⎯ que

M. Cleverly s’est bien gardé d’évoquer mardi ⎯ détermine tout le tracé des limites méridionales du

plateau étendu ou de la marge continentale que le Nicaragua revendique.

63. Pour l’expliquer le plus simplement po ssible, le point PTC-1 est basé sur un quadrillage

bathymétrique de référence et non sur un vérita ble «jeu de données», pour reprendre l’expression

erronée du Nicaragua. A la section5.2.3 de ses directives, la Commission exige que l’Etat

demandeur lui fournisse une description technique complète de la base de données bathymétrique

utilisée pour localiser le pied du talus, et le Nicaragua n’a fourni ni description ni données. En

outre, les informations sur lesquelles le Nicaragua fait fond proviennent d’une obscure compilation

de levés effectués à bord de navires et de données bathymétriques dérivées de mesures d’altimétrie

spatiale, que la Commission déclare irrecevables aux sections4.2.6 et 5.2.3 de ses directives.

Partant, le premier point du pied du talus n’a pas été établi, et serait écarté d’emblée par la

Commission.

58 64. Les quatre autres points fixés par le Nicar agua sur le pied du talus pèchent pour des

raisons similaires. Ils ne satisfont pas aux secti ons 4.2.7 et 5.2.3 des directives de la Commission

puisqu’aucune description technique complète de la base de données utilisée ne figure ni dans la

réplique du Nicaragua, ni dans ses informations pr éliminaires. Qui plus est, le Nicaragua admet

o
que le point n 5 du pied du talus est basé sur des données partielles et que, pour l’établir, il a dû se - 55 -

fier à «la preuve du contraire» 127. Or, cette «preuve du contraire» n’est ni expliquée ni étayée

d’aucune façon.

65. L’annexe technique que le Nicaragua a jointe à sa réplique indique que les points du pied

du talus «ne doivent être pris en compte qu’à titre indicatif». Puis lit-on : «Des questions se posent

quant à la qualité des données dans quelques zones» 128⎯ ce qui est, là encore, très en deçà de la

vérité. Ces informations ne constituent pas une base valable sur laque lle revendiquer un plateau

continental étendu, et la Commission ne les accepterait jamais ⎯car elle se livre généralement,

pour chaque dossier présenté, à une analyse détaillée et à des vérifications par recoupements afin de

s’assurer que ses recommandations seront bien fondées.

66. Les points fixés par le Nicaragua sur le pied du talus étant foncièrement viciés, les

limites extérieures de sa marge continentale allégu ée, qui sont fonction de ces points, sont elles

aussi sans aucun fondement. De plus, la ligne déduite des contraintes que le Nicaragua a tracée sur

2500 + 100 milles ne répond pas aux critères établis par la Commission. En résumé, le Nicaragua

n’a pas établi les limites extérieures de sa marge continentale, ce qui est pourtant indispensable aux

fins du «partage des marges», sa nouvelle prétention en l’espèce.

67. M. Lowe a fait valoir que l’approbation de la Commission ne créait pas de droits sur le

129
plateau continental et que le défaut d’ approbation n’annulait pas de tels droits . Sauf le respect

que je dois à mon contradicteur, là n’est pas la question.

68. Le paragraphe 8 de l’article 76 dispose clairement que l’Etat côtier fixe les limites de son

plateau ⎯ce qui est vrai, l’Etat côtier fixe les limites de son plateau. Cependant ⎯ et ce

«cependant» est important ⎯, il ne peut le faire qu’après a voir soumis tous les éléments

nécessaires à la Commission, et uniquement su r la base des recommandations qu’elle aura

formulées par la suite. C’est à ce moment-là, et seulement à ce moment-là, que ces limites

deviennent «définitives et de caractère obligatoire». Avant ce stade, comme le Tribunal

59 international du droit de la mer l’a déclaré, elles ne sont pas opposables aux autres Etats. Or, par le

127RN, annexe 1 de l’annexe 18, p. 68.
128
Ibid., vol. II, annexe 1 de l’annexe 18, p. 61.
129CR 2012/9, p. 33, par. 62 (Lowe). - 56 -

biais de sa demande en l’espèce, le Nicaragua cherche précisément à imposer de telles limites à la

Colombie en les prenant pour base de la nouvelle frontière qu’il revendique.

69. La Commission ne saurait pas davantage annule r des droits sur le plateau continental.

Une partie à la convention ne peut prétendre à un plateau continental étendu jusqu’au rebord

externe de la marge, au-delà de 200milles marins, tant qu’elle ne s’est pas pliée à la procédure

établie à l’article76. Le Nicaragua tente si mplement de contourner les obligations qui lui

incombent en tant que partie à cette convention.

70. M.Lowe a ensuite plaidé que le fait qu’une recommandation de la Commission soit

pendante n’avait pas empêché le Tribunal interna tional du droit de la mer de procéder à la

130
délimitation dans l’affaire Bangladesh c.Myanmar ⎯je précise qu’aucune recommandation

n’est pendante dans la présente affaire, le Nica ragua n’ayant déposé aucun dossier. Soit. Le

Tribunal a procédé à la délimitation dans l’affaire Bangladesh c.Myanmar alors que la

Commission n’avait pas encore émis sa recommandati on. Mais cette affaire n’a rien à voir avec

celle qui nous occupe ici.

71. Dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, le tribunal n’avait pas à statuer sur les limites

extérieures de la marge continentale de l’un ou l’autre des Etats ca r la délimitation concernait deux

Etats ayant des côtes adjacentes. Le tribunal avait déjà appliqué la règle

d’«équidistance/circonstances pertinentes» à la délimitation d’une frontière maritime unique

jusqu’à la limite de 200 milles marins. Pour délim iter les zones situées au-delà de cette distance, il

a simplement prolongé la ligne de délimitation en suivant la même direction et en appliquant la

même méthode, puis placé une flèche à la fin de la ligne pour indiquer que celle-ci se poursuivait

jusqu’à la zone où les droits d’Etat tiers pouvaient être affectés. Ce fa isant, il n’a pas eu à

déterminer les limites extérieures ou le rebord exte rne d’une marge continentale. Dès lors, la ligne

de délimitation établie par le tribunal dans l’affaire Bangladesh/Myanmar n’avait rien à voir avec la

géologie et la géomorphologie. Elle était fond ée sur la règle de l’équidistance/circonstances

pertinentes, que le Nicaragua refuse catégoriquement de voir appliquée en la présente affaire.

130
CR 2012/9, p. 53, par. 64 (Lowe). - 57 -

72. Notre affaire est totalement différente. Elle concerne des Etats dont les côtes se font face

⎯ bien qu’il s’agisse de la mauvaise côte, pour ce qui est de la Colombie ⎯ et une revendication

frontalière du Nicaragua qui re pose sur l’emplacement des limites extérieures de sa marge

continentale.

73. Le Nicaragua essaye de contourner les c onditions posées par la convention en faisant

faire à la Cour le travail de la Commission, su r la base d’informations que celle-ci n’accepterait

60 jamais. Une telle stratégie est totalement inappropriée, sans compter qu’elle n’a aucun rapport avec

l’objet du différend mentionné dans la requête du Nicaragua.

74. Quant à l’explication que le Nicaragua donne de ce qu’il appelle les points situés à

distance du pied du talus continental de la Co lombie et des calculs de l’épaisseur de la

sédimentation, qu’il utilise pour calculer ce qui est censé constituer les limit es extérieures de la

marge continentale de la Colombie, elle n’a aucune validité juridique et n’est corroborée par aucun

fait.

75. Sur le plan juridique, M. Elferink a préte ndu que les limites extérieures de la Colombie

établies sur la base des paragraphes 4 à 7 de l’ar ticle 76 seraient situées à bien moins de 200 milles

marins de la côte continentale colombienne, si bien que, pour sa revendication, c’est ce que le

Nicaragua a dit avoir calculé.

76. Mais un tel raisonnement n’a aucune pertinence. Les paragraphes 4 à 7 de l’article 76 ne

concernent que l’établissement des limites extérieures de la marge et du plateau continentaux

au-delà de 200milles marins, pas en deçà de cette limite. La Colombie a ipso facto droit à un

plateau continental mesuré à partir de sa côte c ontinentale, et également à partir de ses îles: les

paragraphes4 à7 ne sont pas pertinents. Comme je l’ai dit, la Colombie dispose ipso facto d’un

plateau continental, sans parler d’une ZEE, mesuré non seulement à partir de sa côte continentale

mais également à partir de ses îles, et qui s’ét end sur 200 milles marins. Or, le professeur Lowe a

réitéré l’erreur de son collègue à cet égard lorsqu’il a affirmé que les îles colombiennes étaient

situées dans le prolongement naturel de la masse c ontinentale du Nicaragua et non dans celui de la

masse continentale de la Colombie 13. Cela nous conduit simplement à la remarque suivante:

131
CR 2012/9, p. 28, par. 33. - 58 -

comme nous l’avons entendu, en vertu du droit international, les îles colombiennes ouvrent en

elles-mêmes droit à un plateau continental et ont leur propre prolongement naturel.

77. Mon collègue a ensuite soutenu que le principe selon lequel le droit à un plateau

continental de 200milles marins prévaut sur le droit à un plateau continental fondé sur le

prolongement géologique naturel est dépourvu de tout fondement . Telle n’est pourtant pas

l’opinion des Etats qui ont déposé une demande d’extension de leur plateau continental.

78. La Commission a reçu quelque 32dossiers de demande d’extension du plateau

continental qui ne portent pas sur des accords antérieurs mais ont été déposés par des Etats qui

approchent la limite de 200 milles marins d’autres Etats ⎯ 18 demandes complètes et 14 dossiers

présentant une demande sous forme d’information préliminaire. Dans chacun de ces 32cas, à

l’exception de deux, les Etats concernés ⎯et il s’agit notamment de la France, du Japon, de la

Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ⎯ ont évité d’empiéter sur la limite des 200milles marins

d’autres Etats; le Nicaragua est l’une des deux exceptions. Rien dans la convention ne laisse
61

penser que l’intention des rédacteu rs de l’article76 était de perme ttre aux Etats d’empiéter sur la

limite de 200milles marins d’autres Etats en déposant une demande d’extension de leur plateau

continental, notamment en ne respectant pas les procédures prévues par la convention. J’en

conclus que ce n’est pas par hasard qu’aucun autre Etat de cette partie des Caraïbes n’a déposé de

demande d’extension de son plateau continental, car, dans cette région, il n’y a pas de zone

maritime située au-delà de 200 milles marins du territoire continental le plus proche.

79. Si l’on s’en tient aux faits, et pour en revenir à la prétendue marge géologique de la

Colombie, le Nicaragua n’a fourni, pour calcule r celle-ci, qu’un seul profil bathymétrique utilisé

pour localiser un point situé à distance du pied du talus continental de la Colombie et une

illustration de l’épaisseur de la sédimentation reprodu ite aux figures 3 à 8 de sa réplique. Une fois

encore, ce profil bathymétrique est fondé sur des informations ⎯ connues sous le nom d’ETOPO 2

pour ceux que cela intéresserait ⎯ que la Commission trouverait inacceptables et totalement

insuffisantes en vertu des lignes directrices qu’elle a adoptées. Le profil de l’épaisseur de la

sédimentation serait fondé sur un autre «ensemble de données», qui n’en est en fait pas un. Il s’agit

d’une grille de valeurs interprétatives déduites d’une combinaison d’ensembles de données qui ne - 59 -

correspondent en rien aux données primaires, sous-jacentes et détaillées que la Commission

exigerait. Cette grille serait elle aussi considérée comme inacceptable par la Commission.

80. L’exposé présenté par le Nicaragua à propos de la marge continentale de la Colombie a

également ceci d’extraordinaire que, sur les 17 point s situés à distance du pied du talus continental

de la Colombie dont le Nicaragua fait état, 16 ne sont étayés par absolument aucune donnée.

Comme je viens de le dire, celles qui sont fournies pour justifier le 17 e point sont manifestement

insuffisantes, mais pour les 16 autres, le Nicaragua n’avance aucune donnée justificative. Pourtant,

ces points sont le seul fondement que le Nicaragua donne à ce qui est censé être les limites de la

marge géologique de la Colombie qui, à leur tour, constituent le paramètre extérieur de la ligne de

«division des marges» revendiquée par le Nicaragua. Voilà un exercice parfaitement vain,

dépourvu qu’il est de tout fondement juridique et factuel.

81. Comme je l’ai dit, tout cela a conduit le Nicaragua à admettre, dans le cadre des

informations préliminaires qu’il a déposées auprès de la Commission, que certaines des données et

certains des profils contenus dans son dossier ne satisfaisaient pas aux conditions exigeantes que la

Commission impose pour le dépôt d’une demande co mplète, et qui sont énoncées dans ses lignes

directrices (informations préliminaires soumises par le Nicaragua, par. 21).

62 82. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, si les données sur lesquelles le

Nicaragua fonde ses prétentions en la présente af faire ne pourraient pas satisfaire aux conditions

imposées par la Commission, comment sont-elles censées satisfaire la Cour? Le Nicaragua

estime-t-il que la Cour applique des conditions moins exigeantes ?

83. Le professeur Lowe a conclu son interventi on en soutenant que la Colombie critiquait la

méthode employée par le Nicaragua, mais qu’elle ne contestait ni la délimitation que le Nicaragua

propose de son plateau continental ni ses conclusions 13.

84. Là encore, avec tout le respect que j’ai pour mon cher ami, il prend ses rêves pour des

réalités. La Colombie conteste dans son intégralité la nouvelle revendication du Nicaragua relative

à son plateau continental. J’ai démontré que ce tte prétention était inadmissible, que le Nicaragua

n’avait apporté la preuve d’aucun droit à un plateau continental étendu jusqu’aux limites de ce qu’il

132
CR 2012/9, p. 36, par. 79. - 60 -

dit être la marge continentale, que ses conclusions sur les limites de cette marge ne reposaient sur

aucune donnée technique et que la Commission ne pourrait les admettre, que les limites extérieures

de la marge continentale avancées par le Nicar agua ne pouvaient être opposées à la Colombie ni

d’ailleurs à un quelconque autre Etat, et que les sp éculations du Nicaragua quant aux limites de la

marge continentale de la Colombie ne sont pas pertinentes d’un point de vue juridique ni étayées

par le moindre élément de preuve.

4. Conclusions

85. Monsieur le président, j’en viens à la conclusion de mon exposé.

86. Dans sa plaidoirie relative à la compétence de la Cour, le conseil du Nicaragua a déclaré

ce qui suit :

«dans toute affaire de délimitation maritim e, la Cour voudra certainement procéder
comme elle le fait désormais systématiquement :

⎯ tracer une ligne provisoire d’équidistance ;

⎯ prendre en considération les «circonsta nces spéciales» qui pourraient être de
133
nature à ajuster cette ligne ;»

Telle n’est assurément pas l’attitude adoptée par le Nicaragua quant à sa nouvelle prétention.

87. Alors la vraie question est la suivante : pourquoi le Nicaragua a-t-il formulé, si tard dans

sa réplique, une revendication si radicalement différente et intrinsèquement intenable ?

88. Je dois dire que les écritures du Nicaragua , tout comme les plaidoiries qui ont été

présentées en son nom plus tôt cette semaine, n’ont guère éclairci cette question. Dans sa réplique,

63 le Nicaragua a reconnu que l’arrê t que la Cour a rendu à propos de sa compétence n’a pas eu

d’incidence sur sa demande de déli mitation maritime. Cela va de soi. Rien dans cet arrêt ne

justifiait qu’il modifie dans son intégralité l’objet de la présente affaire.

89. La véritable raison du cha ngement de position opéré par le Nicaragua est ailleurs. Ce

que nous savons, c’est que, suite au dépôt du contre -mémoire de la Colombie, le Nicaragua a pris

conscience que sa revendication initiale relative à une frontière maritime unique était dénuée de

tout fondement juridique. Par ailleurs, il a désesp érément tenté de maintenir la côte continentale

colombienne dans le jeu afin de pouvoir repousser la ligne de délimitation aussi loin que possible

133
CR 2007/19, p. 20, par. 9 (Pellet). - 61 -

vers l’est, aux dépends des droits attachés aux îles colombiennes et même à la côte continentale de

la Colombie. Il en est résulté cette nouvelle prétention relative au plateau continental.

90. Le Nicaragua pense peut-être que la Cour se contentera de «couper la poire en deux», et

qu’avancer une nouvelle revendica tion dans laquelle la délimitation demandée se situe très à l’est

de celle ⎯ déjà très exagérée ⎯ à laquelle il prétendait dans le cadre de sa revendication initiale

constituerait une tactique payante. Mais la Colo mbie sait que la Cour ne se laissera pas abuser.

Elle a, à de très nombreuses reprises par le p assé, clairement établi que la délimitation maritime

134 135
n’est pas un exercice de justice distributive et qu’on ne saurait refaire la géographie des Etats .

La délimitation est un processus juridique, et la Cour a sans cesse rappelé le principe qui le régit :

la règle de l’«équidistance/circonstances spéciales».

91. En définitive, le dossier présenté par le Nicaragua est désormais vide. La ligne qu’il

revendiquait initialement comme frontière maritime unique a été discréditée et abandonnée. Quant

à sa nouvelle revendication relative au plateau continental, elle est irrecevable, juridiquement

erronée et factuellement infondée.

92. Les côtes pertinentes aux fins d’opérer la délimitation entre les Parties ne comprennent

pas la côte continentale de la Colombie. Ce s ont toujours celles qui sont situées entre le chapelet

d’îles qui constitue la partie occidentale de l’arch ipel de SanAndrés et la côte nicaraguayenne.

Rien ne justifie que les règles relatives à la délim itation, qui ont été élaborées par la présente Cour

et énoncées par des tribunaux arbitraux (et même acceptées par le Nicaragua dans la présente

affaire au stade relatif à la compétence de la Cour), ne s’appliquent pas dans le présent contexte.

64 93. Mais, puisqu’il s’agit-là d’une question que M. Crawford abordera dans l’exposé suivant,

et étant donné l’heure, je me demandais, Monsieur le président, si M.Crawford et nous tous

pourrions restaurer nos forces autour d’un déjeuner av ant d’en venir à cet exposé. Je remercie la

Cour pour son attention.

134
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 40, par. 46.
135Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 91. - 62 -

Le PRESIDENT: Merci beaucoup pour votre exposé. Je vous souhaite à tous un bon

appétit. La Cour se réunira de nouveau cet apr ès-midi de 15heures à 18heures pour entendre la

conclusion du premier tour de plaidoiries de la Colombie. La séance est levée.

L’audience est levée à 12 h 55.

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