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CR 2011/2 (traduction)

CR 2011/2 (translation)

Mardi 11 janvier 2011 à 15 heures

Tuesday 11 January 2011 at 3 p.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit cet

après-midi pour entendre le premier tour d’observations orales du Nicaragua sur la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par le CostaRica. J’appelle à la barre

S. Exc. M. Carlos Argüello Gómez, agent de la République du Nicaragua.

M. ARGÜELLO GÓMEZ :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi comme toujours

un insigne honneur de plaider au nom de mon pays devant la plus haute juridiction des

Nations Unies.

2. La délégation nicaraguayenne comprend l’agent et les conseils et avocats dont les noms

figurent sur la liste qui a été communiquée à la Cour ; elle a aussi l’honneur de compter parmi ses

membres MmeJuanaArgeñal, ministre de l’environnement et des ressources naturelles du

Nicaragua.

3. Monsieur le président, quelques mots suffi ront pour vous exposer la suite d’événements

qui a conduit les Parties à se présenter à nouveau deva nt la Cour. C’est la répétition de ce qui se

produit depuis près de deux siècles : chaque fois que le Nicaragua tente de faire un usage important

du San Juan, le Costa Rica y trouve matière à litige. Il en fut ainsi en 1884 : lorsque le Nicaragua

signa le premier traité de canalisation avec les Et ats-Unis, le Costa Rica décida de naviguer sur le

fleuve avec un navire de guerre, ce qui conduisit à l’arbitrage du président Cleveland. De même,

cent ans plus tard, lorsqu’il fut de nouveau questi on de creuser un canal interocéanique à travers le

Nicaragua, le CostaRica décida d’envoyer des gardes armés en pa trouille sur le fleuve, ce qui

conduisit à la première saisine de la Cour. Et maintenant, dès que le Nicaragua entreprend une

modeste opération de dragage et de nettoyage afin de retrouver une partie du débit originel du

SanJuan et d’améliorer la navigation, le CostaRica y trouve de quoi faire un scandale

international.

4. Un marécage de moins de troiskilomètrescarrés situé à l’embouchure du SanJuan est

officiellement à l’origine du désaccord. Mais ne nous méprenons pas: l’objet véritable du

différend consiste à mettre un terme à toute tentative, si modeste soit-elle, du Nicaragua pour

draguer et nettoyer le San Juan. - 3 -

5. Si le Nicaragua n’est pas autorisé à poursuivre son projet de dragage, qui ne prévoit guère

qu’une opération de nettoyage mineure, le Nicaragua sera privé de tout droit de draguer le San Juan

et d’en maintenir le débit. Faute d’un nettoyage, même minime, l’embouchure du fleuve

s’asséchera en quelques décennies. Non seulement la navigation y deviendra alors impossible,

9 mais les vastes zones humides du Nicaragua situées le long du SanJuan inférieur, qui sont

tributaires des eaux de ce fleuve, disparaîtront.

6. Dans le cadre de la précédente instance in troduite par le CostaRica, le Nicaragua a fait

valoir que ce qui est en jeu autour du fleuve San Juan est autrement important que les droits de

navigation commerciale octroyés au CostaRica. En fait, il y va de la survie du fleuve. Le

Nicaragua a signalé que celui-ci était fortement envasé et pollué en raison d’activités

costa-riciennes, dont l’exploitation d’une mine d’or, autorisée depuis peu à proximité du fleuve, qui

présenterait pour ses eaux de graves risques de polluti on au cyanure. En outre, le Nicaragua a fait

observer que près de 90% des eaux du SanJuan s’ écoulaient actuellement par le Colorado, en

territoire costa-ricien, laissant du côté nicaragua yen un filet d’eau devenu à peu près impropre à la

navigation.

7. Lorsque le différend avec le CostaRica a éclaté et que ce pays s’est tourné vers

l’Organisation des Etats américains (OEA), le pr ésident du Nicaragua a déclaré que les questions

en cause étaient de nature juridique et ne pouva ient être réglée par des organisations politiques

internationales. Il a aussi annoncé publique ment, le 2novembre2010, que le Nicaragua

introduirait une instance contre le CostaRica deva nt la Cour, cette dernière étant l’institution

compétente pour trancher les questions d’ordre juridique. Le président Ortega a indiqué que les

questions qui seraient portées devant la Cour seraient précisément celles que le Nicaragua avait

déjà prédites dans son précédent différend avec le CostaRica, à savoir la pollution et la

sédimentation du fleuve SanJuan et le détourne ment de ses eaux vers le Colorado, un bras du

SanJuan. Il a déclaré en outre que le Nicar agua revendiquerait aussi le droit d’accéder à la

mer des Caraïbes en empruntant le Colorado, au mo ins jusqu’à ce qu’il ait pu retirer les sédiments

accumulés dans le San Juan en conséquence de la déforestation de son territoire par le Costa Rica

et soit à nouveau en mesure de naviguer jusqu’à la mer. - 4 -

8. La réaction du CostaRica à cette annonce a été de prendre les devants en saisissant la

Cour. Il l’a fait à sa façon, en limitant les questions en litige à celles qui présentent un intérêt pour

lui. Le Nicaragua saisit cette occasion pour confirmer qu’il se préparer à plaider contre le

CostaRica en suivant la ligne définie par le présidentOrtega, qui s’attaque aux véritables

problèmes constituant le cŒur du présent différend.

9. Monsieur le président, il est important que la Cour sache qu’à la suite des déclarations du

10 présidentOrtega, le CostaRica a interdit aux ba teaux nicaraguayens d’emprunter le Colorado ou

tout autre affluent du San Juan. Des chaînes et d’autres mécanismes sont actuellement mis en place

pour leur couper le passage. S’il est vraiment néce ssaire de lancer un appel à ne pas aggraver la

situation, ces mesures nécessiteraient assurément examen.

10. Monsieur le président, il est évident que l’équipe nicaraguayenne ne peut pas répondre

adéquatement aux exposés présentés par le CostaRica il y a deuxheures, qu’il avait mis près de

deux mois à préparer. Certains des problèmes qu’il a évoqués seront examinés pendant ce premier

tour de plaidoiries, d’autres le seront au second tour. En outre, le Nicaragua réserve de manière

générale ses droits à l’égard de tous les éléments de fait et de droit exposés par le CostaRica sur

des questions qui touchent au fond de la présente affaire et qui seront traitées en temps utile.

11. Dans la présente phase de l’espèce, concernant la demande en indication de mesures

conservatoires présentée par le CostaRica, la Cour doit trancher deux questions importantes.

L’une est celle de savoir si le Nicaragua cause de s dommages irréparables au Costa Rica en tentant

de nettoyer et de draguer des tronçons du San Juan , l’autre concerne la prétendue occupation d’une

partie du territoire costa-ricien par le Nicaragua et la cessation de cette occupation et de toutes

opérations menées à l’intérieur de ce secteur.

12. La première question, bien qu’elle soit in fondée et ne repose pas sur des faits avérés, est,

du moins sur le plan juridique, une question qu’il c onvient en effet d’examiner pendant la présente

phase de la demande en indication de mesures conservatoires. La deuxième question, par contre,

ne pourra être examinée qu’au stade du fond, étant donné que toute décision concernant la

souveraineté sur cette région ne pourra être régl ée qu’après un examen complet des questions de

droit et de fait pertinentes. Cela dit, il apparaît clairement prima facie que les droits allégués du

Costa Rica ne sont ni enfreints ni menacés. Ces questions seront examinées par M. Pellet. - 5 -

13. Il est néanmoins important de souligner l es faits suivants. Premièrement, la question de

la souveraineté sur la petite zone humide située à l’embouchure du San Juan.

14. La plupart des membres de la Cour ayant déjà eu à se pencher sur ces questions lors de la

précédente affaire introduite par le CostaRica cont re le Nicaragua, permettez-moi, Monsieur le

président, d’entrer directement dans le vif du sujet.

15. La frontière entre le Nicaragua et le CostaRica est régie par le traité de délimitation

de1858, la sentence arbitrale du présidentCleveland de1888 et les cinqsentences arbitrales

rendues par le généralAlexander entre1897 et19 00. M.McCaffrey exposera le droit et les

11 instruments juridiques pertinents et illustrera le tracé de la ligne frontière. Mais nous pouvons déjà

passer brièvement en revue certains de ces éléments.

16. Les sentences du surarbitre-ingénieur Alexander tranchèrent toutes les questions relatives

au tracé de la ligne frontière. Ce tracé présentait une particularité due au fait qu’une très grande

partie de la frontière longeait la rive droite du San Juan et qu’il est impossible de placer des bornes

sur une ligne frontière naturellement mouvante. C’est pour cette raison que le général Alexander,

dans sa première sentence, fixait le point de départ de la fron tière à PuntaCastilla, mais que, à

partir de ce point de la merdesCaraïbes, la prochaine borne était distante de plus de

cent kilomètres en amont.

17. Certes, le général Alexander autorisa un tracé qui longeait le fleuve, mais il précisa que

toute frontière ainsi démarquée l’était sous réserve des modifications de la rive et des chenaux du

fleuve. M. McCaffrey lira dans leur intégralité le s paragraphes pertinents de ces sentences, mais je

vais vous en citer moi-même certains passages. Da ns sa deuxième sentence, le général Alexander

relevait que :

«a) [d]e tels changements, qu’ils [fussent] progressifs ou soudains, aur[aie]nt
nécessairement des incidences sur la ligne frontière actuelle…

b)[l]e fait que la ligne ait été mesu rée ou démarquée ne renforcera[it] ni
n’affaiblira[it] la valeur juridique qui aurait pu être la sienne si ces opérations
n’avaient pas eu lieu» (Deuxième sentence arbitrale du 20 décembre 1897).

18. Cette ligne, qui a été mesurée et démarquée il y a cent treize ans et dont le tracé n’a pas

été vérifié sur le terrain pendant toutes les années qui se sont écoulées depuis, est celle qui, selon le

CostaRica, continue de s’imposer. Pour le Cost aRica, «[l]e fait que la ligne ait été mesurée ou - 6 -

démarquée», pour reprendre la fo rmule du généralAlexander, a accr u sa valeur juridique et l’a

rendue immuable.

19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les embouchures fluviales

sont continuellement fluctuantes. Lorsque le généralAlexander commença son travail de

surarbitre, il nota que l’emplacement où se trouva it PuntaCastilla à l’origine, auquel faisait

référence le traité signé quarante ans plus tôt, avait disparu et se trouvait désormais ailleurs dans la

mer des Caraïbes.

20. Aucune des cartes qui ont été établies depuis l’époque du généralAlexander n’a fait

l’objet de vérifications sur le terrain. Les car tes nicaraguayennes portent la mention «la présente

carte n’a fait l’objet d’aucune vérification sur le terrain». Et c’est en s’appuyant sur ces cartes non

12 érifiées que le CostaRica a fait son scandale intern ational sur la question de la souveraineté sur

2,5 kilomètres carrés de marécage à l’embouchure du San Juan.

21. Il existe une commission binationale Nicaragua-Costa Rica : elle s’est réunie de temps à

autre au cours des vingt dernières années, abordant à diverses reprises le problème de

l’emplacement de la première borne marquant le point de départ de la ligne de délimitation. Elle

n’a jamais pu se mettre d’accord. La dernière réunion au cours de laquelle des questions de

frontière ont été discutées s’est tenue à SanJosé les 19et 20octobre2006. Le troisième

o
paragraphe du compte rendu fi gurant dans le document n 20 indique les sujets traités par la

sous-commission des questions des affaires frontal ières. Entre autres questions qui n’étaient

toujours pas réglées figurait celle de l’emplacement du point de départ de la frontière.

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si, au fil des ans, le Nicaragua

et le CostaRica n’ont même pas été en mesure de fixer l’emplacement du point de départ de la

ligne frontière, comment le Costa Rica peut-il soutenir qu’il existe une frontière clairement établie

entre les deux pays? Si cette ligne frontière n’a pas été vérifiée sur le terrain pendant plus de

centans, comment peut-il prétendre que les cartes dressées par ses services cartographiques

reflètent la réalité telle qu’elle peut être observée
sur le terrain? Comme je viens de le dire, les

cartographes nicaraguayens ont pris soin de ne rien présenter comme certain à cet égard.

23. Monsieur le président, outre le libellé des sentences arbitrales du généralAlexander, la

réalité sur le terrain est que le Nicaragua a constamment exercé sa souveraineté sur cette petite zone - 7 -

litigieuse. Il n’y a eu aucune présence officielle déclarée du CostaRica da ns le secteur depuis le

prononcé de ces sentences arbitrales. Par contre , les Nicaraguayens y ont continuellement exercé

leur juridiction. Nous avons s oumis à la Cour plusieurs dépositi ons de militaires et d’agents de

police dans lesquelles ceux-ci déclarent effectuer régulièrement des patrouilles et assurer la

surveillance de la zone de Harbor Head, accordant une attention particulière aux différents chenaux

qui relient le SanJuan à HarborHead, étant donné qu’ils servent de refuge aux criminels,

notamment aux trafiquants de drogue.

24. Bien qu’il soit difficile, voire impossible, d’apporter une preuve négative, une

présomption claire de ce qu’il n’y avait aucune présence costa-ricienne dans le secteur peut être

tirée d’un point de détail qui avait été évoqué devant la Cour il n’y a pas si longtemps. L’un des

principaux arguments avancés dans la précédente a ffaire introduite par le CostaRica contre le

Nicaragua était son droit de patrouiller sur le San Juan et de rav itailler ses postes de sécurité situés

13 le long du fleuve. Mais, dans le dossier de cette affaire, la Cour ne trouvera aucune mention d’un

quelconque poste à l’embouchure du SanJuan ni d’une quelconque nécessité d’envoyer des

patrouilles dans le secteur. En revanche, des so ldats nicaraguayens ont toujours été stationnés à

un kilomètre de la zone, dans la ville de San Juan del Norte.

25. Monsieur le président, le Nicaragua n’occupe pas un territoire costa-ricien. Il exerce

simplement sa souveraineté sur cette petite zone , comme il l’a toujours fait. Le dernier cas

d’exercice de la puissance publique dans ce secteur avant que n’éclate le présent différend date du

2 octobre 2010. Cet épisode est relaté dans la d éclaration sous serment du sous-commissaire de la

o
police nationale du Nicaragua, M. Farle Isidro Roa Traña (document n 5). Celui-ci déclare que, au

cours d’une patrouille dans la z one de Harbor Head et ses chenaux, deux hors-bords suspects (des

pangas) ont été repérés. Lorsque la patrouille s’est a pprochée, les criminels ont fui en direction du

sud, c’est-à-dire vers le CostaRica. L’un d es fuyards, AgustínReyesAragon, criminel et

trafiquant de drogue notoire, a été reconnu. La fouille du secteur a conduit à la découverte de

preuves incontestables d’activités criminelles. Bien que ces événements aient eu lieu dans le

secteur revendiqué par le Costa Rica, celui-ci n’a pas immédiatement protesté contre une prétendue

invasion «illicite» de son territoire. Ce n’est qu’ après la mise en service de la drague, le

17 octobre, que le Costa Rica a soudain prétendu, le 21 octobre, que le Nicaragua avait envahi son - 8 -

territoire et arrêté d’honnêtes citoyens du Costa Rica. En fait, il s’agissait de criminels notoires, de

nationalité nicaraguayenne, qui perpétraient leurs crimes en territoire nicaraguayen.

26. En résumé, Monsieur le président, le Ni caragua est l’Etat qui exerce effectivement la

juridiction dans la région, pour reprendre l’expression du professeur Oscar Schachter citée ce matin

par M. Kohen.

27. Monsieur le président, Mesdames et Me ssieurs les Membres de la Cour, ce que le

Costa Rica cherche en réalité à obtenir de la C our par ces quatre premières demandes, c’est qu’elle

se prononce sur le fond de l’affaire. C’est seulement si elle décide que la zone en cause appartient

au Costa Rica qu’elle peut ordonner le retrait des soldats, la cessation du percement d’un prétendu

canal et la cessation de l’abattage d’arbres et du déversement de sédiments dans cette zone. Mis à

part ce point fondamental, ces quatre premières demandes n’ont pas d’objet immédiat.

28. La première mesure demandée par le CostaRica est le «retrait immédiat et

inconditionnel de toutes les forces nicaraguayennes». Il n’y a pas actuellement de forces armées

dans le marécage. Il n’y a pas de poste militaire permanent dans cette zone. La déclaration de

14 M. Caputo, fonctionnaire de l’OEA, qui s’est rend u dans cette zone le 26 novembre — déclaration

citée par le professeur Crawford — confirme qu’il n’y avait pas de soldats nicaraguayens dans cette

zone. Les patrouilles y sont faites, aujourd’hui comme depuis toujours, par bateau, le long des

eaux du fleuve qui sont sans conteste nicaraguayennes. La Cour ne peut pas ordonner au

Nicaragua de cesser ses patrouilles dans cette zone . Celle-ci ne peut pas se transformer en un

no man’s land servant d’abri à des criminels, en particulier des trafiquants de drogue.

29. La présence de militaires nicaraguayens dans cette zone très difficile pendant les mois

d’octobre et de novembre de l’année dernière avait pour but de protéger les ouvriers qui nettoyaient

le chenal reliant le fleuve proprement dit à Harbor Head. Elle n’a pas entraîné de violence. Pas un

seul costa-ricien n’a été attaqué. Le seul incident violent qui se soit produit à l’époque, et qui visait

le Nicaragua, a été un attentat à la bombe contre son ambassade à San José le 12 novembre 2010.

L’attitude des soldats nicaraguayens devant l’approche des hélicoptères costa-riciens, que montrent

les photographies déposées par le CostaRica, es t on ne peut plus compréhensible. Des

responsables costa-riciens avaient menacé d’utilis er la force armée pour «reprendre» la zone

marécageuse. On appréciera la réalité de ces menaces dans la déclaration suivante. - 9 -

30. Le journal costa-ricien La Nación, dans son édition du 2 novembre 2010, indiquait que le

ministre de la sécurité, M. Jose Maria Tijerino, avait déclaré le matin même à AND News qu’il était

sûr que les organismes internationaux s’emploieraient à résoudre le problème de la présence

militaire à la frontière nord du pays. Le journal citait ainsi ses propos :

«c) Ces gens se retireront, qu’ils obéissent à la raison ou à la force, parce que nous
avons le droit international pour nous et que les mécanismes prévus par le droit
international comprennent l’usage de la force.» (http://www.nacion.com/2010-11-
02/ElPais/UltimaHora/ElPais2576464.aspx.)

31. Cette déclaration d’un ministre qui gère un budget de sécurité ⎯destiné en fait à des

dépenses militaires ⎯ de plus de 240millions de dollars , soit cinqfois supérieur au budget

militaire du Nicaragua ⎯ doit sans aucun doute être prise au sérieux. De plus, il faut signaler que,

en prenant pour prétexte les événements actue ls, le Gouvernement du CostaRica a autorisé en

décembre dernier une rallonge de ce budget militaire de plus de 100 millions de dollars.

32. Une des premières utilisations de ce nouveau budget a été annoncée dans une note,

publiée le 8 janvier 2011 dans le journal costa-ricien La Nación, que je cite ici :

15 «d) Afin d’installer un système de défense pour le territoire costa-ricien, le

gouvernement a entrepris à la fin du mois de décembre, une série de travaux aux
abords de l’île Calero, à Limón Pococí.

e) Hier, il a montré le terrain sur lequel le Costa Rica construit l’hélisurface du Delta,

près du Colorado.

f) Les travaux comprennent la construction d’ un héliport, l’installation de clôtures
pour restreindre l’accès aux trois fleuves dans la zone frontière et l’ouverture de
routes qui, pour la première fois, donner ont un accès routier au nord de la côte

caraïbe.

g) Cela a été confirmé hier par le ministre de la sécurité, M. Jose Maria Tijerino, qui a
indiqué que tous ces travaux sont en cours.»

33. La deuxième demande du CostaRica concer ne la «cessation immédiate du percement

d’un canal en territoire costa-ricien». Il n’a été ni percé, ni prévu de percer, aucun canal dans cette

zone. Les travaux qui ont été faits ⎯ et qui sont maintenant terminés ⎯ consistaient à nettoyer le

principal chenal reliant le SanJuan proprement dit à HarborHead. Le nettoyage de ce chenal et

son impact écologique seront traités plus en détail par M. Reichler. Pour l’ heure, il faut souligner

que cette opération de nettoyage a été effectuée exclusivement à la main, sans dragues et même

sans machines de chantier. Les premières ne peuvent pas naviguer sur le chenal et les secondes - 10 -

s’enfonceraient dans le marécage. Le travail a été effectué par des hommes. A moins de remonter

au temps des Egyptiens, il paraît inconcevable de percer un canal de cette manière … surtout dans

une forêt dense. En tout cas, l’important pour ce qui nous occupe aujourd’hui, c’est que les travaux

sont terminés. Le président du Nicaragua l’a annoncé le 1 erdécembre 2010.

34. La troisième demande du CostaRica concer ne la «cessation immédiate de l’abattage

d’arbres et de l’enlèvement de végétation et d es travaux d’excavation en territoire costa-ricien,

notamment dans les zones humides et les forêts». Comme je l’ai déjà indiqué, les aspects

environnementaux seront traités tout à l’heure par M. Reichler, mais il faut noter que le Costa Rica

a dressé une liste de centquatrevingtdixseptarbres, précisant l’espèce, la taille et les

coordonnéesGPS de chacun, censément établie à partir de relevés effectués sur le terrain. Il est

pour le moins surprenant que, dans une zone marécageuse, avec une couverture nuageuse épaisse et

de fortes pluies, où les déplacements sont très difficiles ⎯et se font forcément à pied ⎯ et où le

GPS fonctionne rarement, dans cette zone où des ouvriers nicaraguayens étaient occupés à curer un

chenal, il est surprenant, dis-je, que les costa -riciens aient pu circuler pour mesurer des troncs

d’arbres et en déterminer des coordonnées. Et il est décidément surprenant qu’un pays qui ignore

qu’Agustin Reyes Aragon, le criminel ayant écha ppé à la police nicaraguayenne le 2 octobre 2010,

16 n’était pas costa-ricien mais bien nicaraguayen, connaisse en revanche le moindre arbre de la

région, et jusqu’à son âge. Nous venons même d’êt re informés de leur valeur respective devant la

Cour internationale de Justice. Le Nicaragua ne considère pas cette information comme valable.

35. Quoi qu’il en soit, la déclaration sous serment du vice-ministre de l’environnement du

Nicaragua indique que, après une inspection à laqu elle ont participé et collaboré des dizaines de

personnes, il a été établi que centquatrevingtsarbres, dont l’essence est précisée, ont été abattus

dans la zone du chenal. Et la loi nicaragua yenne dispose que les arbres abattus doivent être

remplacés par un plus grand nombre de nouveaux arbres, ce qui est déjà en train de se faire là où

les autorités nicaraguayennes ont procédé aux ab attages nécessaires à l’opération de nettoyage,

mais aussi là où des arbres avaient été abattus par des inconnus. Ces arbres étaient en territoire

nicaraguayen, et le Nicaragua prend beaucoup mieux soin de ses forêts que le Costa Rica.

36. La quatrième mesure demandée est «l a cessation immédiate du déversement de

sédiments en territoire costa-ricien». Pour autant que ces prétendus déversements soient liés à des - 11 -

opérations effectuées pendant le nettoyage du chenal , ils ont complètement cessé. D’ailleurs, tous

les débris provenant du nettoyage ont été déposés du côté nicaraguayen de la frontière, et les

branches et sédiments fertiles sont utilisés pour le replantage des arbres.

37. Enfin, pour ce qui concerne les mesures conservatoires liées au nettoyage du chenal, il ne

faut pas oublier que des investissements ont été effectués dans la zone en question. Il ne s’agit pas

de destruction aveugle. Si le CostaRica obten ait gain de cause, dans la phase du fond, sur la

question de la souveraineté sur cette zone, il pourra it utiliser le chenal nettoyé. Bien entendu, il

pourrait le reboucher, mais je soupçonne que l’industrie touristique du CostaRica ne serait pas

d’accord avec cette idée.

38. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs les juges, la cinquième demande nous

amène à l’objet véritable de la procédure introduite par le Costa Rica. La mesure demandée est la

«suspension, par le Nicaragua, du programme de dragage en cours, mis en Œuvre par
celui-ci en vue d’occuper et d’inonder le territoire costa-ricien et de causer des

dommages à celui-ci ainsi qu’en vue de porter un lourd préjudice à la navigation sur le
Colorado ou de la perturber gravement, suspension requise pour donner plein effet à la
sentence Cleveland dans l’attente de la décision sur le fond du présent différend».

39. L’actuel projet de dragage a été soigneusement préparé par l’établissement public chargé

des transports et ports fluviaux, l’Empresa Port uaria Nacional de Nicaragua (EPN), en2004 et

l’étude d’impact sur l’environnement a été soumise à l’approbation du ministère de

17 l’environnement en 2006, le projet ayant été finalement approuvé en décembre 2008 après presque

trois ans d’étude de ces questions environnementales. La durée de ce processus d’approbation a

fait que deux gouvernements successifs ont pu dire le ur mot sur le projet. Nul au Nicaragua ne

doute que ce dernier satisfasse à tout es les exigences détaillées de la loi nicaraguayenne, qui est

parfaitement à jour sur toutes les questions d’écologie.

40. Le budget du projet de dragage s’élève au total à 7,5 millions de dollars. Il s’avère que

ce montant ne permettra pas de réaliser le proj et original prévoyant l’extraction de plus de

1,5 million de mètres cubes de sédiments du fleuve San Juan, si bien que ce chiffre a été ramené à

942 000 mètres cubes. Si le projet est mené à bi en, le résultat sera que moins de 2 % des eaux qui

coulent actuellement du SanJuan dans le bras du Colorado poursuivront leur cours jusqu’à

l’embouchure du San Juan. C’est une réalité que le Costa Rica connaît parfaitement. - 12 -

41. Le ministre des affaires étrangères et d es cultes du Costa Rica, M. René Castro Salazar,

dans une déclaration publique à la commission de l’environnement de l’assemblée législative

costa-ricienne sur la question de l’impact éventuel du projet de dragage annoncé par le Nicaragua, a

déclaré le 8 septembre 2010 que les études analysant cet impact avaient montré que le programme

de dragage aurait des incidences mineures. Il a d éclaré que le programme n’aurait pas «les effets

environnementaux et économiques alarmants qu’ont suggérés certains médias». Cette déclaration

date du 8 septembre 2010.

42. Pour autant que des changements aient ét é apportés au programme de dragage depuis le

mois d’octobre, après cette déclaration du ministre des affaires étrangères, leur effet a été de

restreindre la portée du projet initial auquel se référa it le ministre Castro. Il n’y a aucune raison de

parler d’«effets environnementaux et économiques alarmants» co mme le font aujourd’hui les

autorités costa-riciennes, emboîtant apparemment le pas aux médias.

43. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, la sixième demande du

CostaRica, la dernière, est que «obligation [soit] faite au Nicaragua de s’abstenir de toute autre

action qui soit de nature à porter préjudice aux droits du CostaRica ou à aggraver ou étendre le

différend porté devant la Cour». Si une telle demande se justifiait, c’est au CostaRica qu’elle

devrait s’adresser. Depuis le début du différend, le Nicaragua a fait preuve d’un esprit ouvert, en

proposant au Costa Rica de participer à des négociations bilatérales inconditionnelles.

44. Le désaccord, qui porte sur une zone de 2,5 kilomètres carrés à l’embouchure du fleuve,
18

pouvait facilement être réglé par la négociation, au lieu d’être porté devant des organisations

politiques comme l’Organisation des Etats américains. La question aurait très bien pu être résolue

par la commission bilatérale qui existe depuis de nombreuses années. Le CostaRica, pour des

raisons qui lui sont propres, a décidé de grossir le problème hors de proportion.

45. Les membres de l’Organisation des Etats amér icains l’ont d’ailleurs bien compris. A la

réunion des ministres des affaires étrangères convo quée le 7décembre2010, le seul ministre des

affaires étrangères présent était celui du Costa Rica.

46. Monsieur le président, pour toutes ces raisons, qui seront développées par nos conseils, le

Nicaragua demande à la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires. Ainsi - 13 -

s’achève mon exposé. Je vous remercie de votre ai mable attention. Monsieur le président, je vous

prie de bien vouloir appeler à la barre M. McCaffrey.

Le PRESIDENT : Je remercie SE. xc. . arloJosArgüello Gómez, agent de la

République du Nicaragua, pour son exposé. J’invite maintenant le professeur Stephen McCaffrey à

venir à la barre.

M. McCAFFREY : Je vous remercie, Monsieur le président.

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un

plaisir pour moi d’être ici pour représenter la République du Nicaragua. Le 18 novembre 2010, le

Costa Rica a introduit une instance contre le Nicar agua devant la présente Cour, cherchant à faire

cesser des activités que le Nicaragua a non seulement le droit mais en fait l’obligation de mener en

vertu des instruments pertinents et du droit international coutumier. Le même jour, le Costa Rica a

déposé une demande en indication de mesures conservatoires. Il en va de la demande comme de la

requête principale: elles ne sau raient prospérer car elles sont totalement dénuées de fondement

juridique ou factuel.

2. Les mesures conservatoires demandées par le CostaRica se fondent sur deux fausses

hypothèses : premièrement, que les actes du Nicaragua dont le Costa Rica se plaint se sont produits

en territoire costa-ricien; et deuxièmement, que le Nicaragua n’a pas le droit de draguer le

SanJuan, sur lequel il a pleine souveraineté, afin d’enlever les débris qui pourraient entraver la

navigation et restaurer l’accès à la mer. Ces deux fausses hypothèses font intervenir des questions

19 qui touchent au fond du différend et devraient donc être traitées lors de cette phase de la procédure.

En fait, il s’agit essentiellement d’un différend concernant la souveraineté, qui ne peut être résolu

au stade des mesures conservatoires sans porter attein te aux droits de l’une des Parties. De plus,

comme le montreront mes collègues, il n’existe aucun risque imminent de préjudice irréparable aux

droits du CostaRica en litige, qui justif ierait l’indication de mesures conservatoires 1. C’est

1 Passage par le Grand-Belt (Finlande c.Danemark), mesures conser vatoires, ordonnance du 29juillet1991,
C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 23 ; Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c. France),

mesures conservatoires, ordonnance du 17 juin 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 107, par. 22 ; Usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservato ires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I),
p. 11, par. 32. - 14 -

d’autant plus vrai que le nettoyage du petit chenal, ou caño, dont se plaint le Costa Rica a été mené

à bien en décembre de l’année dernière comme nous l’a appris l’agent du Nicaragua.

3. Dans la présente intervention, je voudrais esquisser le cadre juridique régissant les droits

et obligations des Parties concernant les questions en litige. Je montrerai que, selon les instruments

applicables, les actes du Nicaragua dont se plai nt le CostaRica ont eu lieu en territoire

nicaraguayen et étaient pleinement conformes auxdits instruments. Mon ami et collègue

M. Reichler montrera ensuite qu’il ne résulte aucun préjudice réel ou potentiel pour le Costa Rica

du nettoyage, par le Nicaragua, du caño ou du fleuve proprement dit.

La souveraineté du Nicaragua sur le San Juan

4. Monsieur le président, la source des droits et obligations des Parties en l’espèce est
2
évidemment le traité de limites entre le CostaRica et le Nicaragua . Comme la Cour l’a fait

observer dans le Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexe
s , l’article 6 de ce

traité dispose notamment que: «La République du Nicaragua aura le dominium et l’ imperium

exclusifs sur les eaux du fleuve SanJuan depuis son origine dans le lac jusqu’à son embouchure

dans l’océan Atlantique [en espagnol : exclusivamente el dominio y sumo imperio ].» (Dans l’arrêt

qu’elle a rendu en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes

(Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a évoqué «l’autorité et la juridiction souveraine du Nicaragua»,

voir arrêt du13 juillet2009, par.19.) Aux fins de la présente affaire, c’est la dernière partie de

cette disposition qui importe, notamment la questi on du tracé de la frontière dans la zone où le

fleuve «se jette dans l’océanAtlantique» et que l’on désigne communément aujourd’hui sous le

nom de mer des Caraïbes.

20
La frontière à l’embouchure du fleuve

5. Le traité de limites de 1858 décrit la frontière entre les Parties dans les termes suivants :

«II. La limite entre les deux Républiques, à partir de la merduNord [la

merdesCaraïbes], partira de l’extrém ité de PuntadeCastilla, à l’embouchure du
fleuve San Juan de Nicaragua, puis suivra la rive droite de ce fleuve jusqu’à un point
distant de troismiles anglais de CastillaVi ejo, cette distance devant être mesurée à
3
partir des fortifications extérieures du château.»

2
Traité de limites territoriales entre le Costa Rica et le Nicaragua, San José, 15 avril 1858, 48 BFSP 1049.
3
Traité de limites, op. cit. supra, art. II. - 15 -

6. Monsieur le président, comme la plupart des grands fleuves, le San Juan de Nicaragua se

jette dans la mer à la faveur d’un delta, son embouchure changeant au fil du temps sous la poussée

de facteurs tels que des modifications du débit ou la manière dont se déposent les sédiments. Entre

la conclusion du traité de1858 et l’interprétation qu’en a donnée le président des Etats-Unis

GroverCleveland en1888, l’embouchure du fleuve avait déjà sensiblement changé. Tenant

compte de cette caractéristique du SanJuan, le présidentCleveland, dans la sentence arbitrale

du 22 mars 1888, a dit ce qui suit concernant le tracé :

«1. La frontière entre la République du CostaRica et la République du
Nicaragua du côté de l’Atlantique comme nce à l’extrémité de PuntadeCastilla à
l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858.

La propriété de tous atterris4ements à P untadeCastilla sera régie par le droit
applicable en la matière.»

7. En vue de procéder à la démarcation de la frontière, les Parties ont conclu en1896 la

5
convention sur le tracé de la frontière . La convention prévoyait que les Parties désignent des

commissions chargées du «traçage et du marquage» de la frontière 6 et que le président des

Etats-Unis désigne un ingénieur qui serait chargé de résoudre les différends entre les commissions

et de démarquer la frontière 7. Le président des Etats-Unis a désigné le général E.P.Alexander

comme ingénieur arbitre, lequel a rendu au total cinq sentences concernant le tracé de la frontière.

8. Dans sa première sentence, le général Alexander a conclu ce qui suit concernant le point
21

où commence la frontière, tant selon le traité de1858 que selon la sentenceCleveland, à savoir

Punta de Castilla :

«Une étude attentive de toutes les carte s disponibles et des comparaisons entre

celles qui ont été établies avant le traité et les cartes établies plus
récemment…permet d’affirmer un fait très clair: l’emplacement exact qui était
l’extrémité du promontoire de Puntade Castillo [Castilla] le 15avril1858 est depuis

longtemps recouvert par la mer des Caraïbes et il n’y a pas assez de convergence entre
les cartes anciennes concernant le tracédu ri vage pour déterminer avec une certitude
suffisante sa distance ou son orientation par rapport au promontoire actuel… Dans ces

conditions, la meilleure façon de satisfaire aux exigences du traité et de la sentence
arbitrale du présidentCleveland est d’adopter ce qui constitue pratiquement le

4
Sentence du président des Etats-Unis concernant la validité du traité de limites entre le CostaRica et le
Nicaragua du 15 juillet 1858, décision du 22 mars 1888, Nations Unies, Recueil de sentences arb itrales internationales,
vol. 28, p. 209 («sentence Cleveland»).
5
El Salvador, 27 mars 1896, 28 Recueil des sentences arbitrales, p. 211.
6
Ibid., art. I.
7 Ibid., art. II et IV. - 16 -

promontoire aujourd’hui, à savoir l’extrémité nord-oue8t de ce qui paraît être la terre
ferme, sur la rive est du lagon de Harbor Head.»

En conséquence le généralAlexander a déclaré que la ligne initiale de la frontière serait la

suivante, et vous pouvez voir ses mots défiler sur l’écran :

«Son orientation sera nord-est sud-ouest, à travers le banc de sable, de la
merdesCaraïbes aux eaux du lagon de Harbor Head. Elle passera au plus près à
quatre vingt dix mètres au nord-ouest de la petite cabane qui se trouve actuellement

dans les parages. En atteignant les eaux du lagon de Harbor Head, la ligne de frontière
tournera à gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage autour du port jusqu’au
moment où elle atteindra le fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré .

Remontant ce chenal et le fleuve p9opreme nt dit, la ligne continuera de remonter
comme prescrit dans le traité.»

Monsieur le président, je reviendrai sur la dernière partie de cette description dans un instant.

Mais, pour le moment, je voudrais demander à la Cour de noter l’incertitude qui pèse sur le

commencement de la ligne de frontière, incertitude qui persiste aujourd’hui, comme l’a expliqué

l’agent du Nicaragua.

9. Toujours dans sa première sentence, le général Alexander avait indiqué que : «L’extrémité

10
naturelle de cette ligne est la rive droite du promontoire de l’embouchure du port.»

Cela avait sans doute du sens au XIX siècle, lorsqu’il existait un port à l’embouchure du San Juan,

mais cela n’en a plus aujourd’hui, puisque des modifications à l’embouchure et dans le delta du

fleuve ont depuis longtemps fait disparaître le port. Cela ressort clairement du deuxième rapport de

M. George L. Rives, secrétaire d’état adjoint des Etats-Unis, à qui le présidentCleveland avait

demandé d’établir un rapport sur les questions dont était saisi l’arbitre. En1888, soit onzeans

avant que le généralAlexander ne rende sa premiè re sentence, GeorgeL.Rives déclarait ce qui

suit :

22 «En1858, l’entrée du port était encore bien dégagée et un de ses côtés était
constitué par le promontoire de Punta de Castilla…

Depuis1858, cet état de chose a complètement changé. Il n’y a plus de port

fixe ni d’ouverture fixe sur le port. Les ea ux du fleuve entrent dans la mer partout où
elles peuvent s’écouler à travers le sable accumulé sur le rivage ; et où il existait une

8
E.P.Alexander, première sentence de l’ingénieur arbitre, convention entre le CostaRica et le eicaragua du
8avril1896 pour la démarcation de la frontière en tre les deuxrépubliques, d écision du 30septembre1897, 28 Recueil
des sentences arbitrales, p. 220.
9
Ibid., p. 220 ; c’est nous qui soulignons.
10Ibid., p. 217. - 17 -

seule langue de terre, il y a à présent une chaîne ou groupe d’îlots mouvants.» 11

[Traduction du Greffe.]

10. De plus, aujourd’hui, jusqu’à 90% des eaux du SanJan s’écoulent par le bras appelé

Colorado, qui est en territoire costa-ricien jusqu’à la mer, l’embouchure du SanJuan étant

encombrée par des sédiments. On peut voir le c ontraste sur l’écran, qui montre une carte de 1851

dans sa partie supérieure et une image satellite de 2010 dans sa partie inférieure.

11. Monsieur le président, le généralAlexander a reconnu dans sa deuxième sentence qu’il

était probable que l’embouchure du SanJuan contin ue à se modifier. Statuant sur un différend

entre les Parties sur la question de savoir s’il fa llait poursuivre les activités de démarcation, le

général Alexander a déclaré ce qui suit, que vous pouvez voir à l’écran et je présente mes excuses à

la Cour pour la longueur de cette citation, mais je pense qu’il faudrait la lire intégralement car elle

est essentielle à la bonne compréhension de l’espèce :

«Il convient de noter, pour mieux co mprendre la question, que le fleuve
SanJuan traverse, dans sa partie inférieure, un delta plan et sablonneux, et qu’il est
bien sûr possible non seulement que ses rives s’élargissent ou se resserrent de manière
progressive mais aussi que ses chenaux soient radicalement modifiés. De tels

changements peuvent survenir de manière a ssez rapide et soudaine, et ne pas être
toujours la conséquence de phénomènes excep tionnels tels que des tremblements de
terre ou de violentes tempêtes. Nombreux sont les exemples d’anciens chenaux

aujourd’hui abandonnés et de rives qui se m odifient sous l’effet d’expansions ou de
contractions progressives.

De tels changements, qu’ils so ient progressifs ou soudains, auront

nécessairement des incidences sur la ligne frontière actuelle. Mais, concrètement, les
conséquences ne pourront être déterminées qu’en fonction des circonstances
particulières à chaque cas, conformément aux principes du droit international

applicable.

Le mesurage et la démarcation proposée de la ligne frontière seront sans
incidence sur l’application desdits principes.

Le fait que la ligne ait été mesurée ou démarquée ne renforcera ni n’affaiblira
la valeur juridique qui aurait pu être la si enne si ces opérations n’avaient pas eues

lieu.

Ce mesurage et cette démarcation au ront pour seul effet de permettre de
déterminer plus aisément la nature et l’ampleur des modifications futures.» 12

23 12. Le généralAlexander a précisé sa pensée sur les effets des changements affectant les

berges et les chenaux du fleuve dans sa troisième sentence, dans laquelle il a déclaré que :

11
GeorgeL.Rives, Report to the arbitrator, the President of the UnitedStates, second, 2mars1888, Archives
nationales des Etats-Unis, 1934, p. 206.
12
Ibid., p. 224 ; c’est nous qui soulignons. - 18 -

«selon une interprétation pratique du traité de1858, le SanJuan doit être considéré
comme un cours d’eau navigable…

Des fluctuations du niveau des eaux ne modifieront pas la position de la ligne
frontière, mais des modifications des berges ou des chenaux la modifieront, comme on
13
peut le déterminer au cas par cas selon l es règles du droit international applicables.»
[Traduction du Greffe.]

13. Par conséquent, comme l’a bien compris le général Alexander, la ligne-frontière dans la

zone du delta change constamment. Par conséquent, contrairement à ce que nous avons entendu ce

matin, ce qui figure sur une carte donnée n’est, dans le meilleur des cas, qu’une représentation des

conditions qui prévalaient au moment où la carte a été faite; ce n’est en aucun cas le tracé d’une

frontière.

14. Monsieur le président, le principe gé néral selon lequel une frontière indiquée sur une

carte doit faire l’objet d’une description textuelle est bien établi et a été reconnu par la Cour et par

d’autres tribunaux internationaux 1. Ce principe, ainsi que les sentences du général Alexander que

nous venons d’évoquer, montrent que le CostaRica a tort de mettre autant l’accent sur la

15
cartographie . C’est le texte qui figure dans les inst ruments pertinents, appliqué à une situation

physique en constante mutation, qui doit l’emporter.

15. C’est particulièrement vrai en l’espèce, parce qu’en dépit des sages observations du

général Alexander sur la fluidité de la frontière, son tracé dans la zone de l’embouchure n’a pas été

réexaminée par les parties depuis plus de cent ans, comme l’a fait observer l’agent du Nicaragua il

y a quelques instants. La preuve en est d’ailleurs que les cartes officielles du Nicaragua, celles-là

mêmes auxquelles le Costa Rica se réfère pour étay er sa thèse, portent une mention avertissant que

les données à partir desquelles elles ont été établies «n’ont pas été vérifiées sur le terrain».

16. Dans la zone contestée, là où les chenaux du fleuve sont en constante mutation, une telle

vérification serait de toute évidence nécessaire pour dé terminer le tracé véritable de la frontière. Il

24
serait pratiquement impossible au généralAlex ander de reconnaître auj ourd’hui l’embouchure du

13E.P.Alexander, troisième sentence rendue par le sur-a rbître ingénieur en vertu de la convention entre le
CostaRica et le Nicaragua du8avril1896 pour la démarcation de la frontière entre les deux républiques, décision
du 30 septembre 1897, 28 Recueil des sentences arbitrales, p. 230.

14Voir par exemple, affaire concernant le Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
C.I.J. Recueil 1986, p.582 et583, par.54 à 56; affaire relative à Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
(Indonésie/Malaisie), C.I.J. Recueil 2002, p. 667, par. 88 ; et Island of Palmas Arbitratio, Second International
Arbitration Awards p. 853 (1949), 22 American Journal of International Law, p. 891 (1928).

15Voir requête du Costa Rica, par. 8. - 19 -

fleuve qu’il a inspectée à la fin du XIX siècle. Ce qu’il a décrit comme «un delta plan et

sablonneux» est à présent une zone humide, un marécage si vous voulez, dont les eaux sont

stagnantes quasiment toute l’année.

«Le premier chenal rencontré»

17. Monsieur le président, le décor étant planté, revenons à la décision du général Alexander

concernant le tracé de la frontière entre la mer des Caraïbes et le San Juan de Nicaragua. La Cour

se rappellera qu’après avoir décrit le tracé de la frontière commençant dans la mer des Caraïbes et

se prolongeant dans les eaux du lagon de Harbor Head, le généralAlexander a indiqué que «la

ligne de frontière…suivra le rivage autour du port jusqu’au moment où elle atteindra le fleuve

proprement dit par «le premier chenal rencontré». Remontant ce chenal et le fleuve proprement dit
16
la ligne continuera de remonter comme prescrit dans le traité.» Une question d’importance

cruciale au stade des mesures conservatoires en l’espèce, et en fait pour l’affaire dans son

ensemble, est de savoir où se trouve aujourd’hui «le premier chenal rencontré» ? On peut voir la

réponse sur le graphique qui est projeté sur l’écran. Ce chenal naturel, ou caño, qui relie le lagon

de Harbor Head et le San Juan de Nicaragua, est bien établi et est navigable, comme on peut le voir

sur les images qui passent maintenant sur l’écran. Les images sont tirées de l’enregistrement vidéo

déposé et sont présentées sous cette forme pour gagner du temps. On commence par voir l’endroit

où le caño se sépare du San Juan et celui où il débouche sur le lagon de Harbor Head, ce que vous

pouvez voir maintenant. L’opéra tion de nettoyage à laquelle ont procédé des travailleurs

nicaraguayens munis de pelles et de pioches est l’«invasion» dont se plaint le CostaRica. Il sera

rapidement évident pour la Cour que ces travailleurs se trouvaient en fait en territoire nicaraguayen,

et non en territoire costa-ricien : selon la première sentence du général Alexander, la frontière suit

la rive droite du lagon de Harbor Head, le chenal et, par la suite, le fleuve.

18. Cette frontière est non seulement conforme à la sentence du général Alexander, lue à la

lumière des réalités physiques contemporaines qui sont le résultat de changements prévus et

mentionnés par le général, mais est aussi beaucoup plus rationnelle qu’une frontière qui suivrait la

lagune de Harbor Head tout au long de la côte, pui s remontrait le rivage jusqu’au moment où elle

16
E.P. Alexander, première sentence, op. cit., p. 220 ; les italiques sont de nous. - 20 -

atteindrait ce qui reste du chenal du San Juan, comme le ferait le tracé revendiqué par le Costa Rica

25 et que l’on voit à présent à l’écran. Cela ne saura it être ce que le général Alexander entendait car,

si cela avait été le cas, il se serait référé «l’embouchure du SanJuan de Nicaragua» ou à une

expression du même genre et non au «premier ch enal rencontré»; et sa description n’aurait

certainement pas indiqué «remontant ce chenal, et le fleuve proprement dit, la ligne continuera de

remonter comme prescrit dans le traité». Le général Alexander a établi une distinction claire entre

«le premier chenal rencontré» et «le fleuve proprement dit», distinction qui ne cadre pas du tout

avec ce que prétend le Costa Rica concernant l’emplacement de la frontière.

19. Monsieur le président, si l’on applique les sentences Alexander aux réalités sur le terrain,

on s’aperçoit clairement que ce n’est pas le Nicara gua qui fait des incursions sur le territoire

costa-ricien mais en fait le CostaRica qui cher che à dépouiller le Nicaragua et à le priver d’une

partie de son territoire souverain. Il pourrait paraître paradoxal à première vue que le CostaRica

apporte les changements radicaux mentionnés dans sa requête, particulièrement sur un territoire

pour lequel il n’a jusqu’à présent pas manifesté le mo indre intérêt et dans lequel aucun incident de

souveraineté n’a pu être établi, comme nous allons le montrer. Mais quand on examine les plaintes

du CostaRica à travers le prisme de son aversion pour les travaux de dragage entrepris par le

Nicaragua, leur raison d’être devient claire: le CostaRica estime devoir faire tout ce qu’il peut

pour empêcher le Nicaragua d’exercer ses droits souverains et, en fait, sa responsabilité, de draguer

le SanJuan de Nicaragua et de lui rendre sa navigabilité jusqu’à la merdesCaraïbes.

Heureusement pour le Nicaragua, le droit et la raison sont de son côté.

Le droit du Nicaragua de draguer le San Juan

20. Monsieur le président, le droit qu’ a le Nicaragua de draguer le San Juan ⎯ cours d’eau

sur lequel il possède un « dominium et impérium exclusifs», et qui transporte une charge

sédimentaire importante ⎯ a été clairement reconnu par le présidentGroverCleveland dans sa

sentence de1888. Au troisième article de ladite sentence, le présidentCleveland précise (la

citation est projetée à l’écran) :

«4. La République du CostaRica n’ est pas obligée de s’entendre avec la
République du Nicaragua sur les dépenses nécessaires pour empêcher l’obstruction de
la baie de San Juan del Norte, pour assure r une navigation libre et sans encombre sur

le fleuve ou dans le port, ou pour améliorer celle-ci dans l’intérêt commun. - 21 -

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

6. La République du Costa Rica ne pe ut empêcher la République du Nicaragua
d’exécuter à ses propres frais et sur son propre territoire de tels travaux

d’amélioration, à condition que le territoire du Costa Rica ne soit pas occupé, inondé
ou endommagé en conséquence de ces trava ux et que ceux-ci n’arrêtent pas ou ne
26 perturbent pas gravement la navigation sur ledit fleuve ou sur l’un quelconque de ses
affluents en aucun endroit où le Costa Rica a le droit de naviguer. La République du

CostaRica aura le droit d’être indemnisée si des parties de la rive droite du fleuve
SanJuan qui lui appartiennent sont occ upées sans son consentement ou si des terres
situées sur cette même rive sont inondées ou endommagées de quelque manière que ce
17
soit en conséquence de travaux d’amélioration.»

21. La Cour constatera que la sentence Clev eland reconnaît non seulement au Nicaragua le

droit d’exécuter des travaux d’amélioration «pour assurer une navigation libre et sans encombre sur

le fleuve ou dans le port», mais prévoit également, en cas de dommages causés au territoire du

CostaRica par les travaux susmentionnés, le droit pour celui-ci de réclamer non pas la cessation

des travaux en cause, mais une indemnisation. Voilà qui met nettement en échec la cinquième

mesure conservatoire demandée par le CostaRica, à savoir, la «suspensi on, par le Nicaragua, du

programme de dragage en cours, mis en Œuvre par celui-ci en vue d’occuper et d’inonder le

territoire costa-ricien et de causer des dommage s à celui-ci ainsi qu’en vue de porter un lourd

18
préjudice à la navigation sur le Colo rado ou de la perturber gravement» . Cette décision du

président Cleveland porte à conclure que, co mme mon ami et collègue AlainPellet va le

démontrer, tout dommage causé au CostaRica comme conséquence du dragage effectué par le

Nicaragua ne serait pas irrémédiable. Des mesures conservatoires ne sont donc pas nécessaires.

22. Par ailleurs, le Nicaragua a non seulement le droit de draguer le fleuve mais aussi

l’obligation de le faire. Il est depuis longtemps reconnu, comme l’énoncent lesrèglesd’Helsinki

de 1966, que «chaque Etat riverain est tenu, dans les limites des moyens dont il dispose ou qui sont

mis à sa disposition, de maintenir en bon état la portion du cours navigable d’un fleuve ou d’un lac

19
qui relève de sa juridiction.» Par définition, le San Juan relève de la juridiction du Nicaragua. Le

dragage est un des moyens mis à la disposition d’un Etat pour préserver la navigabilité de ses cours

d’eau. Ainsi, en vous demandant d’ordonner au Nicaragua de suspendre son programme de

17Sentence Cleveland, op cit., supra, p. 209-210, les italiques sont de nous.
18
Demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Costa Rica, p. 7.
19Règles d’Helsinki sur le s utilisations des eaux fleuves internationaux, article XVIII, International law
Association, Report of the Fifty-Second Conference, Helsinki, 1966, p. 484. (Les italiques sont de nous). - 22 -

dragage, le CostaRica vous demande en réa lité d’ordonner au Nicaragua de manquer à une

obligation qui lui incombe.

23. La Cour notera par ailleurs que, tout à s on enthousiasme, le CostaRica a fabriqué une

série de terribles conséquences aux travaux mine urs entrepris par le Nicaragua, inventant non

seulement des structures non existantes, mais semblant aussi se contredire lui-même. Dans son

deuxième rapport, le secrétaire d’Etat adjoint, M. Rives, éclaircit le sens du mot «occupation»,

27 précisant au sujet du Costa Rica, «[qu’] il a égalemen t le droit de demander d’être indemnisé dans

le cas où une partie de son sol serait occupée sans son consentement par des structures telles que

des digues ou des barrages, ou serait inondée du fait de l’augmentation du niveau du fleuve» 20.

[Traduction du Greffe.] J’insiste peut-être sur une évidence, Monsieur le président, en relevant que

le nettoyage du lit du fleuve par le Nicaragua n’ impliquera en aucun cas la mise en place de

nouvelles structures sur le sol costa-ricien. Le Co staRica affirme ensuite que le dragage exécuté

par le Nicaragua aurait pour conséquence «d’inond er le territoire costa-ricien et de causer des

dommages à celui-ci» et de «porter gravement pr éjudice à la navigation sur le Colorado ou de la

perturber». En réalité, les travaux d’amélioration effectués par le Nicaragua n’auront aucune de ces

deux conséquences imaginaires, comme va le démontrer mon collègue Paul Reichler. Et, surtout,

comme va le montrer M.Pellet, il n’existe pas de risque plausible qu’un préjudice imminent soit

causé aux droits du CostaRica en l’espèce, sous la forme d’inondation ou de préjudice à la

navigation sur le territoire costa-ricien comme c onséquence du dragage envisagé par le Nicaragua.

La présence costa-ricienne dans la zone n’est pas non plus menacée, car le CostaRica n’est tout

simplement pas présent dans cette zone et ne l’a jamais été.

Le Nicaragua a constamment exercé son autorité su r la zone en litige alors que le Costa Rica

ne l’a jamais fait et n’a même jamais essayé de prendre possession du territoire.

24. Monsieur le président, l’absence totale du CostaRica dans la zone en litige ⎯ qui est

constituée de quelque 2,5 km 2de zones humides ⎯ et le fait que les attributs habituels de l’autorité

gouvernementale n’y sont pas exercés viennent étayer la revendication de souveraineté du

Nicaragua sur cette zone. L’absence d’effectivités de la part du Costa Rica et l’exercice pacifique

20
Deuxième rapport Rives, op. cit., supra. - 23 -

de telles effectivités par le Nicaragua ne laissent aucun doute quant à la souveraineté sur la zone en

cause. Si cette question relève essentiellement du fond, le simple fait que le Costa Rica n’a même

pas essayé d’exercer une autorité gouvernementale sur la zone en cause et, plus encore, l’absence

de toute trace de possession de la part du CostaRica ou de ses ressortissants renforcent la

souveraineté du Nicaragua et font échec à la demande de mesures conservatoires du Costa Rica.

25. On trouve de nombreuses preuves d’effectiv ité nicaraguayenne dans la zone en cause.

Au stade actuel de la procédure, le Nicaragua se bornera donc à quelques exemples qui montrent

qu’il a effectivement exercé son au torité souveraine sur la zone en litige et que le CostaRica n’a

rien fait de tel. Tous ces faits sont étayés par des déclarations sous serment versées au dossier et
28
dont les références figurent en note de bas de page du présent
discours.

a) Premièrement, l’armée et la police nicaraguayennes ont toujours patrouillé dans la lagune de

HarborHead et, ce faisant, elles ont navigué sur le caño et d’autres petits canaux reliant le

fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head en hiver et parfois en été, lorsque le niveau d’eau le

21
permettait ;

b) deuxièmement, dès les années1970, un détachement de garde-frontières de l’armée était

stationné dans ce qu’un déclarant décrit comme une «construction rustique … dans le marais de

22
Harbor Head» ;

c) troisièmement, depuis plusieurs dizaines d’années, la police nicaraguayenne assure une

présence permanente dans la zone de HarborHead et y effectue régulièrement des

23
patrouilles ;

d) quatrièmement, depuis au moins trente ans, la police, l’armée et les forces navales

nicaraguayennes mènent des opérations c onjointes dans la zone contre des

contre-révolutionnaires, des trafiquants de drogue , des fugitifs et des personnes se livrant au

trafic de la faune et de la flore. Par ailleurs, la police a effectué des patrouilles conjointes avec

21Voir par exemple les déclarations des commissaire s principaux de la police nationale Gregorio de
Jesús Aburto Ortiz, (doc. n 1) et Douglas Rafael Pichardo Ramírez (doc n 4), ainsi que celle de l’officier de l’armée
Juan Francisco Gutiérrez Espinoza (doc. n7).

22Déclaration du commissaire principal de la police nationale Gregorio de Jesús Aburto Ortiz (doc. n 1).

23Ibid. - 24 -

le ministère des ressources naturelles et de l’environnement (MARENA) pour empêcher le

24
trafic des ressources naturelles ;

e) cinquièmement, chaque fois que le président du Nicaragua se rendait dans la ville de San Juan

de Nicaragua, la police était déployée dans la zone en litige, qui était par ailleurs survolée par

25
des hélicoptères ;

f) sixièmement, les agents de la police ou de l’armée ni caraguayennes qui ont fait des déclarations

ont dit n’avoir jamais rencontré de représenta nts des forces publiques ou des autorités du

26
Costa Rica dans la zone de Harbor Head ; et

g) septièmement, les communications entre la police nationale du Nicaragua et les forces publiques

du Costa Rica ont toujours été régulières et n’on t été marquées par aucun incident ; la présence

de la police nationale du Nicaragua dans tout e la zone sud-est du Nicaragua, ycompris à
29

HarborHead, a été signalée à des agents de la force publique costa-ricienne sans que les

27
autorités de ce pays ne formulent la moindre protestation .

26. En somme, Monsieur le président, le Costa Rica ne s’est jamais comporté comme si la

zone en litige relevait de sa souveraineté, du moins jusqu’à ce que le Nicaragua commence ses

travaux d’amélioration du SanJuan inférieur. Autrement dit, le Costa Rica n’a pas exercé sa

juridiction sur la zone en litige, comme M. Kohen l’a souligné ce matin. A l’inverse, le Nicaragua

a exercé une autorité gouvernementale dans la zone du delta de San Juan, notamment en matière de

maintien de l’ordre, qui est une des principales f onctions gouvernementales. Le comportement du

Nicaragua s’inscrit dans la logique de sa souveraineté sur la zone en litige, contrairement à celui du

Costa Rica, qui n’a aucune effectivité dans cette zone et n’en a jamais eu. Le Costa Rica ne devrait

donc obtenir aucune des mesures conservatoires énoncées sous les points1 à4 de sa demande

(partie F «Les mesures demandées»). Faire droit à ces mesures serait préjudiciable à l’issue de la

présente affaire, et donc à son règlement par la Cour.

24 Ibid., et déclaration du commissaire principal de la po lice nationale LuisFernando BarrantesJiménez
(doc. n 2).

25Déclaration du commissaire principal de la police nationale Luis Fernando Barrantes Jiménez (doc. n 2).
26
Voir par exemple ibid., et les déclarations des commissaires prin cipaux de la police na tionale Gregoriode
Jesús Aburto Ortiz, (doc. n1), José Magdiel Pérez Solis (doc. n 3) et Douglas Rafael Pichardo Ramírez, (doc. n 4).
27
Déclaration du commissaire principal de la police notionale José Magdiel Pérez Solis, chef de la délégation de
la police nationale dans le département de Río San Juan (doc. n. - 25 -

Conclusions

27. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, mon analyse de la situation

me conduit à conclure ce qui suit :

a) premièrement, le Nicaragua jouit d’une pleine souverain eté sur le SanJuan, qui fait partie de

son territoire, comme le prévoit le traité de limites de1858 et comme l’ont reconnu le

président Cleveland dans sa sentence de 1888 et la Cour dans l’affaire du Différend relatif à des

droits de navigation et des droits connexes ;

b) deuxièmement, dans l’exercice de sa souveraineté et comme la sentence Cleveland le reconnaît

expressément, le Nicaragua a le droit de drague r le San Juan «pour assurer une navigation libre

et sans encombre sur le fleuve ou dans le port». Il a également l’obligation internationale de le

faire. La navigation sur le SanJuan inférieur et dans le port n’étant actuellement ni libre, ni

sans encombre, le Nicaragua fait simplement ce qu’un Etat responsable devrait faire et agit en

pleine conformité avec ses droits souve rains, notamment ceux mentionnés par le

président Cleveland ;

30 c) troisièmement, et ce point intéresse particulièrement ce stade de la procédure, si le territoire

costa-ricien devait être occupé, inondé ou endommagé en conséquence de travaux

d’amélioration, et que ceux-ci devaient perturbe r la navigation sur le SanJuan ou «sur l’un

quelconque de ses affluents [là] où le Costa Rica a le droit de naviguer» 28, le Costa Rica aurait

droit à une indemnisation et non à la cessation des travaux en cause. Le montant de l’indemnité

serait à déterminer au stade du fond ou par la suite ;

d) quatrièmement, en vertu de la première sentence Alexander, le caño reliant le lagon de

HeadHarbor au SanJuan fait partie du territoire du Nicaragua et est le «premier chenal

rencontré» quand on suit le rivage sud du lagon. La ligne fron tière suit la rive droite du caño

jusqu’à sa rencontre avec le San Juan «proprement d it», où il suit la rive droite jusqu’au fleuve

29
«comme le prescrit le traité de 1858» ;

e) cinquièmement, contrairement à ce qu’ont dit MM. Kohen et Crawford ce matin, le fait que le

Costa Rica ait été totalement ab sent de la zone en litige et qu’il n’y ait pas exercé les attributs

28
Sentence Cleveland, op cit., supra, art. 3, par. 6.
29Première sentence Alexander, op ci t., supra, 28RIAA, p.220 (toutes les citations repr oduites dans ce
paragraphe sont extraites de cette page). - 26 -

habituels de l’autorité gouvernementale, ne laisse aucun doute quant au bien fondé de la

revendication du Nicaragua sur cette zone. L’ab sence d’effectivités costa-riciennes, à laquelle

s’oppose l’exercice pacifique de telles effectivités par le Nicaragua, confirme la souveraineté de

celui-ci sur la zone en litige.

28. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé de

cet après-midi. M. Reichler va à présent montre r qu’aucune des activités du Nicaragua ne causera

de dommage, et encore moins de dommage irréparable, au Costa Rica.

29. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Monsieur le président, je vous serais reconnaissant de bien vouloir appeler M. Reichler à

la barre.

Le PRESIDENT: Je remercie M.Stephen McCaffrey pour son exposé. Je donne à présent

la parole à M. Paul Reichler.

31 M. REICHLER :

L A PREUVE DES DOMMAGES PRÉTENDUMENT CAUSÉS AU C OSTA RICA

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est comme toujours un

honneur pour moi de m’adresser à vous et c’est un privilège de représenter une fois encore la

République du Nicaragua. Je me propose aujourd’hui de revenir avec vous sur les preuves

présentées par les Parties sur la question des dommages.

2. Dans le cadre de cette procédure préliminaire, le CostaRica met en avant deux types de

dommages: 1)la diminution du débit du Colorado, qui selon lui serait causée par le fait que le

Nicaragua drague le cours inférieur du SanJuan ; et 2)l’abattage d’arbres et l’inondation de

marécages situés près de l’embouchure du SanJuan, qui serait due au curage, par le Nicaragua,

d’un chenal reliant le fleuve proprement dit à la lagune de Harbor Head.

3. Lorsque la Cour examinera les éléments de preuve effectivement produits, au lieu de la

version déformée qui en a été présentée ce matin, elle constatera que le Costa Rica n’a pas réussi à

établir l’existence de dommages. Il n’a en t out cas rien prouvé qui puisse s’apparenter à des

dommages irréversibles ou irréparables. - 27 -

4. S’agissant des dommages prétendument causés au Colorado, les éléments de preuve

montrent que le Nicaragua a soigneusement étudié pendant trois ans les conséquences du projet sur

l’environnement et a notamment procédé à une étude complète d’impact environnemental

transfrontalier, dont la conclusion a été que l’im pact sur le fleuve Colorado et son débit serait

négligeable 30. Cette conclusion est confirmée par l’étude technique menée par le CostaRica

31
lui-même, que la Cour a reçue vendredi dernier . En septembre 2010, sur la base de cette étude, le

ministre costa-ricien des affaires étrangères a d éclaré devant le parlemen t de son pays que le

dragage du SanJuan par le Nicaragua n’aurait pas de répercussions négatives sur le fleuve

Colorado 32. Il a tenu ces propos deux mois à peine avant l’introduction de l’instance.

32 5. C’est un autre son de cloche que le Costa Rica nous donne à entendre aujourd’hui. Dans

sa demande en indication de mesures conservatoires, il écrit que «le Nicaragua avait l’intention de

détourner une partie des eaux du Colorado […] équivalant à quelque 1700mètres cubes par

seconde» 33. Ce volume est celui du débit maximum du Co lorado, lorsque son niveau est le plus

haut. Or, l’étude détaillée d’impact sur l’environnement conduite par le Nicaragua concluait que la

34
diminution du débit du Colorado résultant du pr ojet de dragage serait inférieure à 5 % . L’étude

technique exhaustive réalisée par le CostaRica lui-même, citée par le ministre des affaires

étrangères, estimait la diminution du débit à moins de 4,5 %, trop peu pour perturber en quoi que ce

35
soit la navigation . Devant le parlement du CostaRica, le ministre des affaires étrangères a

30 Document n°13, déclaration sous serment de MmeHildaEspinozaUrbi na (ci-après, «document n°13:
déclaration sous sermen t Espinoza», figurant sous l’ongletPSR3 du dossier d’audience), par.20 f); document n o15,
déclaration de M.Virgilio SilvaMungía (ci-après, «document15: déclar ation Silva»), par.2 et 3; document n o16,
o
déclaration de M. Lester Antonio Quintero Gómez (ci-après, «document n 16: déclaration Quintero», figurant sous
l’onglet PSR2 du dossier d’audience), par. 7 et pages correspondan tes de l’annexe 3 à cette déclaration. Comme tous les
autres documents non publics cités dans ce qui suit, déclarations, déclarations sous serment, certifications ou autres, ces
documents ont été soumis à la Cour par l’agent de la république du Nicaragua le 5 janvier 2011.
31
Área de Ingeniería Hidráulica, C.S. Diseño, ICE, Estudio de comportamiento de caudales en la bifurcación Río
San Juan – Río Colorado (ci-après, «étude costa-ricienne des débits»), p. 5. La version espagnole a été soumise à la Cour
par le CostaRica le 7janvier2011; une traduction anglai se de cette étude figure sous l’ongletPSR6 du dossier
d’audience.

32 Documentn 19: déclaration de M.RenéCastroSalazar, ministre costa-ricien des affaires étrangères [et du

culte] devano la commission de l’envir onnement de l’assemblée législative du CostaRica, 8septembre2010 (ci-après,
«document n 19 : déclaration Castro», figurant sous l’onglet PSR5 du dossier d’audience), par. 17-20.
33
Demande en indication de mesures conservatoires déposée par le Costa Rica le 18 novembre 2010, par. 6.
34 Documentn o 15 : déclaration Silva, par. 2 et 3 ; document n 16: déclaration Quintero, par.7 et pages
o
correspondantes de l’annexe3 à cette déclaration; voir aussi documentn 13: déclaration sous serment Espinoza,
par. 20 f).
35
Etude costa-ricienne des débits, p. 5. - 28 -

déclaré que, même à 12%, la déviation n’aurait pas de répercussions négatives sur le fleuve

Colorado ou le Costa Rica 36.

6. S’agissant du nettoyage manuel du chenal relia nt le fleuve SanJuan proprement dit à la

lagune de Harbor Head, le Costa Rica nous a aujourd’hui encore offert un bel exemple d’hyperbole

cachée sous les dehors d’une preuve. Ce que mo ntrent les éléments de preuve effectivement

produits, c’est que pendant trente jours, d es travailleurs nicaraguayens équipés d’outils

rudimentaires ⎯ pelles, pioches, seaux et scies ⎯ ont dégagé à la main le chenal de la végétation,

des sédiments accumulés et des autres débris qui l’ encombraient, en vue de le rendre navigable par

37 38
de petits bateaux . Le projet s’est achevé le mois dernier . Il n’y a plus aujourd’hui de travaux

de dégagement.

7. Avant que cette partie du projet soit autori sée, le Nicaragua en avait également étudié les

aspects environnementaux, y compris l es éventuels effets transfrontaliers 39. La végétation n’a été

dégagée que du côté nicaraguayen du chenal et, c onformément à l’autorisation environnementale,

les arbres abattus ont été remplacés à raison de dix nouveaux arbres pour chaque arbre enlevé, si

40
bien qu’il n’y aura pas d’impact durable sur l’environnement .

33 8. Cherchant à étayer sa thèse, le Costa Rica fait une description totalement fausse du chenal

et du projet de dégagement. Contrairement à ce qu’ il prétend, il ne s’agissait pas de construire «un

41
canal artificiel» , mais seulement d’enlever la végétation et les sédiments d’un chenal existant si

obstrué par les débris que la navigation y était impossible. En outre, et c’est là sa principale faille,

la thèse du Costa Rica selon laquelle le dégagement du chenal causerait des dommages postule que

la déviation par le chenal concernerait l’intégra lité ou la plus grande pa rtie des eaux du SanJuan

36 o
Document n 19 : déclaration Castro, par. 17.
37 o o
Documentn 14 : déclarations de Mme Elsa María Vivas Soto (ci-après «document n 14 : déclarations
Vivas»), par. 7, 10, 17 et 18 ; voir aussi document n13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 22, 24 a), 26, 29, 30 b)
et 31.

38Documentn 12 : certification de M. Roberto AraquistainCisneros (ci-après «documentn o 12 : certification
Cisneros»), par. 2 ; document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 31.

39Documentn o13 : déclaration sous serment Espinoza, par.23-29; voir aussi documentn o 14 : déclarations
Vivas, par. 11-13.

40Documentn o14 : déclarations Vivas, par. 20-22 ; document n 13 : déclaration sous serment Espinoza,
o
par. 30 b) et 31 ; document n 12 : certification Cisneros, par. 4.
41Demande en indication de mesures conservatoires, op cit. supra, par. 14. - 29 -

42
inférieur . Les arguments du CostaRica sur l’inondati on du chenal, l’érosion des rives et la

modification du niveau et l’altération de la qua lité des eaux dans la lagune de HarborHead

reposent sur ce postulat: les eaux du SanJuan seront en totalité ou dans leur plus grande partie

déviées vers le chenal, si bien que le volume d es eaux dans ce chenal sera excessif et causera une

inondation.

9. Les faits montrent cependant que ce postulat est totalement faux. Le débit du San Juan à

43
l’approche du chenal a été mesuré à bien plus de 100 mètres cubes par seconde . Dans le chenal

même ⎯une fois celui-ci totaleme nt dégagé en décembre ⎯le débit a été mesuré à moins de

3 mètres cubes par seconde 44. Autrement dit, moins de 3% des eaux du SanJuan passent

désormais par le chenal dégagé, et non pas la tota lité ou le plus gros des eaux du fleuve comme le

suppose le CostaRica. Et encore, ces mesures ont été effectuées à la fin de la saison des pluies,

lorsque les eaux sont à leur plus haut niveau. Les éléments de preuve montrent que le volume

d’eau résultant qui passe effectivement par le chenal n’est que de 2,38 mètres cubes par seconde, ce

qui est très insuffisant pour causer l’inondation ou les autres terribles conséquences imaginées par

le Costa Rica.

10. Le CostaRica invoque principalement le rapport qu’une mission c onsultative Ramsar a

publié la semaine dernière, juste à temps pour ces audi ences. Il a tort de le faire. Ce rapport ne

traite pas des conséquences du dragage du SanJuan, mais porte principalement sur le curage du

chenal. Sur ce point, le rapport lui-même indique qu’il repose entièrement sur des informations

34 fournies par le CostaRica 45. Aucun effort n’a été fait pour établir les faits de manière

indépendante. La mission consultative Ramsar ne s’est pas rendue sur le chantier, ni même dans la

42Ibid., par.5 (alléguant que le Nicaragua entend «faire dé vier le cours historique na turel du SanJuan vers la
lagune de los Portillos (ou lagune de Harbor Head)»).

43Voir documentn 16 : déclaration Quintero, annexe 3 : extraits de la version révisée du rapport final sur la
conception du projet, par. 16, 17 et 22.

44Document n 17, certification de M. Lester Antonio Quintero Gómez (ci-après, «document n 17 : certification
Quintero»), par. 1 et 2.
45
Informe Final, Misión Ramsar de Asesoramiento No.69 : Humedal de Importancia International Caribe
Noreste, Costa Rica, 3 janvier 2011 (ci-après «rapport Ramsar»), p. 4 et 35 de la traduction anglaise : «D’après l’analyse
des informations techniques reçues du Gouvernement du Cost aRica…; annexe2; «Les photographies et les images
utilisées ont été fournies par le Gouvernement du CostaRica». Original espagnol disponible sur le site Internet de
Ramsar, n 69, à la page http://www.ramsar.org/cda/en/ramsar-documents-rams/main/ramsar/1-31-112… (dernière

consultation le 10 janvier 2011) ; traduction anglaise sur le site Internet du ministère costa-ricien des affaires étrangères à
la page http://www.rree.go.cr/index.php?stp=04&id=221 (dernière consultation le 10janvier2011) [traduction du
Greffe]. - 30 -

46
région . Elle n’a pas effectué elle-même de mesures du débit des eaux, de leur volume ou de leur

qualité. Elle n’a ni recueilli ni analysé elle-m ême des échantillons de sédiments. Les membres de

la mission ont passé trois jours à San José ⎯ à la fin de novembre dernier, soit après l’introduction

de l’instance ⎯ à écouter les exposés de responsables et d’experts du Gouvernement costa-ricien 47.

De l’aveu même de la mission, ce sont là les seules sources d’informations sur lesquelles elle ait

fondé ses conclusions 48. Elle n’a aucunement cherché à obt enir ou pris en considération des

informations émanant du Nicaragua.

11. Il lui était pourtant loisible de procéder autrement. Pour permettre à la mission

consultative de faire ses propres observations et de recueillir ses propres données, le Nicaragua

avait invité le secrétariat de Ramsar à envoyer ses membres au Ni caragua pour qu’ils y rencontrent

des responsables et experts gouvernementaux et visite nt les sites de dragage et de dégagement du

chenal. Il avait proposé sa pleine et entière coopération à cet égard. Inexplicablement, son

invitation a été rejetée. Je reviendrai plus loin dans mon exposé sur certa ines carences du rapport,

mais il est d’emblée évident qu’il ne relève pas du type d’exercice indépendant et impartial

d’établissement des faits que la Cour a pu juger utile dans le cadre d’affaires antérieures. C’est un

exposé de la position du Gouvernement costa-ricien, imprimée sur papier à en-tête de la Ramsar.

12. Si la Cour me le permet, je vais mainte nant passer en revue plus en détail les faits les

plus pertinents, en commençant par l’objet et la portée du projet de dragage du SanJuan et de

dégagement du chenal, ainsi que par l’étude environnementale détaillée qui a abouti à l’approbation

de ce projet. Je reviendrai ensuite sur les allé gations de dommages faites par le CostaRica, pour

mieux montrer pourquoi elles ne sont pas étayées par les éléments de preuve.

35 A. L’objet et la portée du projet

13. L’objet de ce projet est simple : rétab lir la navigabilité du cours inférieur du San Juan 49.

Dans cette partie du fleuve, en effet, les sédimen ts charriés par le courant se sont déposés dans le

46
Ibid., p.14 de la traduction anglaise: «La mission entend ait effectuer un survol de la région Humedal Caribe
Noreste mais les conditions climatiques et des considérations de sécurité l’en ont empêchée» [traduction du Greffe].
47
Ibid., annexe 1, p. 38 et 39 de la traduction anglaise du programme de travail de la mission de Ramsar.
48Par exemple, ibid., p. 4, 14 et 35 de la traduction anglaise.

49Document n 16 : déclaration Quintero, par. 2. - 31 -

chenal, réduisant la profondeur de l’eau, créant des îles et des bancs de sable, et ne permettant plus,

de manière générale, que le passage de très petites embarcations 50. Pendant la saison sèche, l’eau

est si peu profonde que ces embarcati ons elles-mêmes ne peuvent y naviguer 51. Lorsque le projet

fut conçu et soumis à approbation, voici cinqans, il fut baptisé «Projet pour l’amélioration de la

navigation sur le fleuve San Juan» 52. Et c’est précisément ce qu’il est.

14. [PSR1] Vous pouvez voir à l’écran la zone qui nous intéresse. Depuis sa source dans le

lacNicaragua jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes, le fleuve suit globalement une

direction ouest-est. A un certain point, comme vous pouvez le constater, le fleuve se divise.

Environ 89 % de ses eaux bifurquent vers le sud-est pour former le Colorado, qui coule en territoire

costa-ricien. Les 11 % restants constituent le prol ongement du fleuve San Juan. C’est à partir de

cette bifurcation, et jusqu’à l’embouchure du San Juan, à 42 kilomètres de là, que des sédiments se

53
sont accumulés au point d’empêcher la navigation .

15. Deux raisons expliquent po urquoi la navigabilité de ce segme nt du fleuve revêt une telle

importance pour le Nicaragua. Il s’agit de facilite r, premièrement, le commerce entre la ville de

San Juan de Nicaragua, sur la côte caraïbe, et le reste du pays ⎯ dont, en raison de l’accumulation

de sédiments dans le cours d’eau, la ville et ses habitants sont géographiquement coupés 54 ⎯, et,

deuxièmement, le tourisme dans la région. Celle-ci présente en effet un énorme potentiel

touristique. Tout le cours inférieur du SanJuan fait partie de la réserve naturelle à laquelle le

fleuve donne son nom, et une gra nde partie de sa rive gauche est située dans la réserve de la

biosphère Indio-Maíz. Et le Nicaragua a eu grand soin de protéger le milieu naturel encore intact

de ces zones. La Cour se souviendra, puisqu’il en a été question dans l’affaire du Différend relatif

à des droits de navigation et des droits connexes , que les autorités nicaraguayennes appliquent

rigoureusement les lois et règlements écologiqu es concernant ces zones protégées, poursuivant,

pour reprendre les termes de la Cour, l’«objectif légitime que constitue la protection de

50 o
Ibid. ; voir aussi document n 16 : déclaration Quintero, annexe 1.
51
Ibid.
52 Document n 16 : déclaration Quintero, par. 1-2.

53 Ibid., annexe1: extrait de la version du rapport final sur la conception du projet tel que revisé, p.9 et
annexe 3 : ibid., p. 16-17 et 22.

54 Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 20 b). - 32 -

36 l’environnement» (Différend relatif à des droits de navigati on et des droits connexes (CostaRica

c. Nicaragua), arrêt du 13 juillet 2009, par. 89).

16. La Cour se rappellera également qu’en matière d’écotourisme, le CostaRica

s’enorgueillit d’une industrie florissante, grâce aux croisières panoramiques qu’il propose le long

du San Juan, puis du Colorado. Le Nicaragua estime qu’il a bien davantage à offrir aux adeptes de

l’écotourisme puisque, comme l’a relevé M. l’ambassadeur Argüello, il a mieux que le Costa Rica

su préserver de l’implantation humaine et du déve loppement sa rive du fleuve. Toutefois, il ne

pourra le faire que si les bateaux de tourisme ont la possibilité de naviguer sur le cours inférieur du

San Juan.

17. L’un des principaux objectifs étant de développer l’écotourisme, il va de soi que le projet

de dragage doit être mené à bien d’une façon qui protège et préserve l’environnement naturel, qui

en constitue le principal attrait. Le Nicaragua en a parfaitement conscience. C’est pourquoi il n’a

autorisé le projet qu’après une analyse et une étude minutieuses de son impact éventuel sur

l’environnement, menée sur une période de troisans. C’est aussi pourquoi le Nicaragua a

subordonné le projet à de strictes conditions ⎯dont la surveillance continue des effets sur

l’environnement ⎯, pour s’assurer qu’il n’entraînerait aucun effet important ou irréversible.

Monsieur le président, le moment serait-il opportun pour la pause traditionnelle ou

préférez-vous que je poursuive ?

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Reichler. Le moment me paraît en effet bien choisi

pour suspendre brièvement la séance. Je vous remercie.

La séance est suspendue de 16 h 20 à 16 h 35.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Mons ieur Reichler, vous pouvez poursuivre votre

exposé.

B. L’étude environnementale

18. Je vous remercie, Monsieur le président. Le projet de dragage a été mis au point par

l’Empresa Portuaria Nacional de Nicaragua (EPN), organisme public chargé du transport fluvial, - 33 -

en 2004 . En janvier2006, après plus d’un an de pr éparation, l’EPN demanda au ministère de

56
37 l’environnement l’autorisation de l’exécuter . En vertu du droit nicaraguayen, l’EPN était tenue,

du fait de l’impact que le projet pourrait avoir sur l’environnement ⎯ en particulier dans une zone

protégée ⎯, de soumettre une étude détaillée d’imp act sur l’environnement avant de pouvoir

57
obtenir l’autorisation du ministère . Celui-ci, en effet, ne peut accorder son autorisation que

lorsque, après avoir pris connaissance de l’étude d’impact et réalisé ses propres analyses

techniques, il acquiert la certitude que le proj et ne causera aucune altération sensible de

l’environnement 58.

19. Saisi de la demande de l’EPN, le mini stère réunit une équipe intragouvernementale

59
d’experts techniques qu’il chargea de l’examiner . En mars2006, après avoir inspecté le site

envisagé pour les opérations de dragage, l’éq uipe technique adressa à l’EPN un «cahier des

charges» très complet (huit pages dactylographiées en simple interligne), détaillant les éléments

60
que devait contenir l’étude d’impact . Celle-ci devait ainsi «mettre en évidence les éventuels

aspects suivants, sans que l’analyse s’y limite pour autant» 61:

⎯ premièrement, impact sur l’hydrodynamique du fleuve San Juan ;

⎯ deuxièmement, effets sur la qualité de l’eau de la remise en suspension des sédiments dans la

colonne d’eau ;

⎯ troisièmement, dégradation de l’écosystème, altéra tion du milieu aquatique et nocivité pour

l’ichtyofaune ;

⎯ quatrièmement, effet sur certaines espèces caractéristiques menacées d’extinction ou revêtant

une importance économique ; et

⎯ cinquièmement, incidence du déversement des sédiments extraits.

55 o
Document n 16 : déclaration Quintero, par. 2.
56 Ibid., par. 3 ; voir aussi document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 12.

57 Voir document n 13: déclaration sous serment Espinoza, par.4-11, pour une pr ésentation générale du cadre
juridique pertinent en matière de protection de l’environnement.

58 Ibid., par. 9 c).

59 Ibid., par. 13.
60 o
Ibid., par. 14 ; document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, annexe 5.
61 o
Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, annexe 5, p. 6. - 34 -

20. Sur la base de ce cahier des charges, l’EPN réalisa une étude de l’impact sur

l’environnement du projet de dragage et la co mmuniqua au ministère de l’environnement en

juille2t006. Cette étude fut toutefois ju gée insuffisante par l’équipe technique

intragouvernementale. Mme Hilda Espinoza Urbina, directrice du département du ministère chargé

de la qualité de l’environnement, s’en est expliquée en ces termes :

«Le 27juillet2006, j’ai informé l’EPN que la documentation fournie était
incomplète, car elle n’a pas présenté suffis amment d’informations techniques de fond

pour soutenir les conclusions concernant l es impacts environnementaux que le projet
pourrait causer.» 62

21. En septembre2006, l’EPN soumit une version revisée de l’étude d’impact sur
38

l’environnement, accompagnée de volumineuses anne xes techniques à l’appui de ses conclusions.

Ayant pris connaissance de ce document, analysé les données techniques et effectué sa quatrième

inspection du site, l’équipe technique intra gouvernementale demanda un nouveau supplément

63
d’information .

22. L’étude finale d’impact sur l’environne ment, longue de 225pages et accompagnée de

centaines de pages d’annexes techniques, concluait, à propos de l’impact du projet, que, [PSR2]

⎯ s’agissant du débit de l’eau, le dragage du San Juan qu’il était proposé d’entreprendre aurait

une incidence minimale sur le débit du Colorado, estimée à moins de 5 % 64 ;

⎯ s’agissant de la qualité de l’eau, celle-ci ne serait pas altérée par le dragage projeté, parce que

la plupart des sédiments présents dans le lit du fleuve qui seraient libérés dans la colonne d’eau

se redéposeraient rapidement, et que, du fait de le ur qualité et de leur composition, ceux qui

65
resteraient en suspension ne présenteraient aucun risque de dommage à l’environnement ;

⎯ en réalité, concluait l’étude, l’accroissement du débit en aval serait même bénéfique aux

espèces aquatiques, puisqu’il s’accompagnerait d’une augmentation de la teneur en oxygène de

l’eau 66 ; et,

62Ibid., par. 15. [Traduction française fournie par le Nicaragua.]
63
Ibid., par. 17.
64 o
Document n 16 : déclaration Quintero, par. 7, et pages correspondantes de l’annexe 3.
65Ibid., par. 8 et pages correspondantes de l’annexe 3.

66Ibid. - 35 -

⎯ s’agissant du dépôt des sédiments extraits, pour évite r leur retour vers le fleuve, ils seraient

déposés exclusivement du côté nicaraguayen, en des lieux désignés et sûrs distants de

67
50 mètres au moins de la rive .

23. Suivirent une analyse et un examen tec hniques longs et détaillés de l’ensemble des

données recueillies, à l’issue desquels l’équipe intragouvernementale publia, en novembre 2008, un

avis technique concluant «que le projet ne causer ait aucun impact important et irréversible sur

l’environnement» et recommandant «les mesures d’atténuation» requises 68. Sur ce fondement, le

ministère de l’environnement délivra en décembre 2008 ⎯ soit près de trois ans après la demande

initiale de l’EPN ⎯l’autorisation de procéder aux travaux 69. [PSR3] Selon la représentante du

39 ministère de l’environnement qui a signé la résolution formelle accordant cette autorisation, il avait

été établi que

«le projet de dragage projeté n’[était] pas susceptible d’avoir un impact négatif
important sur l’environnement, et encore moins d’impact significatif irréversible.
Cela comprenait tout impact négatif sur les personnes, les biens ou l’environnement

du Costa Rica, comme l’EPN avait établi que le dragage en lui-même n’affecterait pas
de manière significative le fleuve San Juan ou la flore, la faune ou les caractéristiques

abiotiques de sa zone d’influence ⎯que ce soit du côté du Nicaragua ou du
Costa Rica ⎯ et qu’aucun des sous-produits des tr avaux ne devait être déposé du côté
costa-ricien du fleuve.» 70

24. En ce qui concerne l’impact du projet de dragage sur le débit du Colorado, plus

précisément, il y avait, dans

«[l’]étude d’impact environnement al et [l]es documents à l’appui ⎯ y compris

quantité importante de données bathymétriques et de calcul de flux ⎯[, des preuves
convaincantes] que le dragage du fleuve Sa nJuan n’affecterait pas sensiblement le
débit du fleuve Colorado au CostaRica, débit qui serait réduit d’un pourcentage

infime, et encore moins à la saison des plui es … [,et] ne nuirait pas la navigabilité du
fleuve Colorado» . 71

C. L’incidence alléguée sur le débit du Colorado

25. Ce point est essentiel. Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le

Costa Rica prétend que «le Nicaragua [a] l’inten tion de détourner une partie des eaux du Colorado,

67 Ibid., par. 9 et pages correspondantes de l’annexe 3.
68 o
Ibid., par. 18 ; voir aussi document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, annexe 7, pour l’avis technique.
69 o
Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, annexe 8.
70 Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 20 d) [traduction fournie par le Nicaragua].

71 Ibid., par. 20 f). [Traduction fournie par le Nicaragua.] - 36 -

fleuve costa-ricien, équivalant à quelque 1700 mètres cubes par seconde», ce qui démontrerait «que

le Colorado … ainsi que les lagunes, rivières, prairies marécageuses et zones boisées du Costa Rica

risquent de subir des dommages», tout comme les «réserves naturelles» situées en aval 72.

26. Les éléments de preuve n’étayent pas ces allégations. Pour commencer, les très

nombreuses données techniques présentées dans le cad re de l’étude d’impact démontrent que

l’incidence sur le Colorado sera mi nime, affectant moins de 5 % de son débit, quantité trop faible

pour être perceptible et, a fortiori, pour avoir une incidence sur la navigation, les zones humides ou

les réserves naturelles costa-riciennes alimentées par ce fleuve 73. Le Nicaragua n’est pas le seul à

formuler pareille conclusion. Les experts néerlandais auxquels ces mêmes données ont été

présentées en vue de la réalisation d’une étude indépendante du dragage du fleuve et de son

incidence sur l’environnement ⎯ domaine que les Néerlandais connaissent bien ⎯ sont parvenus à

la même conclusion. Je renvoie très respectueusement la Cour au rapport sur la stabilité

40 morphologique du delta du San Juan — qui figure dans votre dossier — établi par MM.van Rhee

74
et de Vriend de l’université de technologie de Delft . Ayant calculé le débit du fleuve à l’aide de

formules mathématiques classiques, ils ont conclu que draguer le cours inférieur du San Juan afin

d’obtenir une profondeur navigable de deux mètres sur une largeur, au fond, de vingt mètres — ce

que prévoit le projet— entraînerait l’augmentation de son débit, de vingtmètrescubes

parseconde, et la diminution de celui du Colorado, d’une valeur équivalente. [PSR4] Voici ce

qu’ils écrivent :

«Dans l’[étude d’impact], on a calcu lé que le projet de dragage proposé
diminuerait le débit du Colorado de moins de 5 %… Dans ce présent chapitre, il est

expliqué que la conclusion [de l’étude] ét ait correcte et que, selon les estimations
conservatrices, le projet de dragage proposé est susceptible de réduire au plus de

vingt mètres cubes par seconde au maximum le débit du fleu75 Colorado (ce qui est de
l’ordre de 1400 à 1700 mètres cubes par seconde).»

Vingt mètres cubes par seconde représentent donc 2 % du débit maximal du Colorado.

72Demande en indication de mesures conservatoires, op. cit., supra, par. 6.

73Document n 16: déclarationQuintero, par.7 et page s correspondantes de l’ annexe3; document n o13 :
déclaration sous serment Espinoza, par. 20 f).

74Document n 18: rapport des professeurs vanRhee et Vr iend, Université de technologie de Delft
(4 janvier 2011) (ci-après «document n18: rapport des experts néerlandais», fi gurant dans le dossier d’audience après
les documents PSR4 et PSR7).

75Ibid., p. 4 [traduction fournie par le Nicaragua]. - 37 -

7. Le CostaRica est lui-mê me parvenu à la même conclusion en septembre2010, soit

deux mois seulement avant d’introduire la présente instance [PSR 5]. Le ministre costa-ricien des

affaires étrangères, M.CastroSalazar, a décl aré ce qui suit devant l’assemblée législative du

CostaRica le 8septembre2010. Ce document, qui figure dans votre dossier, est une importante

déclaration contraire aux intérêts du CostaRi ca émanant d’un haut responsable politique, qui

mérite toute l’attention de la Cour :

«Le Gouvernement [du CostaRica] [est] vi gilant sur la situation et le suivi du
projet [de dragage nicaraguayen]. Dans le cadre de cette surveillance, il doit
également être noté qu’en 2009, le minist ère des affaires étrangères a constitué un

groupe de travail interinstitutionnel… Dans le cadre du travail du groupe
inter-institutionnel en novembre2009 on a fait une visite pour effectuer des mesures
du débit de la rivière Colorado. Parmi les travaux effectués, fut réalisée la mesure de

sa capacité d’écoulement et la mise en place des équipements de base pour mesurer
régulièrement le niveau de l’eau ; en outre, on fit une analyse de la sédimentation du
fleuve et de la qualité de l’eau. Même les experts du CostaRica ont élaboré un
modèle de calcul de l’écoulement qui présente des projections de l’impact qu’auraient

sur le débit du fleuve Colorado les différents types de projets et de dragage dans le
SanJuan. Sans entrer dans les détails, je pe ux dire que les résultats de ces études
sont généralement rassurants pour le pays, puisque tous les modèles analysés tablent

sur une réduction du débit de moins de 12 %. En outre, pour un investissement de
l’ordre de7millions de dollars, la réduction du débit serait encore plus faible et ne
peut donc pas produire les effets environnementaux et économiques alarmants qu’ont
suggéré certains médias. [Et le ministre des affaires étrangères de poursuivre.]… Au

cours de la réunion avec le ministre des a ffaires étrangères Samuel Santos à Managua,
le ministreSantos a donné l’assurance que le projet de dragage en cours n’aurait pas
41 d’incidence sur le débit du fleuve Colo rado, que c’est un travail assez modeste de
nettoyage du fleuve San Juan qui vise à amélio rer la navigation sur le fleuve entre son

embouchure et le Delta du Colorado … Pour nous, cette garantie verbale est suffisante
pour envisager sans crainte que le territoire national ne sera pas affecté. Il n’y a
vraiment aucune raison de douter de la paro le du ministre des affaires étrangères du

Nicaragua ou d76son président. En outre, nos propres études suggèrent quelque chose
de similaire.»

Deux points au moins méritent d’être relevés en ce qui concerne cette déclaration.

28. Premièrement, le ministre des affaires étrangères a précisé que le CostaRica avait

effectué sa propre évaluation, laquelle montre que le projet nicaraguayen de dragage n’aura pas

d’incidence importante sur le débit du Colorado. Cette étude ne faisait t outefois pas partie des

documents que le Costa Rica avait initialement communiqués à la Cour la semaine dernière. Aussi,

par une lettre en date du 4janv ier, dans laquelle il citait la récente déclaration du ministre

costa-ricien des affaires étrangères, l’agent du Ni caragua a-t-il prié la Cour de faire usage du

76 o
Document n 19, déclaration Castro, par.17-20; [traduction fournie par le Nicaragua], les italiques sont de
nous. - 38 -

pouvoir qui est le sien en vertu de l’article 62 de son Règlement pour demander au Costa Rica de

produire cette étude. Le Costa Rica a communiqué vendredi dernier un rapport [PSR 6], qui figure

dans votre dossier. Ce rapport confirme ce que le ministre des affaires étrangères ⎯ et le

Nicaragua ⎯ ont dit. Il conclut que le dragage du Sa nJuan sur une largeur de centvingtmètres

⎯ cent mètres de plus que ce que le Nicaragua projette de faire ⎯ ne réduirait le débit du Colorado

que de 4,5 % 77. C’est seulement si le San Juan était dragué sur une largeur de

78
cent quatre vingts mètres —soit neuffois plus que ce que le Nicaragua projette— que le débit

serait réduit de 12 %, hypothèse dont le ministre des affaires étrangères du Costa Rica a dit qu’elle

n’aurait pas d’incidence importante sur le débit du Colorado.

29. Deuxièmement, la demande en indicati on de mesures conservatoires présentée par le

Costa Rica et la déclaration faite deux mois aupara vant par le ministre des affaires étrangères sont

totalement inconciliables. En atteste l’affirmation figurant au paragraphe 6 de la demande, à savoir

3
que «le Nicaragua avait l’intenti on de détourner … quelque 1700 m /seconde» des eaux du

Colorado. Ainsi que nous l’avons dit, le débit du Colorado se situe entre 1400 et

1700 m 3/seconde . Pour fonder sa demande en indication de mesures conservatoires, le

CostaRica soutient, en fait, que le projet de dragage du SanJuan aurait pour effet de détourner

l’intégralité des eaux du fleuve ⎯ à 100 % ⎯, le laissant totalement à sec. On est bien loin de la

déclaration du ministre des affaires étrangères devant le parlement costa-ricien, selon laquelle, en

42 vertu d’une étude effectuée par le CostaRica lui-même de différentes hypothèses de dragage, le

débit du Colorado serait, au pire, réduit de moin s de 12%, ce qui ne suffirait pas à causer un

préjudice.

30. Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le CostaRica cite plusieurs

articles de presse publiés en août2010, selon lesquels VirgilioSilva, le président exécutif de

l’EPN, et EdénPastora auraient déclaré que le projet de dragage entraînerait la déviation de

77
Rapport relatif au débit établi par le Costa Rica, p. 5.
78 Ibid., déclaration Castro, par. 17.

79 Document n 18: rapport des experts néerlandais, résumé anal ytique, p.4, par.1; voir également document
no 15 : déclaration Silva, par. 2 («le débit du fleuve Colorado est de 1600 à 1700m/seconde»); document n o16,
déclaration Quintero, annexe 3, extraits du projet final révisé, p.22 (ocument duquel il ressort que, sur les
3 3 3
1665 m /seconde du Delta, souls 178 m /seconde s’écoulent par le San Juan, laissant ainsi quelque 1487m /seconde pour
le Colo3ado); document n 19, déclarationCastro, par.12 («le dé bit du fleuve Colorado est d’environ 1400 à
1600 m /seconde …»). - 39 -

3 80
1700 m /seconde des eaux du Colorado vers le SanJuan . M.Silva a communiqué une

déclaration sous serment dans laquelle il nie avoir jamais dit pareille ineptie 81. Le ministre des

affaires étrangères du CostaRica a lui-même cont esté les informations manifestement erronées

contenues dans ces articles: «[l] es déclarations faites par MM.Silva et Pastora eux-mêmes ne

constituent pas une preuve suffisante que ces dommages se produiront» 82. Le CostaRica a

néanmoins décidé de les reprendre à son compte aux fins de sa demande en indication de mesures

conservatoires. A mon grand étonnement, m on bon ami JamesCrawford a lui-même évoqué

l’intention prétendue du Nicaragua de priver le Colorado de l’intégralité de ses eaux.

31. En l’occurrence, la principale déviation n’est pas celle des eaux du Colorado, mais celle

de l’argumentation du Costa Rica. En septembre, l’ impact du projet de dragage était négligeable.

Depuis le mois de novembre, il est devenu catastroph ique et nécessite des mesures urgentes. Ce

n’est pas le dragage qui a incité le Costa Rica à changer radicalem ent de position ; c’est sa décision

politique d’introduire la présente instance.

32. Ainsi qu’il ressort des éléments de preuve, le Costa Rica n’a absolument aucun argument

valable en ce qui concerne le risque de préjudice — a fortiori de préjudice irréparable —

susceptible d’être causé au Colorado, aux zones humides ou à d’autres zones situées en aval et

dépendant des eaux de ce fleuve.

33. J’en viens maintenant aux éléments de pre uve relatifs au nettoyage du chenal qui relie le

San Juan proprement dit à la lagune de Harbor Head.

D. Le nettoyage du chenal

34. En août2009, neufmois après que l’EPN a reçu du ministère de l’environnement

l’autorisation d’exécuter le projet de dragage, elle a demandé que cette autorisation soit étendue de

43 manière à englober le nettoyage manuel de l’un des nombreux petits chenaux qui caractérisent le

83
delta du fleuve San Juan, près de l’embouchure .

80
Demande en indication de mesures conservatoires, op cit., supra, par. 6.
81 Document n 15 : déclaration Silva, par. 1-2.

82 Document n 19 : déclaration Castro, par. 15.

83 Document n 13, déclaration sous serment Espinoza, par. 22. - 40 -

35. Dans cette demande, l’EPN expliquait qu’il était nécessaire de nettoyer le «caño qui relie

le fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head» afin de garantir la navigation pendant toute l’année

sur l’ensemble du fleuve, et que cela permettrait d’emprunter «une route de navigation plus directe,

réduisant ainsi le temps nécessaire pour voyager entr e les différents sites le long du fleuve», qui

84
«réduirait non seulement le coût du transport, mais aussi la consommation de carburant» .

Assurer un accès navigable plus direct à la lagune de Harbor Head permet également de faciliter la

surveillance policière de la zone, qui est devenue un dépôt clandestin pour les trafiquants de drogue

comme l’a expliqué S. Exc. l’ambassadeur Argüello.

36. A l’appui de sa demande, l’EPN joignait un plan de gestion environnementale qui non

seulement contenait la description des travaux envisagés, mais où étaient également «identifié[s] et

évalué[s]» leurs «impacts potentiels sur l’environne ment» ; ce plan indiquait aussi la manière dont

ces impacts seraient «évités, atténués et inversés, si nécessaire» et souli gnait «la surveillance qui

85
serait fournie pour assurer une bonne gestion de l’environnement» . Dans le cadre de son étude de

l’environnement, le ministère a envoyé sur le site une équipe technique chargée de procéder à une

inspection et d’établir un rapport 86. Après avoir inspecté le site, cette équipe a conclu que le

nettoyage manuel du caño, consistant à enlever la végétation, les sédiments accumulés et d’autres

débris, serait «viable pour l’environnement» pour les raisons suivantes :

⎯ Premièrement, le volume d’eau qui passerait par le caño après le nettoyage ne serait pas

«significatif au regard du volume d’eau drainé par le lit du fleuve SanJuan» et «ne

représent[ait] aucun risque, ni pour le fleuve, ni pour la lagune» 87 ;

⎯ Deuxièmement, les incidences sur la qualité de l’eau ser aient de faible importance, et elles

n’affecteraient que de façon temporaire des paramètres tels que la transparence, la couleur et la

turbidité 88 ;

84
Ibid., par. 24 a).
85Document n 13, déclaration sous serment Espinoza, par. 24 b).

86 Ibid., pa. 5-26; voir également, document n 13, déclaration sous serm ent Espinoza, annexe 9,
rapport technique.

87Document n 14 : déclarations Vivas, par. 12.
88
Ibid., par. 11. - 41 -

⎯ Troisièmement, les sédiments extraits du caño seraient déposés uniquement sur la rive
44

nicaraguayenne et ne présenteraient aucun dange r pour les espèces naturelles, car le sédiment

est limoneux, c’est une matière végétale orga nique, et son dépôt contribuerait à régénérer

naturellement des espèces végétales 89; et

⎯ Quatrièmement, les pluies abondantes toute l’année et le type d’écosystème permettraient la

90
régénération naturelle de la végétation sur les rives du caño .

37. L’équipe d’inspection a reconnu que la prin cipale incidence du projet de nettoyage sur

l’environnement serait l’abattage d’arbres. En c onséquence, en vue de diminuer et d’inverser cet

effet, elle a inclus dans son rapport la recomma ndation suivante: «[s]’il est impossible d’éviter des

coupes dans la végétation, la végétation supprimée doit être remplacée et compensée de manière à

ce que, pour tout arbre abattu, dix arbres d’une espèce locale soient plantés à sa place. Cela

91
permettra de promouvoir la régénération naturelle des espèces.» [Traduction du Greffe.]

38. Cette recommandation est ensuite deve nue une condition du permis autorisant le

nettoyage du caño qui a été délivré par le ministère de l’environnement en octobre 2009 92.

39. Les travaux proprement dits de nettoyage du caño ont commencé un an plus tard, en

93
novembre 2010. Ils ont été achevés en décembre 2010 . Depuis lors, aucune activité de nettoyage

du caño n’a été réalisée et aucune autre n’est prévue. Fin novembre, peu de temps avant

l’achèvement du nettoyage, le ministère de l’envi ronnement a envoyé une mission de contrôle sur

le site pour vérifier si le projet avait été c onduit conformément aux conditions du permis et s’il y

avait des incidences imprévues sur l’environnement. A ces questions, la mission a répondu «oui»

et «non». Oui, toutes les conditions du permis étaient respectées. Non, il n’y avait pas d’incidence

94
imprévue sur l’environnement .

40. Les 22 et 23décembre2010, l’EPN a procédé à des mesures pour contrôler le débit de

l’eau dans le caño qui venait d’être nettoyé. La profondeur moyenne du caño était d’un mètre. La

89 o
Document n 14 : déclarations Vivas, par. 11.
90 Ibid.

91 Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, dernière page de l’annexe 9 [traduction du Greffe]..

92 Ibid., annexe 10, condition du permis n 35.
93 o o
Document n 12 : certification Cisneros, par. 2 ; document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 31.
94 o
Document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 30. - 42 -

vitesse moyenne était très faible, moins d’un demi-mètre par seconde. En termes plus parlants pour

45 moi et peut-être pour la Cour, cela correspond à moins de deux kilomètres à l’heure. La mesure du

3 95
débit du caño a donné un résultat infime : 2,38 m /seconde . Suivant les professeurs van Rhee et

deVriend, les experts néerlandais du dragage dont le rapport figure dans votre dossier de

plaidoiries,

«il semble y avoir peu de raisons de croire que tout impact permanent sur
l’environnement résulterait du travail de nettoyage du caño … Il y aura seulement une
petite augmentation de débit du fleuve San Juan résultant des travaux de dragage, et le

nettoyage manuel des débris et de la végé tation avec des pelles est peu probable dans
cette circonstance pour produire le type d’augmentation spectaculaire du flux dans le

caño qui puisse avoir un impact permanent. En effet, après l’achèvement3des travaux
de nettoyage, le débit du caño a été mesuré à seulement 2,38 m /s, ce qui signifie que
l’eau bouge à peine.» 96

E. Les allégations du Costa Rica concernant le nettoyage du caño

41. Le Costa Rica affirme dans sa demande en indication de mesures conservatoires que

«Le Nicaragua détruit actuellement une zone de forêts pluviales primaires ainsi que

des zones humides fragiles situées en territoire costa-ricien … dans l’intention de faciliter la
construction d’un canal sur le territoire costa-ricien en vue de faire dévier le cour historique
du San Juan vers la lagune de los Portillos (ou lagune de Harbor Head).» 97

42. Comme la Cour le relèvera dans cette allégation, les griefs formulés par le Costa Rica au

sujet du nettoyage du caño prennent pour hypothèse que le Nicaragua s’est livré à des activités en

territoire costa-ricien. Le Nicaragua le conteste, et c’est ce désaccord qui est au cŒur de la présente

affaire. La question de savoir lequel des deux Etats a la souveraineté sur ces marécages lointains et

inhabités est fondamentale, et elle ne pourra être réglée qu’au stade du fond. M. Pellet vous en dira

davantage tout à l’heure.

43. Ce qui importe ici, c’est que le com portement prétendument illic ite allégué dans la

demande en indication de mesures conservatoir es —l’abattage d’arbres, la destruction de

végétation et le rejet des sédiments exca vés — a eu lieu sur la rive gauche du caño, la rive que le

Nicaragua considère comme lui appartenant. Aucun arbre n’a été abattu sur la rive droite, qui, le

Nicaragua et le Costa Rica en sont d’accord, appartient au Costa Rica.

95 o
Document n 17 : certification Quintero, par. 1 et 2.
96Document n 18 : rapport d’experts néerlandais, p. 9 [traduction fournie par le Nicaragua].

97Demande en indication de mesures conservatoires, op. cit. supra, par. 5. - 43 -

44. Quoiqu’il en soit, le CostaRica ne pe ut pas établir que les actes effectués par le

Nicaragua en relation avec le nettoyage du caño produiront des effets importants ou irréversibles

sur l’environnement, sur aucune des deux rives. Les études environnementales menées par le

Nicaragua montrent que cela ne sera pas le cas. Certes, des arbres ont été abattus. Le Nicaragua
46
98 99
lui-même a fait état de l’abattage de 180arbres . Le Costa Rica invoque le nombre de 197 .

Mais l’abattage d’arbres est terminé, et le Nicara gua a commencé à replanter dix fois plus d’arbres

qu’il n’en a abattu 100. L’incidence à long terme pour l’écol ogie de la région sera positive et non

pas négative.

45. Le CostaRica invoque à l’appui de son argumentation le rapport de la mission

consultative Ramsar, daté du 3janvier2010. C’est le rapport dont j’ai parlé tout à l’heure dans

mon exposé. Comme le rapport lui-même l’indique à deux reprises, il repose entièrement —à

101
100%— sur les «informations techniques reçues du Gouvernement du CostaRica» . Selon le

rapport lui-même, les représentants de Ramsar ont p assés tout leur temps au CostaRica, dans les

services du gouvernement à SanJosé 102. Ils n’ont même pas essayé de recueillir leurs propres

données, ni même de vérifier de manière indépenda nte les informations qui leur étaient fournies

toutes cuites à San José. Un survol de la zone ét ait prévu, mais il a été annulé à cause du mauvais

temps 103. Il n’y a donc eu aucun déplacement sur le site, et aucun élément d’information n’y a été

recueilli. Le rapport a été soumis sous forme de projet au Costa Rica à la mi-décembre, et il n’a été

104
publié qu’après réception de l’approbation du CostaRica . Il ne constitue rien d’autre que

l’acceptation aveugle des positions du Costa Rica, reposant sur le principe que tout ce que le Costa

98 o
Document n 12 : déclaration Cisneros, par. 3.
99
Par ex., Miguel Araya Montero, «Estimación de edad máxima aproximada de los árboles cortados en áreas de
bosque primario en el sector de Punta Castilla, Colorado, Pococí, Limón, Costa Ri ca a raíz de la ocupación de ejercito
nicaragüense para el aparente restablecimiento de un canal existentente» (décembre 2010), p. 1 de la traduction anglaise
fournie à la Cour par le Costa Rica le 5 janvier 2011.
100 o o
Document n 12 : déclaration Cisnero, par. 4 ; document n 13 : déclaration sous serment Espinoza, par. 31.
101
Rapport Ramsar, p. 4 et 35 de la traduction anglaise.
102
Ibid., annexe 1 (p. 38-39 de la traduction anglaise), programme de travail de la mission.
103Ibid., p. 14 de la traduction anglaise.

104Voir la lettre du 17décembre2010 du sécrétaire général de Ramsar, Anad aTiega, au ministre des affaires
étrangères du Costa Rica, René Castro Salazar, jointe en page de couverture de la traduction anglaise du rapport Ramsar

sur le site Internet du ministère des affaires étrangère s du CostaRica, http://www.rree.go.cr/index.php?stp=04&id=221
(dernière consultation le 10 janvier 2011). - 44 -

Rica et ses experts avaient dit à la mission était exact. De son propre aveu, le rapport ne contient

aucune donnée recueillie de façon indépendante ni aucune analyse d’aucune sorte.

46. Pourquoi la mission Ramsar s’est-elle comportée de manière si peu orthodoxe?

Mystère. Le 30novembre, le Nicaragua ayant appris que le CostaRica avait invité une mission

Ramsar à San José pour évaluer l’impact du projet de nettoyage du caño, il a écrit au secrétariat de

Ramsar à Genève, en invitant la mission à se rendre aussi au Nicaragua, pour que celui-ci puisse

47 donner des renseignements complets sur le projet, répondre à toutes les questions et accompagner

les représentants de Ramsar pour qu’ils explorent par eux-mêmes la zone en question. L’invitation

a été adressée à la mission consultative alors qu’elle était encore au CostaRica, à moins d’une

heure d’avion de Managua. Elle a été réitérée le 2décembre par le Nicaragua, avec la demande

qu’aucun rapport ne soit publié tant que le point de vue du Nicaragua n’aurait pas été recueilli. La

réponse du secrétariat de Ramsar a été décevante. Elle était ainsi conçue: «le secrétariat aura le

plaisir d’envoyer une mission consultative Ramsar au Nicaragua dès que possible lorsque les

membres et consultants de la mission actuelle trouve ront la possibilité d’effectuer cette expertise».

Apparemment ils n’ont pas «trouvé la possibilité» de se rendre au Nicaragua avant de publier leur

rapport, ni à aucun moment depuis lors, puisque, bi en que le Nicaragua maintienne son invitation,

il n’a plus eu de nouvelles de Ramsar.

47. Les auteurs du rapport ont donc refusé de tenir compte en quoi que ce soit du point de

vue du Nicaragua. Cela transparaît sur chaque page , cela ressort à l’évidence de la manière dont le

rapport qualifie constamment le projet de nettoyage du caño de «construction d’un canal artificiel»,

ce qui est mot pour mot la manière dont le Costa Ri ca le représente, alors que pour le Nicaragua il

s’agit du nettoyage à la main d’un chenal préexistant. Le rapport désigne même la lagune de

HarborHead, qui se trouve au Nicaragua, par le nom de «laguna LosPortillos» ⎯ le nom

qu’utilisent les Costa-riciens. Ce n’est pas, ce ne peut être, le type de rapport impartial établi par

des experts indépendants dont la Cour a jugé utile de tenir compte dans des affaires précédentes.

Pas quand les auteurs du rapport ont pris pour arge nt comptant les renseignements donnés par une

partie seulement, en déclinant l’ invitation de l’autre partie de se renseigner auprès d’elle. C’est

comme si la Cour avait clos ses audiences au jourd’hui à 13heures, après les plaidoiries du

Costa Rica, sans autoriser le Nicaragua à prendre la parole, puis s’était retirée pour délibérer. - 45 -

48. Quelques exemples tirés du rapport suffiront à montrer à quel point il était absurde pour

les auteurs du rapport de se fonder uniquement sur la version partisane de l’une des Parties au

différend.

49. D’abord, après un appel général à la c oopération et à la collaboration entre les deux

Etats, le rapport contient essentiellement la recommandation suivante: «il importe de mener de

manière rigoureuse des études d’impact sur l’environnement pour tout projet ou activité qui risque

d’avoir un effet sur l’hydrologie etl’hydrodynami que du site Ramsar des Caraïbesnord et du site

Ramsar de la réserve naturelle du fleuve San Juan» 105. Les auteurs du rapport reconnaissent par là
48

que l’impact du projet sur l’environnement ne saurait être déterminé de mani ère fiable en l’absence

de ce qu’ils appellent des «études d’impact sur l’environnement menées de manière rigoureuse»

⎯qu’ils n’ont pas faites ⎯ et révèlent en même temps qu’il s ignorent tout des études détaillées

d’impact sur l’environnement déjà effectuées pa r le Nicaragua. Ils ont publié leur rapport sans

même avoir connaissance de l’étude d’impact du Ni caragua (à plus forte raison, sans l’analyser),

parce qu’ils ont refusé de se rendre au Nicaragua.

50. Deuxièmement, par cette même recommanda tion, ils reconnaissent qu’il existe deux

zones humides Ramsar alimentées en eau par le SanJuan et ses divers caños. La plus vaste, de

loin, est celle qui se trouve au Nicaragua, la réser ve naturelle du fleuve SanJuan. Cette zone

106
protégée couvre plus de 430 kilomètres carrés . Sa principale source d’approvisionnement en eau

⎯ vitale ⎯ est le fleuve SanJuan lui-même, en par ticulier son cours inférieur. Par opposition,

l’intégralité de la zone en litig e entre le Nicaragua et le Costa Rica, prétendument compromise par

le projet de nettoyage du caño, ne couvre que 2,25petitskilomètrescarrés 107. Le rapport de la

mission Ramsar, qui part du principe que ce secteur fait partie du territoire costa-ricien ⎯ puisque

c’est ce que les Costa-riciens lui ont dit ⎯ reconnaît qu’il ne représente que 0,3 % du site Ramsar

105Rapport de la mission Ramsar, p. 35-36 de la traduction anglaise. [Traduction française du Greffe.]
106
Voir la liste de Ramsarannotée des zones humi des d’importance internationale : Nicaragua, sur le site de
Ramsar à l’adresse http://www.ramsar.org/cda/en/ramsar-documents-rams/main/ramsar/1-31-112… (dernière
consultation le10janvier2011) (indiquant que leRefugio de Vida Silvestre Río SanJuan couvre 43000hectares, soit
430 kilomètres carrés).
107
Rapport de la mission Ramsar, p.5 de la traduction an glaise («D’après l’analyse de l’information technique
fournie par le gouvernement du Costa Rica, des changements se sont produits dans les caractéristiques écologiques de la
zone humide CaribNe ordeste, dans la zone d’influence directe qui représente environ 2hectares
(2,2kilomètresarrés), soit% de la superfici e totale de la zone hum ide (75 300 hectares, soit
753 kilomètres carrés)». - 46 -

108
Caribe Nordeste du CostaRica . En fait, en draguant le cours inférieur du SanJuan et en

augmentant le débit de l’eau, le Nicaragua fera en sorte que les deux zones humides Ramsar

continuent à recevoir suffisamment d’eau pour surviv re. Si le Nicaragua devait cesser de draguer

et attendre que le San Juan se tarisse entièrement, ce qui est inévitable vu l’accumulation annuelle

de sédiments qui rend aujourd’hui la navigation pour ainsi dire impossible, la survie de ces zones

humides serait menacée.

51. Troisièmement, le rapport de la mission Ramsar conclut que le principal impact sur

l’environnement du projet de nettoyage du caño se produira dans la lagune de Harbor Head, qui ne

se trouve pas au CostaRica, mais est entièrement située en territoire nicaraguayen. C’est ce que

reconnaît le rapport lui-même puisqu’il y est dit que «la lagune de Los Portillos, située dans la zone

humide Ramsar Refugio de Vida Silvestre du fleuve San Juan au Nicaragua, serait la plus touchée»

49 par le nettoyage du caño 109. Le professeur Crawford a lu ce matin un long extrait du rapport, qui

portait plus spécialement sur les dommages éventuels à la lagune de HarborHead. Comme l’a

confirmé mon collègue et ami, l’impact environne mental le plus importa nt mentionné dans le

rapport, même s’il était avéré, ce qui n’est p as le cas, se produirait au Nicaragua et non au

Costa Rica. Ce n’est donc pas un préjudice dont le Costa Rica peut demander réparation devant la

Cour.

52. Quatrièmement, non seulement le prétendu im pact sur la lagune de HarborHead, mais

toutes les prétendues incidences écologiques mentionnées dans le rapport de la mission Ramsar,

toutes sans exception, reposent sur l’idée, exprimée à deux reprises dans le rapport, selon laquelle

le Nicaragua «veut dévier l’essentiel du débit du fleu ve San Juan, qui actuellement se jette dans la

110
mer des Caraïbes, vers le canal artificiel» . Selon ce qu’a dit ce matin M.Crawford, citant le

rapport, la déviation de la totalité ou de la pl us grande partie des eaux du SanJuan par le caño

pourrait entraîner l’«inondation de la zone humide» et un «stress hydrique résultant de l’excédent

d’eau 111». Il est révélateur que le rapport ne c ontient aucune mesure ou calcul, pas même

108Ibid.
109
Ibid., p. 5 et 36 de la traduction anglaise.
110
Ibid., p. 34-35 de la traduction anglaise.
111Ibid., p. 29-30 de la traduction anglaise. - 47 -

approximatif, de ce qu’est ou sera le débit de l’eau dans le caño. Aucune mesure, aucun chiffre à

cet égard. M.Crawford n’en a cité aucun. Les auteurs du rapport partent simplement de la

supposition que le débit sera trop fort et qu’il causer a des inondations à cause de la déviation de la

totalité ou de la plus grande pa rtie des eaux du SanJuan par le caño vers la lagune. Et d’où

tirent-ils cette supposition ?

53. Du CostaRica. Elle figure au paragra phe5 de la demande en indication de mesures

conservatoires. Et elle a pour origine une déclaration publiée sur le site internet du ministre des

affaires étrangères du CostaRica, accusant le Nicar agua de vouloir dévier la totalité ou la plus

112
grande partie des eaux du cours inférieur du San Juan par le caño vers la lagune de Harbor Head .

L’auteur en est ce même expert costa-ricien qui avait passé trois jours à «informer» la mission

113
Ramsar à San José, c’est lui qui leur a fourni ces indications . Mais les données recueillies ⎯ y

50 compris les mesures du débit et du volume ⎯ montrent que les eaux du SanJuan n’ont pas été

déviées en totalité ou en grande partie par le caño, comme le postulent le Costa Rica et le rapport

de la mission Ramsar, mais que moins de 3 % des eaux du fleuve passent maintenant par ce chenal,

ce qui ne suffit pas à causer des inondations ou d’ autres impacts sur l’environnement. On nous a

beaucoup parlé d’inondations ce matin. On nous en a beaucoup parlé, mais nous n’avons pas eu la

moindre preuve. Absolument rien ne prouve que ce risque existe. Les mesures effectives montrent

que les eaux qui s’écoulent par le caño sont trop basses pour provoquer une inondation.

54. Cinquièmement, pour terminer, le seul dommage réel, et non pas hypothétique,

mentionné dans le rapport de la missionRamsar est l’abattage d’un nombre d’arbres que le

CostaRica a évalué à 197 11. Rien d’étonnant à ce que, pour les auteurs du rapport, les

informations données par le CostaRica soient pa role d’Evangile. Le Nicaragua reconnaît que

180arbres ont été abattus dans le cadre de l’exécu tion du projet. L’impact est réel. Mais il

112M.Allan Astorga Gättgens, «Grave riesgo de daños ambientales irreversibles por el trasvase del
RíoSanJuan en la Isla Calero, Caribe Norte, CostaRica: Modelo Sedimentológico Predictivo de la Construcción del
Canal» («grave risque de dommages irréve rsibles à l’environnement résultantde la déviation du SanJuan dans
l’îleCalero, côte nord des Caraïbes, CostaRica: modèle sé dimentologique de prédiction de la construction du canal»),

18 novembre 2010, joint en annexe 4 au document «Incursión, occupación, Uso Y Daño del Territorio Costarricense Por
Parte de Nicaragua» , publié sur le site internet du ministre cost a-ricien des affairesétrangères, à l’adresse
http://www.rree.go.cr/index.php?stp=04&id=191 (dernière consultation le 10 janvier 2011).
113Rapport de la mission Ramsar, annexe1 (p.38 de la traduction anglaise) (indiquant que «M.AllanAstorga»

participait à la réunion d’information de la mission Ramsar, le dimanche 28 novembre 2010).
114Ibid., p. 26 de la traduction anglaise. - 48 -

appartient au passé. Quand le CostaRica parle de la poursuite de la dévastation de la forêt, c’est

pure hyperbole. En fait, comme nous l’avons déjà dit, le Nicaragua a déjà commencé à compenser

ou annuler cet impact en plantant 1800arbres nouveaux, tous d’essence locale, pour remplacer

ceux qui avaient été abattus.

55. En somme, le Costa Rica ne peut plaider le dommage causé par le projet de nettoyage du

caño qu’en le faisant passer pour ce qu’il n’est pas. Il ne s’agit pas d’un canal artificiel construit

pour dévier la totalité ou la pl us grande partie des eaux du Sa nJuan, comme le postule le

CostaRica. Ce sont des travaux très modestes, effectués manuellement à la pioche et à la pelle,

dont l’effet a été de faire passer par le chenal une petite quantité d’eau qui ne cause aucun impact

important ou irréversible sur l’environnement. Les mesures effectivement relevées le confirment.

A cet égard, en ce qui concerne le projet effectiv ement réalisé, le CostaRica n’a avancé aucune

preuve de dommage, a fortiori de dommage irréparable.

56. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, ainsi se termine mon exposé

d’aujourd’hui. Je vous remercie de votre aima ble attention, et vous demande de bien vouloir

donner la parole à M. Pellet.

Le PRESIDENT: Je remercie M.PaulReichler de son exposé et j’invite M.AlainPellet à

prendre la parole.

Mr. PELLET: Thank you very much, Mr. President.
51

1. Mr. President, Members of the Court, Nicaragua is a “good customer” of the Court,

having seised it on many occasions. In this instance, however, it comes before you as the

Respondent since, for the second time, Costa Rica has filed an Application against Nicaragua

concerning the legal status of the San Juan river. These proceedings are superfluous, they relate to

facts that have been fabricated by the applicant State, or which it interprets in a fanciful manner,

and it raises artificial legal problems which, for the most part, have already been settled by the

Court.

2. My colleagues, Stephen McCaffrey and Paul Reichler, have described the legal and

factual background to the Request for the indicati on of provisional measures which Costa Rica has

seen fit to attach to its Application. It falls to me to show more precisely that this Request does not - 49 -

fulfil the conditions for its success, conditions speci fied in the Statute and Rules of Court and in

your jurisprudence:

⎯ the requests submitted by the applicant State are devoid of any link with plausible rights

appertaining to that State (I);

⎯ the conduct complained of by Costa Rica has cau sed no injury and certainly not the slightest

irreparable injury (II);

⎯ hence and a fortiori, the measures that it asks you to indicate have no vestige of urgency (III);

and

⎯ furthermore, if you were to indicate those measures, you would prejudice the very substance of

the case of which you are seised (IV).

I. Requests unconnected to plausible rights

3. Mr.President, in interpreting Article41 of its Statute, the Court ⎯ as ProfessorKohen

pointed out this morning ⎯ considers that, when it orders provisional measures, it

“must be concerned to preserve . . . the rights which may subsequently be adjudged by
the Court to belong either to the Applicant or to the Respondent . . .; [and that] a link
must therefore be established between the [alleged rights which the provisional
measures requested are intended to protect an d] the subject of the proceedings before - 50 -

115
52 the Court as to the merits of the case” (Questions Relating to the Obligation to
Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures, Order of 28 May

2009, para. 56).

4. These explanations appear in the most recent Order indicating provisional measures

rendered by your Court, that of 28May2009, in the Hissène Habré case; but they merely

reproduce wording that you had frequently u sed before. Elucidating these traditional

pronouncements, in the same Order, you held in addition that “the power of the Court to indicate

provisional measures should be exercised only if... the rights asserted by a party are at least

plausible” (Questions relating to the obligation to prosecute or extradite (Belgium v. Senegal),

116
Provisional Measures, Or der, I.C.J. Reports2009 , para.57) . In so doing, you confirmed a

condition that had been outlined in your earlier ju risprudence, but which had never before been

117
formulated so clearly .

115See also: Legal Status of the South-Easter n Territory of Greenland, Orders of 2and 3August 1932, P.C.I.J.,

Series A/B, No. 48, p. 285; Polish Agrarian Reform and German Minority, Or der of 29July 1933, Series A/B, No. 58,
p. 177; Anglo-Iranian Oil Co (United Kingdom v. Iran), Interim Protection, Order of 5July 1951, I.C.J.Reports 1951,
p. 93; Interhandel (Switzerland v. United States of America), Interim Prot ection, Order of 24 October 1957, I.C.J.
Reports 1957, p. 111; Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Interim Protection, Order of 17 August 1972,
I.C.J. Reports 1972, p. 15, para. 12; Aegean Sea Continental Shelf (Greece v. Turkey), Interim Protection, Order of 11
September 1976, I.C.J. Reports 1976, p. 11, para. 34; United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United
States of America v. Iran), Provisional Measures, Order of 15December 1979, I.C.J. Reports 1979, p. 19, para. 36;
Arbitral Award of 31 July 1989 (Guinea-Bissau v. Senegal), Provisional Measures, Order of 2 Marach 1990, I.C.J.

Reports 1990, p. 69, para. 24; Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29
July 1991, I.C.J. Reports 1991, p. 16, para. 16; Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia (Serbia and Montenegro)), Provisional Measures, Order of 8
April 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 19, paras. 34-35; Application of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia (Serbia and Montenegro)), Provisional Measures, Order
of 13 September 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 342, paras. 35-36; Land and Maritime Boundary between Cameroon and
Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Provisional Measures, Order of 15March 1996, I.C.J. Reports 1996(I), pp. 21-22,
para. 35; Vienna Convention on Consular Relations (Paraguay v. United States of Americ a), Provisional Measures,

Order of 9 April 1998, I.C.J. Reports 1998, p.257, paras.35-36; LaGrand (Germany v. United States of America),
Provisional Measures, Order of 3 March 1999, I.C.J. Reports 1999 (I), pp. 14-15, paras. 22-23; Armed Activities on the
Territory of the Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Provisional Measures , Order of 1 July 2000,
I.C.J. Reports 2000, p. 127, paras. 39-40; Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v.
Belgium), Provisional Measures, Order of 8 December 2000, I.C.J. Reports 2000, p. 201, para. 69; Armed Activities on
the Territory of the Congo (New Applicati on: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), Provisional
Measures, Order of 10 July 2002, I.C.J. Reports 2002, p. 241, para. 58; Certain Criminal Proceedings in France

(Republic of the Congo v. France), Provisional Measur es, Order of 17June2 003, I.C.J. Reports 2003, pp. 107-108,
paras. 22-29; Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America), Provisional Measures, Order of
5February2003, I.C.J. Reports 2003, p. 89, para. 49; Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay),
Provisional Measures, Order of 13 July 2006, I.C.J. Reports 2006, p. 129, para. 61.
116
See also paras. 60-61.
117See, in particular, Pulp Mills on the River Uruguay (Argentinav. Uruguay), Provisional Measures, Order of

13 July 2006, sep.op. of Judge Abraham, I.C.J. Reports 2006, p.139, para.6; see also: sep.op. of JudgeBennouna,
I.C.J. Reports2006 , p.145, para.11 and CR2006/47, 8June2006, p. 32, para.2 and pp.37-38, para.14 (Condorelli);
see also: Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29July1991, sep. op.
of Judge Shahabuddeen, I.C.J. Reports 1991, p. 28. - 51 -

53 5. In other words, it is clear now that this pr eliminary condition is divided into two parts. In

order for you to be able to accede to a request for the indication of provisional measures, it is

necessary

⎯ first, that the measures requested have a connection ⎯ “a sufficient connection” according to

your Order of 15 October 2008 in the Georgia v. Russia case ⎯ with the rights invoked by the

applicant State; and

118
⎯ secondly, that these rights are plausible in nature .

(a) The grounds establishing a prima facie case (fumus boni juris)

6. Let us begin with the plausibility of the rights at issue ⎯ the fumus boni juris , so to

speak 119.

7. According to the Request for the indication of provisional measures of

18 November 2010,

“CostaRica’s rights which are subject of the dispute and of this request for
provisional measures are its right to soverei gnty, to territorial integrity and to non-

interference with its rights over the SanJu an River, its lands, its environmentally
protected areas, as well as the integrity and flow of the Colorado River.” 120

8. The first set of rights invoked by Costa Ri ce (its alleged rights “to sovereignty, to

territorial integrity and to non-interference with its rights over the San Juan River”) are an amalgam

intended to sow confusion: it is not disputed that ArticleVI of the Treaty of Limits of

15 April 1858, cited earlier by my colleague and friend Professor McCaffrey, confers on Nicaragua

“full and exclusive sovereignty (“exclusivamente el dominio y sumo imperio”) over the whole of

the San Juan, from its source in the lake to its mouth at the sea” 121. It is thus difficult to see how

activities conducted by Nicaragua on a river over which it has “full and exclusive sovereignty”

could interfere with Costa Rica’s sovereignty or territorial integrity.

118
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Order, I.C.J. Reports 2008, p. 392, para. 126.
119
See the sep. op. of Judge Abraham and the pleadings of Mr. Condorelli, op. cit., footnote 3.
12Request for the indication of provisional measures, 18 Nov. 2010, p. 3, para. 10.

12Dispute regarding Navigational and Related Rights, Judgment, I.C.J. Reports 2009, para.37, see also, for
example, para. 31. - 52 -

54 9. Moreover, the police operation which appears to have given rise to the Application and the

Request for the indication of provisional measures by Costa Rica is a purely routine operation, as

122
was shown by SteveMcCaffrey : in this marshy and uninhabited area (apart from very

occasional “farmer” settlements . . . strange ⎯ a farmer in a wildlife protected area), in an area,

therefore which lends itself to smuggling, the territorial effectivités are necessarily limited.

123
Nevertheless, Nicaragua, for its part, can invoke a number of effectivités ⎯ and highly

significant ones ⎯ whereas Costa Rica’s clai ms are in the abstract, apart from farmers, founded

(“unfounded” would be more accurate) on a house of cards. Costa Rica’s presence in and

knowledge of the region are moreover so limited that Costa Rica is reduced to basing its

accusations of intervention on the testimony of drug dealers 124who have escaped from the

125
Nicaraguan police and for whose arrest Nicaragua has requested the co-operation of Costa Rica .

10. The tale of the canal (which Nicaragua would moreover be fully entitled to dig) is no

more credible than the fable of the occupation. It is quite true that a Nicaraguan team, over a

period of some weeks, manually 126 undertook the cleaning up and clearing of the “caño”

connecting the San Juan river with Harbor Head. As was shown by my other colleague and friend,

PaulReichler, the aim was to restore the (limite d) navigability of this branch of the river ⎯ the

right bank of which serves as the frontier between the Parties, as was made clear by

127
General Alexander in the Award of 30 September 1897 .

55 11. Mr. President, the connection between the facts invoked by Costa Rica and the rights that

it claims is anything but plausible. But if it is not plausible, there is doubtless an explanation. As

was shown a little earlier by Professor McCaffrey, the fable of the invasion and the “occupation” of

12See above, S.McCaffrey, para.25 (d) and affidavits submitted to the Court, Aburto Ortiz, GregoriadeJesús
(doc. No. 1), p. 2 and Roa Traña, Farle Isidro (doc. No. 5), pp. 4-6.

12See, in particular, S.McCaffey, para s.24-25 A.M. A.V. and affidavits s ubmitted to the Court, Aburto Ortiz,
Gregorio de Jesús (doc. No. 1); Barrantes Jiménez, Luis Fernando (doc. No. 2); Pérez Solís, José Magdiel (doc. No. 3);
Gutiérrez Espinoza, Juan Francisco (doc. No. 7); Membreño Rivas, Denis (doc. No. 9).

12La Nación, El País, 21 Oc. 2010, “Familia denuncia invasión de jerarca nica”.

12Affidavit submitted to the Court, Roa Traña, Farle Isidro (doc. No. 5), pp. 9-10.
126
Statement submitted to the Court, Vivas Soto, Elsa Ma ria (doc. No.14), para.18, affidavit, Espinoza Urbina,
Hilda, para. 30 (b) and Ann.11 thereto (doc. No. 13); certification, Araquistain Cisneros, Roberto (doc. No. 12).
127
See Treaty of Limits (C añas-Jerez), 15 Apr. 1858, Art. II (Attachment1 to the Application instituting
proceedings, 18Oct. 2010) and First Award rendered by the arbitrator E.P. Alexander at San Juan del Norte on
30 Sep. 1897 on the question of the frontier between Costa Rica and Nicaragua, H. La Fontaine, Pasicrisie Internationale
1794-1900: Histoire documentaire des arbitrages internationaux (1902, reprinted in 1997, M. Nijhoff, The Hague),
p. 529 (Attachment 3 to the Application instituting proceedings, 18 Oct. 2010). - 53 -

Costa Rican territory by Nicaraguan troops and the tale of the digging of a new canal were

concocted by Costa Rica in an attempt to provide a semblance of justification for its opposition to

the (in any event modest) operation undertaken by Nicaragua for the dredging of the river. Indeed,

this seems to be the true purpose of both the Application and the Request for the indication of

provisional measures.

12. There are no Nicaraguan soldiers on Costa Rican territory: there is no “area occupied”

by Nicaragua in Costa Rica; there is no plan for an artificial channel between the San Juan and the

sea; there is no questioning of the Treaty of Limits by Nicaragua ⎯ except in the imagination of

Costa Rica’s leaders. Or, perhaps, in their dr eam, which is one of preventing Nicaragua from

undertaking the work of dredging the river in accordance with its rights ⎯ a dredging operation

which could eventually lead to the restoration of the situation as it existed in 1858. And to that end

they have fabricated the charges which they now bring against the Nicaraguan Party.

13. While the entire military/pharaonic scenario de picted by Costa Rica is totally fictitious,

the dredging operation of which it accuses Nicaragua is, on the contrary, completely real. It is

perfectly true, as was explained a little earlier by the Agent of Nicaragua, that his country

undertook a dredging operation over the final 42 km of the San Juan river, on the basis of a project

128
envisaged in 2006 and made public at that time . This project was conducted exclusively on the

San Juan de Nicaragua river 129 and was limited in scale: to date, it involves a single dredging

operation of modest capacity: 350 m 3/hour 130; and its impact on the volume of the Colorado river

131
is negligible . The Costa Rican experts themselves are of the opinion that the dredging project,

56 which is said to represent a “titanic” enterprise for Nicaragua ⎯ and here I am using their own

132
adjective, reminiscent of my own “pharaonic” ⎯ could only entail, according to their most

133
pessimistic estimates, a 12per cent decrease at most in the volume of flow of the Colorado .

128
Affidavit, Espinoza Urbina, Hilda, p. 6, para. 16 (doc. No. 13).
12Ibid., p. 5, para. 12 (doc. No. 13).

13Declaration, Quintero Gómez, Lester Antonio (doc. No.16, Ann. 4).

13Statement by Silva Munguía, Virgilio (doc. No. 15); see also documents submitted by Nicaragua, statement by
Mr. Rene Castro Salazar, Costa Rican Minister of Forei gn Affairs and Culture, to the Environmental Commission of
Costa Rica’s Legislative Assembly, on 8 Sep. 2010 (doc. No. 19).

13Document submitted to the Court by Costa Rica on 7 Jan. 2011, Estudio de comportamiento de caudales en la
bifurcación del rio San Juan-Rio Colorado, p. 1.

13Ibid., p. 5. - 54 -

134
Notwithstanding, 5per cent is a more realistic assessment ⎯ and even that is in any event a

remote possibility.

14. While the alleged infringements of the first right ⎯ or set of rights ⎯ invoked by Costa

Rica are not even close to having any validity, in the case of the dredging, it is the right itself that is

missing. According to the applicant State, what is involved is “Costa’s right corresponding to

Nicaragua’s obligation not to dredge the San Juan if this affects or damages Costa Rica’s lands, its

135
environmentally protected areas and the integrity and flow of the Colorado River” . What we

have here is no longer a problem of plausibility, but of existence: according to the very clear terms

of point 6.3 of the Cleveland Award, also cited a little earlier by Steve McCaffrey, “[t]he Republic

of Costa Rica cannot prevent the Republic of Nicaragua from executing at her own expense and

within her own territory such works of improvement” 136. “The Republic of Costa Rica cannot

prevent” such works, Mr.President; it cannot do so! It has no right; it has an obligation not to

prevent. This was fully confirmed by your 2009 Judgment 137. Our opponents cited the Cleveland

Award at length this morning ⎯ but not this point; and one can see why! And yet, “prevent” is

precisely what Costa Rica is asking you to do when it seeks to convince you to order the temporary

suspension of these works which ⎯ I repeat ⎯ are of very limited scale and do not in an event

cause it the slightest injury. Furthermore ⎯ I shall return to this point but I wish to make it right

57 away: even if there were any injury ( quod non), Costa Rica could not prevent the dredging; at the

very most, it could demand indemnification, unde r the terms of point 3.6 of the Cleveland Award

which are equally explicit and equally ignored by counsel for Costa Rica.

15. Thus, Mr.President, apart from the fact that CostaRica has not adduced the slightest

evidence in support of its fanciful accusations of invasion, occupation or digging of a new canal, it

asks you to recognize a right that it does not possess and which was expressly denied by an award

to which it nevertheless gives great prominence. The fumus is no longer boni, but mali juris!

134
Document submitted to the Court by Nicaragua, Expert Report of Professors Dr. ir. C. van Rhee and
Dr. H. J. de Vriend of Delft University of Technology (doc. No. 18), pp. 2-3.
135Request for the indication of provisional measures, 18 Nov. 2010, para. 13.

136Cleveland Award rendered on 22 Mar. 1888 in Washington upon the validity of the Treaty of Limits of 1858
between Costa Rica and Nicaragua, RIAA, Vol.XXVIII, p.210, point6 (Attachm ent2 to the Application instituting
proceedings, 18 Oct. 2010).

137Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 2009,
para. 155. - 55 -

(b) The “sufficient connection”

16. At the same time, Mr.President, it seems to me that I have demonstrated that the

condition of a “sufficient connection” between th e alleged rights which the provisional measures

requested by Costa Rica are intended to protect and the subject of the proceedings it has brought

before the Court as to the merits has not been fulfilled.

17. In paragraph18 of its Request for the indication of provisional measures, Costa Rica

invokes the Court’s Order in the case concerning Passage through the Great Belt (Finland v.

Denmark) ⎯ an order whereby the Court, moreover, refu sed to accede to such a request. In that

case, however, it had observed “that the existence of a right of Finland of passage through the Great

Belt is not challenged, the dispute between the Parties being over the nature and extent of that

right . . .” (Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of

138
29 July 1991, p. 17, para. 22; emphasis added .

18. It is the converse that applies here: there is no doubt of the non-existence of a right of

Costa Rica to prevent dredging of the San Juan. Professor Crawford is right: the two cases, on this

point at least, are not comparable.

19. The problem takes on a different character when it comes to the other rights relied upon

by the applicant State. But the result is the sa me: not only would the indication of the provisional

58 measures requested amount to taking for granted that Nicaragua violated those rights ⎯ I shall

return to this point in a few moments; not only are these requests based on totally implausible

allegations; but they are also without foundation in the sense that they are not likely to protect the

alleged rights relied upon by Costa Rica. Let us review them again in rapid sequence,

Mr. President, with your permission:

1. “the immediate and unconditional withdrawal of all Nicaraguan troops from the unlawfully

invaded and occupied Costa Rican territories”; there is no occupation; but even if there were

an occupation, Costa Rica’s rights to sovereignty, territorial integrity and non-occupation would

obviously be restored by the Judgment on the merits if, by virtue of the impossible, the Court

were to decide that Nicaragua is in any manner infringing those rights;

138
See also Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order of
13 July 2006, sep. op. of Judge Bennouna, I.C.J. Reports 2006, p. 143, para. 3. - 56 -

2. “the immediate cessation of the construction of a canal across Costa Rican territory”; there is

no construction; as ProfessorCrawford said this morning: “The canal is an artifice newly

created” ⎯ yes indeed, newly invented by Costa Rica for the purpose of their case...; but,

even if there were any construction, we would at the very worst be in a situation similar to that

139 140
of the Great Belt or the first Order rendered in the Pulp Mills case ; it would fall to

Nicaragua, being informed of the position of Cost a Rica, to take the risk of persisting in the

project which the Applicant (wrongly) attributes to it and “necessarily [bear] all risks relating to

141
any finding on the merits that the Court might later make” ;

3. “the immediate cessation of the felling of trees, removal of vegetation and soil from Costa

Rican territory, including its wetlands and forests”; and

4. “the immediate cessation of the dumping of sed iment in Costa Rican territory”; there is no

felling of trees, removal of vegetation, excavation work or dumping of sediment in Costa Rican

territory; but even if that were the case (quod non), this is the same situation that I referred to
59

earlier with regard to dredging: if these facts were confirmed, then under the explicit terms of

point 3.6 of the Cleveland Award:

“The Republic of Costa Rica [would have ⎯ and would only have] the right to
demand indemnification for any places belonging to her on the right bank of the River
San Juan which may be occupied without he r consent, and for any lands on the same

bank which may be142ooded or damaged in any other way in consequence of works of
improvement.”

That is the answer.

20. To recapitulate, some of the rights invoke d by Costa Rica are clearly non-existent; and

in any case, the alleged infringements by Nicaragua are totally fanciful and the measures requested

are not such as to safeguard those rights. This is more than sufficient reason, Members of the

Court, to prevent you from indicating such measures. In any event, Nicaragua’s conduct could not

have caused any injury to Costa Rica ⎯ much less any irreparable prejudice.

139
Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29July1991, I.C.J.
Reports 1991, p. 19-20, paras. 31-34.
140Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order of 13July2006,
I.C.J. Reports 2006, p. 133, para. 78.

141Ibid.

142Cleveland Award upon the validity of the Treaty of Limits of 1858 between Costa Rica and Nicaragua,
rendered on 22 March 1888 in Washington, RIAA, Vol. XXVIII, p. 210, point 6 (attachment to the Application instituting
proceedings, 18 Oct. 2010). - 57 -

II. THE ABSENCE OF PREJUDICE

21. Mr.President, another of the conditions most firmly established in the case law of the

Court in terms of enabling it to accede to a re quest for the indication of provisional measures

relates to the irreparable character of the prejudice that could result from the failure to indicate the

measures requested: this “power of the Court to indicate provisional measures can be exercised

only if there is an urgent necessity to prevent i rreparable prejudice to such rights, before the Court

has given its final decision” (Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional

143
Measures, Order of 23 January 2007, I.C.J. Reports 2007 (I), p. 11, para. 32) .

60 22. However, in the present case, Costa Rica cannot invoke any irreparable prejudice;

indeed, it cannot complain of any prejudice, “period”.

23. I do not think it necessary to dwell on this point: I could only repeat what Paul Reichler

has skilfully demonstrated. So let me only say that:

⎯ with regard to both the dredging and the cleari ng of the canal, Nicaragua has taken great pains

to ensure the preservation of the environment, in which it has at least as big a stake as Costa

Rica: a careful impact study was carried out before the dredging was undertaken and a detailed

environmental study preceded the clearing of the caño; the trees felled in that connection

(fewer than 200 according to the concordant estimates of the Parties) 144are being replaced in

the ratio of at least 10 replanted trees to one fe lled tree (in reality, significantly more); let me

say in passing that I was surp rised this morning to hear ProfessorCrawford compare you to

old-growth trees. I do not think in any case that if the Court were to disappear ⎯ horresco

referens ⎯ you could be replaced even in the ratio of ten to one!

⎯ the dredging is having (and will have in the foreseeable future over a number of years) only a

very limited effect on the volume of flow of the Colorado (as well as that of the caño and the

14See also the cases cited: Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order
of 29 July 1991, I.C.J. Reports 1991, p. 17, para. 23; Certain Criminal Proceedings in France (Republic of the Congo v.
France), Provisional Measure, Order of 17June2003, I.C.J. Reports 2003 , p.107, para.22; see also: Vienna
Convention on Consular Relations (Paraguay v. United States of America), Pr ovisional Measures, Order of
9 April 1998, I.C.J. Reports 1998 , p. 257, para. 37; Request for Interpretation of the Judgment of 31 March 2004 in the
Case concerning Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America) (Mexico v. United States of
America), Provisional Measures, Order of 16July2008, I.C.J. Reports 2008 , p.330, para.72; Pulp Mills on the River

Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order of 13 July 2006, I.C.J. Reports 2006, p. 131, para. 70.
14Costa Rica, Ministry of Environment, Energy and Telecommunications, Informe de Inspeccion Preliminar,
22 Oct. 2010 (Doc. submitted to the Court, p 11); see also the affidavit of Roberto Araquistain Cosneros (Doc. 12). - 58 -

145
San Juan itself) , and these insignificant changes can have no harmful impact either on the

environment of the region or on the navigability of the Colorado;

⎯ the technical study commissioned by Costa Rica from its own experts and belatedly submitted

to the Court at the request of Nicaragua demonstr ates that the impact of the dredging would be

negligible 146, which blatantly contradicts the apocalyptic forecasts presented in the Applicant’s

pleadings; as regards the Ramsar analysis, it is based exclusively on Costa Rican data and does

not, in any case, have the scope claimed by our opponents; furthermore, the latter’s alarmist
61
claims are contradicted by the technical repor t prepared by neutral and extremely competent

147
experts from the University of Delft ;

⎯ moreover, through its Minister for Foreign Affairs, Costa Rica expressly acknowledged that the

works undertaken by Nicaragua “would not ha ve the alarming environmental and economic

148
impact suggested by some media” . In that statement, cited earlier and delivered on

8September 2010, Mr. Castro Salazar indicated that he was relying on Costa Rican studies.

He no doubt meant the “Study on the volume of fl ow at the bifurcation of the San Juan and

149
Colorado rivers”, which Costa Rica produced in extremis . If that is the case, and even

though this study relies on erroneous data, there is in fact no reason for alarm 150.

24. Since there is no prejudice, it makes no sense to question whether or not this non-existent

damage is irreparable. Allow me merely to poi nt out that, even if Costa Rica could establish,

during consideration of the merits of the case, that the disputed maintenance and improvement

works are illicit and are thought to ha ve caused it some measure of damage ⎯ which is highly

unlikely ⎯ the only form of reparation that it could claim, under the terms of point3.6 of the

14Doc. submitted to the Court by Nicaragua, Expert Report of Profs. Dr. ir. C. van Rh ee and Dr. H.J. de Vriend
of Delft University of Technology (Doc. 18), p. 1.

14Doc. submitted to the Court by Costa Rica on 7January 2001, Estudio de comportamiento de caudales en la
bifurcación del río San Juan-Rio Colorado, p. 5.

14Doc. submitted to the Court by Nicaragua, Expert Report of Profs. Dr. ir. C. van Rh ee and Dr. H.J. de Vriend
of Delft University of Technology (Doc. 18), pp. 1-2 and 9-10.

14Doc. submitted to the Court by Nicaragua, Statement by Mr. René Castro Salazar, Costa Rican Minister of
Foreign Affairs and Culture, to the Environmental Commissi on of Costa Rica’s Legislative Assembly, on 8Sep.2010
(Doc. 19).

14Doc. submitted to the Court by Costa Rica on 7January 2011, Estudio de comportamiento de caudales en la
bifurcación del río San Juan-Rio Colorado.

15Ibid., see in particular pp. 1 and 5. - 59 -

Cleveland Award, would be an indemnification. In 1927, in its Order in the case concerning

Denunciation of the Treaty of 2 November 1865 between China and Belgium , the Permanent Court

of International Justice held that a prejudice is irreparable if it “could not be made good simply by

151
the payment of an indemnity or by compensation or restitution in some other material form” . In

the instant case, however, the prejudice i nvoked by the Applicant can be made good only by the

payment of an indemnity. And it goes without saying, Mr. President, that Costa Rica cannot obtain

by means of provisional measures that which, in any event, it cannot hope to obtain from your

judgment on the merits.

62 III.T HE ABSENCE OF URGENCY

25. Members of the Court, again according to your well-established jurisprudence, “the

power of the Court to indicate provisional measures will be exercised only if there is urgency in the

sense that there is a real risk that action prejudicial to the rights of either party might be taken

before the Court has given its final decision” ( Application of the International Convention on the

Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Provisional

152
Measures, Order of 15October 2008, I.C.J. Reports 2008 , p.392, para.129) . In French, you

certainly have a predilection for double negatives.

26. In order for this to occur, Costa Rica h as to show that, “were there such a risk of

prejudice to the rights claimed [by Costa Rica]... it is imminent” ( Pulp Mills on the River

Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 2007 , p.13,

para. 42). But it has not done so and it cannot do so:

⎯ it is hard to see what new fact explains Costa Rica’s reversal: after saying in September that it

was fully convinced of the absence of risk, not onl y imminent risk, but any real risk at all, it

now dramatizes the environmental and other hazar ds associated with a s ituation which has not

15Denunciation of the Treaty of 2Nov.1865 between Ch ina and Belgium, Orders of 8Jan., 15Feb. and
18June1927, P.C.I.J., Series A, No.8, p. 7; Factory at Chorzów, Order of 21Nov. 1927, , P.C.I.J., Series A, No.12,
p. 6.

15See, also, Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Provisional
Measures, Order of 15March1996 , I.C.J. Reports 1996 (I) , p.22, para.3LaGrand (Germany v. United States of
America), Provisional Meas ures, Order of 3March1999,I.C.J. Reports 1999 (I) , p.15, para.2Arrest Warrant of
11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Provisional Measures, Order of 8 December 2000, I.C.J.
Reports 2000, p. 201, para. 69. - 60 -

changed with regard to the dre dging, and which has ceased to exis t with regard to the clearing

of the caño;

⎯ the trees felled on that occasion have been more than amply replaced ⎯ in a region where, as

Costa Rica proclaims, the capacity for regeneration of the forest is very strong 153; and

⎯ for lack of resources, the dredging works are procee ding very slowly and, at this rate, can have

no significant impact on the Colorado river (or, unfortunately, on the San Juan) for many years.

27. No prejudice: a fortiori, no indemnifiable prejudice; and by the same token, no urgency.

63 28. That takes care, Mr.President, of Costa Rica’s requests Nos. (2) to (5), while still ⎯ I

realize ⎯ leaving Nos. (1) and (6).

29. In formulating the first request (“the immediate and unconditional withdrawal of all

Nicaraguan troops from the unlawfully invaded and occupied Costa Rican territories”), Costa Rica

is obviously attempting to obtain at the preliminar y measures stage the very result that it wishes to

obtain from the Court on the merits. That is not possible and I shall return to this point when

closing.

30. Regarding the sixth (and last) Costa Ri can request, it is worded as follows: “that

Nicaragua shall refrain from any other action whic h might prejudice the rights of Costa Rica, or

which may aggravate or extend the dispute before the Court”. The position that you took in your

Order of 2007 concerning the Pulp Mills is fully applicable here. It is true, as you pointed out in

that decision, that “the Court has on several occasions issued provisional measures directing the

parties not to take any actions which could aggravate or extend the dispute or render more difficult

its settlement” ( Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures,

154
Order of 23January2007, I.C.J. Reports 2007, p.16, para. 49) ; but, as you also noted:

“provisional measures other than measures directing the parties not to take actions to aggravate or

153
Costa Rica, Ministry of Environment, Energy and Telecommunications, Informe de Inspecion Preliminar,
22October 2010 (Doc. submitted to the Court, pp.12-13). See, also, docs submitted to the Court by Nicaragua, Vivas
Soto, Elsa Maria, para. 11, (Doc. 14).
154
See, for example, United States Diplomatic and Consular Sta ff in Tehran (United States of America v. Iran),
Provisional Measures, Order of 15December1979 , I.C.J. Reports 1979 , p.21, para.47, point B; Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Provisional Measures, Order of 8April1993, I.C.J. Reports 1993 , p.24, para.52, point B; Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Provisional Measur es, Order of 15March1996,
I.C.J. Reports 1996(I) , p.24, para.49, point (1); Armed Activities on the Territory of the Congo (New
Application:2002) (Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Provisional Measures, Or der of 1July2000, I.C.J.
Reports 2000, p. 129, para. 47, point (1). - 61 -

extend the dispute or to render more diffic ult its settlement were also indicated” ( ibid.). Since this

was not the case in the Pulp Mills case, you considered that you could not indicate a measure on

non-aggravation, even if it were addressed to both parties 15; James Crawford moreover referred to

this point this morning. And, if I may be permitte d to make a judgment (even if it is impertinent to

“judge the Court”!), I think that you were right: to decide otherwise would be to encourage States

to make even more use of the provisional measures procedure ⎯ which they may be thought

already to use abusively: the present case provides further evidence of this.

64 31. You have no reason, Members of the Court, to indicate the more precise measures that

Costa Rica asks you to take and, unless what might be called “measures of non-aggravation” are to

be treated separately, you cannot order the measure that is the subject of the sixth and last request

either. Moreover, you also have no reason to suspect Nicaragua of wishing to “aggravate the

dispute”, which is not its intention and it is hard to see what benefit it would derive from doing so.

IV. IMPOSSIBILITY OF PREJUDGING THE MERITS OF THE CASE

32. There is also, Mr.President, one last reason ⎯ that is just as decisive ⎯ for the Court

not to accede to Costa Rica’s requests. It is in fact also an established precedent that a State may

not use incidental proceedings concerning provisional measures to obtain some sort of “preliminary

judgment” in favour of its submissions on the merits of the case. As the Permanent Court stated in

its Order of 21November 1927 in the Chorzów Factory case, an order indicating provisional

measures is not an “interim judgment” by which the applicant could obtain judgment in favour of

all or part of the claim formulated in its Application ( Factory at Chorzów, Order of

21 November 1927, P.C.I.J., Series A, No. 12, p. 10). But that is quite clearly the aim pursued by

Costa Rica in this case.

156
33. The problem has not so much to do with whether the measures requested correspond

exactly to the remedies that form the subject of the Application 157 ⎯ although that correspondence

is very striking ⎯ but I acknowledge that there may be cases where “suspensive” provisional

measures are admissible (I am thinking of the cases in which the lawfulness of death sentences was

15See ibid., paras. 50-51.
156
Request for the indication of provisional measures, para. 19.
15Application instituting proceedings, para. 41. - 62 -

at stake)15. But that is not at all the situation in the case which concerns us; in spite of the curious

dramatization in which Costa Rica is engaging, the central issue concerns ownership of the

(uninhabited) territory in which the actions a lleged against Nicaragua have taken place (or on

65 which it claims that such actions would have a prej udicial effect). This can neither be decided nor

presumed in these proceedings ⎯ whereas all, I repeat all , the six measures requested (or at least

the first five) presuppose that it can.

34. Moreover, as the Chamber of the Court noted in its Order of 1986 in the Burkina

Faso/Mali case, when sovereignty over a territory is disputed ⎯ and it is; whatever Costa Rica

may say, it is the subject of the case submitted to the Court; when that is the case, you do not

consider that you are empowered, at the provisional measures stage, to “modify the situation which

prevailed before the armed actions leading to the filing of the Parties’ requests; and... it is

necessary at all events to avoid prejudging in th at connection the existence of any specific line”

(Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Provisional Measures, Order of

10January1986, I.C.J. Reports 1986 , p.11, para.29). In the instant case, that would be all the

more unwelcome given that, for more than a century, the Parties have been unable to reach

agreement on the precise demarcation of the frontier on the basis of the 1858 Treaty and the

Cleveland and Alexander Awards.

35. In fact, regarding the pseudo-rights which Costa Rica seeks to have enforced, we are in

the same situation, mutatis mutandis, despite the assertions of our opponents, as that in which the

Court found itself in the Cameroon v. Nigeria case. Cameroon had asked you to find that the

Respondent had incurred responsibility on account of the occupation of the Bakassi peninsula and

other Cameroonian territories. In its wisdom (and here again I venture to approve the solution ⎯

although I was on the losing side!), the Court decided that each of the parties should vacate the

portions of territories recognized as belonging to the other and that, if there was any prejudice, it

15See Vienna Convention on Consular Relations (Paraguay v. United States of America), Provisional Measures,
Order of 9April1998, I.C.J. Reports 1998, p.248Avena and Other Mexican Nationals (Mexicov. United States of
America), Provisional Measures, Order of 5 February 2003, I.C.J. Reports 2003, p. 77; Request for Interpretation of the
Judgment of 31 March 2004 in the case concerniAvena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of
America) (Mexico v. United States of America), Provisional Measures, Order of 16 July 2008, I.C.J. Repo,ts 2008

p. 311. - 63 -

was sufficiently taken into account by your decision concerning the course of the frontier 15.

Naturally, such findings can only be made in a judgment on the merits; in asking you to make

them in an order indicating provisional measures, th e Applicant puts the cart before the horse; you

cannot, Members of the Court, ag ree to such a contrivance! ⎯ much less since you have affirmed

that the provisional measures you indicate are binding.

36. Mr. President, all the conditions that I me ntioned in my address are cumulative. If only
66

one of them is not satisfied you will not be able to indicate the provisional measures requested. In

this case, none of them is:

⎯ the rights that Costa Rica asks you to protect are either non-existent or clearly face no plausible

threat;

⎯ there is no sufficient and reasonable connection between the measures requested and the rights

appertaining to them;

⎯ the Nicaraguan actions complained of ha ve caused it no injury, and therefore, a fortiori, no

irreparable prejudice; and none is in prospect;

⎯ consequently, the very idea of urgency is also absurd; and

⎯ in any event, you cannot prejudge the merits in the context of these proceedings, whereas that

is precisely what Costa Rica is asking you to do.

37. It seems to me, moreover, that this is in fact the entire strategy of the applicant State: to

attempt to gain an advantage on the merits through recourse to incidental proceedings concerning

provisional measures. We are convinced, Members of the Court, that you will not be fooled.

Thank you for having listened to my presentation a ttentively despite the lateness of the hour.

This closes the first round of pleadings of Nicaragua after a very full day of activity. Thank you,

Mr. President.

15Land and Maritime Boundary betwee n Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea
intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p.452, para.319; see also Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v.

Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010, para. 156. - 64 -

Le PRESIDENT : Je remercie M. Alain Pellet de son exposé. Ainsi se termine le premier

tour d’observations orales de la République du Ni caragua. La Cour se réunira demain à 16h30

pour entendre le second tour d’observations orales du Costa Rica. L’audience est levée.

L’audience est levée à 18 heures.

___________

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