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CR 2011/20 (traduction)

CR 2011/20 (translation)

Jeudi 15 septembre 2011 à 10 heures

Thursday 15 September 2011 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Pour des raisons qu’il m’a

fait connaître, M. le juge Skotnikov n’est pas en mesure de siéger ce matin. Aujourd’hui débute le

second tour de plaidoiries en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne

c. Italie ; Grèce (intervenant)). L’Allemagne présentera son second tour de plaidoiries et formulera

également ses observations sur l’objet de l’intervention de la Grèce. Je donne donc dès à présent la

parole à l’agent de l’Allemagne, Mme Susanne Wasum-Rainer.

Mme WASUM-RAINER :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous avons écouté

attentivement les arguments qui ont été présentés par nos éminents collègues italiens et grecs, et

sommes très sensibles à leurs manifestations d’amitié, de coopération et de bonne volonté entre nos

pays. Le Gouvernement allemand se félicite de ce qu’il ait été possible de régler ce différend

devant la Cour. Monsieur le président, nous so mmes tout à fait conscients que la complexité

juridique de la présente affaire relative aux immunités de l’Etat ne permettra nullement

d’appréhender la dimension humaine des terribles événements qui se sont déroulés pendant la

guerre, événements à l’égard d esquels l’Allemagne a reconnu sa pleine responsabilité. Je saisis

d’ailleurs cette occasion pour témoigner aux victim es, et pas seulement à celles qui sont présentes

dans cette salle de justice, notre plus profond respect.

I.L’OBJET DU DIFFÉREND

2. Au cours de ces deux derniers jours, il a été maintes fois fait référence au droit

international humanitaire et au droit des droits de l’homme, et de nombreux arguments ont été

exposés à cet égard. Il va de soi que l’Allemagne partage pleinement l’attachement de l’Italie et de

la Grèce aux règles en question. Cela vaut ég alement pour l’indemnisation individuelle dans les

cas de violations de règles relatives aux droits de l’homme et, naturellement, pour la responsabilité

pénale individuelle de tous les auteurs de crimes internationaux, telle qu’elle est consacrée dans le

Statut de Rome.

Ces questions n’ont cependant aucun rapport av ec la présente espèce. Aucun des arguments

qui ont été avancés n’a démontré de manière convain cante que la portée du principe de l’immunité - 3 -

des Etats en ce qui concerne les actes jure imperii, qui forme l’objet du présent différend, avait été

limitée. Il n’a été formulé aucun argument juridi que décisif démontrant que l’Allemagne avait été

à juste titre soumise à la juridiction d’autres Etats. Bien au contraire, le droit international n’a pas

été modifié de manière à autoriser, dans certaines circonstances exceptionnelles ⎯ pour reprendre

les termes qui ont été employés ⎯, la levée de l’immunité des Etats ; de plus, quand bien même les

11 critères énoncés par nos éminents collègues italiens aux fins de défendre la jurisprudence des

juridictions italiennes existeraient bel et bien , les faits des affaires contre l’Allemagne n’y

satisferaient pas. Quand à l’intervention de la Grèce, bien que de fort nombreux aspects y aient été

abordés, elle n’a pas, contrairement à ce que la Cour avait demandé dans son ordonnance sur la

requête de la Grèce à fin d’intervention, été axée sur «l’intérêt d’ordre juridique» qui pourrait être

affecté par la présente instance.

Pour justifier la levée de l’immunité de l’Et at par ses juridictions, l’Italie s’est fondée sur

l’argument d’un déni de justice dans des circons tances très exceptionnelles. Or il n’y a pas ⎯ et il

n’y a jamais eu ⎯ déni de justice. Des réparations ont été versées. Les circonstances

exceptionnelles invoquées n’existent tout simplement pas.

3. D’ailleurs, il n’a été présenté aucune ju risprudence nationale ou internationale qui

attesterait l’existence de cette prétendue tendance. Quoique les éminents membres de la délégation

grecque aient mis en doute l’applicabilité générale de l’arrêt rendu par le Tribunal supérieur spécial

en l’affaire Margellos, il est révélateur de constater que, de puis lors, jamais aucune juridiction

grecque, y compris l’Areios Pagos, n’a de nouveau refusé l’immunité à l’Etat allemand.

Nos conseils développeront ce point tout à l’heure.

4. Monsieur le président, l’Italie a de nouveau tenté de faire de la question des réparations

qui, selon elle, resteraient dues, l’objet de la présen te instance. Or, les faits qui se sont produits

avant la date d’entrée en vigueur de la conven tion européenne pour le règlement pacifique des

différends entre l’Italie et l’Alle magne ne relèvent clairement pas de la compétence de la Cour.

Ainsi que celle-ci l’a elle-même expressément indiqué lorsqu’elle a déclaré irrecevable la demande

reconventionnelle de l’Italie, le présent différe nd ne porte pas sur les demandes de réparation,

lesquelles n’entrent donc pas dans le cadre de la présente instance. - 4 -

II. E RÉGIME DES RÉPARATIONS APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

5. Monsieur le président, l’un des objectifs im portants de cet exposé liminaire est de dissiper

l’impression erronée que nos amis italiens et grecs ont pu créer, à savoir que les victimes des

crimes de guerre commis par l’Allemagne n’auraient délibérément pas été indemnisées. A la fin de

la seconde guerre mondiale, les puissances alliées vi ctorieuses sont parties de la conviction que

l’Allemagne devait assumer sa responsabilité en accor dant réparation à tous les pays qui avaient

triomphé des Etats de l’Axe. Le mécanisme qui a été mis en place était un mécanisme interétatique

classique. Il s’agissait d’un régime global bénéficiant à tous les pays concernés et couvrant

12
l’ensemble des dommages de guerre. En revanc he, aucune disposition ne prévoyait d’offrir

parallèlement des réparations aux vi ctimes individuelles. L’Italie et la Grèce faisaient partie de ce

régime interétatique global de facture classique.

Les puissances victorieuses ont, dans les trait és de paix qu’elles ont conclus avec eux, exigé

des anciens alliés du Reich qu’ils renoncent à tout e réclamation contre l’ Allemagne trouvant son

origine dans la seconde guerre mondiale. C’est pr écisément dans ce contexte qu’a été conclu le

traité de paix avec l’Italie en1947. Jusqu’au mo is de septembre1943, l’It alie avait en effet été

alliée de l’Allemagne nazie. La Grèce, quant à e lle, a reçu les indemnités qui lui revenaient par

l’intermédiaire de l’agence interalliée des réparations, basée à Paris.

6. Le cadre des réparations a été établi par l’ accord de Potsdam du 2 août 1945, conclu entre

les puissances alliées victorieuses, et il a ét é imposé unilatéralement à l’Allemagne. Les

réparations ont pris différentes formes, parmi le squelles des saisies, essentiellement d’outillage

industriel dans les différentes zone s d’occupation, la confiscation de tous les avoirs allemands à

l’étranger et la renonciation à une zone de plus de 114000km², soit un quart du territoire de

l’Allemagne d’avant-guerre.

7. Outre ce régime global de réparations, l’A llemagne a, conformément aux décisions prises

par ses propres autorités, mis en place un système d’indemnisation en faveur des victimes de

mesures spécifiques s’inscrivant dans le cadre de la persécution raciste et idéologique du régime

nazi. Au mois de décembre2010, pas moins de 70milliards d’euros avaient ainsi été versés à ce

titre à des personnes et à des Etats. Cette indemn isation des victimes de la persécution nazie se

poursuit, à hauteur de 600 millions d’euros par an. - 5 -

8. En ce qui concerne l’Italie et la Grèce, l’Allemagne a décidé d’indemniser aussi bien les

gouvernements que les victimes individuelles.

Si vous le permettez, Monsieur le président , je vais vous donner quelques détails à ce sujet

afin de réfuter les arguments fondés sur la nécessi té et sur un prétendu déni de justice, et de

démontrer que l’Allemagne a bel et bien assumé sa responsabilité.

⎯ Au début des années 1960, la République fédérale d’Allemagne a versé 115 millions de DEM à

la Grèce en faveur des victimes de la persécution raciale et religieuse. De même, elle a conclu

avec l’Italie les deux traités auxquels il a été fa it référence dans notre mémoire, en application

desquels une somme forfaitaire de 80 millions de DEM a été versée à l’Italie.

13 ⎯ Environ 3400 civils italiens ont été indemni sés par la fondation «Mémoire, responsabilité et

avenir» pour le travail forcé qu’ils avaient dû effectuer. La somme totale versée à des

ressortissants italiens par cette fondation avoisinait les 2 millions d’euros.

⎯ Par ailleurs, quelque 1000 intern és militaires italiens ont été i ndemnisés pour cause de travail

forcé dans le cadre du régime mis en place par ladite fondation.

⎯ Enfin, de nombreux ressortissants italiens et grecs se sont vu verser des indemnités en

application de la législation allemande d’après-guerre en matière d’indemnisation.

9. En résumé, un régime global de réparations a été mis en place, et intégralement mis en

Œuvre. Ce régime postulait que des sommes forfaitaires étaient versées aux gouvernements afin de

réparer les dommages de guerre et que les citoyens devaient s’adresser à leur propre gouvernement

pour recevoir la part qui leur revenait. Tout es les victimes de crimes de guerre étaient donc

couvertes par ce régime. Par ailleurs, l’Allemagn e a, de sa propre initiative, versé certaines

sommes à des ressortissants étrangers. Pour l’essentiel, ces indemnités ont été versées aux victimes

de mesures spécifiques s’inscrivant dans le cadre de la persécution raciale et idéologique nazie, et

non à celles qui avaient subi des préjudices matéri els et physiques en raison de la guerre. Ces

mécanismes collectifs de réparation étaient aussi vastes que possible. Pour autant que des crimes

aussi odieux puissent être réparés ⎯et nous savons bien que tel n’est pas le cas ⎯, l’Allemagne

s’est honnêtement employée à le faire. L’idée sel on laquelle ce régime de réparations dans son

ensemble devait être mis à bas en 2004 est inacceptable. - 6 -

10. La mise en Œuvre de ce régime de répara tions a été à l’origine de la réintégration de

l’Allemagne démocratique dans la communauté internationale ; elle en était la condition préalable.

Elle a ensuite permis à l’Allemagne de devenir, aux côtés de l’It alie et de la Grèce, l’un des

principaux piliers de l’intégra tion européenne. Le Gouvernemen t italien l’a d’ailleurs reconnu.

Pendant des décennies, il a considéré que la page de s réparations avait été tournée. Ce n’est que

lorsque le Gouvernement allemand ⎯ avec le soutien de l’industrie allemande ⎯ a unilatéralement

décidé, en 2000, de verser aux anciens travailleurs forcés une indemnisation ex gratia, que l’Italie a

soulevé la question des internés m ilitaires italiens. Il est vrai que les prisonniers de guerre ne

bénéficiaient pas de ce régime particulier. En revanche, les internés militaires qui avaient

également subi une persécution raciale ou idéologique avaient droit à des indemnités.

14 III.L E DÉNI DE JUSTICE

11. L’allégation selon laquelle il y aurait eu déni de justice est inexacte. Tous les plaignants

avaient la possibilité de présenter leurs réclamations devant les tribunaux allemands et, en dernier

ressort, devant la Cour européenne des droits de l’homme. Dans un certain nombre d’affaires, ils

ont d’ailleurs effectivement été entendus à Strasbour g. La Cour européenne a cependant jugé que

l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, dans laquelle est consacré le droit à

l’accès à la justice, n’avait pas été violé. Les a rrêts en question sont cités dans nos écritures et

plaidoiries.

C’est en se penchant sur l’arrê t de principe dans lequel la Corte di Cassazione italienne a

formulé sa nouvelle doctrine ⎯ l’arrêt Ferrini ⎯ que l’on se rend compte à quel point l’allégation

de déni de justice est erronée. Dans cette a ffaire, le plaignant, M.Ferrini, avait décidé de ne pas

porter sa requête devant l’institution allemande compétente, la fondation «Mémoire, responsabilité

et avenir». M.Ferrini n’était pas un prisonnier de guerre mais un civil qui avait été soumis au

travail forcé et, en principe, il aurait donc pu se voir verser des indemnités par la fondation. Mais il

ne s’est pas tourné vers la fondation, et encore mo ins vers les tribunaux allemands, et a, au lieu de

cela, introduit une instance en Italie. Par consé quent, l’allégation de nos collègues italiens selon

laquelle M.Ferrini n’avait pas d’autre choix que de recourir aux juridictions italiennes est tout

simplement inexacte. C’ est d’ailleurs pourquoi la Corte di Cassazione , lorsqu’elle a rendu son - 7 -

arrêt en l’affaire Ferrini, n’a pas fait mention d’un déni de justi ce, contrairement à ce qu’allèguent

nos collègues italiens.

12. Monsieur le président, nos collègues grecs nous ont exposé hier en détail les différentes

procédures en l’affaire Distomo : devant les juridictions grecques, devant les juridictions

allemandes et, en dernier ressort, devant la Cour européenne des droits de l’homme. Dès lors,

comment peut-on considérer qu’il y ait eu déni de justice, ce qui aurait conduit les juges italiens à

prendre les mesures que l’on sait ?

IV. PRÉSENTATION DES EXPOSÉS DE L ’A LLEMAGNE

13. Monsieur le président, si vous le permettez, je présentera i maintenant les grandes lignes

de la seconde intervention de l’Allemagne.

M. Tomuschat commencera par expliquer pourquo i l’argument du déni de justice ne saurait

justifier la levée par les juridictions italiennes dl’immunité de l’Etat allemand. Il examinera

également la tentative des Italiens d’applique r rétroactivement certaines notions émergentes du

droit international, ainsi que leur décision de re ndre exécutoire en Italie l’arrêt rendu en Grèce en

l’affaire Distomo, que je viens de mentionner. M. Gattini réfutera ensuite la thèse de l’applicabilité

de l’exception délictuelle en tant qu’exception à l’immunité de l’Etat, et démontrera que la

15 renonciation italienne contenue dans le traité de paix conclu avec les puissances alliées ne saur
ait

être interprétée de manière aussi étroite que le soutient l’Italie. Il démontrera en outre que

l’Allemagne ne saurait être considérée comme ayant commis un quelconque abus de droits.

M.Kolb traitera ensuite de certains as pects du droit international humanitaire, du jug cogens, de

l’argument de la complicité et de la thèse selon laquelle les affaires italiennes seraient d’une nature

particulière. Enfin, je présenterai formellement les conclusions finales de l’Allemagne.

Monsieur le président, je vous prie de bi en vouloir donner la parole à mon collègue,

M. Christian Tomuschat.

Le PRESIDENT: Je remercie Mme l’ambassadeur Susanne Wasum-Rainer de sa

présentation. Je donne maintenant la parole à M. Tomuschat. - 8 -

M. TOMUSCHAT :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, Madame Wasum-Rainer vient

de vous indiquer pourquoi l’argument principal du défendeur, à savoir que l’Allemagne n’a accordé

aucune sorte de réparation aux victimes des viol ations du droit humanitaire international commises

par les autorités du IIIReich entre septembre 1943 et mai 1945 ⎯ période durant laquelle l’Italie

était occupée ⎯, est tout simplement fallacieux. L’Allema gne a bel et bien payé des réparations à

de nombreuses catégories de victimes italiennes ⎯ certes pas à toutes, ce dont elle convient. Elle

considère en effet, qu’en ce qui concerne cer tains dommages de guerre, d’autres modalités de

règlement ont été utilisées; le défendeur a choisi de ne pas tenir compte de ce fait bien qu’il ait

constamment répété que la question des réparations devait être examinée dans son contexte.

I.L ES CLAUSES DE RENONCIATION CONCERNANT LES DEMANDES DE RÉPARATION

AU TITRE DE VIOLATIONS DE RÈGLES IMPÉRATIVES DU DROIT INTERNATIONAL
SONT ELLES ILLICITES ? U NE ERREUR GROSSIÈRE
ET UNE THÈSE DANGEREUSE

2. Monsieur le président, si l’on prenait pour argent comptant les observations présentées par

le défendeur, en particu lier celles de M.Zappala1, alors l’ensemble de l’Europe se retrouverait de

nouveau, 66 ans après la fin de la seconde guerre mondi ale, en proie aux tensions, à l’inimitié et à

la méfiance. Pourquoi cela ? Parce que si l’argument du défendeur était mis en pratique, tous les

accords de paix conclus entre les ex-belligérants seraient dans une large mesure nuls et non avenus.

16
Pas un seul de ces règlements complexes, dont certain s contiennent en termes explicites et d’autres

sous une forme un peu plus subtile des clause s de renonciation aux dema ndes de réparation ne

survivrait à l’amputation d’une analyse qui manie le jus cogens comme un couteau suisse. Le

défendeur affirme qu’il ne peut être renoncé aux demandes de répa ration pour violation des règles

du jus cogens. Lorsqu’ils entament des négociati ons en vue d’un accord de paix, les

gouvernements doivent exiger d’emblée que leur soit accordés intégralement et sans restriction tous

droits dont ils pourraient se prévaloir en vertu du dr oit de la responsabilité de l’Etat, si et dans la

mesure où lesdits droits résultent de violations de ces normes supérieures.

1
CR 2011/18, p. 28-30, par. 13-16 (Zappala). - 9 -

3. Cette affirmation semble étrange, et mê me très étrange. Elle introduit une catégorie

nouvelle en droit international, à savoir celle des réclamations auxquelles on ne peut jamais

renoncer, que l’on ne peut cesser de faire valoir. Il est certes vrai qu’un Etat ne peut jamais

conclure avec un autre un accord prévoyant une viol ation des droits fondamentaux de la personne.

Aucun Etat ne peut autoriser un autre à torturer ses citoyens, à les tuer aveuglément, à les réduire

en esclavage ou à se livrer à des pratiques génocid aires. Pareils actes, qui vont à l’encontre des

règles du jus cogens et des obligations erga omnes, ne peuvent en aucun cas être tolérées ou

autorisées. Et leurs auteurs doivent assurément êt re poursuivis. Mais c’est une tout autre chose

que de renoncer à des demandes de réparations fi nancières au titre de tels crimes ou de crimes

comparables. Le fait dommageable a été perpétré. La vie des intéressés n’est plus en danger. A ce

stade, lorsque l’acte illicite a déjà été commis, des questions d’exécution et d’application se posent.

La réalisation de la responsabilité peut prendre les formes les plus diverses. Il n’existe simplement

pas de règle du jus cogens prévoyant comment doivent être réparées les violations de ces normes

impératives. Permettez-moi de le souligner à nouveau: en matière de réparation financière, il

n’existe aucune règle du jus cogens. Le libellé prudent de l’article 41 du projet d’articles de la CDI

sur la responsabilité de l’Etat indique clairement qu’en règle générale, les Etats intéressés ont accès

aux moyens ordinaires de réparation. Manifestement, tout Etat peut choisir de renoncer à ce qui lui

est dû si bon lui semble. Les raisons d’un tel reno ncement peuvent être de nature très diverse.

L’une d’elles est la volonté d’étab lir une paix ferme et durable après une période de conflit armé

aux conséquences dévastatrices pour la population. En tout cas, il semblerait évident qu’aucune

règle du jus cogens n’impose aux Etats de procéder à un règlement où chaque violation d’une règle

du droit humanitaire serait prise en considérati on et sanctionnée par des mesures de réparation

17 spécifiques, selon une liste bureaucratique énuméran t par le menu les violations pertinentes, et

conformément à des règles complexes d’établissement de la preuve.

4. Le modèle préconisé par le défendeur est si éloigné de la réalité que l’on peut même se

demander s’il ne s’agit pas d’une plaisanterie. Permettez-moi de commencer par donner un seul

exemple, celui du traité dit de «2+4 » de1990, qui a officiellement mis fin à la seconde guerre

mondiale en levant les responsabilités d’en semble qu’assumaient encore les puissances

victorieuses. En ce qui concerne la relation entre les anciens adversaires du Reich allemand et les - 10 -

deux Etats allemands, ce traité a définitivement mis fin à la guerre, il en a marqué le point final.

Or, que nous dit à présent le défendeur? Ce règlement, salué par le monde entier comme

l’aboutissement d’un long processus de concessions mutuelles, est dans une large mesure nul et

non avenu, étant donné qu’il ne rend pas justice a ux prétendus droits de millions de personnes qui

ont subi des préjudices durant la guerre. C’est bien là l’essentiel de ses conclusions. Les Etats

n’ont pas le droit d’abandonner les demandes en réparation de leurs nationaux.

5. Quelles sont les conséquences de cette interp rétation ridicule? Et bien il tombe sous le

sens que cela bouleverserait toute l’architecture de l’après-guerre, celle des relations pacifiques

entre Etats. L’Allemagne devrait dédommager des millions de personnes alors même qu’au niveau

interétatique, elle a déjà payé des réparations d’une ampleur inégalée. Elle sait bien que la seconde

guerre mondiale a fait un nombre immense, presqu’incalculable, de morts et de blessés. Mais le

droit international est le droit de la réciprocitéL’Allemagne n’est pas un Etat paria et les clauses

de la Charte des NationsUnies faisant référence à l’Etat ennemi ⎯ les articles 53 et 107 ⎯ sont

devenues obsolètes. En d’autres termes, les victimes allemandes de crimes de guerre seraient

nécessairement dans la même position. Je n’ai pas à entrer dans les détails. Ce qui s’est passé, en

particulier, lorsqu’à la fin de la seconde guerre mondiale des Allemands et des Allemands de

souche furent chassés des parties orientales de l’A llemagne et d’autres pays d’Europe de l’Est est

bien connu. Il faudrait aussi se pencher sur la conformité au droit human itaire international des

bombardements aériens de Hambourg et Dresde. Je pourrais auss i m’étendre sur les pertes subies

par ma propre famille, mais je m’en abstiendrai.

6. En d’autres termes, la position juridique préconisée par l’Italie ramènerait l’Europe au

passé malheureux des années 1939 à 1945. Cette fois , il n’y aurait pas de conflit armé. Mais des

combats juridiques seraient livrés partout en Eu rope. Toute personne estimant avoir subi un

préjudice à raison d’une violation des règles du droit international humanitaire pourrait

18 aujourd’hui, 66 ans après la fin officielle de la seconde guerre mondiale, intenter une action devant

les tribunaux de son pays à l’encontre de l’Etat accusé d’être l’auteur du fait illicite, en dépit des

règlements conclus entre les Etats intéressés. Ce n’est pas là seulement une considération

politique, sans aucune valeur juridique. Ce que je viens d’évoquer doit suffire à convaincre que la

façon traditionnelle d’agir par la voie des accord s internationaux, selon laquelle l’Etat qui reçoit - 11 -

des réparations se charge ensuite de redistribuer les sommes obtenues à ses nationaux, a une

logique intrinsèque qui vise à permettre la paix.

7. Ce que les conseils du défendeur proposen t comme une solution appropriée et juste serait

un moyen sûr d’instaurer l’hostilité permanente, une situation de tensions à laquelle les moyens

pacifiques ne pourraient jamais mettre fin. En e ffet, le défendeur prétend que tout un chacun peu

objecter à la conclusion définitive d’un accord de paix. Or, tout un chacun ne pourra jamais obtenir

complète satisfaction. Un droit de veto sera it ainsi accordé à quiconque souhaiterait faire obstacle

à la paix et à un nouveau départ.

II.L A PORTÉE DE L ’IMMUNITÉ JURIDICTIONNELLE NE S ’EST PAS RÉDUITE

8. Après cette introduction, que d’aucuns pourront trouver excessivement dramatique mais

qui en fait n’est peut-être même pas assez pessimiste, j’aimerais revenir à l’essence même du

présent différend, qui n’est ni plus ni moins que l’immunité juridictionnelle. Mardi, l’équipe

allemande a attentivement écouté ce que l’Italie ava it à dire sur ce principe. Mais, pour être franc,

il n’a pas été dit grand-chose qui soit susceptible d’accréditer la thèse selon laquelle la portée de

l’immunité juridictionnelle se serait réduite en-dess ous du niveau qu’elle ava it atteint sous l’effet

de la doctrine des actes commerciaux. Bien ente ndu, le fait que l’Etat ne saurait revendiquer son

immunité au sujet de transactions commerciales est bien accepté de nos jours. Mais déduire du

passage à la théorie restrictive de l’immunité à l’égard des actes jure gestionis que le processus se

poursuit et qu’il porte même atteinte à l’immunité à l’égard des actes jure imperii est une grossière

erreur. L’Allemagne doit réitérer sa position, qui est très claire: le droit international général est

constitué de règles de droit positif, de règles nées de la pratique et de l’opinion globalement

partagée dans la communauté internationale que les faits observables de manière empirique

constituent des préceptes contraignants.

19 9. Le conseil du défendeur a soutenu, de faç on tout à fait imprécise et sans procéder à une

analyse claire de l’arrêt rendu par la Cour de cas sation française le 9 mars 2011, que cette décision

constituait un revirement de jurisprudence de la part de cette juridiction par rapport à son

arrêt Bucheron où elle affirmait que l’Etat jouissait d’une immunité absolue à l’égard de ses actes

jure imperii. Or, à la lecture des passages pertinents de l’arrêt du 9mars2011, il apparaît - 12 -

clairement que la Cour de cassation considère, dans une remarque incidente, que les actes de

terrorisme pourraient être exclus du champ de prot ection de l’immunité, sans toutefois parvenir à

une conclusion définitive à cet égard. En r ésumé, il convient de relever trois éléments.

Premièrement, l’affaire portait sur des faits de terrorisme et non sur des faits de guerre.

Deuxièmement, elle concerne d es faits survenus en1989, tandis que, dans notre cas, ce sont des

faits datant de presque 70 ans qu’il convient de juge r. Troisièmement, la Cour de cassation livre à

la discussion une idée sans l’approuver ni la contester, en déclarant simplement qu’il s’agit-là

d’une question à laquelle il convient de prêter dûme nt attention. Nous sommes bien loin de la

pratique bien solide, concrète et tangible susc eptible de servir de fondement à une nouvelle règle

coutumière. Au contraire, les décisions récent es que l’Allemagne a citées dans le cadre de la

présente procédure ne laissent aucun doute : la règl e de l’immunité de l’Etat demeure en vigueur et

elle doit être respectée.

10. Hier, l’agent de la Grèce s’est trouvé que lque peu embarrassé lorsqu’il a dû expliquer la

portée et le sens de l’arrêt Margellos rendu par Cour suprême spéciale établie en vertu de

l’article100 de la Constitution gr ecque. Il a manifestement tenté de déprécier la portée juridique

de cette décision. Malgré l’expertise de l’agent de la Grèce, l’Allemagne s’estime en droit de faire

remarquer que la Cour suprême spéciale est l’instance judiciaire à laquelle, en Grèce, il a

spécifiquement été confié la tâche de statuer sur l’existence et la portée de règles générales de droit

international. Il ne s’agit pas simplement d’un de ces nombreux tribunaux spécialisés qui n’ont que

peu d’autorité. De surcroît, d’ap rès la loi d’application, que fo rt étrangement la Grèce n’a pas

mentionnée, et notamment l’article54, les arrêts de la Cour suprême spéciale s’imposent à toutes

les autorités judiciaires grecques en ce qui concerne la question sur laquelle elle a statué. En fait,

après l’affaire Margellos ⎯ comme l’a déjà fait remarquer Mme Wasum-Rainer ⎯, pas le moindre

jugement divergent n’a été rendu en Gr èce. Même la Cour de cassation (Areios Pagos) s’est

rangée à l’autorité de la Cour suprême spéciale. Par conséquent, l’arrêt Margellos revêt la plus

haute importance lorsqu’il s’agit de déterminer la pratique juridique actuellement en vigueur à la

lumière du paragraphe 1, point b), de l’article 38 du Statut de la Cour.

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, il convient de ne pas perdre

de vue l’élément factuel essentiel de l’affaire qui est portée devant vous. Vous êtes amenés à - 13 -

trancher un différend né de la seconde guerre mondi ale, une guerre qui a entraîné l’Europe toute

20 entière dans la violence pendant presque six années. La question cruciale est donc la suivante:

comment régler les conséquences des conflits arm és, quelles modalités le droit international met-il

à la disposition des parties concernées pour faire face à un phénomène qui, par nécessité,

occasionne des préjudices et des pertes, y comp ris en vies humaines? A cette question le

défendeur répond que chaque vic time devrait avoir le droit de demander individuellement

réparation pour les dommages qu’elle a subis. Cela revient à dire que le règlement de ces conflits

serait privatisé et individualisé. Les Etats serai ent dépossédés de leur rôle traditionnel de garants

du bien public à un stade où de nombreux enjeux s ont en cause. Après un conflit armé, il existe

d’une part la nécessité urgente d’accorder des compensations pour les pertes subies et, d’autre part,

celle de jeter les bases d’un nouveau départ dans la relation entre les anciens ennemis. C’est

pourquoi le facteur temps devient également impor tant. Les traités peuvent normalement être

conclus assez rapidement, même si cela n’est bien sûr pas toujours le cas. S’il fallait examiner

séparément chaque cas individuel, il serait impossible d’agir vite. Au stade de l’exécution des

décisions, les difficultés deviendraient même insurmontables. Pourquoi un Etat reconnaîtrait-il des

milliers de jugements rendus par les juges d’un autr e Etat le condamnant, pour ainsi dire, pour fait

illicite? On entrerait alors dans un cercle vicie ux d’accusations et de contre-accusations, chaque

camp commençant à entamer de s procédures judiciaires pour dénoncer les crimes de guerre

commis par l’autre.

12. C’est pour ces raisons que le droit inte rnational a évolué; pendant des décennies et

même des siècles, la règle de l’immunité juridi ctionnelle a eu pour but de permettre un règlement

au niveau diplomatique, très souvent par le biais d’accords aux termes desquels l’Etat ayant droit à

réparations recevait une somme forfaitaire qu’il était chargé de distribuer à ses ressortissants.

Ainsi, l’immunité de l’Etat a une logique inhére nte, une raison d’être qui n’est en aucun cas

caduque. En particulier, les modes de règlemen t classiques garantissent que les victimes sont

indemnisées conformément à des critères de justice et d’égalité. A défaut de quoi, si le règlement

des dommages de guerre est laissé à l’initiative pr ivée, les plus habiles, ceux qui savent comment

intenter une procédure judiciaire et qui ont les moyens d’engager des avocats compétents,

pourraient se tailler la part du lion, tandis que le cit oyen ordinaire demeurerait sans recours. Ainsi, - 14 -

le mode traditionnel de règlement présente aussi l’avantage d’être une procédure par défaut bien

organisée, dans laquelle des règles strictes, émises pa r l’Etat victime, sont garantes de la justice et

de l’équité. Cette remarque montre par la même occasion que le défendeur avait tout simplement

tort lorsqu’il a ⎯ tout comme hier l’intervenant ⎯ opposé de façon mécanique d’un côté des êtres

21 humains isolés ayant besoin d’être protégés et de l’autre des Etats puissants, froids et répugnants :

bien comprise, l’immunité juridictionnelle est ga rante de relations internationales bien ordonnées,

dont les victimes individuelles ne sont pas les dernières à bénéficier.

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieursles juges, l’Italie nous a présenté

quelques affaires qui, selon elle, pr ouveraient que la règle de l’ immunité juridictionnelle est

devenue fragile et qu’il convient de ne pas la respecter en la présente affaire. En vérité, aucune de

ces affaires, pas une seule, ne concerne des situations de conflit armé. Aucune nouvelle pratique ne

permet de déduire que les tribunaux internes ont transgressé le principe de l’immunité

juridictionnelle en ce qui concerne les différends portant sur des demandes de réparation fondées

sur des violations du droit international humanitair e. J’ai déjà évoqué la récente décision que la

Cour de cassation française a rendue en mars dernier. Ce différend concernait un acte de

terrorisme, un acte de terrorisme isolé, même si, bien sûr, il était très grave. Quant à l’affaire

canadienne, que l’Italie a évoquée très tardivement pendant sa plaidoirie de mardi, elle concerne un

acte de torture commis sur une personne. Pourta nt, on ne saurait comparer des cas isolés d’actes

illicites aux violations massives qui sont co mmises pendant des hostilités armées, et c’est

⎯ malheureusement ⎯ ce phénomène de masse qu’il faut examiner ⎯et résoudre. Ces récentes

affaires doivent être considérées sous le même angle que l’affaire Letelier aux Etats-Unis, dans

laquelle des juges américains saisis par des membres de la famille de M.Letelier, un ex-ministre

chilien, ont décidé que le Chili devait répondre des accusations portées contre lui et se sont déclarés

compétents pour connaître du fond de l’affaire. Il s’agit-là d’une catégorie d’affaires, à savoir les

attaques à l’intégrité physique d’une personne sur le territoire de l’Etat du for. Mais comment

peut-on comparer ces affaires aux crimes commis au cours de conflits armés ? Les hommes de loi

ont le devoir intellectuel fondamental d’opérer des distinctions. Dès les premiers jours de leur

formation universitaire, on leur apprend à opérer des distinctions. On leur apprend à examiner

attentivement les circonstances factuelles qui car actérisent une affaire et qui en déterminent - 15 -

l’essence, à ne pas verser dans de fausses analogi es, à ne pas suivre aveuglément les termes

abstraits d’une disposition juridique. C’est aussi ce qu’il faut faire dans la présente espèce.

14. C’est dans ce sens qu’il convient d’inte rpréter l’article12 de la convention des

Nations Unies. Mon collègue, M. Gattini, analysera de façon plus détaillée la portée et le sens de

cet article. Mais, permettez-moi de le dire dès à présent : à l’évidence l’article 12 ne concerne pas

les faits de guerre. Il vise manifestement les évén ements accidentels, et non la violence organisée

qui se produit au cours d’une guerre. Les termes sont là, il suffit simplement d’y prêter attention.
22

Il n’y a pas non plus de mystère ni d’énigme dans l’histoire rédactionnelle. L’intention première

des rédacteurs était de couvrir les accidents de la route et autres risques susceptibles d’être assurés.

Telle est en substance la teneur de l’article 12. L’appliquer à des faits de guerre, c’est en dénaturer

le sens profond. Toute tentative d’interprétation a ses limites. J’aimerais simplement rappeler le

préambule de la résolution par laquelle l’Asse mblée générale des NationsUnies a adopté la

convention des Nations Unies, ainsi que la déclaration de M. Hafner, président du groupe de travail

qui est finalement parvenu à surmonter les obstacles qui, pendant de nombreuses années, ont

empêché l’adoption de la convention. Tout cela a déjà été amplement expliqué dans nos écritures

et déjà clarifié par M. Gattini dans ses plaidoiries.

III.L E RESPECT DE L IMMUNITÉ JURIDICTIONNELLE EN PRATIQUE

15. Monsieur le président, avant d’en venir à l’allégation erronée selon laquelle l’Allemagne

n’a accordé aucune réparation à l’Italie, permettez-moi de faire une remarque qui peut sembler

évidente mais qui ne l’est pas du tout ⎯sauf peut-être pour les pays qui respectent la loi. Ma

remarque est la suivante : en Allemagne, aucun plai gnant n’a jamais réussi à faire valoir devant la

justice une plainte contre les Etats qui lui ont fait subir une injustic
⎯ou, pour dire les choses

plus modérément, dont il estime avoir subi une injustice ⎯ pendant la seconde guerre mondiale.

Bien entendu, les tribunaux allemands sont accessi bles. Quiconque pensant avoir un grief contre

un Etat étranger peut engager une telle action. Cela n’est interdit à personne. Mais de telles

plaintes n’ont jamais abouti, pas une seule fois . Dans certaines affaires, pourtant, des personnes

ayant été expulsées de force de pays d’Europe de l’ Est dans les conditions les plus dégradantes et

ayant tout perdu sans qu’aucune compensation ne leur soit accordée ont engagé des procédures - 16 -

judiciaires contre les Etats concernés : rien à fair e, les plaintes ont été jugées irrecevables en vertu

du principe de l’immunité de l’Etat.

16. La solution idéale consisterait-elle, comme l’Italie et l’interven ant en soutiennent le

principe, à régler les problèmes résultant des guerres récentes en Irak et en Afghanistan par des

actions individuelles engagées par des personnes susceptibles de se prétendre victimes de crimes de

guerre? Je n’insinue en aucun cas par là que l es troupes étrangères déployées dans ces pays ont

commis au quotidien toute une série de crimes de guerre. Mais par ailleurs, il est indéniable que

des crimes de guerre y ont été commis. A-t-on eu vent d’actions civiles engagées par la population

locale contre les pays qui ont fourni des con tingents? A la connaissance de la communauté

23 juridique internationale, absolument pas. Les victimes devraient être indemnisées, cela ne fait

aucun doute. Mais il revient aux Etats concernés de mettre au point avec soin les moyens de le

faire. Il existe pour cela de nombreuses possibilit és. Ce n’est certainement pas par accident que

rien n’a été tenté pour procéder unilatéralement, en imposant des décisions judiciaires internes à

l’Etat qui aurait agi de façon illicite.

VI. L’A LLEMAGNE N ’AURAIT PAS ACCORDÉ DE RÉPARARTION

17. Monsieur le président, permettez-moi d’ aborder à présent une question qui a pris une

place centrale dans l’argumentation de l’Italie mais qui, examinée de plus près, est d’ordre

secondaire, à savoir la mesure dans laquelle l’A llemagne a en fait accordé réparation aux victimes.

Il est évident que, d’un point de vue humain, réparation et indemnisation sont essentielles. Les

victimes pouvant être identifiées doivent obtenir réparation, cela ne fait aucun doute. Nous mêmes,

en tant que membres de l’équipe allemande, sommes atterrés, comme vous, par les atrocités

commises dans le passé par les fo rces armées allemandes dans certai nes localités, en Italie ainsi

qu’en Grèce. Même si les règles relatives a ux représailles militaires étaient assez sommaires

pendant la seconde guerre mondiale, les forces ar mées d’un pays civilisé n’auraient jamais dû

s’engager dans une guerre dirigée contre des civils pour se venger des attaques des partisans. Notre

sympathie va aux victimes. Mais, le cŒur de la question qui se pose en l’espèce est de savoir si

l’Allemagne jouit de l’immunité souveraine pour des actes comm is pendant la seconde guerre

mondiale, il y a soixante-sixans de cela. Comme tout autre Etat souverain, l’Allemagne jouit de - 17 -

l’immunité souveraine, après avoir montré, penda nt plus de sixdécennies, depuis l’effondrement

en 1945 de la funeste dictature nazie, qu’elle voul ait et pouvait être un partenaire pacifique au sein

de la communauté internationale des nations. Elle a pleinement reconnu ses agissements et ses

crimes passés. Toutefois, les événements dépl orables de la seconde guerre mondiale, qui ont

entrainé une catastrophe non seulement pour les Etats voisins de l’Allemagne, mais également pour

celle-ci, ne sauraient signifier et ne signifient pas que celle-ci peut être privée de ses attributs en

tant qu’Etat égal à tous les autres.

18. Mais cela ne signifie pas non plus que l’Allemagne souhaite se soustraire à ses

responsabilités pour ce qui est des crimes que les au torités du Reich allemand ont commis en Italie

entre septembre1943 et mai1945. Elle note que l’expression menaçante, «immunité ne peut

signifier impunité», employée par le défendeur dans ses pièces écrites afin de discréditer la position

de l’Allemagne et d’essayer de ternir l’argumen t de l’immunité en le présentant comme une

odieuse tentative faite par l’Allemagne pour se sous traire avec légèreté à ses responsabilités n’est

pas réapparue mardi dans les plaidoiries de l’Ita lie. L’Allemagne lui est reconnaissante d’avoir

24 corrigé son langage. Il apparaît clairement, à présent, que le débat n’a pas été porté sur le terrain de

la poursuite pénale, ce qui aurait donné à pen ser que le peuple allemand devait être puni

collectivement.

19. Pour en venir à la question de la réparation, le point de vue juridique doit être clairement

énoncé de manière à exclure toute interprétation erronée. Deux catégories de réparation peuvent

être prises en considération, la réparation indivi duelle aux victimes, et la réparation collective à

l’Italie en tant qu’Etat. Le plus souvent, la l ecture des écritures de l’Italie n’éclaire guère quant à

ce qu’elle veut vraiment dire. La répara tion y apparaît comme une notion fourre-tout.

Permettez-moi de dire une fois encore combien il importe que les hommes de loi sachent opérer des

distinctions. C’est la première qualité qu’ils doivent avoir. La réparation au niveau interétatique

n’a rien à voir avec celle accordée à des victimes individuelles.

20. Je me pencherai tout d’abord sur cette dernière question. MmeWasum-Rainer a

souligné que de nombreux groupes de pers onnes avaient obtenu réparation de manière

individualisée, en particulier les personnes qui fu rent l’objet de persécutions pour des motifs

raciaux. La nouvelle Allemagne a mis un point d’honneur à prendre ses distances par rapport aux - 18 -

politiques de persécution raciale intolérables du III eReich en en indemnisant les victimes. Les

sommes versées sont considérables.

21. Par ailleurs, l’Allemagne a toujours estim é que les violations du droit international

humanitaire ne pouvaient créer de droits individue ls. M.Perrakis a tenté de démontrer hier que,

déjà en1907, les gouvernements réunis à LaHaye s’étaient entendus, dans l’article3 de la

quatrième convention, pour faire droit aux de mandes en réparation concernant des victimes

individuelles en cas de violation des règles du dro it international humanitaire. Cette tentative a

clairement échoué. La pratique pertinente des tra ités de paix sur plus d’un siècle n’a pas confirmé

la thèse défendue par mon éminent collègue, M.Fr itsKalshoven. La question a été longuement

examinée dans nos écritures et nous ne voyons don c pas la nécessité d’y revenir. L’Allemagne

note que l’Italie semblerait partager son opinion à cet égard. Pour reprendre les mots de

M. Zappalà mardi, au paragraphe 31 de sa plaidoirie : «La question posée en la présente affaire est

celle de la responsabilité de l’Etat dans sa di mension interétatique… La question du droit des

victimes à obtenir réparation à titre individuel ne se pose pas.» 2 M.Zappalà a su faire la

25 distinction. Voilà qui clôt donc le débat sur la question de savoir si l’Allemagne a négligé

d’accorder réparation aux victimes à titre individuel. On ne saurait en déduire que les particuliers,

voyant l’Allemagne faire obstacle à leurs revendi cations n’avaient d’autre solution que de se

tourner vers les juridictions de leur propre pays. L’Allemagne ne contredit pas les observations de

M.Zappalà sur ce point, mais elle note une inc ohérence dans le raiso nnement de l’Italie.

3
M. Dupuy parle de requérants qui ont cherché en vain à obtenir réparation pendant un demi-siècle .

Or, M.Ferrini, en particulier ⎯comme cela a déjà été souligné ⎯, n’a jamais présenté aucune

demande aux autorités allemandes.

22. En conséquence, la question se pose de savoir si l’Allemagne a failli à l’obligation de

réparation collective qui lui incombait, selon l’Ita lie. La position de celle-ci exige une explication

du régime de réparation tel qu’il a été conçu par la communauté des Etats ayant déclaré la guerre à

l’Allemagne sous l’autorité des trois, puis d es quatre puissances victorieuses alliées: l’Union

soviétique, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Am érique, rejoints plus ta rd par la France. Les

2
CR 2011/18, p. 35, par. 31 (Zappalà).
3
CR 2011/18, p. 53, par. 8 (Dupuy). - 19 -

fondements de ce régime ont été posés à Potsda m, quelques mois après la capitulation de

l’Allemagne. Les accords de Potsdam contiennent un chapitre sur les réparations qui, loin d’être

resté lettre morte, a été scrupuleusement mis en Œuvr e. Ils devaient constituer un accord de paix

global, sous réserve de l’approbation ultérieure d’une conférence de paix qui se réunirait pour

définir les nouvelles frontières de l’Allemagne aprè s les amputations massives déjà décidées, en

principe, par la conférence, en l’absence de l’Allemagne, Etat vaincu. Il fut alors décidé à Potsdam

du montant des réparations, de leur forme et de leurs modalités ainsi que des pays qui en

bénéficieraient. L’Italie n’a pas été prise en c onsidération dans ce calcul. Cette détermination de

principe fut mise en Œuvre par l’ agence interalliée des réparations si se à Paris, qui opérait en tant

que centre de calcul et de distribution. L’Italie ne reçut donc aucun versement. Il s’agissait d’aider

les pays qui avaient été victimes des guerres d’ agression lancées par les puissances de l’Axe. La

Grèce faisait partie des Etats qui comptèrent parmi les bénéficiaires. Bien évidemment, et

logiquement, l’Allemagne fut seulement considérée comme l’agresseur qui était tenu de réparer les

dommages causés dans la plus grande mesure possibl e. L’Italie ne fut pas non plus tenue comptée

26 au nombre des bénéficiaires, pour la simple ra ison qu’avant de rejoindre les puissances alliées

victorieuses en1943, elle avait mené des politiqu es d’agression de même nature. L’Italie ne

pouvait se débarrasser de son passé. Elle avait très judicieusement abandonné ses liens étroits avec

e
l’Allemagne nazie à un moment où la chute du III Reich était devenue une perspective réaliste,

mais aux fins de l’accord de paix elle était touj ours considérée comme un Etat agresseur. Jusqu’en

septembre1943, elle avait participé activemen t à l’assujettissement impérialiste de peuples

européens. On estimait naturellement qu’e lle devait réparer les dommages subis par ses

ressortissants, les victimes, avec ses propres ressources.

23. Il est donc normal que l’Italie ait dû re noncer à toute réclamation contre l’Allemagne en

vertu du paragraphe4 de l’ article77 du traité de paix. Les deux pays, le III e Reich et l’Italie

fasciste, avaient été complices pour tenter d’établir un régime hégémonique en Europe, en violation

du droit à l’autodétermination des peuples qui n’étaient pas leurs alliés. Pourquoi l’un des

partenaires de cette alliance impie aurait-il le droit de présenter des demandes en réparation à

l’autre? Le paragraphe4 de l’article77 du traité de paix constitue une sanction imposée - 20 -

délibérément à l’Italie qui, en vertu d’autres dispositions de ce traité, fut tenue d’accorder

réparation aux pays qu’elle avait occupés.

24. De par les responsabilités que leur avait conférées leur victoire, les puissances alliées ont

manifestement exercé une sorte de discrimination contre l’Italie. Toutefois, comme je viens de

l’expliquer, cette discrimination délibérée avait des raisons précises. Dans l’ensemble, le régime de

réparation conçu par les puissances alliées était soi gneusement équilibré. Aucun des Etats contre

lesquels les puissances de l’Axe avaient mené des opérations militaires n’a été pleinement

dédommagé pour les préjudices subis. Les ressources financières disponibles étaient rares, et il

fallait donner une chance à l’Allemagne de se r econstruire, en particulier pour ses jeunes

générations. Par conséquent, certains pays qui av aient été touchés particulièrement durement ont

été plus généreusement indemnisés, tandis que d’autres, comme l’Italie, n’ont pas du tout été pris

en compte. Cette discrimination, cette inégalité ne détruit pas la structure établie dans son

ensemble. Elle avait des raisons intrinsèques et mûrement réfléchies. Le défendeur ne saurait en

conséquence prétendre avoir été traité injustement.

25. En bref, les accords de Potsdam, finaleme nt confirmés par le traité «deux-plus-quatre»

de1990, ont établi, avec les traités de paix de Paris de1947, un régi me global de réparation

applicable à tous les pays qui avaient été les ennemis de l’Allemagne ⎯comme l’Italie, qui lui

e
déclara la guerre après avoir dénoncé son alliance avec le III Reich à la suite de la rupture de

27 septembre1943. Comment l’Italie peut-elle soutenir que les accords de Potsdam et le traité

«deux-plus-quatre» de 1990 ne lui sont pas opposables ? Les puissances victorieuses de la seconde

guerre mondiale avaient établi en Europe un direct oire qui n’a suscité aucune objection et que

l’Italie a dû officiellement accepter par le traité de paix de 1947. Mon collègue, M. Andrea Gattini,

poursuivra l’analyse du paragraphe4 de l’article77 de ce traité. Mon rôle était de présenter le

contexte politique, historique et juridique de la clause de renonciation, qui ne doit pas être

considérée comme une sorte d’accident, une dispositi on déviante qui ne cadre pas avec le régime

de la responsabilité internationale. C’est l’inve rse ! La clause de renonciation a été délibérément

imposée à l’Italie comme une sanction de la co mmunauté internationale pour les actes illicites

qu’elle avait commis antérieurement en tant que complice de l’Allemagne pendant une guerre qui a

détruit les bases de la civilisation en Europe. - 21 -

26. Ainsi, à la lumière de ce que je viens de dire, l’Allemagne ne peut être soupçonnée

e
d’avoir failli à son devoir de réparation. Elle a payé chèrement les desseins criminels du IIIich.

La dernière page a finalement été tournée en 1990 lorsqu’elle a reconnu une fois pour toutes que

les territoires qui, à Potsdam, avaient été placésprovisoirement sous administration polonaise et

soviétique étaient devenus territoires polonais ou russes. Plus de 100000km² devinrent ainsi le

prix que la nouvelle Allemagne a dû payer pour l es erreurs d’un gouvernement criminel qui avait

non seulement rompu la paix en Europe, faisant des millions de victimes à l’est et à l’ouest, au nord

et au sud, mais aussi entrainé la mort et ladestruction pour le peuple allemand. Des millions de

personnes ont perdu leur foyer ancestral, leur Heimat. On ne saurait cependant réécrire l’histoire et

il est impossible de tout réparer après que le mal a frappé. Soyons heureux et réjouissons-nous des

relations pacifiques qui règnent actuellement en Europe.

27. Étant donné qu’on peut reprocher à l’Alle magne d’avoir failli à son devoir de réparation,

nous ne voyons aucunement la n écessité de discuter de la très étrange nouvelle théorie des

contre-mesures avancées par MM.Palchetti et Dupuy. Ceux-ci affirment que, parce que

l’Allemagne a failli à son obligation de répara tion, les juridictions italiennes deviennent

compétentes d’un coup de baguette magique et s ont en droit de se prononcer sur les questions

controversées, en totale opposition avec les rè gles élaborées par la Commission du droit

international. Ils sont manifestement une mauvaise voie.

28 V. L’ITALIE A VIOLÉ L ’IMMUNITÉ DE L ’A LLEMAGNE EN DÉCLARANT EXÉCUTOIRE L ’ARRÊT
RENDU EN GRÈCE EN L ’AFFAIRE D ISTOMO

28. Monsieur le président, permettez-moi ma intenant d’en venir à un autre aspect que je

souhaite examiner de manière plus détaillée. Le jugement rendu en Grèce par le Tribunal de

première instance de Livadia en l’affaire Distomo, rendu inopérant en Grèce parce que le ministre

de la justice a refusé d’en autoriser dûment l’exécution, a été déclaré «exécutoire en Italie» en vertu

de deux décisions de la Cour d’appel de Florence. Il ne s’agissait pas là d’une affaire de routine.

Les juges de la Cour d’appel devaient avoir connaissance des origines de la demande traitée dans le

jugement du Tribunal de Livadia, laquelle ava it été formulée contre l’Allemagne à raison du

massacre de Distomo. Je ne le répéterai jamais assez: ce crime était abominable. En tant que

conseils de l’Allemagne, et au nom de cet Etat , nous déplorons profondément les événements de - 22 -

Distomo, et ne parvenons nous-mêmes pas à comp rendre comment des militaires peuvent aller au-

delà de ce qu’exigent le droit et le principe d’humanité en assassi nant des femmes, des enfants et

des personnes âgées. Mais là n’est pas la question : la question est de savoir si l’Italie avait le droit

de prêter son concours pour faire exécuter le ju gement controversé. En fait, des mesures

d’exécution forcée ont été prises.

29. L’immunité juridictionnelle a incontestable ment une vaste portée. Elle protège un Etat

non seulement contre l’examen au fond de demandes relatives à des actes jure imperii, mais aussi

contre l’exécution de décisions les concernant. La partie IV de la convention des Nations Unies sur

l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens porte sur les mesures d’exécution forcée, qui

ne sont autorisées que dans des conditions très strictes. Le principal enjeu de notre affaire n’est pas

mentionné expressément dans la convention. Ce lle-ci ne précise pas qu’une décision rendue en

violation de la règle de l’immunité n’est pas susceptible d’exécution. Mais cette conclusion

découle fatalement de la règle générale de l’immunité des Et ats telle qu’elle est exprimée,

notamment, à l’article 5 de la convention, qui exprim e le droit international général. En déclarant

le jugement du Tribunal de première instance de Livadia exécutoire sur le sol italien, la Cour

d’appel de Florence s’est arrogé une compétence à l’égard de l’Allemagne dans un domaine où

toute compétence nationale est exclue. De toute évidence, les décisions de la Cour d’appel de

Florence s’inscrivent dans la lignée de la jurisprudence Ferrini de la Cour de cassation italienne

(Corte di Cassazione). Partant, les objections élevées contre la jurisprudence Ferrini s’appliquent

également aux décisions qui ont préparé le terrain en vue de l’exécution, ou qui ont prescrit ou

autorisé des mesures concrètes d’exécution.

29 30. Il est révélateur, à cet égard, que l’impos sibilité d’exécuter le jugement grec de Livadia

est également démontrée par la législation pertin ente de l’Union européenne. La convention de

Bruxelles du 27septembre1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions

en matière civile et commerciale, dont les di spositions ont été incorporées dans le droit

communautaire européen, ne traite pas des demandes liées aux actes commis par des forces armées

sur le territoire de l’un des Etats parties, ce que la Cour de justice des Communautés européennes a

confirmé en l’affaire Lechouritou et autres , dans un arrêt du 15févr ier2007. Voilà pourquoi

l’avocat général italien de Florence a recommandé à la Cour d’appel d’écarter la déclaration - 23 -

d’exécution prononcée en première instance 4. Pourtant, sous l’influence de la jurisprudence

Ferrini, la Cour d’appel n’a pas suiv i cette recommandation. Il a pparaît donc là encore qu’une

décision doit être prise sur le bien-fondé en droit de la logique qui sous-tend l’arrêt Ferrini,

laquelle, selon le demandeur, va à l’encontre des mé canismes bien établis de droit international qui

régissent l’indemnisation des victimes de dommages de guerre.

31. Par ailleurs, l’Allemagne a pris bonne note de la déclaration de l’agent de l’Italie, qui a

reconnu mardi que l’inscription d’une hypothèque judi ciaire au cadastre sur la Villa Vigoni n’était

pas conforme au droit international et qu’il y serait donc remédié 5.

VI. LES DEUX ACCORDS DE 1961

32. L’Allemagne n’estime pas nécessaire, à ce stade de l’instance, de s’étendre davantage sur

les deux traités de1961. Ceux-ci ne sont pas au cŒur du présent différend. Cela étant, une

observation s’impose. Dans ses exposés écrits, l’Italie a prétendu que, en concluant ces deux

traités, l’Allemagne avait re noncé à se prévaloir d’une quelconque façon de la clause de

renonciation contenue dans le traité de paix. Cette conclusion ne tient pas. L’Allemagne a toujours

soutenu que la clause de renonciation figurant dans le traité de paix demeurait pleinement valable

et applicable. Du reste, aucun Etat ne peut être tenu de renoncer, fût-ce dans une moindre mesure,

à des avantages qui lui sont acquis. La conclusion des deux accords de 1961 constituait un geste en

direction de l’Italie qui visait à améliorer encore les relations entre les deux Etats, conformément à

l’esprit d’amitié qui s’était développé avec la création de la Communauté économique européenne

en 1958, et à normaliser davantage leurs relations économiques et financières. Il semblait que des

30
Etats partenaires au sein de la Communauté de vaient s’efforcer de régler les éventuelles

divergences de vues qui pouvaient subsister entre e ux. Les deux traités ne contiennent pas le

moindre indice permettant de penser que l’Allema gne ait voulu renoncer à bénéficier de la clause

de renonciation contenue au paragraphe4 de l’article77 du trai té de paix, et cet argument n’a

d’ailleurs pas été réitéré à l’audience de mardi.

4
MA, annexe 22.
5
CR 2011/18, p. 14, par. 12. - 24 -

33. Monsieur le président, ainsi s’achève ma partie des plaidoiries de l’Allemagne pour ce

second tour. Je vous prie de bien vouloir donner la parole à mon collègue Monsieur Gattini.

Le PRESIDENT: Je remercie M.Christian Tomuschat pour sa présentation. J’invite

maintenant M. Andrea Gattini à prendre la parole.

M. GATTINI :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, dans mon premier exposé de

lundi, j’ai démontré que les deux arguments avancés par le défendeur pour justifier que la Cour de

cassation italienne n’ait pas retenu l’immunité de l’Etat ⎯à savoir l’exception délictuelle et

l’exception de forum necessitatis ⎯ étaient totalement dépourvus de fondement. Nos éminents

collègues italiens ont, respectivement, tenté de c ontrer les arguments que j’ai présentés sur chacun

de ces deux points. Leurs tentatives étaient, l’une comme l’autre, vouées à l’échec.

A. L’ EXCEPTION DÉLICTUELLE

2. Je commencerai par l’exception délictuelle. Permettez-moi tout d’abord, Mesdames et

Messieurs de la Cour, de dissiper un malentendu qui s’est fait jour dans l’esprit de notre

contradicteur, quoique certainement pas dans le vôtre. M.Palchetti croit avoir décelé une

contradiction entre mon exposé, celui de M. Tomuschat et celui de Mme Wasum-Rainer en ce qui

concerne l’article12 de la conve ntion des NationsUnies sur l’immunité des Etats. Or, il n’y a

aucune contradiction. M.Tomuschat a dit que la convention des NationsUnies reflétait «d’une

manière générale» le droit international c outumier; MmeWasum-Rainer a parlé d’une

«interprétation exacte du droit coutumier, tel qu’il est exprimé à l’article 12», suggérant cependant

de toute évidence que, comme je l’ai démontré, l’interprétation exacte était que les activités des

forces armées étrangères sont exclues du champ d’application de cet article. Il est vrai que j’ai

émis quelques doutes quant à la question de savoir si l’article 12 reflétait avec précision la pratique

des Etats telle qu’elle existait à l’époque de so n adoption et, ajouterai-je, telle qu’elle existe
31
aujourd’hui, puisque la Commission du droit international n’a pas clairement indiqué que le

dépassement de la distinction entre activités jure gestionis et activités jure imperii en la matière

constituait un élément du développe ment progressif du droit international. Les arguments que - 25 -

M. Palchetti vous a présentés quant à la portée de l’exception délictuelle me conduisent à émettre

un second doute, que vous jugerez peut-être pertinen t, et qui a trait au fait que, en vertu de

l’article 12 de la convention des Nations Unies, l es activités en question doivent avoir eu lieu «en

totalité ou en partie» sur le territoire de l’Etat du for.

3. Vous observerez que l’article11 de la c onvention européenne sur l’immunité des Etats

indique que les faits ayant occasionné un préjudice co rporel ou matériel doivent être «survenu[s]

sur le territoire de l’Etat du for». Par ailleurs, les règles pertinentes contenues dans les législations

nationales dont la Commission du droit internationa l s’est inspirée pour rédiger l’article12, qu’il

s’agisse du paragraphe 5 de l’article 1605 du Fo reign States Immunity Act des Etats-Unis de 1976

ou de l’article 5 du State Immunity Act du Royaum e-Uni de 1978, se contentent d’indiquer que le

fait préjudiciable doit s’être produit sur le territo ire de l’Etat en question, sans préciser qu’il doit

s’y être produit en tout ou en partie. Ces deux dispositions ont néanmoins toujours été interprétées

par les juridictions nationales comme exigeant que le comportement préjudiciable se soit produit en

totalité sur le territoire de l’Etat du for. Or , si tel est effectivement l’état actuel du droit

international coutumier en ce qui concerne l’exception délictuelle, cela exclurait alors la plupart des

affaires tranchées à ce jour par la Cour de cass ation italienne, non seulement toutes celles qui ont

trait aux internés militaires italiens, mais aussi l’affaire Ferrini.

4. Les conseils de l’Italie ont généreus ement concédé que l’exception délictuelle ne

s’appliquait pas lorsque l’activité en cause s’était intégralement déroulée en dehors de l’Etat du for,

comme c’est le cas des affaires italiennes concernant des soldats italiens capturés par la Wehrmacht

à l’étranger, par exemple en Grèce, et conduits en suite en Allemagne. Malheureusement, la Cour

de cassation italienne semble avoir été d’un au tre avis, puisqu’elle a, dans l’une des

onzeordonnances qu’elle a rendues le 29mai2008, re pris la formule habituelle de compétence

universelle en matière civile pour ce qui concerne l’exception délictuelle à l’égard d’un certain

M.Sciacqua, lequel avait effectivement été capturé en1943 à Céphalonie, en Grèce, avant d’être

conduit en Allemagne.

5. En réalité, ce n’est que dans son récent arrêt du 20mai2011 en l’affaire Repubblica

Federale di Germania c. Autogestione prefettizia di Voiotia (Cour de cassation, première chambre

civile, n 11163/11) que la première chambre civile de la Cour de cassation italienne, consciente de - 26 -

l’impasse dans laquelle s’étaient mises les chambres réunies, s’est écartée de la notion de

compétence universelle en matière civile pour emprunter résolument la voie de l’exception
32

délictuelle. Comme je l’ai indiqué dans mon premier exposé, l’enthousiasme dont avait fait preuve

la Cour de cassation en faisant sienne la notion de compétence universelle en matière civile dans

l’arrêt Ferrini n’était, ainsi qu’elle l’a d’ailleurs elle-m ême clairement affirmé, que la conséquence

logique ⎯ d’aucuns n’hésiteraient pas à dire par trop logique ⎯ de la structure même de

l’ensemble de son raisonnement fondé sur la primauté du jus cogens. Comme vous vous en

souviendrez, son idée centrale, ou plutôt sa seule démonstration du prétendu bien-fondé de lege

lata de sa position consistait à affirmer ⎯ selon nous, de manière totalement erronée ⎯ qu’existait

un parallèle entre l’absence d’immunité pénale de l’individu à raison de la commission d’un crime

contre l’humanité et l’absence d’immunité de l’Et at en matière civile; d’où l’assimilation de la

compétence universelle en matière pénale et en matière civile. Or, il est impossible d’effacer une

partie d’un portrait ⎯par exemple le nez, même dans une peinture de Picasso de la période

cubiste ⎯, sans défigurer le tout.

6. L’abandon tardif et maladroit de la thèse de la compétence universelle au profit de celle de

l’exception délictuelle fleure bon l’obédience à un ch angement de stratégie coordonné et orchestré,

dans une tentative désespérée de rompre le splendide isolement de la Cour de cassation qui, avec le

temps, devient de plus en plus embarrassant. Mons ieur le président, Mesdames et Messieurs de la

Cour, vous avez-vous-mêmes été témoins de cette stratégie mardi ⎯ mais certainement sans vous

laisser prendre ⎯, lorsque M.Palchetti a déclaré que «[n]ous nous trouv[i]ons au point de

convergence de deux tendances différentes», laissant entendre que l’exception délictuelle allait de

pair avec la possibilité de restreindre l’im munité dans le cas de violations graves du jus cogens

(CR2011/18, p.45, par.20). C’est pourquoi, dans sa très récente décision du 20mai2011, la

première chambre de la Cour de cassation a placé ses derniers espoirs dans l’ancienne Chambre des

lords. Dans la décision Jones de2006, lordBingham, tout en balayant la décision Ferrini d’une

formule heureuse et cinglante ⎯«une hirondelle ne fait pas une règle de droit international» ⎯,

avait en effet, par politesse, complété son propos par l’ obiter dictum suivant: «il se peut,

nonobstant la conclusion contraire de la cour, que la décision ait ét é influencée par le fait que le

comportement illicite se soit pour partie pr oduit sur le territoire de l’Etat du for» [traduction du - 27 -

Greffe]. Ce qui a, semble-t-il, suffi à la Cour de cassation italienne pour déclarer avec assurance :

«A ce stade, nous pouvons déjà conclure que, si l’on tient compte du principe limitatif du locus

commissi delicti, l’arrêt Ferrini ne s’écarte nullement de la jurisp rudence internationale.» (Par. 33

de l’arrêt.) [Traduction du Greffe.]

33 7. Face à cet obiter dictum, la Cour de cassation se prend à rêver. La solution de l’affaire

Jones aurait été très différente, nous informe-t-elle, si les événements s’étaient produits au

Royaume-Uni, étant donné la clause d’exception dé lictuelle figurant à l’article5 de la loi du

Royaume-Uni sur l’immunité des Etats. Monsie ur le président, Mesdames et Messieurs les

Membres de la Cour, permettez-mo i d’exprimer ce que la plupart d’entre vous sont probablement

en train de penser en ce moment : on a l’impression d’entendre un passant effrayé qui siffle pour se

donner du courage dans une rue déserte en plein mi lieu de la nuit et non un promeneur qui sifflote

joyeusement par un matin de printemps ensoleill é. En fait, ce qu’appa remment la Cour de

cassation ignore est que le Royaume-Uni, malheu reusement, a ratifié la convention européenne

de 1972 sur l’immunité des Etats, et que le para graphe 2 de l’article 16 de la loi du Royaume-Uni

sur l’immunité des Etats stipule expressément: «[l]a présente section de la présente loi ne

s’applique pas aux procédures relatives à tout acte accompli par ou en relation avec les forces

armées d’un Etat alors qu’elles étaient présentes au Royaume-Uni» [traduction du Greffe] , avec

pour conséquence que des décisions comme l’arrêt Ferrini et toutes les décisions ultérieures

seraient manifestement inconcevables au Royaume-Uni.

8. Ces dernières observations m’amènent à la partie de l’exposé du conseil de l’Italie

consacrée à la portée de la clause «sans préjudi ce» qui figure à l’article31 de la convention

européenne sur l’immunité des Etats. Le seul adjectif qui me vient à l’esprit est, en toute franchise,

«extravagant». Mon distingué collègue voudrait en effet vous faire croire que «[s]on insertion dans

la convention ne s’explique pas par la nécessité de mettre les activités militaires à l’abri de tout

examen judiciaire devant les juridictions intern es.» Et il pense que cette thèse est étayée par le

texte du rapport explicatif relatif à la convention co ncernant l’article31. Or, cette affirmation de

notre estimé collègue est à la fois fallacieuse et err onée. Pourquoi fallacieuse? Parce que le

paragraphe116 du rapport explicatif de la convention européenne sur l’immunité des Etats est

libellé comme suit ⎯ permettez-moi de le citer assez longuement : - 28 -

c«Lnavention ne vise pas à régir les situations pouvant survenir en cas de
conflit armé; elle ne peut non plus être invoquée pour résoudre des problèmes
pouvant survenir entre Etats alliés en raison de la présence de forces armées. Ces

problèmes font l’objet d’accords spéciaux.» (Les italiques sont de moi.) [Traduction
du Greffe.]

Et pourquoi erronée ? Parce que, si l’on se reporte à ces accords spéciaux co ncernant les forces à

l’étranger ⎯ les «accords sur le statut des forces» ⎯ notre position, à savoir qu’un Etat du for n’a

pas compétence pour connaître des activités de fo rces armées étrangères, s’en trouve exactement

confirmée. Cette règle générale, telle qu’exprimée dans l’accord type sur le statut des forces des

34
opérations de maintien de la paix de l’ONU adopté en octobre 1990 (doc. A/45/594), est celle de la

compétence exclusive de l’Etat d’envoi (art.VI, par.46, 47 b) et 48) ou, comme dans le cas de

l’accord de Londres de 1951sur le statut des forces de l’OTAN, celle de la juridiction concurrente,

la priorité étant toutefois donnée à l’Etat d’origine.

9. A cela le défendeur objecterait que ces ac cords spéciaux sont conclus entre alliés, ou

qu’ils concernent des missions de maintien de la paix, et qu’en conséquence la solution serait

différente s’agissant de situations survenant en cas de conflit armé. Mais c’est exactement là que le

droit international coutumier intervient. Le défendeur essaie d’emporter la conviction en soutenant

que la bonne manière de poser la question serait de demander «si le droit international impose aux

Etats l’obligation de reconnaître l’immunité pour les actes jure imperii dans les affaires dans

lesquelles l’exception délictuelle s’applique», et il en arrive très ra pidement à la conclusion que le

droit international n’impose pas une telle obligation, en raison de la formulation de l’article12

(CR2011/18, p.42, par.12 (Palchetti)). Il s’agit là d’une manière bien particulière non pas de

poser, mais d’éluder la question. Le défendeur semble oublier, et oublier totalement, la règle

fondamentale de la convention des Na tions Unies, qui figure à l’article 5, le tout premier article de

la deuxième partie, relative aux principes généraux, et qui stipule :

«Un Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction
devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente
Convention.»

Cet article ne pourrait être plus clair: l’immunité de l’Etat demeure la règle, la non-immunité est

l’exception, et elle doit être dûment prouvée. Et lorsqu’on en arrive aux faits indéniables de la

pratique des Etats, il n’est pas surprenant que le défendeur ne cite aucune décision, naturellement à

l’exception maintenant éternelle de l’affaire grecque Distomo et de la jurisprudence italienne - 29 -

Ferrini, dans le cadre desquelles les tribunaux de l’Etat du for n’ont pas dûment reconnu

l’immunité de l’Etat étranger pour les activités de ses forces armées, soit s’agissant d’événements

isolés soit, a fortiori, de conflits armés complexes. La raison de cette absence totale de pratique à

l’appui de la thèse italienne est simple et évidente, et certains d’entre vous pourraient commencer à

se lasser de me l’entendre répéter: les règlements au sortir d’un conflit relèvent des relations

interétatiques, non des individus et de leur juge interne.

10. Le conseil de l’Italie a mentionné à la hâte deux décisions récentes, une rendue le

25 janvier 2011 par la Cour supérieure de la province de Québec dans l’affaire Kazemi (Estate of)

c. République islamique d’Iran (2011, QCCS, 196), l’autre le 9 mars 2011 par la première chambre

35 civile de la Cour de cassation française dans l’affaire GIELa Réunion Aérienne c.Jamahiriya

Libyenne (09-14743) (CR 2011/18, p. 40, par 7 (Palchetti)). De fait, la simple mention de la

première de ces deux décisions est totalement trompeuse, et pas seulement parce qu’elle concerne

le cas individuel de la charte. Dans l’affaire can adienne, le plaignant, M.Hashemi, avait intenté

une action au nom de la succession de sa mère, décédée, et se plaignait en outre du traumatisme

psychologique dont il avait personnellement souffe rt au Canada lorsqu’il a été informé de

l’arrestation, du placement en détention, de la tort ure et enfin du décès de sa mère en détention en

Iran. La Cour supérieure n’a pas entendu s’écarter du tout de la décision Bouzari de la cour

d’appel de l’Ontario de 2004, et elle a même cité les décisions Al-Adsani et Jones. Elle a donc

rejeté la demande formée au nom de la succession. Par contre, elle n’a pas rejeté la demande

formée par M.Hashemi en réparation de son préj udice personnel, et elle a appliqué l’exception

délictuelle telle que celle-ci est formulée à l’artic le6 de la loi canadienne de1985 sur l’immunité

des Etats. Cependant, ce qui est remarquable dans cette loi est qu’elle s’écarte d’autres lois

internes dans la mesure où elle n’exige p as comme condition préalable que l’auteur du

comportement ayant causé le dommage ait été présent sur le territoire canadien lorsque les faits se

sont produits. Dans ces conditions, il est bien cu rieux de mentionner cette affaire comme attestant

une nouvelle tendance à dénier l’ immunité aux Etats étrangers, soit au titre de l’exception

délictuelle soit, comme le fait le conse il de l’Italie, au titre d’une violation du juscogens.

S’agissant de la décision française, qui a d’ailleur s rejeté le pourvoi, elle concernait, comme nous

l’a dit M.Tomuschat, la responsabilité «morale» d’ un Etat découlant de son appui éventuel à des - 30 -

activités terroristes. En conclusion, il reste qu’aucune de ces affaires n’avait quoi que ce soit à voir

avec des crimes liés à des conflits armés.

Je vois, Monsieur le président, qu’il est déjà 11 h 20 et je termine la première partie de mon

exposé. C’est peut-être le moment de faire une pause, si vous le souhaitez.

Le PRESIDENT : Combien de temps vous faut-il pour conclure ?

M. GATTINI : Environ 20 minutes.

Le PRESIDENT : 20 minutes. Je vous remercie M. Gattini. Comme l’a suggéré M. Gattini,

nous allons faire une pause maintenant. Une pause de 15 minutes jusqu’à 11 h 35.

36 L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 40.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. Je n’ai pas besoin de vous

rappeler que le temps de parole de l’Allemagne pendant ce second tour de plaidoiries est de

deux heures et demie. Monsieur Gattini, vous avez la parole.

B. F ORUM NECESSITATIS

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, j’en viens maintenant à

l’argument du forum necessitatis, que le défendeur fonde sur un pr étendu déni de justice subi par

des ressortissants italiens en Alle magne. Dans mon premier exposé, j’ai démontré que la thèse du

défendeur reposait sur une hypothèse erronée ⎯ l’existence d’un droit individuel à réparation pour

dommages de guerre puis d’un droit d’action individuel ⎯ ainsi que sur une interprétation erronée

du concept même de déni de justice. M.Tomuschat a une fois de plus rétabli la vérité en ce qui

concerne ces deux points essentiels, je ne répéte rai donc pas notre argumentation une troisième

fois. Certains des arguments avancés par M. Zappalà méritent néanmoins d’être examinés de près

et réfutés.

1. La renonciation aux réclamations contre l’Allemagne consentie par l’Italie au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix avec celle-ci

12. Comme nous l’avons entendu, M. Zappalà a en effet consacré l’essentiel de son exposé à

démontrer que l’Italie, au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947, n’avait renoncé, au - 31 -

nom de ses ressortissants, à aucun droit en cas d’atte inte à l’intégrité physique d’une personne. En

réalité, au vu du libellé très clair de votre or donnance du 6juillet2010, rejetant la demande

reconventionnelle de l’Italie comme ne relevant pas de votre compétence, on pourrait supposer que

l’ensemble de la question des règlements d’après- guerre n’aurait pas dû se poser dans la présente

affaire. Apparemment, le défendeur était d’un av is différent et les plaidoiries de M.Zappalà sur

cette question nous obligent à présent ⎯ vous venez d’entendre M. Tomu schat et c’est maintenant

à mon tour ⎯ à consacrer du temps à remettre les choses à leur place.

37 13. Le texte du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix est d’une limpidité telle que l’on

pourrait même employer le vieil adage: «in claris non fit interpretatio» . Le défendeur a, au

contraire, déployé toute la finesse herméneutique imaginable pour faire dire à cette disposition

exactement le contraire de ce qu’elle dit manifestement. Lisons-la à nouveau :

«Sans préjudice de ces dispositions [c’est-à-dire les dispositions énoncées aux
trois paragraphes précédents] et de toutes autres qui seraient prises en faveur de l’Italie

et des ressortissants italiens par les Puis sances occupant l’Allemagne, l’Italie renonce
en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations contre
l’Allemagne et les ressortissants allemands, qui n’étaient pas réglées au 8 mai 1945.»
(Les italiques sont de nous.)

Cette disposition précise encore que «cette renonc iation sera considérée comme s’appliquant aux

créances, à toutes les réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus

au cours de la guerre et à toutes les réclamations portant sur des pertes ou des dommages survenus

pendant la guerre» (les italiques sont de nous). «Au nom des ressortissants italiens», «toutes les

réclamations portant sur des pertes ou des dommag es survenus pendant la guerre»: les termes ne

pourraient être plus clairs.

14. Cela n’empêche pas le défendeur de ch ercher à concocter une argumentation à partir

d’une collection hétéroclite de notions a priori et de moyens d’interprétation douteux.

15. Les notions a priori ne sont qu’une variation de son antienne bien connue sur l’existence,

en droit international, d’un droit individuel à réparation de caractère impé ratif. Il prétend que,

comme cela était déjà le cas en1947, un Etat n’au rait pas pu valablement renoncer aux droits de

ses nationaux. Je n’ai pas lieu de m’appesantir sur cet argument. Il me suffit de dire que si le droit

international a énormément évolué au cours des so ixante-cinq dernières années, la situation était

assurément différente après la seconde guerre mondiale. Il n’y a pas le moindre élément ⎯ que ce - 32 -

soit dans la pratique des Etats, la jurisprudence ou la doctrine ⎯ attestant qu’il existait à l’époque

un droit individuel à réparation, encore moins un droit impératif.

16. Soit dit en passant, si l’argumentation de l’Italie avait le moindre fondement, une

interprétation contextuelle, telle que celle à laquelle elle prétend s’ être livrée (DI, par.3.9-3.11),

nous amènerait inévitablement à re mettre en question la légitimit é de sa renonciation contenue à

l’article 76 également vis-à-vis d es puissances alliées. Voilà qui serait un curieux dénouement de

l’affaire.

17. Mais les moyens d’interprétation douteux utilisés par le défendeur sont encore plus

inquiétants que son recours à des notions a priori. Sans voir la contradiction inhérente à son

argument, il a attiré votre attention sur les termes gé néraux de l’article 76 de ce traité afin de vous

persuader que l’article77, qui est plus succinct, doit être interprété de façon plus restrictive. Le
38
défendeur relève notamment les expressions «créan ces» et «toutes les réclamations de caractère

intergouvernemental relatives à des accords conclu s au cours de la guerre» pour démontrer que

l’intention des parties était de désigner «uniqueme nt les relations économiques» (CMI, par.5.49;

DI, par. 3.9, CR 2011/18, p. 27, par. 8 (Zappalà)), laissant en suspens la question tout autre des

réclamations individuelles en cas d’atteinte à l’intégrité physique.

18. On ne sait pas très bien si le défend eur vous propose une interprétation «contextuelle»

particulière, différente de celle envisagée au pa ragraphe2 de l’article 31 de la convention de

Vienne sur le droit des traités, ou s’il se réf ugie purement et simplement dans la maxime

d’interprétation in dubio mitius , abandonnée depuis longtemps, et a priori restrictive en ce qui

concerne les obligations des Etats. Cette seconde approche aurait peut-êtr e ses chances dans le

cadre d’une interprétation intertemporelle du traité. La question de l’interprétation intertemporelle

n’a toutefois aucune importance en l’espèce dès lo rs que l’on s’en tient au principe fondamental

d’interprétation consacré par l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, celui de

la bonne foi.

19. Un bref examen des documents de la conf érence de paix montre clairement que lorsque

le projet de texte du futur article 77 a été présen té au Gouvernement italien, celui-ci a milité pour

que divers types de réclamations soient pris en considération mais n’a rien dit d’éventuelles

réclamations à raison d’atteintes à l’intégrité physique de ses nationaux. - 33 -

20. Le Gouvernement italien n’a insisté que sur trois types de réclamations «afin de parvenir

à une solution plus équitable».

21. D’une part, les puissances alliées et associées ont pris en compte la première réclamation

de l’Italie, qui a donné naissance au paragraphe 2 de l’article77, aux termes duquel les biens

identifiables de l’Etat et des ressortissants italiens que les forces armées ou les autorités allemandes

avaient enlevés, par force ou par contrainte, du territoire italien et emportés en Allemagne après

le3septembre1943, donneraient lieu à restitution. Elles ont en revanche rejeté les deux autres

réclamations.

22. Cela explique clairement pourquoi le pa ragraphe4 de l’article77 spécifiait que la

renonciation s’appliquait aux «cr éances» et aux «réclamations de caractère intergouvernemental

relatives à des accords conclus au cours de la gu erre». Loin de restreindre la portée de la

renonciation italienne, le texte implique claireme nt qu’il s’agissait des deux seuls points de

divergence que les parties devaient clarifier.

39 23. En conclusion, il ressort des travaux prépar atoires de l’article77 que l’Italie a eu la

possibilité de donner son avis sur le projet d’article et que certains de ses points de vue ont été pris

en compte. Ce serait à présent faire preuve d’un manque de bonne foi manifeste que de déduire

que le libellé de ce paragraphe exclut implicite ment les atteintes à l’intégrité physique des

personnes du champ d’application de la renonciation ita lienne, quand l’Italie n’avait fait aucune

demande à cet effet. L’expression «toutes les réclamations portant sur des pertes ou des dommages

survenus pendant la guerre», qui se rapportait a ux ressortissants italiens, est peut-être plus

succincte que celle employée à l’article 76, mais son exhaustivité est indubitable.

24. Outre l’intention claire du Gouvernement ita lien de l’époque, la règle selon laquelle un

traité doit être interprété à lalumière de «son objet et de son but » réfute totalement la thèse du

défendeur. Les articles 76 et 77 composent la sec tion III (Abandon de réclamations par l’Italie) de

la partie VI du traité de paix (Réclamations nées de la guerre) qui figure dans votre dossier. Mais

cette partie comprend deux autres sec tions, la section I, sur les réparations, et la section II, sur les

restitutions. Ces articles sont complémentaires et doivent être lus à la lumière des dispositions de

la partie VII sur les biens, les droits et les intérêts si l’on veut avoir une vue d’ensemble de l’accord

de paix en ce qui concerne les réparations de guerre au sens large. - 34 -

25. Ces dispositions sont le résultat de négociations intensives entre les puissances alliées qui

ont abouti à un équilibre fragile mais néanmoins acc eptable dans l’ensemble. L’Union soviétique

et les autres Etats ont insisté pour obtenir des ré parations pécuniaires d’un montant de 360 millions

de dollars des Etats-Unis en sus de la saisie ou de la liquidation des biens, droits et intérêts

appartenant à l’Italie ou à des Italiens et se tr ouvant sous leurs juridic tions respectives. Les

principales puissances alliées et associées se sont au contraire contentées de ce dernier type de

mesures pour satisfaire leurs réclamations. En co ntrepartie, l’Italie a dû renoncer à toutes ses

réclamations contre non seulement celles-ci mais aussi son ancien allié, l’Allemagne, qui était à

l’époque administrée par les quatre puissances alliées.

26. La pratique ultérieure de l’Italie, que le défendeur a commodément passé totalement sous

silence, est encore plus significative. Chaque fois que la juridiction italienne suprême a eu à

interpréter le paragraphe 4 de l’article 77 et ce jusqu’au renversement de jurisprudence effectué par

sa première chambre criminelle en octobre 2008 en l’affaire Josef Milde, elle a invariablement jugé

qu’en raison de la renonciation de l’Italie, les tribunaux itali ens n’étaient absolument pas

compétents pour connaître des actions individuell es intentées contre l’Allemagne à raison de faits

survenus pendant la guerre. Il suffit de rappeler le précédent Società Ilva c.Cavinato (Cour de

cassation italienne, chambres réunies, arrêt n o 285 du 22 février 1953) que le principal recueil de la
40

pratique italienne en matière de droit inte rnational cite parmi les exemples classiques

d’incompétence.

27. Consciente de l’impossibilité de remettre en question l’exhaustivité sans équivoque de sa

renonciation, l’Italie use d’un dernier argument. Elle prétend que cette renonciation ne saurait être

considérée comme une stipulation en faveur de l’Allemagne mais unique ment en faveur des

puissances alliées. Dans la pratique, cet argument revi ent à tenter de nier que le paragraphe4 de

l’article 77 a le caractère d’une disposition en faveur d’un Etat tiers.

28. Malheureusement, il semble que le défendeur confonde l’e ffet juridique d’une norme et

la raison d’être de son adoption. Quelle qu’ait été l’intention des puissances alliées, l’Allemagne

était, et reste, en droit le bénéficiaire incontest able de la renonciation. Pour réfuter la thèse

italienne, il suffit de noter que la Commission du dro it international, dans son commentaire sur le

projet d’article 32, à présent l’article 36 de la c onvention de Vienne sur le droit des traités, n’avait - 35 -

aucun doute puisqu’elle a choisi précisément les re nonciations contenues dans les traités de paix

de 1947 comme exemple type de dispositions prévoyant des droits pour une tierce partie.

29. Dans l’arrêt rendu en1974 en l’affaire des Essais nucléaires (Australie c.France) , la

Cour a jugé que le caractère obligatoire des déclara tions unilatérales reposait sur le principe de la

bonne foi, ajoutant que «[l]es Etats intéressés pouv[aient] donc tenir compte des déclarations

unilatérales et tabler sur elles; ils [étaient] fondés à exiger que l’obligation ainsi créée soit

respectée.» ( C.I.J. Recueil 1974, p.268, par.46.) Cela doit a fortiori s’appliquer aux Etats tiers

bénéficiaires d’obligations conventionnelles, qui, comme l’Allemagne en la présente espèce,

tablent de bonne foi sur les avantages qui leur ont été accordés.

2. L’abus de droit comme une quatrième base possible pour une juridiction de nécessité ?

30. Cette observation sur la bonne foi m’amèn e à me pencher brièvement sur un dernier

point. Dans son introduction, M. Condorelli a, avec sa clarté et sa concision habituelles, énuméré

en quatre points les raisons pour lesquelles le défende ur est d’avis que la compétence que la justice

italienne se reconnaît peut et, de fait, doit être justifiée par des circonsta nces exceptionnelles:

atrocité des crimes commis, reconnaissance par l’Etat fautif de sa responsabilité, absence de

réparation aux victimes, tribunaux nationaux comme seul moyen de recours disponible. Tous les

conseils qui se sont adressés à la Cour mardi ont entonné le même refrain. Nous avons beaucoup

entendu parler des premier, troisième et quatrième points. Curieusement, le défendeur ne nous a
41
rien dit au sujet du deuxième point, la reconnai ssance de sa responsabilité par l’Allemagne. En

fait, chacun sait que la République fédérale d’Allemagne n’a jamais nié sa responsabilité quant aux

activités du IIIeReich et n’a jamais tenté de se soustr aire à ce lourd fardeau. Mais comme nous

l’avons entendu, l’Italie soutient maintenant que l’Allemagne ne s’est pas acquittée de ses

obligations à l’égard des citoyens italiens, et qu’elle ne l’a toujours pas fait, s’abritant derrière le

«privilège injuste» de l’immunité de l’Etat pour reprendre la terminologie choisie par le défendeur

dans son contre-mémoire.

31. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans ma première plaidoirie il

y a trois jours, en tentant de trouver la raison d’être de la «compétence de substitution» avancée par

la Partie italienne, j’ai mentionné trois notions possibles, celle de contre-mesures, celle de - 36 -

nécessité, celle d’un droit individuel à réparation en tant que tel, et je les ai toutes écartées.

Quelques allusions discrètes mais néanmoins préoccupantes dans le contre-mémoire et la réplique

de l’Italie (CMI, par. 4.69 ; 4.109-4.110) m’ont fait penser à une quatrième notion, celle d’abus de

droit, mais elle m’a paru si extravagante que j’ai préféré l’écarter aussi. Le défendeur a accusé

l’Allemagne «d’utiliser» son immunité «dans le but de se soustraire à sa responsabilité»

(CMI,par.4.67), comme moyen de s’«exonérer des conséquences de ses faits illicites» (CMI,

par.4.113), ou de s’abriter derrière un «privilè ge injuste» (CMI, par.4.22). J’espère que nos

distingués collègues ne manqueront pas de considér ation au point d’avancer la notion d’abus de

droit dans le présent différend. Et s’ils le fai saient, je suis convaincu que vous vous opposeriez

fermement à toute tentative de déformer la réa lité de façon aussi grotesque. Malgré toute son

habileté, le défendeur ne parviendra pas à vous faire croire que l’Allemagne d’après-guerre ne s’est

pas acquittée de ses responsabilités.

32. Je tiens néanmoins à ce que notre position sur ce point soit extrêmement claire. La

notion d’abus de droit a de nobles origines en ta nt qu’expression de principes généraux de droit,

dont celui voulant que nul ne puisse tirer avantage de ses propres fautes. A première vue, elle

pourrait même paraître séduisante dans des affair es comme celle qui nous occupe dans laquelle

l’Etat privé de son immunité ne nie pas le caractère délictuel des actes qui lui sont attribués. Mais

comme toutes celles que le défendeur a déjà avancées, cette théorie échouerait elle aussi

lamentablement.

42 33. On ne peut que souscrire à ce que sirHerschLauterpacht a écrit à la fin des

années1950: «la notion d’abus de droit place un pouvoir considérable, qui n’est pas dénué de
6
caractère législatif, aux ma ins d’un tribunal de justice» . Et sirHersch de conclure, «la notion

d’abus de droit est un instrument qui, outre d’autres raisons militant pour la prudence dans

l’administration de la justice internationale, doit être utilisé avec une modération calculée».

34. Vous savez sans doute que cette doctrine, qui a été élaborée dans les années 1920 et 1930

du siècle dernier, et qui a trouvé quelque appui dans la jurisprudence de votre devancière, n’était

adaptée qu’aux «droits exclusifs» de la juridictio n des Etats. Cette restriction obéit à une logique

6
Lauterpacht, The development of International law by the International Court, Londres, 1958, p. 164. - 37 -

profonde. A une époque, comme la première moitié du siècle dernier, où les Etats jouissaient d’un

vaste domaine réservé dans lequel ils étaient cons idérés comme libres de toute contrainte liée au

droit international, la doctrine de l’ abus de droit a été conçue comme l’Ersatz d’une obligation

juridique encore inexistante. Ce fut la même Cour permanente, puis cette Cour, en particulier, qui

sont parvenues progressivement à réduire la portée du domaine réservé et, partant, la nécessité de la

notion d’abus de droit. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous

comprendrez immédiatement que parler d’un abus de droit en la présente espèce serait littéralement

déplacé dans cette grande salle de justice. La qu estion dont vous êtes saisis, l’immunité de l’Etat,

ne relève manifestement pas du domaine réservé d’un Etat, elle est au cŒur même des normes

coutumières internationales qui réglementent et assurent les relations pacifiques entre les Etats.

35. Pour prouver pareil abus de droit, le défendeur devrait démont rer que, premièrement,

l’Allemagne a une obligation de réparation à l’égard des citoyens italiens et, deuxièmement, qu’elle

n’agit pas de bonne foi. Lundi et aujourd’hui de nouveau, nous avons montré pourquoi la première

partie de l’argument ne tenait pas, tant sur le plan des principes que sur celui des faits. La position

de la Cour constitutionnelle fé dérale allemande concernant l’absence d’un droit individuel à

réparation concorde avec la jurisprudence de la quasi-totalité des instances judiciaires dans le

monde, et le Gouvernement allemand a la ferme conviction que, de toute façon, l’Italie a renoncé à

toutes ses revendications envers l’Allemagne, pour e lle-même et au nom de ses citoyens, dans le

traité de paix de 1947. L’Italie le contestera peut -être, mais tout ce que l’on peut dire à cet égard,

43
c’est que le point de vue allemand peut être erroné, certainement pas qu’il est arbitraire, pour toutes

les raisons exposées ce matin.

36. Monsieur le président, cela conclut me s observations. Puis-je vous demander de donner

la parole à M. Robert Kolb.

Le PRESIDENT: Je remercie M.AndreaGa ttini pour son exposé. J’invite à présent

M. Robert Kolb à prendre la parole.

KOr. B:

1. Mr.President, Members of the Court, these are the aspects that I should like to address

today. First, the provisions of international humanitarian law and their impact on the alleged right - 38 -

to individual reparation. Next, the eternal question of jus cogens, which is surely going to haunt

me, if not actively hound me, forever. I will add a few brief observations on the idea of complicity

in perpetuating an internationally wrongful act, which our opponents have suddenly produced out

of nowhere. Finally, I shall conclude for today w ith a special item, which I will tell you about in a

moment. So, those will be the main points of my statement.

2. Before I make a start, I would like to remind you that the outcome of this case revolves

solely around the jurisdictional immunity whic h Germany enjoys, and inter-temporal law which

prohibits retroactivity. Italy’s counsel have been so conscious of this that they have tried to deflect

attention away from these crucial aspects. We are quite happy to answer their arguments, but we

do not want the discussion of these secondary aspects to obstruct or cloud your view, which must

remain firmly focused on the central issue in our dispute.

A. THE PROVISIONS OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW

3. Whether we look at this issue from the point of view of existing law or from the point of

view of emerging trends, the conclusion has to be the same: that there is no rule which imposes a

duty to provide individual repara tion (and which prevails over immunity), and that there is still

considerable reluctance to accept such a rule for the future. These are two important propositions.

44 I. Existing law

1. Article 3 of the Hague Convention of 1907

4. In its Counter-Memorial (para.5.7 et seq .), Italy developed the principle of effective

reparation for serious violations of intern ational humanitarian law, adding that it was

non-derogable in nature. The view it presents of the traditional régime as set out in Article 3 of the

Fourth Hague Convention of 1907 is rather surprising, considering that Italy has some eminent

specialists in this field. I say surprising becau se its description is so obviously anachronistic. Our

opponents must be aware that Article 3 was a bold innovation at the time when it was incorporated

into the Fourth Convention, and in any event conf ined itself solely to relations between States.

Indeed, it was only able to be adopted because it said nothing that might disrupt States’ internal

affairs, for instance that compensation “must reac h the individual victims and be satisfactory”

(Italy’s Counter-Memorial, para. 5.10). Who should receive the compensation was not a matter for - 39 -

the Convention at the time, but an internal question. This is all familiar ground, so there is no point

in quoting lists of citations and authorities here. I am also surpri sed at the argument that Article 3

“amounts to an application to IHL of the broade r principle of State responsibility under general

international law”. Our opponents are well aware that in 1899 and 1907 the law on the

international responsibility of States was still at a very embryonic stage. Dionisio Anzilotti had just

written a key pioneering work on the subject, publis hed in Florence in 1902. August Heffter even

wrote four or five pages in the nineteenth century comparing the subject with certain principles of

the lex Aquilia in Roman law! How could Article 3 refe r to a body of rules on State responsibility

that was still largely non-existent? In actual fact it was the Commentary to Article 91 of Additional

Protocol I of 1977 which linked Article3 with r esponsibility to individuals. But 1977 is not the

same as 1907: they are separated by a seven, and that seven is crucial. Unfortunately, the legal

analysis throughout this section of the Counter-M emorial is characterized by the same rather

cavalier attitude.

45 2. Articles 51, 52, 131 and 148 of the Geneva Conventions of 1949

5. Italy cites Articles51, 52, 131 and 14 8 of the 1949 Geneva Conventions I-IV, and

reproduces the text in the documents it has subm itted. For information, these are provisions

dealing with State liability. They all refer back to the previous article: “in respect of breaches

referred to in the preceding Article”. So what are those breaches? They are “grave breaches” of

the Geneva Conventions. I would point out in passing that these “grave breaches” did not exist

before 1949. They were a new category of “conve ntional” war crimes, as it were. However, the

acts in question in the present case date from befo re 1949. Are the provisions mentioned to be

applied retroactively? Article 28 of the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties eliminates

any possible doubt on this question. What is more, the “grave breaches” were also not a

codification of customary law. The ICRC’s Commentary to the Geneva Conventions clearly states

that the four provisions referred to are new: “This is an entirely new Article...”, it says

(Commentary to Convention I, Geneva, 1952, p. 37 3, and similarly in the other Commentaries).

This could hardly be any clearer: an entirely new article. What is more, Germany was not relieved

of all liability. On the contrary, it provided a huge range of reparations. - 40 -

3. Articles 6, 6, 6 and 7 of the 1949 Geneva Conventions

6. Italy then reminds us of the non-deroga ble nature of the provisions of international

humanitarian law, as provided for in Articles 6, 6, 6 and 7 of Geneva Conve ntions I-IV. I will not

bring up the argument about retroactivity again, becau se this time I do not even wish to raise it.

The problem lies elsewhere, and is even more f undamental. The Conventions do not provide for a

right to individual compensation. They merely provide for a connection between one State and

another: the State seeks reparation for the da mage suffered, precisely because individuals cannot

do so directly. The ICRC Commentary I referred to earlier is very explicit on the subject. There is

therefore no basis for claiming that there is a dut y not to derogate. In actual fact, the common

Article6, 6, 6 and 7 concerns the forms of pr otection, particularly humanitarian protection,

recognized in the Conventions which may not be restricted by special agreements, or, as the

provision which comes immediately afterwards in the Conventions shows, by being voluntarily

renounced by the persons protected. The common article does not concern post bellum reparations,

46
a subject over which States have always maintain ed control and a certain discretion. The main

concern and material scope of the Conventions is jus in bello; they do not relate to the law of peace

or jus post bellum, which is also a form of jus pacis. They make an exception for situations where

armed conflict is prolonged, in a way, because prisoners are still being held or territories occupied.

7. Finally, I would remind the Court that while everything we have just said might well be

true, the question of jurisdictional immunity never goes away. International humanitarian law does

not “derogate” from the immunity of States before the courts of one of their peers. Essentially, the

whole question of the derogability of “personal humanitarian rights” serves no real purpose and is

not really relevant. Perhaps we should have said nothing about it, but we felt it was useful to

provide the Court with some insight on the subject.

II. Emerging trends

8. Might we be challenged about recent trends which are finally tending to take the side of

individuals against the State, previously so idoli zed, flattered and protected? Let us take a closer

look at this aspect. Of these recent trends, the wo rk of the International Law Association (ILA),

which certainly cannot be labelled particularly conservative, is undoubtedly typical. As you know,

for the last few years the International Law Association, under the leadership of - 41 -

Professors N. Ronzitti, R. Hofmann and S. Furuya, has been working on the issue of “Reparation

for Victims of Armed Conflict”. I will not bore the Court by quoting extensively from this work,

excellent though it may be. What conclusions does it reach, in essence, on the issue that concerns

us in the present case? The crucial point is what is not there, and it is much more than just a gap:

the International Law Association does not propose de lege ferenda an individual right to complain

to the courts, much less an individual right to co mplain to the courts accompanied by a universal

civil jurisdiction, nor does it recognize such a right de lege lata . Its resolution No.2/2010

containing a “Declaration of International Law Principles on Reparation for Victims of Armed

Conflict” essentially requires only that responsible pa rties make every effort to give effect to the

rights of victims to reparation (Article 11, paragraph 1); it imme diately adds that programmes and
47

institutions shall facilitate access to reparation (A rticle11, paragraph 2). As the commentary to

this article makes clear, in the minds of the dr aftsmen, “programmes and institutions” means the

adoption of new, special procedures suited to the par ticular post-conflict situation. It is implicitly

recognized that the courts are not the most appropriate bodies to deal with this, otherwise they

would have been mentioned or even recommended. There is more. Despite the fact that the

declaration is hardly revolutionary , Article15, paragraph 1, adds, ex abundante cautela , that the

“rights and obligations reflected in the present Declaration shall have no retroactive effect”.

9. Our argument on this point is essentially as follows. First of all, any emerging trends

towards recognizing an individual right to compla in to the courts are not enforceable against

Germany for situations resulting from the Second Wo rld War, since that would mean applying the

right retroactively. Secondly, these emerging tre nds are reluctant to lay down individual rights

because they can easily turn out to be excessive and unmanageable. Surely the Court will not want

to show itself to be less deliberately cautious than learned societies such as the International Law

Association? Yet they are in a considerably easier position than the Court. They are committing

no one but themselves, while hiding behind the re assuring safety-net of scientific work. If any

actor could afford to present a bolder image, it would be just such a society. Is it not highly

revealing and significant that it does not risk doing so? And does not all of this show even more

clearly which path you yourselves should, as we see it, take? - 42 -

B. THE QUESTION OF JUS COGENS

10. The following observations are intended to reply to the claims made by our opponents

concerning peremptory international law. I shall be able to be very brief on the subject, given that

very little new information, and even less en lightening information, has emerged from the

discussions before the Court in recent days.

48 1. The conflict between jus cogens and immunity

11. What you were told first of all is that where there is an irreducible conflict between the

jurisdictional immunity of the State and the effective sanction of a jus cogens norm, such as the one

which lays down the right to reparation for in ternational crimes suffered, the former must,

exceptionally and regrettably, yield to the latte r. Sometimes setting aside immunity is, it was

claimed, the only solution to the problem that individuals are being denied not so much access to

justice, but a successful outcome to their complain ts. The argument is almost sheepish, yet at the

same time it is highly revolutionary. In order to dress it up our distinguished opponents took off on

a lyrical flight of fancy, which I actually quite liked, though only on an aesthetic level. We were

told that otherwise jus cogens would be reduced to the status of petitio principii, a flamboyant

expression of loudly proclaimed yet ineffective wi shful thinking, an empty mirage, a flimsy and

pallid phantasm. I do not question the fact that the process of setting aside immunity, so learnedly

developed, would be a possible solution to the supposed conflict. But there are others. You only

need to look again at our own arguments here to be sure of this. The point I am trying to make is

that our opponents’ counsel presuppose that we, and particularly you, and in any event the Court of

Cassation, can simply pluck this solution from am ong the many other possible avenues. They see

no point in establishing which laws already exist, they simply want to change the law so that

tomorrow’s rules are just a little bit better ⎯ as they see it ⎯ than today’s. But why stop at that

particular point and that particular solution when things are going so well? If every domestic court

can come up with its own “result” according to th e needs of the moment, the particular facts and

circumstances of the huge range of cases that life brings before them, we will soon have a great

hotch-potch of solutions which are mainly subjec tive, or even opportunistic. International law

develops from consent between States. Here it would develop from allowing every competent

domestic court carte blanche to produce its own legislation. I have the impression ⎯ though I hope - 43 -

I am wrong ⎯ that the doctrine of our distinguished colleagues on the other side of the bar is that

under the international norm which applies today, th e existing legal order delegates jurisdiction for

49
defining the scope of foreign States’ jurisdictiona l and enforcement immunity to domestic courts,

which would decide on a case-by-case basis and take detailed account of the widely varying facts

in each individual case. The international norm on immunity would thus disappear, to be replaced

by this norm delegating legislative powers. I hardly need to say that I cannot find any trace of such

a norm in the sources of international law, whic h in this particular case means custom. Our

opponents have not found any either, otherwise they would surely have mentioned it.

12. It is also notable that the other Party has gone so far as to suggest that you should comply

with the international law of your own Statute (and, I suppose, the rest of international law)

because you are an organ of an international soci ety dominated by sovereign States. Thus, they

say, you are obliged to be scrupulously mindful of the agreed limits of your jurisdiction, jus cogens

notwithstanding. A domestic court, on the other hand, is an organ of an inclusive public authority.

Since its jurisdiction does not depend on the agreem ent of the litigants, it has greater freedom to

weigh up the necessary considerations where there is a conflict between norms, choosing to give

priority to the norm of peremptory international la w. All of this gave me the impression that the

development of international law is becoming more a prerogative of the domestic courts than of

subjects of international law or even of the Intern ational Court of Justice. You have to keep to

international law. The domestic courts, on the other hand, can weigh up its rules and come up with

new and sometimes astonishing solutions. The prin cipal judicial organ of the United Nations, and,

if I might say, of international law, does not have the power to legislate to improve that law; the

domestic courts, which merely represent part of the political order of human society, would possess

precisely that right, for which they are so poorly equipped. What a strange idea. I myself would

prefer, if I had to choose, for you to legislate in the legal order which you know better than anyone

else, and of which you are the organ and servant. However, it is common ground that you do not

have that power. It is not your prerogative, mu ch less that of the domestic courts of any given

State. - 44 -

2. The distinction between primary and secondary rules
50
13. Lastly, you have been told that the di stinction between primary and secondary rules,

which I had the opportunity to describe in my first st atement, is artificial and largely irrelevant in

the present case. Reference was made in that respect to the International Law Commission’s

2001Articles on State Responsibility. There is no need for me to repeat what I told you on

Monday, which I still believe is correct. Article41 shows that only some legal consequences of

breaches of jus cogens rules are accepted in today’s international legal order. They do not include

those which our Italian colleagues are trying to persuade you to accept. Furthermore, the work and

commentaries of the International Law Commission show that it has deliberately made every effort

to limit those consequences in this way. It was aware that it was already close to, and had often

crossed, the dividing line between lex lata and lex ferenda, but also that it otherwise risked opening

up a box that Pandora would have been proud of. Article41, paragraph3, therefore provides no

support for the very self-interested interpretation given to it by our opponents. It was simply

intended to be a safeguard clause to take account of changes to international law. Let me add here:

for definite, tangible and proper changes, not fo r supposed changes extrapolated from a single,

sadly isolated precedent.

Pu4t. jus cogens to one side for the time being. You do not need it in this case, and

everything useless is usually legally harmful.

III. Complicity

15. Our opponents have suggested that the It alian Court of Cassation felt constrained to set

aside Germany’s jurisdictional immunity because, by upholding and sancti oning it, it would have

become complicit, in their view, in prolonging an internationally wrongful act. I have to admit that

I was excited by this argument, because it was one that I would never have managed to come up

with myself. It refers to Article 16 of the 2001 Articles on State Responsibility. So here was yet

another epic conflict between inte rnational norms which the poor judges in the Italian Court of

Cassation had to resolve, taking on a whole new responsibility.

51 16. This argument does not bear close scrutiny, for two very simple reasons. First, if no duty

exists (or existed, in 1945) to provide individual compensation for the cases at issue here, then that

duty cannot have been breached. Second, even if that complicity had occurred, in other words, if - 45 -

an internationally wrongful act had been committe d, the consequences could only have been those

provided for by the relevant secondary rules concer ning State responsibility. It would have given

rise, for instance, to a duty to cease and to provi de reparation. Under no circumstances, however,

could it have given rise to the possibility of se tting immunity aside, which is not provided for

anywhere in current international law. The commission of our putative wrongful act could not give

rise to the commission of another wrongful act, but only to the elimination of the consequences of

the breach in accordance with the current rules of international law. What jus cogens does not do,

supposed complicity certainly cannot.

17. I said when I began my statement today that I wanted to talk about one final issue, which

I did not specify. However, I see that if I am to allow our Agent to present our conclusions, I

cannot go into this question now, and so I would respectfully ask you, Mr.President, to give the

floor to Ms Wasum-Rainer to present our submissions.

Le PRESIDENT: Je remercie M.RobertKolb pour son exposé. J’invite maintenant

S. Exc. l’Ambassadeur Suzanne Wasum-Rainer à présenter ses conclusions finales.

Mme WASUM-RAINER: Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

j’aimerais à présent vous présenter, conformément au Statut de la Cour, nos conclusions finales. Je

vais vous donner lecture de ces conclusions telles qu’elles vous ont été soumises.

L’Allemagne prie la Cour de dire et juger que :

1) en permettant que soient intentées à son encont re des actions civiles fondées sur des violations

du droit international humanitaire commises pa r le Reich allemand au cours de la seconde

guerre mondiale, de septembre1943 à mai1945, la République italienne a commis des

violations de ses obligations juridiques intern ationales en tant qu’elle n’a pas respecté
52
l’immunité de juridiction reconnue à la Ré publique fédérale d’A llemagne par le droit

international,

2) en prenant des mesures d’ex écution forcée visant la «VillaVigoni», propriété de l’Etat

allemand utilisée par le gouvernement de ce dernier à des fins non commerciales, la République

italienne a également violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne, - 46 -

3) en déclarant exécutoires sur le sol italien d es décisions judiciaires grecques fondées sur des

faits comparables à ceux qui sont mentionnés au point1 ci-dessus, la République italienne a

une nouvelle fois violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne.

En conséquence, la République fédérale d’Allemagne prie la Cour de dire et juger que :

4) la responsabilité internationale de la République italienne est engagée ;

5) la République italienne prendra, par les moye ns de son choix, toutes les mesures nécessaires

pour faire en sorte que l’ensemble des décisions de ses tribunaux et autres autorités judiciaires

qui contreviennent à l’immunité souveraine de l’Allemagne soient privées d’effet ;

6) la République italienne prendra toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ses

tribunaux s’abstiennent à l’avenir de connaître d’actions intentées contre l’Allemagne à raison

des faits mentionnés au point 1 ci-dessus.

Monsieur le président, ceci met un terme au deuxième tour de nos plaidoiries. Je vous

remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Madame l’ambassadeur Susanne Wasum-Rainer. Ainsi

s’achève l’audience d’aujourd’hui. La Cour prend acte des conclusions finales dont vous venez de

donner lecture au nom de l’Allemagne. La Cour se réunira de nouveau demain à 14h30 afin

d’entendre le second tour de plaidoiries de l’It alie ainsi que ses observations sur l’objet de

l’intervention de la Grèce. L’audience est levée.

L’audience est levée à 12 h 35.

___________

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