Non corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2011/18 (traduction)
CR 2011/18 (translation)
Mardi 13 septembre 2011 à 10 heures
Tuesday 13 September 2011 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le premier tour de plaidoiries de l’Italie. Je vais
à présent donner la parole à S.Exc.M.Giacomo Aiello, coagent de la République italienne.
Malheureusement, l’agent de la République italienne, S.Exc. M.l’ambassadeur Paolo Pucci
diBenisichi a été empêché pour des raisons santé. Je lui témoigne toute ma sympathie et lui
souhaite un prompt rétablissement. M. Aiello, vous avez donc la parole.
M. AIELLO :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un
véritable privilège pour moi de représenter mon pa ys devant la Cour en qualité de coagent dans
cette affaire entre l’Italie et la République fédé rale d’Allemagne. Si la Cour le permet, je
m’exprimerai à la place de l’agent de l’Italie, M.l’ambassadeur PaoloPuccidiBenisichi—qui,
pour des raisons de santé, n’a pu se joindre à nous aujourd’hui. Vous ne verrez certainement aucun
inconvénient à ce que je lui adresse de notre part à tous nos vŒux de prompt rétablissement.
2. Je commencerai mon intervention en sou lignant d’emblée que le Gouvernement italien
partage les sentiments de sincère amitié exprim és par l’agent du Gouvernement allemand dans son
discours d’ouverture. Le différend entre nos pays, dont le règlement se trouve à présent confié à la
Cour, ne saurait ternir d’aucune façon les excellent es relations que l’Italie entretient par ailleurs
avec un pays qui vit avec elle dans une même co mmunauté de valeurs, de règles et d’intérêts, à
savoir l’Union européenne, que nos deux Etats ont contribué à fonder. Aujourd’hui encore, au sein
de l’Union, l’Allemagne et l’Italie demeurent étroitement liées dans le cadre d’un projet ambitieux
et exaltant qui vise à créer, en Europe, une sociét é où règnerait une démocratie pluraliste avancée,
fondée sur le strict respect de la primauté du droi t et, en outre, sur un respect sans faille des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. Nous partageons avec l’Allemagne une histoire
d’initiatives communes et d’engage ments politiques, économiques et sociaux conjoints en Europe
et à travers le monde. Cette histoire d’engagements partagés tient en partie à ce que nous sommes
conscients d’avoir hérité ensemble d’un épisode sombre — mais heureusement lointain — de
totalitarisme. Mais elle trouve avant tout son orig ine dans la période ultérieure tout à fait distincte
de la reconstruction d’après-guerre, placée sous le signe de la démocratie et de la rédemption. - 3 -
11 3. C’est de cet épisode lointain et sombre de l’histoire de nos deux pa ys que datent les faits
qui sous-tendent le différend sur lequel la Cour est priée de se prononcer. Au cŒur de ce différend,
on trouve les nombreux Italiens non encore indemnisés qui ont été victimes de crimes perpétrés par
les forces d’occupation allemandes—je fais naturellement référence ici à une Allemagne
radicalement différente de celle dont l’Italie se sent si proche au jourd’hui. Les crimes qui nous
occupent remontent aux dernières années de la seconde guerre mondiale. Ce sont ces crimes, dont
les victimes n’ont jamais obtenu réparation, qui ont conduit la Cour de cassation italienne à refuser
à l’Allemagne le privilège traditionnel de l’immunité de l’Etat — puisque c’était la seule façon de
rendre à de nombreuses personnes la justice dont elles étaient privées depuis tant d’années.
4. Monsieur le président, l’amitié sincère qui lie nos deux pays ressort également du fait que,
pour régler ce différend très délicat, qui n’a pu être réglé par d’autres moyens, nos deux
gouvernements se sont mis d’accord pour le soumettre au jugement impartial de la Cour, chacun
étant bien conscient de la mission importante in combant à celle-ci—de par sa qualité d’«organe
judiciaire principal des Nations Unies» — d’«applique r le droit international», forte de l’autorité et
de la compétence inégalées qui lui sont universellement reconnues.
5. J’ai parlé d’accord parce que, s’il est vrai que le présent différend a été porté devant la
Cour par requête de l’Allemagne le 23décembre2008, il est toutefois également vrai—et il
semble important de le souligner—que cette requête a été déposée quelques semaines après la
déclaration conjointe de Trieste du 18novembre2008, dans le cadre de laquelle l’Italie avait
indiqué qu’elle comprenait sincèrement la décision de l’Allemagne de prier la Cour de statuer sur
la question de l’immunité de l’Etat. Il ne vous aura pas échappé que l’Italie n’a dans ses écritures
émis aucune objection, réserve ou contestation d’au cune sorte quant à la compétence de la Cour
dans la présente affaire : cela aurait été incompatib le avec le principe de la bonne foi. Les Parties
sont donc toutes deux convaincues que l’arrêt de la Cour clarifiera la question complexe qui les
divise, de même qu’elles sont toutes deux enga gées à se conformer scrupuleusement aux décisions
que la Cour jugera opportun de rendre à leur intention.
6. A cet égard, je rappellerai que, en avr il2010, le Gouvernement italien, suivi par le
Parlement italien au mois de juin de la même année, a pris les mesures législatives voulues pour
suspendre jusqu’à la fin de 2011 l’exécution de toutes les décisions italiennes défavorables à - 4 -
12 l’Allemagne, en attendant la décision de la Cour . Celles-ci ne seront exécutées que si la Cour
conclut que l’Italie n’a pas commis les actes illicites dont l’Allemagne lui fait grief. Si la Cour a
besoin de davantage de temps pour délibérer, le Gouvernement italien est prêt à proposer au
Parlement de proroger les mesures suspensives déjà adoptées.
7. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, comme vous le savez, depuis
que la Cour de cassation italienne a rendu son arrêt en l’affaire Ferrini le 11mars2004, l’Italie a
constaté une consolidation prog ressive de sa jurisprudence en la matière, qui est désormais
abondante et forme un tout cohérent. Dans le cadre de cette jurisprudence, dont l’Allemagne
conteste la licéité, les instances italiennes qui avaient été saisies de demandes de réparation par des
victimes de crimes nazis ont refusé de reconnaître l’ immunité de l’Allemagne de leur juridiction.
La même approche a été suivie dans des décisions très récentes. La plus importante est l’arrêt
n°11163 rendu le 12ja nvier2011 par la Cour de cassation (enregistré le 20mai2011). Nous
avons versé une copie du texte italien au dossier de plaidoiries, avec une traduction en anglais et en
français de la partie centrale du texte, dans l’ éventualité où la Cour vou drait en apprécier la
pertinence.
8. L’Allemagne prie la Cour de dire que ce déni de son immunité constitue un fait illicite
engageant la responsabilité internationale de l’Italie à son endroit. Le Gouvernement italien, lui,
exhorte au contraire la Cour à reconnaître qu’aucun fait illicite de cette nature n’a été commis, en
particulier parce que le refus de l’immunité de l’Etat par les juri dictions italiennes était, dans les
circonstances de l’affaire, justifié en droit. Cette position, qui a été présentée de manière détaillée
dans nos écritures, va vous être exposée succinctement par nos conseils.
9. Monsieur le président, notre temps de parole étant limité, je vais maintenant vous donner
quelques précisions à titre préliminaire, tout en t âchant cependant de rester très concis afin de
laisser aux conseils suffisamment de temps pour plaider.
Ainsi, l’Italie précisera tout d’abord qu’elle n’entend pas remettre en question le principe
établi—auquel elle demeure très attachée—sel on lequel tout Etat est tenu de reconnaître
l’immunité des Etats étrangers devant ses tribunaux dans le cas des actes jure imperii. L’Italie ne
nie en aucun cas que ce principe de l’immunité, bien qu’il ne fasse pas partie du jus cogens — ainsi
qu’expliqué clairement dans notre duplique—c onserve beaucoup d’importance dans les relations - 5 -
internationales. Tel est le cas même s’il faut r econnaître également que ce principe vient limiter
13 sensiblement la souveraineté des Etats dans l’exercice de leur juridiction, lesquels ne peuvent de ce
fait garantir aux individus un droit d’accès effectif à la justice, c’est-à-dire le droit de chacun à ce
que sa cause soit entendue par un tribunal indépe ndant. Toutefois, cette limitation de la
souveraineté de l’Etat et ce sacrifice imposé à l’ individu doivent être justifiés par des raisons
impérieuses et ne doivent pas être disproportionné s, comme l’a maintes fois souligné la Cour
européenne des droits de l’homme. Autr ement dit, même lorsqu’il s’agit d’actes jure imperii,
l’immunité de l’Etat ne peut être considérée comme absolue. En fait, dans la présente affaire, nous
prions la Cour de reconnaître tout d’abord qu’il existe certains cas exceptionnels dans lesquels le
refus de l’immunité est justifié en tant que dernier recours pour assurer le respect de principes
impératifs du droit international et, ensuite, de conclure que ce refus est autorisé en droit lorsqu’une
juridiction nationale est saisie dans le but d’obte nir réparation à raison de crimes graves qui ont été
perpétrés ou qui ont produit des effets sur le territoire de l’
Etat du for.
10. La deuxième précision concerne les raisons pour lesquelles l’Italie continue d’insister sur
le manquement de l’Allemagne à son obligatio n impérative d’accorder réparation aux très
nombreuses victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité imputables au
TroisièmeReich, et ce en dépit du fait que la Cour, dans son ordonnance du 6juillet2010, a
déclaré irrecevable et donc rejeté la demande reconventionnelle que l’Italie lui avait présentée pour
lui faire reconnaître le manquement de l’Allemagne à cette obligation de réparation. L’Italie ne
conteste pas cette ordonnance, qu’elle accueille au contraire avec le plus grand respect. Elle
soulignera néanmoins que, si la Cour a rejeté la demande reconventionne lle italienne, c’est parce
qu’elle a jugé que celle-ci soulevait une question échappant à sa compétence ratione temporis. La
Cour n’a absolument pas exclu que les événem ents auxquels cette dema nde reconventionnelle
faisait référence—à savoir le refus de toute réparation à certaines victimes de crimes nazis—
puissent se voir accorder un rôle (et peut-être même un rôle majeur) et être invoqués comme
moyens de défense au stade du fond de la pro cédure introduite par l’Allemagne, et donc être
utilisés pour déterminer si l’Italie a ou non violé ses obligations international es dans le domaine de
l’immunité juridictionnelle des Etats. - 6 -
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en arrive à présent à la
question qui touche incontestablement au cŒur de l’affaire portée devant vous. L’Italie reconnaît
et prend toute la mesure de l’effort énorme que la «nouvelle» Allemagne a fait pour remédier aux
agissements et atrocités de toutes sortes commis par les autor ités nazies, dont elle a assumé
l’entière responsabilité sur la scèn e internationale—ce qui est t out à son honneur. Cela étant,
l’Italie ne peut manquer de noter que plusieurs catégories de personnes, parmi toutes celles qui ont
été victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité exceptionnellement graves (en
particulier, les victimes des massacres perpétrés sans discrimination par les forces armées
14
allemandes ainsi que la plupart des militaires italie ns détenus), ne se sont jamais vu accorder par
l’Allemagne la possibilité d’obtenir réparation s ous quelque forme que ce soit, et que, en outre,
aucun instrument international n’a jamais déga gé l’Allemagne de ses obligations pour ces crimes
(et aucun n’aurait pu le faire). Les juridictions italiennes se sont donc trouvées dans une situation
exceptionnelle : elles constituaient le seul moyen, et même l’ultime recours, qui restait aux victimes
pour tenter d’obtenir le respect, en leur faveur, des prescriptions impératives du droit international
dans le domaine des réparations pour crimes de guerre et pour crimes contre l’humanité. Le
caractère impératif de ces prescriptions était d’ailleurs déjà évident à l’époque où ces crimes ont été
commis. Dans ces circonstances exceptionnelles, la décision des tribunaux italiens de ne pas
reconnaître l’immunité de juridiction de l’Allemagne paraît justifi ée en droit — du moins est-ce la
proposition que le Gouvernement italien soumet humblement à la Cour . Il est important d’être
extrêmement clair sur ce point, Monsieur le prési dent: le Gouvernement italien admet volontiers
qu’aucune justification ne pourra it être invoquée, au sujet du refus des juges italiens d’accorder
l’immunité de juridiction à l’Allemagne, si le Gouvernement allemand en venait à admettre qu’il
n’a pas à ce jour dûment accordé réparation à un très grand nombre des victimes de crimes nazis, et
si, en conséquence, il convenait de prendre les me sures qui lui sembleraient s’imposer au vu des
circonstances, notamment en concluant, au b esoin, des accords internationaux appropriés avec
l’Italie.
12. Monsieur le président, Mesdames et Mess ieurs de la Cour, il me reste une dernière
précision à faire à titre préliminaire. Dans ses pièces de procédure écrite, l’Italie n’a pas pris
spécifiquement position sur l’une des demandes présentées par l’Allemagne dans sa requête, à - 7 -
savoir la deuxième demande, selon laquelle la République italienne, en prenant des mesures
d’exécution forcée visant la «VillaVigoni», propriété de l’Etat allemand située en Italie, aurait
violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne à l’égard des mesures de contrainte car cette
propriété est incontestablement utilisée par celle-ci à des fins non-commerciales, comme
instrument de sa politique culturelle à l’étranger. Le Gouvernement italien pense qu’il se doit de
prendre position dès maintenant sur cette demande de l’Allemagne. L’Italie soutient pleinement les
activités de la VillaVigoni en tant que centre d’excellence pour la coopération italo-germanique
dans les domaines de la recherche, de la culture et de l’éducation, et elle fait directement partie de
sa structure spéciale de gestion binationale (germano -italienne). Par conséquent, l’Italie n’élèvera
aucune objection si la Cour devait lui prescrire de prendre les mesures nécessaires pour assurer la
mainlevée de l’hypothèque inscrite au cadastre sur la Villa Vigoni.
15 13. Monsieur le président, il ne me reste plus qu’à présenter à la Cour les conseils qui vont
développer les arguments juridiques soulevés par l’Italie. M. Luigi Condorelli examinera l’objet de
l’affaire dont la Cour est saisie, et expos era les principaux arguments de l’Italie.
M.SalvatoreZappalà démontrera ensuite à la Cour en quoi les manquements de l’Allemagne aux
obligations de réparation qui lui incombent envers les victimes de crimes internationaux perpétrés
par les autorités nazies revêtent une importance décisive dans le cadre de la présente affaire. Il sera
suivi de M.PaoloPalchetti, qui analysera les principes pertinents en matière d’immunité
juridictionnelle de l’Etat et qui démontrera que l’Italie—contrairement à ce qu’affirme
l’Allemagne—n’a pas violé ces principes. Enfin, M.Pierre-MarieDupuy s’intéressera à la
position des tribunaux italiens et montrera que, en st atuant comme ils l’ont fait, ils ont respecté les
principes du droit international et non pas engagé la responsabilité internationale de l’Etat italien.
Je vous prie à présent, Monsieur le prési dent, de bien vouloir donner la parole à
M. Condorelli, et vous remercie pour votre attention.
Le PRESIDENT: Je remercie M.GiacomoAiello pour sa présentation. J’appelle
maintenant M. Luigi Condorelli à la barre. - 8 -
CMOr. DORELLI:
T HE DISPUTE BEFORE THE C OURT : AN OVERVIEW OF THE ISSUES TO BE DECIDED
1. Mr. President, Members of the Court, it is a great honour for me to be able to address the
Court once again, and a great privilege to have been asked this time by my own Government to put
before you the main arguments on which the Ita lian Republic bases its request to the Court to
adjudge and declare that the claims made by th e Federal Republic of Germany in its Application
instituting proceedings of 23 December 2008 are unfounded.
1. The dispute between the Parties and the Order of 6 July 2010.
2. Mr. President, Italy’s Agent has just described what lies at the heart of the dispute between
our two countries: the Court must decide whether or not Italy is to be regarded as responsible to
16 Germany for internationally wrongful acts resulti ng from the Italian courts’ refusal to recognize
Germany’s jurisdictional immunity in proceedings brought by victims of Nazi crimes seeking to
obtain reparation. Following your Order of 6 July 2010 by which you held that the counter-claim
presented by Italy did not come under the Court’s jurisdiction, the only question in dispute which
you must settle is to identify the principles of international law relating to the jurisdictional
immunity of States and how they apply in the present case: nothing more, Mr.President, but
nothing less either.
3. The Parties are in agreement that, in thabsence of any relevant conventions that would
be binding between them, the principles of interna tional law to which reference must be made in
order to settle the present dispute are customary in na ture. They also agree that those principles do
not (or no longer) guarantee States absolute jurisditional immunity before the courts of other
States, since immunity has to be seen nowadays as limited solely to acts jure imperii, and as still
subject ⎯ even for those acts ⎯ to a certain number of exceptions : for instance, in the case of
“tort exception” or “exception délictuelle”, in othe r words where damage attributable to a foreign
State has been inflicted in the territory of the forum State. Of course, our views differ on the exact
meaning and scope of the exceptions to immunity: Italy is convinced that in addition, in certain
extreme situations resulting from the most seriousviolations of fundament al international norms, - 9 -
refusal to grant immunity must be regarded, where there are specific and appropriate
circumstances, as legally justified; we will theref ore be returning to this issue a number of times.
However, both sides take the same view that the jurisdictional immunity of States no longer
indisputably covers all cases in which applicants apply to the courts of a State for a ruling on any
acts by another State, as used to happen in the days of absolute immunity. To put it another way,
these days, in order to decide whether or not the act by the foreign State is one of those covered by
a limited immunity or whether it comes under one of the exceptions provided for, the national
courts are first required to analyse the act and consider its nature and characteristics, in other words
17
to classify it and define it.
4. That observation alone shows just how far Germany is mistaken in claiming, wrongly
relying on your Order of 6 July 2010, that the qu estion of Germany’s obligation to offer reparation
to the Italian victims of crimes perpetrated by the Nazi authorities does not fall within the Court’s
1
jurisdiction and, consequently, is not releva nt for the settlement of the present dispute . Yet your
Order, Mr.President, said nothing of the sort! You were delivering an opinion solely on the
admissibility of Italy’s counter-claim, not on the merits of Germany’s claims. You decided that the
counter-claim, which was for a finding that Germany was internationally responsible for breaching
its obligation to provide reparation, was inadmi ssible because it did not fall within the Court’s
jurisdiction ratione temporis . However, you refrained from ruling out the possibility that the
question of the breach of the obligation to provide repa ration might be raised again in order to
decide the merits of the dispute brought before you by the Federal Republic of Germany.
5. Your jurisdiction to decide the merits of the present dispute requires you to take
cognizance incidentally of Germany’s breaches of the obligation to provide reparation, otherwise
you would not be able to rule on whether or not Italy’s central argument, that it is precisely because
of those breaches that the Italian courts were justified in refusing jurisdictional immunity, is well
founded. Germany’s Reply is therefore wrong ⎯ and makes some highly inappropriate comments
using extremely questionable vocabulary ⎯ to label as a “futile” construction 2 Italy’s request that
the Court rule on the reparation issue. That issue, Mr. President, is far from irrelevant or “futile”:
1
Reply of Germany (RG), paras. 2 and 9.
2
RG, para. 2. - 10 -
on the contrary, it is extremely important for the set tlement of the present dispute. The case before
the Court cannot be, as it were, sterilized ⎯ as the Applicant would have you believe ⎯ by
18 reducing it purely and simply to a question of relati ons between sovereignties, in other words to an
issue which takes no account whatsoever of human beings, their needs and their fundamental
rights.
6. The international regulations on the jurisd ictional immunity of States are unquestionably
derived from the principles relating to the sovereig n equality of States, in that they require each
State to respect the sovereign prerogatives of other States and the free exercise of their
governmental functions: Germany is quite right to remind us of this. However, the Applicant
unfortunately tends to forget to highlight the other side of the coin, as it were, which is the cost of
immunity for the State required to grant it: th at State is compelled to accept considerable
limitations on its sovereignty in the exercise of its judicial function, since immunity forces it to
refuse to render justice by deny ing individuals access to guarante es of due process which protect
their legal rights and interests where harm has unlaw fully been inflicted by a foreign State, thereby
derogating from the principles of its own domestic la w and its international obligations in this field
under numerous international human rights instrume nts. If this heavy sacrifice is inflicted on
individuals, who are thus deprived of their “right to a judge” in favour of higher interests to do with
respecting the sovereignty of foreign States, it must, however, be precisely because it is required by
international relations and must not prove to be disproportionate to those requirements, as the
European Court of Human Rights has constantly reiterated 3: the international norms on immunity
are designed to achieve a balance between these differing demands, and their successive
amendments reflect the need to ad just that balance in line with developments in international
society.
2. The cases brought before the Italian courts and what they have in common
7. If we accept that when discussing immunity we must not forget human beings, their needs
and their rights, I would immediately stress a point which I would ask each Member of the Court to
3
See in particular ECHR, case of Fogarty v. United Kingdom, 37112/97, judgment, 21 November 2001, para. 33;
case of McElhinney v. Ireland, 31253/96, judgment, 21 November 2001, para. 34; case of Cudak v. Lithuania, 15869/02,
judgment, 23 March 2010, para. 55; case of Sabeh El Leil v. France, 34869/05, judgment, 29 June 2011, para. 47. - 11 -
19 bear in mind when you consider the Parties’ writte n pleadings and listen to the pleadings of the
Agents and counsel on both sides. The Italian courts have refused to recognize Germany’s
jurisdictional immunity in a series of separate cases: some dealt, for instance, with captured troops
or civilians rounded up at random by the German armed forces and deported en masse to Germany
to work as forced labour in conditions bordering on slavery, in total disregard of the
prisoner-of-war status to which some of them s hould have been entitled; other cases concerned
those who escaped from the terrible massacres perp etrated by the occupying army, or the spouses
of people murdered as part of what has been described as a genuine war against the civilian
population. All of these cases have features in common, which can be summed up in just a few
words.
8. The first is that those who have brought proceedings before the Italian courts seeking
reparation from Germany are all victims of violations of international humanitarian law perpetrated
by the Third Reich (most of them, we should stress, in Italian territory) which were so serious and
(in most cases) such terrible atrocities that theycannot but be classified as serious breaches, war
crimes or crimes against humanity: this point is not disputed by the Applicant, as the Court found
in paragraph 8 of the Order of 6 July 2010. Th e second feature is that Germany has never denied
that it should assume full international responsibility for the crimes committed by the Nazi
authorities, including those covered in the judicial proceedings I mentioned earlier. The third is
that the proceedings before the Italian courts were brought by victims for whom Germany has
never provided or granted any ⎯ I repeat, any ⎯ reparation, whether through internal measures or
following international agreements with Italy. The last feature in common is that, more than
60 years after the crimes in question were committed, it was apparent to the victims that recourse to
the Italian courts was the last and only means ava ilable to them to obtain any form of reparation,
the only way still open to them when all other possible channels had been irrevocably blocked.
9. This is the nub of the question which it is your solemn responsibility, Members of the
Court, to answer: should the Court decide ⎯ as Germany has requested ⎯ that Italy has
committed internationally wrongful acts towards Germany because its courts refuse to grant
20 Germany jurisdictional immunity for acts jure imperii, in cases which all share the features I have
just described? Or should the Court consider ⎯ as Italy requests ⎯ that it is precisely because of - 12 -
those entirely unusual features and circumstances th at the denial of immunity by the domestic
courts cannot be regarded as internationally wrongful?
10. Mr.President, Italy has already set out in writing the arguments on which it bases its
request to the Court, and its counsel will s oon summarize those arguments once again in their
pleadings. It is my duty now to discuss some of the core points of Italy’s argument. In the light of
the observations I have just made, it appears cl ear that the Court cannot discharge its function
without first identifying and defining the State acts on account of which proceedings were brought
against Germany in the Italian courts. Secondly, the Court must address the question of how the
principles concerning the jurisdictional immunity of States relate to the acts thus defined.
3. The legal nature of the State acts challenged before the domestic courts
11. On the first point, it is not in dispute th at the State acts challenged before the Italian
courts, in relation to which jurisdictional immun ity is invoked, are wrongful acts most of which
were committed in Italian territory, and more precisely serious violations of fundamental principles
of international humanitarian law, which it is accepted were in full force at the time of the acts. I
would point out that the Court itself emphasized in 1996, referring to the 1907 and 1949
codifications of humanitarian law, that these were “treaty rules the great majority of which had
already become customary and which reflected th e most universally recognized humanitarian
principles” (Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons, Advi sory Opinion, ICJ Reports
1996 (I), p. 258, para. 82; emphasis added).
12. The point should be made straight away that the acts in question are doubly wrongful,
and were challenged before the Italian courts precisely because they are doubly wrongful: in
21 addition to the original, as it were time-specific, crimes (massacres, deportation, forced labour, etc.)
there is also the breach of the obligation to pr ovide reparation. That breach is, as we know (from
Article14(2) of the 2001 Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts),
defined as “the breach of an international obliga tion by an act of a State having a continuing
character”.
13. In a few moments, ProfessorZappalà w ill discuss these issues in detail and show in
particular that Germany has never discharged its obligation to provide reparation for various groups - 13 -
of victims of Nazi crimes, including Mr.Ferrini and the others: these were therefore acts whose
wrongfulness continues today, since they involve the breach of obligations from which Germany
has not been released by any international agreem ent (contrary to its claims), nor could it have
been. It is appropriate here to point out a key principle of humanitarian law to which the Applicant
4
strangely made only a brief passing reference in its written pleadings , claiming that it had nothing
to do with the subject-matter of the present disput e, and about which it has said not a single word
this morning, which is really surprising! That principle, about which the Court will hear more
shortly, is codified in a provision common to all four Geneva Conventions of 1949 (respectively,
Articles51, 52, 131 and 148), which expressly inva lidates any international agreement by which
States seek to absolve themselves of liability for grave breaches of international humanitarian law.
What else are the waiver clauses which Ge rmany keeps on invoking (such as the one in
Article77(4) of the 1947 Peace Treaty), if not precisely the sort of absolving agreements
prohibited, if those treaty clauses are to be inte rpreted as covering the serious crimes committed by
the Nazi authorities? But in reality ⎯ and here I am jumping ahead to what my colleagues will
show you shortly ⎯ this is absolutely not the case: Ital y has undoubtedly undertaken to relinquish
many things, but it has never undertaken to absolve Germany of its responsibility for the serious
crimes it committed, nor would it have been allowed to do so, in any case.
22 14. Mr.President, the State acts challenged before the Italian courts, in relation to which
Germany has invoked jurisdictional immunity, are thus wrongful acts with very particular
overtones, involving as they do serious breach es of obligations required by principles of
international law enshrining fundamental values of the international community: principles which
surely form part of what the Court has defined as “rules of humanitarian law . . . so fundamental to
the respect of the human person and ‘elementary considerations of humanity’”, and which the
Court has defined as having to be observed “by a ll States whether or not they have ratified the
conventions that contain them, because they cons titute intransgressible principles of international
customary law” (Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons, Advisory Opinion, ICJ Reports
1996 (I), p. 257, para. 79). Can we use the term “jus cogens” about “rules so fundamental”, to use
4
RG, para. 47. - 14 -
the Court’s own expression, even though they were unquestionably in force at the time of the acts
in question, in other words well before the 1969Vienna Convention and its Article53? This is a
discussion I think it would be pointless to enga ge in, whatever the Applicant may think,
particularly as it has accepted, in passing, that the relevant principles of humanitarian law “may be
seen as precursors of the current concept of jus cogens ”5. What is important in the end is to
recognize that these are “intransgressible” principles which are fundamental for the protection of
human beings, and, in particular, that der ogations from them, whethe r through international
agreements or otherwise, were not allowed in the past just as they are still not allowed today. I
would point out that, in its commentary on the 2001 Articles on State Responsibility, the
International Law Commission followed exactly the same reasoning on the principles of
international humanitarian law 6. Not to mention the fact that, even if it were agreed that these
principles should instead be regarded as jus cogens superveniens, they would still deploy effects at
23 the very least as regards the proper interpretation of the relevant international instruments, should
such instruments have to be taken into account and applied in the present case.
4. The implications of the principles regarding the jurisdictional immunity of States for the
State acts in question and the “tempus regit actum” principle
15. Once the Court has identified the nature and main characteristics of the acta jure imperii
attributable to the German State which have been challenged before the Italian courts, the
fundamental question for the Court is to ascerta in how these are affected by the principles
regarding the jurisdictional immunity of States. ProfessorsPalchetti and Dupuy will shortly
address the Court to present the arguments which we believe should persuade the Court to adjudge
and declare that the Italian courts’ refusal to allo w Germany jurisdictional immunity is justified in
law in the present case, in view of the particul ar characteristics of the cases brought before them,
and that Italy has therefore not committed any wrongful act against the Applicant.
16. I myself would like to say just a few more words on a more general subject already
discussed at length by the Parties: whether the principles of international law concerning the
5
RG, para. 45.
6Draft Articles on Responsibility of States for Internationally Wr ongful Acts, with commentaries , 2001, para.5,
under Article 40: “In the light of the description by the ICJ of the basic rules of international humanitarian law applicable
in armed conflict as ‘intransgressible’ in character, it would also seem justified to treat these as peremptory.” - 15 -
jurisdictional immunity of States to be applied for the settlement of the present dispute are those
currently in force, or those from earlier years, as the Applicant argues. For the Applicant, the
Italian courts should have confined themselves to the principles as th ey existed at the time of the
crimes complained of (in the 1940s), since ⎯ it argues ⎯ tempus regit actum. Italy, on the other
hand, does not, of course, raise any objection as to the general validity of the tempus regit actum
principle, but stresses that the acts to be assessed in the light of the norms of international law
concerning immunity are not the war crimes and crimes against humanity of the 1940s, they are the
decisions of the Italian courts which, since 2004, ha ve affirmed that they were able to exercise
jurisdiction in respect of Germany. The wrongful acts of which Germany accuses Italy and to
7
which its application to the Court refers are constituted by Italian “judicial practice” , starting with
the Ferrini judgment of 2004, in which ⎯ again using the Applicant’s words ⎯ “Italy has
8
infringed and continues to infringe its obligations towards Germany under international law” . It is
24 therefore on the basis of the international princi ples in force at the time when an application
implicating a foreign State was brought before the domestic court that it must be assessed whether
or not that court acted in accordance with the international obligations of the State concerning the
exercise of its jurisdiction in respect of foreign States. Since both sides have made their positions
clear, there is no point in going back over the debate, except to make one final observation.
17. As we know, in Italian law, whether or not a court has jurisdiction to hear a case must
always be determined on the basis of the law in force at the time when the case is brought before
the court. It is also well known that the same approach is followed when deciding whether or not
the court can exercise its jurisdiction in respect of a foreign State: there is settled jurisprudence on
this question, following the teachings of celebrated professors such as Gaetano Morelli and
Mario Giuliano, and others.
18. In its Rejoinder 9, Italy stated that Article4 of the 2004 United Nations Convention on
Jurisdictional Immunities of States and Their Prope rty incorporates precisely this approach, which
also reflects the outcome of the work of the International Law Commission, to which no State
7Application of Germany, para. 13.
8
Ibid.
9Rejoinder of Italy (RI), paras. 4.1-4.4. - 16 -
expressed opposition: Article4 establishes that th e Convention is non-retroactive, but expressly
states that it “shall not apply to any question of ju risdictional immunities of States or their property
arising in a proceeding instituted against a State before a court of another State prior to the entry
into force of the present Convention . . .”. In other words, what counts in order to establish whether
or not the principles of the Convention apply is not the date when the acts of the respondent foreign
State took place, but the date when the case was brought before the national court, so that the acts
in question may have been well before the Convention entered into force.
19. Of course, the 2004 Convention has still not come into force, even if the number of
ratifications continues to rise ⎯ twelve so far, since France’s ra tification has just fallen through;
other ratifications, including Italy’s, are in the pi peline. Of course, a few rare States have adopted
different solutions in their legislation or judgments: the Applicant makes a point of commenting on
10
25 this , but forgets that they are few and far between. However, given that the figures in practice are
so indicative that the 2004 Convention is being followed, how could the Court rule that the
approach followed on this subject both by Italy and by many other States breaches the principles of
general international law on the jurisdictional immunity of States?
20. Mr. President, Members of the Court, I will end there and would like to thank you very
much for your attention. I would ask, Mr.President, that you now give the floor to
Professor Zappalà.
Le PRESIDENT: Je remercie M.LuigiCondor elli de son exposé. J’invite maintenant
M. Salvatore Zappalà à prendre la parole.
M. ZAPPALÀ :
L’ABSENCE DE RÉPARATION À RAISON DES CRIMES DE GUERRE ET DES CRIMES CONTRE
E
L HUMANITÉ COMMIS PAR LE III R EICH CONTRE DES VICTIMES ITALIENNES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi
que de me présenter devant la Cour pour la première fois et de le faire au nom de mon pays, l’Italie.
Cette partie des plaidoiries de l’Italie portera sur le fait que les nombreuses victimes italiennes des
1RG, para. 36. - 17 -
e
crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par le III Reich en Italie entre 1943 et 1945
n’ont jamais obtenu réparation, et sur ses conséquences pour le présent différend.
1. La question en litige : les obligations de réparation de l’Allemagne à raison des violations
graves du droit international humanitaire commises entre 1943 et 1945 contre des
victimes italiennes et les traités conclus après la seconde guerre mondiale
A.L’absence de réparation offerte par l’Alle magne aux victimes italiennes de violations
graves du droit international humanitaire
2. L’Allemagne n’a pas offert de réparati on parce qu’elle n’aurait, selon elle, aucune
obligation envers l’Italie ni envers les victimes italiennes de violat ions graves du droit international
humanitaire, et ce, sur la base d’un argument princi pal. L’Allemagne considère que le traité de
26 paix de1947 conclu entre l’Italie et les pui ssances alliées a réglé une fois pour toutes, par une
«clause de renonciation», l’ensemble de la questi on des réparations, y compris celles qui sont dues
à raison de violations graves du droit international humanitaire.
3. A l’opposé, l’Italie fait valoir que cette prétention est erronée et fonde sa position sur deux
raisonnements autonomes (mais se renforçant mutue llement) : 1) la clause de renonciation ne vise
pas (et ne saurait viser) les violations graves du droit international humanitaire; 2)la clause de
renonciation devait opérer exclusivement au profit des puissances occupantes de l’Allemagne à
l’époque.
B. Les violations graves du droit internationa l humanitaire n’entrent pas dans le champ
d’application de la clause de renonciation de 1947
i)La lettre du paragraphe4 de l’arti cle77 du traité de paix de 1947: le champ
d’application ratione materiae de la clause de renonciation
4. Le texte du paragraphe4 de l’article77 du traité de paix de1947, que Mesdames et
Messieurslesjuges trouveront dans leur dossier indique clairement, lorsqu’on l’interprète
correctement, que le champ d’application de la clause de renonciation est limité et n’englobe pas
les violations graves du droit international humanitaire.
5. La clause stipule que l’Italie renonce à toutes réclamations qui n’étaient pas réglées
le 8 mai 1945. Cette renonciation concerne nécessairement les réclamations qui avaient déjà été
présentées sous une forme ou sous une autre à la date de la cessation des hostilités. La disposition - 18 -
ne vise pas seulement des faits qui se sont produits avant le 8 mai 1945. On voit mal comment une
telle clause pourrait inclure toutes les réclamations futures , comme certains le voudraient. Bien
entendu, les réclamations futures n’étaient p as réglées le 8mai1945, mais en réalité les
réclamations futures à proprement parler ne s’étaient pas fait jour à cette date. Par définition, les
situations qui ne faisaient pas encore l’objet de demandes de paiement ne sauraient être qualifiées
de réclamations et de ce fait toute demande de cette nature présentée à une date ultérieure n’entre
pas dans le champ d’application de la clause. Il serait déraisonnable de considérer que l’expression
er
«réparation non réglée» renvoie à tous les faits intervenus entre le 1 septembre 1939 et le
8mai1945. Si les rédacteurs avaient voulu parler des faits, quel qu’i
ls soient, sur lesquels des
réclamations auraient pu être fondées, ils l’auraient fait. Toute autre interprétation de la notion de
«réclamation non réglée» irait à l’encontre de la lettre de cette disposition et serait donc
irrecevable.
6. En second lieu, et il s’agit là d’un point crucial : cette disposition concerne expressément
les réclamations à car actère économique. Elle porte exclus ivement sur les réclamations qui
résultent de contrats et d’autres obligations qui étaient en vigueur après le 1 erseptembre 1939.
27 C’est ce qui ressort non seulement de la lecture du texte de la disposition, mais également de son
interprétation contextuelle et systématique: en pa rticulier lorsque l’on considère que l’article77
porte entièrement sur des questions relatives à la propriété et aux biens 11.
7. A cet égard, il est intéressant de noter que l’Allemagne elle-même, dans sa réplique, a
reconnu que cette disposition concerne essentiellement des questions économiques 12. Bien qu’elle
tente ensuite, déraisonnablement, d’élargir l’inte rprétation de cette clause en ne mettant l’accent
que sur la seconde partie de la disposition, censée ju stifier une interprétation plus large, le passage
en question ne doit pas être interprété isolément.
8. Pour être plus précis, arrêtons-nous sur ce tte seconde partie du pa ragraphe4. Il y est
question de «créances», puis de toutes les réclamations de caractère intergouvernemental relatives à
«des accords conclus au cours de la guerre». Seuls les tous derniers mots de cette disposition
précisent qu’elle s’applique également «à toutes les réclamations portant sur des pertes ou des
11
Voir par. 1-3 et 5 de l’article 77 du traité de paix de 1947.
12Réplique de l’Allemagne (RA), par. 23. - 19 -
dommages survenus pendant la gue rre». Cependant, même ces deux derniers termes («pertes» et
«dommages»), qui pourraient en théorie paraître d’acception plus large, doivent être interprétés à la
lumière de l’ensemble de la disposition. Sel on toute interprétation raisonnable, ces termes doivent
nécessairement renvoyer aux pertes et dommages liés aux accords, contrats, créances et autres
obligations contractuelles mentionnés plus haut et aux relations économiques sous-jacentes. Rien
dans cette disposition n’indique que sont visées des réclamations de quelque autre nature. La
seconde phrase du paragraphe 4 ne peut être interprétée comme une clause autonome ; elle doit être
lue avec la première partie du même paragraphe et à la lumière de la portée de l’article 77, qui est
entièrement consacré aux questions économiques. On révèle ainsi la véritable portée de la clause
de renonciation : elle vise toutes les réclamations non réglées relatives à des questions économiques
et à des questions financières pendantes découlant d’accords conclus pendant la guerre.
9. Cette interprétation textuelle et contextu elle devient encore plus évidente lorsqu’on
interprète le paragraphe4 de l’ article77 de façon systématique et élargie, en le comparant à
d’autres dispositions du traité, comme l’article76 (que les juges trouveront également dans leur
dossier). L’article76 contient des clauses de renonciation au bénéfice des puissances alliées qui
sont formulées d’une façon beaucoup plus détaillée. Elles sont également plus larges et toutes leurs
conséquences sont précisées de façon expresse. E lles visent «toute réclamation de quelque nature
que ce soit», ce qui inclut «les réclamations relatives à des pertes ou dommages subis par suite de
l’action des forces armées ou des autorités de puissances alliées ou associées», et les «réclamations
28
résultant de la présence, des opérations ou de l’action des forces armées ou des autorités de
puissances alliées ou associées». En bref, ces dis positions sont plus précises et mentionnent
explicitement les conséquences des actions des autorités et des forces armées liées à leurs
opérations en Italie. En outre, l’article 76 ⎯ par opposition au paragraphe 4 de l’article 77 ⎯ n’est
pas limité aux réclamations «non réglées». Ce dernier point permet de souligner a contrario que
les réclamations futures doivent inévitablement être exclues du paragraphe 4 de l’article 77.
10. S’ils avaient voulu conférer à la clause de renonciation du paragra phe4 de l’article77
une portée aussi large qu’à celles figurant à l’article76, les auteurs auraient utilisé les mêmes
termes ou expressions, ou la même technique; ou il s auraient tout simplement renvoyé au champ
d’application de l’article76. Mais de toute évid ence, le paragraphe4 de l’article77 a une portée - 20 -
plus étroite et ne contient pas l’expressi on beaucoup plus large: «toute réclamation de quelque
nature que ce soit».
11. Le paragraphe4 de l’article77 concerne des réclamations non réglées à caractère
exclusivement économique. La conclusion inévitable d’une inte rprétation littérale, contextuelle et
systématique de cette disposition est qu’elle n’englobe pas les violations graves du droit
international humanitaire. En con séquence, l’Allemagne était et est toujours tenue, au regard du
droit international, d’accorder une réparation appropriée aux victimes italiennes des crimes de
e
guerre commis par le III Reich.
ii) L’impossibilité de déroger à l’obligation de réparation à raison de violations graves
du droit international humanitaire
12. Venons-en maintenant à un autre argument qui mérite d’être quelque peu clarifié: une
clause de renonciation générale ne prévoyant au cune réparation à raison des crimes de guerre
aurait-elle été possible? Ainsi que cela est e xposé plus en détail dans le contre-mémoire, la
responsabilité de l’Etat résultant de manquements graves au droit international humanitaire devrait,
dans une large mesure, être considérée comme «intransgressible» (Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestin ien occupé, avis consultatif du 9juillet2004 ,
C.I.J. Recueil 2004 (I), par.157). Cela découle de la règl e bien établie (et codifiée dans les
conventions de Genève de 1949) selon laquelle un Etat ne saurait s’exonérer lui-même, ni exonérer
un autre Etat, de pareille responsabilité.
13. Le régime juridique de la responsab ilité à raison de violations graves du droit
international humanitaire peut être défini en se réfé rant à l’article 3 de la quatrième convention de
LaHayede1907, aux articles51, 52, 131 et 148 communs aux quatre c onventions de Genève
29 de1949 et à l’article91 du premier protocole additionnel de 1977. Ces dispositions sont
communément considérées comme reflétant le droit coutumier. Comme chacun sait, l’article3
disposeque «[l]a partie belligérante qui violer ait les dispositions du [Règlement de LaHaye]
sera…responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée»;
l’article51 (et les dispositions identiques des autres conventions de Genève) précise, quant à lui,
qu’«[a]ucune partie contractante ne pourra s’ex onérer elle-même, ni exonérer une autre partie - 21 -
contractante, des responsabilités encourues par elle-même ou par une autre partie contractante en
raison de[violations graves des conventions]» (les italiques sont de moi).
14. Il en ressort tout à fait clairement que, af in de préserver certaines valeurs fondamentales,
ce régime de responsabilité prévoit que les viola tions graves du droit international humanitaire
doivent donner lieu à réparation et que les Etats n’ont pas le droit de s’ exonérer eux-mêmes, ni
d’exonérer un autre Etat, des responsabilités encouru es en raison de ces viol ations. C’est qu’en
effet, ainsi que la présente Cour l’a affirmé avec autorité, les «règles fondamentales [du droit
humanitaire] constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier » (voir
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J.Recueil1996(I) ,
p. 257, par. 79 ; les italiques sont de moi). Si les Etats étaient autorisés à effacer la responsabilité
résultant des violations les plus graves du droit international humanitaire, que resterait-il du
caractère intransgressible de ces principes ?
Tant la logique juridique que les travaux pr éparatoires de ces dispositions montrent que
celles-ci visent à tout le moins à créer pour les Etats l’obligation d’examiner sérieusement, à la fin
d’un conflit, la question des répa rations à raison des crimes de guerre; de plus, ces dispositions
sont conçues comme un instrument permettant de faire en sorte que les prescriptions du droit
international humanitaire soient davantage respectées 1. En effet, ainsi qu’un éminent auteur l’a
précisé, «étant donné que les individus ne peuvent présenter directement leurs réclamations en se
fondant sur [l’article 3], il a été jugé primordial que les Etats ne renoncen t pas à leurs demandes en
14
réparation à raison de violations graves du droit humanitaire» [traduction du Greffe].
15. Nous ne répéterons pas ici les ar guments que nous avons présentés dans le
contre-mémoire. Il convient cep endant de souligner qu’une clau se de renonciation interprétée de
façon aussi large que l’Allema gne le préconise reviendrait à exonérer celle-ci de toute
30 responsabilité à raison des crimes de guerre commis contre des victimes italiennes et des
conséquences de cette responsabilité . Or, pareille renonciation aurait été impossible au regard du
droit international. Quoique les Etats jouissent d’ une très grande latitude dans la conception des
13
Ch. Greenwood, International Humanitarian Law (Laws of War), in F. Kalshoven (dir. publ.), The Centennial
of the First International Peace Conference, Martinus Nijhoff Publishers (2000), p. 250.
14A. Gattini, To What Extent are State Immunity and Non-Justiciability Major Hurdles to Individuals’ Claims for
War Damages?, in Journal of International Criminal Justice, 2003, p. 351. - 22 -
systèmes de réparations, aucune interprétation ra isonnable du régime de la responsabilité des Etats
à raison de crimes de guerre ne saurait partir du principe que ceux-ci renoncent purement et
simplement à leurs réclamations ainsi qu’à celles de leurs nationaux, et ce, sans contrepartie. Un
règlement exige en effet une forme de relation synallagmatique. Accepter une interprétation très
large de la clause de renonciation serait illogiqu e et reviendrait en fait à effacer toutes les
conséquences de la responsabilité; de plus, cel a affaiblirait considérab lement l’ensemble du
système de garanties en matière de droit international humanitaire. A cet égard, il a été précisé que
«le devoir des Etats d’indemniser les victimes des violations du droit de la guerre qu’ils
commettent … pourrait se révéler un moyen important pour les encourager à respecter ce droit» 15
[traduction du Greffe] . Or, de toute évidence, ce «moyen important» serait mis en échec si les
Etats avaient le droit de s’exonérer eux-mêmes ou d’exonérer d’autres Etats de la responsabilité
résultant de la commission de crimes de guerre. Le fait de considérer que les Etats seraient
autorisés à conclure des accords qui annulent purement et si mplement les conséquences de leur
responsabilité à raison de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité s’apparente en tous
points à une autorisation ou à une légalisation post facto de la violation de règles pourtant
«intransgressibles». A cet égard, il a été précisé ce qui suit :
«Il convient … de douter que la Cour ait voulu indiquer tout simplement … que
les principes en question ne doivent pas être transgressés : cela est vrai, en effet, pour
n’importe quelle norme juridique prescrivant une quelconque obligation…la Cour a
entendu proclamer quelque chose de bien plus incisif et significatif, sans doute dans le
but de rapprocher les règles fondamentales ainsi qualifiées [du] jus cogens.» 16
16. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué au cour s de la présente instance, le régime de la
responsabilité des Etats à raison des violations l es plus graves du droit international humanitaire
était déjà en vigueur dans les années1940 en tant que droit coutumier, lequel a été codifié par la
suite dans les conventions de Genève de 1949. Ces dispositions, lues conjointement avec celles qui
portent sur le traitement des personnes protégées, pourraient être considérées comme un précurseur
15Voir Greenwood, op. cit., supra note 13, p. 251.
16Voir L.Condorelli, «La Cour internationale deJustice sous le poids des armes nucléaires jura non covet
curia», in Revue internationale de la Croix Rouge, 1997, 823, par.4, http://www.icrc.org/fre/resources/documents/
misc/5fzh76.htm. - 23 -
de la notion de jus cogens. Dès lors, toute clause exonérant un Etat de sa responsabilité à raison de
17
crimes de guerre serait entachée d’illicéité .
31 17. Une disposition interdisant aux Etats de s’exonérer eux-mêmes de toute responsabilité
implique également qu’ils ne sauraient valablem ent conclure d’accords pour parvenir à ce même
résultat, y compris au profit d’une tierce partie. Par conséquent, la seule interprétation correcte de
la clause, cohérente avec le caractère intransgressible des principes en question, est qu’elle ne
s’applique pas aux violations graves du droit intern ational humanitaire. Cette clause n’a jamais été
conçue comme telle et, même à supposer le c ontraire, toute tentative de renoncer à des
réclamations découlant de pareilles violations serait illicite et dépourvue d’effet.
C.La clause de renonciation de1947 en tant que simple report de la question des
réparations, et les accords ultérieurs entre les Parties
18. Le deuxième argument est que, en tout état de cause, la clause de renonciation de1947
n’était pas censée s’appliquer au profit de l’Allemagne en tant que telle. L’objet et le but du traité
de paix, qui portait essentiellement sur les relations entre l’Italie et les puissances alliées, n’étaient
certainement pas de procéder à un règlement fina l des réparations à raison des crimes de guerre
entre l’Italie et l’Allemagne. Cela ressort non seulement de la lettre du traité, mais aussi de la
pratique conventionnelle ultérieure des deux Etats.
19. A cet égard, je me référerai à l’accord de Londres de1953 sur les dettes extérieures de
l’Allemagne et aux deux accords de 1961 par lesque ls celle-ci offrait une indemnisation pour deux
catégories de réclamations formulées par l’Italie et des nationaux italiens.
20. Comme chacun sait, les deux accords de 1961 portent, d’une part, sur le règlement de
certaines questions économiques pendantes et, d’autre part, sur l’indemnisation des victimes de la
persécution nazie. Seul ce dernier volet ⎯ «l’accord d’indemnisation» ⎯ est donc pertinent aux
fins du présent différend; encore ne traitait-il que d’un des aspects des réparations dues par
l’Allemagne aux victimes italiennes de graves vi olations du droit international humanitaire et
constituait-il, ainsi que l’Allemagne le reconnaît, une mesure d’inde mnisation partielle de certaines
catégories limitées de victimes 18. Nos contradicteurs l’ont d’aille urs rappelé hier en indiquant que
17
Voir Gattini, op. cit., supra note 14, p. 366.
18
RA, par. 33. - 24 -
«l’Allemagne a[vait]…décidé d’indemniser ce rtains groupes de vic times … notamment les
19
victimes de persécutions raciales» . Par conséquent, la questio n des réparations à raison des
crimes de guerre commis à l’encontre de toutes les autres catégories de victimes n’a pas été traitée
en 1961, et elle ne l’a pas été par la suite.
32 21. Les accords de 1961 eux aussi contenaient de s clauses de renonciation, mais celles-ci ne
s’appliquaient qu’aux réclamations qui entraient spécifiquement dans leur champ d’application, à
savoir les questions économiques pendantes et les demandes d’indemnisation formulées par les
victimes de persécutions.
22. Le fait qu’aucune décision finale n’a été prise en ce qui concerne la réparation à raison
des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le cadre des relations entre les deux pays
ressort en outre de la ratification ultérieure pa r l’Italie, en1966, de l’accord de Londres sur les
dettes extérieures de l’Allemagne. De toute év idence, le fait que plusieurs questions étaient
toujours pendantes ne faisait mystère pour personne, et elles ont dû être reportées à une date
ultérieure. L’article 5 de l’accord de Londres re nvoie d’ailleurs plusieurs questions ayant trait aux
réparations sont reportées au règlement définitif du problème des réparations , ce qui confirme que
la question des réparations à raison des crimes de guerre n’avait pas été réglée à l’époque.
23. En1990, après la réunification de l’A llemagne, lorsque le traité «4+2» entre les
puissances alliées et les «deux Allemagnes» a été conclu, cette question n’a pas même été évoquée.
Cela peut être interprété de diffé rentes manières. Quoi qu’il en soit, cela ne signifie pas que cette
question ait été considérée comme ayant été régl ée auparavant ; cela indique seulement qu’aucune
solution n’a été trouvée. Ni la clause de renonciation de 1947 ni les accords de 1961 ne constituent
un règlement des réparations à raison des crimes de guerre ; même en 1990 (et depuis lors), aucune
mesure n’a été prise en ce qui concerne la question des réparations à raison des graves violations du
droit international humanitaire. En résumé, la question des réparations reste ouverte.
19
CR 2011/17, p. 35, par. 32 (Tomuschat). - 25 -
D. Résumé : l’Allemagne demeure tenue d’accorder une réparation appropriée aux victimes
italiennes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité
24. Les remarques exposées ci-dessus me permettent de formuler quelques conclusions
préliminaires : tout d’abord, l’Allemagne n’a jamais indemnisé les victimes italiennes de crimes de
guerre et de crimes contre l’human ité au motif que le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix
de 1947 l’aurait libérée de toutes ses obligations.
25. Cette disposition n’a toutefois pas exonéré l’Allemagne ⎯ et ne pouvait pas
l’exonérer ⎯ de sa responsabilité à raison de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les
violations graves du droit international humanita ire ne peuvent être assimilées à des questions
économiques, à des dettes, à des pertes ou à des dommages au sens large. Les violations graves du
droit international humanitaire sont des violations du droit international tout à fait particulières,
comme l’est l’obligation de les réparer. Ces ob ligations juridiques ne peuvent être purement et
33 simplement écartées. Les Etats peuvent évidemment convenir de la ma
nière de régler les
demandes d’indemnisation liées à de telles violations, mais ils ne jouissent pas d’un pouvoir
discrétionnaire absolu aux fins de la conclusion des accords y afférents. Ils doivent respecter
certains principes fondamentaux et veiller à ce que le règlement n’ait pas simplement pour effet
d’effacer les conséquences découl ant de la responsabilité, les vic times devant être indemnisées
sous une forme ou sous une autre.
2. Quel devrait être le régime de réparation pour les victimes italiennes de graves violations
du droit international humanitaire ?
26. Les demandeurs se répartissent, pour l’essentiel, en trois catégories: premièrement, les
personnes ayant été arrêtées en territoire italien et déportées en Allemagne où elles ont été
astreintes au travail forcé; deuxièmement, les membres des forces armées italiennes ayant été
capturés par les autorités nazies, privés de leur stat ut de prisonnier de guerre et astreints au travail
forcé; et, troisièmement, les victimes de massacres perpétrés par les forces allemandes, des
centaines de civils lors de chaque incident, y compris des femmes et des enfants, qui ont été
assassinés.
27. L’Italie ne conteste pas le «pouvoir des Etats de conclure des accords prévoyant
l’indemnisation des victimes de violations grav es du droit international humanitaire». Nous
relevons cependant qu’aucun régime de réparation n’a été mis en place pour l’une quelconque de - 26 -
ces catégories de victimes italiennes, y compris M. Ferrini et toutes les personnes se trouvant dans
une situation similaire, ou pour toutes les victimes de massacres commis en Italie par les nazis.
28. A cet égard, quelques commentaires s’impo sent quant à la situation particulière de
certaines catégories de victimes. En ce qui con cerne les internés militaires italiens, les propos
tenus par l’Allemagne dans sa réplique au suje t du système mis en place en 2000 avec la fondation
«Mémoire, responsabilité et avenir» sont stupéfiants : elle donne l’impression de se voiler la face.
L’Allemagne indique en effet que, «[e]n tant que prisonniers de guerre, les membres de ce groupe
n’avaient pas été pris en compte dans ce régime de réparation» 20. L’une des violations que le
e
III Reich a commise à l’encontre de ces personnes ét ait justement de refuser de leur reconnaître le
droit d’être traitées comme des prisonniers de gue rre. Plus de cinquanteans après, la nouvelle
Allemagne, enfin réunifiée, dit à ces mêmes personnes qu’elles ne peuvent être indemnisées dans le
cadre du régime mis en place par la Fondation parce qu’elles étaient des prisonniers de guerre.
Cela est surréaliste : c’est un vide juridique kafkaïen. Alors même qu’elles auraient dû être traitées
comme des prisonniers de guerre, ces personnes ne l’ont pas été. Or, l’Allemagne les considère,
34 aujourd’hui, comme des «prisonniers de guerre» pour ne pas les indemniser. Est-il besoin
d’éléments de preuve supplémentaires afin d’établir qu’il y a bien déni de justice ?
29. En outre, en ce qui concerne la dernière catégorie de victimes —à savoir les civils
exterminés pour punir des villages entiers du soutien qu’ils auraient apporté à la résistance—, il
convient de relever que ce n’est que récemment —dans les années 1990— que des preuves des
e
massacres perpétrés par les agents du III Reich en Italie ont été découvertes, et que plusieurs
affaires sont aujourd’hui portées devant des juridictions pénales en Italie. Dans le cadre de ces
instances pénales, les victimes ont formé des demandes civiles à la fois contre les anciens agents de
l’Etat accusés des crimes et contre l’Allemagne elle-même en tant qu’Etat responsable de ces
violations.
30. Deux des principaux éléments de ces a ffaires méritent d’être pris en compte.
Premièrement, ces crimes n’avaient pas encore été établis ⎯et, dans certains cas, les victimes
n’avaient pas même été identifiées ⎯ à l’époque où l’Allemagne prét end avoir été exonérée de sa
20
RA, par. 13. - 27 -
responsabilité, c’est-à-dire en1947. Il en va de même des accords de1961. Ces réclamations ne
peuvent dès lors pas entrer dans les prévisions des dispositions de ces traités. Deuxièmement, si les
arguments de l’Allemagne relatifs à la portée de la clause de 1947 étaient exacts, s’en suivrait une
situation paradoxale puisque cette clause vaudrait à la fois pour l’Allemagne et ses ressortissants :
la responsabilité des défendeurs pourrait encore être établie au pénal, mais pas au civil. Cela serait
absolument illogique et pareille solution ne saurait être expliquée de manière convaincante.
L’évolution récente du droit pénal international — comme, par exemple, les statuts de la CPI et du
Tribunal spécial pour le Liban — atteste que la responsabilité pénale et la responsabilité civile pour
crime de guerre vont de pair. Rien ne justif ie d’exonérer l’auteur de l’infraction de sa
responsabilité civile, et rien ne justifie d’exonérer l’Etat responsable. Selon la thèse développée par
l’Allemagne, la clause de renoncia tion exonérerait à la fois l’Allemagne et les défendeurs de toute
responsabilité civile, alors même que ces derniers, en dépit de leur grand âge, pourraient encore
faire l’objet de poursuites pénales. Si l’inte rprétation que fait l’Allemagne de la clause de
renonciation était la bonne, les demandeurs pourraient obtenir la condamnation des défendeurs au
pénal, mais ils ne pourraient obtenir d’eux aucune indemnisation. Comme indiqué dans le
commentaire faisant autorité publié sous la direct ion de M.Pictet, il «paraîtrait injuste que les
35 individus fussent punis alors que l’Etat au nom de qui ils agissent —et parfois sur ses
instructions — serait libéré de toute responsabilité» 21. Serait-ce logique ? Assurément pas.
3. Non-pertinence aux fins du présent différend de la question relative
au droit des particuliers à réparation
31. Pour terminer, je souhaitera is dire quelques mots sur une question subsidiaire, mais fort
sensible : le droit individuel à réparation. L’Allemagne s’est longuement attachée, dans sa réplique
et dans ses plaidoiries, à démontrer qu’il n’existe pas de droit individuel à réparation. Il est
quelque peu surprenant qu’elle accorde autant d’importance aux arguments visant à nier l’existence
d’un tel un droit. La question posée en la présente affaire est celle de la responsabilité de l’Etat
e
dans sa dimension interétatique. Des crimes ont été commis en Italie par des agents du III Reich ;
l’Allemagne en a assumé la responsabilité; la r esponsabilité emporte obligation d’indemniser les
21
J. Pictet (dir. publ.), Commentary to the Fourth Geneva Convention, art. 148, p. 603. - 28 -
victimes ; il n’y a pas eu indemnisation. L’Alle magne a donc violé les obligations internationales
lui incombant et demeure tenue d’indemniser de manière appropriée les victimes italiennes de
crimes de guerre. C’est tout. La question du droit des victimes à obtenir réparation à titre
individuel ne se pose pas. Ce qui nous intéress e aujourd’hui, c’est que l’Allemagne ne se soit
jamais conformée à l’obligation, intransgressible, qui lui incombe d’indemniser les victimes et
l’incidence que cela a eu sur certaines instances devant les tribunaux italiens.
32. Il convient de noter en passant que, du point de vue de la méthode, l’Allemagne se fonde
souvent sur des considérations politiques et non sur le droit: elle tente de brosser un tableau
catastrophique des conséquences qu’aurait une déci sion qui reconnaîtrait aux victimes le droit
d’assigner les Etats devant les tribunaux internes à raison de violations graves du droit international
humanitaire. L’Italie ne prie toutefois pas la Cour d’établir que les victimes individuelles de
violations graves du droit international humanitair e ont un droit illimité de demander directement
réparation devant les tribunaux internes ; et encore moins de remettre en cause des accords que les
Parties ont mûrement réfléchis.
33. L’obligation d’indemnisation consacrée à l’article3 de la IV econvention de La Haye
de1907 doit être considérée comme la pierre angulaire d’un système dans le cadre duquel les
36 violations graves du droit international humanitaire doi vent être réparées. Il peut être satisfait à
cette obligation soit par le biais d’accords interétatiques, soit par le biais d’une indemnisation
directe des victimes, soit par la mise en place, pa r les parties concernées, d’autres mécanismes.
Toutefois, si aucune de ces mesures n’est prise, il n’y a pas réparation et il n’y a pas exonération de
responsabilité. Il est impossible de nier la responsabilité et le droit des victimes à réparation. Les
Etats doivent négocier des accords par lesquels les ob ligations de réparation sont mises en Œuvre.
Ce n’est qu’en dernier recours, lorsqu’aucune autre voie n’est ouverte, que l’on peut soutenir
⎯comme d’aucuns l’ont fait— que les victimes pourraient être fondées à demander réparation
directement devant les tribunaux internes 22.
22
Voir, bien qu’avec certaines nuances, Gattini, op. cit., supra note 6, p. 367. - 29 -
4. Conclusion
34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Italie partage l’opinion de
l’Allemagne selon laquelle l’immunité «a conservé sa justification en tant que règle de bon sens
permettant, dans les relations inte rétatiques, de régler, de manière mûrement réfléchie, par voie de
négociation et de traité, la question des dommages» 2. L’Italie convient également que «le
règlement des dommages de guerre suit généralement les mécanismes habituels de la diplomatie
internationale…[et qu’]il est possible de veiller à un équilibre prudent des droits et obligations
24
réciproques» . Cependant, la présente instance tient précisément au fait que la question des
dommages causés par le III e Reich aux victimes italiennes n’a pas été réglée de manière mûrement
réfléchie et qu’un «équilibre prudent des droits et obligations réciproques n’a pas été réalisé».
35. L’Italie est également d’accord avec l’ Allemagne lorsque celle-c i indique qu’«un Etat
tenu à des réparations jouit d’un large pouvoir di scrétionnaire quant aux voies et aux moyens de
s’acquitter de son obligation» 25. Toutefois, la question est précisément que cette réparation doit en
fin de compte avoir lieu. Le pouvoir discrétionnaire ne saurait être poussé jusqu’au point d’ignorer
les obligations qui découlent de la responsabilité de l’Etat pour crimes de guerre et de laisser des
milliers de victimes sans aucune forme de réparation.
36. L’important en l’espèce est que l’Allemagne était tenue de réparer mais qu’elle ne s’est
pas acquittée de cette obligation. Elle demeure tenue de réparer les violations graves du droit
international humanitaire et, puisqu’elle ne s’est ac quittée de ses obligations ni envers l’Italie ni
37
envers les victimes italiennes, les tribunaux italiens se sont retrouvés contraints d’écarter
l’immunité de l’Etat pour ne pas contribue r au maintien d’une situation illicite, comme mes
collègues l’expliqueront plus en détail.
37. Assez de temps s’est écoulé depuis les événements pour que l’Allemagne puisse
procéder aux réparations nécessaires; or, certaines décisions négatives prises par les autorités
allemandes pendant cette période sont encore venues confirmer que l’ Allemagne n’avait pas
l’intention de s’acquitter de ses obligations. Il était donc devenu manifeste que le seul moyen de
faire exécuter des obligations intransgressibles était de refuser l’immunité invoquée.
23RA, par. 4.
24
Ibid., par. 6.
25Ibid., par. 11. - 30 -
38. L’Allemagne fait valoir que «le régime de réparation reposait entièrement sur le principe
selon lequel celle-ci devait être demandée et vers ée exclusivement à titre collectif au niveau
interétatique… Un régime de réparation de ce type ne saurait être remis en cause rétroactivement.»
L’Italie réaffirme qu’elle n’entend pas remettre en cause un régime de réparation solidement fondé.
Le problème, en l’espèce et dans les affaires portées devant les tribunaux italiens, est
qu’absolument aucun régime de réparation n’était en vigueur dans les situations concernées, et que
tel est toujours le cas aujourd’hui. Il ne serait pas sérieux de considérer comme «un régime de
réparation» une clause de renonciation à toutes les réclamations accompagnée de quelques mesures
à titre gracieux reconnues comme partielles.
39. A ce jour, il n’y a pas eu réparation pour la simple raison que l’Allemagne considérait de
manière erronée qu’elle n’avait pas d’obligation. A cet égard, nul ne doit supposer que l’Italie est
restée silencieuse pendant des décennies. Elle contesta tout d’abord l’interprétation faite par
l’Allemagne de la clause de1947 et ceci donna lieu aux accords de1961. Elle ratifia ensuite
l’accord de Londres qui reportait le règlement de la question des réparations. Après 1990, l’Italie
espéra que cette question pourrait être réglée par des mesures adoptées par l’Allemagne dans son
ordre juridique interne. Ce ne fut toutefois pas le cas. Bien évidemment, les deux pays entretenant
des relations amicales, l’Italie, bien que soulevant cette question de temps à autre ⎯ comme le
montre par exemple la mission officielle effect uée pour soutenir les réclamations des anciens
internés militaires italiens ⎯, n’a pas voulu lui donner trop de place dans les relations bilatérales.
Cependant, maintenant que l’Italie a été amenée deva nt la Cour internationale de Justice au motif
que ses autorités judiciaires violent le droit interna tional, elle se doit de réagir avec fermeté. Elle
ne peut que déclarer que l’Allemagne n’a pas rempli ses obligations et qu’elle a adopté à l’égard
des victimes italiennes des décisions injustes qui constituent un déni de justice.
38 40. En conclusion, l’Italie espère que la C our jugera que l’Allemagne demeure tenue de
réparer les violations graves du droit international humanitaire commises pendant la seconde guerre
mondiale. Elle espère en outre que la Cour précisera qu’il s’agit d’une obligation n’admettant
aucune dérogation. La question peut, bien évidem ment, être abordée par la négociation au niveau
interétatique, mais le point de départ doit être la reconnaissance de l’obligation de réparation et de
certains principes fondamentaux devant régir ce processus de négociation. - 31 -
41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui conclut mon exposé
et je vous demanderais resp ectueusement, Monsieur le président, de bien vouloir ⎯ je suppose
après la pause ⎯ donner la parole à mon collègue, M. Palchetti. Je vous remercie.
Le PRESIDENT: Je remercie M.SalvatoreZa ppalà pour son exposé. Il semble que le
moment soit propice pour faire une brève pause-café. Nous allons faire une pause de
quinze minutes. Je reprendrai la séance à 11 h 45.
L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 50
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. J’invite M.Palchetti à
présenter son exposé.
M. PALCHETTI :
L’ ABSENCE D ’OBLIGATION D ’ACCORDER L ’IMMUNITÉ À L ’A LLEMAGNE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est la première fois que je
prends la parole devant la Cour internationale de Justice et je tiens à dire à quel point c’est pour
moi un honneur. Je suis chargé d’aborder deva nt vous la question de savoir si, dans les
circonstances de la présente espèce, l’Italie éait tenue d’accorder l’immunité juridictionnelle à
l’Allemagne.
2. Ma plaidoirie se divisera en deux parties. Da ns la première, je m’intéresserai au fait que
la plupart des affaires portées devant les juridictions italiennes concernent des crimes commis en
totalité ou en partie sur le territoire italieJe me propose de démontrer que ce qu’il convient
d’appeler «l’exception délictuelle» ⎯ ou «exception territoriale» ⎯ à l’immunité s’applique à des
39 actions en réparation de préjudices découlant d es crimes internationaux commis par l’Allemagne
nazie sur le territoire italien. Dans la seconde partie, j’aborderai la qu estion du conflit entre la
reconnaissance de l’immunité et l’application des normes impératives du droit international. Je
démontrerai qu’il existe des situations exceptionnelles dans lesquelles, en raison de ce conflit, il est
justifié de refuser l’immunité à un Etat étranger. - 32 -
1. Observationspréliminaires
3. Avant d’aborder ces questions, quelques observations préliminaires s’imposent.
4. Premièrement, le droit de l’immunité des Etats a été présenté comme l’un des domaines
du droit international où l’évolution est la plus rapide 26. Et cette évolution s’est toujours orientée
vers une restriction progressive de l’immunité. Démentant l’argument récurrent selon lequel toute
réduction de l’immunité accordée aux Etats étrange rs se traduirait inévitablement par un déluge
d’affaires portées devant les juridictions internes, le droit de l’immunité des Etats a évolué au fil du
temps sans que les relations entre Etats en soient réellement perturbées. Le fait est que le champ
des activités des Etats couvert par l’immunité ⎯pour reprendre les mots des juges Higgins,
Kooijmans et Buergenthal ⎯ «n’est pas gravé[] dans la pierre ; [il] est sujet[] à une interprétation
en évolution permanente qui varie avec le temps pour refléter l’évolution des priorités de la
société» (Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002 ; opinion individuelle commune de Mme Higgins, MK . ooijmans et
M. Buergenthal, p. 84-85, par. 72).
5. Deuxièmement, il est difficile de nier que de nos jours, la question la plus épineuse
concernant le droit de l’immunité des Etats est celle de savoir si cette immunité s’applique aux
affaires faisant intervenir de graves violations des règles fondamentales du droit international. Il
ressort de leurs prises de position et déclarations que les Etats sont de plus en plus conscients de la
tension fondamentale entre le principe de l’immunité et l’application effective des règles
impératives. Comme ne cessent de le répéter les juri dictions internes et internationales, le droit de
l’immunité des Etats, dans ce domaine, est manifestement en train d’évoluer.
6. Troisièmement, il est difficile de prédire aujourd’hui si ce processus d’évolution
débouchera sur une nouvelle exceptio n générale à l’immunité dans chaque cas de violation des
règles du jus cogens . L’Allemagne prétend qu’une nou velle règle prévoyant une exception
générale ne s’est pas encore fait jour. Cependant , la question devant la Cour ne concerne pas
l’existence d’une exception générale à l’immunité. L’Italie ne prie pas la Cour de dire que le droit
40
international, dans son état act uel, prévoit une telle exception gé nérale. Le problème qui est au
cŒur du présent différend est de savoir comment conc ilier la règle de l’immunité et l’application
26Voir l’avant-propos de Ch.Greenwood dans H.Fox, The Law of State Immunity , 2 éd., OUP, Oxford, 2008,
p. vii. - 33 -
effective des règles du jus cogens dans les affaires où accorder l’immunité revient à refuser les
réparations. Autrement dit, dans ce type de situation, les règles actuelles du droit international, et
notamment le droit de l’immunité des Etats sous sa forme actuelle, offrent-ils ou non une issue à ce
conflit en permettant à l’Etat du for de lever l’immunité ?
7. Ma dernière observation préliminaire concerne l’interprétation de la pratique des Etats, et
en particulier des décisions des tribunaux internes qui se sont penchés sur la question de la portée
de l’immunité des Etats en cas de violation des règles impératives. Comme on le sait bien, un
nombre non négligeable de décisions ont déjà été prises dans ce domaine. Ces derniers mois, deux
décisions importantes ont été rendues ⎯ l’une par la Cour supérieure du Québec et l’autre, par la
Cour de cassation française ⎯ qui tendent toutes deux à reconnaître que le principe de l’immunité
en matière d’actes se rattachant à l’exercice de dro its souverains peut faire l’objet de restrictions
27
dans ce type d’affaires . En ce qui concerne cette pratique, l’Allemagne continue de répéter que,
mis à part les arrêts Distomo et Ferrini, la situation qui se dégage est cohérente et limpide, et ne
corrobore nullement la thèse de l’Italie. Ici enco re, l’analyse du défendeur laisse à désirer.
L’Allemagne, en considérant cette pratique, n’a qu’une seule question à l’esprit : celle de savoir si
s’est fait jour une nouvelle règle prévoyant une exception générale à l’immunité en cas de violation
des règles impératives. Monsieur le président, je le répète: ce n’est pas la bonne question, et
l’Allemagne a tort de situer la pratique existante dans une perspective si étroite. Il est vrai que face
à des réclamations portant sur des violations de règles impératives du droit international, les
juridictions internes ont porté différentes appréciat ions sur la question de l’immunité dont jouit
l’Etat fautif. Nous soutenons que cette diversité reflète celle des circonstances propres aux affaires
considérées. Si chaque décision est évaluée à la lumière des circonstances propres à l’affaire visée,
et s’il est tenu dûment compte des motifs retenus par chaque juge pour accorder ou refuser des
réparations ou l’immunité, alors il devient clair que l’obligation d’accorder l’immunité pour des
41 actes relevant de l’exercice de la souveraineté en cas de violation des règles impératives n’est pas
27Canada, Cour supérieure du Québec, Kazemi (Estate of) and Hashemi v. Iran, Ayatollah Ali Khamenei and ors,
25 janvier 2011, 2011 QCCS 196 (http://www.canlii.org/en/qc/qccs/doc/2011/2011qccs196/2011qccs196.html)
et France, Cour de cassation, première c hambre civile , 9 mars 2011, numéro de pourvoi : 09-14743
(http://droit-finances.commentcamarche.net/jurisprudence/cour-de-cassati…
e-chambre-civile-1-9-mars-2011-09-14-743-publie-au-bulletin). - 34 -
aussi absolue que le prétend l’Allemagne ; au cont raire, son champ d’application peut faire l’objet
de certaines restrictions.
2. «L’exception délictuelle» et son applicabilité en l’espèce
8. Monsieur le président, permettez-moi d’ab order la question de l’ applicabilité en l’espèce
de «l’exception délictuelle». Je tiens à préciser d’emblée que l’Italie n’ignore pas que dans
certaines des instances introduites contre l’Allemagne, cette exception ne constitue pas un motif de
refuser l’immunité. C’est le cas, en particulie r, des actions en réparation intentées devant des
juridictions italiennes par d’anciens internés militaires italiens qui furent capturés en dehors du
territoire italien et déportés en Allemagne pour y être astreints au travail forcé. Il est clair qu’en
l’absence d’une connexion territoriale avec l’Etat du for, l’exception dé lictuelle ne s’applique pas.
La question de savoir si, dans ces affaires, le refus par les juridictions italiennes d’accorder
l’immunité à l’Allemagne constitue un fait in ternationalement illicite doit être apprécié
exclusivement à la lumière de l’autre argument présenté par l’Italie: dans toutes les procédures
engagées contre l’Allemagne, le refus de l’immunité était en tout état de cause justifié en raison du
conflit fondamental entre la reconnaissance de l’immunité et l’application des règles impératives du
droit international. Bien que le champ d’appli cation de l’exception délictuelle soit plus étroit,
celle-ci apporte une raison supplémentaire et distincte de rejeter les demandes de l’Allemagne.
9. Monsieur le président, une définition bien connue de l’exception délictuelle peut être
trouvée à l’article12 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des
Etats et de leurs biens. Selon cette définition :
«A moins que les Etats co ncernés n’en conviennent autrement, un Etat ne peut
invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre Etat, compétent en
l’espèce, dans une procédure se rapportant à une action en réparation pécuniaire en cas
de décès ou d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou en cas de dommage ou
de perte d’un bien corporel, dus à un acte ou à une omission prétendument attribuables
à l’Etat, si cet acte ou cette omission se sont produits, en totalité ou en partie, sur le
territoire de cet autre Etat et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était présent sur ce
territoire au moment de l’acte ou de l’omission.»
10. Il ne fait en principe guère de doute que selon cette définition, l’exception délictuelle
s’applique aux instances introduites contre l’Alle magne étant donné que celles-ci concernent des
demandes de réparation pécuniaire pour préjudices corporels ou matériels. - 35 -
11. Aux termes de l’article12, les actes ou omissions attribuables à l’Etat doivent s’être
produits, «en totalité ou en partie» sur le territoir e de l’Etat du for et l’auteur de l’acte ou de
42 l’omission doit avoir été présent sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission. C’est
précisément ce qui s’est passé dans la grande majorité des affaires portées devant la justice par les
victimes des crimes nazis. Il ne fait aucun doute que la clause de la responsabilité délictuelle
s’applique aux massacres commis par les troupes allemandes sur le territoire italien. Mais elle
s’applique aussi dans le cas des procédures engagées par les anciens internés militaires italiens qui
furent capturés en Italie par les forces alle mandes d’occupation et déportés en Allemagne.
L’Allemagne ne semble pas nier l’existence du lien territorial dans ces deux situations 28.
12. L’article12 ne fait pas de distinction entre les actes jure imperii et les actes jure
gestionis. L’exception délictuelle s’applique donc également aux affaires, comme celles portées
devant les juridictions italiennes, qui concernent des actions en réparation de dommages causés par
des Etats dans l’exercice de leurs pouvoirs souvera ins. M.Gattini a dit hier que, l’article12
s’appliquant également aux actes jure imperii, il était plus que douteux que cette disposition codifie
29
le droit international coutumier . Voilà qui est surprenant ! Cela l’est d’autant plus que, quelques
minutes plus tôt, M.Tomuschat avait fait observe r que la convention de New York «refl[était]
d’une manière générale» le droit coutumier, et que l’ag ent de l’Allemagne avait fait référence au
«droit coutumier, tel qu’il est exprimé à l’article12» 30. Si l’Allemagne veut dire que l’exception
délictuelle n’a pas conduit à la disparition de la distinction entre actes jure imperii et actes jure
gestionis 31, elle ne ferait qu’éluder la qu estion. La question est de savoir si le droit international
impose aux Etats l’obligation de reconnaître l’immunité pour les actes jure imperii dans les affaires
dans lesquelles l’exception délictuelle s’applique. La Commission du droit international a répondu
à cette question il y a vingt ans en se fondant sur une analyse approfondie de la pratique des Etats :
32
le droit international n’impose pas une telle obligation . Ce point de vue trouve confirmation dans
28Mémoire de l’Allemagne (MA), p. 43, par. 71.
29
CR 2011/17, p. 38, par. 4 (Gattini).
30
CR 2011/17, p. 29, par. 17 (Tomuschat), et p. 62, par. 6 (Wasum-Rainer).
31RA, p. 30, par. 52.
32CDI, Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs bien s et commentaires y relatifs,
publié dans l’Annuaire de la commission du droit international, 1991, vol. II-2, p. 45, par. 8. - 36 -
la pratique ultérieure des Etats et dans la doctrin e. Il est vrai que la distinction entre ces deux
catégories d’actes a été maintenue dans la juri sprudence de certains Et ats, ce qu’a reconnu la
Commission du droit international dans son commentaire relatif au projet d’articles sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens 33. Toutefois, cette pratique n’a pas
43 d’incidence sur la conclusion concernant la non-existence d’une obligation de reconnaître
l’immunité pour des actes jure imperii. Peut-être pourrait-elle être une raison de faire valoir que le
droit international n’impose pas aux Etats l’obligation de ne pas accorder l’immunité pour ces
actes. Mais cette question n’étant pas pertinente aux fins de la présente espèce, il n’y a pas lieu de
s’y attarder.
13. L’exception délictuelle peut être invoq uée «à moins que les Etats concernés n’en
conviennent autrement». Il ne fa it pas de doute que cette condition ne s’applique ni à la présente
instance, ni aux procédures engagées par les victimes italiennes, étant donné qu’il n’existe entre les
Parties aucun accord prévoyant un régime spécial ap plicable à ces actions. Il convient toutefois de
dire quelques mots de cette condition parce qu’e lle montre que, contrairement à ce que prétend
l’Allemagne, la reconnaissance d’une exception à l’immunité dans ce type d’affaires ne conduirait
en aucun cas à la «destruction» des mécanism es interétatiques traditionne ls de règlement des
différends 34. Sans aucun doute, l’application de l’ex ception délictuelle peut être exclue par un
accord. Il est révélateur que le commentaire de la Commission du droit international cite les
accords sur le statut des forces comme exemple d’accords qui prévoient généralement un régime
35
spécial d’immunité .
14. La dernière observation que je souhaite faire au sujet de la portée de l’exception
délictuelle concerne une restriction qui ne figur e pas à l’article l2, non plus qu’ailleurs dans la
convention de New York. L’Allemagne soutient que cette exception ne s’applique pas à des
36
situations de conflit armé, ce qui est sa principale objection à son applicabilité en l’espèce .
33Ibid.
34
RA, p. 31, par. 53.
35
Annuaire de la commission du droit international, 1991, vol. II-2, p. 45, note 152.
36Voir CR 2011/17, p. 39-40, par. 7-10 (Gattini). - 37 -
15. L’Italie a déjà démontré dans ses écritures en quoi les éléments invoqués par
l’Allemagne à l’appui de son interprétation restrictive de l’article12 ne peuvent être considérés
comme décisifs 37. Je ne répéterai pas ce qui a été dit et examinerai plutôt le postulat de base sur
lequel repose l’argumentation de l’Allemagne. Selon le demandeur, étant donné que certains
instruments internationaux et nationaux régissant la question de l’immunité des Etats excluent les
activités militaires de leur champ d’application, il en découle nécessairement qu’en l’état actuel du
droit international il existe une obligation d’accorder l’immunité à un Etat dans toutes les instances
44
introduites à la suite d’activités militaires. Monsieur le président, cet argument est faux.
16. L’article 31 de la convention européenne sur l’immunité des Etats exclut indubitablement
les activités militaires du champ d’application de la c onvention. Toutefois, cet article n’est qu’une
clause «sans préjudice de» qui, en elle-même, ne co nfère pas d’immunité aux Etats. Son insertion
dans la convention ne s’explique pas par la néce ssité de mettre les activités militaires à l’abri de
tout examen judiciaire devant les juridictions internes. Comme il ressort clairement du rapport
explicatif relatif à la convention, l’article 31 a pour objet de résoudre le problème du rapport entre
les règles générales énoncées dans la convention et les régimes spéciaux d’immunité établis au
moyen de traités bilatéraux ou multilatéraux, dont les accords sur le statut des forces 38. Etant
donné que la question de l’immunité en rapport avec les activités militaires fait généralement
l’objet d’accords spéciaux, les rédacteurs de la convention ont décidé d’exclure les activités
militaires de son champ d’application. L’observation que je viens de faire au sujet de la convention
européenne s’applique également aux deux législa tions internes qui, suiv ant la solution adoptée
dans cette convention, excluent les activités militaires de leur champ d’application.
17. La clause «sans préjudice de» figurant dans les législations du Royaume-Uni, du
Pakistan et de Singapour n’étaye en rien l’argument de l’Allemagne selon lequel l’immunité couvre
toutes les activités militaires d’un Etat 39.
37
Contre-mémoire de l’Italie (CMI), p. 54-56, par. 4.37-4.42 ; duplique de l’Italie (DI), p. 30-32, par. 4.5-4.8.
38 Rapport explicatif relatif à la conve ntion européenne sur l’immunité des Etats, reproduit dans A.Dickinson,
R. Lindsay, J. P. Loonam (sous la direction de), State Immunity. Selected Materials and Commentary , OUP, Oxford,
2005, p. 64.
39 Voir les lois britannique, singapourienne et pakistanaise sur l’immunité des Etats, respectivement intitulées UK
State Immunity Act, Singapore State Immunity Act et Pakistan State Immunity Ordinance , reproduites ibid., p.329, 496,
504. - 38 -
18. A l’inverse, un grand nombre de légi slations internes contredisent ouvertement
l’argument de l’Allemagne. Les lois du Canada et d’Israël par exemple, prévoient une exception à
l’application de la clause en matière de responsabilité délictuelle lorsque la présence d’une force
militaire étrangère sur leurs territoires respectifs est régie par un accord 40. Cela signifie que
l’exception délictuelle s’applique à toute autre situation, y compris celle de conflit armé. Les
législations d’autres Etats, dont celles des Etats- Unis, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud, de
l’Australie et du Japon, ne prévoient pas d’excep tion à la clause de la responsabilité délictuelle
41
45 pour les activités militaires . L’Allemagne essaye de minimiser l’importance de ces législations
nationales en avançant sans preuve que les législateurs n’avaient pas envisagé que des forces
42
armées étrangères puissent se comporter de manière hostile sur le territoire d’un Etat . Non
seulement cette théorie reste à prouver, mais en plus elle ne prouve rien. Les spéculations de
l’Allemagne ne peuvent prévaloir sur le libellé clair de ces législations. Le fait est qu’aujourd’hui
les juridictions internes de plusieurs pays s ont habilitées par leurs législations nationales
respectives à exercer leur compétence sur un Etat étranger pour des actions introduites à la suite de
préjudices commis par les forces armées de cet Etat sur le territoire de l’Etat du for. Suivre
l’opinion de l’Allemagne, amènerait à conclure que les législations de ces Etats sont manifestement
contraires à un principe bien établi du droit interna tional. Or, et c’est là l’important, l’adoption de
ces législations n’a pas été contestée par d’autres Etats.
19. Ces éléments de la pratique, peu nombr eux mais importants, suffisent à démontrer les
faiblesses de l’argument de l’Allemagne selon leque l la non-applicabilité de l’exception délictuelle
à des situations de conflit armé fait l’objet d’un large accord entre les Etats. Comme nous l’avons
vu, cela n’est tout simplement pas vrai. La pratique des Etats à ce sujet est loin d’être uniforme.
40Voir les lois canadienne et israélienne sr l’immunité des Etats, respectivement intitulées Canadian State
Immunity Act (ibid., p. 488) et Israëli Foreign States Immunity Law (MA, annexe 32).
41
Voir les lois nationales suivantes sur les immunités: la loi américaine intituléeUS Foreign Sovereign
Immunities Act (dans A. Dickinson, R. Lindsay, J.P. Loonam (sous la direction de), State Immunity. Selected
Materials and Commentary , OUP, Oxford, 2005, p.217); la loi argentine intitulée Inmunidad jurisdiccional
de los Estados extranjeros ante los tribunales argentinos ( ibid., p.461); la loi sud-africaine intituléeSouth
African Foreign States Immunity Act (ibid., p. 513) ; la loi australienne intitulée Australian Foreign States Immunity Act
(ibid., p.469), et la loi japonaise intitulAct on the Civil Jurisdiction of Japan with respect to a Foreign State
(www.japaneselawtranslation.go.jp).
42MA, p. 47, par. 76. - 39 -
On peut en déduire que dans ce genre de situation, un Etat est autorisé à accorder l’immunité à un
Etat étranger. Mais on ne peut pas dire qu’il est tenu de le faire.
20. Monsieur le président, je pourrais ne rien di re de plus au sujet de l’exception délictuelle
étant donné que l’analyse que je viens de faire su ffit à réduire à néant l’argument de l’Allemagne
concernant l’applicabilité de cette exception. Toutefois, un autre él ément doit être pris en compte.
Les actions introduites devant les juridictions italie nnes ne concernaient pas des délits ordinaires.
Elles concernaient des actes équivalant à des vi olations graves de normes impératives. Nous nous
trouvons au point de convergence de deux tendances différentes. D’une part, la tendance à refuser
l’immunité pour des actes commis sur le territoire de l’Etat du for, motivée par la nécessité, et je
cite la commission du droit international, «de donner aux particuliers la possibilité de demander
46 réparation ou d’avoir recours à la justice pour des dommages corporels ou des décès, et des
43
dommages matériels» . D’autre part, la tendance à admettre la possibilité de restrictions à
l’immunité en cas de violations graves de règles du jus cogens, motivée par la nécessité de trouver
un juste équilibre entre l’immunité et l’application des règles du jus cogens. Cette convergence
donne fortement à penser que, à tout le moins, il n’ existe pas d’obligation d’accorder l’immunité à
un Etat étranger en cas d’actions en réparation introduites pour violations graves de règles du jus
cogens commises sur le territoire de l’Etat du for en temps de paix ou en période de conflit armé.
21. L’observation que je viens de faire est corroborée par le fait que, aux fins l’immunité, les
juridictions internes semblent accorder de l’importance à l’endroit où la violation d’une règle de jus
cogens a été commise. C’est ainsi que dans l’affaire Bouzari c. Iran, la cour d’appel de l’Ontario a
conclu qu’il n’y avait pas d’exception à l’immunité «lorsqu’un acte de torture a été commis en
dehors de l’Etat du for » 44. Même dans l’affaire Al-Adsani, souvent citée, la Cour européenne des
droits de l’homme, (la CEDH), a pris soin de préciser que la pratique des Etats n’admettait pas
d’exception à l’immunité «en cas d’actions civiles en dommages-intérêts pour des actes de torture
45
qui auraient été perpétrés en dehors de l’Etat du for » . Cela donne à penser qu’à l’inverse,
43
Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II 2), p. 44, par. 3.
44Canada, cour d’appel de l’Ontario,Bouzari c.Iran , 30 juin 2004, par. 88 (dans International Law reports ,
vol. 128, p. 586 ; les italiques sont de nous).
45Voir CEDH, affaire Al-Adzani c.Royaume-Uni , 35763/97, arrêt du 21novembre2001, par.66; les italiques
sont de nous. - 40 -
l’immunité aurait pu être levée si l’acte incriminé avait été commis sur le territoire de l’Etat du for.
La même conclusion peut être déduite des déclara tions d’Etats, comme par exemple de celle de la
Suisse au moment du dépôt de son instrument de ratification de la convention de New-York 46.
22. Monsieur le président, pour résumer notre position, l’Italie soutient que l’absence d’une
pratique uniforme des Etats permet d’interpréter l’exception délictue lle à la lumière des priorités
contemporaines de l’ordre juridique internationa l. Par conséquent, un Etat n’est pas tenu de
reconnaître l’immunité souveraine pour des crimes internationaux qui ont été commis sur son
territoire, même si ces crimes ont été commis dans le cadre d’un conflit armé. Pour cette raison, du
moins pour ce qui est des crimes commis en totalité ou en partie sur le territoire italien, la thèse de
l’Allemagne voulant que l’Italie a violé son immunité juridictionnelle doit être rejetée.
47 4. Le conflit entre immunité et application des règles du jus cogens
23. J’aborde maintenant la deuxième partie de ma plaidoirie, qui traite du conflit existant, en
la présente affaire, entre la reconnaissance de l’immunité et l’application effective des règles du jus
cogens. Je serai concis sur ce point que M.Dupuy an alysera plus en détail. Permettez-moi de
commencer en examinant plusieurs arguments avancés par l’Allemagne pour tenter de nier
l’existence d’un conflit ; j’expliquerai ensuite pourqu oi, en la présente espèce, celui-ci justifiait de
lever l’immunité. M. Dupuy se penchera quant à lui sur la manière dont les juridictions italiennes
ont traité ce conflit.
24. L’Allemagne a invoqué un certain nombr e d’arguments à l’appui de sa thèse selon
laquelle aucun conflit n’oppose l’immun ité et l’application des règles du jus cogens . Son premier
47
argument repose sur la «fonction systémique» de la règle de l’immunité . Il n’y aurait pas de
conflit parce que l’immunité a pour but non pas de pr otéger un Etat auteur de faits illicites mais de
confier le règlement des demandes en réparation à des instances autres que les juridictions
nationales. L’Italie a déjà analysé ce point dans ses écritures 48. En résumé, elle concède qu’en
principe, il n’y a pas de conflit parce que l’immunité n’exclut que l’un des moyens de garantir le
respect des obligations relevant du jus cogens ⎯ à savoir, le recours aux juridictions nationales.
46Voir le texte reproduit dans la duplique de l’Italie, p. 36, par. 4.17.
47
MA, p. 34, par. 55.
48CMI, p. 80-85, par. 4.10-4.116 ; RI, p. 7-8, par. 2.8-2.9. - 41 -
Mais l’Allemagne ne voit pas l’e nvers de la médaille: que se passe-t-il si réparation ne peut être
obtenue par la voie des mécanismes opérant au niveau international? Peut-on nier que cette
situation ⎯ certes exceptionnelle ⎯ puisse donner naissance à un conflit ?
25. Le deuxième argument de l’Allemagne re pose sur l’affirmation selon laquelle les règles
du jus cogens sont toutes des règles primaires et il convi ent d’opérer une nette distinction entre ces
règles ayant la valeur de jus cogens et les règles secondaires rela tives aux conséquences juridiques
49
de la violation des règles primaires . En insistant sur cette distinction, l’Allemagne semble
suggérer qu’il ne peut pas y avoir de conflit parce que la notion de jus cogens a trait uniquement
aux règles primaires, tandis que la question de l’immunité concerne le domaine spécifique des
voies de recours disponibles en cas de violation de ces règles. Cet argument reflète manifestement
une interprétation trop étroite de la notion de jus cogens dont les effets ne se limitent pas au
domaine des règles primaires et se font sentir da ns celui du droit de la responsabilité des Etat, ce
48 que confirment les travaux de la Commission du dro it international. La distinction nette entre
règles primaires et règles secondaires préconisée par l’Allemagne semble donc très artificielle.
L’application effective des règles impératives une fo is que celles-ci ont été violées n’est pas moins
importante que la prévention d’un comportement incompatible avec elles. L’Allemagne voudrait
nous faire croire que le seul conflit possible oppose l’immunité et les obligations primaires de
comportement ayant caractère de jus cogens. Mais ce faisant elle ne reconnaît pas le conflit non
moins important entre l’immunité et l’application effective des règles du jus cogens.
26. Monsieur le président, je ne m’étendrai p as plus avant sur ce point et me bornerai à citer
le point de vue exprimé en la matière par l’Ins titut de droit international. Dans une résolution
adoptée il y a deux ans, celui-ci a examiné la questi on de la portée de l’immunité en cas de crimes
internationaux. Le préambule de cette résolution contient les dispositions ci-après, qui méritent
d’être citées longuement :
«L’Institut de droit international,
Considérant le conflit latent entre les immunités de juridiction des Etats et de
leurs agents, d’une part, et les réclamations liées à des crimes internationaux, d’autre
part.
49
MA, p. 53-55, par. 86-89 ; RA, p. 39-41, par. 65-67 ; CR 2011/17, p. 23, par. 5 (Tomuschat) et p. 49-59, par. 3
(Kolb). - 42 -
Désireux de contribuer à la solution de ce conflit.
Reconnaissant que la levée de l’immun ité lors de procédures engagées devant
des juridictions nationales est un des moye ns d’assurer aux victimes de crimes
50
internationaux une réparation effective.»
Permettez-moi de résumer les points importants de ce préambule: premièrement, il y a un
conflit ; deuxièmement, celui-ci oppose l’immunité et l’a pplication effective des règles du jus
cogens ; et, troisièmement, la levée de l’immunité est l’un des moyens de le résoudre.
27. J’en viens à présent à un dernier argument avancé par l’Allemagne. Cet argument repose
sur une interprétation a contrario de l’article 41 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats.
Son raisonnement est le suivant : étant donné que l’article 41 n’envisage pas la levée de l’immunité
parmi les conséquences des violations graves des rè gles impératives, il faut considérer que le droit
51
international n’autorise pas une telle mesure . L’interprétation de l’Allemagne sollicite
considérablement le texte de l’article 41. Je n’aborderai pas la question de la pertinence, aux fins
de la présente affaire, de l’obligation énoncée au paragraphe2 de l’article41 ⎯ point que
M.Dupuy abordera ultérieurement. J’attirerai simplement votre attention sur le fait que
49 l’Allemagne s’efforce de minimiser l’importance de la clause «sans préjudice de» figurant au
paragraphe3 de l’article41. Ainsi qu’il ressort clairement du commentaire de la Commission du
droit international, cette clause résulte de la c onviction «que le régime juridique applicable aux
violations graves [était] lui-même en cours d’élaboration» 52. En d’autres termes, la Commission
du droit international n’ignorait pas que, outre les conséquences énoncées à l’article41, le droit
international actuel pouvait reconnaître d’autres consé quences. Il est donc difficile de dire que cet
article étaye la thèse de l’Allemagne.
28. Ces arguments ayant été réfutés, je préciserai la position de l’Italie. L’Italie ne prétend
pas qu’il faut régler le conflit entre l’ immunité et l’application des règles de jus cogens en donnant
systématiquement la préférence à cette dernière. Elle fait toutefois valoir qu’il existe des cas
limites dans lesquels le droit international autori se la levée de l’immunité afin de permettre
l’application effective des règles du jus cogens. Ce point de vue reflète la conviction croissante
50
Résolution sur «l’immunité de juridiction de l’Etat et de ses agents en cas de crimes internationaux», Annuaire
de l’Institut de droit international, vol. 73, 2009, p. 226 ; les italiques sont de nous.
51
RA, p. 39-40, par. 66 ; CR 2011/17, p. 51, par. 4 (Kolb).
52CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y
relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II 2), p. 116, par. 14. - 43 -
⎯ que la Cour de cassation française a elle aussi récemment exprimée ⎯ que, lorsque le conflit est
insoluble, la priorité doit être donnée à l’application des règles impératives.
29. Il est vrai que l’existence d’un conflit insoluble doit être prouvée. Comme l’a récemment
fait observer la cour d’appel de La Haye dans la décision qu’elle a rendue en l’affaire des Mères de
Srebrenica, «[d]ans cette situation conflictuelle, il faut p eser le pour et le contre entre deux grands
principes de droit indépendants, dont un seul au final peut être déterminant» 53. La mise en balance
mentionnée par la cour d’appel s’applique égalem ent à la présente espèce. Cet exercice, qui vise à
apprécier si la levée de l’immunité est justifiée, implique la prise en compte d’un certain nombre
d’éléments, notamment les suivants :
⎯ la gravité de la violation commise ;
⎯ l’absence de tout différend sur la responsabilité de l’Etat pour les préjudices portés devant les
juridictions nationales ;
50 ⎯ le fait que les mécanismes disponibles sur le plan international n’ont pu assurer la réparation de
ces préjudices ; et
⎯ le fait que l’ordre juridique interne de l’Etat responsable n’offre aucune voie de recours
effective.
30. Monsieur le Président, il ne fait guère de doute en l’espèce que tous ces éléments
convergent vers un même résultat. Qu’il me soit permis de récapituler les circonstances propres à
l’espèce :
⎯ premièrement, les demandeurs individuels ont été vict imes des violations les plus graves des
règles impératives ;
⎯ deuxièmement, l’Allemagne a reconnu que ces crimes engageaient sa responsabilité;
⎯ troisièmement, l’Allemagne n’a pas conclu d’accords avec l’Italie en vue d’indemniser les
victimes ; et
⎯ quatrièmement, les victimes ne disposaient pas de voie de recours effective en vertu du droit
allemand.
53Pays-Bas, cour d’appel de LaHaye, Association «Mères de Srebrenica» c.Pays-Bas et Nations-Unies ,
30 mars 2010, par. 5.9, http://www.haguejusticeportal.net/Docs/NLP/Netherlands/Mothers_of_Srebr…
_Court_of_Appeal_30-03-2010.pdf. - 44 -
31. Le fait est que, plus de soixante ans ap rès les crimes commis pendant la seconde guerre
mondiale, le recours aux juridictions italiennes représentait pour les victimes le seul et dernier
moyen qui leur restait pour obtenir une forme de réparation. Dans ces conditions, le droit
international autorise la levée de l’immunité.
Voilà qui met fin à mon exposé. Je remercie les Membres de la Cour de leur aimable
attention et je demande à la Cour de bien vouloir donner la parole à Monsieur Dupuy.
Le PRESIDENT : Je remercie Monsieur Paolo Palchetti pour son exposé. J’invite à présent
à la barre Monsieur Pierre-Marie Dupuy.
Mr.DUPUY: Mr.President, Members of the Court, it is always a pleasure and a special
honour to appear before you. I do so today on behalf of the Republic of Italy, which I thank for its
confidence. The identity of the colleagues around me, to my right and to my left, would be enough
to strengthen my conviction that recourse to your Court is not only a peaceful way of settling
disputes, but also a very amicable one.
T HE REASONING OF THE ITALIAN SUPREME C OURT
1. Mr. President, Members of the Court, th is case can be characterized simply as one in
which one court judges another! The first is your own Court, or at least the judicial organ
51 constituted by you as the only court with both general and universal jurisdiction in the international
order. The second is the Italian Supreme Court (Corte Suprema di Cassazione) and, through it, the
nation of Italy which it serves as the court of final appeal.
2. This is not the first time that an international court is judging States through their domestic
courts. In fact, this is an increasingly frequent occurrence! Counting cases in which one or another
part of a State’s legal apparatus is challenged at some stage of a procedure, as many as ten cases - 45 -
54
may have been brought before your Court over the last twelve years , or nearly one per year on
average!
3. This is no coincidence. On the contrary, it is one of the consequences of the ever more
crucial position occupied by international law in what some call “the globalization” of law 55. One
of the characteristic features of this phenomenon is the growing propensity of individuals to invoke
the rights vested in them under international law before national courts.
4. In the face of this legal and social phenomenon, the traditional distinction between
“monism” and “dualism” retains its validity. However, the internationalization of the law on a
global scale is such that the above-mentioned distin ction is somewhat diluted. Thus, the present
case was originated by the highest court of a State with a deeply entrenched dualist tradition. It
was this Court, however, which referred to the prim acy of certain international norms in order to
justify its own ruling in its domestic order, albeit on the basis of Article10, paragraph1, of the
56
Italian Constitution ; but it could perfectly well have gi ven this provision a much more dualist
interpretation, which it refrained from doing. There is a good chance that Hans Kelsen would have
been delighted, while Dionisio Anzilotti, for his part, would have been very surprised!
5. As a consequence, the International Court of Justice, even though it cannot statutorily
claim to be in every respect the constitutional c ourt of an international legal order placed above
52 nation States and their laws, is nevertheless increasingly required to verify that the domestic courts,
which have thus frequently come to be termed the “ordinary law courts” of international law, apply
that law correctly.
This is an exalting function, but it is sometim es a delicate task! Indeed, through its courts, it
is the State itself which expresses its conception of the law. What could be taken a priori to be an
error or a violation of the law may in certain cases, when compared with similar court decisions in
54The dates indicate the year of entry in the General List of the Court. 1Vienna Convention on Consular
Relations (Paraguay v. United States of America); AhmadouSadioDiallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic
of the Congo); LaGrand (Germany v. United States of America) ; 2000: Arrest Warrant of 11April2000 (Democratic
Republic of the Congo v. Belgium); 2003: Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America) ;
Certain Criminal Proceedings in France (Republic of the Congo v. France); 2006: Certain Questions of Mutual
Assistance in Criminal Matters (Djibouti v. France); 2008: Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy:
Greece intervening); 2009: Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal); 2010:
Jurisdiction and Enforcement of Judgments in Civil and Commercial Matters (Belgium v. Switzerland).
55This expression is used by MireilleDelmas-Marty, Professor at the Collège de France. See in particular her
introductory work, Le relatif et l’universel, Paris, Seuil, 2004.
56“The legal system of Italy conforms to the generally recognized principles of international law.” - 46 -
other States, gradually take the shape of a collective opinio juris giving rise to a modification of the
law or of the interpretation made thereof. In international law, however, whatever may be said
about it, it is always the States themselves that are the primary lawmakers. Article38 of your
Statute bears witness to this fact. What States say, including through their courts, must therefore be
carefully watched to see whether they misinter pret international law or aim to foster its
development.
6. The fact remains that, in a period of far-reaching change affecting the whole of
international society and the development of inte rnational law, there are situations where an
underlying conflict may on occasion arise between some of the most well-established principles
57
and no less explicit but more recent rules . Both the domestic and the international courts are then
in a sense placed in situations not devoid of similarities. Both must no doubt take as their
starting-point the presumption that the most well -established principle, particularly when it
comprises a quasi-structural dimension, retains its full authority if not always its prevalence. But
they cannot stop there. In certain circumstance s at least, they are also required to examine
developments in the opinio juris which certain rules sometimes express, albeit in an as yet
unharmonized manner, in the practice of States, in order to see whether, when compared with the
facts of the case, they could possibly justify, at least in the case at issue, a reassessment of the
scope of the principle, despite its being universally recognized.
7. In the case which concerns us, that is pr ecisely the delicate position in which the Italian
Supreme Court found itself. Some years before the Institute of International Law itself made the
53 same finding, not in Rome but in Naples, the Italian Corte Suprema laid stress once again on the
crucial importance of the principle of State im munity from jurisdiction. Like the Institute,
however, it also observed that this rule was liable to conflict with “claims arising from international
57
“Considering the underlying conflict between immunity from jurisdiction of States and their agents and claims
arising from international crimes”: Preamble to the Naplresolution of the Institute of International Law (2009),
referenced in the following footnote (emphasis added). - 47 -
crimes”, to use the language of the above-mentioned resolution 58. It realized, in other words, that
the world was changing and that international law was changing with it. Furthermore, it
recognized also and above all that the only and absolutely last chance remaining for the victims of
such crimes to obtain reparation was for it to reso lve to set aside the no doubt fundamental, but in
no sense peremptory, principle of immunity from jurisdiction.
Th8e. Corte di Cassazione then came to regard itself, in the Ferrini case and those that
followed, as the court of final appeal in cases characterized as borderline cases since it had before
it:
⎯ claimants who had sought in vain for 50 years to obtain reparation;
⎯ for the consequences of war crimes and crimes against humanity;
⎯ for which Germany had however admitted that it had to bear responsibility;
⎯ but refused to provide reparation, by either diplomatic or judicial means.
9. Faced with this situation, the Supreme C ourt had to decide how to resolve the judicial
dilemma in which it found itself. There were two options: either to adhere to the strict application
of a theory of absolute immunity from jurisdic tion, thereby satisfying Germany but entrenching a
situation of denial of international justice; or to decide to set aside the sacrosanct rule of
Germany’s immunity from jurisdiction in this cas e, as the only way, ultimately, of enabling the
victims to gain access to reparation for the con sequences of international crimes, although it was
liable to fall subject to the invocation of Italy’s international responsibility.
54 10. For a better understanding of why the Supreme Court made the choice that gave cause
for these proceedings, it appears necessary to look back at the two horns of this judicial dilemma.
The treatment of each of them will form the framework of this presentation.
58Institute of International Law (IDI), The Fundamental Rights of the Person and the Immunity from Jurisdiction
in International Law; Rapporteur: Lady Fox; Yearbook of the IDI ⎯ Naples Session, Vol. 73, 2009, resolution, pp. 226
et seq.: Lady Fox, Provisional Report, pp.28 et seq., spec., pp.57 et seq. and pp.226 et seq.; see the commentary by
J. Salmon, La résolution de Naples de l’Institut de droit international sur less immunités de jurisdiction de l’Etat et de
ses agents en cas de crimes internationaux (the Naples resolution of the Institut e of International Law on the immunity
from jurisdiction of the State and of persons who act on behalf of the State in case of international crimes)
(10 Sep. 2009), in Revue belge de droit international, 2009, pp. 316 et seq., spec., pp. 331 et seq. - 48 -
I. The consequences that would have flowed from the strict application of a theory of absolute
immunity from jurisdiction
11. Confronted with the extreme gravity of the crimes committed, the persistent refusal of
Germany to provide redress and the distress of the victims, the Supreme Court had to decide
whether or not to uphold the judgments of the fi rst-instance and appeal courts; for the latter,
immunity from jurisdiction inevitably formed a barrier to acceptance of the claim filed by
Mr. Ferrini and subsequent claims by other victim s against Germany. The simplest solution would
no doubt have been to validate the refusal of the lower courts. However, compliance with the rule
of sovereign immunity would have had two major consequences. The first was that, by giving
precedence to a procedural rule over a substantive rule, the court would have remained insensitive
to the growing affirmation in contemporary international law of the importance of condemning
heinous crimes that are the subject of complaints by unsatisfied victims. The second consequence
would have been that, by adopting such an appr oach, the Italian Court of Cassation would have
contributed to the entrenchment of a situation of total denial of justice to the detriment of the
victims of war crimes and crimes against humanity, who would thus have been condemned to go to
their graves without receiving satisfaction. Let us take up these two points.
A. Jus cogens, procedure and substance
12. I referred earlier to the similarities betweenthe situation of domestic courts and that of
international courts. There are also basic differe nces between them. The International Court of
Justice cannot act unless States cons ent to its jurisdiction. In the East Timor case, it had
emphasized that “the erga omnes character of a norm and the rule of consent to jurisdiction are two
different things” ( East Timor (Portugal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 102,
para. 29). It took this position because, contrary to the thesis defended by Portugal on the basis of
the Judgment in the Nauru Phosphate Lands case, it deemed itself unable to examine Portugal’s
55
Application without at the same time having to consider the responsibility of Indonesia as a third
party to the proceedings.
13. In the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic
Republic of the Congo v. Rwanda), it was also by reference to the basis of its jurisdiction that the
Court distinguished between that jurisdiction and the consequences of the jus cogens character of a - 49 -
norm . The non possumus thus pronounced by the Court is in itself peremptory because it could
not act outside the framework of its Statute; as stated by the Court in 2006, “under the Court’s
Statute that jurisdiction is always based on the consent of the parties”.
14. In the domestic law context, on the other hand, the Corte di Cassazione faces no such
constraint. As the highest judicial organ of a harmonized, that is, vertically integrated, legal
system, it considers claims filed on a unilateral basis. Its jurisdiction does not at all depend on the
prior agreement of the parties. It alone has the power to decide whet her, pursuant to Italian law
and international law, it must give precedence to a secondary rule of procedure over a primary rule
of substance, in the light of all the elements of the case, including developments in the
interpretation of international norms that can be invoked in positive law. It can thus place the
procedural norm and the substantive principle simu ltaneously on the two pans of the scale in order
to reconsider whether developing trends in the law require it to tilt the balance in favour of one
rather than the other. In so doing, the domestic court acts simultaneously, in accordance with the
technique of “role splitting” so capably defined by Georges Scelle 60, as the highest court in its
domestic legal order and as the agent for the enforcement of evolving international law.
15. In the judgment delivered in the Ferrini case and subsequent cases, the Supreme Court
explicitly showed awareness of this dual role and of the evolving nature of the international law it
is required to apply. To persist, as does Germany here ⎯ blatantly at odds with some of the
61
general trends in its own doctrine ⎯ in confining peremptory law within the sole domain of
56 primary rules without granting even domestic courts the right to consid er the consequences of a
substantive peremptory rule in the area of procedure, is to reduce peremptory law to the status of
mere petitio principii which, if not devoid of content, w ould at least be incapable of direct
invocation; a law that is proclaimed but devoid of effectiveness; a non-derogable law, no doubt,
but the solemnity of which would be matched only by its persistent virtuality! Such would have
59
Armed Activities on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v.
Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2006, p. 31, para. 64.
60See AC.assese, Remarks on Scelle’s Theory of “Role Splitting” in International Law ,
www.ejil.org/pdfs/1/1/1126:pdfs.
61See P.M. Dupuy, Taking International Law Seriously: The German Approach to International Law, in German
Yearbook of International Law ⎯ Jahrbuch für Internationales Recht, Vol. 50, 2008, pp. 375-392. - 50 -
been the primary consequence of the strict appli cation of sovereign immunity, and it was rejected
by the Supreme Court.
B. The Italian Supreme Court would have lent support to the commission and maintenance of
a grave breach of international law by another State
16. At this point, I venture to pose a question, Mr. President: Is a State entitled, through one
of its judicial organs, to lend its support to the commission and maintenance of a breach of
international law by another State ? The answer is undoubtedly affirmative. This is what the
Bundesverfassungsgericht had occasion to note at various times, including in 2004, precisely in
order to avoid placing itself in such a situation. It did so in connection with expropriations carried
out a long time earlier, after the Second World War, when Germany was still under the authority of
the occupying Powers and even before the creatio n of the German Democratic Republic (GDR).
Sixty years later, the Constitutional Court of the re unified Germany held in this connection that the
organs of the Federal Republic were under an obligation to “implement public international law in
their own sphere of responsibility in the event of its violation by third States”, and it drew the
conclusion that the German authorities “deemed to be prohibited any co-operation that decisively
contributed to the perpetration by non-German aut horities of any act violating the general rules of
62
public international law”, thus echoing the terms of Article 25 of the Grundgesetz . Conversely, it
may be concluded that, if it had decided differe ntly, the German Constitu tional Court would itself
have made itself complicit in the commission by a third State of an internationally wrongful act,
thereby engaging the responsibility of Germany for assistance in the continuing breach of
international law, as specified in Article 16 of the ILC Draft Articles of 2001. The
Bundesverfassungsgericht thus adhered to the reasoning of a decision it had taken on another
63
57 question, extradition, one year earlier . Many other cases can, moreover, be identified, some of
them more recent, such as the judgment delivered three years later, in 2007, by the Swiss Federal
64
Tribunal, which tend in the same direction . The Ferrini Judgment in Italy dates from exactly the
62
BverfGE 112, 1, 24, para. 88.
6BverfGE, decisions of 5 November 2003, Case No. 2, BverfGE 1243/03 and BverfGE 1506/03.
6An early decision along these lines had been rendered in 1982: Swiss Federal Tribunal, P1202/81/fs, published
also in Europäische Grundrechte Zeitschrift 10 (1983), pp.435 et seq.; see also Swiss Fede ral Tribunal, IB_87/2007,
also in Europäische Grundrechte Zeitschrift 34 (2007), pp. 571 et seq. - 51 -
same period. It draws inspiration from the same source, applying to itself the bar on contributing to
the commission of a continuing wrongful act imputab le in this instance to Federal Germany itself,
for non-reparation of damage caused by serious violations of obligati ons under international
humanitarian law. The Court of Cassation is all the more watchful because this case concerns the
failure to comply with peremptory obligations; but please note, Mr.President, Members of the
Court, that, even if Article 41 of the ILC Draft Articles on State Responsibility provides ⎯ solely
in relation to serious breaches of a peremptory norm ⎯ for a positive obligation on third States to
co-operate in order to bring to an end this violation of jus cogens, the obligation of non-assistance
in the commission of a wrongful act by another Stat e, on the other hand, arises from Article 16 of
the International Law Commission’s draft text, which applies to any type of wrongful act.
17. Are these two provisions, Article 16 and Artic le 41, unfamiliar to the Italian court? Not
at all. The Supreme Court of Italy knows the laws, including the generally recognized norms of
international law. In the Ferrini Judgment, it referred explicitly to Article41 of the ILC Draft
Articles on State Responsibility and noted that it prohibited the rendering of assistance in
maintaining situations in breach of internationa l law; the Italian Supreme Court was therefore
obliged to “use all legitimate means to bring an end to illegal activities” 65. It is the exact opposite
that would have occurred if the Court had decide d in this case to apply sovereign immunity from
jurisdiction and that is what it wished to avoid since it did not want its own case law to contribute
to the maintenance of a situation (a) in breach of international law, (b) in connection with the
commission of crimes violating peremptory norms, and (c) concerning citizens whose rights it
58 bears a particular responsibility to protect as the cour t of last instance, namely Italian citizens. If
the Corte Suprema had acted differently, by granting immunity from jurisdiction to Germany even
in this borderline case, it would have put the fini shing touches, so to speak, on the establishment of
a situation of total denial of justice, by blocking the last recourse that remained available to the
victims. It considered that it could not act in this way without making Italy itself responsible for
assisting in the commission of a definitively wrongful international act.
65
Corte di Cassazione, Judgment No.5044/2044, Ferrini, 11Mar. 2004, para.9, in GM, Anns.1 and 12ILR,
659 (English translation). - 52 -
18. Let us then look at the consequences that flowed from the solution actually adopted by
the Court of Cassation, that of setting aside sovereign immunity on an exceptional basis.
II. The positive consequences of setting aside Germany’s immunity from
jurisdiction in respect of the crimes at issue
19. By making the choice it made, difficult as it was, the Corte di Cassazione took a decision
based to some extent on a “cost-benefit” assessme nt. That decision was taken, at the risk of
exposing Italy to criticism from a friendly State, first, because it was considered to be consistent
with the most recent developments in internationa l law and, second, because it ensured a right of
access to justice for all victims of Nazi crimes s till awaiting reparation. Let us consider those two
points.
A. A choice for consistency aimed at reconciling i mmunity from jurisdiction with new trends
in international law
20. “[T]he existence and operation of a norm of customary international law which imposes
on States the duty to abstain from exercising jurisdic tional power over other States, enacted in our
system by virtue of the provision laid down in Article10(1) of the Constitution, are beyond
66
question.”
21. This is what the Italian Supreme Court says in paragraph 5 of its judgment in the Ferrini
case of 11March2004. And if this is couched in much more solemn language in the original
Italian text than in my abridged translation, it is because the court wishes categorically to reject the
appellant’s argument to the contrary. The court recognizes not only the principle of immunity, but
59
also what it terms its “operative force” within the Italian legal system, because it applies it
frequently in other circumstances.
22. Nonetheless, the Corte di Cassazione does not judge in the abstract. In the case in
question it had before it not only the person of Mr.Ferrini, but the suffering of the last surviving
Italian soldiers who had been take n prisoner in 1943 before being subjected to forced labour; it
was faced with the anguish of civilians who, in the same period, had been transported to
concentration camps to perform labour in conditions bordering on slavery; it was aware of the
66
Corte di Cassazione, Judgment No. 5044/2044, Ferrini, 11 Mar. 2004, para. 5. - 53 -
existence of the survivors and successors of th e victims of the vengeful massacres carried out
during the summer of 1944 by the retreating occupying force. And, while there is no denying that
the acts imputable to Nazi Germany were committed jure imperii, it was ever mindful that, in the
absence of an agreement between Germany and It aly relating specifically to reparation for the
damage caused by such crimes, it was the last resort available to the victims.
23. Having already said that, pursuant to Article10 of the Constitution, the principle of
sovereign immunity remained an integral part of positive law, the court was also aware, however,
that among the “generally recognized norms of in ternational law”, with which the Italian legal
system complies, there are other norms prohibiting war crimes a nd crimes against humanity and
establishing the obligation to remedy the effects of such crimes, precisely because, to use the words
of the court in paragraph7 of the same judgment, those crimes “are so prejudicial to universal
values that they transcend the interests of individual States”. This, too, is more elegantly worded in
the original Italian. At this stage, the Supreme Court listed, one after the other, the facts
demonstrating that the crime of deportation and the crime of subjecting prisoners of war and
civilians to forced labour, as well as the massacr es of civilian populations, are breaches of
mandatory law, beginning with the preliminary work of the International Law Commission in
relation to those crimes, in 1950, and going up to the most recent developments in international
criminal law. Here we have it — international criminal law — not at all because the Italian court
would confuse individual crimes with crimes of th e State, as some have been too quick to claim,
but because international criminal law recognizes the cardinal importance that the international
60 community attaches to the values wh ich are flouted by such actions 67. It is in effect the inclusion
of “crimes against international law” in the category of breaches of jus cogens which enabled the
Court, in accordance with the hierarchical th eory championed by the dissenting judges of the
68
European Court of Human Rights in the Al-Adsani case , to give precedence to the peremptory
norms centred on respect for the dignity of the human person; it gave them precedence not over the
principle of immunity from jurisdiction, but over the absolute theory that might be attached thereto.
67
Corte di Cassazione, Judgment No. 5044/2044, Ferrini, 11 Mar. 2004, paras. 7 et seq.
68
See CMI, paras. 4.72 et seq. - 54 -
It pointed out in particular 69 the paradox that would be created by sacrificing the defence of
community values to the benefit of the individual interest of a single State.
24. The fact that the Italian Supreme C ourt drew on the same constitutional provision—
Article10— to affirm both the validity of the principle of immunity from jurisdiction and the
preponderant importance of reparation for dama ge caused by war crimes and crimes against
humanity clearly shows that the Ferrini judgment, like those that were to follow it, did not put an
end to sovereign immunity or indeed diminish it. It remains a fundamental principle of general
international law and Italian law alike, and is reco gnized by the Supreme Court. In reality, what
the Corte di Cassazione did was merely to redefine it: not the concept itself; at most, it
underscored the situations in which it cannot be app lied; this is not an abnegation, but a simple
adjustment to ensure that the use of that pr inciple cannot obstruct compliance with the basic
obligations laid down by the international community as a whole.
25. The important thing for the Italian Supreme Court was therefore to maintain the
coherence of a body of general international la w, which it recognized as mandatorily applicable
within its domestic system, in accordance with its basic law. There is nothing unusual in that!
Indeed, a very similar approach can be seen in a recent judgment of the Première Chambre Civile
of the French Cour de Cassation of 9March2011, even though in that case the chamber
recognized Libya’s immunity. It only did so, however, because the facts of that case prompted it to
conclude that a specified terrorist attack could no t be imputed to Libya. Nonetheless, in reaching
that conclusion, the French Cour de Cassation found that a jus cogens norm of international law
61
“takes precedence over the other rules of international law and can be a legitimate restriction to
jurisdictional immunity” [translation by the Registry] 70.
26. We should not be surprised at the ease with which the court of cassation in both countries
refers to jus cogens, because jus cogens is public policy. And the preservation of public policy in
society is, according to Portalis, co-author of the Napoleonic Code, “the supreme law” of a
69
Ferrini judgment, op. cit., para. 9.1.
70French Cour de Cassation, Première Chambre Civile, public hearing of 9March2011, Appeal No.09-14743,
published in Bulletin. Libya was accused of failing to prosecute the authors of the attack against UTA flight DC-10, but
not of being itself behind the attack. http://droit-finances.commentcamarche.net/jurisprudence/cour-de-cassati…-
1/publies-1/3274771-cour-de-cassation-civile-chambre-civile-1-9-mars-2011-09-14-743-publie-au-bulletin. - 55 -
71
country , as the domestic courts well know! They know because recourse to that notion is an
important way for them to safeguard the interests of the community with whose protection they are
charged. Therefore, they find it quite normal that international law, whose stages of development
are reminiscent in many respects of those of thei r domestic law, has in turn come to establish a
public policy from which the logical consequences should be drawn, including in terms of
procedure. Second, and finally, the choice made by the Supreme Court guarantees a right of access
to justice for all victims of Nazi crimes still awaiting reparation.
B. A guaranteed right of access to justice for all victims of Nazi crimes still awaiting
reparation
27. On the subject of a guaranteed right of access to justice, I will be
brief, since this is an
aspect with which the Court is very familiar. For Germany to claim that its courts are accessible to
Italian complainants is of little value. That is th e very least it can do! What matters is that, in
practice, the German courts have held that, under the applicable provisions of German law, none of
72
the categories of victims concerned in this case were defined as persons eligible for reparation . It
is precisely because of that evasive attitude of the German courts that complainants like Mr. Ferrini
and others decided to bring their claim, perpetua lly unsatisfied in Germany, before the domestic
62 Italian courts. And yet, both international a nd European positive law have long prohibited the
denial of justice in an inter-State context; more over, they establish the right of access to justice as
a human right, in its dual accepted meaning as a right to a fair trial and a right to reparation. As far
back as 1970, the International Court of Justice it self also commented on the substantial link that
exists between the one and the other; in its Judgment in the Barcelona Traction case, it stated, and
I quote, that “[w]ith regard... to human rights..., it should be noted that these also include
protection against denial of justice” ( Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970 , p. 47, para. 91), the latter being
73
understood as a “refusal to grant someone that which he is owed” [translation by the Registry] .
71
See “Ordre public” in D. Alland and S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, 2003, p. 1121.
72See in particular the Counter-Memoria l of Italy, paras.2.22-2.34 and 35-2.44; the Rejoinder of Italy,
paras. 3.20 et seq.
73J. Salmon (ed.), Dictionnaire du droit international public, Bruylant/AUF, p. 320, using the definition of Calvo,
Dictionnaire, Vol. I, p. 237. - 56 -
It is unnecessary at this stage of the hearing to recall Article14 of the In ternational Covenant on
Civil and Political Rights, Article 6 of the European Convention on Human Rights or Article 47 of
the Charter of Fundamental Rights of the European Union. Each of those provisions is just as
applicable in the domestic legal system of Germany as it is in that of Italy: it is also on that basis
that, faced with the imminence of a final and irrevocable violation of the principles thus
established, the Italian Supreme Court opted in favour of adjusting the principle of immunity,
which it considered necessary to preserve the coheren ce of the international law applicable in this
case.
28. Mr.President, Members of the Court, this case shows both the nobleness and the
difficulty of the court’s role. In general international law — the successive developments of which
depend on the will of States— the courts, both dom estic and international, are not simply the
74
“mouthpiece of the law”, to use Montesquieu’s definition .
In the words of SirHerschLauterpacht in 1958, cited 30years later by RosalynHiggins at
the start of her General Course at the Hague Acad emy: “the judge does not ‘find rules’ but he
makes choices . . . between claims which have varying degrees of legal merits” 7.
63 This, Mr.President, concludes my presentation and that of Italy for this morning. Thank
you.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Pierre-Marie Dupuy pour son exposé. Voilà qui met fin à
l’audience d’aujourd’hui et au premier tour de pl aidoiries. La Cour se réunira de nouveau demain
matin, entre 10 heures et 12 heures, afin d’entendre les observations orales de la Grèce sur l’objet
de son intervention.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 h 5.
___________
74
Montesquieu, L’esprit des lois, vol. II, p. 4.
7H. Lauterpacht, The Development of International Law by the International Court, 1958, p.399; cited by
R. Higgins, “International Law and the A voidance, Containment and Resolution of Disputes: General Course on Public
International Law”, in Recueil des cours, Vol. 230 (1991-V), p. 26.
Traduction