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124-20101011-ORA-01-01-BI
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CR 2010/12 (traduction)

CR 2010/12 (translation)

Lundi 11 octobre 2010 à 10 heures

Monday 11 October 2010 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.

Avant de passer à la procédure judiciaire qui nous réunit aujourd’hui, je tiens tout d’abord à

rendre solennellement hommage, au nom de la C our, à la mémoire du professeur Shabtai Rosenne,

juriste international éminent s’il en est, qui nous a malheureusement quittés le 21 septembre 2010.

Né à Londres en 1917, le professeur Rosenne avait étudié le droit à l’Université de Londres

et, lors de la seconde guerre mondiale, il avait servi dans la Royal Air Force. Il avait ensuite su

combiner avec succès une carrière de diplomate israélien et une carrière universitaire prolifique,

avec le droit international pour domaine de pr édilection. La doctrine lui doit un nombre

impressionnant d’ouvrages remarquables qui ont contribué au rayonnement du droit international

auprès du public. En particulier, son traité majeur, intitulé The Law and Practice of the

International Court, reste l’ouvrage de référence pour compre ndre le rôle et le fonctionnement de

la Cour, et constitue le premier point d’ancrage de tous les juristes internationaux et diplomates qui

s’intéressent aux travaux de l’orga ne judiciaire principal de l’Organisation des NationsUnies.

J’ajouterai qu’il n’est pas rare que les juges eux- mêmes consultent cette Œuvre dans l’exercice de

leurs fonctions judiciaires. Le professeur Rosenne n’était pas seulement une sommité académique

au sujet de la Cour, il a également participé directement à plusieurs affaires en tant qu’agent ou que

conseil, la dernière en date étant l’affaire LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique) . Son

profond intérêt et son enthousiasme à l’égard des tr avaux de la Cour, qui ne l’ont jamais quitté de

sa vie, ont été grandement appréciés par l’ensemble des membres de la Cour, anciens et actuels.

Le professeur Rosenne nous restera également cher pour tout ce qu’il a apporté aux

nombreuses institutions internationales dont il a été membre, y compris la Commission du droit

international des Nations Unies et l’Institut de droit international.

Je vous invite à présent à vous lever et à observer une minute de silence à la mémoire du

professeur Rosenne.

La Cour observe une minute de silence.

* - 3 -

Le PRESIDENT : Veuillez vous rasseoir.

11 La Cour siège aujourd’hui, conformément au paragraphe 2 de l’article 84 de son Règlement,

pour entendre les exposés oraux de la République du CostaRica et des Parties sur la question de

savoir si la requête à fin d’intervention en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua

c. Colombie), que le Costa Rica a déposée le 25 février 2010 en vertu de l’article 62 du Statut, doit

être accueillie.

Je commencerai par indiquer que le juge Gr eenwood, ayant invoqué le paragraphe1 de

l’article 24 du Statut, ne participera pas à cette phase de la procédure. Par ailleurs, pour des raisons

dont il m’a dûment fait part, le juge Skotnikov ne pourra pas siéger aujourd’hui.

La Cour ne comptant sur son siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles a

usé de la faculté qui lui est conférée par le paragr aphe2 de l’article31 du Statut de désigner un

juge ad hoc. Le Nicaragua avait initialement désigné M.MohammedBedjaoui. Ce dernier ayant

démissionné, le Nicaragua a choisi M. Giorgio Gaja. La Colombie avait désigné M. Yves Fortier.

Ce dernier ayant démissionné, la Colombie a choisi M. Jean-Pierre Cot.

L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,

en séance publique, prendre l’engagement solennel d’ exercer ses attributions en pleine impartialité

et en toute conscience». En vertu du paragraphe6 de l’article31 du Statut, cette disposition

s’applique également aux juges ad hoc. M.Gaja, ayant participé à la procédure consacrée aux

exceptions préliminaires dans la présente affaire, et ayant fait sa déclaration solennelle à cette

occasion, n’a pas besoin d’en faire une autre aujourd’hui.

M.Cot, lui, bien qu’ayant déjà été juge ad hoc et fait une déclaration solennelle dans une

précédente affaire, demeure tenu d’en faire une nouvelle en l’instance, conformément au

paragraphe 3 de l’article 8 du Règlement de la Cour.

Avant d’inviter M.Cot à faire sa déclarati on solennelle, je dirai d’abord, selon l’usage,

quelques mots de sa carrière et de ses qualifications.

M.Jean-PierreCot, de nationalité française, est membre du Tribunal international pour le

droit de la mer. Il est également professeur émér ite à l’Université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) et

chercheur associé au Centre de droit internationa l de l’Université libre de Bruxelles. Entre1981

et 1982, il a exercé les fonctions de ministre char gé de la coopération et du développement au sein - 4 -

12 du Gouvernement français. Pendant plusieurs années, M.Cot a été membre du Parlement

européen, au sein duquel il a exercé d’éminentes f onctions, notamment celle de président de la

Commission des budgets et de vice-président du Parlement européen. M.Cot a plaidé devant la

Cour en qualité de conseil et avocat dans un certain nombre d’affaires, notamment l’affaire du

Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) , l’affaire du Différend territorial

(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) , l’affaire relative à l’ Ile de Kasikili/Sedudu

(Botswana/Namibie), l’affaire relative à la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le

Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) et l’affaire relative à la

Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie). M. Cot a également exercé

les fonctions de juge ad hoc de la Roumanie dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en

mer Noire (Roumanie c. Ukraine) et a été désigné comme tel en l’affaire relative à des Epandages

aériens d’herbicides (Equateur c.Colombie) . Il est l’auteur de nombr euses publications dans le

domaine du droit international, du droit européen et des sciences politiques. Il est actuellement

président de la Société française pour le droit international.

J’invite à présent M.Cot à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut et je

demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.

M. COT :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et
en toute conscience.»

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte de la déclaration

solennelle faite par M.Cot et le déclare dûment installé en qualité de juge ad hoc en l’affaire du

Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie).

*

Je vais maintenant rappeler les principales étap es de procédure suivies jusqu’à ce jour dans

la présente affaire. - 5 -

Le 6 décembre 2001, la République du Nicaragua a déposé au Greffe de la Cour une requête

introductive d’instance contre la République de Colombie au sujet d’un différend portant sur un

ensemble de «questions juridiques connexes…qui demeurent en suspens» entre les deux Etats,

«en matière de titre territorial et de délimitation maritime» dans les Caraïbes occidentales.

13 Dans sa requête, le Nicaragua fondait la compétence de la Cour, premièrement, sur les

dispositions de l’article XXXI du traité américain de règlement paci fique signé le 30 avril 1948, dit

«pacte de Bogotá» aux termes de son articleLX, et deuxièmement, sur les déclarations faites par

les Parties reconnaissant la compétence de la Cour.

Par ordonnance du 26février2002, la Cour a fixé au 28avril2003 la date d’expiration du

délai pour le dépôt du mémoire du Nicaragua et au 28 juin 2004 la date d’expiration du délai pour

le dépôt du contre-mémoire de la Colombie. Le Nicaragua a dé posé son mémoire dans le délai

ainsi prescrit.

Le 21 juillet 2003, dans le délai imparti au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement [tel que

modifié le 5 décembre 2000,] la Colombie a soul evé des exceptions préliminaires à la compétence

de la Cour. En conséquence, par ordonnance du 24septembre2003, la Cour, constatant qu’en

vertu des dispositions du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement, la procédure sur le fond était

suspendue, a fixé au 26 janvier 2004 la date d’expiration du délai dans lequel le Nicaragua pourrait

présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires

soulevées par la Colombie. Le Nicaragua a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire

s’est ainsi trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.

Entre 2003 et 2006, les Gouvernements du Honduras, de la Jamaïque, du Chili, du Pérou, de

l’Equateur et du Venezuela, s’appuyant sur le pa ragraphe 1 de l’article 53 du Règlement de la

Cour, ont demandé à avoir communication des pièces de procédure et documents annexés produits

en l’espèce. La Cour, s’étant renseignée auprès des Parties conformément à cette même

disposition, a fait droit à chacune de ces demandes.

La Cour a tenu des audiences sur les exceptions préliminaires soulevées en la présente

affaire du 4 au 8juin2007. Dans son arrêt du 13 décembre2007, la Cour a conclu qu’elle avait

compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour statuer sur le différend relatif à

la souveraineté sur les formations maritimes reve ndiquées par les Parties, autres que les îles de - 6 -

SanAndrés, Providencia et Santa Catalina, ainsi que sur le différend relatif à la délimitation

maritime entre les Parties.

Le 22 septembre 2008, le Gouvernement du Costa Rica, s’appuyant sur le paragraphe1 de

l’article53 du Règlement, a demandé à la Cour de lui communiquer des pièces de procédure et

documents annexés produits en l’espèce. La Cour, s’étant renseignée auprès des Parties

conformément à cette même disposition, a fait droit à cette demande.

14 Le 11 novembre 2008, la Colombie a déposé son contre-mémoire.

Par ordonnance du 18décembre2008, la Cour a prescrit à la République du Nicaragua la

présentation d’une réplique et à la République de Colombie la présentation d’une duplique. Elle a

fixé au 18 septembre 2009 et au 18 juin 2010, respectivement, les dates d’expiration des délais pour

le dépôt de ces pièces, qui ont été déposées dans les délais ainsi prescrits.

*

Le 25février2010, le CostaRica a déposé une requête à fin d’intervention dans l’affaire,

dans laquelle il déclarait que «[l]e Nicaragua comme la Colombie, par leurs revendications

frontalières, prétend[ai]ent à des zones maritim es auxquelles le Costa Rica a[vait] droit». Il

précisait, notamment, que son intervention «aurait … simplement pour objet d’informer la Cour de

la nature des droits et intérêts d’ordre juridique du Costa Rica et de s’assurer que la décision de la

Cour relative à la frontière maritime entre le Nicar agua et la Colombie ne porte pas atteinte à ces

droits et intérêts».

Fondant sa requête sur l’article62 du Statut de la Cour, le Costa Rica a souligné qu’il

n’entendait pas devenir partie à l’affaire opposant le Nicaragua à la Colombie.

Conformément au paragraphe 1 de l’article 83 du Règlement, la requête du Costa Rica a été

immédiatement transmise au Nicaragua et à la Co lombie, qui ont été informés que la Cour avait

fixé au 26 mai 2010 la date d’expiration du délai pour la présentation de leurs observations écrites.

Les deux Parties ont soumis leurs observations dans le délai ainsi prescrit. Considérant que

le Nicaragua avait fait objection à la requête, la Co ur a informé les Parties et le Costa Rica que,

conformément à l’article84, paragraphe2, du Règlement, elle tiendrait des audiences pour - 7 -

entendre les observations du Costa Rica, Etat demandant à intervenir, et celles des Parties à

l’affaire.

La Cour, après s’être renseignée auprès des Parties, a décidé que les observations écrites

qu’elles avaient présentées sur la requête à fin d’intervention seraient rendues accessibles au public

15 à l’ouverture de la procédure orale; par a illeurs, ces observations écrites seront prochainement

publiées sur le site Internet de la Cour.

Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties ainsi que

du Costa Rica. Conformément aux dispositions rela tives à l’organisation de la procédure arrêtées

par la Cour, les audiences comprendront un premier et un second tours de plaidoiries. Le

Costa Rica sera entendu en premier.

Pendant le premier tour de plaidoiries, le Costa Rica et chacune des Parties prendront la

parole pendant deux heures au maximum: le Cost a Rica viendra à la barre ce matin jusqu’à midi

et, mercredi 13octobre2010, ce sera au tour du Nicaragua entre 9h30 et 11h30 et de la

Colombie entre 11 h 30 et 13 h 30.

Pendant le second tour de plaidoiries, le Co sta Rica et chacune des Parties prendront la

parole pendant une heure au maximum: le Cost a Rica viendra à la barre jeudi 14octobre2010

entre 15 et 16heures et, vendredi 15octobre2010, ce sera au tour du Nicaragua entre15 et

16 heures et de la Colombie entre 16 et 17 heures.

*

Pour cette première audience, le CostaRica pourra, si nécessaire, déborder quelque peu

au-delà de midi, compte tenu du temps consacré à l’ouverture de la présente audience.

Je donne maintenant la parole à S. Exc. M. Edgar Ugalde Alvarez, agent du Costa Rica.

Oui, S. Exc. l’ambassadeur Alvarez. Vous avez la parole.

Mr. UGALDE ÁLVAREZ:

1. Mr.President, distinguished Members of th e Court, as Agent of Co sta Rica, it is a great

honour for me to take the floor before you to defend the legal interests of my country in this case. - 8 -

2. With your permission, Mr. President, I shall take a moment to call to mind and pay tribute

to SirIanBrownlie, one of the greatest experts in international law, whose contributions to its

development and the consolidation of its teaching and practice have left a deep mark. His absence

16 is much regretted, but his extraordinary legacy will continue to be a source of inspiration and

guidance for specialists of international law. In a lighter vein, the delegation of Costa Rica

welcomes the distinguished ladies who are now part of the International Court of Justice.

3. Mr. President, Costa Rica’s decision to request permission to intervene in this case, not as

a Party, but under Article 62 of the Statute of the Court, has been very carefully considered and is

in no way intended to interfere in or create obstacles for the efforts of your Court and of the sister

Republics of Colombia and Nicaragua in the attempt to find a solution to the various aspects of the

case submitted for your consideration.

4. However, in view of the claims submitted by the Parties to the Court, Costa Rica has had

to use the procedure laid down by the Statute, in order to inform the Court of its legal interests

which could easily be affected by the Court’s ruling in this case.

5. In keeping with its democratic and lega l tradition, Costa Rica has always displayed its

interest in finding solutions with neighbouring States through the machinery of diplomacy and

international law. This is how we succeeded in signing agreements with the Republics of Panama,

Colombia and Ecuador. We have also made efforts to do so with the Republic of Nicaragua. Costa

Rica today reiterates that it is ready and anxious to see that machinery used to establish maritime

boundaries between these two sister Republics. But let us be clear, the fact that Costa Rica is

seeking to delimit its maritime boundaries through diplomatic negotiation in no way means that it

waives its rights or the protection of its interests by all legal means available.

6. Mr.President, as regards the time-limit gran ted for the submission of its Application to

intervene, Article 81 of the Rules of Court states that the latter must be filed “as soon as possible,

and not later than the closure of the written proceedings . . .”.

7. Costa Rica filed its Application to intervene on 25 February2010, sixteen weeks before

the end of the time-limit for the written proceedings, the closure of which was fixed by the Court at

18 June 2010. - 9 -

17 8. Before adopting the highly important decisi on to appear before this honourable Court,

Costa Rica had to take various factors into cons ideration. Among them was the electoral process

which ended on Sunday 7February 2010. In view of this situation, and always allowing for a

sufficient time before the closure of the writte n proceedings, the Application to intervene was

submitted as soon as possible, in full compliance with the terms of Article 81, paragraph 1, of the

Rules of Court.

9. In the Application submitted on 25Februa ry2010, Costa Rica stated that it was not

seeking to become a party to the case and that its so le interest was related to the maritime dispute,

not to its territorial aspect.

10. In its Application, Costa Rica also indicated the interest of a legal nature which might be

affected by the Court’s decision in this case, namely, the exercise of its sovereign rights and

jurisdiction over the maritime spaces in the Ca ribbean Sea, as well as the protection, under

international law, of any other interest which Co sta Rica has in this zone. The exercise of these

rights might be affected by the Court’s decision, as a consequence of the Parties’ claims in the case

pending which, on the one hand, clearly penetrate Costa Rica’s maritime areas and, on the other

hand, mean that the decision could produce legal effects which, in practical terms, would have an

impact on the maritime relationship agreed upon with the Republic of Colombia.

11. Mr. President, in its Application to inte rvene, Costa Rica identified two precise objects:

first “to protect the legal rights and interests of Costa Rica in the Caribbean Sea by all legal means

available and, therefore, to make use of the pr ocedure established for this purpose by Article 62 of

the Statute of the Court”, and second, “to inform the Court of the nature of Costa Rica’s legal rights

and interests that could be affected by the Court’s maritime delimitation decision in this case”.

12. Nicaragua is apparently opposed to th is formulation, stating that “nowadays the

exceptional procedure of intervention on the b asis of Article62 may be accomplished by third

18 parties with only the vague object of ‘informing’ the Court of their supposed rights and interests,

1
and therefore ‘protecting’ them” .

1
Written Observations of Nicaragua, p. 2, para. 5. - 10 -

13. This is a surprising argument, this Court’s case law having firmly established that the

objects set out by Costa Rica were clearly encompassed by Article 62.

14. In this spirit, let us recall that, in reply to a similar objection from ElSalvador to the

object set out by Nicaragua in its Application to intervene in the case between ElSalvador and

Honduras, one of the Chambers of this Court stated:

“So far as the object of Nicaragua’s intervention is ‘to inform the Court of the

nature of the legal rights of Nicaragua which are in issue in the dispute’, it cannot be
said that this object is not a proper one: it seems indeed to accord with the function of
intervention. [. . .] It seems to the Ch amber however that it is perfectly proper, and

indeed the purpose of intervention, for an in tervener to inform the Chamber of what it
regards as its rights or interests, in order to ensure that no legal interest may be
‘affected’ without the intervener being heard.”( Land, Island and Maritime Frontier

Dispute (S Ellvador/Honduras), Application to Intervene, Judgment,
I.C.J. Reports 1990, p. 130, para. 90.)

15. Similar observations can also be found in the Court’s decisions on the Applications to

2
intervene submitted by Equatorial Guinea in the case between Cameroon and Nigeria , and by the

Philippines in the case between Indonesia and Malaysia 3.

16. Indeed, it is perfectly clear that Costa Rica’s form of words does indeed indicate the

precise object of the Application in conformity with successive decisions of the Court: firstly,

Costa Rica wishes to inform the Court of all rele vant matters and the applicable law supporting the

existence of its rights and interests in the Caribbean Sea. Secondly, Costa Rica seeks to use this

intervention procedure to protect those rights and interests.

17. Consequently, there can be no doubt that the precise object of Costa Rica’s Application

to intervene was clear, that it was correctly identified and proper, and that it fully complies with the

intervention procedure recognized by this Court.

19 18. Mr.President, in its written observations Nicaragua suggested that Costa Rica seems to

assume that a ruling by the Court is reason to disown or modify its existing treaties 4. This

suggestion is not only unfounded, but also distorts Costa Rica’s position set out in its Application

to intervene. My country’s basic criterion is that a ruling by the Court on the ownership and

2
Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Application to Intervene,
Order of 21 October 1999, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1034, para. 14.
3
Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indonesi a/Malaysia), Application to Intervene, Judgment,
I.C.J. Reports 2001, p. 606, para. 87.
4See Written Observations of Nicaragua, p. 9, para. 24. - 11 -

extension of the maritime spaces of Columbia and Nicaragua might result in the modification or

destruction of the neighbourly relations between Columbia and Costa Rica in the Caribbean Sea,

which might well impact on Costa Rica’s legal interests in that Sea.

19. Further, in its comments, Nicaragua sought to point out that Costa Rica’s Application has

shortcomings and that, consequently, the Applicatio n to intervene did not meet the conditions laid

5
down by the Statute and Rules of Court . Costa Rica rejects the claim that its Application is

imprecise or that it does not contain the necessary in formation to enable the Court to authorize its

intervention in this case. However, during th ese hearings, Costa Rica will provide the further

clarification needed of the bases of its request for permission to intervene.

20. In the context of the Court’s jurisdiction to admit an application to intervene, it is clear

that Article62 of the Statute of the Court grants the right to a third State to submit a request for

permission to intervene when it considers that a decision in a case could affect one of its interests

of a legal nature. The Article62 referred to is al so decisive in that it states that the Court has

exclusive power to decide whether the Applicati on to intervene is acceptable or not, which is why

it is not subject to the position adopted by the par ties on the matter. This means that, even if only

one of the two parties to the proceedings is opposed to the intervention of a third State in the case,
6
this is just a further element for consideration, as the Court has already emphasized , not a

requirement that the application to intervene should be allowed.

20 21. It is clear from the foregoing that Costa Rica satisfies all the formal conditions, under

Article81 of the Rules and Article62 of the Statut e of the Court, and remains confident that the

Court will allow the present application to intervene.

22. Costa Rica also wishes to make it very clear that the purpose of that intervention is not to

support one of the parties, or to defend the ar guments put forward by the parties regarding the

principal case.

5
Ibid., p. 17, para. 41.
6See Land, Island and Maritime Frontier Dispute (ElSalvador /Honduras), Application to Intervene, Judgment,
I.C.J. Reports 1990, p. 133, para. 96. - 12 -

23. I am confident that, after this hearing, no further doubt will remain on the merits of Costa

Rica’s Application, and your esteemed Court will be able to determine that Costa Rica has ample

reason to justify being allowed to intervene.

24. Mr. President, allow me, if you will, to set out the programme for the rest of the day.

Mr.ArnoldoBrenes will explain the antecedents a nd the geographical aspects of the Costa Rican

maritime spaces in the Caribbean Sea. Mr. Carlos Vargas will refer to legal aspects of Costa Rica’s

application. Mr. Coalter Lathrop will explain Cost a Rica’s legal interest in the Caribbean Sea and

also how the Court’s decision might impact upon it. Lastly, Mr.SergioUgalde will consider

certain aspects related to Articles 59 and 62 of the Statute of the Court.

25. Mr. President, Members of the Court, thank you for your attention. Mr. President, may I

ask you to give the floor to Mr. Arnoldo Brenes.

The PRESIDENT: Thank you for your statemen t, AmbassadorUgalde Alvarez, Agent of

Costa Rica. J’invite à présent le deuxième orateur, M. Arnoldo Brenes, à prendre la parole.

M. BRENES :

L EC ONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE DE L ’INTÉRÊT D ’ORDRE JURIDIQUE
DU COSTA RICA DANS LA MER DES CARAÏBES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un très grand

honneur que de plaider devant vous ce matin au nom du Costa Rica.

21 2. Il m’incombe de présenter à la Cour quelques informations d’ordre historique et

géographique, à partir desquelles mes collègues montreront de quelle manière les intérêts

juridiques du CostaRica sont susceptibles d’êtraffectés par la décision qui sera rendue en la

présente affaire.

Les frontières maritimes du Costa Rica

3. Bien que la Cour connaisse déjà la sitution des Parties à la présente affaire en ce qui

concerne leurs frontières maritimes dans la mdes Caraïbes, il peut se ré véler utile de retracer

brièvement l’historique des négociations menées pa r le Costa Rica en matière de délimitation dans

cette zone. Celles-ci étant, comme nous le verr ons, étroitement liées à la question de la frontière - 13 -

maritime entre la Colombie et le CostaRica, objet du présent différend, ce rappel est

particulièrement pertinent.

4. Je commencerai par le traité de délimitation signé par le CostaRica et la Colombie le

17 mars 1977 — connu sous le nom de traité Facio-Fernández —, lequel porte exclusivement sur la

délimitation des droits de ces deux pa ys dans la mer des Caraïbes. La frontière établie en vertu de

cet accord est représentée sur la carte projetée à l’écran. La première caractéristique notable de ce

traité est que, lorsqu’il a été négocié, le CostaRi ca a accepté de reconnaître un plein effet à l’île

colombienne de San Andrés. Le traité établit donc une frontière maritime fondée sur le principe de

l’équidistance simplifiée et représentée par une ligne médiane tenant compte du rapport entre la

côte du Costa Rica et l’île de San Andrés.

5. Il est manifeste que, lorsque le traité de 1977 a été négocié et signé, le principe retenu était

que si les formations insulaires colombiennes ⎯ en l’occurrence l’île de San Andrés ⎯ se voyaient

attribuer une zone hypothétique de deuxcentmille s marins, la zone maritime colombienne ainsi

créée et la zone maritime costaricienne se chevaucheraient et qu’il serait alors nécessaire de

conclure un accord afin de répartir les zones concernées.

6. La seconde caractéristique du traité de 1977 qui mérite notre attention est que les Parties

avaient accepté de simplifier la ligne d’équidistance et d’échanger des zones de taille similaire dans

la mer des Caraïbes. Le résultat de cet échange, ainsi que la ligne frontière qui en a découlé, sont

représentés sur la carte projetée à l’écran 7. La Colombie a cédé au CostaRica une zone

triangulaire située à l’est, laquelle aurait dû revenir à la Colombie si le principe de l’équidistance

avait été appliqué strictement. En échange, le CostaRica lui a cédé une zone maritime située à

e
l’ouest ⎯dans les environs du 82 méridien—, laquelle aurait, à défaut, été située du côté

costaricien de la ligne d’équidistance.

22 7. Conformément à ce qui a été négocié et aux échanges effectués, la frontière maritime entre

le Costa Rica et la Colombie a été fixée du point A au point B, le long du parallèle 10° 49' 00" de

latitude nord. A partir du pointB, elle se dirige vers le nord, le long du méridien 82°14'00" de

longitude ouest. Ces lignes ont été retenues en vue de créer un équilibre entre la taille des zones

7American Society of International Law, International Maritime Boundaries, vol. I, J. I. Charney &

L. M. Alexander (dir. publ.) (1996), p. 473. - 14 -

échangées, tout en les plaçant à une distance suffisa nte du territoire insulaire de la Colombie et de

la côte continentale du Costa Rica. A partir du po int B, la frontière se dirige vers le nord jusqu’à

un point non défini, où elle atteint le Nicaragua.

8. Je souhaiterais à présent faire remarquer que la Colombie a ratifié le traité de 1977, ce que

le CostaRica n’a pas fait. En effet, alors que la Colombie insistait pour qu’il le fît, le Nicaragua

s’y opposait vivement. Le Costa Rica n’a toujours pas ratifié cet instrument — tâche qui incombe

à son parlement—, dans le souc i de conserver de bonnes relations avec le Nicaragua, lequel n’a

cessé de lui demander de n’en rien faire tant que le différend l’opposant à la Colombie ne serait pas

réglé.

9. Bien que le CostaRica ait décidé de ne p as ratifier le traité de1977 avant même que le

Nicaragua n’introduise la présente instance en 2001, il apparaît, maintenant que le litige a été porté

devant la Cour, que ses hésitations étaient bien f ondées, puisque la décision à venir risque d’avoir

une incidence non négligeable sur certains aspects f ondamentaux à partir desquels ce traité a été

négocié et conclu. Je ne m’attarderai tout efois pas sur cette question que mes collègues

développeront dans leurs exposés.

10. En ce qui concerne les efforts du CostaRica pour négocier toutes ses frontières

maritimes dans la mer des Caraïbes, il convi ent également d’indiquer qu’il a signé, le

2février1982, un traité de délimitation maritime avec le Panama, connu s ous le nom de traité

Calderón-Ozores. Les deux Etats ont ratifié cet instrument, qui définit leurs frontières maritimes

tant dans l’océan pacifique que dans la mer d es Caraïbes, comme vous pouvez le voir sur la carte

actuellement projetée à l’écran 8. La méthode retenue pour le tr acé des deux frontières maritimes

est celle de l’équidistance, qui a permis de construire une ligne médiane partant des côtes

continentales des deux Etats. Dans la mer des Cara ïbes, la ligne d’équidistance a été simplifiée, et

c’est un segment de ligne droite unique ne prenant pas en compte l’effet des îles du Panama situées

à proximité des côtes qui a été retenu. Ce segme nt commence au point terminal de la frontière

terrestre et se prolonge jusqu’à un tripoint hypothétique avec la Colombie.

8
Ibid., p. 546. - 15 -

Les négociations entre le Costa Rica et le Nicaragua en matière de délimitation maritime
23
11. En ce qui concerne les frontières maritimes entre le CostaRica et le Nicaragua, aucun

accord bilatéral n’a pu, à ce jour, être conclu, qu e ce soit dans la mer des Caraïbes ou dans l’océan

Pacifique. Bien que le CostaRica et le Ni caragua soient entrés en pourparlers dès1977, les

négociations officielles relatives à leurs frontières maritimes n’ont, en r éalité, débuté qu’en2002.

Dans un communiqué conjoint signé par les vice-m inistres des affaires étrangères du Costa Rica et

du Nicaragua le 6 septembre 2002, les deux pays s ont convenus d’engager des négociations afin de

définir leurs frontières maritimes dans la mer des Ca raïbes et dans l’océan Pacifique. C’est à cette

fin que la sous-commission bilatérale des limites et de la cartographie a été établie.

12. Cette sous-commission s’est réunie à cinq reprises entre 2002 et 2005, alternativement au

CostaRica et au Nicaragua. Il est intéressant de noter que, lors de la première réunion, les deux

pays ont établi la liste des instruments juridiqu es qui seraient utilisés dans le cadre du processus de

négociation, parmi lesquels figurait, entre autres, la convention des Nations Unies sur le droit de la

mer, et notamment son article 15.

13. La dernière réunion de la sous-commission s’est tenue le 22août2005, à SanJosé. La

réunion suivante devait se tenir à Managua, les 10 et 11octobre2005, il y a donc exactement

cinqans. Le Gouvernement du Nicaragua a toutefois annulé ce rendez-vous et n’a fait preuve

d’aucun enthousiasme en vue de la poursuite d es négociations et ce, en dépit des demandes

répétées du CostaRica pour que le processus reprenne. L’opposition du Nicaragua ayant

malheureusement prévalu, le processus est suspendu depuis 2005.

14. Dans ses observations écrites sur la requête à fin d’intervention du CostaRica, le

Nicaragua affirme qu’il «ne se souvient d’aucune négociation engagée avec le CostaRica sur la

délimitation de zones maritimes dans la mer des Caraïbes ayant trait à des droits spécifiques sur des

9
zones maritimes ou même à des méthodes de délimitation» . A la lumière de l’historique détaillé

—et étayé— des négociations qui je viens de présenter, il apparaît clairement que ces propos

travestissent les efforts véritablement consentis par les deux Etats dans le cadre de leurs

négociations frontalières.

9
Observations écrites du Ni caragua et de la Colombie sur lmande à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 4, par. 19. - 16 -

15. Le communiqué conjoint de 2002 indiquait expressément que les négociations relatives à

la frontière maritime concernaient l’océan Pacifique et la mer des Caraïbes. Cela étant, lorsque les

24 négociations officielles ont débuté, la déléga tion nicaraguayenne a demandé à ce qu’il soit tenu

compte, pour ce qui concerne la mer des Caraïbes, du différend en cours entre le Nicaragua et la

Colombie, lequel constituait un élément d’incertitude susceptible, à terme, d’avoir une incidence

sur certains aspects de l’accord à in tervenir entre le CostaRica et le Nicaragua. Dans la mer des

Caraïbes, les négociations n’ont donc porté que sur la délimitation de la mer territoriale. Les

délégations sont convenues de commencer pa r définir l’emplacement de la borne n o 1 — située au

point terminal de la frontière terrestre de P untaCastilla—, qui avait disparu à la suite de

phénomènes naturels. La redéfinition de l’emplace ment de cette borne n’a, en réalité, cessé de

faire l’objet de discussions lors des réunions suivantes de la sous-commission. Son emplacement

ne pouvant être arrêté, ni le Nicaragua ni le CostaRica n’ont été en mesure de présenter des

propositions concrètes aux fins de la délimitation dans la mer des Caraïbes.

16. Si les négociations relatives à la me r des Caraïbes visaient surtout à définir

o
l’emplacement de la borne n 1, celles relatives à l’océan Pacifique se sont poursuivies et les deux

Etats ont échangé des propositions. Il convient tout particulièrement de relever qu’ils étaient tous

deux d’accord pour utiliser la méthode de l’équidist ance afin d’établir la frontière de leurs mers

territoriales respectives dans l’océan pacifique, ce qui fait que leurs propositions relatives à cette

zone étaient, dans l’ensemble, concordantes.

17. Le Nicaragua, qui dit ne «se souv[enir] d’ aucune négociation engagée avec le Costa Rica

sur la délimitation de zones maritimes dans la mer des Caraïbes» 10, a donc une mémoire

extrêmement sélective. Compte tenu de ce qui vient d’être rappelé, et en particulier de la

suspension du processus de négociation du fait de l’inertie du Nicaragua, jamais les négociations

relatives à la mer des Caraïbes n’ont atteint un stade auquel des propositions concrètes de

délimitation pouvaient être échangées. Mais, si les négociations relatives à l’établissement de

frontières maritimes dans l’océan pacifique et dans la mer des Caraïbes ont été officiellement

jointes, c’est parce que des droits se chevauchai ent dans ces zones. Pour quelle autre raison les

10
Ibid. - 17 -

deux pays auraient-ils entrepris de négocier leurs frontières maritimes, si ce n’est parce que leurs

intérêts respectifs se chevauchaient ?

18. A la lumière de ce qui précède, la Cour ne peut que constater que les frontières maritimes

du CostaRica dans la mer des Caraïbes sont actue llement incertaines, et qu’elles le demeureront

nécessairement tant qu’elle n’aura pas rendu sa décision en la présente affaire.

25
Les traités de délimitation maritime conclus entre le CostaRica et ses voisins sont res inter
alios acta

19. Monsieur le président, dans ses observations écrites sur la requête à fin d’intervention du

Costa Rica, le Nicaragua examine en détail les acco rds de délimitation maritime que le Costa Rica

a conclus avec le Panama et signés avec la Colomb ie. Dans les deux cas, l’analyse qu’il en fait

pour atteindre son but est contraire à toute logi que. Le Nicaragua estime qu’en concluant un

accord de délimitation maritime avec le Panama, «le CostaRica reconnaît n’avoir aucun droit sur

11
les zones se trouvant à l’est d[u] point terminal» de la frontière en question. Et il estime qu’«[i]l

en va de même» 12dans l’accord de délimitation maritime signé avec la Colombie, au sujet duquel

il conclut que «le Costa Rica n’a aucune revendication concernant les zones maritimes à l’est de la

ligne du méridien situé par 82° 14' 00" de longitude ouest» 13.

20. Le Nicaragua fait une interprétation erron ée de l’effet des traités que le CostaRica a

conclus avec le Panama et la Colombie. Le CostaRica n’a certainement pas reconnu dans ces

accords —ni ailleurs— ce que le Nicaragua souha iterait qu’il ait reconnu: à savoir, qu’il aurait

renoncé à certaines prétentions ma ritimes qu’il pourrait avoir vis-à- vis du Nicaragua dans la mer

des Caraïbes. Les accords maritimes sur lesquels le Nicaragua se fonde pour tirer son incroyable

conclusion n’emportent, ni expressément ni implicitement, renonciation du CostaRica à de

quelconques zones maritimes au profit d’Etats tiers non parties auxdits accords. Autrement dit, les

accords que le CostaRica a conclus avec ses au tres voisins sont le résultat de négociations

spécifiques menées entre les parties en question et sont, avant tout, res inter alios acta pour le

Nicaragua et pour tout autre Etat non partie.

11Ibid., p. 3, par. 16.
12
Ibid., p. 4, par. 17.
13Ibid., p. 4, par. 18. - 18 -

21. Comme le précise l’article 34 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,

14
«[u]n traité ne créé ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement» . N’en

déplaise au Nicaragua, même avec la meilleur e volonté du monde, il ne parviendra pas à

s’affranchir de cette règle ancienne. Le Nicaragua n’est donc évidemment pas lié par les traités que

le CostaRica a conclus avec d’autres Etats, et il ne saurait bénéficier des accords maritimes

bilatéraux que celui-ci a négociés avec le Panama et la Colombie ni faire fond sur eux. Ces accords

ne portent répartition d’intérêts maritimes se ch evauchant dans la mer des Caraïbes qu’entre les
26

Etats signataires, et c’est là leur seul effet. La Cour ne peut tout simplement pas réaliser le vŒu

formé par le Nicaragua.

22. Il est donc clair que, tant du point de vue juridique que du point de vue factuel, le

Nicaragua ne peut retirer de ces accords aucun intérêt d’ordre juridique ni aucun droit. Et cela vaut

d’autant plus qu’il tente de le faire en vue d’ obtenir des avantages juridiques au détriment du

Costa Rica, Etat qu’il cherche aujourd’hui à empêcher de faire valoir ses intérêts.

La demande de plateau continental étendu fo rmulée par le Nicaragua est dépourvue de
pertinence

23. Je souhaiterais enfin, avant de conclure mon exposé, indiquer que, dans ses observations

écrites, le Nicaragua semble également accorder une grande importance au fait qu’il a présenté au

Bureau du Secrétaire général de l’Organisation d es NationsUnies des informations préliminaires

sur ses droits à un plateau continental étendu dans la mer des Caraïbes, alors que le Costa Rica ne

15
l’a pas fait . Cette remarque est, comme tant d’autres, absolument dépourvue de pertinence. En

effet, en application de l’article 56 de la convention des Nations Unies de1982 sur le droit de la

mer, la zone économique exclusive de deux cent mi lles marins à laquelle le Costa Rica a droit dans

la mer des Caraïbes comprend déjà les fonds marins et le sous-sol y relatif, c’est-à-dire le plateau

continental auquel il a droit au sein de cette zone. Les prétentions d’Etats tiers à des zones

économiques exclusives —toutes situées à moins de deuxcentmilles marins de leurs côtes

respectives— empêchant la présentation de demandes de plateau continental au-delà de

14
Convention de Vienne sur le droit ds traités, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités , vol.1155,
p. 331.
15Observations écrites du Nicaraguaet de la Colombie sur la demande à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 4, par. 20. - 19 -

deux cent milles marins dans le bassin des Caraïbes, il était inutile que le Costa Rica présente une

demande de plateau continental au-delà de sa zone économique exclusive. Cela étant, s’il venait à

disposer d’informations techniques ou de fondements juridiques lui perm ettant de le faire, il s’en

réserve le droit.

24. En fait, le CostaRica a, dans une note diplomatique adressée au Secrétaire général de

l’Organisation des NationsUnies le19août2010, formulé des objections aux informations

préliminaires communiquées par le Nicaragua et ce, en raison d’intérêts se chevauchant au sein des

zones maritimes que le Nicaragua revendiquait da ns la mer des Caraïbes, le CostaRica les

revendiquant également.

25. En outre, il convient de noter que le fait que le Costa Rica ait présenté des informations

préliminaires n’emporte pas acceptation automa tique de sa demande. Comme chacun sait, une

demande finale doit être déposée auprès de la Commission des limites du plateau continental des

NationsUnies, laquelle l’examinera avec atten tion avant de formuler ses observations et
27

recommandations au Nicaragua. Or, rien de cela n’a été fait.

26. Monsieur le président, ainsi que je viens de le démontrer, les trois frontières maritimes

du CostaRica dans la mer des Caraïbes sont étro itement liées les unes aux autres. Elles ont

également un dénominateur commun : toutes trois risquent d’être affectées par la décision à venir

en matière de délimitation en la présente affaire. Le CostaRica souhaite informer la Cour de ce

risque en intervenant à l’instance.

27. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.

Je vous remercie pour votre attention et vous prie respectueusement, Monsieur le président, de bien

vouloir appeler à la barre M. Carlos Vargas.

Le PRESIDENT: Je vous remercie pour votre exposé, M.ArnoldoBrenes, et appelle

maintenant M. Carlos Vargas à la barre. - 20 -

M. VARGAS :

Q UESTION DES DOCUMENTS ANNEXÉS ,NIVEAU DE PREUVE EXIGÉ ET FONDEMENT DE

L’INTÉRÊT JURIDIQUE DU C OSTA R ICA DANS LA MER DES C ARAÏBES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur que

de plaider devant vous au nom de la République du CostaRica. Il m’incombe aujourd’hui de

mettre plus particulièrement l’accent sur certains asp ects de notre requête à fin d’intervention dans

le présent différend. Ainsi, je démontrerai notamment la façon dont certains critères énoncés à

l’article81 du Règlement de la Cour doivent êt re interprétés et appliqués à cette requête, et

exposerai le fondement de l’intérêt d’ordre juridique du Costa Rica dans la mer des Caraïbes.

La décision du Costa Rica de ne pas annexer de documents à sa requête à fin d’intervention

est sans portée juridique et ne constitue d’aucune manière un vice de procédure

2. Je commencerai mon exposé en examinant le paragraphe 3 de l’article 81. Il y est indiqué

que «[l]a requête contient un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés» 16. Dans ses

observations écrites, le Gouvernement du Nicaragua avance que la décision du CostaRica de ne

pas annexer de documents à sa requête rend «encore plus difficile de déterminer exactement ce que

17
sont les intérêts d’ordre juridique [que le CostaRica] invoque» , ce qui sous-entend que cette

28 supposée absence de documents présentés à l’appui de la requête constitue une irrégularité. Cette

accusation est totalement dépourvue de fondement.

3. Tout d’abord, la Cour a précisé que, a ux termes de l’article81, le fait d’annexer des

documents ne constitue pas une obligation. Dans son arrêt sur la requête à fin d’intervention des

Philippines en l’affaire opposant l’Indonésie à la Mala isie, elle a en effet indiqué que cet article

«n’exige pas que l’Etat qui demande à interv enir annexe nécessairement à sa requête des

documents à l’appui. Ce n’est que dans le cas où de tels documents ont effectivement été annexés

à la requête que celle-ci doit contenir ledit bordereau»Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau

Sipadan (Indonésie/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p.587,

16
Règlement de la Cour, art. 81, par. 3.
17Observations écrites de la République du Nicaragua sur lnde à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 10, par. 25. - 21 -

par. 29). La Cour a en outre précisé que «l’Etat qui cherche à intervenir a seul le choix des moyens

de preuve qu’il invoquera à l’appui de ses allégations» 18.

4. Bien que ces observations suffisent à démontrer le caractère erroné de l’affirmation du

Nicaragua, je tiens à rectifier une autre allégati on non moins erronée que celui-ci a formulée dans

le même paragraphe de ses observations relativement à cette mê me question. Le Nicaragua

soutient en effet que la décision du Costa Rica de ne pas annexer de documents inutiles à l’appui de

19
sa requête est «[à] l’opposé de ce qu’a fait la Guinéeéquatoriale» dans sa requête à fin

d’intervention dans le différend opposant le Cameroun au Nigéria, requête qui a été jugée

recevable. Un lecteur peu averti pourrait en dédui re que la Guinéeéquatoriale a annexé à sa

requête une quantité importante de documents, ce qui distinguerait cette dernière de celle du

Costa Rica.

5. Or, ainsi que la Cour s’en souviendra, la Guinéeéquatoriale s’est en réalité contentée

d’annexer à sa requête deux documents distincts, dans lesquels étaient mentionnées certaines

20
dispositions juridiques internes établissa nt ses titres sur des espaces maritimes . Il convient de

relever que le CostaRica a, pour l’essentiel, fa it de même en se référant à l’article6 de sa

21
constitution dans la requête elle-même . Ces deux requêtes peuvent donc être considérées comme

équivalentes. Quoi qu’il en soit, celle du Cost aRica est, de toute évidence, suffisamment étayée

par les éléments de preuve qu’elle contient et les documents que les Parties à la présente espèce ont

communiqués à la Cour.

29 Le niveau de preuve exigé au stade de la requête est peu élevé et les éléments que le

Costa Rica a présentés à la Cour y satisfont

6. Cette observation m’amène tout nature llement au point suivant de mon exposé,

c’est-à-dire à la question du niveau de preuve auqu el le CostaRica doit satisfaire au stade de sa

requête dans la procédure d’intervention. Dans ses observations écrites, le Nicaragua avance que le

CostaRica «ne spécifie pas claire ment l’intérêt d’ordre juridiqu e qui est pour lui en cause en

18 Ibid.
19
Ibid.
20 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun/Nigéria), requête à fin

d’intervention du Gouvernement de la Guinée équatoriale, p. 16-39.
21 Requête à fin d’intervention déposée par la République du Costa Rica, p. 3, par. 14 et note de bas de page n 1. - 22 -

l’espèce» . Le problème ne réside cependant pas dans la requête du Costa Rica, mais dans la

confusion qu’opère le Nicaragua au sujet du niveau de preuve qui incombe au Costa Rica à ce stade

de la procédure. En effet, la requête du Cost a Rica satisfait aisément à ce niveau de preuve, à

condition de le définir comme il convient.

7. Le Nicaragua semble exiger du Costa Rica qu’il présente intégralement son argumentation

sur le fond de son intervention au moment du dépôt de sa requête à fin d’intervention. Or, cela

reviendrait à dénaturer profondément la procédure d’intervention telle qu’établie dans le règlement

de la Cour. Cette procédure se déroule en réa lité en deux phases distinctes: premièrement, la

«phase de la requête», dans la quelle nous nous trouvons présenteme nt; et, deuxièmement, dans

l’hypothèse où il a été fait droit à cette requête à fin d’intervention, la « phase de l’intervention»,

qui est celle au cours de laquelle l’Etat intervenant présente l’ensemble de sa position sur le fond.

8. A ce stade initial, celui de la requête , il n’incombe pas au Costa Rica d’exposer

intégralement chacun des arguments qu’il pourra it formuler lors de la phase suivante de

l’intervention. Procéder ainsi encombrerait en effet inutilement la Cour d’informations dépourvues

de pertinence aux fins de la décision qui l’occupe en ce moment. Ainsi qu’elle l’a indiqué au sujet

de la requête du Nicaragua à fin d’intervention dans l’affaire entr e El Salvador et le Honduras, un

Etat cherchant à intervenir est seulement tenu, au stade de la requête, «d’établir de façon

convaincante … l’intérêt d’ordre juridique considéré par lui comme susceptible d’être affecté par la

décision à rendre en l’espèce et de montrer en quoi cet intérêt risque d’être affecté» (Différend

frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention,

arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 117-118, par. 61). De plus, ainsi que M. le juge Sette-Camara l’a fait

observer dans son opinion dissidente jointe à l’a rrêt relatif à la requête de l’Italie à fin

d’intervention dans le différend entre la Libye et Malte,

30 «[a]u cours de la première phase de la procédure d’intervention ⎯ la seule qui nous

préoccupe ici ⎯ la tâche de la Cour consiste uni quement à décider si elle entend ou
non faire droit à la requête. Ce n’est que si elle admet l’intervention que l’intervenant
est tenu d’exposer sur le fond l’objet de sa demande et les raisons pour lesquelles il
estime que ses intérêts sont en cause.» (Plateau continental (Jamahiriya arabe

libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, opinion
dissidente de M. le juge Sette-Camara, p. 83-84, par. 65 ; les italiques sont de nous.)

22
Observations écrites de la République du Nicaragua sur la dende à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 2, par. 4. - 23 -

9. Par conséquent, le CostaRica assume la charge de la preuve qui lui incombe

effectivement à ce stade de la procédure et qui consiste à démontrer de façon convaincante qu’il se

prévaut d’un intérêt juridique qui risque d’être a ffecté par la décision de la Cour concernant le

différend en cause. Selon le Costa Rica, les éléments présentés dans sa requête et dans ses exposés

oraux vont d’ailleurs largement au-delà du niveau de preuve exigé, tel qu’appliqué comme il

convient à ce stade de la procédure.

Le fondement de l’intérêt juridique du Costa Rica dans la mer des Caraïbes

10. Ayant examiné ces deux points de procédure que suscitent les prescriptions de

l’article81 du Règlement de la C our, je conclurai en exposant le fondement de l’intérêt juridique

du CostaRica dans la mer des Caraïbes. Conformé ment aux principes du droit international, le

Costa Rica a fait valoir des droits et une juridiction souverains sur ses espaces maritimes situés tant

dans l’océan Pacifique que dans la mer des Caraïbes. Cela ressort clairement de la constitution du

CostaRica, de sa législation et de sa réglementa tion internes ainsi que des accords internationaux

qu’il a conclus.

11. Tout d’abord, l’article6 de la constitution de la République du CostaRica dispose

expressément que :

«L’Etat exerce une souveraineté exclusive sur l’espace aérien de son territoire,
sur ses eaux territoriales jusqu’à une distance de douze milles de ses côtes, calculée à

partir de la laisse de basse mer, sur le plateau continental et sur le socle insulaire, en
accord avec les principes du droit international.

Il exerce, en outre, une juridiction spéciale sur les mers adjacentes à son
territoire jusqu’à une distance de deux cent milles à compter de cette même ligne, afin
de protéger, de conserver et d’exploiter en exclusivité toutes les ressources et les

richesses naturelles existant dans 23s eaux, le sol et le sous-sol de ces zones,
conformément à ces principes.»

C’est par ces dispositions, auxquelles sa requête se réfère clairement 24, que le CostaRica fait

expressément valoir ses droits à des espaces maritimes en vertu du droit international. Si ces droits

ne constituent pas un intérêt d’ordre juridique, alors cette notion n’a aucun sens.

12. Ensuite, l’exercice par le Costa Rica de ses droits et de sa juridiction souverains sur ses

espaces maritimes ressort des accords internationaux qu’il a conclus ainsi que de sa législation

23
Constitution de la République du Costa Rica, 1949, art. 6.
24Requête à fin d’intervention déposée par la République du Costa Rica, p. 3, par. 14 et note de bas de page n 1. - 24 -

31 interne. Je me contenterai de mentionner quelques exemples. Premièrement, le Costa Rica adopte

depuis plus de soixanteans des textes législatifs et réglementaires relatifs à ses zones de pêches,

l’illustration la plus récente étant la loi re lative à la pêche et à l’aquaculture de2005 25.

Deuxièmement, le Costa Rica a adopté une législation réglementant l’exploitation de ses ressources

et de ses réserves maritimes pétrolières et gazières 26. Troisièmement, le CostaRica a également

adopté des textes législatifs prévoyant des sancti ons pénales pour les activités liées à la pêche

27
illicite et à la piraterie . Quatrièmement, le CostaRica et ses voisins des Caraïbes mènent,

conformément à des accords internationaux, des acti ons conjointes pour lutter contre le trafic de

28
stupéfiants dans la région des Caraïbes .

13. Enfin, conformément à sa constitution et à sa législation interne, le Costa Rica a accordé

des permis de pêche et d’exploitation pétrolière et gazière dans certaines parties de sa zone

caribéenne, et exercé d’autres manières encore ses droits et sa juridiction souverains sur cette zone.

14. Il apparaît donc clairement que le Co staRica possède un intérêt d’ordre juridique

incontestable dans la mer des Caraïbes.

Conclusions

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ces observations nous

permettent de formuler trois conclusions. Pr emièrement, la requête du CostaRica est complète

sans que des documents y soient annexés, et elle satisfait pleinement aux exigences d’ordre

procédural applicables. Deuxièmement, la requê te du CostaRica satisfait aisément au niveau de

preuve exigé à ce stade de la procédure ⎯c’est-à-dire au stade de la requête ⎯ encequ’elle

démontre clairement et de manière convaincante l’existence de l’intérêt d’ordre juridique du

CostaRica dans la mer des Caraïbes, intérêt qui ris que d’être affecté par la décision de la Cour.

25 o er
Loi n 8436, 1 mars2005, qui peut être consultée sur le site Internet http://www.acto.go.cr/descargas/
Ley_Pesca_y_Acuicultura_8436.pdf.
26 o
Loi du CostaRica sur les hydrocarbures, loi n 7399, 3 mai 1994, qui peut être consultée sur le site Internet
http://www.mag.go.cr/legislacion/1994/ley-7399.pdf.
27 o
Régime des navires battant pavillon étranger en vertu du droit rela tif à la mer patrimoniale, loi n6267,
29août1978, qui peut être consultée sur le site Inte rnet http://www.pgr.go.cr/scij/Busqueda/Normativa/Normas/nrm
_repartidor.asp?param1=NRTC&nValor1= 1&n Valor2=32016&nValor3=33767&strTipM=TC.
28
Accord relatif à la coopération en matière de répression du trafoc illicie de stupéfiants et de substances
psychotropes par voie maritime et aérienne dans la région des Caraïbes, loi n 8800, 28 avril 2010, qui peut être consultée
sur le site Internet http://www.oas.org/juridico/spanish/tratados/sp_conve_coop_traf_estup.p…. - 25 -

Enfin, troisièmement, le droit et la pratique du CostaRica établissent clairement que celui-ci est

fondé à invoquer ses droits et sa juridiction souv erains sur ses espaces maritimes dans la mer des

Caraïbes, et qu’il a un intérêt juridique à le faire.

16. Monsieur le président, ainsi s’achève mon exposé. Je vous remercie de votre attention et

vous prie respectueusement de bien vouloir appeler à la barre M. Lathrop. Je vous remercie.

32 Le PRESIDENT: Je vous remercie de votre exposé, M.CarlosVargas. La Cour doit

entendre deux autres intervenants ce matin mais, étant donné l’heure, je propose que nous fassions

une courte pause de dix minutes, jusqu’à 11h20,et que nous reprenions ensuite l’audience avec

l’exposé suivant du Costa Rica.

L’audience est suspendue de 11 h 10 à 11 h 20.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à M. Coalter Lathrop.

M. LATHROP :

PORTÉE GÉOGRAPHIQUE DE L INTÉRÊT JURIDIQUE QUI EST EN CAUSE POUR LE COSTA R ICA

EN L ESPÈCE ET QUESTION DE SAVOIR COMMENT CET INTÉRÊT JURIDIQUE POURRAIT
ÊTRE AFFECTÉ PAR LA DÉCISION QUE RENDRA LA C OUR

1. Je vous remercie Monsieur le président.Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, c’est un grand honneur que d’apparaître devant vous ce matin au nom de la République

du CostaRica. Monsieur le président, avant de commencer, permettez-moi de soulever une

question pratique. Ce matin, le CostaRica a utilisé une cinquantaine de minutes sur les

deuxheures qui lui ont été attribuées. Il nous reste quelque soixante–dix minutes. Si l’on tient

compte de la pause, et des questions liminair es évoquées plus tôt ce matin, nous espérons, si vous

le permettez, poursuivre jusqu’à environ 12 h 30 et utiliser ainsi complètement les deux heures qui

nous ont été imparties.

Le PRESIDENT: Je vous remercie MonsieurLathrop. J’ai annoncé au début de ma

présentation qu’il serait dûment tenu compte du temp s que j’ai consacré au discours d’ouverture.

J’entendais par là que cela serait pris en compte dans le calcul des deux heures. - 26 -

M. LATHROP :

2. Je vous remercie. Monsieur le président, m on collègue vient de vous décrire la nature de

l’intérêt d’ordre juridique du Costa Rica. Je suis chargé ce matin de vous dé montrer que cet intérêt

pourrait être affecté par la décision de délimitation qui sera rendue en l’espèce. Ce ne sera pas

tâche difficile, étant donné que les faits géographiques, notamment la configuration côtière de la

partie sud-ouest de la mer des Caraïbes, la zone dans laquelle le CostaRica a un intérêt d’ordre
33
juridique et la zone en litige telle que définie par les revendications qui opposent les Parties, ces

faits géographiques ne permettent qu’une seule conclusion : le Costa Rica ayant un intérêt d’ordre

juridique dans la zone de la mer des Caraïbes qui est également en litige entre les Parties à la

présente instance, la délimitation par la Cour de cette zone contestée pourrait affecter cet intérêt

du Costa Rica.

3. Ma plaidoirie de ce matin se déroulera de la manière suivante: premièrement, je

présenterai la zone géographique minimale à l’égard de laquelle l’intérêt d’ordre juridique du

CostaRica est en cause. Deuxièmement, je décrir ai la zone en litige entre le Nicaragua et la

Colombie. Troisièmement, je démontrerai que la zone à l’égard de laquelle le CostaRica a un

intérêt d’ordre juridique et la zone en litige en l’espèce présentent un chevauchement marqué.

Quatrièmement, je décrirai comment une décisi on de délimitation pourrait affecter l’intérêt

juridique du Costa Rica.

La portée géographique minimale de l’intérêt juridique du CostaRica dans la mer des
Caraïbes

4. Le Costa Rica a un intérêt d’ordre juridique se rapportant à l’exercice de sa souveraineté,

de ses droits souverains et de sa juridiction da ns sa mer territoriale et dans sa zone économique

exclusive. Reste toutefois à déterminer l’étendue spatiale de ces zones.

5. Je commencerai par montrer à la Cour l’ étendue hypothétique des zones maritimes du

CostaRica en l’absence de chevauch ement d’intérêts et de revendications d’Etats voisins. Après

avoir présenté ces zones dans l’abstrait, j’examinerai les facteurs qui limitent l’étendue des zones et

du secteur d’intérêt du Costa Rica. - 27 -

6. A l’écran apparaît une carte illustrant la relation géographique en
tre le CostaRica et

d’autres Etats côtiers de la région. Le CostaRi ca se trouve au sud-ouest (ou en bas à gauche de

l’écran), le Nicaragua au nord, la Colombie au nord-est, et le Panama au sud-est du CostaRica.

Tous constituent les Etats côtiers qui font face à la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes.

7. Le CostaRica revendique une mer territo riale de douzemilles marins et une zone

économique exclusive de deuxcentmilles marins dans la mer des Caraïbes. Ces deux zones

maritimes apparaissent à présent sur la carte, représentées par deux nuances de bleu.

8. Dans l’hypothèse où aucun Etat voisin ne disposerait d’un titre, le CostaRica aurait des

titres maritimes, et l’intérêt juridique qui en d écoule, dans les zones représentées sur la carte.

Toutefois, afin de comprendre la zone maritime réelle dans laquelle le CostaRica a un intérêt

34
d’ordre juridique, nous devons faire entrer en ligne de compte les relations de voisinage du

Costa Rica avec le Nicaragua, la Colombie et le Panama.

9. Comme vous venez de l’entendre, le Costa Rica a négocié deux frontières maritimes dans

la mer des Caraïbes : une avec le Panama et une autre avec la Colombie. Ces frontières limitent, à

l’égard de ces parties au traité, la zone pour laquelle le CostaRica fait valoir un intérêt d’ordre

juridique. Le Costa Rica n’est toujours pas convenu d’une frontière maritime avec le Nicaragua et

aucune juridiction internationale n’a délimité cette frontière. Cela constitue une différence

importante entre la requête à fin d’intervention du Costa Rica et celle du Honduras en l’espèce.

10. Dans ma présentation des frontières du Costa Rica, je commencerai par le Panama, avant

d’aborder, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, la Colombie et le Nicaragua. Le

Costa Rica et le Panama sont convenus d’une frontière rectiligne qui part du point terminal de leur

frontière terrestre commune et s’étend vers le large, formant une ligne d’équidistance simplifiée

établie à partir des côtes continentales des deux Etats limitrophes. En concluant ce traité frontalier

bilatéral, le CostaRica a renoncé, à l’égard du Panama, à ses prétentions sur l’espace maritime

s’étendant au sud et à l’est de la frontière avec le Panama. La carte à l’écran montre à présent

l’effet de la frontière convenue entre le CostaRi ca et le Panama sur la zone dans laquelle le

Costa Rica a un intérêt juridique.

11. Le CostaRica est également convenu d’une ligne avec la Colombie dans la partie

sud-ouest de la mer des Caraïbes, qui sépare des secteurs de chevauchement des zones maritimes - 28 -

générées par la côte continentale caribéenne du CostaRica et la côte insulaire caribéenne de

SanAndrés, qui appartient à la Colombie. J’appell erai cette frontière la ligne de 1977, et elle

apparaît à présent à l’écran. Il s’agit d’une ligne d’équidistance simplifiée à deux segments qui se

dirige vers le nord «jusqu’au point où la délimitation doit être faite avec un Etat tiers». Dans cette

configuration géographique, cet Etat tiers ne pouvait être que le Nicaragua, et la «délimitation»

évoquée est la délimitation future d’une frontière latérale entre le Cost aRica et le Nicaragua

partant du point terminal de leur frontière terrest re commune jusqu’au tri-point maritime avec la

Colombie. En application de l’accord qu’il a conc lu avec la Colombie, et qui a défini la ligne

de1977, le CostaRica renonce à sa revendication (à l’égard de la Colombie) sur les zones

s’étendant au nord et à l’est de cette ligne. La carte qui apparaît à présent à l’écran montre les

deuxfrontières dont le CostaRica a reconnu qu’elles délimitaient dans la mer des Caraïbes, en

vertu d’un accord bilatéral, l’étendue de ses titres maritimes.

35 12. Fait important : la ligne de 1977 est le résultat d‘un accord conclu entre le Costa Rica et

la Colombie uniquement. Pour tout autre Etat, cet accord est res inter alios acta. Il n’est pas

opposable à d’autres Etats, et ceux-ci, y compris le Nicaragua, ne peuvent l’invoquer pour limiter la

zone dans laquelle le CostaRica a un intérêt ju ridique. Ceci, bien sûr, vaut également pour

l’accord conclu entre le Costa Rica et le Panama.

13. Ainsi que le CostaRica l’a relevé dans sa requête, les négociati ons qui ont conduit à

l’établissement de la ligne de 1977 reposaient su r l’idée que le CostaRica et la Colombie avaient

des titres qui se chevauchaient su r des espaces maritimes qu’ils de vaient partager d’un commun

29
accord . Cette idée essentielle découle de deux hypothèses. Selon la première, la Colombie a une
e
frontière maritime convenue avec le Nicaragua le long du 82 méridien de longitude ouest, laissant

les espaces maritimes situés à l’est de ce méridien à la Colombie. Selon la deuxième, les

formations insulaires de la Colombie devaie nt se voir reconnaître un plein effet dans une

délimitation. Compte tenu des titres maritimes du Costa Rica, cela signifiait que la Colombie était

l’Etat avec lequel le Costa Rica avait une frontière dans cette partie de la mer des Caraïbes.

29
Requête à fin d’intervention du gouvernement du Costa Rica, p. 3, par. 13. - 29 -

e
14. Le Nicaragua a contesté ces hypothèses au principal. Il a contesté le 82 méridien de

longitudeouest en revendiquant une zone qui s’ étend à l’est de cette ligne, passe par les îles

colombiennes, et va bien au-delà de la limite des deux cent milles marins du Nicaragua. La «ZEE

sur laquelle le Nicaragua a un titre potentiel», qu’il a présentée dans toutes ses conclusions,

apparaît à présent à l’écran. La frontière revendiquée par le Nicaragua, comme il la décrit dans sa

réplique, s’étend bien au-delà de cette zone, vers l’est. Le Nicaragua a également contesté l’effet

des îles colombiennes sur une délimitation, demanda nt à la Cour de donner beaucoup moins que le

plein effet aux formations insulaires de la Colo mbie. En réalité, si l’on tient compte de la

délimitation proposée par le Nicaragua, les formations insulaires de la Colombie généreraient une

mer territoriale d’une largeur maximale de douzemilles marins, voire beaucoup moins dans

certains cas. Ces enclaves apparaissent à présent en blanc à l’écran. Pour le Nicaragua, les

enclaves maritimes représentées à l’écran sont la seu le zone que la Colombie pourrait obtenir dans

la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes, l’espace maritime restant devant lui revenir.

15. Le CostaRica s’abstient de prendre position sur les revendications frontalières des

Parties ou sur la question de l’effet des formations insulaires de la Colombie sur une délimitation

36 entre la Colombie et le Nicaragua. Cependant, il lui est impossible de ne pas envisager que toute la

base sur laquelle la ligne de 1977 a été négociée pourrait être anéantie par la création d’une zone

d’eaux non-colombiennes juste au nord et à l’est de cette ligne, ce qui viderait de son sens l’accord

conclu entre le Costa Rica et la Colombie. C’est parce que le Nicaragua revendique en l’espèce la

zone située au nord et à l’est de la ligne de 1977, et c’est parce que la Cour pourrait délimiter la

frontière entre le Nicaragua et la Colombie de telle manière que ces zones ne seraient plus

colombiennes, que le CostaRica fait valoir qu’il a un intérêt d’ordre juridique à l’égard de cette

zone en dépit de l’accord qu’il a conclu avec la Colombie.

16. La carte projetée représente l’incidence de la position du Nicaragua en l’espèce sur la

zone d’intérêt du Costa Rica. Alors que cette zone pourrait être délimitée par la ligne de 1977 si la

Colombie était l’Etat ayant juridiction sur les eaux situées au nord et à l’est, cette limite n’existerait

pas si la Colombie n’était pas l’Etat ayant juridiction au nord et à l’est de cette ligne. Dans ces

conditions, le Costa Rica a un intérê t juridique légitime dans les zon es s’étendant au nord et à l’est - 30 -

de la ligne de 1977, et qui s’étendent au moin s jusqu’à la limite extérieure de deuxcentmilles

marins de sa zone économique exclusive.

17. J’en viens à présent à la troisième et dernière relation frontalière entre le CostaRica et

ses voisins de la mer des Caraïbes: la frontière au nord entre le CostaRica et le Nicaragua.

Comme la Cour le sait, le Costa Rica et le Nicaragua partagent une frontière terrestre qui s’étend de

l’océan Pacifique à la mer des Caraïbes. Par ailleurs, les deux pays ont une frontière maritime dans

le Pacifique et dans la mer des Caraïbes. En dépit de leurs efforts, le Costa Rica et le Nicaragua ne

sont pas parvenus à fixer leurs frontières mar itimes, et ces deux Etats maintiennent donc, à cet

égard, des positions qui créent de vastes zones maritimes se chevauchant.

18. Le CostaRica ne se présente pas à la Cour pour lui soumettre la question de ses

frontières maritimes non délimitées avec le Nicaragua. Comme l’a dit l’agent, le Costa Rica pense

que la négociation est la meilleure voie à suivre pour résoudre ces litiges, et il reste persuadé que

c’est ainsi que les deux pays parviendront à fixer leur frontière maritime dans la mer des Caraïbes.

Une fois convenue, cette ligne constituera la limite septentrionale de la zone à l’égard de laquelle le

CostaRica a un intérêt juridique. Cependant, en l’absence d’une ligne convenue, le CostaRica

partira de l’hypothèse d’une frontière entre ses esp aces maritimes et ceux qui appartiendraient au

Nicaragua en application du droit international. Le Costa Rica ne demande pas à la Cour de tracer

cette frontière. Plus précisément, cette frontière fictive doit être invoquée pour montrer à la Cour

que la zone dans laquelle le Costa Rica a un intérêt juridique légitime et la zone en litige entre les
37

Parties à la présente espèce se chevauchent considérablement.

19. Mais le CostaRica n’a pas formulé de revendication maritime unilatérale en mer des

Caraïbes, et préfère au contraire se fonder su r sa constitution, dans laquelle ses prétentions

maritimes sont exprimées dans le respect des prin cipes du droit international. Quels sont donc ces

principes du droit international qui régissent la délimitation maritime ?

20. La délimitation maritime internationale est gouvernée par ce principe directeur qui veut

qu’une délimitation aboutisse à une solution ou à un résultat équitable. La Cour s’est attachée, au

fil des ans, à préciser ce principe assez vague et a mis au point une méthodologie permettant

d’arriver à une solution équitable. Cette méthodol ogie a été définie très récemment dans l’affaire

de délimitation de la mer Noire opposant la Roumanie et l’Ukraine. Dans sa décision unanime, la - 31 -

Cour a indiqué que «[l]orsqu[’elle était] priée de délimiter le plateau continental ou les zones

économiques exclusives, ou de tracer une ligne de délimitation unique, elle proc[édait] par étapes

bien déterminées» ( Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie cU . kraine), arrêt,

C.I.J. Recueil 2009, p.37, par.115). Dans une première étape, la Cour établit une ligne de

délimitation provisoire reposant généraleme nt sur la méthode de l’équidistance 30. Dans une

deuxième étape, la Cour «examine…s’il existe des facteurs appelant un ajustement ou un

déplacement de la ligne d’équidistance provisoire afin de parvenir à un résultat équitable» 31. Dans

une troisième étape, la Cour vérifie le caractère équitable de la délimitation en s’assurant

«qu’aucune disproportion marquée entre les zones maritimes ne ressort de la comparaison avec le

32
rapport des longueurs des côtes» .

21. Cette méthode en trois étapes, lorsqu’elle a été appliquée à la merNoire, a produit une

délimitation maritime équidistante entre les côtes continentales des Parties qui se faisaient face et

celles qui étaient adjacentes, n’accordant aucun effet à la formation insulaire que comprend la zone

située au-delà de sa propre mer territoriale et n’a ppelant pas d’ajustement de la ligne malgré une

certaine disproportion entre le rapport des longueurs de côte et celui des zones maritimes.

22. Dans certains cas, il n’a pas été possible de tracer une ligne de délimitation provisoire

fondée sur l’équidistance en raison d’une côte instable et de la difficulté à déterminer

l’emplacement des points de base. Tel fut le cas de la récente délimitation entre le Nicaragua et le

38 Honduras dans la mer des Caraïbes. La Cour a en l’espèce utilisé d’autres méthodes que celle de

l’équidistance stricte pour construire une ligne de délimitation provisoire. Dans l’affaire de

délimitation opposant le Nicaragua et le Honduras, la Cour a utilisé une bissectrice de l’angle

formé par les directions générales des côtes contin entales. Si cette méthode est également fondée

sur la distance, elle repose toutefois sur une re présentation simplifiée des côtes. Là aussi, la

méthode de la Cour a généré une frontière maritime fondée sur la distance, n’accordant aucun effet

au-delà de douzemilles marins aux formations insu laires situées dans la zone et ne procédant à

aucun ajustement proportionnel de la ligne.

30
[Affaire relative à lDélimitation maritime en merNoire (Roumanie c.Ukraine) , arrêt du 3février2009],
p. 37, par. 118.
31
Ibid., p. 37, par. 120 (citation omise)
32Ibid., p. 39, par. 122. - 32 -

23. Bien que ces deux affaires de délimitation très récentes aient abouti à des lignes de

délimitation fondées sur la distance, en grande partie non ajustées, il y a des situations dans

lesquelles les méthodes reposant sur la distance ne pr oduiront pas de résultat équitable. Il en va

33
notamment ainsi lorsqu’un Etat est situé au fond d’une concavité côtière .

24. L’application spécifique du processus de dé limitation en trois étapes varie d’une affaire

de délimitation maritime à une autre. Cela étant, plusieurs remarques peuvent être faites au sujet de

ces décisions. Premièrement, la configuration cô tière continentale ou la géographique côtière

constitue la principale préoccupation en mati ère de délimitation frontalière maritime.

Deuxièmement, en matière de délimitation, aucu ne importance n’est généralement accordée aux

petites îles, notamment en ce qui concerne les délimitations latérales entre Etats limitrophes. Les

îles sont habituellement dotées de mers territoriales de douzemilles marins en pareils cas.

Troisièmement, pour ajuster une ligne tenant compte de la disproportion entre la longueur des côtes

et la zone maritime, la disproportion doit être assez marquée. Quatrièmement et dernièrement,

dans certaines configuration côtières, les méthodes de délimitation fondées sur la distance exigent

un ajustement permettant de parvenir à un résultat équitable.

25. Quel est alors l’effet concret de ces princi pes lorsqu’ils sont appliqués à la relation entre

le Costa Rica et le Nicaragua dans la mer des Caraïbes ?

26. La carte qui est à présent projetée à l’écran représente la zone située au nord et au

nord-est de la côtecaraïbe du CostaRica, dans un rayon de deuxcentmilles marins à partir de

celle-ci. Le CostaRica serait–il habilité à exercer ses droits souverains et sa juridiction sur cette

zone en l’absence de tout titre maritime nicara guayen? Bien entendu, le Nicaragua possède lui

aussi des titres maritimes au large de ses côtes. En fait, il ressort de plusieurs figures jointes aux

pièces déposées par le Nicaragua en la présente espèce qu’il y aurait un chevauchement marqué

34
39 entre la zone revendiquée par le Nicaragua et celle qui revient au CostaRica . A un moment

donné, ce chevauchement devra être divisé équitablement entre le CostaRica et le Nicaragua.

Nous n’en sommes toutefois pas encore là. En tout état de cause, aux fins de la requête à fin

33
Voir par exemple, Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J.Recueil1969 , p.17-18, 48-49, par.8,
88-89.
34
MN, figures I et II ; RN, figures 3-1, 3-10, 4-5, 6-1, 6-5, 6-7, 6-8, 6-9, 6-10 et 6-11. - 33 -

d’intervention du Costa Rica, il est nécessaire de présenter une ligne qui s’approche suffisamment

d’un résultat équitable.

27. Comme nous l’avons indiqué, la Cour a mis au point une méthode permettant de parvenir

à pareil résultat. Le Costa Rica a appliqué cette méthode à la présente procédure d’intervention et a

conclu que les principes pertinents du droit international, s’ils étaient appliqués à cette géographie

côtière, déboucheraient ⎯ pour le moins ⎯ sur une ligne d’équidistance latérale tracée à partir des

35
côtes continentales du CostaRica et de son voisin, le Nicaragua . Cette ligne ⎯ une ligne

d’équidistance tracée sans ajustement à partir des côtes continentales du CostaRica et du

Nicaragua ⎯ est à présent projetée à l’écran.

28. Nous devrions prendre une minute pour préciser ce que cette ligne représente et ce

qu’elle ne représente pas. Cette ligne n’est pas un élément de négociation. Elle ne constitue pas

une prétention maximale plausible. Et, surtout, ce n’est pas une ligne que le CostaRica prie la

Cour de délimiter. Au contraire, il s’agit d’une ligne fondée sur une interprétation restreinte des

principes du droit international appliqués à cette configuration côtière particulière. Elle ne tient pas

compte, par exemple, de la position désavantageuse du Costa Rica au fond d’une concavité côtière.

Elle représente une limite septentrionale raisonnable de la zone ma ritime minimale dans laquelle le

Costa Rica possède un intérêt juridique. Elle ne sert en la présente espèce qu’à démontrer, aux fins

de la présente procédure, que l’intérêt juridique que possède le Costa Rica se trouve au cŒur même

de l’affaire de délimitation opposant le Nicaragua et la Colombie. Dans le cadre de ce scénario

hypothétique de délimitation entre le Costa Rica et le Nicaragua, développé conformément au droit

international et sans préjudice des intérêts d’autres Etats tiers, le Costa Rica possède un intérêt dans

la zone apparaissant en bleu.

29. A ce stade de la procédure, le Costa Rica n’est pas tenu de présenter des arguments très

détaillés en ce qui concerne cette délimitation. Le CostaRica doit uniquement démontrer qu’une

décision en matière de délimitati on de la Cour pourrait porter attein te à un intérêt juridique dont il

se prévaut. Ce serait le cas s’il y avait le moi ndre chevauchement entre la zone à laquelle le

40 CostaRica porte un intérêt juridique, ainsi qu’il ressort de la carte, et la zone en litige entre les

35
Requête à fin d’intervention du Gouvernement du Costa Rica, p. 3, par. 14. - 34 -

Parties à la présente espèce. Du point de vue du CostaRica, le chevauchement entre ces deux

zones est assez marqué, correspondant à environ trente mille kilomètres carrés.

La zone maritime en litige entre les Parties constitue l’objet du présent différend

30. Monsieur le président, permettez-moi d’en venir à présent à l’objet de l’instance

principale opposant le Nicaragua et la Colombie afin de démontrer le chevauchement important

entre cet objet et l’intérêt juridique du Costa Rica. Aux fins de l’intervention du Costa Rica, qui ne

porte pas sur des questions de souveraineté insulair e, la présente affaire a pour objet la zone

maritime en litige entre les Parties et la manièr e dont elle sera divisée en vertu de la décision

portant délimitation que prendra la Cour.

31. La Colombie semble accepter que le Cost aRica possède un intérêt juridique auquel la

décision portant délimitation pourrait porter atteinte. Le Nicaragua ne l’accepte pas. Le Nicaragua

semble indiquer qu’il ne peut y avoir d’intersecti on entre la ligne que le Nicaragua a demandé à la

Cour de délimiter et la zone dans laquelle le Costa Rica possède un intérêt juridique. Le Nicaragua

fait valoir, à l’appui de sa thèse, «que la ligne de délimitation qu’il veut avec la Colombie se trouve

nettement à l’est de la zone économique exclus ive de deuxcentmilles marins la plus avancée

36
revendiquée par le CostaRica» , et le Nicaragua cite la re quête du CostaRica dans laquelle

celui-ci a écrit que la nouve lle ligne de délimitation ⎯celle définie dans la réplique ⎯ se trouve

37
«au-delà de toute zone sur laquelle le Costa Rica revendique un titre» . Enfin, le Nicaragua écrit

38
que « [c]ette admission devrait être en soi suffisante pour rejeter la requête du Costa Rica» .

32. Mais, avant de plier bagage et de rentre r chez nous, nous devrions peut-être examiner

d’un peu plus près la logique suivie par le Nicara gua. La carte projetée à l’écran montre la zone

minimale sur laquelle le CostaRica possède un intérêt juridique. Les deux demandes de

délimitation maritime présentées par le Nicaragua en la présente affaire y sont à présent incluses.

La ligne en pointillés à l’ouest correspond à la demande soumise par le Nicaragua dans son

36
Observations écrites de la République du Nicaragua sur la dema nde à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 10, par. 27 ; les italiques sont de moi.
37
Ibid., p. 7, par. 32.
38Ibid., p. 8, par. 33 - 35 -

39
mémoire . La ligne continue à l’est correspond à la nouvelle demande faite par le Nicaragua dans

41 sa réplique 40. Le Nicaragua voudrait faire croire à la Cour que la seule zone en litige entre les

41
Parties est celle «où les droits des Parti es sur le plateau continental se chevauchent» . Cette zone

est à présent projetée à l’écran.

33. Mais la zone située au voisinage de la ligne de délimitation reve ndiquée par le Nicaragua

ne correspond que partiellement à l’objet de la pr ésente affaire de délimitation. En tentant de

convaincre la Cour que le Costa Rica ne saurait être autorisé à intervenir, le Nicaragua ne tient pas

compte du fait qu’il y a une autre Partie à l’inst ance principale. La Colombie, ce qui n’a rien

d’étonnant, a un point de vue différent sur la questio n de la délimitation. La ligne de délimitation

revendiquée par la Colombie à l’encontre du Nicaragua, telle qu’illustrée da ns son contre-mémoire

42
et sa duplique, a été ajoutée sur la carte que vous voyez à l’écran .

34. Ces deux ou trois lignes de délimitation, celle du Nicaragua à l’est et celle de la

Colombie à l’ouest, ne sont pas isolées. Bien que séparées par des centaines de milles marins, elle

de sont pas des lignes sans consistance dérivant dans l’océan; au contraire, elles sont

inextricablement liées aux zones maritimes revendiquées par chacune des Parties à la présente

affaire. Les lignes constituent simplement les confins des zones sur lesquelles les Parties font

valoir des droits à l’encontre l’ une de l’autre. La zone située entre les lignes est celle revendiquée

aussi bien par le Nicaragua que par la Colombie. Voilà la zone en litige entre les Parties. Voilà

l’objet du différend, la décision susceptible de porter atteinte à l’intérêt juridique du Costa Rica. Et

cette zone a été ajoutée sur la carte.

La zone en litige chevauchant celle où l’intérêt juridique du Costa Rica entre en jeu, celui-ci
risque de pâtir de la décision rendue en l’espèce

35. Le croquis que voici à l’écran résume bien l’essence de la demande d’intervention du

Costa Rica: il montre un net chevauchement entre la zone dans laquelle le Costa Rica détient un

intérêt juridique et celle que se disputent les Partie s à l’affaire principale. Ainsi, dès lors que la

39 MN, p. 266-267, «Conclusions», par. 9.
40
RN, p. 239-240, «Conclusions», par. 3.
41
RN, p. 157, par. 6.27.
42 RN, p. 157, par. 6.27. - 36 -

ligne de délimitation adoptée en l’espèce entrera dans cette zone de chevauchement, elle aura une

incidence sur l’intérêt juridique du Costa Rica.

36. Ce que vous voyez à l’écran correspond pour l’essentiel à un diagramme de Venn à deux

ensembles. Un ensemble, en rouge clair, illustre la partie de la mer des Caraïbes que les Parties se

disputent ici, et qui est au cŒur même de cette affaire de délimitation entre le Nicaragua et la

Colombie. Cet ensemble est délimité à l’est et à l’ouest par les frontières que les Parties

revendiquent l’une contre l’autre, et au sud pa r la limite méridionale de ce que le Nicaragua a

présenté comme la «ZEE sur laquelle [il] a un titre potentiel», ajoutée à sa portion de plateau

continental étendu, qui sont représentées l’une et l’autre dans sa réplique 4. L’autre ensemble, en
42

bleu, correspond à la partie de la mer des Caraïbes dans laquelle le Costa Rica a un intérêt d’ordre

juridique. Il est délimité par une frontière c onvenue avec le Panama, par une frontière théorique

avec le Nicaragua et par les limites extérieures de la zone économique exclusive à laquelle le Costa

Rica a droit. Le secteur en violet ou bleu fon cé montre le chevauchement des deux secteurs. Il

représente la portion de la zone litigieuse dans laquelle le Costa Rica a un intérêt juridique.

L’existence même de ce secteur violet démontre que, dans la présente affaire, la délimitation que la

Cour est priée d’effectuer met en cause et en péril l’intérêt juridique du Costa Rica.

37. Peut-être entendrez-vous l’une des Parties, voire les deux, contester la forme ou la taille

du secteur en violet projeté à l’écran. Le Costa Rica estime que la masse violette de quelque

30000kilomètres carrés illustrée sur cette carte est une représentation exacte du chevauchement

entre sa zone minimum d’intérêt et celle que les Parties se disputent. Cependant, quand bien même

ce secteur violet serait plus petit ou d’une form e différente, son existence même suffirait à

démontrer que la délimitation adoptée en l’espèce risque de porter atteinte à l’intérêt juridique du

Costa Rica.

Si le Costa Rica n’intervient pas, la décision que la Cour rendra en l’espèce risque de porter

atteinte à son intérêt juridique

38. Monsieur le président, j’en arrive à la question de savoir en quoi, exactement, une

décision en l’instance risque de porter atteinte à l’intérêt juridique du Costa Rica. Les Parties ont

43
RN, figures 3-10, 4-5, 6-5, 6-9, 6-10 et 6-11. - 37 -

prié la Cour de délimiter une fro ntière maritime entre elles. Elles ont avancé leurs positions

respectives à cet égard et ont délimité la zone litigieuse. A l’issue de la procédure orale sur le fond,

il reviendra à la Cour d’arrêter une ligne de délim itation divisant la zone contestée. Le Costa Rica

ne prétend pas connaître par avance l’issue de cette délimitation. Toutefois, il a songé aux issues

possibles et nombre d’entre elles sont susceptibles de nuire à ses intérêts.

39. Bien que de nombreuses délimitations soie nt possibles dans la présente affaire, la

frontière aura vraisemblablement certaines caractéristiques. Premièrement, la frontière maritime

décidée en l’espèce passera certainement quelque pa rt entre les lignes revendiquées par les Parties.

Deuxièmement, qu’elle soit tracée entre des îles qui se font face, comme le voudrait la Colombie,

43 ou entre des côtes continentales opposées, voire entre d’hypothétiques limites extérieures du

plateau continental, comme le Nicaragua le demande, la frontière suivra selon toute probabilité

⎯ généralement parlant ⎯ une direction nord-sud. Troisièmement, dans ce secteur sud-ouest

particulièrement encaissé de la me r des Caraïbes, la frontière courra sur toute sa longueur dans un

rayon de 200milles marins à partir du territoire des Parties ou d’un Etat voisin. Compte tenu de

ces trois caractéristiques, la relation frontalière du Nicaragua et de la Colombie doit nécessairement

prendre fin à l’endroit où, au nord et au sud, les espaces maritimes des deux Etats rencontrent un

secteur dans lequel un Etat tiers détient un intérêt. Autrement dit, une relation frontalière trilatérale

s’établira à chaque extrémité de la frontière colombo-nicaraguayenne. Au sud, cette relation

trilatérale pourrait se jouer entre les Parties à l’instance et le Costa Rica.

40. Tant dans le contre-mém oire que dans la duplique, la Colombie a pris note de ce

problème éventuel en indiquant qu’«[o]n peut s[e demander] jusqu’où devrait être prolongée la
44
ligne médiane en direction sud, étant donné les intérêts potentiels d’Etats tiers dans la région» .

Effectivement, cette question ⎯de savoir sur quelle distance au sud la frontière

colombo-nicaraguayenne devrait s’étendre compte tenu des intérêts du Costa Rica ⎯ est bien celle

qui préoccupe le Costa Rica dans la présente instance. Le Costa Rica n’est pas concerné par ce que

la Cour pourra décider quant au titre territorial, à l’effet de petites formations insulaires, au tracé de

la frontière colombo-nicaraguayenne d’est en ouest, ni, du reste, quant à l’extrémité septentrionale

44
CMC, p. 394, par. 9.34 ; DC, p. 312, par. 8.78. - 38 -

de la frontière. La question qui intéresse le Costa Rica est celle de savoir où se trouvera l’extrémité

méridionale de la frontière qui sera délimitée en l’ espèce et qui partagera la zone en litige entre les

Parties. Le Costa Rica a demandé l’autorisation d’ intervenir dans la présente affaire pour être en

mesure d’informer la Cour de l’étendue de ses intérêts juridiques et, ce faisant, l’aider à répondre à

cette question importante concernant l’extrémité méridionale de la frontière.

41. La question des points terminaux dans le voisinage d’Etats tiers n’est évidemment pas

propre à la délimitation à réaliser entre le Nicaragua et la Colombie, mais se pose dans la majorité

des affaires de délimitation bilatérale. La pratique des Etats et celle des juridictions internationales

montrent que ceux-ci sont fermement résolus à ne pas entrer dans des zones à l’égard desquelles

des Etats tiers ont exprimé un intérêt ou pourraie nt raisonnablement le faire. Et pour cause:

pénétrer dans ces zones risquerait de nuire aux intérêts de l’Etat tiers concerné, d’attiser un

44 différend existant voire, au pire, de créer un nouveau différend là où il n’en existait aucun. Point

n’est besoin à ce stade de l’instance d’examiner en profondeur la pratique des Etats ou celle des

juridictions en la matière. Il suffira de reve nir brièvement sur les quatre dernières affaires de

délimitation maritime que la Cour a tranchées ces dix dernières années.

42. Dans chacune de ces quatre affaires, la Cour s’est heurtée au problème des intérêts d’un

Etat tiers et elle a évité de s’aventurer dans des zones tierces en indiquant que la frontière entre les

parties se prolongerait à partir d’un point qu’e lle a prudemment établi au-delà de la zone où

intervenaient les intérêts de l’Etat tiers 45. Dans l’affaire de la délimitation entre la Roumanie et

l’Ukraine en mer Noire, la Bulgarie et la Turquie étaient les Etats tiers situés au sud de la zone à

délimiter. La Cour a tracé le dernier segment de sa ligne à partir d’un point fixe qu’elle a, par

prudence, situé en dehors de la zone susceptible d’intéresser les Etats tiers en faisant courir ce

segment le long d’un azimut constant «jusqu’à a tteindre la zone où les droits d’Etats tiers peuvent

entrer en jeu (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) , arrêt du 3 février 2009,

p. 67, par. 219 ; les italiques sont de nous). La Cour a rencontré le même problème à l’égard des

Etats tiers situés à l’est de la zone à délimiter dans l’affaire de la délimitation entre le Nicaragua et

45Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) , arrêt du 3février2009; Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p.659; Frontière terrestre et maritime entre lmeroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria;
Guinée équatoriale (intervenant)) , arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p. 303 ; Délimitation maritime et questions territoriales

entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 40. - 39 -

le Honduras dans la mer des Caraïbes; à l’égard de la Guinée équatoriale, située juste au sud de la

zone à délimiter, dans l’affaire de la délimitation entre le Cameroun et le Nigéria dans le golfe de

Guinée; et à l’égard de l’Iran au nord et de l’ Arabie saoudite au sud dans l’affaire de la

délimitation entre Qatar et Bahreïn dans le golfe arabo-persique. Dans toutes ces affaires, la Cour a

prolongé sa frontière dans une direction donnée à partir d’un point terminal qu’elle a prudemment

situé à l’extérieur de la zoneoù les intérêts d’Etats tiers pouvaient entrer en jeu.

43. Dans un seul des cas précités, l’Etat tiers concerné avait délimité ses frontières avec les

deux parties à l’affaire, circonscrivant ainsi sa zone d’intérêt vis-à-vis de l’une et de l’autre. Quand,

en revanche, aucune frontière n’a été convenue entre l’Etat tiers et les deux parties, la Cour ne peut

que s’en remettre aux parties elles-mêmes pour lui indiquer les limites des intérêts d’Etasttiers. Or, si

ces dernières lui en font une présentation incorrecte et si elle doit se fier à elles dans sa décision sur la

délimitation, la Cour risque d’adopter sans le vouloir une ligne pénétrant dans des zones où les

intérêts d’Etats tiers entrent en jeu et de préjuger les délimitations futures entre l’Etat tiers concerné et

les parties à l’affaire jugée par elle.

45 44. En l’occurrence, le Costa Rica et le Nicaragua ne se sont pas entendus sur leur frontière

maritime. La carte à l’écran montre deux lignes tr ès différentes qui partent du point terminal de la

frontière terrestre entre le Costa Rica et le Nicaragua, à Punta Castilla. La ligne au nord représente

modestement ce qui constituerait un résultat équitabl e pour le Costa Rica, ainsi qu’exposé plus tôt.

La ligne au sud est la limite méridionale, «ébauchée» par le Nicaragua, de la ZEE sur laquelle

celui-ci prétend avoir un titre potentiel. Si la Cour devait délimiter une frontière entre le Nicaragua

et la Colombie qui s’arrêterait quelque part au s ud de la ligne costa-rici enne, elle compromettrait

les chances du Costa Rica de pouvoir négocier une fr ontière équitable avec le Nicaragua et elle

mettrait en péril la zone qui lui appartient entre ces lignes. Voilà une façon dont, concrètement, la

délimitation arrêtée par la Cour pourrait nuire à l’intérêt juridique du Costa Rica.

45. La pratique de la Cour c onsistant à arrêter ses lignes de délimitation avant d’entrer dans

les espaces d’un Etat tiers montre que celle-ci tient beaucoup à éviter de porter atteinte à ces

intérêts en s’abstenant de partager des zones entre les parties à une affaire dès lors que les zones en

question sont également revendiquées par un Etat tiers. Cela étant, pour bien départager les

territoires des parties sans léser d’éventuels Etats tiers, la Cour doit disposer d’informations exactes - 40 -

et complètes sur les limites de la zone où l’Etat tiers entre en jeu. Dans les exposés qu’elles ont

présentés jusqu’ici, les Parties n’ont pas fourni ces informations. En intervenant dans la présente

affaire, le Costa Rica entend combler cette lacune du dossier et informer la Cour de l’étendue

véritable de ses intérêts.

Conclusions

46. Monsieur le président, l’argument avancé par le Costa Rica à ce stade de l’instance est

vraiment très simple : la zone dans laquelle il détient un intérêt juridique chevauche nettement celle

que les Parties se disputent en l’instance. Si la dé limitation réalisée par la Cour dans le secteur en

litige devait s’étendre dans la zone où l’intérêt juridique du Costa Rica entre en jeu, elle

compromettrait cet intérêt juridique. Le Cost a Rica demande l’autorisa tion d’intervenir pour

pouvoir informer la Cour de la nature et de l’éte ndue de ses intérêts juridiques et, ainsi, protéger

ces intérêts.

47. Monsieur le président, ces observationsconcluent mon exposé d’aujourd’hui. Je vous

remercie de votre attention, et je prie la Cour de bien vouloir appeler mon collègue,

M. Sergio Ugalde, qui fera le dernier exposé du Costa Rica pour cette journée.

Le PRESIDENT: Je remercie M.CoalterLathrop pour sa présentation. J’appelle à présent

le dernier intervenant de la matinée, M. Sergio Ugalde.

46 M. UGALDE :

L A PROTECTION EFFECTIVE DES INTÉRÊTS D ’ORDRE JURIDIQUE DU C OSTA R ICA ,LA NATURE
DE L INTERVENTION ET LES QUESTIONS CONNEXES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un immense privilège que

de pouvoir plaider aujourd’hui devant vous au nom du Costa Rica.

2. M. Lathrop vient de montrer que le Costa Rica a effectivement un intérêt d’ordre juridique

susceptible d’être affecté par la décision qui sera re ndue en l’espèce. Quant à moi, il m’appartient

aujourd’hui d’établir que, aux fins de protéger les intérêts du Costa Rica dans la mer des Caraïbes,

l’article 59 du Statut et la possibilité d’introdui re deux nouvelles instances individuelles contre les

Parties en litige ne peuvent se substituer à la procédure à fin d’intervention prévue par l’article 62. - 41 -

Les intérêts d’ordre juridique du Costa Rica ne sont pas suffisamment protégés par
l’article 59 du Statut de la Cour

3. Je voudrais d’emblée rappeler ce que le Ni caragua a affirmé dans ses observations écrites

sur la requête à fin d’intervention du Costa Rica :

«Le CostaRica peut saisir la Cour pour ce qui concerne le Nicaragua et la
Colombie, au moins en invoquant le pacte de Bogotá auquel les trois Etats sont
parties. Cela signifie qu’il est protégé contre toute décision de la Cour en la présente

affaire, non seulement par l’article59 du Stat ut, mais aussi par le fait qu’il lui est
possible de faire valoir un grief autonome contre l’une ou l’autre des Parties ou les
deux au cas où ses intérêts d’ordre juridique l’exigeraient.» 46

4. Par cette déclaration, le Nicaragua suggè re que, bien que le CostaRica puisse avoir un

intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision en l’espèce, il n’est pas nécessaire

qu’il soit autorisé à intervenir en vertu de l’article 62 puisqu’il est protégé à la fois par l’article 59

du Statut et par la possibilité qui lui est donnée de faire valoir de nouveaux griefs à l’encontre des

Parties en la présente affaire. Cet argument ne tient pas, et ce, pour trois raisons : premièrement, la

protection de l’article 59 est, concrètement insuffisante ; deuxièmement, les recours proposés par le

Nicaragua n’offrent pas à la Cour ce dont elle a besoin, à savoir des informations complètes et

exactes sur les intérêts du Costa Rica susceptibles d’ être affectés par la décision qu’elle rendra en

l’espèce; et troisièmement, faire valoir de nouveaux griefs pour protéger des intérêts d’ordre

juridique qui pourraient sinon être sauvegardés par l’ article62 est inefficace et inutile, et ne sert

47 qu’à compliquer le problème auquel se heurte la Cour ⎯le manque d’information sur l’étendue

réelle des intérêts du Costa Rica.

5. Je commencerai par examiner l’argument du Nicaragua selon lequel l’article 59 protège le

CostaRica contre toute décision que prendrait la Cour. S’il est vrai que, dans l’hypothèse où la

décision rendue porterait atteinte a ux intérêts d’ordre juridique du Costa Rica, l’article 59 pourrait

offrir une protection contre les effets juridiques directs d’une décision contraignante dans une

affaire à laquelle le CostaRica n’est pas Partie, il ne s’agit là que d’une subtilité juridique qui,

concrètement, n’offrirait au CostaRica qu’une pr otection limitée, en particulier dans les

circonstances de l’espèce.

46
Observations écrites de la République du Nicaragua sr la demande à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 2, par. 9. - 42 -

6. Le Costa Rica reconnaît que l’article 59 est un fondement important du système de justice

internationale. Il donne force oblig atoire aux arrêts de la Cour à l’égard des Parties et concernant

une affaire en particulier. Pris conjointement av ec l’article60, il confère aux arrêts rendus par la

Cour, quelle que soit l’affaire, l’autorité de la res judicata.

7. En outre, l’article59 consacre un autre principe important du droit international: le fait

qu’une décision de la Cour n’est pas obligatoi re pour les Etats tiers non Parties au litige.

Nonobstant ce principe, je montrerai que, dans certaines circonstances, l’article59 ne peut

empêcher qu’un arrêt de la Cour porte préjudice aux intérêts d’Etats tiers.

8. L’article 59 confère «force de loi» à un arrê t à l’égard des Parties en litige. Cependant, le

fait qu’une décision ait force obligatoire uniqueme nt à l’égard des Par ties à une affaire donnée

n’empêche pas, en soi, que soient produ its au-delà du jugement certains effets ⎯sur lesquels je

reviendrai ultérieurement ⎯emportant des conséquences de fait et de droit susceptibles de porter

atteinte aux intérêts d’Etats tiers.

9. Dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) , la Cour a

examiné certaines questions liées aux intérêts d’ordre juridique d’Etats tiers et a déclaré :

«il ne fait pas de doute que, dans son arrêt futur, la Cour tiendra compte, comme d’un
fait, de l’existence d’autres Etats ayant des prétentions dans la région. Ainsi que la
Cour permanente de Justice internati onale l’a souligné dans l’affaire du Statut

juridique du Groënland oriental :

«Une autre circonstance, dont doit tenir compte tout tribunal ayant
à trancher une question de souveraineté sur un territoire particulier, est la

mesure dans laquelle la souverainet é est également revendiquée par une
autre Puissance.»

et cette observation, indépendante en elle-m ême de l’éventualité d’une intervention,

n’est pas moins vraie lorsque c’est l’étendue des zones respectives de plateau
48 continental sur lesquelles différents Etats jouissent de «droits souverains» qui est en
cause. L’arrêt futur ne sera pas seulement limité dans ses effets par l’article59 du
Statut ; il sera exprimé sans préjudice des droits et titres d’Etats tiers…» 47

10. De ce raisonnement peuvent être inférées trois conclusions : premièrement, la Cour doit

prendre en considération les intérêts d’Etat s tiers (indépendamment de l’article 59;)

deuxièmement, l’article59 offre, certes, une pr otection mais celle-ci est insuffisante; et

47
Affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 26-27, par. 43. - 43 -

troisièmement, la Cour peut déclarer expressément dans sa décision que celle-ci ne portera pas

préjudice à des Etats tiers.

11. Ce troisième point soulève la questi on suivante: même si un jugement énonce

expressément qu’il ne porte pas préjudice aux inté rêts d’ordre juridique d’Etats tiers, une telle

affirmation suffit-elle à protéger totalement ces inté rêts ? La réponse est non. Non, parce qu’une

déclaration générale de cette nature ne peut offrir une protecti on plus grande que l’article59

lui-même. Faute de disposer d’informations co mplètes et exactes sur les droits et intérêts

revendiqués par des Etats tiers, la Cour pourra it prendre une décision qui, sans avoir d’effet

contraignant sur ces derniers, produirait des effets préjudiciables qui n’auraient pas été pleinement

pris en compte par la Cour à la lumière d’ arguments ou de faits dont elle n’aurait pas eu

connaissance. D’ailleurs, l’article59, appliqué ex post facto, n’offre pas de réelle protection dans

ces circonstances.

12. Monsieur le président, j’en viens mainte nant au problème de l’information. En la

présente affaire, la Cour n’a pas été pleinement informée des intérêts du Costa Rica dans la mer des

Caraïbes. Je vais donc à présent examiner quel ques questions qui démontreront, par un exemple

concret, comment des faits importants dans une affaire peuvent échapper à l’attention de la Cour et

comment cette ignorance peut porter préjudice aux intérêts d’ordre juridique d’un Etat tiers,

insuffisamment protégé par l’article 59.

13. Dans sa réplique, le Nicaragua indique, dans la figure 3-1, ce qu’il considère être la zone

soumise à délimitation et, dans les figures4-5, 6- 5, 6-9, 6-10 et6-11, ce que serait la ZEE sur

laquelle il a un titre potentiel. Le Nicaragua ne conteste pas que ce qu’il demande à la Cour n’est

pas simplement le tracé d’une ligne frontalière avec la Colombie mais aussi la reconnaissance que

les zones maritimes délimitées par cette ligne lui ap partiennent. Si l’on en croit ces figures, rien

n’indique l’existence d’intérêts, quels qu’ils so ient, susceptibles de peser ou d’empiéter sur ceux

d’autres Etats, en particulier le Costa Rica.

49 14. Dans ses observations écrites, le Nicaragua soutient que ce dernier point ⎯ le titre qu’il

revendique sur la zone délimitée par la ligne de démarcation demandée ⎯n’est pas pertinent 48,

48
Voir Observations écrites de la République du Nicaragua su r la demande à fin d’intervention déposée par la
République du Costa Rica, p. 8, par. 33. - 44 -

sans donner plus d’explication. N’en déplaise au Nicaragua, les frontières méridionales des zones

maritimes qu’il revendique empiètent, de manière très claire et très pertinente, sur les zones

maritimes revendiquées par le Costa Rica, comme l’ a démontré M. Lathrop. Nul doute donc qu’il

s’agit là d’un fait pertinent à l’égard de la requête à fin d’intervention du Costa Rica.

15. En outre, le Nicaragua affirme que «toutes ces figures dans la réplique renvoient à l’aire

générale de la «ZEE sur laquelle le Nicaragua a un titre potentiel», et [qu’]elles n’impliquent

aucunement, quelle qu’en soit la lecture qu’on puisse en faire, une revendication sur la totalité des

zones ainsi ébauchées» 49. Cette déclaration, pour le moins remarquable, met en lumière deux

faits: le premier est que le Nicaragua a présenté à la Cour des figures qui ne montrent pas ce

qu’elles sont censées démontrer, c’est-à-dire ce que le Nicaragua considère être la zone de

délimitation exacte et la ZEE exacte sur laquelle il a un titre potentiel. Le second est que ces

figures, telles qu’elles ont été tracées, montrent en r éalité que le Nicaragua empiète sur les droits et

intérêts d’ordre juridique d’Etats tiers, en l’occurrence ceux du CostaRica. Qui plus est, si ces

figures n’impliquent pas une revendication sur la totalité des zones ainsi ébauchées, cela signifie

nécessairement qu’une grande partie des zones présentées à tort comme étant

nicaraguayennes ⎯ elles ne le sont pas ⎯ empiètent directement sur des zones maritimes à l’égard

desquelles le CostaRica, et peut-être d’autres Etats tiers, a des droits et des intérêts d’ordre

juridique.

16. Mais alors, si les figures présentées pa r le Nicaragua à l’appui de ses prétentions

«n’impliquent aucunement, quelle qu’en soit la lect ure qu’on puisse en faire, une revendication sur

la totalité des zones ainsi ébauchées», comme l’affirme avec tant de candeur l’intéressé, pourquoi

n’a-t-il pas clairement fait savoir à la Cour, lors du dépôt de ses pièces de procédure, que ces

figures ne correspondaient pas à ses prétentions réel les et exactes? Si le CostaRica n’avait pas

présenté sa requête à fin d’intervention, ces faits de la plus haute importance seraient passés

inaperçus et auraient échappé à l’attention de la Cour. Si cette dernière devait rendre sa décision

concernant la délimitation en se fondant sur les prétentions apparentes du Nicaragua, peut-on

49
Ibid., p. 7, par. 31. - 45 -

vraiment déclarer en toute sérénité que l’article59 protégerait entièrement le CostaRica dans les

circonstances présentes ? Bien sûr que non.

50 17. Ce fait ⎯la protection limitée offerte par l’article59 ⎯a été examiné par d’éminents

juristes et par la Cour elle-même. Dans son opinion dissidente en l’affaire Plateau continental

(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), le juge Oda a estimé que l’arti cle 59 ne protégeait pas toujours

suffisamment les intérêts d’un Etat tiers. Il a ai nsi affirmé : «on ne saurait voir dans l’article 59 du

Statut la garantie que l'arrêt rendu par la Cour dans une affaire où il s’agit d’un titre opposable à

tous restera sans effet sur les prétentions d’ un Etat tiers invoquant ce même titre»; ( Plateau

continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt,

C.I.J. Recueil 1984, p. 109, par. 37.)

18. Le jugeJennings, dans son opinion dissidente en la même affaire, est allé encore plus

loin, en soulignant le fait que l’article59 n’offrait qu’une protection t echnique. Il a fait le

commentaire suivant :

«Il suffit d’étudier tant soit peu la jurisprudence de la Cour pour constater que
l’article59 n’exclut en aucune façon l’auto rité du précédent. L’idée que l’article59
protège les intérêts des Etats tiers, du moins dans ce sens, est donc illusoire.» 50

19. En l’affaire Cameroun c.Nigéria, la Cour a examiné quelles étaient les limites de

l’article 59 et a ainsi déclaré :

«La Cour estime que, en particulier dans le cas de délimitations maritimes
intéressant plusieurs Etats, la protection offerte par l’article59 du Statut peut ne pas
être toujours suffisante. En l’espèce, il est possible que l’article59 ne protège pas

suffisamment la Guinééequatoriale ou SaT oomé-et-Principe contre les
effets ⎯ même indirects ⎯d’un arrêt affectant leurs droits.» ( Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria : Guinée équatoriale

(intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238.)

20. Par conséquent, l’article 59 peut ne pas toujours offrir de protection suffisante aux Etats

tiers lorsqu’un un arrêt risque d’emporter, fût-ce i ndirectement, des effets susceptibles d’avoir une

incidence sur les droits et intérêts d’ordre juridique de ces Etats, en particulier dans des affaires de

délimitation maritime pouvant concer ner les espaces maritimes de plusieurs Etats. Il s’ensuit que

l’intervention a pour but de permettre à un Etat tiers d’informer la Cour de ses intérêts avant que

50
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 157, par. 27.] - 46 -

celle-ci ne rende une décision susceptible de leur porter atteinte et sans qu’ils soient suffisamment

protégés par l’article 59.

L’éventuel effet préjudiciable d’un arrêt sur les intérêts juridiques du Costa Rica, nonobstant
l’article 59

21. Monsieur le président, permettez-moi à présent de démontrer comment une décision de la
51

Cour en la présente espèce peut avoir des consé quences pratiques et juridiques contre lesquelles

l’article 59 n’offre aucune protection réelle. Un arrêt de la Cour délimitant des espaces maritimes

entre le Nicaragua et la Colombie va bien au-delà d’une répartition de la colonne d’eau et des fonds

marins. Il confère en effet aux Parties un titre sur des espaces maritimes, le droit d’exercer, en

vertu du droit international, leurs droits et leur juridiction souverains sur ces espaces ainsi que le

droit d’en jouir et d’en exclure les autres Etats.

22. Comme la Cour le sait, une fois qu’un arrê t a été rendu, la plupart des pays qui s’en sont

remis à la juridiction de la Cour intègrent cette décision définitive et obligatoire dans leur propre

ordre juridique.

23. Ainsi, en l’espèce, on peut s’attendre à ce que des textes législatifs et réglementaires

internes appliquant la décision de la Cour soient adoptés par les Parties. Pour ne mentionner que

les dispositions les plus usuelles, cela peut alle r de lois reprenant précisément les coordonnées des

espaces maritimes que la Cour a attribués jusq u’à certaines règles relatives à la pêche, à

l’environnement ou à l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière.

24. Plus important encore ⎯et cela vaut tout particulière ment en matière de délimitation

maritime ⎯, les prétentions de chacune des Parties ne sont pas simplement formulées contre la

partie adverse mais, en réalité, contre tout un ch acun, ce qui signifie qu’une décision attribuant des

espaces maritimes doit être considérée comme étant erga omnes. S’il est vrai que, en vertu de

l’article59, un Etat tiers dont les intérêts juridiques sont affectés peut s’opposer à la portée

générale de l’arrêt, cette disposition n’offre , comme nous l’avons vu, qu’une protection assez

limitée.

25. Un arrêt de la Cour en la présente espèce pourrait attribuer, à l’une ou l’autre des Parties,

des espaces qui empiètent sur les intérêts ou droits juridiques du CostaRica, ou encore se révéler

muet sur les questions relatives à la présence d’inté rêts juridiques costa-riciens dans certaines des - 47 -

zones en cause. Il est donc possible que la Colomb ie ou le Nicaragua effectuent des actes à titre de

souverain empiétant sur les droits et intérêts juridiques du CostaRica. Certes, celui-ci peut

protester contre tout acte de ce type effectué da ns des espaces maritimes en litige, mais cela n’est

qu’une piètre consolation puisque , en pratique, il serait privé de la jouissance de zones qui lui

reviennent en vertu du droit international. De t oute évidence, l’article 59 n’offrirait au Costa Rica

52 aucune protection en pareille hypothèse. Telle pourrait sans nul doute être la conséquence pratique

à court terme d’un arrêt entre le Nicaragua et la Colombie qui ne prendrait pas en considération les

intérêts juridiques du Costa Rica.

26. De surcroît, cela aurait également des con séquences juridiques à long terme. En effet,

une partie à une affaire de délimitation maritime ne se contentera pas de se prévaloir d’un arrêt de

la Cour reconnaissant ses droits, mais elle utiliser a certainement tous les moyens dont elle dispose

pour s’assurer la pleine jouissance de ce qu’elle cons idère comme étant son titre. Elle tirerait ainsi

profit du caractère obligatoire d’une décision de la Cour pour asseoir sa présence dans des espaces

maritimes contestés, bâtir une «coutume» ou une «pr atique» et renforcer sa position vis-à-vis d’un

Etat tiers ayant des prétentions sur ces mêmes espa ces. Non seulement cela affaiblirait la position

juridique de cet Etat tiers, mais cela pourrait également le priver de toute jouissance d’un espace

maritime qui peut lui appartenir en vertu du droit in ternational. Là encore, l’article 59 ne saurait,

en pareille situation, empêcher l’affaiblissement de la position juridique du Costa Rica.

27. Monsieur le président, étant donné que le Nicaragua et la Colombie ont formulé des

revendications maritimes sur des espaces dans les quels le CostaRica a des intérêts juridiques

incontestables, il est évident que celui-ci est seul en mesure d’informer précisément la Cour de

toute l’étendue de ces intérêts, et que l’article 59 à lui seul ne saurait le protéger des conséquences

d’un arrêt qui n’aurait pas pleinement pris en consid ération lesdits intérêts. Il en résulte que la

procédure d’intervention est le seul biais par lequel Costa Rica peut véritablement informer la Cour

de ses intérêts juridiques ⎯et de la manière dont une décisi on est susceptible de les affecter ⎯,

afin de garantir leur protection par les moyens prévus par le Statut de la Cour. - 48 -

Questions juridictionnelles et questions connexes

28. Monsieur le président, j’en viens maintenant à l’argument du Nicaragua selon lequel le

CostaRica peut, afin de protéger ses intérêts ju ridiques, former une demande distincte contre la

51
Colombie ou le Nicaragua sur la base du Pacte de Bogota . Le Nicaragua semble considérer que,

si le CostaRica a la faculté de former des dema ndes distinctes contre les Parties à la présente

instance, il n’est pas nécessaire de l’autoriser à intervenir dans la procédure.

29. Si l’article 62 ne dispose pas qu’un Etat tiers souhaitant intervenir dans une instance doit

satisfaire à une quelconque condition juridictionnelle, l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 81 du

Règlement de la Cour prévoit, quant à lui, qu’u n tel Etat doit indiquer toute base de compétence à

l’appui de sa requête à fin d’intervention.

53 30. Dans sa requête, le Costa Rica a informé la Cour qu’il avait fait une déclaration en vertu

du paragraphe2 de l’article36 du Statut et qu’il était partie au Pacte de Bogota. Il a également

précisé dans sa requête qu’il ne cherchait pas à deveni r partie à l’affaire entre le Nicaragua et la

Colombie mais simplement à intervenir en tant que non-partie en vertu de l’article 62 du Statut. Il

a en outre indiqué que, dans des circonstances an alogues, la Cour avait autorisé un Etat tiers à

intervenir en tant que non-partie en l’absence de base de compétence valable entre l’Etat qui

demandait à intervenir et les Parties en cause. En fait, ainsi que la Cour l’a relevé en l’affaire

Indonésie/Malaisie 52, l’existence d’un lien juridictionnel n’est requise que si l’in tervenant souhaite

devenir partie à l’affaire.

31. Le Nicaragua semble néanmoins préconiser un infléchissement de la procédure relative à

l’intervention en tant que non-partie, laissant ente ndre que la protection des intérêts d’un Etat tiers

dans une affaire donnée ne pourrait plus être assurée au moyen de l’article62 du Statut, mais par

l’introduction d’une instance entièrement nouvelle sur la base de l’article36 du Statut ou de tout

autre instrument établissant la compétence de la Cour, tel que le pacte de Bogota.

32. Selon cette doctrine juridictionnelle singuliè re, le Costa Rica, qui a un lien juridictionnel

avec les Parties à la présente espèce, peut être empêché d’intervenir sur la seule base de l’article 62.

Si cet argument est fondé, il en résulte implicitement qu’un Etat tiers pourrait être empêché

51
Voir ci-dessus, par. 3.
52 Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonée/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 589, par. 35. - 49 -

d’intervenir dans une affaire s’il est en mesure de former une demande distincte contre les Parties.

Cette hypothèse singulière avancée par le Nicaragua a pour conséquence de faire fi de l’article 62

du Statut en ce qui concerne les Etats tiers ayant un lien juridictionnel avec les Parties à une affaire

en cours, et elle assimile le processus d’intervention à l’introduction d’une nouvelle instance.

33. Eu égard à cet argument, permettez-moi de formuler deux observations au sujet de

l’intervention. Premièrement, celle-ci a pour objet de permettre aux Etats tiers ayant des intérêts ou

des droits d’ordre juridique auxquels il risque d’êt re porté préjudice par une décision de la Cour ou

qui risquent d’en être affectés de les protéger pa r le biais d’une procédure incidente particulière,

c’est-à-dire d’une procédure qui découle de l’instan ce principale et à laquelle elle est étroitement

liée. L’Etat qui demande à intervenir ne cherche pas à obtenir cette protection sous la forme d’une

déclaration de droits en sa faveur ; la procédure vise simplement à l’autoriser à informer la Cour de

ses droits et intérêts. Pour atteindre cet objectif, l’existence d’un lien juridictionnel est sans

importance.

54 34. Deuxièmement, pour qu’il puisse être fait us age de la procédure d’intervention, il n’est

pas nécessaire que les intérêts ou droits d’ordre ju ridique qu’un Etat tiers souhaite protéger fassent

à proprement parler partie d’un différend. Pour être autorisé à intervenir, un Etat tiers doit

simplement démontrer qu’une décision de la Cour est susceptible ⎯ je répète, est susceptible ⎯

d’affecter ces intérêts et ces droits. Si cette procédure existe, ce n’est donc pas pour régler des

différends, mais pour éviter que de nouveaux différends ne se fassent jour.

35. Comme il a été indiqué, le Costa Rica ne cherche pas à intervenir pour établir l’existence

d’un différend ou régler un différend avec les Parties à la présente espèce.

36. De plus, selon le Costa Rica, le fait qu’une délimitation maritime avec le Nicaragua n’ait

pas encore été effectuée ne l’empêche en aucune manière d’informer la Cour de ses droits et

intérêts auxquels la décision de la Cour en la présente espèce risque de porter préjudice ou qu’elle

risque d’affecter.

37. Dans l’affaire El Salvador/Honduras, la Chambre de la Cour a jugé que la procédure

d’intervention a un but autre que celui de trancher un nouveau différend. Elle a précisé que,

«[c]omme il a été indiqué en1984 dans l’arrê t que la Cour a rendu sur la requête de
l’Italie à fin d’intervention…, et comme cela es t expliqué ci-après, le rôle de

l’intervention n’est aucunement d’obtenir que soit tranché un autre différend entre - 50 -

1’Etat demandant à intervenir et l’une des Parties ou les deux» (affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et mar itime (ElSalvador/Honduras), requête du
Nicaragua à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 113-114, par. 51).

38. Il apparaît donc clairement que l’intervention fonctionne comme un instrument

permettant de protéger les intérêts juridiques des Etats tiers et non de déterminer l’existence de

différends ou de régler de tels différends.

39. Si l’on fait abstraction de l’hypothèse erronée du Nicaragua concernant l’importance

d’un éventuel lien juridictionnel, l’introduction d’une nouvelle instance contre l’une ou l’autre des

Parties ou les deux, ce que le Nicaragua préconise, est un moyen tout à fait inefficace de protéger

les intérêts juridiques du Costa Rica et, ce qui est pl us important encore, ne résout pas le problème

sous-jacent de la protection de ces intérêts contre les conséquences d’un arrêt en la présente espèce.

L’introduction de deux nouvelles instances est inefficace car cela encombrerait inutilement la Cour

et les parties de questions à l’égard desquelles l’article62 constitue un instrument procédural

parfaitement éprouvé et approprié. Cela ne rés out pas le problème sous-jacent en la présente

espèce, puisque la Cour ne serait toujours pas in formée de toute l’étendue des intérêts du Costa

Rica; en réalité, cela ne ferait que multiplier les di fficultés relatives à l’information de la Cour,

puisque la question de ces intérêts se poserait également dans les nouvelles affaires.

40. S’il était demandé aux Etats tiers ayant d es intérêts juridiques à protéger d’introduire à

cette fin des instances distinctes, cela priverait l’article62 de toute utilité et de tout sens. Non

seulement cela entraînerait un nombre excessif d’instan ces, mais cela serait tout à fait inutile. La
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Cour imagine-t-elle les difficultés que cela présen terait si, ayant à statuer dans une affaire, elle se

trouvait confrontée à plusieurs instances dérivées ay ant pour seul but de protéger les intérêts de

certains Etats tiers ? Je crois que nous voyons tous où cela pourrait nous mener.

41. Dès lors, la conclusion s’impose que, même lorsque l’existence d’ un lien juridictionnel

est alléguée, rien n’étaye en droit ou en fait l’ idée singulière selon laquelle les intérêts d’un Etat

tiers dans une affaire donnée ne pe uvent être protégés qu’en introduisant une nouvelle instance, au

plein sens du terme, et non en recourant à la procédure énoncée à l’article62. L’hypothèse

singulière avancée par le Nicaragua ne saurait donc être retenue.

42. Monsieur le président, mon exposé touchant à sa fin, le Costa Rica tient à déclarer qu’il

est persuadé que la Cour s’attachera uniquement au fond de sa requête et aux circonstances de la - 51 -

présenté espèce, et qu’elle jugera que la requête à fin d’intervention du Costa Rica repose sur des

bases juridiques et factuelles solides justifiant qu’il lui soit fait droit.

43. Monsieur le président, ainsi s’achèven t les exposés du CostaRica de ce jour. Je vous

remercie de votre attention, ainsi que Mesdames et Messieurs de la Cour.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.SergioUgalde. Votre exposé met un terme à

l’audience d’aujourd’hui. La Cour se réunira de nouveau mercredi 13octobre2010 à 9h 30 pour

entendre le premier tour de plaidoiries du Nicaragua. L’audience est levée. Merci beaucoup.

L’audience est levée à 12 h 30.

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