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CR 2009/27 (traduction)

CR 2009/27 (translation)

Jeudi 3 décembre 2009 à 10 heures

Thursday 3 December 2009 at 10 a.m. - 2 -

6 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je note que le

juge Simma, pour des raisons qu’il m’a fait connaître, n’est pas en mesure de siéger aujourd’hui.

La Cour se réunit ce matin pour entendre, sur la question qui lui a été soumise, les

participants suivants: l’Autriche, l’Azerbaïdjan et le Belarus. Je donne à présent la parole à

S. Exc. M. Helmut Tichy.

M. TICHY :

I. REMARQUES LIMINAIRES

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, l’Autriche est heureuse de pouvoir apporter

sa contribution à l’instance dont est saisie la Cour.

2. L’Autriche a déjà fait connaître, dans son exposé écrit d’avril dernier, son point de vue sur

la question soumise à la Cour en ces termes : «La déclaration unilatérale d’indépendance des

institutions provisoires d’administration auto nome du Kosovo est-elle conforme au droit

international?» Selon elle, la déclaration d’ indépendance du Kosovo est effectivement conforme

au droit international. L’Autriche souhaite à pr ésent développer certains aspects qui revêtent une

importance particulière. Elle espère que le règlem ent des questions juridiques en jeu favorisera le

dialogue et la coopération entre la Serbie et le Ko sovo, ainsi que la paix et la sécurité dans la

région.

3. Pour l’Autriche, la question soumise à la Cour est de portée restreinte: elle vise

uniquement la déclaration d’indépendance et sa licé ité au regard du droit international. Par

conséquent, mon exposé sera centré sur les aspects directement liés à cette question. Je montrerai

notamment que la déclaration d’indépendance est c onforme au droit international, y compris la

résolution 1244 du Conseil de sécurité. A cet égard, la question n’est pas de savoir s’il existe, en

droit international, une règle permissive autorisant les déclarations d’indépendance, mais si le droit

international interdit ces déclarations. Notre conc lusion est qu’il n’existe aucune règle de droit

international interdisant les déclarations d’indépendance. - 3 -

II.L A DÉCLARATION D ’INDÉPENDANCE N ’ÉMANE PAS D UNE INSTITUTION PROVISOIRE

D’ADMINISTRATION AUTONOME
7
4. La formulation de la question soumise à la Cour repose à l’évidence sur l’hypothèse selon

laquelle la déclaration d’indépendance émane de l’une des institutions provisoires d’administration

autonome du Kosovo, à savoir l’Assemblée. Ce n’est pourtant pas le cas. La déclaration

d’indépendance a été votée et signée par les représentants élus du peuple du Kosovo agissant en

cette capacité, exprimant la volonté du peuple en de hors du cadre de l’Assemblée. Le libellé de la

3
déclaration, sa forme et son adoption en «session extraordinaire» prouvent qu’il ne s’agit pas d’un

acte des institutions provisoires d’administration autonome. Une citation pourrait suffire à le

confirmer: dès le premier paragraphe du disp ositif, on lit en effet: «[n]ous, dirigeants

démocratiquement élus de notre peuple». Ainsi, les auteurs de la déclaration n’agissaient pas en

tant que membres d’une institution provisoire d’ administration autonome, mais en qualité de

représentants du peuple du Kosovo.

III.L ES DÉCLARATIONS D ’INDÉPENDANCE NE SONT PAS CONTRAIRES AU DROIT

INTERNATIONAL

5. Monsieur le président, Messieurs de la C our, il n’a été identifié aucune règle de droit

international interdisant à la population d’un territoire donné, représentée par ses dirigeants élus, de

proclamer son indépendance. Le dr oit international ne traite pas d es déclarations d’indépendance.

Ces déclarations n’ont pas en tant que telles d’effe ts juridiques en droit inte rnational ; l’éventuelle

4
création d’un Etat dépend d’un ensemble de faits et de leur appréciation juridique ⎯ mais c’est là

une autre question, qui n’a pas été posée à la Cour.

IV. L A DÉCLARATION ,MÊME CONSIDÉRÉE COMME ÉMANANT DE L ’A SSEMBLÉE ,N EST PAS

CONTRAIRE AU DROIT INTERNATIONAL

6. Comme je viens de le dire, l’Autriche estim e que les auteurs de la déclaration ont agi en

tant que représentants du peuple du Kosovo et non en tant que membres de l’Assemblée.

Toutefois, de notre point de vue, l’argument juridi que selon lequel le droit international ne traite

pas des déclarations d’indépendance trouve à s’ appliquer que cette déclaration soit considérée

3 La numérotation des notes de bde page commence au chiffre 3 pour de s raisons techniques. Déclaration

d’indépendance du 17 février 2008, préambule, alinéa 1.
4Convention concernant les droits et devdes Etats, 26 décembre 1933, Société des Nations, Recueil des
traités, vol. 156, p. 32. - 4 -

comme un acte des représentants du peuple du Kosovo ou ⎯ hypothèse que nous envisageons pour

les besoins de l’argumentation ⎯ comme un acte de l’Assemblée ou de toute autre institution.

8 7. De surcroît, en ce qui concerne la résolu tion1244 du Conseil de sécurité, la déclaration

⎯ même si on la considère comme un acte de l’Assemblée ⎯ n’y contrevient pas. La résolution a

en effet doté les institutions provisoires de pouvoirs accrus, pouvoirs qui, au stade final, couvraient

la faculté de proclamer l’indépendance.

8. Permettez-moi de préciser ce point. La résolution 1244, ainsi que le cadre constitutionnel

de la MINUK, prévoyait, pendant la période intérimaire, un transfert graduel de l’autorité et des

compétences aux institutions provisoires d’administration autonome, lesquelles disposeraient ainsi,

dans l’étape finale qui suivrait, de toutes les attributions nécessaires pour parvenir à un règlement

pacifique. Conformément au paragraphe11 du dispositif de la résolution, la présence

internationale civile avait pour mission de superviser , à un stade final, le transfert de l’autorité des

institutions provisoires à des institutions mises en place dans le cadre d’un règlement politique. En

vertu du cadre constitutionnel de la MINUK, le s activités de l’Assemblée ressortissant aux

compétences externes devaient être menées avec l’accord du représentant spécial du Secrétaire

5
général . Dans la pratique, toutefois, le représentant spécial cessa de s’opposer à l’exercice

autonome de la compétence de l’Assemblée, comme l’ont confirmé plusieurs rapports du Secrétaire

général faisant état d’ajustements des pouvoirs de la MINUK en fonction de l’évolution de la

6
situation .

9. Par conséquent, si ⎯au rebours de ce que soutient l’Autriche ⎯ la déclaration

d’indépendance devait être considérée comme un acte de l’Assemblée, elle n’aurait pas pour autant

constitué de la part de celle-ci un acte ultra vires et aurait été conforme à la résolution 1244.

V. L A DÉCLARATION D ’INDÉPENDANCE NE CONSTITUE PAS UNE VIOLATION DU PRINCIPE

DE L ’INTÉGRITÉ TERRITORIALE

10. Comme je l’ai déjà indiqué, une déclara tion d’indépendance n’entraîne pas en tant que

telle la sécession ou la création d’un Etat. Pa reilles déclarations sont principalement des

5
Chap.8, sec. 8.1, cadre constitutionnel un gouvernement autonome provisoire, UNMIK/REG/2001/9 du
15 mai 2001.
6Rapports du Secrétaire général sur la Mission dministration intérimaire des NationsUnies au Kosovo,
S/2008/211 du 28 mars 2008, par. 30 ; S/2008/254 du 12 juin 2008, par. 7 ; S/2008/692 du 24 nov. 2008, par. 21. - 5 -

manifestations de la volonté du peuple et le droit in ternational n’en traite pas, de sorte qu’elles ne

sauraient être appréciées à l’aune des règles de droit international général relatives aux

changements territoriaux. La pratique et la doc trine du droit international ne laissent à cet égard
9
aucune ambiguïté, comme nous l’avons déjà souligné dans notre exposé écrit 7.

11. Certes, le droit international contient un nombre croissant de règles régissant les activités

d’acteurs non étatiques, voire d’individus. Mais ces règles portent sur d’autres questions telles que

celles des droits de l’homme, du droit humanitaire ou de la responsabilité pénale individuelle

⎯ questions qui ne sont pas en jeu en la présente espèce.

12. Les tenants de la thèse selon laquelle la déclaration d’indépendance serait contraire au

droit international n’ont pas été en mesure de démontrer, dans leurs e xposés écrits, l’existence

d’une quelconque règle interdisant les déclarations d’indépendance. Il n’existe pas non plus de

précédent établissant que le simple fait de décl arer l’indépendance ou de proclamer l’existence

d’un Etat serait contraire au droit international. De précédentes déclarations unilatérales

d’indépendance n’ont été jugées illic ites que lorsqu’elles allaient de pair avec une violation d’une

règle de droit international, telle que l’emploi illicite de la force, la violation d’un accord

8
international (dans le cas de Chypre) ou la discrimination raciale (dans le cas de la Rhodésie du

Sud) 9.

13. Il a été avancé que les déclarations d’ indépendance étaient contraires au devoir de

respecter l’intégrité territoriale des Etats. Nous estimons cependant que ce devoir ne s’applique pas

en l’espèce pour au moins trois raisons.

14. Premièrement, selon le para graphe4 de l’article2 de la Charte des NationsUnies, ce

devoir ne s’applique qu’aux Etats membres de l’Organisation des Nations Unies et ce, dans le cadre

de leurs relations internationales. Il n’est donc pas applicable, da ns un cadre interne, à des entités

voulant faire sécession. Certains ont fait valoir que cette obligation avait un caractère

erga omnes 10. Toutefois, pareille obligation ne lie que les sujets de droit international. Les auteurs

7
Voir par. 22 et suiv.
8
Résolution 541 (1983) du Conseil de sécurité de l’ONU du 18 novembre 1983 (Chypre).
9Résolution 216 (1965) du Conseil de sécurité de l’ONU du 12 novembre1965 et résolution217 (1965) du
20 novembre 1965 (Rhodésie du Sud).

10Exposé écrit de la Roumanie, par. 80 et 108 ; exposé écrit de la Serbie, par. 440 et suiv., par. 501 ; exposé écrit
de l’Iran, par. 3.1-3.6. - 6 -

de la déclaration, en tant que représentants du peuple du Kosovo, ne sont donc pas visés par cette

règle, puisqu’ils ne constituaient pas ⎯au moment de la déclaration ⎯ un sujet de droit

international. Cette conclusion est confirm ée par divers instruments juridiques établissant

10 l’inviolabilité de l’intégrité territoriale des Etat s. La résolution1244 elle-même ne mentionne

l’intégrité territoriale qu’à propos des Etats, lorsqu’elle indique, dans son préambule :

«Réaffirmant l’attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à
l’intégrité territoriale de la République fédé rale de Yougoslavie et de tous les autres
Etats de la région, au sens de l’Acte final d’Helsinki et de l’annexe2 à la présente

résolution.»

15. L’attachement à l’intégrité territoriale rappelé dans cet alinéa du préambule n’était pas

censé être absolu: il est nuancé par la référence à l’Acte final d’Helsinki, qui place le respect de

l’intégrité territoriale des Etats sur un pied d’égalité avec d’autres droits et obligations, y compris le

respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le droit à

l’autodétermination.

16. Lorsqu’il agit en vertu du chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité a pour pratique

de réaffirmer le respect de l’intégrité territoriale de l’Etat concerné. C’est ce qu’il a fait dans sa

résolution1272 (1999) sur le Timor oriental 11, tout en saluant expressément la volonté du peuple

timorais d’accéder à l’indépendance 1, qui a abouti à la création d’un nouvel Etat. Cela prouve

que, pour le Conseil de sécurité, il n’y a aucune contradiction entre le respect de l’intégrité

territoriale et les processus conduisant à l’indépendance. Ainsi la référence à l’intégrité territoriale

de la République fédérale de Yougoslavie figurant dans le pr éambule de la résolution1244 ne

signifie en rien que le statut futur du Kosovo doiv e s’inscrire dans le cadre des frontières de la

Yougoslavie.

17. Deuxièmement, si le principe du respect de l’intégrité territoriale était applicable en

l’espèce, d’autres principes, tels que celui de non- intervention, auraient aussi dû s’appliquer aux

relations entre la Serbie et le Kosovo, même avant que ce dernier ne devienne une entité

indépendante. Toute autre approche aurait un caractère sélectif et serait par conséquent

inadmissible.

11
Alinéa 12 du préambule.
12
Alinéa 13 du préambule. - 7 -

18. Troisièmement, il ressort de précédents que les déclarations d’indépendance n’emportent

pas violations du devoir de respecter l’intégrité territoriale des Etats. Plusieurs autres parties de

l’ancienne Yougoslavie, telles que la Slovénie, la Croatie, l’ex-République yougoslave de

Macédoine et la Bosnie-Herzégovine, ont, à par tir de1991, fait des déclarations similaires,

lesquelles n’ont suscité aucune objection de la part de la comm unauté internationale. Si la

République fédérale de Yougoslavie a initialement contesté la licéité de ces déclarations aussi bien

au regard du droit interne que du droit internati onal, son opposition n’a pas eu pour effet de créer

11 une règle interdisant les déclarations d’indépendance en droit international, et ce, d’autant moins

qu’aucun autre Etat n’appuyait sa position. Tous ces nouveaux Etats ont été admis à l’Organisation

13
des NationsUnies par consensus , ce qui montre que tous les Etats membres de l’Organisation

estimaient qu’ils remplissaient les critères énoncés à l’article 4 de la Charte. Cela n’aurait pas été

le cas si leur création avait été entachée d’illicé ité. En outre, la République fédérale de

Yougoslavie ne s’est pas opposée aux déclarations d’indépendance lorsqu’elle a noué des relations

conventionnelles avec ces Etats. Elle est devenue partie à l’accord sur les questions de succession

signé en2001 à Vienne 14 par tous les nouveaux Etats issus de l’ex-Yougoslavie. Ces éléments

corroborent la conclusion selon laquelle les déclarations d’indépendance ne sauraient être

considérées comme illicites en droit international.

VI. LE DROIT INTERNATIONAL N ’INTERDIT PAS LA SÉCESSION

19. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, mes observations, jusqu’à maintenant,

étaient centrées sur la proclamation de l’indépe ndance proprement dite, dont j’ai montré qu’elle

n’était pas contraire au droit international. J’en viens maintenant au contenu de la déclaration, dont

il ressort tout aussi clairement qu’aucune règle de droit international n’a été violée, notamment

parce que la déclaration ne saurait, à elle seule, emporter sécession ou indépendance.

20. Si la formation d’un nouvel Etat en dépit de l’opposition de l’Etat prédécesseur n’est pas

prise à la légère, aucune règle de droit international interdisant la sécession n’a été établie. Plus

précisément, aucune règle de dro it international ne traite de la sécession. En réalité, le droit

13
Voir résolutions A/RES46/236 (22mai1992), A/RE S 46/237 (22 mai 1992), A/RES46/238 (22 mai 1992) et
A/RES47/225 (8 avril 1993) de l’Assemblée générale.
14Adoptée à la conférence sur les questions de succession, Vienne, 29 juin 2001. - 8 -

international demeure neutre quant à la sépar ation d’une partie d’un Etat. Comme l’a écrit

Thomas Franck, aujourd’hui disparu, «[o]n ne saurait à l’heure actuelle sérieusement prétendre que

le droit international interdit la sécession. On ne saurait sérieusement contester que le droit

international permet la sécession. Il existe un privilège de sécession reconnu en droit international

15
et celui-ci n’impose à aucun peuple le devoir de ne pas faire sécession.»

12 21. Ainsi, le droit international n’interdit pas la sécession. Si la communauté des Etats n’est

peut-être pas favorable à la sécession, aucune rè gle n’interdit celle-ci, notamment parce que le

principe de l’intégrité territoriale ne s’applique, co mme je l’ai déjà indiqué, que dans le cadre des

relations interétatiques. En réalité, la séces sion apparaît comme un fait politique dont le droit

international peut inférer certaines conclusions lorsqu’elle mène à la mise en place d’autorités

16
étatiques effectives et stables .

22. Ayant établi que le droit internationa l ne faisait pas obstacle aux déclarations

d’indépendance ou à la sécession, je voudrais main tenant répondre à certains points soulevés à

propos de la Commission d’arbitrage de la c onférence de paix pour l’ex-Yougoslavie (ou

commission Badinter) 17. Il a été avancé que l’avis n o9 de la commissionBadinter en date du

4juillet1992 avait exclu la possibilité de toute nouvelle sécession sur le territoire de

l’ex-Yougoslavie, de sorte que la déclaration d’indépendance du Kosovo serait contraire aux avis

de la Commission.

23. Toutefois, l’avis n o9 ne pouvait anticiper ce qui se passerait plusieurs années après sa

rédaction ; la conclusion qui s’y trouve exprim ée est donc dépourvue de toute pertinence aux fins

de la présente question. La commissionBadint er elle-même a dû ajuster son point de vue en

fonction de l’évolution des événements: en1991, elle tenait pour acquis le maintien de la

République fédérative socialiste de Yougoslavie, dont elle a été amenée, en 1992, à reconnaître la

dissolution. En outre, son opinion est libellée en termes extrêmement prudents : la commission ne

reconnaît en effet que l’achèvement du processus de dissolution spécifiquement visé dans l’avis

15
Thomas Franck, rapport d’expert, par. 2.11, reproduit in A.F. Bayefsky (sous la dir. de), Self-determination in
International Law : Quebec and Lessons Learned, 2000, p. 335.
16 Voir exposé écrit de l’Autriche, par. 37 et suiv.

17 Voir, par exemple, exposé écrit de la Roumanie, 14avril2009, par.69, p.127 et suiv.; exposé écrit de la
Serbie, 14 juillet 2009, par. 265. - 9 -

n 1, et ne s’intéresse à aucun autre processus de dissolution ou de sécession. Ainsi l’avis de la

commissionBadinter ne pouvait-il, par exemple, empêcher la création de l’Etat du Monténégro.

La création du Monténégro en tant qu’Etat indépe ndant, qui n’a été contestée par aucun Etat, vient

le confirmer. Les avis de la commission Badint er ne sauraient donc être invoqués à l’appui de la

thèse de l’illicéité de la déclaration d’indépendance du Kosovo.

13 VII. L E CONTENU DE LA DÉCLARATION EST CONFORME À LA RÉSOLUTION 1244

24. Je montrerai à présent pourquoi la résolution1244 n’exclut pas, elle non plus, une

déclaration d’indépendance. La résolution1244 définit l’évolution de la situation au Kosovo

suivant deux étapes distinctes: la première couvr e la période intérimaire, la seconde, celle du

règlement politique définitif. L’alinéa a) du paragraphe11 distingue expressément la période

intérimaire de celle de ce règlement politique, lorsqu’il attribue à la présence civile internationale la

responsabilité de «[f]aciliter, en a ttendant un règlement définitif, l’instauration au Kosovo d’une

autonomie et d’une auto-administration substantielles, compte pleinement tenu de l’annexe 2 et des

Accords de Rambouillet».

25. Si les organes en place au Kosovo pendant la période intérimaire ont été établis par la

résolution, la teneur exacte du règlement politique définitif n’y était pas précisée. Les événements

ayant conduit à la déclaration d’indépendance ont démontré de manière fort convaincante que la

période intérimaire avait déjà pris fin et qu’auc un progrès n’était désormais possible dans ce cadre.

Toutes les tentatives de parvenir à une solution par voie d’accord avaient été épuisées.

26. La résolution 1244 ne définissait pas non plus les modalités pour aboutir à un règlement

politique, de sorte que le consentement de la Se rbie n’était pas nécessaire pour que le règlement

politique définitif lui soit conforme. Etait en reva nche énoncée l’obligation de respecter la volonté

du peuple du Kosovo, conformément aux accords de Rambouillet 18.

27. Si la résolution n’indiquait pas expressé ment que l’indépendance du Kosovo était l’une

des solutions envisageables, elle n’excluait nu llement l’indépendance en tant qu’option de

règlement définitif. Une propositio n d’amendement au libellé du projet de résolution visant à

exclure la possibilité de l’indépendance ne fut pas re tenue dans le texte final de la résolution. En

18
Chap. VIII, art. 1, par. 3 de l’accord intérimaire pour la paix et l’autonomie au Kosovo, 23 février 1999. - 10 -

conséquence, la résolution1244 ne contient rien qui interdise la sécession du Kosovo d’avec la

Serbie ni n’exclue la création d’un nouvel Etat. De fait, en l’absence de définition claire du

règlement politique définitif dans cette résolution, tout règlement politique doit s’inscrire dans les

seules limites du droit international général.

28. La conformité au droit in ternational de la déclaration d’indépendance est exprimée dans

la déclaration elle-même, qui affirme expressément,au paragraphe12, le respect des principes du

droit international, y compris de la résolution 1244 du Conseil de sécurité. Aussi ne saurait-il, en

vertu du principe de bonne foi, être argué que la déclaration d’indépendance est contraire au droit

14 international, puisque la déclara tion elle-même indique s’y conformer. Dès lors, le contenu de la

déclaration d’indépendance doit être considéré comme conforme au droit international.

VIII. A BSENCE D ’OBJECTION DES ORGANES DE L ’ORGANISATION DES NATIONS UNIES

29. Le fait que ni le représentant spécial du Secrétaire général ni le Conseil de sécurité n’ont

soulevé la moindre objection à la déclaration est un autre élément indiquant que la déclaration

d’indépendance ⎯quand bien même, pour les besoins de l’argumentation, celle-ci serait

considérée comme émanant de l’Assemblée ⎯ était conforme au droit international, y compris à la

résolution 1244. Le représentant spécial n’a pas in validé cette déclaration, en dépit du pouvoir qui

était le sien d’annuler les actes des instituti ons provisoires qu’il tenait pour contraires à la

résolution1244. Or, le représentant spécial était mandaté, en vertu du paragraphe6 de la

résolution, pour contrôler la mise en place de la présence internationale civile. S’il l’avait estimée

contraire à la résolution 1244, et en particulier au Cadre constitutionnel de la MINUK, il aurait été

de son devoir de s’opposer à cette déclaration d’indépendance, que ce soit sous la forme d’une

déclaration publique, d’un rapport adressé au Secrétaire général ou directement au Conseil de

sécurité. Cependant, il s’est, à l’évidence, abstenu de ce faire.

30. De manière générale, le représentant spéci al n’hésitait pas à utiliser les pouvoirs dont il

jouissait pour invalider des actes qu’il tenait effectivement pour contraires à la résolution1244.

Citons notamment le cas de la «résolution relativ e à la protection de l’intégrité territoriale du - 11 -

19
Kosovo» adoptée par l’Assemblée en 2002, qu’il a immédiatement déclarée nulle et non avenue

et dont le Conseil de sécurité a ultérieurement déploré l’adoption 20.

31. Le Conseil de sécurité et le Secrétai re général ne se sont pas davantage que le

représentant spécial opposés à la déclaration. L’ab sence d’objection signifie que la proclamation

de l’indépendance a été considérée comme licite tant par le Secrétaire général que par le Conseil de

21
sécurité, ainsi que nous l’avons montré dans notre exposé écrit . Quand bien même l’on

15 assimilerait cette attitude des organes de l’Orga nisation des NationsUnies à une position de

neutralité, celle-ci ne serait pas sans produire d’ effet juridique, dans la mesure où ces organes

auraient été tenus de réagir s’ils avaient jugé la déclaration illicite. Par conséquent la Cour,

lorsqu’elle rendra son avis consultatif, aura sans doute à cŒur de prendre dûment en considération

les réactions des organes de l’Organisation des Na tions Unies, notamment le fait que ceux-ci n’ont

soulevé aucune objection à la déclaration d’indépendance du Kosovo.

IX. FAITS ULTÉRIEURS

32. Ayant exposé les arguments juridiques qui m ilitent en faveur de la conformité au droit

international de la déclaration d’indépendance, je voudrais maintenant souligner la pertinence que

revêtent certains faits intervenus après la procla mation de l’indépendance, lesquels confortent nos

conclusions juridiques ; ils confirment la licéité de la déclaration d’indépendance.

33. Outre la pertinence juridique de l’absence de toute objection à cette déclaration de la part

des organes de l’Organisation des NationsUnies, la transition, dans les faits, du contrôle effectif

exercé sur le Kosovo 22des mains de la MINUK à celle s du gouvernement kosovar illustre la

conformité au droit international de la déclar ation d’indépendance. Cette transition inclut

23
l’adoption d’une constitution, qui ne confère aucun rôle à l’administration internationale . Elle

19
«Determination» by the Special Representative of the Secretary-General, Michael Steiner, 23 May 2002,
UNMIK Press Release, 23 May 2002, PR/740.
20
Déclaration du président du Conseil de sécurité, 24 mai 2002, S/PRST/2002/16.
21Exposé écrit de l’Autriche, par. 42 et suiv.

22Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’admi nistration intérimaire des NationsUnies au Kosovo,
24 novembre 2008, S/2008/692, par. 21.

23Constitution de la République du Kosovo, adoptée le 9 avril 2008. - 12 -

doit aussi être envisagée à la lumière de l’impossib ilité de maintenir la situation qui prévalait avant

la déclaration d’indépendance.

34. En outre, l’on ne saurait négliger le fa it que le Kosovo a été reconnu par soixante-trois

Etats ⎯ dont l’Autriche ⎯, qu’il a établi des ambassades et autres missions diplomatiques, a été

24 25
admis au sein du FMI et des institutions du groupe de la Banque mondiale , et a conclu un

accord bilatéral de délimitation frontalière avec l’ex-République yougoslave de Macédoine 26. Bien

que la Cour ne soit pas appelée à évaluer la licéité des reconnaissances internationales de la

16 déclaration d’indépendance, la pertinence du fa it que ces reconnaissances aient été légion ne

semble faire aucun doute.

X. CONCLUSION

35. En conclusion, Monsieur le président, Messieurs de la Cour, l’Autriche considère que la

réponse à la question posée à la Cour est claire : le droit international ne traite pas de la licéité des

déclarations d’indépendance en tant que telle et, de surcroît, il n’existe aucune règle de droit

international qui interdise la déclaration d’indé pendance du Kosovo. En conséquence, l’Autriche

prie respectueusement la Cour de dire que la déclaration d’indépendance du Kosovo est conforme

au droit international.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie.

Le PRESIDENT: Je remercie S.Exc.M.Helmut Tichy pour sa présentation. J’appelle

maintenant S. Exc. M. Agshin Mehdiyev à la barre.

M. MEHDIYEV :

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un grand privilège pour moi que de

m’exprimer devant vous au nom de la République d’Azerbaïdjan et d’exposer la position de mon

gouvernement sur cette question d’une profonde importance pour la communauté internationale.

24 o
FMI, communiqué de presse n 09/240, 29 juin 2009. Conformément à l’ articleII des statuts du FMI en date
du 22 juillet 1944, la possibilité de devenir membre du Fonds est ouverte aux pays.
25Groupe de la Banque mondiale, communiqué de presse n 2009/448/ECA, 29 juin 2009

2617 octobre 2009. - 13 -

2. L’Assemblée générale, dans sa résolution 63/3 du 8 octobre 2008, a prié la Cour de rendre

un avis consultatif sur la question de la «Confor mité au droit international de la déclaration

unilatérale d’indépendance [DUI ] des institutions provisoires d’ administration autonome du

Kosovo». Fidèle à son habituelle position de principe au sujet des implications possibles de la

question posée en l’espèce, l’Azerbaïdjan a voté en faveur de cette résolution.

3. En prenant la décision d’appuyer la résolu tion, nous sommes également partis du principe

que l’Assemblée générale était dûment autorisée à demander un avis consultatif sur cette question

juridique qui est bien «libellé[e] en termes juridiques», «soulèv[e] des problèmes de droit

international», est «susceptibl[e] de recevoir une réponse fondée en droit» ( Sahara occidental, avis

consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15) et qui s’inscrit clairement dans le cadre des activités
17

dévolues à l’Assemblée générale par la Charte des Nations Unies.

4. En outre, en demandant à la Cour de rendr e un avis consultatif, l’Assemblée générale a

exprimé son intérêt pour la question et décidé «de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins

propres» ( Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif ,

C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16).

5. L’Azerbaïdjan estime que la Cour est compétente pour exercer ses attributions

consultatives dans la présente affaire et qu’il n’existe aucune «raison décisive» devant la conduire à

rejeter cette demande, qui vise à obtenir un avis consultatif répondant à la question posée par

l’Assemblée générale.

6. Monsieurle président, Messieurs de la Cour, la question qui vous est soumise à travers

cette demande d’avis consultatif revêt effectivement beaucoup d’importance. Trouver une solution

à la question du Kosovo est devenu l’une des plus grandes gageures politiques, d’autant plus que

les parties concernées sont foncièrement divisées et qu’elles ont donc des points de vue différents

sur la façon de régler définitivement le problème.

7. Certaines puissances de premier plan qui sont impliquées ont clairement souligné

d’emblée que le processus conduisant à l’indépendance du Kosovo, fût-ce sans le consentement du

souverain reconnu, était irréversible et que, dans ces circonstances, il s’agissait là d’une solution de

dernier recours pour régler la question. Une telle position laissait nettement présager une démarche - 14 -

unilatérale et a considérablement influé sur la volonté des parties concernées de négocier de bonne

foi pour trouver une solution consensuelle.

8. De plus, le chemin de l’indépendance a été jalonné de plusieur s questions de droit

international et a fait naître la crainte de créer un précédent quant à la définition, la portée et

l’application des normes juridiques pertinentes. Dès lors, il ne fait guère de doute que l’avis

consultatif de la Cour sera lourd de conséquences pour l’ordre juridique international. Ce n’est pas

une coïncidence si l’affaire qui lui est soumise suscite beaucoup d’intérêt, à en juger par le nombre

total des participants à l’instance, parmi lesquels figurent, pour la première fois dans toute l’histoire

de la Cour, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

18 9. Je voudrais répéter la position que l’Azerbaïdjan a exposée sur la question qui nous

occupe dans son exposé écrit du 17avril2009. Ce la étant, eu égard aux contributions et aux

exposés écrits d’autres participants à la présente instance, nous avons décidé d’approfondir

certaines questions revêtant une importance particulière.

10. Plusieurs Etats ont avancé l’idée que le droit international (abs traction faite de cas

spéciaux comme l’agression et l’apartheid) serait muet sur la licéité des déclarations

d’indépendance en tant que telles, ramenant la cr éation des Etats à une affaire purement factuelle.

De ce point de vue, le principe de la souveraineté et de l’intégrité territoriale viserait exclusivement

les Etats et ne s’appliquerait pas aux déclarati ons d’indépendance. Les tenants de cette thèse

soutiennent donc que la DUI n’est pas incompatible avec le droit international.

11. Il est essentiel, en l’occurrence, de préci ser que la déclaration d’indépendance formulée

dans un cas donné constitue l’expression d’une intention de créer un Etat en mettant fin de manière

unilatérale au régime juridique existant et en faisant sécession d’avec un Etat souverain de façon

non consensuelle. La DUI est censée satisfaire au droit international et vise à produire des effets

juridiques concrets. Si la Cour estimait justifié d’appréhender la DUI non pas comme un acte isolé

mais dans sa globalité, nous attendrions alors de sa part qu’ elle en examine attentivement les

différents aspects et leur licéité.

12. La position fondée sur l’hypothèse d’un dr oit international «neutre» vis-à-vis d’une

tentative de sécession ne permet pas de légitimer la sécession de quelque façon que ce soit, pas plus - 15 -

qu’elle ne signifie que la sécession est vouée au succès et que la communauté internationale en

accepte les conséquences sans le consentement du souverain reconnu.

13. Comme chacun sait, tentative de séce ssion rime souvent avec violation du droit

international, y compris de ses normes impérativ es, telles que celles qui proscrivent la menace ou

l’emploi de la force, la discrimination raciale et l’apartheid. Le droit international entre également

en jeu si une tentative de sécession va à l’encontre du principe de l’autodétermination, de même

que si elle est orchestrée depuis l’étranger ou va de pair avec une aide extérieure.

14. Qui plus est, le droit international ne reste pas indifférent lorsqu’il est tenté de créer un

nouvel Etat par une sécession non consensuelle en viol ant le droit interne de l’Etat d’origine, dont

il garantit l’intégrité territoriale et dont il autorise le gouvernement à repousser par des moyens

légitimes toute tentative de sécession de cette nature.

19 15. En d’autres termes, la question la plus im portante est celle de la légitimité du processus

au moyen duquel la sécession de facto est ou a été tentée. Une entité créée au mépris du droit

international et interne, même parée de tous les attributs factuels d’un Etat, n’en est pas un.

16. Il a été soutenu que, en droit international, le principe d’effectivité signifie que les

situations de fait, quelle que soit la manière dont elles ont vu le jour, conduisent à des situations de

droit. Tel n’est pas et ne saurait être le cas. Le droit international, pour peu qu’on lui prête le

moindre sens, signifie que les faits accomplis n’ont pas à être acceptés purement et simplement.

Force n’est point droit. Le fait que certaines situations illicites perdurent en raison de circonstances

politiques ne les rend pas licites pour autant. Le droit prime la force.

17. Cette conception se retrouve dans la prati que internationale et les exemples sont de

notoriété publique. Comme nous l’avons déjà relevé dans notre exposé écrit, l’Organisation des

Nations Unies s’est toujours farouchement opposée à toute tentative visant à entamer partiellement

ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un Etat. Son Secrétaire général a ainsi

souligné que, «[e]n sa qualité d’organisation in ternationale, l’ONU n’a[vait] jamais accepté,

n’accept[ait] pas et n’acceptera[it] jamais, je pense, le principe de la sécession d’une partie d’un de

ses Etats Membres» (Nations Unies, Chronique mensuelle, fév. 1970, p. 36).

18. Pour reprendre les termes d’un grand auteur : - 16 -

«[d]epuis 1945, la communauté internationale s’est montrée extrêmement réticente à
accepter la sécession unilatérale de parties d’Etats indépendants lorsque le

gouvernement de l’Etat concerné y était hos tile. En pareils cas, le principe de
l’intégrité territoriale a constitué un frein important. Depuis 1945, aucun Etat qui créé
par voie de sécession unilatérale n’a été admis à l’Organisation des Nations Unies
contre la volonté expresse de l’Etat prédécesseur.» (J. Crawford, Creation of States in
e
International Law, 2 éd., 2006, p. 390) [traduction du Greffe].

19. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la présente affaire touche à la portée du

principe de l’intégrité territoriale, au droit à l’autodétermination et à la notion de sécession.

L’Azerbaïdjan considère qu’il n’ex iste aucun conflit de normes en dr oit international. Le plus

important, pour apprécier le contenu de normes, est d’en déterminer la portée et l’application

exactes. A cet égard, nous estimons devoir rappe ler la position suivante, qui est étayée par des

[études doctrinales] exhaustives et reprise non seule ment dans notre exposé écrit, mais aussi dans

les écritures d’autres participants à la présente instance.

20 20. Il est essentiel de souligner que les Etats sont au cŒur du système juridique international

et qu’ils en sont les principaux sujets, le principe de la protection de leur intégrité territoriale

revêtant nécessairement une importance majeure.

21. L’intégrité territoriale et la souveraineté des Etats sont des notions inextricablement liées

en droit international. Ce sont des principes fondamentaux. Contrairement à beaucoup d’autres

normes de droit international, elles ne peuvent être modifiées sans revisiter foncièrement la

conception classique et moderne du droit international.

22. La Cour a clairement précisé que, «[e]nt re [E]tats indépendants, le respect de la

souveraineté territoriale [était] l’une des bases essentielles des rapports internationaux» ( Détroit de

Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35).

23. Voilà pourquoi les Etats sont, sur le plan juridique, tenus de respecter leur intégrité

territoriale mutuelle. Cette obligation découle des principes de la souveraineté et de l’égalité des

Etats. Force est de noter qu’il ne s’agit pas uniqueme nt là d’une obligation de protéger le territoire

lui-même ou le droit d’y exercer une juridiction, voire une souveraineté ; le principe du respect de

l’intégrité territoriale des Etats emporte une oblig ation supplémentaire, qui est celle de préserver

leur [unité territoriale], leur définition ou leur délimitation. Il échet ainsi à tous les Etats de

reconnaître que la structure territoriale et la configuration mêmes d’un Etat doivent être respectées. - 17 -

24. Le respect de l’intégrité territoriale des Etats est une norme fondamentale du droit

international consacrée par une pratique internatio nale, régionale et bilatérale bien établie. Ce

principe est réaffirmé dans des instruments in ternationaux, contraignants ou non, allant des

résolutions des NationsUnies d’ordre général et particulier à des accords internationaux

multilatéraux, régionaux ou bilatéraux.

25. Il est donc étrange et extrêmement inquiét ant du point de vue du droit de soutenir qu’un

renvoi explicite au principe de l’intégrité territoriale dans le préambule d’une résolution du Conseil

de sécurité est de peu d’effet car ce préambule est une «clause non contra ignante». Etant donné

que le principe de l’intégrité territoriale des Et ats est souvent réaffirmé dans le préambule des

résolutions du Conseil de sécurité se rapportant à des situations précises, il serait effectivement très

étrange d’y voir un affaiblissement dudit principe . Pareille interprétati on serait une menace pour

21 un certain nombre d’Etats dans la pratique. Quoi qu’il en soit, le Conseil ne se prononce pas sur

l’intégrité territoriale des Etats, qui est une question de droit international. Il choisit simplement de

la réaffirmer dans des situations particulières.

26. On a fait valoir que si le Conseil de sécurité ne parle pas expressément de sécession, c’est

que celle-ci n’est pas interdite en droit international. Cela ne peut être vrai. Un grand nombre de

résolutions ont été adoptées par le Conseil en réponse à des tentatives sécessionnistes, qui toutes

réaffirment l’intégrité territoriale des Etats. Leurs dispositions pertinentes n’ont de sens que si l’on

y voit une interdiction de telles tentatives. Il ne faudrait pas oublier que le Conseil de sécurité est

un organe politique et qu’il réagit à chaque situati on en tenant compte de facteurs aussi bien

politiques que juridiques.

27. Il n’y a pas d’équivoque possible, le dr oit international ne prévoit pas de droit de

sécession pour les Etats indépendants et n’énonce ni les motifs ni les conditions qui pourraient

légitimer toute forme de sécession non consensuelle. Un principe aussi fondamental que celui de

l’intégrité territoriale des Etats aurait bien peu de valeur si le droit inte rnational devait reconnaître

l’existence d’un droit de faire sécession s’appliquant aux Etats indépendants.

28. La sécession d’avec un Etat souverain existant n’entraîne pas l’exercice de droits

conférés par le droit international et n’a donc pas de place parmi les normes et principes

généralement acceptés de droit international qui s’appliquent dans des limites clairement définies. - 18 -

29. Le principe de l’autodétermination ét ant indéniablement une norme juridique, se pose

alors la question de sa portée et de son application.

30. Tant l’analyse textuelle des dispositions existantes sur l’autodétermination que les

travaux préparatoires des instruments internationa ux qui les renferment amènent à distinguer deux

aspects de l’autodétermination: un aspect intéri eur, qui est le droit de tous les peuples de

poursuivre librement leur développement économique, social et cu lturel sans ingérence extérieure,

et un aspect extérieur, qui est le droit des peuples de déterminer librement leur statut politique et

leur place dans la communauté internationale sur la base du principe de l’égalité des droits et ainsi

que l’illustrent la libération des peuples du coloni alisme et l’interdiction de la soumission des

peuples à la sujétion, la domination et l’exploitation étrangères.

31. Comme l’a clairement montré le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale,

pour ce qui est de l’aspect intérieur de l’autodéterm ination, il existe un lien avec le droit de tout

22
citoyen de prendre part à la conduite des affaires publiques à tous les échelons (CERD,

recommandation générale n o21(48), par.4). A la lumière de cette interprétation, le comité des

droits de l’homme estime très souhaitable que les rapports des Etats parties au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques décriven t, en ce qui concerne le paragraphe1 de

l’articlepremier, les procédures constitutionnelles et politiques qui permettent d’exercer le droit à

o
l’autodétermination dans les faits (CCPR, observation générale n 12 (21), par. 4). La pratique du

comité confirme qu’il considère le droit à l’autodétermination comme donnant un cadre global à

l’examen des principes se rapportant à la gouve rnance démocratique. L’aspect intérieur de

l’autodétermination s’applique à un certain nombr e de situations, qui ont cependant pour thème

commun la reconnaissance des droits juridiques de communautés de personnes au sein du territoire

des Etats indépendants.

32. En ce qui concerne l’aspect extérieur de l’autodétermination, le peuple de l’unité

territoriale concernée, définie selon des critères coloniaux, et les peuples se trouvant dans des

situations analogues, à savoir, ceux qui sont soumis à la sujétion, la domination et l’exploitation

étrangères, y compris ceux qui sont sous occupati on militaire étrangère, peuvent exercer le droit à

l’autodétermination «extérieure», dont le principa l objet est la libre détermination du statut

politique du territoire dans son ensemble. - 19 -

33. Comme l’a fait observer un auteur éminent

«Contrairement à l’autodétermination extérieure pour les peuples coloniaux, qui
cesse d’exister en droit international coutum ier une fois mise en Œuvre, le droit à
l’autodétermination intérieure ne dispara ît ni ne s’affaiblit du fait qu’il a déjà été
invoqué et exercé.» (A. Cassese, Self-determination of peoples, p. 101.)

34. Au sujet des deux aspects de l’autodétermination, un autre auteur éminent a relevé que

«dans le cas de l’autodétermination extérieure, un Etat est tenu de prendre des mesures

de politique extérieure permettant l’exercice de l’autodétermination là où l’occupation
coloniale ou raciste subsiste. Mais l’au todétermination intérieure vise son propre
peuple.» (R. Higgins, Postmodern Tribalism and the Right to Secession, p. 31.)

35. La pratique internationale montre que l’ autodétermination n’a pas été interprétée comme

signifiant que tout groupe se définissant comme tel peut choisir lui-même son propre statut

politique jusques et y compris la sécession d’av ec un Etat déjà indépendant. Même si les

instruments internationaux se réfèrent habituellement au droit «de tous les peuples» de déterminer

«librement leur statut politique», il ressort clairement de la pratique interna tionale que ce ne sont

pas «tous les peuples» au sens politico-sociologi que du terme auxquels le droit international

reconnaît la capacité de déterminer librement leur statut politique jusques et y compris la sécession
23
par rapport à un Etat indépendant reconnu. En fait, la pratique montre que ce droit a été reconnu à

des «peuples» dans des circonstances strictement définies.

36. Il convient donc de faire une distinction entre la notion de «peuple» présentant des

caractéristiques politico-sociologiques précises et la notion de «peuple» pouvant disposer de

lui-même. Indépendamment des conclusions se rap portant à la première notion, la seconde est

strictement limitée en droit international à des catégories concrètes de peuples. Le «peuple» dont le

droit international reconnaît le droit à l’autodé termination correspond évidemment au peuple tout

entier, le demos, et non aux ethnos séparés ou autres groupes, qui, ensemble, forment néanmoins le

demos.

37. Le Pacte international relatif aux droits ci vils et politiques contient aussi bien le terme
o
«peuples» que le terme «minorités», et dans son observation générale n 23, le comité des droits de

l’homme fait une distinction entre les droits d es personnes appartenant à des minorités et le droit

des peuples de disposer d’eux-mêmes. Il souligne tout particulièrement que la jouissance des droits

énoncés à l’article27 ne porte pas atteinte à la s ouveraineté et à l’intégrité territoriale des Etats - 20 -

o
(CCPR, observation générale n 23 (50), par. 3.1 et 3.2). La mê me approche a été adoptée dans le

commentaire relatif à la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités

nationales ou ethniques, religieuses et li nguistiques (doc. des NationUsnies,

E/CN.4/Sub.2/AC.5/2001/2, par. 15).

38. Par conséquent, le droit international ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination

extérieure aux minorités, ce qui signifie qu’ell es ne peuvent prétendre unilatéralement faire

sécession de l’Etat dans lesquelles elles vivent. Bien plutôt, elles exercent l’aspect intérieur de ce

droit, avec le reste de la population de l’Etat concerné, en tant qu’élément de cette population et à

l’intérieur des frontières reconnues de cet Etat. Comme l’a souligné le Secrétaire général de l’ONU

dans l’Agenda pour la paix,

«[i]l reste que si chacun des groupes ethniques, religieux ou linguistiques prétendait au
statut d’Etat, la fragmentation ne connaîtrait pl us de limite, et la paix, la sécurité et le

progrès économique pour tous deviendraient toujours plus difficiles à assurer »
(Agenda pour la paix, doc. des Nations Unies, A/47/277-S/24111, p. 5, par. 17).

39. La pratique des Etats confirme qu’une en tité créée sur une partie du territoire d’un Etat

sans le soutien de l’ensemble du pe uple en droit de disposer de lui-même est à priori illicite et ne

peut donc être considérée comme un Etat. Il s’ ensuit qu’une entité séparatiste construite selon des

critères ethniques, particulièrement une entité qui survit grâce à un soutien politique, militaire et

24 économique extérieur, est illicite parce qu’il y a violation du droit à l’ autodétermination de

l’ensemble de la population de l’Etat concerné et violation du principe de non-discrimination.

40. Nous pensons comme d’autres Etats participant à la présente procédure qu’il n’existe pas

de preuve de l’existence de la sécession comme forme de sanction ou de remède en droit

international contemporain. Cette interprétati on est étayée tant par une analyse textuelle des

dispositions existantes sur l’intégrité territoriale et l’autodétermination que par la pratique des Etats

qui montre que la prétendue «sécession à titre de remède» n’a jamais ét é mise en Œuvre avec

succès.

41. Certains Etats ont fait valoir aux fins de la présente procédure que les principes énoncés

dans l’acte final d’Helsinki de1975 (déclaration d’Helsinki) devraient s’ appliquer également,

«chacun d’entre eux s’interprétant en tenant compte des autres». Cependant, ces mêmes Etats

passent sous silence le fait que, sans aucun doute possible, ce document vise l’autodétermination - 21 -

dans sa dimension internationale et indique que toute modification de frontières doit

nécessairement se faire conformément au droit international, par des moyens pacifiques et par voie

d’accord. En outre, l’accent mis dans la déclaration d’Helsinki et des documents ultérieurs sur le

principe de l’intégrité territoriale des Etats, allié à l’absence de toute référence à la prétendue

doctrine de la «sécession à titre de remède» a même amené à penser, y compris dans les milieux

universitaires, que l’acte final d’Helsinki et son pr ocessus de suivi jetait le doute sur la volonté de

la CSCE et de l’OSCE de continuer à Œuvrer pour le droit à l’autodétermination. On ne saurait

faire abstraction du fait que l’acte final d’Helsinki réaffirme la valeur et l’importance du principe

de l’intégrité territoriale, d’autant que des instruments ultérieurs y font expressément référence.

42. Dans le cadre du processus de suivi, l es Etats participants ont accordé encore plus

d’importance à la nécessité de respecter l’intégrité territoriale des Etats en définissant le principe de

l’autodétermination. Cette approche ressort clai rement de la Charte de Paris pour une nouvelle

Europe de1990 et du document de la réunion de Moscou de la confér ence sur la dimension

humaine [de la CSCE] adopté l’année suivante. Ainsi, la Charte de Paris a réaffirmé «l’égalité de

droits des peuples et leur droit à l’autodétermina tion conformément à la Charte des Nations Unies

et aux normes pertinentes du droit international dans ce domaine, y compris celles qui ont trait à

l’intégrité territoriale des Etats». Dans le document de la réunion de Moscou,

25 «les Etats participants ont souligné qu’aux termes des dispositions de l’Acte final de la

Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et de la Charte de Paris pour
une nouvelle Europe, l’égalité des droits des peuples et leur droit à
l’autodétermination doivent être respectés conformément à la Charte des
NationsUnies et aux normes pertinentes du droit international, notamment celles qui

ont trait à l’intégrité territoriale des Etats».

Et ce ne sont là que quelques exemples. Pour si mplifier, cela signifie que tout exercice du droit à

l’autodétermination (hors contexte colonial ou occupation étrangère) doit être conforme au principe

de l’intégrité territoriale.

43. Nous sommes d’avis que la Cour n’a p as besoin de décider si le Kosovo a exercé

valablement son droit à l’autodétermination pour répondre à la question que lui a posée

l’Assemblée générale. Au cas où elle jugerait nécessaire d’examiner la DUI sous l’angle du droit à

l’autodétermination, nous lui demanderions de bien vouloi r tenir compte de la position

susmentionnée. - 22 -

44. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, pendant la phase écrite et pendant ces

audiences nous avons constaté des divergences d’ interprétation quant à la résolution1244 du

Conseil de sécurité et l’absence d’unanimité tant au sein du Conseil de sécurité qu’entre les Etats

Membres des NationsUnies en général quant à la question dont la Cour est saisie. Cependant,

nous sommes d’avis que ni ces divergences, ni l’absence de progrès dans les négociations

politiques entre les parties ne peuvent être présentés comme justifiant des mesures unilatérales.

45. Tous les Etats sont liés par des norm es et des principes de droit international

généralement acceptés, notamment ceux qui ont trait au respect de la souveraineté et de l’intégrité

territoriale des Etats, à l’inviolabilité de leurs frontières internationalement reconnues et à la

non-ingérence dans leurs affaires intérieures. L’Azerbaïdjan est convaincu que le respect fidèle des

normes et principes généralement acceptés du droit international régissant les relations amicales et

la coopération entre les Etats et l’exécution de bonne foi des obligations qui leur incombent

revêtent la plus grande importance pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

46. La République d’Azerbaïdjan espère qu’en répondant à la question qui lui est posée, la

Cour contribuera à renforcer l’ordre juridique international ainsi que son rôle et son efficacité dans

les relations internationales.

47. Voilà qui met un terme à mon interventi on. Je tiens à remercier la Cour pour la

courtoisie dont elle a fait preuve en écoutant l’exposé que j’ai présenté au nom de la République

d’Azerbaïdjan.

Je vous remercie.

26 Le PRESIDENT : Je remercie S. Exc. M. Ag shin Mehdiyev pour sa présentation au nom de

l’Azerbaïdjan. J’appelle à présent à la barre S. Exc. Mme Elena Gritsenko.

Mme GRITSENKO : Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la République du Bélarus

attache une grande importance aux audiences sur la question de la Conformité au droit

international de la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires

d’administration autonome du Kosovo . La Cour internationale de Justice est l’institution la plus

appropriée pour analyser de manière complète et impartiale les questions de droit international

relatives à cet acte unilatéral. - 23 -

La République du Bélarus a soutenu l’adopt ion de la résolution63/3 de l’Assemblée

générale des NationsUnies concer nant la demande faite à la Cour internationale de Justice de

donner un avis consultatif. Notre soutien découle de l’importance qu’il y a à trouver des solutions

réellement stables et durables concernant le statut du territoire, pour les Etats de la région et pour la

communauté internationale dans son entier.

Nous estimons qu’un avis consu ltatif de l’organe judiciaire principal de l’Organisation des

NationsUnies, composé des juristes internationa ux les plus éminents au monde, contribuera à

promouvoir le respect des buts et principes de la Charte des NationsUnies dans les relations

internationales contemporaines en géné ral, et de la règle de droit in ternational dans le cadre de la

mise en Œuvre du droit à l’autodétermination en particulier.

La demande d’avis consultatif soumise à la Cour internationale de Justice par l’Assemblée

générale a été faite en pleine conformité avec la Charte des Nations Unies, le Statut de la Cour et le

Règlement intérieur de l’Assemblée générale.

Le paragraphe [1] de l’article 96 de la Charte prévoit que l’Assemblée générale ou le Conseil

de sécurité peut demander à la C our internationale de Justice un av is consultatif sur toute question

juridique. Le paragraphe1 de l’article65 [du Statut de la C our] indique que celle-ci peut donner

un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura

été autorisé par la Charte des NationsUnies ou conformément à ses dispositions à demander cet

avis.

Pour déterminer si la question est d’ordre «juridique», nous devons nous référer à la pratique

constante de la Cour. Il ressort de celle-ci qu’une question est juridique si elle est formulée en

27
termes juridiques, si elle porte sur des questions de droit international et si l’on peut y répondre en

se fondant sur le droit. La demande d’avis cons ultatif soumise par l’Asse mblée générale remplit

ces critères.

De nombreuses questions graves qui se posent actue llement et relèvent du droit international

découlent de circonstances politiques. Et c’est dans des conditions similaires que la Cour

internationale de Justice a, plus d’une fois, donné ses avis consu
ltatifs motivés. Nous espérons

qu’un avis consultatif portant sur la licéité de la déclaration un ilatérale d’indépendance du Kosovo

apportera de même des indications claires en vue de régler la situation considérée, conformément à - 24 -

l’appréciation qui est généralement portée en droit international sur la corrélation entre d’une part

le droit à l’autodétermination et d’autre part les principes de l’ég alité souveraine et de l’intégrité

territoriale.

Monsieur le président, Messieurs les juges, l es principales sources juridiques internationales

énoncées ci-dessous sont essentielles pour établir un avis consultatif :

⎯ la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 ;

⎯ l’acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe du 1 eraoût 1975 ;

⎯ le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

⎯ le pacte international relatif aux dro its économiques, sociaux et culturels du

16 décembre 1966 ; et enfin,

⎯ la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.

Afin de déterminer et d’interpréter les nor mes de droit international applicables, il est

nécessaire d’appliquer la pratique judiciaire in ternationale ainsi que les déclarations et les

résolutions adoptées dans le cadre de l’Organisatio n des NationsUnies. A cet égard, il convient

d’accorder une attention particulière à la décl aration de1970 relative aux principes du droit

international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la

Charte des NationsUnies (résolution2625 (XXV)), qui garantit le contenu normatif des principes

du droit international.

Messieurs les juges, le paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies proclame le

but de «[d]évelopper entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de

l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres

mesures propres à consolider la paix du monde».

La déclaration de 1970 est ainsi libellée :

28 «En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à

disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les
peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans
ingérence extérieure, et de poursuivre le ur développement économique, social et
culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de

la Charte.»

La déclaration indique en outre que la mise en Œuvre du droit à l’autodétermination peut

s’effectuer par «la création d’un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration - 25 -

avec un Etat indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un

peuple».

L’acte final d’Helsinki de1975 garantit les principes interdépendants de l’inviolabilité des

frontières, de l’intégrité territoriale des Etats et de l’égalité de droits ede l’autodétermination des

peuples. Le principe du droit à l’autodétermination doit respecter, sans ambigüité, les «buts et [les]

principes de la Charte des Nations Unies et [l es] normes pertinentes du droit international, y

compris celles qui ont trait à l'intégrité territoriale des Etats».

L’articlpremier du pacte international re latif aux droits civils et politiques et

l’articlepremier du pacte international relatif aux droits économ iques, sociaux et culturels

contiennent les dispositions suivantes :

«1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit,
ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur
développement économique, social et culturel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité
d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de

faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce
droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»

La République du Bélarus est foncièrement attachée au droit des peuples à disposer

d’eux-mêmes et estime qu’il s’agit là d’un prin cipe essentiel du droit international contemporain.

Cette appréciation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est déterminée par la pratique des

NationsUnies, dont les arrêts et les avis consul tatifs de la Cour intern ationale de Justice,

notamment, sont la manifestation. La cont ribution essentielle au développement du concept

d’autodétermination en droit intern ational provient des avis consulta tifs de la Cour internationale

de Justice sur les questions des Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de

l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain ) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil

de sécurité (C.I.J. Recueil 1971, p.16), et du Sahara occidental (C.I.J. Recueil 1975, p.12), ainsi

29 que des arrêts qu’elle a rendus dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du

Mali) (C.I.J. Recueil 1986, p.554) et dans celle relative au Timor oriental (Portugal c.Australie)

(C.I.J. Recueil 1995, p. 90). - 26 -

En ce qui concerne l’application du droit à l’autodétermination, le droit international

distingue deux concepts, à savoir les droits à l’au todétermination interne et externe. Ces deux

façons d’envisager la question découlent d es documents de base concernant le droit à

l’autodétermination, parmi lesque ls la déclaration de1970, ainsi que de la doctrine de droit

international.

Le droit à l’autodétermination interne correspond généralement au droit de minorités

ethniques à disposer d’elles-mêmes. Ce droit est mis en Œuvre à l’intérieur des frontières des Etats

existants et peut se réaliser sous la forme, nota mment, de l’autonomie nationale et culturelle, de

l’autonomie territoriale, de la fédération ou d’une participation ac tive à la gestion des affaires

publiques dans un Etat unique.

Le droit à l’autodétermination interne a évolué à la suite des pactes internationaux de 1966 et

de la déclaration de1970 relative aux princip es du droit international touchant les relations

amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.

Le droit à l’autodétermination externe co rrespond au droit, pour une minorité ethnique

résidant sur un certain territoire à l’intérieur d es frontières d’un Etat, de revendiquer la sécession

dudit territoire et la création d’un nouvel Etat indépendant.

Le droit international contemporain ne prévoit et ne reconnaît la possibilité de

l’autodétermination externe que dans le cas «des anciennes colonies; dans le cas des peuples

opprimés…ou encore dans le cas où un groupe défini se voit refuser un accès réel au

gouvernement pour assurer son développement politi que, économique, social et culturel». Tels

sont les termes qui ont été employés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire concernant

certaines questions relatives à la Sécession du Québec . Les conclusions de cette juridiction

confirment l’interprétation du dro it à l’autodétermination qui a été élaborée dans le cadre des

Nations Unies pendant la seconde moitié du 20 esiècle.

En1960, l’Assemblée générale des NationsUn ies a adopté la déclaration sur l’octroi de

l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, dans laquelle était proc lamée la nécessité de

«mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans

toutes ses manifestations» (résolution1514 (XV) du 14décembre1960). Cette déclaration s’est

révélée constituer une base solide pour l’interpré tation du droit à l’autodétermination dans le - 27 -

30 contexte de la décolonisation. En ce qui concerne le statut du Kosovo, la situation est différente de

celle de la décolonisation, et elle ne corr espond pas à la notion traditionnelle de droit à

l’autodétermination externe. Or, il n’existe pas, en droit internatio nal, de règle générale autorisant

les sécessions unilatérales en dehors d’un contexte de décolonisation.

Dans la déclaration de1970, il est précisé que les principes du droit international sont

étroitement liés et interdépendants. En vertu d es dispositions de cette déclaration, le droit à

l’autodétermination doit être exercé conformément à d’autres principes du droit international,

notamment ceux de l’égalité souveraine et de l’in tégrité territoriale. Ce même texte contient

cependant certains éléments qui peuvent servir à étendre la portée traditionnelle du droit à

l’autodétermination externe.

Ainsi, selon la déclaration, le droit à l’autodétermination ne saurait être interprété comme

«autorisant ou encourageant une action, que lle qu’elle soit, qui démembrerait ou
menacerait, totalement ou partiellement, l’in tégrité territoriale ou l’unité politique de

tout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de
l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes énoncé ci-dessus et
doté ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au
territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur».

Il est donc possible de soutenir que ces dispos itions peuvent être interprétées de sorte à

autoriser certaines minorités ethniques à exercer le dr oit à l’autodétermination externe, dans le cas

où ces minorités sont privées du droit à l’autodétermination interne et ne sont pas en mesure de

prendre part à la gestion des affaires de l’Etat aux côtés du groupe ethnique prédominant. Ce

raisonnement n’est cependant pas universellement ad mis et ne constitue pas une règle générale de

droit international. Si les autorités centrales respectent le droit à l’autodétermination sans aucune

discrimination et si, ce nonobstant, le territoire en question exige de faire sécession, une telle

sécession serait manifestement contraire aux principes de l’autodétermination, de l’intégrité

territoriale et de l’inviolabilité des frontières. De plus, même si une discrimination existe, cela

n’entraîne pas un droit inconditionnel à l’autodéte rmination externe. Ainsi, il est clairement

précisé dans la déclaration de1970 que «[t]out e tentative visant à détruire partiellement ou

totalement l’unité nationale et l’intégrité territori ale d’un pays est incompatible avec les buts et les

principes de la Charte des Nations Unies». - 28 -

Dès lors que la déclaration d’indépendan ce du Kosovo est examinée en dehors du contexte

traditionnel de l’autodétermination externe dans le cadre de la décolonisation, force est de conclure

31
qu’il n’existe aucun argument juridique convaincant qui plaide pour que le Kosovo fasse sécession

de la République de Serbie.

D’un point de vue historique, il convient de rappeler que la constitution de1974 de la

République fédérative socialiste de Yougoslavie (RSFY) accordait d’importants pouvoirs à la

région en question, faisant d’elle un sujet autonome de facto de la fédération. Les représentants du

Kosovo étaient membres de l’organe gouvernemental commun de l’Etat ⎯la présidence de la

République fédérative socialiste de Yougoslavie —, qui comptait des représentants de toutes les

républiques de la fédération. Le Kosovo avait le droit de déléguer 28députés (sur 308) à la

Skupschina yougoslave, 20 députés (sur 220) à la Veche de l’union, et 8 députés (sur 88) à la Veche

des républiques. De surcroît, les autorités régiona les disposaient d’un droit de veto à l’échelon des

républiques. Le Kosovo avait sa propre banque ce ntrale, sa propre police, son propre système

d’éducation (y compris certains établissements dans lesquels l’enseignement se déroulait en langue

albanaise), ainsi qu’une université. Le nombre d’Albanais de souche ayant occupé de hautes

fonctions à différentes périodes témoigne du degré de mise en Œuvre de leur droit à

l’autodétermination en Yougoslavie.

Les autorités de la RFSY avaient donc accord é à la région autonome des droits égaux à ceux

des républiques, à l’exception d’un seul : elle ne pouvait pas faire sécession de la Serbie.

L’aggravation de la situation au Kosovo da ns la période allant de1992 à1994 n’a pas

légitimé le droit de sa population albanaise de faire sécession de la République fédérale de

Yougoslavie. Bien au contraire, la réso lution1244 (1999) du Conseil de sécurité des

NationsUnies en date du 10juin1999 confirme les obligations incombant aux Etats Membres

relativement à la souveraineté et à l’intégrité terr itoriale de la République fédérale de Yougoslavie,

telles qu’énoncées dans l’acte final d’Helsinki. En ce qui concerne le statut du Kosovo, l’alinéa a)

du paragraphe11 de la résoluti on souligne la nécessité cruciale d’accorder à la région une

autonomie substantielle et une véritable autoadministration. Toutes les autres questions concernant

le processus politique visant à déterminer le st atut du Kosovo devaient être tranchées avec la - 29 -

participation du Conseil de sécurité des Nations Unies et des parties concernées, en tenant compte

les accords de Rambouillet.

La résolution1244 (1999) est un instrument contraignant, spécifiquement destiné à trouver

une solution à la question du Kosovo. Les dispositions applicables de la Charte des Nations Unies,

de l’Acte final d’Helsinki et d’autres instruments juridiques internationaux doivent être interprétées

à la lumière de cette résolution. Dans la décl aration d’indépendance du Kosovo, il est d’ailleurs
32
directement fait référence à cette résolution en tant qu’instrument international en vigueur.

La République de Serbie n’a pas refu sé de coopérer dans le cadre de la

résolution1244(1999) sur la question d’une autonomie substantielle et d’une véritable

auto-administration. Par conséquent, même si l’ on se réfère à une interprétation large du droit à

l’autodétermination, rien ne permet de présumer que les autorités de la République de Serbie ont

refusé d’accorder au Kosovo les moyens d’exercer le droit à l’autodétermination interne,

conformément à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies.

La question qui doit être examinée dans l’avis consultatif est de savoir si les règles juridiques

régissant une déclaration d’indépendance ainsi que la sécession d’une partie du territoire d’un Etat

ont été respectées. Elle n’englobe pas celle des conséquences de la reconnaissance d’une

indépendance de facto par la communauté internationale.

Selon la République du Bélarus, les actes de reconnaissance du Kosovo en tant qu’Etat

souverain qui ont suivi la déclaration d’indépendance ne sauraient avoir une incidence sur l’analyse

de la légitimité de cette déclaration au regard du droit international.

Monsieur le président, Messieurs de la C our, nous tenons, en conclusion, à souligner que

l’autodétermination ne semble, en aucun cas, être tout à fait synonyme d’indépendance. Pour

pouvoir exercer ce droit, que le Pacte internationa l relatif aux droits civils et politiques définit

comme le droit de «détermin[er] leur statut politi que et [d’]assur[er] librement leur développement

économique, social et culturel», la liberté importe davantage que l’indépendance. Des dispositions

constitutionnelles appropriées prises au sein d’un seul et même Etat peuvent permettre aux

minorités ethniques d’exercer leurs droits, y compris le droit au développement.

Cette interprétation de bonne foi, cohérente et systématique des principes du droit

international nous conduit à la conclusion que l’autodétermination externe est un cas exceptionnel, - 30 -

qui ne peut se produire que dans des contextes très particuliers. Historiquement, seule l’oppression

coloniale est universellement considérée comme un tel contexte et comme un cas particulier dans

lequel l’exercice du droit à l’autodétermination externe est autorisé. Selon la République du

Bélarus, le cas du Kosovo ne s’inscrit pas dans pareil contexte.

Messieurs de la Cour, je vous remercie beaucoup de votre attention.

33 Le PRESIDENT : Je vous remercie infiniment, Mme Elena Gritsenko .

Voilà qui met un terme à l’exposé et aux observations présentés oralement par le Bélarus, et

qui conclut l’audience d’aujourd’hui. La Cour se réunira de nouveau demain, à 10heures, pour

entendre la Bolivie, le Brésil, la Bulgarie et le Burundi. L’audience est levée.

L’audience est levée à 11 h 30.

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