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CR 2006/32 (traduction)
CR 2006/32 (translation)
Mercredi 19 avril 2006 à 10 heures
Wednesday 19 April 2006 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Franck, vous avez la parole.
M. FRANCK : Je vous remercie, Madame le prési dent, Messieurs de la Cour. Je reviendrai
ce matin sur la question de la responsabilité de l’Etat en matière de génocide, dans le contexte de
l’article IX de la convention sur le génocide.
R ESPONSABILITE DE L ’E TAT EN MATIERE DE GENOCIDE
Le droit relatif à la responsabilité de l’Etat en matière de génocide
est précisément applicable au cas d’espèce
1. Le demandeur prie votre éminente Cour de conclure que les actes commis en Bosnie par le
défendeur sont constitutifs de génocide au sens de la convention sur le génocide ⎯ une conclusion
que l’article IX de cette convention lui confère inc ontestablement la faculté de formuler. Les faits
que nous avons invoqués à cet effet ⎯ massacres, actes de torture, viols, déplacement intentionnel
et massif des non-Serbes occupant les terr itoires qu’il s’agissait de «nettoyer» ⎯ montrent
clairement que Belgrade menait une politique de destruction délibérée des groupes ethniques et
religieux qui, par leur présence, faisaient obstacl e à l’intégration dans une Grande Serbie des
territoires convoités. De tels faits relèvent précisément du champ d’application de l’article IX.
2. La politique de Belgrade fut, dès le 12 mai 1992, portée à la connaissance du Conseil de
sécurité par le Secrétaire général de l’Organisati on des NationsUnies, qui rapporta que les forces
serbes, avec la participation active de la JNA ⎯ l’armée yougoslave ⎯, menaient une campagne
visant à créer des régions «ethniquement pures» en «saisi[ssant]» de grandes parties du territoire
bosniaque et en «intimid[ant] la population non serbe» 1.
3. Quelques jours plus tard, le 15 mai 1992, le Conseil de sécurité demanda que cessent les
expulsions forcées de personnes dans ces territoir es et condamna «toutes les tentatives visant à
changer la composition ethnique de la population» par la force ⎯ force dont il reconnaissait dans
le même temps qu’elle était employée par des «unités de l’armée yougoslave populaire» 2.
1
S/23900, par. 5, 12 mai 1992.
2 Résolution 752 (1992) du Conseil de sécurité, 15 mai 1992. - 3 -
4. Or, à la fin de l’année, le Secrétaire gé néral rapportait que les forces de la JNA n’avaient
toujours pas été évacuées , l’Assemblée générale s’alarmant à l’idée que «la population musulmane
[était] virtuellement menacée d’extermination» 4, situation dont elle rendait responsables «la
5
11 République de Serbie» et «l ’armée populaire yougoslave» . L’Assemblée géné rale réitéra ces
conclusions en décembre 1993 6. Il ne s’agit pas ici d’attribu tion, il s’agit d’un constat de
responsabilité directe.
5. A cela, que répond Belgrade ? Que ces faits n’on t jamais eu lieu ? Qu’ils sont le produit
de notre imagination? Que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale étaient en proie à une
hallucination collective? Ou qu’il y a de cela si longtemps que les tisons de la discorde sont
presque éteints et qu’il faut se garder de les raviver ?
6. Mais quoi, lorsque Karadzic promet que les Musulmans de Bosnie seront «anéantis» 7,
devons-nous balayer la formule comme une simp le figure de rhétorique? Le pouvons-nous
vraiment après le massacre de milliers de pers onnes, exécutées de sang-fro id à Srebrenica par des
miliciens serbes armés, financés, soutenus et me nés par Belgrade? Que dire des Karadzic, des
Mladic, des généraux et des colonels serbes? Qu ’il s’agissait de chiens enragés? Mais qui a
nourri ces chiens? Qui les a lâchés contre la popu lation? Et qui, lorsque nul ne pouvait plus
ignorer les ravages qu’ils causaient, a continué de veiller à ce qu’ils ne manquent de rien ?
7. La coprésidente, Madame Plavsic, a ré pondu à cette question. Elle a reconnu devant
le TPIY que, dès 1991, les dirigeants
«savaient que la séparation des communa utés ethniques impliquerait l’expulsion
définitive de populations ethniques, soit avec l’accord de ces populations soit par la
force, et…que tout transfert forcé de non-Serbes [présents dans des territoires
revendiqués comme serbes] impliquerait une campagne de persécutions fondée sur la
8
discrimination» .
3
A/47/147, 18 décembre 1992.
4Nations Unies, résolution de l’assemblée générale 820 (1993), 17 avril 1993.
5Ibid.
6Résolution 44/88 de l’Assemblée générale (1993).
7 o
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, décision relative à la demande d’acquittement
du 16 juin 2004, par. 241, pièce n3, onglet 8.
8 o
TPIY, Le procureur c. Biljana Plavsi ć, affaire n IT-00-39&40-PT, Factual basis for plea of guilt [base
factuelle du plaidoyer de culpabilité], 30 septembre 2002, par. 10 [traduction française in Le procureur c. Biljana Plavsic,
jugement portant condamnation, 27 février 2003, par. 11]. - 4 -
Mais cela pouvait tout aussi bien être déduit des mesures prises et, si le fait était évident au siège de
l’Organisation des NationsUnies, il ne pouvait l’ être moins à Belgrade. La campagne de
persécution se déroulait on ne peut plus notoirement.
8. Et quelle campagne ! La Chambre de première instance du TPIY l’a confirmé en l’affaire
Brdjanin, jugeant qu’il avait été convenu de recourir à la force et à la terreur pour expulser les
non-Serbes présents dans les régions qu’il s’agissait de «nettoyer» 9. L’on peut ergoter sur le
nombre exact de civils tués, de femmes violée s, de personnes torturées, mais ces arguties ne
changeront rien au fait ⎯crucial en l’espèce et que sont ve nus confirmer tous les éléments de
12 preuve que nous avons produits ⎯ qu’entre 1992 et 1995, d’aucuns se sont délibérément
employés ⎯ et ont en grande partie réussi ⎯ à anéantir les communautés non serbes qui peuplaient
plus de la moitié du pays. Le défendeur n’a pas pr ésenté à la Cour le moindre élément de preuve
capable ne serait-ce que d’entamer ce simple consta t. Or donc, que faire de cette conclusion?
L’oublier purement et simplement? Ou hausser les épaules en disant: «Las, c’était une autre
Yougoslavie, un autre gouvernement, d’autres temp s, d’autres mŒurs»? Devons-nous applaudir
une «nouvelle» Yougoslavie qui, ayant défié l’au torité de l’Organisation des NationsUnies
pendant une huitaine d’années, a demandé à redeveni r, sous un nom vierge, membre à part entière
de celle-ci? Et devons-nous en même temps l’ab soudre de tous ses péchés, y compris du fait de
génocide ? Est-ce vraiment là le cadeau de baptême qui s’impose ?
Le droit applicable est l’article IX de la convention sur le génocide
9. Lors du premier tour de plaidoiries, M. Br ownlie a défini avec justesse l’une des tâches
nous incombant dans le cadre du présent différend : il s’agit de «déterminer le droit applicable», à
savoir, «manifestement, le droit des traités ainsi que les principes de la responsabilité de l’Etat pour
toute violation des obligations énoncées dans les traités concernés» (CR 2006/16, p. 13, par. 13).
10. Nous souscrivons pleinement à ce poi nt de vue. Nous convenons également avec
M.Brownlie que le droit applicable en l’espèce est la convention sur le génocide. C’est du reste
précisément la violation par le défendeur des ob ligations énoncées dans cet instrument qui nous a
amenés à saisir la Cour, ce que nous avons fait en application scrupuleuse des termes de ce traité.
9 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 65. - 5 -
C’est aux violations par le défe ndeur de ses obligations conventionnelles, à son incapacité à en
assumer la responsabilité, ainsi qu’à son refus obs tiné de mettre un terme à certaines violations
persistantes que nous cherchons en l’espèce à obtenir remède.
11. Les Parties s’accordent donc dans une certa ine mesure à reconnaître à la convention sur
le génocide une place centrale en l’affaire. Elles sont, en revanche, en parfait désaccord sur les
implications de ces obligations conventionnelles. Elles sont en désaccord sur la question de savoir
si les faits que nous tenons pour génocides ont effect ivement eu lieu et s’ils sont, le cas échéant,
constitutifs de génocide au sens de la convention. Elles sont en désaccord sur la question de savoir
si les actes peuvent être attribués au défendeur. Mes collègues et moi-même serons amenés à
examiner chacun de ces désaccords dans le cadre de ce second tour de plaidoiries. Mon propos est
ici de revenir sur le premier d’entre eux: quelles sont, en droit, les vér itables implications des
obligations conventionnelles ?
13 12. M. Brownlie nous a donné de cette questi on sa propre version : selon lui, la convention
impose aux Etats de prévenir le génocide et de sanctionner les auteurs de ce crime ⎯ cela et rien de
plus. Le défendeur, affirme-t-il, a déjà entrep ris de déférer à la justice plusieurs de ses
ressortissants s’étant rendus coupables d’atrocit és dans le cadre de ce qu’il appelle les guerres
civiles balkaniques. Mais, soutient-il, c’est là tout ce que lui impose la convention.
13. Mais alors, nous sommes-nous enquis dans nos écritures, quid de l’articleIX de la
convention ? N’impose-t-il pas on ne peut plus expressément aux Etats l’obligation directe de ne
pas eux-mêmes commettre de génocide ou aider à co mmettre un génocide ? Et ne s’agit-il pas là
d’une obligation dont l’exécution peut être demandée en justice ⎯et l’être justement par la
présente Cour? A cela, M. Brownlie oppose une nébuleuse d’ambiguïté. Selon lui, l’articleIX
serait quelque peu équivoque. Là où cet article semble énoncer le principe de la responsabilité de
l’Etat en matière de génocide, il voit une ambiguïté. Là où cet article semble établir la compétence
de la Cour pour trancher les différends entre l es parties contractantes re latifs à la responsabilité
d’un Etat, il voit encore une ambiguïté.
14. Il me semble nécessaire de me joindre à mon confrère et ami M. Pellet pour tenter de
dissiper l’ambiguïté entourant l’articleIX de la convention sur le génocide ou, plus exactement,
pour montrer que celui-ci ne souffre en réalité aucune ambiguïté. - 6 -
15. De fait, cette disposition est si explic ite qu’elle en jure même avec le langage
diplomatique. L’article IX rend expressément, et on ne peut plus clairement, les Etats parties
responsables de toute violation des obligations cont ractées par eux aux termes de la convention, y
compris ⎯comment pourrait-il en être autrement? ⎯ en matière de génocide ou d’aide à sa
commission. Il dispose également qu’il incombe à la Cour de déterminer si un Etat s’est rendu
responsable de génocide ou a contribué à la commission d’un génocide.
L’article IX impose sans la moindre ambiguïté la responsabilité de l’Etat pour génocide
16. Lorsqu’il interprète les règles relativ es à la responsabilité de l’Etat pour génocide,
M.Brownlie fait valoir que «[d] eux interprétations sont possibles» : soit l’articleIX prévoit la
responsabilité de l’Etat et charge la Cour de veille r à sa mise en oeuvre, soit, à l’inverse, cet article
ne fait qu’établir la compétence de la Cour pour qu’elle rende «un jugement déclaratoire constatant
des manquements aux obligations de prévenir la commission du génocide par des individus»
14
(CR2006/16, p.5, par.14). Une telle interprétati on, si elle était retenue par la Cour, laisserait
l’une des dispositions les plus importantes de la c onvention, rédigée avec le plus grand soin, dans
les brumes de l’ambiguïté.
17. Mais il n’y a pas deux interprétations pl ausibles de l’articleIX. A l’appui de son
argumentation, M.Brownlie tire des recoins les plus cachés de l’histoire rédactionnelle de la
convention une ancienne version de celle-ci dans laquelle, effectivement, l’article IX ne figurait pas
dans la forme, claire, qui est aujourd’hui la sie nne. Cette version rudimentaire prévoyait un rôle
bien plus limité pour la Cour. Et elle n’envisageait pas la responsabilité de l’Etat.
18. Toutefois, à l’évidence, les omissions de l’ancienne version ne font que mettre en relief
l’importance des modifications apportées par les parties contractantes, qui rectifièrent ces
omissions au cours des derniers stades des négociations. Nous nous sommes déjà longuement
étendus, tant dans nos écritures qu’à l’audience, sur ces modifications. Elles ont été apportées
après mûre réflexion, à l’issue de débats a pprofondis, pour veiller justement à ce que ce soit les
Etats, et non seulement les individus, qui puissent être tenus responsables ⎯ et responsables devant
cette Cour même ⎯ d’actes génocides. Il ressort clairement de ces discussions qu’il s’agissait - 7 -
d’une obligation, en même temps que d’une voie de droit, qui devait compléter et accompagner
l’instauration de sanctions pénales susceptibl es d’être prononcées à l’encontre de personnes
physiques coupables de telles violations.
19. En cherchant à présenter comme ambiguës les modifications apportées au libellé de
l’articleIX, qui visaient on ne peut plus claireme nt à instaurer la responsabilité de l’Etat pour
génocide, M.Brownlie nous plonge dans un récit de débats au c ours desquels les représentants
expliquent à grand-peine que les changements qu’ils sont en train d’apporter n’instaureront pas de
responsabilité pénale, que la respon sabilité attribuée aux Etats ne devra pas être regardée comme
une responsabilité pénale. Ce la est assurément exact, mais ne prouve rien. En effet, lorsqu’il cite
CharlesChaumont, le représentant de la France, M. Brownlie, au contraire, met à bas la thèse de
l’ambiguïté. Car en réalité, M.Chaumont pr écise, avec beaucoup de sag esse, qu’il «ne s’oppose
nullement au principe de la responsabilité interna tionale des Etats, du moment qu’il ne s’agit plus
de responsabilité d’ordre pénal mais uniquement d’ordre civil» (ibid., p. 13, par. 46). Eh bien, c’est
exactement cela. Il ne fait aucun doute que les modifications approuvées par M.Chaumont
consistaient à instaurer la responsabilité de l’Et at. Personne, ni à l’époque, ni aujourd’hui, ne
soutient qu’il s’agit d’une responsabilité pénale. Autrement, la Cour aurait eu à mettre sur pied une
procédure totalement différente, inconcevable, avec pour conséquence pr obable l’institution de
sanctions pénales. Nous n’avons jamais rien demandé de la sorte.
20. Il ne s’agit là que d’une diversion opérée par le défendeur, d’un faux-fuyant masquant le
15
sens évident de l’articleIX, parfaitement clair sur le papier. Ce texte perm et le règlement par la
Cour des «différends entre les Parties contractantes…y compri s ceux relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou de l’un que lconque des autres actes énumérés à l’article III»,
par l’application des principes de la responsabilité de l’Etat clairement énoncés dans la convention.
21. Madame et Messieurs de la Cour, M. Brownlie cite même abondamment l’arrêt que vous
avez rendu au cours de la phase de la présente a ffaire consacrée à la compétence et qui remonte
à1996. Or, vous vous rappellerez que, dans votre arrêt, vous avi ez déjà précisément écarté ce
même argument, celui qui est une nouvelle fois avancé aujourd’hui. Vous aviez alors dit que - 8 -
l’article IX prévoyait la responsabilité de l’Etat pour génocide. V ous aviez également rappelé, très
clairement, que c’était vous ⎯ la Cour ⎯ qui aviez été désignés pour trancher tout différend entre
les parties né d’un manquement allégué à l’obligation correspondante.
22. Madame et Messieurs de la Cour, je vous en prie: un tel argument doit être mis au
rencard. Il n’y a pas une once d’ambiguïté dans l’ar ticle IX. Il dit ce qu’il veut dire, il veut dire ce
qu’il dit et c’est tout à fait délibérément qu’il a été rédigé ainsi, avec précisément à l’esprit une
situation ⎯ un différend ⎯ de cette nature.
Les actes constitutifs d’un génocide se définissent en fonction
non pas des chiffres mais de l’intention
23. Permettez-moi, Madame le président, d’ examiner brièvement un autre des nombreux
points touchant la définition du génocide sur l esquels nous semblons diverger avec le défendeur.
Dès le début de la présente affaire, celui-ci a essayé de nous attirer dans une ronde de chiffres, où la
question qui nous oppose n’est plus de savoir s’il y a eu génocide, mais qui détient les données
démographiques les plus précises sur celui-ci. N ous avons fait de notre mieux pour présenter les
preuves à la Cour de la manière la plus objective possible, au fur et à mesure que celles-ci
devenaient disponibles, qu’elles étaient recueillies par les commissaires et rapporteurs de l’ONU, et
qu’elles étaient rapportées par des médias réputés, filmées ou photographiées, parfois par les
propres miliciens du défendeur. Mais notre but prin cipal n’est pas de déterminer le nombre exact
d’hommes tués à Srebrenica, de femmes violées ou de prisonniers torturés à Prijedor ou dans les
nombreux autres camps dont l’existence et les pratiques ont été si abondamment mises en évidence
devant la Cour et lors des procédures devant le TPIY. Bien sûr, les chiffres ont leur importance
mais, Madame le président, le génocide ne connaît pas de seuil numérique.
16 24. Si les données démographiques ont une importance, c’est surtout parce que, pour prouver
le génocide, il faut impérativement prouver l’intentio n. Et l’intention, Madame et Messieurs de la
Cour, peut se déduire de la gravité, de l’ampleur et de la typologie des actes commis. Qu’il n’y ait
pas d’ambiguïté à cet égard, que cela ne devienne une simple question de chiffres. En Bosnie, les
actes commis étaient d’une telle gravité, ont fait tellement de victimes et se sont répétés d’une
manière aussi systématique dans la région qui devait faire l’objet d’un nettoyage ethnique que
l’intention des personnes à l’origine de ces politiqu es ne saurait faire le moindre doute. Dans le - 9 -
jugement qu’il a rendu en l’affaire Plavsic, le TPIY a reconnu que les expulsions forcées s’étaient
10
«accompagnées … de massacres» de non-Serbes dans «de nombreuses municipalités» . Le TPIY
a estimé que les chiffres qu’il y a cités à l’appui de ses conclusions étaient fiables; or, s’ils avaient
leur importance, ce n’était pas seulement parce qu’ils étaient très élevés, mais aussi de par leur
signification au regard de l’intention. Dans l’affaire Krstic, le TPIY a constaté que, à un moment
donné, à Srebrenica, il avait «été décidé…de tuer tous les hommes musulmans de Bosnie
capturés, sans distinction» et qu’il était possible d’en déduire l’intention de détruire en tout ou en
11
partie le groupe «comme tel» . Savoir si le nombre réel de personnes tuées lors de ces événements
s’élève finalement à sept mille ou à dix mille peut-il vraiment avoir une importance ?
25. Un autre point mérite d’être souligné ici. Le nombre de morts n’a d’importance que pour
calculer la dimension de ce qui constitue seulement la partie visible d’un iceberg. Les données
démographiques relatives à un génocide ne s’établissent pas simplement en comptant le nombre de
personnes tuées, torturées ou violées. Comme l’a dit le TPIY dans l’affaire Blagojevic, un
génocide peut être commis par «la dest ruction intentionnelle de l’existence sociale du groupe» 12,
que l’on peut établir — comme nous l’avons assuréme nt fait — par le «transfert forcé des femmes,
des enfants et des personnes âgées», lequel démontre en l’occurrence l’intention de débarrasser une
région entière des Musulmans de Bosnie qui y habitaient 1.
26. La Chambre d’appel du TPIY en l’affaire Krstic a dit également que ce sont les preuves
17 d’«actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe» ⎯ non pas des chiffres
précis, donc, mais une série d’actes systéma tiquement dirigés contre le même groupe ⎯ qui
14
permettent de déduire l’intention génocide . De tels actes répréhensibles étaient-ils dirigés contre
le même groupe? Cela ne fait aucun doute. Sel on la Chambre de première instance en l’affaire
Krstic, il a été
10 os
TPIY, Le procureur c. Plavsic, affaires n IT-00-39 et 40, jugement, 27 février 2003, par. 41-42.
11TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 547-548.
12TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60-T, jugement, 17 janvier 2005, par. 664.
13Ibid., par. 675.
14 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-A, arrêt, 19 avril 2004, par. 32-38. - 10 -
«établi au-delà de tout doute rais onnable que des hommes musulmans de
Bosnie, qui habitaient dans l’enclave de Srebrenica, ont été tués seuls ou en nombre.
Il a également été établi qu’il avait été porté gravement atteinte à l’intégrité physique
15
ou mentale des quelques survivants aux exécutions de masse.»
27. Ainsi, Madame le président, la question n’est pas de savoir précisément combien de
personnes ont été tuées, torturées, violées ou déplacées. Nous pensons avoir présenté un bilan
fidèle de l’ampleur du désastre subi par la Bosnie pour avoir osé déclarer son indépendance. La
Chambre de première instance en l’affaire Krstic a justement constaté l’existence d’une «attaque
généralisée et systématique … lancée contre la population musulmane de Bosnie». Elle a confirmé
«la crise humanitaire de Potocari, l’incendie de maisons à Srebrenica et Potocari, la
campagne de terreur visant les civils musulm ans de Bosnie, le meurtre de milliers de
civils musulmans de Bosnie, que ce soit à Potocari ou lors d’exécutions de masse
soigneusement organisées, et le transfert fo rcé de femmes, d’enfants et de personnes
16
âgées hors du territoire contrôlé par les Serbes de Bosnie…» .
Il existe donc des preuves, pour la plupart non ré futées, attestant de l’ampleur des actes dont a été
victime la population non serbe, des actes qui, à l’évidence, sont d’une nature et d’une physionomie
telles qu’ils constituent la «destru ction en tout ou en partie» de ce groupe «comme tel».
Assurément, ces chiffres sont suffisa mment élevés pour faire vibrer la co rde sensible de la justice.
Toutefois, ce qui importe vraiment, c’est le projet . Et il y avait effectivement un projet, car cette
série d’actes est bien trop flagrante pour être al éatoire. Elle est convaincante en elle-même et
dénote une intention de détruire ⎯par un moyen ou par un autre ⎯ autant de communautés non
serbes de Bosnie qu’il était nécessaire pour dégager plus de la moitié du territoire national et, ainsi,
d’éradiquer tout vestige du tissu social mu lticulturel, multiconfessionnel et multiethnique qui
caractérisait une bonne partie de la Bosnie. Et c’est cette intention, plutôt que le décompte exact
des cadavres, qui constitue la preuve flagrante, irréfutable, du génocide.
28. Avec votre permission, Madame le préside nt, je poursuivrai l’examen de cette question
de l’intention, de la mens rea, lors de ma plaidoirie jeudi prochain.
18 Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Franck. Je donne à présent la parole à Mme Stern.
15 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, par. 543.
16Ibid., par. 537. - 11 -
Ms STERN:
T HE CRITERIA FOR DETERMINING THE GROUP SUBJECTED TO GENOCIDE WITHIN
THE MEANING OF A RTICLE II OF THE G ENOCIDE C ONVENTION
1. Madam President, Members of the Court, as we know, the determining factor which
characterizes the crime of genocide manifests itself not only in the perpetration of the material acts
referred to in ArticleII of the Genocide Conventi on, acts which have been described at length in
these pleadings, but in the specific intent to “destroy, in whole or in part, a national, ethnical,
racial or religious group, as such”. From this point of view, I can only agree with Maître de Roux
when he says that “[g]enocide is not a criminal act targeting an individual, nor is genocide directed
against a State, it is directed against a group defined on the basis of national, ethnical, racial or
religious criteria”.
2. In my presentation on sexual violence during the first round, I indicated that, for there to
be genocide, the acts of sexual violence must ha ve been committed with intent to destroy a
national, ethnical, racial or religious group as such: this led me to examine, as you may remember,
the meaning of the terms “destroy”, “a group”, “as such”, and “in whole or in part”. My statement
this morning will not address all these expressi ons and I shall concentrate mainly on the
determination of the “group as such”. In other words, Bosnia wishes today to return in particular to
the determination and the means of identifying th e group that was the victim of the genocide, a
genocide for which responsibility lies with Serbia and Montenegro. The Respondent alleged that
this group was not adequately defined, in that Bosnia and Herzegovina 18identified it alternatively
as the national group of Muslims in Bosnia and He rzegovina, or again under the generic title of the
non-Serb group. Maître de Roux went so far as to say that the group in question was “somewhat
19
19 ill-defined” , while Mr. Stojanovi ć stated that “[t]he Applicant should specifically have identified
the group that was the victim of the genocide” 20. I believe that I am not wrong in saying that there
are many people here, in this Great Hall of Jus tice, who are in no doubt that the group which was
1CR 2006/19, p. 51, para. 285 (de Roux).
18
Ibid.; CR 2006/21, p. 43, para. 54 (Stojanović).
19
CR 2006/19, p. 51, para. 285 (de Roux).
2CR 2006/21, p. 43, para. 54 (Stojanović). - 12 -
the fact the group that was the victim of the genocide is anything but ill-defined! But I shall
nevertheless attempt to give a precise definition.
3. In any event, I shall not go back over the first criticism levelled by Maître de Roux against
the position of Bosnia and Herzegovina, when he would have us believe that, from the Bosnian
standpoint, there were two victims of the genocide: the people or peoples of Bosnia, on the one
hand, and the Bosnian State, on the other. My friend Alain Pellet has already taken care of that
really less than pertinent argument, and has show n convincingly that, while we do not deny that
genocide may be perpetrated solely against a gr oup, to our knowledge gr oups have no access to
your Court, and it is of course with this in mind that Bosnia has submitted this case in which it
accuses Serbia and Montenegro of genocide against a part of its population. In other words, Bosnia
and Herzegovina takes exception, in the str ongest possible terms, to the statement of
MaîtredeRoux, when he accused it of claiming at different times that genocide had been
committed against the Bosnian people and against the Bosnian State, “without distinguishing
21
between the two”, and, he added, “without explaining its position in this respect” . I hope that the
explanations I have just given will enlighten him on this point.
4. On the other hand, I shall go back in a little more detail over the second set of criticisms,
this time concerning the identification of the group or groups targeted, even though ⎯ I must
say ⎯ it has not always been easy for me properly to grasp the precise thrust of this criticism.
The identification of victims as members of the groups referred to in
Article II of the Genocide Convention
The victims of genocide must be targeted by reason of their belonging to one of the groups
referred in Article II
5. It is clear that the criterion of membersh ip of a specific group is a key factor in the
definition of genocide, in that it excludes from that definition material acts which are prohibited but
are based on motives other than the identification of an individual with a group, such as, for
20 example, the personal identity of the victim, his or her relations with the perpetrator, or again the
political or military activities of the victim. We know that the Genocide Convention was drafted in
21
CR 2006/20, p. 10, para. 297 (de Roux). - 13 -
order to prevent “denial of the right of existence of entire human groups” 22 and that over and above
even the persons who are the i mmediate individual victims of genocide, it is the group to which
those individuals belong that constitutes, in the fina l analysis, the ultimate target of the crime. In
this connection, the International Criminal Tr ibunal for the former Yugoslavia very rightly
emphasized, in the Sikirica case, that:
“[w]hereas it is the individuals that constitute the victims of most crimes, the ultimate
victim of genocide is the group , although its destruction necessarily requires the
commission o23crimes against its members, th at is, against individuals belonging to
that group” .
The same idea was expressed by the Interna tional Criminal Tribunal for Rwanda in the Akayesu
case, to which I shall have occasion to return.
6. It is not therefore, I repeat, the speci fic personal identity of the victims but their
membership of a particular group which constitut es the determining factor in the choice of the
immediate victims of the crime of genocide. When a genocide is committed, the victims are not
targeted because they are engaged in political or milita ry activities; rather, they are targeted solely
because they belong to a group. It is not because of what they do that victims of genocide are
targeted, it is because of what they are, or what the perpetrators of genocide consider them to be. I
would add, however, that if a victim is targeted because of what he or she is, that may constitute
genocide, even if it so happens that the victim in question is also engaged in political or military
activities. In this regard, I shall merely take the example of the moderate Hutus, who were targeted
because they were equated with the Tutsis and were thus considered an integral part of the group,
even if they were also targeted for their political support to the Tutsis.
7. This distinction between victims targeted on account of what they are and victims targeted
on account of what they do gave rise to a strange denial by Serbia and Montenegro of its genocidal
intent on the basis of the assistance it provided to certain Muslims against other Muslims. The
21 reasoning then becomes simplistic: becau se we happened to help certain Muslims ⎯ our Serbian
opponents tell us ⎯ to fight against their brothers, this necessarily means that we had no genocidal
22
General Assembly resolution 96 (I), “The Crime of Genocide”, 11 December 1946, United Nations,
doc. A/RES/96 (I), 11 December 1946, first preambular paragraph.
2ICTY, Prosecutor v. Dusko Sikirica, Damir Dosen, Dragan Kolundzija (Sikirica et al.), case no. IT-95-8, Trial
Chamber III, Judgement on defence motions to acquit, 3 September 2001, para. 89; emphasis added. - 14 -
intent, since such intent can only be reconciled with the fact of targeting all Muslims. Apart from
the fact that this takes no account of the possibility envisaged, in the Krstic case in particular, that
24
genocidal intent may target a group within a small geographical area , this argument ⎯ I
believe ⎯ fails to take account of the complexity of the ways and means by which a genocide may
be committed. My opponents have thus focused on th e events at Bihac in an attempt to prove that
there was no genocide since, in that region, it is common knowledge that two Muslim factions at
one time clashed with each other. Thus, our opponents returned repeatedly to the events at Bihac
in several presentations, and they assigned major im portance to those events in their efforts to
dispute the existence of a genocidal intent. While we do not dispute the facts, we certainly do
dispute the conclusions drawn therefrom. I would first very briefly recall Serbia and Montenegro’s
assessment of these events. This is what they say:
“If the Serbs had harboured genocidal intent towards the Bosnia Muslims as a
group, as an ethnic group or as a religious group, it is clear that they would not have
helped the Muslims of Fikret Abdic beca use the war between the Bosnian Serbs and
25
the Muslims was not a war based on ethnic, national or religious differences.”
However, our opponents themselves provided an explanation for this strange collusion ⎯ albeit
without being fully aware that they were doing so ⎯ a few sittings later, through the words of
ProfessorBrownlie, who explained that: “[t]he relations between Abdic and the Government of
26
Serbia were evidently opportunist” . I could not have put it better myself. But before underlining
what this implies in terms of genocidal intent, I wish, parenthetically, to draw the Court’s attention
to this admission by counsel for Serbia and Mont enegro, namely that there were relations between
Abdic and the Government of Serbia, which mean s that the Government of Serbia was deeply
implicated in the events that unfolded in Bosnia during the entire period of ethnic cleansing. Apart
22 from this acknowledgment of Serbian implication, which should make it easier for us to develop
our arguments concerning the attribution of acts of genocide to Serbia and Montenegro, counsel for
24
ICTY, Prosecutor v. Radislav Krstic , case No.IT-98-33, Trial ChamberI, Judgement, 2 August 2001,
para.590; ICTY, Prosecutor v. Radislav Krstic , case No.IT-98-33-A, Appeals Cham ber, Judgement, 19April2004,
para. 37.
25
CR 2006/18, p. 37, para. 92 (de Roux).
2CR 2006/21, p. 19, para. 14 (Brownlie). - 15 -
that State also acknowledges that the Serbs entertai ned opportunist relations with Abdic, that is to
say that they manipulated him, that they used him as a tool. As was also explained by
Maître de Roux,
“the supporters of Fikret Abdic allied th emselves with the Serbs to ensure their
survival, and in fact they did survive, thanks to this collaboration with the Serbs. But
Serb-Muslim collaboration in this region and the aid that the Serbs gave the
population clearly show that the purpose of the war was not to destroy a national,
ethnical, racial or religious group.”27
We do not at all agree with this assessment: first, we think that it would be more accurate, given
the power equation, to say that it was the Se rbs who allied themselves with the Muslims of
Fikret Abdic, rather than the other way around. Moreover, and I would lay particular stress on this
point, this aid does not prove that the ultimate intention was not to destroy the group, since it
involved an attempt to implant seeds of self-destru ction in the group itself. The Serbs used the
Muslims loyal to Fikret Abdic to fight against the other Muslims, and this had a twofold advantage:
first, that of facilitating the pursuit of strategic objective No. 1, which we have already described to
you at length, and which entailed incorporating in Serbia and Montenegro the territories populated
by Serbs and cleansed of all non-Serbs, so as to facilitate the aim of achieving a Greater Serbia
uniting all Serbs in a single State; and secondly, th at of contributing in a particularly perverse
fashion to the destruction of the group of Bosnian Muslims as such, by having some of the work of
destruction done by certain members of that group. Thus, far from serving to buttress the argument
of a lack of genocidal intent, the events at Bih ac can be regarded as perfectly consistent with the
overall genocidal intent. As I suggested earlier, it is not because certain moderate Hutus were
victims of genocide together with Tutsis that there was no genocide in Rwanda. Similarly, it is not
because certain Muslims were instruments of th e genocide committed by the Serbs against the
Bosnian Muslims that there was no genocide in Bosn ia and Herzegovina. It seems to me that the
lowest depths of perversion are reached when certain members at odds with others in the group are
used to bring about the group’s destruction by sowing the seed of such destruction in the very heart
of the group.
27
CR 2006/19, p. 13, para. 154 (de Roux). - 16 -
23 The groups referred to in Article II are national, ethnical, racial or religious groups
8. Notwithstanding certain propositions defi ning genocide as the deliberate destruction of
human beings targeted by reason of their me mbership of some human collectivity as such 2, the
drafters of the Genocide Convention did not, as we know, adopt such a broad approach and
contemplated only the protection of certain sp ecific human groups, listed in ArticleII of the
Convention, under which the victim group of genocide must be either a national group , or an
ethnical group , or a racial group , or a religious group . Here again, I cannot but agree with
MaîtredeRoux, when he states that “[t]he list of groups specified in ArticleII of the Convention
must not be regarded as exhaustive” 2.
9. After briefly recalling the general outlines of the notion of a protected group within the
meaning of the Genocide Convention, Bosnia a nd Herzegovina will endeavour to examine the
means and methods enabling a group targeted by genocidal measures to be determined and
identified. This will enable Bosnia and Herzegovina to show that the group targeted and regarded
as protected within the meaning of the Convention can theoretically be envisaged either, positively,
as the main target group of the Muslims of Bo snia and Herzegovina, together with the group ⎯
also targeted, though to a lesser degree ⎯ of the Bosnian Croats or, negatively, as the group of
non-Serbs, which obviously includes at least the two previous groups; and this, as I will show,
accords fully with the object and purpose of the Convention. Personally, it seems to me that, given
the basic facts in this case, where genocide equates with “ethnic cleansing”, the negative definition
better corresponds to what was at stake, even if ⎯ as I would stress ⎯ both approaches produce
more or less the same result. Let us not forget that, in its resolution 47/121 of 18 December 1992,
the General Assembly formally stated that “the vile policy of ethnic cleansing is a form of
genocide”. Everything that was not Serb had to di sappear from the territories coveted and, in that
24 sense, the negative definition well reflects the genocidal intent, which, in light of the history of the
region, essentially concerned the group of the Bosn ian Muslims and, secondarily, that of Bosnia’s
Croats, two groups moreover readily definable if we adopt the positive approach.
28
See, in particul ar, P.N. DrThe Crime of State. Genocide (Vol.II), Leyden, A.W. Sijthoff, 1959,
pp. 122-123
29
CR 2006/19, p. 51, para. 287 (de Roux). - 17 -
The lack of any definition of the various groups referred to in Article II
of the Genocide Convention
10. While the Genocide Convention specifies the groups enjoying protection, it does not,
however, define the expressions which it uses in or der to describe each group: it offers no further
precision for purposes of identifying the individua l terms “national”, “ethnical”, “racial” and
“religious”. It is clear from the Convention’s travaux préparatoires that “setting out such a list was
designed more to describe a single phenomenon, roughly corresponding to what was recognized,
before the Second World War, as ‘national minorities’ , rather than to refer to several distinct
prototypes of human groups” 30.
11. Since the concepts of nation, ethnicity, race and religion are essentially imprecise and
31
have not to date been precisely defined in a manner generally and internationally accepted , it is
clear that they raise major difficulties of interpre tation, given that they do not necessarily have any
independent meaning, that certain of them cannot readily be understood in isolation and that there
is a substantial degree of cro ss-over and overlap between them 32. To take but one example, it has
been pointed out how difficult it is to distinguish clearly between the notions of “racial group” and
“ethnical group”. While, for some, the term “ethnic” refers to all biological, cultural or historical
25 characteristics of a group, whilst the term “r acial” relates only to physical hereditary
33 34
characteristics , others take the view that the two expressions must be regarded as synonyms .
30Prosecutor v. Radislav Krstic, case No. IT-98-33, Trial Chamber I, Judgement, 2 August 2001, para. 556. See,
similarly, W. A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge University Press, 2000, p. 116.
31United Nations Economic and Social Council Commission on Human Rights, Sub-Commission on Prevention
of Discrimination and Protection of Minorities, Revised a nd updated report on the question of the prevention and
punishment of the crime of genocide, prepared by M. B. Whitaker, thirty-eighth session, E/CN.4/Sub.2.1985/6,
2July 1985, p. 19, para. 30. This lack of clarity has beeconsistently emphasized in the jurisprudence. For the ICTY,
see inter alia Prosecutor v. Goran Jelisic, case No. IT-95-10, Trial Chamber I, Judgement, 14 December 1999, para. 62;
Prosecutor v. Radislav Krstic, case No. IT-98-33, Trial Chamber I, Judgement, 2 August 2001, para. 555; Prosecutor v.
Radoslvan Bradnin, case No.IT-99-36-T, Trial Case II, Judgement, 1 September 2004, para. 682. For the ICTR, see
inter alia Prosecutor v. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda , ICTR-96-3-T, Trial Chamber I, Judgement,
6 December 1999, para. 56; Prosecutor v. Alfred Musema, ICTR-96-13, Trial Chamber I, Judgement, 27 January 2000,
para. 161; Prosecutor v. Ignace Bagilishema, ICTR-95-1A-T, Trial Chamber I, Judgement, 7 June 2001, para.65;
Prosecutor v. Juvénal Kajelijeli , case No. ICTR-98-44A-T, Trial Cham ber II, Judgement and sentence,
1 December 2003, para. 811.
32See W. A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge University Press, 2000, p. 111.
33As to this distinction, see for example S. GlaserDroit international penal conventionnel , Brussels, Bruylant,
Vol. 1, 1970, pp. 111 and 112.
34
See M. N. Shaw, “Genocide and International Law”, in International Law at a Time of Perplexity. Essays in
Honour of Shabtai Rosenne, Y. Dinstein (ed.), Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, p. 807. - 18 -
12. The lack of precise, internationally accep ted definitions of these terms explains the
fluctuation and variety in the methods adopted by the courts in attempting to define and identify the
groups protected by the Convention.
Defining the targeted groups: the different possible approaches
13. More precisely, I shall show that the inad equacies of an approach based on identification
of the protected group by reference to purely ob jective criteria have highlighted the need for a
parallel, subjective approach to the matter, enab ling the targeted group to be more effectively
identified, and hence protected, in a manner according with the object and purpose of the
Convention.
The inadequacy of identifying membership of the group via a purely objective approach
14. It would seem that one of the first cases before the two ad hoc Tribunals which sought to
produce a tentative definition of the four adjec tives characterizing the group capable of being
targeted by genocide is the Akayesu case. Faced with the difficulty of applying these concept in
practice, the International Criminal Tribunal fo r Rwanda sought to supply indicators which would
throw objective light on the meaning of the terms “national”, “ethnical”, “racial” and “religious”,
thus enabling it to be determined whether the vi ctims belonged to a national, ethnical, racial or
religious group.
15. The Tribunal thus held in the Akayesu case that “national group” referred to “a collection
of people who are perceived to share a legal bond based on common citizenship, coupled with
35
reciprocity of right and duties” . Hence the definition of a na tional group may be based on the
26 definition of nationality which you will rec ognize as that given by this Court in the Nottebohm
case, in which you stated that nationality is a “l egal bond having as its basis a social fact of
attachment, a genuine connection of existence, interests and sentiments, together with the existence
of reciprocal rights and duties” ( Nottebohm (Liechtenstein v. Guatemala), Second Phase,
Judgment, I.C.J. Reports 1955, p.23). In that sense, this definition also covers national
35
ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case NoI.CTR-96-4-T, Tr ial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 512. - 19 -
36
minorities . Equally, according to the case law of the International Criminal Tribunal for Rwanda,
a religious group is one “whose members share th e same religion, denomination or mode of
worship” 37 or the “same beliefs” 38. The term “ethnical” is generally defined as a “group whose
39
members share a common language or culture” . Finally, the definition of a “racial” group is
based on the “hereditary physical traits often iden tified with a geographical region, irrespective of
linguistic, cultural, national or religious factors” 40.
16. It is, however, recognized that these defin itions are sometimes largely artificial, as the
41
Respondent has itself acknowledged , and that an individual’s membership of a national, ethnical,
racial or religious group by strict reference to these objective and rigorously scientific criteria is
sometimes extremely difficult to establish in practice. Doctrine and jurisprudence are thus
27 unanimous in recognizing that the concepts of ethnicity, race or nation are to a certain extent
subjective according to the context in which they arise, and that “membership of a group is, in
42
essence, a subjective rather than an objective concept” .
The need to take into account subjective criteria in determining whether the victims belong to
a specific group
T1h7e. Akayesu case illustrates the difficulty in practice of relying on objective criteria in
identifying the group. In order legally to char acterize the genocide against the Tutsis, the ICTR
had first to determine that the Tutsi victims of the genocide belonged to a group protected by the
36United Nations Economic and Social Council Commission on Human Rights, Sub-Commission on Prevention
of Discrimination and Protection of Minorities, Thirty-eighth Session, revised and updated Report on the Question of the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, prepared by M. B. Whitaker, doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6,
2 July 1985, p. 18, para. 65. See also W. A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge University Press, 2000,
p. 115; M. N. Shaw, “Genocide and International Law”, in International Law at a Time of Perplexity. Essays in Honour
of Shabtai Rosenne, Y. Dinstein (ed.), Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, p. 807.
37
ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case NoI.CTR-96-4-T, Tr ial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 515.
38
ICTR, Prosecutor v. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , case No.ICTR-95-1, Trial Chamber II,
Judgement, 21 May 1999, para. 98.
39
ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case NoI.CTR-96-4-T, Tr ial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 513; Prosecutor v. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , case No.ICTR-95-1, Trial
Chamber II, Judgement, 21 May 1999, para. 98.
40
ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case NoI.CTR-96-4-T, Tr ial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 514.
41
CR 2006/20, p. 14, para. 313 (de Roux).
42ICTR, Prosecutor v. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda , case No.ICTR-96-3-T, Trial Chamber I,
Judgement, 6 December 1999, para. 56; Prosecutor v. Sylvestre Gacumbitsi, case No. ICTR-01-64-T, Trial Chamber III,
Judgement, 17 June 2004, para. 254. See also W. A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge, University
Press, 2000, p. 111. - 20 -
Convention. Under the objective criterion, an ethni c group is defined, as I have just said, by the
fact that its members share a common language a nd culture. But a strict application of these
criteria, like application of the religious criteri on, in that case offered no basis for distinguishing
Hutus from Tutsis, as they share th e same religion, the same language and the same culture, and it
was therefore not possible to sp eak of Hutus and Tutsis as ethnic groups on the basis of the
objective criteria. That is why the ICTR came to identify group membership by means of a more
subjective assessment.
18. It based its decision in this regard on the fact that
“in the context of the period..., [Hutus and Tutsis] were, in consonance with a
distinction made by the colonizers, considered both by the authorities and themselves
as belonging to two distinct ethnic groups; as such, their identity cards mentioned
43
each holder’s ethnic group” .
In order to be able to characterize the Tutsi group as a protected “ethnic group” 44within the
meaning of the Convention, the Tribunal therefore took into consideration, as we can see, both an
objective factor, based on the institutional determin ation of the ethnic group (manifested by the
official designation “Tutsi” or “Hutu” on the id entity card) and a subjective factor, based on the
perception by the community itself of this ethnic differentiation. According to the ICTR:
28 “In the light of the facts brought to its attention during the trial, the Chamber is
of the opinion that, in Rwa nda in 1994, the Tutsi constitu ted a group referred to as
‘ethnic’ in official classifications. Thus , the identity cards at the time included a
reference to ‘ubwoko’ in Kinyarwanda or ‘e thnie’ (ethnic group) in French which,
depending on the case, referred to the designa tion Hutu or Tutsi, for example. The
Chamber further noted that all the Rw andan witnesses who appeared before it
invariably answered spontaneously and without hesitation the questions of the
Prosecutor regarding their ethnic identity” 45.
19. In other words, in order to address the difficulty of determining the ethnic group in the
Rwandan context, the ICTR took the view that an “ethnic group” could be defined both according
to an objective criterion, as a group “whose memb ers share a common language and religion”, and
by application of the “subjective” method, as ⎯ I shall quote the Tribunal yet again, for its
43
ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case No. ICTR-96-4-T, Trial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 122, note 56; emphasis added.
44ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case No. ICTR-96-4-T, Trial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 638; Prosecutor v. Juvénal Kajelijeli, case No. ICTR-98-44A-T, Trial Chamber II, Judgement
and Sentence, 1 December 2003, para. 817.
45ICTR, Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu , case No. ICTR-96-4-T, Trial Chamber I, Judgement,
2 September 1998, para. 702. - 21 -
statement is particularly clear ⎯ “a group which distinguishes itself as such (self identification), or
a group identified as such by others, including perp etrators of the crimes (identification by
46
others)” .
20. The case law has thus highlighted a “subjec tive” approach, by which the targeted group
can be identified on the basis of the feeling of th e victims of the crime themselves that they belong
to the group, or even on the basis of the stigmatization of the group as a national, ethnic, racial or
religious entity by the perpetrators, in other words, “[where] the victim is perceived by the
47
perpetrator of genocide as belonging to a group slated for destruction” . Indeed, it is self-evident
that identifying the targeted group sometimes involve s a certain subjectivity, as Sartre observed in
his Réflexions sur la question juive [Reflections on the Jewish Question], when he wrote: “a Jew is
one whom others take for a Jew: that simple truth must be our starting point” 48.
21. But this subjective approach is not excl usive to the ICTR. The “subjective” approach,
based on the perception of the group’s composition held by either the victim or the perpetrator of
genocide, has been referred to in the ICTY’s juri sprudence, the first occasion being in its decision
under Article 61 in the Nikolić case, thus even before the Akayesu decision was handed down. In
29 that case the Tribunal found, in determining wh ether persecutory measures constituted crimes
against humanity, that: “the civilian population subjected to such discrimination was identified by
the perpetrators of the discriminatory measures, principally by its religious characteristics” 49.
22. The Trial Chamber was to ta ke this approach again in the Jelisić case, stating as
follows ⎯ I shall take the liberty of quoting a rather long excerpt from this decision, for I believe it
is particularly clear:
“Although the objective determination of a religious group still remains
possible, to attempt to define a national, ethnical or racial group today using objective
and scientifically irreproachable criteria would be a perilous exercise whose result
would not necessarily correspond to the percep tion of the persons concerned by such
categorisation. Therefore, it is more appropriate to evaluate the status of a national,
46
ICTR, Prosecutor v. Clément Kayishema and Obed Ruzindana , case No.ICTR-95-1, Trial Chamber II,
Judgement, 21 May 1999, para. 98.
4ICTR, Prosecutor v. Juvénal Kajelijeli, case No. ICTR-98-44A-T, Trial Ch amber II, Judgement and Sentence,
1 December 2003, para. 811.
4J.-P. Sartre, Réflexions sur la question juive (1954), Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2005, pp. 74-75.
4ICTY, Prosecutor v. Dragan Nikolić, case No.IT-94-2-R61, Review of Indictment pursuant to Rule 61 of the
Rules of Procedure and Evidence, decision of Trial Chamber I, 20 October 1995, para. 27. - 22 -
ethnical or racial group from the point of view of those persons who wish to single
that group out from the rest of the community. The Trial Chamber consequently elects
to evaluate membership in a national, ethnical or racial group using a subjective
criterion. It is the stigmatisation of a group as a distinct national, ethnical or racial
unit by the community which allows it to be determined whether a targeted population
constitutes a national, ethnical or racial group in the eyes of the alleged
perpetrators.” 50
23. While the Trial Chamber in that case looke d solely to the subjective approach, Bosnia
and Herzegovina wishes to make clear that, as a general rule, this approach should not be
considered exclusive but that combined use of both approaches should be contemplated, as
recognized in the weight of the jurisprudence. An illustration of the majority view taken in the case
law is provided by the Blagojević case, in which an approach taken “on a case-by-case basis,
51
consulting both objective and subjective criteria” , was advocated.
Some further refinement of the analysis is now called for.
30 The objective and subjective definitions can be formulated in positive or negative terms
24. There is an important point I would like to elaborate on, because I believe that both the
ICTY and Maître de Roux have sometimes failed to draw the necessary distinctions. That point is
that, aside from the question of objective or subj ective approach, which I have just described to
you, the analysis of the group can also be carried out in two different ways, either in positive or
negative terms, whether or not such determinati on is based on objective criteria, or subjective
criteria, or even a combination of both. My desire to clarify this point arises from
MaîtredeRoux’s apparent assimilation, as I have said, of the subjective approach to the negative
approach and ⎯ even though this is less clear ⎯ perhaps even the objective approach to the
positive approach, thereby in my opinion mixing pro cedural analysis with substantive analysis,
when there is no basis for this. I shall therefore repeat what he said in one of his statements:
“[T]he same Trial Chamber of the Tr ibunal for the former Yugoslavia, which
opted, as I said, for a subjective approach, and allows for the definition of a group by
reference to negative criteria, nonetheless noted in its judgment...that ‘[t]he
50ICTY, Prosecutor v. Goran Jelisi ć, case No.IT-95-10, Trial Chamber I, Judgement, 14December 1999,
para. 70; italics and emphasis added.
51ICTY, Prosecutor v. Vidoje Blagojevi ć, Dragan Jokic , case No.IT-02-60-T, Tria l Chamber I, Judgement,
17January 2005, para.667; italics and emphasis added. This mixed approach is consistently taken in the ICTR
jurisprudence. See, in particular, Prosecutor v. Laurent Semanza, case No. ICTR-97-20-T, Trial Chamber III, Judgement
and Sentence, 15 May 2003, para.317; Prosecutor v. Juvénal Kajelijeli , case No.ICTR-98-44A-T, Trial ChamberII,
Judgement and Sentence, 1 December 2003, para.811; Prosecutor v. Sylvestre Gacumbitsi , case No.ICTR-01-64-T,
Trial Chamber III, Judgement, 17 June 2004, para. 254. - 23 -
preparatory work of the Convention demonstr ates that a wish was expressed to limit
the field of ap52ication of the Convention to protecting ‘stable’ groups objectively
defined’ . . .”
To me, this shows that he is confusing a number of concepts.
25. I repeat that a positive or negative anal ysis can be applied whether subjective or
objective criteria are adopted. And I am going to illust rate this assertion. Thus, a positive analysis
of objective criteria would consist, for example, in defining a religious group as a group of a
particular religious faith, while a negative analysis of objective criteria would lead to defining a
religious group as a group not of the faith of those pursuing a policy of genocide, a group which,
depending on the historical context in which the issue arises, could include one, two or several
different religious groups, different but united, in the eyes of the genocide perpetrators, in the
shared attribute ⎯ or deficiency as in the present case ⎯ of not having the same religion as the
latter. This is also true in respect of defini ng the group by subjective criteria. Thus, the group
targeted by the genocidal acts may be stigmatized in two different ways, according to positive or
negative criteria, which were identified by the ICTY in the Jelisić case, to which point I shall return
31 a little later. Thus, an ethnic group can be subjectively defined ⎯ I shall cite an example ⎯ in
positive terms, in that it is seen as having certain physical traits , or, conversely, in negative terms,
in that it lacks certain physical features characterizing the perpetrators’ group. Let us say in
conclusion that any concept can be defined either positively or negatively: I am me/I am not the
“other”. This dialectic involving the “other”, who is excluded precisely for being the “other” or for
not being like the perpetrator, lies at the heart of genocidal intent.
26. Now, given these very different tools ⎯ positive objective approach, negative objective
approach, positive subjective approach, negative su bjective approach and even a combination of
these different analyses ⎯ how should the groups covered by ArticleII of the Genocide
Convention be defined? As for Maître de Roux, he asserted that the negative approach ⎯ without
53
further specification, by the way ⎯ “is not universally accepted in international law at present” . I
am quite willing to acknowledge as much, but the sa me is true of the other approaches, in their
various permutations. Thus, I think, the Cour t, hearing its first case involving genocide, is
52
CR 2006/20, p. 12, para. 307 (de Roux).
53
CR 2006/20, p. 12, para. 306 (de Roux). - 24 -
presented with a unique opportunity to clarify matters, to lay down a precedent for future reference
in respect of defining the groups covered by Artic le II of the Genocide Convention. True, not all
aspects are disputed. On the one hand, there seems to be no major disagreement as to the need to
combine the objective and subjective approaches in seek ing to define the group in the light of the
complexity of the situation. But, on the other, the positions diverge somewhat in regard to the
acceptability of a negative approach to group de finition: thus, for some, including our Serb
opponents, treating the group of non-Serbs as a gr oup covered by ArticleII should be rejected,
while others see in this the very essence of a prot ected group because it was slated for eradication
for being different from the group to which the genocide perpetrators belonged.
27. It therefore remains for me to attempt an analysis of the negative approach in order to
ascertain whether it is in conformity with the object and purpose of the Genocide Convention.
32
How far the negative approach corresponds to the object
and purpose of the Genocide Convention
The negative approach is sometimes adopted, sometimes rejected by the jurisprudence
28. Madam President, Members of the Court, with your permission I should like to start by
revisiting the analysis of groups by the Commissi on of Experts, which was stated in the following
terms:
“[i]f there are several or more than one vi ctim groups, and each group as such is
protected, it may be within the spirit and purpose of the Convention to consider all the
victim groups as a larger entity . The case being, for example, that there is evidence
that group A wants to destroy in whole or in part groups B, C and D, or rather
everyone who does not belong to the national, ethnic, racial or religious group A. In a
sense, group A has defined a pluralistic non-A group using national, ethnic, racial and
religious criteria for the definition. It seems relevant to analyse the fate of the
54
non-A group along similar lines as if the non-A group had been homogenous.”
29. Maître de Roux considers that this analysis is “somewhat complicated from a legal
standpoint” . To my eyes nothing could be simpler; it is an elementary fact of set-theory: any
collection of objects can be divided into A and not A, just as a door must be open or closed. And I
54
Commission of Experts establishe d pursuant to Security Council resolution 780 (1992), United Nations,
doc. S/1994/674, pp. 26-27, para. 96; emphasis added.
55
CR 2006/20, p. 12, para. 306 (de Roux). - 25 -
do not see how a negative definition would result in less stable groups, since the group defined
negatively will always be the group which does not possess certain national, ethnic, racial or
religious characteristics, which are themselves presumed to be stable.
30. This legal analysis is, moreover, echoed in the political analyses of the Serbs. For
example, the SDS was the first party to propose dividing the population into Serbs and non-Serbs.
During the organization of a referendum by th e SDS held on 9 and 10 November 1991 on the
following question:
“Do you agree with the decision of th e Assembly of the Serbian People in
Bosnia-Herzegovina of October 24, 1991, that the Serbian people shall remain in the
joint state of Yugoslavia together with Serbia, Montenegro, SAO Krajina, SAO
Slovenia, Baranja and Western Srem, and ot hers who declare themselves in favor of
56
staying?”
33 Now in that referendum the non-Serbs received a ye llow ballot paper so that their votes could be
distinguished from those of the Serbs: this would undeniably appear to be a negative definition of
a group whose only characteristic lies in what it is not, in other words whose only characteristic is
not being Serb.
31. As for the jurisprudence of the ad hoc tribunals, it is somewhat confused in this respect.
And obviously, Madam President, Members of the Cour t, we are not unaware that the definition of
the group considered negatively, in other words by exclusion, is not unanimously accepted and that
in the Stakic case the ICTY rejected it, in very broa d terms, initially in the Trial Chamber ⎯ I
quote:
“[A]rticle 4 of the Statute protects national, ethnical, racial or religious groups.
In cases where more than one group is targeted, it is not appropriate to define the
group in general terms, as, for example, ‘non-Serbs’ . In this respect, the Trial
57
Chamber does not agree with the ‘negative approach’.”
This conclusion has subsequently been s upported and explained at length in appeal ⎯ but I shall
return to this ⎯ and reiterated in similar terms, but without any further explanations, in the Bradnin
58
case .
56
Bosnian Serb Assembly, First Session, 24 October 1991, English ERN 0301-5405, BCS ERN SA01-2082.
5ICTY, Prosecutor v. Milomir Stakic , case No.IT-97-24-T, Trial Cham ber II, Judgement, 31July2003,
para. 512; emphasis added.
5ICTY, Prosecutor v. Radoslv Brdjanin, case No. IT-99-36-T, Trial Cham ber II, Judgement, 1 September 2004,
paras. 685-686. - 26 -
32. However, this is not the only decision, and we know that there are also a number cases in
which, on the contrary, it is the negative appro ach that was adopted. For example, the ICTY
adopted the negative approach in the Jelisic case, admittedly in the Trial Chamber, but this was not
questioned on appeal. And the Tribunal has, in what I believe are very clear terms, stated:
“A group may be stigmatized in this manner by way of positive or negative
criteria. A ‘positive approach’ would consist of the perpetrators of the crime
distinguishing a group by the characteristics which they deem to be particular to a
national, ethnical, racial or religious group. A ‘negative approach’ would consist of
identifying individuals as not being part of the group to which the perpetrators of the
crime consider that they themselves belong and which to them displays specific
national, ethnical, racial or religious characteristics. Thereby, all individuals thus
rejected would, by exclusion, make up a distinct group.” 59
33. If this approach is applied to our case, the Muslims of Bosnia and Herzegovina as a
national, ethnic or religious group ⎯ who, as I have already said, were the principal target of the
34 genocide ⎯ and the Croats of Bosnia and Herz egovina, as a religious or ethnic group ⎯
subsidiarily targeted by acts of genocide ⎯ may be envisaged, either positively, as two separate
groups on the basis of the specific characteristic s that I have indicated, or negatively, as
constituting a broader entity, designated, for the purposes of the case, by the more generic and
negative term “group of non-Serbs”, forming as th ey do a distinct human community singled out
and targeted by the authors of the genocide. And it was because, in the minds of the perpetrators of
the genocide, the Muslims of Bosnia and Herzegovi na and the Croats of Bosnia and Herzegovina
did not display, apart from the national, ethnic or religious characteristics peculiar to each group,
i.e., Muslims or Croats, the same national, ethnic or religious characteristics as the Serbs that they
were collectively stigmatized by the perpetrators of the genocide as a group distinct from their own.
In my view, Members of the Court, there is nothing against our adopting such an approach,
particularly as the two victim groups, viewed collectively for the purpose in hand as non-Serbs,
also, taken separately, constitute d two protected groups within the meaning of the Genocide
Convention.
59
ICTY, Prosecutor v. Goran Jelisic , case No.IT-99-36-T, Trial Cham ber I, Judgement, 14December 1999,
para. 71; emphasis added. - 27 -
The rejection of the negative approach in the Stakic case is unconvincing
34. If the Court adopts a position on this question, it seems to me, as I have already said, that
the negative approach is particularly apposite in a case involving genocidal ethnic cleansing. Of
course, the Court is not bound, in its legal analyses, by the decisions of the ad hoc Tribunals, but
obviously the analyses made by these Tribunals are pointers which can be useful in our discussions.
I should therefore now like to revisit the reasoning followed by the International Criminal Tribunal
for the former Yugoslavia in the Stakic case 6, but I shall do so critically. I am therefore going to
show you that rejection of the negative approach in the Stakic case is unconvincing. As I have
already stated, it was in this case that the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia
rejected the negative approach. And it is likely th at this case will be used against us by the
Respondent, who appears to question the frequent reference made by Bosnia, in its written and oral
35 pleadings, to the non-Serb group, again negatively de fined by contrast with the Serb group. So
while the Tribunal did not accept a determination of the group on the basis of a subjective
approach, by reference to a negative criterion, we are going to see that the reasoning followed by
the Appeals Chamber exhibits various incons istencies and uncertainties and is ultimately
unconvincing.
35. With your permission, I should first like to revisit briefly the legal analysis made by the
Appeals Chamber. The Appeals Chamber, I w ould remind you, did not accept the arguments set
out in the Indictment, which contended that th e Trial Chamber had made an error of law by,
precisely, refusing to define the group targeted by the genocide as being the non-Serbs in the region
of the municipality of Prijedor; and it ther efore required the Trial Chamber ruling on the
indictment to establish, separately, that genocide had been committed against, on the one hand, the
Muslims of Bosnia and Herzegovina and, on the othe r, the Croats of Bosnia and Herzegovina. In
my view, the arguments used to deny a negative definition of the group are certainly not decisive in
law. With your permission, Madam President, Me mbers of the Court, I should like to pause for a
moment on this matter to show you first that a negative definition of the group accords with the text
of the Genocide Convention, and then that it is in keeping with the Convention’s object and
purpose, as it is, moreover, with the Convention’s travaux préparatoires.
60
ICTY, Prosecutor v. Milomir Stakic, case No. IT-97-24-A, Appeals Chamber, Judgement, 22 March 2006. - 28 -
Determination of the group by exclusion is no t at odds with the text of the Genocide
Convention, which refers to the “group as such”
36. In order to deny a definition of the group by exclusion, the Appeals Chamber makes
great play of this expression “group as such”, judg ing that this phrase “has great significance, for it
shows that the offence requires intent to destroy a collection of people who have a particular group
61
identity” . And on this point it considers that:
“when a person targets individuals because th ey lack a particular national, ethnical,
racial or religious characteristic, the intent is not to destroy particular groups with
particular identities as such, but simply to destroy individ62ls because they lack
certain national, ethnical, racial or religious characteristics” .
36 37. This argument is untenable, inasmuch as it seems to me to stem from a confusion, from a
misinterpretation of the expression “as such”. In fact, this expression does not refer to the
particular identity of the group, but merely to the specific intention constituting genocide.
38. The words “as such” mean that “[t]he ‘destroying’ has to be directed at the group as
63
such, that is, qua group” . It is, as I indicated at the beginning of my argument, the targeted group
which is the ultimate and final victim of genoc ide. Inasmuch as th e expression “as such” only
highlights the fact that the victim of genocide is the group rather than the individual, Bosnia and
Herzegovina cannot apprehend how a definition of the group based on negative criteria could be
64
viewed as contrary to this requirement : it was because the Muslims of Bosnia and the Croats of
Bosnia did not share the same national, ethnical, racial and religious characteristics as the Serbs
that they were targeted by the perpetrators of genocidal acts as constitutin g a distinct group of
non-Serbs — a group targeted as such — and I cannot see why therefore the application of negative
criteria would in this respect prove problematic.
61
ICTY, The Prosecutor v. Milomir Stakic, case No. IT-97-24-A, Appeals Chamber, Judgement, 22 March 2006,
para. 20.
6Ibid.
6ICTR, Prosecutor v. Clément Kayishema and Obed Ruzindana , case No.ICTR-95-1, Trial ChamberII,
Judgement, 21 May 1999, para. 99.
6See also on this point the partly dissenting opiniof Judge Shahabuddeen included in the ICTY Appeals
Chamber Judgement in Stakić case (Prosecutor v. Milomir Stakić, case No. IT-97-24-A, Appeals Chamber, Judgement,
22 March 2006), para. 10. - 29 -
Definition of a group by exclusion is not contrary to the object and purpose of the
Convention
39. The ICTY Appeals Chamber subsequently em phasized that the need to define the group
by positive criteria arose from the origins of the word genocide, which, as we know, comprises the
Greek root, genos, and the Latin, cardere (killing), as well as the work of Raphael Lemkin. For the
Appeals Chamber, these factors tended to indicate that the groups envisaged could only be groups
possessing “a particular positive identity” 65 and did not extend to “the destruction of various people
66
lacking a distinct identity” . While Bosnia appreciates that the drafters of the Convention had
homogeneous groups in mind, it would like to point out, in line with the opinion of
Judge Shahabuddeen, who disagreed with the ICTY Appeals Chamber on this point, that “that need
37 not prevent a more general approach from being ta ken to the matter; even the genocidal campaigns
of the Second World War were not understood ex clusively through the lens of the ‘positive’
approach” 67.
Nor is the definition of the gr oup by exclusion contrary to the travaux préparatoires for
the Convention, which, according to the oppo sing Party, insisted upon the stable and
homogeneous nature of the group targeted
40. The ICTY Appeals Chamber then went on to assert that the definition of a group by
exclusion was incompatible with the objectives of the travaux préparatoires, since, in its view, the
travaux préparatoires indicated that the aim was only to cover permanent and stable groups, to the
exclusion of groups lacking that permanent and stable nature, such as political, economic and social
groups. This argument is, once again, in my opinion, not decisive, since, on the one hand, it is not
certain that the stable nature of the group is fu ndamental to its definition and, on the other hand,
even if it is, a negatively defined group can, in a given context, be just as stable as a positively
defined group.
65
ICTY, Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No. IT-97-24-A, Appeals Cham ber, Judgement, 22 March 2006,
para. 21.
6Ibid.
6See the partly dissenting opinion of Judge Shahabuddeen included in the ICTY Appeals Chamber Judgement in
Stakić case ( Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No. IT-97-24-A, Appeals amber, Judgement, 22March2006),
para. 12. - 30 -
41. First, I would like to say that it is not certain from reading the travaux préparatoires that
the Convention had in mind only homogeneous, stable and permanent groups. Of course, reference
is frequently made to their permanent and stable na ture in order to justify the exclusion of political
groups, but, as we know, there were a great many other reasons for excluding the latter. Thus
certain writers have asserted that
“the debates leave little doubt that the deci sion to exclude political groups was mainly
an attempt to rally a minority of member St ates in order to facilitate rapid ratification
of the Convention, and not a principled decision based on some philosophical
68
distinction between stable and more ephemeral groups” .
42. If indeed, Members of the Court, we accep t the requirement of permanence and stability,
we will see that, apart from the racial criterion ⎯ assuming that this is based on genetic
characteristics which cannot be modified ⎯ the three other criteria show only a relative degree of
permanence and stability, bearing in mind that:
38 “[n]ational groups are modified dramatically as borders change and as individual and
collective conceptions of identity evolve. Nationality may be changed, sometimes for
large groups of individuals where, for example, two countries have joined or secession
has occurred. Religious groups may come into existence and disappear within a single
69
lifetime”.
43. If, furthermore, we bear in mind that the Universal Declaration of Human Rights,
adopted shortly after the Genocide Convention, acknowledges the fundamental right of each
70
individual to “change his nationality” and that it interprets the individual’s right to religious
71
freedom as implying the right “to change his religion” , it is difficult to draw the conclusion that
nationality and religion were, even at that time, regarded as absolutely permanent and stable
characteristics.
44. Bosnia and Herzegovina would, in any case, like to point out that, over and above their
intrinsic national, ethnical and religious characteris tics, the Croats and Muslims of Bosnia viewed
themselves as forming a larger entity and felt themsel ves to be singled out and targeted principally
because they did not, as I have said, share the natio nal, ethnical and religious characteristics of the
Serbs, and there is no doubt, Madam President, that that was precisely the view of the perpetrators
68W.A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge University Press, 2000, p. 133.
69
Ibid.
70
Article 15 of the Universal Declaration of Human Rights of 10 December 1948.
71Article 18, ibid. - 31 -
of the genocide. Bosnia does not see what this larger entity — the group of non-Serbs — made up
of the two above-mentioned groups lacked by way of permanent and stable characteristics in the
context of the facts ⎯ of the persecutions and acts of genocide perpetrated upon it.
45. In light of all of the foregoing, Bosnia and Herzegovina hopes to have shown the Court
that a negative definition of the group is in no way contrary to the letter, the object and purpose of
the Convention, nor to the travaux préparatoires which preceded it. It believes that it has shown
that there are no legal obstacles— and I insist on th at— to the application of such an approach.
This approach does not extend the notion of the group protected by the Convention, it merely
39 makes application of the Convention more effective in a way which, in my view, is particularly
compatible with the object and purpose of the treaty.
*
* *
46. As we come to the end of this presentati on and of the explanations regarding the various
means of defining a protected group, Bosnia and Herzegovina requests the Court, for practical
reasons in the current case, to accept that the group targeted by the genocide implemented by
Serbia and Montenegro can be conceived of unde r the generic name of “non-Serbs”, since this
makes it possible to unite the Croats of Bosn ia and Herzegovina as an “ethnical-religious” group
protected by the Genocide Convention with the gr oup that formed the chief target, the national
group— to be more exact— of “Bosnian Muslims” 72, as this group has been defined by many
ICTY judgements.
47. May I, Madam President, conclude by returning to the Respondent’s contention ⎯ in a
final flourish ⎯ that we were “reluctant to provide a clear definition” 73of the group of Bosnian
Muslims. To answer, I will simply read an excerpt from the ICTY judgment in the Krstić case,
which is sufficiently clear in my opinion.
72
ICTY, Prosecutor v. Goran Jelisić, case No. IT-95-10, Trial Chambe r I, Judgement, 14 December 1999,
para. 72; Prosecutor v. Radislav Kristi ć, case No.IT-98-33, Trial Chamber I, Judgement, 2 August 2001, para.560;
Prosecutor v. Vidoje Blagojević and Dragan Jokić, case No. IT-02-60-T, Judgement, 17 January 2005, para. 667.
73CR 22006/20, p. 14, para. 315 (de Roux). - 32 -
“Originally viewed as a religious gro up, the Bosnian Muslims were recognised
as a ‘nation’ by the Yugoslav Constitution of 1963. The evidence tendered at trial also
shows very clearly that the highest Bosnian Serb political authorities and the Bosnian
Serb forces operating in Srebrenica in July 1995 viewed the Bosnian Muslims as a
specific national group . . .
40 The Chamber concludes that the prot ected group, within the meaning of
Article4 of the Statute, must be defined, in the present case, as the Bosnian
Muslims.” 74
If the Court were not to accept the approach of definition of the group by exclusion as being
the non-Serbs, although, as we have seen, there is no theoretical obstacle to this, Bosnia and
Herzegovina would ask the Court to acknowledge that the two groups indicated were both
targeted ⎯ that is, on the one hand, the Croats of Bosnia and Herzegovina and, on the other, and to
a far greater extent, the national group of Bosnian Muslims.
I thank the Court for its attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Stern. The Court will now rise for 15 minutes.
The Court adjourned from 11.30 to 11.45 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Ms Karagiannakis, the Court will hear you.
Mme KARAGIANNAKIS :
Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la C our, la Bosnie a démontré devant vous que le
massacre de milliers d’hommes et le transfert forcé de dizaines de milliers de femmes et d’enfants
de l’enclave de Srebrenica constituaient un génocide, et pouvaient être attri bués au défendeur. Le
défendeur nie à la fois que les événements de Sr ebrenica soient constitutifs de génocide et qu’ils
puissent lui être attribués. L’objet de la présente plaidoirie est de réfuter cette thèse ainsi que les
allégations factuelles sur lesquelles elle s’appuie.
74
ICTY, Prosecutor v. Radislav Kristi ć, case No.IT-98-33, Trial ber I, Judgement, 2 August 2001,
paras. 559-560. - 33 -
Le génocide commis à Srebrenica s’inscrivait dans une politique de nettoyage
de la Bosnie orientale élaborée à Belgrade
2. Le génocide commis à Srebrenica fut le point d’orgue d’une politique serbe visant à
nettoyer la Bosnie orientale. Il s’inscrivait dans une politique générale destinée à créer une Grande
Serbie d’un seul tenant, et ethniquement pure. Lors de sa plaidoirie consacrée à la Bosnie orientale
et à Srebrenica, M.van den Biesen a présenté les principaux faits démontrant l’existence de cette
41 politique déjà ancienne, qui devait par la suite se matérialiser par un plan d’éradication des
Musulmans de Srebrenica. Ces faits n’ont pas été niés par le défendeur. Les voici :
a) la décision prise par les dirigeants politiq ues de la RFY selon laquelle un secteur de
50 kilomètres à partir de la Drina serait serbe . Cette décision fut communiquée aux dirigeants
75
des municipalités serbes de Bosnie en mai 1991 ;
o
b) le 12 mai 1992 furent annoncés les objectif s stratégiques du peuple serbe. L’objectif n 1 était
d’«établir des frontières étatiques séparant le peuple serbe des autres communautés ethniques»
o
et l’objectif n 3 d’«établir un couloir dans la vallée de la rivière Drina, c’est-à-dire d’ôter à la
76
Drina le rôle de frontière entre Etats serbes» ;
c) le 8mars1995, le commandant suprême des fo rces armées de la Republika Srpska, Karadzic,
o
diffusa l’ordre n 7, lequel demandait que soit instaurée une «situation insoutenable d’insécurité
totale dans laquelle aucun espoi r de survie ou de vie ne sera[it] permis aux habitants» de
Srebrenica et Zepa. Cette mission fut confiée au corps de la Drina 7;
d) le 31mars1995, suite à cela, le général Ra tko Mladic diffusa un ordre relatif à de nouvelles
opérations, l’ordre n o7/1, lequel précisait les missions assignées au corps de la Drina ; 78
e) le 4juillet1995, le colonel Ognjenovic, qui co mmandait alors la brigade de Bratunac, adressa
un rapport à ses unités, dans lequel il indiquait que l’objectif final de l’armée bosno-serbe était
de créer une Podrinje entièrement serbe, ce qui signifiait que les Musulmans devaient être
expulsés de l’enclave de Srebrenica. Il précisait qu’il fallait rendre la vie des ennemis intenable
75
CR2006/4, p.38-39, par.9-10 (Van den Biesen); TPIY, Le procureur c.Miroslav Deronji ć, affaire
n IT-02-61, jugement relatif à la sentence, 30 mars 2004, par. 54.
76 o
CR2006/4, p.38-39, par.10 (Van den Biesen); TPIY, Le procureur c.Blagojevic , affaire n IT-02-60,
jugement, 17janvier2005, par.96; pièce n o P746a, TPIY, Le procureur c.Krstic, jugement, affaire n oIT-98-33-T,
2 août 2001, par. 562.
77 CR2006/4, p.49, par.48 (Van den Biesen); TPIY, Le procureur c.Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement,
17 janvier 2005, par. 106.
78
Ibid. - 34 -
et leur présence dans l’enclave impossible de sorte que, comprenant qu’ils ne pouvaient y
79
survivre, ils s’en iraient en masse, aussi vite que possible ;
42 f) la prise de Srebrenica fut menée conformément au plan portant le nom de code «Krivaja95»,
diffusé le 2juillet1995. L’objectif déclaré de ce plan était de «s éparer et réduire la taille des
enclaves de Srebrenica et de Zepa, améliorer la position tactique des forces au cŒur de la région
et créer les conditions voulues pour l’élimination des enclaves 80».
3. Enfin, le défendeur n’a pas réfuté l’exposé relatif aux transferts forcés et assassinats à
grande échelle. La manière dont ils furent perp étrés montre clairement qu’ils étaient mûrement
réfléchis et organisés, comme sont d’ailleurs ve nus le corroborer les conclusions du TPIY et plus
particulièrement la Chambre de première instance en l’affaire Krstic, laquelle a indiqué que «après
la prise de Srebrenica en juillet 1995, les forces serbes de Bosnie ont conçu et mis en Œuvre un plan
consistant à évacuer de l’enclave toutes l es femmes, enfants et personnes âgées musulmans» 81.
Dans l’affaire Blagojevic, la Chambre de première instance a déclaré :
«La Chambre de première instance dispose de très nombreux éléments prouvant
l’existence d’une campagne d’assassinats menée à grande échelle et de manière
organisée par la VRS et les forces du ministère de l’intérieur du 12 au 19 juillet 1995.
Des milliers d’hommes musulmans-bosniaques de l’enclave de Srebrenica furent
exécutés et enterrés en divers lieux, dans les municipalités de Srebrenica, Bratunac et
82
Zvornik.» [Traduction du Greffe.]
4. L’un des thèmes centraux qui sous-tende nt l’argumentation du défendeur semble être
l’existence d’une guerre civile prolongée dans la région de Srebrenica, guerre opposant l’armée de
la Republika Srpska à la vingt-hui tième division de l’armée bosniaque . L’argument principal de
M.Brownlie est que Srebrenica correspondait « du point de vue local» à «l’exercice d’une
vengeance» et qu’il n’y avait là aucune planifi cation à long terme, et certainement aucune
planification par Belgrade 84. M. de Roux a soutenu que le massacre n’avait pas été commis dans le
79 o
CR2006/4, p.49, par.48 (Van den Biesen); TPIY, Le procureur c.Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement,
17 janvier 2005, par. 103.
80 o
CR2006/4, p.53, par.62 (Van den Biesen); TPIY, Le procureur c.Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement,
17 janvier 2005, par. 120, 137 et 674.
81TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 52.
82TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, par. 291.
83CR 2006/16, par. 3 (Brownlie).
84
Ibid., par. 9 - 35 -
85
but d’éliminer les Musulmans, mais une force militaire ennemie . Bien que différentes, ces deux
thèses sont fondées, pour l’essentiel, sur les mêmes fa its présumés. Le premier est que les forces
bosniaques de Srebrenica auraient lancé des ra ids contre des villages serbes et attaqué les
43 populations serbes de la région, faisant des mort s et des blessés. Le second est que l’enclave de
Srebrenica ne fut pas démilitarisée après la pr oclamation de la zone de sécurité par les
Nations Unies, et que les raids bosniaques s’y poursuivirent.
Evénements antérieurs à la proclamation, en avril 1993, de la zone de sécurité de Srebrenica
5. Pour ce qui concerne les événements antérieurs à la proclamation de la zone de sécurité de
Srebrenica en avril1993, M.deRoux a soutenu qu’au début de la guerre , les forces bosniaques
commandées par Naser Oric avaient expulsé les Serbes de Srebrenica, fait de Srebrenica une place
forte et lancé des raids contre les villages serbes avoisinants, dans le but de vider la population
serbe de la totalité de la municipalité entourant Srebrenica. Il a indiqué que ces raids avaient fait
«plusieurs centaines de victimes parmi les paysans serbes» 86. M.Brownlie a également soutenu
que l’armée bosniaque avait mené des raids co ntre des villages serbes dans la région de
Srebrenica-Bratunac, faisant ainsi un grand nombre de victimes civiles 87.
6. Comme nous le verrons, les meilleures sources disponibles et objectives ne corroborent
pas, s’agissant de la nature de ces raids, les fa its présumés par le défendeur. Toutefois, avant de
nous pencher sur le fond de ces allégations, il c onvient d’examiner les deux principales sources
d’où le défendeur tire ses éléments de preuves au soutien de cette thèse, c’est-à-dire Balkan
Battlegrounds et le rapport néerlandais concernant Srebrenica.
88
7. M. Brownlie a présenté des passages de Balkan Battlegrounds dans le but de suggérer
que l’offensive menée par les forces serbes dans la vallée de la Drina en 1993 n’était que la réponse
aux raids effectués localement contre des villag es serbes par des forces bosniaques de Srebrenica
au cours de l’année 1992, sous le commandement de Naser Orić, et que cette offensive n’avait pas
été menée par les Serbes dans le but de contrôle r et de nettoyer d’un point de vue ethnique la
85CR 2006/19, par. 96-102 (de Roux).
86
CR 2006/18, par. 94 (de Roux).
87
CR 2006/16, par. 4 (Brownlie).
88CR 2006/16, par. 5 (Brownlie). - 36 -
Bosnie orientale. Toutefois, à la lecture de Balkan Battlegrounds, il ressort de manière évidente
que ce rapport confirme la thèse selon laquelle les activités des forces armées serbes dans la vallée
de la Drina étaient bel et bien destinées à créer un territoire ethniquement pur.
8. Balkan Battlegrounds décrit les objectifs stratégiques des Serbes de Bosnie en1992.
Parmi eux figurait celui de faire en sorte que la «Drina ne serve plus de frontière» 89 [traduction du
44 Greffe]. Le rapport indique que «les Serbes de Bosnie entendaient créer une république
indépendante et d’un seul tenant, qui rallierait un jour la République fédérale» 90. Il est précisé plus
loin que «l’un des objectifs de guerre semble également avoir été de faire en sorte que la population
du nouvel Etat, la Republika Srpska, soit presque exclusivement serbe» 91. D’après ce rapport, «le
caractère systématique des opérations de netto yage ethnique menées par les Serbes de Bosnie,
notamment par les organisations relevant du SDS, démontre de manière quasi certaine que ceux-ci
avaient la haute main» 92.
9. S’agissant de Srebrenica, Balkan Battlegrounds indique clairement que ce sont les Serbes
qui, les premiers, la ville, en av ril 1992, opérant selon un schéma identique à celui appliqué dans
les municipalités de Bijelina, Zvornik et Foca, s ituées en Bosnie orientale. En effet, l’artillerie
serbe dirigea un feu nourri contre les habitations de la population musulmane afin de la forcer à fuir
la ville. D’après cette source, Naser Ori ć «réussit à former et mener un petit groupe de résistants
qui eut recours, contre l’occupant serbe, à des ta ctiques classiques» et parvint à lui infliger une
défaite. Dès lors, «la population serbe déci da de fuir la ville et ses environs» 93. Après cette mince
victoire, «Srebrenica agit comme un aimant sur la population musulmane de la vallée de la Drina,
les réfugiés arrivant en masse depuis des régions ayant subi un nettoyage ethnique, telles que
Zvornik et Bratunac, bientôt suivis par des Serbes armés convergeant vers les plaines de
89
Balkan Battlegrounds A Military Histor y of the Yugoslav Conflict 1990-1995 , CIA, 2002, «Balkan
Battlegrounds», vol. 1, p. 140.
90
Ibid., p. 140.
91
Ibid., p. 140.
92Ibid., p. 140-141.
93Ibid., p. 317. - 37 -
94
Srebrenica» . Dès lors, et tout au long de l’année 1992, les forces bosniaques résistèrent
vigoureusement aux tentatives des Serbes de Bosnie de contrôler cette vallée stratégique située à la
95
frontière avec la Serbie .
10. C’est en raison de cette résistance que l es forces serbes lancèrent une offensive dans la
vallée de la Drina pour réaliser enfin leurs anciens objectifs.
o
11. Cette analyse est corroborée par l’ordre n 4. En novembre 1992, le général
Ratko Mladić diffusa cet ordre relatif à de nouvelles opéra tions, dans lequel étaient précisées les
missions du corps de la Drina dans la région de la Podrinje, c’est-à-dire dans la région de la vallée
de la Drina. L’ordre se lit comme suit :
«Les forces présentes dans la région de la Podrinje au sens large doivent épuiser
l’ennemi, lui infliger le plus de pertes po ssible et le forcer en même temps que la
population musulmane à quitter les régions de Birac, Zepa et Goražde. Proposer en
premier lieu aux h96mes valides et aux hommes armés de se rendre et, s’ils refusent,
les exterminer.» [Traduction du Greffe.]
45 12. Ainsi, les opérations milita ires menées par les Serbes dans la vallée de la Drina à partir
de novembre 1992 n’étaient pas simplement une réaction de défense contre les raids des
Bosniaques, mais étaient destinées à contraindre les forces bosniaques à fuir avec la population
musulmane. Une fois encore, cet ordre était une étape supplémentaire de la politique ancienne
visant à nettoyer la vallée de la Drina de sa population musulmane.
13. Lors de sa plaidoirie, M.Brownlie a également cité la phrase suivante de Balkan
Battlegrounds : «d’après une estimation, plus de trois m ille soldats et civils serbes [ont] été tués ou
blessés par des soldats bosniaques dans la région de Srebrenica depuis le début de la guerre» 97. Le
chiffre cité dans Balkan Battlegrounds est tiré d’un livre. Dans cet ouvrage, la note de bas de page
correspondant à ce chiffre se lit comme suit: «le chiffre de deuxmille morts a été donné par des
responsables de la municipalité de Srebrenica nouvellement dirigée par les Serbes, qui ont été
98
interrogés en septembre 1996 mais ont souhaité garder l’anonymat» .
94
Ibid., p. 317.
95
Ibid., p. 150.
96TPIY, Le procureur c. Blagojevic, jugement, affaire n IT-02-60-T, 17 janvier 2005, par. 97, pièce n P400.
97CR 2006/16, par. 6 (Brownlie).
98David Rohde, Endgame. The betrayal and fall of Srebrenica : Europe’s worst massacre since World WarII ,
1997, p. 16, nbp 8, p. 395. - 38 -
14. Le chiffre de trois mille morts ou blessés parmi les soldats et civils serbes a été présenté à
la Cour comme une donnée provenant d’une sour ce indépendante et fiable. Or, lorsqu’on se
reporte à la source d’où provient le chiffre en question, on constate que celui-ci émane en réalité de
responsables serbes de Bosnie anonymes. Pour l’ensemble de ces raisons, ces chiffres peuvent
difficilement être considérés comme des éléments de preuve objectifs et fiables.
15. La seconde source principale sur laquelle se fonde le défendeur pour appuyer sa thèse
99
des raids bosniaques meurtriers est, co mme je l’ai dit, le rapport néerlandais . Deux des citations
extraites de ce rapport par le défendeur ont tra it aux sorties des Musulmans, c’est-à-dire aux
offensives lancées depuis des positions défensives c ontre des villages serbes de la seconde moitié
de 1992 au début de 1993. Dans ces extraits fi gurent des allégations selon lesquelles des hameaux
serbes auraient été attaqués, des habitants assassinés et des villages incendiés 100. Si l’on replace ces
extraits dans le contexte du rapport néerlandais , ces raids apparaissent clairement comme l’un des
aspects de la résistance des Musulmans à une ca mpagne de nettoyage ethnique menée par les
Serbes à partir de1992 dans la région de la Drina et comme traduisant un besoin désespéré de
46 101
nourriture rendu indispensable par la situa tion désastreuse de l’enclave de Srebrenica . En outre,
comme nous le verrons dans un instant, les crimes prétendument commis contre la population serbe
ne sont pas étayés par les conclusions du TPIY.
16. Du rapport néerlandais, le défendeur a également extrait la phrase «on estime qu’entre
mille et milledeuxcents Serbes ont trouvé la mort au cours de ces attaques, et que trois mille
environ ont été blessés» 102. Dans la note de bas de page corr espondant à cette citation, il est fait
référence à un document produit par la Commission d’ Etat yougoslave chargée de la question des
99
http ://www.srebrenica.nl/en.
100CR 2006/16, par. 7 (Brownlie) et CR 2006/17, par. 283 (Brownlie).
101Rapport néerlandais, voir partie II: ba taillon néerlandais dans l’enclave; ch ap.2: faits historiques antérieurs
au conflit en Bosnie orientale, jusqu’à l’établissement de la zone de sécurité; partieIII: déclenchement de la guerre,
avril 1992 et partie IV : réaction des Musulmans.
102CR 2006/17, par. 283 (Brownlie). - 39 -
crimes de guerre et du génocide 103. Ce rapport fut communiqué à l’Assemblée générale le
24mai1993 par le chargé d’affaire de la miss ion permanente de la Yougoslavie auprès de
l’Organisation des Nations Unies, lequel demanda à ce qu’il soit distribué.
17. Madame le président, cette citation a été présentée à la Cour comme une conclusion du
Gouvernement des Pays-Bas alors qu’en réalité, l’ affirmation provient directement du défendeur
lui-même. Dès lors, ces chiffres ne peuvent pas être considérés comme des éléments de preuve
objectifs et indépendants.
18. Le défendeur a formulé de graves allégati ons selon lesquelles les forces bosniaques, et
notamment Naser Oric, auraient mené une cam pagne de nettoyage ethnique et commis des
atrocités. Le défendeur cherche à étayer les faits qu’il allègue par des sources émanant de tierces
parties. Or, lorsqu’on se penche sur les citations présentées, on constate qu’elles ne l’ont pas été
dans leur contexte. La Cour aura peut-être ég alement constaté les différences entre les chiffres
avancés quant aux civils serbes prétendument tués ou blessés au cours de ces raids. 104 Ces chiffres
sont déroutants et contradictoires. Lorsque l’orig ine de leurs sources peut être déterminée, il s’agit
de fonctionnaires yougoslaves ou serbes de Bosnie dont les noms ne sont pas mentionnés. Une fois
encore, ces éléments de preuve sont loin d’être objectifs et probants s’agissant d’une question aussi
sérieuse. Mis à part ces sources douteuses, le défe ndeur n’a fourni à l’appui de ses allégations sur
le sujet aucun chiffre étayé par des preuves précises et objectives.
19. Ce nonobstant, la question demeure de savoir dans quelle mesure ces faits présumés
concernant la nature des raids bosniaques sont ex acts, si toutefois certains le sont. Nous nous
efforcerons de répondre à ces questions en nous fondant sur les meilleures sources disponibles en la
matière.
47 20. S’agissant des NationsUnies, les principales sources d’éléments de preuve concernant
les activités de Naser Oric dans les environs de Srebrenica, avant que celle-ci ne soit proclamée
zone de sécurité par les Nations Unies en avril 199 3, sont les décisions rendues par la Chambre de
première instance du TPIY dans le cadre du procès de l’intéressé. Pour ce qui est des raids contre
103
Rapport néerlandais, p.910, note de bas de page5 faisant référence aux do cuments des NationsUnies
A/48/177 et S/25835.
104CR 2006/16, par. 6 (Brownlie); CR 2006/17, par. 283 (Brownlie); CR 2006/18, par. 94 (de Roux). - 40 -
des villages, l’acte d’accusation d’Oric indique que, de mai 1992 à février 1993, des unités armées
musulmanes participèrent à diverses opérations milita ires contre la VRS dans les municipalités de
Bratunac, Srebrenica et Skelani en Bosnie orient ale, et que lors de ces opérations, ces unités
105
incendièrent et pillèrent des villages serbes . Il n’existe, contre M.Oric, aucun fait présumé
d’une campagne menée à grande échelle ou de ma nière systématique contre la population civile
serbe. Il n’existe, contre M.Oric, aucun fait présumé selon lequel des civils serbes auraient été
tués de manière délibérée et transférés de force hor s de ces villages lors des raids. Il n’existe,
contre M. Oric, aucun fait présumé selon lequel lui-même ou ses forces auraient agi conformément
à une politique de nettoyage ethnique.
21. En l’affaire Oric, après la fin de la présentation des moyens à charge, la défense a
présenté une demande d’acquittement, conformément à l’article98bis du règlement du Tribunal.
La Chambre de première instance a prononcé une décision d’acquittement de NasserOric quant
aux charges pesant contre lui pour pillage dans le cadre des opérations. Elle a déclaré, à
l’unanimité :
«Dans des circonstances normales, le fait de soustraire des animaux ou du bétail
serait, sans aucun doute, constitutif de pillage, mais dans les circonstances
exceptionnelles de la présente affaire, cette appropriati on de biens dérobés et de
nourriture était indispensable à la survie de la population de Srebrenica. Les éléments
de preuve présentés par le procureur lu i-même démontrent que, non seulement
Srebrenica était assiégée, mais que, lors de ce siège prolongé, la ville était entièrement
encerclée et isolée et que la population, qui ne cessait de croître en raison de l’afflux
de réfugiés, souffrait de la faim. En out re, il existe un très grand nombre d’éléments
de preuve attestant que, en dépit des a ppels à l’aide répétés et des demandes
d’approvisionnement formulées par les autor ités de Srebrenica, rien ne leur est
parvenu, précisément parce que la ville était encerclée et isolée et que, en
conséquence, rien n’aurait jamais pu parv enir à Srebrenica… Il convient enfin de
souligner qu’il n’existe aucun élément de preuve attestant que le pillage de bétail était
disproportionné eu égard aux circonstances… S’agissant des allégations de vol de
matériel et de postes de télévision, la Chambre de première instance conclut que
leséléments de preuve sont si faibles que , en dépit du fait qu’il existe des preuves
qu’un lit, un canapé et un poste de télévisi on aient pu être dérobés, le caractère de
gravité qui fonde la compétence du Tribunal, conformément à l’article 1 de son Statut,
106
n’est pas établi.» [Traduction du Greffe.]
105 o er
TPIY, Le procureur c . Oric, affaire n IT-03-68, Deuxième acte d’accusation modifié, 1octobre 2005,
chefs 3-6, par. 27.
106TPIY, Le procureur c. Oric, affaire n IT-03-68, mercredi 8 juin 2005, compte rendu d’audience, p. 9031. - 41 -
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, ce pillage dont était accusé NaserOric
faisait partie de l’ensemble de faits que le défendeur a qualifiés d’atrocités. La conclusion du TPIY
48
montre que les actions des forces bosniaques à l’égard des villages serbes étaient largement
motivées par la nécessité légitime de fournir des vivres aux Musulmans de Srebrenica, affamés et
assiégés.
23. Dans l’affaire Oric, la Chambre de première inst ance a également rendu une autre
décision, qui concerne la question des incursions bos niaques et le contexte dans lequel celles-ci se
sont produites. Dans la décision relative a ux premières et aux secondes écritures déposées par la
défense en application de l’ordonnance portant calendrier dans cette affaire, la Chambre de
première instance a estimé que les avocats d’Oric n’ avaient pas besoin de fournir des éléments de
preuve concernant certains fa its, car ceux-ci avaient été «suffisamment évoqués pendant la
présentation de[s] moyens [de l’Accusation] pour qu’ il ne soit pas besoin d’éléments de preuve
supplémentaires». Parmi ces faits figurent :
«⎯ le grand nombre d’attaques lancées par les forces serbes de Bosnie contre des
villages musulmans compris dans le cham p territorial de l’acte d’accusation, y
compris la destruction sans motif et le pillage de villages et hameaux musulmans
et la pose de mines par des forces serbes de Bosnie à l’intérieur et autour de ces
villages et hameaux détruits;
⎯ le meurtre et le traitement cruel de Mu sulmans, civils ou non, par des Serbes de
Bosnie ou des forces serbes de Bosnie;
⎯ la politique de «nettoyage ethnique» menée à l’intérieur et autour de Srebrenica
par les autorités politiques ou militaires serb es de Bosnie avant, pendant et après
les faits;
⎯ la qualité du traitement réservé aux Serbes ⎯ civils ou non, otages ou blessés ⎯
dans des hôpitaux musulmans et par des Musulmans, exception faite des Serbes
mentionnés aux chefs 1 et 2 de l’acte d’accusation;
⎯ la situation de Srebrenica durant la pé riode couverte par l’acte d’accusation, et
notamment le positionnement des forces serbes de Bosnie à l’intérieur et autour de
Srebrenica, qui est restée coupée du reste de la Bosnie-Herzégovine pendant tout
le temps de son siège alors qu’elle était en butte à des bombardements aériens et à
des pilonnages d’artillerie;
⎯ l’afflux de réfugiés dans la ville et l es conditions difficiles dans lesquelles la
population de Srebrenica devait vivre à l’époque des faits, y compris le manque de
nourriture et de soins médicaux, les problèmes d’hygiène et de sécurité ainsi que
les coupures de courant et de téléphone;
⎯ le génocide dont ont été victimes les Musulmans de Srebrenica en 1995; - 42 -
⎯ la supériorité militaire des Serbes de Bosn ie durant la période couverte par l’acte
d’accusation, supériorité qui tenait au fait qu’ils disposaient d’un meilleur
équipement militaire que les Musulmans et bénéficiaient de surcroît du soutien de
l’ex-JNA et de la Serbie;
⎯ le fait que les moyens militaires des Mu sulmans à Srebrenica dépendaient en
grande partie des armes qu’ils pouvaient prendre aux forces serbes de Bosnie; et
⎯ l’urgente nécessité pour les Musulmans d’attaquer les villages et hameaux
49
énumérés dans l’acte d’accusation afin d’essayer de se procurer de la nourriture,
des médicaments et des armes indispen sables à la survie de la population
musulmane à Srebrenica…» 107.
24. Madame le président, tels sont les faits obj ectifs et crédibles sur lesquels la Cour peut
s’appuyer pour examiner les incursions bosniaqu es antérieures à la déclaration de Srebrenica
comme zone de sécurité, en avril1993. Il en r essort une histoire différente de celle que vous a
présentée le défendeur. A Srebrenica, les Musulman s étaient rassemblés en petits groupes, tentant
désespérément de survivre, et, pour survivre, il leur fallait résister et attaquer pour se procurer des
vivres, des médicaments et des armes pour se défendre. Ce n’était pas des agresseurs, ce n’était pas
les auteurs d’une politique de nettoyage ethnique ⎯ils en étaient les victimes. Aucune véritable
base factuelle ne vient donc étayer la thèse du défendeur selon laquelle il se serait agi là d’une
«vengeance».
La démilitarisation de la zone de sécurité de Srebrenica après avril 1993
25. Comme il a été indiqué précédemment, le défendeur a soutenu que, après la déclaration
de Srebrenica comme zone de sécurité par les NationsUnies en avril1993, la 28 edivision de
l’armée bosniaque fut stationnée dans cette enclave, d’où elle lançait des attaques. Le défendeur
prétend donc que le massacre intervenu ensuite était motivé par un désir de vengeance vis-à-vis de
108
ces incursions permanentes ou encore par la volonté d’éliminer une force militaire ennemie .
26. M.Stojanovic a cité le rapport Balkan Battlegrounds comme base pour affirmer que la
e 109
28 division était présente dans la zone de sécurité de Srebrenica . Cette source indique
également que, dès le début de 1995,
107 o
TPIY, Le procureur c. Oric , affaire n IT-03-68, décision relative aux premières et aux secondes écritures
déposées par la défense en application de l’ordonnance portant calendrier, 4 juillet 2005.
108
CR 2006/16, par. 4 (Brownlie) et CR 2006/19, par. 98 (de Roux); CR 2006/19, par. 146-149 (de Roux).
109CR 2006/15, par. 186 (Stojanovic). - 43 -
«les Serbes de Bosnie étaient tout aussi déterminés à s’emparer de l’enclave pour
atteindre leur principal objectif consistant à créer un Etat ethniquement pur en Bosnie
orientale et [qu’]ils devaient le faire rapidement pour libérer des soldats dont la
présence était particulièrement nécessaire sur d’autres fronts» 11. [Traduction du
Greffe.]
27. Aux pages 321 et 322 de cette même source, il est indiqué que les effectifs disponibles de
e
la 28 division étaient au fond inutiles, car ils ne pouva ient disposer que de bien trop peu d’armes.
Entre un tiers et une moitié de ces hommes seulemen t étaient dotés d’armes, de tous ordres. Les
50 armes et les munitions ne furent, à aucun mome nt, en nombre suffisant ou du type adéquat pour
permettre de défendre véritablement la ville. L’armée bosniaque ne faisait pas confiance aux
Nations Unies pour garantir la sécurité de l’enclave; elle était critique à l’égard de la faiblesse des
réactions des casques bleus face aux violations ser bes, parmi lesquelles le bombardement de la
111
zone de sécurité et le blocus d’enclaves entières .
28. Encore une fois, les sources de preuve les plus crédibles sur la question de la
démilitarisation de l’enclave sont celles provenant des Nations Unies. Dans l’affaire Blagojević, la
Chambre de première instance a décrit la situation à Srebrenica telle qu’elle se présentait
immédiatement avant que celle-ci ne soit déclarée zone de sécurité. Elle a jugé que :
«En mars 1993, les forces serbes de Bosnie avançaient rapidement, entraînant la
fuite d’autres civils. Au cours de cette o ffensive, l’enclave de Zepa fut séparée de
celle de Srebrenica. Les Musulmans bos niaques des villages voisins cherchèrent
refuge dans une zone d’environ 150 kilomètres carrés autour de la ville de Srebrenica.
A un certain moment, la population attei gnit, dans cette zone, entre 50000 et
60000personnes. Tandis qu’ils progressai ent, les Serbes de Bosnie détruisaient
l’alimentation en eau et en électricité de la ville de Srebrenica; la population
augmenta, tandis que l’approvisionnement en nourriture et en eau diminuait et que 112
l’hygiène publique et les conditions de vie se détérioraient rapidement.»
[Traduction du Greffe.]
29. Pour répondre à cette urgence humanitaire et parce qu’il craignait de voir les Serbes de
Bosnie s’emparer de l’enclave, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopta, le 16 avril 1993, la
résolution819, exigeant que «toutes les parties et autres intéressés traitent Srebrenica et ses
environs comme une zone de sécurité à l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte
d’hostilité». Il exigea également «la cessation immé diate des attaques armées contre Srebrenica
par les unités paramilitaires serbes de Bosnie et le retrait immédiat de ces unités des environs de
110Balkan Battlegrounds, p. 319.
111
Ibid., p. 321.
112TPIY, Le procureur c. Blagojević, affaire n IT-02-60-T, jugement, 17 janvier 2005, par. 98. - 44 -
Srebrenica». Il exigea encore «que la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie-et-Monténégro) cesse immédiatement la fourniture d’armes, d’équipement et de services de
caractère militaire aux unités paramilitaires se rbes de Bosnie dans la République de
Bosnie-Herzégovine». La résolution ne contenait aucune restriction particulière concernant les
activités de l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine 11.
30. Le 18avril1993, le général Mladic et le général Halilovic signèrent un accord de
démilitarisation. Cet accord avait été négocié sous l’égide de la FORPRONU. Les forces
bosniaques remirent une partie de leurs armes aux casques bleus. Le 21avril, la FORPRONU
publia un communiqué de presse dans lequel elle déclarait que le processus de démilitarisation
51 avait été couronné de succès. Le 25 avril 1993, une mission du Conseil de sécurité arriva à
Srebrenica. Dans leur rapport, les membres de la mission constataie nt que, tandis que la
résolution 819 (1993) avait exigé des Serbes de Bo snie qu’ils prennent certaines mesures, l’accord
de démilitarisation du 18avril1993 avait exigé de s Bosniaques qu’ils dépo sent les armes. Ils
soutenaient le rôle joué par la FORPRONU dans la négociation de l’accord de démilitarisation car,
autrement, il en serait résulté le massacre de 25000 personnes. Les membres de la mission
condamnaient ensuite les Serbes pour avoir perpétré un génocide au ralenti 11.
31. Un autre accord de démilitarisation fut conclu le 8mai1993. Les termes de ce nouvel
accord prévoyaient un désarmement plus complet des forces bosniaques présentes à l’intérieur de
l’enclave et le retrait des armes lourdes et des un ités serbes autour des enclaves. Le 6 mai 1993, le
Conseil de Sécurité adopta la résolution 824 (1993), qui appelait à
«[l]a cessation immédiate des attaques armées et de tout acte d’hostilité contre ces
zones de sécurité, et le retrait de ces zones de toutes les unités militaires ou
paramilitaires des Serbes de Bosnie et leur repli à une distance à laquelle elles cessent
de constituer une menace à la sécurité d es zones en question et à celles de leurs
habitants…».
Comme dans la résolution 819 (1993), toutes les exigences du Conseil de sécurité énoncées dans la
115
résolution 824 (1993) visaient les Serbes de Bosnie .
113
S/RES/819 (1993), 16avril1993: rapport présenté pa r le Secrétaire général en application de la
résolution53/35 de l’Assemblée généra le, daté du 15novembre1999 et intitul«La chute de Srebrenica» (A/54/549)
(«Rapport du Secrétaire général»), par. 55; voir les paragraphes 52 à 58.
114
Rapport du Secrétaire général, par. 59-64.
115Ibid., par. 65-69. - 45 -
32. Le Secrétariat des Nations Unies expli qua à la FORPRONU que, dans la résolution 824
(1993), le Conseil de sécurité avait beaucoup insi sté pour que les Serbes de Bosnie se retirent de
leurs positions menaçant les zones de sécurité. Le Secrétariat indiqua que la conséquence implicite
du second accord de démilitarisation ⎯le désarmement des forces du gouvernement bosniaque
dans un premier temps, suivi d’un retrait serbe ⎯ serait inacceptable par le Conseil de Sécurité 116.
Autrement dit, la communauté internationale éta it d’avis que les Serbes devaient se retirer des
zones entourant l’enclave et que, ensuite seu lement, les forces bosniaques pourraient être
complètement désarmées.
Le PRESIDENT: Pouvez-vous, s’il vous plaît, parler un petit peu plus lentement?
J’entends que les interprètes font de leur mieux mais qu’ils peinent à suivre. Merci.
Mme KARAGIANNAKIS : Je vous prie de m’excuser.
33. Dans la résolution 836, le Conseil de sécurité décida :
«d’étendre … le mandat de la FORPRONU afin de lui permettre, dans les zones de
52
sécurité mentionnées dans la résolution824 (1993), de dissuader les attaques contre
les zones de sécurité, de contrôler le cessez-le-feu, de favoriser le retrait des unités
militaires ou paramilitaires ne relevant pas du Gouvernem ent de la République de
117
Bosnie-Herzégovine…» .
En clair, la présence des forces du gouvernement bosniaque dans la zone de sécurité était
explicitement autorisée par le Conseil de sécurité.
34. Voici ce que le Secrétaire général a conclu , dans son rapport sur la chute de Srebrenica,
concernant la démilitarisation de la zone de sécurité.
«Les Bosniens à Srebrenica ont également été critiqués entre autres parce qu’ils
n’avaient pas rendu toutes leurs armes …, il est exact que le Gouvernement bosniaque
avait conclu des accords de démilitarisati on avec les Serbes. Il l’avait fait avec
l’encouragement de l’Organisation des Nations Unies. S’il est également vrai que les
combattants bosniens à Srebrenica n’avaien t pas rendu toutes leurs armes, ils en
avaient rendu suffisamment pour que la FORPRONU publie le 21avril1993 un
communiqué de presse dans lequel elle décl arait que le processus de démilitarisation
avait été couronné de succès. Conformément à des instructions précises émanant du
Siège de l’ONU à New York, la FORPRONU ne devait pas rechercher les armes
bosniennes avec un zèle excessif et les Serbes devaient retirer leurs armes lourdes
avant que les Bosniens ne rendent à leur t our leurs armes. Les Serbes n’ont en fait
jamais retiré leurs armes lourdes.
116
Ibid., par. 69.
117
S/RES/836 (1993), 4 juin 1993; les italiques sont de nous. - 46 -
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Srebrenica, les experts militaires consultés pour l’établissement du présent rapport
étaient généralement d’accord pour penser que les Bosniens n’auraient pas pu
défendre longtemps Srebrenica face à une atta que concertée, appuyée par des blindés
et des unités d’artillerie. Les Bosniens étai ent une force indisciplinée, mal entraînée,
mal armée et totalement isolée dans la vall ée encombrée de Srebrenica. Ils n’étaient
même pas capables de se former au maniement des quelques armes lourdes qui leur
avaient été livrées clandestinement par leurs au torités. Après plus de trois années de
siège, la population était démoralisée, effrayée et souvent affamée. Le seul chef d’une
certaine envergure était absent lors de l’ offensive. Les Serbes de Bosnie les
encerclaient, contrôlant toutes les hauteu rs, superbement équipés, avec les armes
118
lourdes et le dispositif logistique de l’armée yougoslave. Les dés étaient jetés.»
35. Madame le président, d’après ces conclusi ons du Secrétaire général, le fait que les
principales forces du Gouvernement bosniaque n’ aient prétendument pas rendu toutes leurs armes
ne pouvait pas, et ne saurait, être utilisé comme prétexte pour justifier l’attaque de Srebrenica.
36. Le Secrétaire général des Nations Unies est également parvenu à la conclusion suivante
concernant les incursions à partir des zones de sécurité.
«On a aussi accusé les Bosniens qui défendaient Srebrenica d’avoir provoqué
l’offensive serbe en attaquant à partir de cette zone de sécurité. Même si les sources
internationales ont maintes fois répété cette accusation, aucune preuve crédible ne
53 vient l’étayer. Les membres du bataillon néerlandais qui étaient sur le terrain à
l’époque ont estimé que les quelques «incursions» lancées par les Bosniens à partir de
Srebrenica étaient d’une importance négligeable, voire nulle sur le plan militaire. Ces
incursions étaient souvent organisées pour se procurer des vivres, les Serbes ayant
refusé que les convois humanitaires pénètrent dans l’enclave. Les Serbes contactés
lors de l’établissement du présent rapport ont convenu que les forces bosniennes à
Srebrenica ne représentaient pour eux aucune véritable menace militaire… Les Serbes
n’ont cessé d’exagérer l’ampleur de ces incursions afin d’avoir ainsi un prétexte pour
poursuivre leur principal objectif, à sa voir créer un territoire géographiquement
contigu et ethniquement pur le long de la Drina, tout en libérant des troupes qui
pourraient aller se battre ailleurs. Le fait que les protagonistes et observateurs
internationaux ont accepté naïvement ce pr étexte montre que nombreux étaient ceux
qui ont affirmé, pendant trop longtemps, que les torts étaient partagés dans ce
conflit.»119
37. Encore une fois, nous constatons que les allégations du défendeur manquent de
consistance. Ces incursions conduites par les dé fenseurs de Srebrenica ét aient souvent organisées
pour se procurer des vivres, car les Serbes ét ranglaient Srebrenica et empêchaient l’aide
humanitaire d’arriver. Les Serbes ont exagéré l’am pleur de ces incursions afin d’avoir un prétexte
pour créer un territoire ethniquement pur le long de la Drina.
118
Rapport du Secrétaire général, par. 475-476.
119
Ibid., par. 479. - 47 -
38. La thèse adoptée par le défendeur pour l’en semble de cette affaire repose effectivement
sur ces «torts partagés» mentionnés par le Secrétaire général. Ces allégations et exagérations non
corroborées furent utilisées, à l’époque, comme un prétexte au génocide; elles sont à présent
transformées et réitérées devant vous. Même si ces allégations étaient vraies, pouvaient-elles
jamais justifier ou excuser qu’il y soit répondu par un génocide ?
39. Ce constat fait par l’Organisation des Nati ons Unies s’inscrit dans la droite ligne des
conclusions factuelles du TPIY. Dans l’affaire Krstic, la défense a avancé les mêmes arguments de
base que ceux que le défendeur invoque en l’espèce. Le TPIY les a rejetés.
40. Dans l’affaire Krstic, la défense a prétendu que la vengeance ou le fait que les forces
bosniaques n’avaient prétendument pas rendu toutes le urs armes pourrait expliquer le massacre de
120
Srebrenica . La Chambre de première instance a examiné les crimes qu’auraient commis les
forces bosniaques contre la population serbe, le fait qu’elles n’auraient pas rendu toutes leurs armes
et les allégations d’incursions ultérieures à par tir de l’enclave de Srebrenica. La Chambre de
première instance a estimé que l’opération Krijava, c’est-à-dire le plan d’attaque de Srebrenica,
«ne s’[était] toutefois pas limitée à une simple action de représailles. Son objectif, qui
au départ se limitait au blocage des comm unications entre les deux enclaves et à la
réduction de l’enclave de Srebrenica à son centre urbain, a été rapidement élargi.
Constatant l’absence de résistance de la pa rt des forces musulmanes de Bosnie ou de
la communauté internationale, le président Karadži ć a ensuite élargi l’objectif de
l’opération, en donnant l’ordre, le 9 juillet, de prendre la ville. Le 11 juillet, la ville de
54 Srebrenica est tombée aux mains des Serb es de Bosnie, ce qui a poussé vingtmille à
vingt-cinqmille réfugiés musulmans à fuir vers Poto čari. L’opération Krivaja 1995
est alors devenue l’un des instruments de la politique destinée à chasser la population
musulmane de Bosnie.» 121
41. Dans l’affaire Krstic, la défense a également prétendu que le massacre de Srebrenica était
motivé par un désir d’éliminer une force militaire ennemie et que, par conséquent, il ne remplissait
pas la condition d’intention constitutive du génocide. Cet argument a été examiné et rejeté en
appel. La raison de ce rejet est que les forces serbes ont tué aussi bien des civils que des militaires,
120
TPIY, Le Procureur c. Krstic, affaire n° IT-98-33-T, 29 juin 2001, compte rendu d’audience, p. 10155-10157.
121
Ibid., 2 août 2001, jugement, par. 568. - 48 -
des valides que des handicapés, qu’elles ont opéré de façon aveugle et que, par conséquent, les
auteurs de ces crimes ne cherchaient pas seulement à détruire une menace militaire mais à éliminer
122
les Musulmans bosniaques de Srebrenica .
42. En un mot, ces sources des Nations Unies se rejoignent pour rejeter les exagérations et
les prétextes invoqués pour justifier l’attaque de Srebrenica. Les forces serbes, qui ont ensuite
massacré les hommes et les garçons, terrorisé et expul sé les femmes et les enfants, ne le faisaient
pas pour se débarrasser des forces militaires adverses ni pour se venger. Au contraire, les
événements de Srebrenica constituèrent le point culminant d’une politique serbe de nettoyage
ethnique déjà ancienne visant la Bosnie orientale, politique qui a finalement été mise en Œuvre de
sang-froid, de manière organisée et planifiée.
La campagne de terreur et le transfert forcé de femmes, d’enfants et de vieillards musulmans
de Bosnie
43. Madame le président, Messieurs les juges, le défendeur a également avancé un certain
nombre d’assertions et d’arguments d’ordre factuel à l’appui de sa thèse selon laquelle les
événements de Srebrenica ne constituent pas un gé nocide. Ainsi a-t-il qualifié d’»évacuation»
l’expulsion massive de femmes, d’enfants et de personnes âgées, mis en doute le nombre des
personnes tuées et également contesté la présence de civils parmi les victimes des exécutions de
masse.
44. Dans son récit sur les événements de Sreb renica, M. de Roux s’est intéressé au sort des
civils. Il a déclaré que, dans son arrêt en l’affaire Krstic, la chambre d’appel du TPIY avait conclu
que les civils avaient «p[u] rejoindre le territo ire tenu par les Musulmans bosniaques à travers un
123
corridor» et être «évacués» . Ce n’est ni ce que dit le l’arrê t, ni ce qui s’est produit. Dans
55 l’affaire Krstic, la chambre d’appel a confirmé que le so rt qu’avaient connu les dizaines de milliers
de femmes, d’enfants et de personnes âgées après la chute de Srebrenica constituait un «transfert
124
forcé» .
122
Ibid., 19 avril 2004, jugement, par. 26-27.
123CR 2006/18, par. 95 et 104 (de Roux).
124TPIY, Le procureur c. Krstic , affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19avril2004, par.31 et33; TPILe procureur
c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 532. - 49 -
45. Dans cette affaire, la Chambre de première instance a minutieusement décrit le lot de ces
personnes. Après la prise de Srebrenica, des m illiers de Musulmans de Bosnie qui habitaient
l’enclave s’enfuirent ve rs Potocari pour chercher refuge et protection dans le bâtiment des
NationsUnies. Dans la soirée du 11juillet199 5, entre vingt et vingt-cinqmille réfugiés
musulmans de Bosnie étaient rassemblés à cet endr oit. Plusieurs milliers s’étaient agglutinés au
sein même du bâtiment des Nations Unies, tandis que les autres étaient disséminés dans les usines
et dans les champs voisins. Il s’agissait pour l’essentiel de femmes, d’enfants et de personnes
âgées ou handicapées 125.
46. Les conditions y étaient épouvantables. Il y avait peu de nourriture et d’eau. La
population était paniquée et terrifiée, et, de son refuge, pouvait entendre les tirs de soldats
embusqués et les explosions d’obus. Au cours de la journée du 12 juillet, les conditions se
dégradèrent encore et les réfugiés furent soumis à une campagne active de terreur. Ils voyaient des
soldats serbes incendier des maisons et des meules de foin. Ces derniers leur disaient qu’ils allaient
être massacrés et qu’ils étaient en territoire serbe. Il y avait des meurtres. La terreur des gens
monta encore d’un cran à la tombée de la nuit. D es hurlements, des coups de feu et d’autres bruits
terrifiants retentirent toute la nuit. Les soldat s sortaient certaines personnes de la foule et les
emmenaient. Dans un cas, dont il est fait état dans le jugement Krstic, un témoin a relaté comment
trois frères ⎯ dont l’un n’était encore qu’un enfant et les autres étaient adolescents ⎯ avaient été
emmenés pendant la nuit. Lorsque la mère des garçons est partie à leur recherche, elle les a trouvés
126
égorgés . Certaines personnes étaient en proie à un désespoir tel qu’elles se suicidèrent en se
pendant 127.
47. Les 12 et 13 juillet 1995, le corps de la Drina conduisit les femmes, les enfants et les
personnes âgées en dehors de Potocari pour gagner le territoire tenu par les Musulmans de Bosnie.
La plupart d’entre eux ne savaient même pas où on les emmenait. Surtout, ils n’avaient pas leur
mot à dire. Ils devaient partir. Les soldats serbes les frappaient et les maltraitaient au moment de
leur montée dans les autocars. Une fois descendus des cars, ils durent marcher pendant plusieurs
125 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 37.
126 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 41-44.
127Ibid., par. 45-46. - 50 -
56 kilomètres à travers un «no-man’s land» pour gagner le territoire bosniaque. Le 13 juillet 1995 au
soir, il ne restait plus un seul civil musulman bosni aque à Potocari. Le 14 juillet, les soldats de
128
l’ONU arrivés à Srebrenica n’y trouvèrent aucun Musulman bosniaque vivant .
48. M. de Roux a également semblé laisser ente ndre que, la force de maintien de la paix des
NationsUnies ayant participé à ce transfert for cé de population, cela signifiait en quelque sorte
qu’aucune intention génocide ne pouvait être déduite de cette expulsion 129.
49. Des soldats du contingent néerlandais (le «DutchBat») tentèrent d’escorter les cars
transportant les civils musulmans de Bosnie hors de Potocari. Ils ne furent autorisés qu’à
accompagner le premier convoi de réfugiés, le 12 ju illet 1995, après quoi ils furent arrêtés et leurs
véhicules dérobés sous la menace d’armes. D’après le commandant en second du DutchBat, ce
sont les soldats serbes de Bosnie qui les arrêtè rent, «[p]arce qu’ils ne voulaient avoir personne à
130
côté. Cela me semble évident… Nous ne devions pas être témoins de ce qui arrivait.» Le fait
que l’Organisation des NationsUnies ait tenté de protéger ces personnes ne légitime pas le
«nettoyage» et le transfert forcé de ces femmes, de ces enfants et de ces personnes âgées, pas plus
qu’il ne légitime l’intention génocide que l’on peut en déduire.
50. Enfin, M.de Roux a prétendu que si la proposition d’évacuer l’enclave, qui avait été
formulée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, «avait été acceptée
[quelques mois auparavant], de nombreuses vies au raient été sauvées. Or, la proposition [du HCR
ne fut pas] acceptée et son rejet [ne fut] que la c onséquence directe de la lutte des parties au conflit
pour la conquête des territoires.» 131
51. Effectivement, le 2 avril 1993, le haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
avait écrit au Secrétaire général en lui indiquant que la population de Srebrenica était convaincue
que les Serbes de Bosnie allaient s’employer à at teindre leur objectif militaire, qui était de prendre
le contrôle de l’enclave. Il notait que l’év acuation des non-combattants de Srebrenica était une
solution, et que ceux-ci voulaient fuir à tout prix pour se mettre en lieu sûr parce qu’ils se sentaient
128Ibid., par. 48-52.
129
CR 2006/18, par. 98, 104-105 (de Roux).
130TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 50.
131CR 2006/18, par. 98, 104-105 (de Roux). - 51 -
condamnés à périr s’ils restaient sur place. Le haut commissaire soulignait toutefois que les
57 autorités du Gouvernement de Bosnie étaient opp osées à la poursuite de l’évacuation de ces
personnes, qui visait selon elles à vider la ville de ses femmes et enfants afin de faciliter une
132
offensive serbe par la suite .
52. Madame le président, l’argument avancé par M. de Roux est extraordinaire. Il revient à
blâmer les autorités de Bosnie pour les transf erts forcés de leur propre population hors de
Srebrenica en juillet 1995 au motif qu’elles avaient refusé la prétendue «évacuation» des intéressés
en 1993. Si l’on suit cette logique perverse, c’est la victime sans défense qu’il faut blâmer pour ne
pas avoir accepté de quitter calmement son foyer avant d’y subir un nettoyage ethnique.
53. Quoi qu’il en soit, et comme le Secrétaire général le souligne dans son rapport, c’est le
Conseil de sécurité qui finit par rejeter l’«év acuation» proposée en 1993 et qui condamna plutôt
«les actions délibérément menées par la partie serbe de Bosnie pour contraindre la population civile
à évacuer Srebrenica et ses environs ainsi que d’autres régions de la République de
Bosnie-Herzégovine dans le cadre de sa monstrueuse campagne de «nettoyage ethnique»» 13.
54. Madame le président, Messieu rs de la Cour, dans l’affaire Krstic, la Chambre de
première instance a conclu que cette expulsion représentait un transfert forcé et que ce transfert, s’il
ne constituait certes pas un acte de génocide en lui-même, n’en démontra it pas moins l’intention
d’éliminer les Musulmans de Srebrenica avec le reste de la communauté musulmane de
Bosnie-Herzégovine 13. La chambre d’appel du TPIY l’a confirmé et a expliqué pourquoi
l’intention génocide ⎯ je dis bien, pourquoi l’intention génocide ⎯ de détruire les Musulmans de
Srebrenica pouvait effectivement être déduite de l’expulsion massive conjuguée aux meurtres. Elle
a confirmé que :
«le transfert forcé pouvait être un autre moyen de parvenir à la destruction physique de
la communauté des Musulmans à Srebrenica. Le transfert complétait l’évacuation de
tous les Musulmans de Srebrenica, écartant même pour la communauté musulmane de
la région la possibilité qui lui restait de se reconstituer.» 135
132
Rapport du Secrétaire général, par. 59.
133NationsUnies, résolution 819 (1993) du Conseil de sécu rité en date du 16 avril 1993; rapport du Secrétaire
général, par. 57.
134TPIY, Le procureur c. Krstic , affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 595; TPIY, Le procureur
c. Krstic, affaire nT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 31 et 33.
135TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 31. - 52 -
Le bilan des victimes des meurtres
55. Le défendeur a également contesté le nomb re des personnes tuées à la suite de la chute
de Srebrenica. M. de Roux a reconnu que le TPIY avait conclu qu’entre sept et huit mille hommes
58 et garçons avaient été tués après la chute de l’enclave, ce qui ne l’a pourtant pas empêché de mettre
136
cette conclusion en doute en se réclamant d’un acte d’accusation du TPIY et d’un article .
56. Relevons d’emblée qu’il s’agit là d’un argument profondément odieux qui consiste à nier
l’existence de milliers de victimes de Srebrenica.
57. En tout état de cause, l’argument avancé par M.de Roux est dépourvu de tout
fondement. L’article de presse dont il s’est prévalu a été écrit par un certain M.McKenzie, qui
n’était pas sur les lieux à l’époque des faits et qui n’est pas démographe. Cet article tient en une
page tirée de l’Internet et n’indique aucune source. Il ne donne rien de plus que le point de vue
d’une personne, sous la forme d’un éditorial. L’ acte d’accusation cité par M.de Roux, qui a été
établi contre Mladic, ne contient pas le chiffre de cinq mille trois cent quatre-vingt-dix personnes
137
tuées qu’il a lui-même donné . Le conseil a de toute éviden ce additionné les chiffres cités à
l’annexe B de l’acte d’accusation. Cette annexe donne des chiffres modestes et approximatifs pour
certains des sites d’exécution, mais non tous les sites. Ceux qui sont évoqués dans cet acte
d’accusation, celui de Mladic, ont fait l’objet de conclusions factuelles dans les affaires Krstic et
Blagojevic, dans lesquelles les juges ont entendu et vu les preuves pertinentes et ont établi le chiffre
exact. Dès lors, les calculs macabres et grossiers de M.de Roux ne peuvent tout simplement pas
être utilisés pour prétendre que moins de sept à huit mille personnes ont été tuées suivant la chute
de Srebrenica.
58. De plus, le défendeur utilise les sources d’une manière contradictoire en l’espèce.
M.Obradovic a affirmé plus tôt que des actes d’ accusation et des articles de presse ne pouvaient
pas être invoqués comme des sources de preuve devant la Cour 138. Pourtant, M. de Roux s’est servi
précisément de ces sources pour contester une conclusion adoptée dans l’affaire Krstic par la
139
Chambre de première instance puis confirmée par la chambre d’appel du TPIY .
13CR 2006/18, par. 67 (de Roux).
137
CR 2006/18, par. 67 (de Roux).
13CR 2006/12, p. 31, par. 39, p. 37, par. 67 (Obradovic).
13TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 2. - 53 -
59. Le chiffre constaté par la Chambre de première instance dans l’affaire Krstic et confirmé
en appel est un chiffre totalement fiable et cr édible. Il est basé sur un rapport démographique
détaillé qui a été établi par M.Brunborg, lequel a modestement estimé que, au bas mot,
sept mille quatre cent soixante-quinze personnes de Srebrenica étaient portées disparues d’après les
59 listes du CICR. Ce chiffre a été corroboré par d es preuves médico-légales recueillies lors de
l’exhumation de charniers qui ont été mis au j our jusqu’au moment du procès. Mieux: il est
conforté par des déclarations faites par le prin cipal exacteur lui-même, l’armée de la Republika
140
Srpska . Enfin, les meurtres sont corroborés par les témoignages des survivants. Ce chiffre a
encore été confirmé très récemment dans l’affaire Blagojevic par la Chambre de première instance,
qui a conclu que plus de sept mille hommes mu sulmans de Srebrenica avaient été massacrés 14.
Outre ces sources, la Republika Srpska a adopté un rapport établi par sa propre commission
d’enquête sur les événements de Srebrenica, qui a elle aussi estimé que huit mille Bosniaques
142
avaient été liquidés après la chute de Srebrenica .
Les civils étaient la cible des meurtres
60. Lorsqu’il a tenté de prouver sa théorie sel on laquelle il n’y aurait pas eu de génocide à
Srebrenica, M.de Roux a également contesté que les hommes massacrés à la suite de la chute de
l’enclave aient vraiment été des civils. Cita nt un extrait du jugeme nt rendu dans l’affaire
Blagojevic, il a prétendu que c’étaient les hommes en âge de porter les armes, ainsi que des
e
membres de la 28 division de l’armée de Bosnie-Herzégovine, qui avaient reçu l’ordre de quitter
l’enclave pour tenter de faire une percée dans les lignes serbes 14.
61. Or, si l’on prend l’ensemble des paragra phes du jugement qui portent sur la fuite de la
colonne, on y trouve un tout autre récit. Le récit d’un désespoir. D’après la Chambre de première
instance, la colonne s’est formée par le bouche à oreille, car la communauté craignait que ses
hommes ne soient tués s’ils tombaient aux mains d es Serbes. Prendre la fuite était leur seule
140 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 80-84.
14TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, par. 671.
1426 rapport présenté au Secrétaire général de l’Organisati on des Nations Unies par le haut représentant chargé
de l’application de l’accord de paix (XIII). La commission Srebreni ca ht://www.ohr.int/other-doc/
hr-reports/default.asp?content_id=33537.
14CR 2006/18, par. 96 (de Roux). - 54 -
chance de survivre. Ils ne sont pas partis en application d’un ordre, mais d’une décision des
dirigeants militaires et civils. La colonne ét ait constituée de dix à quinzemille Musulmans de
Bosnie. Il s’agissait surtout d’hommes et de ga rçons de 16 à 65 ans parm i lesquels se trouvaient
quelques femmes, enfants et personnes âgées 14.
62. Dans l’affaire Blagojevic, la Chambre de première instance a ajouté :
60
«L’attaque était manifestement dirigée contre la population civile musulmane
de Bosnie qui était établie dans l’enclave de Srebrenica. La Chambre de première
instance a reçu des preuves démontrant que la 28 division de l’armée de
Bosnie-Herzégovine se trouvait dans l’enclav e de Srebrenica et que des membres de
cette division figuraient parmi les hommes formant la colonne. Toutefois, la Chambre
constate que le nombre estimé de soldat s de l’armée de Bosnie-Herzégovine qui
étaient présents dans l’enclave et dans la colonne, soit entre mille et quatremille
soldats, n’est pas suffisamme nt élevé pour ôter à la popul ation son caractère civil
puisque, dans leur grande majorité, les personnes présentes dans l’enclave même et
145
dans la colonne étaient des civils.» [Traduction du Greffe.]
63. Les craintes de la population bosniaque se c onfirmèrent et ceux qui furent capturés dans
cette colonne furent tués: civils ou militaires, vieux ou jeunes, valides ou handicapés, toutes les
146
personnes capturées devaient être tuées . C’était une campagne sans merci.
64. Nous avons déjà décrit l’efficacité et le sang-froid avec lesquels l’opération
d’extermination fut menée, démontrant par là la mise en Œuvre d’un plan militaire préalablement
établi. Il s’agissait d’une opération d’extermina tion à la chaîne. Les hommes étaient transportés
dans des lieux de détention ou des écoles dans lesque ls ils étaient tenus sous surveillance. Nombre
d’entre eux avaient les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Ils étaient emmenés dans
les «champs de la mort». Les groupes étaient fauchés l’un après l’autre. Au même moment, les
corps étaient ensevelis au bouteur. La principa le opération d’extermination fut achevée en moins
d’une semaine. Par miracle, une poignée de personnes a survécu, généralement en se cachant sous
des cadavres, et a pu témoigner.
65. Dans l’affaire Blagojevic, l’un des survivants a décrit à la Chambre de première instance
ce qui s’était produit le 14 juillet 1995 sur le site d’exécution d’Orahovac :
144 o
TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, par. 218-220.
145
Ibid., par. 552.
146TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 75 et 85, note 155. - 55 -
«Nous sommes descendus du camion, et on nous a dit de nous aligner le plus
vite possible. Lorsque nous l’avons fait, j’étais avec mon cousin Hariz, et nous nous
tenions la main. Il a dit qu’ils allaient nous tuer. Je lui ai répondu qu’ils ne le feraient
pas. Avant même que mon cousin ait terminé sa phrase, le feu de salve a
commencé… Les balles ont tué mon cousin. Il criait, hurlait. Je suis tombé à terre.
Il est tombé sur moi. C’est à ce moment-là que les cris et les gémissements des
blessés ont commencé…Ensuite, ils ont continué à amener davantage d’équipes,
davantage de groupes. Ils ont continué à exécuter les blessés qui hurlaient.» 147
[Traduction du Greffe.]
66. Enfin, dans le procès Krstic, la Chambre d’appel a également conclu que les hommes
capturés étaient tués sans distinction d’âge ou de statut: «Elles [les forces serbes de Bosnie] ont
dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les soldats, les civils, les vieillards et les
61 enfants de leurs effets personnels et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée
148
et méthodique du seul fait de leur identité.»
Planification
67. M. Brownlie a démenti «l’existence d’ un plan qui [se serait] accompagné d’un
149
quelconque credo politique», arguant qu’elle «n’appara[issait] jamais» . Si nous avons bien saisi
son propos, la thèse du défendeur c onsiste à affirmer qu’à défaut d’un bout de papier où seraient
couchés en toutes lettres le plan et le credo poli tique l’accompagnant, l’on ne saurait déduire qu’un
génocide ait été commis. Cette thèse doit être écartée, tant du point de vue du droit que des faits.
68. Premièrement, l’existence d’un document écrit attestant un plan n’est pas l’une des
composantes juridiques du crime de génocide. Deuxièmement, et nonobstant ce qui précède, dans
le cas de Srebrenica, une stratégie politique et un pl an et un plan ont bien existé. La Cour est
fondée à conclure, et la Cour doit conclure, qu’une politique était à l’oeuvre depuis longtemps, dont
l’objectif était le nettoyage ethnique de l’est de la Bosnie, et de Srebrenica en particulier. C’est en
application de cette politique, ainsi que du pl an prévoyant l’extermination des hommes et
adolescents de sexe masculin et l’expulsion du reste de la population musulmane, qu’ont été
perpétrées les massacres et qu’il a été procédé aux déplacements forcés. Telle est la conclusion que
la Cour devrait tirer, en se fondant sur les fa its, non contestés, que nous avons présentés au début
147 o
TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, par. 327.
148 o
TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 37.
149CR 2006/21, par. 10-11 (Brownlie). - 56 -
de nos plaidoiries, ainsi que sur les conclusi ons factuelles pertinentes relatives aux crimes
eux-mêmes énoncées dans les documents de l’Organisation des Nations Unies, et notamment celles
auxquelles est parvenu le TPIY.
69. Dans l’affaire Krstic, la Chambre d’appel du TPIY a jugé qu’une intention génocide
pouvait s’inférer des circonstances factuelles des cr imes eux-mêmes, et ce, même lorsque les
individus auxquels cette intention pouvait être prêtée n’étaient pas précisément identifiés. 150
70. La Chambre d’appel a conclu que, dans le cas de Srebrenica, les circonstances factuelles,
telles qu’établies par la Chambre de première instan ce en l’affaire permettaient de déduire que les
hommes musulmans de Bosnie avaient été tués avec une intention génocide. Elle a dit :
«[L]’ampleur des exécutions, la conscience que l’état-major principal de la VRS
avait des conséquences préjudiciables qu’elles auraient pour la communauté
musulmane de Srebrenica, et les autres mesu res prises par l’état-major principal afin
de détruire physiquement cette communa uté suffisent pour conclure à l’existence
62 d’une intention spécifique. La Chambre d’appel souscrit à la conclusion de la
Chambre de première instance selon laquelle les meurtres ont été orchestrés par des
membres de l’état-major principal de la VRS qui en ont aussi assuré la supervision. Si
la Chambre de première instance n’a pas prêté d’intention génocidaire à tel ou tel
officier de l’état-major principal, c’est peut-être pour ne pas retenir la responsabilité
individuelle de personnes qui ne sont pas mises en accusation dans ce procès.
Cependant, cela ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle les forces serbes de
Bosnie ont commis un génocide contre les Musulmans de Bosnie.» 151
71. Au massacre des hommes et des adolescen ts et à l’expulsion des femmes et de la
population civile s’ajoute un autre fait dont la Cour peut déduire une intention génocide: la
destruction des biens religieux et culturels de la communauté musulmane de Srebrenica. En
l’affaire Krstic, la Chambre de première instance a considéré la destruction délibérée de mosquées
152
et de maisons comme une preuve de l’intention de détruire le groupe. La Cour a entendu
M. Riedlmayer expliquer qu’après la prise de Srebrenica par les forces serbes en juillet 1995,
«toute trace du patrimoine musulman a également été détruite à Srebrenica. Les
cinqmosquées de la ville, qui étaient tout es encore en état lo rsque Srebrenica est
tombée, ont été détruites, tout comme les archives religieuses qui retraçaient l’histoire
de la communauté musulmane de la ville et recensaient ses biens.» 153
150TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 34.
151
Ibid., par. 35.
152
Ibid., jugement, 2 août 2001, par. 580.
153CR 2006/22, par. 59 (Riedlmayer). - 57 -
72. M. de Roux a lui aussi argumenté sur le pl an à l’origine des événements de Srebrenica.
Il a prétendu que «les juges du Tribunal…[avaient] fait courir l’intention génocidaire à partir du
12 juillet 1995» et soutenu, en se fondant sur cette assertion, que les objectifs stratégiques du
peuple serbe, qu’il assimile à un plan, «échapp[aient] tout à fait à cette intention génocidaire telle
qu’elle a été établie par le Tribunal» 154.
73. Toutefois, cette référence n’apparaît pas dans le paragraphe de l’arrêt rendu par la
Chambre d’appel en l’affaire Krstic que cite le défendeur 15. Aucun des arrêts ni jugements du
TPIY relatifs à Srebrenica ne datent précisément la formulation initiale du projet génocidaire. La
Chambre de première instance n’a ainsi, en l’affaire Krstic, «pu déterminer la date précise à
laquelle il a été décidé de tuer tous les hommes en âge de porter les armes». Elle n’en a pas moins
été «convaincue que les exécutions de masse et autres massacres commis à partir du 13juillet
faisaient partie intégrante du plan» 156. Dans le jugement rendu en l’affaire Blagojevic, la Chambre
de première instance est allée plus loin dans ses conclusions factuelles, en se déclarant
63 «convaincue que les actes criminels commi s par les forces serbes de Bosnie
s’inscrivaient tous dans un projet unique prévoyant le génocide des Musulmans de
Bosnie de Srebrenica, ainsi qu’il resso rt de l’opération «Krivaja 95» [du
2 juillet 1994], dont l’objectif final était d’ anéantir l’enclave et, ainsi, sa communauté
musulmane bosniaque…» 157[traduction du Greffe].
74. Notons que la Chambre de première instance a évoqué, en l’affaire Krstic comme en
l’affaire Blagojevic, les objectifs stratégiques comme partic ipant du contexte factuel pertinent
158
s’agissant des événements survenus à Srebrenica en 1995 . A cet égard, elle a jugé que
«[l]’objectif des Serbes de Bosnie dans ce conflit a[vait] été clairement exposé,
notamment dans une décision publiée le 12mai1992 par Momcilo Krajišnik, alors
président de l’Assemblée nationale du peuple serbe de Bosnie. Cette décision indique
que l’un des objectifs stratégiques du peupl e serbe de Bosnie-Herzégovine était de
réunir tous les Serbes dans un seul Etat, not amment en supprimant la frontière qui, le
159
long de la Drina, séparait la Serbie de la Bosnie orientale…»
154CR 2006/19, par. 275 (de Roux).
155TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004, par. 93.
156
Ibid., jugement, 2 août 2001, par. 573.
157 o
TPIY, Le procureur c. Blagojevic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, par. 674.
158Ibid., par. 96.
159TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 562. - 58 -
75. M. de Roux a également affirmé que les directives 7 et 7.1 ne contenaient aucune
160
intention génocide . A ce propos, nous invitons la Cour à se pencher sur les mots mêmes
employés par Karadži ć dans la directive7: «créer une situ ation insoutenable d’insécurité totale
dans laquelle aucun espoir de survie ou de vie ne sera permis a ux habitants des deux enclaves».
L’on conçoit mal comment, sauf à reprendre les te rmes mêmes de la convention sur le génocide,
une directive pourrait dénoter plus clairement une intention génocide.
76. Et on le conçoit plus malaisément encore lorsque l’on songe que les forces serbes
auxquelles étaient destinée cette directive ont, par la suite, organisé, planifié et perpétré le massacre
des hommes et des adolescents de Srebrenica. Que Karadži ć ait bien eu l’intention de commettre
e
ce génocide trouve confirmation dans sa déclaration devant la 54 Assemblée de la Republika
Srpska, tenue les 15-16 octobre 1995 ⎯ déclaration qui se lit comme suit : «Je … suis allé trouver
le général Krstić et je lui ai dit d’entrer dans la ville et de proclamer la chute de Srebrenica, après
quoi nous poursuivr[i]ons les Turcs à travers bois. J’ai donné mon aval à cette mission radicale et
je n’en éprouve aucun remords.» 161
64
Participation de la RFY à Srebrenica
77. Il nous reste à traiter un dernier point de l’argumentation du défendeur : l’implication de
Belgrade dans les événements de Srebrenica. M. Brownlie a soutenu que le Gouvernement de la
RFY n’avait pas «formulé un plan prévoyan t le génocide…ni adhéré à un tel plan» 162, pas
davantage qu’il n’avait participé à la planification ou à l’exécution des meurtres de Srebrenica 16.
78. Le défendeur évoque, pour étayer cette thèse, l’absence, dans diverses sources,
d’éléments prouvant l’implication de Belgrade. Les trois premières sources citées sont le jugement
et l’arrêt rendus, respectivement, par la Chambre de première instance et la Chambre d’appel en
164
l’affaire Krstic, ainsi que le jugement de la Chambre de première instance en l’affaire Blagojevic .
160CR 2006/19, par. 27 (de Roux).
161«The Assembly of Republika Srpska, 1992-1995: Highli ghts and Excerpts», Dr. Robert J. Donia, document
soumis le 29 juillet 2003; pièce no537; TPIY, Le procureur c. Milosevic , affaire n IT-02-54-T, p. 83; TPIY, Le
procureur c. Milosevic , affaire n IT-02-54-T, décision relative à la re quête aux fins d’obtenir un jugement
d’acquittement, 16 juin 2004, par. 245.
162CR 2006/17, par. @260 et 262-263@ (Brownlie).
163Ibid., par. 267 (Brownlie).
164
Ibid., par. 166-169 et 279 (Brownlie). - 59 -
Ces formations du TPIY n’avaient toutefois pas ét é saisies de la questi on de l’implication de
Belgrade, et les éléments de preuve s’y rappor tant ne lui avaient donc pas été soumis. Aussi
n’est-il pas surprenant qu’elles ne formulent aucune conclusion à cet égard.
79. Autre source qui, d’après M. Brownlie, n’incriminerait pas Be lgrade: le rapport
165
néerlandais sur Srebrenica. Toutefois, ce rapport ne se prétend nullement exhaustif . En outre,
un rapide coup d’Œil à la liste des sources sur lesquelles il s’appuie suffit pour comprendre que ses
auteurs ne disposaient pas de la totalité des pre uves de l’implication de Belgrade que nous avons,
nous, soumises à la Cour.
80. Le document intitulé Balkan Battlegrounds prouverait également, d’après le défendeur,
que l’armée et les forces de sécurité de Belgrade n’ont pas pris part aux atrocités commises à
166
Srebrenica . Toutefois, l’extrait que nous a fourni le défendeur indique au contraire que l’armée
yougoslave et les forces de la sécurité d’Etat ser be (MUP) pourraient avoir joué un rôle dans la
bataille de Srebrenica. Avant le passage évoqué, on lit en effet ceci :
«Des informations émanant de responsables de l’Organisation des
Nations Unies et de survivants bosniaques donnent à penser que des soldats de l’armée
yougoslave (VJ) (probablement des memb res de formations d’élite, comme la
e e
63 brigade aéroportée ou la 72 brigade opérationnelle spéciale) ainsi, peut-être, que
des éléments de l’unité opérationnelle spéciale («Bérets rouges») du département de la
sécurité d’Etat serbe (RDB), pourraient avoir pr is part à la bataille de Srebrenica. Les
forces de l’armée bosniaque ont cité le cas d’une jeep qu’elles avaient capturée, dotée
d’une plaque d’immatricula tion de l’armée yougoslave ⎯ N2660 ⎯, comme preuve
de l’implication directe de forces de la VJ dans les combats, bien qu’il prouve
seulement que du matériel de la VJ était utili sé sur l’autre rive de la Drina. Qu’une
assistance ait, sous une forme ou sous une autre, été prêtée par la VJ et le RDB cadre
65 également avec le fait que les objectifs politiqu es et la stratégie militaire en Bosnie et
en Krajina serbe ont, pendant l’année 1995, été étroitement coordonnés, et planifiés
entre le président Milosevic et le général Mladic. Des éléments de ces mêmes unités
avaient prêté main fort167ux Serbes de Bosn ie à d’autres moments et dans d’autres
parties de la Bosnie.» [Traduction du Greffe.]
81. M. Brownlie a cité le témoignage présenté par Zoran Lilic devant le TPIY dans le cadre
du procès de Milosevic, qui prouverait, selon lui, que Milosevic n’a joué aucun rôle dans les
événements de Srebrenica 168. Zoran Lilic était le président de la RFY au moment des faits. Il avait
165Ibid., par. 173 et 269 (Brownlie).
166
Ibid., par. 276-277 (Brownlie).
167
Balkan Battlegrounds, p. 322-353.
168CR 2006/17, par. 271-272 (Brownlie). - 60 -
auparavant dirigé le SDC, dont M. Milosevic ét ait un membre clé. Les liens entretenus par
M.Lilic avec le défendeur et avec M. Milosevic s ont très clairs. M. Lilic devait déposer devant
vous, mais s’est finalement désisté, pour des raisons que nous ignorons. Dans ces circonstances, la
Cour ne peut bien évidemment guère considérer la déposition faite par M. Lilic devant le TPIY en
faveur de son ancien collègue sur la question de Srebrenica comme un élément de preuve objectif
et concluant en la matière.
Madame le président, je vois qu’il est bientôt…
Le PRESIDENT: En effet. Madame Karagia nnakis, pour des raisons impérieuses, la Cour
ne peut siéger au-delà de 13 h 10; j’espère que vous aurez assez de ces dix minutes supplémentaires
pour conclure votre plaidoirie.
Mme KARAGIANNAKIS : Je ferai de mon mieux.
Le PRESIDENT : Je vous suggèrerais, si vous aviez l’intention de citer de longs passages, de
vous contenter d’en indiquer à la Cour les références.
Mme KRAGIANNAKIS : Je vous remercie.
82. M. Brownlie a également cité les propos de lord Owen s’agissant de l’attitude de
169
Milosevic à l’égard de Srebrenica pendant l’année 1993 . Il l’a fait pour réfuter le témoignage du
général Clark en l’affaire Milosevic. Le général Clark avait demandé à M. Milosevic pourquoi, s’il
avait une telle influence sur les Serbes de Bosnie, il avait autorisé Ratko Mladic à massacrer tant de
gens à Srebrenica, à quoi Milosevic avait répondu : «Eh bi en, général, je lui ai dit de ne pas le faire
mais il ne m’a pas écouté.» Le témoignage du général Clark établit clairement une connaissance
préalable du massacre de Srebrenica 17. Dans le cadre de la dépos ition qu’il a faite lors du procès
66 de Milosevic, lord Owen a indiqué que celui-ci éta it intervenu pour empêch er le général Mladic
d’entrer dans Srebrenica, et de s’en emparer, en 1993 ⎯et que son aide avait, à cet égard, été
171
précieuse .
169
Ibid., par. 177-183 et 292-296 (Brownlie).
170TPIY, Le procureur c. Milosevic , affaire n IT-02-54-T, décision relatià la demande d’acquittement,
16 juin 2004, par. 280.
171CR 2006/17, par. 181 (Brownlie). - 61 -
83. Je voudrais formuler deux remarques à ce sujet. Premièrement, la version des
événements de 1993 donnée par lord Owen ne re met nullement en question la thèse d’une
connaissance préalable, par M. Milosevic, du ma ssacre de Srebrenica en 1995. Deuxièmement,
M. Milosevic, avait, d’après lord Owen, indubitablement une influen ce considérable sur le général
Mladic en 1993, et a su l’empêcher de s’empa rer de Srebrenica. Mais alors, une question:
pourquoi n’a-t-il pas usé de cette influence pour arrêter Mladic en 1995 ?
84. En revanche, le défendeur n’a pas réfuté , ni même abordé, les éléments établissant que
les dirigeants politiques et militaires de la RFY avaient décidé qu’une ba nde de 50kilomètres le
long de la Drina serait serbe. Il n’a pas nié que Mihal Kertes ait armé les Serbes de Bosnie dans
cette optique. Il n’a pas évoqué le fait que les pa ramilitaires serbes et la JNA se sont, au cours de
l’année 1992, livrés à l’encontre des Musulmans de l’est de la Bosnie à un nettoyage ethnique.
85. Le défendeur ne dit mot des bus serbes utilisés pour expulser de l’enclave femmes,
enfants et vieillards. Il ne dit mot des véhi cules blindés de transport de troupes néerlandais
172
confisqués à Srebrenica, plus tard utilisés par l’armée yougoslave au Kosovo .
86. Ainsi que l’a indiqué le Secrétaire généra l, les forces serbes de Bosnie qui encerclaient
l’enclave étaient «superbement équi pé[e]s, avec les armes lourdes et le dispositif logistique de
173
l’armée yougoslave» .
87. Les officiers de la VJ détachés auprès de la VRS ont joué, en tant que dirigeants, un rôle
crucial dans le génocide perpétré à Srebrenica, à commencer par le général Mladic, chef militaire
de cette barbare opération 174: officier de la VJ, il n’a été mis à la retraite qu’en2002 175. Bien
qu’inculpé de génocide, Mladic reste ⎯ encore à ce jour ⎯ en liberté en Serbie.
88. D’autres meneurs ou protagonistes du massacre de Srebrenica étaient des officiers de la
VJ détachés auprès de la VRS. C’est ce qui ressort des documents présentés à la Cour par la
67
Bosnie-Herzégovine, qui font état de leur prom otion dans les rangs de l’armée yougoslave ou
172
CR 2006/4, p. 50, par. 52 et p. 52, par. 58 (Van den Biesen).
173
Rapport du Secrétaire général, par. 476.
174TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 2 août 2001, voir, par exemple, les par. 407, 619 et
631.
175CR 2006/9, p. 26, par. 13 (Torkildsen). - 62 -
e
indiquent qu’ils servaient au 30 centre du personnel de l’état-major de l’armée yougoslave. Parmi
eux figurent :
⎯ le général Krstic, chef d’état-major puis commandant du corps de la Drina à partir du
176
13 juillet 1995, qui a été déclaré coupable de complicité de génocide à Srebrenica ;
⎯ le général Zivanovic, commandant du corps de la Drina jusqu’au 13juillet1995. Il a donné
des instructions en vue d’organiser le transport des civils expulsés de Potocari et de capturer les
hommes de la colonne 177;
⎯ le lieutenant-colonel Pandurevic, commandant de la brigade de Zvornik, qui a joué un rôle clé
dans l’exécution de milliers d’hommes et adolescents. Il a été inculpé de génocide 178;
⎯ le lieutenant-colonel Blagojevic, déclaré coupa ble de complicité de génocide pour le massacre
179
de Srebrenica ;
⎯ le lieutenant-colonel Obrenovic, qui a plaidé coupable et a été déclaré coupable de persécutions
180
constitutives de crime contre l’humanité ;
⎯ le capitaine Momir Nikolic, qui a plaidé coupable et a été déclaré coupable de persécutions
181
constitutives de crime contre l’humanité, dans le cadre des événements de Srebrenica ;
⎯ le commandant Dragan Jokic, qui a été déclaré coupable d’extermination constitutive de crime
contre l’humanité pour sa participation 182;
⎯ le lieutenant-colonel Krsmanovic, qui a organisé le transport lors du transfert forcé 183;
68 ⎯ le lieutenant-colonel Sobot, également impliqué dans l’organisation de ce transport 184;
176 o os
Document présenté par la Bosnie -Herzégovine le 16 janvier 2006, n 42; voir aussi n 44a-44j; TPIY, Le
procureur c. Krstic, affaire noIT-98-33-T, arrêt, 19 avril 2004.
177Ibid., n 51b; TPIY, Le procureur c.Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par.126, 128, 137
et 169.
178 Ibid., n 42, 46c; voir aussi n os45a-45e; TPIY, Le Procureur c.Krstic , affaire n o IT-98-33-T, jugement,
2 août 2001, par. 392, 393, 411, 423; Le procureur c. Popovic et consorts, affaire n o IT-05-88, acte d’accusation modifié
consolidé, 11 novembre 2005.
179 o o
Ibid., n 42; TPIY, Le procureur c. Blagojevic et Jokic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, p. 304.
180 o o
Ibid., n 48b; TPIY, Le procureur c.Obrenovic , affaire n IT-02-60/2-S, jugement portant condamnation,
10 décembre 2003.
181 o o
Ibid., n 46b; TPIY, Le procureur c.Nikolic , affaire n IT-02-60/1-S, jugement portant condamnation,
2 décembre 2003.
182Ibid., n 42; TPIY, Le procureur c. Blagojevic et Jokic, affaire n IT-02-60, jugement, 17 janvier 2005, p. 305.
183Ibid., n 69a; TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 138, 177 et 344.
184Ibid., n 48c; TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 138, 177 et 344. - 63 -
⎯ le colonel Cerovic, qui a effectué des comm unications pour le compte du commandement du
corps de la Drina au sujet du traitement des détenus musulmans 185.
89. Loin de faire l’objet d’enquêtes ou de poursuites pénales, d’être renvoyés ou rétrogradés,
ou ne serait-ce que de cesser de percevoir leur solde, certains de ces officiers, et notamment Krstic,
Pandurevic et Obrenovic, ont été promus au sein de la VJ, après avoir joué un rôle de
commandement dans les événements tristement célèbres de Srebrenica 18.
90. Nous avons tous à l’esprit les images d es exécutions commises de sang-froid par les
187
Scorpions, une unité du MUP serbe, après la chute de Srebrenica . Les Scorpions n’étaient pas là
pour mener des activités de police légitimes. Ils ét aient là pour tuer. Ils étaient là pour tuer des
Musulmans. Ils ont abattu ces adolescents parce qu’ils étaient musulmans.
Conclusion
91. En conclusion, une dernière citation du rapport du Secrétaire général résumera ce que
symbolisait l’enclave de Srebrenica dans la politi que serbe globale à l’égard de cette zone de
sécurité et de la Bosnie en général :
«Le problème essentiel ⎯sur les plans politique, stratégique et moral ⎯ à
l’origine de la sécurité des «zones de sécurité» était la nature même du «nettoyage
ethnique». Poursuivant leur objectif plus v aste qui était de créer la «Grande Serbie»,
les Serbes de Bosnie ont entrepris d’occupe r le territoire des enclaves qu’ils voulaient
pour eux tout seuls. Les civils des enclav es n’étaient pas les vi ctimes accidentelles
des agresseurs; leur mort ou leur expulsion était le but même des attaques dirigées
contre eux. La tactique de la terreur (essentiellement massacres, viols et mauvais
traitements des civils), en vue d’expulser les populations, a été la plus employée en
Bosnie-Herzégovine où elle est désormai s connue sous l’euphémisme tristement
célèbre de «nettoyage ethnique». La populat ion civile musulmane de Bosnie était
ainsi devenue la principale victime des br utales opérations militaires et paramilitaires
serbes visant à dépeupler les territoires convo ités pour les repeupler ensuite avec des
188
Serbes.»
69 92. Les événements de Srebrenica ne cons tituaient pas un incident isolé puisant sa source
dans une haine viscérale ou la volonté d’éliminer un ennemi. Ils participaient d’une politique de
plus longue haleine, dont l’objectif était la création d’une Grande Serbie ⎯ une politique conçue et
185 o o
Ibid., n 48c; TPIY, Le procureur c. Krstic, affaire n IT-98-33-T, jugement, 2 août 2001, par. 199 et 412, voir
aussi les par. 104, 247, 248 et 275.
186
CR2006/8o p. 6, pa. 9 (Van den Biesen); doc uments présentés par la Bosnie-Herzégovine le
16 janvier 2006, n 48b.
187CR 2006/9, p. 15-16, par. 17-23 (Karagiannakis).
188Rapport du Secrétaire général, par. 495. - 64 -
promue par Belgrade, qui trouve son expression dans la décision des dirigeants de la RFY de
«serbiser» la bande de 50kilomè tres le long de la Drina. Cett e politique, mise en Œuvre par les
Serbes de Bosnie et de RFY dès le début de la gue rre, s’est traduite par le nettoyage ethnique de
l’est de la Bosnie. Elle a atteint son point culm inant lorsqu’a été formé le projet d’exécuter les
hommes et adolescents de Srebrenica et d’expulser leurs mères, sŒurs, leurs femmes ou enfants.
Ce plan a été mis en Œuvre par les forces serbes bosniaques et les organes de la RFY. Il a conduit à
l’anéantissement des Musulmans bosniaques de Srebrenica ⎯ massacrés ou expulsés.
93. Madame le président, Messieurs de la Cour , il s’agissait là d’un génocide. Les victimes
de ce triomphe du mal comptent sur la Cour inte rnationale de Justice pour désigner ce crime par
son nom. Je vous remercie, voilà qui clôt ma plaidoirie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Madame Karagiannakis. La séance est à présent levée
et l’audience reprendra à 10 heures demain.
L’audience est levée à 13 h 10.
___________
Traduction