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CR 2006/26 (traduction)
CR 2006/26 (translation)
Vendredi 24 mars 2006 à 10 heures
Friday 24 March 2006 at 10 a.m. - 2 -
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour entendra
aujourd’hui le témoin suivant de la Serbie-et-Monténégro, le gé néralRose, sir Michael Rose, qui
déposera en anglais. Le témoin peut maintenant entrer dans la salle d’audience.
[Le témoin entre et prend place à la barre.]
J’invite le général Rose à faire la déclara tion solennelle prévue pour les témoins à l’alinéa a)
de l’article 64 du Règlement de la Cour.
Le général ROSE : Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je
dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à M. Brownlie pour qu’il
commence à interroger le témoin.
M.BROWNLIE: Mon général, avant que nous commencions l’interrogatoire, pouvez-vous
vous présenter à la Cour ?
Le général ROSE : Je suis un soldat retraité de l’armée britannique et mon but, en paraissant
devant cette Cour, est de servir les intérêts de la justice et de la paix. Je me considère comme un
témoin de la Cour, et rien d’autre. Je ne prends parti ni pour l’une, ni pour l’autre des Parties au
différend. J’ai été nommé commandant de la Force de protection des NationsUnies en
Bosnie-Herzégovine le 5janvier 1994, et j’ai o ccupé ce poste jusqu’au 23janvier1995. Bien
entendu, je n’étais pas le seul responsable des politiques et des actions me nées à cette époque par
l’Organisation des NationsUnies en Bosnie. Je fai sais partie de l’équipe du conseiller civil, sous
les ordres duquel je servais car, évidemment, les militaires sont toujours au service de l’autorité
civile. Au début, c’était M. Sergio Vieira de Mello, qui a malheureusement été tué dans un attentat
à la bombe en Iraq, et ensuite M.Viktor A ndreev. Le quartier général supérieur se trouvait à
Zagreb, où j’étais sous la direction militaire t out d’abord du général Cot, puis du général de
LaPresle. Et tout au long de cette période, le principal représentant civil/militaire de
l’Organisation des NationsUnies était M.Yasush i Akashi, du Japon. Il y avait naturellement
derrière lui M.KofiAnnan, qui était alors le représentant spécial de l’Organisation pour les
opérations de maintien de la paix. - 3 -
La Force de protection des NationsUnies en Bosnie avait pour mission de faciliter
l’acheminement de l’aide humanitair e et de tenter d’amener une réconciliation pacifique dans ce
qui prenait parfois la tournure d’une guerre civile tripartite. Elle n’a jamais été chargée de mettre
en Œuvre une solution juste, pas plus que de prot éger ou de défendre: ce sont là des actions de
combat pour lesquelles une force de maintien de la paix n’est évidemment ni mandatée, ni
entraînée, équipée ou déployée. La mission de la FORPRONU consistait donc seulement à faciliter
l’acheminement de l’aide humanitaire et à remplir les fonctions habituelles d’une force de maintien
de la paix, c’est-à-dire à tenter d’instaure r des conditions propres à permettre un règlement
pacifique du problème.
Mais les trois parties à ce conflit n’agissaient pas toujours de manière à faciliter ce processus
de paix. En effet, elles interrompaient le passag e des convois, souvent au détriment de leur propre
population, elles tiraient sur les forces de paix et les insultaient, et elles essayaient souvent de violer
le régime de démilitarisation existant ou d’utiliser les zones dites «de sécurité» pour en retirer des
avantages militaires. Les parties étaient récalcitrantes à l’égard du processus de paix, c’est le
moins qu’on puisse dire. Et elles ont été toutes les trois coupables de crimes de guerre, à des
degrés divers. Bien entendu, les forces militaires qui étaient sous le commandement du
général Mladić ont été de très loin les principaux auteurs de crimes de guerre et d’atrocités pendant
la guerre civile, mais le caractère criminel d’un acte se juge en termes de qualité, non de quantité,
et les parties se sont incontestablement rendues coupables de crimes de guerre toutes les trois.
La responsabilité de ces crimes de guerre n’incombe pas uniquement aux militaires, car il va
de soi que, des trois côtés, l’armée était comme toujours au service du pouvoir civil. Cette
responsabilité est donc incontestablement partagée pa r les autorités civiles, et notamment par les
principaux dirigeants, à savoir M.Tudjman, M.Karadži ć dans le cas de la Republika Srpska et
M. Izetbegović dans le cas de la Bosnie-Herzégovine. Tous trois ont leur part de responsabilité
dans les crimes de guerre et les atrocités perpétrés.
A la suite des travaux entrepris par l’Organi sation des NationsUnies, j’ai souvent dû me
rendre à Pale, où la Republika Srpska avait son quar tier général militaire et politique, et j’ai pu me
faire une idée de l’ampleur du contrôle direct ou de l’influence de Belgrade sur les opérations
militaires et politiques de la Republika Srpska. Et cette idée, cette impression était qu’il n’y avait - 4 -
pas, sur le plan militaire, de dispositif officiel de commandement militaire. Les militaires n’étaient
pas sous un commandement, techniquement pa rlant, mais ils subissaient une influence
considérable, les consultations étaient nombreuses, un soutien matériel était fourni et, à une ou
deux occasions notables, l’ex-République de Y ougoslavie a effectivement apporté un soutien
militaire à la Republika Srpska. Il existait donc un lien, mais ce n’était pas un lien officiel.
Evidemment, sur le plan politique, il a très souvent été possible d’infléchir la position politique de
M. Karadžić en faisant pression, par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, et même
parfois de la Russie, sur l’administration et le gouvernement de Miloševi ć, cela produisait des
effets mais n’était jamais fait ouvertement; c’était toujours un processus lent et qui souvent ne
donnait aucun résultat. Donc, là encore, mon impr ession est qu’il ne s’agissait pas d’un dispositif
officiel.
Enfin, je tiens à déclarer que, à mes yeux, la requête du Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine en cette affaire ne sert pas les intérêts de la paix. Je pense que ce n’est pas
prendre le chemin de la paix que de punir les générations nouvelles de jeunes Serbes qui s’efforcent
d’enterrer ce passé de crimes, certes atro ces, commis par un gouvernement dont nombre des
dirigeants sont ou bien morts, ou bien ici à La Haye, d’autant que l’Etat de la Bosnie-Herzégovine
a lui-même été auteur ou complice de crimes de guerr e à l’époque. Il aurait été bien préférable et
plus constructif de suivre l’appr oche de la vérité et de la ré conciliation. Nous ne voudrions
naturellement pas voir naître dans les Balkans, et certainement en Serbie-et-Monténégro, une
situation dans laquelle le peuple se sentirait à tel point frustré qu’ il réagirait comme les Allemands
le firent en 1930, lorsqu’ils eurent à payer le prix des lourdes réparations de guerre. C’est une
erreur que l’on s’est gardé de reproduire en 1945. Je vous remercie, Madame le président.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Michael. Je prie maintenant…
Mme KORNER: Veuillez excuser mon interruptio n, Madame le président, et je ne blâme
pas le général, mais il a lu sa déclaration relativement vite et, de toute évidence, ce qu’il avait à dire
était important. Je me demande s’il existe un texte pour…
Le général ROSE : Je n’ai pas lu ma déclaration.
Mme KORNER : Je vois, vous n’aviez pas de texte. - 5 -
Le général ROSE: J’en ai un, mais je ne l’ai pas suivi très exactement. Je peux toutefois
vous communiquer le texte que j’avais prévu de lir e, si vous le souhaitez. Les principaux points
s’y trouvent certainement.
Mme KORNER : Merci beaucoup. Si la Partie adverse n’y voit pas d’objection ?
Le PRESIDENT : Je pense, Madame Korner, que vous avez entendu ce que le général avait
à dire. Sa déclaration n’était pas extrêmement détaillée et ciblée ⎯elle contenait des points très
importants, mais je suis sûre que vous les avez bien vus. Je vous invite donc maintenant à
commencer votre contre-interrogatoire. Je vous demande pardon. J’invite M.Brownlie à
commencer son interrogatoire.
M.BROWNLIE: Au nom de la Serbie-et-Monténégro, je pense personnellement que nous
nous sommes montrés très patients face à un certain nombre de tentatives d’innovation procédurale,
et je crois comprendre que le témoignage est la déclaration orale faite sous serment et…
Le PRESIDENT : J’ai déjà tranché ce point. Merci.
M.BROWNLIE: Pouvez-vous nous confirmer que votre séjour en Serbie en tant que
commandant de la FORPRONU a duré de janvier 1994 à janvier 1995 ?
Le général ROSE : C’est exact.
M. BROWNLIE: Pouvez-vous nous confirmer que votre déclaration et vos réponses aux
questions portent ou porteront sur des faits dont vous avez vous-même été le témoin ?
Le général ROSE : Oui.
M. BROWNLIE : Je vous remercie. Avez-vous, à aucun moment, conclu des arrangements
avec le bureau du procureur du TPIY concernant des enquêtes à mener pour le compte du
procureur ?
Le général ROSE : Non.
M. BROWNLIE : Je vous remercie. Si vous le voulez bien, j’en viens à quelques questions
plus précises. Que pensez-vous des relations entr e l’armée de la Republika Srpska et l’armée
yougoslave d’une manière générale ? Veuillez vous adresser à la Cour je vous prie.
Le général ROSE : Comme je l’ai dit au début , il existait clairement des liens entre les deux
armées et, à deux occasions notables, un appui militaire direct a été fourni; cela mis à part, mon - 6 -
impression est qu’il y avait un soutien matériel sous forme de carburant, de munitions, de renforts
en soldats «volontaires» pour combattre dans l es rangs de l’armée de la Republika Srpska en
Serbie, mais qu’il n’existait pas de dispositif o fficiel de commandement militaire : il n’y avait pas
de commandement tactique, ni de commandement général, ce qui aurait été le cas dans une
coalition de forces.
M. BROWNLIE : Pouvez-vous me donner votre point de vue sur les rapports entre Mladić et
Radovan Karadžić, et sur les rapports que tous deux avaient avec Miloševi ć et d’autres politiciens
de Serbie et de Yougoslavie ?
Le général ROSE : Eh bien, les rapports entre Mladi ć et Karadžić étaient tels qu’on pouvait
s’y attendre dans une situation confuse et brutale : ils étaient en dents de scie. A certains moments,
Mladić semblait dominer le débat et déterminer le cours des événements; à d’autres moments, c’est
Karadžić qui parvenait à imposer sa position politique et Mladi ć devait alors s’y conformer; cela
dépendait beaucoup des pressions auxquels ils étaient soumis, que ce soit au niveau politique ou au
niveau militaire, sur le terrain. Mais dans l’ensemble, je maintiens ce que j’ai dit au début, à savoir
que les militaires étaient de manière générale au service des autorités civiles. Ils ne s’y
substituaient pas. Et, bien entendu, M.Karadži ć n’était pas seul, il y avait aussi MM. Kodovi ć et
Krajisnik. Tous trois formaient un triumvirat qui était très puissant sur la scène politique et auquel
M. Mladić rendait compte, du moins en apparence. En ce qui concerne leurs rapports avec
Belgrade, il est très difficile d’en juger autrement que par déduction, puisque nous n’avons
évidemment pas assisté à ces conversations ou…
Le PRESIDENT: Veuillez parler un peu plus lentement, sir Michael, pour que les
interprètes puissent vous suivre.
Le général ROSE : Les rapports entre Belgrade et Pale sont plus difficiles à établir car nous
étions évidemment tenus à l’écart des liaisons ou conférences qui ont eu lieu. D’après mes
souvenirs, Mladi ć et Karadži ć n’étaient certainement pas prése nts lorsque je me suis rendu à
Belgrade; ils n’assistaient pas à la réunion entre les responsables de l’Organisation des
Nations Unies et du Gouvernement de l’ex-République de Yougoslavie. Mais, comme je l’ai déjà
dit, on peut penser, par déduction, qu’il existait de nombreuses liaisons et consultations. De temps - 7 -
à autre, il était possible d’infléchir le cours des opé rations sur le terrain ou les politiques de Pale en
exerçant des pressions sur le Gouvernement de Belgrade.
M. BROWNLIE: Une précision. Le général Mladi ć aurait-il pu recevoir des ordres de
quelqu’un, Karadžić et Milošević par exemple ?
Le général ROSE : Eh bien, ils pouvaient cer tainement lui donner des ordres, mais je doute
fort que ces ordres auraient été obéis de manière directe.
M. BROWNLIE: Je vous remercie. Qui était le commandant suprême de l’armée de la
Republika Srpska ?
Le général ROSE : C’était le général Mladić.
M. BROWNLIE: Changeons maintenant de sujet, si vous le voulez bien. Avez-vous des
informations sur la participation directe d’unités de l’armée yougoslave, de la police ou de la police
spéciale de la République de Serbie pendant le conflit en Bosnie-Herzégovine ?
Le général ROSE : Oui, une fois, après un cessez-le-feu convenu en février 1994 à Sarajevo,
qui a suspendu les bombardements dans cette ville et qui a même partielleme nt levé le siège de
Sarajevo pendant de nombreux mois. Un petit groupe dissident qui combattait pour les forces de la
Republika Srpska ⎯et qui, semble-t-il, était composé de volontaires venant principalement du
dehors des Balkans et s’était établi dans le cimetière juif de Sarajevo ⎯ a refusé d’accepter le
cessez-le-feu, bien que le commandement militaire de la Republika Srpska lu i ait ordonné de le
faire. Après quelques difficultés ―qui ont duré une semaine, je crois ―, une unité de l’armée
régulière yougoslave, après avoir r eçu des coups de feu de ces soi-disant héros installés dans le
cimetière juif, est arriv ée pour les éliminer. C’est la seule fo is où j’ai constaté l’action de ces
forces sur le sol de la Bosnie-Herzégovine.
Je me souviens d’un autre cas peu après, où qua tre avions ont bombardé une ville appelée
Bugojno, dans la partie occidentale de la Bosnie-Herzégovine, à l’ouest de Sarajevo; ils ont été
abattus tous les quatre par l’OTAN, parce qu’il y avait naturellement une zone d’interdiction de
vols dans l’espace aérien de la Bosnie, et les pilo tes venaient manifestement de l’armée de l’air
yougoslave.
Voilà les deux seuls cas dont j’ai eu directement connaissance. - 8 -
M. BROWNLIE: Je vous remercie. En votre qualité de commandant de la FORPRONU,
vous participiez directement à la mise au point des accords de cessez-le-feu et à leur contrôle,
n’est-ce pas ?
Le général ROSE : Oui.
M. BROWNLIE : Merci. Pouvez-vous nous décr ire l’attitude générale du Gouvernement de
la Bosnie à l’égard des plans de paix et des accords de cessez-le-feu pendant votre mandat ?
Le général ROSE : Les dirigeants de la Bosnie se montraient récalcitrants et ne faisaient rien
pour aider à établir une paix durable en Bosnie, et ce pour une raison bien simple. Ils avaient au
départ bien accueilli les forces de maintien de la paix de l’Organisation des NationsUnies, parce
que leur peuple avait besoin de ce soutien et parce que la présence des forces de paix des
Nations Unies empêchait, dans certains cas, une prés ence physique sur le terrain. Les forces de la
Republika Srpska étaient en position d’envahir Saraje vo, par exemple, elles pouvaient le faire à un
moment donné. Plusieurs accords ont été négociés; les forces se sont par exemple retirées du
sommet du mont Igman, l’OTAN garantissant qu’elles ⎯ les deux Parties ⎯ restent en dehors de
la région du mont Igman. La raison était que les Serbes s’y trouvaient et qu’ils étaient donc sur le
point d’encercler complètement Sarajevo, mais ils s’en sont finalement retirés en application d’un
accord négocié par l’ONU et l’OTAN avant mon arrivée. Les garanties de l’OTAN étaient
qu’aucune des parties ne retournerait dans ce tte zone. D’autres exemples concernent le
cessez-le-feu dont j’ai parlé: là encore, le Gouvern ement de la Bosnie s’est montré très réticent
face à ce cessez-le-feu, car il craignait qu’accepter trop tôt un tel accord entraîne la cessation des
hostilités, le gel des lignes de front, si bien qu’il serait lésé dans les instruments qu’adopterait
ensuite la communauté internationale. Il aurait perdu de larges portions de son territoire.
Donc, au départ, les dirigeants de Bosnie avaient besoin des forces de maintien de la paix,
mais j’ai constaté au fil du temps, pendant mon mandat, qu’ils hésitaient à accepter les
cessez-le-feu car ils estimaient ⎯ comme je viens de le dire ⎯ que cela risquait en fin de compte
de figer à long terme les lignes de front telles qu’elles existaient alors. Ils furent donc les
principaux responsables, tout au long de l’année 1994, des violations des cessez-le-feu négociés par
les Nations Unies et de la reprise de la guerre; ce sont toujours les Serbes de Bosnie qui ont violé
les cessez-le-feu, et non les Croates ou les Serbes. - 9 -
M. BROWNLIE: Mon général, est-il vrai que, en 1994, l’armée de la Bosnie a étendu ses
opérations militaires ?
Le général ROSE : Pouvez-vous répéter cette question, s’il vous plaît?
M. BROWNLIE : Pourriez-vous me dire dans quelle mesure le Gouvernement de la Bosnie a
étendu ses opérations militaires en 1994 ?
Le général ROSE: L’armée du Gouvernement de la Bosnie s’est développée et renforcée
tout au long de l’année1994. En fait, depuis sa création, l’Etat de Bosnie n’avait pas d’armée; à
partir de ce qui restait de l’ancienne armée yougoslave il a commencé à constituer ses propres
forces. Ce processus s’est poursuivi pendant toute l’année 1994 avec la fourniture illicite d’armes,
de munitions et d’entraînement venant de l’extéri eur, après la formation de la fédération entre la
Croatie et la Bosnie. Cela a changé la donne militaire, et les dirigeants de la Bosnie ont pu recevoir
beaucoup de soutien, de la partie croate évidemme nt, pour renforcer leur propre capacité militaire.
Ils n’étaient donc pas seulement opposés politiquement au processus de paix à l’époque : ils étaient
aussi enhardis et encouragés par le renforcement de leur propre capacité m ilitaire, par l’étendue de
celle-ci, et il leur arrivait souvent ⎯ comme j’ai dit ⎯ de lancer des attaques alors qu’ils auraient
mieux fait de s’abstenir, du point de vue purement militaire.
M.BROWNLIE: Je vous remercie. Pouvez-vous expliquer à la Cour comment le Conseil
de sécurité a créé des zones de protection et lui indiquer, à ce propos, dans quelle mesure ces zones
étaient effectivement démilitarisées ?
Le généralROSE: Les zones de protection ⎯c’était la terminologie employée ⎯ ont été
établies à la suite d’une attaque lancée par les forces de la RepublikaSrps ka dans la région de
Srebrenica en 1993. Cette attaque suivait le nettoyage ethnique de grande ampleur que les forces
musulmanes basées à Srebrenica avaient opéré dans les villages serbes de la région, sous le
commandement militaire d’un certain NasirOri ć, aujourd’hui inculpé pour crimes de guerre. En
réponse à ces attaques de villages serbes, un assaut a été lancé contre Srebrenica. Le général
Morillon, mon prédécesseur, y a mis fin, s’interposant physiquement devant les forces serbes, sur la
route; puis en parlementant avec le généralMladi ć, qui a renoncé à poursuivre son attaque et à
conquérir l’enclave de Srebrenica, d’où son propre camp était attaqué. En retour, le général Mladić
attendait toutefois que les forces musulmanes commandées par NaserOri ć rendent leurs armes et - 10 -
que la zone soit démilitarisée. L’idée d’une z one de sécurité, ou de sanctuaire, est un concept
militaire ancien selon lequel les deux parties à un conflit conviennent de ne pas livrer bataille dans
une certaine zone, pour épargner la population civile qui s’y trouve, et cette zone devient ainsi une
zone de sécurité. Les Nations Unies ont sanctionné cet arrangement conclu sur le terrain par deux
grandes résolutions adoptées par le Conseil de sécur ité. L’une était la résolution824, l’autre la
résolution 836, et ces résolutions du Conseil de sécu rité étendaient le concept de sanctuaire à cinq
autres zones: Goražde, Sarajevo, Tuzla, Biha ć ⎯et Maglaj, je crois, ou bien Zepa. Mais les
termes de la résolution du Conseil de sécurité étaient extrêmement précis: et le généralNambiar
s’est même rendu sur place pour expliquer les limites d’une force de maintien de la paix. Celle-ci
pouvait protéger, mais pas défendre, elle pouvait tout au plus dissuader les attaques par sa présence
⎯ce n’était donc pas une mission de combat. C’éta it une mission de maintien de la paix, et la
résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies était par conséquent libellée
en des termes très clairs: il s’agissait de recour ir à tous les moyens possibles pour «dissuader les
attaques». Les deux parties au c onflit devaient donc coopérer, et ne lancer d’attaques ni contre
l’enclave, ni depuis l’enclave, puisque les for ces de l’ONU n’avaient pas quant à elles les moyens
militaires de la défendre ni de la protéger. Malheureusement, les forces bosniaques n’ont pas
désarmé à Srebrenica, pas plus, du reste, que dans un certain nombre d’autres zones de sécurité, et
les échanges de tirs se sont donc poursuivis pendant tout le temps où j’ai exercé mes fonctions de
commandant. Et nous savons bien sûr tous quelles horreurs se sont ensuite déroulées à Srebrenica.
M.BROWNLIE: Mon général, pouvez-vous confirmer que la situation était la même,
en 1994, à Goražde et à Bihać ?
Le général ROSE : Absolument.
M. BROWNLIE : Pouvez-vous décrire la réaction des forces serbes à Goražde et à
Bihać ?
Le général ROSE : A Goražde, où elles ont déci dé de lancer une attaque pour mettre fin aux
sorties dont elles étaient victimes, et reprendre en même temps possession de certains des villages
dont elles avaient été chassées par les combats de l’année précédente, les forces serbes ont lancé
une autre opération, en mars 1994 je crois, contre Goražde, et l’ONU a été obligée de recourir aux
frappes aériennes pour empêcher la chute de l’enclave ⎯ce qu’elle a fait. Les Serbes ont retiré
leurs troupes, leur ligne de repli correspondant à peu près à l’emplacement de leurs propres - 11 -
villages, et ils ne sont jamais entrés dans la partie principale, musulmane, de Goražde, située sur
l’autre rive.
Et c’est donc à cette occasion que l’OTAN a, pour la première fois de son histoire,
effectivement livré bataille; elle est bien sûr in tervenue militairement de nombreuses fois depuis;
mais la première fois, c’était pour empêcher l’invasion de Goražde. Les Nations Unies ont souvent
été accusées de s’être contentées de «coups d’épingle», de n’avoir pas utilisé cette excuse pour
affronter et détruire l’armée de la Republika Srpska tout entière, voire la JNA à Belgrade, parce que
l’OTAN avait pour plan de bombarder ensuite les dépôts de munitions et les centres de
commandement et de communication dans l’ensemble de cette partie des Balkans, sans se limiter à
la Bosnie. Cela, l’Organisation des Nations Unies ne pouvait pas l’accepter, ce qui a été à l’origine
de nombreuses frictions à l’époque, et a valu ensuite bien des critiques à l’Organisation, à laquelle
il était reproché de ne pas avoir étendu ses frappes aé riennes dans le cadre de sa campagne. Mais
son champ d’action était bien sûr limité non seule ment par le mandat qu’elle avait reçu de ses
membres, mais également par d’ autres parties prenantes que l’on mentionne rarement, à savoir les
pays qui fournissaient les troupes. Tous avaient dû obtenir l’aval de leur parlement national pour
déployer ces forces de maintien de la paix et ils n’étaient pas autorisés à les déployer comme forces
de combat ni à les faire livrer bataille. Les Etats avaient tous pu voir comment s’était soldée, un an
plus tôt, l’opération en Somalie, lorsque les fo rces de maintien de la paix avaient cherché à
atteindre certains objectifs militaires à Mogadiscio. Le résultat avait été l’effondrement de la
mission de maintien de la paix, et un regain de souffrances pour le peuple somalien, et les Etats
n’étaient pas disposés à renouveler l’expérience.
M. BROWNLIE : Si nous pouvions passer à un autre point : pourriez-vous nous expliquer la
nature du conflit qui a opposé FikretAbdić, le dirigeant musulman de la province autonome de
Bosnie occidentale, au Gouvernement bosniaque ?
Le général ROSE: Il s’agit d’une de ces an omalies dont on a bien sûr vu de nombreux
exemples dans le cadre de cette guerre confuse, cette guerre civile triangulaire dans cette région des
Balkans. M.Abdi ć avait été candidat à l’élection présidentielle que M.Izetbegovi ć avait
remportée. Estimant que ce dernier avait usur pé une victoire qui lui revenait de droit, Abdi ć a créé
un Etatsécessionniste au sein de sa propre communaut é, levé une armée et a été bien sûr attaqué - 12 -
par les forces bosniaques, avant de nouer une tr ès peu sainte alliance avec l’armée de la Republika
Srpska: d’où cette anomalie, une coalition de Serbes et de Musulmans combattant les forces
principales de la Bosnie-Herzégovine. Au bout du compte, il a bien évidemment été vaincu et
j’ignore totalement ce qu’il est devenu. Mais l’existence de cet Etat sécessionniste a été de courte
durée.
M. BROWNLIE : Pouvez-vous maintenant décrire la relation qui existait entre Fikret Abdi ć
et la Republika Srpska ?
Le général ROSE: Je ne les ai jamais vus en semble, mais ils entretenaient une alliance
militaire ⎯ une alliance militaire assez lâche.
M. BROWNLIE : Pouvez-vous nous indiquer si la Republika Srpska, ou la République serbe
de Krajina, a prêté aide et assistance à Fikret Abdić ?
Le général ROSE : Elles l’ont fait, sans l’ombre d’un doute.
M. BROWNLIE : Je vous remercie. Dernière question : pouvez-vous nous donner quelques
éléments d’information sur le conflit qui a opposé les Croates et les Musulmans ?
Le général ROSE : Le conflit qui a opposé Croates et Musulmans a cessé avec les accords de
Washington qui ont, je crois, été signés au début du mois de mars 1994. Avant cette date, la guerre
civile opposait trois parties, chacune cherchant avant tout à protéger sa propre communauté et
également à établir sa propre intégrité territoriale. Au terme des discussions ⎯qui ont eu lieu
initialement à Washington, je pense, puisque les accords sont connus sous le nom d’«accords de
Washington» ⎯ l’Organisation des NationsUnies est parvenue à négocier un cessez-le-feu sur le
terrain, qui s’est ensuite traduit par l’appar ition de cette nouvelle fé dération. Mais les
affrontements entre ces deuxcommunautés avaient, auparavant, été aussi féroces que ceux qui
opposaient l’une ou l’autre aux Serbes.
M. BROWNLIE : Je vous remercie. Voilà qui clôt mon interrogatoire, Madame le président.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Br ownlie. Je donne maintenant la parole à
Mme Korner, pour son contre-interrogatoire. - 13 -
Mme KORNER : Je vous remercie, Madame le pr ésident. Sir Michael, avant de revenir sur
certains de vos propos, puis-je vous demander comment vous vous êtes préparé à cette
comparution ? De toute évidence ⎯ enfin, je pense ⎯, vous avez parcouru votre livre…
Le général ROSE : Non, je ne l’ai pas fait.
Mme KORNER : Vous ne l’avez pas fait ?
Le général ROSE : Non.
Mme KORNER : Très bien.
Le général ROSE : Mes enfants appellent mon livre «Fighting for breath» (Combat à bout de
souffle). Je n’avais aucune envie de revivre cette expérience.
Mme KORNER: Je suis désolée. Je dois redire les mêmes choses que M.Brownlie,
pourriez-vous ⎯ je sais que je vous pose des questions, je sais que c’est difficile…
Le général ROSE : Non, je n’ai pas relu le livre.
Mme KORNER : La Partie qui vous cite comme témoin vous a-t-elle donné la possibilité de
revoir votre déposition en l’affaire Galić ?
Le général ROSE: Non, j’en avais gardé un compte rendu, parce qu’on m’en avait envoyé
un exemplaire, et j’en ai en tout état de cause re lu le préambule, dont je me suis inspiré pour mon
exposé d’aujourd’hui.
Mme KORNER : Donc vous n’avez pas ⎯ avez-vous, avant de comparaître devant la Cour,
revu la déposition que vous avez faite en l’affaire Galić ? Vous êtes-vous rafraîchi la mémoire en
la lisant ?
Le général ROSE: Non, je n’ai pas lu ma déposition en l’affaire Galić, j’en ai lu le
préambule, pour m’assurer que les dates de ma nom ination étaient correctes. Ma lecture s’est
arrêtée là.
Mme KORNER : La Partie qui vous cite comme témoin ⎯ même si vous avez indiqué, je le
sais, vous étiez là seulement pour aider la Cour ⎯ vous a-t-elle montré te l ou tel des documents
versés au dossier dans le cadre de…
Le général ROSE : Non.
Mme KORNER: Vous n’avez donc pas eu l’occasion de lire, par exemple, les
procès-verbaux du Conseil suprême de la défense ? - 14 -
Le général ROSE : Non.
Mme KORNER: Et pas davantage les autres documents ayant trait aux questions de
commandement et de contrôle en l’espèce ?
Le général ROSE : Non plus.
Mme KORNER: Les éléments d’informati on que vous apportez à la Cour se fondent
effectivement sur votre expérience à Sarajevo pendant l’année 1994 ?
Le général ROSE : C’est exact : et pas seulement à Sarajevo, parce que des rencontres ont eu
lieu un peu partout, à Pale, Banja Luka, parfois à Goražde…
Le PRESIDENT: Sir Michael, puis-je vous redemander de parler lentem ent, s’il vous plaît
⎯ il nous sera plus facile de vous suivre.
Le général ROSE: Les réunions n’étaient, bi en sûr, pas limitées à Sarajevo, elles se
déroulaient à Pale, Banja Luka ou ailleurs ⎯ et une fois à Belgrade.
Mme KORNER: Ainsi, lorsque vous avez donné votre opinion sur les relations qui
existaient entre la République fédérale de Yougoslavie et la Republika Srpska, tant sur le plan
politique que militaire, vous vous fondiez sur vos propres observations, plutôt que sur des
documents que vous auriez lus ?
Le général ROSE : C’est exact. Je n’ai rien lu sur ces relations.
Mme KORNER : Je vous remercie. Je voudrais ju ste revenir sur deux ou trois questions que
vous avez évoquées. Tout d’abord, l’une des t outes dernières, à savoir la saga FikretAbdi ć ⎯ et
vous avez parlé à ce propos d’opérations conjointes. Saviez-vous qu’en 1994 , dans la région de
Bihać, les forces du Gouvernement bosniaque se tr ouvaient face à une coalition de forces
d’opposition regroupant la VRS, l’armée de la Repub lika Srpska, les forces de la République serbe
de Krajina, le MUP et Fikret Abdić ?
Le général ROSE: Je le savais sans doute, puisque j’ai eu un ou deux entretiens avec le
général Dudaković, qui commandait alors l’armée bosniaque, et il m’aura certainement expliqué à
cette occasion quels étaient ses ennemis.
Mme KORNER: Je vous remercie. Mais quand je dis le MUP, je parle en réalité de la
police, de la police armée, venue de Belgrade. Etiez-vous au courant ? - 15 -
Le général ROSE: Je ne savais certainement pas que… Et je m’en serais souvenu, si
Dudaković avait mentionné la présence de policiers régu liers serbes dans cette partie de la Bosnie;
or, je suis certain qu’il ne l’a pas fait.
Mme KORNER: Vous avez indiqué avoir eu ⎯ vous personnellement ⎯ connaissance de
deux cas où la République fédérale de Yougoslavie a participé à des opérations militaires. Dois-je
conclure ici aussi que vous parlez de votre expéri ence, et que vous ne pouvez pas dire s’il y a eu
d’autres cas, mais qu’il vous a été rapporté… ?
Le général ROSE: Oui, forcément, et même les deux incidents que nous avons pu
observer ⎯encore une fois, nous n’avions pas de pre uves directes, mais de fortes présomptions:
des armes différentes, des gens d’aspect différent, des uniformes différents, un plan et un contrôle
et un commandement différents. Et, bien sûr, Belgrade n’a jamais réclamé ses bombardiers, je
crois ⎯même si les pilotes ont été enterrés en Yougoslavie ⎯ et que l’armée de l’air a organisé
des funérailles militaires d’après ce que j’ai compris ⎯, donc, c’était plutôt une présomption, mais
une présomption assez forte, je dirais.
Mme KORNER : Quand vous étiez à Sarajevo, le tunnel était-il opérationnel ?
Le général ROSE : Bien sûr qu’il était opérationnel.
Mme KORNER : Et il l’a été durant tout votre séjour ?
Le général ROSE : Oui.
Mme KORNER: Et c’est, parce que ⎯et je sais, dans votre livre, cela a suscité des
problèmes, mais Sarajevo était alors une ville assiégée.
Le général ROSE : C’était en effet une ville assiégée, mais il ne s’agissait pas d’un siège de
type médiéval comme on peut en imaginer d’ap rès ses lectures. Les habitants pouvaient, en
empruntant le tunnel ou en se livrant à certaines transactions, faire entrer et sortir des biens. Et,
bien sûr, pendant l’essentiel de la deuxième phase de mon séjour là-bas ⎯grâce au cessez-le-feu
que l’Organisation des Nations Unies avait négocié et qui, dans un premier temps, a été observé par
les trois parties ⎯ des convois arrivaient de Hambourg pour ai nsi dire au cŒur de Sarajevo, et la
vie a semblé reprendre ses droits. Et l’électricité a été rétablie, les canalisations ont été réparées,
les tramways ont recommencé à circuler, mais tout cela n’a duré hélas que jusqu’en septembre, je
pense. L’état de siège n’était donc pas total, et il y avait des transactions entre les deux parties. A - 16 -
quel niveau, je l’ignore, mais des marchandises circulai ent de part et d’autre de la ligne de front au
milieu de la nuit, et je le sais ne serait-ce que parce que nous avons pu le constater sur des
photographies prises par satellite une nuit où il avait neigé.
Mme KORNER : Je voudrais maintenant vous poser une autre question : vous avez évoqué
⎯et de toute évidence, vous connaissez bien ⎯ la résolution836 du Conseil de sécurité de
l’ONU.
Le général ROSE : Oui.
Mme KORNER: Vous souvenez- vous de son libellé? Vous vous en rappelez sûrement
certains passages ?
Le général ROSE : Je me souviens de certains passages.
Mme KORNER : Vous souvenez-vous du cinquième paragraphe de la résolution, où il est dit
que le mandat de la FORPRONU devait lui permettre, dans les zones de sécurité mentionnées dans
la résolution 824, de dissuader les attaques ?
Le général ROSE : C’est cela. Dissuader les attaques, par tous les moyens possibles…
Mme KORNER : Et je vais lire la suite : «de contrôler le cessez-le-feu, de favoriser le retrait
des unités militaires ou paramilitaires ne relevant pas du Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine et d’occuper quelques points essentiels sur le terrain».
Le général ROSE : C’est exact.
Mme KORNER: Elle vous autorisait également, si je ne m’abuse, dans l’accomplissement
de ce mandat, à prendre pour vous défendre, ⎯et c’est dont vous vouliez parler, je crois ⎯ les
mesures nécessaires, y compris en recourant à la force, en riposte à des bombardements des zones
de sécurité par toute partie à des incursions ar mées dans ces zones ou si, à l’intérieur de ces zones
ou dans leurs environs, la liberté de circula tion de la FORPRONU ou de convois humanitaires
protégés était délibérément entravée.
Le général ROSE : C’est exact.
Mme KORNER: Il est plus juste de parler, comme vous l’avez fait, des forces du
Gouvernement bosniaque que des forces musulmanes, comme on les désigne parfois, n’est-ce pas ? - 17 -
Le général ROSE: Oui. Parce qu’elles ne comptaient pas que des Musulmans, mais
également quelques Serbes, et des Cr oates, après la constitution de la fédération. Il est donc plus
juste de parler de forces du Gouvernement bosniaque.
Mme KORNER : Très bien. Je vais vous poser quelques questions à propos de votre livre.
Je ne sais pas si vous en avez apporté un exemplaire.
Le général ROSE : Souhaitez-vous que je me reporte à certaines pages en particulier ?
Mme KORNER : Je pense que cela pourrait être utile.
Le général ROSE : Je vais devoir, je crois, vous faire confiance, car le mien est…
Mme KORNER : Je crois que j’ai, moi, la version de poche.
Le général ROSE : Très bien alors, ce n’est pas l’édition cartonnée.
Mme KORNER: Quoique… Les numéros de pag es risquent d’être différents. Je sais: si
nous vous donnons l’édition cartonnée… S’il vous plaît.
Le général ROSE : J’ai l’édition de poche.
Mme KORNER : Malheureusement, les pages que nous avons marquées sont toutes… Les
pages sont différentes, je crois, ne serait-ce que pour nous compliquer…
Le général ROSE : Elles sont certainement différentes.
Mme KORNER : Oui. Désolée pour tous ces pe tits bouts de papier. Pourriez-vous, je vous
prie, vous reporter à votre introduction ⎯à la page 3. A l’avant- dernier paragraphe, vous avez
⎯à propos de Bosniaques évoquant l’opération mil itaire engagée contre l’Iraq par une coalition
internationale emmenée par les Etats-Unis ⎯ écrit ceci :
«Toutefois, il ne s’agissait pas simplement, en Bosnie, de l’invasion d’une
nation par une autre; une guerre civile se jouait autour du territoire, les Croates de
Bosnie et les Serbes de Bosnie cher chant à faire sécession pour obtenir leur
rattachement à celui de leurs compatriotes de la Croatie et de la Serbie voisines.»
Le général ROSE : Oui, et j’en reste persuadé.
Mme KORNER : Je voudrais juste voir si nous pouv ons établir un fait, à ce propos. Dans le
type de guerre territoriale auquel vous pensez, ser ait-il exact de dire ceci: si, par exemple, nous
revenons à l’époque napoléonienne ⎯ Napoléon envahissant, par exem ple, l’Espagne, le Portugal
et d’autres pays pour agrandir son territoire : c’est bien cela que vous appelez une guerre
territoriale, n’est-ce pas ? - 18 -
Le général ROSE : Oui, et j’établissais ici un parallèle avec l’invasion du Koweït par l’Iraq,
cas manifeste d’invasion d’un pays par un autre. J’aurais pu donner l’exemple de l’invasion des
Malouines par l’Argentine, mais le sujet m’a semblé un brin trop sensible !
Le PRESIDENT : C’était peut-être en effet s’engager sur un terrain dangereux.
Mme KORNER: Mais il y a bien une différence, n’est-ce pas, entre ce qui se passait en
Bosnie et ce genre de guerre que vous évoquez. En ce sens que ⎯dites-moi si je me trompe ⎯
l’invasion, la conquête du territoire, si l’on préfère l’appeler ainsi, était suivie de l’éviction de ce
territoire, sous une forme ou sous une autre ⎯ et je n’entrerai pas ici dans le détail des méthodes
employées ⎯, de tous les membres d’un groupe ethnique ?
Le général ROSE : Parfois, mais pas systématiquement.
Mme KORNER : Mais dans le cas de la Bosnie ?
Le général ROSE: En Bosnie, assurément, l’ éviction des groupes ethniques, le nettoyage
ethnique, était systématique et, je l’ai dit dansmon exposé, il était pratiqué par les trois parties
belligérantes. Dans certaines régions, les égli ses avaient toutes été détruites, tandis que les
minarets restaient debout; dans d’autres, les minarets avaient été détruits et c’étaient les églises qui
restaient debout; dans d’autres encore, telles églis es chrétiennes avaient été détruites, tandis que
telles autres restaient debout, ou inversement. La situation était éminemment complexe, mais il est
incontestable que les gens, les groupes ethniques minoritaires de ces autres régions, ont été soumis
à un véritable nettoyage ethnique.
Mme KORNER : Vous avez néanmoins soutenu, je crois, dans le cadre de votre déposition
en l’affaire Galić, qu’à votre arrivée à Sarajevo, les Serb es contrôlaient une grande partie du
territoire de Bosnie-Herzégovine ⎯ 70 % ?
Le général ROSE : C’était mon avis.
Mme KORNER: Et, comme vous l’avez dit à la Cour, c’était la ra ison pour laquelle les
Serbes de Bosnie avaient intérêt à ce qu’il y ait un cessez-le-feu.
Le général ROSE : Tout à fait.
Mme KORNER : Parce que, à ce stade, ils avaient un net avantage militaire.
Le général ROSE : C’est exact. - 19 -
Mme KORNER : Vous avez brièvement indiqu é comment vous perceviez les relations entre
la République fédérale de Yougoslavie et la Republika Srpska, en Bosnie. Et je pense que vous les
avez également évoquées à quelques reprises dans votre ouvrage ⎯ une fois de plus, vous voudrez
bien y jeter un rapide coup d’Œil pour le confirmer. A la page 44, lorsque vous décrivez… Je
pense que c’est en réalité à la suite du bomba rdement de Markale…vous dites, au deuxième
paragraphe :
«A notre retour à la résidence, nous étions d’humeur sombre. Akashi voulait
que je l’accompagne directement à Belgrade. Il entendait faire pression sur le
président Milošević pour l’amener à persuader les Serbes de Bosnie d’accepter un
cessez-le-feu immédiat et de retirer leur artillerie d’autour de Sarajevo.»
Dans ce cas, donc, l’on prêtait bien à Milošević le pouvoir de faire pression ?
Le général ROSE : Absolument. Et c’est précisément ce qu’il a fait.
Mme KORNER: Et si vous allez maintenant à la page 108, je voudrais juste prendre deux
ou trois exemples, l’avant-dernier paragraphe, tout en bas, la dernière phrase: «13h15,
Viktor» ⎯ il s’agit de Viktor Andreev, n’est-ce pas ?
Le général ROSE : Désolé, je ne vous suis plus.
Mme KORNER: Si vous regardez à la page 108, à l’avant-dernier paragraphe, qui
commence par : «Le 11 avril».
Le général ROSE : J’y suis.
Mme KORNER: La dernière phrase de ce paragraphe: «à 13h15, Viktor» ⎯ je vous
demandais s’il s’agissait bien de Viktor Andreev ?
Le général ROSE : Lui-même.
Mme KORNER : «qui s’était entretenu avec Belgrade, a rapporté que le président Miloševi ć
était intervenu personnellement pour persuader Karadžić d’arrêter les bombardements.»
Le général ROSE: Tout à fait, tout à fait. Et je pense l’avoir dit dans mon exposé: on
pouvait… Mais cela ne se faisait pas tout de suite, comme en appuyant sur un bouton, il fallait
exercer toutes sortes de pressions avant qu’un effet ne se produise.
Mme KORNER : A ce propos, je vous prie, gé néral, vous avez décrit la manière dont vous
perceviez les relations entre Mladi ć et Karadži ć. Connaissiez-vous un certain général
Rupert Smith ? Le connaissez-vous ? Je pense que oui. - 20 -
Le général ROSE : Je le connais très bien.
Mme KORNER : Je voudrais juste savoir si vous êtes d’accord avec certaines des vues qu’il
a exprimées. Comme vous le savez, il a témoigné en l’affaire Milošević et, à propos de l’aide de la
République fédérale de Yougoslavie à la Republika Srpska, notamment du paiement de la solde des
officiers, il a déclaré: «En fin de compte, celui qui paie est généralement celui qui commande.»
Partagez-vous ce sentiment ?
Le général ROSE: Sans doute pas entière ment. Je pense que mon successeur, le
général Smith, a beaucoup moins eu affaire au régime de Pale, Karadžić et Mladić étant alors sur le
point d’être inculpés de crimes de guerre. Je pense que leurs rencontres ont été extrêmement rares.
Et, me semble-t-il, en disant que «qui paie l es violons choisit la musique», on fait croire qu’il
existait une relation plus étroite que ce n’était le cas effectivement, en tout cas d’après moi.
Mme KORNER: Cela nous a ra mène à la relation telle que lui la percevait ⎯et je me
demande si vous étiez d’accord. Interrogé su r sa perception de la relation entre Miloševi ć et
Mladić, il a répondu ceci : «Je crois que Mladić exerçait le pouvoir dans son propre domaine et il
pouvait le faire en toute liberté et sans contrôle tant que les affaires de M. Miloševi ć et de la Serbie
ne s’en ressentaient pas.»
Le général ROSE : Il serait certainement juste, selon moi, de dire que Mladi ć poursuivait ses
propres desseins, et que le régime de Belgrade le soutenait peut-être moralement et matériellement,
mais n’exerçait pas sur lui de contrôle militaire. Mladić poursuivait ses propres desseins.
Mme KORNER : Savez-vous à quelle fréquence sir Rupert Smith a eu affaire à Belgrade ?
Le général ROSE : Je l’ignore.
Mme KORNER : Vous ne savez pas. Très bien. Je vous remercie.
Le général ROSE : Je crois me souvenir qu’il m’a dit n’avoir rencontré Mladi ć qu’à une ou
deux reprises, tandis que je le re ncontrais, moi, presque toutes les semaines. Mais, comme je l’ai
dit, le contexte international avait changé, avec la perspective de l’inculpation de Mladić et de
Karadžić, de sorte que les visites étaient forcément plus espacées.
Mme KORNER: Pour finir, je cite rai une dernière fois votre livre ⎯ pouvez-vous vous
reporter à la page34, je vous prie ? Madame le président, si je puis me permettre, je sais que
M.Brownlie a un exemplaire de l’ouvrage, ma is nous avons photocopié les pages dont il est - 21 -
question ici, si vous souhaitez les voir.Dans le deuxième paragraphe vous décrivez les réunions
tenues par — je pense que c’était l’un de vos offi ciers, n’est-ce pas? En fait non, c’était votre
chauffeur :
«Ces deux premières réunions lui servirent à établir de bonnes relations avec les
gardes du corps de Karadži ć et Mladi ć. Au cours des mois, il a pu glaner de
nombreuses informations auprès d’eux, sur ce qu’ils pensaient de la situation et ce que
faisaient leurs employeurs. Il a été particulièrement intéressant d’apprendre que
Mladić se rendait régulièrement à Belgrade le mardi. Cela montrait clairement que
Mladić y recevait ses ordres directement du quartier général de l’armée.»
Le général ROSE: C’est l’impression que l’ on avait —qu’il se rendait régulièrement au
quartier général de l’armée yougoslave, mais pas nécessairement pour y recevoir des ordres directs.
Nous n’en avons pas la preuve, mais il est certain qu’il allait y prendre conseil.
Mme KORNER : Merci. En ce qui concerne le contrôle exercé par les militaires, j’aimerais
juste revenir sur ce que vous avez déclaré dans l’affaire Galić, simplement pour nous dire si votre
position est toujours la même. Je parlerai da ns un moment des bombardements meurtriers.
M.Ierace, qui représentait l’accusation, vous a demandé quelle était l’étendue du commandement
et du contrôle des dirigeants militaires de toutes les factions belligérantes. Vous vous en souvenez
peut-être. Vous avez dit : «Oui. L’arrêt du pilonnage et l’arrêt presque complet des tirs embusqués
[alors que vous veniez de négocier un cessez-le-feu] ont montré que les deuxparties contrôlaient
parfaitement leurs machines militaires.»
Le général ROSE : C’est exact.
Mme KORNER: J’aimerais évoquer brièvement les deux incidents qui, à mon avis, furent
les deux problèmes majeurs auxquels vous avez dû fa ire face à votre arrivée. Le premier est le
pilonnage d’un secteur appelé Dobrijna. Vous vous en souvenez manifestement très bien. Voyons
comment les choses se sont passées. Il y avait eu, en fait, un incident, la veille de cet autre incident
plus connu ⎯le massacre du marché de Markale. Il y avait eu plusieurs explosions de mortier à
Dobrijna et vous avez dit :
«Des gens s’étaient rassemblés pour chercher des rations de l’ONU — c’était, il
me semble, l’après-midi — et quatre obus de mortier sont tombés dans cette foule et
un certain nombre de personnes ont été tuées ou blessées. Je pense qu’il y a eu six à
dix morts et environ vingt-huit blessés.»
Le général ROSE : C’est exact. - 22 -
Mme KORNER : Et on vous a demandé si des mesures avaient été prises pour examiner le
cratère d’impact et établir, si possible, l’endroit d’où avaient été tirés ces quatre obus de mortier.
Vous avez dit :
«Effectivement, l’analyse du cratère a eu lieu presque immédiatement. Les
éléments de preuve recueillis à cette occasion ⎯bien entendu, on ne peut être
absolument certain dans ces conditions, c’est loin d’être une science exacte ⎯ ont
indiqué clairement que c’était l’armée serbe de Bosnie qui avait tiré ces obus et
incontestablement pris pour cible les civils qui faisaient la queue pour retirer ces
rations.»
Le général ROSE : C’est juste.
Mme KORNER: Et c’est le lendemain qu’a eu lieu le fameux massacre du marché de
Markale. Plusieurs enquêtes ont été menées. Peut -on dire que l’on ne peut pas savoir exactement
d’où avaient été tirés ces obus ?
Le général ROSE : C’est exact.
Mme KORNER: Il ne me reste plus que deux points à aborder. Je vous remercie,
sirMichael. J’aimerais tout d’abord que vous ré pondiez à cette question: en tant que général de
l’armée britannique, si vous meniez des opérations dans un secteur dont vous êtes sur le point de
vous retirer, laisseriez-vous intentionnellement et délibérément derrière vous du matériel et des
vivres à l’intention d’une autre armée ?
Le général ROSE: Non, certainement pas. Ma is, bien entendu, on est parfois obligé de le
faire si la retraite est interrompue ou si les moyens de transport se révèlent insuffisants.
Mme KORNER: Oui, évidemment. Enfin... Je regrette, sirMichael, je vais devoir vous
demander de bien vouloir reprendre votre livre, pour revenir sur un autre point évoqué dans
l’affaire Galić. Ce passage concerne les soixante-dix pour cent dont vous avez parlé. Au cours de
l’interrogatoire supplémentaire, on vous a posé la question suivante : «En faisant part de leur désir
de paix, les dirigeants serbes ont-ils, à aucun moment , indiqué qu’ils allaient renoncer à une partie
des soixante-dix pour cent du territoire dont ils avaient le contrôle?» Après une intervention de
l’avocat de la défense, vous avez dit ce qui suit :
«Les Serbes ne peuvent en aucun cas être décrits comme des artisans de la paix.
C’étaient eux les agresseurs. Ils avaient pris une grande partie de Sarajevo et de la
Bosnie. S’ils voulaient faire la paix en 1994, tentant d’étendre le cessez-le-feu
instauré autour de Sarajevo à l’ensemble des Balkans, c’était précisément pour
pouvoir profiter de leurs conquêtes militaires, mais cela ne signifie pas que c’étaient - 23 -
des artisans de la paix ⎯ ce n’était pas le cas. Mais, l’accord de paix instauré autour
de Sarajevo leur permit de retirer leurs armes lourdes ⎯les obligea à retirer leurs
armes lourdes ⎯ qu’ils purent redéployer ailleurs, par exemple à Gorazde et à Biha ć,
où ils purent intensifier les combats. Par c onséquent, il faut faire la distinction entre
une volonté militaire d’établir la paix dans un secteur donné et les objectifs
stratégiques plus généraux consistant à maximiser les conquêtes territoriales par des
victoires militaires.»
Le général ROSE: C’était forcément ainsi. Les Serbes à ce moment-là, l’été1994,
commençaient à envisager d’échanger des territoires contre la paix. Tout ce qu’ils allaient y
gagner — 70 % du territoire —, ils étaient tout à fait prêts. Nous nous sommes entretenus à Pale,
avec M.Koce et M. Karadzic, sur la quantité de territoire à laquelle ils pourraient renoncer pour
garantir un cessez-le-feu durable. Et je pense qu’ils étaient prêts à réduire leurs prétentions,
jusqu’à 51% du territoire. Mais évidemment il y a eu des complications quant à la qualité du
territoire, qui ont interrompu ces pourparlers de paix. En tous cas, comme vous le dites, l’été 1994,
ils avaient utilisé tout leur potentiel de guerre, ils avaient conquis leurs territoires; c’est pourquoi ils
s’engageaient dans le processus de paix, pour essayer d’atteindre et de consolider leurs objectifs
politiques. Le Gouvernement bosniaq ue se trouvait, bien entendu, da ns la situation inverse; il
souhaitait alors reprendre l’offensive afin de recon quérir son territoire et ensuite déclarer une paix
juste, une fois son territoire reconquis ⎯ objectif toujours illusoire du point de vue militaire.
Mme KORNER: En fait, vous confirmez ce que j’ai dit. Je n’ai fait que reprendre vos
propres termes, sirMichael. Enfin, pourriez-vous , je vous prie, simplement vous reporter à la
page 35 de votre livre ? Vous y évoquez le nettoyage ethnique.
Le général ROSE : Oui.
Mme KORNER :
«C’est ainsi que le nettoyage ethnique s’était étendu à l’ensemble du pays.
Pendant la guerre, les Musulmans de Bosnie devinrent les principales victimes d’une
politique délibérée et systématique de netto yage ethnique et, dans certaines régions,
d’extermination. Bien que les trois par ties aient été, dans une certaine mesure,
coupables de crimes de guerre, le génocide, tel que le définit la convention des
NationsUnies sur le génocide, ne faisait pas partie d’une politique officielle des
pouvoirs publics comme c’était si clairement le cas du côté serbe. Les Serbes de
Bosnie n’étaient cependant pas les seuls à commettre des atrocités, une vérité souvent
difficile à communiquer aux membres de la communauté internationale.»
Le général ROSE : Je ne suis pas un expert en droit international, mais c’était certainement
mon avis lorsque j’ai écrit le livre.
Mme KORNER : Oui. Merci beaucoup, sir Michael. - 24 -
Le PRESIDENT: Merci. Monsieur Brow nlie, souhaitez-vous interroger à nouveau le
témoin ?
M. BROWNLIE : Oui, j’aimerais poser quelqu es brèves questions. Voici la première : mon
général, dans l’interrogatoire, lorsqu’on vous a demandé quel était de manière générale le
comportement du Gouvernement bosniaque à l’ égard du respect des cessez-le-feu, vous avez
indiqué que c’était toujours les Serbes de Bosnie qui rompaient le cessez-le-feu. Ne vouliez-vous
pas dire en fait les «Musulmans» ?
Le général ROSE : Je voulais dire les «Musulmans». Est-ce que j’ai dit les «Serbes» ?
M. BROWNLIE : Oui.
Le général ROSE : Oh, je voulais dire les «Mus ulmans». Je voulais dire les «Musulmans»,
c’était dans la logique de mon raisonnement…
Le PRESIDENT : Tout à fait. Je pense que nous avons compris que c’était un lapsus.
Le général ROSE : Je retire donc le mot «Serbes» et je le remplace ici par «Musulmans». Et
je peux vous citer des exemples qui ne font aucun doute. Il y eut un incident au mois de juin, après
des réunions à Genève entre les deux belligérants , sous la présidence de M.Akashi, réunions
auxquelles participait M. Ganić, le vice-président, qui commandait les forces armées. A son retour,
après avoir signé l’accord, il lança presque immédiat ement une attaque contre la partie occidentale
de Sarajevo pour rompre le cessez-le-feu.
Et il y a aussi bien sûr les informations techniques que j’ai pu présenter au président
Izetbegović, montrant que c’étaient ses forces, conduites par Delić, qui avaient délibérément rompu
le cessez-le-feu en septembre, boul eversant véritablement la vie d es habitants de Sarajevo. Et
pourtant, c’était leur propre gouvernement qui av ait rompu ce cessez-le-feu, pour pouvoir produire
les images de victimes et de souffrance dont il avait manifestement besoin pour gagner la
communauté internationale à sa cause. Ces deux exemples le montrent très clairement.
De même, sur le mont Igman, ce sont eux qui faisaient constamment des incursions dans la
zone démilitarisée, alors que les Serbes restaient généralement sur leurs positions, à l’extérieur de
la zone démilitarisée. - 25 -
M. BROWNLIE: Merci. L’autre question c oncerne le fait que vous avez confirmé au
conseil de la Bosnie qu’on ne vous avait montré aucun document.
Le général ROSE : Aucun.
M. BROWNLIE: Pourriez-vous aussi confirmer qu’à aucun moment on ne vous a laissé
entendre que votre déposition fournirait l’occasion de présenter des documents ?
Le général ROSE : A aucun moment.
M. BROWNLIE : Merci beaucoup. Merci, Madame le président.
Le PRESIDENT: Merci. La Cour va maintena nt se retirer, mais les Parties et le témoin
resteront à proximité de la grande salle de justice. Si la Cour souhaite poser des questions au
témoin, elle reviendra dans la salle d’audience dans les quinze minutes. Si la Cour ne souhaite pas
poser de questions au témoin, le Greffe en informera les Parties et le public. L’audience est levée.
L’audience est suspendue de 11 h 5 à 11 h 40.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Veuille z demander au témoin de nous rejoindre.
Sir Michael, la Cour souhaiterait vous poser quelques questions. Je donne tout d’abord la parole au
vice-président.
Le VICE-PRESIDENT: Merci, sir Michael. Dans votre exposé, vous avez fait une
observation que je ne peux malheureusement pas ci ter textuellement, mais que je vais tenter de
restituer. Vous avez dit que, dans l’intérêt de la paix, cette affaire ne devrait pas se poursuivre,
invoquant le fait que les dirigeants étaient mort s, et rappelant les événements historiques qui
suivirent la première guerre mondiale et les lourdes réparations qui furent imposées à l’Allemagne.
Certes, la paix est très importante, mais il y a une autre considération, celle de la justice.
Diriez-vous que ce qui a été fait après la seconde guerre mondiale ⎯ l’imposition de réparations à
l’Allemagne et les procès intentés aux criminels de guerre nazis et japonais ⎯ n’aurait pas dû
l’être, et qu’une commission pour la réconciliation et la vérité aurait été préférable ?
Le général ROSE : Je pense que ce que je voulais souligner, Madame le président, c’est qu’il
vaut mieux poursuivre des individus pour les crim es de guerre que d’essayer de juger des Etats. - 26 -
Les lourdes réparations imposées à l’Allemagne aprè s la première guerre mondiale entraînèrent la
fin de la démocratie dans ce pays et la montée du fascisme totalitaire. Bien entendu, à la fin de la
seconde guerre mondiale, des réparations furent impo sées, mais elle étaient beaucoup plus limitées
et, en même temps, la communauté internationale avait entrepris un programme de reconstruction
et entendait enterrer le passé; je pense que l’on avait ainsi créé un meilleur équilibre qu’après la
première guerre mondiale. Mais mon idée, c’est surtout que, si nous ne voulons pas punir les
nouvelles générations de Serbie-et-Monténégro, il vaudrait mieux continuer à poursuivre les
criminels de guerre et non les Etats. Je pense qu’il est plus constructif de rester dans la voie de la
vérité et de la réconciliation.
Le PRESIDENT : Merci. Je donne à présent la parole au juge Owada.
Le juge OWADA: Merci, Madame le président. J’ai une question à poser au témoin.
Général Rose, si je vous ai bien compris, vous av ez dit ceci : il n’existait pas de relation officielle
de commandement militaire entre la VRS et la VJ. Ma question est la suivante : Pour autant que je
l’aie bien comprise, cette affirmation repose-t-elle sur vos impressions, sur les déductions que vous
avez tirées de certains facteurs circonstanciels que vous aviez observés, ou sur des preuves
concrètes ?
Le général ROSE: Cela concerne… Je ne suis pas très sûr. Les relations entre les
commandants militaires de l’armée de la Republika Srpska et les forces armées régulières
yougoslaves…
Le PRESIDENT : Voulez-vous que l’on vous repose la question ?
Le général ROSE : Je pense l’avoir comprise.
Le juge OWADA : Voici la question : si je vous ai bien compris ⎯ comme il s’agissait d’un
échange verbal, j’ai pu mal comprendre ce que vous avez dit ⎯, mais il me semble que vous avez
dit qu’il n’existait de relation o fficielle de commandement militaire entre l’armée de la Republika
Srpska et l’armée yougoslave. Ma question est de savoir si vot re affirmation reposait sur vos - 27 -
impressions ou les déductions que vous avez tirées de certains facteurs circonstanciels que vous
aviez observés, ou si elle était fondée sur des preuves concrètes ?
Le général ROSE: J’ai très bien compris, Ma dame le président. C’était une conclusion
déduite des impressions que j’avais reçues pendant à cette période. Il n’y avait aucune preuve
concrète les confirmant ou les infirmant mais, ayant passé toute ma carrière dans l’armée, je sais ce
que sont des relations officielles de commandeme nt militaire et, à mon avis, il n’y en avait pas
entre ces deux organisations.
Le juge OWADA : Merci.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne maintenant la parole au juge Simma.
Le juge SIMMA: Merci, Madame le président. Sir Michael, je peux enchaîner sur ce que
vous venez de répondre au juge Owada. Vous dites que ce que vous saviez de la situation ne vous
permettait pas de conclure qu’il existait une relation officielle de commandement et de contrôle
entre Belgrade et les Serbes de Bosnie. D’autre part, sur l’une des pages de votre livre que le
conseil du demandeur a citées, vous dites que toutes les parties ont commis des atrocités et des
crimes de guerre puis, au sujet du génocide, que seule une partie était coupable de génocide, à
savoir la partie serbe. Compte tenu de ce que vous venez de dire au sujet des relations entre
Belgrade et Pale, diriez-vous que ⎯à condition que vous mainteniez cette affirmation, je ne sais
pas exactement en quelle année votre livre a été publié… Donc, si vous maintenez qu’un génocide
a été commis, diriez-vous que, à votre avis, le génocid e était plutôt le fait des Serbes de Bosnie, ou
que Belgrade y était impliqué ?
Le général ROSE: Non, je n’ impliquerais pas Belgrade. A l’évidence, le génocide était
commis par les—, et c’est ce que j’entends par génocide, la définition du génocide a
manifestement évolué. Ce livre a été publié, il me semble, en 1995. Je comprends mieux
aujourd’hui en quoi consiste le génoc ide, mais je n’ai pas changé d’avis: c’est le régime de Pale
qui commettait un génocide. Est-ce que le régime de Belgrade était im pliqué et dans quelle
mesure, je ne peux pas donner d’avis là-dessus. - 28 -
Le PRESIDENT. Merci. L’audition du témoin est à présent terminée. Merci, sirMichael,
de vous être présenté devant la Cour.
Le général ROSE : Merci, Madame le président.
Le PRESIDENT : La Cour entendra maintenant la déposition de M. Jean-Paul Sardon, qui a
été appelé en tant que témoin-expert par la Serb ie-et-Monténégro. Faites entrer le témoin-expert
dans la salle d’audience.
[Le témoin entre et prend place à la barre.]
Le PRESIDENT : J’invite M. Sardon à faire la déclaration solennelle prévue à l’alinéa b) de
l’article 64 du Règlement de la Cour.
Mr.SARDON: I solemnly declare upon my honour and conscience that I will speak the
truth, the whole truth and nothing but the truth, and that my statement will be in accordance with
my sincere belief.
Le PRESIDENT: Je donne la parole à Mme Fauveau-Ivanovi ć pour qu’elle commence à
interroger le témoin-expert.
Ms FAUVEAU-IVANOVIC: Thank you, Madam President, Mr. Sardon, would you please
introduce yourself briefly to the Court and give an account of your experience and principal areas
of work.
Mr. SARDON: Madam President, Members of the Court, I am sorry, appearing before you
is quite daunting. My name is Jean-Paul Sardon; I am Director of Research at the Institut national
d’études démographiques in Paris. I am also director of the Observatoire démographique
européen, and in particular I am responsible for producing the Annuaire démographique du Conseil
de l’Europe every year. I am also a founder-member of a demographic research group, a network
called DemoBalk specializing in the demography . . . - 29 -
Le PRESIDENT : Excusez-moi de vous interromp re dès le début de votre exposé, mais nous
tenons à bien comprendre tout ce que vous dites. Pourriez-vous donc parler un peu plus lentement
pour les besoins de l’interprétation ?
Mr.SARDON: Excuse me, Madam President. I was saying that I am also a founder
member of a demographic research group, a network called DemoBalk, which up to now has
organized three international conferences on the de mography of the Balkans, the first held in
Thessaloniki in 1996, the second in Sarajevo in 20 00 and the third in Belgrade in 2005. That
concludes my introduction. Thank you, Madam President.
Ms FAUVEAU-IVANOVIC: Mr. Sardon, I ask you to make your statement to the Court.
Mr. SARDON: Madam President, to dispose of any ambiguity at the outset, I am anxious to
make it clear that I myself have not made any dir ect or indirect estimate of the number of victims
of the war that ravaged Bosnia and Herzegovina between 1992 and 1995. What I am going to put
before you here is a critical analysis of the published estimates, with particular emphasis on those
by the demographers from the Demographic Unit of the Prosecutor’s Office of the International
Criminal Tribunal for the former Yugoslavia. I will deal first with the victims of the war, before
moving on to refugees and displaced persons.
1. The victims of the war in Bosnia and Herzegovina (1992-1995)
Estimating the number of victims of this conf lict is a matter so sensitive and so emblematic
of the inter-ethnic conflicts that accompanied the break-up of the former Yugoslavia that it is more
often treated emotionally than as a topic calling for rigorous scientific examination.
All sorts of figures are circulating, selectedaccording to the sensibilities of those who cite
them, without their feeling it necessary to test their validity or even simply to check their source.
Estimates of the number of deaths due to the war for Bosnia and Herzegovina
as a whole (1992-1995) according to source and estimate
Sources Foreign sources Local sources
SIPRI (1993) 169,100
Bassiouni (1995) 200,000 - 30 -
Kenney (1995) 40,000-70,000
IPH (1 January 1996) 156,824
IPH (25 March 1996) 278,800
Praso (1996) 329,000
Bosnjovic-Smajkic (1997) 258,000
Boyle (1998) 139,000
Thomas (1998) 25,000-60,000
Zerjavic (1998) 220,000
Bosnjovic (1999) 252,200
Tabeau-Bijak (2003) 102,622
Thus we have seen the estimates of the num ber of persons killed and missing blossom,
ranging from 20,000 to 328,000, a qui te extraordinary ratio of 1 to 16. Most of these estimates
circulate without anyone knowing exactly what their sources are, or on what basis they were
calculated ⎯ assuming they were not the result of some form of spontaneous generation.
The first observation that can be made on analysing these estimates is that their level
depends to a large extent on the geographical origin of their authors. Estimates made in Bosnia and
Herzegovina are always much higher than those from outside the country. The average of the local
estimates is in excess of 247,000 as against less thanhalf that figure, 118,000, for the average of
the foreign estimates. This is relatively common in situations of this type: the victims’ side always
overestimates its losses. In addition, most of th e local figures take into account the increase in the
death rate due to the deterioration in living conditions during the war.
Unfortunately, whether the figures were produced inside or outside the former Yugoslavia, it
is not at all easy to see how their authors reached th em. This is not generally stated at the time of
publication. However, there is a limited number of methods that can be employed:
⎯ using death statistics supplied by the Sarajevo Institute of Public Health;
⎯ comparing the expected population inherited from the last census (1991) and the estimated
current population;
⎯ combining these two methods. - 31 -
The main problem in such work is the lack of critical appraisal of the quality of the sources
used, in particular the death-rate data gathered by the Institute of Public Health; we know that
these greatly overestimate the number of deaths, due to double counting.
Among all the estimates to which we have had access one is conspicuous for its quality, that
prepared by Ewa Tabeau and Jakub Bijak, demographers attached to the Office of the ICTY
1
Prosecutor. In this work, now published , the number of victims due to the war is estimated at
102,622.
In this document, as in all those prepared by the ICTY Prosecutor’s Office Demographic
Unit, the authors match up all the sources before treat ing a person as dead or missing. In addition,
all the documents essential to understanding the way in which these figures are obtained are given,
and a scientific approach is consistently followed, even though it can be criticized on certain points.
For this work, as for all the work by the De mographic Unit, the authors mobilized all the
available sources dealing with deaths. Thus th eir first task was to eliminate double counting from
the various lists available of persons deceased, killed or missing.
Then, once doubles had been eliminated, each death registered was checked against the 1991
individual census forms in order to verify the identity of the individual concerned, and then
compared with the 1997-1998 and 2000 electoral regi sters in order to check the validity of the
death certificate or missing persons declaration.
After all of this cross-checking, the minimum number of dead or missing persons was
calculated at 107,395, of which 67,530 were due to the war. These are persons declared dead or
missing whose census forms have been recovered and who do not a ppear on any electoral roll.
This number does not include the 1,923 persons found both on the list of victims and on the
electoral roll, whose fate is therefore unknown. But this is where the first problem lies.
Such duplication is allowed for only in r espect of individuals on the 1997-1998 electoral
rolls. But the OSCE (Organisation for Secur ity and Cooperation in Europe) considers that
1Ewa Tabeau and Jakub Bijak, “Casualti es in the 1990s War in Bosnia and Herzegovina: A Critique of Previous
Estimates and the Latest Results”, paper presented athe Seminar on the Demography of Conflict and Violence,
Jevnaker, Norway, 8-11 November 2003. This work was publis hed subsequently under the t itle “War-related Deaths in
1992-1995, Armed Conflicts in Bosnia and Herzegovina: A critique of Previous Es timates and recent resulin”
European Journal of Population, 2005, No. 21, p. 187-215. - 32 -
20 per cent of those eligible to vote, i.e., some 550,000 persons, are not registered . On the simple
assumption that the duplication affects those registered and those not registered in the same
proportion (0.99 per cent), the number of dead linked to the war should have been reduced by 302 3.
To be more accurate, this number should be calculated separately for each of the
communities. This is of some importance, because the electoral rolls are used to make certain that
a person is dead. Thus a person wrongly declared dead can be taken off the list of deceased
persons only if registered to vote. If not registered , that person is definitely treated as dead. If the
proportion of those not registered differs from one nationality to another, the estimate of the
number of victims according to ethnic affiliation can be more prone to error than the estimate of the
total number of deaths, irrespective of ethnic membership.
Nonetheless, the estimate of the minimum number dead or missing cannot be broadly
challenged. May I remind you that this minimu m estimate of the number of victims is 107,395,
67,530 being due to the war.
Since matching death certificates with indivi dual census forms was possible in only a little
over 81percent of cases, the number of reco rded victims is only a minimum and thus
underestimates the total number of victims. Th ese minimum figures have therefore been adjusted
to take account of cases where no such matches could be made.
As is often the case, the key point is the adju stment procedure applied in order to estimate
the total number of victims. For this purpose, the authors have accepted, as is frequently done, that
the 19 per cent of persons for whom no match coul d be made between death certificate and census
form had on average the same characteristics as those for whom the two sources could be matched.
The underlying hypothesis is that the proportion of confirmed deaths would be the same for the
deceased persons whose census form had been reco vered and for those who could not be matched
with a census form. This implies that no distin ction is drawn between individuals from these two
groups, and in particular that the probability that the death certificates and census forms can be
matched is independent of the characteristics anal ysed. To put it plainly, it was assumed that
2
(2210252/80)*100-2210252) = 553013.
3(67530/107395)*481. - 33 -
individuals for whom no match could be f ound were not preponderantly individuals wrongly
declared dead, or individuals belonging to a particular community.
There is nothing to support that hypothesis, wh ich is merely one of the possible hypotheses.
We could equally well make the assumption that th e 19 per cent is not a random sample of all the
death certificates, but on the contrary results from a selection effect. Hence the 81 per cent, despite
its size, is not necessarily representative of all persons and may give a biased picture, particularly in
regard to ethnic affiliation.
The weakness of the work by the demographers from the ICTY Prosecutor’s Office arises
from the fact that, although they have cross-checked the death certificate file, they have not made a
critical analysis of the electoral roll and the census, apart from eliminating double counting in the
1991 census.
The effect of this adjustment is significan t, because it raises the number of war victims from
67,530 to 80,868.
To complete their estimate of the total number of deaths, the authors estimated the number of
civilian deaths recorded in the registers of Republika Srpska at half the civilian deaths recorded in
the territory of the Federation. As a first estima te they could equally well have assumed that the
civilian deaths were shared among the communities in the same proportions as the military deaths.
This would have involved a reduction in the number . . .
Le PRESIDENT : Pourriez-vous vous interrompre un moment ? Quelque chose ne va pas ?
C’est bon. Veuillez poursuivre, aussi lentement que vous pourrez.
M. SARDON : Je vais essayer.
So in this case, making this fresh assumption, this would have involved a reduction of nearly
3,000 in the number of injured. Under these cond itions the total number of deaths would be a little
under 100,000. Nonetheless it is apparent that the estimate by the Prosecutor’s Office
demographers is reliable and should be close to the true figur e. It is highly probable that the
number of deaths due to the war is in the region of 100,000. The fact that this estimate is very
close to that produced by Mirsad Tokaca, the director of the Sarajevo Research and Documentation
Centre, also suggests that it is a good approximation. The figure for civilian and military victims - 34 -
arrived at by his team at the end of February ca me to 96,436. This figur e should be refined still
further between now and the end of March, when the final report listing all the persons who died
during the conflict is due to be published.
The similarity of the two estimates is strong ev idence that the number of victims of the war
of 1992-1995 is half the figure of 200,000 commonly quoted.
Over and above the agreement on the total numbe r of victims, the distributions according to
ethnic affiliation are quite close. MsTabeau and Mr.Tokaca both estimate the Muslim share at
68percent, but the distributions differ somewhat for the others: 26percent Serbs, 5percent
Croats and 1percent belonging to other communities according to Mr.Tokaca, while MsTabeau
puts the respective shares at 19percent, 8percent and 5percent. It is true that MsTabeau’s
distribution is calculated on the uncorrected figures for minimum numbers.
II. Refugees and displaced persons in Bosnia and Herzegovina (1992-1995)
While there are official records of deaths or disappearances, that is not the case for refugees
and displaced persons; hence the vital importance of estimation procedures, especially when one is
looking at a particular area, as was the case in most of the proceedings before the ICTY, whose
expert studies served as a basis for our analysis.
4 5
Those studies [reports or presentations ], prepared by members of the Demographic Unit,
use the same methodology as that used by Ms Tabeau, to which I have already referred. Moreover,
it was in the context of these studies that the methodology in question was established.
Since all these reports follow the same methodology and exhibit the same structure, I shall
treat them in what follows as if they were a single document.
4
Le procureur c. Momcilo Krajisnik, «Submission of Updated Statement of Dr. Ewa Tabeau» (29mai 2003) et
Le procureur c. Slobodan Milošević, «Prosecution submission of expert report of Ewa Tabeau pursuant to rule 94bis» (28
avril 2003).
5
Helge Brunborg, «Contribution de l’analyse statistique a ux investigations des tribunaux pénaux internationaux»,
Conférence internationale sur «Statistique, développementet droits de l’homme» organisée à Montreux du 4 au 8
septembre 2000, et Helge Brunborg, Torkild Hovde Lyngstad et Henrik Urdal, «Accounting for Genocide: How Many
Were Killed in Srebrenica?», Revue européenne de démographie, vol. 19, p. 229-248, publié en 2003 (présentation des
résultats du rapport de Helge Brunborg et Henrik Urdal, «Rapport sur le nombre ddisparus et de morts originaires de
Srebrenica», dans Le procureur c. Radislav Kristic, 12 février 2000). - 35 -
From a methodological standpoint, several criticisms can be made as regards both the
sources and the hypotheses, whether implicit or explicit, that were adopted. First of all, regarding
the criticism of sources, the authors confine themselves to the accounting or bookkeeping aspect:
⎯ they provide no assessment whatsoever of the quality of the information obtained from the
1991 census on ethnic affiliation, nor on the completeness of that census;
⎯ nor do they consider the possibility of selection biases which could have affected the procedure
for registration on the electoral lists.
Measurement and definition of refugees and displaced persons
One initial criticism concerns the way in whic h refugees and displaced persons are counted,
and hence defined.
Thus, refugees and internally displaced persons were counted on the basis of a comparison
between the municipality in which they had their official place of residence at the time of the 1991
census and the municipality in which their names were entered on the electoral list. All eligible
voters who, in 1997, resided outside the municipality of official residence in Bosnia and
Herzegovina, as declared in 1991, were considered as refugees if they were not registered from
abroad, and as displaced persons if such registration took place in another municipality in the
country.
In a report submitted during the trial of Slobodan Miloševi ć, the authors wrote that voters
6
resident abroad “can and must” be considered refugees . This is a rather surprising affirmation,
and one which leads to the number of refugees being inflated, for several reasons.
First, the fact that persons living abroad are included creates a problem. While such
inclusion does not significantly alter the ethnic composition, as the authors state (p.6, v.SM), it
does nevertheless increase the number of refugees by 15 per cent . . .
Le PRESIDENT: MonsieurSardon, je suis navrée de vous interrompre à nouveau, mais
nous tenons vraiment à suivre ce que vous dites et que vous permettrez à ceux d’entre nous qui
suivent l’interprétation de mieux vous comprendre si vous parlez un peu plus lentement ?
6There appears to be a contradiction between pages 6 and 28 concerning the definition of refugees; on page 28, it
is said that refugees are defined by comparing places of residence in 1991 and in 1997-1998. Does this mean that
persons already outside the country in 1991 were not taken into account? - 36 -
M. SARDON : Je vais faire de mon mieux, mais, vous savez…
Le PRESIDENT: Soyez assuré que nous vous savons gré de votre présence ici. C’est
justement parce que nous sommes intéressés par ce que vous dites que nous aimerions que vous
parliez plus lentement.
Mr. SARDON: Je vous prie de m’excuser. As I was saying, the inclusion of persons living
abroad serves to increase the number of refugees by 15per cent, since 13per cent of the voters
registered abroad were already outside the country in 1991. This, then, implies not only that all
those persons who had emigrated before the 1991 census were prevented from returning because of
the war, but also that, during the war, no one left the country for reasons unconnected with the war.
Finally, it means that, even if there had been no war, no one would have emigrated. A more
realistic hypothesis would have been to consider th at the rate of emigration, in the absence of war,
would have been very close to the rate observe d in the years preceding the war. The authors’
statement is surprising and it is presented without any serious supporting arguments. Thus, it is
difficult to understand why the authors did not consider the possibility of continued labour
emigration, even in the prevailing circumstances and even if this hypothesis were ultimately to be
rejected after analysis. Similarly, the me thod used tends to exaggerate the number of displaced
persons within Bosnia and Herzegovina. There were quite logical reasons for using this method to
make an initial estimate, but the authors could have been expected to obtain a more accurate picture
by considering whether, in spite of the war, certain changes of residence during the period 1991 to
1997 might not be regarded as “normal”. Moreover, they could also have considered whether, in
the absence of war, all the survivors would have continued to reside in the same municipality. For
that purpose, and in order to refine their estimate of the number of refugees, it would have been
possible to consider that changes of official resi dence would have continued at a rate close to the
pre-war level. And as I am sure you are aware, marriage in particular is often an occasion for
internal migration on the part of one of the spouses, who goes to live with his/her marriage partner. - 37 -
Estimated total number of refugees and displaced persons
Following this initial calculation, which gi ves the number of refugees and internally
displaced persons, defined by authors as a minimum, using for this purpose ⎯ I would remind
you ⎯ only the population of voters for whom a census entry could be identified, the authors
estimated the total number of refugees and displaced persons based on the assumption that the
proportion of such persons in the subpopulation concerned should be very close to the figure
calculable for the entire population of the area considered, be it a particular region or the entire
country.
The hypothesis used by the authors is valid, provided that at least one of the following two
conditions is fulfilled:
1. the population subset in which the proportion is calculated must be sufficiently large in relation
to the target population as a whole, so that the non-observed portion cannot ⎯ other than
marginally ⎯ affect the calculation;
2. the population subset must constitute a random sample, that is to say a representative and
non-biased sample of the entire population.
In this case, it cannot be argued that these conditions have been properly fulfilled. Not only
was it possible to match only 80per cent of regi stered voters with census entries, but the OSCE
found that at least 20 per cent of eligible persons ⎯ as I said before ⎯ did not register to vote, and
the authors even estimate that one quarter of eligib le persons were not registered. As a result, in
overall terms, the estimate would be based on a s ubset of only about 60percent of the eligible
population, thus representing an even lower proportion of the total population, since account should
have been taken of the population under 18 years of age, which was not eligible.
This two-step process, registration on the list of electors and matching with census entries,
could just as easily be responsible for selections liable to bias the proportion measured.
But before analysing these sources of bias, le t us look at the problem of mortality between
the 1991census and 1997-1998. In estimating the number of displaced persons and refugees by
applying the proportion measured among electors to the total population recorded by the
1991 census, the authors appear to regard as insi gnificant the fact that some 500,000 persons died
during the war ⎯ of natural or war-related causes. Thei r hypothesis is not very wide of the mark, - 38 -
since the number of deaths, whether war-related or otherwise, represents a little over 3 per cent of
the pre-war population. Nevertheless, the conse quences of this overestimation are of the same
magnitude for all calculations based on the size of the population in 1991.
Entry of names in the OSCE register of voters
Let us now look at the possible selection effects in the compilation of the register of voters.
In order to determine whether the electoral lists may be used to estimate the number of dead or
missing persons, and their distribution among the ma in communities, it is essential to ascertain
whether the registered persons really constitute a representative sample of the population of Bosnia
and Herzegovina, as well as of each of its component parts, or whether certain groups refused to
take part in the voting, some in slightly greater numbers than others.
The first element of doubt concerns the composition of new entries in 1998, which are
known to have been consolidated in a single register, together with those from 1997. The number
of these new electors, 150,000, is in fact already twice as high as the number of persons who
became newly eligible to vote between 1997 and 1998, that is to say those who had not yet reached
the minimum statutory age in 1997. This means, therefore, that, in addition to those persons born
in 1980 who had reached the minimum age in 1998, other persons who could have registered in
1997 did not do so until 1998. Thus, if the persons who registered in 1998 are not representative of
those who should have done so in that year, this may perhaps mean that those who registered in
1997 were not necessarily representative of all the pers ons eligible to do so. Moreover, there is no
reason to believe that the single register created by the consolidation of the 1997 and 1998 lists is
any more representative.
Furthermore, while the authors acknowledge that the register cannot be used to estimate the
total population figures (this is obvious, since th e register does not include the population aged
under 18), they explain that it may be used to analyse ethnic composition and to estimate the
number of displaced persons and refugees. Thus, faced with under-registration on the electoral list,
the authors decided to increase the estimated size of the communities by applying a coefficient
equivalent to the under-registrati on estimated by the OSCE. In so doing, they made the implicit
assumption that under-registration is independent of ethni c status or affiliation. It is more than a - 39 -
little surprising that the authors do not consider th e possibility of a selection bias in the electoral
register. Yet, it is conceivable that some nationalities, in greater proportions than others, might not
be registered on the electoral lists.
However, even if we accept the authors’ hypothesis that under-registration is largely
independent of ethnic affiliation because of possible compensating factors, that hypothesis is
particularly unrealistic when applied to smaller areas, regardless of nationality. Thus it may be
assumed that the members of minority groups could ha ve been reluctant to register their names on
the electoral lists in areas where relations with the majority community were hostile. In regions
where the Serbs were in the majo rity, Muslims might well have avoided registering so as not to
inflame tensions, and the same would be true of Serbs living in overwhelmingly Muslim regions.
It follows that, although it is true that the el ectoral list does constitute a broad sample of the
population living in the country in 1997-1998, it is difficult to accept, without further research, that
this sample is truly representative of the entire population and of each of the individual categories
or communities, since the proportion of unregis tered voters could vary widely among those
communities, and from one geographical area to another.
Matching electoral rolls with census returns
Matching the electoral rolls with the census returns is a potential source of further bias. Thus
for one-fifth of the individuals, i.e. 150,000 electors, matching proved impossible. Such a high
proportion of non-matches casts doubt on the represen tativeness, not so much of the individuals
entered on the electoral rolls, but of those fo r whom matching with the census data proved
successful.
In effect, without information on the character istics of the individuals for whom matching
failed, it is impossible to rule out the hypothesis of selection bias. For example, when experts state
that certain matches could not be made due to “spelling mistakes”, it raises the issue of whether
such “spelling mistakes” could be more frequent for certain communities.
When the authors correct the number of cases reco rded in order to give an overall estimate
for the area surveyed, they provide a figure down to the last unit, giving the illusion of a very
precise estimate or even a verified figure. Providing this figure to the closest thousand would have - 40 -
been largely sufficient and made the status of the estimate more obvious. The apparent precision of
the estimated figure should not be allowed to ma sk the approximate nature of the correction
coefficients, which could increase the number of people still very much alive by 50 per cent.
It can readily be appreciated, with the surv ey rate of 60percent achieved by using the
electoral rolls, just how significant possible biases could be, when not only is just 60 per cent of the
total population taken into account, but there is no data available for the remaining 40 per cent.
This problem of course becomes more acute when individual areas are analysed, since any
offsetting factors applied at the national level do not exist in such cases; it is all the more acute in
that, in certain areas, the true survey rate must be below the national average of 60 per cent.
The 1991 census
The first problem in using the 1991 census is that of the definition of the legal population,
which corresponds to the concept of the de jure population; that is to say that the census did not
just count those people living in the country at th eir official abodes, but also those citizens living
abroad 7. As a result, the total population count for 1991 overestimates the population actually
present in the territory of Bosnia and Herzegovina on the census day and, thus, on the eve of the
war. That could result in turn in an overestimat e of the discrepancy in electoral roll totals and,
hence, of the number “missing” between 1991 and 1998. We do not know, moreover, whether the
individuals living abroad registered for the elections in the same proportion as they did for the
census.
The second problem concerns the ethnic identity declared at the time of the census.
The Prosecution Office’s demographers seem to regard the ethnic self-identification given as
being fairly reliable, but this is not necessarily the case. Throughout the former Yugoslavia, ethnic
identity was a concept that was not always easy to define for all of the population. The
declarations could change over time as a result of the emergence of new designations (as with the
appearance of “Muslim” and “Yugoslav”). It c ould also change under the impact of political
contingencies— which could result in tension between communities— new political alliances or
pressure on minorities.
7In 1991, as in preceding censuses, the registration of in dividuals living abroad was organized in the consulates
and embassies. - 41 -
One only needs to trace the shifts in the populations of different national communities (as
well as of the “Nationality unknown” group) from one census to another to come to such a
conclusion.
Le PRESIDENT : Vous parlez à un rythme admirable, mais je dois quand même encore vous
interrompre. Madame Fauveau-Ivanovi ć, il avait été indiqué à la Cour que la déposition et votre
interrogatoire dureraient 30 minutes. Nous les avons largement dépassées. Pourriez-vous nous
indiquer pendant combien de temps encore le témoin va parler ?
MAsUVEAU-IVANOVI Ć: Madam President, I think that it will take another
five minutes. I ask you to grant us five minutes more.
Le PRESIDENT: Oui, je vous les accorde. Je saisis l’occasion pour assurer à la
Bosnie-Herzégovine qu’elle dispo sera d’un temps équivalent et qu’elle pourra poser toutes les
questions qu’elle voudra et y recevoir des réponses : la Cour siégera aussi longtemps que cela sera
nécessaire.
Mme KORNER: Si je puis me permettre d’insister, Madame le président, la technicité de
ces informations est telle qu’il nous sera impossible de mener un véritable contre-interrogatoire sur
la base de ces éléments. Le contre-interrogatoire se limitera donc à quelques questions d’ordre
général.
Le PRESIDENT : Merci. Veuillez poursuivre.
Mr. SARDON: For example, when we see that the number of “Yugoslavs” for Bosnia and
Herzegovina as a whole was divided by 6.3 betw een 1961 and 1971, before rising by 5.5 times
between 1971 and 1981, we can grasp that the change in the sizes or in the respective proportions
of national groups does not depend on natural growth or the balance of migration, but that there is
also a sort of mobility between groups. - 42 -
Population according to national group in various censuses 1961-1991
Population Percentage of total
Nagtiouapl 1961 1971 1981 1991 1961 1971 1981 1991
Croat 711,665 772,491 758,140 760,852 21.7 20.6 18.4 17.4
Muslim 842,248 1,482,430 1,630,033 1,902,956 25.7 39.6 39.5 43.5
Serb 1,406,057 1,393,148 1,320,738 1,366,104 42.9 37.2 32.0 31.2
Yugoslav 275,883 43,796 326,316 242,682 8.4 1.2 7.9 5.6
Albanian 3,642 3,764 4,396 4,925 0.1 0.1 0.1 0.1
Gipsy 588 1,456 7,251 8,864 0.0 0.0 0.2 0.2
Ukrainian 5,333 4,502 3,929 0.2 0.1 0.1
Other 35,169 25,011 27,408 18,874 1.1 0.7 0.7 0.4
Not given 8,482 17,950 14,585 0.2 0.4 0.3
Unknown 1,885 9,598 26,576 35,670 0.1 0.3 0.7 0.8
TOTAL 3,277,948 3,746,111 4,124,256 4,377,033 100.0 100.0 100.0 100.0
While we have no choice but to use the 1991 census as the basis for estimating the number
of dead, of displaced persons and of refugees, not questioning the quality of the information
declared in it and not pondering the acceptability of the extent of the bias which could result from
conceding the relevance of the declarations of et hnic identity might give grounds for concern. A
comparison of the answers given in past censuses by individuals born on the same day and living in
the same municipality could have provided inter esting information on the relative permeability, in
certain cases, of declarations of ethnic identitThe probability of two individuals living in the
same village being born on the same day is very low, providing the community’s population is not
very high. Data matching of this kind was carried out in Macedonia, although in totally different
circumstances of course; nevertheless, it showed that if, at the national level, some 4percent of
individuals had changed their declarations between two successive censuses, this proportion could
rise to 60 per cent in certain municipalities. - 43 -
One of the biggest problems also concerns the “Yugoslav” group 8, to which I referred
earlier. This group is, in effect, made up of a ll those who refuse the primacy of ethnic identity and
who believe that they are, above all, citizens of the same country irrespective of their origins.
Individuals born into mixed marriages should notably feature in this category.
So can these “Yugoslavs” be objectively cross- checked against the groups that the authors
are interested in, the Croats, Serbs and Muslims. If we cannot seriously expect transfers between
the Serb and Muslim categories, except possibly for the offspring of mixed marriages, we can be
fairly sure that the boundaries between each of these groups and the “Yugoslavs” are not
hermetically sealed and that exchanges with minorities of the same religion are highly probable.
Finally, along with all the problems which we have just described, there are also those of the
census’s coverage and the variability of this c overage according to the community or region
concerned.
Conclusion
While only minor criticisms can be made rega rding the estimate of dead or missing persons
at the national level, the estimates made by the sa me authors at the regional level are open to much
greater criticism, particularly those concerning the number of displaced persons and refugees.
Thus, in order to calculate the total number in the area under observation on the basis of the
minimum number observed, they rely on an implicit assumption which there is no way of
corroborating. This underlying assumption, common to all the analyses, whether of national or
regional data, is that the electoral list is a random sample of the total population of eligible voting
age. While this hypothesis may be more or less ac ceptable at national level, in respect of specific
areas, and to an even greater extent for compar isons between national groups, the results will
almost inevitably be vitiated by a degree of uncertainty. Thus, at the local level, the results may be
skewed by a number of factors, and in that case it is impossible to rely on compensating
differentials with other regions, as may be produced at the national level. For ethnic groups at the
regional level, the situation is much worse, si nce the hypothesis of independence must be proved
8The “Ethnic identity not given” and the “Unknown” groups could be additions to the “Yugoslavs” as trends for
the first group are parallel to those for the “Yugoslavs”, which could suggest a shared attitude, and the very rapid increase
in the “Unknown” group appears to be linked to a growing rejection of the primacy of ethnic identity. - 44 -
true for each of the communities. This is the weak link in the analysis, which is not directly related
to the quality of the electoral list, but to the way in which it was used.
Thank you for your patience, Madam President, Members of the Court.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsie urardon. Vous avez la parole,
Madame Fauveau-Ivanović.
FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Madam President, I have no questions for Mr.Sardon, but I
would like to apologize to you again for the time overrun.
Le PRESIDENT : Merci. Madame Korner, vous avez la parole.
Mme KORNER : Monsieur Sardon, ces informa tions sont extrêmement techniques, n’est-ce
pas ? Je vous vois acquiescer d’un signe de tête. Veuillez répondre par «oui» ou par «non».
Mr. SARDON: Yes.
Mme KORNER : Et vous faites, n’est-ce pas, la critique de l’étude de Ewa Tabeau et de son
collaborateur Jakub Bijak, intitulée «War related deaths in the 1992-1995 armed conflicts in Bosnia
and Herzegovina» ? Vous n’avez pas cité le document dont vous faites la critique.
Mr. SARDON: Yes, that is true, I should have cited it. It is in a footnote in my notes and I
forgot to mention it, I thought that everyone was familiar with it. I apologize.
Mme KORNER : Diriez-vous que Ewa Tabeau et Jakub Bijak sont les personnes qui ont fait
le travail démographique le plus minutieux et le plus cohérent sur ce conflit ?
Mr.SARDON: I thought I said that in my statement. Theirs was the most scrupulous
research and that is why I had taken a particular interest in their work, since the figures put forward
by others were very imprecise.
Mme KORNER : Lui avez-vous fait part d’aucune de vos critiques nourries et détaillées de
sa méthodologie ? De leur méthodologie ? En avez-vous fait part à l’un ou à l’autre, dans un article
ou de vive voix ?
Mr. SARDON: No. I have not done so for a simple reason, which is that I had been asked
to do this work in the context of these proceedings before the Court, and I therefore thought that I - 45 -
should not reveal the substance of my work in advance. However, if you authorize me to do so, I
shall be happy to discuss this matter with my colleagues.
Mme KORNER: Ne pensez-vous pas que cela pourrait aider la Cour à prendre, le cas
échéant, une décision, si vous-mêmes et Mme Tabeau vous rencontriez pour discuter de vos
critiques ?
Mr. SARDON: Perhaps, but allow me to stress one point, which is that, when one examines
the number of victims, that is the number of killi ngs or disappearances due to war, I have indicated
that the few criticisms and the consequences in numer ical terms are very limited. It is for this
reason, therefore, that I said that this estimate of 100,000 persons was no doubt quite realistic. And
so, a discussion with Ms Tabeau, though useful, would not throw much light on the matter, because
we might reach agreement on a figure which would differ by only a few hundred. But the overall
figure would still remain roughly the same . . .
Mme KORNER: Je ne parle pas des chiffres obtenus par les uns et les autres. Je parle de
votre critique de la méthodologie qu’elle a utilisée pour les obtenir. Pensez-vous qu’il serait utile
de vous entretenir de cela avec elle ?
Mr. SARDON: It might be of assistance, not in this precise case, but perhaps in respect of
subsequent uses of related methodology, in other situations. As you know, it is always easy to play
the critic when one has not done the work oneself, not been involv ed in the difficulties; and the
work they did was substantial. Hence, one can always criticize hypotheses. They used the simplest
hypotheses, those that are most commonly accepted in any situation, and I, for my part, simply
underlined possible uncertainties concerning the validity of the underlying hypotheses, that is all.
Mme KORNER : Ai-je raison de penser que vous n’avez publié en fait qu’une seule étude,
en 2001, sur l’évolution de la démographie dans les Balkans depuis la fin des années quatre-vingt ?
Mr.SARDON: Yes, I published that paper in a French journal. I have published others.
They were published in another magazine, I do not recall which one, which one you are referring
to, but I submitted a very similar article to a French magazine entitled Espace population société,
which was also concerned with demographic trends in all the countries of the Balkans during the
1990s or in earlier periods. - 46 -
Mme KORNER: Je vais vous demander d es précisions sur deux points que vous avez
évoqués dans un article — je n’en ai que la version anglaise — que vous avez écrit en 2001 et dont
vous avez certainement communiqué le texte à l’autre partie. C’était dans —je cherche… Oh,
c’était dans une revue intitulée JSTOR. Comment ? Pardon, je n’ai pas entendu. Le sous-titre est
«Population: An English Selection». J’entends des chuchotements dans la salle, mais j’ignore
quelle en est la cause. Y a-t-il un problème pour l’interprétation ?
Mr. SARDON: No, no, I can hear you very well. I was trying to see what article you were
referring to, and in fact it is a magazine in which I quite frequently publish articles, the magazine of
my institution, a French magazine which h as now become bilingual and which, during a
transitional period, translated certain articles that had been published in English during the year.
Mme KORNER: Merci beaucoup. J’aimerais juste vous poser deux questions sur ce que
vous avez écrit. Avez-vous écrit: «[l]es guerres qui accompagnèrent l’éclatement de l’ancienne
Yougoslavie» —que vous énumérez— «provoquèrent des centain es de milliers de morts, deux
cent mille à trois cent mille morts en Bosnie-Herzégovine, ce qui représentait entre 5 et 7 pour cent
de la population» ?
Mr. SARDON: Since you are reading it, I must have written it at the time, but when I wrote
those things, it was on the strength of the scanty information available at the time and, in particular,
I did not at the time have any of the documents published by the Demographic Unit of the Office of
the Prosecutor, and if I wrote that, it was a mistake; if I were writing that article today, I would
certainly replace that figure by 100,000.
Mme KORNER : Oui. En fait, Monsieur Sardon, cela n’est pas une critique à votre égard. Il
s’agit simplement d’établir les faits. Il est tr ès difficile depuis la fin du conflit d’obtenir des
estimations fiables du nombre de morts, du nombre de personnes déplacées, etc.
Mr.SARDON: I believe that was the case before the demographers of the Prosecutor’s
Office did their study, and also perhaps now, althoug h I am a little more sure of the validity of the
results because Mr. Tokaca has arrived at a figure ve ry close to the one calculated by Ms Tabeau.
Thus, I think that it can no longer be said now that we do not have reliable assessments of the
number of victims of the war in Bosnia and Herzegovina. - 47 -
Mme KORNER: Oui, c’est ce que j’ai dit. Mais, en publiant un ar ticle dans une revue
scientifique en 2001, vous avez estimé pouvoir citer ce nombre de morts, n’est-ce pas ?
Mr. SARDON: Yes, it was perhaps a little careless on my part because, as you know ⎯ as
you saw in that article ⎯ the article concerned all the countries of the region. As I had no specific
information on the number of persons who had been killed during those conflicts, I merely repeated
the estimated figures that were being used on all sides. It is true, therefore, that I acted somewhat
carelessly at the time, but I had no other informa tion; otherwise, it would have been necessary for
me to place a big question mark, or several question marks, over the number of victims.
Mme KORNER: Ne vous inquiétez pas, Monsieur Sardon. Je le répète, ce n’est pas une
critique, mais, pour des raisons dont je vous ferai grâce, il est important de le relever. Vous
indiquez ⎯c’est pratiquement la seule chose dont j’ai pu prendre note— qu’il n’y avait aucun
chiffre concernant les réfugiés et les personnes déplacées? C’est bien ce que vous avez dit dans
votre exposé à la Cour ?
Mr.SARDON: No, that is not exactly what I said. I said that there was no list, to my
knowledge, of the names of refugees and displaced persons. That is all I meant to say. There were
estimates, given by the UNHCR in one case, and by several other organizations. The
demographers of the ICTY Prosecutor’s Office also provided estimates, but I was not interested in
the figures. I was interested only in the way in which those figures were calculated, and to my
mind, as I think I said before, while those figur es may be considered quite acceptable as a rough
estimate at national level, when one descends to individual geographical areas and individual
communities, the validity of the underlying hypothesis has to be treated with even greater caution
than at national level. That is all I said.
Mme KORNER : J’aimerais maintenant vous in terroger sur deux autres points, sur lesquels
vous pourrez peut-être nous aider. Pour décider si une personne tuée était un civil ou un militaire
pour les besoins d’une étude, est-ce que — pour décider que c’était un militaire — vous consultiez
les registres militaires pour voir s’il était à l’époque recensé dans l’armée active, ou les déclarations
de la famille ?
Mr. SARDON: I must say that, personally, I di d not look at that aspect. I concerned myself
with the number of persons who died on account of the war, irrespective of their military or civilian - 48 -
status. However, I know that there are difficulties in making this distinction between civilians and
soldiers, because in some cases many of the people who died ⎯ at least, this is what I have read ⎯
were considered as soldiers, whereas there was in fa ct no evidence that they really were soldiers. I
was not really interested in this distinction because, as far as I am concerned, I believe that this is
not something that has the highest priority. The highest priority is to obtain a rough estimate of the
number of war victims, not to ascertain whether t hose victims were really servicemen or civilians,
and in what proportions, even if that is indeed a matter of importance for the people concerned.
But that does not affect the total number. It merely affects the breakdown.
Mme KORNER : Je suis désolée, Monsieur. J’aurais dû être plus claire. Cette question était
une question d’ordre général, s’adressant à vous en tant que démographe. Si une personne était
classée parmi les militaires, c’est seulement parce qu’à l’époque elle était effectivement recensée
comme telle. Cela n’indique rien sur les circonstances de sa mort, n’est-ce pas ?
Mr. SARDON: Yes.
Mme KORNER : Prenons un exemple simpliste : celui d’un soldat en permission qui aurait
passé le week-end chez lui. Si, pendant le week-end, son village était bombardé et qu’il s’était fait
tuer, il serait toujours compté comme militaire, même si à ce moment-là il ne participait pas aux
combats. C’est exact, n’est-ce pas ?
Mr.SARDON: I believe so, I am not very familiar with how these statistics are compiled,
but it is quite likely that it is his civilian or military status which governs the entry under one
classification or another. Be that as it may, I think it would be necessary in a case like that . . . It
is always necessary to look behind the statistics in order to see whether a particular statistic is
relevant or not. If you seek to determine the number of soldiers who died in the fighting and if you
actually include people who were killed in circum stances not directly related to their functions,
then one is indeed making a mistake, but I do not think that this is the most important point.
Mme KORNER: Je comprends que ce qui vous intéresse, c’est la manière dont ont été
établis les chiffres globaux, et non pas la catégorie dont ils relèvent. Mais c’est bien le cas, n’est-ce
pas ?
Mr. SARDON: Not altogether, not totally.
Mme KORNER : Qu’entendez-vous par «pas totalement» ? - 49 -
Mr. SARDON: Well, that means that I am not uninterested in knowing whether the people
that were killed were civilians or servicemen, whethe r they were victims of acts of war or of direct
fighting on account of their uniforms, or not. It is true that this is an important subject, but it was
not the purpose of my analysis. But I am not uninterested, because it is important for all those
concerned.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup. Madame Fauveau-Ivanović, souhaitez-vous interroger à
nouveau le témoin ?
FMUsVEAU-IVANOVI Ć: No, Madam President, I have no further questions.
Le PRESIDENT : Merci. La Cour va se retirer, mais les Parties et le témoin-expert resteront
à proximité de la grande salle de justice. Si la Cour souhaite poser des questions au témoin-expert,
elle reviendra dans la salle d’audience dans les quinze minutes et l’audience se poursuivra le temps
nécessaire. Si la Cour ne souhaite pas poser de question au témoin-expert, elle ne reviendra pas
dans la salle d’audience et le Greffe en informera les Parties et le public. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 55.
___________
Traduction