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CR 2006/40 (traduction)
CR 2006/40 (translation)
Mercredi 3 mai 2006 à 10 heures
Wednesday 3 May 2006 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Cvetković, vous avez la parole.
CVME.TKOVI Ć: Merci, Madame le président. J’ai donc commencé hier ma plaidoirie sur
la question des paramilitaires, et j’ai examiné le statut de ceux-ci au début du conflit, c’est-à-dire au
printemps 1992. Je vais aujourd’hui poursuivre avec leur statut après le printemps 1992.
Le statut des paramilitaires après le printemps 1992
36. En avril 1992, les Serbes de Bosnie ont proc lamé leur Etat, et seul cet Etat nouvellement
proclamé peut être tenu pour responsable des actes des groupes paramilitaires opérant sur son
territoire. Il semble cependant que, bien qu’il ait fait des efforts dans ce sens, cet Etat, à ses débuts,
n’avait pas les moyens de prendre pleinement le contrôle des divers groupes paramilitaires. Aussi
les paramilitaires restèrent-ils soit in contrôlés, soit sous le contrôle des autorités locales et cellules
de crise du nouvel Etat. Au cours de l’été 1992, après que les parties en guerre eurent une première
fois divisé les territoires, le nouvel Etat fut prêt à prendre pleinement le contrôle des paramilitaires.
37. Le 13 juin 1992, la présidence de la République serbe de Bosnie-Herzégovine adopta une
décision interdisant la création de groupes armés et les activités des groupes et individus armés sur
le territoire de la république qui ne seraient p as placés sous le commandement commun de l’armée
et de la police1. Cette décision interdisait la création d es groupes armés et les activités de groupes
et individus sur le territoire de la Republika Srpska, et ordonnait à ces groupes et individus de se
placer sous le commandement commun de l’armée et du ministère de l’intérieur de la Republika
Srpska.
38. Cependant, l’application de cette décisi on ne fut pas chose aisée. Plusieurs groupes
paramilitaires continuèrent d’échapper au contrôle des organes officiels de la Republika Srpska. Le
28juillet 1992, l’état-major principal de l’ armée de la Republika Srpska publia un rapport
indiquant qu’il existait encore une soixantaine de groupes paramilitaires, comptant de quatre à
cinqmille hommes, qu’il fallait soit placer sous le commandement exclusif de l’armée, soit
1
Duplique, annexes, vol. 1, annexe R10. - 3 -
2
11 désarmer en adoptant des dispositions légales . Ce rapport indiquait que les paramilitaires étaient
inacceptables parce qu’ils s’abritaient derrière des autorités corrompues, esquivaient les combats,
nuisaient à la réputation des autorités officielle s et donnaient à la population l’impression que le
parti au pouvoir était pro-tc hetnik et que les paramilitaires étaient ses défenseurs 3. Selon ce
rapport, la présence des groupes paramilitaires exerçait un effet négatif sur les Serbes, en entamant
leur confiance dans le gouvernement et dans sa capacité de prendre les mesures voulues à
l’encontre des profiteurs, des criminels et auteurs de massacres, et en décourageant
considérablement le désir de combattre des sold ats de l’armée serbe de Bosnie-Herzégovine, les
poussant parfois à abandonner leurs positions 4.
39. Selon le rapport de l’état-major principal, le général Momir Tali ć, commandant du
1 ercorps de Krajina, émit le 30 juillet 1992 l’ordre suivant :
«1.Offrir à toutes les formations paramilitai res et à leurs chefs, s’ils ont honnêtement
l’intention de participer à la lutte légitim e des Serbes pour la survie, la possibilité
d’être incorporés dans les unités régulières de l’armée serbe de
Bosnie-Herzégovine, et les affecter à des postes correspondant à leurs spécialités et
compétences militaires.
2. Ne pas inclure dans ces unités les individus et groupes qui ont participé à des
crimes et pillages, et qui ont commis d’autres actes criminels. Les désarmer et les
arrêter, et engager des poursuites pénal es contre eux devant les tribunaux de
l’armée serbe de Bosnie-Herzégovine, quelle que soit leur nationalité.
3. En coopération avec le MUP de la République serbe de Bosnie-Herzégovine,
désarmer et arrêter les formations pa ramilitaires, groupes et individus leur
appartenant qui refusent de se placer sous le commandement unifié de l’armée de
la République serbe de Bosnie-Herzégovine , et engager contre eux les poursuites
pénales correspondant aux actes qu’ils ont commis.» 5
Le général Tali ć ajoutait que les citoyens de la Ré publique fédérale de Yougoslavie qui
accepteraient le commandement unifié de la Répub lique serbe de Bosnie-Herzégovine, devraient
2Rapport sur les formations paramilitaires sur le terr itoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, du
28juillet1992, cité dans TPIY, Le procureur c. krajišnik , rapport d’expert de Richard Butler, «Commandement et
contrôle serbes de Bosnie (JNA-TO-VRS)», par. 7.4.
3Ibid., cité dans TPIY, Le procureur c Brdjanin, rapport d’expert d’Ewan Brown, «Military Developments in the
Bosanska Krajina ⎯ 1992, A Background Studypar», par. 2.62.
4Loc. cit.
5Ordre du 1 ecorps de Krajina, du 30 juillet1992, cité dans TPIYLe procureur c Brdjanin , rapport d’expert
d’Ewan Brown, «Military Developments in the Bosanska Krajina ⎯ 1992, A Background Studypar», par. 2.63. - 4 -
être traités comme des volontaires et affectés à des unités de combat. Les groupes paramilitaires
étaient interdits d’existence et tous les paramilitaires devaient être désarmés avant le 15 août 1992 . 6
12 40. En dépit des difficultés rencontrées par l’ armée pour contrôler les forces paramilitaires
pendant la plus grande partie de l’année 1992, il semble que ces e fforts aient finalement réussi
puisque, à la fin de l’année, l’état-major principa l indiquait que «les unités d’infanterie de la TO et
les formations paramilitaires utilisées initialement conformément aux décisions des cellules de
crise et autres autorités analogues ont été incorporées dans la VRS» 7.
41. Bien entendu, le demandeur a voulu voir dans tous ces efforts la preuve que le défendeur
exerçait un contrôle sur les unités paramilitaires 8. En fait, ces efforts de la Republika Srpska pour
placer les forces paramilitaires sous son contrôle et les décisions qu’elle a prises à cette fin
prouvent que :
a) aucun contrôle effectif n’était exercé sur l es groupes paramilitaires pendant le printemps 1992
et que
b) les groupes paramilitaires ne faisaient pas officiellement partie de l’armée ou de la police de la
Republika Srpska avant le 13 juin 1992.
42. En outre, ce qui est plus important pour la question de l’imputabilité, les décisions et
ordres des organes officiels de la Republika Srpska prouvent que :
a) les formations paramilitaires ont été initialement utilisées conformément aux décisions des
cellules de crise et autres autorités analogues de la Republika Srpska, ce qui signifie que, même
si ces formations étaient effectivement contrôl ées par d’autres organes, elles l’étaient par les
9
cellules de crise et autres organes de la Republika Srpska, et non par le défendeur ;
b) les autorités de la Republika Srpska avait l’inte ntion de placer les groupes paramilitaires sous
leur contrôle et elles y sont finalement parv enues, sans égard au fait que les membres de ces
groupes venaient de Bosnie-Herzégovine ou de la République fédérale de Yougoslavie 1.
6 er
Ordre du 1 corps de Krajina, du 30 juillet1992, cité dans TPIY,Le procureur c Brdjanin , rapport d’expert
d’Ewan Brown, «Military Developments in the Bosanska Krajina ⎯ 1992, A Background Studypar», par. 2.64.
7
TPIY, Le procureur c. Krajišnik, rapport d’expert de Richard Butler, «1992 Bosnian Serb Command & Control
(JNA-TO-VRS)», pièce P528, par. 7.5.
8
Voir CR 2006/9, p. 20-21, par. 36-40 (Karagiannakis).
9 Voir ci-dessus, par. 40.
10Voir ci-dessus, par. 39. - 5 -
La participation des paramilitaires après 1992
13 43. Madame le président, Messieurs de la Cour, ayant montré quel était le cadre juridique
créé en 1992 dans la Republika Srpska, c’est mainte nant à l’intérieur de ce cadre que nous devons
examiner la question des activités des paramilitair es sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine
après 1992. Il est évident que les organes officiel s de la Republika Srpska firent des efforts très
sérieux pour placer toutes les unités paramilitaires sous son contrôle et son commandement, ce qui
est parfaitement conforme aux inten tions qu’exprimait le général Mladi ć dès le 13mai1992.
Rappelez-vous ce que déclarait Mladi ć: «Tous ceux qui sont sous les armes sont sous mon
commandement, s’ils veulent rester en vie.»
44. Ainsi, après 1992, les interventions des pa ramilitaires se raréfièrent, et il n’y eut que
quelques cas dans lesquels des paramilitaires vena nt de l’extérieur de la Bosnie-Herzégovine
combattirent sur ce territoire. Le de mandeur n’a mentionné que deux occasions ⎯ l’implication
des paramilitaires dans le groupe dit «Pauk», à la fin de l’année 1994 et au début de l’année 1995,
et la participation des paramilitaires dans des co mbats autour de Sarajevo au cours de l’été1995.
En outre, il semble que, au cours de l’auto mne1995, quelques groupes paramilitaires soient
intervenus en Krajina pour protéger les terr itoires serbes de l’attaque conjointe des forces
musulmanes et croates de Bosnie. De toute f açon, chaque fois que des paramilitaires sont
intervenus en Bosnie-Herzégovine après 1992, ils l’ont fait sous le commandement des autorités de
la Republika Srpska ou d’autres autorités locales, comme ce fut le cas au cours de l’opération
«Pauk».
45. C’est exactement ce que confirme l’expert du demandeur, le généralDannatt. Celui-ci,
répondant à une question de Mme Korner, a déclaré :
«On les a [les paramilitaires] ensuite regroupés sous le commandement de
l’armée dont ils devaient de ce fait respecter le règlement, et il existe des preuves
écrites, dans la série de documents que nous avons à notre disposition, montrant que le
général Mladic a accepté le commandement de l’ensemble des organisations
11
paramilitaires et territoriales.»
Un peu plus tard, on trouve cet échange entre Mme Korner et l’expert :
«Mme KORNER : Si les formations milita ires venaient de Serbie et ont ensuite
été placées sous le contrôle de la VRS ⎯sous le commandement de Mladic ⎯, si
11
CR 2006/23, p. 32 (Dannatt). - 6 -
elles venaient vraiment de là, si elles ont été envoyées par la VJ, affectées à la VRS,
par exemple, sous le contrôle ou l’autorité de qui opéraient-elles ?
14 Le général DANNATT: Elles opéraient su r le territoire de la VRS, comme je
l’ai indiqué, Madame le président, et de vaient donc nécessairement se trouver sous le
commandement de Mladic et faire partie de la chaîne de commandement de la
VRS.» 12
Bien que l’affirmation de Mme Korner selon la quelle les paramilitaires étaient envoyés en
Bosnie-Herzégovine par l’armée du défendeur contredise manifestement les affirmations d’un autre
conseil du demandeur, selon lesquelles les parami litaires étaient envoyés par le ministre de
l’intérieur de la République de Serbie, la réponse du généralDannatt est dépourvue d’ambiguïté
quant à la question de savoir sous quel comma ndement les paramilitaires étaient placés dans ce
territoire. De plus, à aucun moment de son témoignage le généralDannatt n’a expressément
confirmé que les paramilitaires avaient été envoyés en Bosnie-Herzégovine par les organes officiels
du défendeur.
L’opération «Pauk»
46. Je voudrais maintenant parler de l’opér ation Pauk. Cette opération avait pour objet
d’appuyer les forces de la province autonome de Bosnie occidentale gouvernée par FikretAbdi ć.
Nous avons déjà expliqué à diverses occasions à la Cour qui était M. Abdi ć, et nous avons informé
la Cour du conflit armé intramusulman qui opposait les forces de M.Abdi ć et les forces
gouvernementales de Bosnie-Herzégovine. Le demandeur, ce qui n’est pas pour nous surprendre, a
essayé d’occulter complètement dans ses plaidoiries l’existence de ce conflit, car celui-ci ne
concorde tout simplement pas avec le «schéma de comportement génocide des Serbes» qu’il
allègue devant la Cour. En conséquence, l’ agent adjoint du demandeur n’a pas mentionné une
13
seule fois le conflit intramusulman lorsqu’il a parlé de «Pauk» au cours du premier tour .
47. En outre, M. van den Biesen a ajouté: «Bihac était, pour la constitution d’une Grande
Serbie, une région importante du point de vue stratégique qui devait être placée sous contrôle serbe
pour que le projet de Grande Serbie soit couronné de succès.» 14 On voit mal, Madame le président,
12CR 2006/23, p. 33 (Dannatt).
13
CR 2006/87, p. 52-54, par. 50-59 (Van den Biesen).
14Ibid., par. 51. - 7 -
comment les Serbes entendaient réaliser leur pr ojet de «Grande Serbie» en aidant une force
musulmane à combattre l’autre.
48. Néanmoins, l’existence de ce conflit intramusulman sera examinée plus en détail par mes
collègues de la Serbie-et-Monténégro, et je m’ en tiendrai pour ma part à la question des
paramilitaires. Il est vrai que les hommes d’Arkan étaient impliqués dans l’opération. Il semble
aussi, d’après le «journal» de l’opération Pauk, que les «Scorpions» l’aient été aussi, même s’ils
15
n’y sont pas cités nommément. Par contre, le journal de l’opération ne confirme pas les
affirmations selon lesquelles des unités du ministère serbe de l’intérieur auraient été impliquées.
La question cependant n’est pas de savoir si l es unités mentionnées participaient effectivement à
l’opération ou pas, mais sous le contrôle de qui et à quelle fin.
49. J’ai déjà mentionné le but de l’opération : il s’agissait d’aider les forces de Fikret Abdić à
protéger leur province. Cela a été confirmé pa r l’expert qu’a fait comparaître le demandeur, le
général RichardDannatt, qui a déclaré: «L’opération a été menée dans la zone de Bihac, dans le
nord de la Bosnie, avec pour inten tion de détruire les forces du 5 e corps de Sarajevo, ce qui aurait
permis de faire perdre à la Bosnie le contrôle sur Bihac et aux forces de Fikret Abdi ć de prendre le
15
contrôle de cette ville…» De plus, le journal du groupe «Pauk» démontre clairement que
l’opération elle-même était une opération milita ire typique, dans laquelle deux forces étaient
engagées sur le champ de bataille, chacune dominant l’ autre à son tour. Ce journal a été en grande
partie tenu par les Musulmans des forces d’Abdi ć 16. Il n’y avait absolument rien de génocidaire et
rien de criminel dans cette opération et ce fait a été d’une certaine façon confirmé par le procureur
du TPIY, puisque personne n’a été jusqu’ici accusé d’aucun crime commis pendant cette opération.
50. La deuxième question est celle du comma ndement et du contrôle. Selon toutes les
informations dont nous disposons et le journal de l’opération «P auk» lui-même, cette opération a
été menée pour le compte de M. Fikret Abdi ć. Le commandement militaire des forces serbes
participant à l’opération était entr e les mains du général Mile Novakovi ć, le chef d’état-major de
l’armée de la République serbe de Krajina, autrement dit l’armée des Serbes de Croatie.
Absolument rien ne prouve que l’opération ait été commandée ou contrôlée par Belgrade. Le fait
15
CR 2006/23, p. 31 (Dannatt).
16
Voir par exemple les pages 91-92, 98, 101-102, etc. - 8 -
que les autorités de Belgrade ont probablement eu connaissance de l’opération et ont même peut-
être envoyé une petite quantité de matériel ne su ffit pas à engager la responsabilité du défendeur.
Bien sûr, il faut souligner une fois de plus qu’il n’y avait absolument rien d’illicite ou de criminel
dans l’opération elle-même et que, quand bien même il serait possible d’établir une certaine forme
de responsabilité, ce qui n’est pas le cas, cette responsabilité ne concernerait rien d’illicite.
16 Sarajevo (Treskavica)
51. La deuxième intervention d’unités paramilitair es venues de Serbie sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovine s’est produite au cours de l’ét é 1995, sur le champ de bataille de Sarajevo.
Dans sa plaidoirie, Mme Karagiannakis a cité le p assage suivant de l’acte d’accusation établi par le
TPIY à l’encontre de Stanisic et de Simatovic :
«Avant que la VRS n’attaque Srebrenica, les Scorpions et les autres unités
spéciales ont attaqué les forces de l’ABiH [l’armée de la Bosnie-Herzégovine] près de
Sarajevo, ayant coordonné leurs efforts dans le but d’attirer des unités de l’ABiH hors
de Srebrenica et Zepa, vers Sarajevo, en laissant ouvert un couloir entre Srebrenica et
cette dernière. L’ABiH a réagi en déplaçant des unités à Sarajevo, permettant aux
17
forces de la VRS de s’emparer plus aisément de Srebrenica.» [Traduction du
Greffe.]
52. La vérité est, toutefois, quelque peu di fférente. Les forces musulmanes de Bosnie
avaient alors lancé une offensive contre les forc es serbes de Bosnie, et voici comment l’Institut
néerlandais de documentation de guerre (NIOD) a décrit la situation :
«Ce à quoi la FORPRONU s’attendait depuis longtemps se produisit le 16 juin :
la bataille de Sarajevo reprit. Ce jour-l à, l’ABiH lança une offensive d’envergure
depuis Sarajevo, qu’elle entendait relier à la partie de la fédération croato-musulmane
située au nord et à l’ouest de Sarajevo. Depui s le centre de la Bosnie, l’ABiH prenait
simultanément la VRS à revers. Cette tentative de sortie allait à l’encontre de la
résolution913 du Conseil de sécurité (1994) qui interdisait «toute action
provocatrice…dans les zones de sécurité et dans leurs environs», mais la
FORPRONU n’y pouvait pas grand-chose. Dans un premier temps, l’offensive parut
porter certains fruits. L’ABiH parvint à bloquer deux voies d’approvisionnement de la
18
VRS, ce qui conduisit celle-ci à contre-attaquer.»
53. Les forces serbes, formées par l’armée et la police de la Republika Srpska, étaient en
infériorité numérique et les dirigeants de la Re publika Srpska demandèrent de l’aide. Des forces
17
TPIY, Le procureur c. Stanisic et Simatovic , deuxième acte d’accusation modi fié, 20décembre2005, par.60,
cité dans CR 2006/9, p. 16, par. 19 (Karagiannakis).
18Rapport du NIOD ⎯Srebrenica «A Safe Area», partieIII, chap.1 ⎯«The military and political situation in
spring 1995» [Situation politique et militaire au printemps 1995], par. 16. Voir : http://www.Srebrenica.nl/en/. - 9 -
paramilitaires répondirent à l’appel et deux unités furent déployées ⎯les «Scorpions» et les
«Tigres d’Arkan». Ces unités prirent part aux co mbats sous le commandement de la police de la
Republika Srpska et c’est pendant leur séjour à Trnovo, village proche de Sarajevo, que les
«Scorpions» exécutèrent six détenus musulmans en fi lmant leur crime. Rien ne permet d’établir
que les «Scorpions» ou les hommes d’Arkan commirent aucun autre crime, ni que ces unités
participèrent à l’attaque de Srebrenica. Les «Sco rpions» sont actuellement jugés pour leur acte, à
Belgrade, devant la chambre des crimes de guerre . Et, contrairement à ce que n’a cessé d’affirmer
17 le demandeur 19, l’acte d’accusation contre les membres des «Scorpions» concerne aussi le
20
commandant de cette unité ⎯ Slobodan Medic, alias «Boca» .
54. La Chambre de première instance du TPIY chargée de l’affaire introduite contre
JovicaStanisic et FrankoSimatovic a récemment confirmé l’absence d’él éments établissant de
manière convaincante que l’une ou l’autre des unit és prétendument contrôlées par les autorités de
Belgrade aurait pris part à l’attaque contre Srebrenica.
55. Le 12avril 2006, la Chambre de premiè re instance a rendu une «décision relative aux
exceptions préjudicielles de la défense pour vices de forme du deuxième acte d’accusation
modifié». Cette décision porte exclusivement sur les chefs d’accusation relatifs à Srebrenica,
introduits par le procureur du TPIY dans le deuxième acte modifié, et sont exposés aux
paragraphes 55 à 65 et au paragraphe 68 de l’acte modifié. On y trouve notamment la phrase que
Mme Karagiannakis a citée lors du premier tour 21.
56. De la décision de la Chambre de premiè re instance, il ressort tout d’abord que le
procureur du TPIY ne cherchait même pas, semble -t-il, à établir un lien entre les deux accusés et
l’attaque de Srebrenica. Dans sa réponse aux exce ptions soulevées par la défense, le procureur a
indiqué qu’il «n’affirmait pas que les accusés avaient pris part à la planification des massacres de
19
Voir CR 2006/30, p. 33, par. 11 (Van den Biesen); CR 2006/11, p. 10, par. 1 (Condorelli).
20Voir «The Scorpions Indictment Raised», présentation officielle du procureur de la République de Serbie
chargé des crimes de guerre, disponibl e en anglais sur le site: www.tuzi lastvorz.org.yu/html_eng/saopstenja/
s_07_10_05.htm.
21Voir ci-dessus, par. 51. - 10 -
Srebrenica, mais simplement que des unités de la DB serbe avaient pris part au meurtre de
six détenus musulmans après la chute de l’enclave de Srebrenica» 22 [traduction du Greffe].
57. Plus important, toutefois, nous y apprenons que la Chambre de première instance ne s’est
pas contentée de cette explication des intenti ons de l’accusation. Elle a jugé «que l’acte
d’accusation était vicié car il n’en ressortait pas clairement que les nouveaux chefs concernant la
zone de Srebrenica ne portaient que sur le meurtre de six détenus musulmans de Bosnie» 2. Aussi
la Chambre de première instance a-t-elle ordonné au procureur de dresser «un nouvel acte
d’accusation modifié précisant que les nouveaux chefs ne concernent que le meurtre des
24
six détenus musulmans» .
18 58. Madame le président, Messieurs de la Cour , tout au long de la procédure orale, le
demandeur a invoqué le deuxième acte d’accusation modifié dressé contre Stanisic et Stimatovic
dans le dessein d’établir un lien entre le défendeur et l’attaque contre Srebrenica. La décision prise
récemment par la Chambre de première instance du TPIY en cette affaire n’a pas seulement établi
l’absence d’un tel lien mais aussi démontré, de manière on ne peut plus certaine, que les actes
d’accusation du TPIY ne peuvent être considérés comme des sources de preuve dignes de foi.
Le lien entre les groupes paramilitaires et les organes officiels du défendeur
59. Le demandeur affirme en outre que les forces paramilitaires n’ étaient pas ce qu’elles
prétendaient être mais, en réalité, des unités du mi nistère serbe de l’intérieur. Mme Karagiannakis
a ainsi soutenu que «des forces telles que les homme s d’Arkan, les Bérets rouges et les Scorpions
faisaient [en réalité] partie du MUP de Serbie, d’ autres, telles que les forces de Sešelj, étaient
25
soutenues par [celui-ci] et participèren t à des opérations conjointes en Bosnie» . Je vais
maintenant examiner ce qu’était le statut de chacun des quatre groupes mentionnés, en commençant
par les Bérets rouges.
22 TPIY, Le procureur c. Stanisic et Simatovic , décision relative aux exceptions pr éjudicielles de la défense pour
vices de forme du deuxième acte d’accusation modifié, 12 avril 2006, par. 14.
23
Ibid., par. 17.
24
Ibid., dispositif.
25 CR 2006/9, p. 14, par. 15 (Karagiannakis). - 11 -
Les «Bérets rouges»
60. Selon le demandeur, les «Bérets rouges» ét aient «une unité créée sous la direction des
services de la sûreté de l’Etat du MUP de Serbie (la DB serbe)» 2. Or, Madame le président, la
notion de «Bérets rouges» est un mythe forgé pe ndant les années de guerre en ex-Yougoslavie
⎯un mythe qui a vu le jour en Croatie avant de se répandre en Bosnie-Herzégovine. Ce mythe
prend sa source dans plusieurs faits incontestab les mais ayant fait l’ob jet d’interprétations
largement erronées :
a) premièrement, les membres de nombreuses unités différentes opérant en Croatie et en
Bosnie-Herzégovine portaient le béret rouge, le quel était devenu, pour les combattants, une
sorte de symbole;
b) deuxièmement, des membres du ministère serbe de l’intérieur, généralement originaires de
Croatie ou de Bosnie-Herzégovine, se portèrent volontaires pour participer aux combats ou à
l’entraînement des unités serbes de Bosnie-Herzégovine ou de Croatie;
c) troisièmement, en1996, le ministère serbe de l’intérieur constitua l’unité des opérations
spéciales («Jedinica za specijalne operacije ⎯ JSO»), dont un certain nombre de vétérans des
19 combats de Croatie ou de Bosnie-Herzégovine rejoignirent les rangs. Cette unité adopta
également le béret rouge comme signe distinctif.
61. C’est sans doute avant t out à M.DraganVasiljkovi ć, plus connu sous le surnom de
«capitaine Dragan», que l’on doit le mythe des «Bérets rouges». Ce «capitaine Dragan» était un
Serbe d’Australie, qui fit son a pparition au début du conflit en Croatie et constitua une unité
spéciale de la Republika Srpska Krajin a, appelée «Knindze». M.Vasiljkovi ć a été cité comme
témoin à charge au procès de Milosevic. Interr ogé par l’accusé sur son statut durant le conflit,
M. Valsiljković a expressément indiqué qu’il n’avait jama is été membre du département de la
sûreté de l’Etat serbe 2, qu’il n’avait jamais reçu d’ordre d’aucun membre de ce département ni
28
perçu de solde pendant ses années de service en Krajina .
26CR 2006/9, p. 14, par. 16 (Karagiannakis).
27
TPIY, Le procureur c. Milosevic, déposition de Dragan Valsiljkovic, 19-21 février 2003, p. 16575-16576.
28Ibid., p. 16577. - 12 -
62. En réponse à une question du procureur, M. Vasiljković a expliqué ainsi l’origine du port
du béret rouge :
GMro.ome [interprétation] : Monsieur Valsiljkovi ć, après la bataille de
Glina, avez-vous mis à la disposition de vos hommes un uniforme particulier ou des
vêtements particuliers ?
VMasi.ljkovic [interprétation] : Oui, tous les participants à la bataille de Glina
ont, à partir de ce moment, porté un béret r ouge; c’était la seule chose que j’avais à
29
leur donner.»
La bataille de Glina eut lieu pe ndant l’été 1991, mais ce même témoin nous apprend que cette
pratique se poursuivit en 1993, lorsque la Republik a Srpska Krajina eut recours à ses services pour
30
l’entraînement de ses unités. Une fois formés, les hommes recevaient des bérets rouges .
63. D’après le demandeur, les Bérets rouges «participèrent à des opérations en Bosnie dont
31
certaines visaient les non-Serbes de la municipalité de Br čko» . La question de la participation
des «Bérets rouges» à Br čko a été discutée au cours de la déposition de M.Vasiljkovi ć. D’un
échange relativement long entre le témoin et l’accusation, il ressort que les «Bérets rouges» de
Brčko étaient en réalité des membres de la police spéciale de la Krajina 3. Signalons au passage
que le deuxième acte d’accusation modifié dressé par le bureau du procureur du TPIY contre
20 Stanisic et Simatovic, les deux hommes inculpés des crimes prétendument commis par les «Bérets
rouges», ne comporte aucun chef d’accusation concernant la municipalité de Brčko.
64. Dans sa déposition au procès de Milosevic , M. Valsiljkovic a brossé un tableau qui revêt
une grande importance, car il permet de compre ndre comment est né le «mythe des Bérets
rouges» :
«Réponse : Je vais vous répondre. Je crois que les choses se passaient ainsi, de
manière générale, en Yougoslavie. Après la bataille pour Glina, les «Knindza», qui
étaient des unités spéciales de la police de Krajina, ont gagné en réputation et se sont
fait une image de marque. Je crois que tous ceux qui se battaient là-bas se
considéraient eux-mêmes comme des unités spéciales, ou des «Knindza», ou des
Bérets rouges; et ce que j’ai vu dans la région ne correspond pas du tout à l’idée que je
me fais d’une unité spéciale…
29TPIY, Le procureur c. Milosevic, déposition de Dragan Valsiljkovic, 19-21 février 2003, p. 16498.
30Ibid., p. 16674-16675.
31
CR 2006/9, p. 15, par. 16 (Karagiannakis).
32TPIY, Le procureur c. Milosevic, déposition de Dragan Valsiljkovic, 19-21 février 2003, p. 16535-16536. - 13 -
Question: Serait-il exact de dire qu’il était tout à fait courant que beaucoup
d’unités différentes s’arrogent le titre d’«un ité d’affectation spéciale», ou intègrent ce
titre à leur nom ?
Réponse : Je crois qu’il y avait plus d’unités d’affectation spéciale que d’unités
ordinaires. J’ai rencontré peu d’individus se présentant comme des simples soldats.
Chacun, là-bas, était un soi-disant spécialiste ou membre d’une unité spéciale. Pour
moi, cela ne voulait pas dire grand-chose. Ce la signifiait simplement qu’untel était un
combattant comme un autre.» 33
65. Nombre de documents soumis au TPIY f ont mention de différentes unités appelées
«Bérets rouges». La Chambre de première instance a conclu, en l’affaire Brdjanin, que «des
membres d’un groupe paramilitaire des Serbes de Bosnie connu sous le nom de «Bérets rouges»
avaient pris part à l’attaque contre la municipalité de Sanski Most» . Il est intéressant de noter que
35
Mme Karagiannakis a cité cette même phrase dans sa plaidoirie sur les lieux de détention .
66. Nous avons donc retracé l’origine de la pr emière composante de ce mythe. Quant à la
deuxième et à la troisième, il serait utile d’établir dans un premier temps la date exacte de la
formation de l’unité des opérations spéciales (la JSO). M. Zoran Lili ć, ancien président de la
République fédérale de Yougoslavie, également cité comme témoin de l’accusation devant le
36
TPIY, a indiqué que cette unité ava it officiellement vu le jour en 1996 . C’est ce qu’a confirmé
devant le TPIY ObradStevanovic 3, qui a comparu comme témoin de l’accusé au procès de
Milosevic.
67. Nous ne contestons pas que certains des membres de cette unité des opérations spéciales
aient auparavant participé aux combats en Bosn ie-Herzégovine ou en Croa tie, certains dans le
21 cadre d’unités paramilitaires, d’autres en ta nt que membres des forces armées de la
RepublikaSrpska ou de la Republik a Srpska Krajina. Il se peut également que certains de ces
hommes soient d’anciens membres du ministère serbe de l’intérieur, recrutés comme volontaires
pour combattre en Croatie ou en Bosnie-Her zégovine. Mais le commandant des forces
musulmanes à Srebrenica, Naser Oric, avait lui au ssi été membre de la police spéciale serbe, et
33TPIY, Le procureur c. Milosevic, déposition de Dragan Valsiljkovic, 19-21 février 2003, p. 16537.
34TPIY, Le procureur c. Brdjanin, jugement, 1 septembre 2004, par. 102; les italiques sont de nous.
35
CR 2006/5, p. 31, par. 35.
36TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition de Zoran Lilic, 9 juillet 2003, p. 24013.
37TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition d’Obrad Stevanovic, 26 mai 2005, p. 39961. - 14 -
nous ne voyons rien de surprenant à ce qu ’il ait rejoint les rangs de l’armée de
Bosnie-Herzégovine . 38
C6ert.es ⎯et nous le reconnaissons ⎯, certains des membres de l’unité des opérations
spéciales se sont par la suite révélés être des cr iminels. Le meilleur exemple est celui d’un ancien
membre de l’unité d’Arkan dénommé «Legija», au jourd’hui inculpé à Belgrade de l’assassinat du
premier ministre Djindjić et de plusieurs autres crimes. Cela ne confirme en rien, cependant, que
ces individus, avant la création de l’unité des opérations spéciales, aient été membres du ministère
serbe de l’intérieur. Au contraire, cette unité a été créée en 1996, et elle n’existait pas jusqu’alors.
Le discours prononcé en 1997 par Fra nkoSimatovic, qu’a cité MmeDauban 3, a été décrit par
M.Vasiljkovic, témoin de l’accusation devant le TPIY, comme «exagéré au point qu’on n’aurait
40
pas vraiment pu le gonfler davantage» . Ce témoin a en outre confirmé qu’avaient été attribués à
l’unité des actes commis en réalité par certains de ses éléments alors actifs dans d’autres
41
formations .
69. Mme Dauban a encore tenté par un autre biais d’établir un lien entre les «Bérets rouges»,
en tant que prétendue unité du département de la sûreté de l’Etat serbe, et les crimes commis en
Bosnie-Herzégovine. S’appuyant une fois de plus sur les propos de M.Deronjic, elle a, sous le
sous-titre «Le rôle des paramilitaires venus de la RFY dans la prise de contrôle des municipalités
en 1992», évoqué une rencontre à laquelle celui-ci aurait participé aux côtés de Franko Simatovic
et VinkoPandurevic 42. Mme Dauban s’est soigneusement gardée de préciser l’objet de cette
prétendue rencontre, déclarant simplement: «La réunion s’était tenue pour discuter des activités
43
qui étaient menées dans la vallée de la Drina.»
22 70. Nous avons maintenant pu nous faire une idée de la fiabilité du témoignage de
M. Deronjic mais, quand bien même nous accepteri ons d’y ajouter foi dans ce cas, la réunion, aux
dires de Deronjic, s’est tenue en juin ou en juillet 1992 et portait uniquement sur l’établissement de
38 Central Intelligence Agency , Balkan Battlegrounds: A Military Hi story of the Yugoslav Conflict, 1990 -1995,
vol. II, p. 336, cité dans le CR 2006/35, p. 30, par. 31 (Dauban).
39 Voir CR 2006/34, p. 60, par. 37 (Dauban).
40
TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition de Dragan Vasiljković, 19-21 février 2003, p. 16701-16703.
41
Ibid., p. 16703; voir également p. 16558-16561, 16630-16632, 16691-16707.
42 CR 2006/35, p. 27-28, par. 25 (Dauban).
43 Ibid. - 15 -
camps d’entraînement destinés aux membres des forces armées serbes de Bosnie, avec la
participation d’instructeurs de Serbie .44
71. Madame le président, la prétendue «prise » des municipalités de la vallée de la Drina,
d’après ce que nous en a dit Mme Dauban elle-m ême, était terminée au début du mois de
45
mai 1992 et la réunion qui se serait tenue en juin ou juillet de cette même année ne pouvait donc
pas lui être consacrée. Même à supposer que M. Der onjic ait dit cette fois la vérité, ce qui est peu
probable, cette vérité serait simplement que le mini stère serbe de l’intérieur aurait, en accord avec
les autorités de la Republika Srpska, convenu d’ai der à l’entraînement des forces armées serbes de
Bosnie après la fin des combats de la vallée de la Drina. Cette opération n’a absolument rien de
criminel et cet entraînement, si tant est qu’il ait effectivement eu lieu, n’a rien à voir avec la «prise»
des municipalités de la vallée de la Drina surve nue auparavant. Néanmoins, la façon dont le
demandeur a cherché à relier la déclaration de M. Deronjic à la «prise» de ces municipalités montre
que le demandeur n’a cessé de dénaturer délibérément les éléments de preuve.
La garde volontaire serbe d’Arkan
72. D’après le demandeur, «[l’]unité d’Arkan ét ait en fait une unité des services de la sûreté
46
de l’Etat (DB) du ministère de l’intérieur de Serbie» . La principale source invoquée à l’appui de
cette allégation est le témoin protég é B-129, qui a déposé dans l’affaire Milosevic. En lisant les
transcriptions de ses dépositions des 16 et 17 av ril 2003, nous constatons que ce témoignage se
fonde essentiellement sur des éléments de preuve in directs et des propos tenus par des tiers. De
fait, le témoin B-129 rend en grande partie compte d’événements survenus avant même qu’elle ne
devienne la secrétaire d’Arkan ou ne «partag[e] un bureau avec «la garde volontaire serbe»».
73. Toutefois, même ce témoignage a été présenté à la Cour sous un faux jour. Le
demandeur a prétendu que l’unité d’Arkan était une un ité des services de sûreté de la police serbe,
23 alors qu’en fait, la déposition du témoin B-129 étab lit exactement le contraire. Voici par exemple
ce qu’a répondu le témoin à une question directe de l’accusé :
44 o
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjic, déposition de Miroslav Deronjic, pièce n P600a, p. 38-41.
45
Voir CR 2006/6, p. 10-26 (Dauban).
46CR 2006/9, p. 17, par. 25 (Karagiannakis). - 16 -
«Question : Vous avez dit qu’il y avait des liens étroits avec la DB. Y avait-il le
moindre membre de la garde volontaire serbe qui fût membre de la DB ?
Réponse : Vous voulez dire, pendant les opérations de guerre ?
Question: Je veux parler de toute la durée, pendant tout ce qui s’est passé, du
moins ce à propos de quoi vous avez des rensei gnements. Mais je vais être plus
précis: Est-ce que quelqu’un disposait d’ une carte d’identité qui marquait une
affiliation à la DB ?
47
Réponse : Non.»
74. Sur la question du paiement de la solde, le conseil du demandeur, citant les propos du
témoin B-129, a fait cette déclaration générale :
«Arkan et ses hommes étaient payés par la DB serbe, généralement en espèces
qui étaient déposées au quartier général ou qu’ils venaient chercher. Il arrivait parfois
que la somme atteigne entre trois et quatre millions de deutsche marks, de l’argent
fraîchement imprimé et sortant juste de l’hôtel des monnaies.» 48
Cette déclaration est assez suspecte puisqu’elle implique que la sûreté de l’Etat de Serbie contrôlait
non seulement Arkan mais aussi la Bundesbank alle mande, étant en mesure d’imprimer, au besoin,
des millions de deutsche marks.
75. Toutefois, même à supposer vraie cette décl aration, une lecture attentive de la déposition
du témoin B-129 nous révèle que celle-ci traite exclusivement de ce qu’elle appelle «l’opération de
Banja Luka», la seule opération de l’unité d’Arkan dont le demandeur n’a rien dit ⎯ opération
dans le cadre de laquelle les hommes d’Arkan étai ent intervenus pour défendre le territoire sous
contrôle serbe contre l’attaque conjointe croato-musulmane. S’agissant des deux autres opérations
auxquelles les hommes d’Arkan ont pris part, le té moin a donné une version très différente, ou n’a
tout simplement pas su quoi dire. Voici ce qu ’elle a répondu aux questions posées par l’accusé à
propos de l’«opération Pauk» :
«Question : Bien. Savez-vous que c’est précisément la direction de la province
autonome de Bosnie occide ntale qu’ils avaient été engagés pour aider en qualité
d’instructeurs ⎯ pour aider l’armée de la province autonome de Bosnie occidentale ?
Le savez-vous ?
Réponse : Oui.
24 Question : Savez-vous, par voie de conséque nce, que l’argent envoyé à cette fin
⎯ vous dites, vous : par le biais des services de la sûreté d’Etat ⎯ était l’argent versé
47
TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition du témoin B-129, 16-17 avril 2003, p. 19568.
48
CR 2006/9, p. 18, par. 27 (Karagiannakis), à propos de la déposition du témoin B-129, p. 19454. - 17 -
par les autorités de la province autonome de Bosnie occidentale pour la mission qu’ils
devaient effectuer, à savoir l’entraînement d’instructeurs, etc. ?
Réponse: Oui, ils recevaient de l’argent de Fikret Abdi ć pendant l’opération de
VelikaKladusa, mais cela ne s’est pas limité à une mission d’entraînement. Les 49
membres de la garde étaient au front. Il combattaient pour Fikret Abdić.»
Et à une question analogue du procureur sur la pa rticipation de l’unité d’Arkan dans les monts
Treskavica :
«Question : Comment les «Tigres» étaient-ils payés à Treskavica ?
Réponse: Pour ce qui est des paiements, je ne saurais vous le dire parce que
cela se passait sur le terrain.»50
76. Madame le président, il n’est pas si aisé de tirer des conclusions sur les liens entre Arkan
et ses hommes et la sûreté de l’Etat de la Républiq ue de Serbie. Ce qui est certain, c’est que la
garde volontaire d’Arkan ne relevait pas des struct ures officielles du défendeur, contrairement à ce
qu’affirme le demandeur. Il est très probable, en revanche, qu’Arkan a eu des contacts avec
quelques personnes haut placées dans l’ appareil de la sûreté de l’Etat de la République de Serbie.
Ces contacts étaient toutefois loin de constituer une relation de subordination, et le demandeur n’a
présenté aucun élément digne de foi établissant qu’Arkan et son unité se trouvaient sous le
commandement ou le contrôle du défendeur au moment où ils livraient bataille en
Bosnie-Herzégovine ou ailleurs. Bien au contraire, les éléments donnent à penser qu’à chaque fois
qu’ils livrèrent bataille sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce fut sous le commandement des
forces locales serbes, voire de Fikret Abdić.
Les Scorpions
77. La troisième unité qui, aux dires du de mandeur, aurait été une unité du ministère de
l’intérieur de la République de Se rbie est celle des «Scorpions». Comme je l’ai dit au début, cette
unité n’a guère fait parler d’elle au cours du conflit , mais elle est devenue tristement célèbre après
la diffusion de l’effroyable séquence vidéo montrant l’exécution de six détenus musulmans près du
village de Trnovo.
78. Dans sa plaidoirie, Mme Karagiannakis a évoqué deux documents qui présentent les
«Scorpions» comme une unité du mi nistère serbe de l’intérieur 51. Il s’agit de deux télégrammes
49
TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition du témoin B-129, 16-17 avril 2003, p. 19562.
50Ibid., p. 19479. - 18 -
interceptés, envoyés par le poste de commandement de la police de la Republika Srpska détaché à
25
Trnovo. Le premier porte la signature du command ant adjoint de la brigade spéciale de police,
Ljubiša Borov čanin, et le second celle du commandant de ce poste détaché, SavoCvjetinovi ć.
Ceux-ci étaient donc tous deux de hauts responsab les des forces de police de la Republika Srpska.
Et les deux documents étaient adressés exclusivement à différentes unités du ministère de
l’intérieur de la Republika Srpska: aucune un ité, aucun organe du défendeur n’est mentionné
parmi leurs destinataires.
79. L’authenticité de ces documents est douteuse, étant donné qu’il s’agit de documents
interceptés. S’ils sont authentiques, les origina ux devraient exister ou avoi r existé. Le défendeur
n’a pas eu accès aux originaux, et la forme sous laquelle ils ont été présentés rend difficile
l’appréciation de leur authenticité. Néanmoins, même à les supposer authentiques, ces documents
prouvent seulement que certains responsables de la police de la Republika Srpska pensaient que les
«Scorpions» relevaient du ministère de l’intérieur de la République de Serbie.
80. En revanche, il existe des éléments prouvant le contraire ⎯ à savoir que les «Scorpions»
n’étaient pas une unité de la police serbe. Dans son souci de donner l’impression que les
«Scorpions» avaient un lourd passé génocidaire da ns lequel Belgrade avait tiré les ficelles,
Mme Karagiannakis a soutenu que l’histoire de cette unité avait commencé à Vukovar, en pensant
probablement aux événements surve nus dans cette ville en 1991. Pour le prouver, le conseil du
demandeur a cité un témoin qui avait déposé dans le procès de Miloševi ć comme témoin de
l’accusation ⎯le témoin C-017 5. Celui-ci avait affirmé qu’il était originaire de Bosnie
53
occidentale , d’une région de la Bosnie-Herzégovine proche de Mostar et qu’il était devenu
membre de l’unité appelée «Loups blancs». Celle-ci était, selon ses dires, une unité de l’armée de
54
la Republika Srpska placée sous le contrôle direct du général Mladic . Si nous lisons le passage de
sa déposition que le demandeur a é voquée, nous constatons que son témoignage est présenté sous
un jour fallacieux. Toutefois, ce passage nous en apprend encore bien davantage.
51Voir CR 2006/9, p. 16, par. 20-22 (Karagiannakis).
52Ibid., p. 15, par. 18.
53
TIPY, Le procureur c. Milošević, déposition du témoin C-017, 11 juin 2003, p. 22150.
54Ibid., p. 22135. - 19 -
26 81. Le témoin a pris part aux combats de Treskavica, et il a par la suite été détaché à Jahorina
sous les ordres du général Mladic. Pendant son séj our à Jahorina, il a vu arriver des «Scorpions»,
dont il a dit ceci :
«Question : … lorsque nous sommes arrivés à Jahorina,…nous avons vu des
véhicules avec des plaques d’immatriculation de la Republika Srpska de Krajina. Et
par la suite, des personnes en uniformes noi rs avec différents insignes des Tigres
d’Arkan et d’autres avec des insignes des Scorpions et des membres du MUP de la
Srpska Krajina et55ertains portaient des uniformes noirs et d’autres des uniformes de la
police régulière .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Question: Avez-vous vu des soldat s arborant des insignes de scorpion
⎯ représentant des scorpions ?
Réponse : Oui, tout à fait.
Question : Et qui étaient ces hommes-là ?
Réponse: A ce moment-là je ne savais pas qui ils étaient. Car c’était la
première fois que je voyais des hommes arboran t de tels insignes. C’était la première
fois que j’entendais ce nom, «Scorpions», ma is plus tard, à Vukova r, j’ai appris qu’il
s’agissait d’une unité qui venait de cette ré gion et qui était commandée par un certain
Boco.» 56
Un peu après, le procureur a soumis au témoin l’un des deux documents cités par
Mme Karagiannakis dans sa plaidoirie. Voici la suite du témoignage :
«Question: Dans ce document, il est fa it allusion à l’unité des Scorpions du
MUP serbe. Saviez-vous que les Scorpions ét aient une unité de la police rattachée au
MUP serbe ou ne le saviez-vous pas ?
Réponse : Non, je ne savais pas.» 57
82. Cet échange entre le procureur du TPIY et le témoin C-017, qui avait pris une part active
aux combats du mont Treskavica, près de Sarajevo, est instructif à bien des égards :
a) tout d’abord, et je dirais que c’est là le moin s important, il montre que le témoin a affirmé non
pas (contrairement à ce qu’allègue le demande ur) que l’histoire des «Scorpions» avait
commencé à Vukovar en 1991, mais seulement qu’il av ait appris par la suite, lors de son séjour
à Vukovar, que les «Scorpions» étaient originaires de cette région;
5TIPY, Le procureur c. Milošević, déposition du témoin C-017, 11 juin 2003, p. 22076-22077.
56
Ibid.
57Ibid. - 20 -
b) deuxièmement, ce témoignage montre que les «S corpions» étaient en fait de la région de
Vukovar, indépendamment de la da te de leur formation. Vukovar se trouve bien évidemment
en Croatie;
27 c) troisièmement, il établit que les «Scorpions» conduisaient des véhicules immatriculés en
Republika Srpska Krajina, c’est-à-dire, une fois de plus, en Croatie;
d) quatrièmement ⎯ et c’est le plus important ⎯, il montre qu’un homme qui avait lui-même
combattu aux côtés des «Scorpions» ne soupçonnait nullement que les «Scorpions» pussent être
en réalité une unité de la police serbe. Il est relativement raisonnable de s’attendre à ce qu’un
individu connaissant manifestement très bi en les différentes unités opérant en
Bosnie-Herzégovine sache si une unité combattant à ses côtés était ou non rattachée à la police
serbe.
83. Le fait que les «Scorpions» venaient de Republika Srpska Krajina a également été
confirmé par l’un des plus hauts responsables de la police de la Republika Srpska de cette époque.
Dans un entretien accordé au journal de Sarajevo Slobodna Bosna, publié l’an dernier après la
première diffusion de la sé quence montrant l’exécution des six Musulmans de Bosnie,
M. Tomislav Kovač, ancien ministre adjoint de l’intérieur de la Republika Srpska, a indiqué que les
58
«Scorpions» avaient été détachés par le ministère de l’intérieur de la Republika Srpska Krajina .
84. Il semble donc que les éléments de preuve re latifs au statut des «Scorpions» soient à tout
le moins sujets à controverse et que, à la lumi ère des autres éléments disponibles, les deux
documents évoqués par le demandeur ne puissent êt re considérés comme suffisant à prouver que
les «Scorpions» étaient une unité du ministère serbe de l’intérieur ⎯ d’autant que l’authenticité de
ces documents est contestable. Quoi qu’il en soit, tous les éléments de preuve, y compris ces deux
documents ⎯ à supposer qu’ils soient authentiques ⎯, montrent clairement que, une fois déployés
en Bosnie-Herzégovine, les «Scorpions» ont été ra ttachés à la structure de commandement de la
Republika Srpska et qu’ils étaient entièrement contrôlés par les forces de police de la Republika
Srpska.
58
Résumé de cet entretien disponible en anglais sur le site suivant : h ttp://www.b92.net/english/news/index.php?
version=print&dd=10&mm=06&yyyy=2005&nav_category=&nav_id=32192&order=priority&style=headlines. - 21 -
Les forces de Šešelj
85. Enfin, Madame le président, nous en venons aux forces conduites par Vojislav Šešelj. Il
n’est pas contesté que les unités de volontaires pa ramilitaires de son parti politique aient participé
aux combats en Bosnie-Herzégovine, principaleme nt en 1992, mais, contrairement à ce que le
demandeur a prétendu, ces unités n’étaient pas sous le contrôle du ministère de l’intérieur serbe.
Les principaux éléments de preuve relatifs aux liens entre la police serbe et les forces de Šešelj
consistent en différentes déclarations que Šešelj a lui-même faites au milieu des
années quatre-vingt-dix 59. Tout d’abord, ces déclarations concernent essentiellement la guerre qui
28
s’est déroulée en Croatie en 1991 et j’ai déjà expliqué que les éléments de preuve relatifs à 1991 ne
sauraient être utilisés dans cette affaire simplement par analogie. Ensuite, voici ce que
Vojislav Šešelj a dit plus récemment, lorsqu’il a témoigné en 2005 au procès de Milošević :
«Question : Monsieur Šešelj, dans vot re réponse à Laura Silber concernant
l’enregistrement vidéo «La mort de la Yougoslavie», vous avez dit que vous receviez
des armes de la police de Miloševi ć, du ministre de l’intérieur de l’époque,
Radmilo Bogdanovic, puis de son successeur. Est-ce exact ?
Réponse : L’ensemble de cette interview, qui a duré près d’une heure, fait partie
de celles que j’ai publiées dans l’un de mes livres. Et vous auriez pu également le
découvrir. Donc, je ne nie pas que j’ai donné cette interview; mais, pour des raisons
de propagande politique, j’ai impliqué Miloševi ć et Radmilo Bogdanovic dans cette
histoire; je voulais les agacer et provoque r de leur part une réaction politique
60
inappropriée.»
86. Dans toute cette déposition, qui a duré plus ieurs semaines en août et en septembre 2005,
Vojislav Šešelj n’a cessé de revenir sur ses déclarations antérieures selon lesquelles
Slobodan Milošević et le service de la sûreté d’Etat de la police serbe armaient et soutenaient ses
unités. Bien entendu, il est très possible que Šešelj ait menti en témoignant devant le TPIY. Mais
il est possible qu’il ait menti au cours de ses pr écédentes interviews. Nous ne cherchons pas à
prétendre que la vérité est telle ou telle; nous voulons juste démontrer que des questions aussi
graves que la responsabilité de l’Etat ne sauraient être tranchées sur la b ase des déclarations d’un
ancien homme politique, accusé par le TPIY, qui a souvent changé ses déclarations selon ce qu’il
jugeait opportun.
59 o
Documents vidéos présentés par la Bo snie-Herzégovine le 16 janvier 2006, DVD 2, mentionnés dans le
CR 2006/35, p. 27, par. 24 (Dauban).
60TPIY, Le procureur c. Milošević, déposition de Vojislav Šešelj, 7 septembre 2005, p. 11917. - 22 -
La jurisprudence internationale relative aux paramilitaires
87. Madame le président, Messieurs les juges, à la fin de cette analyse concernant le lien
entre les unités paramilitaires qui opéraient en Bosnie-Herzégovine et le défendeur, je vais
brièvement analyser la jurisprudence internationale relative aux paramilitaires.
88. La pratique des juridictions international es ne nous offre que quelques précédents sur la
question de la responsabilité de l’Etat pour les ac tivités paramilitaires. L’un de ces précédents est
la décision rendue par cette éminente Cour en l’affaire relative aux Activités militaires et
29 paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. Les deux Parties se sont déjà étendues longuement
sur les paragraphes pertinents de l’arrêt du 27 juin1986. Si l’on compare les faits des
deuxaffaires, il devient parfaitement évident que le demandeur n’a pas apporté de preuve
s’approchant seulement du critère du cont rôle effectif adopté dans l’affaire Nicaragua.
M. Brownlie a déjà traité cette question au cours du premier tour et il y reviendra aujourd’hui.
89. C’est peut-être précisément pour cette raison que le demandeur a prié la Cour d’«oublier
Nicaragua». Nous ne sommes pas d’accord avec cette proposition. Néanmoins, nous montrerons
que la jurisprudence internationale la plus r écente ne confirme pas non plus les conclusions
juridiques présentées par le demandeur.
90. Le TPIY a rendu son j ugement dans l’affaire Le procureur c. Enver Hadžihasanović et
Amir Kubura le 15 mars 2006. Dans ce jugement, la question des moudjahidin paramilitaires, qui
était au cŒur de l’affaire, est très longuement tr aitée: elle occupe près de cent cinquante pages.
Bien que l’affaire porte essentiellement sur la r esponsabilité pénale individuelle, le TPIY a analysé
la relation entre les moudjahidin et l’armée bosnia que et il pourrait donc être utile de comparer les
faits examinés par le TPIY et ceux que le demandeur vous a présentés en l’espèce.
91. Pour résumer très schématiquement, dans l’affaire Le procureur c.
Enver Hadžihasanović et Amir Kubura, le TPIY a conclu que l’armée bosniaque n’exerçait aucun
contrôle sur les moudjahidin paramilitair es avant que cette unité ne soit intégrée de jure dans
l’armée bosniaque 61. Cette intégration de jure fut réalisée en août 1993 par un ordre du
62
commandement suprême de l’armée bosniaque .
61
TPIY, Le procureur c. Hadžihasanović et Kubura, jugement, 15 mars 2006, par. 805.
62
Ibid., par. 837-840. - 23 -
92. Toutefois, pour parvenir à la conclusion que l’armée bosniaque exerçait bien un contrôle,
le TPIY ne s’est pas contenté de prendre acte de l’ ordre en question. Il a également vérifié que cet
ordre avait été exécuté. Après avoir constaté que l’unité de moudjahidin avait effectivement été
acceptée au sein de l’armée bosniaque au cours d’une cérémonie officielle, le Tribunal a conclu
qu’elle dépendait en effet du sou tien logistique du corps de l’armée bosniaque auquel elle était
subordonnée, qu’elle était considérée comme une unité de ce corps et qu’elle était utilisée dans des
63
opérations de combat . En outre, le Tribunal a jugé que le fait que cinq membres des moudjahidin
30 avaient été décorés par le président Izetbegovi ć en 1994 prouvait aussi que l’ordre qui avait créé
64
cette unité avait réellement été exécuté .
93. Le Tribunal poursuit son raisonnement en suivant ses propres conclusions dans l’affaire
Čelebići, dans laquelle il avait jugé que, pour engager la responsabilité , l’existence d’un contrôle
65
de jure doit être confirmée par un contrôle effectif . Aux fins de déterminer l’existence de ce
contrôle effectif, le Tribunal tient compte essentiellement des critères suivants :
⎯ premièrement, le pouvoir de donner des ordres et de les faire exécuter;
⎯ deuxièmement, la conduite d’opérations de combat impliquant les forces en question;
⎯ troisièmement, l’absence de toute autre autorité sur les forces en question 66.
94. Ainsi, le Tribunal a constaté que, après avoir été placé sous le commandement du groupe
opérationnel Bosanska Krajina, l’unité de moudjahidin a participé à plusieurs opérations de combat
aux côtés d’autres unités de ce même gr oupe, sous le commandement de celui-ci 67. Dans le même
sens, le Tribunal a également noté que les hommes de l’ancienne unité paramilitaire étaient soumis
aux mêmes règles de discipline militaire que les au tres soldats de l’armée et que ces règles étaient
68
effectivement appliquées aux moudjahidin .
95. Donc, c’est seulement après s’être assuré que l’unité de moudjahidin avait été créée de
jure par un ordre de l’armée bosniaque, que cet or dre avait effectivement été exécuté et que
63TPIY, Le procureur c. Hadžihasanović et Kubura, jugement, 15 mars 2006, par. 815, 823 et 839.
64
Ibid., par. 822.
65
Ibid., par. 845.
66Ibid., par. 851.
67Ibid., par. 848.
68Ibid., par. 852. - 24 -
l’armée bosniaque exerçait un contrôle effectif su r cette unité que le Tribunal a décidé que la
69
responsabilité de l’accusé était engagée .
96. Madame le président, en appliquant le même raisonnement à notre affaire, on peut
considérer les règlements de 1991 concernant l’admission de volontaires au sein de la JNA comme
analogue à l’ordre d’août1993 relatif à la cr éation de l’unité des moudjahidin par l’armée
bosniaque. Toutefois, si l’on s’en tient au schéma établi par le TPIY, on constate tout de suite que
ce schéma ne s’applique pas dans le cas des paramilitaires serbes, en particulier pendant la période
considérée, à partir d’avril 1992.
97. Le défendeur affirme que l es règlements de 1991 n’ont pas été appliqués dans la mesure
31
où ils auraient dû l’être selon le raisonnement que nous venons de présenter. Ainsi, il n’est
question nulle part d’une cérémonie officielle organisée pour accueillir les unités de volontaires et
encore moins d’une cérémonie de remise de décoration à l’un ou l’autre de leurs membres. Les
unités paramilitaires ne sont jamais été mentionnées comme faisant partie de la JNA. Elles sont
restées, ainsi qu’on les appelle généralement et que le demandeur les qualifie, des unités
paramilitaires.
98. Au cours de la période en qu estion, les unités paramilitaires ne dépendaient pas du
soutien logistique de la JNA et n’étaient pas employées dans des opérations de combat sous le
contrôle de la JNA ou de tout autre organe du défendeur. En outre, lorsqu’on cherche à établir
l’existence d’un contrôle effectif, on ne peut que conclure à l’absence d’un tel contrôle de la part du
défendeur. Ainsi, il n’a pas été prouvé que, au cours de la période considérée, un organe du
défendeur ait donné des ordres aux unités paramilitaires ni, si des ordres ont été donnés, qu’ils aient
été exécutés. Comme il a été démontré, ces unités ont tout d’abord agi soit de manière
indépendante soit sous le commandement de l’Etat proclamé des Serbes de Bosnie.
99. Ce fait nous amène à l’autre critère menti onné par le TPIY, à savoir l’absence de toute
autre autorité sur les forces en question, lequel critère n’est pas rempli non plus. De même, aucun
cas d’application des règles de discipline militaire par le défendeur n’a été signalé à la Cour.
69
TPIY, Le procureur c. Hadžihasanović et Kubura, jugement, 15 mars 2006, par. 848 et 852. - 25 -
100. Pour conclure, même s’il est probable qu’ immédiatement après la publication de ces
règlements en 1991, un certain contrôle a été exercé sur les unités de volontaires, l’évolution de la
situation en 1992 a conduit à la perte de ce c ontrôle et à l’indépendance progressive des unités
paramilitaires. Cette situation a duré jusqu’à l’été 1992, époque à laquelle les unités paramilitaires
ont été formellement placées sous le contrôle de l’armée ou de la police de la Republika Srpska,
contrôle qui a été maintenu jusqu’à la fin de la guerre en Bosnie-Herzégovine.
101. Il s’ensuit, Madame le président, que, même si nous «oublions Nicaragua» et
appliquons le raisonnement juridique du TPIY, la conclusion reste la même ⎯le défendeur ne
contrôlait pas les forces paramilitaires qui opéraient en Bosnie-Herzégovine.
32 Les crimes attribués aux forces paramilitaires
102. Madame le président, Messieurs les juges, il est souvent affirmé que ce sont les forces
paramilitaires qui ont commis les crimes les pl us atroces en Bosnie-Herzégovine. Nous ne
contestons pas que ces unités aient commis des crim es et, même si nous maintenons notre position
selon laquelle chaque crime commis en Bosnie-Her zégovine et ailleurs dans l’ex-Yougoslavie doit
faire l’objet d’une enquête et être puni comme il convient, nous devons néanmoins examiner
brièvement les crimes attribués aux forces paramilitaires que Belgrade aurait eu sous son contrôle.
103. A part Slobodan Miloševi ć qui fut accusé de tous les crimes commis en
Bosnie-Herzégovine et dont l’acte d’accusation n’est, pour cette raison, d’aucune utilité particulière
pour cette analyse, quatre autres personnes de Se rbie-et-Monténégro ont été accusées par le TPIY
pour des crimes commis dans le cadre d’activités paramilitaires.
104. Željko Ražnjatović Arkan fut le premier à être accusé. Il n’avait initialement été accusé
que des crimes commis à Sanski Most 70et, puisque la procédure a pris fin après son décès, l’acte
d’accusation est demeuré tel quel. Nous pouvons cep endant supposer sans risque de nous tromper
que l’acte d’accusation aurait été étendu à d’autres crimes attribués à l’unité d’Arkan. Il était
accusé de crimes contre l’humanité, d’infractions graves aux conventions de Genève et de
violations des lois ou coutumes de la guerre.
70
TPIY, Le procureur c. Ražnjatović, acte d’accusation initial, 30 septembre 1997. - 26 -
105. Le deuxième est Vojislav Šešelj, initiale ment mis en accusation le 14février2003.
L’acte d’accusation à son encontre a été modifié et corrigé le 15 juillet 2005. Même si
l’identification des crimes particuliers attribués aux paramilitaires de Šešelj est plutôt confuse dans
l’acte d’accusation, les forces de Šešelj y sont accusées d’avoir commis directement des crimes à
Zvornik, Bosanski Šamac, à la périphérie de Sara jevo, à Bijeljina, Mostar et Nevesinje ou d’avoir
71
participé à la commission de ces crimes . Vojislav Šešelj est accusé de crimes contre l’humanité
et de violations des lois ou coutumes de la guerre.
er
106. Enfin, le 1 mai 2003, le procureur du TPIY a émis un acte d’accusation contre
Jovica Stanišić et Franko Simatović, qui avaient été l’un chef, l’autre haut fonctionnaire du service
de la sûreté de l’Etat du ministère de l’intérieu r serbe, au début des annéesquatre-vingt-dix. Ils
33 étaient accusés d’avoir participé à une entreprise criminelle commune et d’ avoir ordonné tous les
crimes prétendument commis en Bosnie-Herzégovine par des membres des forces de sécurité de
l’Etat serbe (les «Bérets rouges»), ainsi que to us ceux perpétrés par l’unité d’Arkan et les
«Scorpions». Selon le second acte d’accusation modifié, ils sont accusés de crimes commis à
72
Bijeljina, BosanskiŠamac, Doboj, Sanski Most, Srebrenica et Zvornik . L’acte précise que les
accusations relatives à Srebrenica ne c oncernent que le village de Trnovo 7. Quant à Staniši ć et
Simatović, ils sont accusés de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la
guerre.
107. Ainsi que la Cour peut le constater, aucun de ces hommes, accusés dans le cadre
d’activités paramilitaires en Bosn ie-Herzégovine, n’a été inculpé de génocide. Pourtant, Madame
le président, ces quatre hommes ne sont pas de simples individus accusés de crimes particuliers.
Ce sont les quatre hommes qui sont accusés de tous les crimes prétendument commis par des unités
paramilitaires censément placées sous le contrôle de Belgrade. Ce sont les hommes dont vous
auriez pensé qu’ils avaient l’intention génocidaire, si cette intention avait existé. Pourtant, ils n’ont
même pas été accusés de génocide. Bien entendu, la Cour n’est pas liée par les conclusions du
71
TPIY, Le procureur c. Šešelj, acte d’accusation modifié corrigé, 15 juillet 2005, par. 22-27.
72
TPIY, Le procureur c. Staniši ć et Simatovi ć, second acte d’accusation modifié corrigé, 20 décembre 2005,
par. 41-67.
73Ibid., par. 55-57. - 27 -
TPIY et encore moins par les qualifications juridi ques de son procureur, mais le fait que celui-ci
n’a même pas essayé d’accuser de génocide l’un de ces quatre hommes est révélateur.
Conclusions
108. Madame le président, Messieurs les juges, à la fin de cet exposé un peu long sur les
paramilitaires, je vous présente les conclusions de la Serbie-et-Monténégro :
a) tout d’abord, les unités de paramilitaires ser bes ont été créées en 1991, pendant la guerre de
Croatie. Elles étaient à l’origine des unités de volontaires et la JNA a tenté de les contrôler en
adoptant divers règlements en 1991;
b) ces règlements ont eu un effet limité et la plupart des unités paramilitaires ont continué à
échapper au contrôle de la JNA. Quoi qu’il en soit, ces règlements n’ont de pertinence que pour
34
la guerre de Croatie en 1991 et le demandeur n’a fourni aucun élément prouvant que ces
règlements étaient encore en vigueur en 1992 en Bosnie-Herzégovine;
c) au début de la guerre en Bosnie-Herzégovine, les unités paramilitaires n’étaient pas sous le
contrôle du défendeur et elles opéraient soit de manière indépendante, soit sous le contrôle de
différents organes locaux du nouvel Etat autoproclamé des Serbes de Bosnie;
d) pendant l’été 1992, la Republika Srpska a adopté plusieurs décisions et a pris d’autres mesures
pour contrôler les unités paramilitaires;
e) ces mesures ont été appliquées avec succès à la fin de 1992, puis toutes les unités paramilitaires
qui opéraient sur le territoire de la Bosnie-Her zégovine ont été soit intégrées aux autorités de la
Republika Srpska soit placées sous son commande ment. Cela fut aussi le cas des unités
paramilitaires et les paramilitaires isolés de Serbie-et-Monténégro;
f) après 1992, les unités paramilitaires de Serbie-et-M onténégro n’ont opéré sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovine qu’en de rares occasions;
g) le demandeur n’a pas apporté d’ élément de preuve démontrant que, pendant leur séjour sur ce
territoire, les paramilitaires étaient sous lecommandement et le contrôle du défendeur. Au
contraire, tous les éléments de preuve montrent qu’ils étaient sous le commandement d’autorités
locales; - 28 -
h) enfin, les crimes commis par les unités paramilitaires, quelle que soit leur gravité, ne
constituaient pas le crime de génocide.
Madame le président, ainsi s’achève ma plaidoirie. Je vous remercie de votre attention et je
vous prie respectueusement de donner la parole à M. Ian Brownlie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Cvetković. M. Brownlie, vous avez la parole.
M. BROWNLIE : Merci, Madame le président.
INTRODUCTION
1. Madame le président, Messieurs les juges, je m’attellerai à quatre tâches au cours de ce
deuxième exposé :
premièrement, je réfuterai les tentatives de la dé légation bosniaque visant à dénigrer les
éléments de preuve documentaires et autres qui contredisent la thèse de l’attribution;
35 deuxièmement, je confirmerai les éléments de preuve présentés à l’encontre de la thèse de
l’attribution;
troisièmement, jeréaffirmerai la position de la Serbie-et-Monténégro concernant
l’interprétation et l’application de la convention sur le génocide; et
enfin, je reviendrai sur les principes pertinents en matière de responsabilité de l’Etat.
A. Réfutation des tentatives de la Bosnie visant à dénigrer les éléments de preuve
qui contredisent la thèse de l’attribution
2. Madame le président, lors du prem ier tour, j’ai présenté, au nom de la
Serbie-et-Monténégro, un nombre important d’éléments de preuve fiables relatifs à la question de
l’attribution, provenant notamment de sources tierces non négligeabl es. Ces éléments de preuve
constituent un faisceau concordant qui vient c ontredire l’allégation selon laquelle la Republika
Srpska et ses forces armées auraient été sous le contrôle du gouvernemen t de Belgrade. Or, non
seulement la réponse apportée par le demandeur n’a pas été convaincante, mais encore
soulève-t-elle un certain nombre de questions. Pourquoi le demandeur répugne-t-il tant à
reconnaître la pertinence et la valeur de sour ces tierces aussi importantes que le rapport du
Gouvernement néerlandais, l’importante étude de la CIA ou l’ouvrage de lordOwen? - 29 -
MmeKaragiannakis écarte le rapport du Gouvern ement néerlandais au motif qu’il ne serait
«nullement exhaustif», et déclare que «ses auteurs ne disposaient pas de la totalité des preuves de
l’implication de Belgrade que nous avons, nous, soumises à la Cour» (CR 2006/32, p. 64, par. 79).
Pourtant, le rapport des Pays-Bas fait plusieurs mi lliers de pages. N’est-il pas étrange que le
demandeur n’ait pas considéré qu’il pourrait être pertinent et utile à la Cour ?
3. Madame le président, la réponse réside selon nous dans la réticence de nos éminents
contradicteurs à s’attacher aux détails de ces divers documents, et dans l’indifférence qu’ils
manifestent à l’égard de questions relatives au contexte factuel.
Réponse aux réfutations présentées par le demandeur
4. Il convient à présent d’examiner la manièr e dont les éléments de preuve présentés au nom
de la Bosnie-Herzégovine ont été réfutés, à commencer par le rapport du Secrétaire général en date
du 30 mai 1992.
36 a) Le rapport du Secrétaire général en date du 30 mai 1992
5. Ce document est cité dans le compte re ndu d’audience (CR 2006/16, p. 41). M. Ollivier
prétend qu’il n’est pas définitif (CR 2006/34, par. 5-7). Or, le paragraphe essentiel de ce document
me semble suffisamment clair et circonstancié. Je le citerai donc :
«Etant donné qu’il n’est pas sûr que les au torités de Belgrade soient en mesure
d’influer sur le généralMladic, qui s’est dissocié de l’APY, la FORPRONU s’est
efforcée de s’adresser à ce dernier tant directement que par l’intermédiaire des
dirigeants politiques de la «République serbe de Bosnie-Herzégovine». A la suite de
ces tentatives, le général Mladic a accepté le 30 mai 1992 d’arrêter les bombardements
de Sarajevo. Si j’ai l’espoir que les bombard ements de la ville ne reprendront pas, il
est clair également que l’apparition du géné ralMladic et des forces qu’il commande,
lesquelles agissent de manière indépendante et échappent semble-t-il au contrôle de
l’APY, complique beaucoup le problèm e soulevé au paragraphe4 de la
résolution752(1992). Le présidentIzetbegovic a récemment indiqué à des officiers
supérieurs de la FORPRONU à Saraje vo son intention de traiter avec le
généralMladic, mais non avec la directi on politique de la «République serbe de
Bosnie-Herzégovine».»
6. Selon moi, il s’agit-là d’une apprécia tion minutieuse, formulée à l’époque sur des
questions de fait capitales relatives au statu quo tant politique que militaire. - 30 -
b) Les déclarations faites par lord Owen au suje t des relations entre la Republika Srpska et
Belgrade
7. Viennent ensuite les déclarations faites par lord Owen au sujet des relations entre la
Republika Srpska et Belgrade. Un nombre relativ ement important d’éléments de preuve a été
présenté sur ce point lors du premier tour (CR 2006/ 16, p. 44-48). Cette question a été abordée de
manière circonstanciée à partir de trois sour ces différentes. Confronté à ces documents,
M.Ollivier, comme sa délégation en a l’habitu de, ne retient que quelques courts extraits
(CR 2006/34, par. 8-11).
c) Les travaux de la conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et la reconnaissance de
l’identité politique distincte des Serbes de Bosnie
8. Troisième point: les travaux de la confér ence internationale sur l’ex-Yougoslavie et la
reconnaissance de l’identité politique distincte des Serbes de Bosnie. Au cours de mes
interventions du premier tour, j’ai examiné les no mbreux éléments de pre uve démontrant qu’avait
été reconnu, lors de la conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et par le président du comité
directeur, le statut de négociateur des parties serbes de Bosnie (CR2006/16, par.123-132). Ces
informations revêtent une importance considérable. Si les Serbes de Bosnie avaient été une fiction,
pourquoi leur aurait-on reconnu un rôle équivalent à celui des autres parties à la négociation ?
37 9. M. Ollivier fait fi des réalités qui le gênent, en l’occurrence le statut de négociateur à part
entière des Serbes de Bosnie, pour se concentrer sur ce qui s’est passé à Dayton, où, en tout état de
cause, les Serbes de Bosnie sont restés partie aux négociations (CR 2006/34, par. 12-17).
d) Les décisions du TPIY relatives au génocide
10. J’en viens maintenant aux décisions du TPIY relatives au génocide, décisions
importantes et détaillées dans lesquelles il n’est fait aucune allusion à une quelconque participation
du Gouvernement de la RFY, ni à une quelconqu e structure de commandement impliquant les
dirigeants de Belgrade (CR2006/17, par.163-1 69). MmeKaragiannakis répond de la manière
suivante: «Ces formations du TPIY n’avaient toutefois pas été saisies de la question de
l’implication de Belgrade, et les éléments de pr euve s’y rapportant ne lui avaient donc pas été
soumis. Aussi n’est-il pas surprenant qu’elles ne formulent aucune conclusion à cet égard.»
(CR 2006/32, p.64, par. 78.) - 31 -
11. Madame le président, il me faut tout d’a bord souligner que j’ai présenté ces décisions en
tant qu’éléments de preuve de la non-participation du gouvernemen t de Belgrade à la prise de
décision en Republika Srpska et non, contrairemen t à ce que le conseil semble penser, en guise
d’élément de preuve portant principalement sur Srebrenica. D’ailleurs, compte tenu, d’une part, de
l’importance juridique que revêt la question de la structure de co mmandement et, d’autre part, des
allégations répétées de la délé gation de la Bosnie selon lesquelles Belgrade aurait exercé un
contrôle, Mme Karagiannakis aurait dû à tout le moins s’étonner de l’ absence d’élément sur ce
point.
e) La rupture définitive entre Belgrade et les Serbes de Bosnie intervenue le 4 août 1994
12. Lors du premier tour, j’ai présenté, au nom de la Serbie-et-Monténégro, d’importants
éléments de preuve concernant la rupture des relations entre la Re publika Srpska et Belgrade dans
les années1993-1994 (CR2006/16, par.122-144; et CR2006/17, par.170-172). Parmi ces
éléments, j’ai notamment évoqué le point de vue mûrement réfléchi formulé par lord Owen, lequel
a été un acteur important dans les négociations.
13. Il n’y a pas lieu de répéter les éléments de preuve que M. Ollivier a balayés d’un revers
de main (CR2006/34, par.18-22). Ce rejet hâtif d’un nombre considérable d’éléments
concordants est typique de la façon de faire de nos contradicteurs. La crédibilité de lord Owen?
Aucune importance. Sa participation directe aux événements ? Aucune importance. Les éléments
de preuve publics concernant le rejet du plan Vance-Owen à Pale ? Aucune importance.
38 14. Certes, M.Ollivier souligne que Belgra de fournissait, dans une certaine mesure, une
assistance à Pale. Mais s’il le dit, Madame le président, c’est pour mieux éluder l’essentiel,
c’est-à-dire l’indépendance politique de la Republika Sr pska. Il convient, bien sûr, de rappeler les
faits historiques, à savoir que les Serbes de Bosn ie ont fini par être conduits à la table des
négociations à la suite d’une campagne de bombardements.
f) Le rapport sur Srebrenica de l’Institut néerlandais de documentation sur la guerre
15. Ce rapport a été commandé par le Gouvern ement néerlandais. La Serbie-et-Monténégro
s’est appuyée sur cet important document lors du premier tour (voir CR2006/17, par.173-176);
nous continuons à lui accorder le même poids. Le conseil de la Bosnie -Herzégovine a le toupet - 32 -
d’affirmer que ce rapport «ne se prétend nullement exhaustif», sans pour autant expliquer pourquoi.
Un examen objectif de ce document démontre pourtant qu’il s’agit d’une source essentielle
émanant d’une tierce partie. Autre chose: Mm e Karagiannakis qualifie ce rapport de «source
qui … n’incriminerait pas Belgrade», alors qu’en réalité, il disculpe expressément le Gouvernement
de la RFY. Le rapport s’achève en effet par la conclusion suivante : «Aucun élément de preuve ne
suggère qu’il existait un quelconque lien politique ou militaire avec Belgrade et, dans le cas de ce
meurtre collectif, un tel lien est … improbable.» (Conclusion, point 10.)
g) La conversation entre Milosevic et lord Owen du 16 avril 1993
16. L’indépendance entre le gouvernement de Belgrade et la Republika Srpska est confirmée
par l’épisode de l’entretien téléphonique en tre le président Milosevic et lorOwen
du 16 avril 1993. J’ai présenté les documents per tinents lors de mon exposé du premier tour sur la
question de l’attribution (CR 2006/17, par. 177-183). La conversation téléphonique a été
authentifiée par différentes sources, dont le compte rendu d’audience du procès Milosevic.
Milosevic tente de prévenir le commandant de la FORPRONU des tensions existant entre les deux
armées à la suite d’actions mené es par le passé contre des villa ges serbes. Comme les documents
le révèlent clairement, Milosevic s’employait à faire échouer les desseins de Mladic et de Karadzic.
17. Mme Karagiannakis (CR 2006/32, par. 82-83) affirme que j’ai cité cet élément de preuve
pour réfuter le témoignage du général Clark en l’affaire Milosevic. Il n’en est rien. Si je l’ai
présenté au cours de ma première intervention consacr ée à la question de l’attribution, c’est en tant
39 qu’élément de preuve essentiel confirmant la non-participation du gouvernement de Belgrade aux
opérations menées par la Republika Srpska. Quant au général Clark, je ne l’ai évoqué que plus tard
dans ce même exposé (CR 2006/17, par. 292-296).
18. Mme Karagiannakis prétend, sans aucun fo ndement, que Milosevic était au courant des
événements de Srebrenica avant qu’ils ne se produi sent. Ce que Milosevic savait, comme tout le
monde dans la région, c’est que les raids mené s depuis l’enclave avaient engendré un climat de
haine. Les sources suivantes confirment l’existence des raids :
a) l’étude de la CIA Balkan Battlegrounds (vol. I, p. 184);
b) le rapport du Gouvernement des Pays-Bas (p. 1277-1278); - 33 -
c) le jugement de la Chambre d’accusation en l’affaire Krstic (jugement, par. 24);
d) l’exposé du général Dannatt (CR 2006/23, p. 42 : réponse à ma question).
19. Madame le président, s’il ne nie pas que la conversation entre lord Owen et Milosevic a
bien eu lieu, le conseil de la Bosnie-Herzégovi ne reste cependant curieusement évasif sur la
question. A l’évidence, lord Owen n’a jamais cru que Belgrade av ait eu, par avance, connaissance
des massacres qui allaient être commis en1995. Enfin, pourquoi les conseils de la
Bosnie-Herzégovine sont-ils si ré ticents à accepter le point de vue exprimé à l’époque par des
observateurs indépendants ?
B. Outre ces documents, le défendeur a présenté des éléments de preuve documentaires
réfutant les allégations relatives à la participation du gouvernement de Belgrade,
notamment aux événements de Srebrenica
a) Le rapport du Secrétaire général en date du 15 novembre 1999
20. Le rapport du Secrétaire général en date du 15novembre 1999 a été présenté lors du
premier tour (CR 2006/17, par. 268). Comme je l’ ai fait observer, ce volumineux rapport, intitulé
«La chute de Srebrenica», ne contient aucune indication selon laquelle le Gouvernement de la RFY
aurait participé aux événements.
b) Les éléments de preuve présentés par l’ancien p résident de la RFY, Zoran Lilic, à l’occasion
du procès Milosevic
21. Dans mon exposé du premier tour consacré à la question de l’attribution, j’ai indiqué que
l’ancien président de la RFY, Zoran Lilic, avait, lors de sa déposition en l’affaire Milosevic, nié que
ce dernier ait joué le moindre rôle dans les évén ements de Srebrenica. J’aimerais, par commodité,
faire figurer le passage pertinent dans le présent compte rendu :
40 «Question : Après la chute de Srebrenica, lorsque tous les détails de massacres
ont été connus, la réaction de l’accusé a été ce que vous avez déjà dit, mais
pourriez-vous je vous prie nous la rappeler ?
Réponse : Oui. J’ai essayé de relier cela à la création des centres. C’était une
des craintes qui m’a poussé à émettre un ordre pour mettre un terme à tout cela.
J’étais au début du mois d’août dans une situation où les réunions avec le
présidentMilosevic étaient très fréquentes. Elles avaient pour but de discuter d’un
certain nombre de problèmes qui se posaient en République fédérale de Yougoslavie.
Je sais qu’il était très perturbé, très fâché et je pense que son comportement, sa
conduite de l’époque ont fait preuve d’une grande sincérité. Il a même dit à un certain
moment que les dirigeants de Pale étaient complètement fous s’ils avaient
effectivement fait cela. Et je suis sûr qu e pour ce qui le concernait, il n’aurait pas pu - 34 -
émettre un ordre de ce genre. Je crois que Srebrenica, malheureusement, est le résultat
d’actes individuels, des individus qui sont ⎯ se sont permis de commettre un acte de
cette nature et j’ai la conviction profonde que ceci ne peut pas intervenir dans le cadre
d’une quelconque participation de l’armée yougoslave à un acte quelconque. C’est la
raison pour laquelle j’affirme que M.Milosev ic, qui était extrêmement furieux, a eu
une très forte réaction et qu’il considérait ce genre de comportement et de conduite
comme susceptibles d’aggraver la situation, s’agissant des préparatifs de la conférence
de Dayton. Je pense qu’il a même dit cel a lors d’une des ré unions que nous avons
eues. Bien entendu, personne n’aurait pu reprendre ce fardeau très lourd aux Serbes
de Bosnie.» (Compte rendu d’audience, 17juin2003, p.22616-22617.) (Voir
également CR 2006/17, par. 271-272.)
22. A cet égard, Mme Karagiannakis a invité la Cour à ne pas considérer cette déposition
«comme un élément de preuve objectif et concluan t [sur la question de Srebrenica]» (CR 2006/32,
par. 81). Si le témoignage de M. Lilic ne doit pas être pris en compte, il convient alors d’écarter de
nombreux éléments de preuve présentés par le demandeur, lesquels sont souvent indirects.
c) La déposition du colonel Robert Franken, co mmandant adjoint du bataillon néerlandais de
Srebrenica (CR 2006/17, par. 274-276)
23. Ses réponses aux deux questions posées par M. Milosevic figurent comme suit dans le
compte rendu :
«M. Milosevic : [interprétation]
Question: Mais enfin, M.Franken, sav ez-vous que dans la dernière partie du
rapport établi par le Gouvernement néerla ndais en 2001, au point 10 de ce rapport,
nous lisons textuellement: «rien n’indi que que cette action ait été lancée en
coopération avec Belgrade, da ns le cadre d’une quelconque coordination politique ou
militaire». Etes-vous au courant de cela ?
Réponse: J’ai lu cela, en effet. J’ai lu cela [c’est Franken qui parle], c’est
exact.
Question [de Milosevic]: Cela correspond-il à ce que vous savez des
événements de l’époque ? Cela concorde-t-il ?
Réponse [de Franken]: Personnellement, je n’ai eu aucune preuve indiquant
que l’opération aurait été lancée en coopération avec Belgrade. Et je répète que j’ai lu
toutes sortes de rapports, d’avis, de documents dans lesquels toutes sortes de scénarios
étaient analysés etc. Je répète que je ne dispose d’aucune preuve indiquant que cette
action, je parle de l’attaque sur l’enclav e, aurait été lancée en coopération avec
Belgrade.»
41 24. Malheureusement, Madame le président, ces audiences s’achèveront sans que nous
sachions ce que le conseil de la Bosnie a à dire au sujet de la déposition du colonel Franken.
Madame le président, si cela vous convient, je peux m’arrêter là. Merci. - 35 -
Le PRESIDENT : Oui. Merci, Monsieur Brownlie. La Cour va se retirer quelques instants.
L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 45.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Brownlie.
M. BROWNLIE : Merci, Madame le président. J’étais en train d’examiner les éléments de
preuve réfutant les allégations selon lesquelles le gouvernement de Belgra de aurait participé aux
événements de Srebrenica, et je m’apprêtais à aborder le point suivant :
d) Le rapport de la CIA publié en mai 2002
25. Le volume intitulé «La possibilité d’un e implication yougoslave» s’achève par la
conclusion suivante :
«On n’a pu trouver aucune preuve qui perm ette de conclure à l’implication de
l’armée ou des forces de sécurité de Belgrade dans les atrocités qui se sont déroulées
après la prise de Srebrenica. S’il semble que la VJ ou le RDB (le département de la
sécurité d’Etat serbe) aient peut-être fourni des éléments pour la bataille de Srebrenica,
rien n’indique en revanche que des forces dirigées par Belgrade aient été impliquées
dans aucun des massacres qui ont eu lieu par la suite. Les témoignages de survivants
restituent les événements de manière peut-ê tre imparfaite, et certains détails ont pu
être omis. Les récits et autres éléments de preuve disponibles donnent à penser que
seules les forces serbes de Bosnie ont partic ipé aux atrocités et aux exécutions qui ont
suivi la conquête militaire de Srebrenica.» (Balkan Battlegrounds, vol. I, p. 353.)
26. En réponse à cet extrait que j’ai cité, Mme Karagianna kis cite à son tour un paragraphe
introductif qui figure plus haut dans le texte et s’ inscrit dans une suite de trois paragraphes (voir
CR2006/32, par.80). Madame le président, c’est san s conteste dans le paragraphe que j’ai cité
lors du premier tour que figure la conclusion du propos.
e) Les éléments de preuve interceptés présentés lors du procès Krstic
27. Nous avons évoqué d’importantes informati ons qui ont été présentées dans le cadre du
procès Krstic (CR2006/17, par.278-279). Ces éléments de preuve interceptés n’ont pas été
contestés par la Bosnie-Herzégovine, ce qui a son im portance dans la mesure où ils se rapportent à
42 la période ayant immédiatement suivi Srebrenica et démontrent clairement que les forces de la
Republika Srpska n’ont pas agi en coopération avec les autorités de Belgrade. Ces éléments sont
évoqués dans mon exposé figurant dans le CR 2006/17, aux paragraphes 278 et 279. - 36 -
C. La portée juridique des événements de Srebrenica
28. Lors du premier tour des présentes audiences, j’ai décrit le contexte dans lequel avaient
été commis les massacres de Srebrenica en 1995 (CR 2006/16, par.1-12). En outre, s’agissant
toujours de Srebrenica, j’ai répondu aux éléments présentés par M. van den Biesen sous l’intitulé
«Srebrenica ou le nettoyage ethnique dans l’est de la Bosnie»: mon analyse figure dans le
CR 2006/17, aux paragraphes 282 à 287.
29. Ces aspects de mes deux exposés relatifs à Srebrenica et à la vallée de la Drina ont
suscité des réactions de la part de Mme Karagiannakis (CR 2006/32, par. 1-42) et de Mme Dauban
(CR2006/35, par.28-29). S’agissant de ces deux interventions, il me faut faire une remarque
préliminaire. Les deux intervenantes prétendent que mon intention était de justifier les événements
de Srebrenica. Il est évident que tel n’était pas le cas, et cela ressort clairement des termes que j’ai
employés.
30. Madame le président, en présentant les sources des preuves disponibles sur la question de
Srebrenica, mon objectif était double. Tout d’abord, il me semblait nécessaire de démontrer à la
Cour les graves faiblesses propres au mode de présentation des faits adopté par nos éminents
contradicteurs. Au cours des audiences, la Bosnie-Herzégovine a, jusqu’au second tour,
soigneusement évité tout examen détaillé des événements de Srebrenica et de leur enchaînement.
Depuis, Mme Karagiannakis a quand même fini par s’intéresser au nombre de victimes militaires et
civiles serbes, et par évoquer des «unités armées musulmanes». Quelle révolution dans la
présentation des faits par nos contradicteurs !
31. Mon premier objectif était donc de mettre au jour les réalités qui se dissimulent derrière
les allégations et répétions à la fois pé remptoires et sans nuances du conseil de la
Bosnie-Herzégovine.
32. Mon second objectif plus important encore était de compléter mon argumentation sur la
question de l’attribution en décrivant le contexte historique des événements de Srebrenica et en
démontrant que leurs causes étaient locales. Les tensions entre les deux armées étaient connues de
tous. C’est ce que nos contradicteurs qualifieraient de «fait notoire». - 37 -
43 33. Les éléments de preuve dignes de foi présentés par lord Owen confirment les tensions
qui existaient de longue date entre les deux armées. Permettez-moi de citer ces éléments comme je
l’ai fait lors de mon exposé du premier tour :
«178. Lord Owen relate cet épisode dans la déclaration écrite qu’il a produite
enseptembre2003 devant le TPIY. E voquant les conditions dans l’enclave de
Srebrenica alors tenue par les Musulmans, lord Owen écrit :
«La courageuse tentative d’intervention du général Philippe
Morillon a été fidèlement rapportée. Cette initiative personnelle a
toutefois montré, pour l’avenir, que nous ne parviendrions pas à obtenir
des Serbes de Bosnie qu’ils lèvent leur blocus, à moins qu’il y ait une
véritable démilitarisation. Or, une telle démilitarisation était
politiquement inacceptable au sein du Conseil de sécurité, en grande
partie du fait de l’opposition du G ouvernement bosniaque à Sarajevo et
du commandant musulman de Srebrenica.» [Traduction du Greffe.]
179. Lord Owen cite ensuite, dans sa d éclaration au TPIY, le passage pertinent
de son livre, L’odyssée des Balkans, lequel se lit comme suit :
«Le 16 avril, j’ai parlé au té léphone avec le président Milošević de
ma crainte que, en dépit des assurances répétées du Dr.Karadzic qu’il
n’avait aucune intention de prendre Srebrenica, l’armée serbe de Bosnie
ne soit en voie de le faire tout de même. La taille de la poche était
considérablement réduite. Je n’avais quasiment jamais entendu
M. Milošević faire montre d’une telle exaspération, mais aussi d’une telle
inquiétude; il craignait que, si les forces serbes de Bosnie entraient dans
Srebrenica, il y ait un bain de sang en raison de la terrible animosité entre
les deux armées. Les Serbes de Bosnie tenaient le jeune commandant des
forces musulmanes de Srebrenica, NaserOric, pour responsable d’un
massacre commis près de Bratunac en décembre1992, au cours duquel
de nombreux civils serbes avaient été tués. Miloševi ć estimait que les
Serbes de Bosnie commettraient une grossière erreur s’ils prenaient
Srebrenica, et il a promis d’en informer Karadzic. S’il ne pensait pas que
nous puissions faire entrer des soldats canadiens à Srebrenica pendant un
certain temps, il considérait en revanche qu’il était possible d’obtenir que
soient envoyés des observateurs de l’ONU.» ( L’odyssée des Balkans ,
1995, p. 143; déclaration de lord Owen au TPIY, p. 35-36 [traduction du
Greffe].)
180. Lord Owen a confirmé cet échange avec Milosevic lors de son témoignage
devant le TPIY le 3 novembre 2003 (compte rendu d’audience, p.28411-28412,
28415-28416).» (CR 2006/17, par. 178-180.)
34. Madame le président, nos contradicteurs cherchent à remettre en cause les éléments de
preuve solides et concordants re latifs aux raids menés contre des villages serbes, mais le
raisonnement adopté n’apporte rien à leur thèse. Ainsi, s’appuyant sur Balkan Battlegrounds, ils
affirment que ce sont les Serbes qui ont déclenché la suite d’événements ⎯je fais allusion aux
interventions de Mme Karagiannakis (CR 2006/32, par. 9-10) et de Mme Dauban (CR2006/35, - 38 -
par. 30-31). Madame le président, ces précisions que cherchent à introduire nos contradicteurs ne
font que confirmer le caractère local de ces événements : fondamentalement, ils ne changent rien.
35. Je pense, au vu des éléments de preuve, que les défaites de l’armée de Bosnie dans la
région se traduisaient sur le terrain, c’est-à-dire du point de vue local , par l’exercice de la
44 vengeance. Il n’y avait aucune planification à l ong terme, et certainemen t aucune planification
établie à Belgrade. Ce que mont rent les éléments de preuve ⎯ que nos adversaires préfèrent
ignorer ⎯, c’est que Belgrade ne cautionnait pas la situ ation dans l’enclave ni les dangers qu’elle
portait en germe. Comme l’a souligné lord Owen, tant le Gouvernement bosniaque que le
commandement musulman de Srebrenica étaient opposés à la démilitarisation de l’enclave.
36. Les interventions des conseils de la Bosnie-Herzégovine relatives à Srebrenica et aux
raids menés contre des villages serbes voisins de l’enclave comportent des exemples spectaculaires
de parti pris en matière d’éléments de preuve . Tout d’abord, tant Mme Karagiannakis que
MmeDauban font montre d’une remarquable ré ticence à accorder une quelconque portée à des
sources tierces indépendantes, telles que lord Owen ou le rapport du Gouvernement néerlandais.
37. Un exemple similaire figure dans la plaidoirie de Mme Dauban (CR 2006/35, par.35).
Le conseil rejette les preuves présentées par sir Michael Rose relativement aux raids effectués par
NaserOric au motif que sir Michael «n’avait au cune connaissance directe de ces événements».
Tout d’abord, de tels raids se sont poursu ivis bien après 1993. Je renvoie Mme Dauban aux
interventions de M.Franck, dans lesquelles il n’est aucunement mis l’accent sur une quelconque
connaissance directe comme critère de preuve. M. Frank s’est appesanti sur les déductions à tirer
d’ensembles de faits obéissant à un même schéma. Eh bien, Madame le président, l’un de ces
schémas consiste en l’organisation de raids par Naser Oric et l’incapacité des commandants des
forces de l’Organisation des NationsUnies d’y mettre un terme. Ces raids étaient de notoriété
publique et connus, à titre professionnel, des commandants des Nations Unies.
38. Sur la même page du compte rendu, Mme Da uban cite un extrait du rapport de l’équipe
d’analyse militaire du procureur en l’affaire Milosevic (CR 2006/35, par.36). Ce rapport a été
rédigé par deux experts. Avaient-ils, eux, une connaissance directe ou une expérience
professionnelle comparable à celle de sir Michael Ro se ? Le conseil n’a pas jugé utile d’expliquer
ces incohérences. - 39 -
Conclusions sur les éléments de preuve relatifs à la question de l’attribution en la présente
affaire
39. Madame le président, j’aimerais, à ce stade, faire le point sur les éléments de preuve
relatifs à la question de l’attribution.
Premièrement, les éléments de preuve relatifs à la question de l’attribution auxquels le
demandeur a accordé le plus d’importance sont sans fondement et ne sont pas fiables.
45 Deuxièmement, le type de documents invoqué par mes contradicteurs ne permet pas
d’établir, même prima facie, l’attribution.
Troisièmement, les tentatives du demandeur visant à démontrer l’incohérence des éléments
de preuve exonérant de toute responsabilité le défendeur ont manifestement échoué.
D. Responsabilité de l’Etat en vertu de la convention sur le génocide
40. Madame le président, j’en viendrai main tenant à d’autres questions sur lesquelles les
Parties demeurent en désaccord. La première a tr ait à l’interprétation et à l’application de la
convention elle-même, la seconde à l’application des principes relatifs à la responsabilité de l’Etat.
Toutefois, avant de développer mon argumentati on, je souhaiterais me pencher sur un certain
nombre de griefs infondés présentés par MM. Pelle t et Condorelli (voir, par exemple, CR 2006/31,
par. 62 (Pellet); CR 2006/35, par. 3 (Condorelli)).
Griefs du demandeur
41. En substance, ces griefs tendent à dém ontrer que, lors du premier tour de plaidoiries,
j’aurais fait fi des arguments de mes adversaires sur la responsabilité de l’Etat. Madame le
président, cela est tout simplement faux. La maje ure partie de ma première et longue intervention
était consacrée à la question de l’attribution sur le fondement de ce que l’on pourrait appeler la
«thèse organique» du demandeur. Autrement dit, le postulat était l’argument du demandeur selon
lequel la Republika Srpska était un organe de la RFY, ou était sous son contrôle effectif.
42. La première thèse ⎯c’est-à-dire l’application du critère du contrôle ⎯, telle que
défendue par M. Pellet, a été examinée dans les moindres détails (voir CR 2006/16, par. 111-119),
après quoi j’ai longuement traité la question du statut de la Republika Srpska.
43. L’autre thèse défendue par MM. Pellet et C ondorelli était celle de la complicité de la
RFY. La viabilité de cette thèse dépend du po int de vue adopté quant à la question de - 40 -
savoir si la convention crée une responsabilité dir ecte de l’Etat à raison d’actes de génocide, y
compris d’actes connexes.
46 La pertinence des travaux préparatoires
44. Les conseils de la Bosnie -Herzégovine n’ont pas montré de réel intérêt pour l’histoire
rédactionnelle de la convention. M. Pellet laisse le sujet de côté. M. Franck prétend le traiter, mais
le fait en des termes purement rhétoriques (CR 2006/32, par. 13). Il soutient que M. Brownlie ne
relève que des ambiguïtés. Avec tout le resp ect que je lui dois, il s’agit-là d’une réponse
superficielle. L’ambiguïté est réelle et ressort de l’histoire rédactionnelle, ainsi que de la doctrine.
Contrairement à ce que prétend mon ami M. Franck , l’articleIX de la convention fait partie du
problème et ne le résout pas. Il est généra lement accepté, du moins hors de Bosnie-Herzégovine,
que le texte d’un traité doit être interprété à la lumière du texte dans son ensemble (voir, par
exemple, lord McNair, The Law of treaties , 1961, p.381). M.Franck répugne manifestement à
aborder les détails et considère la référence à l’ histoire rédactionnelle comme quelque peu déloyale
(CR2006/32, par.17). Cela est étonnant à plus d’un titre, notamment pa rce que sa collègue,
Mme Stern, a, pour sa part, jugé opportun de s’y référer.
45. Soit dit en passant, Madame le prési dent, étant donné qu’onzejuges n’étaient pas
membres de la Cour en 1996, et que l’histoire rédactionnelle constituait une part importante de mon
argumentation, j’ai préféré présenter de nouveau ma thèse plutôt que de me borner à renvoyer pour
la forme au compte rendu d’audience de 1996.
Le droit applicable et la question de la responsabilité pénale
46. J’en viens maintenant à la question du dr oit applicable et de la responsabilité pénale.
Lors du premier tour de plaidoiries, j’ai l onguement développé l’argument selon lequel la
convention ne constituait pas le moyen approprié pour établir la responsabilité pénale d’un Etat
(CR 2006/16, par. 20-81), en me référant tant à la do ctrine de l’époque qu’à celle qui a vu le jour
depuis. M. Pellet a répondu qu’il partageait ce point de vue (CR 2006/31, par. 9-11). Il a en outre
souligné que le droit international ne reconna issait pas de responsabilité pénale de l’Etat ( ibid.,
par. 11) - 41 -
47. Madame le président, contrairement à ce que M. Pellet semble croire, cette confirmation
ne résout toutefois pas le problème. L’objet de la convention est de prévenir et de punir le crime de
génocide. Or, le génocide n’est pas reconnu, en droit international général, comme l’un des actes
internationalement illicites d’un Etat tels que décrits dans les articles de la CDI. Aussi, lorsque le
conseil de la Bosnie-Herzégovine soutient que la convention crée une responsabilité directe de
l’Etat pour crime de génocide, l’on aboutit à une impasse. M. Pellet reconnaît qu’il n’existe pas de
47 responsabilité de l’Etat de cette nature et, dans le même temps, prétend qu’une telle responsabilité a
été créée par la convention sur le génocide. Et ce n’est pas tout, puisque, au nom de la Bosnie, il
est affirmé que les articles de la Commission du dro it international s’appliquent à un tel crime.
Avec tout le respect que je lui dois, ces dispos itions ne sauraient en aucune façon trouver à
s’appliquer de cette manière.
48. M. Pellet ne parvient pas à démontrer co mment la responsabilité directe de l’Etat pour
crime de génocide pourrait se métamorphoser en violation ordinaire d’une obligation internationale
d’un Etat en vertu des dispositions des articles adoptés par la Commission du droit international
⎯métamorphose qui intervient au paragraphe 13 de son intervention du 18 avril, sans être
toutefois expliquée de manière appropriée.
Pertinence des raisons pour agir eu égard à l’ application de la convention en matière de
réparation
49. L’attitude adoptée par nos adversaires à l’ égard de l’application de la convention se
heurte à de sérieuses difficultés en matière de réparation. J’ai expliqué cela lors du premier tour :
le 13 mars (CR 2006/17, par. 298-304) et le 16 mars (CR 2006/21, sect. F, p. 21, par. 1-5).
50. Il semble que ces passages aient échappé à l’a ttention de mon collègue et ami, M. Pellet.
Si la Cour m’y autorise, je souhaiterais en ra ppeler les principaux éléments. Le débat a pour
origine l’allégation de M. Pellet selon laquelle les principes du droit international général relatifs à
la responsabilité de l’Etat et aux réparations pe uvent être appliqués de façon automatique pour
fournir au texte d’un traité une manière de contexte juridique. Or, cette opération ne se limite pas à
un processus d’interprétation ⎯ elle vient surajouter de nouveaux matériaux juridiques. - 42 -
Les principes sur lesquels se fonde la Bosnie -Herzégovine sont des règles secondaires de la
responsabilité
51. Les exposés présentés au nom de la Bosn ie-Herzégovine doivent être replacés dans une
perspective générale. Le fait qu’une place pré pondérante soit accordée aux principes relatifs à la
responsabilité de l’Etat est trompeur, dans la mesu re où cela revient, d’un point de vue juridique, à
mettre la charrue avant les bŒufs. Les principes relatifs à la responsabilité de l’Etat constituent des
règles secondaires par rapport aux dispositions de la convention sur le génocide, lesquelles sont des
règles primaires. Cette distinction a été rec onnue comme fondamentale lors des travaux de la
Commission du droit international et appliquée comme telle.
48 52. Dans le commentaire du rapporteur spéci al figure le commentaire suivant sur cette
distinction :
«Ainsi, quelles qu’aient été ses orig ines intellectuelles, l’idée centrale
organisatrice du projet d’articles de 1996, c’est-à-dire la distinction entre les règles
primaires et secondaires, était indispensable. Sans cette distinction, on risquait d’en
faire trop, en pratique de dire aux Etats quelles sortes d’obligations ils pouvaient avoir.
Malgré la difficulté de faire cette distinction dans certains cas, elle a cependant permis
d’établir la structure juridique du droit de la responsabilité des Etats sans définir le
contenu de ces obligations. Même si en théorie la réalisation de cette tâche était
possible (mais cela ne l’est pas vu les raisons expliquées supra), il n’en était pas de
même en pratique. Cette distinction a tr ès clairement été reconnue par la Cour
internationale de Justice dans l’affaire Projet Gab číkovo-Nagymaros concernant la
relation entre le droit des traités et le dro it de la responsabilité. Le droit relatif au
contenu et à la durée des obligations de fond des Etats, tel qu’il a été articulé par le
projet d’articles de 1996, établit une structure ⎯ces règles appelées règles
secondaires ⎯ indiquant les conséquences de la violation de toute obligation primaire
applicable.» (James Crawford, The international Law commission Articles on State
Responsibility, Cambridge, 2002, introduction, p. 18.)
53. D’un point de vue juridique, il résulte de ce qui précède que les principes invoqués par la
Bosnie-Herzégovine sont les principes secondaires, alors que les dispositions de la convention sur
le génocide sont les principes primaires. Les conseils de la Bosnie-Herzégovine cherchent à
utiliser les principes secondaires pour inventer, en invoquant par pure convenance la responsabilité
de l’Etat, des principes qui, selon eux, font partie de la convention sur le génocide elle-même.
Quelques conclusions sur l’application de la convention sur le génocide
54. Il convient maintenant de résumer les inte rprétations juridiques extravagantes présentées
à la Cour par la Bosnie-Herzégovine. L’approche des conseils de la Bosnie-Herzégovine s’agissant
de l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide revient à écarter les critères - 43 -
habituellement applicables en matiè re d’interprétation des traités et d’établissement de la licéité.
L’article IX est interprété de manière isolée. L’ histoire rédactionnelle est ignorée. La doctrine de
l’époque et la doctrine subséquente également. Priorité est donnée aux règles secondaires sur les
règles primaires.
55. En tout état de cause, la question des réparations n’occupe jamais qu’une place
subsidiaire par rapport aux dispositio ns de fond d’un accord conclu entre Etats. Ainsi, le fait de
savoir si la restitution constitue une mesure de réparation possible dépendra des dispositions du
traité et non, en premier lieu, de l’application mécanique des règles secondaires de la responsabilité
49 de l’Etat. Cela vaudra plus particulièrement lorsque l’histoire rédactionnelle révélera, comme c’est
le cas en l’espèce, que la nature des réparations a été un sujet majeur de désaccord entre les Parties.
E. Les principes de la responsabilité de l’Etat : quelques questions particulières
Introduction
56. A la lumière des trois exposés précédents, et tandis que j’en arrive à la fin du mien, il
convient de revenir à la question, centrale, de la responsabilité de l’Etat et des dispositions de la
convention sur le génocide. Lors du second tour, les arguments de la Bosnie-Herzégovine ont été
présentés fort longuement, parfois de manière quelque peu répétitive, (CR2006/31, par.61-81
(Pellet); CR 2006/35, par. 1-29 (Condorelli)), comme suit.
57. La position du demandeur peut être résumée sans grande difficulté.
1) La Republika Srpska ayant été un organe de la RFY à l’époque pertinente , cette dernière serait
responsable de violations de la convention en vertu des dispositions de l’article 4 des articles de
la CDI.
2) A titre subsidiaire, si la Cour devait ne pas reconnaître que la Republika Srpska était un organe
de la RFY, alors la responsabilité d’avoir dirigé et contrôlé les comportements pertinents serait
imputable à la RFY en vertu des dispositions de l’article 8 des articles de la CDI.
3) A titre encore plus subsidiaire, le défendeur serait responsable de comp licité dans le génocide
en vertu de l’article III e) de la convention sur le génocide.
58. A l’audience, mes éminents contradicteurs ont considéré que l’argument de la complicité
l’emportait et regretté que je ne partage pas leur enthousiasme. Il doit toutefois être clair que, selon - 44 -
l’interprétation générale que je fa is de l’application de la conven tion, l’argument de la complicité
n’a aucune valeur juridique. L’article III de la convention concerne le comportement d’individus.
59. Quoi qu’il en soit, je le répète, la Bo snie-Herzégovine fait absolument fausse route en
cherchant à s’appuyer sur les principes de la responsabilité de l’Etat pour la raison que, en l’espèce,
les règles primaires sont posées par des dispos itions conventionnelles expresses. Madame le
président, il ne peut pas être recouru aux règles secondaires relatives à la responsabilité de l’Etat en
lieu et place des dispositions primaires expresses d’un traité. Les articles4 et8 des articles de la
CDI ne font tout simplement pas partie de la convention sur le génocide.
50 60. Dès lors, le renvoi à l’article III e) de la convention ne fait qu’accentuer le caractère
confus de l’analyse. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.
61. La question de la complicité est traitée à l’article 16 des articles de la CDI, dont je citerai,
pour commencer, l’intitulé: «Aide ou assistance da ns la commission du fait internationalement
illicite». L’article se lit comme suit :
«L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du fait
internationalement illicite par ce dernier est internationalement responsable pour avoir
agi de la sorte dans le cas où :
a) ledit Etat agit ainsi en connaissance des circonstances du fait internationalement
illicite; et
b) le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet Etat.»
62. Il est toutefois significatif que, alors que la plupart des traités ne contiennent pas de
dispositions traitant de l’aide ou de l’assistance et qu’il soit, au lieu de cela, recouru aux principes
généraux de la responsab ilité de l’Etat, la convention sur le génocide, elle, contienne des
dispositions expresses sur les formes connexes de génocide. La raison en est précisément le rôle
joué par cet instrument dans la définition de ce nouveau crime, en ce qu’il explicite l’obligation
qu’il y a à légiférer, à prévenir le génocide et à poursuivre celui-ci par le biais de juridictions
internes des Etats parties à la convention.
63. Madame le président, il est dès lors erroné de chercher à invoquer la complicité en vertu
de l’article III tout en se fondant à d’autres égar ds sur un élément extérieur, les articles sur la
responsabilité de l’Etat, lesquels régissent d’autres matières. En effet, l’articleIII envisage la
responsabilité d’individus et n’a pas trait à la complicité dans le cadre de la responsabilité de l’Etat. - 45 -
64. Il convient également de souligner, une fo is encore, que les articles sur la responsabilité
de l’Etat n’ont pas trait aux crimes d’un Etat, mais à l’attribution à un Etat d’actes
internationalement illicites.
65. La thèse de la Bosnie-Herzégovine est étroitement liée à la question de l’assistance
fournie par la RFY à la Republika Srpska. Or, cette assistance était légale et le demandeur n’a pas
été en mesure de prouver le contraire. Il convien t en outre d’appliquer le critère du contrôle de
manière appropriée. Permettez-moi de rappeler à la Cour le commentaire de la Commission du
droit international qui se lit comme suit :
«Il apparaît donc clairement qu’un Etat peut, s’il donne des orientations précises
à un groupe de personnes ou exerce un contrô le sur ce groupe, devenir effectivement
51
responsable du comportement de ce groupe. Chaque cause sera déterminée par ses
propres faits, en particulier ceux qui concerne nt le lien entre les instructions ou les
directives données ou le contrôle exercé et le comportement qui fait l’objet de la
plainte. Dans le texte de l’article 8, l es troistermes «instructions», «directives» et
«contrôle» sont disjoints; il suffit d’étab lir la réalité de l’un d’entre eux.
Parallèlement, le texte dit clairement que les instructions, les directives ou le contrôle
doivent être en rapport avec le comportement qui est censé avoir constitué un fait
internationalement illicite.»
66. Il s’agit de la fin de l’extrait du commentaire officiel de la CDI qui figure au
paragraphe7 du commentaire de l’ article8 des travaux de la CDI, article qui a été invoqué à de
nombreuses reprises par mes éminents contradicteurs.
67. J’en viens maintenant aux questions sp écifiques abordées par mes collègues hier et ce
matin. La première est celle du rôle de la JNA en Bosnie-H erzégovine au début de1992.
M.Olujic a clairement expliqué à la Cour la nature des arrangements politiques et militaires en
Bosnie-Herzégovine au cours de la période de désintégration de l’ex-RFSY. Son analyse se
termine par la création de l’arm ée de la Republika Srpska et les changements intervenus dans les
relations avec la République fédérale de Yougoslavie, créée le 27 avril 1992.
68. M. Obradovic, coagent, a pris la suite de M. Olujic pour présenter à la Cour une analyse
des relations existant entre l’armée yougoslave et l’armée de la Republika Srpska. M. Obradovic a
démontré que la VRS n’était sous le contrôle effectif d’aucun organe de Serbie-et-Monténégro.
69. Enfin, M. Cvetkovic, également coagent de la Serbie-et-Monténégro, s’est penché sur les
questions posées par les activités des unités para militaires. M. Cvetkovic et ses collègues ont - 46 -
fourni les correctifs nécessaires aux distorsions et confusions factuelles contenues dans les
plaidoiries de la Bosnie-Herzégovine.
70. Au moment de se pencher sur la question de la responsabilité de l’Etat en l’espèce, la
Cour aura sans doute présent à l’esprit que l es principes juridiques invoqués par MM.Pellet
etCondorelli ne sont pas les bons et n’élucident pas la question. Les règles secondaires de la
responsabilité de l’Etat ne sauraient l’emporter sur les règles primaires de la convention elle-même,
ni sur l’interprétation et l’application de la convention en tant que telle.
71. Il convient de souligner à cet égard que, dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires, l’intérêt pour agir se fondait sur des mo tifs liés au droit international coutumier ou
général ⎯à une exception près, où était invoqué un traité bilatéral. En l’espèce, aucune règle
52 primaire n’avait été édictée par le traité. Cela ét ant, la Cour n’en appliqua pas moins de manière
différente le critère du contrôle effectif aux motifs qui n’avaient pas trait au droit humanitaire de la
guerre ⎯ elle l’appliqua de manière plus rigoureuse. Or, Madame le président, il est clair qu’en la
présente affaire, le pendant du droit humanitaire de la guerre est le génocide.
72. En tout état de cause, la Cour doit d’ab ord statuer sur l’interprétation de la convention
sur le génocide avant de procéder à l’application des principes de la responsabilité de l’Etat.
73. Madame le président, juste un dernier point s’agissant de la convention. L’appliquer au
motif que les dispositions définissant les actes de génocide peuvent renvoyer à la responsabilité
directe de l’Etat pour crime de génocide nous amène à constater l’absence de tout critère judiciaire
clairement défini ⎯il n’existe de fait aucun critère de ce tte nature. L’article8 de la CDI se lit
certes comme suit : «Le comportement d’une pers onne ou d’un groupe de personnes est considéré
comme un fait de l’Etat d’après le droit interna tional si cette personne ou ce groupe de personnes,
en adoptant ce comportement, agit en fait sur les inst ructions ou les directives ou sous le contrôle
de cet Etat.»
74. Mais ces dispositions n’étaient pas destinées à s’appliquer à des questions de
responsabilité pénale. Lors du premier tour de pl aidoiries, M. Pellet a reconnu que le recours à de
telles dispositions posait de sérieuses difficultés. Il reconnaît en outre qu’il est particulièrement
difficile d’établir un lien entre les particularités de la mens rea du génocide et les modalités de - 47 -
l’attribution et du contrôle (CR 2006/10, par. 20-22) . Enfin, les matériaux issus du TPIY n’ont, de
toute évidence, pas trait à la responsabilité de l’Etat.
F. Autres éléments militant contre l’attribution
75. Madame le président, je passe maintenant aux autres points de mon intervention. Il est
évident que les Parties demeurent divisées sur la question de l’attribution, et nous devons rappeler à
la Cour les autres éléments qui étayent la thèse selon laquelle les autorités de la RFY n’étaient pas
partie prenante au processus de décision de la Republika Srpska. Les éléments pertinents sont
présentés dans l’ordre chronologique.
Premier élément : la conversation intervenue en janvier 1992 entre Milosevic et Karadzic au
sujet du refus de Babic d’accepter le plan de paix Vance
76. La transcription de cette conversation figu re dans le dossier des juges. J’ai examiné
attentivement cet épisode lors de ma précédente intervention de ce tour. Si cet élément est
53 pertinent aux fins qui nous occupent ici, c’est parce qu’il démontre clairement que Milosevic
n’était à même de contrôler ni Babic, ni Karadzic.
Deuxième élément : le débat tenu les 5 et 6 ma i 1993 à l’Assemblée nationale de la Republika
Srpska
77. Il s’agit de ce fameux débat au cours duquel Milosevic et d’autres orateurs invités ne
réussirent pas à convaincre l’Assemblée nationale de la Republika Srpska d’accepter le plan de
paix Vance-Owen. Ce plan fut rejeté par 51voix contre zéro, avec 21abstentions. Il fut décidé
que la question du plan de paix serait réglée au moyen d’un référendum les 15 et 16 mai 1993. Cet
épisode constitue une preuve éclatante de l’indépendance de la Republika Srpska.
78. La transcription se trouve dans le dossier des juges.
Troisième élément: le débat tenu les 22 et 23 octobre 1995 à l’Assemblée nationale de la
Republika Srpska
79. Ce document figure là encore dans le dossier des juges. Il contient une série de rapports
présentés à l’Assemblée nationale sur les entretiens menés entre la République de Serbie et une
délégation représentant la Republika Srpska, délégation dotée du statut de délégation
parlementaire, de délégation d’Etat. Le principal point à l’ordre du jour était le plan de paix de - 48 -
Dayton ⎯ nous étions en 1995. Au vu du contenu de ce document, il est clair que les négociations
furent menées en toute indépendance et qu’elles faisaient intervenir deux Etats.
Quatrième élément : l’exposé présenté le 20 mars 2006 par le général Dannatt
80. L’exposé du général Dannatt figure dans le CR2006/23. Les informations relatives à
l’imputabilité se trouvent aux pages 40 à 46. Des élém ents retranscrits à la page 40, il ressort que
l’armée de la Republika Srpska constituait pour le général Dannatt une armée totalement distincte.
La Cour se souviendra également de la réponse don née par le général à la question du président
(CR 2006/23, p. 44). Cette réponse a été prudente, cer tes, mais le général Dannatt a bien reconnu
que le général Mladic et l’état-major de la VRS assuraient le «contrôle quotidien des opérations».
Cinquième élément : la déposition faite le 24 mars 2006 par le général Rose
81. La déposition du général Rose se trouve da ns le CR2006/26. En guise de prélude, je
rappellerai à la Cour que le géné ral Rose fut le témoin de faits, qu’on ne lui a montré aucun
54 document et qu’il n’a eu aucun lien contractuel av ec le bureau du procureur du TPIY. Il a donc
témoigné en toute indépendance.
82. Dans sa déclaration, le général Rose a indiqué ceci :
«A la suite des travaux entrepris par l’Organisation des NationsUnies, j’ai
souvent dû me rendre à Pale, où la Repub lika Srpska avait s on quartier général
militaire et politique, et j’ai pu me faire une idée de l’ampleur du contrôle direct ou de
l’influence de Belgrade sur les opérations militaires et politiques de la Republika
Srpska. Et cette idée, cette impression était qu’il n’y avait pas, sur le plan militaire, de
dispositif officiel de commandement militaire. Les militaires n’étaient pas sous un
commandement, techniquement parlant, mais ils subissaient une influence
considérable : les consultations étaient nombreuses, un soutien matériel était fourni et,
à une ou deux occasions notables, l’ex-Ré publique de Yougoslavie a effectivement
apporté un soutien militaire à la Republika Sr pska. Il existait d onc un lien, mais ce
n’était pas un lien officiel. Evidemment, sur le plan politique, il a très souvent été
possible d’infléchir la pos ition politique de M.Karadži ć en faisant pression, par
l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, et même parfois de la Russie, sur
l’administration et le gouvernement de Miloševi ć, ce qui produisait des effets mais
n’était jamais fait ouvertement; c’était touj ours un processus lent et qui souvent ne
donnait aucun résultat. Donc, là encore, mon impression est qu’il ne s’agissait pas
d’un dispositif officiel.» (CR 2006/26, p. 11-12.)
83. Toujours sur ce sujet, on trouve la question et la réponse que voici :
«M. BROWNLIE: Je vous remercie. Si vous le voulez bien, j’en viens à
quelques questions plus précises. Que pen sez-vous des relations entre l’armée de la
Republika Srpska et l’armée yougoslave d’une manière générale… ? - 49 -
Le général ROSE: Comme je l’ai dit au début, il existait clairement des liens
entre les deux armées et, à deux occasions notables, un appui militaire direct a été
fourni; cela mis à part, mon impression est qu’il y avait un soutien matériel sous forme
de carburant, de munitions, de renforts en soldats «volontaires» pour combattre dans
les rangs de l’armée de la Republika Srpska en Serbie, mais qu’il n’existait pas de
dispositif officiel de commandement militaire: il n’y avait pas de commandement
tactique, ni de commandement général, ce qui aurait été le cas dans une coalition de
forces.» (Ibid., p. 13.)
84. Et le juge Owada a lui aussi posé une question sur le même sujet :
«Le juge OWADA : Voici la question : si je vous ai bien compris ⎯ comme il
s’agissait d’un échange verbal, j’ai pu mal comprendre ce que vous avez dit ⎯, mais il
me semble que vous avez dit qu’il n’ex istait pas de relation officielle de
commandement militaire entre l’armée de la Republika Srpska et l’armée yougoslave.
Ma question est de savoir si votre affi rmation reposait sur vos impressions ou les
déductions que vous avez tirées de certains facteurs circonstanciels que vous aviez
observés, ou si elle était fondée sur des preuves concrètes ?
Le général ROSE: J’ai très bien compris, Madame le président. C’était une
conclusion déduite des impressions que j’avai s reçues pendant cette période. Il n’y
avait aucune preuve concrète les confirma nt ou les infirmant mais, ayant passé toute
ma carrière dans l’armée, je sais ce que sont des relations officielles de
commandement militaire et, à mon avis, il n’y en avait pas entre ces deux
organisations.» (Ibid., p. 33.)
55 Le PRESIDENT : Monsieur, Brownlie, puis-je vous interrompre ? Je crains fort que vous ne
versiez dans la répétition, étant donné votre manière de présenter les choses. Il vous est tout à fait
loisible de nous rappeler les passages des comptes rendus qui méritent une a ttention particulière et
de nous résumer les conclusions que vous en tirez, mais je constate que, pendant plusieurs pages
encore, il va nous être donné lecture de ce qui a déjà été dit en l’affaire.
M. BROWNLIE : Madame le président, je pense pouvoir y remédier très aisément en sautant
certaines des déclarations de témoins, qui seront néanmoins reproduites dans le compte rendu.
Donc, si vous le voulez bien, nous pouvons procéder ainsi. Je vous remercie.
Sixième élément : la déposition faite le 23 mars 2006 par M. Lukic
85. Je vous rappellerai simplement que, du 20ja nvier1993 au 18août1994, le témoin fut
premier ministre de la Republika Srpska. Sa déposition mérite selon moi une lecture attentive, et le
passage qui me semble essentiel sera reproduit dans le compte rendu.
«Dès sa création en 1992, la Republik a Srpska, qui portait alors le nom de
République serbe de Bosnie-Herzégovine, a possédé tous les attributs d’un Etat
excepté la reconnaissance internationale. Elle disposait, sur l’ensemble de son - 50 -
territoire, de tous les organes de l’ Etat, à savoir une assemblée nationale, un
gouvernement, des autorités locales et/ou municipales, un système judiciaire, des
services de santé et d’enseignement. Elle avait également son propre système
bancaire et financier, notamment une banque nationale, une devise nationale, un
budget et un service des opérations de paieme nt. La Republika Srpska avait aussi sa
propre armée et sa propre police, avec un système complet de commandement et
d’appui logistique pour ces deux structures. La qualité d’Etat de la Republika Srpska
n’était pas contestable pendant le déroulement des nombreuses négociations
internationales qui ont eu lieu. La Republika Srpska a également été reconnue dans le
cadre des accords de Washington entre Croa tes et Musulmans, et elle a reçu sa
reconnaissance définitive dans le cadre des accords de paix de Dayton-Paris.»
(CR 2006/24, p. 12.)
Septième élément : la déposition faite le 23 mars 2006 par M. Popovic
86. Ce texte se trouve dans le CR2006/25; je serais heureux que le passage pertinent soit
reproduit dans le compte rendu de la présente séance.
«Du 20janvier1993 au 18août1994, j’ai été vice-premier ministre de la
Republika Srpska, chargé des affaires intérieures. Ma tâche principale consistait à
coordonner les activités de plusieurs minist ères, notamment ceux de la justice, de
l’éducation, de la science et de la culture, et des affaires culturelles. En outre, en ma
qualité de professeur de droit internati onal, j’ai aussi beaucoup travaillé à
l’harmonisation de la législation de la Republika Srpska avec celle de
l’Unioneuropéenne. Pendant la durée de mes fonctions et par la suite, le
Gouvernement de la Republika Srpska prenait ses décisions et les mettait en Œuvre en
toute indépendance. Et il collaborait av ec d’autres gouvernements et institutions.
J’estime que, au cours de cette période, nous avons contrôlé autant que possible la
56 situation globale, y compris les conditions de la guerre, et pris les dispositions qui
s’imposaient pour protéger notre territoir e, notre peuple et notre armée. Le
gouvernement entretenait des relations de pa rtenariat avec les Gouvernements de la
Serbie-et-Monténégro, de la République de la Krajina serbe, de l’Herceg-Bosna et de
la République autonome de Bosnie occidentale.» (CR 2006/25, p. 10-11.)
87. M. Popovic donne également une description claire de la manière dont son gouvernement
a répondu au plan de paix Vance-Owen.
Huitième élément : la déposition faite le 27 mars 2006 par M. Mihajlovic
88. Cette déposition figure dans le CR2006/27 , dont j’extrairai ici deux questions et
réponses qu’il y aura lieu de reproduire dans le compte rendu de la présente séance.
89. Voici le premier échange :
«M.BROWNLIE: Merci beaucoup. Monsieur Mihajlovi ć, pourrais-je juste
vous demander de rappeler à la Cour quelles sont les périodes pendant lesquelles vous
avez participé au gouvernement ? Celles pendant lesquelles vous avez été membre du
gouvernement ?
MMIH.AJLOVI Ć [interprétation du serbe] : J’ai été vice-président du
Gouvernement de la République de Serbie à deux reprises . La première fois de - 51 -
fin1989 à fin1990, la deuxième de2001 à2003. Le parti politique dont j’étais le
président, la nouvelle démocratie, a fait pa rtie du gouvernement de 1993 à 1997, mais
en ce qui me concerne, je n’ai pas ét é membre de ce gouvernement pendant cette
période.» (CR 2006/27, p. 14.)
90. Et vient maintenant notre second extrait :
«M. BROWNLIE: J’ai en effet une ou deux questions. Tout d’abord,
Monsieur Mihajlović, pouvez-vous confirmer à la C our que les décisions de la
Republika Srpska, tant politi ques que militaires, étaient prises indépendamment de
Belgrade ?
M MI. AJLOVI Ć [interprétation du serbe] : Tout le monde savait que les
Serbes de Bosnie-Herzégovine disposaient de leur propres partis politiques, de leurs
propres organes publics et de leur propre armée, et qu’ils prenaient seuls leurs
décisions, comme je l’ai déjà dit, et ndépendamment de Belgrade, voire souvent à
l’encontre des décisions prises à Belgrade et au mépris des positions adoptées tant par
Milošević que par Dobrica Ćosić, ce dernier jouissant d’une autorité encore plus
grande auprès du peuple serbe là-bas. Je pen se que cette histoire est en rapport avec
les volontaires qui ont pris part au conflien Bosnie-Herzégovine et qui venaient de
Serbie. A cet égard, je peux dire ceci : il est notoire que les Serbes et les Musulmans
vivaient côte à côte au sein de l’anci enne République fédérale socialiste de
Yougoslavie et qu’ils étaient les uns et les autres des peuples constitutifs de la
Bosnie-Herzégovine au sein de leur république commune. Et, quand la guerre a éclaté
et que la Bosnie-Herzégovine a fait sécessi on et s’est séparée de la Yougoslavie,
contrairement à la volonté des Serbes, san s avoir recueilli l’avis des Serbes qui
vivaient là et qui voulaient que la Bo snie-Herzégovine demeure au sein de la
Yougoslavie, il fut impossible d’empêcher le s Serbes de Serbie d’aller aider leurs
frères qui leur lançaient un appel depuis la Bosnie-Herzégovine.» (Ibid., p. 25-26.)
Ainsi s’achève ma présentation des autres éléments qui étayent la thèse selon laquelle les autorités
de la RFY n’étaient nullement mêlées aux décisions prises en Republika Srpska.
57 G. La déclaration du conseil des ministres en date du 15 juin 2005
91. A cette date, le conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro fit la déclaration suivante :
«Ceux qui ont accompli les tueries à Sr ebrenica et ceux qui ont ordonné et
organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le Monténégro, mais un régime
antidémocratique de terreur et de mort, cont re lequel la grande majorité des citoyens
de Serbie-et-Monténégro ont opposé la plus forte résistance.
Notre condamnation ne s’arrête pas a ux exécutants directs. Nous demandons
que soient poursuivis tous ceux, et non pas seulement pour Srebrenica, qui ont
commis, organisé ou ordonné des crimes de guerre.
Les criminels ne peuvent pas être des héros. Toute protection des criminels de
guerre, pour quelque raison que ce soit, est aussi un crime.»
92. M. Condorelli a plaidé très longuement que cette déclaration constituait une
reconnaissance juridiquement contraignante de la responsabilité de la Serbie-et-Monténégro, en
tant qu’entité étatique, pour le crime de génocide (CR 2006/11, par. 1-17). - 52 -
93. Tout d’abord, le texte de la déclara tion se réfère clairement à la responsabilité
d’individus. Il n’est en tout cas nulle part question de la commission d’un génocide. Les
poursuites engagées par la suite concernaient des individus et des procédures devant les juridictions
serbes. Le précédent tiré de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires n’est guère
convaincant. Dans cette affaire, les déclarati ons concernées s’inscriv aient dans un contexte
procédural et juridique précis. Le contexte de la déclaration qui nous occupe ici était avant tout
politique. Quant à son aspect juridique, il est lié au recours imminent aux juridictions de
Serbie-et-Monténégro pour rendre justice.
94. Le contexte, c’était aussi les réactions qu’avaient alors suscitées les séquences vidéo des
Scorpions et les massacres de Srebrenica. Voilà pourquoi le document se réfère à des «crimes de
guerre».
95. Il y a un dernier point sur lequel je voudrai s mettre l’accent. M. Condorelli allègue que
la déclaration tend à reconnaître que c’était le Gouvernement de l’Etat yougoslave qui était
responsable de l’organisation et de l’exécution du crime. Madame le président, tel n’est pas le cas.
96. D’ailleurs, et nous l’avons déjà souligné ce matin, M.van den Biesen a affirmé que le
commandant du groupe des Scorpions n’avait pas été poursuivi (CR2006/30, par.11). Je suis
chargé de vous dire que cette affirmation est dénuée de tout fondement factuel.
58
H. Le ou les prétendus plans visant à commettre un génocide
97. A aucun des stades de la présente inst ance l’Etat demandeur n’est parvenu à prouver
l’existence d’un plan. Lors du premier tour de plai doiries, le défendeur a analysé la position de la
Bosnie-Herzégovine pour en conclure que les élém ents de preuve soumis, supposés se rapporter à
un ou plusieurs plans, étaient incohérents, flous et , en dernière analyse, relevaient de la fiction
(CR 2006/21, par. 1-12).
98. Lors du second tour de plaidoiries, dans ses observations préliminaires — encore que fort
longues—, M. van den Biesen ne nous éclaire en rien sur un quelconque plan (CR2006/30,
par.1-66). Tout ce que nous y trouvons, ce s ont quelques références à une politique visant à la
création d’une «Grande Serbie» ⎯ par exemple au paragraphe 30. - 53 -
99. Par la suite, M. van den Biesen tent e de revenir sur le prétendu plan «RAM»
(CR2006/34, p. 36-37, par.23-26), mais n’offre pas le moindre élément nouveau permettant
d’établir son existence. L’ancien premier ministre de la RFSY, dont M. van den Biesen fait
mention, n’en a pas confirmé l’existence. M. Markovic, en sa qualité de témoin pour le procureur
du TPIY, s’est simplement borné à reconnaître l es voix de MM. Milosevic et Karadzic sur la
cassette qu’on lui avait fait écouter.
100. Dans l’exposé de Mme Karagiannakis lors du second tour des plaidoiries, l’hypothèse
du plan semble quasiment abandonnée. Tout d’ abord, MmeKaragiannakis cite mon exposé du
premier tour. Elle dit :
«67. M. Brownlie a démenti «l’exist ence d’un plan qui [se serait] accompagné
d’un quelconque credo politique», argua nt qu’il «n’appara[issait] jamais» 74. Si nous
avons bien saisi son propos, la thèse du défendeur consiste à affirmer qu’à défaut d’un
bout de papier où seraient couchés en toutes lettres le plan et le credo politique
l’accompagnant, l’on ne saurait déduire qu’un génocide ait été commis. Cette thèse
doit être écartée, tant du point de vue du droit que de celui des faits.» (CR2006/32,
p. 55, par. 67.)
101. Je pense que ces propos dénaturent quel que peu la position du défendeur. S’il l’on
parle de «plan», on peut raisonnablement s’a ttendre à ce qu’il soit énoncé sous une forme
quelconque, que ce soit par écrit ou, par exemple, lors d’une conversation téléphonique interceptée.
Le conseil de la Bosnie poursuit :
«68. Premièrement, l’existence d’un document écrit attestant un plan n’est pas
l’une des composantes juridiques du cr ime de génocide. Deuxièmement, et
nonobstant ce qui précède, dans le cas de Srebrenica, une stratégie politique et un plan
ont bien existé. La Cour est fondée à c onclure, et la Cour doit conclure, qu’une
politique était à l’Œuvre depuis longtemps, dont l’objectif était le nettoyage ethnique
de l’est de la Bosnie, et de Srebrenica en particulier. C’est en application de cette
politique, ainsi que du plan prévoyant l’ex termination des hommes et adolescents de
sexe masculin et l’expulsion du reste de la population musulmane, qu’ont été perpétrés
les massacres et qu’il a été procédé aux déplacements forcés. Telle est la conclusion
que la Cour devrait tirer, en se fondant sur les faits, non contestés, que nous avons
présentés au début de nos plaidoiries, ainsi que sur les conclusions factuelles
pertinentes relatives aux crimes eux-mêmes énoncées dans les documents de
l’Organisation des NationsUnies, et not amment celles auxquelles est parvenu le
TPIY.» (CR 2006/32, par. 68.)
74
CR 2006/21, par. 10-11 (Brownlie). - 54 -
59 102. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce raisonnement alambiqué.
Premièrement : il n’y a toujours aucune preuve de l’existence d’un plan visant à commettre
un génocide, plan qui, selon l’Etat demandeur, remonterait à 1991.
Deuxièmement: selon le conseil de la Bosnie, la Cour a l’ obligation de déterminer
l’existence d’une politique : ce raisonnement imp lique nécessairement que l’hypothèse d’un plan a
été abandonnée.
103. Pour conclure, le conseil de la Serbie-et-Monténégro trouve surprenant que l’allégation,
pourtant grave, faisant état de l’élaboration d’ un plan visant à commettre un génocide appelle un
examen judiciaire aussi superficiel.
I. Les mesures conservatoires de protection
104. J’ai, lors du premier tour, répondu de la manière la plus circonstanciée possible aux
arguments soulevés par M. Pellet sur ce point (CR 2006/21, par. 1-9), et celui-ci y a répliqué le
18 avril (CR 2006/31, par. 25-27). Il ressort clairement de ces exposés que, à cet égard, les Parties
divergent tant en fait qu’en droit. Autrement dit, le débat sur ces questions est engagé.
105. Par ailleurs, M. Pellet dit ne pas comp rendre la notion de «cause of action», mais
l’argument est plutôt évasif. Le droit interna tional connaît aussi une notion analogue : il s’agit de
celle de «chef de demande». Et il reste que, dans sa jurisprudence, la Cour n’a pas encore examiné
la question précise soulevée par l’Etat défendeur.
J. L’obligation de prévenir et de réprimer
106. La position de l’Etat défendeur sur ce vol et du dossier a été amplement exposée lors du
premier tour. Au second tour, M. Condorelli a expo sé en long et en large les arguments de l’Etat
demandeur (CR 2006/34, par. 7-26). Sur ce groupe de questions, les Parties divergent absolument.
107. La pertinence de cette question dépend tout d’abord de la constatation de violations de
la convention par des individus.
108. Elle dépend ensuite de la manière dont la Cour statuera sur certaines questions se
rapportant à l’interprétation et à l’application de la convention.
60 109. Elle dépend enfin de la décision concernant le statut de la Republika Srpska, et l’exposé
de M. Condorelli le montre parfaitement bien (voir CR 2006/34, par. 11). - 55 -
110. Enfin, M.Condorelli expose ses vues sur plusieurs questions en matière de
responsabilité de l’Etat qui se posent déjà en l’espèce.
O BSERVATIONS FINALES
111. Madame le président, j’en viens à présent à mes observations finales. Elles font
inévitablement ressortir le caractère insolite de la présente instance.
112. Le premier élément insolite réside da ns la faiblesse des moyens de preuve du
demandeur sur la question de l’imputation, faiblesse qui se manifeste de plusieurs manières. Sur la
question essentielle du commandement et du contrô le, l’expert militaire appelé par l’Etat
demandeur n’a pas confirmé que la chaîne de co mmandement de l’armée de la Republika Srpska
remontait jusqu’à Belgrade, ni que les ordres étaient directement émis de là-bas. Mais il y a
d’autres faiblesses.
113. Il y a eu l’utilisation du général Dannatt pour présenter vingt-trois documents, dont
certains avaient été initialement pr oduits avec le jeu de soixante -seize documents du 16janvier.
Madame le président, on peut raisonnablement penser que ces deux séries de documents,
présentées à un stade relativement avancé, constituen t les éléments les plus solides du dossier de
l’Etat demandeur. Or, ils ne permettent pas d’établir de manière convaincante que la RFY
contrôlait effectivement la Republika Srpska.
114. La question du contrôle effectif, quant à elle, bien qu’elle ait été amplement examinée,
ne plaide pas en faveur de l’Etat demandeur. En premier lieu, un grand nombre d’éléments
concordants émanant de sources indépendantes conf irment l’indépendance de la Republika Srpska
à l’époque des faits. En second lieu, nos contradi cteurs n’ont pas explicité à la Cour comme il
convient la décision rendue en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires. Or, comme je l’ai
déjà fait observer, l’idée essentielle est que la Cour a différemment appliqué le critère du contrôle
effectif lorsque les motifs d’action ne relevaient pas du droit humanitaire de la guerre, par exemple
en cas de non-respect du principe de non-intervention. Le critère du contrôle effectif a été appliqué
plus rigoureusement dans les cas de violations du dr oit de la guerre, et il faut bien préciser que la
même rigueur doit s’appliquer, et même s’appli quer à plus forte raison, dans une affaire où un
génocide est allégué. - 56 -
61 115. Je vais revenir à présent sur les pratiques singulières de nos adversaires en matière de
preuve. La manière dont ils présentent leurs documen ts est pour le moins inhabituelle, et j’en ai
donné des exemples lors de mon premier exposé du présen t tour. Manifestement, le contexte de la
plupart des documents, notamment le contexte pa rticulier des passages cités, inspire à l’Etat
demandeur une vive aversion. Nos adversaires souffrent de ce qu’on appellerait en pathologie
légale le syndrome de l’aversion pour le contexte.
116. Malheureusement, Madame le président, ce tte aversion pour le contexte touche aussi le
contexte historique d’événements récents, c’est pourquoi certains éléments importants qui
expliquent ces événements ont été rayés du tableau d’ensemble et, de ce fait, n’ont pas été
présentés à la Cour. Il en va ainsi pour Srebrenica. Aux yeux de l’Etat demandeur, il s’agit d’un
modèle d’affaire de génocide. Or, si tel est le cas, pourquoi nos adversaires étaient-ils si peu
disposés à en exposer le contexte historique devant la Cour ?
117. Le refus de reconnaître les éléments prouva nt les raids menés par Naser Oric contre des
villages serbes et la haine croissan te suscitée par ceux-ci est un exemple de cette aversion pour le
contexte, dans ce cas-là du contexte histori que. Le général Morillon, commandant des casques
bleus français en Bosnie-Herzégovine, est l’une des nombreuses personnes à avoir constaté ces
faits. Dans sa déposition lors du procès Milosevic, il a confirmé «les terribles massacres commis
par les forces de Naser Oric dans tous les v illages environnants» (procès Milosevic, compte rendu
d’audiences, p. 32031-32032).
118. Or, Madame le président, la question d es incursions et des querelles locales entre les
deux forces armées est éminemment pertinente pour la question de l’imputation. Les relations de
cause à effet étaient locales à tous les égards. L es décisions prises ailleurs ne pouvaient jouer le
moindre rôle.
119. J’en viens à présent à un autre exemple de l’importance du contexte historique et de la
connaissance qu’en avait la population locale. Dans mon exposé antérieur, je me suis référé à une
lettre, datée du 22 janvier 1992, adressée par les ha bitants de Kupres au ministère de la défense de
Belgrade, lui demandant une protection militaire.
120. Cette lettre fait expressément mention d’un danger de génocide pour les communautés
serbes et des événements survenus dans la ré gion pendant la seconde guerre mondiale. Nos - 57 -
adversaires n’ont pas pris ce document au sérieux, bi en qu’ils l’aient reproduit dans leur réplique
(voir CR 2006/34, par. 14 (Dauban)). En fait, seu lement dix semaines après l’envoi de cette lettre,
des unités armées croates et musulmanes, portant des insignes d’Oustachis, commirent des crimes
contre des civils serbes de la région (contre-mémoire, p. 447-454 et 973-975 (Kupres)). Madame le
62 président, le contexte de la seconde guerre mondiale exige que j’ouvre ici une parenthèse. Dans la
région de Kupres, il y a la commune de Livno. Or, le territoire de cette commune comporte un
certain nombre de fosses communes dans lesquelles des cadavres de Serbes furent jetés pendant la
seconde guerre mondiale. Les atrocités contre les civils serbes s’intensifièrent après le
27 avril 1992. En particulier, le monument aux morts dédié aux victimes serbes des Oustachis au
cours de la seconde guerre mondiales fut dynamité. Au moins centcinquantecivils serbes furent
tués et leurs cadavres jetés dans des fosses (contre-mémoire, p. 457-459 et 994-995 (Livno)).
Ainsi, Madame le président, pris dans ce contexte historique, les dangers apparaissent bien réels, et
ce contexte joue un rôle important pour la reconstitution de la chaîne de causalité dans laquelle se
sont inscrits les événements survenus dans la région en question. Ces dangers et inquiétudes
étaient ressentis à l’échelon local. Malheureusement, dans la lettre du 22 janvier 1992, il s’agissait
de dangers imminents.
121. Je voudrais enfin évoquer l’insistance avec laqu elle nos contradicteurs se sont évertués
à caricaturer la teneur de la convention sur le gé nocide. Deux raisons permettent d’expliquer cette
stratégie de dénaturation. Premièrement, le refus d’examiner sérieusement l’histoire rédactionnelle
de ce texte et, deuxièmement, la confusion fâcheuse entre règles primaires et règles
secondaires ⎯alors que nous sommes dans une situati on où les règles primaires sont énoncées
dans un instrument conventionnel. Cette confusion montre assu rément qu’il est dangereux de se
référer à Don Quichotte.
122. Pour conclure mon second exposé, je tiens une nouvelle fois à saluer mes collègues de
la délégation de Serbie-et-Monténég ro pour leur aide fort utile. Je tiens à remercier la Cour de
l’attention et de la considération dont elle est coutumière. Merci. - 58 -
Le PRESIDENT: Merci, Monsieur Brow nlie. Je pense que cela met un terme aux
plaidoiries de la Serbie-et-Monténégro ce matin. Le juge Tomka souhaite poser une question au
défendeur, et je lui donne la parole.
Le juge TOMKA : Merci, Madame le président. La question est la suivante : la République
fédérale de Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro) a-t-elle déposé auprès des dépositaires de
conventions multilatérales un inst rument d’adhésion à une quel conque convention multilatérale
autre que la convention de 1948 sur le génocide, à laquelle la République fé dérale socialiste de
Yougoslavie était partie au 27 avril 1992? Dans l’affirmative, la Serbie-et-Monténégro
pourrait-elle fournir une liste ⎯ou au moins des exemples ⎯ de ces conventions? Merci,
Madame le président.
63 Le PRESIDENT: Merci. La réponse à cette question pourra être donnée oralement ou par
écrit le vendredi 12 mai au plus tard. L’audience est à présent levée.
L’audience est levée à 12 h 55.
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Traduction