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CR 2005/6 (traduction)

CR 2005/6 (translation)

Vendredi 15 avril 2005 à 10 heures

Friday 15 April 2005 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour siège aujourd’hui

pour entendre le premier tour de plaidoiries de l’Ouganda. Les représentants de l’Ouganda

prendront la parole ce matin, puis à nouveau le lundi 18avril à 10heures; le mardi 19avril à

10 heures; ainsi que le mercredi 20 avril à 10 heur es et à 15 heures. Je donne à présent la parole à

S. Exc. M. Khiddu Makubuya, agent de l’Ouganda.

M. MAKUBUYA :

I. Introduction

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’ai l’honneur de me présenter

devant la Cour en qualité d’agent, conseil et avocat de la République de l’Ouganda. En1963,

moins d’un an après son accession à l’indépendan ce, l’Ouganda a reconnu comme obligatoire la

juridiction de la Cour en vertu du paragraphe2 de l’article36 de son Statut. Il est très fier d’une

telle acceptation. Au cours des quatre décenni es qui ont suivi, il n’a jamais manqué à son

engagement envers la Cour ou au respect dû à celle-c i, ni dérogé au principe de la prééminence du

droit dans les relations entre Etats. L’Ouganda est conscient de la gravité de la présente instance, et

en particulier des allégations formulées à son enc ontre, mais il est réconforté de savoir que cette

institution judiciaire des plus vénérables statuera sur les arguments et les plaidoiries respectives des

Parties en toute impartialité, de manière strictement conforme au droit et compte dûment tenu des

moyens de preuve.

2. D’horribles allégations ont été formulées à l’égard de mon pays par la République

démocratique du Congo, à la fois dans ses écritu res et dans les exposés qu’elle a présentés à la

Cour en début de semaine: agression militaire, pillage de ressources naturelles, violations

systématiques des droits de l’homme. En ma qualité d’ Attorney-General de la République de

l’Ouganda, je suis tout à fait prêt aujourd’hui à entreprendre de répondre, au nom de l’Ouganda, à

ces malencontreuses allégations.

3. En relisant les déclarations prononcées au premier tour de plaidoiries de la République

démocratique du Congo, j’ai été frappé principalement par la grande distance qui les sépare de la

réalité ⎯tant la réalité des événements historiques en jeu que celle des liens de proximité et de - 3 -

coopération qui existent aujourd’hui entre l’Ouga nda et la République démocratique du Congo.

Les propos tenus les trois premiers jours de cette semaine étaient, de toute évidence, destinés à

donner satisfaction à une partie de l’opinion publique de la RDC et de certains pays, plutôt qu’à

faire la lumière sur la réalité des liens, passés et présents, tissés entre nos pays.

9 4. A entendre ce qui a été dit jusqu’ici, on aurait peine à imaginer que les relations bilatérales

sont chaleureuses et se renforcent de jour en jour, et que la coopération sur les questions de sécurité

est excellente. En fait, la signature en septembr e 2002 de l’accord de Luanda entre l’Ouganda et la

RDC a marqué le début d’une nouvelle ère de coopé ration, témoignant d’un désir mutuel de faire

table rase du passé. En vérité, je ne puis m’empêch er de relever que la demande unilatérale de la

RDC visant à inscrire une nouvelle fois l’affaire au calendrier de la Cour porte atteinte à

l’engagement, pris conjointement par les Parties au paragraphe 4 de l’accord de paix de Luanda, «à

trouver une formule à l’amiable pour résoudre tout litige juridique entre elles».

5. Pourtant, les autres aspects de la collabor ation envisagée dans l’accord de Luanda ont

porté leurs fruits. Par exemple, l’accord de Lua nda prévoyait que les deux Etats Œuvreraient de

concert pour constituer une commission de pacification de l’Ituri, afin de mettre un terme au conflit

ethnique qui a ravagé cette région instable de l’est du Congo. Et j’ai le plaisir de signaler que cet

engagement à Œuvrer de concert a été honoré, gr âce au dévouement et à la coopération de nombre

d’hommes et de femmes qui ont déployé leurs efforts tant en Ouganda qu’en RDC.

6. Depuis la constitution en juin2003 d’un go uvernement provisoire d’union nationale à

Kinshasa, dirigé par le président Joseph Kabila, les liens entre l’Ouganda et la RDC se sont encore

resserrés. Conformément à l’engagement qu’il avait contracté dans l’accord de Luanda, l’Ouganda

a achevé le retrait de ses troupes de la RDC le même mois, c’est-à-dire en juin 2003. Depuis lors,

pas le moindre soldat ougandais n’a été déployé sur le territoire du Congo. Arrêtons-nous un

moment sur ce point. Dans les observations limi naires qu’il a présentées lundi devant la Cour,

l’ambassadeur Masangu-a-Mwanza a dit qu’il subs istait des troupes ougandaises en RDC. Selon

lui, le président Museveni aurait déclaré que l’O uganda maintenait encore un bataillon des Forces

de défense du peuple ougandais ⎯ les UPDF ⎯ à Bundibugyo, qui, a-t-il laissé entendre, se trouve

en territoire congolais. Or j’ai bien peur que l’ambassadeur Mwanza ne se méprenne. La présence - 4 -

de troupes ougandaises à Bundibugyo ne devrait o ffenser personne, pour la simple raison que

Bundibugyo se trouve en Ouganda !

7. En 2004, nos pays ont poursuivi le renforcement de leur coopération. Nous avons mis sur

pied un mécanisme conjoint destiné à détecter et à empêcher toute violation des frontières, en

particulier par des groupes rebelles qui continuent d’ opérer dans la région front alière de la RDC.

10 Et, à la suite de la regrettable tentative de co up d’état contre le président JosephKabila, en

juin2004, l’armée ougandaise a contribué à entraî ner les membres de sa garde présidentielle non

seulement pour protéger le président Joseph Kab ila, mais aussi pour préserver le fragile processus

de réconciliation nationale qui est en cours dans la RDC. En oc tobre 2004, l’Ouganda et la RDC

sont retournés à la table des négociations pour conclure un accord tripartite relatif à la sécurité dans

la région des Grands Lacs, aux termes duquel nos deux pays ⎯auxquels s’est associé le

Rwanda ⎯ se sont de nouveau engagés à Œuvrer de concert pour élim iner les menaces posées à la

sécurité par les groupes armés qui continuent d’opére r en RDC. Au moment où je vous parle, un

ambassadeur du Congo est en poste à Kampala, en Ouganda, et l’ambassade de l’Ouganda a

rouvert ses portes à Kinshasa, bien qu’elle soit pour l’instant installée dans des locaux de location

en raison des actes de vandalisme perpétrés en août 1998 à l’encontre des locaux de l’ambassade.

8. La guerre civile au Congo ayant pris fin, un nouveau gouvernement provisoire d’union

nationale ayant été mis en place à Kinshasa, toutes les forces ougandaises s’étant retirées du

territoire congolais, et la coopération bilatérale su r les questions de frontières et de sécurité étant

excellente, l’Ouganda se demande pourquoi la RDC a choisi unilatéralement de rouvrir cette affaire

et de demander à la Cour d’inscrire la phase orale à son calendrier. Compte tenu du caractère

prometteur des mesures politiques en faveur de la pa ix et de la stabilité dans la région des Grands

Lacs, on ne peut pas ne pas se poser la question suivante: à qui profitent ces allégations

outrancières formulées de façon répétée contre l’Ouganda, allégations qui sont de plus fallacieuses

et anachroniques ?

9. Quelle que soit la véritable réponse à ces questions, il est évident qu’elles ne sauraient

trouver de réponse ici aujourd’hui. L’Ouga nda doit réagir à ces allégations, qui sont

malheureusement en contradiction avec la réalité de liens bilatéraux étroits, réalité bien connue des

responsables des deux pays. Je suis fier d’apporte r les premiers éléments de réponse de l’Ouganda - 5 -

concernant les allégations et insinuations formulé es à ce jour dans les écritures et les plaidoiries de

la RDC.

II. Agression militaire

10. Je commencerai par aborder le cŒ ur de l’argumentation de la RDC ⎯ l’agression

militaire alléguée. Il existe certains faits qui s ont bien établis, incontestables, sur lesquels nous

devons tous être d’accord. Ces faits sont au nom bre de six; fait numéro un : entre 1994 au moins

et 1997, lorsque le président Mobutu était au pouvoir au Congo, connu alors sous le nom de Zaïre,

son gouvernement tolérait et encourageait l’ac tivité de groupes rebelles armés anti-ougandais

⎯leur apportant même parfois aide et soutien ⎯, lesquels lançaient ré gulièrement des attaques

armées transfrontalières contre l’Ouganda depuis le urs repaires, à savoir la partie orientale du

11 Congo. Ainsi, bien avant le début de l’agression alléguée de l’Ouganda contre la RDC, que celle-ci

prétend avoir subie à partir d’août 1998, l’Ouganda fut victime d’une agression armée menée par le

Congo, dont la responsabilité en droit international est imputable à son gouvernement.

nF1it. o2 : une fois le président Mobutu év incé du pouvoir, en mai 1997, son successeur,

le président Laurent Kabila, invita l’Ouganda à dé ployer des troupes dans l’est du Congo aux fins

de combattre les groupes armés qui menaçaient la sécurité de l’Ouganda. Par son consentement, la

RDC autorisa la présence continue de forces ouga ndaises dans l’est du Congo entre mai1997 et

août 1998.

12. Fait n o3 : en 1998, à la mi-septembre, l’Ouga nda envoya ses troupes de combat en RDC

pour faire face non seulement à la menace grave et imminente que constituaient les groupes armés

anti-ougandais, qui avaient été alors officielleme nt incorporés dans l’armée congolaise et qui

intensifiaient leurs attaques transfrontalières contre l’Ouganda, ma is aussi à la menace imminente

encore plus manifeste que faisaient peser les forces armées du G ouvernement soudanais, lequel, en

vertu d’une alliance militaire entre la RDC et le Soudan, avait envoyé des milliers de soldats

soudanais dans l’est du Congo, où ils avaient pris position de telle sorte qu’ils menaçaient

directement l’Ouganda. Nonobstant ce que vous avez entendu dire, il n’y a pas la moindre parcelle

de vérité dans l’argument de la RDC selon lequel l’Ouganda aurait appuyé d’une manière ou d’une

autre la rébellion contre le gouvernement du président LaurentKabila déclenchée le 2août1998, - 6 -

ou selon lequel il aurait participé à l’intervention militaire rwandaise en RDC pour soutenir la

rébellion d’août 1998, et encore moins un seul élément de preuve à l’appui de ces arguments. En

fait, l’Ouganda a décliné l’invitation lancée par le Rwanda à associer ses forces avec les siennes

pour renverser le président LaurentKabila, et a te nté en vain de persuade r le Rwanda de ne pas

intervenir militairement en RDC et de ne pas livrer combat contre le président Laurent Kabila.

13. Fait n 4 : lorsque l’Ouganda finit par envoyer ses troupes au Congo, à la mi-septembre

de1998, l’objectif premier n’était pas de combattre directement les forces du président

Laurent Kabila, mais de neutraliser les groupes ar més qui l’avaient attaqué et de chasser du Congo

les forces hostiles soudanaises et tchadiennes. Les effectifs, le matériel et les opérations de l’armée

ougandaise furent limités à ce qui était nécessaire pour atteindre ces objectifs stratégiques. Les

actions de l’Ouganda furent entièrement compatibles avec le besoin d’assurer sa légitime défense.

o
14. Fait n 5: l’accord de Lusaka fut conclu en juillet1999. Ainsi que la Cour l’a

précédemment reconnu dans son ordonnance sur la demande en indication de mesures

12 conservatoires, il s’agissait d’un instrument ayant force obligatoire. Les Parties, notamment la

RDC et l’Ouganda, reconnurent que les groupes ar més qui avaient attaqué l’Ouganda depuis le

Congo constituaient une grave menace pour la sécurité de l’Ouganda, et convinrent qu’aucun appui

ne serait apporté auxdits groupes, lesquels seraient désarmés, démobilisés, rapatriés et réintégrés en

Ouganda. Les Parties convinrent aussi que, dans l’attente du désarmement et de la démobilisation

des groupes armés, des forces ougandaises demeurer aient stationnées en RDC afin d’assurer la

sécurité de l’Ouganda. L’accord de Lusaka ma rqua donc la confirma tion du consentement

explicite de la RDC à la présence de forces ouga ndaises au Congo, jusqu’au désarmement et à la

démobilisation des groupes armés.

15. Fait no 6 : en septembre 2002, alors même que l’accord de Lusaka demeurait en vigueur,

les Gouvernements de la RDC et de l’Ouganda conclurent un accord bilatéral à Luanda (Angola),

par lequel la RDC reconnaissait de nouveau la menace que constituaient pour l’Ouganda les

groupes armés opérant depuis le territoire de la RDC, et autorisait de nouveau l’Ouganda à

maintenir des troupes dans l’est du Congo afin de se protéger contre ces groupes. L’accord de

Luanda prévoyait aussi un calendrier de retrait définitif des forces ougandaises du Congo. Par la

suite, d’un commun accord, l’expirati on du délai pour le retrait fut reportée à la fin mai 2003. Et - 7 -

l’Ouganda a bien respecté l’engagement de retirer ses troupes du Congo, conformément à l’accord

de Luanda. Ainsi que je l’ai dit, les dernières troupes ougandaises ont quitté la RDC le 2 juin 2003.

Depuis lors, pas un seul soldat ougandais n’a été déployé en RDC.

16. Ces faits sont bien établis et devraient échapper à toute controverse. Ce que l’Ouganda

conteste fermement, c’est que les actions menées en août et septembre 1998 et après aient constitué

une agression militaire dirigée contre la RDC. L es éléments de preuve attestent que ces mesures

étaient des actes nécessaires de légitime défense, entièrement justifiés au regard de l’article 51 de la

Charte des NationsUnies et du droit international coutumier. La RDC elle-même a admis ce fait

lorsqu’elle a accepté, à Lusaka en juillet1999 et à nouveau à Luanda en septembre2002, que

l’Ouganda continue de maintenir des troupes au Congo jusqu’à l’élimination des groupes armés,

dont les attaques menaçaient sa sécurité.

III. L’argument du pillage des ressources naturelles du Congo

17. Parmi les allégations formulées par la RDC dans ses écritures figure l’argument selon

lequel les forces ougandaises auraient pénétré en RDC afin de piller les ressources naturelles du

13 Congo. Cet argument est mensonger. L’Ouganda a envoyé ses forces armées en RDC au titre de la

légitime défense. L’argument selon lequel l’Ouganda aurait envoyé ses troupes au Congo pour son

propre enrichissement est aussi illogique. La Cour peut facilement imaginer combien coûte le

maintien de troupes sur un sol étranger pendant cinq ans. C’est en dépit des considérations d’ordre

économique, en dépit des coûts exorbitants de son intervention, que l’Ouganda a envoyé ses forces

dans la partie orientale du Congo, parce que les attaques lancées contre lui étaient d’une gravité

telle qu’il n’avait pas d’autre solution.

18. Le président Museveni a répété à maintes reprises que les troupes ougandaises devaient

s’abstenir de toute activité commerciale au Congo. Ainsi, lorsque le Gouvernement de la RDC a,

pour la première fois, dénoncé publiquement l’e xploitation «illégale» des ressources naturelles du

Congo, l’Ouganda s’est-il associé sans réserve à l’ appel lancé en faveur de la création d’une

commission d’enquête des Nations Unies. L’Ouganda était convain cu, comme il l’est aujourd’hui,

de n’avoir rien à cacher. - 8 -

19. Le rapport que finit par produire le prem ier groupe d’experts des NationsUnies suscita

tellement de difficultés que le Conseil de sécu rité reconstitua le groupe d’experts, remplaçant

certains de ses membres, et mandata un deuxième, et même un troisième rapport. Nonobstant les

lacunes des rapports produits par le groupe d’experts des Nations Unies, et longtemps avant que le

Conseil de sécurité, dans sa résolution1457 du 24janvier2003, n’appelle les Etats à le faire, le

Gouvernement ougandais mit sur pied une commissi on judiciaire indépendante, connue sous le

nom de commission Porter, chargée d’enquêter sur les allégations cont
enues dans les rapports. A

sa connaissance, l’Ouganda est à ce jour le premier et le seul Etat à s’être soumis à une enquête

indépendante et exhaustive ⎯ ce qui témoigne une fois encore de son attachement à la primauté du

droit dans les relations internati onales, de son respect pour l’Organisation des Nations Unies et de

sa volonté de répondre de manière transparente a ux allégations d’actes illicites formulées à son

encontre.

20. Mes estimés collègues examineront les conclusions de la commission Porter, ainsi que la

pertinence et la valeur qu’elles revêtent aux fins de l’espèce. Je tiens simplement à souligner à ce

stade que la commission Porter a établi que la politique du Gouvernement ougandais ne visait pas

l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. En fait, la commission a confirmé que la

politique du Gouvernement ougandais visait précisément le contraire : elle interdisait à ses officiers

et à ses soldats de se livrer à toute activité lucrative ou commerciale au Congo et leur prescrivait de

respecter biens et personnes, quels qu’ils soient, en RDC. Dans les cas où la commission Porter a

établi la présence d’éléments de preuve à l’appui d’allégations selon lesquelles tel ou tel soldat

aurait enfreint les ordres en se livrant abus ivement à des activités commerciales ou en

s’enrichissant personnellement, elle a recommandé l’ouverture d’enquêtes pénales contre les

14 auteurs allégués de ces manquements. Le Gouve rnement ougandais a officiellement accepté les

recommandations de la commission et des instructions pénales ont été ouvertes par le ministère

public de l’Ouganda. L’Ouganda s’est engagé à punir les officiers et les soldats dont la culpabilité

au regard de la loi serait établie par les tribunaux. - 9 -

IV. L’argument des violations des droits de l’homme

21. J’aborde à présent l’allégation de viol ation généralisée des droits de l’homme.

L’Ouganda nie que ses troupes aient systématiquement maltraité la population civile durant leur

séjour au Congo. Le Gouvernement ougandais a t oujours eu pour politique résolue de faire en

sorte que ses troupes traitent le peuple congolais de manière à satisfaire pleinement aux normes

internationales. Les modalités de cette politique ont été directement communiquées par le

président, et réitérées maintes fois par nos ministres et nos officiers. En fait, les forces ougandaises

ont joué un rôle capital pour s’assurer que produits alimentaires, médicaments et autres denrées

nécessaires à la population civile de l’est du Congo ⎯provenant normalement de la partie

occidentale du Congo, mais dont l’acheminement av ait cessé depuis cette partie du pays en raison

de la guerre ⎯ soient livrés depuis des pays voisins situés à l’est du Congo, comme l’Ouganda.

22. La Cour a longuement entendu les conseils de la RDC s’exprimer sur le tragique bain de

sang qu’a connu l’Ituri, région située dans la partie orientale du Congo, de même qu’elle en a lu des

comptes rendus dans les médias internationaux. Les atrocités commises par les milices ethniques

locales sont en vérité inacceptables et méritent pleinement la vive condamnation internationale à

laquelle elles ont donné lieu. Mais ce qui est également inacceptable, c’est d’imputer la

responsabilité de ces crimes à l’Ouganda au motif que des forces ougandaises étaient stationnées

dans certaines parties de l’Ituri. Les troup es ougandaises n’étaient pas même présentes dans les

villages où la plupart des meurtres ont été perpétrés.

23. L’Ouganda n’en a pas pour autant ignoré le massacre. Pendant plus de deux ans et demi,

entre le début de2001 et la fin de2003, l’Ouganda a imploré le Secrétaire général de

l’Organisation des NationsUnies et le Conse il de sécurité d’envoyer, sous l’égide des

Nations Unies, des troupes de maintien de la paix. Il a fait savoir à la communauté internationale

que ses forces n’étaient pas suffisamment nombreuses ni préparées pour endiguer la violence

ethnique en Ituri, et que seule une force de sécurité internationale, opérant sous les auspices des

NationsUnies, pourrait y parvenir. Toutefois, de même que la communauté internationale a

temporisé et s’est en fin de compte montrée in capable d’intervenir pour empêcher le génocide

commis au Rwanda, elle a temporisé et s’est mont rée incapable d’intervenir en Ituri pendant plus

15 de deux ans, durant lesquels l’Ouganda, en particulier, n’a cessé de réclamer une force de sécurité - 10 -

des NationsUnies. Pendant ce temps, nous avons fait tout ce que nous avons pu pour enrayer la

violence dans la région.

V. Conclusion

24. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, mes éminents collègues,

avocats et conseils de l’Ouganda traiteront à présent de chacun des points que j’ai brièvement

évoqués ⎯agression militaire, pillage des ressources naturelles et violation des droits de

l’homme ⎯ et analyseront les moyens de preuve et le droit applicable de manière beaucoup plus

approfondie que, en ma qualité d’agent, il ne m’échoyait de les décrire.

25. Me succèdera aujourd’hui à la barre m on éminent collègue des Etats-Unis d’Amérique,

M. Paul Reichler, pour présenter à la Cour un examen exhaustif des éléments de preuve relatifs à la

question de la légitime défense. M. Reichler fera usage du reliquat du temps imparti à l’Ouganda

pour l’audience d’aujourd’hui. Il s’adressera de nouveau à la Cour lors de la suite du premier tour

de plaidoiries de l’Ouganda, la semaine prochaine, afin de démontrer que le Congo a consenti à la

présence de troupes ougandaises en RDC entre la date de la signature de l’accord de Lusaka, en

juillet 1999, et le retrait définitif de ces troupes, en juin 2003.

26. De même, la semaine prochaine, mon ami Ia n Brownlie prendra la parole devant la Cour

à trois reprises; premièrement pour analyser les aspects relatifs à la légitime défense,

deuxièmement pour examiner la question du consentement de la RDC à la présence de troupes

ougandaises au Congo entre mai 1997 et août 1998, et troisièmement pour traiter des allégations de

la RDC selon lesquelles des soldat s ougandais auraient participé à des violations généralisées des

droits de l’homme.

27. En outre, le ministre de la défense et ancien ministre chargé de la coopération régionale

de l’Ouganda, M. Amama Mbabazi, s’adressera lui aussi à la Cour à propos des agressions armées

dont l’Ouganda a été victime depuis le terr itoire de la RDC, ainsi que le fera

M. Edward Katumba Wamala, général de brigade des Forces de défense du peuple ougandais.

28. Enfin et surtout, le professeur EricSuy, ancien secrétaire général adjoint et conseiller

juridique de l’Organisation des Nations Unies, aborde ra deux questions : les éléments de fait et de

droit sur lesquels sont fondées les deux demandes reconventionnelles de l’Ouganda, ainsi que les - 11 -

allégations de la RDC selon l esquelles l’Ouganda aurait explo ité illégalement les ressources

naturelles du Congo.

16 29. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie du temps que

vous m’avez consacré et de votre attention. Si vous le permettez, je vous demanderai à présent de

bien vouloir appeler à la barre M. Reichler.

Le PRESIDENT : Merci, Votre Excellence. Je donne maintenant la parole à M. Reichler.

M. REICHLER :

L ES FAITS EN RAPPORT AVEC LA LEGITIME DEFENSE

Introduction

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de

me présenter à nouveau devant vous et de m’expr imer cette fois au nom de la République de

l’Ouganda.

2. On dit souvent qu’en temps de guerre, la toute première victime est la vérité. C’est

peut-être inévitable. En temps de guerre, par définition, ce sont les intérêts les plus vitaux des Etats

parties au conflit qui sont en jeu ⎯parfois, c’est même leur survie en tant qu’Etat, ou Etat

indépendant. Des gouvernem ents vont se constituer ou bien disparaître. Des territoires vont être

conquis ou bien perdus. Des villes entières ris quent d’être détruites. D’innombrables vies

humaines vont connaître une fin tragique. Da ns ces conditions, les passions s’enflamment et

l’objectivité devient quasi impossible. En temps de guerre, chacun des Etats en cause estime être la

victime innocente et voit chez l’ennemi l’agresseur odieux. En temps de guerre, aucun Etat

n’admet que l’action ou les motivations de l’adver saire puissent être justifiés; aucun Etat ne

s’estime le moins du monde responsable de l’hostilité que l’ennemi lui manifeste. Ce serait là

légitimer la cause de l’ennemi ou bien faire montre devant l’opinion publique d’un manque total de

loyauté ou de patriotisme. C’est pourquoi il est fait abstraction des faits gênants, lesquels sont

écartés ou bien déformés sous l’effet d’une loyauté aveugle ou d’une malencontreuse fidélité à la

patrie. - 12 -

3. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, les représentants de la

République démocratique du Congo nous ont présenté leur cause avec passion. Comme il fallait

s’y attendre, ils nous ont montré que leur pays éta it la victime innocente du conflit. Et ils ont fait

de l’Ouganda l’esprit même du mal qui agit avec brut alité. Certes, leur pays a beaucoup souffert.

Mais pour eux, foin de toute complexité, de nuance de ton, de l’éventualité que puissent subsister

quelques zones d’ombre ⎯ l’histoire ne saurait suivre que cette voie-là. On a tout bonnement ici la

lutte entre le bien et le mal, les anges congolais face aux diables ougandais.

4. La vie ne revêt jamais pareille simplicité et il en va de même pour la présente affaire.

17 5. Je n’ai pas l’intention de présenter à la Cour une argumentation qui soit finalement le

miroir de celle de la RDC et de lui décrire la même lutte entre le bien et le mal, mettant cette fois

aux prises les anges ougandais et les diables congolai s. Je vais au contraire tenter d’éviter la

passion et l’hyperbole, je vais m’abstenir de ridi culiser, de prodiguer le sa rcasme, je ne vais pas

accuser mes éminents collègues de la Partie adverse de déguiser les faits, d’être de mauvaise foi, de

ne pas savoir le droit. Je ne vais sûrement pa s recourir à des images aussi lourdes que celle de

l’«espace vital», du lebensraum, pour qualifier l’attitude ou le comportement de la RDC, je ne vais

certainement pas attribuer à la Partie adverse des arguments dont je sais qu’elle ne les a pas

présentés, et ce simplement pour la discréditer aux ye ux de la Cour. Je vais m’attacher du mieux

que je peux et avec l’humilité qu’il faut éprouve r dans cette enceinte à présenter à la Cour un

exposé qu’elle trouvera, je l’espère, équilibré, voire clinique, d’éléments de preuve relatifs à une

question absolument fondamentale en l’espèce: il s’agit de savoir si l’entrée en1998 des forces

militaires ougandaises dans la RDC consistait pour l’ Ouganda à exercer en toute légalité son droit

de légitime défense ou s’il s’agissait d’une intervention illégale. En procédant ainsi, j’espère mieux

aider la Cour à sauver et ranimer la première victime de la guerre ⎯ veritas, la vérité ⎯, de façon

qu’elle puisse comme elle le doit fonder solidement l’arrêt qu’elle est appelée à rendre. Je laisserai

mes estimés collègues, M.IanBrownlie et le prof esseur EricSuy, traiter la semaine prochaine les

demandes relatives aux violations des droits de l’ homme et à l’exploitation de ressources par les

forces ougandaises en territoire congolais.

6. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le conflit armé opposant sur leur

frontière l’Ouganda et la RDC n’a pas démarré en août1998 ni en septembre1998. Ce conflit a - 13 -

des racines plus profondes qui remontent au moin s à 1994 et peut-être jusqu’à 1986. C’est depuis

cette date, et quasiment sans interruption jusqu’ à aujourd’hui où cette agression se poursuit, que

l’Ouganda est harcelé par d’incessantes agressions ar mées de la part de groupes rebelles basés en

territoire congolais. Il ne s’agit pas là d’une déclaration partisane. La RDC admet dans ses

écritures que la situation se présente bien ainsi et il n’a été donné aucune indication de sens

contraire dans les exposés de la Partie congolaise. Pour bien apprécier la position de l’Ouganda en

août et en septembre1998, dates auxquelles des décisions cruciales ont été prises, il faut

comprendre les événements d’importance capitale qui ont abouti à la période dont nous parlons et

ont inspiré les décisions adoptées alors à la fois par l’Ouganda et par la RDC. C’est pourquoi je

vais consacrer la première partie de mon exposé d’aujourd’hui aux éléments de preuve concernant

cette période initiale qui va de 1986 à la fin juillet1998, et tout particulièrement aux éléments

relatifs à ces agressions armées incessantes dirigées contre l’Ouganda à partir du territoire

congolais pendant toute cette période ⎯comme je l’ai dit, il s’agit d’éléments de preuve que la

RDC elle-même ne conteste pas.

18 7. Dans la deuxième partie de mon expo sé, sans doute après la pause du milieu de la

matinée, j’examinerai les éléments concernant les événements d’août et de septembre1998,

lesquels expliquent que de nouvelles forces ougandaises entrent alors sur le territoire de la RDC et

que ces forces armées se déploient pour la première fois au-delà de la région frontalière immédiate.

Là aussi, je vais m’attacher à montrer que des gr oupes de rebelles basés sur le territoire de la RDC

dirigeaient des agressions armées contre l’Ouganda, ce que la RDC ne conteste pas. Toutefois, en

ce qui concerne ces événements d’août et septembre 1998, je vais également m’attacher à exposer

des éléments qui témoignent de la collaboration et de la coordination entre les rebelles ougandais

basés en RDC et le Gouvernement de la RDC lui- même; je m’attacherai en outre à exposer les

preuves de la collaboration établie aux fins d’ attaques à diriger contre l’Ouganda entre le

Gouvernement du Soudan et ses forc es armées, d’une part, et, de l’autre, les rebelles ougandais et

le Gouvernement de la RDC.

8. Dans la troisième et dernière partie de mon exposé, je parlerai d’éléments de preuve

concernant la période postérieure au cessez-le -feu, laquelle a commencé avec la signature de

l’accord de Lusaka en juillet1999 et s’est prolongée jusqu’au retrait final des forces militaires - 14 -

ougandaises du territoire de la RDC, retrait qui prend son caractère définitif le 2juin2003. Ce

retrait des forces ougandaises du Congo a été opéré à la
suite de l’accord de Lusaka et

conformément à cet accord, lequel a été ultérieurement assorti d’un accord bilatéral signé par

l’Ouganda et la RDC à Luanda, en Angola, en septembre2002. Comme l’ Attorney-General de

l’Ouganda vient de le confirmer, il n’y a pas de forces militaires ougandaises sur le territoire de la

RDC depuis le 2 juin 2003.

PREMIERE PARTIE

LES RACINES PROFONDES DU CONFLIT
de 1986 à juillet 1998

9. La première partie de mon exposé commence en 1986, date à laquelle le maréchal Mobutu

Ssese Seko était chef d’Etat du pays qui est aujour d’hui la République démocratique du Congo et

qui portait alors le nom de Zaïre. La période va jusqu’au renversement du président Mobutu en

mai1997, son remplacement par le président Lauren tKabila et les quinze premiers mois de la

présidence Kabila. Comme je l’ai dit, il n’est pas contesté que l’Ouganda ait subi pendant cette

période des agressions armées incessantes de la part d’insurgés basés au Congo. Depuis

l’année1994 au moins jusqu’à son renversemen t, le président Mobutu et son gouvernement ont

activement soutenu les rebelles qui étaient les auteurs de ces agressions.

10. La RDC reconnaît que les agressions diri gées contre l’Ouganda à partir du territoire

congolais ont commencé peu de temps après l’accession au pouvoir, en1986, de l’actuel

Gouvernement ougandais. Au paragraphe 6.21 de sa réplique par exemple, le Congo dit ceci : «A

19 propos des mouvements rebelles qui opèrent dans la zone frontalière entre les deux Etats, il faut

rappeler que les mouvements rebelles ougandais existent au moins depuis1986, année de

l’accession du président Museveni au pouvoir.»

11. Ces groupes insurrectionnels comprenaient notamment l’Ancienne Armée nationale de

l’Ouganda («FUNA»), le Front de la rive ouest du Nil («WNBF»), le Front national de libération

de l’OugandaII («UNRFII»), l’Armée nationale de libération de l’Ouganda («NALU») et les

Forces démocratiques alliées («ADF»). Et là aussi la RDC convient qu’il en est bien ainsi. Au

paragraphe 3.45 de sa réplique, la RDC dit ceci : - 15 -

«Certes, et comme on l’a déjà signalé, l’O uganda était confronté à la persistance de
plusieurs mouvements armés qui opèrent dans les zones frontalières, du nord comme
de l’ouest. Outre l’ADF (Allied Demo cratic Force [Alliance des forces

démocratiques]), la LRA [c’est-à-dire l’Armée de résistance du Seigneur], et le
WNBF, on peut encore citer la NALU (Na tional Army for Liberation of Uganda
[Armée nationale pour la libération de l’Ouganda]).»

Et comme la RDC l’a expliqué au paragraphe 3.10 de sa réplique : «[I]l faut avant tout rappeler que

la zone dont il est question a toujours été le repaire de mouvements irréguliers…».

12. L’Ouganda a protesté maintes fois auprès du président Mobutu contre la présence de ces

rebelles sur son territoire, mais en vain. La menace ne justifiait toutefois pas que l’Ouganda

engage une action militaire du côté congolais de la frontière. Mais cette menace s’est

spectaculairement aggravée en1994 à la suite du te rrible génocide au Rwanda, lorsque les forces

armées rwandaises et les milices «Interahamwe» placées sous le contrôle gouvernemental ont

massacré huit cent mille Rwandais tutsis et hutus modérés. Alors que le monde était pétrifié

d’horreur, le Gouvernement rwa ndais qui était à cette époque aux mains d’extrémistes hutus

bénéficiait du soutien actif du président Mobutu. Ce soutien ne suffit toutefois pas à sauver ce

gouvernement d’assassins. Dans le chaos qui régnait au Rwanda à l’époque, des rebelles du front

patriotique rwandais prirent le pouvoir. Des centaines de milliers de Hutus prirent alors la fuite en

traversant la frontière pour se réfugier au Zaïre oriental, dont des dizaines de milliers de

génocidaires armés issus des anciennes forces et milices Interahamwe rwandaises. Avec le soutien

du président Mobutu, les génocidaires purent s’assurer fermement le contrôle des camps de

réfugiés hutus au Zaïre, se réarmer et se rec onstituer en unités militair es, bénéficiant d’une

formation militaire sous la direction des forces armées du président Mobutu en vue de se préparer à

reprendre le pouvoir au Rwanda. Avec le concours du président Mobutu, les génocidaires

développèrent leur puissance militaire et lancèrent des attaques à l’intérieur du Rwanda et aussi

contre la population tutsi habitant depuis toujours le Zaïre oriental. Ce sont là des faits historiques;

la RDC n’en conteste aucun.

20 13. L’Ouganda s’associa au nouveau Gouvernement rwandais pour protester vigoureusement

contre le honteux soutien appor té par le présidentMobutu aux forces génocidaires alors que

celles-ci attaquaient le Rwanda et se préparaien t à y reprendre le pouvoir. L’Ouganda s’associa

également au nouveau Gouvernement rwandais et à une bonne partie de la communauté

internationale pour demander au président Mobutu de désarmer les anciens membres de l’armée et - 16 -

des milices rwandaises et de déplacer les camps de réfugiés sur lesquels les anciens soldats

rwandais avaient établi leur mainmise vers l’intérieu r du Zaïre, loin de la frontière rwandaise. Le

président Mobutu ne tint aucun compte de ces demandes légitimes.

Le soutien apporté par le Zaïre aux rebelles ougandais

14. Le président Mobutu réagit au contraire à ces critiques en assimilant l’Ouganda à un allié

du nouveau Gouvernement rwandais, et par conséquent à son propre ennemi. Les rebelles hostiles

à l’Ouganda, qui étaient d’ores et déjà actifs dans la région orientale du Congo, représentaient pour

lui un intermédiaire tout trouvé qui allait lui perm ettre de sanctionner l’Ouganda et de l’obliger à

consacrer tous ses efforts à sa défense de sorte que l’Ouganda ainsi mobilisé ne pourrait plus venir

en aide au Rwanda. Le président Mobutu commença par fournir aux rebelles ougandais des armes,

une formation, un concours logistique ⎯ exactement comme il traitait déjà les anciens membres de

l’armée et des milices rwandaises, lesquels acco mplissaient souvent leur formation aux côtés des

rebelles ougandais ⎯ puis, par la suite, assura la coordination des activités rebelles et contribua à

des opérations conjointes avec les rebelles à l’enc ontre de l’Ouganda. La collaboration établie

entre le régime de Mobutu et les rebelles fait l’objet d’un exposé assez long dans le contre-mémoire

de l’Ouganda, et est confirmée par des preuves détaillées de première main. En outre, mon

éminent ami et collègue, le professeur Eric Suy, en dira plus à ce sujet quand il parlera la semaine

prochaine des demandes reconventionnelles de l’Ouganda. Afin d’évite r les redites, je ne vais pas

m’y arrêter plus longuement aujourd’hui.

15. Pour donner toutefois à la Cour une idée de ce que sont les preuves sur la question, je

vais me permettre d’évoquer si mplement l’un des nombreux comptes rendus de première main

proposés par l’Ouganda sur les liens qui se sont donc établis entre le régime du président Mobutu et

les rebelles hostiles à l’Ouganda. Ce compte rendu émane d’un certain Bwambale Ali, ressortissant

ougandais devenu en mai1996 membre du groupe anti-ougandais portant le nom de «Forces

démocratiques alliées» ou «ADF». Ce compte rendu fait l’objet de l’annexe 62 du contre-mémoire

de l’Ouganda. Après avoir indiqué que des arm es des ADF étaient «transportées dans des camions

du Gouvernement zaïrois, escortés par des soldats de Mobutu, jusqu’à notre camp», M.Ali dit

ceci : - 17 -

«Les généraux zaïrois ne venaient jamais sur nos champs de bataille, mais ils
21 pouvaient toujours venir à Beni… Sous le régime de Mobutu, les troupes zaïroises
garantissaient notre sécurité et coordonnaie nt nos opérations. C’étaient elles qui

escortaient nos chefs à Kinshasa pour les en trevues avec Mobutu et les représentants
du Gouvernement soudanais.» (Les erreurs figurent dans l’original.)

16. Le témoignage de M. Ali établit un lien fort utile avec un autre élément d’une importance

capitale quand on veut comprendre les menaces qui pesaient sur l’Ouganda à partir du territoire

congolais pendant le règne de Mobutu et ensuite. Je veux parler du rôle du Soudan.

Le soutien apporté par le Soudan aux rebelles ougandais

17. Les relations entre l’Ouganda et le Soudan se sont tendues dès l’arrivée au pouvoir

en 1986 du gouvernement désormais en place en Ouga nda. Le Soudan avait été un allié proche et

un partisan de l’ancien dictateur ougandais Idi Amin. Depuis la date de la chute d’Idi Amin

jusqu’à la fin de 1998 au moins, le Soudan s’était doté d’un régime radical qui cherchait à exporter

dans des Etats tiers le fondamentalisme religieux qui lui était propre. Pour beaucoup de membres

de la communauté internationale, le Soudan porta it officiellement l’étiquette d’«Etat parrain du

terrorisme» pendant toute cette période. Il est notoire que pendant les années1990 et

jusqu’en 1998, Ossama ben Laden avait situé son si ège à Khartoum et bénéficiait de la protection

du Gouvernement soudanais. Pendant cette période, l’Ouganda fut l’un des principaux objectifs du

Soudan. C’est au Soudan que trouvè rent refuge les anciens soldats d’Idi Amin et c’est le Soudan

qui les organisa sur le territoire soudanais sous laforme du Front de la rive ouest du Nil, soit le

WNBF. Par la suite, à partir de la mi-août 1998, le Soudan a transporté en RDC jusqu’à sept mille

de ces combattants du WNBF pour qu’ils y luttent contre l’Ouganda. Le Soudan a également

fourni soutien et sanctuaire au groupe terrorist e connu sous le nom d’Armée de résistance du

Seigneur, devenu tristement célèbre pour ses agressions contre la région septentrionale de

l’Ouganda, région dans laquelle il a brutalement assassiné et mutilé des milliers de civils innocents

et enlevé plus de vingt mille enfants ougandais (sur une période totale de dix-sept ans) transformant

les jeunes garçons en tueurs et les jeunes filles en esclaves sexuelles.

18. A la suite du génocide rwandais de19 94, le président Mobutu et le Soudan se

reconnurent rapidement des intérêts communs, tout au moins en ce qui concernait l’Ouganda. Ils

conclurent officieusement alliance, après quoi le président Mobutu permit à l’armée de l’air

soudanaise d’utiliser un certain nombre de terrains d’ atterrissage au Zaïre oriental aux fins d’armer - 18 -

et d’équiper les rebelles hostiles à l’Ouganda et d’attaquer directement l’Ouganda même. En outre,

avec le consentement du président Mobutu, le Soud an créa à l’intérieur du Zaïre, au-delà de la

frontière nord-occidentale de l’Ouganda, des bases nouvelles pour le Front de la rive ouest du Nil

et l’Armée de résistance du Seigneur. En1996, le Soudan facilita la constitution d’un nouveau

groupe de rebelles ougandais, composé d’extrémist es religieux qui tenaient avant tout à faire de

22 l’Ouganda un Etat fondamentaliste; il s’agissait en l’occurrence des Forces démocratiques alliées,

ou ADF. Ces extrémistes avaient leur base dans la région orientale du Zaïre, très largement au sud

de la frontière soudanaise, sur le flanc occident al des monts Rwenzori qui séparent le Zaïre de

l’Ouganda.

L’intensification des attaques armées contre l’Ouganda

L1’9l.liance de facto entre les groupes anti-ougandais, le Zaïre et le Soudan s’est traduite

par une intensification des attaques visant l’O uganda. Pour la seule année 1996, des attaques

d’envergure contre l’Ouganda ont été lancées en av ril, mai, juillet et novembre. Cette dernière

attaque mérite d’être mentionnée. L’onglet 1 du dossier des juges comporte une carte sur laquelle

sont représentés les villes et villages ougandais attaqués par des forces rebelles basées au Congo;

pour la commodité de la Cour, vous trouverez égal ement cette carte projetée derrière moi. Le

13novembre1996, une force com portant plus de huit cents rebelles des Forces démocratiques

alliées lançait sur trois fronts une attaque dest ructrice sur les postes frontières ougandais de

Mpondwe et Bwera, dans l’ouest de l’Ouganda, ainsi que sur la ville voisine de Karambi.

20. Cette attaque fut facilitée par les Gouvernements du Soudan et du Zaïre. L’annexe 60 au

contre-mémoire de l’Ouganda présente des él éments de renseignement obtenus auprès du

commandant Benz Munyangondo, ancien chef d’état-m ajor des ADF, après la reddition de celui-ci

aux autorités ougandaises :

«En 1996,…et avant l’attaque de Mpondwe, les ADF ont reçu des armes du
Gouvernement soudanais, avec l’aide du Gouvernement zaïrois. Parmi les armes
reçues figuraient plus de mille cinq cents AK-47, vingt AAC de 12,7 millimètres, des

mitrailleuses polyvalentes, des tubes lance- grenades, des mortiers de 60 et de
82 millimètres, ainsi que les munitions correspondantes en grand nombre.»

21. L’attaque de novembre1996 visait à la pri se de Kasese, centre régional comportant un

important terrain d’aviation, et que les forces aériennes soudanaises allaient utiliser pour assurer - 19 -

l’approvisionnement des rebelles en vue d’une nouvelle a ttaque sur Mbarara, la principale ville du

sud-ouest de l’Ouganda. Bien que l’armée ougandaise (les UPDF) ait finalement réussi à repousser

cette attaque, les rebelles parvinrent à tenir le te rritoire ougandais plusieurs jours durant, au cours

desquels ils tuèrent plus de cinquante personnes, pour la plupart des civils.

22. L’Ouganda ne se priva pas de protester contre ces attaques. C’est ainsi qu’il fit connaître

à plusieurs reprises, tant au Zaïre qu’à la communauté internationale, ses protestations et

préoccupations. C’est ainsi que, en réponse à l’a ttaque d’avril 1996, l’Ouganda adressa une lettre

de protestation officielle au Conseil de sécurité, datée du 12 juin 1996 (et figurant à titre d’annexe 7

à la duplique de l’Ouganda), dans laquelle il déclara :

«le 26 avril 1996, un groupe de disside nts ougandais conduits par un certain Haji

Kabeba et basé au Zaïre a attaqué Kisoro, dans le sud-ouest de l’Ouganda, en passant
par Busanza, et tué trois membres des Uganda People’s Defense Forces (UPDF)
(Forces de défense populaires ougandaises), de ux femmes et un enfant. L’attaque a
été repoussée, sept des bandits ont été tués et trois d’entre eux faits prisonniers.
23
Interrogés, les prisonniers ont révélé que ce groupe était lié au West Nile Bank Front
[Front de la rive occidentale du Nil]…» (Les italiques sont de nous.)

23. De la même manière, à la suite de l’atta que lancée par les ADF sur le poste frontière de

Mpondwe en novembre1996, l’Ouganda adressa une autre lettre de protestation au Conseil de

sécurité, datée du 12 décembre 1996

«la ville frontière ougandaise de Mpondwe a été bombardée à partir de la ville

frontière zaïroise de Kasindi. Durant ces tirs d’obus, certains groupes armés ont de
nouveau tenté de pénétrer en territoire ougandais à partir du Zaïre. Les Forces de
défense populaire ougandaises ont une nouvelle fois réagi en détruisant les positions
qu’utilisaient les envahisseurs pour lancer leurs attaques contre le territoire

ougandais… C’est ainsi qu’à une époque des dissidents ougandais vivaient au Zaïre,
ce que les autorités zaïroises savaient parfaiteme nt. Ils ont profité de la situation qui
régnait au Zaïre et attaqué l’Ouganda à partir du territoire zaïrois. ». (Les italiques
sont de nous.)

Cette protestation est reproduite en tant qu’annexe 10 à la duplique de l’Ouganda. Les annexes 13,

14 et 15 font état d’attaques et de protestations similaires. Le Conseil de sécurité ne prit aucune

mesure et le président Mobutu ignora les protesta tions de l’Ouganda, laissant celui-ci se défendre

seul contre des attaques de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes lancées à partir du

territoire congolais. - 20 -

La première guerre civile congolaise

24. En raison du soutien apporté par le pr ésident Mobutu aux ADF et aux autres groupes

rebelles anti-ougandais, ainsi que de la manière dont il avait facilité le soutien du Soudan à ces

groupes rebelles, c’est sans déplaisir que l’Ouganda le vit chassé du pouvoir en mai 1997. De fait,

l’Ouganda apporta son soutien politique aux forces rebelles opposées au président zaïrois.

L’Ouganda ne joua toutefois aucun rôle dans l es tentatives militaires visant à évincer le président

Mobutu. Ce rôle militaire fut joué par le Rwanda qui, ainsi que je l’ai dit précédemment, et comme

cela est bien connu, nourrissait des griefs particuliers vis-à-vis du président Mobutu.

25. D’aucuns tendent à considérer que l’Ouga nda et le Rwanda partageaient des stratégies

identiques et menaient des actions communes. La faute en incombe tout particulièrement aux

média. Mais il convient d’ajouter ici que cette responsabilité est aussi partagée par la RDC, au

travers de certaines accusations spécifiques qu’e lle a adressées à l’Ouganda dans la présente

affaire, et sur lesquelles je reviendrai un peu plus tard. A l’époque de Mobutu, tant l’Ouganda que

le Rwanda manifestèrent leur opposition au s outien apporté par le président congolais aux

génocidaires rwandais ainsi qu’aux rebelles an ti-ougandais agissant directement par-delà leurs

frontières, avec toutefois des différences dans l’ampleur des menaces respectives et des politiques

24 élaborées par chacun de ces Etats en réponse à ces menaces. Lorsque le dirigeant rebelle congolais

LaurentKabila se rapprocha du président ougandais Yoweri Museveni, lui demandant une

assistance militaire dans sa lutte contre le régime Mobutu, le président Museveni évita d’y donner

suite. Les motifs de l’Ouganda sont parfaitement clairs ⎯ainsi que l’a exprimé le président

Museveni dans un discours reproduit en tant qu’anne xe 21 au contre-mémoire de l’Ouganda : une

intervention militaire étrangère dans un conflit civil n’est pas une bonne chose; elle «fausse

artificiellement l’issue des conflits; on se retrouve avec des «vainqueurs» et des «perdants»

artificiels; les problèmes politiques demeurent pa r conséquent non résolus car les vainqueurs

gagnent de manière artificielle et les «perdants» perdent de manière artificielle».

26. Le Rwanda adopta une approche différente. Il ne pouvait tout simplement pas accepter

que, juste par-delà ses frontières, les auteurs du m onstrueux génocide se réarment et se préparent à

reprendre le pouvoir, après avoir déjà entamé un nettoyage ethnique contre les populations tutsi

habitant l’est du Zaïre. Il s’agissait là pour le Rwanda et son peuple d’une menace beaucoup plus - 21 -

grave et beaucoup plus immédiate que celle à la quelle se trouvait confronté l’Ouganda. C’est

pourquoi le Rwanda saisit la possibilité que représe ntait pour lui la rébellion de M.Kabila et se

lança dans une invasion générale du Zaïre en vue d’évincer du pouvoir le président Mobutu et d’y

installer M. Kabila.

27. Le rôle essentiel joué par le Rwanda dans la guerre menée contre le président Mobutu

⎯ qui est parfois aujourd’hui appelée la première guerre civile congolaise ⎯ est indéniable. Dans

une interview reproduite en tant qu’annexe16 à la réplique de l’ Ouganda, le président rwandais

PaulKagame a d’ailleurs expressément revendi qué le renversement du président Mobutu (et

l’installation au pouvoir du président Kabila). L’Ouganda, en revanche , encouragea constamment

M. Kabila à rechercher le dialogue avec le pr ésident Mobutu et s’opposa fermement à l’immixtion

de troupes étrangères dans les affaires intérieures du Congo. Le refus de l’Ouganda de participer

militairement à la première gue rre civile congolaise est démontré par un certain nombre de

déclarations sous serment, qui figurent aux annexes 59, 61, 65, et 66 de la duplique. Ce n’était pas

la première fois que l’Ouganda et le Rwanda adoptaient des politiques radicalement différentes à

l’égard du Congo, et ce n’allait certainement pas être la dernière.

28. De fait, dès l’établissement du premier gouvernement Kabila, l’Ouganda et le Rwanda se

trouvèrent en vif désaccord à l’égard de la position adoptée vis-à-vis de la RDC. C’est ainsi, en

particulier, que l’Ouganda déplora que la nouvelle armée congolaise mise en place par le

gouvernement du président Kabila fût commandée et contrôlée par des officiers rwandais loyaux

vis-à-vis du Rwanda. Il s’agit là d’un fait admis pa r la RDC, qui, au paragraphe 2, point 19, de sa

réplique indique :

«c’est un contingent de l’armée rwandaise, commandé par le colonel James Kabarebe,
qui constituait les forces d’élite et le noyau dur des forces armées congolaises
25 (FAC)… En tout état de cause, l’ensemble du haut commandement des FAC est,

en 1998, alors entre les mains d’officiers rwandais.»

Mais outre l’armée, le gouvernement lui-même se trouvait favorablement disposé vis-à-vis du

Rwanda : les Tutsis congolais, qui avaient combattu aux côtés de l’armée rwandaise pour favoriser

l’accession au pouvoir de M. Kabila, se trouvaient représentés de façon disproportionnée aux

niveaux ministériel et décisionnel les plus élevés. La dépendance quasi totale du président Kabila - 22 -

vis-à-vis du Rwanda et des Tutsis congolais ne pouv ait que lui créer de graves problèmes avec les

nationalistes congolais et les autres groupes ethniques congolais, ce qu
i se produisit effectivement.

L’invitation lancée par le président Kabila aux forces ougandaises

29. Malgré ses appréhensions à l’égard des rapports entre le président Kabila et le Rwanda,

l’Ouganda maintint pendant un certain temps de bonnes relations avec le Gouvernement congolais.

Le président Kabila était quant à lui reconnaissan t à l’Ouganda pour le soutien diplomatique que

celui-ci lui avait apporté durant la rébellion ainsi que pour la formation de la police congolaise dont

l’Ouganda s’était chargé après sa prise de pouvoir. Dès cette dernière, le Gouvernement congolais

avait mis un terme à sa collaboration avec les rebelles anti-ougandais agissant depuis l’est du

Congo. Sous le commandement du colonel rwanda is Kabarebe, les nouvelles forces armées de la

RDC (les FAC) coopérèrent avec les militaires ougandais en vue de défaire les rebelles. Ces faits

se trouvent confirmés dans la réplique de la RDC (aux paragraphes 3.37 et 3.38 par exemple).

30. La capacité de la nouvelle armée de la RDC à mettre à elle seule un terme aux activités

des rebelles anti-ougandais se trouvait toutefois limitée. Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 3.27

de la réplique de la RDC: «De nombreuses sources font état des difficultés rencontrées par les

nouvelles autorités congolaises, à partir de leur arrivée au pouvoir en mai 1997, pour assurer la

sécurité sur l’ensemble de leur immense territoire.» C’est ainsi que, immédiatement après la

constitution de son gouvernement, le président Kabila invita l’Ouganda à stationner des troupes du

côté congolais de la frontière entre les deux pays afin de mettre un terme aux activités des groupes

rebelles anti-ougandais. Selon un rapport que la RD C cite, sans le contredi re, au paragraphe 3.37

de sa réplique :

«les troupes gouvernementales congolaises… ne sont pas en mesure de faire
correctement régner l’ordre dans l’arrière-pa ys et les zones frontalières du Rwanda et
de l’Ouganda. La RDC a par conséquent autorisé les forces militaires ougandaises à

mener des opérations et, dans certains cas, à conduire des patrouilles communes.»
[Traduction du Greffe.]

Pour reprendre les termes employés par la RDC e lle-même dans ce paragrap he de sa réplique:

«[D]es opérations conjointes des forces armées des deux Etats dans la région frontalière ont ainsi

été envisagées dès le mois de septembre 1997.» (Ibid. [traduction du Greffe].) - 23 -

26 31. L’urgence d’opérations armées visant les rebelles ougandais se faisait de plus en plus

pressante. Malgré la coopération dont avait fait pr euve le Gouvernement congolais dans la période

initiale du gouvernement Kabila, les attaques tran sfrontalières meurtrières visant des villes de

l’ouest de l’Ouganda persistèrent. C’est ai nsi que, le 23juillet1997, les ADF tuèrent

vingt-huit civils ougandais et en enlevèrent quatorze autres à Ntokoro, ville représentée sur la carte

figurant sous l’onglet1 du dossier des juges et qui se trouve projetée derrière mois; en août, ils

massacraient trente-cinq personnes à Karambi et en septembre trente autres à Nyakahuka. Selon le

paragraphe 3.15 de la réplique de la RDC, les attaques continuèrent

«avec l’installation du nouveau régime à Ki nshasa. Comme elles l’ont toujours fait
dans le passé, les forces de l’ADF ont continué de se réfugier en territoire congolais.

Dès le mois de mai1997, il semble d’a illeurs que certains membres des ex-FAZ
(Forces armées zaïroises) et ex-FAR (forces armées rwandaises) se sont joints à cette
force rebelle. L’ADF gagne alors moment anément des positions dans l’ouest de
l’Ouganda, et ses opérations se poursuivent de plus belle.»

32. Compte tenu de la persistance des attaques transfrontalières menées contre l’Ouganda, le

président Kabila, en décembre1997, invita l’O uganda à renforcer sa présence militaire au Congo

par des forces venant s’ajouter à celles déployées dans le cadre des opérations conjointes menées

avec les forces armées congolaises. La semaine prochaine, mes confrères vous exposeront en détail

les faits qui entourèrent l’invitation lancée par le pr ésident Kabila en décembre 1997. A la suite de

cette invitation, l’Ouganda envoy a deux bataillons (soit environ mille deux cents hommes) dans

l’est du Congo pour compléter les forces, moins importantes, déployées un peu plus tôt au cours de

cette même année. Les deux bataillons étab lirent des campements à proximité des villes

congolaises de Béni et de Butembo, près de la frontière ougandaise. Un troisième bataillon fut

déployé dans l’est du Congo en avril1998 et, au cours de ce même mois, l’Ouganda et la RDC

formalisèrent l’invitation du président Kabila da ns un protocole signé par les deux gouvernements.

Là encore, rien de tout cela n’est contesté.

33. Mon distingué collègue M. Ian Brownlie vous présentera des éléments supplémentaires

concernant ce protocole conclu en avril 1998 entre l’Ouganda et la RDC lors de l’exposé qu’il fera

mardi prochain, dans lequel il a bordera le thème du consentement de la RDC à la présence de

troupes ougandaises au Congo. Toutefois, il ne me semble pas inutile d’appeler maintenant

l’attention de la Cour sur ce protocole et d’insister sur son importance. - 24 -

34. En ce qui concerne la période précédant avril1998, le consentement de la RDC à la

présence de troupes ougandaises sur son sol est largem ent démontré par sa conduite. Ainsi que je

l’ai déjà indiqué, au paragraphe 3.37 de sa réplique, la RDC cite el le-même, sans le contredire, un

27 rapport indiquant : «La RDC a autorisé les forces militaires ougandaises à mener des opérations et,

dans certains cas, à conduire des patrouilles communes.» [Traduction du Greffe.] Dans une veine

similaire, le paragraphe 3.38 de la réplique indique «Différentes actions militaires ougandaises ont

ensuite été menées en territoire congolais avec l’accord des autorités locales.»

Le protocole d’avril 1998

35. C’est dans le protocole d’av ril 1998 que, pour la première fois ⎯mais non la

dernière ⎯, le consentement de la RDC fut couché par écrit. Pour la commodité des membres de

la Cour, une copie de ce texte, intitulé «protocole relatif à la sécurité le long de la frontière

commune», figure sous l’onglet 11 de leur dossi er d’audiences individuel. Comme vous pouvez le

lire, le protocole avait pour but de «mettre un te rme à l’existence des groupes rebelles opérant des

deux côtés de la frontière commune…» A l’inst ar des invitations précédemment adressées par la

RDC à l’Ouganda, le protocole visait à éliminer la menace que l’est du Congo faisait peser sur la

sécurité de l’Ouganda, en procédant à un déploiement de troupes ougandaises dans cette région. A

cette fin, le protocole disposait : «les deux armées acceptent de coopérer afin d’assurer la sécurité

et la paix le long de la frontière commune».

36. Si je m’attarde ici sur le protocole, c’est qu’il est important à deux égards au moins.

Premièrement, il constitue un témoignage indubitable du consentement de la RDC à la présence de

troupes ougandaises sur son territoire. Le libe llé spécifique du protocole, cité mardi par

M.Salmon, et surtout la référence aux «groupes rebelles opérant des deux côtés de la frontière

commune…» (les italiques sont de nous) ne devraient p as susciter l’ombre d’un doute. Il n’y avait

aucun groupe rebelle opérant du cô té ougandais de la frontière ⎯ si ce n’est, évidemment, lorsque

les groupes basés au Congo lançaient des attaques sur le territoire ougandais. MM.Salmon

et Corten ont tous deux laissé entendre en début de semaine que, le protocole visant les «deux côtés

de la frontière commune», il n’autorisait pas expr essément des forces ougandaises à opérer du côté

congolais. Mais cette interprétation du protocole ne cadre pas avec ce qu’a indiqué la RDC à ce - 25 -

propos dans ses écritures: au paragraphe 5.23 du mémo ire, par exemple, la RDC admet, je cite:

«Avant le 28juillet1998, des troupes ougandai ses étaient présentes sur le territoire de la

République démocratique du Congo, avec le consentement légitime de ce pays.» En tout état de

cause, la conduite des Parties après la signature du protocole d’avril 1998, notamment le

déploiement par l’Ouganda de troupes du côté congolais de la frontière, ainsi que la tolérance et la

coopération dont la RDC a fait pre uve à l’égard de ces troupes, dém ontrent parfaitement ce que le

protocole signifiait dans leur esprit.

28 37. Une autre raison pour laquelle le protoc ole revêt de l’importance est qu’il s’agit du

premier d’une série d’actes comportant une reconna issance écrite, par la RDC, de la nécessité d’un

déploiement de forces ougandaises au sein du Congo aux fins de protéger l’Ouganda contre les

attaques armées des groupes rebelle s basés en territoire congolais. Le Gouvernement de la RDC

n’avait aucune autre raison de consentir de son plein gré à la présence de forces militaires

ougandaises sur son territoire. Ce n’est pas non plus la seule fois, ni la dernière, que la RDC a dû

consentir par écrit à la présence de forces ougandai ses sur son territoire dans le but exprès de

protéger l’Ouganda contre des attaques lancées pa r les rebelles établis du côté congolais de la

frontière. J’expliquerai à la fin de mon expo sé comment la RDC a reconnu une nouvelle fois que

les attaques lancées par des rebelles depuis son territoire contre l’Ouganda justifiaient la présence

de forces ougandaises en territoire congolais, puis comment elle a à nouveau acquiescé à cette

présence, dans l’accord multipartite de Lusaka de juillet1999, puis dans l’accord bilatéral de

Luanda conclu par l’Ouganda et la RDC en septembre 2002.

Les difficultés rencontrées par le président Kabila

38. Malheureusement pour les deux Etats, leurs relations bilatérales devaient se dégrader peu

après la signature du protocole de 1998, évoluti on qui ne cessa d’empirer entre mai et août 1998.

En mai1998, après un an au pouvoir, la popularité du président Kabila avait considérablement

chuté. Dans une large mesure, il n’y était pour rien. Il avait hérité de son prédécesseur,

M.Mobutu, un Etat qui avait été dépouillé pendant trente-septans de presque tout ce qui pouvait

présenter une valeur marchande, sans parler de son passé d’exploitation coloniale prolongée. A son

arrivée au pouvoir, il n’avait à sa disposition ni ad ministration ni institutions étatiques véritables - 26 -

pour l’aider à gouverner. Aussi était-il condamné à l’échec face aux attentes considérables et

irréalistes que la chute de la dictature de Mobutu avait fait naître au sein de la population.

39. La situation du président Kabila était toutefois davantage compliquée encore par la

fragilité de son assise politique et, en particulierpar sa dépendance militaire totale à l’égard du

Rwanda et des officiers rwandais qui contrôlaie nt son armée. A mesure qu’elle grandissait,

l’opposition à Kabila se faisait menaçante, l’accusant d’être un fantoche des Rwandais et de leurs

alliés tutsis congolais et de leur avoir vendu le pays.

29 40. Les manifestations à son encontre redoublant sans cesse d’agressivité, il devint impératif,

pour la survie de son gouvernement, que le prési dent Kabila réduise sa dépendance envers le

Rwanda et les Tutsis congolais. La RDC le reconnaît au paragraphe 2.09 de sa réplique :

«Le président Kabila a ainsi écarté certains responsables politiques tutsis de son
entourage pour respecter un certain équilibre politique dans le pays, envisagé le
recrutement de Congolais dans l’armée nati onale et proposé la nomination d’officiers

congolais pour réduire l’influence des officiers étrangers au sein de cette armée.»

41. L’un des problèmes du président Kabila ét ait de trouver des officiers et des soldats

congolais pour remplacer les Rwandais ou rédui re leur influence. Les seuls qui fussent

immédiatement disponibles étaient les anciens so ldats des forces armées zaïroises (FAZ), l’armée

du président Mobutu qui avait été officiellement démantelée mais dont les membres ne s’étaient

pas dispersés. Nombre d’entre eux furent ainsi enrôlés dans les forces armées congolaises (FAC),

l’armée du président Kabila. Parmi les anciens soldats des FAZ intégrés à l’armée de Kabila,

plusieurs avaient servi auparavant dans l’est du C ongo, le long de la frontière avec l’Ouganda, et

avaient été des pions dans la stratégie du président Mobutu tendant à soutenir les insurgés

ougandais. Le président Kabila renvoya ces offi ciers dans l’est du Congo et, ainsi que mes

confrères vous l’expliqueront plus longuement la semaine prochaine, ceux-ci reprirent vite leurs

vieilles habitudes et renouèrent avec les rebelles, en particulier avec les ADF.

L’alliance du président Kabila avec le Soudan

42. Toujours en mai1998, le président Ka bila tenta de réduire encore davantage sa

dépendance vis-à-vis du Rwanda en recherchant le soutien politique et militaire d’autres Etats

voisins. A son paragraphe 2.09, la réplique indique que, «sur le plan international, la RDC voit

[s’]élargi[r] ses contacts avec des pays comme l’ Angola, le Congo-Brazzaville et la République - 27 -

centrafricaine, et ce sans consultation préalable av ec l’Ouganda ou le Rwanda ». Bien que la RDC

ne désigne pas expressément le Soudan comme un pays dont elle cherchait le soutien, il est flagrant

qu’elle ne nie jamais, à aucun moment dans ses éc ritures, avoir tenté d’en obtenir l’appui. Ses

représentants dans cette procédure ne le nient pas davantage. Dans les circonstances de la présente

affaire, cette absence de contestation mérite d’être relevée.

43. En fait, comme mes confrères l’expliquer ont la semaine prochaine, l’Ouganda apprit de

ses agents au Soudan, et se vit confirmer par des sources amicales au sein de l’armée et du

30 Gouvernement congolais, que le président Kabila avait pris l’avion pour Khartoum en vue de

rencontrer le président soudanais Omar el-Bashir , dans le but précis de demander le soutien

militaire de cet Etat, afin de parvenir à réduire et, finalement, à éliminer sa dépendance vis-à-vis du

Rwanda. L’Ouganda ne fut pas surpris par la décision du président Kabila de réduire sa

dépendance militaire à l’égard du Rwanda. Ainsi que je l’ai indiqué, depui s le début, l’Ouganda

tentait de convaincre le président Kabila comme le Rwanda que ce dernier ne devait pas exercer

son contrôle sur l’armée congolaise. C’est pourq uoi la tentative du président Kabila visant à

diversifier ses appuis militaires ne posait aucun problème à l’Ouganda.

44. Jusqu’à ce qu’il cherche à obtenir celui du Soudan, naturellement. Le Soudan n’avait

jamais cessé de soutenir les ADF, le WNBF, la LRA et d’autres groupes d’insurgés anti-ougandais

présents en RDC. La RDC n’a d’ailleurs fait auc un effort pour nier le rôle crucial qu’a joué le

Soudan en soutenant les rebelles anti-ougandais. Dans sa dernière pièce de procédure, intitulée

«Observations écrites additionnelles» sur les demandes reconventionnelles de l’Ouganda et

déposée en février 2003, la RDC prétendait n’avoir au cune position officielle sur le rôle du Soudan

à l’égard des insurgés. Auparavant, toutefois, dans sa réplique, elle avait présenté comme éléments

de preuve de nombreux rapports établis par des observateurs manifestement neutres témoignant très

clairement du rôle clé joué par le Soudan en so utenant les rebelles anti-ougandais. D’après le

rapport cité par la RDC au paragraphe 3.23 de sa réplique :

«Les ADF sont dirigées par un religieux musulman illettré du nom de Jamil

Mukulu et financées par la secte musu lmane Salaf, basée en Iran et au
Soudan… Exploitant l’incapacité des forces armées congolaises, les ADF ont réussi à
établir leur contrôle dans certains secteu rs du Nord-Kivu, voisin de l’Ouganda.»
[Traduction du Greffe.] - 28 -

La RDC cite encore le même rapport comme suit : «le conflit avec les ADF place l’Ouganda en état

de siège… Les ADF sont financées par le Soudan.» [Traduction du Greffe.] Le rôle qu’a joué le

Soudan en soutenant les insurgés ougandais basés au Congo est donc ainsi reconnu.

L’attaque armée contre Kichwamba

45. Peu après la rencontre du président Kabila avec le président el-Bashir, à Khartoum, eut

lieu l’attaque contre l’O uganda la plus tristement célèbre à ce jour. Le 8 juin 1998, le collège

technique de Kichwamba, dans l’ouest de l’Ouganda, fut attaqué par des re belles soutenus par le

Soudan et issus des ADF basées au Congo. Le Congo ne le nie pas. Le 8 juin, ces rebelles

quittèrent leurs bases en RDC, entrèrent en Ouga nda et attaquèrent Kichwamba, un collège qui

n’avait pas la moindre fonction militaire. Les assaillants emmenèrent de s dizaines de collégiens

31 ⎯des enfants, en vérité ⎯ dans leurs dortoirs, verrouillèrent les portes, et mirent le feu aux

bâtiments. Puis ils regardèrent plus de cinquante enfants innocents brûler vifs, tuant froidement à

l’arme à feu ceux, tout aussi nombreux, qui sauta ient par les fenêtres pour échapper aux flammes.

La Cour imaginera aisément quelles répercussions cet événement a pu avoir en Ouganda. Tout

l’ouest du pays était en proie à un sentiment d’in sécurité, des milliers de villageois convergeaient

vers des villes plus grandes et des centres d’accueil pour les personnes déplacées furent hâtivement

installés. Le peuple tout entier réclamait à cor et à cri la protection du Gouvernement ougandais et

des mesures drastiques pour empêcher d’autres atta ques transfrontalières. Pourtant, de nouvelles

attaques suivirent, par exemple au village de Banyangule, le 26 juin 1998.

Les attaques de la RDC contre les Tutsis congolais

46. La situation continua à s’ envenimer davantage. En juillet 1998, le président Kabila se

sentit suffisamment indépendant du Rwanda pour en courager les manifestations publiques hostiles

au Rwanda et aux Congolais tutsis. Politicien rusé, il tourna habilement à son avantage les

sentiments nationalistes, anti-Rwandais et anti-Tuts is partagés par de larges pans de la population

congolaise, qui avait plus tôt contesté son propre sens du patriotisme. Si cette politique consolida

son assise politique interne, elle eut toutefois de graves conséquences. Des émeutes contre les

Tutsis éclatèrent à Kinshasa et dans d’autres grandes villes, se soldant par le massacre, l’arrestation

et la disparition de citoyens congolais dont le seul crime était d’être nés tutsis. Des membres haut - 29 -

placés du gouvernement de Kabila encouragèrent ou défendirent ces attaques. Voici ce que dit

l’ancien premier ministre du président Kabila, M. Yerodia Ndombasi, qui est maintenant — encore

aujourd’hui— vice-président de la RDC. C’est , soit dit en passant, un homme qui a suivi de

longues études, et un psychanalyste reconnu. Voici ses termes au sujet des Tutsis :

«Le psychanalyste … doit rejeter la racai lle. Le psychanalyste ne peut pas faire
de miracles. Lorsqu’il y a de la racaille, on doit la considérer comme de la racaille et
le psychanalyste ne peut rien faire. Et lorsque quelqu’un parle de «vermine» — et je
répète encore qu’il s’agit de vermine— il parle de quelque chose qui s’introduit

insidieusement dans un corps, un morceau de bois, une plante ou des vêtements et qui
progresse. C’est ce qu’ils ont fait.» (CM, annexe 75.)

Rupture du président Kabila avec le Rwanda

47. En attaquant les Tutsis congolais et le Rwanda, le Gouvernement de la RDC se trouva

faire cause commune avec les anciens soldats de l’armée rwandaise et les miliciens interahamwe,

vestiges du régime sous lequel avait été perpétré le génocide de la population tutsie en1994, qui
32

avaient depuis lors trouvé refuge en RDC et dans les pays voisins. Le président Kabila les enrôla

par milliers dans des unités spéciales de l’armée congolaise, les FAC, de sorte que, à la fin du

moins de juillet1998, son armée se composait pour l’essentiel d’anciens soldats des FAZ

⎯ c’est-à-dire de l’armée du président Mobutu ⎯ et d’anciens membres des milices interahamwe

et des forces armées rwandaises. La rupture avec le Rwanda pouvait dès lors être consommée. Le

27 juillet 1998, le président Kabila prit un décret lourd de conséquences, ordonnant à tous les

membres des forces militaires rwandaises, y compris les hauts responsables de sa propre armée, de

quitter sur-le-champ la RDC. Après le départ des forces rwandaises, des foules congolaises en

liesse s’en prirent aux Tutsis, et à d’au tres personnes soupçonnées d’avoir des d’origines

rwandaises, sur l’ensemble du territoire de la RDC, tout particulièrement dans l’est du Congo, près

de la frontière rwandaise, où vivaient l’essentiel des Tutsis congolais. Nombre de gens périrent, et,

parmi eux, beaucoup de femmes et d’enfants.

La situation à la fin du mois de juillet 1998

48. Voilà qui nous amène à la fin du mois de ju illet 1998, et au terme de la première partie

de mon exposé sur les éléments de preuve pertinen ts, qui couvre la période allant de1986 à cette

date. Si je me suis longuement attardé sur cette période, c’est que les représentants de la RDC n’y - 30 -

ont pas fait la moindre allusion pendant ces trois j ours passés à la barre. L’exposé de leur version

des faits ne remonte pas au-delà du mois d’août 1998. Je ne commenterai pas les motifs de ce

choix. Qu’il me suffise de relever qu’il s’agit d’ une période importante, et que les éléments que

j’ai évoqués sont essentiels pour comprendre les déci sions cruciales qui furent prises ainsi que les

événements déterminants qui s’ensuivirent, en août et septembre 1998 et plus tard. En résumé, ils

permettent de dresser un tableau de la situation à laquelle était confronté l’Ouganda à la fin de cette

période: d’incessantes attaques armées transfr ontalières menées par des rebelles anti-ougandais

basés sur le territoire congolais depuis douze ans ⎯attaques qui, en outre, pendant trois années

(entre 1994 et 1997), avaient, avec le soutien du Zaïre et du Soudan, redoublé de violence; une

récente alliance entre le nouveau Gouvernement congol ais et le Soudan, qui laissait à celui-ci les

mains encore plus libres pour soutenir, comme il l’avait toujours fait, les insurgés; une

collaboration accrue entre ces derniers et des élémen ts de la propre armée du président Kabila, en

particulier, d’anciens officiers zaïrois qui avaient, sous le régime de Mobutu, soutenu les rebelles et

d’anciens membres des forces armées rwandaises et des milices interahamwe qui voyaient

également en l’Ouganda un ennemi; et une escalad e des attaques lancées par les rebelles contre

l’Ouganda, qui avait débuté en juin1998 avec la sanglante offensive contre l’école technique de
33

Kichwamba, dont les élèves avaient été brûlés vifs.

Monsieur le président, il conviendrait peut-être de faire la pause maintenant. Je suis parvenu

au terme de ma première partie. Je pourrai entamer la deuxième après l’interruption.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, MonsieurRe ichler. Nous nous interromprons pendant

dix minutes, après quoi vous pourrez continuer.

L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 50.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Reichler, veuillez poursuivre votre

exposé.

M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur le président. J’en viens maintenant à la suite

⎯ ce sera le volet le plus long ⎯ de mon exposé. - 31 -

D EUXIEME PARTIE

DECLENCHEMENT ET DEROULEMENT DE LA GUERRE
D’AOUT 1998 A JUILLET 1999

49. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, cette période commence par un

coup de force. Le 2 août 1998, au moins quatre brigades de l’armée congolaise, composées

essentiellement de Tutsis congolais stationnés dans l’est du Congo, se mutinent et se déclarent en

rébellion ouverte contre le Gouvernement du président Kabila. La «deuxième guerre civile

congolaise» a commencé. Les villes où stationnent ces forces ⎯Kisangani, Goma, Bukavu et

Kindu, entre autres ⎯ tombent rapidement entre leurs mains. Cette mutinerie des soldats congolais

est la conséquence directe de l’expulsion par le président Kabila des commandants rwandais qui les

encadraient, et de la campagne nationaliste engagée par son gouver nement contre des membres de

l’ethnie tutsie à laquelle ils appartenaient. Ces so ldats s’organisent rapidement sous la bannière du

RCD, organisation rebelle, et reçoivent immédiat ement un soutien politique et militaire total du

Rwanda.

Invasion de la RDC par le Rwanda

50. Pour soutenir les insurgés du RCD, le Rwa nda dépêche de l’autre côté de la frontière

congolaise des milliers d’hommes, qui progressent rapi dement vers le nord-est jusqu’à Kisangani,

34 puis vers l’ouest à travers le centre de la RDC. En l’espace de quelques semaines, le Rwanda

occupe près de la moitié de la RDC. Il aurait peut-être atteint Kinshasa sans l’intervention, à point

nommé, des troupes de l’Angola et du Zimbabwe, envo yées prêter main forte au président Kabila.

Ces faits sont historiques et ne sont pas contestés. Mon rôle ⎯ et celui de l’Ouganda ⎯ n’est pas

de défendre le Rwanda. Je voudrais simplement faire observer que, compte tenu de l’histoire de ce

pays, l’intervention unilatérale du Rwanda en RDC n’a rien de surprenant. Le Rwanda était un

pays profondément traumatisé par le génocide qu ’il venait de vivre. Ses nouveaux dirigeants

avaient juré ⎯une promesse qu’ils plaçaient avant toute chose ⎯ que jamais de tels événements

ne se reproduiraient; ils avaient juré d’empêcher retour au pouvoir des auteurs des massacres.

Or, voilà que le présidentKabila, em boîtant le pas au présidentMobutu ⎯ du moins aux yeux du

Rwanda ⎯, se lie aux anciens miliciens et soldats rw andais qui ont perpétré ces massacres, et - 32 -

tolère voire déclenche des violences ethniques à l’enc ontre de Tutsis congolais, en particulier dans

la région qui jouxte son territoire.

Déploiement des forces ougandaises pendant le mois d’août 1998

51. La situation, en ce qui concerne l’Ouga nda, est alors incertaine, mais elle n’est

certainement pas assimilable à celle du Rwanda. Ainsi que le montreront mes confrères la semaine

prochaine, l’Ouganda n’a pas cédé aux instances du Rwanda, qui aurait souhaité le voir intervenir à

ses côtés. L’Ouganda comprenait la ferme volonté du Rwanda d’empêcher toute reprise du

génocide tutsi, et partageait ce souci. Mais sa pr incipale préoccupation était de se protéger contre

les attaques de plus en plus violentes lancées par des rebelles ougandais depuis le Congo. A ce

stade, les circonstances ne justifiaient pas ⎯ estimait-il ⎯ une intervention de ses forces.

L’Ouganda se satisfaisait encore ⎯ au début du mois d’août ⎯ de la protection que lui assuraient

les trois bataillons stationnés au Congo avec le consentement du président Kabila.

52. Les représentants de la RDC ont prétendu, dans le cadre de la procédure, que le décret du

27juillet1998 avait marqué la fin du consentement du président Kabila. C’est tout simplement

faux, ainsi que l’a elle-même reconnu la RDC da ns ses écritures. Au paragraphe 2.27 de sa

réplique, la RDC admet ainsi: «Dès son re tour de Cuba, [le président Kabila] annonce

officiellement, le 27 juillet 1998, la fin de la coopération militaire avec le Rwanda et demande aux

militaires rwandais de regagner leur pays.» Du contexte, que je vous ai déjà brossé, il ressort aussi

clairement que le décret visait les forces rwandaises qui se trouvaient en RDC. Les Ougandais n’y

sont nulle part mentionnés. Est en revanche e xpressément énoncé ceci: «[le président Kabila],

35 commandant suprême des forces armées nationales congolaises,… chef de l’Etat… [et] ministre

de la défense nationale, informe le peuple congolais qu’il vient de mettre fin, à dater de ce lundi

27 juillet 1998, à la présence militaire rwandaise ⎯ la présence militaire rwandaise» ⎯ «qui nous

a assisté pendant la période de libération du pays ». Ainsi, tandis que les troupes rwandaises

quittaient le territoire congolais, les forces ougandaises stationnées en RDC demeuraient là où elles

avaient toujours été, aux alentours de Beni, non loin de la frontière avec l’Ouganda.

53. C’est là qu’elles se trouvaient lorsque, le 6 août 1998, elles essuyèrent l’attaque conjointe

des rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF ) et des soldats des FAC restés fidèles au - 33 -

président Kabila. C’était la prem ière fois que des soldats congolais opéraient de conserve avec les

rebelles ougandais et attaquaient des forces ougandaises. Il s’agit d’une conséquence directe du

soulèvement congolais. Confronté, dans l’est du Congo, à la rébellion ouve rte d’une bonne partie

de ses propres soldats, le présidentKabila éta it disposé à accueillir parmi ses troupes tout groupe

armé prêt à combattre dans leurs rangs. Les rebelles anti-ougandais, en particulier les ADF et le

Front de la rive ouest du Nil (WNBF), furent ainsi intégrés à l’armée congolaise. Les forces

armées ougandaises défont les ADF et les FAC à Beni l es 6 et 7 août, s’emparant de la ville et de

son aérodrome; elles poursuivent ensuite les assaillant s vers le nord jusqu’à Bunia et, à l’issue de

combats, le 13 août, prennent également cette ville et son aéroport.

54. L’Ouganda a décrit tous ces événements dans son contre-mémoi re, aux paragraphes47

et48. Aussi la théâtrale «révélation» des représen tants de la RDC lors de la première audience,

lundi, ⎯l’Ouganda, auraient-ils découvert, maintena it des troupes sur le territoire congolais en

août 1998 ⎯, n’en est-elle pas vraiment une. Car ce fait a toujours été reconnu par l’Ouganda, y

compris, ainsi que je viens de le dire, dans s on contre-mémoire. Pendant le mois d’août, ces

troupes étaient toutes basées dans la région front alière, où les rebelles ougandais opéraient, ou

étaient soupçonnés d’opérer, depuis longtemps. Pour l’Ouganda, ces forces étaient présentes avec

le consentement du présidentKabila, qui n’avait pas été levé le 27juillet1998. La RDC n’a du

reste jamais adressé de communication officielle, voire simplement directe, à l’Ouganda pour lui

signifier le retrait de ce consentement. Assurément, rien ne prouve qu’il ait été levé ne serait-ce

que de facto avant, au plus tôt, le milieu du mois d’août.

55. Les dépositions d’officiers ougandais deva nt la commission Porter, que les représentants

de la RDC ont, lundi, non moins théâtralement montées en épingle, se comportant comme s’ils

avaient découvert l’arme du crime encore fumante, qui viendrait ruiner l’argumentation de

36 l’Ouganda, n’apportent guère, elles non plus, d’éléments nouveaux. Le 13 août, après la bataille de

Bunia, l’Ouganda envoya de modestes renforts aux troupes qui y étaient stationnées, ainsi

qu’indiqué dans les dépositions du lieutenant-col onel Mugenyi et du lieutenant Okemu, dépêchés à

Bunia ce jour-là. Le 10août, selon le mémorandum du lieutenant-colonelWaswa, également

soumis à la commission Porter et évoqué lundi, un bataillon ougandais se rendit au poste frontalier

d’Aru puis, le 14 août, soit le lendemain des affrontem ents de Bunia, reçut l’ordre de se redéployer - 34 -

à Watsa située, également dans la région frontalière, entre Bunia et la frontière soudanaise au nord.

Les ordres du lieutenant-colonelWaswa étaient, a-t-il expliqué, de surveiller depuis ce poste la

situation. Voilà ce que nous apprennent les documents de la commissionPorter. Loin de

constituer une pièce à conviction décisive, ils c onfirment la version qu’a toujours soutenue

l’Ouganda: en août1998, un petit nombre de ses troupes étaient stationnées en RDC, et toutes

étaient concentrées dans la zone frontalière. C’est ce qu’illustre la carte projetée derrière moi pour

votre commodité, qui fait apparaître les positions qu’occupaient au mois d’août les troupes

ougandaises en RDC. Ainsi que nous l’avons indiqu é, les forces ougandaises étaient, ce mois-là,

présentes à Beni, Bunia, Aru et Watsa, toutes localités situées au voisinage i
mmédiat de la

frontière, ⎯ une présence à laquelle le président Kabila avait consenti.

56. La déposition du président ougandais Museveni devant la commission Porter va dans le

même sens. Le président Museveni y fait état d’activités militaires des forces ougandaises à Beni

le 7 août, à Bunia le 13 août, et à Watsa le 24 août ⎯ toutes villes situées, je le répète, dans la zone

frontalière. Il ajoute que les troupes ougandaises sont demeurées sur place plusieurs semaines

durant, et c’est exactement ce qui ressort des docum ents produits. Aucune opération de combat ni

avance tactique des forces ouganda ises en RDC n’est attestée pour le restant du mois d’août. A

l’invitation du Rwanda, qui s’était entre-temps emparé de Kisangani, l’Ouganda a certes, le

er
1 septembre, aéroporté quelques troupes pour surve iller l’aéroport, dont le Soudan s’était servi

pour approvisionner en munitions l es rebelles anti-ougandais. C’était là que se trouvaient, très

précisément, les forces ougandaises ⎯là, et pas au-delà ⎯, à la date du 11septembre1998; or,

dans l’intervalle, la situation, pour l’Ouganda, s’était considérablement dégradée.

37 Alliance militaire du président Kabila avec le Soudan

57. Ayant examiné les éléments attestant le comportement de l’Ouganda pendant le mois

d’août 1998, je me pencherai à présent sur ceux rendant compte de la conduite de la RDC dans le

même temps. Les informations émanant d’agents des services de renseignement ougandais infiltrés

dans les services gouvernementaux de la RDC et du Soudan, et l’interception d’échanges

électroniques à Kinshasa, ont mis en évidence cec:i le aoû1t 998, le général de

brigade Saladin Khalil, de la division militaire soudanaise de la province de l’Equateur, supervise à - 35 -

Kinshasa la livraison à l’armée congolaise de ca rgaisons d’armes occupant trois avions; le

président soudanais el-Bashir prend avec son homo logue tchadien IdrisDeby des dispositions en

vue de faire aéroporter en RDC toute une brigade, comptant deux mille cinq cent soldats tchadiens,

entièrement équipée des munitions et de l’artilleri e nécessaires, jusqu’à Gbadolite, dans le nord du

pays; le Soudan entraîne les nouvelles troupes armées congolaises, au nombre desquelles figurent

d’anciens membres des FAZ, et d’anciens soldats rwandais et miliciensInterahamwe, dans ses

camps de Kit, Frangosika, Tanamule, Rajaf et Konyokonyo, avant de ramener les troupes ainsi

formées en RDC; à la mi-août, le Soudan assure le transport de trois mille cinq cents rebelles

ougandais du Front de la rive ou est du Nil en vue de leur intégr ation dans les rangs de l’armée

congolaise; le 20août1998, le présidentKabila rencontre à nouveau le président el-Bashir à

Khartoum, et le Soudan promet de déployer une brigade de ses propres forces armées en RDC; le

26 août, un avion soudanais du type Antonov bomba rde des positions ougandaises à Bunia, dans la

région frontalière de l’est du Congo; le 2 septembre, le colonel soudanais Ibrahim

IsmailHabiballah supervise la livraison à Gbado lite d’un chargement aérien d’armes destinées au

groupe de rebelles anti-ougandais connu sous le nom de Front national de libération de

l’Ouganda II (UNRF II), qui avait été incorporé dans l’armée congolaise; quelques jours plus tard,

une brigade de l’armée soudanaise composée d’ environ deux mille cinq centshommes et placée

sous le commandement du lieutenant-général so udanais AbdulRahman SirKhatim arrive à

Gbadolite, se déploie à Businga pour prendre le cont rôle de l’aérodrome, avant de se déplacer vers

l’est, en même temps que la brigade tchadienne , pour s’emparer des aérodromes sur la route de

l’Ouganda.

La situation devant laquelle se trouvait l’Ouganda en septembre 1998

58. Ainsi se présentait donc la situation devant laquelle se trouvait l’Ouganda au début du

mois de septembre1998, essuyant les attaques transfrontalières persistant es des rebelles des FDA

(forces démocratiques alliées) de mieux en mieux a pprovisionnés et de plus en plus hardis. Les

pertes du côté ougandais augmentaient. Les forces ougandaises présentes en RDC, qui ne

comptaient pas plus de deux mille cinq cents hom mes dans la zone frontalière, n’étaient pas de

taille face aux forces soudanaises et tchadiennes, ces dernières devant notamment prendre le

38 - 36 -

contrôle de tous les aérodromes de l’est et du nord du Congo, à partir desquels ces forces et les

rebelles anti-ougandais pouva ient être ravitaillés, et à partir desquels l’Ouganda même pourrait

subir des attaques aériennes. Or, si l’Ouganda retirait en territoire ougandais ses forces chargées de

protéger la frontière, il laisserait toute la régionfrontalière au Soudan et aux autres forces alliées

anti-ougandaises. En effet, c’était la guerre, et, n’en déplaise à ses détracteurs, l’Ouganda y

participait.

59. Il est par conséquent inexact — j’insiste — de qualifier la menace pesant sur la sécurité

de l’Ouganda de «vague», d’«imaginaire», voi re de «théorique» comme l’ont affirmé les

représentants de la RDC. Il ne s’agit pas uniquement du fait que l’Ouganda se considère comme

étant «vulnérable à une attaque», comme cela a été affirmé plus tôt cette semaine. Il n’est pas

davantage pertinent de qualifier l’action militair e ultérieure de l’Ouganda —sur laquelle je

reviendrai dans un instant— de «préventive», comme cela a aussi été avancé. Mon estimé

confrère, M.Brownlie, se penchera lundi sur les aspects juridiques de la thèse de la légitime

défense défendue par l’Ouganda. Je m’intéresserai aujourd’hui aux éléments de preuves; ceux que

j’ai passés en revue montrent que l’Ouganda av ait été, pendant de nombreuses années, victime

d’attaques armées persistantes, sous forme de raids transfrontaliers menés par des rebelles basés au

Congo, et que ces attaques étaient, pendant une grande partie de cette pé riode, soutenues par le

Soudan avec la collaboration, ou pour le moins l’acquiescement, des autorités congolaises. Au

début du mois de septembre1998, le Soudan avait introduit des milliers d’hommes en RDC,

troupes qui étaient accompagnées d’un nombre équivale nt de Tchadiens, chargés de conduire des

activités armées hostiles à l’Ouganda. Lorsque, après le 11 septembre, l’Ouganda finit par réagir à

cette menace très réelle et très grave qui pesait su r sa sécurité, il ne s’agissait certainement pas de

prévention. L’Ouganda devait défendre ses frontiè res contre des attaques armées persistantes de

groupes rebelles qui allaient être, de façon imminente, ralliés par l’armée soudanaise.

La décision prise par le haut commandement ougandais le 11 septembre 1998

60. La décision de l’Ouganda d’affronter les forces soudanaises en RDC, ainsi que les rebelles

anti-ougandais qui opéraient depuis longtemps à partir du territoire congolais, fut prise, en fait, le

11 septembre 1998. La décision du Gouvernement ougandais fut consignée à la même époque dans - 37 -

un document confidentiel intitulé : «Position du haut commandement sur la présence des UPDF en

RDC». L’Ouganda a présenté ce document en anne xe à son contre-mémoire et l’a analysé dans

cette même pièce de procédure ainsi que dans sa duplique. Il est également reproduit sous

l’onglet12 du dossier des juges; pour la commodité de la Cour, les extraits les plus pertinents en

sont projetés sur l’écran derrière moi. Comme l’ indique ce document essentiel, qui n’avait jamais
39

été destiné à être publié, les raisons sous-jacentes à la décision de l’Ouganda étaient les suivantes :

1. priver le Soudan de la possibilité d’utiliser le territoire de la RDC pour déstabiliser l’Ouganda;

2. permettre aux UPDF de neutraliser les groupes dissidents ougandais qui recevaient de l’aide des

Gouvernements de la RDC et du Soudan;

61. C’est à la suite de la décision consignée dans ce document que de nouvelles forces

ougandaises furent envoyées en RDC pour rallier celles qui s’y trouvaient déjà, afin d’expulser les

forces soudanaises et tchadiennes du pays et d’éliminer les FDA et les autres groupes rebelles qui

attaquaient l’Ouganda. Cet élém ent est confirmé par un document de la commissionPorter qui

figure précisément parmi ceux que les représentants de la RDC ont jugés si intéressants lundi. Je

veux parler de la note du lieutenant-colonel Waswa qui, comme on se le rappellera, avait reçu

l’ordre le 14août de déployer ses troupes dans le secteur de Watsa, non loin de la frontière

ougandaise, afin d’y surveiller l’évolution de la situation. Le lieutenant-colonel Waswa écrit : «Le

12septembre1998, j’ai reçu l’ordre de partir pour attaquer une force ennemie à Isiro.» Cela

coïncide parfaitement avec la position adoptée par l’ Ouganda depuis le début de cette affaire.

Avant le 11 septembre, les forces ougandaises déploy ées en territoire congolais étaient limitées en

nombre et confinées dans la zone frontalière. La décision du 11 septembre eut des répercussions à

la fois quantitatives et qualitatives sur les mesures prises par l’Ouganda. De nouvelles troupes

comptant plusieurs milliers d’hommes furent intr oduites en RDC et l’ordre fut donné d’affronter

les forces hostiles, soudanaises et alliées, et de les expulser du Congo. Le premier objectif

militaire, Isiro et son aérodrome —qui avait été fi xé au lieutenant-colonelWaswa et aux forces

placées sous son commandement le 12septembre, soit le lendemain de la réunion du

11septembre—, tomba aux mains des forces ougandaises le 20septembre. A partir de là, les

troupes continuèrent à avancer, pour finalement arri ver à Gbadolite, ce que je décrirai plus tard.

M.Brownlie, comme je l’ai indiqué, examinera l es conséquences juridiques de ces actions lundi. - 38 -

Pour le moment, je considère que les éléments de preuve montrent clairement qu’il n’y a pas eu

d’«invasion» ougandaise en août1998, contrairemen t à ce qu’ont prétendu les représentants de la

RDC lundi et mardi; quant à l’introduction de nouve lles troupes en RDC et au déploiement de ces

troupes au-delà de la zone frontalière, quelle que soit en fin de compte leur qualification en droit,

ils n’intervinrent qu’après le 11 septembre.

62. Certes, mes éminents contradicteurs ont pa rfaitement le droit d’affirmer que, à leur avis,

40 le déploiement de forces armées par l’Ouganda en RDC après le 11 septembre 1998 ne remplit pas

les critères juridiques de la légitime défense. Il est évident que nous ne partageons pas ce point de

vue, car c’est, après tout, sur cet aspect que porte la présente espèce. Il est inutile, et je dirai même

déplacé, de leur part, de porter des jugements d’ordre moral sur la pureté ou l’impureté des motifs

du président Museveni, comme il le serait, de notre part, de nous prononcer sur les motivations de

la RDC. En tout état de cause, je répondrai brièvement aux accusations qui ont été proférées par

certains représentants de la RDC au sujet des motivations de l’Ouganda.

Motivations de l’Ouganda

63. Premièrement, et je suis certain que la Cour le comprendra, les faits que j’ai déjà décrits

offraient suffisamment de motifs à l’Ouganda pour déployer ses troupes au Congo, afin de mettre

un terme aux attaques persistantes de rebelles dont il faisait l’objet depuis douze ans et d’expulser

les forces armées soudanaises hostiles qui armaient et approvisionnaient les rebelles, coordonnant

leurs attaques et avançant en direction de l’ Ouganda. On ne peut sérieusement douter que

l’Ouganda se trouvait confronté à une menace grav e, grandissante et immédiate pesant sur ses

intérêts les plus vitaux sur le plan de la sécurité. Et de fait, comme je le décrirai plus tard dans la

dernière partie de mon exposé, cette menace grav e pour la sécurité de l’Ouganda fut explicitement

reconnue et prise en considération par tous les Et ats parties à l’accord de Lusaka en juillet 1999, y

compris la RDC, ainsi que par le Conseil de sécurité, qui entérina l’accord dans au moins huit

résolutions distinctes, qui sont annexées aux pi èces de procédure de l’Ouganda, mais dont les

représentants de la RDC n’ont pas fait état plus tôt cette semaine — alors même qu’ils accusaient

l’Ouganda de faire un usage sélectif de docum ents. (Résolutions 1265, 1273, 1279, 1291, 1206,

1304, 1323 et 1332 (contre-mémoire, annexes 49, 50, 52, 58, 61, 70, 77 et 81, respectivement).) - 39 -

64. Deuxièmement, aucune preuve n’étaye les affirmations de certains des représentants de

la RDC selon lesquelles les véritables motivations de l’Ouganda étaient de piller la RDC ou de

renverser le gouvernement du président Kabila; les él éments de preuve montrent même tout à fait

le contraire. Tout d’abord, si le Gouvernement de l’Ouganda avait eu pour politique de piller les

ressources du Congo ou de renverser le chef d’Etat d’un pays voisin, il aurait pu, en 1996, accepter

la proposition de M.Kabila d’envahir le Zaïre et l’aurait aidé à renverser le présidentMobutu,

ennemi de toujours de l’Ouganda. Les élémen ts de preuve montrent , de façon claire et

incontestable, que l’Ouganda s’est abstenu de s’engager militairement dans ce conflit. Si les forces

ougandaises ont, certes, pris le contrôle des deux côtés de la zone frontalière durant ce conflit, et ce

41 à titre de légitime défense, aucune preuve n’a été présentée ni aucune accusation formulée à leur

encontre quant au pillage du territoire congolais à cette époque. Ensuite, les éléments de preuve

montrent que, deux ans plus tard, en1998 et 199 9, alors que les forces ougandaises combattaient

les FDA et les forces soudanaises à l’intérieur de la RDC, elles n’ ont jamais tenté de renverser le

présidentKabila, contraignant les rebelles congolais du MLC à renoncer à toute tentative ou

intention de la sorte et préconisant et recherch ant inlassablement un règlement négocié et politique

de la crise congolaise —règlement qui a fini par se matérialiser avec l’appui sans réserve de

l’Ouganda, à Lusaka en juillet 1999.

La tentative de la RDC d’imputer à l’Ouganda la conduite du Rwanda

65. Il m’incombe de souligner que, si les représentants de la RDC ont imputé à l’Ouganda

des motivations qui n’étaient pas les siennes, ils ont aussi imputé à l’Ouganda certains actes qu’il

n’a pas commis. Je veux parler notamment des actes du Rwanda. S’il n’est pas difficile de

comprendre la frustration de la RDC en raison de son incapacité à faire comparaître le Rwanda

devant la présente Cour, cela ne l’autorise pa s pour autant à y substituer l’Ouganda. L’Ouganda

peut et doit être tenu pour responsable de sa propre conduite mais pas de celle du Rwanda. Cela

vaut particulièrement pour les cas où, comme dans la présente espèce, les deux Etats avaient des

intérêts distincts et mettaient en Œuvre des po litiques divergentes et souvent opposées à l’égard de

la RDC. Et de fait, comme l’ont souligné les représentants de la RDC, les forces armées du

Rwanda et de l’Ouganda se sont affrontées à Kisangani en 1999, et à nouveau en 2000. - 40 -

66. Nonobstant les politiques antagoniques des deux Etats, qui ont directement débouché sur

le conflit armé qui les a opposés, la RDC accuse l’Ouganda d’actes dont seul le Rwanda est

manifestement responsable. Cela n’est pas le fruit du hasard. Ce n’est qu’en assimilant l’Ouganda

au Rwanda et en les traitant comme une entité unique que la RDC peut battre en brèche les

éléments de preuve, au demeurant irréfutables, attestant que l’Ouganda a engagé un nombre

important de nouvelles troupes au Congo et les a déployées au-delà des zones frontalières après le

11septembre1998. C’est pourquoi la RDC ac cuse l’Ouganda d’avoir envahi le Congo en

emboîtant le pas et en apportant son soutien à la rébellion contre le présidentKabila, laquelle a

éclaté dans l’est du Congo le 2août1998. J’ai dé jà expliqué à la Cour que c’était le Rwanda, et

non l’Ouganda, qui avait envoyé ses troupes au Congo, le 2août1998 ou peu après cette date, et

qui s’était déployé rapidement dans la moitié du pays, pénétrant profondément en territoire

congolais. Que ce soit dans ses pièces de procédur e ou lors des présentes plaidoiries, la RDC n’a

soumis aucun élément de preuve véritable dé montrant l’engagement des forces ougandaises,

42 inlassablement et résolument nié par l’Ouganda. Plutôt que de présenter des preuves, la RDC

considère dans ses pièces de procédure l’Ouganda et le Rwanda comme simplement indiscernables

l’un de l’autre, attribuant à l’un les actions prétendument commises par l’autre. Par ailleurs, les

pièces de procédure s’appuient presque exclusivem ent sur des récits émanant de journalistes et

d’autres sources indirectes, qui ne reposent généralement que sur des opinions ou des rumeurs.

Dans quelques instants, j’analyserai plus en dé tail les insuffisances juridiques de ces formes de

preuve.

C’est le Rwanda et non l’Ouganda qui a attaqué la base aérienne de Kitona

67. De même, les représentants de la RDC n’ont pas ménagé leurs efforts cette semaine, pour

tenter d’imputer à l’Ouganda la responsabilité de l’attaque de la base aérienne de Kitona, dans

l’ouest du Congo, le 4 août 1998. Les mêmes allégati ons ont été formulées dans les écritures de la

RDC. En réalité, l’attaque de Kitona fut menée par l’ar mée rwandaise, sous le commandement du

colonel James Kabarebe, ce même officier rwandais qui, une semaine plus tôt, juste avant d’être

chassé de RDC avec ses hommes sur ordre du président Kabila, était encore le chef des armées de

ce dernier. Aucune force ougandaise ne participa à cette offensive. Comme je l’ai expliqué - 41 -

précédemment, et comme mes co llègues ougandais le confirmer ont la semaine prochaine,

l’Ouganda avait rejeté les demandes pressantes du Rw anda l’invitant à prendre part aux opérations

militaires contre la RDC. Renverser le président Kabila n’était conforme ni à la politique de

l’Ouganda ni à ses intérêts. A cette époque, la seu le préoccupation de l’Ouganda était de protéger

ses frontières, effort auquel le président Kabila avait jusque-là apporté son concours.

68. Dans ses exposés écrits, la RDC s’est essentiellement fondée sur des sources

journalistiques pour étayer sa thèse selon laquelle l’ Ouganda aurait participé à l’attaque de Kitona.

Bien entendu, aucun des auteurs de ces articles ne prétend avoir été présent sur les lieux. Le risque

de s’appuyer sur de tels récits devrait être év ident — l’exemple suivant en fournit une illustration

édifiante. Au paragraphe 2.42 de la réplique, la RDC cite la phrase d’un universitaire français, le

professeur Prunier, selon laquelle «un certain nombre» d’Ougandais auraient pris part à l’attaque de

Kitona. La RDC poursuit en citant une autre source ⎯ la journaliste belge Colette Braeckman ⎯,

selon laquelle l’armée angolaise aurait capturé «des centaines» d’Ougandais engagés dans les

combats à Kitona (ibid.). Pour finir, ce qui n’était au départ, dans l’une des sources citées, qu’«un

certain nombre» d’Ougandais participant à l’opéra tion de Kitona et qui est devenu «des centaines»

de prisonniers, se transforme en un «millier», là encore dans une coupure de presse que la RDC
43

tente de présenter comme une «preuve» (ibid., citation de La Lettre de l’océan Indien).

69. Mardi, mon très cher collègue et ami, M. Philippe Sands, a accusé M. Brownlie et

moi-même de nourrir une affection particulière pour l’arrêt de la présente Cour en l’affaire du

Nicaragua. Je ne me permettrai pas de m’exprimer à la place de M. Brownlie, mais en ce qui me

concerne, je plaide coupable. Cela a été pour moi un grand honneur d’être le conseil, aux côtés de

M. Brownlie, de la République du Nicaragua en cette affaire. A cette occasion, un grand nombre

d’articles de presse avaient été soumis à la Cour par les deux parties, et notamment par les

Etats-Unis. La Cour avait reconnu qu’il était nécessaire d’examiner ce genre d’articles avec

«beaucoup de prudence», soulignant que, «mêm e quand ils paraiss[ent] répondre à une norme

d’objectivité élevée…[la Cour ne] les considère…pas comme la preuve des faits…»

(C.I.J. Recueil 1986, p.40, par.62; les italiques sont de mo i). Ainsi que la Cour l’a dit: «Il peut

apparaître après examen que des nouvelles fort répandues proviennent d’une source unique, de - 42 -

sorte qu’en dépit de leur nombre elles n’ont pas de force probante plus grande que celle-ci.» (Ibid.,

p. 41, par. 63.)

70. Dans l’affaire des Plates-formes pétrolières , la Cour a réaffirmé sa position. «Ces

«sources publiques» constituent par définition des pre uves de seconde main, et la Cour n’a pas eu

connaissance de la source ou des sources origine lles, ni des preuves sur lesquelles ces sources

publiques se sont appuyées.» (C.I.J. Recueil 2003, p. 190, par. 60.)

71. Mes éminents contradicteurs sont naturelleme nt tout à fait instruits du point de vue de la

Cour concernant le recours à des sources jour nalistiques pour prouver des faits contestés. C’est

pourquoi ils ont pris soin de ne pas les menti onner au cours de leurs e xposés de cette semaine

concernant l’attaque de Kitona, préférant évoquer un «témoignage oculaire», un «tank saisi» et un

présumé «prisonnier de guerre». Lorsqu’on les ex amine de près, aucune de ces sources ne se

révèle toutefois plus satisfaisante que les récits journalistiques que je viens d’évoquer pour prouver

que l’Ouganda aurait attaqué Kitona.

72. Dans sa duplique, l’Ouganda a démontré que l’ensemble des dépositions invoquées par la

RDC étaient insuffisantes, qu’elles manquaient de crédibilité à de multiples égards. A ce sujet, je

prie la Cour de bien vouloir se reporter aux pa ragraphes 128 à 135 de la duplique, qu’il serait trop

long de citer ici. J’aimerais toutefois, afin d’ill ustrer mon propos et de donner à la Cour un aperçu

des problèmes liés aux prétendues preuves de la RDC, évoquer brièvement la déclaration d’un

certain JoséDubier. A en croire le paragraphe 2. 35 de la réplique de la RDC, M.Dubier est un

44 pilote qui a transporté par avion des troupes ou gandaises de Goma, ville située à l’est du Congo,

sur la frontière avec le Rwanda, jusqu’à Kitona. Lorsque, comme je l’espère, elle lira la déclaration

de M. Dubier (annexe59 à la réplique de la RD C), la Cour se rendra cependant compte qu’il n’y

est en réalité nulle part mentionné que l’intéressé ait transporté par avion des Ougandais de Goma

à Kitona. M. Dubier y indique simplement avoir vu des Ougandais dans un hôtel de Goma lorsque

la rébellion a éclaté le 2août. Mieux encore, il déclare expressément qu’il ne sait pas si des

Ougandais se trouvaient parmi les soldats qu’il dit avoir transportés à Kitona.

73. Au-delà du fait que le témoignage de M. Dubi er ne vient en rien étayer la thèse à l’appui

de laquelle il est produit, il présente encore d’autres problèmes, lesquels se retrouvent dans

l’ensemble des témoignages soumis par la RDC en la présente affaire. Ainsi M.Dubier ne - 43 -

précise-t-il pas comment il savait que les individus qu’il prétend avoir vus dans l’hôtel de Goma

étaient des Ougandais et non, par exemple, des fronta liers Rwandais. Il ne s’agit pas là d’un point

de détail. En effet, de nombreux Ougandais ne sont pas en mesure de distinguer les Ougandais des

Rwandais. Les Tutsis et Hutus du sud-ouest de l’Ouganda ressemblent physiquement à leurs frères

du Rwanda. Plusieurs milliers de Rwandais, dont sont issus la pl upart des officiers de l’armée

rwandaise, sont nés et ont grandi dans des fa milles réfugiées en Ouganda. De même que les

Ougandais, ils parlent anglais et non français.

74. J’en viens à présent au prétendu char ouga ndais retrouvé dans les environs de Kitona.

L’allégation de la RDC concerna nt la provenance de ce char est fondée sur deux faits: tout

d’abord, il s’agissait d’un T-55 de fabrication russe; et ensuite, l’Ouganda possède des T-55. A en

croire la réplique de la RDC, dans son paragraphe 2.40, cela su ffit à prouver que le char retrouvé

près de Kitona était un char ougandais, et que des forces ougandaises devaient donc se trouver à

Kitona. Les représentants de la RDC ont réitéré cette allégation en début de semaine, mais ils n’ont

apporté à son appui aucun fait autre que les deux que je viens de mentionner: il s’agissait d’un

T-55, et l’Ouganda possède des T-55. Or, il ne résulte pas de ces deux faits ⎯ que l’Ouganda, soit

dit en passant, ne conteste pas ⎯ que ce char était ougandais. Il est tout aussi vraisemblable que le

T-55 retrouvé près de Kitona ait été rwandais, le Rwanda possédant lui aussi des T-55. En fait, il

est tout aussi vraisemblable que ce char ait appartenu à l’Angola ou au Zimbabwe, ces deux pays

ayant mené des opérations militaires près de Kitona, en tant qu’alliés de la RDC. Eux aussi, en

effet, possèdent des chars T-55. A moins que le char en question ait appartenu à la RDC

elle-même, car en réalité, tous les Etats énumérés ci-dessus possèdent des T-55 de fabrication

russe.

75. La dernière tentative de la RDC pour prouver que des troupes ougandaises étaient

présentes à Kitona réside dans l’affirmation sel on laquelle elle aurait capturé l’un des soldats

45 ougandais qui auraient participé aux combats à Kitona, et l’aurait gardé en détention pendant

plusieurs années en tant que prisonnier de guerre, avant de le remettre enfin au CICR pour qu’il soit

rapatrié. Ce prétendu prisonnier de guerre est un dénommé Salim Byaruhanga. A l’appui de cette

allégation, les représentants de la RDC ont pr oduit une lettre du CICR da tée d’août 2001, qui

indique que le personnel du CICR a rendu visite à trois Ougandais retenus prisonniers par la RDC, - 44 -

parmi lesquels un certain Salim Byaruhanga. Il est cependant significatif que le CICR ne qualifie

M. Byaruhanga et les autres prisonniers ougandais ni de militaires ni de prisonniers de guerre; il se

contente de les désigner comme des nationaux ouga ndais ou des citoyens ougandais. L’usage du

CICR étant de désigner les militaires ou prisonniers de guerre comme tels, avec leur grade et leur

matricule, il ressort clairement de la lettre présentée par la RDC que le CICR considérait

M.Byaruhanga comme un détenu civil. L’Ouganda ne le contestera pas. En effet, lorsque la

guerre a éclaté en1998, de nombreux civils ougand ais se trouvant en RDC, parmi lesquels des

hommes d’affaires et des Ougandais d’origine tu tsie, ont été fait prisonniers par les autorités

congolaises. Nombre d’entre eux n’ont jamais r éapparu. Or, il est établi que les deux autres

ressortissants ougandais identifiés dans la lettre du CICR, un certain M. Alumale et un certain

M.Mugisha, étaient certainement des détenus civils . La RDC ne prétend pas le contraire. Aussi

n’y a-t-il aucune raison de déduire de la lettre du CICR que le statut de M. Byaruhanga ait été

différent.

76. L’Ouganda a annexé à ses pièces de procédure les déclarations sous serment de ses hauts

responsables militaires attestant que Salim Byaruha nga n’a jamais été memb re des UPDF et qu’il

n’a jamais occupé de poste au sein du gouvernem ent ou des forces armées ougandais; cela sera par

ailleurs confirmé par mes collègues la semaine procha ine. Pour tenter de réfuter ce fait, et de

présenter M. Byaruhanga comme un soldat ougandais , les représentants de la RDC ont déposé un

témoignage prétendument recueilli auprès de lu i par un membre de l’opposition au sein du

Parlement ougandais, M. Aggrey Awori. L’Ouga nda a examiné en détail la question de ce

témoignage aux paragraphes 136 à 140 de sa du plique, démontrant qu’il était dépourvu de

crédibilité. Je me contenterai ici de résume r ce propos en observant que le fait de donner

satisfaction aux autorités congolaises éta it pour M. Byaruhanga le meilleur moyen ⎯ voire le

seul ⎯ de mettre fin à sa captivité au Congo. M. Awori, lui aussi, avait des intérêts communs avec

les autorités de la RDC. A l’époque, il était en effet candidat aux élections à la présidence de

l’Ouganda et à l’affût d’arguments pour discréditer son adversaire, le président Museveni.

M. Awori est même allé jusqu’à avancer qu’il avait rencontré 143 prisonniers de guerre ougandais,

dont M.Byaruhanga, qui avaient été capturés à Kitona ou dans ses environs. Il a affirmé avoir

réalisé des enregistrements vidéo de ses entretiens avec tous ces prétendus «prisonniers de guerre», - 45 -

mais n’a jamais jugé bon de produire ces casse ttes, en dépit des sollicitations de ces collègues

parlementaires. La RDC n’appor te pas le moindre élément à l’ appui de cette allégation de
46

M.Awori. Sa version est qu’elle ne détenait qu’un seul prisonnier de guerre ougandais, en la

personne de M. Byaruhanga.

77. A l’évidence, la vraie question n’est pas de savoir si M. Byaruhanga était un civil,

comme l’Ouganda l’affirme et co mme semble en avoir convenu le CICR, ou au contraire, comme

le soutient la RDC, un soldat. La question est de savoir si les forces ougandaises ont participé à

l’attaque de Kitona. Le fait que la DRC n’ait d’autre argument à faire valoir en ce sens que le

statut contesté de M. Byaruhanga est révélateur de la faiblesse des élémen ts de preuve apportés à

l’appui de sa thèse. En effet, et si l’on fait un moment abstraction de ce détail particulier, il est à

mon sens significatif que la RDC ait été incapable de produire quelque autre preuve que ce soit de

la présence militaire de l’Ouganda dans cette région. A la différence de l’Est du Congo, la partie

du pays située à l’extrême ouest n’a jamais été occupée ni contrôlée par des forces étrangères ou

des forces rebelles congolaises. Elle est toujours restée sous le contrôle du gouvernement de la

RDC. D’aucuns ont prétendu, ou cru, que les forces ougandaises avaient non seulement combattu à

Kitona, mais qu’elles avaient progressé à partir de là et livré bataille en plusieurs autres lieux, dont

Matadi et Inga Dam. J’aimerais dire à la Cour que si les forces ougandaises s’étaient effectivement

trouvées à Kitona et dans ces autres lieux, qui étaient tous contrôlés par la RDC, elles auraient

sûrement laissé des traces révélatrices de leur passage: soldats ougandais morts ou blessés,

cartouches et obus d’artillerie usagés, équipement de terrain, matériel de cantine, gamelles

abandonnées, vides ou non; ainsi que les innombrables autres détritus que l’on trouve d’ordinaire

sur un champ de bataille. Si l’armée ougandaise s’était rendue dans l’Ouest du Congo, il est permis

de penser que la RDC aurait retrouvé des preuves autrement tangibles et probantes que celles

qu’elle a produites. Faute de telles preuves, on ne peut que conclure que l’Ouganda n’a pas pris

part à l’attaque de Kitona, ni à aucune autre a ttaque sur le territoire de la RDC durant le mois

d’août 1998.

78. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, les éléments de preuve

démontrent manifestement que les forces armées ougandaises étaient présentes sur le territoire de la

RDC durant le mois d’août 1998. Mais ils témo ignent tout aussi clairement du fait que cette - 46 -

présence se limitait à la région adjacente à la frontière commune, et notamment à Beni, Bunia et

Watsa, et que son seul but était de protéger l’Ouganda contre une attaque de rebelles anti-ougandais

et d’autres forces hostiles. Ils attestent en outre que l’Ouganda procéda à un modeste renforcement

de ses troupes stationnées dans les régions frontalières le 13 août et dans la période qui suivit. En

revanche ⎯et ce point doit désormais être tenu pour ac quis, dès lors, en particulier, que la RDC

n’a pas réussi à en administrer la preuve contraire ⎯, il n’y eut aucun changement quantitatif ni

qualitatif dans le nombre, les positions ou la mission des forces ougandaises en RDC durant le mois

d’août1998. C’est seulement le 11septembre1998 , comme les éléments de preuve l’établissent,

47 que le haut commandement ougandais, présidé par le président Museveni lui-même, prit la décision

de déployer des forces supplémentaires substan tielles au Congo, d’engager le combat avec les

forces hostiles à l’Ouganda et de les chasser de la RDC, car il pensait que ces mesures étaient

indispensables pour assurer la légitime défense de l’Ouganda. J’ai l’honneur de soutenir que les

éléments de preuve qui ont été présentés à la C our n’autorisent aucune autre conclusion en ce qui

concerne la chronologie des opérations militaires de l’Ouganda.

Les opérations militaires de l’Ouganda en RDC

après le 11 septembre 1998

79. Les troupes ougandaises supplémentaires fure nt déployées sur le territoire congolais de

manière progressive et pour répondre aux besoins de la situation militaire. Le plan d’opérations

prévoyait l’avance des forces ougandaises en direction de l’ouest à partir de Watsa pour stopper

l’avancée vers l’est des forces soudanaises et tchadi ennes et les repousser vers Gbadolite, qui était

le point par lequel elles avaient pénétré en RDC et celui par lequel elles partiraient en cas de

victoire des forces ougandaises. Il était essentie l pour le succès du plan que les forces ougandaises

prennent le contrôle de tous les aérodromes s itués entre la frontière ougandaise et Gbadolite.

Comme mes collègues le développeront la semain e prochaine, il n’y avait pas d’autoroutes ni

même de routes dans cette région de la RDC. On y voyage à pied, au travers d’une jungle ou d’une

forêt dense, ou par la voie aérienne. Le ravitailleme nt ne pouvait se faire que par air. Le contrôle

des aérodromes était une condition sine qua non du ravitaillement ou du renfort des troupes qui

traversaient ce terrain. Il était également essen tiel de les contrôler pour empêcher les forces

ennemies de se ravitailler ou de renforcer leurs effectifs, ou ceux des rebelles anti-ougandais, et - 47 -

pour éviter qu’un ennemi comme le Soudan, qui di sposait d’une force aérienne ayant une capacité

offensive, n’utilise les aérodromes congolais pour bombarder des centres habités en territoire

ougandais.

80. Les UPDF commencèrent donc, à partir du 20 septembre 1998, à s’emparer des

aérodromes de l’est et du nord-est du Congo. Les UP DF prirent ainsi successivement le contrôle

des aérodromes d’Isiro (le 20 septembre), de Buta (le 3 octobre), de Bumba (le 17 novembre), de

Lisala (le 12décembre) et enfin de Gbadolite (le 3 juillet 1999), comme on peut le voir sur le

croquis qui figure sous l’onglet 1 du dossier de plai doiries et sur l’image projetée derrière moi. En

cours de route, les troupes ougandaises affrontèrent et vainquirent les Soudanais, les Tchadiens, les

ADF/WNBF, ainsi que d’anciens soldats rwandais et des miliciens de l’Interahamwe, comme

l’Ouganda l’a décrit au paragraphe 54 de son contre-mémoire. Les forces soudanaises, tchadiennes

et autres furent sans cesse repou ssées, jusqu’à ce qu’elles livrent leur dernier combat à Gbadolite,

comme l’Ouganda l’avait prévu. Ju ste avant la chute de cette ville, les Soudanais et les Tchadiens

s’enfuirent par l’aéroport, pour ne jamais revenir en RDC.

48 81. Voilà donc quelle fut la riposte militaire de l’Ouganda à ce qu’il considérait comme une

agression émanant du Congo, une agression faite d’ attaques armées continues s’étalant sur une

longue période, qui s’étaient aggravées en août 1998 avec la collaboration ouverte entre les rebelles

anti-ougandais et des éléments des forces armées congolaises restés fidèles au président Kabila

après la rébellion du 2 août 1998 et, ce qui repr ésentait le plus grave danger pour l’Ouganda, avec

le déploiement en RDC, à l’invitation du préside nt Kabila, de soldats soudanais et tchadiens

hostiles, dont le nombre atteignit cinq mille, char gés de soutenir les rebelles anti-ougandais et

attaquant eux-mêmes les forces ougandaises.

Les preuves relatives à la proportionnalité

82. Le nombre de soldats déployés et l’équipement utilisé se révèlent modestes au vu des

circonstances. Les éléments de preuve montrent que l’Ouganda n’a jamais déployé plus de dix

mille soldats en RDC, et qu’il s’agissait d’infant erie, sans puissance aérienne. En fait, l’Ouganda

ne dispose pas d’une armée de l’air. Les tr oupes ougandaises furent toujours largement surpassées

en nombre par les forces du Soudan et du Tchad auxquelles s’étaient aj outés d’anciens soldats - 48 -

rwandais et miliciens Interahamwe qui avaient été incorporées à l’armée du président Kabila et

combattaient aux côtés des forces soudanaises. En fait, comme l’a rapporté la mission

d’observation des NationsUnies, les troupes du Rw anda, du Zimbabwe et de l’Angola en RDC

(ces deux dernières combattant dans le camp du président Kabila) étaient également plus

nombreuses que celles de l’Ouganda [DO, annexe 90]. Aucun de ces faits n’est ni ne peut être

contesté par la RDC.

83. Pourtant, celle-ci se plaint de l’ampleur de la pénétration de l’Ouganda en territoire

congolais, en soulignant que Gbadolite se trouve à plus de 1100kilomètres de la frontière

ougandaise soit, comme ses conseils l’ont indiqué de manière imagée, la distance séparant La Haye

de Barcelone. La semaine prochaine, mes co llègues ougandais expliquer ont pourquoi il y avait

nécessité militaire d’empêcher le Soudan, le Tcha d et les autres forces hostiles de contrôler les

aérodromes congolais entre la frontière ougandaise et Gbadolite, surtout celui de Gbadolite. Ils

expliqueront que prendre Gbadolite et son aérodrome était le seul moyen de chasser définitivement

les forces soudanaises et tchadiennes de la RDC. Je suis sûr que la Cour conviendra qu’il n’existe

pas de formule polyvalente toute faite pour me surer la proportionnalité d’une opération militaire

menée en légitime défense. Au contraire, la proportionnalité est forcément tributaire des

circonstances particulières de l’espèce. Je ne doute pas que, dès qu’elle aura entendu l’ensemble

49 des arguments de l’Ouganda, notamment ceux qui seront exposés la semaine prochaine, la Cour

conclura que l’Ouganda a prouvé, comme il en avai t la charge, que sa riposte était proportionnée à

l’agression et aux menaces dont il était victime, surtout de la part des forces soudanaises et de leurs

alliés.

TROISIEME PARTIE

L’ ACCORD DE PAIX ET SON EXECUTION
de juillet 1999 à juin 2003

84. J’en viens à présent à la troisième et de rnière partie de mon exposé de ce matin, qui

couvre la période allant de juillet1999, avec la signature de l’accord de Lusaka, au 2 juin 2003

exactement, date du retrait complet et définitif de RDC des dernières troupes ougandaises. - 49 -

L’accord de Lusaka

85. L’accord de Lusaka, que les membres de la Cour trouveront reproduit, par commodité,

sous l’onglet 5 de leur dossier de plaidoiries, n’ est rien moins qu’un dispositif général de maintien

de l’ordre public fixant un cadre précis en vue de parvenir à un règlement pacifique des deux

conflits armés étroitement liés qui avaient lie u au Congo: le conflit intérieur entre le

Gouvernement de la RDC et les forces armées congolaises d’opposition et le conflit international

opposant la RDC à certains Etats limitrophes, dont l’ Ouganda. C’est ce qui ressort très clairement

d’une analyse textuelle de cet accord, que j’aurai le privilège de faire devant vous mardi prochain,

lorsque M. Brownlie et moi-même examinerons tour à tour la question du consentement de la RDC

à la présence de forces ougandaises sur son territoir e. Cette semaine, le professeur Corten a émis

l’idée que l’accord de Lusaka n’était qu’un simple accord de cessez-le-feu, les obligations qu’il

crée ⎯s’il en crée ⎯ n’étant que provisoires. J’estime très respectueusement que cette

interprétation de l’accord n’a de sens que si on le lit en s’arrêtant au titre. Il est certes intitulé

«accord de cessez-le-feu». Et il contient en effet des clauses prévoyant un cessez-le-feu. Mais il

ne fait aucun doute que la volonté des parties et l’accord lui-même allaient plus loin, bien plus loin.

Cela ne fait aucun doute, non seulement à la lectur e de l’accord, mais aussi au vu de la conduite

constante de toutes les parties, y compris de la RDC, dans les mois et années qui suivirent sa

signature.

86. Dans cet accord, les sept Etats et les trois organisations rebelles congolaises qui y étaient

parties reconnaissaient expressément que le conflit en RDC n’était pas un simple cas d’«invasion»

par des forces étrangères, comme le représentant de la RDC l’a fait valoir cette semaine. Au

contraire, les parties ont toutes admis que «le conflit en RDC [avait] une dimension à la fois interne
50

et externe». L’accord a créé un dispositif généra l de maintien de l’ordre public conçu pour tenir

compte de cette double dimension.

87. Afin de régler le conflit interne entre le Gouvernement de la RDC et les rebelles

congolais, l’accord de Lusaka a imposé à la fo is au gouvernement et aux trois groupes armés

d’opposition congolais représentés, à savoir le MLC, le RCD-K et le RCD-G, non seulement de

cesser les hostilités et de désengager leurs forces ⎯ ce qui aurait suffi si ce texte avait été censé

être un simple accord de cessez-le-feu ⎯, mais aussi de participer à un «dialogue national» avec - 50 -

toutes les forces politiques et sociales congolaises en vue d’instaurer ⎯ ce qui est significatif ⎯ un

«nouvel ordre politique» en RDC (aux paragraphes 19 et 20). Concernant le dialogue national

visant à créer ce «nouvel ordre politique», l’accord plaçait expressément le MLC, le RCD-K et le

RCD-G sur un pied d’égalité avec le Gouvernement de la RDC. Voici ce que prévoyait l’alinéa b)

du paragraphe 5.2 de l’annexe A : « [t]ous les participants aux négociations politiques

intercongolaises bénéficieront d’un statut identique ». L’accord prévoyait en outre la formation

d’une nouvelle armée nationale, par intégration aux forces arm ées du gouvernement de celles des

trois organisations rebelles congolaises. Le nouvel ordre politique et la nouvelle armée devaient

annoncer l’élection démocratique du nouveau gouver nement national. Telle était la formule

retenue par l’ensemble des parties pour régler le conflit congolais dans sa dimension interne.

88. Quant à la dimension externe du conflit, les parties à l’accord de Lusaka reconnaissaient

formellement que ce qui était au cŒur du problèm e, c’était l’utilisation du territoire congolais par

des bandes armées cherchant à déstabiliser ou re nverser les gouvernements des Etats limitrophes,

ainsi que le soutien apporté à ces bandes armées par certains Etats. Pour résoudre ce problème, les

parties se mirent d’accord sur une série de mesures particulières visant à interdire aux signataires

de soutenir ces groupes, à les empêcher de conti nuer d’opérer depuis le territoire congolais et à les

éliminer en procédant à leur désarmement, à leur démobilisation, à leur réinstallation et à leur

réinsertion dans la société civile.

89. Ce qui nous intéresse particulièrement aux fins de la présente instance, c’est que l’accord

constatait que dix groupes armés indiqués nomméme nt et opérant depuis le territoire congolais

étaient la cause principale de l’insécurité dans la région et qu’il fallait les désarmer, les

démobiliser, les réinstaller et les réinsérer. Parmi ces dix groupes, au moins six utilisaient le

territoire congolais pour lancer des attaques cont re l’Ouganda, avec le soutien du Gouvernement

soudanais ou du Gouvernement congolais. Comme l’indique l’accord de Lusaka, il s’agit des

51 groupes suivants : les Forces démocratiques alliées, ou FDA, l’Armée de résistance du Seigneur, ou

LRA, le Front national de libéra tion de l’Ouganda II, ou UNRF II, l’Ancienne armée nationale de

l’Ouganda, ou FNUA, le Front de la rive ouest du Nil, ou WNBF, et l’Armée nationale pour la

libération de l’Ouganda, ou NALU (annexe C) ⎯ à savoir exactement les mêmes organisations que

celles que j’ai évoquées ce matin. - 51 -

90. Par ailleurs, les parties à l’accord de Lusaka reconnaissaient que la présence de forces

militaires étrangères en RDC, y compris celles de l’Ouganda, était une riposte directe à la présence

au Congo des groupes armés énumérés ci-dessus. C’est pourquoi l’accord faisait expressément

dépendre le retrait des forces étrangères du désarmement préalable des groupes armés.

L’annexeB de l’accord de Lusaka est intitulée «cal endrier de la mise en oeuvre de l’accord de

cessez-le-feu». Elle énumère vingt et un « [é]vénements majeurs du cessez-le-feu» qu’elle assortit

d’une série chronologique de dates étroitement imbriquées et interdépendantes. L’événement du

o
cessez-le-feu n 17 correspondait au « [r]etrait ordonné des Forces étrangè res», et était censé avoir

lieu soixante jours après l’événement n o 16, le «[d]ésarmement des groupes armés».

91. C’est ainsi que les parties à l’accord de Lusaka convinrent expressément que les forces

étrangères ne seraient pas tenues de quitter la République démocratique du Congo avant,

notamment, que soit instauré le dialogue national et qu’un accord ait été trouvé sur un nouvel ordre

politique en RDC et surtout, avant que les groupes armés susmentionnés, qui menaçaient la sécurité

des Etats voisins, dont l’Ouganda, aient été désarmés et démobilisés. En effet, le paragraphe 11.4

de l’annexeA de l’accord dispose expressément ⎯ expressément ⎯ que toutes les forces

étrangères «resteront [⎯ resteront ⎯] dans les positions déclarées et enregistrées» jusqu’à ce que

ces «événements majeurs du cessez-le-feu» se réalisent.

92. L’accord de Lusaka revêt une importance pour la présente instance car il constitue une

reconnaissance et un constat de la part de toutes les parties, dont la République démocratique du

Congo, des graves menaces à la sécurité que repr ésentaient pour l’Ouganda les bandes armées qui

l’avaient constamment attaqué à partir du territoire congolais et de la nécessité pour lui d’éliminer

ces groupes armés pour assurer sa sécurité. Par conséquent, M. Corten avait tout à fait tort lorsque,

plus tôt dans la semaine, il a qualifié les menac es à la sécurité de l’Ouganda de pure invention

n’ayant «jamais convaincu personne». En réalit é, les parties à l’accord de Lusaka, dont la

République démocratique du Congo, n’étaient pas l es seules à être convaincues de la réalité et de

la gravité des menaces pesant sur la sécurité de l’Ouganda. Le Conseil de sécurité lui-même

52 adopta au moins huit résolutions différentes reconnaissant que l’Ouganda, ainsi que d’autres

voisins de la République démocratique du Congo, se trouvaient sérieusement menacés par les

bandes armées opérant à partir du territoire congolais et appela à plusieurs reprises au désarmement - 52 -

et à la démobilisation de ces groupes ainsi qu’à la mise en oeuvre sans réserve de l’accord de

Lusaka. J’examinerai plus avant ces résolutions du Conseil de sécurité mardi.

93. L’Ouganda ne prétend pas, et n’a jamais prétendu, que la République démocratique du

Congo ait consenti à ce que l’Ouganda introduise de nouvelles troupes au Congo après le

11septembre ou déploie ces forces au-delà des régions frontalières. La raison avancée par

l’Ouganda pour expliquer le déploiement de ses tr oupes en RDC est celle de la légitime défense.

Toutefois, au 10 juillet 1999, la République démo cratique du Congo avait consenti au maintien de

forces ougandaises au Congo, avec les mêmes effectif s et les mêmes positions qu’à cette date. Ce

consentement valait jusqu’à ce que les événements majeurs du cessez-le-feu établis dans l’accord

de Lusaka se réalisent. Aussi, à strictement pa rler, la période pour laquelle l’Ouganda doit

invoquer la légitime défense pour justifier la présence de ses forces en République démocratique du

Congo est celle des dix mois allant de septembre 1998 à juillet 1999.

94. Contrairement à ce qu’ont affirmé les représentants de la République démocratique du

Congo plus tôt dans la semaine, la position de l’Ouganda ne consiste pas à prétendre que l’accord

de Lusaka a rétroactivement justifié les actions qu’il a prises en légitime défense postérieurement

au 11septembre1998. Il s’agit là de l’un des très nombreux arguments fallacieux que les

représentants de la République démocratique du Congo ont attri bué à l’Ouganda afin de le

ridiculiser et de saper sa crédibilité auprès de la Cour. Il est évident que l’accord de Lusaka ne

s’applique pas rétroactivement. L’Ouganda n’a jamais affirmé le contraire. Mais le fait que les

parties à l’accord aient reconnu et constaté que les groupes armés hostiles à l’Ouganda basés en

République démocratique du Cong o constituaient une menace suffisante contre la sécurité de

l’Ouganda pour justifier la présence continue d es forces de ce dernier sur le territoire congolais

après le 10juillet1999 s’inscrit bien dans logique de la revendication de légitime défense de

l’Ouganda. Si la protection de la sécurité de l’Ouganda contre les attaques de ces groupes exigeait

la présence de forces ougandaises en République dé mocratique du Congo en juillet 1999, alors elle

l’imposait aussi très certainement en septembre1998 , époque à laquelle les groupes armés étaient

plus forts et bénéficiaient du soutien du Soudan et où ce dernier menaçait directement la sécurité de

l’Ouganda à partir de ses positions militaires en République démocratique du Congo. - 53 -

53 95. Les représentants de la République démocratique du Congo ont contesté l’argument de

l’Ouganda relatif à la présence militaire du Soudan au Congo, au motif que, si le Soudan avait eu

des forces militaires en RDC, il aurait été partie à l’accord de Lusaka. Cet argument n’est pas

convaincant pour deux raisons. Premièrement, le Soudan ne fut pas partie à l’accord de Lusaka

car, à la date du 10juillet1999, aucune tr oupe soudanaise ne se trouvait en République

démocratique du Congo. A cette date, les forces armées ougandaises avaient expulsé les Soudanais

et les Tchadiens de la République démocratique du Congo et il n’y avait pas lieu, pour ces deux

Etats, d’être partie à l’accord. Deuxièmement, M. Salmon a reconnu explicitement que des forces

tchadiennes se trouvaient en République démocratique du Congo ⎯ or le Tchad n’est pas non plus

partie à l’accord de Lusaka. En conséquence, le fait de ne pas être partie à l’accord signifiait

seulement que l’Etat en questi on n’avait pas de troupes au Congo au 10juillet1999 et non qu’il

n’en ait jamais introduit dans ce territoire. Les éléments de preuve rela tifs à la présence militaire

du Soudan au Congo ne sont donc pas réfutés.

La mise en oeuvre de l’accord de Lusaka

96. La mise en oeuvre de l’accord de Lusaka prit bien plus de temps que les Parties ne

l’avaient initialement envisagé. Néanmoins, ses objectifs furent finalement réalisés grâce aux

efforts nombreux et constants de toutes les parties, dont la République démocratique du Congo. A

nouveau ⎯et c’est tout à l’honneur de la Répub lique démocratique du Congo et de ses

dirigeants ⎯, un dialogue national put se tenir avec succès, dialogue auquel les trois mouvements

rebelles congolais ainsi que la société civile dans son ensemble purent participer sans réserve et sur

un pied d’égalité et qui aboutit à un nouvel ordr e politique, exactement comme l’accord de Lusaka

invitait à le faire. Il est difficilement vraise mblable que les intéressés se seraient donné toute cette

peine pour créer un nouveau gouvernement si, comme l’a prétendu M. Corten il y a quelques jours,

ils avaient considéré l’accord de Lusaka comme un simple accord de cessez-le-feu sans obligation

liant les parties.

97. Les différents acteurs de la République démocratique du Congo parvinrent à cette

réussite historique le 17décembre2002, date à la quelle ils signèrent un «accord global et inclusif

sur la transition». Selon cet accord, le prési dent de la République démocratique du Congo, - 54 -

M.JosephKabila, qui avait succédé à son père, le présidentLaurentKabila, lors de l’assassinat

tragique de celui-ci par ses gardes du corps en2001, resterait le chef de l’Etat jusqu’à ce que des

élections nationales puissent se tenir. Quatre postes de vice-président furent créés, trois devant être

occupés par des membres de chacune des trois organisations rebelles et le quatrième par un

membre de la société civile. M.Jean-PierreBemb a, le chef de l’organisation rebelle MLC avec

laquelle l’Ouganda coopéra, est donc à présent l’un des vice-présidents de la République

démocratique du Congo. Il en va de même du ch ef de l’organisation rebelle RCD, que le Rwanda

avait soutenu après le déclenchement de la rébelli on du 2 août 1998. Les postes ministériels furent

répartis entre les diverses factions. Le ministre des affaires étrangères est issu du MLC et le

ministre de la défense, de la RCD. La nouvelle armée congolaise a intégré les forces armées des

trois organisations rebelles.

L’Ouganda et le MLC
54

98. Au vu de l’accord de Lusaka, de la résolution de la dime nsion interne du conflit

congolais et du nouvel ordre politique que je viens de décrire, il est peut-être légèrement déplacé de

la part des représentants de la République dé mocratique du Congo de faire grief à l’Ouganda

d’avoir apporté de l’aide pendant la guerre au vice-présidentBemba et au MLC. La République

démocratique du Congo elle-même a reconnu la légitimité de M. Bemba et de son mouvement en

signant avec lui l’accord de Lusaka et, plus tard, en le nommant vice-président et en intégrant ses

forces armées dans la nouvelle armée congolaise. L’Ouganda n’a jamais caché ni contesté avoir

aidé M.Bemba et le MLC pendant les combat s qui se sont déroulés entre octobre1998 et

juillet1999. M.Bemba était le personnage et chef politique le plus populaire de la province de

l’Equateur, dans laquelle se situ e Gbadolite, et la décision qu’il prit, en septembre1998, de

rejoindre la rébellion contre le premier président Kabila attira très rapidement des milliers de

volontaires. Quand les troupes ougandaises atteignire nt pour la première fois la province de

l’Equateur en octobre 1998, M. Bemba et ses forces exerçaient une certaine autorité sur une partie

de la province plus grande que celle contrôlée pa r les forces fidèles au présidentKabila. Les

troupes ougandaises se joignirent à celles de M. Bemba et, ensemble, elles repoussèrent fermement

les forces soudanaises, tchadiennes et leurs alliés en direction de Gbadolite et, finalement, hors de - 55 -

la République démocratique du Congo. Mais l’aide de l’Ouganda à M. Bemba fut toujours limitée

et soumise à de nombreuses conditions. Il ne r eçut que le soutien militaire suffisant pour aider

l’Ouganda à atteindre ses objectifs, qui consistaient à chasser les Soudanais et les Tchadiens hors

du Congo et à s’emparer des aérodromes vitaux situés entre Gbadolite et la frontière ougandaise.

Comme M. Bemba l’a lui-même reconnu dans le livre qu’il a écrit, et duquel les représentants de la

République démocratique du Congo ont tiré des citations plus tôt dans la semaine, le

présidentMuseveni insista toujours sur le fait qu’ il recherchait un règlement négocié et politique

avec le président Kabila plutôt qu’une victoire militaire et l’Ouganda interrompit complètement son

soutien lorsqu’il suspecta que M. Bemba pouvait avoir d’autres intentions.

99. Je dirai encore un mot sur le soutien de l’ Ouganda à M. Bemba et au MLC. Le MLC ne

commença à recevoir de l’aide de l’Ouganda qu ’après que le Gouvernement de la République

démocratique du Congo eut, non seulement entrep ris d’aider, mais également intégré dans ses

propres forces armées, le WNBF, l’UNRF II et des éléments des FDA. D’ailleurs, il est significatif

que la République démocrati que du Congo ait effectivement reconnu avoir collaboré avec ces

groupes rebelles hostiles à l’Ouganda et qu’elle ait tenté de justifier cette collaboration en la

qualifiant de légitime défense, au motif que l’ Ouganda avait déjà commencé à collaborer avec les

rebelles congolais. Voici ce que la République démocratique du Congo dit à ce sujet dans sa

réplique, au paragraphe 6.49 :

55 «Il va de soi que ce soutien [aux rebelles hostiles à l’O uganda] … ne pourrait
être considéré, en tant que tel, comme contraire à l’obligation de ne pas recourir à la
force dans les relations internationales. Cet appui limité constituerait en effet
l’exemple type d’une action proportionnée, menée en légitime défense par un Etat

agressé.»

100. En réalité, les éléments de preuve que j’ai décrits précédemment dans ma plaidoirie

montrent que la République démocratique du Congo collaborait avec les rebelles hostiles à

l’Ouganda dès août1998, lorsque toutes les un ités du WNBF et de l’UNRF II, entraînées au

Soudan, furent transférées à Gbadolite et à Kinshasa par les Soudanais et intégrées dans l’armée du

président Kabila. Dans le même temps, le chef du WNBF, M. Taban Amin, le fils de M. Idi Amin,

s’est vu accorder le rang de général de divisi on dans les forces armées congolaises et nommé à

l’état-major général par le président Kabila. Ce n’est pas avant octobre 1998, ou fin septembre au

plus tôt, que l’Ouganda a commencé d’aider le MLC. En conséquence, suivant la propre définition - 56 -

donnée par la République démocrati que du Congo de la légitime défe nse licite, l’aide apportée à

cette époque par l’Ouganda à M.Bemba et à son organisation n’est manifestement pas en

contradiction avec le fait que l’Ouganda invoque la légitime défense licite.

Le plan de désengagement de Harare

101. Conformément à l’accord de Lusaka, les parties conclurent par la suite des accords

particuliers concernant le désengagement des forces, le désarmement et la démobilisation des

groupes armés énumérés ainsi que le retrait progressif et simultané de la RDC de toutes les forces

étrangères (y compris celles de l’Angola et du Zimbabwe, ainsi que celles du Rwanda et de

l’Ouganda). Ces accords de mise en Œuvre de l’accord de Lusaka sont constitués par le plan de

désengagement de Kampala du 8avril2000 (onglet 6 du dossier de plaidoirie) et le plan de

désengagement de Harare du 6décembre2000 (ongle t 7 du dossier de plaidoirie), que je vais à

présent aborder. Conformément à ces accords, l’Ouganda retira, fin 2000, l’ensemble de ses

troupes de la RDC, à l’exception de trois mille sold ats. En d’autres termes, fin 2000, le nombre de

soldats ougandais encore présents au Congo était à peine supérieur au nombre de soldats postés

dans les zones frontalières de la RDC en août1998, c’est-à-dire au début du conflit. De plus, la

quasi-totalité des troismilleso ldats présents en RDC après décembre 2000 étaient retourné
s dans

ces zones frontalières, à l’exception de quelques contingents laissés à l’arrière pour surveiller les

aérodromes de Gbadolite, Businga, Lisala, Isiro ainsi que divers autres précédemment évoqués. La

carte que les représentants de la RDC ont présentée en début de semaine, et sur laquelle l’Ouganda

apparaissait comme occupant touj ours massivement le nord du Congo, d’est en ouest, était à n’en

point douter un bel effet de manche ⎯ surtout lorsqu’elle a été superposée à une carte de l’Europe

56 et qu’il est apparu qu’elle recouvrait la quasi-totalité du continent. Il ne s’agissait là ni d’une bonne

leçon de géographie, ni d’une représentation fidè le des positions actuelles des forces ougandaises.

Aussi, je demanderai à la Cour de bien vouloir se pencher sur la carte élaborée par la MONUC et la

commission militaire mixte, créée conformément a ux dispositions de l’accord de Lusaka. Cette

carte est annexée au plan de désengagement de Harare du 6 décembre 2000, lequel figure sous

l’onglet7 du dossier de plaidoirie. Je me perm ets de vous renvoyer plus particulièrement à la

page13. (Je sais que la page projetée sur l’écran derrière moi n’est pas lisible, mais elle devrait - 57 -

toutefois permettre à la Cour de retrouver plus facilement le document dans le dossier de

plaidoirie.)

102. Quatre zones de désengagement sont représentées sur cette carte. La seule qui concerne

les forces ougandaises est la zone n o 1; les trois autres concernent les forces rwandaises présentes

au Congo. Cela étant, la zone 1 ne concerne pas que l’Ouganda, mais également le MLC. Cette

zone1 correspond globalement à la région qui, sur la carte de la RDC, est présentée par cette

dernière comme occupée par les troupes ougandai ses. Cependant, les données figurant sur cette

carte sont en contradiction avec celles de la carte et du texte du plan de désengagement de Harare,

lesquelles attestent la présence de troupes ougandaises et du MLC dans cette zone. La différence

est de taille. Je me permets plus particulièrement de vous renvoyer aux pages 3 et 4 du plan de

désengagement, pages auxquelles il est indiqué que la zone en question intéresse l’Ouganda et le

MLC. La nuance est vraiment de taille, puisque M. Bemba et le MLC disposaient, à cette époque,

de quarante mille hommes, contrôlant largement la province natale de celui-là, l’Equateur, laquelle

s’étend, au nord, jusqu’à la frontière avec la République centrafricaine et, à l’ouest, jusqu’à la

frontière avec le Congo (Brazzaville). En outre, il est important de se rappeler que lorsque ce plan

de désengagement a été adopté, au moment où cette carte a été tracée, 70 % des soldats ougandais

avaient déjà été rapatriés; seuls troismilleétaient restés en RDC. Comme je l’ai déjà indiqué, la

plupart d’entre eux étaient stationnés aux abords immédiats de la frontière. Seuls quelques petits

contingents étaient restés dans le nord pour assurer la sécurité de terrains d’aviation stratégiques.

Le reste de la zone était aux mains du MLC. Aussi, la zone représentée sur la carte de la RDC en

début de semaine aux fins de la présente procé dure orale n’est autre que cette portion du territoire

qui, à la suite de l’accord de Lusaka et conformément au plan de désengagement de Harare, était

administrée par le MLC, lequel est de toutes façons, comme je l’ai démontré, une puissance

régionale.

103. La carte présentée par la RDC illustre m on propos concernant les passions en temps de

guerre et le fait que la vérité est toujours la première des victimes . Les représentants de la RDC

seraient certainement en droit de rétorquer que toute présence militaire ougandaise en RDC

en 2000 était illicite. Le cas échéant, nous exprim erions bien entendu notre désaccord. Un débat

vif et, je l’espère, instructif s’en suivrait alors. Mais déformer la réalité, notamment à l’aide de
57 - 58 -

représentations graphiques, de manière aussi préj udiciable à la partie adverse conduit à occulter

tout débat véritable et n’aide en rien à la recherche de la vérité. Les autorités actuelles de mon pays

seraient légitimées à qualifier une tactique aussi agressive d’opération «choc et effroi».

La demande du Secrétaire général à l’Ouganda de maintenir ses troupes en RDC

104. Très peu de temps après l’adoption du plan de désengagement de Harare, le président

Museveni décida de retirer l’ ensemble des forces ougandaises du Congo. L’ensemble des

trois mille soldats présents. C’est ainsi qu’il y a quatre ans, en avril 2001, il a fait une déclaration

publique en ce sens, laquelle allait au-delà des exigences du plan de Harare adopté quatremois

auparavant. Le Secrétaire général lui adressa aussitôt une lettre, l’implorant de maintenir ses

troupes en RDC et de ne procéder à leur retra it qu’en respectant les dispositions de l’accord de

Lusaka. Cette lettre du Secrétaire général, dat ée du 4 mai 2001, figure sous l’onglet 13 du dossier

de plaidoiries. Considérant qu’il n’avait pas d’ autre choix, le président Museveni se plia, à

contrecŒur, à la demande du Secrétaire général.

L’accord de Luanda

105. Le retrait final de l’Ouga nda de la RDC est intervenu à la suite de la signature d’un

autre accord fondamental, celui de Luanda, du 6 septembre 2002. Il s’agit d’un accord bilatéral

entre l’Ouganda et la RDC. Copie en est jointe au dossier de plaidoiries, sous l’onglet 8. Signé par

les présidents de l’Ouganda et de la RDC, l’accord reconnaissait lui aussi le caractère sérieux et

continu des menaces à la sécurité de l’Ou ganda liées aux attaques des groupes rebelles

anti-ougandais agissant depuis l’est du Congo, ce qui explique que la RDC ait accepté le maintien

des forces ougandaises sur son territoire, jusqu’à la mise en place d’un nouveau mécanisme

«garantissant la sécurité de l’Ouganda».

106. De son côté, l’Ouganda acceptait de retirer de la RDC toutes ses troupes, à l’exception

de celles expressément autorisées à rester «dans les montagnes du Ruwenzori». Conformément

aux termes de l’accord, l’Ouganda retira immédi atement l’ensemble de ses forces stationnées à

Gbadolite et à Beni. Les deux Etats conviennent que les forces ougandaises présentes en Ituri y

resteraient temporairement, jusqu’à ce que d’autres mesures soient prises pour garantir la paix et la

sécurité dans la région, afin d’éviter que le dépa rt définitif des troupes ougandaises ne crée un vide

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en matière de sécurité. Bien que les délais prévus pour le retrait aient été prorogés d’un commun

accord, les forces ougandaises présentes en Ituri ont quitté les lieux, comme cela avait été convenu,

à la fin du mois de mai 2002. Ainsi que cela a été démontré, les derniers soldats ougandais se sont

retirés de RDC le 2 juin 2002. Aucun n’y est depuis retourné.

Résumé et conclusion

107. Monsieur le président, Madame et Messie urs les juges, ainsi s’achève la troisième et

dernière partie de ma présentation consacrée a ux éléments de preuve relatifs à la thèse ougandaise

de la légitime défense. Monsieur le président , je vous serais infiniment reconnaissant de bien

vouloir m’accorder deux ou trois minutes supplémentaires pour conclure.

Le PRESIDENT : Je vous en prie, continuez.

M. REICHLER : En guise de conclusion, et par la même occasion de résumé, permettez-moi

de brosser ce que je crois être, sur la base des éléments de preuve que je viens d’examiner, un

tableau juste et équilibré des événements tels qu’ ils se sont déroulés en août et septembre1998,

lorsqu’a éclaté le conflit armé qui a conduit la RDC et l’Ouganda à la Haye. Ainsi que j’en ai fait

la promesse ce matin, au début de mon interventi on, il n’y aura, dans ce tableau, ni anges ni

démons. Il ne saurait pour autant ne comporter aucune victime —l’Ouganda et la RDC sont des

victimes. Des victimes, mais non des victimes innocentes : les torts sont partagés.

108. Au centre du tableau se dresse le président de la RDC, Laurent Kabila. Afin d’assurer

sa survie politique, il lui fallait briser les liens qui l’unissaient au Rwanda et aux Tutsis congolais,

chasser hors de son pays l’armée rwandaise, y co mpris l’ensemble de ses hauts responsables. Les

passions nationalistes se concrétisèrent alors par des attaques contre les Tutsis et d’autres

populations soupçonnées être d’origine rwandaise. Pour des rais ons évidentes, ces mesures ne

furent pas bien accueillies par le Rwanda et l es Tutsis congolais, qui se sentirent trahis par

l’homme qu’ils estimaient avoir eux-même porté au pouvoir. Il en résulta une rébellion des forces

tutsi congolaises soutenue par le Rwanda à l’est du Congo ainsi qu’une i nvasion générale par le

Rwanda visant à chasser le président Kabila du pouvoir. - 60 -

109. A cette époque, le président Kabila a dés espérément besoin d’alliés pour survivre. Les

forces alliées de l’Angola et du Zimbabwe arrivent dans l’ouest du Congo juste à temps pour

stopper, à proximité de la capitale, l’avancée du Rwanda. En quête de soutien militaire, le

président Kabila se tourne également vers le Souda n. Il ne sert à rien de critiquer aujourd’hui ses

choix, et encore moins de porter un jugement mo ral sur ses motivations. Le fait est qu’il se trouve
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dans une situation désespérée et a besoin de tout le soutien possible pour éviter d’être renversé par

le Rwanda. Le problème est que le soutien m ilitaire du Soudan a un coût élevé: la RDC doit en

contrepartie l’autoriser à renforcer son soutie n aux rebelles anti-ougandais à l’intérieur du Congo;

l’autoriser à armer, former et envoyer au Congo plus de septmillenouveaux rebelles ougandais;

l’autoriser à déployer ses propres forces, avec celles du Tchad, au nord et à l’est du Congo,

notamment à proximité des aérodromes stratégiques, afin de faciliter l’approvi
sionnement des

rebelles ougandais ainsi que l’arrivée de renforts et de mener des attaques aériennes contre

l’Ouganda, comme le Soudan l’avait fait par le passé. Tel est le prix du soutien du Soudan et, bien

qu’à contrecŒur, le président Kabila l’accepta.

110. Au centre du tableau se dresse également le président de l’Ouganda , Yoweri Museveni.

Depuis douze années, celui-ci subit alors les attaques incessantes de rebelles basés au Congo. Face

à une population, de plus en plus alarmée et i nquiète dans l’ouest du pays, il doit répondre de ses

difficultés à assurer la sécurité. C’est alors que se produit l’attaque du collège technique de

Kishwamba, dont nombre d’élèves sont brûlés vifs. Puis d’autres attaques, de plus grande ampleur,

mieux coordonnées, plus meurtrières et destructri ces encore. A cela s’ajoute la rébellion contre le

président Kabila, l’intervention du Rwanda, et le désordre absolu dans lequel sombre l’est du

Congo. Au cours du mois d’août, le président Museveni, d’une part, re nforce et repositionne les

forces ougandaises dans les zones frontalières de la RDC, tout en les maintenant à proximité de la

frontière et, d’autre part, participe à un grand nombre de sommets dans l’espoir de permettre la

signature d’un cessez-le-feu et la négociation d’un règlement politique susceptible d’assurer la

stabilité de la RDC et de rendre les frontières de ce pays plus sûres pour ses voisins. Ses appels

demeureront malheureusement sans écho. Plutôt que de promouvoir la paix, les autres chefs d’Etat

choisissent d’envoyer leurs troupes en RDC. - 61 -

111. C’est alors que l’Ouganda perçoit brusque ment sa situation en matière de sécurité de

manière radicalement différente. Le Soudan est en tré en guerre, avec le Tchad, de la manière et

pour les raisons que j’ai précédemment évoquées. Le document du 11 septembre 1998, dans lequel

est consignée la décision de l’Ouganda, montre que c’est à cause du Soudan et de ses attaques

passées — tant directes qu’opérées par le biais de rebelles basés au C ongo ou au Soudan que

l’Ouganda se sent obligé d’attaquer. Tout comme le président Kabila, le président Museveni est

persuadé que son Etat est menacé, et que la défe nse de ses intérêts vitaux en matière de sécurité

commande de prendre des mesures extraordinaires de légitime défense. Le président Kabila a dû

s’adresser à des tiers pour protéger ses intérêts en matière de sécurité. L’Ouganda ne peut, quant à

lui, compter que sur ses seuls moyens militaires.

60 112. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, j’espère que vous me

pardonnerez pour cette longue présentation, mais il m’incombait d’examiner les éléments de

preuve pertinents concernant la thèse de la légiti me défense, et ceux-ci étaient nombreux. Je vous

remercie très sincèrement de m’avoir fait l’hon neur de pouvoir me présenter devant vous et de

m’avoir accordé votre attention tout au long de cet exposé. Je vous souhaite un agréable week-end,

et me présenterai à nouveau devant vous la semain e prochaine, pour moins longtemps cette fois, je

vous en donne ma parole. Merci et bonne fin de journée.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Reichler. Voici qui conclut l’audience de ce matin. Les

audiences reprendront lundi 18 avril à 10heures, pour entendre la suite des exposés oraux de

l’Ouganda. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 h 10.

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