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090-20030224-ORA-01-01-BI
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CR 2003/10 (traduction)
CR 2003/10 (translation)
lundi 24 février 2003 à 15 heures
Monday 24 February 2003 at 3 p.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez prendre place. Je donne la parole à Monsieur Bettauer.
M. BETTAUER :
7. DECLARATION LIMINAIRE DU CO-AGENT DES ETATS-UNIS
7.1. Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et Messieurs
de la Cour, c’est pour moi un honneur de me présenter devant vous en qualité de co-agent des
Etats-Unis. M. Taft a malheureusement été rappelé à Washington, mais espère pouvoir se trouver à
nouveau parmi nous mercredi.
7.2. Vendredi, les Etats-Unis se sont penchés sur certains aspects des événements qui se sont
déroulés avant le 19 octobre 1987. Ces événements ont rendu nécessaire la première intervention
militaire des Etats-Unis en cause. Afin de mieux situer mon exposé dans son contexte, je vais
brièvement décrire ces événements; je vous présenterai ensuite une carte routière qui aidera à
mieux comprendre mes propos.
7.3. Comme M. Beaver l’a démontré, il est incontestable ¾ et il n’y a là véritablement
aucune matière à controverse pour des personnes raisonnables ¾ qu’entre 1984 et 1988 l’Iran a
mené une vague d’agressions systématiques et dévastatrices contre des navires des Etats-Unis et
d’autres pays neutres dans le Golfe. Celui-ci a été le théâtre de plus de deux cents attaques
iraniennes contre des navires neutres battant pavillon d’au moins trente et un pays. La
responsabilité de l’Iran à cet égard a été établie par les services d’information les plus fiables en
matière de transport maritime international.
7.4. M. Mathias s’est concentré sur l’utilisation par l’Iran de mines contre des navires
américains et d’autres navires neutres. Il a passé en revue les preuves concluantes des attaques
perpétrées par l’Iran au moyen de mines, et montré que l’utilisation de tels engins par l’Iran
s’étendait bien au-delà du chenal de Khor Abdullah, unique endroit que l’Iran reconnaît avoir miné.
Les forces navales britanniques, néerlandaises, françaises, koweïtiennes et américaines ont toutes
abouti à la conclusion sans appel que l’Iran était responsable des attaques contre les navires des
Etats-Unis et d’autres pays neutres. M. Mathias a examiné la preuve fournie par les forces navales
américaines, lesquelles ont pris sur le fait le mouilleur de mines Iran Ajr alors qu’il accomplissait
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une telle mission dans les eaux internationales au large des côtes de Bahreïn. Les caractéristiques
particulières des mines iraniennes ont permis de les distinguer nettement des mines soviétiques,
largement répandues, et des mines employées par l’Iraq. Comme l’a indiqué M. Mathias, l’Iran a
laissé sa carte de visite ¾ encore d’autres mines si particulières ¾ à l’endroit ou à proximité
d’attaques similaires contre le Maréchal Tchouïkov, le Bridgeton, le Texaco Caribbean et l’Anita.
7.5. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, nous avons aussi démontré
qu’il ne saurait y avoir aucun doute quant à la responsabilité de l’Iran dans les attaques au missile
contre les pétroliers Sungari et Sea Isle City. M. Neubauer et M. Moore ont passé en revue les
preuves de manière détaillée. L’Iran a lancé de nombreux missiles à partir de la zone de Fao en
direction du terminal pétrolier d’Al-Ahmadi, au Koweït. L’un d’entre eux a touché le Sungari le
15 octobre 1987, un second le Sea Isle City le jour suivant. Des militaires koweïtiens ont suivi la
trajectoire des missiles depuis la zone de Fao vers le terminal d’Al-Ahmadi. Nous avons également
expliqué pourquoi l’Iraq ne pouvait pas être l’auteur de ces attaques.
7.6. Nous avons établi que les missiles en question étaient des missiles HY-2 à lanceur
terrestre. Nous avons examiné les preuves physiques. Nous avons démontré que, en raison des
limites du système de guidage des missiles HY-2, il est impossible que ceux-ci aient pu être tirés
depuis le territoire sous contrôle iraquien dans la zone de Fao. En outre, un missile HY-2 a
parcouru environ 100 km de la zone de Fao jusqu’au sud de Mina Abdullah, prouvant ainsi de fait
sa portée.
7.7. Enfin, nous avons montré des photographies satellite prises à l’époque par les
Etats-Unis, qui prouvent que l’Iran avait déployé des missiles HY-2 et des installations connexes
dans la zone qu’il contrôlait à l’intérieur de la péninsule de Fao et aux environs de celle-ci. Les
photographies montrent que l’Iran contrôlait au moins quatre sites de lancement de missiles HY-2
dans la zone de Fao. C’est justement l’endroit d’où provenaient les missiles qui ont touché le
Sungari et le Sea Isle City. Les photographies montrent aussi que l’Iraq ne possédait pas de sites
de lancement de missiles dans la zone de Fao.
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7.8. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est ainsi que les choses se
sont passées. Comme M. Taft l’a indiqué vendredi, la conduite de l’Iran a été, avant le
19 octobre 1987, à tous égards, consternante. Les Etats-Unis n’ont cependant pas eu recours à la
force sans avoir tenté, par des moyens pacifiques, de convaincre l’Iran de modifier sa conduite.
7.9. Aujourd’hui, M. Mattler présentera les efforts diplomatiques répétés des Etats Unis ¾ et
de la communauté internationale ¾ en vue de mettre fin aux attaques iraniennes, lesquelles
constituaient une menace pour les intérêts essentiels des Etats-Unis et de nombreuses autres
nations. Lorsque ces efforts ont échoué, les Etats-Unis se sont vus contraints de faire usage de la
force. Pourtant, même l’intervention militaire du 19 octobre 1987 n’a pas convaincu l’Iran de
mettre un terme à ses attaques. M. Mattler passera en revue les preuves qui montrent que l’Iran a
continué ses attaques et était responsable du mouillage de la mine heurtée par
l’USS Samuel B. Roberts le 14 avril 1988.
7.10. Les attaques de l’Iran eurent des répercussions importantes sur la communauté
internationale du transport maritime. A la suite de M. Mattler, M. Beaver en fera l’exposé à la
Cour. M. Beaver passera en revue les mesures extraordinaires prises par les compagnies de
transport maritime ¾ consistant à faire passer leurs navires aussi loin que possible au large de
Rostam, Sirri et Sassan ¾ afin d’éviter les dangers constitués par les plates-formes pétrolières
iraniennes, sachant que ces dernières étaient utilisées par l’Iran dans ses attaques contre les navires.
7.11. Monsieur le président, le 19 octobre 1987, face à la poursuite des attaques iraniennes
contre les navires des Etats-Unis, il devint nécessaire de prendre des mesures militaires afin de
protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité dans le Golfe. Après l’exposé
de M. Beaver, je montrerai que les plates-formes pétrolières iraniennes ont joué un rôle capital dans
la campagne militaire contre la navigation neutre dans le Golfe. Je décrirai ensuite plus en détail
les facteurs pris en considération par les Etats-Unis lorsque ces derniers ont décidé de lancer des
opérations militaires contre les plates-formes de Rostam, Sassan et Sirri, dans un but dissuasif et
afin de saper la capacité iranienne d’attaquer les navires des Etats-Unis et d’autres pays neutres
dans le Golfe.
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7.12. Les faits que nous avons passés en revue vendredi et que nous réexaminerons
aujourd’hui ont d’importantes conséquences juridiques. Concluant nos plaidoiries de ce jour,
M. Matheson mettra en lumière ces conséquences, en guise de préalable à l’exposé de
l’argumentation juridique des Etats-Unis qui vous sera exposée mardi et mercredi matin.
7.13. Monsieur le président, voilà qui conclut mes remarques liminaires. Je vous remercie
de votre attention et vous prie maintenant de bien vouloir appeler à la barre M. Mattler.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bettauer. Je donne donc à présent la parole à
M. Mattler.
M. MATTLER :
8. LE REJET PAR L’IRAN DES INITIATIVES DIPLOMATIQUES DES ETATS-UNIS VISANT A
METTRE FIN A LA MENACE POSEE PAR SES ATTAQUES CONTRE LA NAVIGATION
8.1. Je vous remercie, Monsieur le président. C’est pour moi un grand honneur et un
immense privilège de plaider devant la Cour et de représenter les Etats-Unis d’Amérique.
8.2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme mes collègues l’ont
démontré vendredi, l’Iran mena à partir de 1984 une campagne d’attaques acharnées contre les
navires des Etats-Unis et d’autres navires neutres traversant le Golfe. A la fin de 1986 et au début
de 1987, les attaques de l’Iran s’étant intensifiées et ayant causé de plus en plus de pertes
humaines, les Etats-Unis, par une série d’initiatives diplomatiques et d’autres moyens pacifiques,
entreprirent de faire comprendre à l’Iran que ses attaques portaient atteinte aux intérêts vitaux des
Etats-Unis et de le persuader d’y mettre fin. Les Etats-Unis étaient loin d’être les seuls à avoir pris
de telles initiatives. A la lecture du dossier, pas moins de trente-cinq pays, en sus du Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies, de la Ligue des Etats arabes et du Conseil de
coopération du Golfe, prirent des initiatives similaires à la suite des attaques de l’Iran (voir
contre-mémoire et demande reconventionnelle des Etats-Unis, par. 1.11, et les annexes qui y sont
citées, notamment l’annexe 40 ; toutes les annexes numérotées auxquelles il est fait référence sont,
sauf indication contraire, celles du contre-mémoire, de la demande reconventionnelle et de la
duplique).
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8.3. Malheureusement, ces initiatives des Etats-Unis et d’autres membres de la communauté
internationale n’incitèrent pas l’Iran à réduire la fréquence de ses attaques contre les navires des
Etats-Unis et les autres navires neutres. Au contraire, chaque ouverture diplomatique entreprise
auprès de l’Iran se solda par de nouvelles attaques et des déclarations publiques de hauts
responsables iraniens menaçant d’en lancer d’autres encore. Au cours de mon exposé, je décrirai
brièvement quelle fut cette série d’initiatives diplomatiques des Etats-Unis visant à mettre fin à la
menace posée par les attaques de l’Iran et comment l’Iran les rejeta systématiquement. Par
commodité, vous trouverez sous l’onglet no
A1 de votre dossier une chronologie des événements
que je vais examiner.
Milieu de l’année 1984 : début des attaques de l’Iran; le Conseil de sécurité de l’Organisation
des Nations Unies les condamne
8.4. Les Etats-Unis faisaient partie des nombreux pays qui, dans le monde entier, étaient
préoccupés par les attaques de l’Iran contre les navires neutres traversant le Golfe. L’Iran lança ses
premières attaques contre des navires neutres en mai 1984, en s’en prenant à trois
pétroliers ¾ deux koweïtiens et un saoudien ¾ en l’espace de deux jours. A la suite de ces
attaques, les Gouvernements de Bahreïn, du Koweït, d’Oman, de Qatar, d’Arabie saoudite et des
Emirats arabes unis demandèrent que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies se
réunisse d’urgence. Comme l’indique le document maintenant projeté à l’écran, ces
gouvernements demandèrent au Conseil d’«examiner les actes d’agression commis par l’Iran
contre la liberté de navigation à destination et en provenance des ports de [leurs] pays» et
déclarèrent que «[c]es actes d’agression constitu[ai]ent une menace à la stabilité et à la sécurité de
la zone et [avaient] de graves implications pour la paix et la sécurité internationales» (annexe 189).
8.5. Le Conseil de sécurité réagit en adoptant la résolution 552 (annexe 27), dans laquelle il
condamnait ces attaques iraniennes. Il exigeait que ces attaques cessent sur-le-champ et qu’il ne
soit plus porté atteinte aux navires à destination et en provenance d’Etats ne prenant pas part aux
hostilités entre l’Iran et l’Iraq. Le Conseil affirma également que ces attaques constituaient une
menace pour la stabilité de la région et étaient lourdes de conséquences pour la paix et la sécurité
internationales.
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8.6. Les procès-verbaux des débats qui précédèrent l’adoption de la résolution 552 montrent
à quel point les attaques de l’Iran, et leurs conséquences sur les intérêts importants de nombreux
Etats, préoccupaient la communauté internationale. Le représentant permanent de la Jordanie pria
le Conseil de condamner les attaques qui, selon lui, étaient illégales et illégitimes, représentaient
«une menace pour la souveraineté, l’indépendance et le bien-être des Etats de la région et
mett[ai]ent en danger la paix et la sécurité régionales et internationales» (annexe 193).
8.7. Le représentant de la Ligue arabe déclara devant le Conseil que
«des pétroliers naviguant sur les voies d’eau internationales du Golfe ont fait l’objet
d’agressions par les forces aériennes iraniennes et celles-ci ont attaqué des bâtiments
appartenant à deux Etats arabes riverains du Golfe… Ainsi, les actes dont [l’Iran]
s’est rendu coupable constituent une agression contre la souveraineté, la sécurité et
l’intégrité des eaux territoriales de l’Arabie saoudite et du Koweït, une atteinte au droit
fondé sur les relations de bon voisinage et une violation de la Charte et de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer.» (Annexe 181.)
8.8. Le représentant du Maroc souligna en particulier devant le Conseil les conséquences des
attaques de l’Iran sur les pays en voie de développement :
«l’action agressive iranienne, qui, de l’avis même des autorités iraniennes, doit se
poursuivre, vise à perturber la navigation dans les eaux internationales du Golfe, à
paralyser le trafic commercial et autre dans la région et à créer sciemment des
difficultés nouvelles à l’économie mondiale, difficultés dont pâtiront non seulement
quantité de pays développés mais aussi des pays du tiers monde assaillis par de
nombreux problèmes économiques et, surtout, éprouvés jusqu’à l’extrême par le poids
de la facture énergétique» (annexe 202).
1985-1987 : intensification des attaques de l’Iran; la communauté internationale accroît ses
efforts pour persuader l’Iran d’y mettre un terme
8.9. Pourtant, comme la Cour l’a vu vendredi, la réaction de l’Iran devant l’appel lancé par le
Conseil de sécurité ne fut pas de mettre un terme à ses attaques. Au contraire, il les poursuivit et
les intensifia au cours des deux années suivantes : ainsi que l’a fait remarquer vendredi M. Beaver,
l’Iran attaqua en 1986 quarante-deux navires, plus que pendant les années 1984 et 1985 réunies.
8.10. Cette recrudescence des attaques de l’Iran eut pour effet d’inquiéter davantage encore
la communauté internationale et suscita de nouvelles protestations. En septembre 1986, les
Etats-Unis s’associèrent à un groupe d’une vingtaine de pays pour rédiger une note conjointe
adressée à l’Iran et le priant instamment de mettre fin à ses attaques. Le texte de cette note est
reproduit sous l’onglet no
A6 de votre dossier. Les pays auteurs de cette note indiquaient dans
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celle-ci qu’il était pour eux inacceptable que des navires marchands fissent toujours l’objet
d’agressions armées, et que ces attaques portaient atteinte à la liberté du commerce international,
sans considération aucune pour la sécurité et l’intégrité physique des membres d’équipage. Ces
pays priaient instamment l’Iran de prendre des mesures pour éviter d’autres attaques et veiller à ce
que le Golfe ¾ cette voie vitale de communication et d’échanges ¾ reste ouvert à la navigation.
Une note identique, rédigée par les mêmes pays, y compris les Etats-Unis, fut adressée à l’Iraq
(annexe 40).
8.11. Mais, une nouvelle fois, l’Iran poursuivit son offensive contre la navigation : dans les
quatre mois qui suivirent cette note conjointe, il attaqua pas moins de neuf navires neutres, dont un
pétrolier panaméen ¾ attaque au cours de laquelle dix marins trouvèrent la mort (annexe 9).
8.12. Les pertes ¾ tant humaines qu’économiques ¾ causées par les attaques de l’Iran étant
de plus en plus lourdes, de nombreux pays du monde entier commencèrent en 1987 à prendre de
nouvelles mesures pour mettre fin à la menace représentée par ces attaques. Comme l’a expliqué
vendredi M. Beaver, l’une de ces mesures consista pour l’Union soviétique, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis à faire passer sous leur pavillon des pétroliers koweïtiens, ou à faire affréter des
pétroliers battant leur pavillon par la Kuwait Oil Tanker Company. De nombreux pays décidèrent
en outre de dépêcher des dragueurs de mines et d’autres navires militaires dans le Golfe.
Mai 1987 : l’Iran commence à saper les mesures prises pour la protection des navires et les
Etats-Unis engagent des démarches diplomatiques directes auprès de l’Iran
8.13. Comment l’Iran réagit-il à ces mesures ? Monsieur le président, Madame et Messieurs
de la Cour, sa réaction fut d’attaquer les navires qui les mettaient en œuvre. Comme M. Mathias
l’a expliqué vendredi, le Maréchal Tchouikov, le premier pétrolier sous pavillon soviétique affrété
pour transporter du pétrole koweïtien, fut attaqué par l’Iran en mai 1987 au cours de sa première
mission de ce type. L’Iran menaça également de continuer à s’en prendre à ces mesures de
protection : deux semaines après l’attaque du Maréchal Tchouikov, voici ce que l’ambassadeur de
l’Iran auprès de l’Organisation des Nations Unies déclarait à la télévision américaine : «[s]i mon
pays a l’intention d’attaquer un pétrolier koweïtien, il persistera dans cette politique quelque
pavillon que batte celui-ci» (annexe 41).
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8.14. A cette époque, en mai 1987, l’Iran n’avait pas encore attaqué de navire américain.
Les Etats-Unis n’en étaient pas moins extrêmement préoccupés par les attaques de l’Iran et par la
menace représentée par celle-ci pour la liberté de navigation dans le Golfe, la sécurité des navires
et de leur équipage, et la continuité de l’approvisionnement de l’économie mondiale en pétrole du
Golfe. Aussi les Etats-Unis entreprirent-ils des démarches diplomatiques auprès de l’Iran, même
s’ils n’entretenaient pas avec lui de relations diplomatiques, afin de lui faire directement part de
leurs préoccupations et de le persuader de mettre fin à ses attaques.
8.15. Le 23 mai 1987, les Etats-Unis adressèrent un message à l’Iran par l’intermédiaire du
Gouvernement suisse, qui représentait les intérêts des Etats-Unis auprès de pays. Le texte de ce
message est reproduit sous l’onglet no
A9 de votre dossier. Dans ce message, les Etats-Unis
indiquaient clairement et de manière détaillée quels étaient leurs intérêts menacés par les attaques
de l’Iran et soulignaient qu’ils souhaitaient éviter une confrontation militaire avec celui-ci. Ils
rappelaient à l’Iran leur attachement de longue date au principe de la libre navigation et de la libre
circulation du pétrole par le détroit d’Ormuz. Ils soulignaient qu’ils avaient observé une stricte
neutralité vis-à-vis de l’Iran et de l’Iraq pendant la guerre. Ils donnaient à l’Iran l’assurance que
leurs navires ne transportaient pas d’armes destinées à l’Iraq. Ils se déclaraient préoccupés par les
attaques récentes de l’Iran contre la navigation dans le Golfe et les mesures qu’il avait prises pour
déployer des missiles antinavires, notamment des missiles HY-2 (ou Silkworm), ainsi que par les
déclarations de responsables iraniens, qui menaçaient de porter atteinte à la liberté de navigation
dans le Golfe. Ils priaient instamment les autorités iraniennes de ne pas prendre de mesures contre
les navires des Etats-Unis et assuraient l’Iran que les Etats-Unis souhaitaient également agir avec
prudence et vigilance (annexe 39). En adressant à l’Iran ce message, les Etats-Unis voulaient
l’avertir que ses attaques représentaient une grave menace pour leurs intérêts.
8.16. Comment l’Iran réagit-il à cette démarche diplomatique ? En lançant d’autres attaques
contre la navigation neutre. Dans les deux mois qui suivirent l’envoi de cette note diplomatique
des Etats-Unis, l’Iran ne lança pas moins de sept attaques contre des navires neutres dans le Golfe,
prenant pour cibles des navires immatriculés en France, au Koweït, au Libéria, en Norvège et en
Espagne (annexe 9). Ces attaques montrent bien que l’Iran représentait toujours une menace pour
la navigation neutre dans le Golfe.
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Juillet 1987 : les Etats-Unis engagent des opérations de réimmatriculation et de convoyage;
l’Iran lance une campagne d’attaques contre les navires américains
8.17. Face à la poursuite de ces attaques, les Etats-Unis entreprirent de finaliser leur projet de
réimmatriculation et de convoyage militaire des pétroliers koweïtiens naviguant dans le Golfe. A
la veille du premier voyage d’un pétrolier passé sous pavillon américain dans le Golfe, les
Etats-Unis adressèrent une nouvelle note diplomatique à l’Iran. Celle-ci figure dans le dossier
d’audience, à l’onglet no
A10. Les Etats-Unis informaient l’Iran des opérations de
réimmatriculation et de convoyage qu’ils prévoyaient dans le Golfe. Ils précisaient que les navires
réimmatriculés, tout comme les autres navires américains, transporteraient des cargaisons ne
contenant aucune marchandise de contrebande entre des ports neutres, et se soumettraient
scrupuleusement aux règles du droit international. Ils assuraient l’Iran que les navires de guerre et
de commerce américains évoluant dans le détroit d’Ormuz et le golfe Persique ne constituaient pas
une menace : ils ne se livreraient à aucune provocation et éviteraient toute confrontation avec les
forces navales iraniennes. Ils se déclaraient également inquiets à la perspective d’actes susceptibles
de mettre en péril des navires de guerre ou de commerce américains, et ajoutaient qu’ils prendraient
toutes les mesures requises pour protéger et défendre leurs navires contre des attaques (annexe 42).
8.18. Et comment l’Iran réagit-il à cette initiative diplomatique ? Il réagit non seulement en
multipliant les opérations contre des navires neutres en général, mais en engageant de surcroît une
campagne d’attaques visant spécifiquement les navires des Etats-Unis.
8.19. Le 24 juillet 1987, six jours après l’envoi par les Etats-Unis de cette note, le Bridgeton,
navire battant pavillon américain, heurtait une mine iranienne dans les eaux internationales près de
l’île iranienne de Farsi. En route pour le Koweït, le Bridgeton faisait partie du premier convoi de
navires battant pavillon des Etats-Unis et transitant dans le Golfe sous escorte militaire. Ainsi, de
même qu’il s’en était pris à la première opération soviétique destinée à protéger les navires neutres
dans le Golfe en attaquant le Maréchal Tchouikov, l’Iran s’en prit à la première opération analogue
entreprise par les Etats-Unis en attaquant le Bridgeton. Ce faisant, il opposait une nouvelle fin de
non-recevoir aux efforts consentis par les Etats-Unis en vue de trouver une solution pacifique à la
menace croissante pesant sur le trafic maritime dans le Golfe.
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8.20. Après l’attaque lancée par l’Iran contre le Bridgeton, de hauts responsables iraniens
formulèrent des déclarations publiques en menaçant de lancer de nouvelles opérations de cette
nature. Ali Akbar Hashemi-Rafsanjani, qui présidait alors le parlement iranien, agita la menace de
«représailles» contre les efforts déployés par les Etats-Unis en vue de protéger la navigation, et
posa la question rhétorique suivante : «[Puisque] rien ne saurait … empêcher [l’Iran] d’exercer des
représailles … pourquoi les Etats-Unis prennent-ils la peine de se lancer dans une opération aussi
coûteuse ?» (Annexe 50.) Quant au président iranien Ali Khameini, il recommanda aux Etats-Unis
de retirer leurs forces de ce qu’il appelait les «tourbillons dangereux» du Golfe, avant de proférer à
leur encontre une menace directe : «Ils feraient mieux de quitter la région car, dans le cas contraire,
nous leur porterons un coup si dur qu’ils regretteront leur action.» (Annexe 51.)
8.21. Et, de fait, l’Iran continua de s’en prendre à des navires neutres, notamment
américains. Dix jours après la déclaration du président Khameini, le Texaco Caribbean, pétrolier
affrété par les Etats-Unis, heurtait une mine iranienne au mouillage de Khor Fakkan, non loin du
détroit d’Ormuz. Cinq jours plus tard, l’Anita, navire de servitude battant pavillon des Emirats
arabes unis, coulait après avoir heurté une mine iranienne dans la même région. Comme l’a
expliqué vendredi M. Mathias, la responsabilité de l’Iran dans ces attaques fut mise en évidence
lorsque les forces navales britanniques et françaises découvrirent un champ de mines iraniennes
dans la zone où le Texaco Caribbean et l’Anita avaient été touchés.
8.22. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de dresser un
récapitulatif des événements évoqués. Face au danger croissant que représentaient les attaques de
l’Iran contre le trafic maritime, les Etats-Unis prirent des initiatives diplomatiques, en envoyant
notamment deux notes à l’Iran, pour l’informer de la menace que ces attaques faisaient peser sur
les intérêts américains et le convaincre d’y mettre un terme. Les Etats-Unis cherchèrent aussi à
préserver leurs intérêts en matière de sécurité en prenant des mesures licites, dépourvues de tout
caractère menaçant, en vue de protéger les navires battant leur pavillon contre toute attaque
iranienne. Nombre d’autres pays prirent des mesures similaires. L’Iran réagit en intensifiant ses
attaques contre les navires neutres, ciblant spécifiquement les bâtiments prenant part aux efforts de
protection et en attaquant des navires américains. L’Iran signifiait ainsi à la fois son refus de
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donner suite aux efforts diplomatiques déployés pour le persuader de mettre fin à ses attaques, et sa
détermination à passer outre à toute initiative prise par la communauté internationale en vue de
protéger ses navires contre celles-ci.
Août-septembre 1987 : les Etats-Unis élèvent des protestations contre le mouillage de mines
par l’Iran; l’Iran poursuit ses opérations de minage
8.23. Les Etats-Unis ne réagirent pas par la force à ces nouvelles attaques iraniennes ¾ y
compris la première opération contre des navires américains. Au contraire, ils persistèrent à
chercher, par des moyens diplomatiques, à écarter le danger que représentaient les attaques
iraniennes.
8.24. Dans le mois qui suivit l’attaque à la mine lancée par l’Iran contre le
Texaco Caribbean, les Etats-Unis adressèrent à l’Iran deux notes diplomatiques, l’une en date du
12 août 1987, l’autre en date du 31 août 1987, exprimant leurs inquiétudes face aux opérations de
mouillage de mines. Le texte de la note du 31 août figure à l’onglet no
A13 du dossier d’audience.
Les Etats-Unis déclaraient disposer de nombreuses preuves établissant que l’Iran avait procédé à
des opérations de minage dans certaines parties du Golfe, mettant ainsi en danger les navires
américains. Les Etats-Unis se déclaraient vivement préoccupés par ces incidents, qui constituaient
une violation manifeste et dangereuse du droit international. Ils rappelaient que les navires
américains respectaient une rigoureuse neutralité dans le conflit opposant l’Iran à l’Iraq, qu’ils ne
transportaient aucune cargaison destinée à ce dernier, et qu’ils ne faisaient peser sur l’Iran aucune
menace. Ils exhortaient en outre l’Iran à cesser ses opérations de mouillage de mines, et
soulignaient qu’ils considéreraient toute nouvelle tentative de mettre ainsi en péril la sécurité de
navires américains comme une escalade extrêmement dangereuse en même temps qu’une menace
militaire directe (annexe 56).
8.25. Et comment l’Iran réagit-il à ces initiatives diplomatiques des Etats-Unis ? Il réagit en
intensifiant ses opérations de minage. Le 21 septembre 1987, trois semaines seulement après
l’envoi de la dernière note diplomatique, les forces américaines saisirent le navire de guerre iranien
Iran Ajr, alors qu’il était en train de mouiller des mines dans les eaux internationales au large des
côtes de Bahreïn. Comme l’a expliqué M. Mathias vendredi dernier, l’arraisonnement de l’Iran Ajr
vint encore confirmer le fait déjà bien avéré que l’Iran utilisait des mines pour attaquer des navires
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neutres dans le Golfe. Il apportait en outre une nouvelle illustration du refus iranien de donner
suite aux démarches diplomatiques entreprises par les Etats-Unis en vue d’écarter la menace
représentée par ces attaques.
8.26. Ainsi, le scénario se reproduisait, les Etats-Unis déployant de nouveau des efforts
diplomatiques pour persuader l’Iran de mettre fin à ses attaques, et l’Iran se contentant, pour toute
réponse, de multiplier ses attaques.
Septembre-octobre 1987 : les efforts diplomatiques des Etats-Unis se poursuivent; l’Iran
attaque le Sungari et le Sea Isle City
8.27. Les Etats-Unis n’en persévérèrent pas moins dans leurs efforts diplomatiques. Après
que les forces américaines eurent saisi l’Iran Ajr pour l’empêcher de poursuivre ses opérations de
minage, les Etats-Unis adressèrent une fois encore, le 22 septembre 1987, une note diplomatique au
Gouvernement iranien. Cette note est reproduite sous l’onglet no
A14 de votre dossier d’audience.
Les Etats-Unis se déclaraient préoccupés par le danger immédiat que représentait pour les navires
neutres, notamment américains, le minage par l’Iran Ajr des routes maritimes situées dans les eaux
internationales du Golfe. Ils informaient l’Iran que ces actions mettaient directement en péril les
intérêts des Etats-Unis et la liberté de navigation dans le golfe Persique. Ils faisaient également état
des nombreuses démarches auxquelles avaient déjà procédé les Etats-Unis en vue de signifier à
l’Iran leur inquiétude quant à toute action susceptible d’entraver la liberté de navigation dans le
Golfe. Les Etats-Unis précisaient qu’ils se réservaient le droit de prendre à l’avenir toute mesure
requise contre de telles actions (annexe 76).
8.28. Ainsi, face aux attaques incessantes lancées par l’Iran contre des navires neutres, dont
les leurs, les Etats-Unis cherchèrent une fois de plus à écarter par des moyens diplomatiques la
menace que représentaient ces attaques pour leurs intérêts.
8.29. La réaction de l’Iran ne se fit guère attendre : moins d’un mois après, deux navires
américains, le Sungari et le Sea Isle City, essuyaient des tirs de missiles iraniens. Comme l’ont
expliqué vendredi MM. Neubauer et Moore, la responsabilité de l’Iran dans ces attaques ne faisait
aucun doute, et de nombreux services fiables d’information maritime en firent état.
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8.30. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de récapituler
une nouvelle fois les événements. Dans les cinq mois qui précédèrent ces attaques, les Etats-Unis
adressèrent à l’Iran cinq notes diplomatiques l’informant du préjudice porté à leurs intérêts vitaux
en matière de sécurité par les attaques iraniennes, et exhortant l’Iran à mettre fin à celles-ci. Les
Etats-Unis engagèrent également avec d’autres nations des démarches diplomatiques concertées
ainsi que des opérations militaires défensives conjointes destinées à protéger la navigation contre
de nouvelles attaques iraniennes. La réaction de l’Iran consista à lancer une campagne d’attaques
contre les navires américains, touchant quatre de ces navires en moins de quatre mois, et à agiter la
menace de nouvelles attaques. A la suite des attaques iraniennes contre le Sungari et le
Sea Isle City, les Etats-Unis lancèrent des opérations militaires, nécessaires et proportionnées,
contre certaines plates-formes pétrolières offshore de l’Iran, utilisées par celui-ci pour attaquer des
navires neutres. Ces opérations seront évoquées cet après-midi par M. Bettauer.
8.31. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les faits que je viens de relater
dans mon exposé nous mènent au point où nous nous étions arrêtés vendredi. La Cour verra dans
la suite de mon exposé que les Etats-Unis et d’autres pays allaient encore chercher, par des moyens
pacifiques, à persuader l’Iran de mettre fin à ses attaques contre la navigation neutre.
Malheureusement, comme la Cour pourra le constater, l’Iran continua d’opposer à leurs ouvertures
une fin de non-recevoir.
Octobre 1987-juin 1988 : l’Iran poursuit ses attaques malgré les protestations diplomatiques
8.32. Le 22 octobre 1987, moins d’une semaine après que le Sungari et le Sea Isle City
eurent été touchés par des missiles iraniens, l’Iran lança une attaque similaire, à partir d’un site
qu’il contrôlait dans la région de Fao, cette fois contre le terminal koweïtien de Sea Island à
Al-Ahmadi (voir annexe 82). Là encore, de nombreux gouvernements réagirent par des
protestations. Le président égyptien publia ainsi une déclaration dans laquelle il condamnait «avec
la plus grande vigueur» l’«agression iranienne contre le Koweït» et insistait sur le fait que les
actions de l’Iran constituaient une grave menace, faisant observer que
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«[c]ette agression met plus que jamais la nation arabe dans l’obligation de réagir
collectivement et avec vigueur contre une politique qui vise à poursuivre et à
intensifier la guerre et à l’étendre hors des frontières nationales et régionales. Cette
escalade revêt une telle gravité qu’il n’est plus possible de la passer sous silence. Ses
répercutions sont en effet extrêmement graves pour la sécurité nationale arabe, voire
pour l’existence et l’avenir de la nation arabe.» (Annexe 191.)
Le conseil des ministres du Conseil de coopération du Golfe condamna en des termes voisins cette
attaque de l’Iran ainsi que sa pratique plus générale d’attaques visant le transport maritime neutre.
8.33. A la même époque, le président Reagan fit publiquement savoir que les Etats-Unis
étaient de plus en plus préoccupés par les attaques de l’Iran contre le transport maritime neutre. Le
26 octobre 1987, en annonçant la décision de son gouvernement d’imposer un embargo sur
l’importation aux Etats-Unis de certains produits d’origine iranienne, notamment le pétrole, le
président Reagan expliqua que ces mesures étaient
«directement motivées par les propres actions du Gouvernement iranien, notamment
par ses attaques non provoquées contre les forces et les navires de commerce des
Etats-Unis, par son refus d’exécuter la résolution 598 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, par ses agressions continuelles à l’encontre des nations non
belligérantes du golfe Persique, et par le soutien qu’il apporte au terrorisme dans la
région et ailleurs».
Il ajoutait que «les Etats-Unis [espéraient] que les relations avec l’Iran redeviendraient plus
normales lorsque les hostilités iraniennes et les tensions dans la région iraient en diminuant».
8.34. Malheureusement, les actions belliqueuses de l’Iran contre le transport maritime neutre
ne diminuèrent pas. Selon le service d’information maritime du Lloyd’s, dans les six mois qui
suivirent les attaques contre le Sungari et le Sea Isle City, l’Iran lança pas moins de cinquante-sept
attaques contre des navires neutres dans le Golfe. Parmi ces attaques ¾ plus de deux par semaine
en moyenne pendant ces six mois ¾, trois visèrent des pétroliers de propriété américaine, le Lucy,
l’Esso Freeport et le Diane.
8.35. Les forces iraniennes attaquèrent le Lucy le 15 novembre 1987. Des patrouilleurs
rapides iraniens ouvrirent le feu sur le pétrolier au large d’Al Khasab, dans le nord d’Oman. La
salle des machines à tribord fut endommagée et le Lucy subit en conséquence une perte de
puissance. Le lendemain, des canonnières iraniennes tirèrent des grenades à tube sur
l’Esso Freeport, le touchant en cinq endroits. L’Esso Freeport était parti d’Arabie saoudite chargé
à plein de pétrole brut à destination des Etats-Unis. Plus tard, le 7 février 1988, ce fut au tour du
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Diane d’être attaqué par une frégate iranienne armée de canons et de mitrailleuses, qui causa
d’importants dégâts au navire, endommageant notamment la coque, les ponts, le servo-moteur de
gouvernail, les instruments de navigation, des conduites et les quartiers d’habitation. Lors de
chaque attaque, les bateaux iraniens s’approchèrent suffisamment de leur cible pour que celle-ci fût
en mesure de les identifier, ne laissant aucun doute sur la responsabilité de l’Iran dans ces actes. Le
service d’information maritime du Lloyd’s a imputé chacune de ces attaques à l’Iran (annexe 9).
8.36. Pendant cette période également, la communauté internationale ne cessa de dénoncer
les attaques iraniennes et d’appeler l’Iran à y mettre un terme. Le 22 décembre 1987, le
Gouvernement grec protesta auprès de l’ambassadeur d’Iran à Athènes contre une série d’attaques
perpétrées contre des navires grecs (annexe 199). De même, en février 1988, l’ambassadeur de
Norvège à Téhéran émit des représentations auprès du vice-ministre iranien des affaires étrangères,
Hossein Sheikholeslam, au sujet de plusieurs attaques iraniennes qui avaient visé des navires
norvégiens. L’ambassadeur de Norvège envoya un télégramme à son ministre des affaires
étrangères pour lui communiquer la réponse du vice-ministre iranien des affaires étrangères. Le
texte de ce télégramme, ainsi que sa traduction en anglais, figure sous l’onglet no
A17 du dossier
d’audience. Comme vous allez le voir, la réponse du vice-ministre iranien est éloquente :
«M. Sheikholeslam n’a pas nié que l’Iran soit effectivement responsable des
actions menées contre le Happy Kari, le Berge Big, l’Igloo Espoo et le
Petrobulk Ruler. Il a dit regretter que des navires norvégiens aient été la cible de
telles opérations, ajoutant que l’intention de l’Iran n’était pas de nuire à la navigation
norvégienne. C’est la cargaison qui se trouvait à bord de ces navires qui était visée.
M. Sheikholeslam a insisté sur le fait que l’Iran était décidé à poursuivre les attaques à
chaque occasion qui se présenterait contre tous les navires transportant des cargaisons
à partir ou en direction de docks saoudiens ou koweïtiens. Lorsque j’ai expliqué qu’il
s’agissait là de violations manifestes du droit international, il a répondu, avec une
certaine arrogance, que l’Iran en avait parfaitement conscience. M. Sheikholeslam a
indiqué que la marine iranienne avait pour instruction d’éviter la perte de vies
humaines au cours de ces attaques. J’ai donc demandé pourquoi des tirs de
mitrailleuse étaient dirigés vers la superstructure du bateau et les endroits où se trouve
l’équipage. Il m’a dit que cela avait pour but de chasser l’équipage loin du côté du
bâtiment qui était visé ¾ réponse qui se passe de commentaire.» (Annexe 198.)
8.37. Monsieur le président, l’Iran a fourni à la Cour une déclaration sous serment faite pour
les besoins de l’affaire par cet ancien vice-ministre des affaires étrangères; ce dernier y affirme ne
pas se souvenir d’avoir tenu de tels propos. L’Iran n’a toutefois pas expliqué à la Cour pourquoi
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l’ambassadeur de Norvège aurait donné à son propre ministre des affaires étrangères un
compte rendu inexact de la conversation en question, en particulier en des termes aussi
potentiellement incendiaires que ceux utilisés dans son télégramme.
8.38. Le Gouvernement norvégien a confirmé l’authenticité du télégramme dans une note
diplomatique qui figure sous l’onglet no
A18 du dossier d’audience. Il a également confirmé qu’au
vu des documents d’archives et des entretiens tenus avec les personnes concernées, il n’avait
aucune raison de mettre en doute l’exactitude du compte rendu donné dans ce télégramme. Le
Gouvernement norvégien a indiqué au contraire que
«les autorités norvégiennes avaient tenu compte [de ce télégramme] lorsqu’elles
avaient analysé la grave situation dans laquelle se trouvait à l’époque le transport
maritime international dans la région, situation qui nuisait considérablement aux
intérêts norvégiens et mettait en danger la vie de marins norvégiens».
La Cour ne saurait considérer qu’un rapport établi au moment des faits, dans le cadre de ses
fonctions officielles, par l’ambassadeur d’un Etat qui n’a aucun intérêt dans la présente affaire ¾ la
Norvège ¾, est moins crédible qu’une déclaration sous serment servant les intérêts de l’Etat qui la
produit ¾ l’Iran ¾ et faite des années après les événements en cause pour les besoins de la
procédure.
8.39. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la réponse du vice-ministre
iranien des affaires étrangères aux protestations de la Norvège confirme de manière évidente ce que
la Cour aura déjà constaté au cours de mon exposé. Il importait peu à l’Iran que la communauté
internationale fût préoccupée par ses attaques contre le transport maritime neutre. Il importait peu
à l’Iran que ses attaques fussent contraires au droit international. Il ne lui importait pas davantage
que ses attaques eussent tué et mutilé des marins, et mis en péril les intérêts vitaux de différents
pays. Au dire de son vice-ministre des affaires étrangères, l’Iran était décidé à poursuivre les
attaques à chaque occasion qui se présenterait, sans se soucier des graves conséquences qu’elles
pouvaient avoir pour des tiers.
8.40. Et l’Iran continua effectivement à mener de telles attaques dans les mois suivant la
protestation émise par la Norvège. C’est dans le cadre de cette agression continue qu’un autre
navire des Etats-Unis, l’USS Samuel B. Roberts, fit l’objet d’une grave attaque.
- 18 -
Avril 1988 : l’Iran attaque l’USS Samuel B. Roberts
8.41. Le 14 avril 1988, le navire de guerre américain USS Samuel B. Roberts heurta une
mine iranienne dans les eaux internationales près des hauts-fonds de Shah Allum, dans le centre du
Golfe. Comme vous pouvez le voir, cette mine ouvrit une large brèche dans la coque du navire.
Dix marins américains furent blessés par l’explosion. Les réparations que l’USS Samuel B. Roberts
dut subir à la suite de cette attaque iranienne coûtèrent 50 millions de dollars et durèrent
dix-huit mois (annexe 121). Lorsqu’il fut attaqué, l’USS Samuel B. Roberts revenait du Koweït, où
il avait escorté des navires battant pavillon des Etats-Unis; il s’agissait là d’une des mesures prises
par ces derniers pour protéger le transport maritime contre les attaques iraniennes.
8.42. La responsabilité de l’Iran dans l’attaque de l’USS Samuel B. Roberts était manifeste.
Ainsi que la Cour l’a déjà vu, l’Iran avait pris l’habitude d’attaquer les navires dépêchés par
différents pays dans le Golfe pour y protéger le transport maritime. L’Iran avait notamment attaqué
le navire soviétique Maréchal Tchouikov et le navire américain Bridgeton. Pour autant que l’on
sache, l’Iraq n’avait pas procédé au minage de la zone où l’USS Samuel B. Roberts heurta une
mine, dans le centre du Golfe, et il aurait eu du mal à le faire en passant inaperçu car cette zone est
située à quelque 300 milles de son territoire ou de sa base navale la plus proche. L’Iran, en
revanche, a démontré qu’il avait les moyens de mouiller des mines dans le centre du Golfe : l’un de
ses navires, l’Iran Ajr, fut arraisonné alors qu’il procédait au minage de cette zone, à 50 milles
marins à peine de l’endroit où l’USS Samuel B. Roberts heurta une mine. Le service d’information
maritime du Lloyd’s, l’Association des armateurs norvégiens, les auteurs d’analyses publiées dans
le Jane’s Intelligence Review et d’autres sources ont tous imputé la responsabilité de cette attaque à
l’Iran (annexes 4, 9 et 11).
8.43. La responsabilité de l’Iran fut également confirmée par une déclaration publique faite
le jour même de l’attaque par un militaire iranien de haut rang. Le contre-amiral
Mohammad Hoseyn Malekzadegan, commandant en chef de la marine iranienne, reconnut que
cette dernière avait «eu à cœur, l’année [précédente], d’assumer sa mission et notamment de porter
des coups indirects, en particulier à la flotte des Etats-Unis en s’en prenant à ses navires de
commerce et de guerre à l’aide de mines ou de missiles…» (annexe 13). L’USS Samuel B. Roberts
étant le premier navire de guerre des Etats-Unis à être la cible d’une attaque iranienne, cette
- 19 -
déclaration revenait à reconnaître la responsabilité de l’Iran dans l’attaque. Selon la pratique de la
Cour, une déclaration de ce genre, faite par un haut responsable iranien, doit se voir accorder un
poids considérable.
La présence de mines iraniennes dans le champ de mines rencontré par
l’USS Samuel B. Roberts
8.44. Tous ces éléments démontraient déjà clairement la responsabilité de l’Iran dans
l’attaque perpétrée contre l’USS Samuel B. Roberts, mais s’il restait un quelconque doute quant à
cette responsabilité, il fut réduit à néant par divers éléments mis au jour par les forces navales des
Etats-Unis, de la Belgique et des Pays-Bas.
8.45. Le lendemain du jour où l’USS Samuel B. Roberts heurta une mine, des plongeurs de la
marine des Etats-Unis spécialisés en neutralisation d’explosifs et de munitions et qui se trouvaient à
bord de l’USS Trenton explorèrent les fonds sous-marins dans la zone de l’attaque subie par
l’USS Samuel B. Roberts pour essayer d’en découvrir l’origine. Qu’ont-ils trouvé ? Laissez-moi
vous montrer. Voici ce qu’ils ont trouvé. Voici l’une des deux mines iraniennes trouvées par les
plongeurs de la marine américaine à l’endroit où s’est produit l’incident du
USS Samuel B. Roberts. Cette mine a été photographiée sur place par les plongeurs. La
photographie figure sous l’onglet no
A22 du dossier d’audience. Vous pouvez voir sur cette mine
le système de numérotation caractéristique que l’on avait déjà observé sur les mines découvertes à
bord de l’Iran Ajr, dont M. Mathias vous a parlé vendredi. Comme aucune végétation marine ne
recouvrait les numéros de série sur les mines, les plongeurs en ont conclu que celles-ci avaient été
mouillées peu auparavant (annexe 37).
8.46. Les jours suivants, des militaires belges et néerlandais spécialisés en déminage
repérèrent d’autres mines iraniennes dans la même zone. Une équipe de la marine néerlandaise en
trouva cinq (annexe 47). Chacune de ces mines portait un numéro de série complet ou partiel
correspondant au système de numérotation caractéristique des mines iraniennes. Les militaires
belges et néerlandais, qui travaillaient de concert avec leurs homologues américains opérant dans la
zone, réussirent à neutraliser les cinq mines sans dommage. Ils repêchèrent en outre un crapaud
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provenant du même champ de mines. Ce crapaud avait la forme d’un grand bol, comme celui des
mines trouvées à bord de l’Iran Ajr (annexe 65). Trois autres crapauds non reliés à des mines
furent également repérés mais les plongeurs les laissèrent en place.
8.47. En résumé, quelques jours après que l’USS Samuel B. Roberts eut heurté une mine, ce
sont au total sept mines portant un numéro de série iranien caractéristique qui furent trouvées dans
la zone de l’attaque. Et on y trouva également un crapaud qui présentait les caractéristiques
particulières des crapauds des mines de l’Iran Ajr. Là encore, la présence de «cartes de
visite» ¾ sous forme d’autres mines iraniennes mouillées au même endroit ¾ établit la
responsabilité de l’Iran dans l’attaque contre l’USS Samuel B. Roberts, de la même façon que des
«cartes de visite» similaires avaient déjà établi sa responsabilité dans les attaques à la mine
perpétrées contre le Maréchal Tchouikov, le Bridgeton, le Texaco Caribbean et l’Anita.
8.48. La semaine dernière, l’un des conseils de l’Iran a semblé laisser entendre que les
éléments de preuve démontrant la responsabilité de l’Iran dans l’attaque contre
l’USS Samuel B. Roberts étaient incomplets, parce qu’il y manquait le numéro de série de la mine
heurtée par le navire ¾ c’est-à-dire la mine qui a explosé. Monsieur le président, je pense que
l’absurdité de cette remarque se passe de commentaire.
8.49. L’attaque de l’Iran contre l’USS Samuel B. Roberts a confirmé une nouvelle fois que
l’Iran était décidé à attaquer les navires neutres dans le Golfe, et à saboter également toute tentative
visant à protéger ces navires, au mépris des efforts répétés des Etats-Unis et de la communauté
internationale pour l’en dissuader. M. Bettauer vous expliquera qu’à la suite de la dernière attaque
iranienne contre l’un de leurs navires, les Etats-Unis n’eurent d’autre choix que de mener de
nouvelles actions militaires contre des installations pétrolières offshore iraniennes, afin d’essayer
d’empêcher la poursuite des attaques contre la navigation neutre, américaine notamment.
Conclusion
8.50. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, mon exposé vous a montré
que les Etats-Unis n’avaient pas cherché à avoir recours à la force contre l’Iran. De fait, les
Etats-Unis se sont à maintes reprises efforcés d’écarter par des moyens pacifiques la menace que
les attaques de l’Iran faisaient peser sur d’importants intérêts américains. Les Etats-Unis ont joint
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leurs efforts à ceux des Nations Unies et à d’autres initiatives diplomatiques multilatérales pour
appeler l’Iran à cesser ses attaques. Les Etats-Unis ont envoyé cinq notes diplomatiques à l’Iran en
l’espace de cinq mois pour protester contre ces attaques et lui faire savoir qu’elles portaient atteinte
à des intérêts américains vitaux. Les Etats-Unis ont également entrepris de déployer à titre défensif
et en toute légitimité des forces militaires pour protéger le transport maritime neutre. D’autres
nations du monde entier, dont les intérêts étaient également compromis par les attaques de l’Iran,
ont joint leurs efforts à ceux des Etats-Unis.
8.51. La Cour a pu constater que l’Iran avait ignoré toutes ces initiatives. Pour toute
réponse, il a multiplié ses attaques contre le transport maritime neutre en général, en visant plus
particulièrement des navires envoyés par différents pays pour le protéger, et en lançant une
campagne d’attaques dirigées contre les navires des Etats-Unis. En outre, de hauts responsables
iraniens ont fait savoir clairement, à la fois dans des déclarations publiques et dans le cadre
d’échanges diplomatiques, que l’intention de l’Iran était de poursuivre ces attaques chaque fois que
l’occasion s’en présenterait. Les agissements de l’Iran ont montré sans doute possible que de
nouveaux efforts diplomatiques de la part des Etats-Unis seraient vains, rendant nécessaires les
actions prises par ces derniers à l’encontre des plates-formes pétrolières offshore de l’Iran.
8.52. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je viens de vous exposer en
détail la responsabilité de l’Iran dans de nombreuses attaques perpétrées contre des navires de
commerce neutres, ainsi que les conséquences de ces attaques sur les intérêts vitaux des Etats-Unis
et de plusieurs autres Etats. Les attaques de l’Iran eurent également de graves conséquences pour
le transport maritime international dans son ensemble. Je vous demande de bien vouloir appeler
maintenant à la barre M. Paul Beaver, qui vous décrira ces conséquences et les efforts déployés par
les compagnies de navigation pour les pallier. Merci.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Mattler. Je donne maintenant la parole à
M. Beaver.
M. BEAVER : Merci, Monsieur le président.
- 22 -
9. CONSEQUENCES DES ATTAQUES IRANIENNES CONTRE LA NAVIGATION NEUTRE
9.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme M. Mattler vient de
l’indiquer, la campagne d’attaques menée par l’Iran contre la navigation neutre fut la cause de
dégâts et de perturbations importants pour les compagnies de transport maritime qui opéraient dans
le Golfe.
9.2. Les dommages causés par les attaques iraniennes se comptent d’abord en termes
humains : ces attaques se soldèrent en effet par plus de soixante-trois morts et quatre-vingt-dix-neuf
blessés. Nous avons déjà eu l’occasion de le faire observer, la pratique de l’Iran visant à cibler les
quartiers d’habitation des navires lors de ses attaques laisse penser que ces dommages ne furent pas
le fait du hasard, mais faisaient plutôt partie de l’objectif même de ces attaques (annexe 9).
9.3. Les attaques de l’Iran ont également causé pour des centaines de millions de dollars de
dégâts et de pertes aux navires et à leurs cargaisons. Je citerai quelques exemples pour illustrer la
nature de ces dommages. L’attaque à la mine menée par l’Iran contre le pétrolier Bridgeton, qui
battait pavillon américain, ouvrit une brèche dans la coque du navire, dont la réparation nécessita
150 tonnes d’acier, et coûta plus de 2,3 millions de dollars. Le propriétaire du navire subit
davantage de pertes encore du fait de son incapacité à fréter le navire pendant toute la durée de sa
réparation (onglet no
B1). L’attaque à la mine menée par l’Iran contre le pétrolier
Texaco Caribbean, affrété par les Etats-Unis, provoqua plus de 3 millions de dollars de dégâts au
navire; 57 000 barils de brut léger, évalués à près de 1,7 million de dollars, se répandirent dans le
golfe d’Oman. L’attaque à la mine menée par l’Iran contre l’USS Samuel B. Roberts ouvrit une
brèche dans la coque du navire. Les Etats-Unis durent engager près de 50 millions de dollars de
frais au titre du sauvetage, du transport et de la réparation du navire (onglet no
B2).
9.4. Les attaques conduites par l’Iran provoquaient de tels dégâts, tant sur le plan humain
qu’économique, que les sociétés de transport maritime furent contraintes de prendre toute une série
de mesures visant à éviter les attaques iraniennes et à réduire l’ampleur des dommages causés par
celles-ci. Je vous décrirai ces mesures dans le courant de mon exposé. Celles-ci concernaient tous
les aspects de la navigation dans le Golfe, depuis les routes empruntées par les navires jusqu’aux
membres d’équipage et à leurs salaires, en passant par la façon dont les navires étaient entretenus et
équipés. Le coût de ces mesures pour les compagnies de transport maritime atteignit plusieurs
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millions de dollars. La Cour ne manquera pas de constater qu’elles visaient principalement à éviter
la navigation à proximité des plates-formes pétrolières offshore de l’Iran, car il était notoire que
celles-ci jouaient un rôle dans les attaques menées par l’Iran contre les navires.
9.5. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, ce type de mesures n’est pas de
celui que des compagnies de navigation soucieuses de leurs bénéfices prennent à la légère ou en se
fondant sur de simples conjectures quant à l’éventualité d’attaques contre leurs navires. Si elles
prirent ces mesures, c’est parce qu’elles savaient que l’Iran attaquait leurs navires. Elles avaient
été engagées à les prendre non seulement par les services d’information maritime les plus reconnus,
mais aussi par leurs gouvernements. L’attitude adoptée par les compagnies de navigation montre
que celles-ci étaient gravement préoccupées par le danger que représentaient les attaques iraniennes
pour leurs navires, leurs cargaisons et leurs équipages.
Eviter de naviguer dans le Golfe pendant la journée
9.6. La première mesure prise par les compagnies de transport maritime à la suite des
attaques iraniennes fut d’éviter toute navigation dans le Golfe pendant la journée. Les services
d'information maritime recommandèrent aux navires de se déplacer que de nuit, car les aéronefs et
les hélicoptères iraniens avaient plus de difficultés à les repérer, à les identifier et à les prendre pour
cible dans l’obscurité. Je citerai à titre d’exemple de ces recommandations la circulaire pour la
sécurité des pétroliers, publiée en février 1986 par l’association internationale des armateurs
indépendants de pétroliers, qui recommandait aux marins ce qui suit :
«Le schéma des attaques iraniennes révèle que les navires faisant escale dans
des ports koweïtiens risquent d’être pris pour cibles. Il faut s’attendre à des attaques
héliportées dans la journée lorsque la visibilité est bonne. Les capitaines détectant des
hélicoptères doivent donc ordonner à leur équipage de gagner les abris. Il y a lieu de
noter l’accroissement du nombre des attaques iraniennes contre les navires marchands.
A titre de précaution, il conviendrait d’envisager de quitter la côte de Doubaï de nuit.»
(Annexe 3; onglet no
B3.)
9.7. Peu après le début de la campagne d’attaques iraniennes contre la navigation neutre,
en 1984, la Koweït Oil Tanker Company (que je désignerai dans la suite de mon exposé par ses
initiales, KOTC) commença à limiter le trafic de ses navires dans le Golfe aux seules heures de la
nuit. Les mesures prises par la société à cet égard trouvent leur explication dans la déclaration de
Colin Eglington, qui était à l’époque le directeur général des opérations de la KOTC (annexe 31).
- 24 -
M. Eglington note qu’à la mi-mai 1984, la KOTC commença à donner des instructions à ses
pétroliers pour qu’ils ne se déplacent dans certaines zones de la partie septentrionale du golfe
Persique que pendant la nuit, à la suite d’une série d’attaques menées par des aéronefs iraniens
contre des pétroliers dans la région. La série de cartes que vous allez voir maintenant à l’écran, et
qui figure dans le dossier d’audience sous l’onglet no
B4, montre l’évolution des itinéraires
nocturnes empruntés par les pétroliers de la KOTC.
9.8. Les navires avaient pour instruction de quitter Koweït à la tombée de la nuit et de
naviguer à toute vapeur vers une position de mouillage située au large de Jubayl, en Arabie
saoudite, qu’ils devaient atteindre aux environs de 6 heures du matin. Les navires devaient rester
ancrés à Jubayl pendant la journée, puis poursuivre leur traversée du Golfe dès la nuit tombée.
9.9. Peu après cette modification des routes empruntées par les navires de la KOTC, l’Iran
commença à attaquer des navires qui transitaient dans le Golfe plus au sud. Le 10 juin 1984, l’Iran
attaqua le Kazimah, un navire de la KOTC, au nord-est de Bahreïn, soit bien plus au sud que les
attaques précédentes. En réponse à ce déplacement des attaques iraniennes, la KOTC dut une
nouvelle fois revoir ses itinéraires de navigation, en donnant pour instruction aux navires de quitter
le point de mouillage de Jubayl à la tombée du jour pour se rendre jusqu’à un autre point de
mouillage proche de l’île d’Halul dans la mer territoriale de Qatar, point qu’ils devaient atteindre à
environ 6 heures. Ils devaient rester à Halul pendant la journée, et attendre la nuit tombée pour
poursuivre leur voyage à travers le Golfe.
9.10. Limiter le transit dans le Golfe aux périodes d’obscurité coûtait cher aux compagnies
de transport maritime. Chaque journée supplémentaire en mer occasionnait pour elles un surcoût
en termes de frais d’exploitation, de primes d’assurance et de primes de risque, et signifiait un
manque à gagner en termes de rémunération du capital. Ces coûts étaient considérables. La
Chevron Shipping Company, qui limitait également le transit de ses navires dans le Golfe aux
périodes d’obscurité, subissait des pertes comprises entre de 30 000 et 40 000 dollars des
Etats-Unis pour chaque journée supplémentaire que passait l’un de ses navires dans le Golfe. Cela
signifiait également pour la Chevron un coût plus élevé du capital investi en raison du retard pris
par la compagnie pour faire un usage productif du pétrole chargé à bord de ses pétroliers, dont la
valeur allait de 50 à 75 millions de dollars (annexe 180).
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Modification des routes de navigation dans le Golfe
9.11. Dans le but d’éviter les attaques de l’Iran contre les navires neutres, les compagnies de
transport maritime modifièrent également les routes empruntées par leurs navires pour traverser le
Golfe. Comme je vous l’ai expliqué vendredi, pendant la guerre Iran/Iraq, le trafic des navires
commerciaux était confiné à un couloir relativement étroit traversant le Golfe. La navigation était
soumise à des conditions restrictives des deux côtés de ce couloir. Les routes au nord de celui-ci
étaient effectivement inaccessibles car l’Iran avait déclaré une zone d’exclusion qui s’étendait
de 12 à 60 miles marins depuis la côte iranienne. Les routes situées au sud de ce couloir étaient
généralement inaccessibles en raison de la faible profondeur des eaux qui faisait courir aux navires
le risque d’échouer. Compte tenu de l’étroitesse de la zone de navigation traversant le Golfe, il
était facile pour l’Iran de repérer des navires neutres à attaquer.
9.12. Les complexes de plates-formes pétrolières iraniennes offshore de Rostam, Sassan et
Sirri revêtent à cet égard une importance toute particulière. En empruntant les trois couloirs qui,
traversant le Golfe, étaient généralement suivis par la navigation commerciale pendant la guerre
Iran/Iraq, les navires passaient dans un rayon de 15 milles marins de la plate-forme de Rostam et
dans un rayon de 30 milles marins de celle de Sassan. Dans la plupart des cas, Monsieur le
président, le moindre navire était ainsi en vue des observateurs qui se trouvaient sur ces
plates-formes.
9.13. Ces complexes de plates-formes étaient donc idéalement situés pour surveiller les
mouvements des navires neutres transitant dans le Golfe et diriger contre eux des attaques. Compte
tenu de l’emplacement des plates-formes pétrolières iraniennes, aucun matériel sophistiqué n’était
nécessaire pour surveiller la navigation.
9.14. Pendant la guerre, l’Iran attaqua entre 45 et 50 navires dans un rayon de 50 milles
marins de la plate-forme de Rostam, et entre 35 et 40 dans un même rayon des plates-formes de
Sassan et de Sirri respectivement (contre-mémoire, par. 1.91; onglet no
B5).
9.15. Les nouvelles routes établies par les compagnies de transport maritime étaient
généralement prévues pour s’écarter de l’itinéraire habituel des navires auquel les forces iraniennes
auraient pu s’attendre. Elles étaient également conçues pour éviter que les navires ne passent à
proximité des complexes de plates-formes pétrolières de Rostam, Sirri et Sassan, car les
- 26 -
compagnies de navigation savaient que l’Iran se servait de ces plates-formes pour lancer des
attaques contre les navires. La déclaration de Colin Eglington décrit les mesures prises par la
KOTC à cet égard :
«En raison de la zone d’exclusion iranienne et de la nécessité pour nos navires
d’évoluer en eaux profondes, notre route habituelle passait entre Qatar et les EAU en
frôlant les plates-formes iraniennes installées sur les gisements de Sirri, Sassan et
Rostam. Nous pensions que ces plates-formes surveillaient le mouvement de nos
navires et permettaient aux Iraniens de calculer l’heure de notre passage dans le Golfe.
Cette hypothèse reposait sur les observations de nos équipages et fut renforcée [sic]
par le fait qu’aucun de nos navires ne signala jamais le moindre survol des parages des
plates-formes par des C-130. [Monsieur le président, je tiens à préciser que le C-130
est un aéronef de transport mais qu’il était utilisé par l’Iran comme un avion
d’observation dans le cadre de ses attaques contre les navires neutres. En raison de
nos soupçons pesant sur le rôle des plates-formes, nous établîmes de nouvelles routes
passant beaucoup plus au sud, là où nous pensions que les Iraniens ne s’attendraient
pas à voir nos navires, et traversant des fonds aussi hauts que le permettait le tirant
d’eau (compris entre 18 et 22 m) de ceux-ci. Nous désirions en effet maintenir une
distance maximale entre nos navires d’une part et l’Iran et ses plates-formes
pétrolières d’autre part.» (Annexe 31; onglet no
B6.)
9.16. L’Association des armateurs norvégiens encouragea ses membres à modifier
pareillement les routes empruntées par leurs navires pour éviter les plates-formes pétrolières
iraniennes. Le capitaine Christen Feyer Puntervold, qui était l’un des responsables de la section
des plans d’urgence de l’association pendant la guerre Iran/Iraq, remarque dans une déclaration
communiquée à la Cour que l’association
«[avait] appris de différentes sources maritimes autorisées, y compris des
capitaines et des responsables de compagnies maritimes résidant dans le Golfe, que
Téhéran utilisait les plates-formes de Rostam, Sirri et Sassan à des fins militaires
(notamment pour lancer, au moyen de petites embarcations et d’hélicoptères, des
attaques contre le trafic maritime neutre au cours de la période 1985-1988). Cette
information fut divulguée aux compagnies et aux organisations maritimes [sic] afin de
permettre aux capitaines de naviguer en réduisant les risques d’attaque.» (Annexe 11;
onglet no
B7.)
9.17. Les modifications d’itinéraires adoptées par les compagnies de transport maritime les
entraînèrent dans les eaux peu profondes situées au sud des plates-formes pétrolières iraniennes.
Emprunter ces routes était pour les compagnies source de risques et de coûts supplémentaires. En
eaux peu profondes, les navires couraient en effet davantage de risque de s’échouer. Le danger
était d’autant plus grand qu’il n’existait aucun relevé hydrographique fiable pour les eaux peu
- 27 -
profondes des nouvelles routes. Pour la Chevron Shipping Company, naviguer dans ces eaux
revenait à s’écarter considérablement des règles habituelles de la navigation, qui consistent
notamment à éviter tout danger connu. Comme l’a fait remarquer dans sa déclaration le président
de la Chevron Shipping Company, M. Thomas Moore, la compagnie décida de prendre ces risques
parce qu’elle estimait que les risques d’attaques iraniennes en eaux plus profondes étaient encore
plus grands (annexe 180). Dans certains cas, la navigation en eaux peu profondes exigeait des
compagnies qu’elles limitent la cargaison de leurs pétroliers afin de réduire le risque qu’ils ne
s’échouent, diminuant ainsi les bénéfices tirés de chaque voyage.
9.18. Ces nouvelles routes rallongeaient également la durée de navigation des navires dans le
Golfe, car moins directes que les itinéraires habituellement suivis. Ce temps supplémentaire passé
en mer augmentait d’autant les coûts supportés par les compagnies de transport maritime.
Les mesures de sécurité à bord
9.19. Les compagnies de navigation prirent toute une série de mesures complémentaires pour
protéger leurs navires et leurs équipages contre d’éventuelles attaques de l’Iran. La Chevron
Shipping Company demanda à tous ses membres d’équipage, lorsque leurs navires pénétraient dans
le Golfe, de limiter leurs activités à la passerelle de commandement, aux quartiers d’habitation et
aux postes de commande, afin de limiter leur exposition aux attaques. Cette mesure obligea la
Chevron à réduire certaines tâches de maintenance sur ses navires. En outre, la Chevron
débarrassait toutes les cuves vides de ses navires de leurs résidus de pétrole avant qu’ils ne
pénètrent dans le Golfe, pour réduire le risque d’explosion en cas d’attaque iranienne au missile ou
à la mine. Cette mesure augmenta d’environ 50 000 dollars le coût pour la Chevron de chaque
voyage dans le Golfe (annexe 180).
9.20. Le Gouvernement du Royaume-Uni recommanda aux compagnies de transport
maritime, compte tenu du danger représenté par les attaques menées par l’Iran dans le Golfe au
moyen de patrouilleurs rapides, de mettre en place une zone sécurisée au centre des postes
d’équipage de leurs navires et de protéger cette zone par des sacs de sable (annexe 2). La Chevron
ordonna à tous ses membres d’équipage de se rassembler sur la passerelle de commandement de
- 28 -
leur navire au moment de traverser les secteurs les plus dangereux du Golfe. La Chevron fit
également installer des écrans Kevlar sur ses passerelles, afin de protéger son personnel des éclats
de verre ou d’obus en cas d’attaque iranienne (annexe 180).
9.21. Toutes ces mesures augmentaient encore davantage les frais engagés par les
compagnies de transport maritime dans le Golfe et empêchaient les équipages des navires de se
livrer à leurs activités habituelles, nécessaires au bon fonctionnement et à la maintenance des
navires.
Surprimes d’assurance et primes de risque accrues
9.22. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le risque accru que
représentaient pour la navigation dans le Golfe les attaques iraniennes affecta également le montant
des primes d’assurance et des primes de risque. Il est possible dans certains cas d’établir un lien
direct de cause à effet entre les attaques iraniennes et l’augmentation des primes d’assurance,
puisque celles-ci sont calculées en fonction de la destination des navires. En août 1987, la Lloyd’s
List indiquait que les récentes augmentations des primes d’assurance sur corps enregistrées pour les
voyages à destination du Koweït étaient directement attribuables aux attaques iraniennes. Selon ce
rapport,
«après que l’Iran eut désigné comme cible de ses attaques des navires battant pavillon
koweïtien ou commerçant avec le Koweït, les taux des primes d’assurance sur corps
augmentèrent dans un premier temps de 50 %, passant de 0,225 % à 0,375 % en
février, puis d’un tiers, pour atteindre 0,5 % en juin pour un voyage de quatorze jours»
(annexe 7; onglet no
B8).
Le rapport soulignait également que les primes d’assurance pour risque de guerre des cargaisons en
provenance et à destination du Koweït étaient passées de 0,2 % à 0,375 %.
9.23. Ces augmentations signifiaient pour les affréteurs des frais d’assurance quasiment
doublés pour les voyages à destination du Koweït en raison des attaques de l’Iran. Comme le
résumait la Lloyd’s List,
«Les variations des primes pour risque de guerre enregistrées pendant l’année
dernière, tant pour la coque que pour la cargaison, ont touché particulièrement les
navires à destination du Koweït. Il y a un an, un navire assuré pour une valeur de
10 millions de dollars et chargeant une cargaison de pétrole évaluée à 40 millions de
dollars dans le port koweïtien de Mina al Ahmadi aurait dû payer 105 000 dollars de
surprime pour risque de guerre. Aujourd’hui, ce montant s’élèverait à 200 000 dollars,
soit près du double.» (Annexe 7, onglet no
B9.)
- 29 -
9.24. Le danger représenté par les attaques de l’Iran contre les navires supposait également
pour les compagnies de transport maritime une augmentation de la prime de risque versée à leurs
équipages. La Chevron Shipping Company laissait à tous ses membres d’équipage la possibilité de
débarquer avant que leur navire n’entre dans le Golfe, compte tenu des dangers encourus. Ceux qui
avaient choisi de rester à bord du navire recevaient alors une prime de risque correspondant à
100 % de leur salaire tout au long de la présence du navire dans le Golfe (annexe 180).
9.25. Ainsi que cela a été indiqué précédemment, le fait que les navires fussent obligés de
naviguer uniquement de nuit en empruntant des itinéraires indirects à travers le Golfe pour éviter
les attaques iraniennes allongeait considérablement le temps qu’ils passaient dans le Golfe, et donc
les périodes pendant lesquelles les compagnies de transport maritime se voyaient appliquer des
surprimes d’assurance et devaient verser des primes de risque plus importantes.
9.26. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je dirai pour résumer que l’on
saurait trop insister sur l’ampleur des ravages infligés par les attaques iraniennes à la navigation
commerciale pendant la guerre Iran/Iraq. Les attaques de l’Iran ont tué et blessé des marins. Elles
ont causé des centaines de millions de dollars de dommages aux navires et à leurs cargaisons. Elles
ont contraint les navires à voyager uniquement sous la protection de l’obscurité et en eaux peu
profondes, dans des zones pour lesquelles ils manquaient de cartes marines fiables. Les membres
d’équipage des navires étaient contraints de retarder leurs activités de maintenance habituelles. Ils
étaient également obligés de se réfugier dans des zones renforcées au centre de leurs navires pour
se protéger des attaques de l’Iran. Les compagnies de transport maritime durent s’acquitter de
millions de dollars de frais pour surprimes d’assurance, primes de risque accrues et frais de
fonctionnement supplémentaires, sans compter les mesures de précaution destinées à leurs navires,
à leurs cargaisons et à leur personnel. Je le répète, la Cour doit rejeter la tentative de l’Iran visant à
minimiser les effets catastrophiques de ses attaques contre les navires neutres dans le Golfe.
9.27. Les mesures prises par les compagnies de transport maritime montrent également
qu’elles étaient conscientes du rôle joué par les plates-formes pétrolières offshore iraniennes dans
les attaques de l’Iran contre la navigation. Leurs changements de routes visaient spécifiquement à
- 30 -
éviter de passer à proximité des plates-formes, quitte à risquer de naviguer dans des eaux peu
profondes et dangereuses, car elles savaient que les plates-formes pétrolières iraniennes
représentaient un grave danger pour leurs navires et leurs membres d’équipage.
9.28. Monsieur le président, voilà qui conclut mon exposé. Je vous remercie beaucoup pour
votre attention. Monsieur le président, M. Bettauer, qui prendra ensuite la parole pour les
Etats-Unis, vous expliquera en détail comment l’Iran s’est servi de ses plates-formes pétrolières
offshore pour attaquer les navires et pourquoi les Etats-Unis ont décidé de les prendre pour cible.
Merci beaucoup.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Beaver. Après la pause, je donnerai la parole à
M. Bettauer. L’audience est maintenant suspendue pour quinze minutes.
L’audience est suspendue de 16 h 5 à 16 h 25.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la parole à M. Bettauer.
M. BETTAUER :
10. UTILISATION PAR L’IRAN DE SES PLATES-FORMES PETROLIERES OFFSHORE
DANS SES ATTAQUES CONTRE LA NAVIGATION NEUTRE ET DECISION
DES ETATS-UNIS DE LES PRENDRE POUR CIBLES
Introduction
10.1. Merci, Monsieur le président. Ma tâche aujourd’hui sera double. Je démontrerai tout
d’abord à la Cour que les plates-formes pétrolières offshore de l’Iran faisaient partie intégrante de
la campagne militaire iranienne contre les navires neutres, et qu’elles ont joué un rôle considérable
dans les efforts déployés délibérément par l’Iran pour perturber le commerce, faire obstacle à la
navigation et menacer le trafic maritime dans le golfe Persique. Je passerai en revue les principaux
moyens de preuve ¾ à savoir les récits de témoins oculaires, les rapports de services de transport
maritime international ainsi que les documents saisis sur la plate-forme de Rostam et à bord de
l’Iran Ajr ¾ établissant de manière irréfutable que l’Iran utilisait ses plates-formes pour conduire
une campagne militaire contre les navires neutres en général et les navires des Etats-Unis en
particulier.
- 31 -
10.2. Je vous exposerai ensuite plus en détail les faits qui ont conduit les Etats-Unis à
décider, compte tenu de l’action de l’Iran, de prendre pour cible les plates-formes pétrolières
iraniennes de manière à ce qu’elles ne puissent plus être utilisées dans le cadre d’opérations
militaires offensives contre les intérêts de la navigation dans le Golfe.
Les plates-formes occupaient une position stratégique dans le chenal navigable du Golfe
10.3. L’Iran a, dans ses écritures, prétendu que ces plates-formes pétrolières servaient un but
exclusivement commercial. Il a également affirmé devant la Cour, en termes catégoriques, que les
«plates-formes n’[avaient] joué aucun rôle militaire offensif dans le conflit du golfe Persique»
(réplique, par. 3.88). Il a une nouvelle fois défendu cette position la semaine dernière. Mais les
faits attestent que les plates-formes pétrolières de l’Iran ont joué un rôle de premier plan : elles
constituaient un élément décisif de la campagne menée par ce pays pour désorganiser et empêcher
le trafic maritime dans le Golfe. Nous allons donc examiner cette affirmation de l’Iran et la
confronter avec les faits pour en déterminer la véracité. Commençons par la réalité géographique.
10.4. Il suffit de regarder la carte projetée à l’écran et figurant à l’onglet no
B5 du dossier
d’audience pour s’en rendre compte : les plates-formes pétrolières offshore iraniennes occupaient
un point stratégique et elles étaient donc très bien placées pour être utilisées dans des attaques
contre des navires neutres. Comme vous le voyez, ces plates-formes se trouvent dans l’étroit
chenal de navigation alors accessible aux navires de commerce traversant le Golfe. M. Beaver l’a
expliqué, les routes maritimes passant au nord des plates-formes étaient interdites aux navires qui
n’étaient ni à destination, ni en provenance de ports iraniens, l’Iran ayant imposé une zone
d’exclusion au début de sa guerre avec l’Iraq. En fait, les principales voies de navigation
empruntées avant ce conflit étaient situées à l’intérieur de cette zone d’exclusion. Quant aux routes
maritimes passant au sud des plates-formes, elles n’étaient pas accessibles, car les pétroliers en
pleine charge risquaient de s’échouer dans leurs eaux peu profondes. Les navires transitant par le
Golfe étaient donc contraints d’emprunter un itinéraire qui les amenait à moins de 15 milles marins
des plates-formes de Sirri et de Rostam, et à moins de 30 milles marins de celle de Sassan.
- 32 -
10.5. En réalité, les navires transitant par le Golfe avaient le choix entre trois itinéraires tout
aussi risqués les uns que les autres : la zone d’exclusion déclarée par l’Iran au nord, les eaux peu
profondes au sud et les plates-formes situées au centre du Golfe. L’Iran a profité de cette réalité
géographique pour annexer les plates-formes à son infrastructure militaire et les utiliser pour lancer
ses attaques contre les navires traversant le Golfe. M. Beaver a calculé à votre intention qu’il y
avait eu entre trente-cinq et cinquante attaques dans un rayon de 50 milles marins autour de
chacune des trois plates-formes.
Les plates-formes étaient équipées de manière à faciliter les attaques contre les navires
10.6. Non seulement les plates-formes étaient bien placées pour le lancement d’attaques
contre des navires neutres, mais encore elles étaient suffisamment équipées pour aider au
déroulement de ces attaques. Elles avaient les moyens de contribuer aux efforts déployés par l’Iran
pour perturber le commerce, entraver la liberté de navigation et faciliter les attaques contre les
navires neutres. Comme l’Iran l’a reconnu sans sa réplique, chaque complexe de plates-formes
était doté d’une aire d’atterrissage pour hélicoptères (réplique, par. 3.42) et était équipé de matériel
de communication par radio utilisé pour établir le contact avec d’autres bases militaires iraniennes
(ibid., par. 3.41). L’Iran a reconnu que la plate-forme de Rostam était dotée d’un radar de
navigation de surface Decca, d’une portée maximale de 48 milles marins (ibid., par. 3.35), et des
documents de source iranienne mentionnent qu’un radar était aussi installé sur la plate-forme de
Sirri (annexe 203 des Etats-Unis, p. 20).
10.7. Une quinzaine de soldats se trouvaient sur chaque plate-forme. L’Iran l’a reconnu dans
ses pièces de procédure (réplique, vol. IV : déclaration de M. Sehat, par. 20 et 21, concernant
Rostam; déclaration de M. Salmanian, par. 1 et 8, concernant Rostam; déclaration de M. Ebrahimi,
par. 5 et 6, concernant Sassan; et déclaration de M. Alagheband, par. 12 et 13, concernant Sirri) et
dans les déclarations qu’il a adressées à la Cour la semaine dernière (CR 2003/6, 18 février 2003,
par. 34 et 35, p. 38). Par ailleurs, il ne fait aucun doute ¾ et je présenterai dans un moment les
moyens de preuve qui l’attestent ¾ que ces soldats ont utilisé le matériel de communication
installé sur les plates-formes pour se mettre en rapport avec d’autres unités de la marine iranienne.
- 33 -
10.8. Selon l’Iran, le fait qu’il s’agissait de matériel réduit au strict minimum, peu
perfectionné et courant dans des installations pétrolières à des fins commerciales, devrait être de
nature à satisfaire la Cour. Toutefois, comme M. Beaver vient de le faire remarquer, les
plates-formes n’avaient pas besoin de matériel perfectionné pour faciliter les attaques iraniennes
contre les navires neutres.
10.9. L’Iran ne peut nier que les aires d’atterrissage pour hélicoptères, aménagées sur les
plates-formes, pouvaient être utilisées pour le décollage d’hélicoptères ayant pour mission
d’attaquer les navires. Il ne peut pas nier non plus que le radar installé sur les plates-formes
pouvait servir à surveiller la circulation des navires aux fins d’attaques contre ceux-ci. En outre,
l’Iran ne peut guère nier non plus que le matériel de communication installé sur les plates-formes
pouvait être utilisé pour la transmission d’ordres et d’informations aux bases militaires iraniennes
qui se livraient à des attaques contre les navires. La question en l’espèce n’est pas le degré de
perfectionnement du matériel installé sur les plates-formes, ce qui importe ici, c’est que l’Iran a
bien utilisé le matériel et le personnel qui se trouvaient sur les plates-formes aux fins de mener à
bien ses attaques contre des navires neutres.
Récits de témoins oculaires et rapports de services de transport maritime sur l’utilisation par
l’Iran des plates-formes dans les attaques contre les navires neutres
10.10. L’Iran nie que les plates-formes aient été employées comme installations militaires
pour des actions offensives. Que nous en disent les éléments de preuve dont nous disposons ?
10.11. Commençons par les récits de témoins oculaires ¾ émanant non pas d’observateurs
iraniens, ni même des Etats-Unis, mais de simples marins de pays tiers qui relatèrent à l’époque ce
qu’ils avaient vu en traversant le Golfe.
¾ Le 4 mars 1986, vers 18 heures, alors que le pétrolier français Chaumont se trouvait dans le
Golfe au voisinage de la plate-forme de Rostam, l’un de ses membres d’équipage vit deux
hélicoptères non identifiés décoller des deux plates-formes du champ pétrolifère Rostam. Il
aperçut alors l’un des hélicoptères ouvrir le feu. Selon le marin, le Chaumont a été «touché par
un missile à tribord arrière à la hauteur du pont 2» (annexe 110).
- 34 -
Deux semaines plus tard, un récit émanant d’un autre témoin oculaire relate :
¾ le 29 mars 1986, un membre d’équipage du navire norvégien Berge King a affirmé «avoir vu
deux hélicoptères sur la plate-forme offshore iranienne de l’île de Rostam». L’utilisation du
terme anglais «installation» prouve qu’il s’agissait de la plate-forme de Rostam. Ce membre
d’équipage vit alors l’un des hélicoptères décoller et l’observa alors qu’il commençait à tirer
sur le navire; mais heureusement, le premier missile manqua son objectif. Il signale ensuite
avoir vu l’autre hélicoptère décoller après le retour du premier sur la plate-forme et tirer un
missile qui pénétra dans la salle de climatisation du navire (annexe 17).
10.12. Les récits de témoins oculaires convainquirent les milieux maritimes internationaux
que l’Iran utilisait ses plates-formes pétrolières afin de prendre pour cible et d’attaquer des navires
neutres dans le golfe Persique. Des sources dignes de foi et indépendantes, chargées de rassembler
des informations pertinentes et de les communiquer aux compagnies de transport maritime du
monde entier, qui en font largement usage, firent état d’attaques généralisées et aveugles provenant
des plates-formes pétrolières iraniennes. Ces informations se passent de commentaires. Je vais en
citer cinq. Ils vont être projetés à l’écran, et vous les trouvez sous les onglets nos C1 à C5 du
dossier d’audience.
¾ En avril 1986, l’Association internationale des armateurs indépendants de pétroliers indiquait
qu’«au moins quatorze navires avaient été signalés comme ayant été attaqués depuis cette
installation appelée île de Rostam et située à quelque 100 kilomètres des côtes iraniennes»
(annexe 17).
¾ Le Jane’s Defence Weekly, se fondant sur des sources des milieux maritimes britanniques,
rapportait que
«selon certaines informations, l’Iran exploite des hélicoptères depuis une
plate-forme pétrolière pour lancer des raids contre les navires empruntant les routes
maritimes du Golfe… La plate-forme de l’île de Rostam, à 65 milles marins des côtes
iraniennes, a servi de base à au moins quatorze attaques cette année.» (Annexe 109.)
¾ En mai 1986, le General Council of British Shipping signalait :
«Les Iraniens ont concentré leurs attaques plus au sud... Il s’agit principalement
de tirs de missiles depuis des hélicoptères : selon les services de renseignement, les
Iraniens utilisent des hélicoptères opérant depuis leurs plates-formes pétrolières de
- 35 -
cette région. Il semble qu’il s’agisse des gisements de Rostam (25° 50’ de latitude
nord, 52° 53’ de longitude est) et, plus récemment, de Sassan (25° 30’ de latitude nord
53° 08’ de longitude est).» (Annexe 104.)
¾ En mars 1987, on pouvait lire dans la International Defense Review que, «pour accroître leur
rayon d’action et le temps qu’ils peuvent passer au-dessus de l’objectif, les pilotes iraniens
d’hélicoptère utilisent des bases avancées. Parmi celles-ci [figure] la plate-forme de production
pétrolière abandonnée de Rostam dans le centre du Golfe…» (Annexe 14.)
En résumé, selon les conclusions de l’association des armateurs norvégiens, «Téhéran utilisa
entre 1985 et 1988 les plates-formes de Rostam, de Sirri et de Sassan à des fins militaires
(notamment pour lancer, au moyen de petites embarcations et d’hélicoptères, des attaques contre le
trafic maritime neutre).» (Annexe 11.)
10.13. Les événements relatés par ces sources n’ont donné lieu à aucun débat, désaccord ou
contestation. Il est apparu ¾ et cela a été reconnu et confirmé ¾ que l’Iran utilisait ses
plates-formes pétrolières à des fins militaires offensives ¾ en particulier pour attaquer des
vaisseaux naviguant à proximité des plates-formes de Rostam, Sirri et Sassan.
10.14. En dépit des récits de témoins oculaires et des informations émanant de nombreuses
sources indépendantes, l’Iran persiste à affirmer que ces plates-formes n’ont joué aucun rôle
militaire offensif dans le conflit du golfe Persique. Toutefois, il ne parvient pas à donner de raison
convaincante qui inciterait la Cour à remettre en question ces récits de témoins oculaires et les
nombreux rapports des services d’information les plus indépendants et les plus fiables du monde.
Efforts des compagnies de transport maritime pour éviter les plates-formes
10.15. Nous venons de l’entendre, les compagnies de transport maritime du monde entier
attachaient certainement foi aux informations des services de transport maritime et aux récits de
témoins oculaires. Comme l’a expliqué M. Beaver, elles ont tracé de nouveaux itinéraires
traversant le Golfe, aussi éloignés que possible des plates-formes pétrolières iraniennes, bien que
ces itinéraires fussent à l’origine de surcoûts et de dangers considérables pour les navires.
10.16. Comme M. Beaver l’a fait observer dans son exposé, les compagnies de transport
maritime ne prennent pas des mesures aussi coûteuses à la légère, ni sur la base de conjectures
hasardeuses quant à d’éventuelles menaces sur leurs navires. Elles ont pris ces mesures parce
- 36 -
qu’elles savaient, fortes de leur expérience, que l’Iran utilisait ses plates-formes pétrolières pour
attaquer les navires neutres. Confrontées à l’alternative entre naviguer à proximité des
plates-formes iraniennes et encourir des dépenses supplémentaires se chiffrant en centaines de
milliers de dollars, elles ont opté pour les dépenses supplémentaires, parce qu’elles savaient que le
risque constitué par les plates-formes iraniennes était tel qu’elles n’avaient pas le choix.
Documents prouvant l’utilisation par l’Iran des plates-formes pour des opérations militaires
offensives
10.17. Monsieur le président, les récits de témoins oculaires et les nombreux rapports
émanant de services de transport maritime du monde entier doivent être suffisants pour établir que
ces plates-formes ont joué un rôle offensif dans la guerre menée par l’Iran contre les navires
neutres. Toutefois, ce n’est pas tout. Certains documents ¾ il s’agit de documents iraniens saisis
sur la plate-forme de Rostam et à bord de l’Iran Ajr ¾ confirment que ces plates-formes faisaient
partie intégrante de la campagne d’attaques iraniennes contre la navigation neutre.
Documents iraniens trouvés à bord de l’Iran Ajr
10.18. Le premier groupe de documents provient du mouilleur de mines iranien Iran Ajr.
Comme l’a expliqué M. Mathias, le 21 septembre 1987, les forces américaines s’emparèrent de ce
bâtiment qu’elles avaient surpris en pleine opération de minage dans les eaux internationales au
large des côtes de Bahreïn. Elles trouvèrent à son bord un exemplaire du plan d’opérations destiné
au groupe d’intervention mixte opérationnel côtier 1 des forces navales iraniennes. Le document,
long de plus de cent vingt pages et rédigé en persan, est marqué «top secret» ¾ selon la
classification iranienne ¾, et il est indiqué qu’il s’agit de l’exemplaire no
32 (sur cinquante
existants).
10.19. Ce plan d’opérations mérite d’être examiné avec attention par la Cour. Tout d’abord,
il montre que les complexes pétroliers offshore de l’Iran faisaient partie intégrante du dispositif
militaire iranien, et que des tâches opérationnelles précises leur avaient été assignées.
Attardons-nous, si vous le permettez, sur le contenu du plan d’opérations lui-même ¾ que vous
pourrez suivre au fur et à mesure à l’écran, ainsi que sous l’onglet no
C6 du dossier d’audience.
- 37 -
¾ Pour commencer, vous pourrez constater en haut de la diapositive que les plates-formes sont
présentées comme des infrastructures navales de la première région maritime, rattachées au
groupe d’intervention mixte opérationnel côtier 1. Reshadat et Nasr désignent deux des
plates-formes en cause, celles que nous appelons Rostam et Sirri. Le plan contient une liste des
unités de la marine et autres unités militaires relevant du groupe d’intervention mixte
opérationnel côtier 1. Au point 7 de cette liste, Rostam et Sirri apparaissent sous l’intitulé
«infrastructures navales de la première région maritime».
¾ Examinons à présent les dispositions du plan. Le point 4, que vous voyez en bas de l’écran,
confie aux plates-formes la mission de rendre compte de tout déplacement de navire. Il est
libellé comme suit :
«Les plates-formes pétrolières rattachées au groupe de combat côtier 1 doivent
communiquer les informations suivantes dès qu’elles en prennent connaissance :
¾ tout mouvement de navire étranger à proximité des plates-formes pétrolières…»
10.20. Ainsi, il ressort du plan d’opérations que le rôle des plates-formes en matière de
renseignement ne se limitait pas à la surveillance des mouvements de navires de guerre. Ces
plates-formes étaient en réalité chargées de rendre compte des déplacements de tout bâtiment
étranger ¾ qu’il s’agisse de navires iraquiens ou de navires commerciaux neutres pris pour cibles
par l’Iran. Ce plan d’opérations a permis de confirmer de façon irréfutable l’intention de l’Iran, qui
était d’utiliser ses plates-formes pétrolières pour surveiller les mouvements des navires neutres
dans le Golfe et en informer l’armée iranienne.
10.21. Enfin, ce plan d’opérations a également clairement montré que la vocation militaire
des plates-formes ne se limitait pas, dans l’optique de l’Iran, à recueillir et à transmettre des
informations. J’attire votre attention sur le passage projeté à présent à l’écran. Aux termes du plan,
le commandement des installations de la première région maritime ¾ région dont faisaient partie
les plates-formes de Rostam et de Sirri ¾ avait pour mission ¾ et je cite le point 1 reproduit sur la
diapositive ¾ d’«assurer une surveillance visuelle, radar et aérienne dans la première région
maritime».
- 38 -
10.22. Le plan d’opérations allait plus loin encore. Au point 3, tout en bas de la diapositive,
on lit que ces plates-formes devaient «être prêt[es] à mener des opérations mixtes avec les navires
et les fusiliers commandos» (annexe 203). Grâce aux informations fournies par des témoins
oculaires et les milieux du transport maritime, nous savons que ces plates-formes ont effectivement
mené des «opérations mixtes» avec de petites embarcations, des vedettes, des hélicoptères et
d’autres équipements militaires, au moment des attaques lancées par l’Iran contre des navires
neutres dans le Golfe. Des observations et renseignements de l’époque, émanant de la marine
américaine, le confirment également (annexe 48, déclaration du vice-amiral Anthony Less,
par. 11-12, 14-15).
10.23. L’Iran a prétendu que l’on pouvait faire abstraction du plan d’opérations, parce qu’il
s’agissait d’un plan vieux de quatre ans. C’est méconnaître qu’il figurait parmi les documents qui
furent trouvés à bord d’un navire de guerre iranien en train, précisément, de se livrer à des
opérations militaires. Nous savons en outre, grâce aux témoignages que je viens d’évoquer et à
d’autres documents trouvés à bord de l’Iran Ajr, que ce plan fut partiellement mis en œuvre.
10.24. Le plan d’opérations n’est pas le seul document trouvé à bord de l’Iran Ajr. Les
forces américaines mirent également la main sur des enregistrements de messages échangés par
l’Iran Ajr et le complexe de Rostam. Le texte de ces messages figure aux annexes 70 et 71. L’Iran
a fait valoir que leur contenu était anodin. Mais là n’est pas la question. Ces messages établissent
sans l’ombre d’un doute que la plate-forme de Rostam servait de relais de communication à des
navires de guerre iraniens en opération, dont certains, comme l’Iran Ajr, étaient des mouilleurs de
mines, et que les plates-formes remplissaient des fonctions spécifiées dans le plan d’opérations que
nous venons d’examiner, alors même que l’Iran nous a affirmé la semaine dernière que celui-ci
n’était rien d’autre qu’un dispositif d’intervention.
Documents saisis sur la plate-forme de Rostam
10.25. Mais, outre les documents saisis à bord de l’Iran Ajr, il en est d’autres ¾ trouvés sur
le complexe de Rostam lui-même ¾ qui montrent, là encore sans l’ombre d’un doute, le caractère
fallacieux de l’allégation de l’Iran selon laquelle les plates-formes pétrolières ne jouaient aucun
rôle militaire offensif.
- 39 -
10.26. L’un des documents trouvés sur la plate-forme de Rostam s’intitule «Instructions pour
le déploiement d’observateurs sur les plates-formes pétrolières dans le golfe Persique (plate-forme
de Reshadat)». Il figure à l’annexe 115 et mérite, lui aussi, d’être examiné avec attention. Je
projetterai à l’écran des extraits de ce document, que vous pourrez également consulter à
l’onglet no
C7 de votre dossier d’audience.
10.27. Bien que son titre puisse laisser supposer qu’il ne concernait que la plate-forme que
nous désignons sous le nom de Rostam, le document en question comportait des instructions à
l’intention de la première région maritime iranienne, en vue du déploiement d’observateurs
militaires sur les plates-formes de Rostam, de Rakhsh, de Sassan et de Sirri.
10.28. La mission de ces prétendus observateurs est précisée dans ce document. Leur but
était clair ¾ et, de nouveau, vous pouvez voir projeté à l’écran le passage auquel je fais référence.
Il s’agissait d’
«[é]tablir la communication [entre les observateurs déployés sur les plates-formes
pétrolières de Salman, de Rostam et de Raksh, la plate-forme de production
(autrement dit la plate-forme de Sirri)] et les îles de Sirri et de Lavan, et entre ces îles
et le quartier général de la flotte et la première région maritime (Bandar Abbas)».
Et leur «objectif» était dépourvu de toute ambiguïté, puisqu’il consistait en «[l]a diffusion
immédiate par radio de renseignements des plates-formes pétrolières vers Sirri et Lavan … et la
transmission immédiate et sécurisée de ces messages des îles vers le quartier général de la flotte et
la première région maritime (Bandar Abbas)». Cela n’empêcha pas l’Iran de chercher à celer le
rôle joué en 1987 par les plates-formes dans le cadre de ses opérations militaires offensives, tout
comme il s’emploie aujourd’hui à le nier devant la Cour. Ainsi, les instructions disposaient : «Les
observateurs se feront passer pour des employés de la NIOC, et ne porteront pas l’uniforme
militaire.»
10.29. J’ai indiqué au début de mon exposé que ces plates-formes jouaient un rôle à part
entière dans la campagne militaire engagée par l’Iran contre des navires neutres et constituaient un
maillon important de celle-ci. Ces instructions ne laissent subsister aucun doute à cet égard. L’Iran
argue qu’elles furent diffusées en 1980, donnant à entendre qu’elles n’étaient plus en vigueur alors.
Mais ces instructions furent trouvées sur la plate-forme de Rostam en octobre 1987. Que
faisaient-elles là si elles n’étaient pas appliquées à l’époque ?
- 40 -
10.30. Nous savons également, d’après les documents trouvés sur le complexe de Rostam,
que les plates-formes pétrolières iraniennes ont bel et bien exécuté les instructions que nous venons
de passer en revue. Les forces américaines ont retrouvé des enregistrements de messages sur bande
perforée transmis par la plate-forme de Rostam, dont certains rendent compte de la composition, de
l’itinéraire, de la position et de la vitesse de déplacement des convois circulant dans le Golfe. Les
transcriptions de ces messages sont reproduites à l’annexe 119 et appellent, elles aussi, un examen
attentif.
10.31. L’un de ces messages, daté du 8 août 1987 et envoyé depuis la plate-forme Rostam à
de hauts responsables de l’armée iranienne, présente un intérêt tout particulier. Il concerne un
convoi de pétroliers battant pavillon des Etats-Unis et transitant dans le Golfe sous escorte de
navires de guerre américains. Parmi ces pétroliers figurait le Sea Isle City, comme nous
l’apprennent ¾ les Etats-Unis l’ont expliqué dans leur duplique (par. 1.43-1.45, et carte no
2) ¾
les journaux de passerelle des navires qui prirent part à ce convoi. Le message en question est à
présent projeté à l’écran, et il figure également à l’onglet no
C8 du dossier d’audience. Le
paragraphe 2 se lit comme suit : «2. 172327. Convoi repéré par radar, gisement 096o
, distance
48 milles de la plate-forme; convoi suivi et position reportée.» Comme vous pouvez le constater, le
paragraphe 3 rend compte du nombre de navires, de leur disposition, de leur position, de leur
distance par rapport à la plate-forme, de leur itinéraire et de leur vitesse de déplacement. Le
paragraphe 4 indique : «4. En cas d’approbation, la plate-forme désactivera le radar et le réactivera
toutes les 15 ou 30 minutes pour repérer le convoi. Faits signalés pour information et éventuelle
action.» (Annexe 119.)
10.32. La semaine dernière, l’Iran a soutenu devant la Cour que les messages trouvés par les
Etats-Unis ne révélaient rien. C’est faux. Permettez-moi de passer en revue tout ce que nous
apprend ce message. Premièrement, il montre sans l’ombre d’un doute que Rostam repérait bel et
bien des navires neutres. Deuxièmement, il montre que la plate-forme était en communication avec
l’armée iranienne. Troisièmement, alors que l’Iran a tenté de nous faire croire que le radar de la
plate-forme de Rostam était peu performant, ce message montre clairement que le radar en question
était parfaitement opérationnel. Quatrièmement, il montre que ce radar était en mesure de repérer
les mouvements de navires dans un rayon pouvant aller jusqu’à 48 milles. Cinquièmement, il
- 41 -
montre que les plates-formes remplissaient effectivement certaines fonctions décrites dans le plan
d’opérations. Enfin, il convient de relever qu’à peine plus de deux mois après, le Sea Isle City, qui
se rendait au terminal koweïtien d’Al-Ahmadi, repassa dans un rayon de 15 milles marins de la
plate-forme de Rostam. Or, cinq jours plus tard, il essuyait un tir de missile YH-2.
10.33. Monsieur le président, je rappellerai une fois encore à la Cour que l’Iran a maintes
fois affirmé que ses plates-formes ne jouaient pas un rôle militaire offensif. J’invite la Cour à
confronter cette allégation avec les informations émanant de témoins oculaires ou de sources
fiables des milieux du transport maritime, avec la décision prise par certaines sociétés de transport
maritime de modifier les itinéraires suivis par leurs navires et avec les documents officiels iraniens
saisis à bord de l’Iran Ajr et de la plate-forme de Rostam, pour ne rien dire des observations de la
marine américaine reproduites dans les déclarations du général Crist ou du vice-amiral Less. Une
conclusion s’impose : les plates-formes pétrolières iraniennes jouèrent en permanence un rôle actif
dans la guerre engagée par l’Iran contre la navigation neutre dans le Golfe, et elles eurent une part
considérable dans la menace pesant sur les intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de sécurité.
La décision des Etats-Unis de prendre pour cibles les plates-formes
10.34. Monsieur le président, j’en viens maintenant à la seconde partie de mon exposé, dans
laquelle je m’attacherai à décrire et à analyser les facteurs qui ont conduit les Etats-Unis à
intervenir militairement contre les plates-formes pétrolières offshore de l’Iran. Leur décision fut
bien sûr motivée, dans un premier temps, par la prise de conscience du fait que les actions lancées
par l’Iran dans la région du Golfe, contre les navires neutres en général et ceux des Etats-Unis en
particulier, constituaient une menace pour les intérêts vitaux de ces derniers en matière de sécurité
et avaient de fait été préjudiciables à ces intérêts. De hauts responsables américains, au nombre
desquels figurait le président, avaient clairement exposé la nature de la menace que faisaient peser
sur les intérêts des Etats-Unis les attaques de l’Iran, plusieurs mois avant que leur pays
n’intervienne contre les plates-formes.
10.35. En mai 1987, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, le président
Reagan déclara qu’il souhaitait «évoquer directement cet après-midi[-là] les intérêts vitaux du
peuple américain … en jeu dans la région du golfe Persique». Il rappela les conséquences qu’avait
- 42 -
eues sur l’économie des Etats-Unis la crise pétrolière du Moyen-Orient au milieu des années
soixante-dix : les pénuries, le rationnement, l’escalade des prix de l’énergie, l’inflation à deux
chiffres et «la crise terrible qui a[vait] secoué [l’]économie [américaine] dans ses fondements
mêmes». Il ajoutait que cette situation pouvait se reproduire «si [les Etats-Unis laissaient] l’Iran
bloquer le libre passage de navires neutres» dans le Golfe (annexe 230).
10.36. A la même période, M. Caspar Weinberger, secrétaire à la défense des Etats-Unis,
présenta un rapport sur les intérêts des Etats-Unis en matière de sécurité dans le Golfe, mettant
l’accent sur l’importance qu’avaient pour les Etats-Unis la liberté de navigation et la libre
circulation du pétrole en provenance du Golfe. Il affirmait :
«La libre circulation du pétrole à travers le Golfe revêt une importance cruciale
pour la santé économique du monde occidental, et la liberté de navigation pacifique
dans la région constitue pour nous un enjeu majeur; compte tenu de la dépendance de
l’Occident vis-à-vis des importations de pétrole en provenance du Golfe, de la
proportion écrasante des réserves mondiales de pétrole détenues par les pays de cette
région, et de l’interdépendance croissante des économies occidentales, il est pour nous
vital, sur le plan économique, de veiller à ce que cet approvisionnement en pétrole se
poursuive.» (Annexe 231.)
10.37. C’est au vu de ces enjeux que les Etats-Unis considéraient avec une inquiétude
croissante le nombre et la gravité des attaques lancées par l’Iran contre des navires neutres en
général, et des navires américains en particulier. Cette inquiétude atteignit son paroxysme à
l’automne 1987.
10.38. Souvenez-vous qu’en juillet 1987, le Bridgeton, navire battant pavillon américain,
avait heurté une mine iranienne et qu’en août 1987, le Texaco Caribbean avait subi le même sort;
en septembre 1987, les forces américaines avaient saisi l’Iran Ajr, qu’elles avaient surpris en train
de mouiller des mines dans les eaux du Golfe; enfin, en octobre 1987, deux navires américains, le
Sungari et le Sea Isle City, avaient été endommagés par des tirs de missiles iraniens.
10.39. L’Iran a soutenu que c’était par hostilité à son endroit que les Etats-Unis avaient
attaqué les plates-formes. Il n’en est rien. Comme nous l’avons montré dans notre précédent
exposé, en octobre 1987, tous les moyens raisonnables, hormis le recours à la force, avaient été mis
en œuvre pour faire cesser la guerre engagée par l’Iran contre les navires neutres. Ouvertures
diplomatiques, condamnations des Nations Unies, envoi de dragueurs de mines, organisation de
convois … rien n’avait dissuadé l’Iran. Au contraire, l’Iran réagit à ces efforts en multipliant ses
- 43 -
attaques et en ciblant plus particulièrement les navires déployés dans le cadre de ces efforts de
protection. En outre, à tout instant, les hauts responsables iraniens menaçaient de lancer de
nouvelles attaques contre des navires neutres dans le Golfe, et plus particulièrement contre les
navires américains.
10.40. Face à ce bellicisme obstiné, et plus conscients encore du préjudice croissant porté à
leurs intérêts vitaux en matière de sécurité dans la région, les Etats-Unis décidèrent qu’un recours à
la force était nécessaire en vue de protéger ces intérêts.
10.41. Bien sûr, les Etats-Unis pouvaient adopter différentes solutions militaires. Ils auraient
pu viser des sites de missiles iraniens dans la région de Fao ¾ ils ont d’ailleurs examiné cette
solution (annexe 44, déclaration du général George Crist, par. 10). Ils auraient pu viser un dépôt
d’armes et de munitions au nord de Bandar Abbas ou bien les installations portuaires qui s’y
trouvaient ¾ ils ont aussi examiné ces solutions (annexe 48, déclaration du vice-amiral Less,
par. 10). Si les Etats-Unis avaient eu l’intention de causer un grave préjudice aux infrastructures
pétrolières iraniennes, ils auraient pu viser l’un des principaux dépôts de pétrole iraniens, par
exemple dans les îles de Kharg ou de Sirri. Mais telle n’était pas leur intention. Les Etats-Unis ont
envisagé de nombreuses solutions, mais ont jugé qu’une attaque limitée contre certaines
plates-formes pétrolières utilisées pour faciliter les attaques contre des navires neutres représentait
la solution la plus adéquate pour faire face à la menace évidente et réelle qui pesait sur leurs
intérêts vitaux en matière de sécurité.
10.42. Comme l’a expliqué le général George Crist, commandant en chef des forces des
Etats-Unis au Moyen-Orient à l’époque des opérations américaines, les Etats-Unis ont tenté
d’identifier des cibles «directement liées aux actes de guerre iraniens menés contre des navires
battant pavillon américain, mais qui n’étaient pas disproportionnées» par rapport aux actes
d’agression commis par l’Iran. Il a en outre relevé :
«En envisageant les cibles possibles, ma priorité était en général, en ma qualité
de commandant des opérations, de protéger nos forces [et de] recommander des cibles
iraniennes dont la destruction affaiblirait la capacité de l’Iran à attaquer des navires
battant pavillon américain et à frapper les navires de guerre de la marine américaine et
les pétroliers escortés par eux… J’espérais en même temps éviter une escalade de la
guerre avec l’Iran et préserver notre statut d’Etat non-belligérant.»
- 44 -
10.43. La déclaration complète du général Crist est reproduite à l’annexe 44 ainsi que sous
l’onglet no
C9 de votre dossier. Elle montre que la décision de viser les plates-formes pétrolières
avait été mûrement réfléchie et expose les critères sur lesquels cette décision était fondée.
10.44. Ces critères ont servi à écarter un certain nombre de cibles qui auraient pu être visées
par les actions militaires américaines. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les sites de missiles iraniens
situés dans la région de Fao avaient été envisagés mais, ainsi que l’a expliqué le général Crist :
«Une telle attaque aurait pu être interprétée comme une participation directe à la guerre entre l’Iran
et l’Iraq, puisque ces sites se trouvaient en terrain d’hostilités entre ces deux pays.» Les Etats-Unis
n’avaient aucun intérêt à intervenir en terrain d’hostilités entre l’Iran et l’Iraq. De la même
manière, une attaque lancée contre la base navale iranienne de Bandar Abbas aurait représenté une
frappe importante contre une installation militaire clé, qui elle aussi aurait été déterminante pour
l’issue de la guerre entre les deux pays. En outre, une frappe contre Bandar Abbas aurait entraîné
des risques militaires considérables pour les soldats américains. Il aurait très probablement été
nécessaire de procéder à des frappes aériennes pour anéantir la défense antiaérienne iranienne, avec
pour résultat probable des pertes en vies humaines du côté iranien. Enfin, une attaque lancée contre
l’une quelconque des principales installations pétrolières iraniennes n’aurait pas répondu à la
menace directe et réelle que les plates-formes elles-mêmes faisaient peser sur les navires, et aurait
provoqué plus de dégâts.
10.45. Après avoir examiné toutes les solutions possibles, les Etats-Unis conclurent qu’une
attaque lancée contre les plates-formes pétrolières répondrait à la menace directe pesant sur les
intérêts américains en particulier et sur le trafic maritime neutre en général. Une telle attaque
contribuerait à mettre fin à l’utilisation par l’Iran de ces plates-formes dans sa guerre contre le
trafic maritime neutre, guerre qui allait s’intensifiant. Les plates-formes se trouvaient en mer et ne
nécessiteraient par conséquent pas d’action sur le sol iranien ni en terrain d’hostilités entre l’Iran et
l’Iraq. Leur attaque permettrait aussi d’éviter autant que possible des pertes dans la population
civile et ne mettrait pas en danger les forces américaines.
- 45 -
10.46. Comme l’a indiqué le général Crist, c’est précisément parce que l’Iran utilisait les
plates-formes «pour identifier, suivre, surveiller et cibler des navires marchands et transmettre ces
informations à d’autres unités navales iraniennes, y compris au quartier général de la marine
iranienne à Bandar Abbas», qu’une attaque contre celles-ci représentait un moyen approprié et
efficace pour prévenir d’autres attaques iraniennes contre des navires.
10.47. La déclaration du vice-amiral Anthony Less, alors à la tête de l’ensemble des forces
militaires des Etats-Unis dans le Golfe, permet de mieux comprendre l’organisation des opérations
américaines contre la plate-forme (annexe 48; onglet no
C10 dans le dossier des juges). Le
vice-amiral Less explique que toutes les solutions qui auraient consisté à lancer une attaque
terrestre contre l’Iran furent écartées parce qu’elles auraient risqué d’intensifier le conflit et de
provoquer des pertes humaines inacceptables tant du côté américain que du côté iranien (par. 16).
10.48. Bien que cette question ne soit pas pertinente en l’affaire, l’Iran a parlé des opérations
américaines menées contre la frégate iranienne Sabalan. Entre janvier 1987 et mars 1988, des
frégates iraniennes ont attaqué environ vingt-cinq navires neutres (annexe 9). L’une d’entre elles a
donc été incluse parmi les cibles des opérations américaines du 18 avril 1988. Comme il est
expliqué dans l’article de Perkins, que l’Iran lui-même invoque (annexe 132), et dans la déclaration
du vice-amiral Less (annexe 48, onglet no
C10 de votre dossier), des navires de la marine
américaine ainsi que des navires marchands neutres ont été la cible de tirs de la part de navires
militaires iraniens après les opérations menées par les Etats-Unis contre Sassan et Sirri. Lors de
ces incidents, les bâtiments américains ont riposté, coulant deux des navires en question et mettant
le Sabalan hors de combat. Contrairement à ce qu’elles avaient prévu, les forces américaines n’ont
pas poursuivi leur attaque contre le Sabalan, deux autres navires ayant été coulés.
10.49. L’Iran a également soutenu que l’explication que donnent les Etats-Unis de la raison
pour laquelle ils ont visé les plates-formes de Sassan et de Sirri le 18 avril 1988 devrait être rejetée
parce que l’article de Perkins décrit les plates-formes de Sassan et de Sirri comme de simples cibles
de rechange, à viser seulement si la cible principale, le Sabalan, ne pouvait être trouvée. Même si
les Etats-Unis reconnaissent que l’interprétation par l’Iran du seul paragraphe de l’article qu’il cite
est apparemment plausible, il est clair d’après le reste de l’article du capitaine Perkins, ainsi qu’à la
lecture minutieuse de ce paragraphe, que son auteur ne voulait pas du tout dire cela. En fait, les
- 46 -
forces américaines avaient reçu pour instruction d’attaquer à la fois les plates-formes de Sassan et
de Sirri d’un côté, et la frégate Sabalan de l’autre; de plus, au cas où le Sabalan n’aurait pas été
repéré, elles devaient également attaquer la plate-forme de Rakhsh. Cette conclusion est
incontestable pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, un groupe distinct de navires a été
affecté à chacune des trois cibles : Sassan, Sirri et le Sabalan. Ensuite, les trois groupes ont entamé
leurs opérations simultanément, mais aucun navire américain ne s’est approché de la plate-forme de
Rakhsh avant que l’on ne se rende compte que l’on ne parvenait pas à repérer le Sabalan. Enfin,
les forces américaines ont mené leurs opérations contre les plates-formes d’une façon délibérée,
systématique et coordonnée, alors que l’Iran affirme que ces attaques ont été faites dans un moment
de frénésie, en violation des ordres donnés. La déclaration du vice-amiral Less confirme cette
explication (annexe 48, par. 11-17; onglet no
C10 du dossier des juges).
Les opérations militaires menées par les Etats-Unis contre les plates-formes
10.50. Après avoir expliqué les décisions concernant les cibles à viser, je vais brièvement
examiner le déroulement de chacune des opérations militaires menées par les forces américaines.
La première a eu lieu le 19 octobre 1987. Le fait que l’Iran avait attaqué le Sungari et le
Sea Isle City quelques jours seulement avant le 19 octobre avait confirmé qu’il était décidé à
poursuivre ses attaques contre des navires américains et montré que des efforts diplomatiques
supplémentaires de la part des Etats-Unis pour le persuader de mettre fin à ces attaques seraient
vains.
10.51. La première opération a visé le complexe de plates-formes pétrolières offshore de
Rostam. Il faut noter qu’à cette époque, le complexe de Rostam ne connaissait aucune activité
commerciale. Endommagé auparavant par des attaques aériennes iraquiennes, il ne se livrait plus à
l’extraction de pétrole. Rostam, en revanche, avait servi de base logistique à des attaques par
hélicoptère, et était également utilisé pour détecter les mouvements de navires marchands dans
cette partie du Golfe et pour communiquer avec d’autres unités des forces iraniennes. Les forces
américaines ont mené des opérations contre deux des plates-formes du complexe de Rostam, la R-7
et la R-4. La plate-forme R-7 disposait d’une aire d’atterrissage pour hélicoptère, la
plate-forme R-4 était équipée d’un radar de surface.
- 47 -
10.52. Avant toute opération militaire américaine, le personnel iranien a été prévenu par
haut-parleur, en persan et en anglais, qu’il devait quitter les complexes. Les forces américaines ont
ensuite fouillé le complexe abandonné; ils ont découvert des documents, des transmissions et des
équipements de la marine iranienne qui confirmaient eux aussi le rôle joué par Rostam dans les
attaques iraniennes contre le trafic maritime neutre. Après cette fouille, les forces américaines ont
endommagé les structures des plates-formes au moyen de tirs d’artillerie et d’explosifs pour
empêcher qu’elles ne servent à d’autres attaques iraniennes contre des navires. Les forces
américaines ne s’en sont pas pris à l’oléoduc sous-marin qui reliait le complexe de plates-formes à
la raffinerie iranienne de l’île de Lavan. Conformément à l’article 51 de la Charte des
Nations Unies, les Etats-Unis ont informé sans retard le Conseil de sécurité de l’Organisation de
ces opérations.
10.53. Malheureusement, dans la période qui a suivi les opérations militaires américaines
contre la plate-forme de Rostam, les attaques iraniennes contre des navires américains se sont
poursuivies; des frégates de la marine iranienne étaient de plus en plus souvent à leur origine.
M. Mattler a examiné ces événements. En résumé, selon le service d’information maritime du
Lloyd’s, l’Iran était responsable d’attaques sur non moins de cinquante-sept navires neutres dans le
Golfe entre octobre 1987 et la mi-avril 1988. Trois de ces attaques étaient dirigées contre des
navires appartenant à des intérêts américains : le Lucy, l’Esso Freeport, et le Diane.
10.54. Le 14 avril 1988, l’USS Samuel B. Roberts a heurté une mine mouillée par des forces
iraniennes alors qu’il rentrait d’une mission au cours de laquelle il avait escorté des pétroliers
battant pavillon américain dans le Golfe. Dix marins américains ont été blessés et le navire a été
considérablement endommagé.
10.55. Une fois de plus, les Etats-Unis ont dû s’interroger sur ce qu’ils devaient faire face
aux agressions persistantes et directes commises par l’Iran contre leurs intérêts vitaux de sécurité.
Et, une fois encore, les Etats-Unis ont décidé de ne pas intensifier ni élargir le conflit, mais de
prendre des mesures restreintes bien que nécessaires contre les plates-formes pétrolières iraniennes
de façon à répondre à la menace immédiate que celles-ci présentaient pour leurs intérêts vitaux en
matière de sécurité.
- 48 -
10.56. Par conséquent, le 18 avril 1988, quatre jours après l’attaque contre
l’USS Samuel B. Roberts, les Etats-Unis ont pris des mesures contre les complexes de
plates-formes pétrolières de Sirri et de Sassan. Comme je l’ai montré, l’Iran utilisait également ces
plates-formes dans ses attaques contre des navires marchands neutres, notamment américains.
Selon le général Crist, les commandants des opérations américaines savaient que
«les plates-formes de Sassan et de Sirri se livraient à des activités militaires. Comme
Rostam, elles servaient à identifier, suivre, surveiller et cibler des navires marchands
et à transmettre ces informations à d’autres commandements navals iraniens, y
compris le quartier général de la marine à Bandar Abbas.»
Je vous renvoie au paragraphe 17 de la déclaration du général Crist, reproduite sous l’onglet no
C9
de votre dossier, ainsi qu’aux paragraphes 11 et 15 de la déclaration du vice-amiral Less, reproduite
sous l’onglet no
C10 du dossier. Le vice-amiral Less explique en détail pourquoi il était certain que
les plates-formes de Sassan et de Sirri étaient utilisées pour attaquer des navires neutres dans le
Golfe (annexe 44, déclaration du général George Crist, par. 17; annexe 48, déclaration du
vice-amiral Anthony Less, par. 11-15). Il faut noter qu’à l’époque des opérations américaines ni
Sirri ni Sassan ne connaissaient d’activités commerciales avec les Etats-Unis. En effet, les
Etats-Unis avaient imposé un embargo sur l’importation de pétrole d’origine iranienne en
octobre 1987. Il n’y avait aucun échange de pétrole entre l’Iran et les Etats-Unis au moment de ces
opérations.
10.57. Une fois encore, avant d’engager les opérations contre ces installations, les forces
américaines ont demandé au personnel qui se trouvait sur les plates-formes de Sirri et Sassan, à la
fois en anglais et en persan, d’évacuer les lieux. Elles ont ensuite endommagé les structures des
plates-formes par des tirs de roquette et d’artillerie afin d’empêcher qu’elles ne servent à d’autres
attaques contre le trafic maritime. Les forces américaines ne s’en sont pas pris aux oléoducs
sous-marins qui reliaient ces complexes de plates-formes aux raffineries iraniennes des îles de Sirri
et de Lavan. Une fois de plus, les Etats-Unis ont informé sans retard le Conseil de sécurité des
Nations Unies de ces opérations, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies.
10.58. Après les opérations américaines contre les plates-formes de Sirri et de Sassan, les
attaques de l’Iran contre le trafic maritime neutre, notamment américain, à proximité de ces
complexes ont quasiment cessé. Avant la fin de la guerre entre l’Iran et l’Iraq, l’Iran n’a attaqué
- 49 -
que deux autres navires marchands dans un rayon de 50 milles marins autour de ces complexes : ni
l’un ni l’autre n’était un navire américain. Bien que des risques aient encore pesé sur eux, les
intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité étaient à présent mieux protégés, grâce aux
mesures nécessaires entreprises par les forces armées américaines.
Conclusion
10.59. M. le président, j’ai commencé cet exposé en priant la Cour de bien vouloir vérifier
l’affirmation de l’Iran selon laquelle ses plates-formes pétrolières n’avaient joué aucun rôle
militaire offensif dans le conflit du Golfe. Le résultat nous semble clair : l’Iran a bien utilisé ses
complexes de plates-formes pétrolières offshore pour faciliter les attaques menées contre le trafic
maritime neutre dans le Golfe, afin d’entraver la navigation, de déstabiliser le commerce et
menacer les intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité. Des témoins oculaires
affirment que les plates-formes étaient utilisées pour lancer des attaques contre des navires neutres.
Les services maritimes ont diffusé des alertes auprès des compagnies maritimes du monde entier
afin que celles-ci évitent absolument d’approcher les plates-formes iraniennes. Les compagnies
maritimes opérant dans le Golfe ont pris des mesures coûteuses pour que leurs navires passent à la
distance la plus grande possible des plates-formes. Les plans, instructions et transmissions secrets
de la marine iranienne confirment que l’Iran avait pour politique d’utiliser ses plates-formes à des
fins militaires, et qu’il le faisait. Les commandants militaires américains en étaient convaincus
au-delà de tout doute raisonnable.
10.60. M. le président, comme je l’ai indiqué, les Etats-Unis ont en fin de compte été
contraints, après l’échec de leurs nombreuses démarches pacifiques, d’utiliser la force afin de
prévenir d’autres attaques iraniennes contre le trafic maritime neutre, notamment américain. A
deux occasions distinctes, les Etats-Unis ont entrepris des actions militaires nécessaires et
proportionnées contre certains complexes iraniens de plates-formes pétrolières offshore que l’Iran
utilisait pour mener ses attaques contre le trafic maritime neutre, notamment américain.
10.61. Les éléments dont nous disposons montrent que les responsables américains avaient
de bonnes raisons pour conclure que des opérations menées contre des complexes offshore iraniens
constitueraient une réponse adéquate et efficace aux attaques incessantes de l’Iran. Compte tenu de
- 50 -
l’utilisation des plates-formes pour de telles attaques par le passé, et des preuves manifestes que
l’Iran avait intégré les plates-formes dans la logistique de ses opérations militaires à cette fin, les
plates-formes contribuaient largement — je dis bien largement — à la capacité de l’Iran à attaquer
les navires. L’efficacité des opérations menées par les Etats-Unis contre les plates-formes confirme
l’exactitude de ce jugement. Les attaques iraniennes contre des navires neutres à proximité des
plates-formes ont pratiquement cessé.
10.62. M. le président, ceci m’amène à la fin de mon exposé. Je vous prie de bien vouloir
appeler à la barre M. Matheson, qui examinera la portée juridique des exposés que les Etats-Unis
ont présentés sur les faits.
Le PRESIDENT : Merci, M. Bettauer. Je donne maintenant la parole à M. Matheson.
M. MATHESON :
11. RESUME DE L’EXPOSE DES FAITS
11.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un grand
honneur que de me présenter à nouveau devant vous au nom des Etats-Unis. Ma tâche consistera
aujourd’hui à résumer brièvement les principaux faits qui vous ont été exposés jusqu’à présent par
l’équipe des Etats-Unis, et à indiquer comment nous allons fonder sur ces faits la thèse juridique
que nous vous exposerons au cours des dernières audiences du premier tour. J’examinerai cinq
grandes questions : en premier lieu, la campagne d’attaques généralisées menée par l’Iran dans le
Golfe contre les navires neutres, notamment américains; en deuxième lieu, le mouillage de mines
par l’Iran; en troisième lieu, les attaques au missile de l’Iran contre des cibles américaines et
d’autres cibles neutres; en quatrième lieu, les initiatives des Etats-Unis visant à parvenir à un
règlement pacifique du problème; et, en dernier lieu, l’utilisation par l’Iran de ses plates-formes
pétrolières pour soutenir ces différentes attaques et les actions menées par les Etats-Unis contre
celles-ci.
- 51 -
La campagne d’attaques généralisées menée dans le Golfe par l’Iran contre les navires
neutres, notamment américains
11.2. Commençons par la campagne d’attaques généralisées menée par l’Iran contre des
navires américains et d’autres navires neutres dans le Golfe. Selon le conseil de l’Iran, les propos
des Etats-Unis accusant l’Iran d’avoir mené des attaques contre le trafic maritime neutre sont
«infondé[s] au regard des faits et dépourvu[s] de pertinence au regard du droit» (CR 2003/7, p. 42,
par. 39 (Bothe)). Monsieur le président, nous ne sommes absolument pas d’accord. Nous avons
décrit en détail les attaques délibérées et systématiques menées par l’Iran contre la navigation
neutre dans le Golfe. Nous avons montré que ces attaques ne s’étaient nullement limitées aux
navires transportant du matériel de guerre iraquien, aux navires refusant de se soumettre à un
arraisonnement et à une fouille, ou encore aux navires battant le pavillon d’Etats considérés par
l’Iran comme belligérants. Ce sont plus de 200 navires marchands, de 30 pays neutres, qui ont été
attaqués.
11.3. Les Etats-Unis étaient particulièrement visés par ces attaques. Les forces iraniennes
ont délibérément isolé les navires marchands et les bâtiments de guerre des Etats-Unis pour les
attaquer, et les dirigeants iraniens se sont ouvertement targués de leur intention de chasser ainsi les
navires américains hors du Golfe. Parmi les victimes de ces attaques figurent des navires
marchands ¾ le Bridgeton, le Texaco Caribbean, le Sungari, le Sea Isle City, le Lucy,
l’Esso Freeport et le Diane ¾, ainsi qu’un navire de guerre, l’USS Samuel B. Roberts.
11.4. Ces attaques ont eu de très lourdes conséquences sur le trafic maritime neutre,
notamment américain. Elles ont infligé aux équipages de ces navires de graves blessures et des
pertes en vie humaines. Elles ont gravement endommagé les navires eux-mêmes et leur cargaison,
engendrant d’énormes pertes financières. Elles ont forcé les chargeurs d’Etats neutres à opérer des
changements très onéreux dans leurs méthodes d’acheminement des marchandises et de navigation,
et les a en plus contraints d’engager des sommes considérables, par exemple en matière de sécurité
et d’assurance. Les Etats-Unis et leurs ressortissants ont subi des pertes particulièrement lourdes,
notamment du fait des dommages causés à leurs biens, de l’augmentation des coûts d’exploitation
et d’investissement, des déploiements militaires et des blessures infligées au personnel.
- 52 -
11.5. Prises dans leur ensemble, ces attaques ont gravement menacé les intérêts
fondamentaux d’un grand nombre d’Etats neutres et leur ont gravement porté atteinte, en particulier
pour ce qui concerne les Etats-Unis. Le flux du pétrole dans le Golfe revêt une importance vitale
pour le bien-être économique et l’équilibre militaire de ces Etats. Or, leurs ressortissants et leur
marine marchande ont été gravement mis en danger. Nombre d’Etats neutres ont formulé des
protestations contre ces actions de l’Iran par la voie diplomatique et devant le Conseil de sécurité
des Nations Unies, lequel a condamné les attaques iraniennes et a exigé qu’il y soit mis fin.
Nombre d’Etats neutres ont été obligés de déployer d’importantes forces navales dans le Golfe pour
protéger des intérêts vitaux pour eux. Cela valait tout spécialement pour les Etats-Unis, qui étaient
particulièrement visés par les attaques iraniennes et pour qui la région revêtait un grand intérêt
stratégique.
11.6. De ces faits découlent plusieurs conclusions juridiques importantes, comme nous
l’expliquerons en détail pendant les dernières audiences du premier tour. Premièrement, l’Iran
demande à la Cour de lui accorder réparation, mais il s’est lui-même ôté tout droit à réparation par
son comportement fautif ¾ autrement dit, par ses attaques contre les navires des Etats-Unis et
d’autres navires neutres, sans le moindre semblant de justification juridique. Comme nous le
montrerons, le principe de la réciprocité empêche l’Iran de reprocher aux Etats-Unis d’avoir violé
la liberté de commerce et la liberté de navigation, qui sont protégées par le traité de 1955, puisqu’il
a lui-même bafoué de manière flagrante ces libertés. L’Iran ne peut bien évidemment pas
condamner des actes des Etats-Unis qui sont la conséquence directe et naturelle de son propre
comportement illicite, comme cela a été le cas en l’espèce. Et il est encore plus certain que la Cour
ne doit pas faire cadeau à l’Iran d’une réparation pour des mesures qu’il a lui même rendues
nécessaires par ses propres actions illicites.
11.7. Deuxièmement, les attaques de l’Iran contre les navires neutres, et en particulier ceux
des Etats-Unis, ont gravement menacé les intérêts vitaux des Etats-Unis et leur ont gravement porté
atteinte, concernant notamment le flux du pétrole dans le Golfe, la protection des Etats neutres dans
la région et, surtout, la protection des ressortissants, des navires et des forces armées des Etats-Unis
- 53 -
contre les risques d’attaque. Dès lors, ainsi que nous le montrerons, le traité, conformément à son
article XX, ne pouvait empêcher les Etats-Unis de prendre des mesures nécessaires pour protéger
ces intérêts vitaux sur le plan de la sécurité.
11.8. Troisièmement, ces actions de l’Iran contre les navires et les ressortissants des
Etats-Unis constituaient une agression armée contre les Etats-Unis, conférant à ceux-ci un droit de
légitime défense en application de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. En réalité, il n’est
pas besoin pour la Cour de se prononcer sur ce point dans la présente espèce, étant donné que les
actions des Etats-Unis relèvent de l’article XX et que de toute façon, le traité n’y faisait pas
obstacle. Cela étant, nous confirmons à toutes fins utiles que les attaques iraniennes conféraient
aux Etats-Unis le droit de prendre des mesures de légitime défense nécessaires et proportionnées.
11.9. Quatrièmement, les attaques de l’Iran contre des navires battant pavillon américain et
des navires de propriété américaine fondent les Etats-Unis à présenter en l’espèce une demande
reconventionnelle pour la perte, les dommages et le préjudice découlant de ces attaques. Comme
nous le montrerons, les attaques de l’Iran constituaient une violation patente de la liberté de
commerce et de la liberté de navigation protégées par l’article X du traité. Outre les blessures
infligées aux marins et les dommages causés aux biens embarqués sur ces navires, ces attaques ont
imposé aux chargeurs américains des dépenses considérables, généralement sous la forme de coûts
accrus d’exploitation, d’assurance et d’entretien.
Le mouillage de mines par l’Iran
11.10. J’en viens à présent aux activités de mouillage de mines de l’Iran. A ce stade, nous
avons démontré en détail que l’Iran est bien responsable de la pose de vastes champs de mines dans
des eaux qui étaient souvent fréquentées par des navires neutres en transit, à destination ou en
partance de ports neutres, champs de mines qui ont gravement endommagé un bon nombre de ces
navires. Plus précisément, nous avons présenté des preuves attestant clairement l’origine iranienne
des mines qu’ont heurté le Bridgeton (battant pavillon américain), le Texaco Caribbean (affrété par
les Etats-Unis) et l’USS Samuel B. Roberts (navire de guerre américain), et nous avons établi que
tous les éléments de preuve disponibles portent à conclure que l’Iran a délibérément mouillé des
mines, dans le but précis d’endommager ou de détruire des navires des Etats-Unis. Nous avons
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montré que la proposition subsidiaire de l’Iran, à savoir que les mines auraient été mouillées par
l’Iraq, est totalement invraisemblable et contredite par tous les éléments de preuve. Les activités de
mouillage de mines de l’Iran ont créé de grands dangers pour les navires américains et les autres
navires neutres transitant par le Golfe, et elles ont forcé tous les chargeurs à prendre des mesures
qui ont radicalement freiné leurs opérations et en ont élevé considérablement le coût.
11.11. Ces faits appellent plusieurs conclusions juridiques importantes. Premièrement, ils
démontrent une nouvelle fois que l’Iran a violé en particulier le traité de 1955 en engageant des
actions qui ne pouvaient qu’entraver fortement la navigation et le commerce maritime entre les
territoires des deux Parties. Ces actions constituaient également une violation directe du droit des
conflits armés.
11.12. Deuxièmement, ces faits montrent que la menace qui pesait sur les intérêts des
Etats-Unis en matière de sécurité était grande et imminente, mettant gravement en péril le trafic
maritime neutre en général, et les ressortissants et les navires américains en particulier, notamment
les navires de guerre américains. Cette menace est devenue particulièrement alarmante au
lendemain de l’attaque à la mine du USS Samuel B. Roberts, lorsqu’il est devenu évident que l’Iran
avait à la fois les moyens et l’intention de détruire les navires des Etats-Unis et de perturber
grandement l’activité maritime des Etats-Unis dans le Golfe. Comme nous l’exposerons plus tard
dans ce premier tour, ces attaques ont clairement menacé les intérêts vitaux des Etats-Unis sur le
plan de la sécurité au sens de l’article XX.
11.13. Troisièmement, ces faits montrent que les Etats-Unis, même avec leurs capacités
navales considérables, ne pouvaient pas protéger leurs navires contre de telles attaques à la mine en
se contentant de prendre des mesures passives de détection et de destruction de mines, ou des
mesures défensives limitées aux mouilleurs de mines. Les navires de guerre américains
eux-mêmes ne pouvaient pas détecter avec fiabilité toutes ces mines lorsqu’ils participaient à des
opérations de convoyage, et il n’existait aucune manière fiable de détecter et de détruire à l’avance
tous les navires iraniens susceptibles de poser ces mines. De toute évidence, il était devenu
indispensable de mener une action militaire contre les installations iraniennes qui soutenaient ces
- 55 -
attaques et surveillaient les cibles neutres, notamment américaines. Par conséquent, comme nous
l’exposerons plus tard, une telle action militaire entrait dans le cadre des dispositions de
l’article XX.
Les attaques au missile de l’Iran contre des cibles américaines et d’autres cibles neutres
11.14. Se pose ensuite la question des attaques au missile que l’Iran a menées contre des
cibles américaines et d’autres cibles neutres. Nous avons démontré que l’Iran était effectivement
responsable du lancement d’une série de missiles anti-navires du type HY-2 contre des cibles
situées dans les environs du Koweït, et en particulier que l’Iran avait lancé les missiles qui ont
touché le Sungari, navire appartenant aux Etats-Unis, et le Sea Isle City, qui battait pavillon
américain. Nous avons montré que la proposition subsidiaire de l’Iran, visant à imputer le
lancement de ces missiles à l’Iraq, est non seulement contraire aux faits mais également très
invraisemblable, car on voit mal quels auraient été l’intérêt et l’intention de l’Iraq dans ces
attaques.
11.15. Ces faits appellent les conclusions juridiques suivantes. Premièrement, ils démontrent
le parfait mépris que l’Iran avait pour la sécurité de la navigation maritime et ses obligations à
l’égard du commerce neutre. Des missiles très destructeurs ont fréquemment été tirés à longue
distance vers une zone où se trouvait un grand nombre de navires neutres ¾ missiles voués à
frapper sans discrimination et sans distinction possible entre les cibles licites et illicites. A ce titre,
ces actions constituaient une violation patente non seulement du traité de 1955, mais aussi du droit
des conflits armés.
11.16. Deuxièmement, ces faits montrent que les navires des Etats-Unis et les autres navires
neutres dans le Golfe étaient gravement et constamment menacés par des attaques au missile
parfaitement capables de les détruire et de tuer leur équipage. Cela constituait, sans aucun doute, à
la fois une entrave considérable à la navigation et au commerce maritime des Etats-Unis et une
grave menace pour les intérêts vitaux des Etats-Unis concernant la sécurité de leurs navires et le
flux de pétrole partant généralement du Koweït et d’autres régions du Golfe. Ces menaces sont
devenues particulièrement alarmantes au lendemain de l’attaque contre le Sea Isle City, lorsqu’il est
clairement apparu que l’Iran était pleinement capable de mener une campagne soutenue et
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dévastatrice d’attaques au missile contre les navires neutres, notamment américains, et qu’il y était
fermement résolu. Dès lors, ces attaques ne pouvaient que déclencher l’application des
dispositions de l’article XX du traité.
11.17. Troisièmement, ces faits démontrent que les Etats-Unis ne pouvaient se contenter de
prendre des mesures de défense passives contre les missiles proprement dits, puisqu’il était tout
simplement impossible de détecter les tirs de missiles suffisamment à l’avance pour déployer des
ressources navales sur la scène de l’attaque, pas plus qu’ils ne pouvaient raisonnablement espérer
abattre ces missiles en vol. Une action militaire s’imposait manifestement, et il était parfaitement
logique que cette action vise les installations qui servaient de base aux attaques et relayaient des
informations sur les cibles potentielles ¾ ce qui était précisément le cas des plates-formes
iraniennes. Par conséquent, de telles mesures relevaient de l’article XX du traité.
Les initiatives des Etats-Unis visant à parvenir à un règlement pacifique du problème
11.18. Venons-en maintenant aux initiatives prises par les Etats-Unis en vue de remédier par
des moyens pacifiques au grave problème créé par les attaques de l’Iran. A ce stade, nous avons
démontré en détail que les Etats-Unis ¾ et un grand nombre de pays neutres, d’ailleurs ¾ avaient
déployé des efforts considérables pour convaincre l’Iran de mettre un terme à ses attaques contre le
trafic maritime neutre dans le Golfe. Les Etats-Unis ont, en particulier, entrepris de nombreuses
démarches diplomatiques auprès de l’Iran, en soulignant que leur commerce maritime dans le Golfe
ne menaçait d’aucune façon les intérêts iraniens, qu’ils respecteraient rigoureusement tout exercice
légitime par l’Iran de ses droits en vertu du droit des conflits armés, et que leurs forces navales
postées dans le Golfe n’auraient recours à la force contre l’Iran que si elles y étaient contraintes par
la poursuite des attaques iraniennes.
11.19. Ces faits ont d’importants corollaires du point de vue juridique. Premièrement, ils
montrent que les Etats-Unis ont épuisé de bonne foi tous les moyens raisonnables et pacifiques
pour protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, envisageant l’emploi de la force
comme une solution de dernier recours. Par conséquent, comme nous le montrerons, les mesures
prises par les Etats-Unis constituaient une action nécessaire et légitime, qui relevait des dispositions
de l’article XX et était donc autorisée par le traité.
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11.20. Deuxièmement, ces faits confirment la culpabilité de l’Iran, qui a poursuivi ses
attaques contre le trafic maritime neutre en violation du droit international et du traité de 1955,
même après avoir une nouvelle fois reçu l’assurance que ses intérêts ne seraient pas menacés par un
commerce pacifique et que ses droits d’Etat belligérant seraient respectés. Ils révèlent que l’Iran ne
faisait manifestement aucun cas de ses obligations internationales vis-à-vis du commerce et de la
navigation neutre et notamment des obligations que lui imposait le traité.
L’utilisation par l’Iran de ses plates-formes pétrolières pour faciliter ses différentes attaques
et les actions menées par les Etats-Unis contre ces plates-formes.
11.21. En dernier lieu, j’en viens à l’utilisation par l’Iran de ses plates-formes pour faciliter
ses différentes attaques et aux actions menées par les Etats-Unis contre ces plates-formes. Nous
avons déjà démontré que l’Iran utilisait ses plates-formes pétrolières ¾ et en particulier celles qui
ont été l’objet de l’action américaine ¾ à des fins militaires dépassant largement le cadre de la
défense de ces installations contre des attaques ennemies. Nous avons surtout examiné les
éléments de preuve indiquant que ces plates-formes avaient été utilisées comme bases de lancement
pour des attaques menées par des hélicoptères et des canonnières, pour surveiller les navires
neutres qui étaient ensuite pris pour cible, et comme relais-radio permettant la transmission de
renseignements militaires en vue de la coordination des opérations de minage et d’autres activités
hostiles au trafic maritime neutre.
11.22. En outre, nous avons montré que les Etats-Unis n’avaient pas ¾ contrairement à ce
qu’a soutenu l’Iran ¾ engagé une action militaire contre les plates-formes dans le but d’infliger le
maximum de dommages économiques à l’Iran, ou d’influer le plus possible sur le cours de la
guerre Iran/Iraq. Au contraire, en préférant les plates-formes à toutes les autres cibles iraniennes
potentielles, les Etats-Unis ont réduit de beaucoup les risques de blesser ou de tuer des civils, et de
s’impliquer dans le conflit qui faisait alors rage entre l’Iran et l’Iraq. Si l’intention des Etats-Unis
avait simplement été d’infliger le maximum de dommages économiques, alors ils auraient détruit
les fondations de ces plates-formes et les points de raccordement entre celles-ci et les oléoducs, ou
encore attaqué des installations plus importantes, telles que celles qui se trouvent sur les îles de
Kharg et de Sirri. Si leur intention avait été d’influer le plus possible sur l’issue de la guerre entre
l’Iran et l’Iraq, les Etats-Unis auraient attaqué les forces iraniennes sur la péninsule de Fao ou les
- 58 -
principales bases situées sur le continent iranien. Non ¾ au lieu de cela, les forces américaines ont
dirigé leur action contre les plates-formes, qui avaient joué un rôle dans les attaques de navires
neutres, notamment américains, et contre celles des structures de ces complexes de plates-formes
qui étaient capables de supporter de telles attaques.
11.23. Ces faits ont des conséquences juridiques très claires. Premièrement, comme nous le
démontrerons par la suite, les actions des Etats-Unis contre les plates-formes ne peuvent
légitimement fonder le moindre grief en vertu de l’article X du traité de 1955, car ces actions n’ont
porté aucune atteinte à la liberté de commerce entre les Etats-Unis et l’Iran. Pour plusieurs raisons,
le pétrole extrait et produit par ces plates-formes ne pouvait d’aucune façon faire l’objet d’un
commerce avec les Etats-Unis au cours de la période considérée. Si les plates-formes devaient
avoir la moindre incidence sur ce commerce, c’est en tant que bases militaires d’appui aux actions
actions contre le commerce maritime.
11.24. Deuxièmement, les faits démontrent que l’Iran cherche en fait, par la présente affaire,
à rattraper les conséquences de ses propres violations du droit international et du traité de 1955. Si
les Etats-Unis ont mené leurs actions contre les plates-formes, c’est uniquement parce que l’Iran
utilisait celles-ci pour soutenir ses attaques contre le trafic maritime neutre ¾ attaques qui ont, en
violation du traité, porté atteinte à la liberté de commerce et à la liberté de la navigation entre les
Etats-Unis et l’Iran et qui ont également constitué des violations du droit de la neutralité et du droit
des conflits armés. Ainsi que nous allons le montrer, il s’ensuit que l’Iran n’a absolument pas le
droit de demander à la Cour réparation à raison de conséquences découlant de ses propres
manquements et de prétendues violations, par les Etats-Unis, d’obligations que l’Iran a lui-même
bafouées de manière flagrante.
11.25. Troisièmement, ces faits confirment que les plates-formes étaient une cible licite et
appropriée pour les opérations américaines. Comme nous l’expliquerons plus tard, les Etats-Unis
ont raisonnablement décidé qu’une action militaire s’imposait pour protéger des intérêts qui leurs
étaient vitaux sur le plan de la sécurité, pour se défendre contre une agression armée, et qu’aux fins
de cette action, les plates-formes constituaient un objectif légitime, a fortiori du fait de leur rôle
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dans les attaques contre les navires neutres, notamment américains. D’ailleurs, choisir les
plates-formes comme cible d’une réaction militaire était la meilleure solution pour épargner les
civils et éviter d’envenimer le conflit, autant que faire se pouvait.
Conclusion
11.26. Pour résumer mon exposé d’aujourd’hui, je dirai que les faits qui ont été établis par
les Etats-Unis depuis quelques jours appellent directement la thèse juridique que nous allons
présenter au cours des dernières audiences du premier tour. L’Iran a illicitement endommagé et
menacé les navires des Etats-Unis et d’autres navires neutres dans le Golfe, dans le cadre d’une
campagne d’attaques vaste et massive utilisant notamment des méthodes de guerre dangereuses et
sans discrimination. Ces attaques ont manifestement menacé les intérêts vitaux des Etats-Unis sur
le plan de la sécurité et ont justifié une action militaire, avant tout pour protéger les navires et les
forces armées des Etats-Unis ainsi que la vie de ressortissants américains. Les plates-formes qui
ont subi l’action des Etats-Unis étaient utilisées pour faciliter les attaques de l’Iran et constituaient
une cible licite pour une action militaire.
11.27. Les conséquences juridiques de ces faits sont évidentes en l’espèce. L’Iran ne peut
pas faire triompher devant la Cour une demande fondée sur de prétendues violations par les
Etats-Unis d’obligations qu’il a lui-même massivement violées. Les actions des Etats-Unis n’ont
pas emporté violation de l’article X et elles constituaient en tout cas des mesures appropriées pour
protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, aux fins de l’article XX. L’Iran
a lui-même violé l’article X du traité, et est donc responsable, à l’égard des Etats-Unis, des pertes
qu’ont entraînées ses attaques contre les navires américains.
11.28. Monsieur le président, voilà qui conclut nos exposés d’aujourd’hui. Nous remercions
la Cour de son attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Matheson. La Cour suspend maintenant ses
travaux et les reprendra demain matin à 10 heures.
L’audience est levée à 17 h 55.
___________

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