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CR 2005/7 (traduction)

CR 2005/7 (translation)

Lundi 18 avril 2005 à 10 heures

Monday 18 April 2005 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je vous signale que, pour

des raisons dont ils m’ont dûment informé, MM. les juges Buergenthal et Elaraby ne peuvent pas

participer à nos travaux aujourd’hui. Monsieur Brownlie, vous avez la parole.

M. BROWNLIE : Merci, Monsieur le président

L EGITIME DEFENSE

Introduction et propositions

1. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, c’est un honneur que de

m’adresser à vous au nom de la République d’Ouganda.

2. Je me permettrai, pour commencer, de fo rmuler certaines propositions qui donnent un

résumé de la présente espèce vue sous l’angle de la légitime défense.

Première proposition: depuis le début de la procédure, à commencer par la demande en

indication de mesures conservatoires, le Congo e xpose longuement ses accusations mais est fort

bref en ce qui concerne les preuves.

Deuxième proposition: l’Ouganda est face à un problème quasiment sans solution

d’insécurité frontalière depuis 1994 au moins jus qu’en avril1998. Le problème s’explique par

l’instabilité endémique qui règne dans les provi nces orientales du Congo et par l’absence de vrai

contrôle exercé sur ces régions par le gouvernement central.

Troisième proposition: postérieurement à mai1998 et jusqu’au moment où l’Ouganda a

mené en septembre 1998 l’indispensable action palli ative, la sécurité à court terme s’est dégradée

rapidement.

Quatrième proposition: si la menace pesant sur la sécurité de l’Ouganda s’est aggravée, il

faut principalement l’imputer à l’alliance conclue en mai1998 entre le Congo et le Soudan et au

rôle prédominant que le Soudan a joué en entraînant des soldats, en livrant des armes, et finalement

en assumant un rôle de combattant dans le cadre de l’action militaire dirigée contre l’Ouganda.

Cinquième proposition : à la date d’août 1998 au plus ta rd, le Soudan qui depuis longtemps

participait à des actions armées contre l’Ouganda sur la frontière septentrionnale de l’Ouganda - 3 -

avait accès à toute une série d’aérodromes militaires dans la région septentrionale du Congo et s’en

servait.

Il convient de compléter les propositions ci-d essus par une analyse du contexte politique et

de la présence au Congo oriental d’insurgés anti ougandais qui ne constituaient pas moins de sept

groupes dont le gouvernement central du Cong o se servait comme d’instruments de politique

nationale.

9 3. Les groupes armés présen ts à l’est du Congo en août et septembre 1998 étaient les

suivants :

Premier groupe

Les Forces démocratiques alliées (ADF). Au moment des faits, il s’agissait d’un groupe

d’insurgés antiougandais basé au Congo et bénéficiant du soutien tant du Gouvernement congolais

que du Gouvernement soudanais.

Les ADF ont joué un rôle prédominant dans les conflits et les menaces dirigées contre la

sécurité de l’Ouganda et ce rôle commence en 1996. L’action hostile à l’ Ouganda menée par les

ADF est exposée dans les écritures de l’Ouganda (voir CMO, par.19-20, 22-23, 387-396 et DO,

par. 59-77, 81-82, 655-674). Et mon éminent ami, M. Reichler, a opportunément fait la part belle

au bilan sanglant des ADF dans l’impressionnant exposé qu’il nous a présenté de l’affaire. Les

éléments de preuve étudiés dans les écritures et par M. Reichler prouvent au-delà de tout doute

raisonnable que les ADF représentaient pour le Congo, celui-ci agissant avec le Soudan, un

véritable instrument de politique nationale. Ce s ont les ADF qui ont lancé les agressions sinistres

dont l’Ouganda a souffert sur son territoire et à Mpondwe en 1996 ainsi que la série d’agressions

de 1998, dont les meurtres commis au collège technique de Kichwamba.

Deuxième groupe

Le Front de la rive ouest du Nil (WNBF) . Au moment des faits, il s’agit d’un groupe

d’insurgés organisé par le Gouvernement soudanais. Ce groupe éta it au départ constitué d’anciens

membres des forces armées d’Idi Amin. Ce sont troismille cinq cents soldats que le Soudan a

transportés au Congo en août 1998, qu’il a ensuite intégrés aux Forces armées congolaises (FAC) et - 4 -

qu’il a utilisés dans le cadre d’opérations militaes dirigées contre les forces du Gouvernement

ougandais à l’est du Congo.

Troisième groupe

Le Uganda National Rescue Front II (UNRF II). Au moment des faits, il s’agit d’un groupe

d’insurgés organisé par le Gouvernement soudanais et déployé sur le territoire congolais avec le

consentement du Gouvernement congolais.

10 Quatrième groupe

Les Anciennes Forces armées rwandaises (ex-FAR). Il s’agit des Forces armées rwandaises

sous le gouvernement du président JuvenalHabyarimana, lesque lles ont commis un génocide aux

dépens de la population tutsie rwandaise associée à des Hutus modérés. A la suite de la défaite que

leur a fait subir en 1994 le Front patriotique rwandais (FPR), des memb res des ex-FAR ont été

organisés au Congo pour lutter contre les Tutsis congolais et reprendre le pouvoir au

Gouvernement rwandais. En 1998, ces membres d es ex-FAR ont été intégrés par le président

LaurentKabila aux Forces armées congolaises (FAC) pour livrer bataille à l’Ouganda et au

Rwanda.

Cinquième groupe

Les Interhamwe : il s’agit de miliciens hutus rwandais qui, associés aux Forces du Rwanda

(FAR), ont commis le génocide de la population tu tsie du Rwanda en 1994. Ils se sont ensuite

enfuis au Congo et se sont réorganisés pour lutter contre les Tutsis congolais et le nouveau

Gouvernement rwandais. En 1998, ils ont été intégrés aux Forces armées congolaises (FAC) par le

président Laurent Kabila pour lutter contre l’Ouganda et le Rwanda.

Sixième groupe

L’Armée de résistance du Seigneur (LRA) . Il s’agit d’un groupe d’insurgés anti-Ouganda

organisé par le Soudan et basé au Soudan et au C ongo. Ce groupe est devenu tristement célèbre en

raison des atrocités qu’il commet aux dépens de ci vils ougandais. Les activités de la LRA ont fait

ces derniers mois l’objet de comptesrendus dans la presse internationale et font actuellement

l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale. - 5 -

Septième groupe

L’Ancienne Armée nationale de l’Ouganda (FUNA) . Il s’agit d’un groupe d’insurgés

antiougandais composé d’anciens soldats du dictateu r Idi Amin. Ce groupe a été organisé par le

Gouvernement soudanais en territoire congolais avec le consentement du Gouvernement congolais.

Ce groupe a finalement été intégré aux Forces armées congolaises (FAC).

4. De surcroît, pour compléter le tableau, il faut évoquer :

L’Armée nationale pour la libération de l’Ouganda (NALU) (intégrée aux ADF) . Il s’agit

d’un groupe d’insurgés antiougandais organisé en territoire congolais avec le consentement du

Gouvernement congolais et bénéficiant du soutie n du Gouvernement soudana is. Au milieu des

années quatre-vingt-dix, les structures et les membres de la NALU ont été finalement intégrés aux

Forces démocratiques alliées (les ADF), un groupe in surrectionnel ougandais dont je vous ai déjà
11

parlé. Comme ce groupe dit NALU a été intégré aux ADF, il ne prend pas place dans les sept

groupes armés qui luttent contre l’Ouganda.

5. Ces septgroupes armés insurrectionnels soutenus par le Congo et par le Soudan étaient

tous présents à l’est du Congo en août et septem bre 1998. Le rôle actif qu’ils jouent depuis

longtemps est confirmé par les dispositions de l’acco rd de Lusaka qui fut conclu le 10 juillet 1999.

Les «groupes armés» du Congo qui sont à désarmer et à démobiliser conformément à cet accord de

Lusaka sont notamment les ex-FAR, les ADF, la LRA, l’UNRF II, les Interahamwe, la FUNA, les

FDD (Forces pour la défense de la démocrat ie) du Burundi, le WMBF et l’UNITA (Union

nationale pour l’indépendance totale de l’Ouganda). Cette liste qui figure à l’annexe A de l’accord

de Lusaka, au chapitre 9, comprend les sept «gr oupes armés» que je viens de vous présenter un par

un.

6. Il ne faut pas oublier que des éléments de ces sept groupes armés anti-Ouganda

bénéficiaient du soutien du Soudan et combattaient de concert avec les For ces armées soudanaises

et congolaises. La situation à cet égard est exposée plus en détail dans le contre-mémoire

(par. 19-23, 47-50) et dans la duplique (par. 57-77, 655-674).

7. Pendant la période allant de 1994 à av ril1998, l’Ouganda se trouvait face au problème

déjà évoqué d’une insécurité frontalière fort an cienne, due notamment à des dissidents ougandais

basés au Congo (voir le contre-mémoire, par. 334-339). - 6 -

8. Au cours de cette période, un certain nombre d’agressions armées importantes ont été

commises par des groupes basés à l’est du Congo. La situation est exposée aux paragraphes 3 et 4

du contre-mémoire, comme suit :

«3. Il ressort de ces moyens de preuve que, depuis 1994, l’Ouganda est

continuellement victime d’une agression armée fomentée à partir du Congo. Pendant
sept années, sans interruption, l’Etat ouga ndais a régulièrement subi des attaques
dévastatrices provenant d’insurgés armés b asés dans l’est du Congo. Hormis pendant
une brève période, l’action de ces insurg és a été coordonnée par le Gouvernement

congolais et soumise à son commandement et à son contrôle. Ces attaques avaient
⎯et ont toujours ⎯ pour but de répandre la terreur dans le nord et l’ouest de
l’Ouganda, de s’emparer de son territo ire et de déstabiliser le Gouvernement
ougandais avant de le renverser par la force des armes.

4. Au cours de cette période, divers groupes d’insurgés antiougandais
⎯certains affichant leur loyauté à Idi Amin, le célèbre ex-dictateur ougandais
vivant … ⎯ ont mené des opérations depuis le territoire congolais, avec le plein

soutien des Gouvernements congolais, diri gés successivement par les présidents
Mobutu Ssese Seko, Laurent Kabila et Joseph Kabila.»

12 9. Et, Monsieur le président, le tableau qui est ainsi dressé dans le contre-mémoire de

l’Ouganda est confirmé par toute une série d’extraits de la réplique de la RDC. Le fait est que le

Gouvernement congolais a officiellement admi s que tous ces groupes étaient présents sur son

territoire.

10. Dans les paragraphes en question de sa réplique, la RDC reconnaît que les groupes qui

sont ainsi nommés mènent leur activité sur son territo ire mais elle omet de parler de la nature des

relations entre les groupes rebelle s et le Gouvernement congolais et de la collaboration dont il

s’agit. Les extraits pertinents de la réplique figurent aux paragraphes 3.13 à 3.16 compris.

11. Donc, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il est évident que

depuis1994 au moins jusqu’en juin1998, la si tuation était la suivante: sur sa frontière

septentrionale, l’Ouganda était face à un voisin hostile, le Soudan. En outre, sur la longue frontière

entre l’Ouganda et le Congo, l’Ouganda éta it face au problème chronique des agressions

transfrontalières menées par des bandes armées organisées de longue date.

12. Jusqu’à présent, je me suis intéressé au contexte historique des événements d’août et

septembre1998 et ce contexte est utile à conna ître pour comprendre les problèmes de sécurité

auxquels l’Ouganda était confronté. - 7 -

13. Au début de septembre 1998, la situation dans les zones frontalières présentait certains

éléments d’importance cruciale qui étaient notamment les suivants :

en premier lieu, il y eut en mai et juin 1998 réalignement des alliances politiques et militaires

du président Laurent Kabila et, par suite, adoption de politiques hostiles à l’Ouganda;

deuxiimu, il y eut conclusion d’une alliance milita ire entre le Congo et le Soudan en

mai1998, alliance réaffirmée le 23août1998 et à nouveau le 18septembre1998. Par voie de

conséquence, l’Ouganda devait faire face à une menace militaire sur deux fronts (CMO, par. 38-39,

49-50);

en troisième lieu, il s’est constitué d’importantes formations de rebelles hostiles à l’Ouganda

à l’est du Congo;

en quatrième lieu, l’Ouganda savait que le dispositif militaire unifié comprenait les Forces

armées congolaises, les Forces armées soudanaises et les groupes armés hostiles à l’Ouganda.

Comme l’Ouganda l’a montré dans son contre-m émoire, en août1998, les rebelles anti-Ouganda

n’étaient plus simplement en train de travailler de concert avec les Forces armées congolaises mais

étaient désormais incorporés à ces Forces armées congolaises et faisaient désormais partie

intégrante du dispositif militaire unifié;

13 en cinquième et dernier lieu , les Forces armées soudanaises utilisaient pour leurs opérations

toute une série d’aérodromes militaires situés au nor d du Congo et envoyaient des soldats se battre

avec les ADF.

14. Il n’est donc pas surprenant dans ces conditions que les Etats de la région aient

expressément reconnu les problèmes de sécurité auxquels l’Ouganda devait fair e face en raison de

la guerre civile endémique sévissant au Congo, comme l’ont justement dit les chefs d’Etat réunis

les 7 et 8 septembre 1998 (pour un second sommet de Victoria Falls) (voir CMO, par. 299-308).

15. J’en arrive à la période où l’Ouganda ne pouvait plus différer la décision à prendre quant

à l’action à mener face à la menace immédiate qui pesait sur son intégrité territoriale. Voici les

faits.

16. Le 23août1998, le service du renseigne ment ougandais avait appris que, se trouvant à

Khartoum, le président LaurentKabila avait réa ffirmé l’alliance militaire qu’il avait conclue avec

le Soudan et allait bénéficier de la part du Soudan d’un concours accru à son gouvernement, lequel - 8 -

consisterait notamment à faire prendre à une brigade soudanaise des positions hostiles à l’Ouganda

dans la région orientale du Congo. Le lendemain, le président Laurent Kabila a vu à Gbadolite le

vice-président soudanais AliOthman Taha et l’un et l’autre ont convenu de prendre ensemble des

mesures militaires à l’encontre de l’Ouganda, cons istant notamment à faire jouer directement un

rôle combattant à l’armée soudanaise et à sa fo rce aérienne, à intégrer à nouveau dans les forces

armées congolaises des insurgés anti-Ouganda entraîn és par les Soudanais et à livrer un contingent

supplémentaire d’armes ainsi qu’à apporter un sou tien logistique accru aux insurgés menant leurs

actions dans la région orientale du Congo. Le 26août1998, un appa reil Antonov soudanais a

bombardé des positions de l’armée ougandaise à Bunia ju ste au-delà de la frontière avec le Congo.

Le 2 septembre 1998, le colonel soudanais Ibrahim Ismail Habiballah a livré un chargement aérien

d’armes à l’armée congolaise à Gbadolite à l’ intention d’unités du UNRFII qui avaient été

incorporées aux forces armées congolaises. Quelqu es jours plus tard, une brigade de l’armée

soudanaise d’environ 2500 hommes de troupe placés sous le commandement du lieutenant-général

soudanais AbdulRhaman Sirkathim est arrivée à Gbadolite, s’est rapidement déployée jusqu’à

Businga, et elle s’est préparée au combat avec les forces ougandaises dans la région orientale du

Congo. Le 14septembre1998, des aides du préside nt Kabila ont fait savoir que la RDC et le

Soudan avaient convenu de renforcer les troupes déployées le long des frontières congolaises avec

l’Ouganda et le Rwanda. Le 18septembre1998, le présidentKabila s’est rendu à nouveau à

Khartoum où le Soudan s’est engagé à lui apporter un concours supplémentaire en hommes et en

matériel militaires; le présidentKabila a égal ement vu des dirigeants des ADF, du DWNBF, de

l’UNRF II et de la LRA (CMO, annexe 90, p. 16-18).

14 17. Monsieur le président, à ce moment-là, le danger était pour l’Ouganda très clair et très

présent. Les forces ougandaises à l’est du Congo étaient faibles, n’occupaient que la région

frontalière et étaient extrêmement vulnérables. L’ensemble des forces du Gouvernement congolais

et des forces alliées ⎯ c’est-à-dire les FAC, les ADF, le WNBF, les Interahamwe et les Brigades

du Tchad et du Soudan ⎯ qui avaient pris position entre Gbadolite et la frontière entre le Congo et

l’Ouganda étaient numériquement plus de dixfois supérieures. Face à cette menace colossale et

directe, l’Ouganda se trouvait devant une alternativ e : ou bien retirer ses forces du Congo et subir

les conséquences d’une décision revenant à abando nner l’intégralité de la région orientale du - 9 -

Congo au Soudan et aux insurgés anti-Ouganda, ou bien renforcer ses soldats se trouvant au Congo

et refuser au Soudan et aux insurgés les positio ns stratégiques dont ils avaient besoin pour

intensifier leur agression armée à l’encontre de l’Ouganda. Pour défendre ses frontières contre des

forces numériquement supérieures, l’Ouganda n’avait pas d’autre solution que de déployer un plus

grand nombre de soldats vers l’est du Congo et de s’assurer le contrôle des aéroports stratégiques

du nord et de l’est du Congo avant que les forces soudanaises et tchadiennes et d’autres forces

alliées puissent les occuper. Comme il n’existe pas de routes dans cette région, le transport de

matériel et de fournitures militaires est nécessairement assuré par avion. Il était donc d’une

importance capitale de prendre le contrôle des aéroports pour empêcher le réapprovisionnement des

unités de l’armée congolaise, des insurgés anti-Ouga nda et des miliciens Interahamwe se trouvant

dans la région frontalière et d’empêcher les soldats soudanais, tchadiens et autres soldats congolais

d’occuper des bases avancées à partir desquelle s ils pouvaient attaquer di rectement l’Ouganda.

Comme le ministre d’Etat aux affaires extérieures de l’Ouganda l’a dit devant l’Assemblée

générale des Nations Unies : «Devant la menace ressentie comme telle d’une déstabilisation accrue

de l’Ouganda qui émanait notamment du Soudan, lequel opérait à partir du territoire congolais

comme il l’avait déjà fait, l’Ouganda a dépl oyé de nouvelles forces pour s’opposer à cette

menace.» (CMO, annexe 42, p. 15.)

18. La décision de l’Ouganda de mene r l’action indispensable a été prise le

11 septembre 1998 à la suite de l’arrivée et du déploiement au Congo de soldats soudanais hostiles.

Cette décision du Gouvernement ougandais a été consignée dans un document interne confidentiel

intitulé : «Position du haut commandement sur la présence des UPDF (Forces de défense du peuple

ougandais) dans la RDC». Les raisons pour lesquelles le Gouvernement ougandais décidait de

«maintenir des troupes des UPDF sur le territoire de la RDC» étaient définies comme suit :

«1.priver le Soudan de la possibilité d’utiliser le territoire de la RDC pour déstabiliser
l’Ouganda;

2. permettre aux UPDF de neutraliser les groupes dissidents de l’Ouganda qui

recevaient de l’aide des Gouvernements de la RDC et du Soudan;

15 3. faire en sorte que le vide politique et administratif ainsi que l’instabilité causés par
les combats entre les rebelles d’une part et l’armée congolaise et ses alliés d’autre
part n’aient pas d’incidence défavorable sur la sécurité de l’Ouganda; - 10 -

4. empêcher que les éléments génocidaires, c’est-à-dire les milices Interahamwe et
les ex-FAR, qui lançaient des attaques à pa rtir de la RDC sur le peuple ougandais

ne continuent de le faire;

5. être en situation de sauvegarder l’inté grité du territoire de l’Ouganda contre les
menaces irréfléchies d’invasion venant de certaines forces.» (CMO, annexe 27.)

19. L’action menée à la suite de la décision du 11 septembre 1998 a consisté à organiser une

série d’opérations liées l’une à l’autre visant à re tirer au Soudan le contrôle des principaux

aérodromes militaires. Les mesures adoptées pour effacer les menaces pesant sur l’intégrité

territoriale de l’Ouganda consistaient donc à organiser des opérations contre les aérodromes

suivants :

⎯ Isiro (20 septembre 1998);

⎯ Buta (3 octobre 1998);

⎯ Bumba (17 novembre 1998);

⎯ Lisala (12 décembre 1998);

⎯ Gbadolite (3 juillet 1999).

20. Ces actions ont empêché le Congo et le Soudan d’utiliser les aéroports en question pour

attaquer l’Ouganda ou pour renforcer et réa pprovisionner des groupes d’insurgés hostiles à

l’Ouganda. On trouve le détail de ces opérations dans le contre-mémoire, aux paragraphes53-54

et 61-64.

21. La pression des événements et les ré actions de l’Ouganda ont comme il fallait s’y

attendre trouvé écho dans les déclarations publiques des dirigeants et diplomates ougandais. Le

24août1998, le président Museveni déclarait ceci: «si l’action unilatérale s’intensifie, l’Ouganda

sera peut-être forcé… d’agir de sa propre initia tive en toute indépendance pour protéger ses

propres intérêts en matière de sécurité» (RC, annexe108; IRIN486). Ces déclarations des

contemporains revêtent une importance particulière.

22. En novembre 1998, le Gouvernement ougand ais a publié une déclaration importante sur

le «conflit dans la République démocratique du Congo»: voir à ce sujet le contre-mémoire, à

l’annexe 31. Cette déclaration porte à la fois sur le problème du génocide dans les régions voisines

du Congo et les problèmes de sécurité propres à l’Ouganda. Le document dans son ensemble

appelle une étude attentive. Il convient de noter t out particulièrement les passages relatifs à

l’activité agressive du Soudan, notamment les passages suivants : - 11 -

16 «La situation ne s’est pas améliorée lorsque la rébellion actuelle a éclaté en
République démocratique du Congo le 2 août 1998. Le Soudan, principal soutien des
rebelles ougandais, a continué de jouer un rôle actif. L’Ouganda ne peut laisser un

vide car le Soudan profiterait de son départ pour renfor cer son appui aux rebelles
ougandais sur le territoire de la RDC. En fait, le Soudan a depuis mobilisé davantage
de factions rebelles ougandaises et les a emmenées en République démocratique du

Congo afin de lancer des attaques massives contre l’Ouganda ⎯ce qu’il ne pouvait
faire qu’avec l’approbation tacite des autorités de Kinshasa.

Nous connaissons tous les incursi ons militaires que le Soudan a organisées
contre l’Ouganda. On peut citer les bombard ements aériens annuels et les incursions

transfrontalières sur le territoire ougandais. A l’origine, le Soudan utilisait son propre
territoire pour organiser les attaques d es rebelles ougandais contre l’Ouganda.
Lorsqu’il a dû en céder une grande partie au SPLM/SPLA, il a de plus en plus eu
recours à celui de la République démocratique du Congo. Il est établi que pendant la

bataille de Kindu entre les forces de la République démocratique du Congo et les
rebelles congolais, ces derniers ont captu ré un grand nombre de rebelles ougandais
bénéficiant de l’appui du Soudan…»

On lit encore dans le même document :

«Tout du long, le Soudan n’a cessé de concevoir des plans pour utiliser les
nombreux aéroports/aérodromes de l’est de la RDC aux fins de lancer des attaques
aériennes massives contre l’Ouganda. Après les événements du 2août1998, il ne

pouvait être question de le laisser faire. Pour sa sécurité, et en l’absence d’un
quelconque semblant d’autorité dans la partie orientale du Congo jouxtant notre
territoire, l’Ouganda n’a eu d’autre c hoix que de s’emparer des principaux
aéroports/aérodromes de cette région.

Le Soudan Œuvre à déstabiliser indi rectement l’Ouganda, depuis la RDC,
depuis1993; et depuis le début de la guerre en RDC, le 2août1998, les relations,
notamment diplomatiques, entre la RDC et le Soudan se sont multipliées. En

conséquence, l’implication du Soudan dans ce conflit est allée croissant, ce qui s’est
traduit par le déploiement de troupes (y compris de rebelles ougandais stationnés au
Soudan) à Kisangani et Kindu. Certains rebelles ougandais capturés lorsque ces deux
villes sont tombées aux mains des rebelles congolais ont rapporté qu’ils avaient été

recrutés dans des camps de réfugiés au Soudan par le fils du président Kabila et
Taban Amin, fils de l’ancien dictateur ougandais Idd Amin, qui parraine également les
rebelles ougandais.

Le Soudan soutient directement et héberge divers groupes rebelles opposés au
Gouvernement ougandais. Parmi ceux-ci figurent le Front de la rive ouest du Nil
(WNDF), le Front national de libération de l’Ouganda II (UNRFII) et l’Armée de
résistance du Seigneur (LRA), dont les camps au Soudan se trouvent à Jabelin, Nesitu,

Lilia, Rojo Hills et Juba.» (CMO, annexe 31, p. 10-11.)

23. Dans l’important discours qu’il a prononcé le 23 mars 1999 devant l’Assemblée

générale, M. Mbabazi, ministre de la défen se d’Ouganda, a également présenté une analyse

approfondie de la crise que devait affronter l’Ouganda en août 1998 (contre-mémoire, annexe 42).

24. Le même ministre, M.Mbabazi, a présenté un autre exposé sur cette question le

8 septembre 1999 (contre-mémoire, annexe 48). - 12 -

25. D’après cette série de déclarations ém anant des sources ougandaises les plus autorisées,

il est clair que l’action que l’Ouganda a commencé à mener en septembre 1998 avait pour principal

17 objet d’assurer la légitime défense et l’élimin ation des causes des violations cumulées et

persistantes de l’intégrité territoriale de l’Ouganda et du meurtre des ses citoyens.

Monsieur le président, le moment est venu d’aborder les questions juridiques pertinentes.

26. L’Ouganda se fonde sur le droit naturel de la légitime défense selon le droit international

général, droit naturel qui est défini à l’article51 de la Charte des NationsUnies. Les sources

juridiques faisant autorité qui sont examinées dans le contre-mémoire jus tifient la conclusion

ci-dessous :

Aux fins de l’application des dispositions de l’article 51de la Charte, la notion

d’«agression armée» comprend les actes suivants pris à la fois individuellement ou
cumulativement :

a) L’envoi par un Etat de bandes armées sur le territoire d’un autre Etat dans des

conditions où, si elle avait été menée par des forces armées régulières, cette
opération aurait été qualifiée d’agression armée (plutôt que comme un simple
incident frontalier).

b) L’appui donné par un Etat à des bandes armées par la fourniture de soutien
logistique consistant à leur procurer des armes, un entraînement ou une aide
financière; dans ces circonstances, et s’il y a un but commun, les bandes armées
deviennent des agents, ou «organes de facto», de l’Etat qui les appuie.

c) Les opérations des groupes armés qui font partie du dispositif militaire des forces
armées de l’Etat en cause, quels que so ient les noms utilisés pour décrire chacune
des unités.

d) Dans d’autres circonstances où la complicité entre l’Etat en cause et les bandes
armées combattant l’Etat qui prend des mesures de légitime défense est prouvée.

27. Il a été reconnu par diverses autorités que l’activité de bandes armées réunit les

conditions d’une agression armée.

l’affsaire Nicaragua, lors de l’examen au fond, la Cour a défini la position comme étant

la suivante :

«Dans le cas de la légitime défense individuelle, ce droit ne peut être exercé que
si l’Etat intéressé a été victime d’une agression armée. L’invocation de la légitime
défense collective ne change évidemment rien à cette situation. L’accord paraît

aujourd’hui général sur la nature des actes pouvant être considérés comme constitutifs
d’une agression armée. En particulier, on peut considérer comme admis que, par
agression armée, il faut entendre non seulement l’action des forces armées régulières à
travers une frontière internationale mais encore «l’envoi par un Etat ou en son nom de

bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à - 13 -

des actes de force armée contre un autre Etat d’une gravité telle qu’ils équivalent»
(entre autres) à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières, «ou
[au] fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action». Cette

description, qui figure à l’article 3, alinéa g), de la définition de l’agression annexée à
la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale, peut être considérée comme
l’expression du droit international coutumier. La Cour ne voit pas de raison de refuser
d’admettre qu’en droit international coutumier la prohibition de l’agression armée

puisse s’appliquer à l’envoi par un Etat de bandes armées sur le territoire d’un autre
Etat si cette opération est telle, par ses di mensions et ses effets, qu’elle aurait été
qualifiée d’agression armée et non de simple inci dent de frontière si elle avait été le
18 fait de forces armées régulières .» ( C.I.J. Recueil 1986, p.103, par.195.) (Les

italiques sont de nous.)

28. En outre, la doctrine vient fermement étayer la thèse qui veut que l’utilisation de bandes

armées opérant à partir du territoire d’un Etat d’ accueil contre un autre Etat comme instrument de

politique nationale constitue une agr ession armée au sens de l’article 51 de la Charte. Les sources

sont présentées dans l’ordre chronologique dans le c ontre-mémoire (par. 349) et je ne vais pas les

énumérer à nouveau ici.

29. Dans ce contexte, certains disent aussi qu’apporter un soutien logistique à des bandes

armées alors que l’on connaît leurs objectifs constitue une agression armée.

La définition de l’agression adoptée par l’Assemblée générale en 1974 par consensus dispose

à l’article 3 :

«L’un quelconque des actes ci-après, qu’il y ait eu ou non déclaration de guerre,

réunit, sous réserve des dispositions de l’article 2 et en conformité avec elles, les
conditions d’un acte d’agression :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

g) L’envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces
irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un
autre Etat d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus ou le

fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action.» (Les italiques
sont de nous.)

30. Le dernier alinéa de cette définition a ppelle quelques observations. L’action visée est

qualifiée non pas d’«agression indirecte» mais d’«acte d’agression». En outre, le membre de

phrase «ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action» incite très

fermement à penser que la formule s’étend au fait de fournir un soutien logi stique. Dans l’affaire

Nicaragua, le juge Schwebel étudie dans son opinion dissidente l’historique de la rédaction de cette

définition (voir C.I.J. Recueil 1986, p. 341-347, par. 162-171). - 14 -

31. L’autre disposition pertinente de la défi nition de l’agression de l’Assemblée générale

figure à l’alinéa f) qui s’énonce comme suit :

« f) Le fait pour un Etat d’admettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition
d’un autre Etat, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d’agression contre
un Etat tiers…»

Compte tenu des importants éléments de pr euve concernant le rôle du Soudan dans

l’exécution d’actions conjointes menées avec le Congo à partir du territoire congolais, la pertinence

de ces éléments est évidente.

19 32. Il y a lieu d’évoquer à présent la Déclarati on relative aux principes du droit international

touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des

Nations Unies.

Cette déclaration vise avant tout à proclame r divers principes dont le premier s’énonce

comme suit :

«Le principe que les [Etats] s’abstiennent dans leurs relations internationales de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec
les buts des Nations Unies.»

Le commentaire joint à ce texte comprend un certain nombre de principes plus précis et deux

de ces principes sont particulièrement pertinents :

Le premier est le suivant :

«Chaque Etat a le devoir de s’ab stenir d’organiser ou d’encourager
l’organisation de forces irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de

mercenaires, en vue d’incursions sur le territoire d’un autre Etat.»

Et le second principe est le suivant :

«Chaque Etat a le devoir de s’abstenir d’organiser et d’encourager des actes de

guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d’un autre Etat, d’y aider ou
d’y participer, ou de tolérer sur son te rritoire des activités organisées en vue de
perpétrer de tels actes, lorsque les act es mentionnés dans le présent paragraphe
impliquent une menace ou l’emploi de la force.»

33. Ces deux paragraphes tirés du commentaire apportent des éclaircissements importants.

En particulier, le second montre bien que le prin cipe de l’interdiction de l’emploi de la force

s’applique à l’aide apportée à des actes de guerre ci vile sur le territoire d’un autre Etat. Ce second

paragraphe confirme en outre que tolérer des «activités organisées en vue de perpétrer de tels - 15 -

actes» est illicite «lorsque les actes mentionnés dans le présent paragraphe impliquent une menace

ou l’emploi de la force».

34. Dans l’affaire Nicaragua, la majorité des juges n’a pas accepté que la fourniture d’armes

ou d’un soutien logistique à des rebelles puisse constituer une «agression armée». Mais cette

position a suscité des critiques de la part de deux juges, le juge Schewebel et Sir Robert Jennings

qui ont joint à l’arrêt deux importantes opinions dissidentes, dont on trouve le texte dans

C.I.J. Recueil 1986, respectivement aux pages 331 à 347 et page 543. MmeHiggins qui est

aujourd’hui juge a également formulé certaines critiques prudentes sur les motifs retenus par la

Cour dans le cours géné ral qu’elle a donné à l’Académie de La Haye et qu’elle a publié en1994

sous le titre Problems and Process (p. 250-251).

35. De toute façon, la situation propre à la présente espèce est très différente des faits sur

lesquels la Cour se fondait dans l’affaire Nicaragua. Dans la présente espèce, les activités

organisées dirigées contre l’Ouganda avaient un e ffet beaucoup plus puissant que la fourniture

20 d’armes ou de soutien logistique. Les bandes arm ées faisaient partie intégrante d’un dispositif

militaire unifié qui faisait appel à la participation du Gouvernement ce ntral du Congo et à la

coordination avec un Etat tiers, en l’occurrence le Soudan.

L’application du droit aux faits

36. Monsieur le président, il convient à présent d’ appliquer le droit aux faits. A cette fin, je

vais utiliser quatre éléments distincts de la notion d’agression armée.

37. Le premier élément constitutif de la notion est le suivant : l’envoi par un Etat de bandes

armées sur le territoire d’un autre Etat dans des conditions où si l’opération avait été menée par des

forces armées régulières, elle aurait été qualifiée d’agression armée (et non de simple incident de

frontière).

38. A partir de mai et de juin 1998, le G ouvernement de la RDC a assuré la coordination des

opérations militaires des ADF à l’encontre de l’O uganda grâce au concours d’officiers supérieurs

des Forces armées congolaises (FAC) qui ont planif ié et soutenu des attaques transfrontalières

menées par les ADF sur le territoire de l’Ouganda et à l’encontre de l’Ouganda (voir le

contre-mémoire aux paragraphes33 à41). A la suite de l’alliance conclue par le Congo avec le - 16 -

Soudan et d’une collaboration plus franche avec les insurgés anti Ouganda, des officiers des FAC

ont assuré la coordination d’agressions opérées par les ADF et leur ont apporté un soutien : il s’agit

de l’agression visant l’Ecole technique de Kichwamba qui a eu lieu le 8juin1998 et a tué une

bonne centaine de civils ougandais; de l’agression visant Kanyamura qui a eu lieu le 10 juin et a tué

cinq civils; de l’agression contre Banyangule qui a eu lieu le 26 juin et a tué ou blessé onze civils;

de l’agression contre Kiburara qui a eu lieu le 5 juillet, lors de laquelle dix-neuf personnes ont été

enlevées; de l’agression contre Kasese qui a eu lieu le 1 eraoût et a tué trois personnes; et il y eut

beaucoup d’autres opérations de ce type, qui so nt indiquées dans le contre-mémoire, aux

paragraphes 40, 62 et 95-97. La planification, l’ampleur, la fréquence et le caractère destructeur de

ces attaques lancées contre le territoire et contre les nationaux d’Ouganda prouvent qu’il ne

s’agissait pas de simples «incidents de frontiè re», mais bien d’«agressions armées» répondant

parfaitement à la définition, au sens de l’article 51.

39. Le deuxième élément constitutif de la notion d’agression armée peut à présent

s’appliquer. Il se définit comme suit: il s’agit de l’appui donné par un Etat à des bandes armées

sous forme de soutien logistique consistant à leur procurer des armes, un entraînement ou une aide

financière; dans ces circonstances et s’il existe un but commun, les bandes armées deviennent des

agents ou des «organes de facto» de l’Etat qui les appuie.

Les ADF, le WNBF et d’autres groupes d’in surgés antiougandais ont périodiquement reçu

un soutien logistique, des armes, et ont bénéficié d’un entraînement et d’un concours financier de la

part du Gouvernement congolais et aussi de la part du Gouvernement congolais agissant en

collaboration avec le Gouvernement soudanais. Le «but commun» du Gouvernement congolais et

21 des rebelles anti-ougandais et aussi du Gouvernement soudanais consistait à déstabiliser le

Gouvernement ougandais par des agressions armées et des bombardements aériens organisés à

partir de bases terrestres et aériennes congolaises. Ce «but commun» est notamment établi par la

planification et la coordination que les forces ar mées congolaises assurent pour les agressions des

ADF lancées contre l’Ouganda et par l’intégration aux forces armées congolaises ainsi que par le

déploiement à l’encontre des forces gouvernementales ougandaises de milliers de combattants du

WNBF comme l’Ouganda l’expose dans son contre-mémoire, aux paragraphes 34-36, 47-50 et 54. - 17 -

40. J’en arrive au troisième élément constitutif de la notion d’agression armée: ce sont les

opérations des groupes armés qui relèvent du commandement militaire unifié des forces armées de

l’Etat en cause, quels que soient les noms utilisés pour décrire chacune des unités.

Environ 3500soldats du Front de la rive ouest du Nil ont été transportés par avion par le

Gouvernement du Soudan en certains points du Congo, sur les indications du Gouvernement

congolais, et intégrés aux forces armées officiell es du Congo dans le cadre desquelles ces soldats

ont combattu aux côtés d’unités congolaises en ét ant soumis au commandement et au contrôle

d’officiers de l’armée congolaise (voir le contre-mém oire aux paragraphes 47-50, 52 et 62-63). La

participation des ADF à la structure de co mmandement unifié des forces armées congolaises est

prouvée par le fait que des officiers supérieurs congo lais assurent la planification et la coordination

des agressions menées contre l’Ouganda par les ADF.

41. Le quatrième élément constitutif de l’agression armée est le suivant: dans d’autres

circonstances où la complicité entre l’Etat en cause et les bandes armées combattant l’Etat qui

prend des mesures de légitime défense est prouvée.

Nous avons des éléments de preuve supplémentaires de ce qui fut en fait un complot

tripartite entre le Gouvernement congolais et l es insurgés antiougandais sous la forme des

consultations fréquentes qui ont lieu en septembre 1998 entre le président LaurentKabila et les

dirigeants des ADF (YusufKabanda) et du WNBF (Taban Amin) au sujet de la stratégie des

opérations à mener contre l’Ouganda et sous la fo rme de la coordination assurée à ce sujet (voir les

paragraphes 35 et 36 du contre-mémoire).

42. Dans sa réplique, le Congo soutient que la réaction de l’Ouganda à la situation était hors

de proportion. Or, la proportionnalité dont l’Ou ganda fait montre dans sa réaction est attestée par

plusieurs facteurs qui étaient tous présents au moment des faits :

premièrement , il y a la conclusion d’une alliance entre le président Kabila et certaines autres

forces hostiles à l’Ouganda;

22 deuxièmement, depuis longtemps des actes de terrorisme et des agressions sont commis par

des bandes armées installées sur le territoire congolais et ces agressions produisent des effets

sinistres sur la population ougandaise, comme ce fut le cas lors des atrocités de Kichwamba, le

8 juin 1998; - 18 -

troisièmement, il faut prendre en compte les résultats de la conclusion d’une alliance

militaire entre le président LaurentKabila et le Soudan et la portée de l’intervention soudanaise

(voir le contre-mémoire aux paragraphes 38-41 et 78-88). Les forces soudanaises ont pris position

sur une série de lieux d’implantation dans la par tie septentrionale du Congo et leur présence ainsi

que l’existence d’un commandement militaire lié au Soudan ont fait l’objet d’une autorisation

délivrée par le Congo; et

quatrièmement , l’apparition de forces armées soudana ises au Congo a constitué une menace

nouvelle et grave pour l’intégrité territoriale de l’ Ouganda, tout particulièrement parce que depuis

fort longtemps le Soudan commettait des agression s contre l’Ouganda, joua it un rôle plus actif

consistant à entraîner et équiper les FAC et les insurgés anti-ougandais et à chercher à rallier

d’autres Etats, notamment le Tchad, à l’action menée contre l’Ouganda.

43. Les quatre éléments indiqués ci-dessus et leur effet cumulatif permettent de mesurer quel

niveau maximum atteint le critère de proportionnalit é, c’est-à-dire l’absence de réaction excessive.

Mais plusieurs autres sources de preuve montrent que l’action de l’Ouganda ne fut pas hors de

proportion par rapport aux menaces qui pesaient sur sa sécurité.

44. Le Conseil de sécurité a tout d’abord réagi avec prudence et cherché à éviter toute

accusation d’agression. Lors de la séance tenue le 31 août 1998, le président du Conseil de sécurité

a, au nom du Conseil, dit ceci :

«Le Conseil de sécurité se déclare pr ofondément préoccupé par le conflit actuel

en République démocratique du Congo, qui me nace gravement la paix et la sécurité
régionales. Il se déclare alarmé par les souffrances que connaît la population civile
dans tout le pays.

Le Conseil réaffirme l’obligation de r especter l’intégrité territoriale et la
souveraineté nationale de la République démocratique du Congo et des autres Etats de
la région et la nécessité pour tous les Etats de s’abstenir d’intervenir dans les affaires
intérieures des autres. Dans ce contexte, le Conseil appelle à une solution pacifique au

conflit en République démocratique du Congo, notamment un cessez-le-feu immédiat,
le retrait de toutes les forces étrangères et l’engagement d’un processus pacifique de
dialogue politique en vue de la réconcilia tion nationale…» (Les italiques sont de
moi.)

45. Le 11 décembre 1998, le président du Conse il de sécurité fait une déclaration du même

type (S/PRST/1998/36). Et, Monsieur le président , dans ces deux déclarations, le président du

Conseil demande le retrait de toutes les forces étrangères sans aucune nuance. - 19 -

23 46. La première des résolutions que le Con seil a adoptées sur la situation au Congo est la

résolution1234 qui fut adoptée le 9 avril1999. Da ns le préambule de cette résolution il est dit

notamment ceci :

« Le Conseil de sécurité,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Se déclarant fermement résolu à préserver la souverainet é nationale, l’intégrité
territoriale et l’indépendance politique de la République démocratique du Congo et de

tous les autres Etats de la région,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Rappelant le droit naturel de légitime défe nse individuelle ou collective énoncé

à l’Article 51 de la Charte des Nations Unies,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

félcitant que le Secrétaire général ait nommé un Envoyé spécial pour le
processus de paix concernant la République démocratique du Congo,

Soulignant que le conflit actuel en République démocratique du Congo

constitue une menace pour la paix, la sécurité et la stabilité dans la région.» (C’est
moi qui souligne.)

et parmi les paragraphes du dispositif, il convient de citer notamment celui-ci :

«1. Réaffirme que tous les Etats ont l’obligation de respecter l’intégrité
territoriale, l’indépendance politique et la souveraineté nationale de la République
démocratique du Congo et des autres Etats de la région, et qu’ils sont notamment
tenus de s’abstenir de recourir à la mena ce ou à l’emploi de la force soit contre

l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies, et réaffirme également que tous
les Etats doivent s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures des autres
Etats, conformément à la Charte des Nations Unies;»

47. Le 24 juin 1999, le président du Conseil de sécurité a repris dans une déclaration ce qu’il

avait déjà dit sur la question et rappelait la teneur de la résolution 1234 du 9 avril 1999 que je viens

d’évoquer (S/PRST/1999/17).

48. Dans cette même déclaration, le préside nt du Conseil de sécurité a réaffirmé l’appui du

Conseil au processus de médiation régional mené so us la conduite du président de la Zambie au

nom de la Communauté de développement de l’Afrique australe, en coopération avec

l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et avec le soutien de l’Organisation des NationsUnies.

Le processus de paix régional a abouti et le 10 juillet1999, l’accord de cessez-le-feu de Lusaka est

signé. Dans le préambule de cet accord il est dit en particulier ceci : - 20 -

«[Les parties au présent accord]

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

24 Conscientes du fait que la résolution des problèmes de sécurité de la République
démocratique du Congo et des pays voisins est essentielle et devrait contribuer au
processus de paix;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .»

49. De son côté, dans sa résolution 1258 adoptée le 6 août 1999, le Conseil de sécurité

«1. Accueille avec satisfaction la signature à Lusaka le 10 juillet1999…de
l’accord de cessez-le-feu…qui représente une base viable pour la résolution du
conflit en République démocratique du Congo.»

50. Monsieur le président, les documents de cette période montrent nettement qu’au sein du

Conseil de sécurité, au sein de la région et au sein de l’OUA, on estimait que les problèmes de

sécurité qui occupaient une place centrale dans le processus de paix et la situation globale

n’intéressaient pas exclusivement le Congo et étaient aussi des problèmes pour les pays

limitrophes.

51. Ces considérations se rattachent sur le plan général à la question de la proportionnalité et

ne constituent nullement le critère le plus pertinent aux fins d’une analyse juridique des faits.

52. D’autres indications concrètes de la proportionnalité de la réaction ougandaise à

l’agression font partie intégrante du contexte immé diat. Il convient de rappeler tout d’abord qu’au

moment des faits les soldats ougandais sur le territoire congolais étaient infiniment moins

nombreux que leurs opposants. Comme M. Reichler l’a déjà signalé, en août 1998, l’ensemble des

forces du Gouvernement congolais et des forces alli ées situées entre la frontière de l’Ouganda et

Gbadolite représentait plus de dix fois l’effectif du contingent ougandais basé au Congo.

53. De surcroît, il ne faut surtout pas oublie r qu’il fut décidé dans l’accord de Lusaka du

10juillet1999 d’autoriser l’Ouganda à conserve r tous ses soldats déployés sans la moindre

réduction d’effectif. Le texte de l’accord figure sous l’onglet 5 du dossier des juges.

54. Monsieur le président, essentiellement, la proportionnalité comprend trois éléments:

l’objectif, la nécessité et la causalité. Si un groupe d’insurgés organise une agression armée pour

pénétrer sur le territoire de l’Ouganda ou à l’enco ntre de ce territoire, il faut, pour répondre à la

question de savoir s’il s’agit là d’une agression ar mée justifiant une réaction dirigée contre le - 21 -

territoire du Congo et contre les bases d’opération des insurgés, répondre d’abord à trois critères

qui sont les suivants :

En premier lieu, les opérations ont-elles eu pour but en commun avec le Gouvernement

congolais de déstabiliser l’Ouganda ?

En deuxième lieu, les agressions ont-elles cons isté à organiser du point de vue militaire des

opérations depuis l’intérieur du Congo ?

Troisièmement, les agressions ont-elles été organisées par des groupes armés agissant pour le

compte du Congo ?

25 55. Les moyens de preuve présentés au nom de l’Ouganda montrent que la réponse est

affirmative dans chaque cas. Nous devons analyser la nature de la situation que l’Ouganda affronte

depuis des années à l’aide de certains outils d’an alyse qui sont indispensables, en procédant à

l’analyse dans le contexte approprié.

56. Le choix superficiel mais peu construc tif à opérer oppose une doctrine de l’action par

anticipation ou de l’action préventive, d’une part, et, de l’autre, l’obligation de procéder à une

agression directe au-delà d’une frontière. Cette dichotomie s’adapte mal à plusieurs scénarios qui

se situent concrètement dans la pratique. Pour mettre au point la notion d’agression armée et pour

la pratiquer concrètement, les outils de l’analyse auxquels la logique juridique fait appel sont la

causalité et les principes de la responsabilité des Etats, deux outils applicables en association.

57. En l’espèce, s’il faut s’intéresser avant tout à la définition générale de l’agression armée

ou de l’agression, il faut aussi s’intéresser en défi nitive à l’identification de la source, c’est-à-dire

au gouvernement responsable des agressions précis es ou du type d’agressions précises qui auront

été menées. Il est par conséquent logique et du reste indispensable d’appliquer à la question

précise à examiner les principes de la responsabilité des Etats.

58. A mon avis, le principe clé est celui de la constitution d’un agent et il n’est guère

surprenant de constater que l’article8 du projet d’articles adopté en première lecture par la

Commission du droit international était pour partie conçu comme suit :

«Article 8

Attribution à l’Etat du comportement de personnes
agissant en fait pour le compte de l’Etat - 22 -

Est aussi considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international le
comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes si

a) il est établi que cette personne ou ce groupe de personnes agissait en fait pour le
compte de cet Etat;…» ( Annuaire de la CDI , 1974, vol.II, première partie,
p. 294.)

59. Les dispositions homologues du projet d’ar ticles sur la responsabilité des Etats qui fut

adopté en seconde lecture en 2001 s’énoncent comme suit :

«Article 8

Comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat

Le comportement d’une personne ou d’ un groupe de personnes est considéré
comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de
personnes, en adoptant ce comportement, ag it en fait sur les instructions ou les
directives ou sous le contrôle de cet Et at.» (Rapport de la Commission du droit
e
international sur sa 53 session, 2001, p. 109.)

26 60. A partir de cette solide logique juridique , l’Etat est donc responsable des agressions

armées conduites par des groupes armés qui sont en fait des agents ou des agents de facto de la

RDC.

61. Les principes de la responsabilité des Etat s sont par conséquent appliqués en association

avec la notion même d’agression armée.

Le principe de proportionnalité et le principe de nécessité militaire ou factuelle ont d’autant

plus de force quand il faut réagir aux agressions armées si ces dernières s’inscrivent dans un

système ou dans une série d’attaques liées l’une à l’au tre. Il ne faut pas voir là une proposition de

droit indépendante mais une pr oposition de fait reposant sur les conceptions habituelles de la

sécurité et du bon sens.

62. Pour compléter mon analyse je reviendrai au rôle de l’objectif et de la causalité.

Le tout premier attribut d’une agression armée est sa gravité: et c’est là une question sur

laquelle la Cour exerce son jugement.

L’élément de gravité est à rattacher en l’espèce à la fois à l’intensité de la force exercée et à

d’autres facteurs. Ce qui relève de la défense et ce qui est proportionné ou raisonnable est en effet

tributaire de plusieurs facteurs en dehors de l’intensité de la force exercée. L’un de ces facteurs est

l’objectif de l’agression : en l’espèce, il s’agissa it de déstabiliser le Gouvernement ougandais et de

détruire ou en tout cas d’affaiblir le régime ougandais d’ordre public. - 23 -

63. Un autre facteur correspond au fait d’agir pour le compte de, c’est-à-dire que c’est le lien

existant du point de vue de l’organisation entr e le groupe armé menant l’opération et le

Gouvernement central du Congo. D’ailleurs, il existait en outre un rapport tripartite liant les

groupes armés, le Gouvernement du Congo et celui du Soudan.

64. Ce sont ces liens de causalité qui justifient une réaction de défense visant à neutraliser les

bases d’où les groupes armés opéraient en qualité d’organes de facto des Gouvernements congolais

et soudanais.

65. Et, Monsieur le président, un élément important de la causalité, c’est-à-dire du moteur de

la nécessité, correspond à l’intensification brutale du rythme et de la gravité des agressions armées

opérées pendant la période allant de juin à août 1998. Il convient ici de rappeler quelle fut la série

des agressions armées menées pendant cette période a llant de juin à août 1998. La carte pertinente

se trouve dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet n 1.

66. La série d’agressions armées fut la suivante :

La première eut lieu le 8 juin 1998 à Kichwamba : comme l’Ouga nda l’a montré, l’alliance

conclue entre le Congo et le Soudan eut notamment pour effet une agression lancée par les ADF

27 contre l’école technique de Kichwamba le 8 juin 1998. C’est une formation d’une bonne centaine

d’insurgés armés par le Congo et le Soudan qui a lancé cette agression impitoyable contre des

élèves d’école technique parfaitement innocents. D’après les participants aux ADF eux-mêmes, les

attaquants se sont scindés en trois unités : un groupe de vingt-quatre d’entre eux s’est embusqué sur

la route de l’école pour empêcher les soldats ougandais de sauver les élèves; une deuxième unité de

trente-six individus a attaqué l’école, armés très lourdement et munis de «huitjerricanes

d’essence»; et la troisième unité a attaqué le dé tachement de l’armée ougandaise qui se trouvait à

proximité à Kanyamura. Les élèves ont été brûlés vifs dans leurs dortoirs, ou tués par balles quand

ils essayaient d’échapper à l’incendie ou bien en levés et ramenés de force au Congo (CMO,

annexes20 et 82). Une bonne cinquantaine d’él èves ont péri dans l’incendie et une autre

cinquantaine au moins ont été tués par balle quand ils cherchaient à fuir.

La deuxième agression eut lieu le 10 juin 1998 , dans la même région, et cinq Ougandais ont

été tués. - 24 -

La troisième agression eut lieu le 26juin1998 : les ADF ont attaqué le village de

Banyangule dans le district de Bundibugyo, faisant onze morts ou blessés.

La quatrième agression eut lieu le 5juillet1998 à Kiburara, dans le district de Kasese,

dix-neuf séminaristes ont été enlevés au séminaire Saint-Jean.

er
La cinquième agression eut lieu le 1 août 1998 : les ADF ont attaqué la ville de Kasese,

incendiant magasins et maisons et tuant trois personnes.

La sixième agression eut lieu le 6août1998 : les ADF ont attaqué la ville de Karumba à

proximité de la ville de Kasese, tuant trente-trois personnes.

67. Cette série d’agressions avait pour objectif de déstabiliser le Gouvernement ougandais et

d’affaiblir en Ouganda le régime de l’ordre public, objectif que le Gouvernement central du Congo

avait également fait sien. Les agressions ont ét é menées par des groupes bénéficiant du soutien du

Gouvernement central du Congo et agissant en qualité d’agents du Congo. La série constituait un

véritable système d’agressions armées dont le Co ngo était responsable et qui furent organisées à

partir de bases situées sur son territoire. Fina lement, ce devint une nécessité opérationnelle que de

mener une action militaire à l’encontre de ces b ases situées à l’intérieur du Congo, face à la

persistance d’agressions organisées à partir du territoire congolais et à l’escalade des actions

militaires dirigées contre l’Ouganda pendant la période allant de juin à août 1998.

Monsieur le président, je pourrais m’arrêter ici si la Cour en est d’accord.

28 Le PRESIDENT : Vous pouvez poursuivre.

M. BROWNLIE :

68. Cette série d’agressions qui avait pour objet de déstabiliser l’Ouganda a précédé les

événements que j’ai déjà évoqués et en partie co ïncidé d’ailleurs avec ces événements, c’est-à-dire

avec l’alliance militaire conclue entre le Congo et le Soudan, la menace di rigée contre l’Ouganda

sur deux fronts, les éléments de preuve montrant qu’en août 1998, les rebelles antiougandais furent

incorporés aux forces armées congolaises et les preuves attestant que les forces armées soudanaises

se servaient de toute une série d’aérodromes milita ires de la région septentrionale du Congo pour

leurs opérations. Le rythme des agressions armées s’est accéléré à mesure que le Soudan amenait - 25 -

des soldats en plus grand nombre et livrait plus de matériel. Ces menaces ont continué à gagner en

intensité au début de septembre 1998.

69. Finalement, l’Ouganda a décidé le 11 septembre1998 de lancer l’action militaire

indispensable face au déploiement au Congo de nouvelles forces armées soudanaises hostiles.

Les critiques de la République démocratique du Congo

70. Voilà, Monsieur le président, comment l’instance se présente pour l’Ouganda, mais il me

reste à examiner comment le Congo réagit aux écritures de l’Ouganda sur la question de la légitime

défense. Je vais être aussi bref que possible, principalement parce que les difficultés liées à la

présente espèce portent finalement sur l’application des principes juridiques pertinents et n’ont pas

trait à la répétition de propositions fort connues.

71. En général, les Parties s’opposent sur ce que dit le droit. L’Ouganda dans le

contre-mémoire et le Congo dans la réplique procèdent à un débat de fond mais il subsiste certaines

divergences importantes. Le Congo a une positi on qui demeure beaucoup plus dogmatique et

simpliste que celle de l’Ouganda. Celui-ci fait observer que la situation juridique fait appel à

l’interprétation et à l’application de la form ule «agression armée». Comme j’ai cherché à le

montrer aujourd’hui, il y a des situations dans lesquelles il est peu réaliste et pratiquement

impossible de vouloir à tout prix faire la distinction entre une réaction directe à une agression

armée, d’une part, et, de l’autre, une action menée par anticipation ou une action préventive.

72. Mon éminent adversaire, M.Corten, nous propose un tableau à deux dimensions de la

question. Tout d’abord, M.Corten ne rend pas compte comme il convient de la position de

l’Ouganda, celle-ci n’étant nullement fondée sur les notions d’autoprotection, d’intérêts vitaux, ni
29

d’actions préventives ou «préemptives» (CR 2005/3, par. 6, 32 et 35).

73. Contrairement à ce que donne à entendre mon adversaire, les juristes qui se sont

exprimés à ce sujet n’ont rien à redire à la position de l’Ouganda : M. Corten évoque la réplique du

Congo à la page212 pour y chercher des citations . Le fait est, Monsieur le président, que les

juristes ont quasi-toujours omis d’examiner la question particulière du lien entre les activités

persistantes de bandes armées et la notion d’agression armée. C’est-à-dire que du point de vue

qualitatif, la prétendue unanimité des auteurs n’est guère impressionnante. - 26 -

74. En outre, il n’est pas toujours opportun d’appliquer le principe démocratique au

décompte des auteurs. Le Congo traite de façon superficielle les sources qui font autorité. C’est

ainsi que M.YoramDinstein ne se voit pas acco rder de place éminente parmi les sources alors

qu’il est l’auteur non pas de quelques petits paragraphes de manuel mais d’une monographie fort

connue faisant aujourd’hui l’objet d’ une troisième édition, sous le titre War, Agression and

Self-Defence [«La guerre, l’agression et la légitime défe nse»]. Il s’agit aussi depuis longtemps

d’un membre de l’Institut de droit international. Dinstein est l’une des rares sources qui font

autorité sur le sujet et à avoir fait un exposé approfondi des problèmes; ses vues sont présentées

aux pages 199 à 201 du contre-mémoire.

75. Dans le même contexte général, le C ongo s’étonne que l’Ouganda rappelle l’existence

d’une autre approche que celle que la Cour a majoritairement retenue dans l’affaire Nicaragua

(voir RC, par.3.127 et CR2005/3, par.21 (Corten )). Mais chaque affaire doit être jugée d’après

les faits qui lui sont propres et les faits dans la présente instance n’ont rien de commun avec les

faits de l’affaire Nicaragua . En outre, s’il faut vraiment s’arrêter sur ce chapitre, la Cour ne

souscrit pas à la doctrine rigide du précédent. Nous sommes là en terrain connu et les plus hautes

autorités en ont traité, y compris Hersch Lauterpacht dans The Development of International Law

by the International Court, qui fut publié en 1958, aux pages 8 à 15.

76. J’en arrive à l’une des failles les plus graves de la thèse de M. Corten. Celui-ci soutient

que le Congo n’a pas organisé d’«a gressions armées» contre l’Ouga nda (CR 2005/3, par. 10-13).

Nous devons comprendre par là qu’on nous dit que les agressions dirigées contre l’Ouganda par

des bandes armées basées au Congo n’étaient pas placées sous le contrôle du Gouvernement central

du Congo. En même temps, le Congo admet que des groupes de miliciens étaient depuis longtemps

établis sur son territoire (voir DO, par. 65-67).

30 77. Le lien manquant est fourni par les prin cipes de la responsabilité des Etats et par

l’obligation d’empêcher que le territoire nationa l ne soit utilisé par des bandes armées organisant

depuis ce territoire des actions à l’encontre d’Et ats voisins. Mon adversaire ne voit pas que,

conformément aux principes de la responsabilité des Etats, le Congo est responsable des agressions

armées lancées par les divers groupes rebelles. Cette responsabilité naît dans les conditions

prescrites par la définition de l’agression de1974, qui sont que, suivant l’alinéa g), il y a - 27 -

intervention directe d’un Etat. Mais, Monsieur le président, cette responsabilité existe aussi

conformément aux principes du droit international général en raison, tout simplement, de l’absence

de contrôle sur les activités de bandes armées. Dans sa réplique (au para graphe3.131), le Congo

veut faire valoir que la respon sabilité du souverain territorial est limitée par les dispositions de

l’article8 du projet d’articles sur la respon sabilité des Etats adopté en seconde lecture par la

Commission du droit international en2001. No us avons déjà cité cet article qui vise le

comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat. Pour le Congo, il est très difficile du fait

de cette disposition d’attribuer à un Etat les actes de personnes privées.

78. C’est là un élément du débat et son effet est trompeur. L’article 8 du projet d’articles ne

porte pas sur la légitime défen se, laquelle est évoquée à l’article 21 du projet sous la forme très

générale d’un renvoi aux dispositions de la Charte . L’article56 du projet d’articles précise que

d’autres principes du droit international général de meurent inchangés. Et, dans ce contexte, on se

rappellera que mercredi après-midi, la semain e dernière, tant M.Sands que M.Salmon ont

constamment invoqué l’obligation de prévention ou de vigilance.

En outre, le dernier article du projet de la Commission du droit international dispose que «les

présents articles sont sans préjudice de la Charte des Nations Unies».

79. Où est-ce que ce raisonnement nous condu it? Il nous ramène inévitablement à

l’article 51 de la Charte, qui définit le droit de légitime défense du point de vue du droit coutumier :

«dans le cas où un Membre … est l’objet d’une agression armée».

80. Comme il en est des autres aspects de la notion d’agression armée, les agressions armées

menées par des bandes armées dont l’existence est tolérée par le souverain territorial créent une

responsabilité en droit et constituent par conséquent d es agressions armées au sens de l’article 51.

Il existe de ce fait une norme distincte, suraj outée, de responsabilité suivant laquelle, en l’absence

de contrôle exercé sur l’activité de bandes armées, on risquera de voir des Etats voisins prendre

l’initiative d’assurer leur légitime défense.

31 81. J’en viens à présent à examiner la thèse exposée par M.Klein dont la première

proposition est que l’Ouganda n’a pas respecté la condition de nécessité (CR2005/3, par.4).

MK . lein voit donc la nécessité comme un él ément distinct et supplémentaire faisant

obligatoirement partie de la légitime défense. - 28 -

82. Monsieur le président, il n’y a probable ment aucun mal à se doter de cette nouvelle

obligation mais celle-ci est certain ement tautologique et inutile. La légitime défense en soi n’est

après tout qu’une forme particulière de nécessité . La notion de nécessité veut simplement dire

implicitement que le comportement s’inscrit toujours dans le cadre du but cherché. C’est le

message à retenir de la lettre adressée par Webster au Gouvernement britannique dans la

correspondance relative à la Caroline, puisqu’il y est dit ceci : «l’acte justifié par la nécessité de la

légitime défense doit être limité par ladite nécessité».

83. Il est assez clair que les limites sont plus nettement fixées par le principe de

proportionnalité et j’ai déjà évoqué cette obligation ce matin. De toute façon, dans le cadre du droit

coutumier, la Cour a cherché dans l’affaire Nicaragua à associer les critères de nécessité et de

proportionnalité ⎯j’évoque ici l’arrêt ( C.I.J. Recueil 1986, par.194) et cet extrait est cité aux

paragraphes 43 et 74 de l’arrêt rendu dans l’affaire des Plates-formes pétrolières.

84. M.Klein expose ensuite le problème de la proportionnalité sous une forme partisane et

tronquée. Il se borne à analyser l’action qui est menée sans se préoccuper des causes de ladite

action ni du contexte factuel.

85. J’ai déjà de mon côté analysé les impératifs cumulés qui ont créé pour l’Ouganda la

nécessité de la légitime défense. Comme la Cour s’en rendra compte, l’Etat demandeur n’a pas

dépeint comme il aurait fallu les relations établies entre le Congo et l’Ouganda pendant la période

critique qui démarre en 1996.

86. Comme le Congo dans sa réplique, M.Kl ein évoque la région prétendument vaste sur

laquelle l’Ouganda a fait porter ses opérations. Mais M. Reichler a prouvé que cette affirmation ne

procède pas vraiment des faits et il a montré à ce sujet la carte du plan de désengagement d’Harare

(voir CR2005/6, par.101-102). D’après les éléments de preuve disponibles, les forces

ougandaises étaient dans l’ensemble massées dans la zone frontalière immédiate et étaient occupées

à sécuriser les aérodromes stratégiques des régions orientale et septentrionale du Congo.

87. M. Klein évoque aussi la profondeur de l’avancée des forces ougandaises à l’intérieur du

territoire congolais (voir le CR2005/3, par.19). C’est là l’exemple parfait de la technique qui

32 consiste à ne retenir qu’un élément de la situa tion dans toute une série d’événements consécutifs

pour chercher à lui donner un rôle central. Mais, co mme M. Reichler l’a montré, il est artificiel de - 29 -

vouloir appliquer une formule polyvalente tout e faite pour mesurer la proportionnalité d’une

opération de défense (voir le CR 2005/6, par.83). D’après les éléments de preuve, cette avancée

était dictée par le besoin d’emp êcher les ennemis de l’Ouganda de continuer à utiliser certains

aérodromes pour ravitailler et renforcer les groupes rebelles qui menaient des agressions armées à

l’encontre de l’Ouganda.

88. Plusieurs de nos éminents adversaires ont évoqué le temps que l’Ouganda consacre à ces

opérations. Pour énoncer ce grief, il faut manifest ement ne tenir aucun compte de toute une série

de conditions: la persistance des agressions frontalières, la force cumulée des groupes armés

bénéficiant de l’assistance des Gouvernements congol ais et soudanais, la faiblesse des institutions

congolaises et l’application au Congo du régime d’ordre public de Lusaka.

89. M.Klein invoque également le principe suivant lequel il faut épuiser les modes

pacifiques de règlement avant de recourir à la for ce (voir CR 2005/3, par. 9-16). M. Klein ne cite

qu’une seule source à l’appui de ce prétendu pr incipe: un rapport présenté par M.Ago à la

Commission du droit international. Or, malgré tout le respect dû à la mémoire de M.Ago, ce

principe ne constitue pas une limite du droit de légitime défense quand l’exercice dudit droit est

normalement justifié. Il n’est pas surprenant de constater que, dans les commentaires qu’elle joint

aux articles finalement adoptés en seconde lectur e en 2001, la Commission ne fait aucune allusion

à cette limitation de principe.

90. Dans ce contexte, M. Klein cherche à tir er parti du fait que, penda nt la période capitale

allant de mai à septembre1998, l’Ouganda n’a form ulé officiellement aucune protestation auprès

du Congo (voir CR 2005/3, par. 13). Les faits sont que le président Museveni, à plusieurs reprises,

s’est clairement plaint en public des menac es émanant du Congo qui pesaient sur l’intégrité

territoriale de l’Ouganda et le Congo en convien t dans sa réplique (par.3.56-3.61). Le

président Museveni s’est exprimé à ce sujet le 24 août et le 16 septembre 1998.

Monsieur le président, j’ai pratiquement fini.

Le PRESIDENT : Nous aurons une pause dans dix minutes. Le délai vous suffit-il ?

M. BROWNLIE : J’en aurai terminé dans deux minutes. - 30 -

33 Le PRESIDENT : Vous pouvez donc poursuivre.

M. BROWNLIE :

91. Mais il convient de se rappeler beaucoup d’autres éléments que ces déclarations du

président Museveni, malgré l’importance qu’elles revêtent. Au début du mois d’août1998,

l’Ouganda a organisé une vaste campagne diplomatique pour mettre fin au conflit au Congo. D’où

une succession de réunions au sommet, notamment la première réunion de Victoria Falls des 7 et

8 août 1998 et la deuxième réunion des 7 et 8 septe mbre 1998. Les participants à ces sommets ont

publié un communiqué commun indiquant qu’il falla it, dans le cadre d’un véritable règlement,

tenter de résoudre les problèmes de sécurité des Etats voisins en même temps que les problèmes de

sécurité propres au Congo. Ce communiqué commun dit ceci :

«Nous reconnaissons la nécessité de ré soudre les problèmes de sécurité qui se
posent en République démocratique du Congo et dans les pays voisins. A cet égard,
nous nous déclarons disposés à apporter notre assistance par tous les moyens possibles
afin d’atteindre cet objectif.» (Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 26, p. 2.)

Le professeur Klein a évoqué l’aide apportée par l’Ouganda à l’organisation congolaise

rebelle MLC. Comme M.Reichler l’a fait observer vendredi, le MLC était partie à l’accord de

Lusaka. Demain, en examinant cet accord, M. Reichler évoquera le statut particulier que les parties

à l’accord de Lusaka, dont le Gouvernement de la RDC, ont accordé au MLC.

92. Monsieur le président, avant d’en terminer , peut-être serait-il utile à la Cour que je

résume la position de l’Ouganda sur les questions juridiques liées aux activités de bandes armées.

En premier lieu, quand le souverain territori al tolère l’activité debandes armées et les

agressions armées que ces bandes mènent contre un Etat voisin, l’absence de contrôle fait courir à

l’Etat qui héberge ces bandes armées le risque de subir de la part de l’Etat victime une action qui

répond à l’article 51. Cette conséquence procède de l’application de principes très largement admis

quant à la responsabilité des Etats et il n’est pas indispensable que le souverain territorial exerce sa

direction et son contrôle.

La Cour verra que l’Etat demandeur ne nie p as l’existence des faits auxquels s’applique la

formule ci-dessus.

En deuxième lieu, les agressions armées engagent la responsabilité et font courir le risque de

34 subir une action défensive quand il y a interventi on directe conformément à la définition de - 31 -

l’agression retenue par l’Assemblée générale. Ce tte participation est niée par le Congo malgré

beaucoup d’éléments de preuve en sens contraire.

Monsieur le président, un dernier point. S’il faut appliquer le critère de nécessité de la

légitime défense sur la base de l’ effectivité et du sens commun, c’ est incontestablement l’avis de

l’Etat victime et de ses ressortissants qui doit comp ter le plus. Et cet avis doit reposer sur une

norme objective en rapport avec les effets des agressions armées. La conséquence est que, pour

l’Etat victime, le résultat est inchangé et la nécessité demeure la même, que l’Etat d’où émanent les

agressions armées y participe directement ou soit simplement responsable d’héberger ou de tolérer

les bandes armées auteurs des agressions.

Et de toute façon, en l’espèce, les moye ns de preuve présentés par l’Ouganda dont

M. Reichler a parlé vendredi et qui vont être approfondis par les deux conseils qui vont me suivre à

la barre, montrent que la RDC est responsable non seulement d’héberger et de tolérer les bandes

armées dont il s’agit mais de les intégrer en outre à ses propres forces armées, de leur apporter par

ailleurs son soutien et de coordonner les activités qu’elles mènent à l’encontre de l’Ouganda à la

fois directement et tout particulièrement en collaboration avec le Soudan.

J’en ai terminé, Monsieur le président, et je tiens à remercier la Cour de sa patience.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, MonsieurBrownlie. La Cour va faire une pause de

dix minutes avant de reprendre l’audience.

L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 40.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à Son Excellence

Amama Mbabazi, conseil et avocat.

M. MBABAZI : Je vous remercie, Monsieur le président.

Introduction

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour moi

que de me présenter aujourd’hui devant vous. Je suis reconnaissant à votre éminente juridiction de - 32 -

35 m’accorder ainsi qu’à l’Ouganda le privilège de répondre aux allégations d’agression armée

formulées à notre encontre par notre voisin, la République démocratique du Congo.

2. Tout d’abord, permettez-moi de me présenter. Je suis, en premier lieu, avocat. J’ai étudié

à l’Université Makerere, à Kampala, où j’ai obtenu ma maîtrise de droit en 1975. Aujourd’hui, j’ai

l’honneur d’occuper le poste de ministre de la défense de la République de l’Ouganda.

Depuis 1986, j’ai exercé au sein du Gouvernement ougandais les fonctions suivantes :

⎯ entre 1986 et 1992, j’ai été directeur général de l’Organisation de la sécurité extérieure

au cabinet du président;

⎯ de 1992 à 1997, j’ai assumé lefonctions de ministre d’Eta(minister of State) à la

défense;

⎯ entre 1997 et 1998, j’ai été ministre d’Etat (minister of State) au cabinet du président (et

étais chargé des questions politiques);

⎯ de 1998 à 2001, j’ai été ministre d’E(minister of State) aux affaires étrangères (et

chargé de la coopération régionale); et

⎯ depuis 2001, j’exerce la charge de ministre de la défense. Je suis également aujourd’hui

à la tête du commandement historique de l’armée ougandaise.

3. Chacun des postes que j’ai occupés depuis1986 m’a valu d’importantes responsabilités

dans la gestion des relations entre l’Ouganda et le Zaïre, comme le Congo s’appelait à l’époque, ou

le Congo comme le pays s’appelle aujourd’hui; j’eu des contacts directs et fréquents avec les

plus hauts responsables du Zaïre et du Congo au su jet de nos relations bilatérales; j’ai représenté

l’Ouganda à des conférences régionales et bilatérales qui mettaient en jeu les relations entre nos

deux pays; je savais tout ce que les servicesde renseignement du Gouvernement ougandais

apprenaient sur les questions politiques et militaires au Congo; j’ai participé à toutes les décisions

stratégiques prises par le Gouvernement ougandais à l’égard du Congo; j’ai représenté l’Ouganda à

des réunions que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de sécurité et

l’Assemblée générale consacraient au conflit du Congo; j’ai coprésidé les négociations organisées à

Lusaka, en Zambie, au début du mois de juill1999, qui ont abouti à la conclusion de l’accord

international dit accord de Lusaka, aux terduquel toutes les parties au conflit au Congo ont - 33 -

décidé de mettre fin à la guerre et à ses cause s, d’établir au Congo un nouveau gouvernement

d’unité nationale et d’y assurer, à terme, le retr ait de l’ensemble des forces étrangères; et j’ai

36 continué de participer ensuite à toutes les conf érences de paix et discussions bilatérales entre

l’Ouganda et le Congo, mon souci étant de main tenir la paix et de promouvoir des relations

amicales entre nos deux Etats.

4. Monsieur le président, comme j’ai participé directement à tous ces événements

depuis 1986 et jusqu’à la date d’aujourd’hui, je suis dans une position privilégiée pour exprimer les

vues du Gouvernement de l’Ouganda sur cinq points en particulier, que je me propose d’évoquer

aujourd’hui. Il s’agit des cinq points suivants : premièrement, depuis 1994 au moins, l’Ouganda est

victime d’une agression armée men ée depuis le territoire congolais; deuxièmement , l’Ouganda n’a

pris aucune part à la rébellion congolaise contre le président LaurentKa bila qui a commencé le

2août1998, ni à la moindre offensive milita ire au Congo au cours du mois d’août1998;

troisièmement, l’Ouganda a décidé de dépêcher de nouve lles forces armées au Congo et de les

déployer au-delà des zones immédiatement frontalières le 11 septembre 1998, pour des raisons que

je préciserai; quatrièmement, les parties à l’accord de Lusaka signé en juillet1999 ont

expressément reconnu que les attaques armées dirigées contre l’Ouganda par des groupes rebelles

basés au Congo étaient assez graves pour justifier l’envoi et le maintien de troupes ougandaises sur

le territoire congolais jusqu’à ce que ces groupes soie nt désarmés et démantelés et, aux termes de

ce même accord, le Gouvernement de la RDC a expressément consenti au maintien de forces

militaires ougandaises sur son territoire jusqu’à ce que soient remplies les conditions de leur retrait

prévues par l’accord; et, cinquièmement, l’Ouganda et le Congo ont, en septembre2002, signé à

Luanda, en Angola, un accord de paix bilatéral en vertu duquel, d’une part, la RDC a une fois de

plus consenti à la présence de forces militaires ougandaises dans les parties de son territoire où

continuaient d’opérer les groupes armés et, d’au tre part, les Parties ont retenu un calendrier

d’évacuation de l’ensemble des autres forces ougandaises qui, conformément aux dispositions de

l’accord de Luanda, ont toutes été définitivement retirées du Congo au 2 juin 2003. - 34 -

I.L’ AGRESSION ARMEE CONTRE L ’OUGANDA SOUS LE REGNE DE M OBUTU

5. Monsieur le président, je vais maintenant exposer mon pr emier point, à savoir le fait que

l’Ouganda est victime depuis 1994 au moins d’une agression armée menée depuis le territoire de ce

qui était autrefois le Zaïre et qui est aujourd’hu i la République démocratique du Congo. Bien que

MM.Brownlie et Reichler aient tous deux traité cette question, je voudrais y revenir brièvement

afin de donner à la Cour des éléments lui permettant de mieux apprécier les circonstances qui ont

contraint l’Ouganda à prendre les décisions qu’ il a prises pour assurer sa sécurité nationale et
37

défendre ses frontières.

6. Ainsi que l’a indiqué M.Reichler vendred i dernier, l’Ouganda fut, sous le règne de

Mobutu, en proie aux attaques de trois forces distinctes ⎯encore qu’alliées en définitive ⎯,

opérant depuis le territoire congolais. La première de ces forces regroupait diverses bandes de

rebelles anti-Ouganda basées à l’est du Congo, qui se livraient à partir de là à des attaques

transfrontalières: parmi elles figuraient l’Ancienne armée nationale de l’Ouganda («FUNA»), le

Front national de libération de l’ Ouganda II («UNRF II»), l’Armée nationale pour la libération de

l’Ouganda («NALU»), les Forces démocratiques alliées («FDA»), le Front de la rive ouest du Nil

(«WNBF») et l’Armée de résistance du Seigneur («LRA»).

7. Ces groupes étaient principalement composés d’anciens soldats et autres partisans fidèles

à l’un ou à l’autre des deux ancien s dictateurs ougandais, Idi Amin et Milton Obote, qui dirigèrent

chacun des régimes meurtriers sous lesquels des centaines de milliers d’Ougandais innocents furent

tués ou emprisonnés et le pays terrorisé entre1971 et1986. Durant cette période, le nom de

l’Ouganda fut malheureusement synonyme de pouvoir brutal, corrompu et dictatorial. Ces groupes

constituaient les vestiges de ces terribles régim es. Après1986, chacun de ces groupes eut pour

objectif de renverser le Gouvernement ougandais diri gé par le président Museveni et de restaurer

l’ancien régime, ou bien, dans le cas des Forces démocratiques alliées (FDA), d’établir un Etat

religieux intégriste sur le modèle du Soudan. Tous ces groupes disposaient de bases situées dans la

partie orientale du Congo qui jouxte la partie occidentale de l’Ouganda.

8. A partir de1994, le président zaïrois Mobutu leur accorda délibérément l’asile, les

approvisionna, et assura toujours davantag e la coordination des activités que ces groupes

dirigeaient contre l’Ouganda. Le Zaïre lui-même devint ainsi le deuxième agresseur de l’Ouganda. - 35 -

La Cour voudra bien, je l’espère, m’accorder quelques minutes pour exposer le phénomène du

soutien zaïrois aux groupes anti-Ouganda, car cela me permet de présenter un thème qui va prendre

encore plus d’importance par la suite, en1998 et en1999, lorsque l’agression congolaise contre

l’Ouganda va se répéter et s’intensifier, incitant finalement l’Ouganda à recourir à la légitime

défense.

9. Le tout premier catalyseur de l’allia nce du président Mobutu avec les groupes armés

anti-Ouganda opérant à partir de son pays fut la chute, en1994, du Gouvernement rwandais à la

tête duquel se trouvait le président Juvenal Habyarimana. Le président Mobutu était un allié et un

fervent partisan du président Habyarimana, dont le gouvernement, dominé par des membres de

38 l’ethnie hutue, était engagé dans une guerre civile contre le Front patriotique rwandais (FPR),

principalement composé de membres de l’ethnie tutsie. Le président Mobutu était l’un des

principaux fournisseurs d’armes du président Habyar imana et de son gouvernement. Le président

Habyarimana mourut dans un accident d’avion en revenant de négociations menées avec le FPR en

vue de mettre un terme à la guerre civile au Rwa nda. Cette conférence de paix qui fut couronnée

de succès avait été organisée et animée par le pr ésident ougandais, Yoweri Museveni, qui assista à

la signature de l’accord de paix.

10. Après la mort tragique du président Habyarimana, la composante extrémiste hutue de son

armée et de ses milices soutenues par l’armée, les «Interahamwe» —composante dont tous les

membres étaient opposés à un accord de paix— la nça une virulente campagne anti-Tutsis au

Rwanda. En1994, elle commit un génocide, massa crant, en quatre-vingt-dix jours, plus de

huit cent mille Tutsis et Hutus modérés. Malgré les exhortations pressantes émanant, entre autres,

de l’Ouganda et de plusieurs Etats africains, le Conseil de sécurité de l’Organisation des

Nations Unies ne fit rien pour arrêter cette gigantesque tuerie. En fait, au lieu d’envoyer des forces

de maintien de la paix pour mettre un terme au ma ssacre, l’Organisation des NationsUnies retira

celles qui se trouvaient déjà sur place, supprimant ainsi le dernier rempart de protection et

abandonnant à leur horrible sort les Tutsis du Rwan da et les Hutus qui s’opposaient héroïquement

au massacre. Nous qui sommes Africains, nous en avons — je le crains — tiré une leçon terrible

mais nécessaire: nous ne pouvions compter sur l’ intérêt ni du Conseil de sécurité ni de la

communauté internationale en géné ral pour que l’un ou l’autre nous aide à maintenir la paix en - 36 -

Afrique. Si ce massacre prémédité de plus de huit cent mille civils africains ne suffisait pas à faire

venir dans notre région du monde de s gardiens de la paix de l’ONU, il n’y avait vraiment pas lieu

de croire qu’un tribut moins lourd en vies humaines les ferait venir. Nous avons donc appris à ne

compter que sur nous-mêmes pour garantir notre sécurité et notre vie.

11. Le génocide a anéanti tout espoir de voir subsister l’accord de paix conclu entre les

factions rwandaises en lutte grâce aux bons offices du président Museveni. De sorte que le FPR, à

prédominance tutsie, lança une offensive militaire, s’empara de la capitale Kigali et mit en place un

nouveau gouvernement. Les vestiges des ancienn es Forces armées rwandaises qui étaient l’armée

du Gouvernement rwandais vaincu et les milices Interahamwe se sont alors enfuis, franchissant la

frontière pour se réfugier au Zaïre (avec plus d’un million de réfugiés hut us qui craignaient des

représailles de la part du nouveau gouvernement). Le président Mobutu leur fit bon accueil et leur

accorda l’asile. Il aida aussi les anciens soldats et miliciens rwandais à se réorganiser; il les réarma

39 et leur a fourni un soutien logistique lors d’attaques menées contre les forces du nouveau

Gouvernement rwandais. Ces anciens soldats attaquèrent aussi les communautés tutsies de l’est du

Congo, le long de la frontière avec le Rwanda, tuant des milliers de citoyens congolais.

12. Comme l’a dit M.Reichler vendredi de rnier, le président Mobutu soutenait et

encourageait les attaques contre l’Ouganda et le Rwanda car il considérait que l’Ouganda était

l’allié du nouveau Gouvernement rwandais et son principal soutien. Il espérait que si l’on obligeait

l’Ouganda à s’employer à défendre ses propres frontières avec le Zaïre, l’Ouganda serait moins à

même d’apporter son aide au Rwanda dont le président Mobutu voulait re nverser le gouvernement

en soutenant les anciens soldats et miliciens rwandais. Le président Mobutu apporta donc

simultanément son soutien à ces groupes rwandais opposés au nouveau Gouvernement du Rwanda,

d’une part, et, de l’autre, aux groupes rebell es ougandais depuis longtemps basés dans l’est du

Congo et opposés au Gouvernement de l’Ouganda.

13. En sus du gouvernement du président Mobutu et des groupes rebelles anti-Ouganda

basés dans son pays, la troisième force opposée au Gouvernement ougandais était le Soudan, le

voisin septentrional de l’Ouganda. L’hostilité entr e l’Ouganda et le Soudan existait depuis fort

longtemps, due, pour une large part, aux relations étroites que le Soudan entretenait avec Idi Amin

et au soutien que le Soudan avait apporté à ce de rnier lorsqu’il était au pouvoir, ainsi qu’à l’asile - 37 -

qui fut accordé aux vestiges de son armée qui s’étab lirent dans le sud du Soudan lorsque Idi Amin

fut chassé du pouvoir. Le Soudan apporta son concours à l’organisation, à l’armement, à

l’entraînement et à la coordination de groupes te ls que l’ancienne Armée nationale de l’Ouganda

(FUNA), le Front national pour le salut de l’Ouganda (UNRF II), le Front de la rive ouest du Nil

(WNBF) et l’Armée de résistance du Seigneur (L RA). La LRA devint tristement célèbre en

enlevant des milliers d’enfants ougandais qu’elle brutalisa et condamna au sort d’enfants soldats ou

d’esclaves sexuels. Comme M.Brownlie l’a dit ce matin, le Gouvernement de l’Ouganda ayant

officiellement saisi la Cour pénale internationa le de cette question, les chefs de la LRA font

actuellement l’objet d’une enquête de la Cour pénale.

14. Le Soudan n’a pas cantonné ses interventions à son propre territoire, au contraire:

après 1994, il a coopéré activement avec le président Mobutu et a aidé à organiser, armer, entraîner

les groupes anti-Ouganda basés dans l’est du Congo, et surtout ceux qui étaient fidèles à l’ancien

dictateur Idi Amin, ainsi qu’à coordonner leurs activités. Entre 1994 et 1997, le Soudan et le Zaïre

ont associé leurs volontés criminelles à l’encontre de l’Ouganda. Conformément à leur alliance, le

Soudan intensifia ses actions contre l’Ouganda qui consistaient notamment à armer et entraîner des

rebelles hostiles à l’Etat ougandais, et le Zaïre acc epta que son territoire, aéroports compris, soit
40

utilisé pour ravitailler les insurgés et attaquer l’Ouganda. Cette alliance s’est soldée par une nette

escalade des agressions armées contre l’Ouganda.

15. L’agression armée contre l’Ouganda ⎯et la responsabilité du président Mobutu et de

son gouvernement ⎯entre 1994 et 1997 sont incontestables. Comme M.Reichler l’a déjà

expliqué, l’Ouganda a produit dans son contre-mémoire les décl arations de nombreux anciens

insurgés ou rebelles capturés qui attestent clairement les faits pertinents. Je tiens à souligner ici

que ces déclarations n’ont pas été recueillies ou fabriquées de toutes pièces aux fins de la présente

affaire. Il s’agit de procès-verbaux officiels de l’époque dans lesquels sont consignées les

déclarations de prisonniers et de transfuges interrogés par les militair es et les agents de

renseignements ougandais; et c’est parce qu’il trouvait ces déclarations suffisamment fiables à

l’époque où elles furent recueillies que le Gouvern ement de l’Ouganda a finalement pris sur cette

base des décisions cruciales en matière de stratégie et de tactique politique et militaire. L’Ouganda

estime, tout bien pesé, que ces déclarations font parfaitement la preuve que le gouvernement de - 38 -

Mobutu était complice des agressions armées qui ont été menées contre l’Ouganda tout au long de

cette période. C’est d’ailleurs ce que m’ont conf irmé des représentants congolais appartenant au

gouvernement du président Laurent Désiré Kabila une fois que le président Mobutu eut quitté la

scène.

16. La guerre livrée au président Mobutu entre 1996 et 1997 a principalement été

menée ⎯ et gagnée ⎯par l’armée du Rwanda. Il y eut, na turellement, participation des forces

rebelles congolaises elles-mêmes, sous la directi on de LaurentKabila qui est devenu le nouveau

président du pays en mai 1997. Mais l’essentiel des combats a été livré par l’armée rwandaise qui

a envahi le Congo et a fini par s’ emparer de Kinshasa et par installe r M.Kabila à la présidence.

C’est là un fait que toute personne habitant la région reconnaît, y compris les Congolais. C’est

pourquoi, même après son installation au pouvoir et pendant plus d’un an ensuite, l’armée du

président Kabila fut principalement composée des so ldats rwandais qui l’avaient porté au pouvoir.

M.Reichler a exposé ces faits à la Cour vendredi et je crois comprendre que la RDC les a admis

devant vous.

II. L’Ouganda n’a pas soutenu la rébellion contre le président Kabila ni entrepris

d’opérations militaires offensives en RDC au cours du mois d’août 1998

17. Monsieur le président, j’en viens mainte nant au deuxième point de ma démonstration:

l’Ouganda n’a joué aucun rôle dans la rébellion d’août 1998 contre le président Laurent Kabila et

n’a entrepris aucune action militaire offensive sur le territoire du Congo au cours du mois

d’août 1998.

41 18. C’est avec une inquiétude de plus en pl us forte que l’Ouganda a vu la stabilité du

gouvernement du président Kabila s’éroder lentem ent entre mai1997, date de son arrivée au

pouvoir, et mai 1998. L’Ouganda redoutait en effet tout particulièrement que l’instabilité s’installe

chez son grand voisin de l’ouest car elle entraînera it forcément plus d’instabilité encore dans la

région reculée de l’est du Congo, celle qui jouxte le territoire ougandais . Ce que le peuple

congolais semblait reprocher le plus au présidentKabila, c’était sa dépendance presque totale à

l’égard du Rwanda et des Tutsis congolais que les forces rwandaises avait amenés à Kinshasa et

installés à des postes clés de l’armée reconstitu ée et des nouveaux services de sécurité. Beaucoup

de Congolais se sentaient humiliés par ce qu’ils considéraient comme la subordination des intérêts - 39 -

nationaux congolais à ceux du Rwanda. Le patriotisme s’exacerbait et l’hostilité envers le Rwanda

gagna du terrain. Cette hostilité s’est également tr aduite, sous sa forme la plus odieuse, par une

hostilité à l’encontre des Tutsis congolais que les autres Congolais considéraient comme des agents

du Rwanda. Partout, on accusait le présidentKabila d’avoir vendu son pays au Rwanda et à ses

alliés Tutsis congolais, d’où des manifestations massives contre le gouvernement.

19. Pour répondre aux attaques nationalistes lancées contre son gouvernement, le

président Kabila décida de mettre fin à sa dépendance militaire vis-à-vis du Rwanda. C’est ce qu’il

fit par décret présidentiel le 27 juin 1998. Dans ce décret, il ordonna que toutes les forces armées

rwandaises quittent immédiatement la RDC. Ce décret d’expulsion des forces rwandaises suscita la

liesse des Congolais, dont beaucoup célébrèrent l’événement en se déchaînant contre les Tutsis

congolais, qu’ils tenaient pour des sympathisants du Rwanda. Les derniers jours de juillet 1998, un

grand nombre de Tutsis furent massacrés par d es foules encouragées par le gouvernement. Pour

remplacer les soldats rwandais qui partaient, le président Kabila s’employa aussitôt à constituer une

nouvelle armée avec les seules autres forces militaires et paramilitaires expérimentées qui étaient

présentes au Congo, à savoir les anciens soldats du président Mobutu, les anciens soldats des forces

armées du Rwanda et les miliciens Interahamwe qui avaient servi l’ancien gouvernement (Hutu) du

Rwanda ainsi que les groupes d’insurgés anti-Ouganda opérant dans l’est du Congo.

20. Le 2 août 1998, immédiatement après l’expulsion des soldats rwandais et le massacre des

Tutsis congolais, plusieurs bata illons de l’armée congolaise qui étaient stationnés dans l’est du

Congo se déclarèrent en rébellion contre le gouvernement du président Kabila. Le Rwanda envoya

immédiatement des milliers de troupes de l’autre côté de la frontière, sur le territoire du Congo. En

42 moins de deux semaines, ces troupes avaient bala yé une bonne part de l’est du Congo et

menaçaient sérieusement de gagner Kinshasa et de renverser le président Kabila.

21. Une fois la guerre contre le président LaurentKabila déclenchée le 2août1998, le

Rwanda a demandé à l’Ouganda d’envoyer les UP DF en renfort. L’Ouganda a examiné cette

demande au plus haut niveau. L’Ouganda comprenait pourquoi le Rwanda intervenait

militairement au Congo. L’alliance entre le prési dentKabila et les forces auteurs du génocide au

Rwanda qui se préparaient à envahir ce pays pour y reprendre le pouvoir paraissait clairement

inacceptable au régime de Kigali, tout comme l’agression visant les Tutsis congolais qui était - 40 -

menée à l’instigation du gouvernement. L’ Ouganda critiquait lui aussi ces actions du

présidentKabila et de son gouvernement mais a fa it savoir au président rwandais Kagame qu’il

n’interviendrait pas militairement au Congo. Le présidentMuseveni décida fermement que

l’Ouganda resterait complètement neutre face aux combats qui se déroulaient au Congo. Plutôt que

d’apporter son soutien à l’un ou l’autre des belligérants, le président Museveni a énergiquement fait

campagne en faveur d’une conférence de paix régionale visant à mettre un terme au conflit et à

examiner les préoccupations de tous en matière de sécurité, dont le problème que créait pour le

Rwanda l’alliance entre le présidentKabila et le s anciens soldats et miliciens rwandais et le

problème que créait pour l’Ouganda le soutien que le Congo apportait de nouveau aux groupes

anti-Ouganda.

22. L’action du présidentMuseveni a abouti à l’organisation d’un sommet qui a réuni les

chefs d’Etat de l’Ouganda, du Zimbabwe, de la Tanzanie, de la Zambie, de la Namibie, du Rwanda

et de la RDC les 7 et 8août1998 (soit cinq jours après le début des combats en RDC) à

VictoriaFalls, au Zimbabwe. En qualité de mini stre d’Etat à la coopération régionale, j’occupais

l’un des plus hauts postes de la délégation du présidentMuseveni. A ce sommet, la discussion a

porté sur le déclenchement des hostilités au Congo. Je me souviens parfaitement que

M.MwenzeKongolo, qui était alors ministre de la justice du présidentKabila, s’est vivement

emporté contre le Rwanda (et uni quement contre lui) en l’accusa nt d’avoir fomenté la rébellion

contre le présidentKabila et envahi le territoire congolais. En revanche, il n’a porté aucune

accusation de cette nature contre l’Ouganda puisqu e, comme il le savait fort bien, ce pays ne

participait à aucune de ces actions.

Le PRESIDENT: Puis-je vous interrompre un instant? La Cour considère que vous vous

exprimez non pas en votre nom propre mais au nom de la République de l’Ouganda. Aussi votre

exposé sera-t-il traité comme le sont normalement ce ux des autres conseils et avocats. Poursuivez,

je vous en prie.

M. MBABAZI: Merci, Monsieur le président.
43

23. Ce n’est que bien plus tard que la RDC a commencé à accuser l’Ouganda de l’avoir

«envahie» au début du mois d’août1998. Ainsi que je l’ai déclaré à la Cour, cette accusation est - 41 -

dénuée de tout fondement. A l’époque, l’Ouganda a, bien au contraire, pris la décision mûrement

réfléchie de ne pas envoyer de soldats au Congo et de rechercher à la place un règlement de paix

régional. Il est vrai que quelques soldats ouga ndais étaient déjà présents dans l’est du Congo

lorsque la rébellion contre le présidentKabila et son gouvernement a éclaté au début du mois

d’août. Trois bataillons des UPDF (les Forces de défense du peuple ouga ndais) étaient stationnés

dans les régions frontalières. Ces soldats se trouvaient au Congo avec le consentement des

autorités congolaises, dont celui du président Kabila lui-même. Ainsi que mes collègues l’ont déjà

précisé à la Cour, le présidentKabila avait invité l’Ouganda à stationner ses forces dans l’est du

Congo afin de poursuivre et de réduire les ba ndes rebelles qui lançaient des attaques contre

l’Ouganda depuis leurs bases congolaises. Cette in vitation a été de nouveau confirmée dans le

protocole écrit signé le 27 avril 1998 par l’Ouganda et la RDC. Ce protocole figure dans le dossier

de plaidoiries sous l’onglet numéro 11. Le consentement donné par la RDC à la présence de forces

ougandaises dans les zones frontalières du territoire congolais n’a jamais été révoqué ni retiré. Les

avocats de la RDC en la présente instance font erre ur lorsqu’ils prétendent que le décret publié par

le président Kabila le 27 juillet 1998 a officielle ment expulsé les soldats ougandais du Congo. Ce

décret visait expressément les soldats rwandais présents en RDC, et seulement les soldats rwandais.

Il ne faisait aucune mention d es soldats ougandais. Au moment de la publication de ce décret, il

était clair, tant aux yeux de l’Ouganda que de la RDC, que celui-ci n’avait aucune incidence sur les

forces ougandaises présentes dans les régions front alières du Congo avec le consentement exprès

du Gouvernement de la RDC. J’aimerais en out re ajouter que le Gouvernement de la RDC n’a

jamais signifié à l’Ouganda, que ce soit de manière officielle ou officieuse, directe ou indirecte,

qu’il retirait ce consentement.

24. Pendant le mois d’août 1998, l’Ouganda n’ a pas notablement étoffé l’effectif des soldats

présents au Congo et ne les a pas non plus déployés au -delà de la zone frontalière immédiate. Les

militaires ougandais stationnés en RDC ayant ess uyé d’intenses attaques menées par les ADF et

certains éléments armés congolais à Beni le 7 août1998, les forces ougandaises ont poursuivi les

assaillants vers le nord jusqu’à Bunia et pris le contrôle de l’aéroport de Bunia le 13août. Le

44 même jour, les UPDF ont envoyé quelques renforts à Bunia. Le lendemain, elles ont déployé un

petit effectif de soldats jusqu’à Watsa, également situé dans la région frontalière, au nord de Bunia, - 42 -

afin de surveiller l’évolution de la situation dans cette zone. Au total, l’ensemble des forces

ougandaises sont restées cantonnées à la région frontalière.

25. Depuis qu’elle a engagé la présente inst ance, la RDC prétend que des soldats ougandais

se trouvaient sur les lieux de diverses batailles au dé but du mois d’août, notamment à Kitona, dans

l’ouest du Congo. Etant à l’époque à la tête du commandement historique des UPDF et ministre

d’Etat à la coopération régionale, je suis au courant de toutes les décisions qui ont été prises pour

faire échec à la menace de sécurité émanant du Congo et des réactions de l’Ouganda, y compris

l’envoi et le déploiement de forces ougandaises sur le territoire de la RDC. Au nom du

Gouvernement ougandais, j’affi rme devant la Cour qu’aucune force sous commandement

ougandais n’a participé à quelque opération que ce soit à Kitona en août 1998 ni à un quelconque

autre moment. En conséquence, aucun Ougandais n’a été capturé sur ces lieux. Je me suis

personnellement renseigné pour savoir si un déno mmé SalimByaruhanga, ou une personne ayant

un nom similaire, avait jamais fait partie des fo rces armées ougandaises ou y avait été associé. Et

je peux assurer à la Cour qu’il n’en est rien. Si cet individu a jamais été détenu par la RDC, il ne

peut s’agir que d’un prisonnier civil. Cet ho mme n’a jamais servi dans les rangs de l’armée

ougandaise. Quant au char russeT-55 qui a, semble-t-il, été retrouvé près de Kitona, peut-être en

effet ressemble-t-il aux chars utilisés par les UPDF. Quoi qu’il en soit, ce char ne nous appartient

pas. Et il n’y a aucune raison de formuler la conclusion opposée. La quasi-totalité des Etats qui

étaient présents militairement au Congo ⎯c’est-à-dire le Rwanda, l’Angola, le Zimbabwe, le

Soudan et la RDC elle-même ⎯ possédaient et utilisaient des chars T-55 de fabrication russe. Dès

lors que le char T-55 en question n’appartenait p as à l’Ouganda, Monsieur le président, je ne peux

que présumer qu’il appartenait à l’un de ces Etats.

III. La décision prise par l’Ouganda en septembre 1998
d’envoyer des troupes au Congo

26. Je vais à présent examiner mon troisième point, c’est-à-dire l’envoi par l’Ouganda d’un

effectif important de forces militaires au Con go au milieu du mois de septembre 1998; l’Ouganda

agissait au titre de la légitime défense contre les agressions armées persista ntes lancées depuis le

Congo et contre la menace grave et imminente pour sa sécurité que constituaient ces attaques et - 43 -

l’action conjuguée des groupes anti-Ouganda, du Gouvernement du président Kabila et du

Gouvernement du Soudan, qui s’étaient tous ligués à l’époque contre l’Ouganda.

27. M. Reichler a passé en revue devant vous les éléments prouvant que, dès les mois d’août

et septembre1998, l’Ouganda était attaqué par des bandes armées concen trées à l’est du Congo,

qui avaient été incorporées à l’armée commandée par le président Kabila et qui étaient ravitaillées

45 et dirigées par le Soudan. Le Soudan avait lui- même déployé plusieurs milliers de ses propres

soldats, aux côtés de milliers d’au tres soldats tchadiens, à l’est du Congo, zone à partir de laquelle

des attaques de plus grande envergure et des bombardements aériens pouvaient facilement être

organisés contre l’Ouganda. M.Brownlie a e xpliqué en quoi ces événements constituaient une

agression armée illicite contre l’Ouganda et en quoi ils justifiaient l’envoi au Congo de forces

armées ougandaises dans le cadre de l’exercice lé gitime par l’Ouganda de son droit naturel de

légitime défense. Demain matin, la Cour entendra le général de division Edward Katumba

Wamala, expert en affaires militaires et en renseignement, qui a commandé plusieurs unités

militaires de l’Ouganda, notamment la Force militaire ougandaise en RDC de 2000 à 2001. Le

général Katumba Wamala examinera plus amplement les preuves concernant les attaques des

bandes armées et le soutien que leur apportaient le Gouvernement de la RDC et le Gouvernement

du Soudan pendant la période aboutissant au début du mois de septembre 1998.

28. Voici le tableau d’ensemble que nous avons pu observer à nos postes de hauts

responsables du Gouvernement ougandais chargés de la sécurité de notre nation : au début du mois

d’août, comme je l’ai indiqué, la rébellion congolai se éclate. La collaboration entre le président

Kabila et les groupes anti-Ouganda ainsi que le Soudan s’intensifie. Les groupes anti-Ouganda,

avec l’aide du Soudan, sont incorporés aux forces armées congolaises. Taban Amin, fils

d’IdiAmin et chef du Front de la rive ouest du Nil (West Nil Bank Front), l’un des groupes

anti-Ouganda ravitaillés par le Soudan, se verra attribuer par la suite le grade de général de l’armée

congolaise et sera nommé membre de l’état-major du président Kabila à Kinshasa. Le Soudan

transporte ses propres soldats par la voie aérienne à plusieurs endroits à l’est et au nord du Congo et

commence à prendre le contrôle de tous les aér odromes dans ces régions-là du pays, à l’invitation

du président Kabila. Et, sur les instructions du Soudan, le Tchad s’engage dans les combats à ses

côtés. Au milieu de tous ces événements, des soldats congolais investissent de force l’ambassade - 44 -

d’Ouganda à Kinshasa avant de menacer l’amba ssadeur et d’autres diplomates en pointant une

arme dans leur direction. Puis, au cours d’une réunion qui a lieu le 24 août, le Soudan et la RDC

conviennent de prendre à nouveau des mesures m ilitaires conjointes contre l’Ouganda, notamment

d’accroître l’aide accordée aux groupes postés à l’est du Congo. Les soldats ougandais qui se

trouvaient au Congo à l’invitation du Gouvernemen t de la RDC se voyaient de plus en plus

menacés et subissaient plusieurs attaques directes sur terre et par la voie aérienne, notamment des

bombardements de l’aviation soudanaise.

29. Sur le plan des décisions à prendre, le choi x de l’Ouganda était le suivant : soit retirer ses

soldats des zones frontalières à l’est du Congo et ainsi mettre à mal le dispositif par lequel il

46 protégeait ses frontières contre des forces qui l’attaquaient d’ores et déjà et contre celles qui étaient

sur le point de le faire, soit faire venir au Congo des forces militaires dont l’effectif suffirait à

priver ses assaillants des positions stratégiques dont ils avaient besoin pour lancer leurs attaques

armées contre l’Ouganda, ainsi que pour éliminer les groupes armés et chasser du Congo les forces

soudanaises et tchadiennes hostiles.

30. Ce n’était pas une décision facile à pr endre pour le Gouvernemen t ougandais. Celui-ci

n’aimait pas l’idée d’envoyer ses forces de combat en territoire étranger. Le Gouvernement

s’inquiétait beaucoup du coût élevé de cette opérati on, notamment en vies humaines mais aussi sur

le plan financier car le poids aurait été très lourd pour le budget d’un pays pauvre comme le sien.

Et à la guerre, le résultat n’est jamais garanti.Toujours est-il que l’Ouganda fit tout ce qu’il put

pour mettre en chantier un accord de paix régional, ma is ce projet ne suscita guère d’intérêt. Le

président Kabila lui-même n’était pas venu aux sommets que nous avions organisés à Victoria Falls

et à Windhoek (en Namibie). Le Zimbabwe, l’Ango la et, dans une moindre mesure, la Namibie

avaient envoyé leurs soldats en RDC pour soutenir le président Kabila contre le Rwanda. Le

Soudan et le Tchad avaient envoyé des soldats pour combattre l’Ouganda. Et l’Ouganda n’avait

d’autre choix que de bien voir quelle était réelleme nt la situation. Une guerre était en cours et

l’Ouganda était la cible de certains des belligérants. La seule solution qui parût viable à l’Ouganda

consistait à agir sur le plan militaire au titre de la légitime défense.

31. Le 11 septembre 1998, le haut commande ment se réunit avec le président Museveni.

M. Brownlie a donné lecture devant la Cour du procès-verbal interne qui énonce cette décision du - 45 -

haut commandement. Ce document n’a été établi ni pour être rendu public ni pour les relations

publiques: il a été classé «secret-défense» et était censé le rester. C’est seulement après le début

de la présente instance et parce que son conseil l’en priait que l’Ouganda a décidé de le déclasser

afin de pouvoir le produire devant la Cour. Ce document expose les motifs ⎯ les seuls motifs ⎯

par lesquels le haut commandement justifie l’envoi de ses forces au Congo. Je tiens à rappeler à la

Cour les deux premiers de ces motifs :

«1. Priver le Soudan de la possibilité d’utiliser le territoire de la RDC pour

déstabiliser l’Ouganda.

2. Permettre aux UPDF de neutraliser les groupes dissidents de l’Ouganda qui
recevaient de l’aide des Gouvernements de la RDC et du Soudan.»

32. L’Ouganda a donc envoyé ses troupes de co mbat au Congo dans l’exercice de son droit

de légitime défense. Puisque la mission de l’Ouganda s’inscrivait dans ce cadre, sa stratégie et ses

opérations furent toujours dictées par les impératifs de la légitime défense. Les UPDF n’ont pas

47 parcouru plus de distance ni n’ont envoyé plus d’hommes au Congo qu’il n’était absolument

nécessaire pour remplir la mission confiée par l’ Ouganda, c’est-à-dire priver ses agresseurs des

positions stratégiques dont ils avaient besoin pour continuer à lancer contre lui leurs attaques

transfrontalières, éliminer les groupes armés ag issant contre l’Ouganda et chasser les forces

soudanaises et tchadiennes du C ongo. Vers le mois de juillet 1999, une fois que les forces

ougandaises eurent pris l’aérodrome de Gbadolite et furent parvenu es à chasser les forces

soudanaises et tchadiennes du Congo, le président Museveni indique très clairement à toutes les

parties que, pour l’essentiel, la guerre est finiepour l’Ouganda et que les UPDF commenceront

désormais à se retirer des lignes de front.

33. Au début du conflit, l’Ou ganda et d’autres Etats prièrent le Conseil de sécurité de

prendre des mesures en vue de mettre fin aux combats et de garantir la sécurité des frontières de la

RDC et des Etats limitrophes, dont l’Ouganda. Les événements n’ont pas permis à l’Ouganda

d’attendre que le Conseil de sécurité agisse av ant d’envoyer ses soldats au Congo. Dès le

11septembre1998, vu la gravité des attaques armé es contre l’Ouganda, la collaboration militaire

instaurée entre la RDC et le Soudan pour le co mpte des rebelles qui conduisaient ces attaques et

l’avancée rapide vers l’Ouganda de contingents hostiles de l’armée soudanaise et de l’armée

tchadienne, il était impératif que nous agissions immédiatement au titre de la légitime défense de - 46 -

l’Ouganda. Nous savions que nous ne pouvions pas compter que le Conseil de sécurité intervienne

à temps pour éviter la crise. L’inaction du Con seil face au génocide rwandais était un souvenir

encore tout frais dans nos esprits. Il a fallu en effet attendre le mois d’avril 1999 pour que le

Conseil de sécurité adopte sa première résolution au sujet de ce conflit. A cette époque-là, l’action

menée par les Etats de la région, notamment l’Ouganda et la RDC, en vue de parvenir à un accord

de paix global avait déjà beaucoup progressé.

IV. L’accord de Lusaka

34. J’arrive au quatrième des points que je tiens à présenter à la Cour, à savoir le fait que

l’accord de Lusaka revenait à consentir à ce que des soldats ougandais séjournent en République

démocratique du Congo le temps de désarmer et de démanteler les groupes armés dont les attaques

transfrontalières furent à l’origine de la décision prise par l’Ouganda d’envoyer des troupes en

RDC.

35. J’ai personnellement conduit la délégation ougandaise à Lusa ka et je fus le principal

négociateur de l’Ouganda lors de la mise au point de ce traité. J’ai également coprésidé les séances

de négociation. Par conséquent , non seulement je connais très bien les dispositions de l’accord,

48 mais je sais également dans quel esprit elles ont été conçues et comment les parties les interprètent.

J’estime donc être parfaitement en mesure de présenter à la Cour la position du Gouvernement de

l’Ouganda sur l’accord de Lusaka.

36. Les négociations ont abouti, le 10 juillet 1999, à la signature de l’accord de Lusaka par

les chefs d’Etat de l’Ouganda, de la Républiq ue démocratique du Congo, du Rwanda, du

Zimbabwe, de l’Angola et de la Namibie. Les trois organisations rebelles congolaises ⎯ le

Mouvement de libération du Congo (MLC), le Rassemblement congolais pour la

démocratie-Kisangani (RCD-K) et le Rass emblement congolais pour la démocratie-Goma

(RCD-G) ⎯ ont signé l’accord à la fin de juillet.

37. Du point de vue ougandais, il y a essentiellement deux grandes observations qui se

dégagent de l’accord de Lusaka. La première est que l’on admet sur un plan multilatéral désormais

que, face à la situation en RDC, l’Ouganda était fondé à s’inquiéter pour sa sécurité. La seconde

observation est que l’accord autorise l’Ouga nda à maintenir ses soldats en République - 47 -

démocratique du Congo jusqu’à ce que les parties se soient acquittées des obligations leur

incombant en vertu de l’accord et aient en par ticulier adopté des mesures destinées à éliminer la

menace pesant sur l’Ouganda.

38. Vendredi dernier, M. Reichler a commencé à analyser le texte de l’accord pour montrer

comment ces deux éléments sont présentés. Il p oursuivra cette analyse demain, en examinant le

consentement donné par la République démo cratique du Congo à la présence de troupes

ougandaises sur le territoire congolais entre le 10 ju illet 1999 et le 2 juin 2003. Je ne vais pas

répéter le précédent exposé de M. Reichler ni anticiper sur ce qu’il va dire dans l’exposé suivant.

39. Aujourd’hui, je vais parler des intentions des parties à l’accord de Lusaka telles que les

parties les ont exprimées dans le texte et les ont manifestées ensuite par la conduite qu’elles ont

adoptée en application de l’accord. Le texte refl ète le fait que, tout au long des négociations qui

ont abouti à la signature de l’accord, l’Ouganda a insisté pour que le règlement, quel qu’il soit,

prenne dûment en compte ses problèmes de sécurité . Dès le début du conf lit, l’Ouganda fut le

premier à réclamer un règlement négocié. L’Ouganda n’était toutefois pas disposé à sacrifier sa

sécurité à une paix artificielle. Les autres memb res des délégations non seulement l’ont compris,

mais ont également dit et répété qu’ils comprenaient quel préjudice l’Ouganda avait subi de la part

des groupes armés basés dans la partie orie ntale du Congo, en particulier quand ceux-ci

bénéficiaient du soutien des Gouvernements de la RDC et du Soudan. Le fait que la menace créée

par les groupes armés pour l’Ou ganda soit désormais reconnue su r le plan multilatéral s’est

manifesté clairement dans le texte même de l’ accord, en particulier par l’indication précise du nom

de différents groupes armés de rebelles hostiles à l’ Ouganda qui attaquaient ce dernier à partir du

territoire congolais, et aussi par l’engagement qu’ont pris les signataires d’éliminer tous les groupes

49 en assurant leur désarmement, leur démobilisation, le ur rapatriement et leur réinsertion. En outre,

en raison de la gravité de la menace créée pa r les groupes armés ainsi énumérés, les parties à

l’accord ont convenu que les forces étrangères présentes à l’époque sur le territoire congolais, dont

les forces ougandaises, devaient rester sur place jusqu’à l’achèvement du désarmement et de la

démobilisation des groupes armés et la dispositi on en question figure expressément dans l’accord

de Lusaka. - 48 -

40. Monsieur le président, les avocats de la RDC ont prétendu que l’accord de Lusaka fixait

un délai inconditionnel de six mois au retrait des forces étrangères du Congo. Encore une fois,

M. Reichler expliquera demain à la Cour les raisons propres au texte pour lesquelles cet argument

ne tient pas. En ma qualité de chef de la délé gation de l’Ouganda à Lusaka et de coprésident des

négociations, je peux affirmer à la Cour qu’aucune des parties à l’accord, dont la République

démocratique du Congo, n’a eu la moindre intention de fixer un délai aussi rigide et artificiel. La

négociation reposait sur une hypothèse de principe à laquelle toutes les parties, dont la République

démocratique du Congo, avaient souscrit: les cale ndriers qui seraient fixés dans l’accord seraient

subordonnés au respect des autres délais préalab les fixés également dans l’accord. Personne ne

s’est opposé à ce principe qui fut admis par tous.
o
41. Je me permets respectueusement de dire à la Cour de se reporter à l’onglet n 5 du

dossier de plaidoiries. Le calendrier de la mise en Œuvre de l’accord figurant à l’annexe B stipule

que le douzième «événement majeur du cessez-le-feu», après le désengagement des forces et autres

questions, est l’ouverture d’un «dialogue national» destiné à instaurer un «nouvel ordre politique»

en RDC. Le treizième «événement majeur du cessez-l e-feu» est la clôture de ce dialogue national.

Le numéro16, après la mise en place des nouvelles institutions et le déploiement des forces de

maintien de la paix de l’ONU, est le «désarme ment des groupes armés», y compris des insurgés

anti-ougandais. Ensuite, le numéro dix-sept est le «retrait ordonné des forces étrangères».

42. Ce calendrier n’est pas conçu et n’a jamais été conçu comme une simple énumération

d’événements sans lien les uns avec les autres. Chaque étape a été conçue comme un préalable à

l’étape suivante. Dire que le numéro 17, à savoir le retrait des forces étrangères, pourrait avoir lieu

avant le numéro16, c’est-à-dire le désarmeme nt des groupes armés, dans l’hypothèse où le

désarmement serait retardé pour une raison quelconque, n’a pas plus de sens que de dire que le

treizième événement, c’est à dire la clôture du dialogue national, pourrait précéder le douzième, à

savoir l’ouverture du dialogue national, dans l’hypothèse où l’ouverture du dialogue serait retardée.

50 43. Je peux formuler la même idée de la ma nière suivante: le dialogue national congolais

prévu par l’accord de Lusaka était destiné à créer les conditions nécessaires à la mise en place de

nouvelles institutions, notamment la constitution d’un nouveau gouvernement national largement

représentatif et d’une nouvelle armée; cela deva it à son tour permettre de créer les conditions - 49 -

favorables au déploiement de forces de maintien de la paix; déploiement nécessaire à la création

des conditions dans lesquelles pourrait avoir lieu le désarmement des groupes armés. Le retrait des

troupes étrangères ne devait intervenir qu’une fois réalisé l’ensemble de ces étapes.

44. Personne n’a jamais contesté cette conception du retrait et cela vaut pour la RDC. Ce

que la RDC fait ensuite démontre d’ailleurs qu’elle savait que le retrait des troupes étrangères, dont

celles de l’Ouganda, n’était pas une échéance artificielle, dénuée de tout lien avec les

autres événements du cessez-le-feu. Conforméme nt à l’accord de Lusaka, le 8avril2000

— soit neuf mois après la signature dudit accord et trois mois après le délai initial de

centquatre-vingtjours fixé pour le retrait des troupes étrangères —un plan officiel de

désengagement des forces se trouvant au Congo a ét é signé à Kampala par l’ensemble des parties à

l’accord de Lusaka, y compris la RDC. Connu dans la région sous le nom de plan de

désengagement de Kampala, ce document figure au dossier de plaidoiries sous l’onglet n o6. Il

réaffirme le consentement donné dans l’accord de Lusaka à la présence de forces ougandaises et

autres forces étrangères au Congo, dans l’attente du désarmement, de la démobilisation, de la

réinstallation et de la réinsertion des groupes armés qui s’étaient servi du territoire congolais pour

déstabiliser l’Ouganda et autres Etats voisins. Pas une seule fois lors de la négociation du plan de

désengagement de Kampala la RDC n’a donné à entendre que les troupes étrangères auraient dû

partir plus rapidement, voire immédiatement, ou à un moment quelconque avant que le problème

des groupes armés ne soit résolu par la voie de la démobilisation, du désarmement, du rapatriement

et de la réinsertion.

45. Vendredi, M. Reichler a rappelé que le Secr étaire général lui-même était d’avis qu’il ne

fallait pas procéder au retrait des forces étrangères avant que les groupes armés n’aient été dûment

neutralisés. En avril2001, le président Museveni a annoncé que l’Ouganda allait retirer

immédiatement ses soldats de RDC; c’est-à-dire avant même que les groupes armés n’aient été

intégralement désarmés comme le prévoyait l’accord de Lusaka ainsi que les plans ultérieurs de

désengagement. En raison des incidences intern ationales de nos actions, je me suis rendu à

NewYork pour voir le Secrétaire général et lui transmettre le message du président Museveni.

Nous nous sommes entretenus dans son bureau, au siège des Nations Unies à Ne w York, et je lui ai

51 expliqué que le président Museveni avait décidé de procéder au retrait des soldats ougandais parce - 50 -

qu’il n’avait jamais été prévu par les parties à l’accord de Lusaka que des forces ougandaises

assureraient le maintien de l’ordre public à l’est du Congo. Cette mission aurait dû incomber à des

forces de maintien de la paix des Nations Unies et l’Ouganda n’avait jamais souhaité la remplir ni

estimé être en mesure de l’assumer. Le Secrét aire général a répondu qu’un retrait unilatéral de

l’Ouganda déstabiliserait le processus de paix et risquait de créer un vide que pourraient exploiter

les ennemis du Congo. Il nous a invités dans les termes les plus fermes à laisser nos soldats au

Congo et à continuer à participer au processus de paix conformément à l’accord de Lusaka.

46. J’ai dit au Secrétaire général que l’O uganda examinerait sa demande mais que, vu la

charge que cela représentait pour l’Ouganda, nous lui serions rec onnaissants de bien vouloir la

formuler par écrit. C’est ce qu’il a fait dans la lettre datée du 4mai2001 qu’il a adressée au
o
présidentMuseveni et qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet n 13. M.Reichler

examinera demain ce que dit exactement cette lettre. Pour l’instant, je me contenterai d’ajouter que

le Secrétaire général est un homme exceptionnel et un extraordinaire diplomate. Aussi sa lettre

est-elle formulée en des termes diplomatiques c hoisis avec soin. Mais, Monsieur le président,

Madame et Messieurs les juges, le texte n’en est pas moins très clair. Il est encore plus clair si l’on

tient compte du contexte: la mise en Œuvre de l’accord de Lusaka imposait à l’Ouganda de

maintenir ses soldats en RDC jusqu’à ce que l’ accord soit totalement concrétisé sous d’autres

aspects, notamment ceux du désarmement et de la dispersion des groupes armés qui étaient visés.

V. L’accord de Luanda conclu entre l’Ouganda et la RDC

47. J’en arrive à présent au cinquième et dernier point de mon exposé, à savoir le fait que

l’accord bilatéral signé par l’Ouganda et la RDC à Luanda, en Angola, en septembre2002

reconnaît lui aussi la menace que constituent pour la sécurité de l’Ouganda les groupes armés de

rebelles anti-Ouganda opérant depuis des bases s ituées dans l’est du Congo, et que cet accord

prolonge la durée pour laquelle a été donné le con sentement de la RDC à la présence en territoire

congolais de soldats ougandais assurant une protection contre les agressions armées

transfrontalières lancées par ces rebelles. Cet acco rd de Luanda contient un calendrier de retrait

progressif des forces ougandaises et la RDC a légèrement renforcé ses moyens de maintenir l’ordre

dans la région frontalière, c’est-à-dire ses propres forces de sécurité. Les délais ont dû être - 51 -

52 prolongés d’un commun accord, mais le calendrier a finalement prévu que les forces ougandaises

se retireraient définitivement du Congo au plus tard à la fin de mai2003. En fait, les derniers

soldats ougandais ont quitté le Congo le 2 juin 2003. Aucun soldat n’est retourné au Congo depuis.

48. L’accord de Luanda, signé par l’Ouganda et la RDC le 6septembre2002, est reproduit

sous l’onglet 8 du dossier de plaidoiries. Demain, M. Reichler examinera le texte de l’accord et ses

incidences juridiques aux fins de la présente instance, en particulier en ce qui concerne le

consentement donné par la RDC au stationnement de forces ougandaises sur le territoire congolais.

49. En septembre 2002, les relations entre l’O uganda et le Congo avaient atteint le stade où

les deux Parties jugeaient opportun de prendre de nouvelles mesures en vue d’une paix définitive.

L’Ouganda demeurait très préoccupé par sa sécurité. Il avait eu beau faire de son mieux, des

groupes de rebelles n’en subsistaient pas moins dans l’est du Congo. L’autorité civile exercée dans

la région était toujours insuffisante. Ni le Gouve rnement central congolais, ni les autorités locales

dont relevait la zone concernée n’avaient réussi à supprimer cette menace.

50. Pour avoir participé aux négociations de l’accord conclu à Lusaka, je crois pouvoir

exprimer fidèlement les vues du Gouvernement ougandais à ce sujet. Ainsi que l’indique le texte

de l’accord, la délégation congolaise présente à Luanda, dont faisait partie le président

JosephKabila, reconnut la gravité de la menace continue que faisaient peser sur l’Ouganda les

rebelles établis dans l’est du Congo. Les partic ipants ont une fois encore admis qu’il serait

judicieux que les troupes ougandaises demeurent en RDC jusqu’à la mise en place d’un autre

mécanisme de nature à garantir la sécurité de l’Ouganda. A cet ég ard, je prie respectueusement la

Cour de se reporter au paragraphe 4 de l’article 1 de l’accord de Luanda, qui dispose :

«Les Parties conviennent que les troupes ougandaises seront dans les montagnes
de Ruwenzori jusqu’à la mise en place d’ un mécanisme de sécurité constitué par les
Parties à la frontière commune, y compris les patrouilles mixtes et l’entraînement des

troupes.»

51. Ainsi, dès le mois de septembre 2002, la RDC reconnaît expressément que les

inquiétudes de l’Ouganda en matière de sécurité sont suffisamment sérieuses et l’absence d’une

autorité congolaise effective dans la région su ffisamment grave pour qu’il faille maintenir des

troupes ougandaises sur le territoire du Congo. Le consentement à la présence de soldats ougandais - 52 -

dans l’est du Congo que la RDC a donné trois an s auparavant dans l’accord de Lusaka est donc

ainsi confirmé à nouveau et la durée pour laquelle il est accordé s’en trouve prolongée.

52. Pour sa part, l’Ouganda s’engage à Lu anda à retirer de RDC tous ses soldats à

l’exception de ceux que la RDC autorise expressément à demeurer «dans les montagnes de

53 Ruwenzori». L’Ouganda a honoré les obligations contractées en vertu de l’accord et a retiré ses

troupes de RDC. En fait, l’Ouganda est même allé au-delà des obligations lui incombant en

application de l’accord et a retiré tous ses soldats du Congo, y compris ceux qui étaient autorisés à

rester dans les montagnes de Ruwenzori. Ainsi que je l’ai dit, les derniers soldats ougandais ont été

retirés de RDC le 2 juin 2003. A cette date, la présence militaire de l’Ouganda au Congo a pris fin.

Conclusion

53. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en arrive au terme de mon

exposé. J’espère avoir démontré que l’Ouganda n’a envoyé ses forces militaires au Congo qu’à la

seule et juste fin d’assurer sa légitime défense, confronté comme il l’était à l’agression armée et

aux menaces graves et imminentes que faisaient peser sur sa sécurité des groupes armés opérant de

concert avec les Gouvernements de la DRC et du Soudan, y compris les forces armées soudanaises

elles-mêmes opérant à partir du territoire congolais à la seule fin d’at
taquer et de déstabiliser

l’Ouganda. A notre avis, les mesures prises par l’ Ouganda s’inscrivent dans le cadre de l’exercice

licite du droit naturel de légitime dé fense conféré par l’article 51 de la Charte des Nations Unies et

par le droit coutumier. Je suis sûr que la Cour parviendra à la même conclusion.

54. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie d’avoir bien

voulu m’écouter avec patience et de m’avoir accord é le privilège de me présenter devant vous

aujourd’hui.

Le PRESIDENT : Je vous remercie.

Je tiens à dire une fois encore que, pour la C our, S.Exc.M.Mbabazi a pris la parole en

qualité de conseil et avocat, membre de la délé gation ougandaise. C’est à ce titre que votre nom

figurait dans la liste des membres de cette déléga tion, et non au titre d’un expert ou d’un témoin

que l’Ouganda voulait faire déposer. De plus, en t out état de cause, il n’a pas été fait application - 53 -

des procédures visées aux articles 57 et 63 du Règlement de la Cour, et S. Exc. M. Mbabazi n’a pas

été prié de faire une déposition en qualité de témoin ou d’expert en vertu de l’article64 du

Règlement de la Cour. La Cour considère que la déclaration de S. Exc. M. Mbabazi a été

prononcée non pas en son nom propre mais au nom de la République de l’Ouganda, et cet exposé

sera traité comme le sont habituellement les exposés de tout conseil et avocat.

Nous sommes au terme de l’audience de la matinée. La prochaine audience aura lieu demain
54

à 10 heures.

L’audience est levée à 13 h 5.

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