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YUGONUGO

CR2004114(traduction)

CR 2004114(translation)

Mercredi 21avril 20à 1Oheures

Wednesday 21April2004 at 10a.m. Le PRESIDENT :Veuillez vousasseoir. L'audience est ouverte. LaCour se réunitce matin

pour entendre le premier tour de plaidoiriesdela Serbieet Monténégr,ui occupera toute la durée

de cette audience.

Je souhaite vous faire savoir que le jugeooijmans,pour des raisons dont il m'a dûment

informé, ne pourra assister à l'audience d'aujourd'hui. Je donne maintenant la parole à

M. Tibor Varady, agent de la Serbieet Monténégro.

M. VARADY :Merci beaucoup,Monsieurleprésident.

1.INTRODUCTION

Monsieur le président,Madame etMessieursde la Cour, c'est pour moi un extrême plaisir

que de me présenter une foisde plus devant la Cour. Je suis égalementhonoré d'avoir pour

opposants d'aussi éminentsjuristes.J'aimeraiscommencerpar vousprésentermes collègues. J'ai

avec moi M. Ian Brownlie, Q.C., membre du barreau d'Angleterre, comme conseil et avocat, et

M. Vladimir Djerii, comme coagent, conseil et avocat. Permettez-moi de vous signaler dès à

présent que, pourvotre commodité,nousavonsinclusune cartede la Serbie et Monténégrodansle

dossier d'audience, sous l'onglet no1. J'attireparailleurs votreattention sur un détail tec:nique

le demandeur, la Républiquefédéralede Yougoslavie,a changé sonnom en Serbie et Monténégro.

Nous utiliseronsl'un ou l'autre de cesnoms en fonctionde la périodedont il est question. Nous

utiliserons également le sigle «RFY» qui désignecouramment la République fédérale de

Yougoslavie.

1.Pour en venir àl'objet du différend,permettez-moide rappeler tout d'abord que, comme

chacun sait, l'ancienne Yougoslavie a étéau cours de la dernière décennie le théâtre d'une

succession de tragédies. La scèndesviolencesa changéau fil des ans. Aprèsun conflit limitéen

Slovénie,des combats beaucoup plus graves ont éclaté en Croatie, puis la situation s'est encore

aggravée en Bosnie-Herzégovine, etpour finir, il y a eu le bombardement de la Serbie et

Monténégro par les Etats membresdel'OTAN. 2. Tant que les conflits persistaient, les parties belligérantes ont pristoutes les mesures

possibles, sur les plans militaire, politique et juridique, pour renforcer leurs propres positions.

Dans certains cas, ces mesures ont consisté a saisir la Cour internationale deJustice. Puisà

mesure que les conflits s'attinuaient, elles ont commencéa déposer lesarmes et de nouvelles

13 configurations politiques ont é,mergé. ais les affaires soumiàela Cour continuaient d'exister.

3. Monsieur le préside.nt,plusieurs de mes collègues qui représentenltes défendeurs ont

indiquéque les relations entre, d'une part, la Serbie et Monténégroet, d'autre part, les pays

membres de l'OTAN s'étaientconsidérablementaméliortiesces dernières années. Nous sommes

heureux de pouvoir le confirmer, et le Gouvernement de la Serbie et Monténégro espère

sincèrementque cette tendance se poursuivra. Les événements de 1999 n'en doivent pas moins

recevoir l'attention qu'ils méritent. Nous sommesen présence d'un différend.

4. Monsieur le président, nous ne pouvons faire abstractiondes importants changements

survenus depuis que les violences se sont calmées. Ces changements sont à la fois politiques et

structurels. Les Parties qui s'affrontent devant la Couransla présente affaire-de mêmeque

dans les autres affaires découlant desconflits dans l'ancienne Yougoslavie sontpas cellesqui

se sont affrontéessur le terrain pendant les dix dernières années.

5. Des sources de l'OTAN ont prétendu que.la cible des bombardements était le

gouvernement de Milosevik. Mais ces bombardements n'ont pas mis fin au régime de

M. Milosevik. Par contre, seize mois plus tard, l'opposition serbe et la population l'ont fait.

La Partie qui s'oppose aujourd'hui aux pays del'OTANreprésente la populationqui a renverséle

gouvernement que ces pays affirmaient viseren recourant a la force.

6. Monsieur le président,Madame et Messieurs dela Cour, le 5 octobre2000, des centaines

de milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Belgradeet ont provoquéla chute du

régime de MiloSeviE. Ce qu'il en reste est un très lourd héritage. Nousavons héritédes

conséquencesd'une décennied'occasions manquées. Nous avons égalemen htéritéde procédures

judiciaires dont les fondements- espérons-nous-n'ont plus deraison d'être.

7. Monsieur le présidirnt,j'aimerais rappeler une autre manifestation massivequi s'est

dérouléeen Serbie il n'y a pas si longtemps. Le 17novembre 1996, les opposants àMiloSeviE

remportèrent les élections locales. Cependant, le gouveniement refusa de reconnaître les résultats de cesélections,ce qui déclencha les pluslongues manifestations de l'histoire de la Serbie. Du

18novembre1996au 15février 1997,les manifestants défilèrent tous les soirsàBelgrade, àNovi

Sad, a Ni5et dans d'autres villes. Pendant quatre-vingt-onze jours d'hiver, ils furent des dizaines

demilliersdans lesrues, et parfois, ils se comptaient par centaines de milliers rien qu'à Belgrade.

8. Ces manifestations suscitèrent des réactions de sympathie dans le monde entier. Pourne

citer que quelques exemples, ITN Television News rapportait le 24 décembre1996 que (plus de

troismillemanifestants [s'étaient] massésur la place de la RépubliqueàBelgrade pour protester

14 contreSlobodanMiloSeviC))a ,joutant qu'il s'agissait du (cplusgrand rassemblement en faveurde la

démocratieàcejour))'. Le 30 décembre1996, le New YorkTimes écrivait que(([plresquetous [les

manifestants]se déclarentmotivéspar lanécessité depasser de la dictaturea dém~cratie,)~.

9. Le gouvernement se vit obligéde reconnaître les victoires de l'opposition. Puis, le

21février1997, M.Zoran DindiC,l'un des principaux dirigeants de l'opposition, devintmaire de

Belgradepour occuper ensuite le poste de premier ministre de la Serbie jusqu'à son assassinat

en2003.

10.L'opposition prit égalementlepouvoir à Novi Sad, à Ni5 et dans d'autres grandesvilles.

M.MiloSeviCcontinuait de gouverner le pays, mais ses opposants prirent la tête denombreuses

administrationslocales et uneLiguedes villes et municipalitéslibres))fut créée.

11.Monsieurle président,Madameet Messieurs de la Cour, ce sont ces villes libres, passées

sousle contrôle de l'opposition au printemps 1997, qui devaient servir de principales cibles aux

bombardementsdel'OTAN du printemps 1999.

12.Aucun secteur de la population ne fut épargnépar les destructions qui s'ensuivirent.

Belgrade,les bombardementstouchèrent l'hôpital «DragiSa MiSoviCn,où quatre personnes furent

tuées3,ne installation de chauffage urbain, où une personne fut tuée4, ainsiqu'un grand nombre

d'autrescibles,blessant ou tuaàtchaque fois des personnes innocentes.

'ITNTelevisionNews,24décembr1996, 18h 57.
New YorkTimes ,1décembre1996,p.A10.

Voirle mémoirep,ar.1.1.56.1,et lapreuvedocumentaire,vol. II,p. 246.

Ibid.,par.1.1.10.4,etles annexesnos72, 73 et 74. 13. Les bombardements touchèrentaussi l'ambassadede Chine, faisant trois morts et vingt

blessés5. Cette attaque contre l'ambassaded'un pays soiiverain, étrangerau conflit, suscita des

protestations dans le monde entier.

14.Entre autres attaques, les avionsdel'OTANvisèrentdélibérémentlels ocaux de la chaîne

de télévisionde Belgrade (la RTS), faisantseize morts6.Les victimesn'avaient rien à voir avec la

propagande qui avait soi-disant motivél'attaque. Ceuxqui étaient effectivement àl'origine d'une

campagne de propagande visant l'oppositionserbeet d'autres groupesne se trouvaient pas dans le

bâtiment. Pour justifier leur action, les responsablesde I'OTAN affirmèrent qu'une sommation

avait été donnée. Le commandane tn chef des forcesde l'OTAN, M. Wesley Clark, expliqua ce

qui suit :«en vérité, pourcommencer,nousavonsavertiMiloSeviCque [lebâtiment de la télévision

15 de Belgrade] allait êtrebombardé. J'ai personnellementappeléle reporter de CNN et fait le

nécessairepour que l'information soit divulguée et queMiloSevii:le sache.))'

1.5.Peut-être,mais pourquoi est-ceM.MiloSeviCqui a étéaverti ? Pourquoi pas le public,

pourquoi pas la population serbe ? S'ily avaitdesraisons stratégiquespour tenir secrètel'attaque

prévue,le gouvernement, qui étaitla cible de toutel'opération, auraitdû êtrele dernier, et non le

premier, à en êtreinformé.

16. La fédération internationale desjournalistesa condamnévigoureusement et sans détour

le pilonnage de la RTS. Elle a déclaré que

«[d]es centaines de journalistes, de rédacteurset d'autres employésde radioltélévision
opposés à la manipulat.iondes médiaspar le gouvernementont étémis en danger par
ce bombardement. Tuer des journalistes et d'autresmembres des médias n'ajamais
permis de gagner les guerres ou de construirela démocratie;cela ne fait qu'exacerber

l'ignorance, la censure et lapeur.»

La fédérationa ajouté :((l'actionde I'OTANcomprometgravement la lutte pour la libertéde la

presse et la libertéd'expression, non seulementenEuropemais aussipartout dans le monde»'.

Ibid., par. 1.1.43.2, et les annexesnos94,95.

Ibid., par. 1.1.29.1, et la preuve documentaire,vol.1,p. 343.
'Réponsesdu généralW. Clark aux questionsdujournalisteJeremy Scahill, Democracy Now, 26janvier 2004;
peut êtreconsulté surle site www.democracynow.org/article.pl?sid=04.'Ol/26/1632224.

*M. Aidan White, secrétairegénéralla Fédératioinnternationaledes journalistes (FIJ), FIJ, communiquéde
presse,3 avril 1999[traductidtiGreffe]. 17.Monsieur le président, àNovi Sad, tous les ponts sur le Danube furentdétruits9,lesgens

devaientutiliser un bateau pour aller d'une partie de la ville àl'autre, comme à l'époquemédiévale.

La chaîne de télévision de Novi Sad, qui produisait des émissions en cinq langues, fut

complètementdétruite1'.

18.A NiS,les avions de l'OTAN larguèrent des bombes à dispersion. Un dispensaire1',un

marché12u ,ne fabrique de tabacI3 et une synagogue figurèrentparmi les ciblestouchées14D . ansle

centreville,les bombes à dispersion provoquèrent la mort de treize personnes1s.

19. D'aprèsun rapport du CICR, «[Iles forces de l'OTAN ont utiliséun grand nombrede

bombes à dispersion pendant le conflit du ~osovo))'~. Le CICR explique dans ce rapport qu'une

16 seule bombe à dispersion contient 147 sous-munitions («bombettes»), et que chacune de ces

sous-munitions explose en 2000 fragments préformésqui se dispersent sur un rayon de 30 à

40 mètres. Rienqu'au Kosovo, l'OTAN a utilisé 1392bombes à dispersion contenant plusde

200 000 sous-munitions ". Les sous-munitions qui n'ont pas exploséau contact du sol constituent

un danger,en particulier pour les enfants. Le CICR relèveégalementque

«[s]elon les informations disponibles, aucune des sous-munitions de bombe à

dispersionutiliséesau Kosovo ne possédaitun mécanismed'autodestructionincorporé
au stade de la fabrication. Pourtant, alors qu'en termes relatifs le coût d'un tel
dispositif aurait étéassez minime, sa présence aurait considérablementaccru la
protection de la population civile après la fin du conflit.»18

Voir lemémoire,par. 1.1.7.2, 1.1.9.2, 1.1.11.5 et 1.1.31.1, la preuve docum1,p. 233 et242,et les
annexesnos50,s 1et 127.
10Ibid., par. 1.1.40.1, 1.1.49.3, 1.1.62.4 et 1.1.65.5; les annexes nos143et 144 etla preuve documentaire,vol.II,
p. 440et441.

" Ibid.,par. 1.1.43.1et la preuve documentaire, vo118.I, p.

l2Voirnote 14ci-dessus.
l3Voir le mémoire,par. 1.1.11.7, 1.1.25.1, 1.1.28.4 et 1.1.66.3,ainsi que la preuve docu1,p. 366,vol.

et 223,et vol., p. 502.
l4Voir la preuvedocumentaire, vol.p.305.

l5Voir note 14ci-dessus.
16
Bombes à dispersion et mines terrestausKosovo, CICR, unitéarmes-mines, Genève,août2000, revu en
juin 2001,p. 6.
l7Ibid., p. 6. 20. Monsieur le président, les politiques de M.Milosevi6 avaient peut-être isolé le pays,

mais les citoyens de la Serbie et Monténégro n'étaientpas isolés dans leur malheuret leur révolte.

Le 6juin 2000, Amnesty International fit savoiren termesmesurésmais explicites que selon elle

«les forces de l'OTAN - quelles que [fussent]leurs intentions - [avaient] commis de graves

infractions au droit de la guerre, trèssouventsousformed'exécutions illégaled se civils»'9

21. Monsieur le prés-ident,il est deux expressions clés que les responsables et les

porte-parole de l'OTAN ont continuellement employéescomme slogans, pour essayer de justifier

les bombardements en Serbie et Monténégroet leurs conséquences. Il s'agit des expressions

((intervention humanitaire)) et ((dommagescollatéraux)).Mais ces justifications n'ont pas été

acceptées-au contraire, elles ont étérejetées. Ellesont été rejetées en particulier pac reux qui

sont précisément chargés d'élaborer et de mettre en Œuvre les politiques internationales

humanitaires.

22. La position de la Commission des droitsde l'homme duComité économiqueet social

des Nations Unies est on ne peut plus claire. Sousl'ongletno2 du dossier d'audience, à la page 3,

vous trouverez une citation de la résolution adoptée le 20août 1999 en réaction aux

bombardements en Serbie et Monténégro.Dans cette résolution, la Commission desdroits de

1'homme

(8xprime sa trks ferme convicti qoue le soi-disant «devoir» et «droit» de

procéder a des ((interventionshumanitaires)),en particulier en recourant a la menace
ou à l'emploi de la force, est dénuéde tout fondementjuridique au regard du droit
international général actuel etne peut en conséquenceêtre considéré comme une
justification des violations des principes consacrés parl'article 2 de la Charte des

Nations

23. Ajoutons que selon une estimation, qui est probablement en dessous de la vérité,de

Human Rights Watch, les actions de l'OTANont fait cinqcents victimes civiles, environ la moitié

de ces morts étant imputables à des actes contrairesaudroitinternationalhumanitaire2'.

19Amnesty International, NAT/FederalRepublicof Yugosluv:«CollateralDamage))or Unlawfulkillings?,
index AI:EUR 701018/2000, 6juin 2000.

20Voir le texte de la résolutiondu 19août 1999dans le clocumentdes Nations Unies E/CN.4/Sub.2/1999/
L.12JRev.1. Cette résolution a été adlee20 août 1999(NationsUnies,doc. E/CN.4/Sub.2/1999/SR.25).
*'Human Rights Watch, ~Civilian Deaths in the NATO 4ir Campaignn, février 2000. Voir~Summary:
Principal Findings, International Humanitarian Law and Accountabilitp sur le site http://www.hnv.org/reports/
2000/nato. 24. Apropos des conséquences des bombardements, M. Jiri Dienstbier, rapporteur spéciad le

la Commission des droits de l'homme des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme

dansl'ex-Yougoslavie,a fait observer que :

«Un an après le débutde la campagne de bombardements en Yougoslavie,les
personnes concernéespar le conflit ou partie prenante, d'une façon ou d'une autre, à
celui-cisont chaque jour plus nombreuses àpenser que les bombes et les Tomahawks
n'ont pas résolu lesproblèmes, mais les ont plutôt aggravés,et en ont mêmecréé de

nouveaux.d2

La dernièrevague de violence qui a viséla population serbe au Kosovo, en mars dernier,ne peut

queconfirmercespropos.

25. Monsieurle président,Madame et Messieurs de la Cour, on ne peut camoufler des pertes

en vies humaines sous des étiquettes telles que {{dommages collatéraux», euphémisme

continuellementemployépar les responsables et les porte-parole de l'OTAN. Une expressionne

sauraitrendreune tragédiemoins réelle.

26. Le 4 mai 1999, Mary Robinson, haut commissaire aux droits de l'homme des

NationsUnies,déclaraitsanséquivoque :

«S'iln'est paspossible de vérifiers'il y a des autobus civils sur des ponts,doit-
on alors faire sauter ces pont? Ce ne sont pas là de vaines question :lesgensnesont
pas des dommagescollatéraux,ce sont des personnes qui sont tuées,blessées,dontla
23
vie estdétruite,etnous sommestrès préoccupés.. .n (Les italiques sontdenous.)

11.1.La Serbie et Monténégro ne s'est pas désistée dle'instance

27. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, à ce stade de l'instance,nous

nous attachons à la compétence. Je commencerai par dire ici que notre exposé écritde

décembre 2002n'est pas une notification de désistement, comme l'ont prétendula plupart des

18 défendeursdans leur lettre contenant des observations sur notre exposé24.Cet exposéne peutêtre

traitéainsi et, en fait, il nepas été.

22
J. Dienstbier, «Little to Write Home About)), Transitions 3nmai 2000, http://archive.tol.cz~mayOO/
downbutn.html.
*'Steve Boggan,(NATO Wamed on War Crimes),, TheIndependent,5 mai 1999.
24
Les Pays-Bas, dans leur leàtla Cour datée du 16janvier 2003, I'ltalie, dans àla Cour datéedu
16janvier 2003, le Royaume-Uni,dans sa leàla Cour datéedu 17janvier 2003, la France, danssaàlla Cour
datée du9février 2003et l'Allemagne, dans sa àla Cour datéedu 26 février 2003. 28. Au cours de ces audiences, d'autres thèsesont aussi été avancées par des collègues

représentantles défendeurs. On a prétendu que laSerbie et Monténégrovoulait dire en fait autre

chose que ce qu'elle a expressément dit.La Belgique a laissé entendreque la RFYavait proposé

une sorte d'accord sur la compétence-ou plutôt sur 1'al)sencede compétence -, et a suggéré

que, de ce fait, la Cour «raye tloutsimplementl'affaire deson rôle>t5. La thèse de l'Italie est que

l'objet du différenda disparu2". LesPays-Bas ontaffirmé qu'ily avait eu accord sur l'absence de

différend27.La thèseavancéepar l'Allemagneest que la RFYa renoncé àson droit de faire valoir

ses revendicationsz8, alors que la France a émis l'hypothèse selon laquelle il existait un

((compromis à l'en~ers?~. Sur la base de ces thèses, la plupart des défendeurs aimeraient que

l'affaire soit rayéedu rôle, sarisqu'il ait deréelle décisionsur la compétence. Or, rien n'étaye

cesthèses.

29. Monsieur le président, leRèglement de la Cour est parfaitement clair. Seul le

désistementpeut donner lieu iila radiation d'une affaire sur le rôle sans qu'ily ait d'arrêtsur la

compétenceou sur le fond, et cette procédure n'est possible que sur labase des articles 88 et 89 du

Règlement. L'article 88 définitles conditionsdu désistementpar actionconjointe, et l'article 89

celles du désistementde l'unedesparties. Auxtermes de l'article 88, le désistementn'a lieu que si

les parties,«[clonjointement ouséparémenn t,otifienàla C:ourpar écrit qu'elles sontconvenues de

se désisterde l'instance...». Manifestement,cettenotification n'a pas eu lieu.

30. La seule possibilitéde désistementpar une partie est définieà l'article 89 du Règlement

de la Cour, qui prévoit lecas où «[l]edemandeurfait conriaîtrepar écrit à la Cour qu'il renonce à

poursuivrela procédure.. .». Cettenotificationn'a pas eu lieunon plus. Dans notre exposéécrit du

19 18décembre2002, nous n'avons ni informéla Cour que nous n'allions pas poursuivre la

procédure, nidit quelque chose d'approchant. Au contraire,nous avons demandé à la Cour de se

prononcer sur la question de lacompétence.

25Voir le compte rendu intégralde l'audience publiquetenue le lundi 19avril, CR 200416, exposéoral de
M.Bethlehem,par. 2, 7 et 10.

26Voir lecompte rendu intégralde l'audience publique tenue le mardi 20avril, CR 2004113,par. 12 et 65.
27Voir le compte rendu intégral deI'audience publique tenue le lundi19avril, CR 200417, par. 14.

28Voir le compte rendu intégral de I'aeublique tenue le mardi20 avril, CR 20041137-39.
29Voir le compte rendu intégralde l'audience publique tenuelemardi 20 avril, CR 2004112, par. 18. 31. Les Etats défendeurs ont mentionnéen particulier l'artic8930. S'il s'était ai'une

notification de désistement au titre de l'articleu Règlement, laCour auraitfixéun délai dans

lequel les défendeurs auraient déclarés'ils s'opposaient au désistement.La Courn'a pas procédé

conformément à l'article 89. Elle ne l'a pas fait car il n'y pas eunotification dedésistement.

32. Monsieur le président, comme cesjours derniers certainesthèsesont été avancéepsour

expliquer ce que nous voulions réellement dire alors que nous ne l'avons pas dit,nous nous

permettrons d'exposer nous-mêmesce quenous avonsdit et voulionsdire.

33. Ce que le nouveau Gouvernement de la RFY -qui est à présent la Serbie et

Monténégro -a fait, c'est qu'il a étudiéle statutjuridique delaà la lumièred'un événement

extraordinaire pour notre pays, son admission à l'organisation des NationsUnies en tant que

nouveau membre. Dans notre exposéécritde décembre 2002,nous avonsprésenté àla Cour nos

observations sur les perspectives ouvertes par cet événemente ,n considérantqu'elles étaient

pertinentes aux fins des questions de compétence. C'est cequi expliquela formeet l'objet de cet

exposé.Dansla phrase d'introduction, nous avons expliqué :

«La République fédérale de Yougoslavie complète ses communications
antérieuressur la base de faits nouvellement découverts depule dépôt despiècesde
procédureprécédentes. Cesfaits découlent de l'admission de la Républiquefédérale
de Yougoslavie en tant que nouveau Membre de l'organisation des NationsUnies le

1"novembre 2000.))

Voilà lapremière phrase de notre exposé écrit.

34. Nous n'avons pas adapté oumodifiéces observationsselonquenous étionsen situation

de demandeur ou de défendeur. Nous n'avons pas usé de ruse,nous avonsprésentéles mêmes

conclusions dans toutes les affaires pendantes devantla Couret auxquellesnoussommespartie.

35. Monsieur le président, le statut de la RFYvis-à-visdes organisationsinternationales et

des traitésest une question des plus délicateset des plus controversées. Sune décision dela

Cour pourrait faire la lumièràcet égard. Nous pensions queleséclaircissementsquiont fait suite

20 àl'admission de la RFY à l'organisation des Nations Unies entant quenouveaumembre avaient

30Voir les lettres du Royaume-Uni,des Pays-Basetdel'Allemagne,citéesdanslanote24.une incidence sur la compétence, et nous avons appelé l'attention de la Cour sur notre perception

des conséquencesen droit de cette nouvelle perspective. Nous avons présenté des hypothèsesen

demandant àla Cour de déterminer si elle est compétente. Ilne s'agitpas là d'undésistement.

36.Nous ne voyons pas non plus comment le principe d'estoppelpourraitentrer enjeu dans

les circonstances de l'espèce. L'identification d'éventuellesconclusions en droit résultantde

l'admissionà l'ONU n'est guère un type d'activitéde nature àdonner lieuà estoppel. Par ailleurs,

l'existence des conditions juridiques nécessaires à l'estoppel, telles que le préjudice et

l'acquiescement,n'a pas étédémontrée.

37. Monsieur le président, permettez-moi de le préciser encoreune fois:1'Etatdemandeur

veutque la Cour poursuive l'affaire et se prononce sur sa compétence- et seprononce aussisur le

fond,si elle a compétence.

38. Je tiens à ajouter, Monsieur le président, qut: nous avons conscience qu'il y a des

questions relatives à la conipétence autres que celles mentionnées dans notre exposé du

18décembre2002 qui font l'objet d'un différend entre les Parties. Les défendeursont aussi

soulevédes exceptions portant sur la compétenceratione materiae et ratione temporis, et nous

entendons exposer clairement notre position sur ces questions, en répondant auxallégationsdes

défendeurs.

11.2.Le statut de la RFY entre 1992et 2000 dans la perspectiveactuelle
39. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi devousexposer

en toute franchise la position dans laquelle la Serbie et Monténégs'esttrouvée.Les principaux

acteurs des conflits de la décennie passée, ceux qui sont à l'origine des différendsou contre

lesquels les procédures ontétt5engagées, ont désormaisquittéla scène. La force motrice et les

sentiments passionnés ont diminué d'intensité,mais les différends persistent. En Yougoslavie,

c'estàceux qui avaient défiéles acteurs du conflitet ont fini par l'emportersur eux que sontéchus

les procès. A présent, nous aimerions tout simplement savoir ou nous en sommes. Seul un arrêt

sur la compétencepourrait nous permettre de nous engager sur une voie précise. 40. Monsieurle président, notre délégationn'ignore pas que la question que nous avons

soulevée-et qui l'a aussi étépar les défendeurs n'est pas nouvelle. A plusieurs reprises, la

Coura adoptédespositions à l'égard dela question de savoir si la RFY étaitliée parla convention

sur legénocideet si elle était partieau Statut de 19à22000. Ces positions méritenttoute notre

estime. Nous considéronsrespectueusement que le cadre procédural actuel est différent decelui

dans lequel lesdécisions antérieuresont été rendues. De plus, en l'espèce, il existe moins de

contraintes et davantage d'informations sont disponibles. C'est pourquoi nous demandons à la

Courd'établirdemanièredéfinitive quelle était, entre1992 et 2000, la position de la RFYl'égard

du Statut etde laconvention sur legénocide.

II.2.a.LaRFYavait-elletoujoursle statut deMembre sur le fondement de la continuité ?

41. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de rappeler une

nouvellefois les élémentsde fait pertinents. Chacun sait que l'ancien gouvernement de la RFY a

prétendu que celle-ci assurait la continuité de la personnalité juridique internationale de

l'ex-Yougoslavie, quela RFY restait à ce titre Membre de I'ONU et d'autres organisations

internationaleset qu'elle demeurait liéepar les traitésauxquels l'ex-Yougoslavie avait été partie.

Cette positionfut vigoureusement contestéepar tous les Etats qui sont aujourd'hui opposésà la

Serbie et Monténégrd oevant la Cour. Elle fut contestéedevant les instances de I'ONU, devant

plusieurs autres organisations internationales et au cours des réunions entre Etats partàedes

traité:cette contestationétait permanenteetréelle.

42. Monsieurle président, laRFY voulait êtrereconnue comme membre de I'ONU et, pour

fondercette prétention,invoquait la continuité. C'estpourquoi l'ancien gouvernement de laRFY

fit desdéclarationsmettant l'accent sur cette idée, mais-pourne pas contrevenir à une priorité

politiqueessentielle- prit systématiquement soin de ne pas présenter de notifications de

succession ou d'adhésion, tout comme il évita de demander que la RFY soit admise à

l'organisation des Nations Unies ouàd'autres organisations internationales puisqu'il aurait ainsi

contreditsapositionfondéesur la continuité. 43. Comme on le sait, ces efforts demeurèrentvains. Entre 1992 et 2000, certaines

organisations internationales déclarèrent l'une aprèsl'autre que la RFY ne pouvait assurer la

22 continuité de l'ex-Yougoslavie en sa qualité demembreet que, si elle souhaitait devenir membre,

elle devait faire acte de candidature à cet effet,commel'akaientfait lesautres Etats successeurs3'.

44. Des Etats parties à certains traités adoptèrentla mêmeposition et rejetèrent les

prétentionsde la RFY à êtrereconnue comme Etat partiesur le fondement de la continuité. Cette

attitude fut systématique3'.

45. C'est pour cela, Monsieur le président,quequelquesjours seulementaprèsla victoire de

l'opposition serbe contre M. MiloSevic,M. KoStunica,le président nouvellement élu de la RFY,

décidade mettre fin à cette si1:uationde blocage. Savolontéétait quela RFY devienneun membre

de la communauté internationale avec les mêmes droitq sue les autres. Il constata que laRFY ne

pouvait pas se prévaloir, sur lefondement delacontinuitéd , esdroitsdontjouissent les Membres de

l'organisation des Nations Unies ou de certaines organisations internationales, ou les parties à

certains traités. Pour sortir de l'impasseet acquérirlaqualitédeMembreet les droitsy afférents,le

président KoStunica demanda que la RFY soit admise à l'ONU. La demande fut présentée le

27 octobre 2000. A l'issue clela procédureprévue pourl'admission des nouveaux Membres, la

RFYfut admise en cette qualitéle 1"novembre2000~~.

3'GATT :voir les procès-verbauxde la réuniondu Conseiltenueles 7 et 17juin 1993-CA41264;Une:voir la
liste des Etats membres de l'Unesco au 1" octobre 2003, note4. htt:llerc.unseco.org/cp/MSListalpha.asp ?Ig=E;
FM 1:voir communiquéde presse no92/92 du 15décembre1992;Banquemondiale :voir Socialist Federal RepublicOf
Yugoslavia Terminafionof Membership and Sucessionto Membership,résolutionno93-2 adoptéepar les directeurs
exécutifsle 25 février1993; voir,alemenctommuniquédepressede laBanque Mondialeno931~43du 26 février1993;
OMS: voir la résolution WHA46.1 du 3mai 1993; OMI (Organisation maritime internationale): voir
résolutionC.72 (70) du 18juin 1993; BIT:voir Participatiof theFederalRepublicof Yugoslaviain the 81"session
(1994) of the International Labour Conference,Bulletin officiel,vol. LXXVII, Série A, 1994, p. 166; Agence

internationale de l'énergieatomique (AIEA)voir résolutionde I'asserneénéralee I'AIEA GC(XXXVI)/RES/576;
Oiganisation de l'aviation civile internationale (:résolutionA29-2du 25septembre 1992.
32 Cette prétention fut rejetée par certains Etatspartiàsla convention relative aux droits de l'enfant

(Nations Unies, doc. CRC/SP/SR.;'), à la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Nations Unies,oc. CERD/SP/SR.24), à la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants(NationsUnies,.CAT/SP/SR.7),au pacte international relatifaux droits
civils et politiques (Nations Unies, doc. CCPRISP/SR.18àla conlention sur l'éliminationde toutes les formes de
discriminationà l'égard des femmes (communiquéde presse del'ONU WOM1732du 7février1994), et dans bien
d'autres cas.
33
Voir le rapport du Comité d'admission de nouveaux rnembres concernant la demande d'admission à
l'organisation des Nations Unies de la République fédérale deYougoslavie, Nations Unies, doc. S120011051,
résolution1326 (2000) du Conseil de sécurité, Natios nies,doc.SIRES11326(2000) et la résolution 55/12(2000) de
l'Assembléegénérale,Nations Unies, doc. ARES 55/12. 46. A la suite de cela, la RFY demanda à devenir membre de certaines organisations

internationales et fut admise comme telle. Par ailleurs, dans une lettre du 8 décembre 2000,le

conseillerjuridique invita la RFYà ((entreprendre, le cas échéant, les [formalitésc]onventionnelles

relatives aux traités concernéssi ellentend[ait] assumer les droits et obligations pertinents d'un

Etat succe~seur»3~. La RFY choisit de succéder à la plupart des conventions auxquelles

23 l'ex-Yougoslavie avait étépartie. En revanche, elle choisit de ne pas succéder à certains autres

traités, parexemple la convention sur le génocide. Au lieu de cela, en sa qualitéde nouveau

Membre de l'organisation des Nations Unies, usant de la faculté ouvertepar l'articleXI de la

conventionsur le génocide à tous les Membres de l'Organisation, la RFY décidad'adhérer àcette

convention.

47. Monsieur le président,examinons avec le recul qui est le nôtre aujourd'hui laquestiondu

statut de la RFY entre 1992 et 2000. Cette question a été articulée sur la base de réactions

divergentes face à des événementsimprévisibles -et la Cour en a été saisieavant que les

éclaircissements nécessairesn'aient étéou n'aient pu être apportés. Les faits et événements

essentielsque l'on peutmieux apprécieraujourd'hui sont les suivants.

48. La thèse de la continuité-sur la base de laquelle la RFY aurait pu se prévaloirdes

droitsdontjouissent les membres -a étéécartée.En septembre 1992,l'Assembléegénérale rejeta

une demande présentée à cet effet et précisaque la RFY -ce passage a étésouvent citéetje le

cite une nouvelle fois- (me [pouvait] pas assumer automatiquement la qualité de Membre de

l'organisation des Nations Unies à la place de l'ancienne République fédérative socialiste de

~ou~oslavie»~~.Une position de principe avait donc été adoptéeO . r, étant donnle caractèretrès

particulier des circonstances de l'espèce, certaines ambiguïtés et certains doutes subsistèrent

pendanttrès longtemps.

49. Alors que les organisations internationales et les Etats parties aux traitésrefusaieàt

laRFYle statut de membre ou de partie par continuité, les dépositaires indiquaienttoujoursque la

«Yougoslavie»était membred'organisations internationales ou partie a des accords internationaux.

34Lettre du conseillerjuridique de l'organisation des Nations Unies adressée auministre des affairesétrangères
de la Républiquefédéde Yougoslavie,datéedu 8 décembre2000.

35Résolution4711du 22 septembre 1992, Nations Unies, documents officiels,NRESl4711.L'Organisation des Nations Unies continua à traiter la «Yougoslavie» comme un pays devant

s'acquitter de ses cotisations en tant que Membre. Le conseiller juridique précisa que la

résolution4711 (([n'avait] pas [mis] fin à l'appartenance de la Yougoslavie à l'Organisation et ne

[l'avait pas suspendue]>>36.C'est seulement en 2002 que des éclaircissements déterminants furent

apportéspar les autorités des ]VationsUnies.

50.Monsieur le président, Madame et Messieurs lesjuges,entre 1992et 2000, la question se

posait de savoir quel pays l'appellation «Yougoslavie» désignait. La question est restée sans

réponseprécisependant trop longtemps. Aujourd'hui, toutefois,il n'y a plus d'ambiguïté surla

question de savoir à 1'apparte:nancede quel pays la résolutionn'a pas mis fin, l'appartenance de

quel pays elle n'a pas suspendue, et quelle étaitla «Yougoslavie»qui figurait toujours sur la liste

desparties à certains traitéset des membres de certaines organisationsinternationales.

51.L'autoritémême dont émanecette formulationcontroverséea pris ouvertement position.

La version actuelle des Historical Information onMultilateralTreatiesprécisenoir surblanc quela

«Yougoslavie» à laquelle le conseiller juridique se référait dans slettre de septembre 1992 était

l'ex-Yougoslavie. Cette précision ne figurait pas dans la lettre initiale de 1992mais aujourd'hui,

voici ce qu'indique la rubrique Historical Information :((Leconseillerjuridique a toutefois estimé

que cette résolution [la résolution47/11 de l'Assembléegénérale n'a pas mis fin à l'appartenance

de l'ex-Yougoslavie à l'Organisation et ne l'a pas suspendue)?'. ([Traduction du Greffe]; les

italiques sont de nous.)

Après la demande
52. C'est ce qu'a aussi confirmé directement le Secrétairegénéral.

d'admission de la RFY comme Membre de I'Organisat~ondes Nations Unies en 2000 -et son

acceptation comme nouveau Membre -, la situation crséepar la résolution4711 a étéclarifiée.

Dans sa lettre datée du 27 décembre2001 adressée ail présidentde l'Assemblée générale, le

Secrétairegénéral,M. Kofi Asnan, a déclaré -et vous pouvez lelire sousl'onglet 3 du dossier de

plaidoiries :

36Lettredu conseillerjuriditquedu 29 septembre 1992-Nations Unies,documents officiels,Ai471485.

37Voir la rubrique «Historical Infoumation» du site Internetde l'ONUconsacréaux traitésdépodsu auprè
Secrétaire général http://untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishintemetbibleistoricalinsouss
l'intitulé
((formerYugoslavia». «JYail'honneur de me référerà la résolution 55/12 de l'Assembléegénérale en
date du le' novembre 2000, par laquelle l'Assemblée a décidé d'admettrela
Républiquefédérale de Yougoslavie à l'organisation des Nations Unies.

Cette décisiona mis fin ipsofacto à la qualité de Membre de l'organisation de
l'ex-Yougoslavie,qui avait été admiseen 1945.~'~(Les italiques sont de nous.)

53. Finalement,le Secrétaire généraa l donc indiqué clairement que la «Yougoslavie>)d,ont

l'appartenanceà l'Organisationn'avait pas pris fin et n'avait pas étésuspendue et qui figuraitsurla

liste desparties certainstraités, était l'ex-Yougoslavie, pas laRFY.

II.2.b. La RFY a-t-elle acquis la qualitéde Membre de l'organisation des NationsUnies en
occupantune situation sui generis vis-à-vis de celle-c?

54. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il est à présentévidentque

la RFY n'est pas restée liéepar les traités, de mêmequ'elle n'est pas restée Membre de

l'Organisationdes NationsUnies ni d'autres organisations internationales sur le fondement dela

continuité. LaRFY n'a pas assuré la continuité de l'appartenance à une organisation ou de la

25 situation conventionnelle de l'ex-Yougoslavie. Il est également devenu évident que, par

««Yougoslavie» i,l fallait entendre l'ex-Yougoslavie, dont il n'avait pas été misfin officiellement

la qualitédemembre.

55. Cela nous mène à la question suivante : Si la RFY n'était pas partie aux traitéspar

continuitéde la situation conventionnelle de l'ex-Yougoslavie, il reste à déterminersi la RFY

pouvait avoir acquis le statut de partie contractante et celui de membre d'organisations

internationalesentre 1992et 2000.

56. Monsieur le président, ayantpris note de l'admission de la RFY à l'organisation des

Nations Uniesdans nos observations écrites, nous devons aussi dûment examiner l'arrêtrendupar

la Cour le 3 février2003. Votre éminente Cour a indiqué quela RFY s'étaittrouvéedans une

situation sui generis vis-à-vis de l'organisation des Nations Unies. Cela ouvre une nouvelle

perspective. Dans son arrêtdu 3 février2003, la Cour a indiqué :«[l]a résolution4711ne portait

notammentpas atteinte au droit de la RFY d'ester devant la Cour ou d'êtrepartie àun différend

devantcelle-cidansles conditions fixéespar le Statut. Elle ne touchait pas davantage la situation

de la RFYau regard de la convention surle génocide.)) (Par.70.)

38
Voir la lettre ddué27décembre2001 adressée auprésidentde l'Assemblée générear le Secrétaire
général,Nations Unies, documents officiels, 57. C'est certainement vrai. La RFY a été créée le27 avril 1992. A la différenced'autres

Etats successeurs, elle a fait valoir sa qualitéde Membrede l'organisation des Nations Unies en

déposantune demande de continuitépar rapport à l'ex-Yougoslavie. Cette demande a cependant

été rejetépear la résolution7'11.La RFYn'apasété dotépear celle-ci d'une position particulière.

Quelle qu'ait été la situationde la RFY vis-à-visde l'Organisationdes Nations Unies, du Statut ou

de la convention sur le génocide, ellen'a pas été modifiépear la résolution4711,comme l'a fait

observer la Cour. La question:est restée ouverte.

58. La Cour a égalemenii tndiquédanssonarrêtdu 3 février2003 que :

«La résolution55112de l'Assemblée générale d ente du le'novembre 2000 ne
peut avoir rétroactivementmodifiéla situationsui generis dans laquelle se trouvait la
RFY vis-à-vis de l'organisation des Nations Uniespendant la période 1992-2000,ni
sa situation à l'égard du Statut de la Cour et de la convention sur le génocide.))
(Par. 71; les italiques sontdenous.)

Il s'agit encore une fois d'une conclusionconvaincante. La situation sui generis qui était

celle de la RFYvis-à-vis de l'organisation desNationsUriies, du Statut et de la convention sur le

génocide (quelle qu'ait été:la nature de cette situation) ne pouvait avoir été modifiée

rétroactivementpar l'admission de laRFY à l'Organisationdes Nations Unies. Cette admission a

pu fournir un autre éclairage àladite situationmais ellen'a pu la modifier de manière rétroactive.

11reste à savoir quelle étaitla nature et quelles étaientles conséquences de cette situation sui
26

generis entre 1992et 2000.

59. Monsieur le président,il n'y a pas eu d'analysede la situation sui generis qu'occupait la

RFY dans l'arrêtde 1996 sur la compétenceen l'affaire de la Bosnie-Herzégovinec. Serbie et

Monténégroparce les conditions n'étaientpas réunies-et qu'il n'y avait pas contestation de la

situation conventionnelle de la RFY. A ce momentlà, la principale source d'information restait la

résolution4711 (qui laissait la question ouverte). Ainsi qu'il a étéindiqué dans l'arrêt du

3 février 2003:

«la Cour relèvera que I'admissionde la RFY en tant que membre de l'ONU a eu lieu
plus de quatre annéesaprèsle prononcé de l'arrêt dontlle sollicite la revision. Or, au

moment où cet arrêt 21étérendu, la situation qui prévalaitétaitcelle crééepar la
résolution4711de l'Assemblée générale(.) P)ar.70.:) 60. Il n'y a pas non plus eu d'analyse de la situation sui generis de laRFY dans l'arrêt

de 2003, puisqu'un tel examen détaillé aurait manifestement excédéle cadrede la premièrephase

d'une procédurede revision telle que prévueà l'article 61. Dans l'arrêtde2003,la Couremploie

des termesprudents, restant dans les limites de l'objectif des règlesprocéduralesétablies.La Cour

ne parle pas d'une situation sui generis «dans» l'organisation des Nations Uniesmais préfère

parler de situationui generis vis-à-vis des Nations Unies. De la même manière,la Courparle de

la situation delaFY «à l'égard))du Statut et de la convention sur le génocide.

61. A présent,et dans le cadre des paramètres de cette affaire, il est possiblede porter un

regardnouveau sur le statut de la RFY, sur la base des nouvelles informationsdontnousdisposons

et sans les limites imposéespar la procédure prévuà l'article 61.

62. La question est la suivante. Il a été établi que la RFY n'avaiptas assuréla continuitéde

la personnalitéjuridique de l'ex-Yougoslavie. Il a également été établique les référenceà la

«Yougoslavie» dont il n'avait pas étémis «fin à l'appartenance» «à l'Organisation des

Nations Unies)), appartenance qui n'avait pas non plus été«suspend[ue]», se rapportaient à

l'ex-Yougoslavie. Il restà savoir si la RFY est devenue partie au Statutàtla conventionsur le

génocideentre 1992 et 2000 -et, dans l'affirmative, comment cela s'estpassé.

63. La situation sui generis de la RFY vis-a-vis de l'Organisation des NationsUnies

constitue un élément importantde l'analyse. En admettant que la RFY ait -sans assurer la

continuité de la personnalité juridique de l'ex-Yougoslavie- acquis une situation sui generis

vis-a-vis de l'Organisation des Nations Unies, il est essentiel de savoir si celle-ci pouvait avoir

fourni le lien entre le nouvel Etat et les traités internationaux-notamment le Statut et la

convention sur le génocide. Telleest la question qui exige une réponse définitive.

64.Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour,le bombardementpar l'OTANa

clos le cycle de violence dans l'ex-Yougoslavie. A présent, aprèsune décennied'infortune, la

Serbie et Monténégro fait face à d'énormes défispour trouver la bonne voie. Les affaires

pendantes devant la Cour représententune part très importantedeces défis.Nousdevonssavoir si

la périodeagitéequi se trouve derrière nous a laissé les conditionspréalablesnécessairespour

poursuivre ces affaires. Si la Cour rendait un arrêtsur la compétencefondésurla déterminationde la situation de la RFYentre 1992 et 2000, cela pourrait constituer un point d'ancrage,lequel nous

permettrait de nous orienter. Dans ces conditions, la Serbie et Monténégroporte un intérêt

juridique manifestà voir rendre un arrêt surla compétence.

65. Nous reconnaissons (quela suite d'événementssurvenus en ex-Yougoslavieau coursde

la dernière décennia défiéles principes établis et ignoré toutes règleset prévisions.Desquestions

délicatessont parvenues devani:la Cour alors que l'on attendait encore des éclaircissements.Nous

sommesconscients du fait que déterminerla logique et la justice constitue une tacheconsidérable

eu égard à un tel contexte. Nous sommes convaincus cependant qu'il est devenu possible

maintenant de revoir les thèses opposées et de rassembler les élémentspour donner une image

claire et définitive. Nousvonistoute confiance en cette autoritéjudiciaire suprêmet nous nous

engageons à contribuer de bonne foi et dans la mesure de nos connaissances aux efforts de

clarification.

66. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

aimableattentionet de votre patience. Avant de céder laparoleàd'autres intervenants,laissez-moi

vous annoncer le déroulementde nos exposés :

i) notre conseil et avocat, M. Ian Brownlie, Q.C., démontrera que lesexceptions concernant

la compétenceratione rnateriae au titre de l'articlIX de la convention sur le génocide

sont infondéesou relèvent de la procédure au fond;

ii) M. Brownlie montrerai ensuite que la déclaration faite en vertu de l'article36, telle que

formuléepar la RFY, est à même de fonderla compétence tant ratione temporis que

ratione materiae;

iii) M. Brownlie démontrera également que l'exception selon laquelle la WY agirait de

mauvaise foi estinfontléeet aucunement pertinente;

28 iv) mon collègue et coagent, M. Vladimir Djerik, s'exprimera ensuite et établiraque la

compétencene peut être rejetéeau motif que des tierces parties nécessairesne participent

pas à la procédure;

v) M.Djerik contestera également l'exception selon laquelle les demandes ne sont pas

dirigées contredes défendeursspécifiquespris individuellement;

vi) M. DjeriEtraitera ensuite de la question de la compétencesur la base d'accordsbilatéraux; vii) je conclurai notre exposé et présentnios conclusions le dernier jour denos plaidoiries.

Merci Monsieur le président.Je voudrais vous demander de donner maintenant la parole à

M. Brownlie.

Le PRESIDENT :Merci, Monsieur Varady. Je donne maintenant la parole à M. Brownlie.

M. BROWNLIE :Monsieur le président,estimésMembres de la Cour

1.Il m'incombe ce matind'examiner trois des principales questions soulevéesdans les

exceptions préliminaires.La premièreest celle de la compétence ratione materiae sur la base de

l'articleX de la convention sur le génocidel,a secondeest celle de la compétenceratione temporis

en vertude l'article36 duStatut dela Cour etla troisième estcelle de l'application de la clause des

douze mois, égalementen vertu del'article6.

Compétence ratione materiaeconformément àl'article IX
de la conventionsur le génocide

2. Dansleurs exceptions préliminaires, toles Etats défendeursprésentsdevant la Cour ont

affirméqu'il yavait absencede compétenceratione materiae sur le fondement de l'articlIX de la

convention sur le génocide,au motif notamment que le critère, indispensable, d'intentionnalité

n'avait pas été étaplair 1'Etatdemandeur.

3. Comme il sera démontré en temps utilec ,ette affirmation interroge nécessairement le

fond, et l'exception n'estpas de nature exclusivementpréliminaire. En tout étatde cause, les

conclusions dela Cour au stade des mesures conservatoiresde la présente procéduremepréjugent

en rien)),pour reprendreles termes de l'ordonnance renduedans l'affaire Yougoslavie c. Belgique,

29 ((aucunequestion relativàla recevabilitéde la requête ou aufond lui-même,et...laissent intactle

droit du Gouvemement yougoslaveet du Gouvemement belge de faire valoir leurs moyens en la

matière..» (ordonnancedu2juin 1999(Yougoslaviec.Belgique),par. 46).

4. En fait,la Cours'estprononcéecommesuit, àtitre conservatoire

((Considérantqu'il apparaît à la Cour, d'après cette définition, <<quela
caractéristique essentielle du génocide lt destruction intentionnelle d'un(groupe

national, ethnique, racial ou religieux»» (Application de la convention pour la
prévention etla répressiondu crime degénocide,mesuresconservatoires, ordonnance
du 13septembre 1993, C.I.J.Recueil 1993, p. 345, par. 42); que le recours ou la
menacedu recours à l'emploi de la force contreun Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocideau sens de l'article II de la conventionsur le génocide;et que, de
l'avis de la Cour, il n'apparaît pas au présent stade de la procédure que les
bombardements qui constituent l'objet de la requête yougoslave«comporte[nt]
effectivement l'élémentd'intentionnalité,dirigé contreun groupe comme tel, que
requiert la disposition sus-citée))(Licéitéde la menace ou de l'emploi d'armes

nucléaires,avis consult~ztiC.Z.J.Recueil 1996 (Z, p,240, par. 26);

Considérantque ]laCour n'est dèslors pas en mesurede conclure, à ce stadede
la procédure, que les actes que la Yougoslavie impute au défendeur seraient
susceptibles d'entrer dans les prévisionsde la convention sur le génocide;et que
l'articleiX de la converition, invoqué parla Yougoslavie,ne constitue partant pas une
base sur laquelle la compétence dela Cour pourraitprimafacie êtrefondéedans le cas
d'espèce.» (Ordonnance du 2juin 1999(Yougoslavie c. Belgique,par. 40-41 .)

5. Il convient avant touitd'examiner l'affirmation selon laquelle le recoursou la menace du

recours à l'emploi de la force contre un Etat ne peut pas en soiconstituer un acte de génocideau

sens de l'article II de la convention sur le génocide. Cette affirmats'inscrit dans le cadre dela

position adoptéepar la Cour dans les diverses ordonnances ainsi quedans l'ordonnance déjàcitée.

6. La Cour cite un passage de I'avisconsultatif sur lesArmes nucléaires.Après avoirénoncé

les dispositions de l'article (lela convention sur le génocidel,a Coury a obser:é

«Il a étésoutenu devant la Cour que le nombrede morts que causerait l'emploi
d'armes nucléaires serait énorme; quel'on pourrait, dans certains cas, compterparmi
les victimes des membres d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier; et que 1'inti:ntionde détruirede tels groupes pourraitêtreinféréedu fait
que l'utilisateur de l'arme nucléaireaurait omis de tenir comptedes effets biens

connus de l'emploi de ces armes.

La Cour relèversià cet égardque l'interdiction du génocide serait une règle
pertinente en l'occurrence s'il étaitétabli que le recours aux armes nucléaires
comporte effectivemenit l'élémentd'intentionnalité, dirigé contruen groupe comme
tel, que requiert la disposition sus-citéOr,de l'avis de la Cour, ilne serait possible
de parvenir à une telle conclusion qu'après avoir pris dûment en considération les

circonstances propres à chaque cas d'espèce.))(CIJRecueil 1996,p. 240,par. 26.)
7. Le passage tiré de l'avis consultatif doit à mon sens être interprété avec une grande
30

prudence. La Cour prend soiinde souligner qu'il faut tenir compte des «circonstances propreà

chaque cas d'espèce)). A la lumièrede ce critère, indiquer que l'utilisation dla force contre un

Etat(meconstitue pas en soi un acte de génocide)n, 'estpas d'ungrandsecours.

8. Je puis donc à présent en venir à la questionde l'intentionnalité. Ltexte pertinent est

celui de l'article II de la convention qui définitle génocidecommeétant

«l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tut en
partie, un groupe national, ethnique, racial ouligit:ux,commetel : a) meurtre de membres du groupe;

b) atteintegraveàl'intégritéphysique oumentale de membres du groupe;

c) soumissionintentionnelledu groupe à des conditions d'existence devant entraînersa
destructionphysique totaleoupartielle.))

Lesautresparagraphes ne nous intéressentpaspour le moment.

9. Des questions préliminaires se posent en ce qui concerne les modes de preuve. Dans

l'affaire Akayesu, la chambre de première instance du TPIR a déclaréque l'intention peut se

déduired'un certainnombre de faits (affaire noICRT-96-T, par. 523). Cela doit certainement se

vérifier enrègle générale.Dans ces conditions, diverses formes de maltraitances systématiques

peuventconstituer despreuves d'intention requise. Aussi a-t-il été jugé que les expulsions par la

force pouvaient constituer des preuves de l'intention requise. Et si les expulsions par la force

peuventconstituer des preuves d'intention, alors une offensive aérienne systématiqued'unedurée

de soixante-dix-huit jours entraînant des flux internes de réfugiés peutconstituer une preuve

appropriée. Ces réflexions étayentla conclusion selon laquelle il s'agit en l'occurrence d'une

affairede génocideprima facie.

10.Les exemples de formes de preuves requises conduisent à des questions plus vastes de

principejuridique. La premièrede ces questions est celle de la définition du groupeprotégé, etla

jurisprudenceexistante est de quelquesecours à ce sujet. Ainsi, dans l'affaire Akayesu, lachambre

de premièreinstance a considéré l'identificationd'un groupe protégé comme étanp trincipalement

unequestionde fait.

11. Cette approche relativement pragmatique a étéadoptée pour d'autres décisions,y

comprisdes décisions renduespar le TPIY. Ainsi, dans l'affaire Krstic, la chambre de première

instancea déclaré que :

«Il faut dégager les caractéristiques culturelles, religieuses, ethniques ou
nationales d'un groupe en le replaçant dans son contexte socio-historique. Comme
dans les affaires Nikolic et Jelisic, la Chambre identifiera le groupe viséen ayant

recours au critère destigmatisation dudit groupe, notamment par les auteurs du crime,
du fait de la perception qu'ils ont de ses traits nationaux, ethniques, raciaux ou
religieux.)) (Par.57.)

12.Enfin, dans l'affaire Rutaganda (noICTR-96-3-T), la chambre de première instancedu

TPIRa fait remarquer que : ((56. La Chambre note que les concepts de nations, d'ethnie, de race et de
religion ont fait l'objet de nombreuses recherches et qu'il n'en existepas, en l'état,de
définitionsprécises et généralementet internationalement acceptées. Chacun de ces
concepts doit êtreapprécié à la lumière d'un concept politique,social et culturel
donné. Enoutre, la Chambre note que, dans le cadre de l'applicationde laconvention

sur le génocide, l'appartenanceàun groupe est par essence une notion plus subjective
qu'objective. La victime est perçue par l'auteiir du crime de génocidecomme
appartenant au groupe dont la destruction est visée La victime peut elle-mêmed,ans
certains cas, se considérer appartenir audit groupe.

57. La Chambre considère néanmoinsque la seule définition subjectiven'est
pas suffisante pour délimiter les groupes victimes, au sens de la convention surle
génocide. A la lecture de ces travaux préparatoires,il apparaît que certains groupes,

tels les groupes politiques et économiques,ont étécartés des groupesprotégép sarce
que considéréscomme des groupes (anouvants», caractériséspar le fait que leurs
membres font preuve d'un engagement volontaire individuel. A contrario, cela
laisseraità penser que la convention aurait pour objectif de protégerdes groupes
caractérisés parleur relative stabilité etpermanence.

58. Dès lors, la Chambre apprécieraau cas par cas si un groupe donné peutêtre

considéré commeprotégédu crime de génocide,en tant compte à la fois des éléments
de preuve y relatifs qui lui ont été présentéet contextepolitique, socialet culturel,
comme indiquésupra.»

13. Ces concepts doivent donc être appliqués à la présente espèce. Mais en quoi

consiste-t-ell? Selon la Serbie et Monténégro, l'espèce porte sur le recoursà la menace de la

force et, finalement, sur l'emploi de la force, dans le but de contraindre le Gouvernement

yougoslave àaccepter les exigences formulées à Rambouillet par les délégations dl'OTAN. La

stratégieadoptée par les Etats de l'OTAN étaitde contraindre 1'Etatyougoslave a accepter des

exigences précises et de le faire en détruisant les infrastructureainsi qu'un nombre important

d'objectifs.

14.Le commandant eri chef des forces de l'OTAN, le généraW l esley Clark, a fait une

déclarationpublique concernant le but des attaque:

(Nous allons systématiquementet progressivement attaquer, saboter,détruire,
dévaster et, finalement -à moins que le présidentMiloseviEne se conforme aux
exigences de la cornmuilautéinternationale-, nous allons complètementanéantir son
arméeainsi que les installations et la logistique de cette dernière.)) [Traduction du
Greffe.] (BBC News, lhttp :llnews.bbc.co.UWEnglisWstatic.NATOgalle~/airdefault.
stdl4 mai 1999.)

32 15. L'offensive aérienne a causé denombreuses pertes civiles et une grande détresse,y

comprisdes flux internes de rléfugiésus à la crainte des bombardements. Le groupeprotégé dans

la présente espèce, aux ternies de l'article II de la convention sur le génocide, est aisément

identifiable.Il s'agit de la population serbe et monténégrine.Dans l'affaireAkayesu, la chambrede premièreinstancea fait remarquer que :«le groupe national qualifie un ensemble de personnes

considéréec sommepartageant un lien juridique basésur une citoyenneté commune, jointe à une

réciprocitédedroits et de devoirs))(arrêt,par. 512).

16.Dans sonquatrième rapport à la Commission du droit international sur le projet de code

des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité, M. Doudou Thiam s'est expriméde la

manièresuivanteau sujet du génocide :

((Ungroupe national comprend souvent plusieurs ethnies différentes. Rares
sont, dans le monde,les Etats où l'on trouve une parfaite homogénéitéethnique. En
Afrique, en particulier, le découpagedes territoires s'est fait sans tenir compte des

ethnies, et cela a souvent posé des problèmes à de jeunes Etats secouéspar des
mouvements centrifuges dontle but est souvent un regroupement ethnique. Sauf de
rares exceptions (la Somaliepar exemple), la quasi-totalité des Etats africains a une
population composite. Dans lesautres continents, les migrations, les échanges,les
hasards des guerreset des conquêtesont créédesbrassages tels que la notion d'ethnie
n'y a qu'unevaleur toute relative ou n'a peut-êtremêmeplus de signification du tout.

La nation ne coïncide doncpas avec l'ethnie. Elle est caractériséepar la volonté de
vivre encommun, un idéal commun,un but commun et des aspirations communes.))
(Annuairede la CDI, 1986,vol. 4 premièrepartie, p. 60, par. 57.)

17.Lespreuvesdisponibles montrent que les bombardements ont touché les zones habitées

de l'ensemble dela Serbie et Monténégro. Il ressort clairement des déclarations del'OTANque

c'estlapopulation dans son ensemble,c'est àdire la totalitédes ressortissants de 1'Etatyougoslave,

quiconstituaitle groupecibleà intimider.

18.La Serbie et Monténégro a présenté denombreuses preuvesattestant des pertes humaines

et matérielles causéespar des bombardements soutenus, effectués à l'aide d'une artillerie

sophistiquée,dont de nombreuses preuves sont présentées dans le mémoire. Les preuves

présentéepsar la Yougoslavie concernantle bombardement et ses effets permettent de procéder à

un certain nombre de déductionsconcernant les éléments constitutifs du génocide, dont la

((soumissionintentionnelle du groupe àdes conditions d'existence devant entraîner sa destruction

physiquetotaleoupartielle».

19.Dansnotreexposé,ces déductions couvrent

- premièrement : le nombre considérablede morts civils et de blessures infligéesdans des

circonstances effroyables;

- deuxièmement :lepouvoir hautement explosif et les effets de souffle de missiles sophistiqués;33 - troisièmement : l'ampleur des destructions dans les zonesurbaines, y compris de bâtiments

administratifs et de ponts;

- quatrièmement :la destruction délibéréd ees usineschimiquesde Pancevo, entre autres, et les

incendies de grande ampleur ainsi que l'importantepollutionatmosphériquequi en ontrésulté;

- cinquièmement : la destruction des installationsde stockageet d'alimentation en eau;

- sixièmement :les dégâts de grande ampleur causés;tu systèmede santé et l'expositiondes

patients àdes risques en raison des coupuresd'électricité;

- septièmement : l'utilisation fréquentede munitions en grappe qui, selon le porte-parole de

l'OTAN, ne sont pas des munitions précises. Les iriformationssont fournies dans l'édition

révisée,publiée enjuin 2001, du rapportde l'UnitéMines-ArmesduCICR;

- huitièmement :l'utilisation étenduede munitions à l'uranium appauvri dont les effets à long

terme sont cancérigènes.

20. Monsieur le président, cestactiques et ces armesn'ont pas étéutiliséesdans le cadre

d'une guerre terrestre, elles l'ont été lord'unecampagnedebombardement dans le but déclaréde

terrifier la population yougoslave et son gouvernemeni. entant que groupe, en tant qu'unité

nationale. Dans ces circonstances, quels objectifspourraientêtredes objectifs militaires ? Les

objectifs ne peuvent êtredéfinis quepar rapport a un but.et le but étaitd'intimider. En d'autres

termes, le but recherché étaitprécisémentde porter une ((atteintegrave a I'intégntéphysique ou

mentale de membres du groupe)),pour employerlestermesdela convention sur le génocide.

21. En étudiantles déc:larationsdes ministresbritanniqueson remarquera que l'objectif des

opérations aériennes prévues n'étaip tas militaire,mais qu'il consistait obtenir par la force la

conformitéaux exigences du.groupe de contact. La campagnede bombardement a étéle résultat

inévitablede la nécessitéde mettre à exécutiondesmenacesqui étaient restées sans effet.

22. J'aborde a présent la dernière partiede ma thèse selon laquelle la campagne de

bombardement constitua un génocide,en toutétatdecausesur unebaseprima facie età des fins de

compétence. Toutes les parties conviennentque la conventionsur le génocide appelleune forme

d'attention particulière.Il est nécessairedeprouver qu'il ya euune intention de détruireun groupe national ((commetel)). Comme la Cour l'a indiquédans l'avis consultatif surArmes nucléaires,

la question de l'existence du génocideet de l'intentionnalité qui s'y rattache doivent être définies

parrapport aux circonstancesparticulières.

34 23. Quellessontdonc ces circonstances? Le groupe d7Etatsde l'OTAN quia eurecours à la

menacede l'emploi de la forceet a finalement procédéau bombardement aériend'objectifssurtout

le territoire de la Serbie et Monténégroavait pour but d'obliger la Yougoslavie et sapopulation

accepterles demandesformuléeslorsdes pourparlers de Rambouillet.

24. Monsieur le président, les méthodes employées sont comparables aux actes visés à

l'articleII de la convention sur le génocàdsavoir, le meurtre de membresdu groupeet l'atteinte

graveà l'intégntphysique ou mentale de membres du groupe. Selon les recherches effectuéesar

Human Rights Watch, il y a eu en tout environ cinq cents morts et huit centvingt blessés civils.

Commel'a soulignél'agent,il s'agitlà probablement d'une estimationprudente.

25. Le 13octobre 1998,le Conseil de l'Atlantique nord a officiellement autorisédes frappes

aériennes d'une duréede quatre jours suivies d'une opération aérienne«échelonnée»en

Yougoslavie(déclarationdu secrétaire généradle l'OTAN). A partir de ce moment-là, lesmenaces

ont été proféréeà intervalles réguliers, et, le 30janvier 1999, le Conseil de l'Atlantiquenord a

convenu que lesecrétaire général pouvaitutoriser des frappes aériennes contredesobjectifssitués

en Yougoslavie (déclarationà la presse de M. Javier Solana du 30janvier 1999). Le secrétaire

généradle l'OTAN a répété la menace d'un recours àla force - ce sont là ses propresmots- le

23 février1999.

26. L'intervention de l'OTAN comportait trois volets : les exigences formulées à

Rambouillet, la menace continue d'une campagne de bombardements en vue de fairerespecterces

exigences, et, au cas où les menaces ne suffiraient pas, le lancement d'une offensive aérienne

massiveet soutenue,dirigée contredes villes travers toute la Serbieet Monténégro.

27. Dans tous les cas, le principe de l'effet utile en matière d'interprétationdes traités

s'applique assurémentà la convention sur le génocide etil serait extraordinaire quela conditionde

l'intentionne soit visiblementpas remplie alors que les conséquences génocidaétaient aisément

prévisibles. 28. Monsieur le président,avant de terminer l'exposé de ma thèse sur l'articleIX de la

conventionsur le génocide,il est nécessaire de répondràcertaines observations formuléespar les

Etats défendeurscette semaine. Les conseils du Royaume-Uni se sont dits consternéspar la

possibilité que touteaction militaire puisse être assimilée un acte de génocide(CR2004/10,

par. 73). M. Tomuschat a également affirmé que ((faire la guerre)) et commettre un génocide

étaientdeuxchosesdistinctes (CR 2004/11, par. 44).

29. Ces allusions aux«actions militaires))àe«la guerre)) sont dénuéede toute pertinence.

La campagnede bombardement.ne s'inscrivait pas dans le cadre d'opérations militairesnormales.

35 Les «actions militaires)) doivent être évaluéespar rapport aux nombreuses preuves attestant

l'existence de motifs politique:^aux bombardements, à savoir contraindre la population et le

Gouvernement deSerbie et Monténégro.L'objectif de coercition a été expressémenftormulédans

la sériede déclarations émanant desEtats del'OTAN que j'ai déjàmentionnées. La populationet

le Gouvernement de Serbie et Monténégro ontétéforcésd'accepter les exigences politiquesdu

groupe decontact. Comme M. Tomuschat l'a souligné,les actions militaires ont cessélorsqueles

exigencesontété satisfaites.

30. Les moyens d'intimidation, les bombardemenls de grande ampleur et la destruction

d'infrastructures constituent, aux termes de l'articlede la convention sur le génocide,des

«atteinte[s]grave[sàl'intégritkphysique ou mentale de membres du groupe)). Nous considérons

doncprima facie le processus prolongéde coercition d'une population entièrecomme une preuve

de génocide.

Article 79 du règlementde la Cour

31. Suite logique de l'argument relatif a la convention sur le génocide, il nous faut

maintenant invoquer les dispositions de l'article 79 du règlement de la Cour, et notammentle

paragraphe9 de celui-ci, qui dispose q:e

«La Cour, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêtpar lequel elle
retient I'exception, la rejette ou déclare que cette exception n'a pas dans les

circonstances de l'espèceun caractère exclusivement préliminaire. Sila Cour rejette
I'exception ou déclarequ'elle n'a pas un caractère exclusivement préliminaire,elle
fixe les délais pourla suite de la procédure.)) 32. La Serbie et Monténégro affirme que la question de la compétence ratione materiae

concernant la convention sur le génociden'est pas de nature exclusivement préliminaire. Les

modalitésd'interprétationduparagraphe9 de l'article 79ont été étudiée par la Cour dans l'affaire

Lockerbie (exceptions préliminaires,C.I.J. Recueil 1998, p. 26-29). La Cour a conclu que

l'exception soulevéepar le Royaume-Uniselon laquelle les demandes libyennes étaient sans objet

n'avait pas un caractèreexclusivementpréliminaire. En présentant lesmotifs de cette conclusion,

la Coura fait remarquerque :

((11ne fait dès lorspas dedoute pour la Cour que les droits de la Libye au fond
seraient non seulement touchés parune décisionde non-lieu rendue à ce stade de la

procédure, mais constitueraient, à maints égards, l'objet mêmede cette décision.
L'exception soulevéepar leRoyaume-Unisur ce point a le caractèred'une défenseau
fond. De l'avis de la Cour, cette exception fait bien plus qu'«effleurer des sujets
appartenant au fond de l'affaire)) (Certains intérêts allemandsen Haute-Silésie
polonaise, compétence,arrêtno 6, 1925, C.P.J.I. sérieA no6, p. 13, elle est
((inextricablementliéen à celui-ci (Barcelona Traction, Light and Power Company,
36
Limited, exceptionspréliminaires,arrêt, C.I.J.Recueil1964,p. 46).

La Cour relèvera d'ailleurs que le Royaume-Uni a lui-même abordé de
nombreux problèmesde fonddans ses écritures etses plaidoiries à ce stade, et qu'il a
soulignéque ces problèmes avaientfait l'objet de débatsexhaustifsdevant la Cour...))
(Arrêt,C.I.J. Recueil 1998,p. 29.)

33. Dans la procédureactuelle,les différentesexceptionspréliminaires comptent aussi parmi

les questions de fond et de faiten ce qui concerne la définitiondu génocideet son application aux

circonstances de la présenteespèce, compris des questionsmajeures concernant l'intentionnalité,

le choix des objectifs et la naturedesmunitionsutilisées.

Monsieur le président,avecvotreaccord,il me sembleopportun d'interrompre mon exposé à

ce stade, si le moment voussembleconvenir.

Le PRESIDENT :En effet,il est temps de prendre une pause de dix minutes, après laquelle

vouspourrez poursuivre.

L'audienceestsuspendue de II h 25 à II h 35.

Le PRESIDENT :Veuillezvousasseoir. MonsieurBrownlie, vous pouvez poursuivre.

M. BROWNLIE : Je vous remercie, Monsieur le président. Je vais a présent passer à

l'examen des questions de la compétenceratione temporis. La compétence rationetc?mporis

34. Dans sa déc1aratio.n du 25 avril 1999,la Yougoslavie reconnaît comme obligatoire la

juridiction de la Coursurtous les différendsquipourraient surgiraprèsla signature de la présente

déclarationconcernant des situations oudes faitsultérieursladite signature)).

35. 11convient d'appliquer cette formulationaux circonstances de l'espèce. La Cour a

toujours dit que, pour interpréterune déclaration, elle devaitconsidérercomme premier critère

I'intention du gouvernement ayant fait cette déclaration,t non se fonder sur une interprétation

purement grammaticale du texte (Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt,

C.I.J. Recueil 1952,p. 104).

36. Ainsi,dans l'affaire du Temple dePréahVihéar,la Cour a fait observer ce qui suit:

«Telle étant,de ],'avisde la Cour,la situationquaàtla forme des déclarations

37 acceptant sa juridiction obligatoire, la seule question pertinente est de savoir si la
rédactionemployéedans une déclarationdonnéerévèle clairementI'intention, pour
reprendre les termes du paragraphe2 de l'article6 du Statut, de (ceconnaître comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale,à l'égardde tout autre Etat
acceptant la mêmeobligation, la juridictionde la Cour sur tous les différends d'ordre
juridique))relatifs aux catégories dequestionsénuméréedsans ce paragraphe.

A la lumièrede toutes les considérationsquiprécèdent, laCour estime qu'elle
doit interpréterla déclaration thaïlandaisede 1950 selon ses mérites et sans idée
préconçueou apriori, .pourdéterminerquelsensont le senset l'effet véritables, quand
cette déclarationest lue dans sonensemble et entenant comptede son but connu, qui
n'a jamais fait dedoute.

Ce faisant, la Cour doit appliquerses règlesnormales d'interprétation dontla

première est, d'après sa jurisprudence bien établte,qu'il faut interpréter les mots
d'aprèsleur sens naturel et ordinaire,dans lecontexte où ils figurent.))Temple de
PréahVihéar,exceptions préliminaires, arrê Ct.,I.J.Recueil 1961,p. 32.)

37.Il s'ensuit en outre que I'intentionde 1'Etatconcernédoit être examinéen fonction des

circonstances qui prévalaientau moment oùla déclarationa été faite. A cet égard, l'arrêtrendu par

la Cour en l'affaire de la Compétence en matièrdeepêcheries(Espagnec. Canada) est significatif.

La Cour y expose son approchecommesuit

«De fait, la Cotir a précisé dandes arrêts antérieurlses règlesà suivre pour
l'interprétation des déclarations et des réserves qu'elles contiennent. Toute
déclaration«doit êtreinterprétée tellqu'ellese présente,en tenant compte des mots
effectivement employés)) (Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt,
C.I.J.Recueil 1952, p. 105). Toute réservedoit être appliquée«telle qu'elle est»

(Certains emprunts norvégiens, arrêt, C.I.J.Recu1 ei9l57, p. 27). Ainsi, les
déclarationset les réserves doiventêtreconsidérées comme un tout. En outre, «la Courne saurait se fonder sur une interprétationpurement grammaticaledutexte. Elle
doit rechercher l'interprétation qui est en harmonie avec la manièrenaturelle et
raisonnable de lire le texte.)) (Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt,
C.I.J.Recueil 1952, p. 104.)

C48.1Par ailleurs, étantdonnéqu'une déclarationen vertu du paragraphe2 de
l'article 36 du Statut est un acte rédigéunilatéralement,la Cour n'a pas manquéde

mettre l'accent sur l'intention de'Etatqui déposeune telle déclaration.Aussibien,
dans l'affaire de I'Anglo-Iranian Oil Co., la Cour a-t-elle jugé que les termes
restrictifs choisis dans la déclarationdel'Iran étaient«une confirmation décisivede
l'intention du Gouvernement de l'Iran, lorsqu'il aaccepté lajuridiction obligatdere
la Cour» (ibid., p. 107).

[49.] LaCour interprètedonc les termes pertinents d'une déclaration, compris

les réservesqui y figurent, d'une manière naturelle et raisonnable, en tenant dûment
compte de l'intention de 1'Etat concerné à l'époqueoù ce dernier a acceptéla
juridiction obligatoire de la Cour. L'intention d'un Etat qui a formuléune réserve
peut êtredéduitenon seulement du texte mêmede la clause pertinente,mais aussidu
contexte dans lequel celle-ci doit être lue etd'un examen des élémentd se preuve
relatifs aux circonstances de son élaborationet aux buts recherchés.))ompétence en
matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 1998, p. 454)

38. Dans l'affaire de l'lnterhandel (exception préliminaire), la Cour a examinéles

circonstances du dépôtde la déclarationconcernéeet, dans l'affaire du Templede PréahVihéar

(exceptions préliminaires), elle a réaffirmé qu'elle avait le droit, pour résoudre une

contradiction dans les termes d'une déclaration donnée,de s'éloignerde ces termes et de tenir

38 compte d'autres circonstances pertinentes (voir, respectivement, C.I.J.Recueil 1959, p. 20-22 et

C.I.J.Recueil 1961,p. 33 et 34).

39. Ce qui est particulièrement important ici, c'est queles circonstancespertinentes peuvent

inclure des considérations de droit international. Et là, une distinction s'impose. Ces

considérations dedroit visent l'élucidationde l'intention deEtatdéclarantetnon laquestiondela

licéitéen tant que telle. Cette distinction est faite dans l'affaire du Plateau continental dela

nzer Egée, lorsque la Cour examine la toile de fond des réserves formuléespar la Grèce

(C.I.J.Recueil 1978,p. 28-34, par. 69-81).

40. Cela posé,j'en viendrai à présent àma thèse. Ce que j'entends démontrerc ,'est que

l'intention quiétaitcelle du gouvernement déclarant a la date du 25avril 1999 est parfaitement

claire. Lelibelléde la déclarationfaitréférenceà «tous les différendsquipourraient surgiraprès la

signature de la présente déclarationconcernant des situations ou des faits ultérieurs à ladite

signature)). 41. La question qui se pose au préalable est bien sûr la suivante :quand le différend a-t-il

surgi ? Le Royaume-Uni, àl'inistard'autres Etats défendeurs, soutientque :

((L'acceptation de compétence de la RFY est expressément limitée à un
différendremplissant deux conditions :

a) le différenddoit êtreriépostérieurement au 25 a\?-il1999;et

b) le différenddoit concerner des situations où des faitspostérieursau 25avril 1999.))

Et le Royaume-Uni d'ajouter :

«Ces conditions sont cumulatives, il ne s'agit pas d'une alternative. Par
conséquent, laformule a pour effet qu'un différendsort du champ de l'acceptation de

compétencede la Cour par la RFY s'il est néavant le 25 avril 1999ou même s'il est
né aprèsle 25 avril mais porte sur des situations ou des faits antérieursà cette date.))
(Royaume-Uni,exceptioris préliminaires, p. 57, par. 4.29.)

42. Cette position est celle qui privilégie la «formule de la double exclusion))et qui veut

donc que les conditions à remplir soient cumulatives au lieu de former une alternative. Pour la

Serbie et Monténégro,cette analyse implique un coricept inventé de toutes pièces et est

fondamentalement incompatible avec l'intention démontréequi étaitcelle de 1'Etatdéclarant

en 1999.

43. Et ce pour quatre raisons.

44. Premièrement, la déclaration doit êtreinterprétéeen soi et dans son contextetemporel.

Sonlibellén'estpas «tous les différends))mais «tous les différends ...concernant des situationsou

39 des faits ultérieuràladite signature)). Il étaitprévuque les hostilitésdéclenchéelse 24mars 1999

soient soumises à l'examen judiciaire de la Cour : telle était a l'évidence l'intention dela

déclaration. Mais, bien entendu, la déclarationne s'attache pas à préciser la naturedes demandes

juridiques.

45. Deuxièmement, il n'est pas suffisamment prouvé qu'il s'agisse d'un cas de double

exclusion. Lecritère généralcloitêtrel'intention du déclarant. Le différend à identifier étaitun

différendconcernant une situation, celle du conflit arnié déclenchépar une coalition d'Etats

membres de l'OTAN. Mais ce contexte seul ne pourrait suffire à déterminerla nature et les

conséquencesdu différend. C:en'est qu'avec le dépôt de la requête, le29 avril1999, que les

élémentsconstitutifs du différend porté devant la Cour ont pu voir le jour. C'est alorsalors

seulementque le différendjuridique s'est cristallisé. 46. Troisièmement,la déclarationyougoslave n'est pas rédigéede façon àêtrerétroactive

mais au contraire prospective. Elle fait référencà «tous les différendsqui pourraient surgir après

la signaturede la présentdéclaration..B.

47. Quatrièmement,en tout étatde cause, et sans préjudicede ce qui précède,la ((situation))

concernéepar le différenddoit être appréciée selon l'approchseuivie en l'affaire de la Compétence

en matièrede pêcheries(Espagne c. Canada), conformémentaux principes pertinents du droit

international généraqlui s'inscrivent dansce contexte. Une fois la campagne de bombardements

commencée, la succession continued'actions doit être qualifiée conformément au projet

d'article5 sur la responsabilitédes Etats, adoptéen premièrelecture par la Commission du droit

internationalen 1978. Cetarticle se lit commesuit :

(Article 25

Momentet duréede la violationd'une obligation internationale réalisée
par unfait de 1'Etats 'étendandt ans le temps

1. La violation d'une obligation internationalepar un fait de 1'Etat ayant un
caractère de continuité se produit au moment où ce fait commence. Toutefois, le

temps de perpétration dela violation s'étendsur la périodeentière durant laquelle ce
faitcontinueetreste non conforme à l'obligation internationale.

2. La violation d'une obligation internationale par un fait de 1'Etat composé
d'une série d'actions ou omissionr selativesà des cas distincts se produit au moment
de la réalisationde celle desactions ou omissions de la sériequi établit l'existencedu
fait composé. Toutefoisl,e temps de perpétrationde la violation s'étendsur la période
entière apartir de la premièredes actions ou omissions dont l'ensemble constitue le

fait composénonconforme à l'obligation internationale et autant que ces actions ou
omissions se répètent.

40 3. La violation d'une obligation internationale par un fait de 1'Etat complexe,
constituépar une succession d'actions ou omissions émanant des mêmesou de
différents organes étatiques intervenandtans une mêmeaffaire, se produit au moment

de la réalisationdu dernier élément constitutif dudit fait complexe. Toutefois, le
temps de perpétration dela violation s'étend sur la période entière allant du
comportement qui a amorcé la violation à celui qui l'a parachevée.)) (CDI,
Annuaire 1978,vol.II, deuxième partie,p. 91 .).

48. Aunombredesarticlesadoptéspar la Commissionen seconde lecture, en 2001, figureun

article 14dontlapartiepertinente ici estla suivante:

((1.La violationd'une obligation internationalepar le fait de 1'Etatn'ayant pas
un caractère continua lieu au moment où le fait se produit, mêmesi ses effets
perdurent. 2. La violation d'une obligation internationalepar le fait de 1'Etat ayant un
caractère continu s'étendsur toute la périodedurant laquelle le faitcontinue et reste
non conforme à l'obligation internationale.))

49. Autrement dit, mêmesi la thèse desEtats défendeurs concernantla formule de la double

exclusion étaitretenue, les deux conditions seraient satisfaites. Le différa surgi au momentdu

dépôtde la requêtele 29 avril 1999, et la situation, du point de vuejuridique, était celled'une

violation d'une obligation internationale par le fait d'un Etat ayantun caractèrecontinu.

50. La position de la Serbie'et Monténégro peutêtrerésumée comms euit.

Premièrement, il ne fait aucun doute que, par sa déclaration de1999, la Yougoslavie

entendait accepter la juridiction de la Cour en vue d'obtenir réparationpour les bombardements

subis du fait d'une coalition d'Etats. Mais la déclaration n'identifie pas le diffé:dce n'est pas

là son rôle.

Deuxièmement, aux fins de la déclaration etdu Statut de la Cour, la date du différend était

celle du dépôtde la requête,à savoir le 29 avril 1999.

Troisièmement, la violation des obligations constituant l'objet de la requête avaitun

caractère continu; par consiquent, tant le différend quela situation qu'il concernait étaient

postérieursau 25 avril 1999, (latede la signature dela déclarationyougoslave.

5 1.Enfin, en guise d'épilogue,il convientderappeler que la déclaration yougoslave doiêt tre

interprétéeen fonction de son contexte. C'est l'intention qui est primordiale, et le contexte y

témoigned'une intention d'accepter la juridiction de la Cour à l'égard,en particulier mais pas

exclusivement, de l'action militaire du Royaume-Unietdesautresdéfendeurs. LeRoyaume-Uni le

reconnaît dans ses exceptions préliminaires,au paragraphe4.27(p. 55-56).

52. De plus, la jurisprudence en matièrede compét:encr eatione temporis se distingue par le
41

fait que chaque décisionreflète lecontexte historiqueetjuridique del'affaire concernée.11s'ensuit

que les précédentsne peuvent offrir qu'une orientation très générale.Et c'est précisémenteu

égard à cette jurisprudence que M. Shabtai Rosenne critique l'approchecontextuelle de la Cour

en matière d'interprétation dans ce domaine (voir S.Rosenne, The Law and Practice of the

International Court, 1920-1996, vol. II,p. 787). 53. Maisj'ajouterai un second épilogue. 11importe de réaffirmerque le différendjuridique

dontla Cour est compétentepour connaître en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 n'a pavu le

jour au cours des débats intervenus au sein du Conseil de sécuritéles 24 et 26 mars 1999. Je

commenceraipar rappeler la définition,bien connue, que la Cour permanente a énoncéedans

I'affairedesConcessions Mavrommatis en Palestine, arrêtn O2 :«Un différend estun désaccord

surunpoint dedroit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts

entredeuxpersonnes.))

54. A mon sens, cette définition exprime une condition nécessaire mais non suffisante

- ShabtaiRosenne explique en détailcette importante restriction dans le traitéévoquéci-dessus

(TheLaw andPractice of the IriternationalCourt, 1921-1996, vol. II, p. 519-521).

55. Le problème que pose la définition d'un différend juridique a étérésolu par

sir RobertJennings dans ses Essays in Honour of Wang Tieya, 1999, p. 401-405. A l'instar de

Shabtai Rosenne,sirRobert relève la circularitéet les autres limites de la définitiondonnée dans

I'affaireMavrommatis. 11propose la définition suivante : ««Un((différendjuridique)),dans une

acceptiontechnique et réaliste, est donc undifférendqui a ainsi étéformaté, ramené à une forme

qui seprête àune décisiondejustice, autrementdit à une sériede questions spécifiquesà trancher.))

(Op. cit.,p. 403.) [Traduction du Greffe.]

56. Dans ce contexte, celui de l'appréciationdes limitations temporelles, Shabtai Rosennea

estiméque : «[l]'arrêtrendu en I'affaire Interhandel comporte ce qui semble êtreune décision

définitive surcette question. Dans cette affaire, la Cour a soulignéque l'objet du différendétait

précisédans la requête et la conclusion finaleprincipale du Gouvernement suisse.)) (Rosenne,

op.cit.,p. 789à propos de Interhandel, C.I.J. Recueil 1959, p. 2.)[Traduction du Greffe.]

42 57. En nous fondant sur ces sources et sur certaines considérations de principe décisives,

nous soutenons que le différendne pouvait naître au cours des séances du Conseilde sécurité

des24 et26 mars 1999. Les procès-verbauxpertinents figurent en annexes 14et 16des exceptions

préliminairesdu Royaume-Uniet enannexes 7.4 et 7.5 des exceptions préliminairesdes Pays-Bas. 58. La lecture de ces procès-verbaux ne permet pas de conclure, ou ne le permet que

difficilement, que les éléments dudifférend juridique quele dépôtde la requêtea cristallisé aient

été évoqué au cours de ces iséances. J'attirerai notamment l'attention de la Cour sur les points

suivants.

Premièrement : la disc:ussion porte essentiellement sur la ((situationau Kosovo» ou le

((conflitau Kosovo)).

Deuxièmement : les bases juridiques invoquéesconcernaient les résolutionsdu Conseil

agissantau titre du chapitreViI.

Troisièmement : le représentant yougoslave ne fit aucune référence à un quelconque

différendjuridique dans son intervention (3988'séance, p. 13-15).

Quatrièmement : le contexte diplomatique était celui d'efforts visant à un règlement

politique, et non juridique, a,ssortisde menaces de bombardements à long terme : je renvoie aux

vues exprimées par sir JerennyGreenstock, à la page 11 du procès-verbal,au sujet des efforts

déployés en vue de parvenir 8 une solution politique; età celles dudélégué allemand,page 17. La

menace d'une campagne de lbombardementsn'est pas,rnême de nos jours, la procédureà suivre

pour faire naître un différend.

Cinquièmement : la résolutiondu Bélarus,de l'Inde et de laFédération de Russie, soumise

au Conseil, fait référenceaux chapitres VIi et VIIIde la Charteetnon à un règlementjudiciaire.

59. Surtout, les minutes des débatsau sein du Conseil concernent expressément la crise au

Kosovo et d'éventuelles solutions politiques, et non le prélude à un règlement dequelconques

différendsjuridiques. Rares furent les délégués à formuler des considérations juridiques. Il

43 convient de rappeler que le bombardement de la Yougoslavie faisaitsuite à un ultimatum sur

l'acceptation des conditions de l'OTAN présentéeslors.des négociations deRambouillet. Nous

39Journal télévid'ITN, 24 décembre 1996,18h 57.

40New YorkTimes, 31décembre1996, p. A 10
41Voir mémoire,par. 1.1.56.1et annexe sur lescrimes del'OTANenYougoslavie,vol. II,p. 246.

4Voir mémoire,par. 1.1.10.4 et annexes 72, 73, 74.
4Voir mémoire,par. 1.1.43.2 et annexes 94 et 95.

44Voir mémoire,par. 1.1.29.1 et annexe sur les crimesdel'OTANenYougoslav1p. 343.

45GénéralW. Clark répondant aux questionsdujournalisteJeremyScahill,DernocratlcNow,26janvier 2004.sommes bien loin ici des Phosphates du Maroc et d'lnterhandel. Les procès-verbaux ne

comportentpasla moindre référence à un différendjuridique. A l'intention de la Cour,je voudrais

préciserque, dans la mesure où elle en diffère, la présente analyse annule et remplace celle

développée danls emémoire(voir mémoire,p. 340, par. 3.2.16).

Lesconditionsénoncée su paragraphe 2 de l'article 36 du Statut et la clause des douze mois

60. Dansses exceptionspréliminaires,le Royaume-Uni indique ce qui suit :

((Malgré la décision..adoptéepar la Cour au stade des mesures conservatoires,
la RFYa tenté à nouveau, dans son mémoire, de fonder la juridiction de la Cour sur
les déclarationsfaites conformémentau paragraphe 2 de l'article 36 du Statut. La

RFY soutient que la clause des douze mois figurant dans la déclaration du
Royaume-Unine fera pas obstacle à lajuridiction de la'Cour dès lorsque laprocédure
oraleaura lieuaprèsle 25 avril2000.)) (P. 44, par. 4.6.)

61. Danssonmémoire,la Serbieet Monténégroinvoque dans les termes suivants le principe

énoncé par la Cour dans l'affaire Mavrommatis, puis réaffirmépar elle dans son arrêtsur les

exceptionspréliminairesen l'affaireBosnie-Herzégovine c.Yougoslavie :

((Certes,la compétencede la Cour doit normalement s'apprécierà la date du
dépôtde l'acte introductif d'instance. Cependant la Cour, comme sa devancière, la
Cour permanente de Justice internationale, a toujours eu recours au principe selon
lequel elle ne doit pas sanctionner un défautqui affecterait un acte de procédure et
auquel lapartie requérante pourraitaisémentporter remède. Ainsi, dans l'affaire des

ConcessionsMavrommatis en Palestine, la Cour permanente s'est exprimée de la
sorte:

((Mêmesi la base de l'introduction d'instance était défectueuse
pour la raison mentionnée, ce neserait pas une raison suffisante pour
débouterle demandeur de sa requête. LaCour, exerçant une juridiction

internationale,n'est pas tenue d'attacherdes considérations de forme la
mêmeimportance qu'elles pourraient avoir dans le droit interne. Dans
ces conditions, mêmesi l'introduction avait étéprématurée, parce que le
traitéde Lausanne n'était pas encoreratifié, ce fait aurait étécouvert par
le dépôtultérieur desratificationsrequises.» (C.P.J.I. sérieno 2,p. 34.)

C'est du mêmeprincipe que procède le dictum suivant de la Cour permanente de

Justice internationale dans l'affaire relative à Certains intérêtsallemands en
Haute-Silésiepolonaise :

«Mêmesi la nécessitéd'une contestation formelle ressortait de
l'article23, cette conditionpourrait êàrtout moment remplie par un acte
unilatéral de la Partiedemanderesse. La Cour ne pourrait s'arrêter à un

défautde forme qu'il dépendraitde la seule Partie intéressée defaire
disparaître.))(C.P.J.I.sérieA no6,p. 14.)

La présenteCour a fait application de ce principe dans l'affaire du Cameroun
septentrional(C.I.J.Recueil 1963,p. 28), ainsi que dans celle des Activités militaireset
paramilitairesau Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d'Amérique) lorsqu'elle a déclaré :«Il n'y aurait aucun sensà obliger maintenant le Nicaragua à
entamer une nouvelle procédure surla base du traité - ce qu'il aurait pleinement le
droit de faire.)) (C.I.J. Recueil84, p.428-429, par.83.))) (C.I.J.Recueil 1996 (Il),

p. 613-614,par. 26.)
62. 11ne saurait faire de doute que la condition relative aux douze mois est aujourd'hui

remplie. Dans l'ordonnance pertinente relative à ld demande en indication de mesures

conservatoires, la Cour a certes invoquéla clausedes douzemois énoncéepar le Royaume-Uni,

mais elle n'en a pas moins précisé,au paragraphe38, que les conclusions auxquelles elle était

parvenue ne préjugeaienten riende sa compétence.

63. Dans ses exceptionspréliminaires,le Royaume-Unicherche à distinguer la décisionde la

Cour en l'affaire Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie. Toiitd'abord, affirme-t-il, le traitéconcerné

dans cette affaire était la (conventionsur le génocide, à savoir «une convention de nature

particulière en ce sens qui: les obligations qu'elle crée sont des obligations erga ornnes))

(exceptions préliminaires, p. 54-55,par. 4.24-4.25). Maisdans l'arrêt qu'ellea rendu en l'affaire

Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie,la Courn'afait aucuneréférence àcet aspect et la question qui

se posait alors, comme celle qui sepose en l'espèce, était ceee la compétence.

64. Deuxièmement, le Royaume-Unisoutient qu'

«[a]u paragraphe 1,point iii) de laditedéclaration,le Royaume-Uni affirme sans

équivoquene pas accepter que la Cour soit compétentea ,u titre du paragraphe 2 de
l'article 36 du Statutàl'égard d'unautreEtatayant((accepté lajuridiction obligatoire
de la Cour ..lorsque l'acceptationde lajuridictionobligatoirede la Cour au nom d'une
autre partie audifféren'a été déposé oeratifiéemoinsde douzemoisavant la date du
dépôtde la requêtepal:laquelle la Cour est saisie(ludifférend))[lesitaliques sont du
Royaume-Uni]. Il s'ensuit, ainsi que la Cour l'a reconnu dans son ordonnance du

2juin 1999, que le paragraphe2 de I'article36ne sauraitmanifestementpas constituer
une base d'exercice de sa compétence à l'encontredu Royaume-Uni à moins que la
déclaration faitepar le demandeurau titre du paragraphe2 de I'article36 n'ait étéen
vigueur douze mois au moins avantque cet Etatne dépose sarequête. Cette condition
est remplie au moment du dépôtde la requête ou bien elle ne serajamais satisfaite.))
(Exceptions préliminaires,p.55,par.4.26.)

65. Selon nous, ce raisonnement revient simplement a éluder la question du principe

Mavrommatis, «selon lequel [la Cour] ne doitpas sanctionnerun défaut qui affecterait unacte de

procédure et auquel la partie requérantepourrait aisémentporter remède)), dont il ne remet

nullement en cause la logique. Je reprends la formulationemployéedans l'arrêtrendu en l'affaire

Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie. Il serait de toute évidenceloisible à 1'Etat demandeur de

déposer tout simplementune nouvellerequête. 66. Enfin, le Royaume-Uni souligne que sa déclaration exclutexpressément«lesdifférendsa

l'égard desquelstoute autre partie en cause a accepté la juridiction obligatoire de la Cour

internationale de Justice uniquement en ce qui concerne lesdits différends ou aux finsde ceux-ci)).

45 A mon sens, c'est l'adverbe «uniquement» qui constitue ici le mot clef. Le Royaume-Unin'a

fourni aucune preuve, ou à tout le moins n'a pas prouvé à suffisance, que telle ait été l'unique

intention duGouvernement yougoslave.

67. Dans ses exceptions préliminaires, le Royaume-Uniaffirme que le conseilde laRFY«a

expressémentdéclaré as utade des mesures conservatoires que l'objectif de la RFYétaitd'accepter

la compétencede la Cour dans le différend de l'espèce))(p. 56, par. 4.27). Il fait référàlae

plaidoirie de M. Corten (CR 99/25, p. 18), mais force est de constater, avec tout le respectdû a la

Cour, que l'on ne sauraitrien en inférerde tel.

68. Il n'y a, bien évidemment, rien dans le texte de la déclarationyougoslave qui puisse

donner à penser que la RFY entendait reconnaître la compétencede la Cour aux seules finsd'un

différenddonné.

Mauvaise foi

69. Monsieur le président, avantde clore mon intervention,j'aimerais revenir surl'argument

de la mauvaise foi invoquépar la Belgique et le Royaume-Uni dans leurs exceptionspréliminaires

commemotif d'irrecevabilité dela requête.

70. La Belgique, dans ses exceptions préliminaires, invoquecomme fondementjuridiquede

ses arguments la doctrine des mains propres ainsi que la bonne foi en tant que principegénéled

droit. Le Royaume-Uni se contente d'exciper de la bonne foi en tant que principe généledroit.

71.Des arguments de cette nature ne portent pas surdes questions de droit ou decompétence

mais relèventen réalité uniquementde préjugés politiques. Nouspouvons en examinerbrièvement

deux aspects. Tout d'abord, 1'Etat demandeur est accuséd'abus de procédure. La Cour tendà

écarterde telles allégations. Ainsi, dans l'arrêtrendu en l'affaire de Certainestàphosphates

à Nauru, la Cour a répondu comme suit à l'argument de l'Australie fondésur l'opportunité

judiciaire: «Aux termes de la cinquième exception de l'Australie, «Nauru a agi sans
constance ni bonne foi en matière de remise en etat)) et, par voie de conséquence,
((dansl'exercice de son pouvoir discrétionnaireet pour servir la bonne règlejudiciaire,
la Cour devrait...refuser de connaître des demandesde Nauru)).

38. La Cour considère que la requêtede Nauru a étéprésentéede manière
appropriéedans lecadre des voies de droit qui lui sont ouvertes. La Cour n'a pas àce
stadeà apprécierles conséquences éventuellesdu comportement de Nauru sur le fond
46 de l'affaire. 11lui suffit tie constater que ce comportement n'équivaut pàun abusde
procédure. L'exception de l'Australie sur ce point doit aussi être rejetée.))
(C.I.J. Recueil 1992, exceptions préliminaires,p.255, par. 37-38.)

72.L'argument fondésur le principe généralde boime foi, tel que le présenteaujourd'hui le

Royaume-Uni,a étéallégué par le Nigériaau stade des exceptions préliminaires dansl'affairede la

Frontièreterrestre et maritime. La Cour l'a examinéattentivement, avant de le rejeter. Pour

reprendreses termes :

«La Cour notera par ailleurs que, si le principe de la bonne foi «est l'un des
principes de base qui président à la création et à l'exécution d'obligations
juridiques...,il n'est pas en soi une source d'obligation quand il n'en existerait pas

autrement))(Actions arméesfrontalières et transfrontalières(Nicaraguac.Honduras),
compétenceet recevabilité,arrêt, C.I.J.Recueil 1988, p. 105,par. 94). Or, il n'existe
en droit international aucune obligation spécifique pourles Etats d'informer lesautres
Etats parties au Statut qu'ils ont l'intention de souscrireà la clause facultative ou
qu'ils ont souscrità ladite clause. En conséquence, le Cameroun n'étaitpas tenu
d'informer le Nigériaqu'il avait l'intention de soiiscrire ou qu'il avait souscràtla

clause facultative.

Par ailleurs:

«Un Etat qui accepte la compétence de la Cour doit prévoir qu'une
requête puisseêtrei:ntroduite contre luidevaritla Cour par un nouvel Etat
déclarant le jour même où ce dernier dépose une déclaration
d'acceptation entre les mains du Secrétairegénéral.))(Droit de passage

sur territoireindien, exceptions préliminaire.r,arrêt,C.I.J.Recueil 1957,
p. 146.)

De ce fait, le Cameroun n'était pasdavantagr:tenu d'informer le Nigériade son
intention de saisir la Cour. En l'absence de telles obligations et de toute atteinteaux
droits correspondants du Nigéria, cedernier n'est pas fondé à se prévaloirdu principe

de labonne foi à l'appui de ses conclusions.» (C.I.,! Recueil 1998,p. 297, par. 39.)
73. Les élémentsinvoqués pour les étayerétant,globalement, dépourvus depertinence, il

seraithors de propos de réfuteren détailles allégationsde mauvaise foi avancéespar laBelgiqueet

le Royaume-Uni. Elles me semblent néanmoins appeler,en guise de réponsesuccincte,certaines

observations;aussi descendrai:je quelques instants dans l'arène politique. 74. La Belgique et le Royaume-Uni accusent le Gouvernement yougoslave d'avoir

contrevenuà diverses directivesduConseil de sécurité relats la situation au Kosovo.

75. Ce comportement nousest présenté comme attestant unmanque de bonne foi. Mais un

examen effectif et objectif de la notion de mauvaise foi vaudrait, Monsieur le président, pour

diverses questions, comme celle de l'apport d'une aideextérieure aux insurgés de l'armée de

libération du Kosovo. Permettez-moi de fournir un exemple d'absence -lourde de

conséquences- de coopérationdes gouvernements de l'OTAN avec une agence humanitaire

habilitéeà intervenir au Kosovo, à savoir la mission de vérification au Kosovo de I'OSCE.

47 Monsieur le président,si la catastrophehumanitaire étaitimminente, pourquoi mille quatre cents

observateurs de cette missionont-ils étécontraints de se retirer dans un délai on ne peut plus

court? La raison en était lacampagneque s'apprêtait lancer l'OTAN, mais cet élémennt 'est pas

mentionnédans la lettre du 19mars - soit quelquesjours seulement avant le bombardement -

adresséeau président dela Yougoslaviepar le ministre des affaires étrangèresde la Norvège,

présidenten exercice de I'OSCE. Jene souhaitepas citer de passages de ce document. Avec tout

le respectdû àla Cour,j'estime qu'il doitêtrelu dans son intégralité.Il figàl'annexe 166 du

mémoire ainsi que dansle dossierd'audienceà l'ongletno5.

76. Monsieur le président,luà la lumièredes événements qui ont suivi, la déclarationde

I'OSCEtémoigne d'un regrettablm e anquede fianchise.

Monsieur le président,voilà quiclôt ma plaidoirie dece matin. Je remercie la Cour de son

attention et de sa patienceet vousprieraide donnerla paràM. Vladimir DjeriC.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, MonsieurBrownlie. J'appelle maintenant à la barre

M. DjeriC.

M. DJERIC :Merci,Monsieur leprésident.

Monsieur le président, adameet Messieursde la Cour, c'est avec grand plaisir que je saisis

cette occasion de me présenterune nouvelle fois devant la Cour au nom de la Serbie et

Monténégro. Danm s onexposé,je répondrai premièrementà l'objection selon laquelle la Cour ne

doit pas statuer sur lesdifférendsactuelsen l'absence decertainestierces parties; deuxièmement,je

traiterai de l'argument selonlequelc'àsl'OTANetnon à ses Etats membres qu'il faut imputer la responsabilitédes violations du droit international; troisièmement, j'examineraila question de

savoir si les griefs de la Serbie et Monténégroont étésuffisamment explicités; enfin,j'examinerai

les deux traités bilatéraux invoqués comme basesde conlpétence à l'égardde la Belgique et des

Pays-Bas.

1.La Cour doit-elle statuer en l'absence d'autres acteursimpliqués dans le conflit ?

1. Monsieur le président, les Etats défendeurs prétendent qu'il serait inopportunde

poursuivre les procédures engagées,arguant du fait que la Cour devrait alorsse prononcer surdes

droits et obligationsd'Etats ou d'entitésqui ne sont pas parties aux instances. Ils invoquenà cet

effet le principe bien connu énoncédans I'affaire de l'Or monétairepris à Rome en 1943

(C.I.J.Recueil 1954, p. 19). Selon ce principe, alors que la Cour ne peut exercer sa juridictioà

48 l'égardd'un Etat si ce n'est avec le consentement de celui-ci, ellene peut statuer si les intérêts

juridiques d'un Etat absent constituent l'objet même du différend (ibid., p.-33).

2. Dans I'affaire de 1'01.monétairepris à Rome en 1943,la situationjuridique a été décrite

par la Cour en ces termes : (qlour déterminersi l'Italie a titàerecevoir l'or, il est nécessaire de

déterminer si l'Albanie a commis un délit international contre l'Italie et si elle est tenue à

réparationenvers elle» (C.I.J. .Recueil1954,p. 32).

3. Ainsi, la Cour a dû statuer dans un premier temps surla responsabilité internationale de

l'Albanie, et dans un second temps sur la demande de l'Italie, cequ'ellene pouvait fairesanss'être

d'abord prononcéesur la responsabilitéinternationale de l'Albanie. Il s'agissaitlà d'une situation

dans laquelle les intérêts juridiquesde l'Albanie constitiiaient ((l'objetmêmede ladite décision))

(ibid.).

4. Cette succession logique a étéconfirméepar lajurisprudence ultérieure de la Cour. Dans

I'affaire de Nauru, la questiori consistaàtsavoir si les procédures pouvaientse poursuivre contre

l'Australie dans le cas où les deux autres Etats composant l'autorité chargée de l'administration de

Nauru - le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande - rie comparaîtraient pas devant la Cour.

Toutefois, la Cour a fait la distinction entre cette situation et l'affairede l'Or mon:taire

«Dans cette dernière affaire [l'Or monétaire], la détermination de la
responsabilité de l'Albanie étaitune condition préalable pourqu'il puisse êtrestatué
sur les prétentions de l'Italie. Dans la présentz espèce, la détermination de la
responsabilité de la Nouvelle-Zélandeou du Royaume-Unin'est pas une condition préalable à la détermination de la responsabilité de l'Australie, seul objet de la
demandede Nauru.)) (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie),
exceptionspréliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 261, par. 55; les italiques sont
denous.)

5.Ceraisonnementa été confirmé ànouveau en 1995, en l'affaire relative au Timororiental.

Comme chacun sait, il s'agissait en cette affaire de déterminer si l'Australie avait manqué ses

obligationsinternationalesen concluant un traitésur le Timor oriental avec l'Indonésieet non avec

le Portugal, puissance administrante de ce territoire.La Cour a conclu qu'elle ne pouvait pas

parvenir a unedécisionen cette affaire sans déterminerau préalablesià l'égarddu Timor oriental,

l'Indonésieavait ou n'avait pas le pouvoir de conclure des traités, en d'autres termes sans

commencerpar statuersur les intérêtjsuridiques de l'Indonésie:

«LaCour conclut qu'elle ne saurait, en l'espèce, exercer la compétence qu'elle

tient des déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de
l'article6 de son Statut car, pour se prononcer sur les demandes du Portugal, elle
devrait statuerà titre préalable sur la licéité du comportement de l'Indonésie en
l'absenceduconsentementde cet Etat.» (Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt,
C.I.J.Recueil1995,p. 105,par. 35;les italiques sont de nous.)

49 6. Monsieur le président,il ressort clairement de la jurisprudence que, selon le principe

énoncéen l'affaire de l'Or monétaire, lesintérêts juridiques de1'Etat absent ne constitueraient

«l'objet mêmede ladite décision))que dans le cas ou la Cour devrait statuer sur ceux-ci a titre

préalablepour parvenirà la décision. Cependant, encas d'éventuelleresponsabilité collectivede

plusieurs Etats,commeen I'affaire de Nauru, le principe énoncéen I'affaire de l'Or monétairene

fait pas obstacleau prononcé judiciaire. Il en est ainsi parce que la Cour n'est pas tenue -du

point de vuea la fois de la chronologie et de la logique de statuer au préalablesur les intérêts

juridiques desEtatsabsents pour parvenir une décisionen l'affaire.

7. Si l'on appliqueces principes aux circonstances de l'espèce,il apparaît clairement que les

opérationsmilitairesdirigées contrela République fédéralee Yougoslavie constituaient une action

collective de tous les Etats membres de l'OTAN. Tous ces Etats ont décidé d'engager etde

poursuivre les opérationsmilitaires. Tous ces Etats ont participé au choix des cibles. Ainsi qu'il

est dit dansle Manuelde 1'OTAN,publication officielle de l'OTAN :

«Lorsque des décisionsdoivent êtreprises, elles le sont a l'unanimitéet d'un
communaccord. Il n'y a ni vote ni décisionà la majorité.Chaque pays représenté au
Conseil ou à l'un quelconque de ses comités subordonnés conserve son entière souverainetéet la pleine responsabilitéde ses décisions.)) (Manueldel'OTAN,2001,
p. 150, la version française est disponible à l'adresse: www.nato.int/docu/manuel/
2001/hb070101f.htm.)

8. La Cour devra donc se prononcer à I'égarddes actes des Etats défendeurs,et des Etats

défendeurs seulement. A cette fin, elle n'est pas tenue de statuer au préalablesur les intérêts

juridiques d'un quelconque Etat qui ne serait pas partie la procédure. Il ne s'agitpas là en effet

d'une condition préalable, logique, à la décision dela Cour. C'est en ce sens que la présente

instance doit êtrerapprochée de celle de Nauru, dans laquelle la Cour devait procéder à la

déterminationde la responsabilité de l'Australie, opération théoriquement simultanéea une

éventuelle déterminationde la responsabilitédu Royaume-Uniet de la Nouvelle-Zélande.

9. Monsieur le présiderit, certains Etats défendeurs,qui ont du mal à distinguer entre les

affaires en cours et l'affaire de Nauru, affirment que, dans cette dernière, les parties absentes

avaient un rôle relativement secondaire, mineur ou accessoire, alors quel'Australieavaitjouéun

rôle prédominant. Dans les présentes instances, selon eux, l'acteur principal ne comparaîtra pas

devant la Cour (exceptionsprkliminaires du Canada, p. 58, par. 197;exceptionspréliminairesde la

Républiqueportugaise, p. 43, ]par.143;exceptions prélimmairesdu Royaume-Uni,p. 94,par. 6.22;

exceptionspréliminairesdu Royaume des Pays-Bas, p. 61-62,par. 7.2.23-7.2.24).

10.Toutefois, le rôle particulier joué parl'Australie dans le régimedu mandatet de tutelle
50

sur Nauru n'a pas conduit à appliquer le principe de l'Or monétaire dans l'affairede Nauru. Au

contraire,dans son analyse, la Cour s'est attachéela question de savoir si,pour statuer dans cette

instance visant l'Australie, elle aurait obligation, titre préalable, de statuer sur les intérêts

juridiquesd'Etats tier:la Cour a conclu que tel n'était pas le cas.Il en aainsidansl'affairede

Nauru, et il en va de mêmedans les présentes instances.

11.Certains Etats défendeurssoutiennent que le principe de l'Or monétaire est applicablà

l'égardde l'OTAN elle-même (exceptions préliminaires de la République française, chap. II,

sect.3, p. 38 et suiv., par. 29 et suiv.; exceptions prélimiriairesde la République italienne,p. 51et

suiv.; exceptions préliminaires de la République portugaise, p. 43-44;et exceptions préliminaires

du Royaume des Pays-Bas, p. 54, par. 7.2.2). Ils affirment que les intérêtjsuridiques de l'OTAN

constituentl'objet même dela.décisionet que, en l'absence de l'OTAN,la Courne peutpoursuivre

l'examen del'affaire. 12. D'emblée,il convient de noter que le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne

n'invoquent pas cet argument. De toute évidence, les défendeurs n'ont pas tous la même

perception de la naturede'OTANet de sonrôle dans l'intervention militaire de 1999. En tout état

de cause,la Serbieet Monténégro considèrq eue le principe de'Or monétairen'est manifestement

pas applicableàl'égardde l'OTAN.

13.Tant l'applicationde ce principe quelesmotifs qui y ont conduit ont toujours éliésaux

Etats. Dans sa jurisprudence, la Cours'est systématiquementréférée à des Etats. Il n'y a pasle

moindre indicequi laisserait entendre que leprincipe pourrait êtreappliqué à d'autres sujets de

droit international,ce quiest logique, tantt vrai que l'argumentation de l'Or monétairegarantit

le principefondamentalselon lequella compétencede la Cour doit êtrefondée sur leconsentement

des Etats. La position d'autres entités esttout simplement dénuéede pertinence, parce que la

procédure contentieusedevantla Courne leur est pas ouverte.

II. La personnalitéjuridique de l'OTAN a-t-elle pour conséquence quela responsabilité des
Etats défendeursne saurait être engagéeen l'espèce ?

14.Monsieur leprésident, certains Etatsdéfendeurs soutiennent que les griefs qui motivent

les présentes affaine concernent pas leursactesmais plutôt ceux de I'OTAN (voir, par exemple,

CR 2004112,p. 24, par. 50 (Abraham)). Dèslors, étantdonnéque, de par sa nature d'organisation

internationale, l'OTANest dotéed'une personnalitéjuridique internationale, c'est l'OTAN qui

devrait être tenue pour responsablee,t non les Etats membràstitre individuel (voir, par exemple,

51 CR200419,p. 22, par.4.8 (GalvaoTeles); exceptions préliminaires de la République française,

chap.II, p.36, par. 23; exceptions préliminairesde la République italienne, p. 52-54; exceptions

préliminaires de la République portugaisp,. 38-42, par. 130-141).Il me faut là encore rappeler

que cette objectionn'a étésoulevée que parcertains Etats défendeurs. De fait, il semble que la

majoritédes Etats défendeurs admettent pouvoiêtreen principe tenus pour responsables des actes

accomplis dans le cadrede l'OTAN.

15.Je voudrais d'emblée relever, Monsieurle président, que la nature de la responsabilité

de l'OTAN et de ses Etats membres, ainsi que l'imputation fractionnée de cette responsabilité

à l'OTAN d'une part, à ses Etats membres de l'autre, puis entre les Etats membres

eux-mêmes, constituent manifestement unequestion qui relève du fond et ne revêtpas lecaractère exclusivement préliminaire visé au paragraphe7 de l'article 79 du Règlement (voir

Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c.Au~tralie),exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 1992, p. 258-259, par.48).

16.Il serait d'ailleurs, Monsieur le président,parfaitementaberrantd'admettre l'idéeque, en

créantune organisation internationale et en agissant dans le cadrede celle-ci, les Etats puissent se

soustraire aux obligations et aux responsabilitésqui sontlesleurs envertu du droit international, et

en particulier a des normes impératives telles quel'interdictionde l'emploi de la force et du

génocide.

17.En outre, l'article 103de la Charte des NationsUniesdisposeexpressémentqu'en cas de

conflit entre les obligations que les Membres de I'Orgariisationdes Nations Unies tiennent dela

Charte et celles qu'ils tiennent de tout autre accord international,ce sont les obligations édictées

par celle-là qui prévalent. Aussi les Etats défendeursconservent-ilsl'entière responsabilité de

toutes les violations de la Charte des Nations Unies et, selon moi, de toutes les violations du

jus cogens, pour laraison que les obligations dérivantde ces deuxsources de droit priment sur tout

autre accord, y compris le Traité del'Atlantique Nord.

18. Sauf votre respect, l'affirmation des défendeursselonlaquelle les Etats membres d'une

organisation internationale ne peuvent, par principe, êtretenus pour responsables des actes de

l'organisation est incorrecte et trompeuse.

19. Ily a quelque temps, cette question a étéétudiée en détaildans un rapport établipour

l'Institut de droit international par le juge Higgins, alors professeur. L'étudeelle-même, etla

résolutionadoptéepar l'Institut, ne semblentpas épouserl'idée généraq lue les Etats membres ne

sont simplement jamais responsables des actes d'une organisationinternationale. La conclusion

semble plutôt êtrequ'il n'existe aucune règle générale e,n droitinternational, qui dispose que les

Etats membres doivent être .tenuspour responsables dei,actes d'une organisation internationale.

Ainsi que l'auteur du rapport l'a fait observer

«Notre conclusion est que, à la lumière des sources reconnues du droit
international, il n'existe aucune règle qui dispose que les Etats membres ont une
responsabilité juridique à l'égard destierces parties en cas d'inexécution, parles
organisations intematilonales, de leurs obligationsenversles tiers en question.))(Les conséquencesjuridiques pour les Etats membres de l'inexécution par des
organisationsinternationalesde leurs obligations envers des tiers,apport provisoire,
Annuaire de l'Institut de droit international, vol. 66, première partie, session de
Lisbonne (1995),p. 415, par. 113.) [Traduction du Greffe.]

20. Cela étant, Monsieurle président,il n'est pas question dans les présentesaffaires de la

responsabilitédYEtatsmembres àl'égard d'obligationsincombant à une organisation internationale,

c'est-à-dirà l'OTAN. Ce dont il est question dans ces affaires, c'est plutôt de la responsabilité

individuelledes Etatsdéfendeurseux-mêmes au titre de leurs propres actions.

21. La Serbie et Monténégrone conteste pas que l'OTAN ait une personnalitéjuridique

internationale dans certains domaines limités (voir, par exemple, la convention sur le statut de

l'organisation du Traité de l'Atlantique Nord, des représentants nationaux et du personnel

internationalconclue àOttawa le 20 septembre 195l), mais elle n'en reste pas moins une alliance

militaire.

22. S'agissant de l'emploi dela force, l'instrument fondateur de l'OTAN -le Traitéde

l'Atlantique Nord- est clair et direct. Aux termes de son article 5, qui est reproduit sous

l'ongletno4 (p. 2) du dossier d'audience:

«Lesparties conviennent qu'une attaque arméecontre l'une ou plusieurs d'entre
elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considéréecomme une
attaque dirigée contretoutes les parties, et en conséquence elles conviennentque, si
une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime

défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des
NationsUnies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt,
individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera
nécessaire,y compris l'emploi de la force armée,pour rétabliret assurer la sécurité
dansla régionde l'Atlantique Nord.))

23. Par conséquent, d'aprèsl'article 5, si l'une des parties fait l'objet d'une attaquearmée,

chaque partie -non l'Organisation en tant que personne juridique distincte- doit prendre

((individuellementet d'accord avec les autres parties)) telle action «qu'elle jugera nécessaire)).De

touteévidence,la décision finaled'employer la force appartient aux Etats a titre individuel,et cela

resteun pouvoir souverain desmembres de l'OTAN.

24. En outre, le Manuel de 1'OTAN,quej'ai déjàcité, précise très clairemenq tue (([clhaque

paysreprésentéau Conseil ou àl'un quelconque de ses comités subordonnésconserve sonentière

souverainetéet la pleine responsabilitéde ses décisions))(Manuel de 1'OTAN,2001,p. 150[version

françaisedisponibleà l'adresse suivant:http:ilwww.11ato.int/docui1 h bni01e01f.iii]).53 25.Monsieur le président,ce ne sont pas les seuls élémentsqui démontrent que chaqueEtat

membrede l'OTAN a décidé individuellemenq tue les opérationsmilitaires devaientêtrelancéeset

poursuivies,et pris la décision souverained'employer la force arméecontre la Yougoslavie. Que

cela ait été faitdans le cadre d'une alliance militaire ne change rien au fait que les décisionssur

l'emploide laforce ont étprises en dernierressort par les gouvernements nationaux.

26. Atitre d'exemple, la France figurant parmi les Elats défendeursayant soulevél'objection

qui nous occupe ici, je citerai ilinpassage d'un communiqué publiépar les autorités françaisesle

24mars 1999 :«En conséquence,le présidentde la République, en accord avec le gouvernement,a

décidéla participation des forces françaises aux actions niilitaires devenues inévitables,qui vont

êtreengagéesdans le cadre de l'Alliance atlantique.)) (Communiqué disponible à l'adresse

suivante:w~~v.divlon~atie.r~ou~~.fr/actual1dossiers/kossovo~kossovo3.html.~

Je citerai également uin extrait d'une déclaration faite par le chancelier allemand,

M.Schroder :

«Les soldats de lia Bundeswehr participent également à cette mission de
l'OTAN. C'est ce qu'ont décidé leGouvernenient allemand et le Bundestag,
conformémentau vŒude la grandemajoritédu peuple allemand.

Ce n'était pasune décision facilà prendre pour le Gouvernement allemand.. .»
(Communiqué disponible à l'adresse suivante : ~\rww.bundeskanzler.dc/Redci7-

.7715.8165/Erklaeruiig-vm-Bundeskmler-droeer-. ..htin.)

27.Monsieur le présidenit,outre le fait que les Etats défendeursont pris, individuellementet

en accord avec les autres, la décisionde lancer et de poursuivre des frappes aériennescontre la

Yougoslavie,leurs autorités nationalesavaient le pouvoir d'approuver ou de rejeter les choix de

cibles,élémenp tertinent aux firisde déterminerleur responsabilité internationale. Une déclaration

faitepar le ministre de la défense néerlandaisdevant le Parlement des Pays-Bas montre clairement

que lamaîtriseultime des opérationsmilitairesappartenait àchacun des Etats membres :

«Les militaires néerlandaisbasés à Vicence se sont systématiquement assurés
que les cibles attribuéesux F-16 néerlandaispar le SACEUR (commandant suprême
des forces alliées en Europe) correspondaient ce qui constitue ànos yeux des cibles

54 légitimes. Il a étéconvenu qu'en cas de doute, le chef du personnel de défense
informerait le cabine...Les Pays-Bas ont le droit de considérer que le déploiement
de ces armes [les bomb~es à fragmentation] est injustifié dans certaines situations.
Bien entendu, nos alliéssont informés lorsque tel est le cas, mais d'un point de vue
formel,la question n'en relèvepas moins de la compétence néerlandaise. Le cabinet
estresponsable du déploilemendt es forces néerlandaises.)) 28. En conclusion, il est clair que, par principe, les Etats défendeursne sauraient s'abriter

derrièrela personnalitéjuridique internationalede l'OTAN pour échapperà leur responsabilité. De

plus, les Etats défendeursont, en leur qualitéd'Etats souverains, pris la décision souveraine de

lancer et de poursuivre des opérations militairescontre la Yougoslavie, maîtrisant le choix des

cibles. Qu'ils l'aient faiten accordavec d'autres Etatsmembres de l'OTAN ne saurait les mettre

hors de cause, car la décisionn'en étatasmoinsla leur.

111.L'ETAT DEMANDEURA-T-ILSUFFISAMMENTBIENSPECIFIELES ACTES

QU'ILIMPUTEAUX ETATS DEFENDEURS ?

29. Monsieur le président,j'en viendraimaintenantà l'exception selonlaquelle la Serbie et

Monténégron'a pas préciséquelsactes elleattribue spécifiquement à chaque Etat défendeur (voir,

par exemple, les exceptions préliminairesde la République française, introduction, p. 2-4,

par. 9-15, chap. II, p. 34, par. 17;exceptionspréliminairesdu Royaume de Belgique, p. 9, par. 28;

exceptions préliminaires du Royaume desPays-Bas,p. 51 et suiv., par. 7.1.1 et suiv.; exceptions

préliminaires duRoyaume-Uni,p. 92,par. 6.1 8).

30. A des fins de commodité,il me sembleopportun de répartir en troiscatégoriesles actes

des Etats défendeurs aujourd'huien cause:

- la première catégorieconcerne les décisionsrelatives à l'engagement et à la poursuite des

opérations militairescontrela Yougoslavie;

- la deuxième concernecellesrelativesauchoixdes cibles;

- la troisième recouvre certains actes de guerre spécifiques,dont relèvent notamment le choix

des armes utiliséeset l'aideapportée laprétendue((armée de libération duKosovo».

55 31. Nous soutenons que, s'agissant des décisions relevant de la première catégorie -à

savoir celles de lancer et de poursuivre les opérationsmilitaires-, l'exception relative a la

spécificitédes allégationsdoit être rejeté. ommenous venons de le détailler,chacun des Etats

défendeurs a pris la décision d'envoyerses forces armées contre la Yougoslavie, et chacun a,

individuellement et en accord avec les autres, commencé, poursuiviet cautionné lacampagne de

bombardements. C'est par référence à cesactesque la Serbieet Monténégro affirme que les Etats

défendeurs ont violé, entreautres,leur obligation dene pas recouàila force. 32. S'agissant de la deu:cièmecatégorie d'actes- àsavoir les décisionsconcernantle choix

des cibles, l'exception relativàla spécificité desallégationsdoitégalement êtrreejetée. Ainsi

que nous venons de le démontrer,tous les Etats défendeurs avaient leurmoà dire quantau choix

des cibles et il étaitloisiblehacun d'opposer son veto à l'égard detelle ou telle d'entreelles.

Ces actes et omissions engagent la responsabilité des Etats défendeurs à raison de diverses

violationsdu droit internationalhumanitaire etde la convention sur le génocide.

33.En ce qui concerne liatroisième catégorie d'actesà savoir lesbombardementsetautres

actes de guerre spécifiques il se pourrait effectivement que les allégationsdudemandeurn'aient

pas présenté le mêm deegré de précision que dans le cas des deux autres catégories. Toutefois,

outre que l'affaire soumisàli3Cour porte sur des opérationsmilitaires conjointes,l'ensembledes

Etats défendeurs ont expresstjment reconnu et approukéchaque bombardement en particulier.

Nous estimons que c'est aux Etats défendeurs qu'il incombe de démontrerque leursforcesn'ont

pas, dans les faits, pris part aux bombardements spécifiques quiont emportéviolationdu droit

international.

34. A titre subsidiaire, la Serbie et Monténégro soutient que cetteexceptionne présente de

toute évidencepas un caractère exclusivement préliminaireau sens du paragraphe7 del'article79

du Règlement. La question de savoir si le demandeur a suffisammentétayéses allégationsdans le

cas de chaque Etat défendeur.relèveclairement du fond (:voirl'affaire de la Frontière terrestreet

maritimeentre le Cameroun et le Nigéria (Camerounc.,Vigéria),exceptions préliminairesa,rrêt,

C.I.J.Recueil1998, p. 319, pal-.100). En outre, l'exception relaàila spécificidesallégations

recouvre desquestions telles que lerôle d'Etats défendeursparticuliersdanslecadredesopérations

militairesconjointes, leur rôle dans certains bombardements, et, en dernièreinstance,l'imputation

de la responsabilité etsa ventilation. Mais pour examiner ces questions, la Cour devraiten fait

statuer sur le fonddu différend (voirctivitésmilitaires etparamilitaires au Nicaraguaet contre

celui-ci (Nicaraguac. Etats-Unis d 'Amérique),fond,arrér,C.I.J. Recue1986, par.41,p. 31).

56 IV. TRAITES BILATERAUXAVEC LA BELGIQU ETLES PAYS-BAS

35. Monsieur le président, la Serbie et Monténégroa invoquédeux traitésbilatérauxen tant

quebases de compétenceadditionnelles dans le cadre des instancesl'opposanàla Belgiqueet aux

Pays-Bas. L'un est letraité de règlementjudiciaire, d'arbitrage et deconciliation entreleRoyaumede Yougoslavie et les Pays-Bas de1931 (dénomméci-après «traité de 193 1)));l'autre est la

conventionde conciliation,derèglement judiciaire etd'arbitrage entre le Royaume de Yougoslavie

et la Belgique (ci-aprèsdénommée ((conventio dne 1930))). Tant les Pays-Bas que la Belgique ont

soulevédes exceptions àl'égardde ces deux traités.

La conventionde Viennede 1978 sur la succession d'Etats en matièrede traités

36. Je voudrais toutd'abord rappeler un fait notoire, Monsieur le présidentà savoir que la

convention deVienne de 1978sur la succession d'Etats en matière de traitésn'est pas en vigueur

entre la Serbie et Monténégro et les deux Etats concernés et ne relève dès lors pas du droit

conventionnelapplicableauxprésentesespèces.

37. Toutefois, tant la Belgique que les Pays-Bas soutiennent que les dispositions de la

conventionde Vienne de 1978relatives aux ((Etatsnouvellement indépendants))devraient en réalité

s'appliquerà la présente espèceen tant qu'elles ressortiraient au droit international coutumier

(exceptions préliminairesdu Royaume de Belgique, p. 140-143, par. 430-434; exceptions

préliminairesdu Royaume desPays-Bas, p. 42, par. 6.11). La Serbie et Monténégrone saurait

admettre cette allégation.

38. Comme laCour n'est passans le savoir, la convention de Vienne de 1978 établitune

distinction claire entrele cas dl«Etats nouvellement indépendants))(partie III de la convention) et

celuide l'«unification et [dela] séparatd'Etats»(partie TV).

39. La notion dlcEtats nouvellement indépendants))est limitée aux Etats accédant a

l'indépendanceau terme d'un processus de décolonisation : colonies, territoires sous tutelle,

mandats et protectorats,par exemple (voir le rapport de la Commission à l'Assembléegénérale,

Nations Unies,doc.A/9610/Rev.l (1974), in Annuaire de la Commission du droit international,

1974, p. 180,par.7-8). Il a toutefois étéadmis que l'éclatementde l'ex-Yougoslavie ne relevait

pas de la décolonisationmais constituait une dissolution (voir, par exemple, Opinion no8,

Conference on Yugoslavia Arbitration Commission (Badinter Commission) [commission

d'arbitrage de la conférencesur la Yougoslavie (Commission Badinter)], 31 ILM 1488, p. 1521

(no6, novembre 1992)). L'ancienne Yougoslavien'étaitpas une puissance coloniale et la RFY,

ainsi que les autres Etatsqui lui ont succéd,'étaientpas des territoires dépendantsau sein de l'ex-Yougoslavie. 11ne saurait donc faire de doute que les Etats défendeursne sont aucunement

57 fondés à invoquer les règles relatives aux «Etats nouvellement indépendants)) :ces règlesne sont

tout simplementpas applicables aux cas de dissolutions tels que celui de l'ex-Yougoslavie.

40. Mêmesi les dispositions en question de la convention de Vienne de 1978 étaient

applicablesau cas d'espèce entant que relevant du droit international coutumie- maisellesnele

sont pas-, l'ensemble de dispositions pertinent serait celui relatif à l'«unification e[à la]

séparationd'Etats)). Bien évidemment,cela ne serait d'aucune utilité pour lesdéfendeurs.

41. Je voudrais néanmoinsrépéterque les règles de la convention de Vienne de 1978ne

s'appliquent pas en l'espèce, pas davantage en tant que droit conventionnel qu'en tant que droit

internationalcoutumier.

ActesdesEtats parties à la convention de 1930et au traité de1931

42. Monsieur le président, laSerbie et Monténégro affirmeque la question de lasuccession

de la RFYaux traitésbilatéraux.et multilatérauxconclus par l'ex-Yougoslavie doitêtreconsidérée

avant tout à la lumière des actes des Etats parties à ces traités, qu'ils soient bilatérauxou

multilatéraux. Je m'attacherai donc à démontrer que tant la Belgique que les Pays-Bas

maintenaienten vigueur, à l'égardde la RFY, les accords bilatérauxpar lesquelsils avaientétliés

àI'ex-Yougoslavieet notamment les deux traitésbilatérauxquinous intéressentici.

La conventionde 1930entre la Belgique et la Yougoslavie

43. Monsieur leprésident.,la Belgique a adopté une position claireet dépourvued'ambiguïté

lorsqu'elle a affirmé que, dansl'attente d'un accord sur les questions de successionavec la RFY,

tous les traités bilatérauxen vigueur entre elle-même et I'ex-Yougoslaviecontinueraientde l'être

entre la Belgiqueet la RFY. Cette position a étéexpriméeen 1996, dans une lettre duministre des

affairesétrangèresde laBelgique :

«A ce propos, la Belgique part du principe que les accords bilatérauxliant,

d'une part, le Royaume de Belgique ...et, d'autre part, la République socialiste
fédérativede Yougoslavie, continueront à produire leurs effets jusqu'à ce qu'ilsaient
étésoit confirmés soitrenégociéspar les deux parties.)) (Lettre adresséeau ministre
des affaires étrangèresde la Républiquefédérale de Yougoslaviepar le ministrebelge
des affaires étrangères, en date du 29 avril 1996, reproduite à l'annexe74 des
exceptionspréliminairesdu Royaume de Belgique, annexes, vol. 2.) 44. Cette déclaration liaitlaBelgiqueet, quanàla RFY, elle étaiten droit de s'en prévaloir.

Premièrement, elle figuraitdans une lettre du ministre des affaires étrangères, qui, de par ses

fonctions,estindubitablementhabilitéà accomplirpareilles activitésconventionnelles età lier ainsi

1'Etat. Deuxièmement,l'intention ainsiexpriméepar la Belgique dedemeurer liée, à l'égardde la

RFY, par les traitésbilatérauxen vigueur entre elle-mêmeet l'ex-Yougoslavie ne reposait sur

aucune prémisseen particulier, ni n'était subordonnée d'aucune autre manière à une condition

quelconque. La positionbelgeestdénuée d'équivoque : tousles traitésbilatéraux, sansexception,

demeurenten vigueur. Enoutre,la RFY a acceptécette position,notamment lorsqu'elle a invoqué

la conventionde 1930devantla Cour. Ilne saurait donc faire de doute que la convention de 1930,

traité bilatéral litt I'ex-Yougoslavieet la Belgique,était envigueur entre la Belgique et la RFY

au moment où cette dernière s'en est prévalue pour fonder la compétence de la Cour, le

12 mai1999.

45. La Belgique soutient que le ministre des affaires étrangères faisait, dans sa lettre,

référence aux traitésbilatéraux énumérd éasns diverses listes établies par les deux Parties, et que

cette correspondance ne se rapportait pas à la convention de 1930 (CR 200416, p. 36, par. 75

(Bethlehem); exceptions préliminaires duRoyaume de Belgique, p. 144-145, par. 442-443).

Toutefois, le libelléde la lettre est dénd'ambiguïté :la déclarationconcerne tous les traités, et

non exclusivement ceux mentionnésdans les listes provisoires. En outre, les listes ont été

distribuéesavant etaprèsl'envoide lalettre. 11ne s'agissait pas de listes définitives,mais bien de

listes provisoires, destinàefaciliterles négociations. Cesnégociationsn'ont pas été conclueset

il n'existà,cejour, aucun accorddéfinitifentre les Parties. Dans ce contexte, ainsi que le prévoit

la lettre du ministre belge des affaires étrangères, tous lestraités en vigueur entre l'ancienne

Yougoslavie et la Belgique continueront à produire leurs effets entre la RFY et la Belgique

((jusqu'àce qu'ils aient ésoit confirméssoitrenégociéspar les deux Parties)).

46. La Belgiqueaffirmeégalementque la convention de 1930 s'étaitéteinte«que ce soit par

caducitéou par désuétudeou sur la base du consentement implicite des Parties)) (exceptions

préliminaires du Royaume de Belgique, p. 134-138, par. 412-423; voir également CR200416,

p. 32,par. 60 (Bethlehem)).59 47. Toutefois, la convention de Vienne sur le droit des traitésne prévoitpas une telle

extinction par caducité ou désuétude. L'article 54 de la convention de Vienne dispose que

l'extinction d'un traité peut avoir lieu a) conformémentiiuxdispositionsdu traité;ou b«[à]tout

moment, par consentement de:toutes les Parties, aprèsconsultationdes autresEtats contractants)).

Aucune de ces conditions n'a été remplie en l'espèce.

48. Tout d'abord, la convention de 1930 ne s'est pas éteinte conformément à ses

dispositions. La Belgique l'a admis (ibid., p. 135,par. 41b)).Dansle même temps, elle soutient

qu'il n'étaitpas prévu que la convention de 1930 aurait des effets perpétuels,mais sans apporter

d'élémentsde preuve à l'appui de cette thèse. Bien au contraire, il découleclairement des

dispositions de la convention de 1930que celle-ci est denieuréeen vigueur.

49. L'article 54 de la convention de Vienne sur le droit des traités prévoit, comme second

terme de l'alternative, qu'un traité peut s'éteindrà tout moment par consentement des Parties

«aprèsconsultation des autres Etats contractants)). La Belgique n'a fourniaucunélément attestant

pareil consentement ni consultation.

50. Monsieur le président, si la convention de Vienne ne prévoitni la caducité ni la

désuétude, celles-ciont étéévoquées dans le cadredes travauxpréparatoiresde la Commission du

droit international. Leur fondement en droit, d'aprèsla CDI, étaitle consentement desParties à

renoncer aux traités, consentjement qui doit ressortir implicitementde leur attituàel'égarddu

traité»(Annuaire de la Commission du droit international, 1966,vol.II,p. 258,par. 5). Toutefois,

la Belgique n'a produit aucun élément de preuvedont on pourraitconclureque les Parties auraient

ainsi implicitement consentià renoncer à la conventiondt: 1930.

51. Le fait que la convention de 1930n'ait pas été invoquéepar les Partiespendant plus de

soixante ans (exceptions préliminaires duRoyaume de Belgique,p. 135-136,par. 416 c))ne semble

guèrepertinent, au vu des relations amicales qu'ont entretenuesles deux pays au cours de cette

période.

52. Enfin, l'invocation par la Belgique de sa pratique avec d'autres Etats successeurs de

l'ex-Yougoslavie n'a aucune incidence sur ses relations avec la RFY et sur la présente espèce

(ibid., p. 136 et suiv., par. 416 d) et suiv.; voir égalementCR200416,p. 33, par. 65 (Bethlehem)).

Elle est simplement res inter czliosacta.60 Le traité de1931conclu entre les Pays-Bas et la Yougoslavie

53. Monsieur le président, j'aborderai maintenant le traité de règlement judiciaire,

d'arbitrageetde conciliation, conclu en 1931entre les Pays-Bas et la Yougoslavie.

54. Nous considéronsque les Pays-Bas, dans leurs communications avec la RFY avant

l'introductionde la présente instance, avaient clairement indiqué qu'ils considéraient le traité

de 1931commeétanten vigueurentre les deux Etats.

55. Revêt à cet égard une importance particulière la note diplomatique envoyée le

20mai 1997 par le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas (division des traités) à

l'ambassadede la RFY à La Haye, qui traite de la question de savoir quels traités bilatéraux

devaient demeureren vigueur. En annexe à cette note figurait une liste de traités,où le traité

de 1931étaitrépertorié sous le numéro. Je vaià présentciter les extraits pertinents de cettenote

diplomatique:

«Les Pays-Bas ont proposé que les accords mentionnés dans la liste, à
l'exceptionde ceux répertoriés sousles numéros 10, 11et 14, demeurent applicables

entrele Royaumedes Pays-Bas et la République fédérale deYougoslavie.

S'agissant du maintien en vigueur des accords répertoriés sous lesnuméros1
à4, 6 et 7, et de la cessation de l'applicabilité de l'accord numéro 10, la délégation
yougoslavese mettrait en rapport avec les autorités concernàeBelgrade...» (Note

diplomatiquedu ministèredes affaires étrangèresdes Pays-Bas (division des traités),
datée du 20 mai 1997, adressée à l'ambassade de la République fédéralede
Yougoslavie àLa Haye, mémoirede la RFY, annexe 178, p. 529-532.) [Traduction
duGreffe.]

56. Monsieur le président, le traitéde 1931 figure parmi ceux qui, selon cette note

diplomatique,doivent «demeure[r] applicables» à l'avenir.Il va de soi que les Pays-Bas ont dû

considérerque le traité de 1931 étaiten vigueur lorsqu'ils ont proposé qu'il soit maintenu en

vigueur. Cettenote diplomatique du ministère des affaires étrangèresdes Pays-Bas indiquait donc

clairementà la RFYque le traité de 191était envigueur.

57. La RFY n'a pour sa part jamais contesté cette position adoptée par les Pays-Bas. Les

positions respectives des deux pays n'avaient pas varié entre le 20mai 1997, date de

communicationde la note diplomatique, et le 12mai 1999, date à laquelle la RFY a invoquéle

traitéen questiondevant la Cour.

58.Le traité de 1931était donc incontestablement en vigueur le 12mai 1999. 59. Le fait que, en 2002, les deux Parties aient convenu que le traitéde 113ne serait pas

considérécommedemeurant enivigueur est sans rapport avec l'espèce. En premier lieu, il ressort

61 clairementdulibellé desnotes officielleséchangéesalorspar les deux Parties que l'accord n'aurait

que des effetsultérieuàsl'égarddes traitésénuméréd sans la (pièce jointe B («attachment»)»,où

figureletraitéde 1931: «Lestraités...mentionnésdansla piècejointe B ne serontpas considérés

commeétanten vigueurentre la [RFY]et les [Pays-Bas].)) (Note de l'ambassade de la République

fédéralede Yougoslavieaux Pays-Bas, en date du 9août 2002, adressée au ministèredes affaires

étrangères desPays-Bas; note du ministère des affaires étrangères des Pays-Bas, en date du

20 août 2002,adresséeà l'ambassade de la République fédéralede Yougoslavie, reproduite dans

l'affaire relatiàela Légalité del'emploi de la force, liouveaux documents présentéspar les

défendeursen applicationde 1'a.rticle56 du Règlementde la Cour, février 2004.)

60.Qui plus est, Monsieur le président,l'échangede notes de 2002 n'a aucune incidence sur

l'instanceen cours,parce queliadate pertinentà laquelle une base de compétence doit exister est

celle ou elle est invoquée devantla Cour -en ce qui nous concerne, le 12mai 1999. Si la

compétenceétait établie à ce moment-là, aucun fait extérieur ne pouvait ultérieurement avoir

d'incidences sur celle-ci (voir Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire,

arrêt, C.I.J.Recueil 1953, p. 123; Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde),

exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J. Recueil 1957, p. 142; Questions d'interprétation et

d'application dela convention de Montréalde 1971 résultantde l'incident aérien de Lockerbie

(Jamahiriyaarabelibyenne c. Royaume-Uni),exceptionspréliminaires, arrêt,C.I.J.Recueil 1998,

p. 18-19,par.38).

61. En conclusion, le tra.itéde 1931 ayant étéen vigueur entre la RFY et les Pays-Bas le

12mai 1999,date à laquelle il a étéinvoquédevant la Cour, les notes échangées entre lesdeux

Etatsultérieurement,àsavoir en 2002, sont sans incidence iur la compétenceainsi établie.

Lesdispositionsdesdeuxtraitésbilatérauxpouvaient-elles
fonderla compétencede la Cour ?

62. Monsieur le président, laBelgique et les Pays-Bas affirment tous deux que la RFY n'a

pas introduitles instancesen applicationdes dispositions des deux traités bilatéraux. 63. La Belgique prétend quela convention de 1930 ne peut constituer qu'une base de

compétencesubsidiaire en l'espèceet que l'invocationpar la RFY de la convention en tant que

base de compétence était prématurée (exceptions préliminaired su Royaume de Belgique,

p. 148-149, par. 455-459). Elle se fonde sur l'article de la convention, qui dispose : «Les

différends pourla solution desquels une procédurespécialeserait prévue pard'autres conventions

62 en vigueur entre les Hautes Parties contractantesserontréglés conformément auxdispositions de

ces conventions.))

64. Premièrement, il suffit de faire observer que, en l'espèce,un certain nombre de griefs

sont indépendants de la convention sur le génocideou de toute autre convention en vigueur

prévoyantla possibilité de saisirla Cour.

65. Deuxièmement, l'affirmationde laBelgique selonlaquelle le paragraphe 2 de l'article 36

du Statut instituerait en fait une procédurespécialeenvertud'une conventionen vigueur au sens de

l'article2 de la convention de 1930(exceptions préliminairesdu Royaume de Belgique, p. 149,

par. 457) doit également êtrerejetée. Au moment où la convention de 1930 a été rédigée,

l'expression ((conventionen vigueur))figuraitdéjà,par exemple,au paragraphe 1de l'article 36 du

Statut de la Cour permanente de Justice internationale,quidisposaitque la Cour aurait compétence

dans «tous les cas spécialementprévus dansles traitéset conventions en vigueur)). L'expression

«convention en vigueur))prend ici toutesa significationet renvoie aux traitésautres que le Statut

de la Cour.

66. Monsieur le président,je concluraien abordantbrièvementle traité de 1931 conclu avec

les Pays-Bas et l'affirmation selon laquellela RFYn'enauraitpas respectél'article 4. Le texte de

I'article4 est explicite -queles partiesaientoun'aientpasrecours à la procédurede conciliation,

elles peuvent soumettre leur litiged'uncommun accord parvoie de compromis)) soit àla Cour

pimanente, soità un tribunal arbitral. A défautd'accord entre les parties sur le choix de la

juridiction, l'une ou l'autre d'entre elles,issue d'unpréavisd'un mois, avaitla facultéde porter

le litige devant la Cour permanente.

67. Les Pays-Bas font valoir que la possibilitéaccordéeaux parties de choisir entre la Cour

permanente et un tribunal arbitral étaitune conditionnécessairepour qu'ils consententà être liés

par le traitéde 1931 et qu'un éventuel règlemenjtdiciaire par un tribunal arbitral faisait partie de l'objet et du but du traité(exc:eptionspréliminaires du Royaume des Pays-Bas, p. 34,par. 6.28;

p. 34, par. 6.31). Toutefois, cette affirmation est erronée, car le trait1931 lui-même prévoit

l'éventualité que les partiese s'entendent pas sur le choix du for et, dans ce cas, le recours

unilatéral la Cour.

68. Par ailleurs, s'il est vrai que, en vertu de l'article 4, les parties doivent commencer par

tenter de déciderd'un commun accord si elles veulent saisir la Cour permanente ou un tribunal

arbitral, dès lors que les possibilités deparvenirà un tel accord semblent avoir étéépuisées,

63 chacune des parties est libre d'agir unilatéralement. Dansune situation où les Pays-Bas etleurs

alliésavaient lancé des opérations arméecsontre laRFY, il étaitraisonnable pour cette dernière de

conclureque tout effort déployé pour parvenir àun accord sur le mode de règlementdu différend

seraitvoué à l'échecet de porter directement l'affaire devant la Cour (voir Personneldiplomatique

et consulairedes Etats-Unisà Téhéran,arrêC t,.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 52).

69. Enconclusion,nous a.ffirmonsrespectueusement qu'aucun obstacle n'empêche de fonder

la compétencede la Cour sur les dispositions de la convention de 1930conclue avec la Belgiqueet

dutraité de 1931conclu avec les Pays-Bas.

70.Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, ceci met fin aux exposés de la

Serbie et Monténégro pour le premier tourde plaidoiries. Je tiens a vous remercier de votre

attentionet de votrepatience.

Le PRESIDENT :Merci, Monsieur DjeriS. Votre exposémet un terme au premier tour de

plaidoiriesde la Serbieetontiinégro.

La Cour se réunirade nouveau le jeudi 22 avril 2004 à 10heures, pour le débutdu second

tour de plaidoiries, afin d'entendre les exposés de la Belgique, des Pays-Bas, du Canada et du

Portugal. Merci.

L'audience est levée.

La séance estlevée a 13 heures.

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