COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2018
2018
3 octobre
Rôle général
no 175
3 octobre 2018
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ, DE COMMERCE ET
DE DROITS CONSULAIRES CONCLU EN 1955
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, GAJA, BHANDARI, ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, IWASAWA, juges ; MM. BROWER, MOMTAZ, juges ad hoc ; M. COUVREUR, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 de son Statut et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
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Considérant que :
1. Le 16 juillet 2018, la République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis») à raison de violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu entre les deux Etats, qui a été signé à Téhéran le 15 août 1955 et est entré en vigueur le 16 juin 1957 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité de 1955»).
2. Au terme de sa requête, l’Iran prie la Cour de dire, juger et prescrire ce qui suit :
«a. Les Etats-Unis d’Amérique, du fait des sanctions du 8 mai et des autres sanctions annoncées qui sont décrites dans la présente requête et qui ciblent l’Iran, les Iraniens et les sociétés iraniennes, ont manqué aux obligations leur incombant envers l’Iran en application des paragraphes 1 des articles IV et VII, des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, du paragraphe 2 de l’article IX, et du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié ;
b. Les Etats-Unis d’Amérique doivent, par les moyens de leur choix, mettre fin sans délai aux sanctions du 8 mai ;
c. Les Etats-Unis d’Amérique doivent immédiatement cesser de menacer d’imposer les autres sanctions annoncées qui sont décrites dans la présente requête ;
d. Les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que rien ne soit fait pour contourner la décision que la Cour rendra dans la présente affaire et donner une garantie de non-répétition de leurs violations du traité d’amitié ;
e. Les Etats-Unis d’Amérique doivent verser à l’Iran, à raison de leur manquement à leurs obligations juridiques internationales, une indemnisation intégrale dont le montant sera déterminé par la Cour à un stade ultérieur de la procédure. L’Iran se réserve le droit de soumettre et de présenter à la Cour en temps utile une évaluation précise du montant de l’indemnité due par les Etats-Unis d’Amérique.»
3. Dans sa requête, l’Iran entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour ainsi que sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955.
4. Le 16 juillet 2018, l’Iran a en outre présenté une demande en indication de mesures conservatoires, en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
5. Au terme de sa demande en indication de mesures conservatoires, l’Iran,
«en son nom propre et en qualité de parens patriae des Iraniens, prie respectueusement la Cour d’indiquer, en attendant l’arrêt définitif en la présente affaire, les mesures conservatoires suivantes :
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a. Les Etats-Unis d’Amérique doivent immédiatement, par toutes les mesures à leur disposition, faire en sorte de s’abstenir d’appliquer et de faire respecter l’ensemble des sanctions du 8 mai, y compris les sanctions extraterritoriales, et s’abstenir d’imposer ou de menacer d’imposer les autres sanctions et mesures annoncées, qui sont susceptibles d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour ;
b. Les Etats-Unis d’Amérique doivent permettre immédiatement la pleine exécution des opérations déjà conclues, de façon générale ou en particulier, notamment aux fins de la vente ou de la prise à bail d’aéronefs de transport de passagers ou de pièces détachées et d’autres équipements d’aéronefs ;
c. Les Etats-Unis d’Amérique doivent, dans un délai de 3 mois, rendre compte à la Cour des mesures qu’ils auront prises en application des alinéas (a) et (b) ;
d. Les Etats-Unis d’Amérique doivent donner aux ressortissants et sociétés iraniens, américains et étrangers l’assurance qu’ils se conformeront à l’ordonnance de la Cour, et s’abstenir de toute déclaration ou de tout acte de nature à dissuader des personnes et des entités américaines ou étrangères d’engager ou de poursuivre des échanges commerciaux avec l’Iran et avec ses ressortissants ou sociétés ;
e. Les Etats-Unis d’Amérique doivent s’abstenir de prendre quelque autre mesure susceptible de porter atteinte aux droits conférés par le traité d’amitié à l’Iran, ainsi qu’à ses ressortissants et sociétés, relativement à toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de l’affaire.»
6. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement des Etats-Unis la requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Iran de cette requête et de cette demande.
7. En attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut ait été effectuée par transmission du texte bilingue imprimé de la requête aux Membres de l’Organisation des Nations Unies par l’entremise du Secrétaire général, le greffier a informé ces Etats du dépôt de la requête et de la demande.
8. Par lettres datées du 18 juillet 2018, le greffier a informé les Parties que la Cour, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, avait fixé aux 27, 28, 29 et 30 août 2018 les dates de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
9. Le 18 juillet 2018, le greffier a en outre informé les deux Parties que le membre de la Cour de la nationalité des Etats-Unis, se référant au paragraphe 1 de l’article 24 du Statut, avait fait part au président de la Cour de son intention de ne pas participer au jugement de l’affaire. Conformément à l’article 31 du Statut et au paragraphe 1 de l’article 37 du Règlement, les Etats-Unis ont désigné M. Charles Brower pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
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10. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité iranienne, l’Iran s’est prévalu du droit que lui confère l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Djamchid Momtaz.
11. Le 23 juillet 2018, le président de la Cour, agissant au titre du paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, a adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis une communication urgente pour inviter le Gouvernement américain «à agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus». Copie de cette lettre a été transmise à l’agent de l’Iran.
12. Par lettre datée du 27 juillet 2018, l’agent des Etats-Unis a fait savoir à la Cour que son gouvernement «s’oppos[ait] vivement à la requête de l’Iran, et ce, pour un certain nombre de raisons, et qu’i[l] consid[érait] que la Cour n’a[vait] manifestement pas compétence pour connaître de cette affaire». L’agent relevait en particulier que «[l]’ensemble des éléments de la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires présentés par l’Iran découl[aient] du plan d’action global commun», lequel ne comportait pas de clause compromissoire prévoyant la compétence de la Cour. L’agent indiquait également que «les questions dont l’Iran tir[ait] grief ne rel[evaient] pas non plus du champ d’application du traité d’amitié [de 1955], et échapp[aient] à la compétence limitée de la Cour prévue au paragraphe 2 de l’article XXI, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article XX de cet instrument».
13. Au cours des audiences publiques, des observations orales sur la demande en indication de mesures conservatoires ont été présentées par :
Au nom de l’Iran : M. Mohsen Mohebi, M. Alain Pellet, M. Sean Aughey, M. Samuel Wordsworth, M. Jean-Marc Thouvenin.
Au nom des Etats-Unis : Mme Jennifer G. Newstead, M. Donald Earl Childress III, Mme Lisa J. Grosh, sir Daniel Bethlehem.
14. Au terme de son second tour d’observations orales, l’Iran a prié la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
«(a) les Etats-Unis d’Amérique doivent immédiatement, par toutes les mesures à leur disposition, faire en sorte de s’abstenir d’appliquer et de faire respecter l’ensemble des sanctions du 8 mai, y compris les sanctions extraterritoriales, et s’abstenir d’imposer ou de menacer d’imposer les autres sanctions et mesures annoncées, qui sont susceptibles d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour ;
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(b) les Etats-Unis d’Amérique doivent permettre immédiatement la pleine exécution des opérations déjà conclues, de façon générale ou en particulier, notamment aux fins de la vente ou de la prise à bail d’aéronefs de transport de passagers ou de pièces détachées et d’autres équipements d’aéronefs ;
(c) les Etats-Unis d’Amérique doivent, dans un délai de 3 mois, rendre compte à la Cour des mesures qu’ils auront prises en application des alinéas (a) et (b) ;
(d) les Etats-Unis d’Amérique doivent donner aux ressortissants et sociétés iraniens, américains et étrangers l’assurance qu’ils se conformeront à l’ordonnance de la Cour, et s’abstenir de toute déclaration ou de tout acte de nature à dissuader des personnes et des entités américaines ou étrangères d’engager ou de poursuivre des échanges commerciaux avec l’Iran et avec ses ressortissants ou sociétés ;
(e) les Etats-Unis d’Amérique doivent s’abstenir de prendre quelque autre mesure susceptible de porter atteinte aux droits conférés par le traité d’amitié de 1955 à l’Iran, ainsi qu’à ses ressortissants et sociétés, relativement à toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de l’affaire.»
15. Au terme de leur second tour d’observations orales, les Etats-Unis ont prié la Cour de «rejeter la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République islamique d’Iran».
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I. CONTEXTE FACTUEL
16. A partir de 2006, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a, à la suite de rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique (ci-après l’«AIEA») critiquant la mise en oeuvre par l’Iran de ses obligations en vertu du traité de non-prolifération des armes nucléaires (ratifié par cet Etat en 1970), adopté un certain nombre de résolutions (1696 (2006), 1737 (2007), 1747 (2007), 1803 (2008), 1835 (2008) et 1929 (2010)) exhortant l’Iran à cesser certaines de ses activités nucléaires. Le Conseil de sécurité a également imposé des sanctions afin d’assurer le respect par l’Iran de ses engagements. Plusieurs Etats ont imposé des «sanctions» additionnelles à l’Iran.
17. Le 14 juillet 2015, l’Allemagne, la Chine, les Etats-Unis, la Fédération de Russie, la France et le Royaume-Uni, ainsi que le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la République islamique d’Iran, ont adopté un plan d’action global commun à long terme (ci-après le «plan d’action») concernant le programme nucléaire iranien. L’objectif déclaré de ce plan était de garantir la nature exclusivement pacifique du
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programme nucléaire iranien et d’entraîner «la levée de toutes les sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et des sanctions multilatérales ou nationales relatives [audit programme], y compris des mesures relatives à l’accès dans les domaines du commerce, de la technologie, des finances et de l’énergie». Une commission conjointe a été établie pour suivre l’application du plan d’action, et l’AIEA a été priée de surveiller et de vérifier la mise en oeuvre des mesures volontaires relatives au nucléaire énoncées dans le plan d’action.
18. Le 20 juillet 2015, par sa résolution 2231 (2015), le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a approuvé le plan d’action et appelé instamment à son «application intégrale conformément au calendrier qu’il prévoit» (par. 1). Par la même résolution, il a décidé notamment de lever, sous certaines conditions, un certain nombre de dispositions de ses résolutions antérieures sur la question nucléaire iranienne (par. 7-9) et a défini les mesures à prendre pour la mise en application du plan d’action (par. 16-20). Le plan d’action figure à l’annexe A de la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité.
19. Le 16 janvier 2016, le président des Etats-Unis a pris le décret 13716 par lequel étaient abrogés ou modifiés plusieurs décrets antérieurs portant sur les «sanctions» en lien avec le nucléaire iranien qui avaient été imposées à l’Iran et à ses ressortissants.
20. Le 8 mai 2018, le président des Etats-Unis a publié un mémorandum sur la sécurité nationale par lequel il mettait fin à la participation des Etats-Unis au plan d’action et ordonnait le rétablissement des «sanctions levées ou assouplies par des dérogations dans le cadre [dudit] plan d’action». Dans ce mémorandum, le président faisait observer que «des forces iraniennes ou soutenues par l’Iran [étaient] en marche en Syrie, en Iraq et au Yémen, et continu[aient] de contrôler certaines zones du Liban et de la bande de Gaza». Il ajoutait que l’Iran avait publiquement annoncé que l’accès de ses sites militaires serait refusé aux représentants de l’AIEA, et qu’en 2016 il n’avait pas respecté, à deux reprises, les quotas imposés par le plan d’action pour l’accumulation d’eau lourde. Le mémorandum présidentiel concluait qu’il était dans l’intérêt des Etats-Unis de rétablir les «sanctions» «aussitôt que possible», et «au plus tard dans un délai de 180 jours» à compter de la date du mémorandum. Il précisait aussi, entre autres, que le secrétaire d’Etat et le secrétaire au trésor devaient prendre toutes les dispositions nécessaires pour «rétablir les sanctions levées par le décret 13716 du 16 janvier 2016», pour réinscrire sur les listes pertinentes, le cas échéant, les personnes visées par les «sanctions» qui en avaient été radiées en application du plan d’action, ainsi que pour revoir les «modalités d’application des sanctions» pertinentes et accorder, selon ce qu’il convient, des dérogations limitées pendant le délai de liquidation.
21. Simultanément, l’Office of Foreign Assets Control (l’autorité américaine chargée du contrôle des avoirs étrangers) du département du trésor américain a annoncé que le rétablissement des «sanctions» se ferait en deux étapes. A l’expiration d’un premier délai de liquidation de 90 jours venant à échéance le 6 août 2018, les Etats-Unis rétabliraient un certain nombre de «sanctions» visant, notamment, les opérations financières, le commerce des métaux, l’importation de tapis et de denrées alimentaires d’origine iranienne et l’exportation d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces détachées connexes. A l’expiration d’un second délai de liquidation de 180 jours venant à échéance le 4 novembre 2018, les Etats-Unis rétabliraient des «sanctions» supplémentaires.
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22. Le 6 août 2018, le président des Etats-Unis a pris le décret 13846 qui rétablit certaines «sanctions» contre l’Iran et ses ressortissants. En particulier, la section 1 concerne le «gel des avoirs de toute personne qui aiderait le Gouvernement iranien à acheter ou à acquérir des billets de banque ou des métaux précieux des Etats-Unis ou qui traiterait avec certaines personnes physiques ou morales iraniennes désignées, avec les exploitants portuaires iraniens ou avec les secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime et de la construction navale». La section 2 concerne les «sanctions visant les comptes de correspondant et comptes de transit qui auraient un lien quelconque avec le secteur automobile iranien, avec certaines personnes physiques ou morales iraniennes désignées ou avec le commerce du pétrole, des produits pétroliers et des produits pétrochimiques iraniens». Les sections 3, 4 et 5 définissent la teneur et les modalités d’application d’un «éventail de sanctions visant le secteur automobile iranien et le commerce du pétrole, des produits pétroliers et des produits pétrochimiques iraniens». La section 6 concerne les «sanctions visant le rial iranien». La section 7 concerne les «sanctions visant le détournement de biens destinés au peuple iranien, le transfert à destination de l’Iran de biens ou de technologies susceptibles d’être utilisés pour la commission d’actes constitutifs de violations des droits de l’homme, et l’exercice de la censure». La section 8 concerne les «activités des entités détenues ou contrôlées par une personne physique ou morale américaine et établies ou maintenues en dehors du territoire des Etats-Unis». La section 9 abroge des décrets antérieurs par lesquels étaient mis en oeuvre les engagements pris par les Etats-Unis dans le cadre du plan d’action.
23. La section 2 e) du décret 13846 prévoit que certaines sous-sections de la section 3 ne s’appliquent pas à toute personne qui réalise ou facilite une opération concernant la fourniture, y compris la vente, de produits agricoles, de denrées alimentaires, de médicaments ou de matériel médical à destination de l’Iran.
II. COMPÉTENCE PRIMA FACIE
1. Introduction générale
24. La Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent, prima facie, constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire (voir, par exemple, Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 236, par. 15).
25. En la présente espèce, l’Iran entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour ainsi que sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié (voir le paragraphe 3 plus haut). La Cour doit, en premier lieu, rechercher si elle a compétence prima facie pour statuer sur l’affaire au fond, ce qui lui permettrait sous réserve que les autres conditions nécessaires soient réunies d’indiquer des mesures conservatoires.
26. Le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 dispose ce qui suit :
«Tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques.»
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2. Existence d’un différend quant à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié
27. Le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un différend quant à l’interprétation ou à l’application du traité. La Cour doit donc vérifier prima facie s’il est satisfait à deux conditions distinctes, à savoir qu’il existe un différend entre les Parties et que ce différend a trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité de 1955.
28. Comme la Cour l’a noté à plusieurs reprises, il existe un différend entre des Etats lorsque leurs points de vue quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales sont nettement opposés (voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 115, par. 22, citant l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50). Il faut que la réclamation de l’un d’entre eux «se heurte à l’opposition manifeste» de l’autre (Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328).
29. La Cour note que, dans la présente affaire, les Parties ne contestent pas l’existence d’un différend. Elles divergent cependant sur la question de savoir si ce différend a trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité de 1955.
30. A l’effet d’établir si le différend entre les Parties a trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité de 1955, la Cour ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient que le traité s’applique alors que l’autre le nie (cf. Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47). Elle doit au contraire rechercher si les actes dont le demandeur tire grief sont, prima facie, susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont elle pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae.
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31. L’Iran soutient que le différend entre les Parties a trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité d’amitié. Il affirme que ce différend est en rapport avec des manquements des Etats-Unis aux obligations qui leur incombent au titre, en particulier, du paragraphe 1 de l’article IV (traitement juste et équitable), du paragraphe 1 de l’article VII (interdiction des restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds), des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII (octroi du traitement de la nation la plus favorisée s’agissant de l’importation ou de l’exportation de certains produits), des paragraphes 2 (octroi aux ressortissants et sociétés du traitement national ou du traitement de la nation la plus favorisée s’agissant de l’importation ou l’exportation) et 3 (interdiction des mesures discriminatoires s’agissant de la capacité des importateurs et des exportateurs de souscrire une assurance contre les risques maritimes) de l’article IX et du paragraphe 1 de l’article X (liberté de commerce) du traité de 1955. Il explique que ces manquements résultent de la décision que les Etats-Unis ont prise le 8 mai 2018 de «rétablir et de faire appliquer les sanctions» qu’ils avaient précédemment décidé de lever en application du plan d’action, ainsi que de l’annonce par leur président de l’imposition de «nouvelles sanctions». L’Iran est d’avis que le plan en lui-même ne constitue que le contexte dans lequel les «sanctions» ont été prises. Il souligne que la décision des Etats-Unis de se retirer de ce plan n’est pas l’objet du différend qu’il a soumis à la Cour.
32. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955, qui énonce une liste de mesures à l’application desquelles le traité ne fait pas obstacle, l’Iran soutient que cette disposition n’exclut pas qu’un différend quant à ces mesures puisse avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité. Il fait observer qu’un tel différend peut surgir au sujet de l’application du paragraphe 1 de l’article XX et porter sur la licéité de mesures prétendument adoptées en vertu de cette disposition. En conséquence, selon lui, la Cour peut avoir compétence pour connaître d’un différend relatif à ces mesures. L’Iran rappelle que, dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1996 sur l’exception préliminaire en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a déjà estimé que le traité de 1955 ne contenait aucune «disposition excluant expressément certaines matières de [s]a compétence». Il rappelle en outre que la Cour a constaté que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX, qui dispose que le traité de 1955 ne fera pas obstacle, notamment, à l’application de mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une partie sur le plan de la sécurité, ne restreignait pas sa compétence dans cette affaire, mais offrait seulement aux parties une défense au fond qu’il leur appartiendrait, le cas échéant, de faire valoir le moment venu (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20). L’Iran soutient qu’il n’y a aucune raison en l’espèce que la Cour s’écarte de ses conclusions antérieures, selon lesquelles les dispositions de l’article XX du traité de 1955 prévoient des exceptions aux obligations de fond énoncées dans d’autres articles du traité, et non à la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI dudit traité.
33. L’Iran plaide en outre que, en tout état de cause, les «sanctions» annoncées le 8 mai 2018 ne relèvent pas des exceptions prévues aux alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955 invoqué par les Etats-Unis. En ce qui concerne l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX, qui ne fait pas obstacle à l’application de mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles», il soutient que les «sanctions» n’ont, de fait, pas trait à des substances fissiles et ne concernent pas leurs sources ni sous-produits. Il note qu’aucune des opérations visées par les «sanctions» ne concerne ces substances. Pour ce qui est de l’exception prévue à l’alinéa d)
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du paragraphe 1 de l’article XX, l’Iran fait valoir que, même si l’Etat qui l’invoque jouit d’un «large pouvoir discrétionnaire» dans la mise en oeuvre de cette disposition, l’exercice de ce pouvoir est soumis à l’obligation de bonne foi de l’Etat en question. Cet Etat doit établir que les mesures étaient véritablement «nécessaires à la protection de ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité». L’Iran ajoute que les allégations des Etats-Unis au sujet de ses activités liées au nucléaire sont contredites par de très nombreux documents émanant de la commission conjointe et de l’AIEA. Il soutient donc que les Etats-Unis n’ont pas été à même d’établir que les mesures étaient «nécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux [sur le plan] de [la] sécurité».
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34. Les Etats-Unis affirment que le différend entre les Parties n’a pas trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité de 1955. A ce propos, ils font d’abord valoir que le différend est né dans le cadre du plan d’action et est exclusivement lié à celui-ci. Ils soutiennent ensuite que les mesures annoncées le 8 mai 2018, qui constituent les violations alléguées du traité de 1955, sont en tout état de cause couvertes par les exceptions énumérées au paragraphe 1 de l’article XX dudit traité, en particulier aux alinéas b) et d), et que le différend ne relève donc pas du champ d’application ratione materiae du traité de 1955.
35. Les Etats-Unis soutiennent que le plan d’action est un instrument multilatéral distinct et qu’il n’y figure aucune clause compromissoire prévoyant la compétence de la Cour. Ils font valoir que la décision annoncée le 8 mai 2018 a été prise à la lumière du comportement de l’Iran après l’adoption du plan d’action et qu’elle était fondée sur des préoccupations en matière de sécurité nationale concernant des éléments spécifiques du plan. Selon les Etats-Unis, le plan d’action prévoit un autre mécanisme pour le règlement des différends, qui «exclut nécessairement, dans son texte et dans sa structure, le consentement à la compétence de la Cour, au bénéfice du règlement du différend par la voie politique».
36. En ce qui concerne la portée du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955, les Etats-Unis avancent que cet article prévoit que le traité ne fait pas obstacle à «l’application» des mesures qui y sont énumérées et que, par conséquent, la clause compromissoire concernant tout différend «quant à l’interprétation ou à l’application» du traité «ne s’applique pas aux mesures ainsi exclues». Ils affirment que la disposition en question est donc une disposition expresse soustrayant certaines mesures au champ d’application du traité et ils considèrent qu’elle exclut la compétence de la Cour à l’égard des demandes de l’Iran dans la présente affaire. Compte tenu de ce qui précède, les Etats-Unis concluent qu’il ne peut y avoir de différend «quant à l’interprétation ou à l’application» du traité en ce qui concerne ces mesures et que, en conséquence, la Cour n’a pas compétence prima facie.
37. Plus précisément, s’agissant de l’exception figurant à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX concernant les substances fissiles, les Etats-Unis font valoir que le libellé souple de ce texte ménage très largement toute la gamme des mesures qui pourraient être élaborées et adoptées pour contrôler et prévenir la prolifération de substances nucléaires sensibles. Ils affirment
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que les «sanctions» annoncées le 8 mai 2018 visent à combler les lacunes du plan d’action à cet égard. Quant à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX, les Etats-Unis considèrent qu’il confère une «large discrétion» à l’Etat qui l’invoque. Selon eux, le rétablissement des «sanctions» économiques contre le nucléaire, qui avaient été levées dans le sillage du plan d’action, est basé sur une décision fondamentale en matière de sécurité nationale, telle qu’énoncée dans le mémorandum présidentiel en date du 8 mai 2018, et relève de la disposition relative aux «intérêts vitaux sur le plan de la sécurité».
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38. De l’avis de la Cour, le fait que le différend entre les Parties soit né à l’occasion et dans le contexte de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’exclut pas, par lui-même, la possibilité que ce différend ait trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié (cf. Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21). D’une manière générale, certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments juridiques et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments. Pour autant qu’elles puissent constituer des manquements à certaines obligations découlant du traité de 1955, les mesures que les Etats-Unis ont adoptées après leur décision de se retirer du plan d’action ont un rapport avec l’interprétation ou l’application de cet instrument.
39. La Cour fait également observer que le plan d’action ne réserve pas au mécanisme qu’il établit compétence exclusive pour le règlement des différends quant aux mesures adoptées dans son contexte, qui peuvent relever de la compétence d’un autre mécanisme. Elle considère en conséquence que le plan d’action et son mécanisme de règlement des différends ne soustraient pas au champ d’application ratione materiae du traité d’amitié les mesures mises en cause ni n’excluent l’applicabilité de sa clause compromissoire.
40. La Cour note aussi que, alors que l’Iran conteste la conformité des mesures adoptées avec plusieurs dispositions du traité de 1955, les Etats-Unis invoquent pour leur part expressément le paragraphe 1 de l’article XX de ce traité. Les alinéas b) et d) de cette disposition se lisent comme suit :
«Le présent Traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
b) Concernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
d) Ou nécessaires à 1’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité.»
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41. Comme la Cour a eu l’occasion de le faire observer en l’affaire des Plates-formes pétrolières, le traité de 1955 ne contient aucune disposition excluant expressément certaines matières de sa compétence. La Cour a été d’avis que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX «ne restrei[gnait] pas sa compétence» dans cette affaire. Elle a estimé au contraire que cette disposition «offr[ait] seulement aux Parties une défense au fond qu’il leur appartiendra[it], le cas échéant, de faire valoir le moment venu» (voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique, exception préliminaire, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20).
42. La Cour relève que le paragraphe 1 de l’article XX définit un nombre limité de cas dans lesquels, nonobstant les dispositions du traité, les parties peuvent appliquer certaines mesures. La question de savoir si, et dans quelle mesure, le défendeur est en l’espèce fondé à invoquer ces exceptions est une question susceptible d’examen judiciaire qui relève donc pleinement de la portée ratione materiae de la compétence de la Cour «quant à l’interprétation ou à l’application» du traité en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI (voir également Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222).
43. La Cour considère que le traité de 1955 contient des règles instaurant la liberté de commerce et d’échanges entre les Etats-Unis et l’Iran, dont des règles spécifiques interdisant les restrictions à l’importation et à l’exportation de produits provenant de l’un ou l’autre pays, ainsi que des règles relatives aux paiements et aux transferts de fonds entre eux. De l’avis de la Cour, certaines mesures adoptées par les Etats-Unis, par exemple la révocation des permis et autorisations accordés pour certaines opérations commerciales entre l’Iran et les Etats-Unis, l’interdiction du commerce de certains produits, et les restrictions frappant les activités financières, pourraient être considérées comme ayant un lien avec certains droits et obligations des Parties découlant de ce traité. La Cour estime en conséquence que, à tout le moins, les mesures susvisées dont l’Iran tire grief sont effectivement, prima facie, susceptibles de relever du champ d’application ratione materiae du traité de 1955.
44. La Cour constate que les éléments mentionnés ci-dessus sont suffisants à ce stade pour établir que le différend entre les Parties a trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié.
3. La question du règlement satisfaisant par la voie diplomatique au sens du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié
45. La Cour rappelle que, aux termes du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, le différend qui lui est soumis ne doit pas non plus avoir été «réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique». De plus, le même paragraphe dispose que tout différend quant à l’interprétation ou à l’application du traité est soumis à la Cour, «à moins que les [Parties] ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques». La Cour note qu’aucune des Parties ne prétend qu’elles ont convenu d’un règlement de leur différend par tout autre moyen pacifique.
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46. En ce qui concerne la disposition figurant au paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, qui prévoit que le différend ne doit pas avoir été «réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique» avant d’être soumis à la Cour, l’Iran fait valoir qu’il suffit que la Cour prenne note du fait que tel est le cas. Il rappelle que la Cour a déjà jugé que, contrairement aux clauses compromissoires figurant dans d’autres traités qui sont rédigées différemment, le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 énonce une condition purement objective : le non-règlement du différend par la voie diplomatique.
47. En outre, l’Iran indique qu’il a adressé deux notes verbales à l’ambassade de Suisse à Téhéran (section des intérêts étrangers), qui sert de canal de communication entre les Gouvernements des Parties, les 11 et 19 juin 2018, respectivement. Il fait observer que, dans sa note verbale du 11 juin 2018, il affirmait, en particulier, que «les sanctions unilatérales prises par les Etats-Unis à [son] égard … [étaient contraires aux] obligations internationales de ceux-ci [et] [engageaient] leur responsabilité internationale». Il souligne que, dans sa note verbale en date du 19 juin 2018, figurait une référence expresse aux obligations des Etats-Unis énoncées dans le traité de 1955 ; par cette note verbale, l’Iran appelait non seulement les Etats-Unis à prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire immédiatement cesser ce manquement à leurs obligations internationales mais annonçait aussi que, si les Etats-Unis ne révoquaient pas leur décision du 8 mai 2018 au plus tard le 25 juin 2018, il «exercera[it] les droits dont il dispos[ait] en vertu du droit international applicable». L’Iran ajoute que, contrairement à ce qu’ils prétendent, il est assez invraisemblable que les Etats-Unis n’aient reçu la seconde note verbale qu’un mois plus tard, et après le dépôt de la requête de l’Iran, car le canal de communication entre les deux Etats fonctionne d’habitude correctement. Selon lui, aucune de ces notes verbales n’a jamais fait l’objet d’une réponse des Etats-Unis, ce qui confirme que le différend entre les deux Etats n’a pas été réglé par la voie diplomatique.
48. L’Iran considère qu’il a pleinement démontré que le différend n’a pas été «réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique» au sens du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955.
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49. Les Etats-Unis contestent cette position. En particulier, ils affirment qu’un demandeur ne peut introduire une instance au titre du paragraphe 2 de l’article XXI qu’au terme d’une véritable tentative de négociation menée sur l’objet du différend dans le but de régler celui-ci par la voie diplomatique. Ils soutiennent en outre que les négociations doivent porter sur l’objet du traité invoqué par le demandeur. Selon eux, l’Iran ne leur a jamais offert de réelle possibilité de concertation au sujet des violations alléguées du traité ni n’a jamais tenté d’obtenir satisfaction de ses griefs par la voie diplomatique. Les Etats-Unis font observer, en particulier, que, sur les deux notes verbales présentées par l’Iran, seule celle du 19 juin 2018 mentionne le traité et qu’elle n’a en outre été reçue par eux que le 19 juillet 2018, soit après le dépôt par l’Iran de sa requête. Quoi qu’il
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en soit, ils considèrent que les notes verbales iraniennes ne constituent pas une véritable tentative de négociation, puisqu’il n’y est pas «proposé de réunion, de date ou de modalités d’entretien, ni même demandé aux Etats-Unis de répondre». Les Etats-Unis ajoutent que, aux plus hauts niveaux politiques, ils «sont prêts à entamer le dialogue avec l’Iran si celui-ci entreprend sincèrement de traiter des questions qui préoccupent vivement la partie américaine».
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50. La Cour rappelle que le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 n’est pas formulé dans des termes semblables à ceux employés dans certaines clauses compromissoires figurant dans d’autres traités, qui, par exemple, imposent une obligation juridique de négocier avant de la saisir (voir Application de la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Georgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 130, par. 148). Au contraire, le libellé de ce paragraphe a un caractère descriptif et met l’accent sur le fait que le différend ne doit pas avoir été «réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique». Ainsi, point n’est besoin que la Cour examine si des négociations officielles ont été engagées ou si l’absence de règlement diplomatique est due au comportement de l’une ou de l’autre Partie. Il lui suffit de constater que le différend n’a pas été réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique avant de lui être soumis (voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 210-211, par. 107).
51. Dans la présente espèce, les communications adressées par le Gouvernement iranien à la section des intérêts étrangers de l’ambassade de Suisse à Téhéran (voir le paragraphe 47) n’ont suscité aucune réponse de la part des Etats-Unis et rien dans le dossier n’établit l’existence d’un échange direct entre les Parties sur cette question. En conséquence, la Cour note que le différend n’avait pas été réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique, au sens du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, avant le dépôt de la requête le 16 juillet 2018.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie
52. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle est compétente en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 pour connaître de l’affaire, dans la mesure où le différend entre les Parties a trait «à l’interprétation ou à l’application» dudit traité.
III. LES DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE ET LES MESURES DEMANDÉES
53. Le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder les droits de chacune des parties dans une affaire donnée, dans l’attente de sa décision finale. Il s’ensuit que la Cour doit veiller à sauvegarder par de telles mesures les droits qu’elle pourrait par la suite reconnaître à l’une ou l’autre des parties. Aussi ne
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peut-elle exercer ce pouvoir que si elle est convaincue que les droits revendiqués par la partie demanderesse sont à tout le moins plausibles (voir, par exemple, Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 126, par. 63).
54. Ainsi, à ce stade de la procédure, la Cour n’est pas appelée à déterminer de manière définitive si les droits que l’Iran souhaite voir préservés existent ; il lui suffit de décider si les droits que l’Iran fait valoir sur le fond, et qu’il cherche à préserver dans l’attente de la décision finale de la Cour, sont plausibles. En outre, il doit exister un lien entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées (ibid., p. 126, par. 64).
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55. L’Iran affirme que les droits qu’il tient du traité de 1955 et qu’il souhaite voir protégés sont plausibles dans la mesure où ils découlent d’une interprétation possible et d’une lecture normale du texte du traité. Il soutient en outre que les éléments de preuve dont dispose la Cour montrent que les «sanctions» rétablies à la suite de la décision prise le 8 mai 2018 par les Etats-Unis emportent violation des droits qui lui sont reconnus par le traité.
56. En particulier, l’Iran invoque le paragraphe 1 de l’article IV du traité de 1955, rappelant que cette disposition garantit un traitement juste et équitable aux sociétés et ressortissants iraniens, ainsi qu’à leurs biens et entreprises, et interdit toute mesure arbitraire ou discriminatoire susceptible de porter atteinte à leurs droits (y compris contractuels) et intérêts légalement acquis, les Etats-Unis étant en outre tenus d’assurer des voies d’exécution efficaces aux droits contractuels, légitimement nés, des sociétés et ressortissants iraniens. L’Iran affirme que les «sanctions», telles que celles qui sont visées à l’alinéa ii) de la section 1 du décret 13846 du 6 août 2018 et qui s’appliquent à toute personne qui apporterait, à compter du 5 novembre 2018, un quelconque soutien, sous forme d’assistance matérielle, de parrainage, d’aide financière, matérielle ou technologique, de biens ou de services, à la National Iranian Oil Company ou à la Banque centrale d’Iran, sont incompatibles avec les droits qui lui sont garantis par le paragraphe 1 de l’article IV.
57. L’Iran fait également observer que le paragraphe 1 de l’article VII du traité de 1955 interdit toute restriction en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds à destination ou en provenance de son territoire. Il fait valoir que l’application des «sanctions», notamment de celles qui visent l’achat ou l’acquisition de billets de banque des Etats-Unis et les opérations importantes liées à l’achat ou à la vente de rial iranien, revient ni plus ni moins à imposer des restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds à destination ou en provenance de l’Iran.
58. L’Iran relève en outre que le paragraphe 1 de l’article VIII exige des Etats-Unis qu’ils accordent aux produits iraniens, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers l’Iran, un traitement non moins favorable que celui qu’ils accordent aux produits similaires provenant de tout
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pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers. Quant au paragraphe 2 du même article, l’Iran estime qu’il proscrit la restriction ou l’interdiction par les Etats-Unis de l’importation de tout produit iranien ou de l’exportation de tout produit vers le territoire iranien, à moins que l’importation ou l’exportation d’un produit similaire en provenance ou à destination de tout pays tiers ne soient de la même manière restreintes ou interdites. L’Iran estime que la révocation des permis et autorisations qui habilitaient des entités à vendre et à exporter vers l’Iran, entre autres, des aéronefs de transport commercial ainsi que des pièces détachées et des services connexes, et d’importer aux Etats-Unis des denrées alimentaires et des tapis en provenance d’Iran, «entrave à l’évidence les importations et exportations de produits iraniens et américains» entre les territoires des deux Parties.
59. L’Iran considère également que le paragraphe 2 de l’article IX exige des Etats-Unis qu’ils accordent aux sociétés et ressortissants iraniens un traitement non moins favorable que celui qu’ils accordent aux ressortissants et sociétés de tout pays tiers, pour toutes les questions relatives à l’importation et à l’exportation. Il estime qu’en réalité, par leurs «sanctions» telles que l’imposition de restrictions aux personnes physiques ou morales étrangères qui importent ou exportent des produits en provenance ou à destination du territoire iranien, les Etats-Unis lui réservent spécifiquement le traitement le moins favorable, en ciblant les secteurs iraniens de la finance, de la banque, du transport maritime et du pétrole.
60. L’Iran soutient encore que le paragraphe 3 de l’article IX interdit toute mesure de caractère discriminatoire qui aurait pour effet d’empêcher directement ou indirectement les importateurs ou exportateurs iraniens de souscrire une assurance maritime auprès de compagnies américaines. Il fait valoir que les Etats-Unis ont rétabli des «sanctions» contre quiconque fournit des services de garantie ou de réassurance à la National Iranian Oil Company ou à la National Iranian Tanker Company, ce qui a pour effet d’entraver l’exercice du droit qu’il tient de l’article IX.
61. Enfin, l’Iran affirme que les «sanctions» portent atteinte aux droits que lui confère le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, qui garantit la liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux parties contractantes. S’agissant de son droit à la liberté de commerce, l’Iran plaide, en particulier, que le terme «commerce» doit être compris au sens large et que tout acte qui entraverait cette liberté est interdit. Il fait valoir que de multiples aspects des «sanctions» américaines ont une incidence directe ou indirecte sur des opérations commerciales individuelles.
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62. Les Etats-Unis, pour leur part, considèrent que l’Iran n’a aucun droit plausible en rapport avec les mesures annoncées le 8 mai 2018. Premièrement, ils réaffirment qu’en fait les droits revendiqués découlent du plan d’action et sont liés aux avantages que l’Iran tirait de cet instrument. Ils prétendent que l’Iran a clairement indiqué que sa requête concernait exclusivement leur décision souveraine de mettre un terme à leur participation au plan d’action. Selon eux, l’Iran n’est pas en
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mesure de démontrer que ses droits découlent de façon plausible du traité d’amitié. Les Etats-Unis estiment que la violation qui leur est reprochée est leur propre décision de se retirer du plan d’action, et que l’Iran cherche par sa demande à «faire rétablir les avantages dont il bénéficiait dans le cadre du[dit] plan d’action».
63. Deuxièmement, les Etats-Unis soutiennent que les droits dont l’Iran se prévaut au titre du traité de 1955 ne peuvent être jugés plausibles en l’espèce parce que les mesures mises en cause sont licites au regard du paragraphe 1 de l’article XX de ce traité. Selon eux, le fait que le traité d’amitié exclue du champ d’application des obligations des Parties les mesures énoncées audit paragraphe devrait conduire la Cour à conclure que les demandes de l’Iran n’ont pas, sur le fond, «un caractère suffisamment sérieux». Les Etats-Unis affirment en particulier que les droits conventionnels revendiqués par l’Iran sont expressément limités par les exceptions dont eux-mêmes peuvent se prévaloir pour prendre des mesures «[c]oncernant les substances fissiles» (alinéa b)) ou «nécessaires … à la protection [de leurs] intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» (alinéa d)). Ils en concluent que, à cet égard également, les droits revendiqués par l’Iran ne sont pas plausibles.
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64. La Cour fait observer pour commencer que les griefs exposés dans la requête de l’Iran ne font référence qu’à des violations alléguées du traité de 1955 ; ils ne renvoient à aucune disposition du plan d’action.
65. En vertu des dispositions du traité de 1955 invoquées par l’Iran, les deux parties contractantes jouissent d’un certain nombre de droits en relation avec les opérations financières, l’importation et l’exportation de produits à destination ou en provenance de leurs territoires respectifs, le traitement qu’elles accordent mutuellement à leurs ressortissants et sociétés, et, plus généralement, la liberté de commerce et de navigation. La Cour note en outre que les Etats-Unis ne contestent pas, en soi, que l’Iran tienne ces droits du traité de 1955, ou que les mesures adoptées puissent avoir une incidence sur lesdits droits. En revanche, les Etats-Unis font valoir que le paragraphe 1 de l’article XX du traité les autorise à appliquer certaines mesures, entre autres, pour protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, et affirment que la plausibilité des droits revendiqués par l’Iran doit être appréciée au regard de la plausibilité de leurs propres droits.
66. Le paragraphe 1 de l’article IV, le paragraphe 1 de l’article VII, les paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, les paragraphes 2 et 3 de l’article IX et le paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955, qui sont les dispositions invoquées par l’Iran, se lisent comme suit :
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«Article IV
1. Chacune des Hautes Parties contractantes accordera en tout temps un traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante, ainsi qu’à leurs biens et à leurs entreprises ; elle ne prendra aucune mesure arbitraire ou discriminatoire pouvant porter atteinte à leurs droits ou à leurs intérêts légalement acquis et, en conformité des lois applicables en la matière, elle assurera des voies d’exécution efficaces à leurs droits contractuels légitimement nés.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Article VII
1. Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de restrictions en matière de paiements, remises et transferts de fonds à destination ou en provenance des territoires de l’autre Haute Partie contractante sauf : a) dans la mesure nécessaire afin que les ressources en devises étrangères soient suffisantes pour régler le prix des marchandises et des services indispensables à la santé et au bien-être de sa population ; et b) dans le cas d’un membre du Fonds monétaire international, s’il s’agit de restrictions expressément approuvées par le Fonds.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Article VIII
1. Chacune des Hautes Parties contractantes accordera aux produits de l’autre Haute Partie contractante, quelle qu’en soit la provenance et indépendamment du mode de transport utilisé, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les territoires de cette autre Haute Partie contractante, quels que soient l’itinéraire et le mode de transport utilisés, un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers, pour toutes les questions qui ont trait : a) aux droits de douane et autres taxes ainsi qu’aux règles et formalités applicables en matière d’importation et d’exportation ; et b) à la fiscalité, la vente, la distribution, l’entreposage et l’utilisation desdits produits sur le plan national. La même règle s’appliquera au transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations.
2. Aucune des Hautes Parties contractantes ne restreindra ou n’interdira l’importation d’un produit de l’autre Haute Partie contractante ou l’exportation d’un produit destiné aux territoires de l’autre Haute Partie contractante, à moins que l’importation d’un produit similaire provenant de tout pays tiers, ou l’exportation d’un produit similaire à destination de tous les pays tiers ne soient, de la même manière, interdites ou restreintes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Article IX
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2. Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes bénéficieront, pour toutes les questions qui ont trait aux importations et aux exportations, d’un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante ou de tout pays tiers.
3. Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de mesures de caractère discriminatoire ayant pour effet d’empêcher, directement ou indirectement, les importateurs ou les exportateurs de produits originaires de l’un ou l’autre pays, d’assurer lesdits produits contre les risques maritimes auprès de compagnies de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Article X
1. Il y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.»
67. La Cour relève que l’Iran semble fonder les droits qu’il souhaite voir préservés sur une interprétation possible du traité de 1955 et sur l’établissement prima facie des faits pertinents. De plus, elle est d’avis que certaines des mesures annoncées le 8 mai 2018 et partiellement mises en application par le décret 13846 du 6 août 2018, telles que la révocation des autorisations accordées pour l’importation de produits iraniens, les restrictions imposées aux opérations financières et l’interdiction de certaines activités commerciales, semblent susceptibles d’avoir une incidence sur certains des droits que l’Iran fait valoir au titre de certaines dispositions du traité de 1955 (voir le paragraphe 66 plus haut).
68. Cela étant, pour apprécier la plausibilité des droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955, la Cour doit tenir compte également de l’invocation par les Etats-Unis des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du même instrument. A ce stade de la procédure, point n’est besoin d’examiner exhaustivement les droits respectifs des Parties en vertu du traité de 1955. La Cour considère toutefois que, pour autant que les mesures mises en cause par l’Iran puissent concerner «[d]es substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui [en] sont la source» ou s’avérer «nécessaires … à la protection des intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» des Etats-Unis, l’application des alinéas b) ou d) du paragraphe 1 de l’article XX pourrait affecter certains au moins des droits dont se prévaut l’Iran au titre du traité d’amitié.
69. La Cour n’en estime pas moins que d’autres droits revendiqués par l’Iran en vertu du traité de 1955 ne seraient pas ainsi affectés. En particulier, les droits de l’Iran ayant trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires ou à la sécurité de l’aviation civile ne peuvent être plausiblement considérés comme donnant lieu à l’invocation des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX.
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70. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que, à ce stade de la procédure, certains des droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955 sont plausibles dans la mesure où ils ont trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires tels que i) les médicaments et le matériel médical, et ii) les denrées alimentaires et les produits agricoles, ainsi que de biens et services indispensables à la sécurité de l’aviation civile tels que iii) les pièces détachées, les équipements et les services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections de sécurité) nécessaires aux aéronefs civils.
* *
71. La Cour en vient maintenant à la question du lien entre les droits revendiqués et les mesures conservatoires demandées.
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72. L’Iran soutient qu’il existe un lien clair entre toutes les mesures qu’il demande et les droits qui lui sont reconnus par le traité de 1955. En particulier, il souligne qu’il demande cinq mesures conservatoires visant à garantir que les Etats-Unis ne prendront aucune mesure susceptible de porter davantage atteinte à ses droits conventionnels. Selon lui, la première mesure demandée est directement liée à tous les droits dont il se prévaut au titre du traité de 1955, la deuxième protégerait les droits qu’il tient des articles IV, VIII et X, et la troisième vise à garantir une mise en oeuvre efficace des deux premières. L’Iran affirme que la quatrième mesure demandée tend à instaurer la confiance nécessaire à la protection de ses droits conventionnels contre tout nouveau préjudice résultant de l’effet «paralysant» de la mise en oeuvre des «sanctions» et de l’annonce de nouvelles «sanctions» à venir. Enfin, il soutient que la cinquième mesure demandée est une clause classique visant à assurer à ses droits une protection supplémentaire contre tout acte qui pourrait se produire avant la décision définitive de la Cour. L’Iran soutient en outre que les mesures qu’il demande sont distinctes des revendications qu’il fait valoir sur le fond, étant donné qu’elles ont pour objet d’obtenir la suspension des «sanctions» et non leur cessation.
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73. Les Etats-Unis font observer que les mesures demandées ne sont pas suffisamment liées aux droits dont la protection est recherchée. En particulier, ils affirment que l’Iran cherche en réalité à bénéficier de nouveau de la levée des «sanctions» prévue par le plan d’action ainsi que de nombreuses autorisations et dérogations spécifiques. Ils considèrent que l’Iran n’a produit aucun élément permettant à la Cour de conclure que les mesures demandées, à savoir la restauration du bénéfice de la levée des «sanctions» prévue par le plan d’action, lui «rendraient la jouissance des
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droits en question», étant donné que les exceptions prévues au paragraphe 1 de l’article XX protègent leur propre droit de prendre des mesures relativement à leur sécurité nationale.
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74. La Cour rappelle que l’Iran demande que les Etats-Unis s’abstiennent d’appliquer et de faire respecter l’ensemble des mesures annoncées le 8 mai 2018, et que soient pleinement exécutées les opérations déjà conclues. L’Iran prie en outre la Cour d’ordonner aux Etats-Unis de rendre compte, dans un délai de trois mois, des dispositions prises à cet égard, de donner «aux ressortissants et sociétés iraniens, américains et étrangers l’assurance qu’ils se conformeront à l’ordonnance de la Cour» et de «s’abstenir de toute déclaration ou de tout acte de nature à dissuader des personnes et des entités américaines ou étrangères d’engager ou de poursuivre des échanges commerciaux avec l’Iran et avec ses ressortissants ou sociétés». Enfin, l’Iran demande que les Etats-Unis s’abstiennent de prendre quelque autre mesure susceptible de porter atteinte aux droits que ses ressortissants et lui-même tiennent du traité de 1955.
75. La Cour a déjà conclu que certains au moins des droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955 sont plausibles (voir les paragraphes 69-70 plus haut). Elle rappelle que tel est le cas de ceux qui ont trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires tels que i) les médicaments et le matériel médical, et ii) les denrées alimentaires et les produits agricoles, ainsi que de biens et services indispensables à la sécurité de l’aviation civile tels que iii) les pièces détachées, les équipements et les services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections de sécurité) nécessaires aux aéronefs civils. De l’avis de la Cour, certains aspects des mesures demandées par l’Iran en vue de garantir la liberté de commerce et d’échanges s’agissant des biens et services susmentionnés peuvent être considérés comme étant liés aux droits qu’elle a jugés plausibles, parmi ceux dont la protection est recherchée.
76. La Cour conclut en conséquence qu’il existe un lien entre certains des droits dont la protection est recherchée et certains aspects des mesures conservatoires demandées par l’Iran.
IV. LE RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET L’URGENCE
77. La Cour tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’il existe un risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire (voir, par exemple, Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 243, par. 49) ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables.
78. Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé avant que la Cour ne rende sa décision définitive (ibid., par. 50). La condition d’urgence est
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remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent «intervenir à tout moment» avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1169, par. 90). La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure.
79. La Cour n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, à établir l’existence de violations du traité d’amitié, mais doit déterminer si les circonstances exigent l’indication de mesures conservatoires à l’effet de protéger des droits conférés par cet instrument. Elle n’est pas habilitée, à ce stade, à conclure de façon définitive sur les faits, et sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires laisse intact le droit de chacune des Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
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80. L’Iran affirme qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour ne rende sa décision définitive. Il considère que certaines des mesures prises par les Etats-Unis causent déjà, et continueront de causer, un préjudice irréparable à ces droits. A ce propos, l’Iran relève qu’un tel préjudice est déjà devenu réalité depuis le 8 mai 2018 et que les Etats-Unis ont fait connaître «leur détermination à [lui] causer … un préjudice encore plus massif» ainsi qu’aux sociétés et ressortissants iraniens dans un proche avenir. L’Iran rappelle que, le 6 août 2018, le président des Etats-Unis a pris le décret 13846 intitulé «Rétablissement de certaines sanctions contre l’Iran», qui est entré en vigueur le 7 août 2018. Il explique que ce décret vise notamment, d’une part, à «rétablir des sanctions contre l’industrie automobile iranienne et le commerce iranien de l’or et de métaux précieux, ainsi que des sanctions visant le rial iranien», et, d’autre part, à étendre la portée des «sanctions» qui étaient en vigueur avant le 16 janvier 2016.
81. L’Iran affirme que les mesures américaines posent un risque imminent de préjudice irréparable pour la sûreté et la sécurité aériennes. Selon lui, ces mesures ont déjà directement nui à des contrats conclus dans le secteur de l’aviation entre des compagnies américaines et iraniennes, voire entraîné leur annulation pure et simple, de sorte que les compagnies aériennes d’Iran doivent continuer de transporter leurs passagers civils à bord d’une flotte vieillissante, sans avoir accès à toutes les informations requises aux fins de l’entretien des appareils, ni aux services et pièces nécessaires. L’Iran avertit que, si les compagnies aériennes iraniennes sont empêchées de renouveler leur flotte déjà ancienne, d’acquérir les pièces détachées et les autres équipements et services nécessaires, de former les pilotes aux normes internationales ou encore d’avoir accès aux services fournis par les aéroports étrangers, la vie des passagers et équipages iraniens de ces compagnies, ainsi que celle de leurs autres clients, se trouvera mise en danger. Partant, de l’avis de l’Iran, si rien n’est fait pour empêcher les Etats-Unis de donner plein effet à leurs mesures, la situation risque d’entraîner «un préjudice humain irréparable», nonobstant l’existence d’une procédure permettant l’obtention d’autorisations spéciales en vertu de la politique d’autorisation américaine relative à la sécurité de l’aviation. L’Iran fait également valoir que les mesures prises
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par les Etats-Unis posent un risque imminent pour la santé des Iraniens. Sur le plan humanitaire, il plaide que, en dépit de l’exception prévue par le droit américain, il lui est actuellement impossible d’importer des fournitures indispensables d’urgence. Quant aux soins médicaux, il déclare que, bien que le droit américain fasse là encore exception pour les médicaments, les produits chimiques nécessaires à leur fabrication et les fournitures médicales, la population iranienne a désormais un accès plus limité aux médicaments, y compris aux médicaments vitaux, aux traitements à long terme ou préventifs et aux équipements médicaux, étant donné que les mesures américaines en compromettent largement l’acheminement et la disponibilité.
82. L’Iran se réfère en outre aux mesures américaines devant entrer en vigueur le 4 novembre 2018, lesquelles auraient pour effet de «resserre[r] considérablement l’étau sur [lui]» et d’«amplifi[er] les préjudices aux droits qu[’il] tire du traité d’amitié». Il fait également observer qu’il est impossible que la Cour rende son arrêt définitif avant le 4 novembre 2018, date à compter de laquelle les mesures américaines contre le nucléaire qui avaient été levées ou assouplies par des dérogations dans le sillage du plan d’action seront rétablies avec plein effet dans leur intégralité.
83. L’Iran soutient que l’annonce officielle faite le 8 mai 2018 par les Etats-Unis porte déjà un préjudice irréparable à l’ensemble de son économie, à la fois de manière générale et, plus particulièrement, à certains secteurs clefs tels que ceux de l’automobile, du pétrole et du gaz, de l’aviation civile ou encore de la banque et de la finance. Il plaide que, depuis que cette décision a été rendue publique, nombre de personnes physiques ou morales américaines et étrangères ont annoncé qu’elles se retiraient d’activités menées en Iran, mettant fin notamment à leurs relations contractuelles avec des sociétés ou ressortissants iraniens, et que les Etats-Unis ne pourraient remédier au mal ainsi causé quand bien même la Cour le leur ordonnerait.
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84. Les Etats-Unis, pour leur part, soutiennent qu’il n’y a pas d’urgence, en ce sens qu’il n’existe pas de risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour ne rende sa décision définitive. Ils font observer que les mesures annoncées le 8 mai 2018 n’ont rien de nouveau mais consistent simplement à rétablir des «sanctions» qui étaient auparavant en vigueur. Dès lors, selon eux, il ne saurait y avoir urgence aujourd’hui s’il n’y avait pas urgence lorsque les «sanctions» en question ont été prises pour la première fois.
85. Les Etats-Unis affirment que l’Iran ne peut établir les éléments constitutifs du préjudice irréparable pour plusieurs raisons. D’une manière générale, ils considèrent que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve suffisant à démontrer l’existence d’un risque de préjudice irréparable pour les Iraniens, les sociétés iraniennes et l’Iran lui-même. Ils ajoutent que le marasme et les difficultés que l’Iran connaît sur le plan économique peuvent être mis sur le compte de multiples facteurs, dont la mauvaise gestion exercée par le Gouvernement iranien. Ils considèrent également que, s’il existait un risque de préjudice, il ne pourrait s’agir d’un préjudice irréparable puisque tout dommage économique est susceptible de réparation. Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis
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soutiennent qu’il est difficile d’apprécier l’incidence exacte de leurs mesures sur l’économie iranienne, d’autant que l’Union européenne a récemment déclaré qu’elle redoublerait d’efforts pour maintenir des relations économiques avec l’Iran.
86. S’agissant du risque allégué de préjudice irréparable pour la sécurité aérienne, les Etats-Unis affirment qu’ils ont toujours eu pour politique d’accorder des autorisations au cas par cas afin d’assurer la sécurité de l’aviation civile et une exploitation sûre des aéronefs d’origine américaine servant au transport commercial de passagers. Ils font également valoir que, lorsque les dernières «sanctions» auront été remises en vigueur à l’expiration du second délai de liquidation venant à échéance le 4 novembre 2018, ils continueront d’examiner les demandes d’autorisation relatives aux pièces détachées ou équipements d’aéronefs civils dès lors que la sécurité pourrait être en jeu. Pour ce qui est du risque allégué de préjudice irréparable à la santé, les Etats-Unis affirment avoir maintenu de larges autorisations et exceptions afin de permettre la poursuite des activités d’ordre humanitaire. Ils ajoutent qu’ils ont de longue date pour politique d’autoriser l’exportation vers l’Iran de fournitures humanitaires, et notamment de produits agricoles, de médicaments, de matériel médical et de pièces de rechange destinées à un tel matériel. Les Etats-Unis soutiennent par ailleurs qu’ils ont autorisé des organisations non gouvernementales à fournir un certain nombre de services à l’Iran ou sur son territoire, y compris dans le cadre d’activités liées à des projets humanitaires. Ils prétendent aussi qu’ils ont pris des dispositions particulières pour atténuer l’incidence de leurs mesures sur la population iranienne. Outre les autorisations et exceptions prévues dans le domaine humanitaire, les Etats-Unis affirment être dotés d’une série de lois, décrets et règlements contenant des exceptions expresses qui montrent clairement que les ressortissants d’Etats tiers engagés dans des activités humanitaires seront exemptés des «sanctions» américaines. Ils précisent que l’ensemble de ces dispositions sont restées en vigueur après le rétablissement d’une partie des «sanctions» à l’expiration du premier délai de liquidation venant à échéance le 6 août 2018, et qu’elles le resteront lorsque les dernières «sanctions» reprendront effet à l’expiration du second délai de liquidation venant à échéance le 4 novembre 2018.
87. Les Etats-Unis plaident enfin que, si elles sont indiquées, les mesures conservatoires demandées par l’Iran causeront un préjudice irréparable à leur droit souverain d’appliquer leur politique contre l’Iran ainsi qu’à leur droit, en vertu du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. A ce propos, ils font observer que la question n’est pas uniquement de savoir si les droits du demandeur sont exposés à un risque de préjudice irréparable, mais qu’il faut également s’interroger sur les conséquences des mesures réclamées pour les droits du défendeur. De leur point de vue, l’article 41 du Statut impose à la Cour de tenir compte des droits du défendeur en mettant ces droits en balance avec ceux revendiqués par le demandeur.
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88. La Cour note que la décision annoncée le 8 mai 2018 semble avoir déjà fait sentir ses effets sur les importations et les exportations de produits provenant de l’un ou l’autre des deux pays ainsi que sur les paiements et les transferts de fonds entre eux, et que ces effets revêtent un caractère continu. Elle relève que, à compter du 6 août 2018, des contrats préalablement conclus
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dans le cadre desquels des compagnies aériennes iraniennes s’étaient engagées à acheter des pièces détachées à des entreprises américaines (ou à des entreprises étrangères vendant des pièces détachées comprenant des composantes américaines) semblaient en avoir pâti ou même avoir été annulés. En outre, des prestataires de services d’entretien à des compagnies aériennes iraniennes ont été empêchés d’assurer de tels services, lorsqu’il s’agissait d’installer ou de remplacer des composantes produites sous licence américaine.
89. La Cour relève de surcroît que, bien que l’importation de denrées alimentaires et de fournitures ou d’équipements médicaux soit en théorie exemptée des mesures américaines, il semble dans la pratique être devenu difficile pour l’Iran, ainsi que pour les sociétés et ressortissants iraniens, de se procurer de tels produits depuis l’annonce des mesures américaines. A cet égard, la Cour fait observer que, en raison desdites mesures, certaines banques étrangères se sont retirées d’accords financiers ou ont suspendu leur coopération avec les banques iraniennes. Certaines de ces banques refusent aussi d’accepter des transferts ou d’assurer les services correspondants. Il est donc devenu difficile sinon impossible pour l’Iran, ainsi que pour les sociétés et ressortissants iraniens, d’effectuer des transactions financières internationales aux fins d’acquérir certains produits pourtant non visés, en principe, par les mesures américaines, notamment des denrées alimentaires et des fournitures ou équipements médicaux.
90. La Cour considère que certains droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955 dans la présente procédure, dont elle a jugé qu’ils étaient plausibles, sont de nature telle que leur méconnaissance risque d’entraîner des conséquences irréparables. Il en va en particulier ainsi des droits liés à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires tels que i) les médicaments et le matériel médical, et ii) les denrées alimentaires et les produits agricoles, ainsi que de biens et services nécessaires à la sécurité de l’aviation civile, tels que iii) les pièces détachées, les équipements et les services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections de sécurité) nécessaires aux aéronefs civils.
91. La Cour est d’avis qu’un préjudice peut être considéré comme irréparable lorsque la santé et la vie des personnes concernées est mise en danger. De son point de vue, les mesures adoptées par les Etats-Unis sont susceptibles de mettre en danger la sécurité de l’aviation civile iranienne et la vie des passagers en tant qu’elles empêchent les compagnies aériennes iraniennes d’acquérir des pièces détachées et d’autres équipements indispensables, ainsi que d’avoir accès à certains services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections de sécurité) nécessaires aux aéronefs civils. La Cour estime en outre que les restrictions aux importations et aux achats nécessaires à des fins humanitaires, tels que les denrées alimentaires et médicaments, y compris les médicaments vitaux, les traitements à long terme ou préventifs et les équipements médicaux, risquent de nuire gravement à la santé et à la vie de personnes se trouvant sur le territoire iranien.
92. La Cour note que, à l’audience, les Etats-Unis ont donné l’assurance que le département d’Etat américain «ne ménagerait aucun effort» pour veiller à ce que «les préoccupations liées à la situation humanitaire ou à la sécurité de l’aviation découlant du rétablissement des sanctions américaines» soient «examinées pleinement et promptement par le département du trésor ou tout autre organe décisionnel compétent». Si elle se félicite de ces assurances, la Cour considère
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néanmoins que, dans la mesure où elles n’expriment que la volonté de ne ménager aucun effort et d’instaurer une coopération entre certains départements et d’autres organes décisionnels, pareilles assurances ne répondent pas pleinement aux préoccupations exprimées par le demandeur quant à la situation humanitaire et à la sécurité. En conséquence, la Cour est d’avis que les mesures adoptées par les Etats-Unis, telles qu’exposées précédemment, risquent d’entraîner des conséquences irréparables.
93. La Cour relève enfin que la situation résultant des mesures adoptées par les Etats-Unis, à la suite de l’annonce du 8 mai 2018, revêt un caractère continu et que, à l’heure actuelle, les perspectives d’amélioration sont minces. Elle considère en outre qu’il y a urgence, étant donné que les Etats-Unis sont sur le point de mettre en oeuvre une autre série de mesures devant entrer en vigueur après le 4 novembre 2018.
94. L’indication par la Cour de mesures conservatoires répondant à des besoins d’ordre humanitaire ne causerait de préjudice irréparable à aucun des droits invoqués par les Etats-Unis.
V. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER
95. La Cour conclut de l’ensemble de ces considérations que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont réunies. Il y a donc lieu pour elle d’indiquer, dans l’attente de sa décision définitive, certaines mesures visant à protéger les droits revendiqués par l’Iran, tels qu’ils ont été identifiés précédemment (voir les paragraphes 70 et 75 plus haut).
96. La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures en tout ou en partie différentes de celles qui sont sollicitées. Le paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement mentionne expressément ce pouvoir, qu’elle a déjà exercé en plusieurs occasions par le passé (voir, par exemple, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, par. 73 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 139, par. 100).
97. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées par l’Iran ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
98. La Cour considère que les Etats-Unis, conformément à leurs obligations au titre du traité de 1955, doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de l’Iran de biens nécessaires à des fins humanitaires tels que i) les médicaments et le matériel médical, et ii) les denrées alimentaires et les produits agricoles, ainsi que de biens et services indispensables à la sécurité de l’aviation civile tels
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que iii) les pièces détachées, les équipements et les services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires aux aéronefs civils. A cette fin, les Etats-Unis doivent veiller à ce que les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dès lors qu’il s’agit de l’un des biens et services susvisés.
99. La Cour rappelle que l’Iran l’a priée d’indiquer des mesures destinées à prévenir toute aggravation du différend l’opposant aux Etats-Unis. Lorsqu’elle indique des mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits déterminés, la Cour dispose aussi du pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend quand elle estime que les circonstances l’exigent (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, par. 76 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 139, par. 103). Dans la présente affaire, ayant examiné l’ensemble des circonstances, la Cour estime nécessaire d’indiquer, en sus des mesures particulières décidées ci-dessus, une mesure à l’intention des deux Parties visant à prévenir toute aggravation du différend existant entre elles.
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100. La Cour réaffirme que ses «ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 [du Statut] ont un caractère obligatoire» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109) et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées.
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101. La décision rendue par la Cour en la présente procédure ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le droit des Gouvernements de la République islamique d’Iran et des Etats-Unis d’Amérique de faire valoir leurs moyens à cet égard.
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102. Par ces motifs,
LA COUR,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
1) A l’unanimité,
Les Etats-Unis d’Amérique, conformément à leurs obligations au titre du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955, doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran
i) de médicaments et de matériel médical ;
ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles ; et
iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ;
2) A l’unanimité,
Les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dès lors qu’il s’agit de l’un des biens et services visés au point 1) ;
3) A l’unanimité,
Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le trois octobre deux mille dix-huit, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République islamique d’Iran et au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.
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M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hoc MOMTAZ joint une déclaration à l’ordonnance.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) Ph.C.
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Ordonnance du 3 octobre 2018