Ordonnance du 23 juillet 2018

Document Number
172-20180723-ORD-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2018
2018
23 juillet
Rôle général
no 172
23 juillet 2018
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE
TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
(QATAR c. ÉMIRATS ARABES UNIS)
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM,
BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, GAJA, MME SEBUTINDE, MM. BHANDARI,
ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, juges ; MM. COT, DAUDET,
juges ad hoc ; M. COUVREUR, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
- 2 -
Considérant que :
1. Le 11 juin 2018, l’Etat du Qatar (ci-après le «Qatar») a déposé au Greffe de la Cour une
requête introductive d’instance contre les Emirats arabes unis à raison de violations alléguées de la
convention internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (ci-après la «CIEDR» ou la «convention»).
2. Au terme de sa requête, le Qatar,
«en son nom propre et en qualité de parens patriae des Qatariens, prie
respectueusement la Cour de dire et juger que les Emirats arabes unis, par
l’intermédiaire de leurs organes et agents et d’autres personnes et entités exerçant la
puissance publique, ainsi que par l’intermédiaire d’autres agents agissant sur leurs
instructions ou sous leur direction et leur contrôle, ont manqué aux obligations que
leur imposent les articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR en prenant notamment les
mesures illicites suivantes :
a) en expulsant collectivement tous les Qatariens et en interdisant à tous les Qatariens
d’entrer sur le territoire des Emirats arabes unis, au motif de leur origine
nationale ;
b) en violant d’autres droits fondamentaux, dont le droit de se marier et de choisir son
conjoint, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la santé et aux
soins médicaux, le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, le droit à la
propriété, le droit au travail, le droit de prendre part aux activités culturelles et le
droit à un traitement égal devant les tribunaux ;
c) en s’abstenant de condamner, voire en encourageant la haine raciale contre le
Qatar et les Qatariens, et en s’abstenant de prendre des mesures destinées à lutter
contre les préjugés, notamment en incriminant toute expression de sympathie à
l’égard du Qatar et des Qatariens, en autorisant, en promouvant et en finançant une
campagne internationale visant à dresser l’opinion publique et les médias sociaux
contre le Qatar, en réduisant les médias qatariens au silence et en appelant à des
attaques contre des entités qatariennes ; et
d) en s’abstenant de protéger les Qatariens contre les actes de discrimination raciale
et de leur offrir des voies de recours efficaces leur permettant d’obtenir réparation
de tels actes devant les tribunaux et autres organismes des Emirats arabes unis.»
En conséquence,
«le Qatar prie respectueusement la Cour d’ordonner aux Emirats arabes unis de
prendre toutes les dispositions requises pour s’acquitter des obligations que leur
impose la CIEDR, et notamment :
- 3 -
a) de suspendre et de révoquer immédiatement les mesures discriminatoires
actuellement en vigueur, dont, mais pas seulement, les directives interdisant de
«sympathiser» avec des Qatariens et toute autre législation nationale
discriminatoire de jure ou de facto à l’égard des Qatariens au motif de leur origine
nationale ;
b) de suspendre immédiatement toutes autres mesures incitant à la discrimination
(y compris les campagnes médiatiques et le soutien à la diffusion de messages à
caractère discriminatoire) et d’incriminer de telles mesures ;
c) de s’acquitter des obligations qui leur sont faites par la CIEDR de condamner
publiquement la discrimination raciale à l’égard des Qatariens, de poursuivre une
politique tendant à éliminer la discrimination raciale et de prendre des mesures
pour lutter contre semblables préjugés ;
d) de s’abstenir de prendre toute autre mesure susceptible d’être discriminatoire à
l’égard des Qatariens relevant de leur juridiction ou se trouvant sous leur contrôle ;
e) de rétablir les Qatariens dans leurs droits, notamment le droit de se marier et de
choisir son conjoint, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la
santé et aux soins médicaux, le droit à l’éducation et à la formation
professionnelle, le droit à la propriété, le droit au travail, le droit de prendre part
aux activités culturelles et le droit à un traitement égal devant les tribunaux, et de
mettre en oeuvre des mesures pour garantir le respect de ces droits ;
f) de donner des garanties et assurances de non-répétition de leur conduite illicite ; et
g) de réparer intégralement, notamment par une indemnisation, le préjudice résultant
de leurs actes commis en violation de la CIEDR.»
3. Dans sa requête, le Qatar entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de
l’article 36 de son Statut et sur l’article 22 de la CIEDR.
4. Le 11 juin 2018, le Qatar a en outre présenté une demande en indication de mesures
conservatoires, en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son
Règlement.
5. Au terme de sa demande, le Qatar prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires
suivantes :
«a) les Emirats arabes unis doivent cesser et s’abstenir de commettre tout acte pouvant
entraîner, directement ou indirectement, une forme quelconque de discrimination
raciale à l’égard de Qatariens ou d’entités du Qatar, par le fait de tout organe,
agent, personne ou entité exerçant la puissance publique sur leur territoire ou
agissant sous leur direction ou leur contrôle. En particulier, les Emirats arabes unis
doivent immédiatement cesser et s’abstenir de commettre tout acte constituant une
violation des droits de l’homme que les Qatariens tiennent de la CIEDR, et
notamment :
- 4 -
i) mettre un terme aux mesures visant à expulser collectivement tous les
Qatariens des Emirats arabes unis et à interdire à tous les Qatariens d’entrer
sur le territoire des Emirats arabes unis au motif de leur origine nationale ;
ii) prendre toutes les dispositions requises de sorte qu’aucun Qatarien (ni aucune
personne ayant des liens avec le Qatar) ne soit la cible d’actes
discriminatoires ou haineux motivés par des considérations raciales, et
notamment condamner tout discours haineux visant les Qatariens, cesser toute
publication critique ou caricaturale à l’égard du Qatar, et s’abstenir de toute
autre forme d’incitation à la discrimination raciale à l’égard des Qatariens ;
iii) cesser d’appliquer les dispositions du décret-loi fédéral no 5 de 2012 sur la
lutte contre la cybercriminalité à toute personne «exprimant de la
sympathie … pour le Qatar» ainsi que toute autre législation nationale
discriminatoire (de jure ou de facto) à l’égard des Qatariens ;
iv) prendre toutes les mesures requises pour protéger la liberté d’expression des
Qatariens aux Emirats arabes unis, et notamment s’abstenir de fermer les
bureaux de leurs sites d’information ou d’empêcher ceux-ci de diffuser ;
v) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de séparer un Qatarien de sa famille, et prendre toutes les
dispositions requises pour réunir les familles séparées par suite de
l’application des mesures discriminatoires (aux Emirats arabes unis, si telle
est leur préférence) ;
vi) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de priver des Qatariens de la possibilité de recevoir des soins
médicaux aux Emirats arabes unis au motif de leur origine nationale, et
prendre toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à de
tels soins ;
vii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les étudiants qatariens de suivre les enseignements
ou les formations professionnelles des établissements des Emirats arabes unis,
et prendre toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à
leur dossier scolaire ;
viii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les Qatariens d’avoir accès aux biens qu’ils
possèdent aux Emirats arabes unis, d’en avoir la jouissance et l’usage ou de
les administrer, et prendre toutes les dispositions requises pour leur permettre
d’agir valablement par procuration aux Emirats arabes unis, de procéder au
renouvellement nécessaire de leurs permis de commerce et de travail, et de
renouveler leurs contrats de location ; et
ix) prendre toutes les dispositions requises pour garantir aux Qatariens un
traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaires aux Emirats
arabes unis, ainsi que l’accès à un mécanisme devant lequel ils puissent
contester toute mesure discriminatoire.
- 5 -
b) les Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible
d’aggraver ou d’étendre le présent différend ou d’en rendre le règlement plus
difficile ; et
c) les Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible de
porter préjudice aux droits du Qatar dans le cadre du présent différend.»
6. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement des Emirats arabes unis la
requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et la demande en
indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement.
Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par le
Qatar de cette requête et de cette demande.
7. En attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut ait été
effectuée par transmission du texte bilingue imprimé de la requête aux Membres de l’Organisation
des Nations Unies par l’entremise du Secrétaire général, le greffier a informé ces Etats du dépôt de
la requête et de la demande.
8. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité de l’une ou l’autre Partie,
chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère l’article 31 du Statut de procéder à la
désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Le Qatar a désigné M. Yves Daudet et les
Emirats arabes unis, M. Jean-Pierre Cot.
9. Par lettres en date du 14 juin 2018, le greffier a fait connaître aux Parties que la Cour,
conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, avait fixé aux 27, 28 et 29 juin
2018 les dates de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
10. Au cours des audiences publiques, des observations orales sur la demande en indication
de mesures conservatoires ont été présentées par :
Au nom du Qatar : M. Mohammed Abdulaziz Al-Khulaifi,
M. Donald Francis Donovan,
Mme Catherine Amirfar,
M. Pierre Klein,
lord Peter Goldsmith,
M. Lawrence H. Martin.
Au nom des Emirats arabes unis : S. Exc. M. Saeed Ali Yousef Alnowais,
M. Alain Pellet,
M. Tullio Treves,
M. Simon Olleson,
M. Malcolm Shaw,
M. Charles L.O. Buderi.
- 6 -
11. Au terme de son second tour d’observations orales, le Qatar a prié la Cour d’indiquer les
mesures conservatoires suivantes :
«a) les Emirats arabes unis doivent cesser et s’abstenir de commettre tout acte pouvant
entraîner, directement ou indirectement, une forme quelconque de discrimination
raciale à l’égard de Qatariens ou d’entités du Qatar, par le fait de tout organe,
agent, personne ou entité exerçant la puissance publique sur leur territoire ou
agissant sous leur direction ou leur contrôle. En particulier, les Emirats arabes unis
doivent immédiatement cesser et s’abstenir de commettre tout acte constituant une
violation des droits de l’homme que les Qatariens tiennent de la CIEDR, et
notamment :
i) mettre un terme aux mesures visant à expulser collectivement tous les
Qatariens des Emirats arabes unis et à interdire à tous les Qatariens d’entrer
sur le territoire des Emirats arabes unis au motif de leur origine nationale ;
ii) prendre toutes les dispositions requises de sorte qu’aucun Qatarien (ni aucune
personne ayant des liens avec le Qatar) ne soit la cible d’actes
discriminatoires ou haineux motivés par des considérations raciales, et
notamment condamner tout discours haineux visant les Qatariens, cesser toute
publication critique ou caricaturale à l’égard du Qatar, et s’abstenir de toute
autre forme d’incitation à la discrimination raciale à l’égard des Qatariens ;
iii) cesser d’appliquer les dispositions du décret-loi fédéral no 5 de 2012 sur la
lutte contre la cybercriminalité à toute personne «exprimant de la
sympathie … pour le Qatar» ainsi que toute autre législation nationale
discriminatoire (de jure ou de facto) à l’égard des Qatariens ;
iv) prendre toutes les mesures requises pour protéger la liberté d’expression des
Qatariens aux Emirats arabes unis, et notamment s’abstenir de fermer les
bureaux de leurs sites d’information ou d’empêcher ceux-ci de diffuser ;
v) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de séparer un Qatarien de sa famille, et prendre toutes les
dispositions requises pour réunir les familles séparées par suite de
l’application des mesures discriminatoires (aux Emirats arabes unis, si telle
est leur préférence) ;
vi) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de priver des Qatariens de la possibilité de recevoir des soins
médicaux aux Emirats arabes unis au motif de leur origine nationale, et
prendre toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à de
tels soins ;
vii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les étudiants qatariens de suivre les enseignements
ou les formations professionnelles des établissements des Emirats arabes unis,
et prendre toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à
leur dossier scolaire ;
- 7 -
viii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les Qatariens d’avoir accès aux biens qu’ils
possèdent aux Emirats arabes unis, d’en avoir la jouissance et l’usage ou de
les administrer, et prendre toutes les dispositions requises pour leur permettre
d’agir valablement par procuration aux Emirats arabes unis, de procéder au
renouvellement nécessaire de leurs permis de commerce et de travail, et de
renouveler leurs contrats de location ; et
ix) prendre toutes les dispositions requises pour garantir aux Qatariens un
traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaires aux Emirats
arabes unis, ainsi que l’accès à un mécanisme devant lequel ils puissent
contester toute mesure discriminatoire.
b) les Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible
d’aggraver ou d’étendre le présent différend ou d’en rendre le règlement plus
difficile ; et
c) les Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible de
porter préjudice aux droits du Qatar dans le cadre du présent différend.»
12. Au terme de leur second tour d’observations orales, les Emirats arabes unis ont prié la
Cour de «rejeter la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Etat du
Qatar».
13. A l’audience, des questions ont été posées aux Parties par des membres de la Cour,
auxquelles il a été répondu par écrit, conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement.
En application de l’article 72 du Règlement, chacune des Parties a présenté des observations écrites
sur les réponses écrites fournies par la Partie adverse.
*
* *
I. COMPÉTENCE PRIMA FACIE
1. Introduction générale
14. La Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si les dispositions invoquées
par le demandeur apparaissent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait
être fondée ; elle n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au
fond de l’affaire (voir, par exemple, Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires,
ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 236, par. 15).
- 8 -
15. En la présente espèce, le Qatar entend fonder la compétence de la Cour sur le
paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour et sur l’article 22 de la CIEDR (voir le
paragraphe 3 plus haut). La Cour doit donc, en premier lieu, rechercher si ces dispositions lui
confèrent prima facie compétence pour statuer sur l’affaire au fond, ce qui lui permettrait — sous
réserve que les autres conditions nécessaires soient réunies — d’indiquer des mesures
conservatoires.
16. Le Qatar et les Emirats arabes unis sont tous deux parties à la CIEDR. Le demandeur y a
adhéré le 22 juillet 1976 et n’a pas formulé de réserve ; le défendeur y a adhéré le 20 juin 1974 et
n’a pas formulé de réserve à l’article 22 ou une quelconque autre réserve pertinente pour les
besoins de la présente procédure.
17. L’article 22 de la CIEDR se lit comme suit :
«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l’interprétation
ou l’application de la présente Convention qui n’aura pas été réglé par voie de
négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention
sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de
Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne
conviennent d’un autre mode de règlement.»
2. Existence d’un différend touchant l’interprétation ou l’application
de la CIEDR
18. L’article 22 de la CIEDR subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un
différend touchant l’interprétation ou l’application de la convention. Il existe un différend entre des
Etats lorsque leurs points de vue quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations
internationales sont nettement opposés (voir Application de la convention internationale pour la
répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 115, par. 22, citant l’affaire
relative à l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie,
première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Il faut que la réclamation de l’un
d’entre eux «se heurte à l’opposition manifeste» de l’autre (Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique
du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328).
A l’effet d’établir si un différend existe, la Cour «ne peut se borner à constater que l’une des Parties
soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie» (Immunités et procédures pénales
(Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016,
C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47). Le Qatar invoquant pour fonder sa compétence la clause
compromissoire contenue dans une convention internationale, la Cour doit rechercher si «les actes
dont [le demandeur] tire grief sont, prima facie, susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet
instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont [elle] pourrait avoir compétence pour
connaître ratione materiae» (ibid.).
* *
- 9 -
19. Le Qatar soutient qu’il existe entre les Parties un différend touchant l’interprétation et
l’application de la CIEDR. Il affirme qu’à partir du 5 juin 2017, les Emirats arabes unis ont pris des
mesures discriminatoires à l’encontre des Qatariens et de leurs familles, en violation des
dispositions et des principes fondamentaux de la convention. Le Qatar prétend notamment que le
5 juin 2017, les Emirats arabes unis «ont expulsé de leur territoire tous les Qatariens en ne leur
laissant que 14 jours pour partir» et qu’ils continuent de leur interdire l’entrée sur le territoire des
Emirats arabes unis. Il fait observer que ces mesures ne s’appliquent pas aux autres
non-ressortissants résidant aux Emirats arabes unis et en conclut que le défendeur a ciblé les
Qatariens au motif de leur origine nationale, violant ainsi le paragraphe 1 de l’article premier de la
CIEDR. Invoquant notamment la recommandation générale XXX du Comité pour l’élimination de
la discrimination raciale, le Qatar soutient que le comportement discriminatoire dont font l’objet les
Qatariens au motif de leur origine nationale ou de leur nationalité tombe sous le coup de la
convention.
20. Selon le Qatar, sous l’effet des mesures prises par les Emirats arabes unis, «[d]es milliers
de Qatariens ne peuvent retourner aux Emirats arabes unis, sont séparés de leur famille qui s’y
trouve toujours, ou perdent leur logement, leur emploi, leurs biens, l’accès à des soins médicaux et
la possibilité de poursuivre leurs études». Le Qatar ajoute que les Qatariens ne disposent d’aucune
voie de recours contre ces violations sur le plan judiciaire. En conséquence, il plaide que les
Emirats arabes unis entravent l’exercice des droits de l’homme fondamentaux dont les Qatariens
peuvent se prévaloir au titre des articles 2 et 5 de la CIEDR. Il affirme, plus précisément, que le
défendeur prive les Qatariens de l’exercice des droits suivants : le droit de se marier et de choisir
son conjoint, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la santé et aux soins médicaux,
le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, le droit à la propriété, le droit au travail et le
droit à un traitement égal devant les tribunaux.
21. Le Qatar soutient par ailleurs que les Emirats arabes unis ont manqué aux obligations que
leur imposent les articles 4 et 7 de la CIEDR «[e]n ne condamnant pas la haine et les préjugés
raciaux et en incitant à l’expression de tels sentiments contre le Qatar et les Qatariens». Il affirme
en outre que les Emirats arabes unis ont manqué d’assurer aux Qatariens relevant de leur juridiction
une protection et des voies de recours effectives contre les actes de discrimination raciale, en
violation de l’article 6 de la CIEDR.
*
22. Selon les Emirats arabes unis, il n’existe entre les Parties aucun différend touchant
l’interprétation ou l’application de la CIEDR. Les Emirats arabes unis soutiennent qu’il n’y a pas
eu d’expulsion massive de Qatariens hors de leur territoire, que tous les Qatariens se trouvant sur le
territoire des Emirats arabes unis continuent de jouir de tous les droits reconnus par la loi à tous les
résidents et visiteurs, et que les Qatariens y vivent avec leur famille, y vont à l’école et y ont accès
aux services de santé et aux services publics. Les Emirats arabes unis expliquent que les mesures
qu’ils ont adoptées en juin 2017 visaient à «imposer des conditions supplémentaires à l’entrée ou
au retour des Qatariens sur leur territoire».
- 10 -
23. Les Emirats arabes unis affirment par ailleurs qu’aucun Qatarien n’a été empêché
d’exercer une voie de recours dans quelque affaire que ce soit et qu’il n’y a eu aucune ingérence
dans les affaires commerciales des Qatariens. Ils se défendent également de s’être engagés dans
une quelconque campagne médiatique contre les Qatariens en raison de leur nationalité. De plus, il
n’existe, selon eux, aucun différend entrant dans le champ d’application de la CIEDR à raison
d’une quelconque entrave à l’exercice de la liberté d’expression.
24. Les Emirats arabes unis affirment de surcroît que, «même si elles étaient prises pour
argent comptant», les allégations factuelles du Qatar ne feraient pas intervenir une discrimination
«raciale» interdite, au sens de la convention, ni d’autres actes prohibés dans celle-ci. Ils font valoir
que l’expression «origine nationale», telle que visée au paragraphe 1 de l’article premier de la
CIEDR, est «couplée à» l’«origine ethnique» et que l’«origine nationale» ne saurait être réputée
englober la «nationalité actuelle». D’après eux, c’est ce qui ressort du sens ordinaire de cette
disposition, lue dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention. Les Emirats
arabes unis considèrent en outre que les travaux préparatoires viennent confirmer leur
interprétation. Partant, ils soutiennent que les demandes du Qatar en rapport avec les différences de
traitement dont seraient victimes les Qatariens au seul motif de leur nationalité actuelle excèdent la
portée ratione materiae de la CIEDR.
* *
25. La Cour considère qu’il ressort des arguments et des documents qui lui ont été présentés
que les Parties s’opposent sur la nature et la portée des mesures prises par les Emirats arabes unis à
partir du 5 juin 2017, ainsi que sur le point de savoir si elles touchent leurs droits et obligations
découlant de la CIEDR. Le deuxième paragraphe de la déclaration faite par les Emirats arabes unis
le 5 juin 2017 prévoit les mesures suivantes :
«Il est interdit aux Qatariens d’entrer sur le territoire des Emirats arabes unis ou
d’y transiter, et ceux qui s’y trouvent en qualité de résident ou de visiteur doivent le
quitter dans un délai de 14 jours par mesure de sécurité préventive. De même, il est
interdit aux ressortissants des Emirats arabes unis de voyager ou de séjourner au
Qatar, ou de transiter par son territoire.»
26. La Cour note que le Qatar affirme que les mesures adoptées par les Emirats arabes unis
ciblaient délibérément les Qatariens au motif de leur origine nationale. En conséquence, selon le
Qatar, les Emirats arabes unis ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu des
articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la convention. Elle observe que le Qatar soutient en particulier que, sous
l’effet des mesures prises le 5 juin 2017, des familles mixtes qataro-émiriennes ont été séparées,
l’accès des Qatariens aux soins médicaux sur le territoire des Emirats arabes unis a été suspendu,
empêchant les personnes suivant un traitement médical de continuer à en bénéficier, des étudiants
qatariens n’ont pu terminer leurs études aux Emirats arabes unis ni en poursuivre ailleurs parce que
les universités des Emirats arabes unis refusaient de leur communiquer leur dossier universitaire, et
les Qatariens n’ont pu jouir d’un traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaires
aux Emirats arabes unis. Les Emirats arabes unis, pour leur part, nient catégoriquement avoir
commis l’une quelconque de ces violations.
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27. De l’avis de la Cour, les actes dont le Qatar fait état, en particulier l’annonce par les
Emirats arabes unis, aux termes de la déclaration du 5 juin 2017  qui aurait ciblé les Qatariens au
motif de leur origine nationale , selon laquelle les Qatariens devaient quitter le territoire dans un
délai de 14 jours avec interdiction d’y revenir, et les restrictions présumées qui s’en sont suivies,
notamment l’entrave à l’exercice de leur droit de se marier et de choisir leur conjoint, leur droit à
l’éducation, leur droit aux soins médicaux et leur droit à un traitement égal devant les tribunaux,
sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application ratione materiae de la CIEDR. La Cour
considère que, si les Parties s’opposent sur le point de savoir si la discrimination fondée sur
l’«origine nationale», telle que visée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, englobe la
discrimination fondée sur la «nationalité actuelle» des intéressés, point n’est besoin, au vu de ce qui
précède, qu’elle décide à ce stade de la procédure laquelle de ces interprétations divergentes de la
convention est correcte.
28. La Cour conclut que les éléments susmentionnés suffisent, à ce stade, à établir
l’existence entre les Parties d’un différend touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR.
3. Conditions procédurales préalables
29. La Cour rappelle qu’elle a déjà indiqué que le libellé de l’article 22 de la CIEDR
établissait des conditions procédurales préalables auxquelles il devait être satisfait avant toute
saisine de la Cour (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 128, par. 141). Aux termes de l’article 22 de la CIEDR, elle ne
peut être saisie que d’un différend «qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen
des procédures expressément prévues par [la] Convention». La même disposition précise qu’un tel
différend ne peut être porté devant la Cour à la requête de l’une ou l’autre des parties à ce différend
que si celles-ci ne sont pas convenues d’un autre mode de règlement. La Cour note qu’aucune des
Parties ne prétend qu’elles se seraient accordées sur un autre mode de règlement.
* *
30. En ce qui concerne la première condition préalable énoncée à l’article 22, le Qatar
affirme avoir «véritablement tenté à plusieurs reprises de négocier avec les Emirats arabes unis afin
de mettre fin au différend et aux violations des droits de l’homme qui continuent de causer des
souffrances à son peuple». Il ajoute avoir maintes fois dénoncé des violations caractérisées des
droits de l’homme résultant d’actes illicites de discrimination de la part des Emirats arabes unis à
l’encontre des Qatariens depuis le mois de juin 2017. A cet égard, il se réfère à certaines
déclarations faites par de hauts responsables de l’Etat et, en particulier, à un discours prononcé le
25 février 2018 devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies par le ministre qatarien
des affaires étrangères. Le Qatar fait en outre valoir que son ministre d’Etat aux affaires étrangères
s’est, dans une lettre en date du 25 avril 2018, expressément référé à des violations de dispositions
spécifiques de la CIEDR résultant des mesures prises par les Emirats arabes unis le 5 juin 2017, et
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a demandé à ces derniers d’«accepter de négocier afin de mettre un terme à ces violations et à leurs
effets». Il précise que, alors qu’une réponse était demandée dans un délai de deux semaines, le
défendeur n’a jamais donné suite à cette lettre. Le demandeur considère par conséquent que les
Emirats arabes unis ont rejeté ou ignoré ses tentatives de négocier un règlement pacifique du
différend et que, partant, bien qu’il ait véritablement cherché à négocier à cette fin, les Parties n’ont
pas été en mesure de régler leur différend.
31. En ce qui concerne la seconde condition préalable énoncée à l’article 22 de la CIEDR, à
savoir le recours aux procédures expressément prévues par la convention, le Qatar indique que, le
8 mars 2018, il a adressé au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale une
communication au titre de l’article 11 de cet instrument. Il soutient toutefois qu’il n’est pas
nécessaire que cette procédure ait été engagée ou menée à bien pour que la Cour puisse exercer sa
compétence en la présente espèce. Le demandeur souligne également qu’il ne s’appuie pas sur cette
communication aux fins de démontrer la compétence prima facie de la Cour.
32. Enfin, le demandeur estime que, en tout état de cause, le point de savoir si les deux
conditions préalables énoncées à l’article 22 de la CIEDR ont un caractère cumulatif et successif ne
doit pas être tranché par la Cour à ce stade.
*
33. En réponse aux arguments du Qatar relatifs au respect des conditions préalables énoncées
à l’article 22 de la CIEDR, les Emirats arabes unis soutiennent avant tout que celles-ci sont
cumulatives et doivent être remplies successivement avant toute saisine de la Cour.
34. S’agissant du respect de la première condition préalable, les Emirats arabes unis
affirment que, en dépit de ses allégations, le Qatar n’a jamais entrepris de «véritable tentative de
négocier» au sujet de l’application de la CIEDR. Selon le défendeur, les déclarations sur lesquelles
se fonde le demandeur ne portent que très généralement sur des allégations habituelles de violations
des droits de l’homme et, lorsque ces documents mentionnent en passant la CIEDR, cette mention
n’est assortie d’aucune proposition de négocier, sous quelque forme que ce soit. Les Emirats arabes
unis ajoutent qu’aucune de ces déclarations ne peut être considérée comme une offre de
négociation en vue de régler le différend allégué par le Qatar au titre de l’article 22 de la CIEDR.
Quant à la lettre du Qatar en date du 25 avril 2018, qui, selon le défendeur, a été reçue le 1er mai
2018, ce dernier estime que ce document a trait, là encore, à des allégations générales de violations
des droits de l’homme, et ne fait nulle mention de l’article 22 de la CIEDR. Les Emirats arabes unis
soutiennent que cette prétendue offre a pris la forme d’un «ultimatum» et soulignent qu’elle a été
formulée presque un an après que le ministre des affaires étrangères des Emirats arabes unis eut fait
une déclaration demandant aux Qatariens de quitter le pays dans les 14 jours. Ils précisent qu’ils
n’ont ni accepté ni refusé la prétendue invitation du Qatar. Ils affirment qu’ils n’ont été informés
que le 7 mai 2018 que ce dernier avait adressé une communication au Comité pour l’élimination de
la discrimination raciale. Ils font également valoir que, sans attendre le résultat de cette procédure,
- 13 -
le Qatar a, le 11 juin 2018, présenté à la Cour sa requête introduisant la présente instance tout en
sollicitant l’indication de mesures conservatoires. Le défendeur conclut par conséquent que, s’il est
vrai que le différend allégué n’a pas été réglé par voie de négociation, «il n’y a eu aucune
«véritable tentative»» en ce sens.
35. Pour ce qui est de la seconde condition préalable énoncée à l’article 22 de la CIEDR, à
savoir le recours aux procédures expressément prévues par la convention, les Emirats arabes unis
soutiennent que le Qatar doit épuiser la procédure devant le Comité de la CIEDR avant de saisir la
Cour. A titre subsidiaire, le défendeur considère que la manière dont le Qatar a procédé est
incompatible tant avec le principe electa una via qu’avec l’exception de litispendance, puisque la
même réclamation a été soumise à deux instances différentes par un même demandeur contre un
même défendeur.
* *
36. Au sujet de la première condition préalable, à savoir les négociations auxquelles il est fait
référence dans la clause compromissoire, la Cour fait observer qu’elles sont à distinguer des
simples protestations ou contestations, et supposent que l’une des parties ait véritablement cherché
à engager un dialogue avec l’autre, en vue de régler le différend. Si les parties ont cherché à
négocier ou ont entamé des négociations, cette condition préalable n’est réputée remplie que
lorsque la tentative de négocier a été vaine ou que les négociations ont échoué, sont devenues
inutiles ou ont abouti à une impasse. Pour que la condition relative à la négociation préalable
prévue par la clause compromissoire d’un traité soit réputée remplie, «ladite négociation
doit … concerner l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond
prévues par l’instrument en question» (voir Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 133, par. 161). Au stade actuel de la
procédure, la Cour doit d’abord déterminer s’il apparaît que le Qatar a véritablement cherché à
mener des négociations avec les Emirats arabes unis en vue de régler le différend qui les oppose au
sujet du respect, par ces derniers, des obligations de fond leur incombant au titre de la CIEDR, et si
le Qatar les a poursuivies autant qu’il était possible.
37. La Cour note que les Parties n’ont pas contesté que des questions relatives aux mesures
que les Emirats arabes unis ont prises au mois de juin 2017 ont été soulevées par des représentants
du Qatar à plusieurs reprises dans des enceintes internationales, y compris l’Organisation des
Nations Unies, en présence de représentants des Emirats arabes unis. Ainsi, au cours de la
trente-septième session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, en février 2018, le
ministre qatarien des affaires étrangères s’est référé aux «violations des droits de l’homme causées
par le blocus injuste et les mesures coercitives unilatérales imposées à [son] pays, qui ont été
confirmées par le … rapport de la mission technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme», et les Emirats arabes unis ont, de concert avec Bahreïn, l’Arabie saoudite et
l’Egypte, publié une déclaration conjointe «en réponse aux observations» formulées par le ministre
qatarien.
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38. La Cour observe en outre que, dans une lettre datée du 25 avril 2018 et adressée au
ministre d’Etat des affaires étrangères des Emirats arabes unis, le ministre d’Etat des affaires
étrangères du Qatar, se référant aux violations alléguées résultant des mesures prises par les
Emirats arabes unis à partir du 5 juin 2017, a déclaré qu’«il [était] nécessaire d’engager des
négociations afin de mettre un terme à ces violations et à leurs effets dans un délai ne dépassant pas
deux semaines». Elle considère que cette lettre contenait une offre du Qatar de négocier avec les
Emirats arabes unis au sujet du respect, par ces derniers, des obligations de fond que leur impose la
CIEDR. Au vu de ce qui précède, et étant donné que le défendeur n’a pas répondu à cette invitation
formelle de négocier, la Cour est d’avis que les questions soulevées en la présente espèce n’avaient
pas pu être réglées par voie de négociation au moment du dépôt de la requête.
39. La Cour en vient maintenant à la seconde condition préalable énoncée à l’article 22 de la
CIEDR, qui a trait aux «procédures expressément prévues par la convention». Elle rappelle que,
aux termes de l’article 11 de cet instrument, «[s]i un Etat partie estime qu’un autre Etat également
partie n’applique pas les dispositions de la présente convention», il peut appeler l’attention du
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale sur la question. La Cour note que le Qatar a,
le 8 mars 2018, adressé au Comité une communication au titre de l’article 11 de la convention. Elle
observe toutefois que le demandeur ne se fonde pas sur cette communication aux fins de démontrer
que la Cour a compétence prima facie en la présente espèce. Quoique les Parties soient en
désaccord sur le point de savoir si les négociations et le recours aux procédures visées à l’article 22
de la CIEDR constituent des conditions préalables alternatives ou cumulatives auxquelles il doit
être satisfait avant toute saisine de la Cour, cette dernière est d’avis qu’elle n’a pas à se prononcer
sur cette question à ce stade de la procédure (voir Application de la convention internationale pour
la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 125-126, par. 60). La Cour
n’estime pas non plus nécessaire, aux fins du présent examen, de déterminer si un principe
electa una via ou une exception de litispendance seraient applicables dans le cas d’espèce.
40. Au vu de l’ensemble des éléments exposés ci-dessus, la Cour estime que les conditions
procédurales préalables à sa saisine énoncées à l’article 22 de la CIEDR apparaissent, à ce stade,
avoir été remplies.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie
41. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en
vertu de l’article 22 de la CIEDR pour connaître de l’affaire dans la mesure où le différend entre les
Parties concerne «l’interprétation ou l’application» de cette convention.
*
* *
- 15 -
42. La Cour relève que les Emirats arabes unis ont affirmé que le Qatar devait démontrer que
ses ressortissants avaient épuisé les voies de recours internes avant qu’il ne la saisisse, le
demandeur, quant à lui, ayant contesté que l’épuisement des voies de recours internes constituât
une condition préalable à sa saisine en l’espèce. Elle observe que, en la présente procédure, le
Qatar fait valoir ses droits en invoquant des violations de la CIEDR qui auraient été commises par
les Emirats arabes unis. Elle note encore que les Emirats arabes unis n’ont pas fait état de voies de
recours internes effectives ouvertes aux Qatariens qui n’auraient pas été épuisées. La Cour
considère que, à ce stade de la procédure relative à une demande en indication de mesures
conservatoires, elle n’a pas à examiner la question de l’épuisement des voies de recours internes.
II. LES DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE
ET LES MESURES SOLLICITÉES
43. Le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son
Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits de
chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures
les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre
des parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si elle estime que les droits allégués par la
partie demanderesse sont au moins plausibles (voir, par exemple, Application de la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie),
mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 126, par. 63).
44. Cependant, à ce stade de la procédure, la Cour n’est pas appelée à se prononcer
définitivement sur le point de savoir si les droits que le Qatar souhaite voir protégés existent ; il lui
faut seulement déterminer si les droits que le Qatar revendique au fond et dont il sollicite la
protection sont plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont la protection est
recherchée et les mesures conservatoires demandées (ibid., par. 64).
* *
45. Dans sa requête, le Qatar revendique des droits qu’il estime tenir des articles 2, 4, 5, 6
et 7 de la CIEDR. Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, pour identifier les
droits dont il sollicite la protection dans l’attente de la décision sur le fond de l’affaire, le Qatar se
réfère aux articles 2, 4, 5 et 6 de la convention et, au cours de la procédure orale qui s’est tenue sur
sa demande, il s’est également référé à l’article 7 de la convention. Lors de ces audiences, le Qatar
a fait grief aux Emirats arabes unis de violer l’interdiction des expulsions collectives qui leur est
faite par la convention, d’entraver l’exercice des droits de l’homme fondamentaux des Qatariens
qui sont reconnus aux articles 2 et 5, d’inciter à la haine et aux préjugés raciaux et de s’abstenir
d’en condamner l’expression, en violation des articles 4 et 7, et de refuser aux Qatariens la
protection et les voies de recours effectives contre les actes de discrimination raciale qui sont
prévues à l’article 6.
- 16 -
46. Le Qatar déclare que les droits allégués sont plausibles dans la mesure où ils sont
«fondés sur une interprétation possible» de l’instrument invoqué. Selon lui, «la plausibilité des
droits revendiqués … tient à» la définition de la discrimination raciale énoncée au paragraphe 1 de
l’article premier de la convention. Le Qatar soutient que «les mesures imposées par les Emirats
arabes unis depuis le 5 juin 2017 et par la suite affichent clairement leur but : la discrimination
raciale fondée sur l’origine nationale». Lors du second tour d’observations orales, il a ajouté que
«la CIEDR ne saurait être interprétée comme ne s’appliquant pas aux comportements
discriminatoires fondés sur la nationalité ou l’origine nationale des Qatariens». Il estime que «[s]es
demandes … relativement au traitement discriminatoire par lequel les Emirats arabes unis visent
massivement les Qatariens et seulement les Qatariens sont liées à des droits plausibles dont la
protection exige l’indication de mesures conservatoires».
47. S’agissant des éléments de preuve avancés pour démontrer la plausibilité des droits qu’il
revendique, le Qatar se réfère en particulier au rapport de décembre 2017 établi par la mission
technique dépêchée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (ci-après
le «HCDH»), laquelle a conclu que les mesures mises en place par les Emirats arabes unis
«risqu[aient] d’entraver durablement l’exercice, par les personnes touchées, de leurs droits de
l’homme et libertés fondamentales». Il soutient, en conclusion, que les droits qu’il revendique
répondent clairement à la condition de plausibilité.
*
48. Les Emirats arabes unis soutiennent pour leur part que, à travers sa demande et sa
tentative de justifier les mesures sollicitées, le Qatar donne une interprétation abusivement large de
plusieurs des obligations énumérées à l’article 5 de la convention, et que, en conséquence, les droits
dont il cherche à se prévaloir ne sont pas plausibles. Ils plaident que la définition de la
«discrimination raciale» contenue au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR ne s’applique
pas aux différences de traitement fondées sur la «nationalité actuelle» (voir le paragraphe 24 plus
haut).
49. Les Emirats arabes unis soutiennent également que l’absence d’éléments de preuve
étayant les prétentions qatariennes jette le doute sur la plausibilité des droits revendiqués par le
Qatar. En particulier, ils font valoir que le rapport de la mission technique du HCDH porte sur des
événements survenus il y a plus de sept mois et que sa pertinence eu égard aux circonstances
actuelles est hautement contestable.
* *
50. La Cour note que la CIEDR impose aux Etats parties un certain nombre d’obligations en
ce qui concerne l’élimination de la discrimination raciale sous toutes ses formes et dans toutes ses
manifestations. L’article premier de la CIEDR définit comme suit la discrimination raciale :
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«toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de
détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des
conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les
domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la
vie publique».
Les articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la convention, que le Qatar invoque, se lisent comme suit :
«Article 2
1. Les Etats parties condamnent la discrimination raciale et s’engagent à
poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à
éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les
races, et, à cette fin :
a) Chaque Etat partie s’engage à ne se livrer à aucun acte ou pratique de
discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et
à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques,
nationales et locales, se conforment à cette obligation ;
b) Chaque Etat partie s’engage à ne pas encourager, défendre ou appuyer la
discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque ;
c) Chaque Etat partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques
gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute
loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination
raciale ou de la perpétuer là où elle existe ;
d) Chaque Etat partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les
circonstances l’exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale
pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin ;
e) Chaque Etat partie s’engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et
mouvements intégrationnistes multiraciaux et autres moyens propres à éliminer les
barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à renforcer la division raciale.
2. Les Etats parties prendront, si les circonstances l’exigent, dans les domaines
social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer
comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou
d’individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions
d’égalité, le plein exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces
mesures ne pourront en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou
distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles
répondaient.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- 18 -
Article 4
Les Etats parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui
s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe
de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui
prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales,
ils s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer
toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette
fin, tenant compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et des droits expressément énoncés à l’article 5 de la présente Convention, ils
s’engagent notamment :
a) A déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la
supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que
tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou
tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de
même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur
financement ;
b) A déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de
propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande qui incitent à la
discrimination raciale et qui l’encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la
participation à ces organisations ou à ces activités ;
c) A ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales
ou locales, d’inciter à la discrimination raciale ou de l’encourager.
Article 5
Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la
présente Convention, les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la
discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité
devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique,
notamment dans la jouissance des droits suivants :
a) Droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la
justice ;
b) Droit à la sûreté de la personne et à la protection de l’Etat contre les voies de fait
ou les sévices de la part soit de fonctionnaires du gouvernement, soit de tout
individu, groupe ou institution ;
c) Droits politiques, notamment droit de participer aux élections — de voter et d’être
candidat — selon le système du suffrage universel et égal, droit de prendre part au
gouvernement ainsi qu’à la direction des affaires publiques, à tous les échelons, et
droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques ;
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d) Autres droits civils, notamment :
i) Droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat ;
ii) Droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ;
iii) Droit à une nationalité ;
iv) Droit de se marier et de choisir son conjoint ;
v) Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en association, à la propriété ;
vi) Droit d’hériter ;
vii) Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;
viii) Droit à la liberté d’opinion et d’expression ;
ix) Droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ;
e) Droits économiques, sociaux et culturels, notamment :
i) Droits au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et
satisfaisantes de travail, à la protection contre le chômage, à un salaire égal
pour un travail égal, à une rémunération équitable et satisfaisante ;
ii) Droit de fonder des syndicats et de s’affilier à des syndicats ;
iii) Droit au logement ;
iv) Droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services
sociaux ;
v) Droit à l’éducation et à la formation professionnelle ;
vi) Droit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités culturelles ;
f) Droit d’accès à tous lieux et services destinés à l’usage du public, tels que moyens
de transport, hôtels, restaurants, cafés, spectacles et parcs.
Article 6
Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une
protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres
organismes d’Etat compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui,
contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses
libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou
réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par
suite d’une telle discrimination.
- 20 -
Article 7
Les Etats parties s’engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces,
notamment dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de
l’information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et
favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre nations et groupes raciaux ou
ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et principes de la Charte des
Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Déclaration
des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de
la présente Convention.»
51. La Cour rappelle, comme elle l’a déjà fait par le passé dans d’autres affaires concernant
la CIEDR, qu’il existe une corrélation entre le respect des droits des individus, les obligations
incombant aux Etats parties au titre de la CIEDR et le droit qu’ont ceux-ci de demander l’exécution
de ces obligations (voir Application de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance
du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 135, par. 81).
52. La Cour note que les articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR visent à protéger les individus
contre la discrimination raciale. En conséquence, dans le contexte d’une demande en indication de
mesures conservatoires, un Etat partie à la CIEDR ne peut se prévaloir des droits que les articles
susmentionnés lui confèrent que si les actes dont il tire grief semblent constituer des actes de
discrimination raciale au sens de l’article premier de la convention.
53. A cet égard, la Cour rappelle sa conclusion selon laquelle il n’y a pas lieu pour elle de
trancher, à ce stade de la procédure, la divergence de vues exprimée par les Parties quant au point
de savoir si l’expression «origine nationale» contenue au paragraphe 1 de l’article premier de la
CIEDR englobe la discrimination fondée sur la «nationalité actuelle» (voir le paragraphe 27
ci-dessus).
54. En l’espèce, au vu des éléments de preuve que les Parties ont produits devant elle, la
Cour relève qu’il apparaît que les mesures adoptées par les Emirats arabes unis le 5 juin 2017
visaient uniquement les Qatariens et non les autres non-ressortissants résidant sur le territoire des
Emirats arabes unis. Elle observe également que ces mesures étaient dirigées à l’encontre de tous
les Qatariens résidant aux Emirats arabes unis, sans considération de la situation individuelle des
personnes concernées. Il appert donc que certains des actes dont le Qatar tire grief peuvent
constituer des actes de discrimination raciale au sens de la convention. En conséquence, la Cour
conclut qu’au moins certains des droits revendiqués par le Qatar au titre de l’article 5 de la CIEDR
sont plausibles. Tel est le cas, par exemple, s’agissant de la discrimination raciale prétendument
subie dans l’exercice de droits tels que le droit de se marier et de choisir son conjoint, le droit à
l’éducation, ainsi que le droit à la liberté de circulation et le droit d’accès à la justice.
* *
- 21 -
55. La Cour en vient maintenant à la question du lien entre les droits revendiqués et les
mesures conservatoires sollicitées.
* *
56. Le Qatar soutient que l’ensemble des mesures demandées présente clairement un lien
avec les divers droits découlant de la CIEDR dont il demande la protection, et notamment avec
l’interdiction générale de la discrimination raciale, avec l’interdiction des discours haineux, ainsi
qu’avec la jouissance des droits civils et politiques ou encore des droits économiques, sociaux et
culturels consacrés à l’article 5 de la convention.
*
57. Les Emirats arabes unis, quant à eux, affirment que le lien devant exister entre les droits
invoqués et les mesures sollicitées fait défaut. En particulier, ils plaident que le but principal des
mesures conservatoires demandées est la levée des restrictions qui seraient imposées aux Qatariens
souhaitant entrer sur le territoire des Emirats arabes unis ; or, de leur point de vue, les mesures
réclamées ne sont pas, en tant que telles, suffisamment liées aux droits dont le Qatar soutient qu’ils
sont en cause ici.
* *
58. La Cour a déjà conclu (voir le paragraphe 54 plus haut) qu’au moins certains des droits
revendiqués par le Qatar au titre de l’article 5 de la CIEDR étaient plausibles. Elle rappelle que
l’article 5 proscrit la discrimination dans l’exercice de divers droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels. La Cour considère que les mesures sollicitées par le Qatar (voir le
paragraphe 11 plus haut) visent non seulement à ce que les Qatariens ne soient plus collectivement
expulsés du territoire des Emirats arabes unis, mais aussi à protéger d’autres droits particuliers qui
sont énoncés à l’article 5 de la CIEDR.
59. La Cour conclut, en conséquence, qu’il existe un lien entre les droits dont la protection
est recherchée et les mesures conservatoires sollicitées par le Qatar.
- 22 -
III. LE RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET L’URGENCE
60. La Cour tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une
procédure judiciaire (voir, par exemple, Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires,
ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 243, par. 49 ; Application de la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie),
mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 136, par. 88).
61. Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exercé que
s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit
causé aux droits en litige avant que la Cour ne rende sa décision définitive (Jadhav (Inde
c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 243,
par. 50 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 136, par. 89). La condition d’urgence est remplie dès lors que
les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent «intervenir à tout moment» avant
que la Cour statue sur le fond (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France),
mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1169,
par. 90). La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure.
62. La Cour n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures
conservatoires, à établir l’existence de violations de la CIEDR, mais doit déterminer si les
circonstances exigent l’indication de mesures conservatoires à l’effet de protéger des droits
conférés par cet instrument. Elle n’est pas habilitée, à ce stade, à conclure de façon définitive sur
les faits, et sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires laisse intact le droit
de chacune des Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
* *
63. Le Qatar plaide que le préjudice irréparable est le corollaire naturel de la violation des
droits qui sont en cause en l’espèce et que nulle décision de la Cour sur le fond, quelle que soit la
date de son prononcé, ne pourra «effacer» l’intégralité des dommages occasionnés et «rétablir» le
statu quo ante. Il est d’avis que, dans la présente affaire, la Cour n’a pas à déterminer s’il existe un
risque de préjudice irréparable à ces droits, puisqu’il ressort du dossier que pareil préjudice existe à
l’heure actuelle et perdure manifestement, par suite du refus des Emirats arabes unis de se
conformer à la CIEDR. Le Qatar souligne donc le caractère continu des violations des droits
fondamentaux invoqués, à savoir le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à
la réunification familiale, le droit à l’éducation, le droit au travail, le droit à la liberté d’opinion et
d’expression, le droit à la santé, le droit à la liberté de religion, le droit à la propriété privée et le
droit d’avoir accès aux juridictions des Emirats arabes unis pour obtenir la protection des
biens et avoirs qatariens ou contester toute mesure discriminatoire. Le Qatar souligne que les
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«conséquences durables» que la violation continue du droit de circuler librement et de choisir sa
résidence emporte sur le droit au travail et sur le droit d’accès aux biens, ainsi que sur le droit à la
réunification familiale, ont été reconnues dans le rapport de la mission technique dépêchée par le
HCDH et sont, en conséquence, «indéniable[s]». Citant un rapport d’Amnesty International daté du
5 juin 2018, le Qatar estime que, depuis un an, la situation ne s’est pas améliorée et que ceux qui
résident dans la région demeurent face à un avenir incertain. Il conclut que, le préjudice étant actuel
et constant, la condition de l’imminence est elle aussi manifestement remplie.
64. Le Qatar soutient que les Emirats arabes unis ont choisi d’ignorer toutes les demandes de
négociation visant la levée des mesures discriminatoires. Il se réfère en particulier aux 13 exigences
formulées par les Emirats arabes unis le 23 juin 2017, auxquelles sont venues se greffer six autres
demandes le 5 juillet 2017, qui tendent notamment à ce que le Qatar aligne son action militaire,
politique, sociale et économique sur celle des autres pays arabes et du Golfe, sans quoi les mesures
discriminatoires ne seront pas levées. Le Qatar affirme que, ce faisant, les Emirats arabes unis ont
aggravé le différend. Il soutient que, étant donné que les Emirats arabes unis refusent de suspendre
ou de révoquer leurs mesures illicites, le peuple qatarien pourrait subir indéfiniment des violations
de ses droits, ainsi que le préjudice et les souffrances qui en résultent. Il estime que des mesures
conservatoires «sont donc requises d’urgence pour … obliger [les Emirats arabes unis] à respecter
leurs obligations internationales au titre de la CIEDR».
*
65. Les Emirats arabes unis démentent l’existence d’un risque de préjudice irréparable aux
droits que le demandeur tient de la CIEDR. Mettant en doute la fiabilité et l’indépendance des
éléments de preuve produits par le Qatar devant la Cour, ils affirment que les Qatariens continuent
de jouir pleinement de tous les droits qui sont légalement reconnus à toutes les personnes résidant
ou séjournant sur le territoire des Emirats arabes unis. S’ils ne nient pas avoir rompu, pour des
raisons de sécurité nationale, leurs relations avec le Qatar, en particulier au vu du soutien qu’ils lui
reprochent d’apporter au terrorisme et à l’extrémisme, ils affirment que la déclaration du 5 juin
2017, par laquelle leur ministère des affaires étrangères a annoncé que les Qatariens devaient
quitter le pays dans un délai de 14 jours avec interdiction d’y revenir, a été soigneusement mesurée,
de sorte qu’elle ait la moindre incidence possible sur la population qatarienne. Les Emirats arabes
unis soutiennent qu’en réalité leur gouvernement n’a pris aucune mesure judiciaire pour expulser
les Qatariens qui n’étaient pas partis à l’expiration du délai de 14 jours ; seuls les Qatariens
souhaitant entrer aux Emirats arabes unis se sont vu imposer des restrictions, à savoir l’obligation
de demander une autorisation préalable, laquelle leur a presque toujours été accordée. Les Emirats
arabes unis ajoutent que des dispositions ont été prises pour remédier à la séparation des familles
qataro-émiriennes. Ainsi, par une directive présidentielle publiée le 6 juin 2017, les autorités ont
reçu pour instruction de tenir compte de la situation humanitaire des familles mixtes, et une ligne
téléphonique spéciale a été mise en place pour aider les personnes concernées et garantir que des
solutions appropriées soient recherchées. Les Emirats arabes unis font valoir que, même si la Cour
devait conclure que leurs actes font peser un risque de préjudice sur les droits invoqués par le
Qatar, ledit préjudice ne serait pas irréparable.
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66. Les Emirats arabes unis font valoir en outre que la situation n’est pas urgente,
contrairement à ce qu’affirme le Qatar. Rappelant qu’ils ont déjà pris, pour y remédier, les
dispositions décrites ci-dessus au paragraphe 65, ils font observer de plus que le Qatar a déposé sa
demande en indication de mesures conservatoires le 11 juin 2018, soit plus d’un an après la
publication de la déclaration par laquelle le ministère des affaires étrangères des Emirats arabes
unis demandait aux Qatariens de quitter le pays dans les 14 jours.
* *
67. La Cour estime que certains des droits en cause dans la présente procédure
 en particulier plusieurs de ceux qui sont garantis aux alinéas a), d) et e) de l’article 5 de la
CIEDR  sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable
(voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017,
C.I.J. Recueil 2017, p. 138, par. 96). Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés par les
Parties, elle est d’avis que les Qatariens qui résidaient aux Emirats arabes unis avant le 5 juin 2017
apparaissent se trouver toujours dans une situation de vulnérabilité pour ce qui est des droits qu’ils
tiennent de l’article 5 de la convention.
68. A ce sujet, la Cour relève qu’à la suite de la déclaration du 5 juin 2017, par laquelle le
ministère des affaires étrangères des Emirats arabes unis a annoncé que les Qatariens devaient
quitter le territoire dans un délai de 14 jours avec interdiction de retour, nombre de Qatariens
résidant aux Emirats arabes unis à cette date ont apparemment été contraints de quitter leur lieu de
résidence sans possibilité de retour. Elle constate que cette situation semble avoir entraîné un
certain nombre de conséquences dont les effets, pour les personnes concernées, paraissent persister
à ce jour : des familles mixtes qataro-émiriennes ont été séparées ; des étudiants qatariens n’ont pu
terminer leurs études aux Emirats arabes unis ni en poursuivre ailleurs parce que les universités des
Emirats arabes unis refusaient de leur communiquer leur dossier universitaire ; et des Qatariens ont
été privés d’une égalité d’accès devant les tribunaux et autres organes judiciaires des Emirats
arabes unis.
69. Ainsi que la Cour l’a déjà fait observer, les personnes contraintes de quitter leur domicile
sans possibilité de retour peuvent, en fonction des circonstances, courir un risque grave de
préjudice irréparable (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 142). La Cour est d’avis qu’un
préjudice peut être considéré comme irréparable lorsqu’il touche des personnes séparées de leur
famille, de manière temporaire ou potentiellement continue, qui, de ce fait, endurent une souffrance
psychologique ; lorsqu’il touche des élèves ou étudiants qui sont empêchés de se présenter à des
examens parce qu’ils ont été obligés de partir ou qui ne peuvent poursuivre leurs études parce que
les écoles ou universités refusent de leur communiquer leur dossier scolaire ou universitaire ; et
lorsqu’il touche des personnes qui sont empêchées de comparaître dans le cadre d’une procédure ou
de contester toute mesure qu’elles jugent discriminatoire.
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70. La Cour note que, en réponse à une question posée par l’un de ses membres au terme de
la procédure orale, les Emirats arabes unis ont assuré qu’après la déclaration faite le 5 juin 2017 par
leur ministère des affaires étrangères, aucune décision d’expulsion touchant des Qatariens n’avait
été prise en application de la loi sur l’immigration. La Cour note cependant qu’il apparaît, au vu
des éléments de preuve à sa disposition, qu’à la suite de cette déclaration, les Qatariens se sont
sentis obligés de quitter les Emirats arabes unis, subissant en conséquence les atteintes caractérisées
à leurs droits qui sont décrites plus haut. De plus, les Emirats arabes unis n’ayant entrepris aucune
démarche officielle pour retirer les mesures du 5 juin 2017, la situation demeure inchangée en ce
qui concerne la jouissance, par les Qatariens, de leurs droits susmentionnés sur le territoire des
Emirats arabes unis.
71. La Cour estime par conséquent qu’il existe un risque imminent que les mesures adoptées
par les Emirats arabes unis, telles que décrites plus haut, puissent causer un préjudice irréparable
aux droits invoqués par le Qatar, tels qu’ils ont été définis par la Cour (voir le paragraphe 54
ci-dessus).
IV. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER
72. La Cour conclut de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions
auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont réunies. Il y a donc
lieu pour elle d’indiquer, dans l’attente de sa décision définitive, certaines mesures visant à
protéger les droits revendiqués par le Qatar, tels qu’ils ont été identifiés précédemment (voir le
paragraphe 54 ci-dessus).
73. La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui
est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures en tout ou en partie
différentes de celles qui sont sollicitées. Le paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement
mentionne expressément ce pouvoir, qu’elle a déjà exercé en plusieurs occasions par le passé (voir,
par exemple, Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 139, par. 100).
74. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées
par le Qatar ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont
pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
75. Rappelant aux Emirats arabes unis qu’ils sont tenus de s’acquitter des obligations leur
incombant au titre de la CIEDR, la Cour considère que, s’agissant de la situation décrite
précédemment, les Emirats arabes unis doivent, dans l’attente de la décision finale en l’affaire et
conformément aux obligations que leur impose la convention, veiller à ce que les familles
qataro-émiriennes séparées par suite des mesures adoptées par les Emirats arabes unis le 5 juin
2017 soient réunies ; que les étudiants qatariens affectés par les mesures adoptées par les
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Emirats arabes unis le 5 juin 2017 puissent terminer leurs études aux Emirats arabes unis ou obtenir
leur dossier scolaire ou universitaire s’ils souhaitent étudier ailleurs ; et que les Qatariens affectés
par les mesures adoptées par les Emirats arabes unis le 5 juin 2017 puissent avoir accès aux
tribunaux et autres organes judiciaires de cet Etat.
76. La Cour rappelle que le Qatar l’a priée d’indiquer des mesures destinées à prévenir toute
aggravation du différend l’opposant aux Emirats arabes unis. Lorsqu’elle indique des mesures
conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits particuliers, la Cour peut aussi indiquer de telles
mesures en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend si elle estime que les
circonstances l’exigent (voir Application de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance
du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 139, par. 103). En l’espèce, ayant examiné l’ensemble des
circonstances, la Cour estime nécessaire d’indiquer, en sus des mesures particulières précédemment
décidées, une mesure supplémentaire adressée aux deux Parties, visant à prévenir toute aggravation
du différend entre elles.
*
* *
77. La Cour réaffirme que ses «ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de
l’article 41 [du Statut] ont un caractère obligatoire» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109) et créent donc des obligations juridiques
internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées.
*
* *
78. La Cour réaffirme en outre que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en
rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à
la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le droit des Gouvernements du
Qatar et des Emirats arabes unis de faire valoir leurs moyens à cet égard.
*
* *
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79. Par ces motifs,
LA COUR,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
1) Par huit voix contre sept,
Les Emirats arabes unis doivent veiller à ce que
i) les familles qataro-émiriennes séparées par suite des mesures adoptées par les Emirats
arabes unis le 5 juin 2017 soient réunies ;
ii) les étudiants qatariens affectés par les mesures adoptées par les Emirats arabes unis le
5 juin 2017 puissent terminer leurs études aux Emirats arabes unis ou obtenir leur dossier
scolaire ou universitaire s’ils souhaitent étudier ailleurs ; et
iii) les Qatariens affectés par les mesures adoptées par les Emirats arabes unis le 5 juin 2017
puissent avoir accès aux tribunaux et autres organes judiciaires de cet Etat ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Mme Sebutinde, M. Robinson, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Gaja, Bhandari, Crawford, Gevorgian, Salam, juges ; M. Cot,
juge ad hoc ;
2) Par onze voix contre quatre,
Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le
différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, juges ; M. Daudet,
juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Crawford, Gevorgian, Salam, juges ; M. Cot, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye,
le vingt-trois juillet deux mille dix-huit, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives
de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de l’Etat du Qatar et au
Gouvernement des Emirats arabes unis.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.
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MM. les juges TOMKA, GAJA et GEVORGIAN joignent une déclaration commune à
l’ordonnance ; M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion
individuelle ; MM. les juges BHANDARI, CRAWFORD et SALAM joignent à l’ordonnance les exposés
de leur opinion dissidente ; M. le juge ad hoc COT joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion
dissidente.
(Paraphé) A.A. Y.
(Paraphé) Ph. C.
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Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar

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Ordonnance du 23 juillet 2018

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