Réponse écrite de la République du Nicaragua à la question posée par M. le juge Simma à l'audience tenue le 20 mars 2007 (traduction)

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17788
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Réponse à la question poséeau Nicaragua par le juge Simma

[Traduction]

Question poséepar le juge Simma

«Hier, lorsqu'il a répondu au juge Keith au sujet de l'hypothèse posée dans sa

question, le Nicaragua a montréun croquis représentant les cayes revendiquées par le
Honduras au sud de la bissectrice proposée par le Nicaragua comme des enclaves
dotées d'une mer territoriale de 3 milles. Je vous renvoie aux figures CAG 2-10
et AP 2-4, ainsi qu'au paragraphe 30 de l'exposéde M. Pellet.

Ma question est la suivante : Pour quelles raisons le Nicaragua parle-t-il d'une
mer territoriale de 3 milles autour des cayes, alors que les Parties au présentdifférend
revendiquent généralementune mer territoriale de 12 milles ?»

Sur ce point, il convient tout d'abord de souligner que le Honduras a lui-mêmeconscience
que, dans certaines circonstances, la limite de la mer territoriale de certaines formations maritimes
ne doit pas nécessairement atteindre 12 milles. Comme l'a relevéle Nicaragua dans sa réponseà la

question poséepar le juge Keith, le Honduras a ainsi indiquéqu'il ne revendiquerait pas la totalité
des 12 milles autour des cayes les plus proches du 15eparallèle si la stricte application de cette
limite des 12 milles doit aboutir, pour ces cayes, à la création de zones de mer territoriale
s'étendantau sud de ce parallèle.

Les vues du Nicaragua, globalement, sont les suivantes. Ainsi qu'indiqué dans la réplique
du Nicaragua (par. 3.12-3.21 ), les cayes situéesdans la zone en litige ne se prêtentpas, en raison de
leur taille et d'autres particularités, à l'habitation humaine et n'ont, par conséquent, ni zone

économique exclusive ni plateau continental. Pour autant, ces cayes n'ont pas automatiquement
droit à une mer territoriale de 12 milles, et cette question doit donc elle aussi êtretranchée dans le
contexte de la délimitation maritime et sur le fondement de critères d'équité.

Le Nicaragua a demandé que la ligne de délimitation fondée sur la direction généraledes
côtes continentales des deux Parties, ou toute autre ligne tracéepar la Cour sur la base de principes
équitable, serve également à départager la souveraineté sur les cayes situéesdans la zone en litige.
Il l'a fait parce qu'aucune des Parties n'a accompli d'actes notables attestant de manière

incontestable l'exercice d'une souveraineté à l'égard de ces formations maritimes mineures. Ni
l'une ni l'autre n'est d'ailleurs en mesure de produire une description digne de foi des formations
maritimes en cause, ni, à fortiori, de revendiquer une souveraineté sur des formations dont elle ne
peut pas mêmeprouver l'existence.

Au vu de ces considérations, l'attribution à ces formations d'espaces mantlmes doit être
considéréedans le contexte de la demande de délimitation maritime unique formulée par le
Nicaragua. Si une mer territoriale s'étendantsur la totalitédes 12 milles devait êtreaccordéeà ces

formations, et si celles-ci devaient êtreattribuées au Honduras, ce dernier obtiendrait une part
disproportionnée des zones maritimes en litige. Du reste, si ces formations étaient attribuées au
Honduras, mêmeune mer territoriale de moins de 12 milles aurait des conséquences fâcheuses pour
la navigation. En outre, non seulement la mer territoriale des 12 milles de certaines de ces

formations mordrait sur la ligne bissectrice proposée par le Nicaragua ou sur toute autre ligne
équitablefixéepar la Cour, mais- etc' est peut-êtreplus important- elle recouperait assurément
le Main Cape Channel. -2-

Le Honduras s'est efforcéde prouver qu'il avait exercédes actes de souveraineté sur quatre
de ces formations seulement, alors que cette zone pourrait compter des centaines de formations

semblables que ni les Parties ni aucune autre autoriténe sont en mesure de décrireavec certitude,
faute de relevéscontemporains. Ainsi qu'indiquéen réponseà la question du juge Keith,

«[l]e Nicaragua ignore le nombre d'îles et de formations qui sont en cause ainsi que

leur emplacement, étantdonné que les principaux relevés se rapportant à cette zone
remontent à la première moitié du xrxe siècle et que ces formations présentent une
nette tendance à émergeret disparaître.» (CR 2007Ill, p. 27, par. 70 (Argüello).)

Cette observation vaut égalementpour le Honduras, lequel n'a assurémentpas cherchéà fournir de
précisions sur d'autres formations que les quatre cayes qu'il n'a cessé d'évoquer dans ses
plaidoiries.

Si le Honduras ne revendique ni ne décritd'actes de souveraineté qu'à l'égard des quatre
cayes en question, il n'y a aucune raison de postuler que les autres cayes et rochers de la régionlui
appartiennent. Dans ce cas, selon quels critères devra-t-on gratifier certains rochers et cayes d'une
mer territoriale de 12 milles et la dénierà d'autres (inconnus pour la plupart)?

Du reste, mêmeen ce qui concerne les actes de souverainetéque le Honduras prétendavoir
accomplis sur les quatre cayes, il n'est apportéaucune preuve qu'ils se soient accompagnés d'une
utilisation significative des eaux entourant celles-ci. Il n'est fait étatd'aucune activité de pêche
dans les eaux bordant ces cayes ni d'activités pétrolièresconcernant directement cette zone. Qui

plus est, mêmeles témoins cités par le Honduras et censés utiliser ces cayes (dont bon nombre
Jamaïcains) n'ont pas affirmépêcherdans les eaux adjacentes.

Rappelons, sans entrer dans la question des actes de souverainetédirects à l'égarddes cayes

en cause, que le Nicaragua a démontréde manière concluante qu'il avait accompli des actes
attestant une souveraineté sur les eaux adjacentes. Sans entrer dans le détail, il nous suffira de
rappeler les innombrables incidents survenus dans la zone maritime en litige. A cet égard,il est
incontestable que des autoritésou pêcheursnicaraguayens patrouillaient ou pêchaientdans les eaux

bordant les cayes.

La question du juge Simrna vise l'hypothèse où les cayes seraient attribuées au Honduras :
leur attribution au Nicaragua ne poserait en effet aucun problème, puisqu'elles se trouveraient alors
au sud de la bissectrice et ne pourraient se voir imputer aucun effet au nord de celle-ci. A cet

égard,il est nécessairede rappeler ceci :

La position du Nicaragua est que, jusqu'à la date cnttque de 1977, voire jusqu'en 1979
-date avancéepar le Honduras-, les principaux actes de souverainetédans la zone en litige ont

étéle fait du Nicaragua. En attestent :

1. Le contrôle de la pêchedans la zone, tel qu'illustrépar l'accord sur la pêcheà la tortue conclu
avec le Royaume-Uni, qui supposait une utilisation réelle, effective et constante des cayes

elles-mêmes,en tant que «bordigues» ou enclos où les tortues étaient parquées avant d'être
expédiéesvers une autre destination. Aucun acte comparable, dûment attesté,n'a étéaccompli
par le Honduras avant la date critique.

2. Le contrôle et la souveraineté exercés de longue date sur le seul port maritime de la région
-celui de Cabo Gracias a Dios- qui, compte tenu du caractère artisanal et rudimentaire des
instruments de pêcheutilisés par la population, impliquent nécessairement un contrôle des
espaces maritimes. - 3 -

3. L'adjacence ou la proximité de ces cayes avec la masse continentale du Nicaragua. Les cartes

de la région communément reconnues, basées sur des relevés remontant plus ou moins à
1'époque de 1'indépendance, montrent que ces cayes étaient plus proches de la côte du
Nicaragua que celle du Honduras. S'y ajoute le fait que les cayes se suivent de manière
ininterrompue, généralement à moins de 6 milles les unes des autres, depuis la côte

nicaraguayenne s'étendant au sud de la zone en litige jusqu'au sud du Mainland Navigation
Channel (SIC), ce qui facilite les déplacements de pêcheurs, même dotés de moyens
rudimentaires et artisanaux, d'une caye à l'autre. Il n'en va pas de mêmepour les pêcheurs
honduriens basés sur le continent, qui auraient, quant à eux, à traverser plus de 24 milles de

pleine mer.

Enfin, il convient de noter que la jurisprudence offre des précédentsconfirmant que de
petites îles, d'une délimitation maritime impliquant d'autres côtes au-delà des 12 milles marins, ne

doivent pas nécessairement se voir attribuer toute 1'étenduede la mer territoriale à laquelle elles ont
droit, dans le cas : les affairestar c. Bahrein et Erythrée/Yémenen sont deux exemples récents
(voir aussi CR 2007/11, p. 43, par. 31 (Pellet)).

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