Observations de l'Italie sur la réponse écrite de l'Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au terme de l'audience publique du 16 septembre 2011 (traduction)

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O BSERVATIONS DE L ’ITALIE SUR LES RÉPONSES DE L ’A LLEMAGNE

Le 30 septembre 2011

L’Italie a l’honneur de porter à l’attention de la Cour les observations suivantes au sujet des
réponses de l’Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade.

A. A la première question posée par M. le juge Cançado Trindade, l’Allemagne a répondu :

«L’ordonnance que la Cour a rendue le 6 juillet 2010 détermine la pertinence du
traité de paix de1947 et des deux acco rds de1961 conclus entre l’Allemagne et

l’Italie aux fins de l’instance en cours ( se reporter en particulier aux paragraphes27
et 28). L’Allemagne a toujours maintenu que la question de savoir si les réparations à
raison d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient toujours dues ne

constituait pas l’objet du présent différend porté devant la Cour.»

L’Allemagne a réitéré cette affirmation da ns sa réponse à la troisième question posée par
M. le juge Cançado Trindade :

«Conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 6juillt 010,
l’Allemagne a toujours maintenu que la questi on de savoir si les réparations à raison
d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient toujours dues ne

constituait pas l’objet du présent différend porté devant la Cour.»

L’Italie aimerait formuler l’observation suivante concernant les deux passages

susmentionnés.

Les paragraphes de l’ordonnance du 6juille t2010 cités par l’Allemagne renvoient aux
raisons qui ont conduit la Cour à conclure que la demande reconventionnelle de l’Italie ne relevait

pas ratione temporis de sa compétence. Il convient de souligner que cette conclusion était
strictement limitée à la question de la recevabilité de la demande reconven tionnelle de l’Italie.
Comme il ressort clairement du paragraphe 13 de cette même ordonnance, cette conclusion est sans

incidence sur la résolution de la question soulevée par la demande principale de l’Allemagne (voir
aussi la duplique de l’Italie, par.1.1-1.3). Il appartient donc toujours à la Cour d’examiner et
d’apprécier les arguments avancés par l’Italie sur le fond de la demande principale de l’Allemagne,
notamment celui selon lequel, dans les circonsta nces de l’espèce, le ma nquement à l’obligation

d’accorder réparation aux victimes de crimes de guerre a des conséquences particulières sur
l’application du principe de l’immunité juridictionnelle de l’Etat.

B. En réponse à la troisième question posée par M.le juge Cançado Tr indade, l’Allemagne a
déclaré: «Le régime de réparation mis en pl ace après la seconde guerre mondiale était un
régime de réparation interétatique classique et global.»

Cette déclaration ne résiste pas à un examen attentif. L’Allemagne a reconnu, tant dans ses
écritures que dans ses plaidoiries 2, avoir indemnisé «partielleme nt» les victimes italiennes de
crimes de guerre. Les seuls bénéficiaires des di spositions du traité d’indemnisation de 1961 (seul

accord conclu entre l’Allemagne et l’Italie sur les réparations pour crimes de guerre) étaient les

1
Voir RA, par. 33.
2
Voir CR 2011/20, par. 9-10 (Wasum-Rainer). - 2 -

victimes de persécution. Par conséquent, l’assertion de l’Allemagne en réponse à la troisième

question posée par M. le juge Cançado Trindade, qui reprend celle figurant dans la réplique et selon
laquelle le régime de ré paration était «global», peut difficilement être tenue pour exacte, en
particulier si l’on considère la situation des victimes italiennes de crimes de guerre.

Qui plus est, les arguments développés par l’Allemagne elle-même à l’appui de sa thèse
démontrent clairement que de nombreuses victimes italiennes de crimes de guerre n’ont eu droit à
aucune réparation. Pour justifier son refus de les indemniser, l’Allemagne soutient que la clause de
3
renonciation contenue dans l’artic le77 du traité de paix de 19 47 l’a exonérée de son obligation
(argument contesté par l’Italie dans le cadre de la présente procédur e). L’Italie a montré que cette
clause de renonciation ne couvrait pas ⎯ et ne pouvait couvrir ⎯ les demandes de réparation pour
4
crimes de guerre .

Enfin, le principal argument défendu par l’ Allemagne pour justifier l’absence de réparation

accordée aux victimes italiennes 5e crimes de guerr e est que, jusqu’au 8septembre 1943, l’Italie
était une alliée de l’Allemagne . Cet argument est néanmoins erroné, comme l’Italie l’a clairement
exposé dans ses plaidoiries, car il confond le régime de la responsabilité de l’Etat pour violations

du jus ad bellum avec les conséquences des violations du jus in bello , et ignore en particulier le
régime spécial de la responsabilité de l’Etat en cas de violations graves du droit international
humanitaire.

C. La réponse de l’Allemagne à la troisième question de M. le juge Cançado Trindade se lit comme
suit :

«Les victimes qui s’estiment fondées à le faire peuvent intenter une action
contre l’Allemagne devant les tribunaux allemands. La Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) a confirmé, à cet égard, que l’application du droit interne et du droit

international par la justice a llemande n’était ni arbitraire ni contraire au paragraphe 1
de l’article6 de la conven tion de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, qui garantit le droit à l’accès à la justice. La jurisprudence applicable

est dûment citée par l’Allemagne dans ses plaidoiries.»

A cet égard, l’Italie aimerait formuler l’observation suivante.

Le fait que les victimes italiennes aient eu accès aux tribunaux allemands ne signifie pas
qu’elles se sont vu offrir un recours effectif. Co mme le montre l’Italie dans son contre-mémoire
(p.10-15), la législation allemande ⎯en particulier la loi fédérale d’indemnisation de 1953 ⎯

imposait un certain nombre de conditions excessi ves aux victimes italiennes qui souhaitaient
obtenir réparation. Du fait de ces critères restrictifs, la plupart des demandes introduites par des
ressortissants étrangers n’ont pas été accueillies par les tribunaux allemands. A cet égard, le renvoi

de l’Allemagne à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est
inopportune, puisque ces décisions reposent sur l’hypothèse selon laquelle «la convention n’impose
pas d’obligations spécifiques à la charge des Etats contractants d’indemniser des dommages causés

avant qu’ils n’aient ratifié la convention» ( Associazione Nazionale Reduci dalla Prigionia
dall’Internamento e dalla Guerra di Liberazione et 275 autres c. Allemagne , n° 45563/04, décision

3Voir RA, par. 33. et CR 2011/20, par. 23 (Tomuschat).
4
Voir CMI, par. 5.47-5.56 ; RI, par. 3.7-3.16 ; et CR 2011/18, par. 4-25 (Zappalà).
5Ult. loc. cit. - 3 -

e
du 4 septembre 2007, par. 1). De plus, les victimes du III Reich qui ont engagé des actions contre
l’Allemagne revendiquaient essentiellement le droit au respect de la propriété, tel qu’énoncé à
l’article premier du protocole additionnel à la c onvention européenne des dr oits de l’homme. La

CEDH a jugé ces demandes irrecevables au motif que les faits incriminés échappaient à cette règle
(voir Associazione Nazionale Reduci dalla Prigionia, op. cit. ; Sfountouris et autres c. Allemagne,
o o
n 24120/06, décision du 31 mai 2011 ; Ernewein et autres c. Allemagne, n 14849/98, décision du
12 mai 2009).

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