Réponse écrite de l'Italie aux questions qui lui ont été posées par MM. les juges Simma et Cançado Trindade et par le juge ad hoc Gaja au terme de l'audience publique du 16 septembre 2011 (traduction)

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17612
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Question posée à l’Italie par le juge Simma

«L’Italie considère que la clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 ne couvre pas  et ne peut pas couvrir  les graves violations du droit
international humanitaire commises par l’Allemagne contre des Italiens. Selon le défendeur, le
droit international faisait en 1947 déjà et fait jusqu’à aujourd’hui obligation à l’Italie de ne pas

renoncer à des réclamations visant à engager la responsabilité de l’Allemagne à raison de telles
violations. Etant donné la grande importance attachée par l’Italie à ces réclamations, je
souhaiterais poser la question suivante, d’ordre factuel :

Pourriez-vous décrire en détail les tentatives faites par le Gouvernement italien pour amener
l’Allemagne, par la voie diplomatique, à accorder réparation aux victimes italiennes des crimes de

guerre allemands, c’est-à-dire précisément à la catégorie de victimes italiennes prétendument
exclues du bénéfice des mesures de réparation accordées par l’Allemagne pendant la période
comprise entre la conclusion du traité de paix de 1947 et l’affaire Ferrini.»

1. La question posée par le juge Simma : observations préliminaires

1. Le juge Simma a rappelé que «[l]’Italie considèr[ait] que la clause de renonciation figurant
au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne couvr[ait] pas  et ne p[ouvait] pas
couvrir  les graves violations du droit international humanitaire commises par l’Allemagne
contre des Italiens». «Selon le défendeur, le droit international faisait en 1947 déjà et fait jusqu’à
aujourd’hui obligation à l’Italie de ne pas renoncer à des réclamations visant à engager la

responsabilité de l’Allemagne à raison de telles violations» et, «[é]tant donné la grande importance
attachée par l’Italie à ces réclamations», le juge a posé une question qui, a-t-il précisé, était
«d’ordre factuel» ; il a notamment demandé à l’Italie de «décrire en détail les tentatives faites par
le Gouvernement italien pour amener l’Allemagne, par la voie diplomatique, à accorder réparation
aux victimes italiennes des crimes de guerre allemands, c’est-à-dire précisément à la catégorie de

victimes italiennes prétendument exclues du bénéfice des mesures de réparation accordées par
l’Allemagne pendan1 la période comprise entre la conclusion du traité de paix de 1947 et
l’affaire Ferrini» .

Cette question est pour l’Italie l’occasion de formuler quelques autres considérations sur le
fait que les victimes italiennes des crimes de guerre n’ont pas obtenu réparation.

2. Tout d’abord, avant de répondre à cette question très précise du juge Simma sur les
tentatives faites par la voie diplomatique, il semble nécessaire d’examiner, même brièvement, le
libellé de son préambule.

3. En ce qui concerne la première phrase, («L’Italie considère que la clause de renonciation

figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne couvre pas  et ne peut pas
couvrir  les graves violations du droit international humanitaire commises par l’Allemagne
contre des Italiens»), l’Italie n’a pas d’objection, étant donné qu’elle résume correctement sa
position.

4. En revanche, l’Italie affirme respectueusement que la deuxième phrase du préambule ne
résume pas fidèlement la thèse qu’elle a présentée à la Cour. La phrase «[s]elon le défendeur, le
droit international faisait en 1947 déjà et fait jusqu’à aujourd’hui obligation à l’Italie de ne pas
renoncer à des réclamations visant à engager la responsabilité de l’Allemagne à raison de telles

1Les italiques sont de nous. - 2 -

violations» présente ses vues de manière incorrecte et sous un jour qui, sans les éclaircissements
qui s’imposent, pourrait être préjudiciable à sa position.

5. Pour l’Italie, l’Allemagne est tenue d’accorder réparation aux victimes italiennes de
violations graves du droit international humanitaire en vertu de principes de droit international qui

ne souffrent aucune dérogation. A cet égard, l’Italie n’a jamais formulé aucune renonciation visant
à exonérer l’Allemagne de sa responsabilité, et elle n’aurait pu le faire. Par conséquent, même si
l’Italie n’avait pas fait de démarches diplomatiques pressantes pour amener l’Allemagne à accorder
réparation aux victimes italiennes des crimes de guerre commis par le III Reich, les obligations de
l’Allemagne n’en seraient pas pour autant privées d’effet ou annulées, pas plus que l’Italie ne serait

privée du droit de demander, au nom de ses nationaux, que l’Allemagne se conforme au droit. Cela
est d’autant plus vrai qu’en vertu des principes intransgressibles du droit international humanitaire,
aucun Etat ne peut s’exonérer lui-même, ni exonérer un autre Etat, de la responsabilité encourue en
raison de violations graves de ce droit. L’Italie n’aurait donc pas été en mesure d’exonérer
l’Allemagne, que ce soit par un accord exprès (aucun n’a jamais été conclu) ou par une
renonciation implicite découlant de son prétendu silence. L’Allemagne ne pouvait non plus être

libérée de ses obligations d’aucune autre manière. La seule façon pour elle de s’acquitter de ces
obligations est de conclure avec l’Italie des accords appropriés au profit des victimes italiennes ou
de verser des réparations directement à ces victimes. Or elle n’a fait ni l’un ni l’autre.

6. La deuxième observation d’ordre géné2al est que, s’il est vrai  comme l’Italie l’a
indiqué lors du premier tour de plaidoiries  que l’Allemagne n’a pas fait l’objet de demandes
pressantes et réitérées en raison des relations amicales existant entre les deux pays, c’est en raison
du contexte juridique particulier dans lequel la question des réparations s’est posée. En outre, en
ce qui concerne les crimes de guerre commis contre la population civile de plusieurs villages

italiens, il faut aussi dûment tenir compte du fait que, dans de nombreux cas, des preuves solides
n’ont été réunies que dans les années quatre-vingt-dix et des poursuites pénales engagées devant les
juridictions pénales italiennes que ces toutes dernières années.

2. La position de l’Italie à l’égard de l’Allemagne dans cette triste et longue affaire de déni de

justice

7. Pour en venir à l’aspect plus factuel de la question du juge Simma, l’Italie commencera
par faire l’historique des démarches diplomatiques effectuées. Elle donnera ensuite un aperçu du
contexte juridique dans lequel ces démarches diplomatiques officielles ont eu lieu. A cet égard,
elle tient notamment à souligner que ce n’est que récemment qu’il est apparu que l’Allemagne

n’avait pas l’intention de s’acquitter de ses obligations. Enfin, l’Italie expliquera pourquoi le fait
qu’elle ait rarement demandé réparation de manière officielle ne suffit pas à annihiler ni à éteindre
les droits conférés aux victimes par le droit international.

a) 1947-1961

8. Tout d’abord, il n’y a pas lieu de démontrer que des démarches ont été entreprises
entre 1947 et 1961 étant donné que les deux accords de 1961 prouvent que l’Italie avait refusé
d’admettre que la clause de renonciation de 1947 couvrait la moindre réclamation de quelque
nature que ce soit, y compris celles relatives à des crimes de guerre. A cet égard, le fait que des
divergences sont apparues entre les deux pays quant à la portée de la clause de renonciation est

attesté de manière concluante par le Gouvernement allemand lui-même dans le mémorandum qu’il

2CR 2011/18, p. 37, par. 39 (Zappalà). - 3 -

3
a présenté le 30 mai 1962 aux assemblées parlementaires et qui est cité dans le contre-mémoire de
l’Italie . Pour ce qui est de la période allant de 1947 à 1961, il existe donc des preuves directes et
intrinsèques qui indiquent que la clause de renonciation, telle qu’interprétée par l’Allemagne, n’a

pas satisfait les demandes italiennes.

b) 1961-1990

9. Par la suite, en ce qui concerne les décennies allant de 1961 à 1990, l’Italie a déjà expliqué
que, dans le cadre de l’accord général de 1961, elle a ratifié l’accord de Londres de 1953 sur les
dettes extérieures allemandes dont l’article 5, comme chacun sait, différait expressément
l’examen de la question pendante des réparations jusqu’ à un règlement définitif. Ce règlement

n’est toujours pas intervenu. Compte tenu du report ainsi convenu, il n’y avait donc pas lieu
d’insister auprès de l’Allemagne sur la nécessité d’accorder réparation aux victimes des crimes de
guerre.

c) 1990-2000

10. Après la conclusion du traité «Deux Plus Quatre» de 1990, qui était resté muet sur la

question des réparations, l’Allemagne a accordé une nouvelle série de réparations ex gratia, sur
laquelle l’Italie fondait de grandes espérances. Cette nouvelle série de réparations était
l’aboutissement d’un processus complexe qui avait conduit à l’adoption en 2000 de la loi portant
création de la Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir». A ce propos, il convient de rappeler

que ce processus trouvait son origine dans les recours que de nombreuses victimes des crimes de
guerre avaient introduits devant des tribunaux nationaux, notamment aux Etats-Unis (voir, par
exemple, l’affaire Princz) . Cela montre que, bien que l’Allemagne ait souvent rappelé le caractère
ex gratia des réparations versées dans le cadre de divers régimes, ces initiatives n’étaient pas

entièrement spontanées.

d) Les démarches diplomatiques entreprises par l’Italie depuis 2000

11. Toutefois, lorsqu’il est apparu que l’Allemagne n’entendait pas accorder réparation aux
victimes italiennes des crimes de guerre et que ses intentions véritables ont commencé à se faire
jour, le Gouvernement italien a changé d’attitude et est devenu plus entreprenant. L’Allemagne le
reconnaît dans sa réplique lorsqu’elle déclare «qu’après [l’adoption de] la loi de 2000 sur la

fondation «Mémoire responsabilité et avenir» … , l’Italie a fait des représentations auprès d’[elle] 6
au sujet de l’exclusion des internés militaires italiens de la portée ratione personae de cette loi» .

12. Il faut notamment préciser que, le 29 novembre 2000, une délégation mixte de

représentants du ministère des affaires étrangères et du ministère de la défense a rencontré à Berlin
des représentants du ministère des affaires étrangères et le directeur du bureau berlinois de
l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (l’organisation chargée de traiter les
demandes d’indemnisation).

A cette occasion, la délégation italienne a souligné que les internés militaires italiens
devaient faire partie des bénéficiaires du régime d’indemnisation de la Fondation et a rappelé qu’ils

3Drucksache des Deutschen Bundestages IV/438, p. 9.
4
CMI, par. 5.56, p. 109.
5Ibid., par. 4.75, p. 68-69.
6
Voir RA, p. 13. - 4 -

avaient été exclus du champ d’application des accords de 1961 (ce que l’Allemagne n’a jamais
contesté). La délégation a, en outre, insisté sur le statut particulier des internés militaires italiens,
expliquant qu’ils ne pouvaient pas être comparés aux autres catégories de prisonniers ou de
déportés. Les représentants de l’Auswaertiges-Amt ont répondu que les «prisonniers de guerre»
avaient été exclus de peur d’ouvrir une «boîte de Pandore». Toutefois, comme le III Reich avait

privé les internés militaires italiens de ce statut, l’Italie comptait réellement que ces victimes
italiennes des crimes de guerre seraient parmi les bénéficiaires des réparations.

13. En novembre 2000 puis à plusieurs reprises au printemps 2001, l’ambassade d’Italie à
Berlin a soulevé la question des internés militaires italiens auprès des autorités allemandes,

soulignant qu’il serait totalement injuste que ceux-ci ne fassent pas partie des bénéficiaires de
l’indemnisation accordée par la Fondation. C’est dans ce contexte que, le 7 mars 2001,
l’ambassadeur d’Italie à Berlin, S. Exc. Silvio Fagiolo, a rencontré le président du Kuratorium de la
Fondation Jansen pour plaider la cause de leur indemnisation.

14. Comme l’a également rapporté la presse allemande à l’époque (voir notamment l’article
de Juergen Jeske paru dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 12 novembre 2001), l’exclusion
des anciens internés militaires italiens et d’autres victimes italiennes du Nazisme du nombre des
bénéficiaires de la Fondation «Mémoire responsabilité et avenir» était essentiellement due à un
problème financier, et non à un obstacle juridique, lequel a en fait été créé de toutes pièces
ultérieurement. Le 14 mai 2001, lors d’un entretien avec l’ambassadeur italien à Berlin de

l’époque, Silvio Fagiolo, qui plaidait à nouveau en faveur des internés m7litaires italiens, le haut
fonctionnaire compétent de la chancellerie fédérale, Graf Lambsdorff , a reconnu que le problème
était essentiellement d’ordre financier.

15. L’appui que le Gouvernement italien a apporté à la délégation d’internés militaires

italiens qui s’est rendue en mission à Berlin le 27 juin 2001 et a rencontré M. Tomuschat, qui
agissait à l’époque à titre privé en qualité d’expert chargé par le ministère des finances de clarifier
le statut de ces internés pour déterminer si le régime de réparation de la Fondation leur était
applicable, confirme que l’Italie, en tant qu’Etat souverain, avait à cœur d’amener l’Allemagne à
exécuter ses obligations de réparation.

16. Les effets de l’intervention du Gouvernement italien peuvent également se déduire de la
décision de reporter au 31 décembre 2001 la date limite fixée pour le dépôt des demandes
d’indemnisation auprès de la Fondation.

17. Finalement, le 2 août 2001, le directeur des affaires juridiques du ministère des affaires
étrangères (Auswaertiges-Amt), M. Westdickenberg, a eu une entrevue avec l’ambassadeur d’Italie
à Berlin et l’a officiellement informé des conclusions auxquelles l’expert, M. Tomuschat, était
parvenu dans son avis. Dans celui-ci, les internés militaires italiens étaient assimilés à des
prisonniers de guerre afin de les priver de tout droit d’obtenir une indemnisation dans le cadre du

régime de réparations de la Fondation. M. Westdickenberg a également informé l’ambassadeur
que le Gouvernement allemand avait décidé de suivre l’avis de M. Tomuschat. A cette occasion,
l’ambassadeur Fagiolo a immédiatement dénoncé très clairement, comme source d’injustice
flagrante, le raisonnement suivi par l’expert dans son avis et la décision des autorités allemandes de
suivre celui-ci. Il va sans dire que celles-ci n’auraient pas informé sur le champ l’ambassadeur

7En 1999, le chancelier Schröder a nommé M. Lambsdorff envoyé fédéral aux négociations sur l’indemnisation
des victimes du travail forcé en Allemagne durant la deuxième guerre mondiale, lesquelles ont abouti à la création de la
Fondation «Mémoire responsabilité et avenir». - 5 -

italien s’il s’était simplement agi d’une question concernant des nationaux italiens et n’ayant
aucune incidence sur les relations entre les deux pays.

18. Ceux-ci avaient toujours entretenu des relations diplomatiques claires et traditionnelles
au niveau interétatique. L’Allemagne avait une nouvelle fois manqué à ses obligations à ce niveau
parce qu’elle avait invariablement agi sur la base de l’hypothèse erronée selon laquelle la clause de
renonciation l’avait exonérée de toutes ses responsabilités.

4. Observations finales

19. S’il est peut-être vrai que les preuves des démarches diplomatiques accomplies, sous la
forme de documents officiels, sont rares, non seulement cela s’explique par diverses raisons
juridiques mais, durant la période la plus pertinente (2000/2001), les autorités diplomatiques
italiennes et allemandes se sont rencontrées à de nombreuses reprises.

20. De plus, l’Allemagne a, par le passé, toujours maintenu que les accords étaient sans

préjudice de toute mesure de réparation qui pourrait être accordée aux particuliers en vertu du droit
allemand ; l’Italie ne pouvait concevoir que cela conduirait les autorités allemandes à faire fi des
réclamations légitimes des victimes italiennes des crimes de guerre. Elle espérait, du fait même des
relations entre les deux pays et de leur engagement commun en faveur de l’intégration européenne,
que ses nationaux auraient accès à ces voies de recours effectives.

21. Pour dire les choses simplement, l’Italie n’a renoncé à aucune réclamation à raison des

crimes de guerre et n’a en aucune manière acquiescé au manquement de l’Allemagne à son
obligation de réparation. Quoi qu’il en soit, ni le silence ni même le simple passage du temps ne
peuvent éteindre de telles réclamations. Les crimes de guerre ne sont soumis à aucune prescription,
que ce soit dans l’ordre juridique interne ou au niveau international. Cela est vrai s’agissant non
seulement du châtiment des individus mais aussi des demandes en réparation et de la responsabilité
des Etats.

22. En conclusion, il est incontestable que l’Italie a fait des démarches significatives pour
demander à l’Allemagne d’indemniser les nombreuses victimes des crimes de guerre. Il faut
toutefois souligner qu’en tout état de cause, même si l’Italie n’avait pas fait ces démarches (ce qui,
comme nous l’avons vu plus haut, n’est pas le cas), aucune règle ne justifie d’écarter des
obligations découlant de principes intransgressibles du droit international humanitaire.
L’Allemagne ne peut pas invoquer le contenu de sa législation nationale pour justifier, au niveau
international, que des catégories entières de victimes des crimes de guerre n’aient pas obtenu

réparation. Si cette législation présente des imperfections ou si sont interprétation est erronée, il
appartient aux autorités allemandes d’y remédier comme il convient. L’Italie était et est toujours
disposée à examiner la question de l’indemnisation des victimes italiennes des crimes de guerre
dans le cadre d’un règlement interétatique approprié.

___________ Questions posées aux deux Parties par M. le juge Cançado Trindade

«1. A la lumière des arguments que vous avez développés pendant ces
audiences publiques et au vu des accords de règlement conclus en 1961 entre
l’Allemagne et l’Italie, quelle est la portée exacte des clauses de renonciation
contenues dans ceux-ci et de la clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de
l’article 77 du traité de paix de 1947 ? La question des réparations peut-elle être
considérée comme totalement close aujourd’hui, ou certains de ses aspects
demeurent-ils en suspens ?

2. L’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables commis sur le
territoire de l’Etat du for) est-elle limitée aux actes jure gestionis ? Peut-elle l’être ?
Les actes jure imperii connaissent-ils également une telle exception ? Comment les
crimes de guerre peuvent-ils être considérés comme des actes jure  je répète
jure imperii ?

3. Les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère spécifiquement
ont-elles effectivement été indemnisées ? Si tel n’est pas le cas, ont-elles droit à une
telle réparation et comment peuvent-elles être effectivement indemnisées, si ce n’est
par une procédure de droit interne ? Peut-on encore considérer que, lorsque des
violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire sont en
cause, le régime des réparations s’épuise au niveau interétatique ? Le droit à
réparation est-il lié au droit à l’accès à la justice lato sensu ? Et quelle est la relation

entre ce droit à l’accès à la justice et le jus cogens ?»

1. A) Quelle est la portée exacte des clauses de renonciation contenues dans les accords de
règlement conclus en 1961 entre l’Allemagne et l’Italie et de la clause de renonciation
figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ?

L’Italie rappelle que les deux accords conclus en 1961 étaient le résultat d’un processus qui,

en soi, témoignait de divergences d’opinion entre l’Italie et l’Allemagne quant à la portée de la
clause de renonciation figurant dans le traité de paix de 1947 et du fait que l’Allemagne devait
prendre des mesures pour remédier à ces divergences. Ainsi, les accords constituaient une mesure
de réparation, d’une part, pour régler des questions économiques en suspens (l’accord de
«règlement») et, d’autre part, pour indemniser les victimes de persécutions (l’accord
d’«indemnisation»). Le premier accord concernait principalement les relations économiques entre
l’Italie et l’Allemagne (et entre ressortissants italiens et allemands) et prouve de manière

concluante que l’Italie n’avait jamais accepté l’interprétation que l’Allemagne faisait de la clause
de renonciation, tandis que le second accord portait sur une catégorie spécifique de victimes qui
avaient été visées sur la base de motifs discriminatoires spécifiques. Toutefois, ces deux accords
ne couvrent qu’un sujet donné bien précis : les questions économiques en suspens et les réparations
aux victimes de persécutions. De surcroît, ils contiennent des clauses de renonciation, et
notamment l’accord de «règlement» (qui porte sur les questions économiques en suspens)
prévoyait, à la charge de l’Italie, l’obligation de garantir qu’aucune réclamation ne serait à l’avenir

faite à l’Allemagne. Cependant, même ces clauses concernaient uniquement l’objet de l’accord et
n’étaient pas (et n’auraient pu être) d’une portée telle qu’elles couvraient, en plus de cet objet, les
demandes de réparation à raison de crimes de guerre. Il est donc justifié de dire que les accords et
les clauses de renonciation qu’ils contiennent sont spécifiquement limités aux demandes relevant
du champ d’application de l’accord pertinent : les questions économiques en suspens, d’une part, et
les réclamations des victimes de persécutions, d’autre part. - 2 -

A propos de la clause de renonciation du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix
de 1947, l’Italie rappelle que, dans ses écritures et ses plaidoiries, elle a largement démontré que

cette clause ne s’appliquait pas aux demandes d’indemnisation nées de violations graves du droit
international humanitaire.

B) La question des réparations peut-elle être considérée comme totalement close
aujourd’hui, ou certains de ses aspects demeurent-ils en suspens ?

S’agissant du second aspect de la question posée par M. le juge Cançado Trindade, l’Italie

fait observer que la question des réparations n’est pas close. Plusieurs catégories de victimes n’ont
jamais été prises en compte dans le cadre de l’attribution de réparations, y compris les victimes
italiennes appartenant aux catégories évoquées dans les affaires qui sont à l’origine du présent
différend.

2. A) L’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables commis sur le territoire de
l’Etat du for) est-elle limitée aux actes jure gestionis ?

L’«exception délictuelle» à l’immunité s’applique à la fois aux actes jure gestionis et aux
actes jure imperii accomplis par un Etat étranger sur le territoire de l’Etat du for. Cette opinion est
corroborée par les commentaires de la Commission du droit international relatifs au projet
d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, par l’article 11 de la
convention européenne sur l’immunité des Etats et par la pratique des Etats (voir, parmi les
exemples de cette pratique cités au cours de la procédure orale, les législations du Royaume-Uni,
de Singapour, du Canada, d’Israël, des Etats-Unis, d’Argentine, d’Afrique du Sud, d’Australie et

du Japon (ibid., p. 44), les arrêts de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Kazemi (Estate of)
and Hashemi v. Iran, Ayatollah Ali Khamenei and ors (ibid., p. 40), de la Cour suprême du Canada
dans l’affaire Schreiber c. Canada (procureur général) et République fédérale d’Allemagne
(CR 2011/21, p. 33), de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique dans l’affaire République
argentine c. Amerada Hess (ibid., p. 32), et de la de la Cour suprême polonaise dans l’affaire
Natoniewski (ibid., p. 34 ; voir également l’annexe 5 des observations écrites de l’Allemagne sur la
déclaration écrite de la République hellénique du 3 août 2011, p. 12)). La doctrine en la matière

étaye également ce point de vue (voir contre-mémoire de l’Italie, p. 52, note 96).

B) Peut-elle l’être ?

Comme le reconnaît la Commission du droit international dans les commentaires de son
projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (voir CR 2011/18,
p. 42), la distinction entre actes jure imperii et actes jure gestionis a été maintenue dans la

jurisprudence de certains Etats à l’égard d’actes préjudiciables commis sur le territoire de l’Etat du
for par un Etat étranger. On peut interpréter cela comme signifiant que, dans de telles situations, il
n’est pas interdit aux Etats d’accorder l’immunité pour des actes jure imperii. Toutefois,
conformément à l’opinion exprimée par la Commission du droit international sur cette question,
l’Italie soutient que cette pratique n’affecte en rien la conclusion selon laquelle il n’existe pas
d’obligation d’accorder l’immunité pour des actes jure imperii lorsque l’exception délictuelle
s’applique.

C) Les actes jure imperii connaissent-ils également une telle exception ?

Rien dans la notion d’actes jure imperii n’oblige à conclure que l’exception délictuelle ne
s’applique pas à cette catégorie d’actes. La justification de cette exception à l’immunité est fondée
sur l’affirmation de la juridiction ou du contrôle local sur les actes préjudiciables commis sur le - 3 -

territoire de l’Etat du for. Comme l’a relevé M. Crawford (pour référence, voir CR 2011/21, p. 59,
par. 32), lorsqu’un Etat affirme sa juridiction sur des

«actes préjudiciables commis par un autre Etat», il ne se fonde «manifestement pas sur
une distinction entre les «actes de gouvernement» et les actes n’appartenant pas à cette
catégorie, mais entend affirmer son contrôle (c’est-à-dire sa juridiction) sur des formes
évidentes de préjudice ou de dommage».

De surcroît, comme l’a fait observer la Commission du droit international (pour référence, voir
CR 2011/18, p. 46, note 43), «[p]uisque l’acte ou l’omission dommageables se sont produits sur le

territoire de l’Etat du for, la loi applicable est manifestement la lex loci delicti commissi et le
tribunal le plus indiqué est celui de l’Etat où le délit a été commis». Si l’on tient compte du motif
qui justifie l’exception délictuelle, il devient évident qu’elle s’applique à tous les actes commis par
un Etat étranger sur le territoire de l’Etat du for, qu’il s’agisse d’actes jure imperii ou d’actes
jure gestionis.

D) Comment les crimes de guerre peuvent-ils être considérés comme des actes jure  je
répète jure  imperii ?

L’Italie sait que d’aucuns estiment que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité
ne sauraient être considérés comme des actes de souveraineté pour lesquels l’Etat est en droit
d’invoquer l’immunité souveraine comme moyen de défense (voir contre-mémoire de l’Italie,
p. 65-66, où l’Italie évoque l’opinion exprimée par le juge Sporkin dans l’affaire Princz

c. République fédérale d’Allemagne, ainsi que par la doctrine, sous la plume de Kokott, Belsky,
Roth-Arriaza et Merva). Si l’Italie reconnaît que, dans ce domaine, le droit de l’immunité de l’Etat
est en pleine évolution, elle admet également qu’on ne dire à ce stade si cette évolution aboutira à
une nouvelle exception générale à l’immunité  à savoir une règle permettant de refuser
l’immunité à chaque fois qu’une demande d’indemnisation découle de crimes internationaux.
C’est pourquoi l’Italie, tenant compte des circonstances spécifiques et, dans une certaine mesure,
uniques qui caractérisent les affaires portées devant les tribunaux italiens, s’appuie sur d’autres

arguments  à savoir l’exception délictuelle et l’existence en l’espèce d’un conflit insoluble entre
l’immunité et l’application effective de règles impératives  pour étayer son opinion selon
laquelle elle n’était pas tenue d’accorder l’immunité juridictionnelle à l’Allemagne.

3. A) Les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère spécifiquement ont-elles

effectivement été indemnisées ?

Aucune des victimes entrant dans les catégories mentionnées dans les affaires qui sont à
l’origine du présent différend n’a reçu d’indemnisation. Certaines de ces victimes n’ont jamais eu
la possibilité de demander réparation car aucun mécanisme n’a jamais été instauré à cet effet : c’est
par exemple le cas des proches des victimes des massacres perpétrés par des agents du
troisième Reich contre la population civile. Quant aux internés militaires italiens, cela fait presque
une décennie qu’ils tentent en vain d’obtenir réparation. Par ailleurs, les autorités allemandes ne

semblent aucunement avoir l’intention de conclure avec l’Italie un accord en vue d’indemniser ces
catégories de victimes.

B) Si tel n’est pas le cas, ont-elles droit à une telle réparation et comment peuvent-elles
être effectivement indemnisées, si ce n’est par une procédure de droit interne ?

Pour l’instant, il n’y a d’autre recours que les recours internes. Les mécanismes internes

allemands n’ont pas fonctionné en faveur des catégories de victimes concernées par les affaires qui
sont à l’origine du présent différend et aucun accord n’a jamais été conclu avec l’Italie afin - 4 -

d’indemniser ces victimes. En fait, si les tribunaux internes n’avaient pas refusé l’immunité, les
victimes de crimes de guerre n’auraient disposé d’aucun autre recours pour obtenir réparation.

L’ambassadeur d’Italie à Berlin a, par exemple, fait état de la forte réticence à conclure un accord
spécifique pour indemniser les internés militaires italiens dont ont fait preuve les autorités
allemandes lors des pourparlers relatifs à une éventuelle indemnisation par la fondation.

C) Peut-on encore considérer que, lorsque des violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire sont en cause, le régime des réparations s’épuise au
niveau interétatique ?

Lorsque des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire
sont en cause, le régime des réparations ne s’épuise pas au niveau interétatique. Les victimes
individuelles de violations graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire
peuvent assurément saisir les tribunaux internes de leurs demandes d’indemnisation. Dans certains
cas, le droit interne prévoit des recours juridiques spécifiques pour que les victimes puissent obtenir
réparation ; dans d’autres, les victimes peuvent invoquer les règles internationales qui ont été

incorporées dans l’ordre juridique interne de l’Etat du for. Pour l’Italie, lorsque le recours aux
tribunaux nationaux est l’unique et ultime moyen dont disposent les victimes de crimes
internationaux pour obtenir réparation sous quelque forme que ce soit, une exception à l’immunité
est justifiée.

D) Le droit à réparation est-il lié au droit à l’accès à la justice lato sensu ?

La saisine des tribunaux internes constituant un mécanisme permettant aux victimes

individuelles de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire
d’obtenir réparation, il existe assurément un lien entre le droit à réparation et le droit à l’accès à la
justice. Dans certaines circonstances, le déni d’accès à la justice qui résulte de l’immunité
accordée à un Etat étranger peut avoir pour corollaire le déni d’une indemnisation effective.

E) Et quelle est la relation entre ce droit à l’accès à la justice et le jus cogens ?

Comme le suggère la question, il existe une relation évidente entre le droit à l’accès à la
justice et le jus cogens. La notion de jus cogens concerne non seulement les règles primaires mais
également les recours disponibles en cas de violation grave des obligations prescrites par les
normes qui ont ce caractère. A cet égard, un conflit pourrait en effet survenir entre les règles qui
empêchent les particuliers d’avoir accès à la justice  telles que la règle de l’immunité de l’Etat 
et l’application effective des règles de jus cogens. L’Italie considère que, lorsqu’un tel conflit

survient, et s’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir l’application effective du jus cogens, la
priorité doit être accordée à ce dernier en refusant l’immunité et en permettant ainsi aux victimes
individuelles d’accéder à la justice.

___________ Question posée aux deux Parties par M. le juge ad hoc Gaja

«Une renonciation formulée par l’Etat A, également au nom de ses nationaux,
relativement à une catégorie de réclamations à l’encontre de l’Etat B, implique-t-elle
que l’Etat B jouit de l’immunité de juridiction si un national de l’Etat A saisit les
tribunaux de celui-ci d’une réclamation entrant dans cette catégorie ?»

L’Italie estime qu’une renonciation telle que celle décrite par M. Gaja n’implique pas, et ne
peut pas impliquer, en soi que l’Etat B jouit de l’immunité de juridiction. L’immunité et les effets

d’une clause de renonciation agissent à deux niveaux distincts. L’immunité est un obstacle à la
juridiction fondé sur la qualité d’Etat souverain du défendeur : en d’autres termes, la question est
l’immunité est une question procédurale qui doit être traitée in limine litis. Au contraire, la
renonciation à des revendications ou à des droits a pour effet de rendre une réclamation inopérante
ou de priver une personne de son droit substantiel. En principe, la question de l’immunité précède
celle des effets découlant d’une clause de renonciation. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en
octobre 2008 dans l’affaire Josef Milde, la Cour de cassation italienne a bien pris soin de distinguer

la question de l’immunité dont bénéficiait l’Allemagne en vertu du droit de l’immunité de l’Etat de
celle des effets découlant de la clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 (voir mémoire de l’Allemagne, annexe 16, p.17). Il convient par ailleurs de
rappeler que, quand bien même on admettrait, de façon purement hypothétique, que la clause de
renonciation du traité de paix a en soi pour effet de priver les tribunaux italiens de compétence à
l’égard des réclamations fondées sur des faits datant de la seconde guerre mondiale formulées à
l’encontre de l’Allemagne, cela ne pourrait en aucun cas avoir d’incidence sur la question de la

juridiction à l’égard des graves violations du droit international humanitaire commises par
l’Allemagne puisque (comme l’a démontré l’Italie dans ses écritures et ses plaidoiries) la portée de
la clause de renonciation ne s’étend pas (et ne pourrait pas s’étendre) aux réclamations fondées sur
de telles violations.

___________

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Réponse écrite de l'Italie aux questions qui lui ont été posées par MM. les juges Simma et Cançado Trindade et par le juge ad hoc Gaja au terme de l'audience publique du 16 septembre 2011 (traduction)

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