Mémoire de la Belgique

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16933
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

QUESTIONS CONCERNANT L'OBLIGATION
DE POURSUIVRE OU D'EXTRADER

(BELGIQUE C. SENEGAL)

MEMOIRE

DU ROYAUME DE BELGIQUE

LIVRE I

1EJUILLET 2010 TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ........................................................................
..7........................................

I. L'objectif recherché par la Belgique dans la présente instance ........................ 7

II. La procédure........................................................................7..................................

III. La structure du mémoire ..........................................................11............
............

CHAPITREI LES FAITS.................................................................13.....
........................

I. Le Tchad au temps de M. Habré .....................................................13.................

II. Les procédures contre M. Habré au Sénégal..........................................15........

III. L'instance judiciaire introduite contre M. Habré en Belgique ....................... 17

IV. Les efforts de la Belgique en vue d'encourager et d'aider le Sénégalà

remplir son obligation de poursuivre ou d'extrader ........................................ 21

V. La saisine de l'Union africaine et les développements ultérieurs ................... 35

A. Le renvoi de l'affaire H. Habréà l'Union africaine ....................................... 36

B. Les efforts de l'Union africaine et de l'Union européenne pour aider le

Sénégalà organiser des poursuites ...........................................40....................

VI. Résumédes faits .................................................................455....
.........................

CHAPITREII LES PROCEDURESDEVANTLE COMITE CONTRELA TORTURE,LA

COURAFRICAINEDESDROITSDEL'HOMMEETDESPEUPLESETLA

COURDEJUSTICEDELACOMMUNAUTE ECONOMIQUE DESÉTATS

DEL'AFRIQUEDEL'OUEST(CEDEAO) ............................................49..

I. Comité contre la torture .........................................................49.............
.............

II. Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ....................................... 52

III. Cour de Justice de la Communauté économique des États de l'Afrique

de l'Ouest (CEDEAO) ..............................................................52........
.................

3CHAPITRE III LA COMPETENCE DE LA COUR ..................................................55...........

I. La compétence en vertu de l'article 30 de la Convention contre la

torture ........................................................................
........................................... 56

A. L'existence d'un différend........................................................57..............
.....

B. Le différend n'a pas pu êtreréglépar la négociation..................................... 60

C. La demande d'arbitrage ...........................................................62...........
..........

D. Les Parties n'ont pas pu s'entendre sur l'organisation d'un arbitrage

dans les six mois...............................................................64.......
.....................

II. La compétence en vertu des déclarations d'acceptation de la juridiction

obligatoire ........................................................................
.....................................

A. L'existence d'un différendjuridique .............................................................. 66

B. L'inapplicabilité de la limite ratione temporis............................................... 67

C. L'absence d'autres moyens de règlement ...................................................... 68

D. Le conflit n'entre pas dans la compétence exclusive du Sénégal.................. 68

CHAPITRE IV LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL IMPUTABLES AU

SENEGAL ...................................................................69...
.........................

I. Les violations de la Convention contre la torture ............................................ 69

A. Les obligations découlantde la Convention contre la torture ........................ 69

1. La Convention contre la torture .............................................................. 69

2. L'obligation de poursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare)

établiepar la Convention contre la torture .............................................. 72

a) L'obligation d'établirune compétenceuniverselle........................74

b) L 'obligationde poursuivre ou d'extrader........................................ 77

B. Le Sénégalne s'est pas acquitté de ses obligations en vertu de la

Convention contre la torture ........................................................................
...

1. Le Sénégaln'a pas adopté les mesures nécessaires prescrites par

l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture ................... 81

4 2. Le Sénégala manquéà son obligation de poursuivre ou d'extrader
découlantde l'article 7 de la Convention contre la torture ..................... 85

a) Le Sénégala manqué à son obligation de poursuivre ou

d'extrader M. Habrévers la Belgique ............................................. 85

b) La saisine de l'Union africaine ne constitue pas une

alternative au respect des obligations conventionnelles du

Sénéga.l.......................................................................
..................... 88

c) Le Sénégaln'a toujours ni ouvert d'enquêtepréliminaire ni

soumis l'affaire H. Habré aux autorités compétentes pour

l'exercice de l'action pénale............................................................ 90

II. Les violations d'autres règles du droit international conventionnel et

coutumier ........................................................................
.92..................................

A. Obligations conventionnelles et coutumières de répression des autres

crimes imputésà M. Habré........................................................................
.... 93

1. Les crimes contre l'humanité.................................................................. 93

2. Les crimes de guerre ........................................................................
....... 99

3. Le crime de génocide........................................................................
.... 100

B. Les modalitésde l'obligation de répression................................................. 105

C. Fondement juridique des compétences que le Sénégaldoit exercer à

l'égarddes crimes imputésà M. Habré........................................................ 108

CHAPITRE V LA RESPONSABILITE DU SENEGAL ET LES REMEDES ........................... 113

1. Des «difficultés» d'ordre financier, juridique ou autre ne peuvent pas

délier le Sénégalde ses obligations ou excuser leur violation ........................ 113

II. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégal................ 117

III. Le contenu de la responsabilité du Sénégal..................................................... 119

CONCLUSIONS ........................................................................
123....................................

5 INTRODUCTION

1. L'objectif recherchépar la Belgique dans la présenteinstance

0.01. Le Royaume de Belgique (ci-après la «Belgique») souhaite souligner que

l'introduction de la présente instance ne constitue en aucune manière un acte inamical à

l'encontre de la République du Sénégal(ci-après le «Sénégal»), pays avec lequel il

entretient depuis longtemps des relations excellentes. L'objectif de la Belgique est de faire

respecter le principe fondamental, reconnu tant par le Sénégalque par la Belgique, et

endossé par l'Union africaine, selon lequel les auteurs de crimes graves du droit

international, y compris les crimes de torture, les crimes de génocide, les crimes contre

l'humanité et les crimes de guerre, ne doivent pas rester impunis. A cette fin, le respect

scrupuleux des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (ci-après la «Convention contre la
1
torture ») et d'autres règles du droit international conventionnel ou coutumier relatives à

l'obligation aut dedere aut judicare est essentiel. C'est dans cet esprit, et dans l'espoir

qu'elle contribuera à une solution satisfaisante pour les deux parties, que la présente

instance a étéintroduite par la Belgique.

II. La procédure

0.02. Par requête datée du 16 février2009 et déposée au Greffe de la Cour

le 19 février2009, le Royaume de Belgique (ci-après la «Belgique») a introduit une

instance contre la République du Sénégal(ci-après le «Sénégal») dans le cadre d'un

différend concernant l'interprétation et l'application de la Convention contre la torture,

ainsi que l'application d'autres obligations coutumières et conventionnelles de répression

d'autres crimes graves de droit international. En effet, depuis fin 2000, des procédures ont

étéouvertes en Belgique afin que M. Habré, ancien président du Tchad, qui se trouve

actuellement au Sénégal,soit traduit en justice pour répondredes faits qui lui sont imputés

et qui peuvent êtrequalifiés, notamment, de crimes de torture et d'autres crimes graves de

1Nations Unies, Recueil des traités(RTNU), vol.p.123 (l-24841) (annexe A.1).

7droit international. Depuis 2005, la Belgique demande au Sénégalde juger M. Habré à

défautde l'extrader. A ce jour, le Sénégaln'a pas réponduconcrètement à ces demandes

de la Belgique.

0.03. La Belgique considère que le Sénégalest obligéde poursuivre pénalement M.

Habrépour des crimes de torture et d'autres crimes graves de droit international qui lui

sont imputésen tant qu'auteur, coauteur ou complice ou, à défautde poursuivre M. Habré,

de l'extrader vers la Belgique pour qu'il répondede ces crimes devant la justice belge.

0.04. La compétencede la Cour est fondéesur l'article 30 de la Convention contre la

torture et sur les déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faites

par la Belgique et par le Sénégalconformémentà l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la

Cour 2.

0.05. Le 19 février2009, après av01r déposéson acte introductif d'instance, la

Belgique a également présentéune demande en indication de mesures conservatoires

conformément aux articles 41 du Statut de la Cour et 73 à 75 de son Règlement. La

Belgique, inquiète des propos de M. A. Wade, président du Sénégal,selon lesquels le

Sénégalpourrait mettre fin à la mise en résidencesurveilléede M. Habrés'il ne trouve pas

le budget qu'il estime nécessaireà l'organisation de son procès, a déposéune demande en

indication de mesures conservatoires. Dans cette demande, la Belgique a prié la Cour

d'indiquer, en attendant qu'elle rende un arrêtdéfinitifsur le fond, que le Sénégalprenne

toutes les mesures en son pouvoir pour que M. Habré reste sous le contrôle et la
3
surveillance des autoritéssénégalaises .

0.06. Lors des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires,

tenues les 6, 7 et 8 avril 2009, le Sénégal,en réponseà une question poséepar un membre

de la Cour, a assuré qu'il ne permettait pas de laisser M. Habré quitter le territoire

sénégalais. Ces assurances données à la Cour ont étéexposées comme suit aux

paragraphes 38 et 68 de l'ordonnance:

2Annexe A.2.
3
Demande en indication de mesures conservatoirep.2. Annexe C.S.

8 « 38. Considérant qu'en réponse à la question posée par un membre de la Cour à
l'audience, viséeau paragraphe 33 ci-dessus, le Sénégala déclarésolennellement qu'il

ne /ermett.ait pas à M4 Habré de quitter son territoire pendant toute la durée de la
presente mstance » , et

« 68.... que le coagent du Sénégal,au terme de l'audience, a solennellement déclaré,

en réponse à une question poséepar un membre de la Cour, ce qui suit :

'Le Sénégalne permettra pas à M. Habré de quitter le Sénégalaussi longtemps
que la présente affaire sera pendante devant la Cour. Le Sénégal n'a pas

l'intention de permettre à M. Habré de quitter le territoire alors que cette affaire
est pendante devant la Cour.' » 5

Dans son ordonnance, la Cour a également rappeléqu'

«en réponse à une question posée par un membre de la Cour à l'audience, la
Belgique a indiqué qu'une déclaration solennelle prononcée devant la Cour par

l'agent du Sénégalau nom de son gouvernement pourrait suffire à la Belgique
pour considérer que sa demande en indication de mesures conservatoires n'aurait
plus d'objet, si ladite déclaration était claire et sans condition, et qu'elle

garantissait que toutes les mesures nécessaires seraient prises par le Sénégalpour
que M. Habré ne quitte pas le territoire sénégalaistant que la Cour n'aurait pas
6
rendu sa décisiondéfinitive ... » .

0.07. En raison des assurances précitéesdonnées solennellement devant la Cour par

le Sénégal,la Cour, dans une ordonnance rendue le 28 mai 2009, «prenant acte [de ces]

assurances données par le Sénégal,[a constaté] que le risque de préjudice irréparable aux

droits revendiqués par la Belgique n'[était] pas apparent à la date à laquelle la présente
7
ordonnance est rendue » et a jugé que les circonstances, telles qu'elles se présentaient

alors à la Cour, n'étaient pas de nature à exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des

mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut 8.La Cour a néanmoins notéque

son ordonnance «laisse également intact le droit de la Belgique de présenter à l'avenir une

4
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 38.
5
Ibid., par. 68. Cette assurance a étédonnée en anglais : «Senegal will not allow Mr. Habré to leave
Senegal while the present case is pending before the Court. Senegal has not the intention to allow Mr.
Habré to leave the territory while the present case is pending before the Court » (CR 2009/ll,

7 avril2009, p. 23, par. 6).
6Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures

conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 33.
7Ibid., par. 73.

8Ibid., par. 76

9nouvelle demande en indication de mesures conservatoires fondée sur des faits nouveaux,

en vertu du paragraphe 3 de l'article 75 du Règlement »9.

0.08. Le 9 juillet 2009, la Cour, après avmr consulté les parties, a pns une

ordonnance autorisant la présentation d'un mémoire de la Belgique, au 9 juillet 2010, et

d'un contre-mémoire du Sénégal,au 11juillet 2011 10.Le présent mémoire est présentéen

application de cette ordonnance.

0.09. Par une lettre datée du mêmejour, le Greffier de la Cour a sollicité de la

Belgique et du Sénégalqu'ils communiquent dans les meilleurs délais à la Cour un

document récapitulant de manière détaillée les informations dont elles disposent sur

certains élémentsnouveaux intervenus depuis que la Cour a rendu son ordonnance sur la

demande en indication de mesures conservatoires et relatifs :

aux diverses mesures prises par le Sénégalpour assurer la tenue du procès de M.

Habréaussitôt que possible ;

aux échanges diplomatiques entre les parties tendant à faciliter une coopération

entre elles aux fins dudit procès ;

aux démarches engagéespar le Sénégalauprès de l'Union africaine et de l'Union

européenne pour permettre le financement de celui-ci

0.10. La Belgique a répondu à la demande d'informations formulée par la Cour par

courrier du 16 juillet 2009, communiquée au Greffe par voie diplomatique le 28 juillet

2009.

0.11. Par une lettre datéedu 15juin 2010, le Sénégala transmis à la Cour une «Note

sur les dernières évolutions intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès de

M. Hissène HABRE, depuis le prononcé de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la requête

9
Ibid., par75.
10
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal),ordonnance du 9
juillet009.

10belge en indication de mesures conservatoires» (ci-après la «Note sur les dernières

evo ut10ns » accompagnee / d e p us1eurs annexes .11

III. La structure du mémoire

0.12. Le présentmémoire est diviséen cinq chapitres.

0.13. Le chapitre I présente les élémentsfactuels qm sont à l'origine du présent

différend. Il résume

la situation au Tchad sous la présidence de M. Habréqui, bien qu'elle ne constitue

pas le cŒur du différend qui oppose la Belgique au Sénégal,est néanmoins

importante en ce qu'elle constitue la base des procédures pénales engagées au

Sénégalet en Belgique à l'encontre de l'ancien président du Tchad;

les efforts faits par la Belgique afin de persuader et d'aider le Sénégalà s'acquitter

de son obligation de poursuivre M. Habré ou, à défaut, de l'extrader; ces efforts

ont mis en exergue le différend entre les deux États ; et

la sa1sme de 1'Union africaine et les développements qm ont eu lieu depuis

l'intervention de l'Union dans l'affaire H. Habré.

0.14. Le chapitre II récapitule, d'une part, les décisions concernant l'affaire H.

Habré rendues par le Comité contre la torture et, d'autre part, celles rendues par la Cour

africaine des droits de l'homme et des peuples et par la Cour de Justice de la Communauté

économique des États de l'Afrique de l'Ouest.

0.15. Au chapitre III, la Belgique démontre que la Cour a compétence pour

connaître du présent différend. Cette compétence se fonde sur l'article 30 de la Convention

contre la torture et sur les déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour

faites par la Belgique et par le Sénégalconformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut

de la Cour.

11 Note sur les dernières évolutionsintervenues dans la préparation,par le Sénégal,du procès de M. Hissène

Habrédepuis le prononcéde l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la requêtebelge en indication de mesures
conservatoires (15 juin 2010) Annexe D.9

11 0.16. Le chapitre IV démontre qu'en ne poursuivant pas et en n'extradant pas M.

Habré,le Sénégala violéet viole toujours les obligations qui sont les siennes découlantet

de la Convention contre la torture, d'une part, et des règles du droit international

conventionnel et coutumier, d'autre part. Le Sénégala notamment violéles obligations de

l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture. Il a également violéet viole

toujours son obligation de poursuivre ou d'extrader prévuepar l'article 7, paragraphe 1, de

ladite Convention et l'obligation connexe contenue dans l'article 6, paragraphe 2. En outre,
le Sénégalne s'est pas conforméà l'obligation imposéeaux États par le droit international

de lutter contre l'impunité à l'égardde personnes qui se trouvent sur leur territoire et qui

sont soupçonnéesd'avoir commis des crimes graves de droit international.

0.17. Au chapitre V, la Belgique démontre que, par ces violations du droit
international, le Sénégala engagé sa responsabilité internationale. Cette responsabilité

n'est, ni exclue, ni altéréepar les difficultés d'ordre financier, juridique ou autres

auxquelles le Sénégalest confrontédans l'organisation du procès de M. Habré.Le Sénégal

est, dès lors, obligé de mettre fin à ses manquements et doit exécuter ses obligations

internationales. En particulier, il doit soumettre l'affaire H. Habré à ses autorités

compétentes pour l'exercice de l'action pénale, ou, à défaut de poursuivre M. Habré,

l'extrader vers la Belgique.

0.18. Enfin, la Belgique présenteses conclusions.

12 CHAPITRE!

LES FAITS

1. Le Tchad au temps de M. Habré 12

1.01. Le Tchad, ancienne colonie française qui faisait partie de l'Afrique équatoriale

française, a accédéà l'indépendance en 1960 sous la présidencede François Tombalbaye,

originaire du sud du pays. A partir de 1968, les régionsde l'est et du nord du Tchad entrent

en rébellioncontre un gouvernement considérécomme trop proche des populations du sud.

F. Tombalbaye sollicite l'aide de la France pour faire face à l'insurrection. En 1975, F.

Tombalbaye est assassiné à la suite d'un coup d'État fomenté par le généralFélix

Malloum, qui prend le pouvoir.

1.02. M. Hissène Habré,membre de l'ethnie Toubou (implantée au Tibesti dans le

nord du Tchad), devient premier ministre du Tchad en août 1978. Il était, avec M.

Goukouni Oueddei, un des leaders du FROLINAT (Front de libération nationale du

Tchad), un mouvement armé crééau Soudan pour lutter contre le régime jugé trop

favorable aux populations du sud.

1.03. Le mandat de premier ministre de M. Habré prend fin lorsque le généralF.

Malloum doit quitter la présidence du Tchad en 1979 et céderla place à M. Oueddei qui,

comme M. Habré,vient du Tibesti. M. Oueddei forme un gouvernement d'uniténationale

et de transition (GUNT), dont M. Habréest ministre d'Etat à la Défense.

1.04. Les relations entre M. Oueddei et M. Habré s'apparentent toutefois à des

relations de rivalité car tous deux s'affirment comme leaders du FROLINAT et des

rebelles toubous.

1.05. Dès 1980, des unitésdu FROLINAT ayant pris le nom de Forces Arméesdu

Nord (FAN) et dirigées par M. Habré entrent en guerre contre les forces armées

populaires (FAP) de M. Oueddei. Les FAP l'emportent et M. Habrédoit se réfugierà l'est

12
Les informations contenues dans cette section proviennent, sauf information contraire, des Keesing 's
Contemporary Archives,979-1982, et du Rapport de la Commission d'enquêtenationale du ministère
tchadien de la JusticeLes crimes et détournements de l'ex-Président Habréet de ses complices, Paris,
L'Harmattan, 1993.

13du Tchad, à la frontière du Soudan. Les forces armées libyennes qui avaient soutenu le

GUNT se retirent en novembre 1981, et ne se maintiennent qu'au nord, dans la bande

d'Aozou. Entre-temps, les FAN, regroupées et réarmées,reprennent le contrôle de parties

orientales et centrales du Tchad. Le 7 juin 1982, les FAN entrent à N'Djamena où les FAP

n'opposent guère de résistance. M. Oueddei quitte le Tchad et M. Habré en devient le

nouveau président.

1.06. Le 19juin 1982, M. Habré supprime le poste de premier ministre. Plusieurs

opposants politiques sont exécutés. M. Habré transforme les FAN en Force armées

nationales du Tchad (FANT) et créeune police politique : la Direction de la documentation

et de la sécurité(DDS).

1.07. En 1983, M. Habré appelle la France pour combattre les forces libyennes

revenues au Tchad. En 1987, les forces tchadiennes réussissent à repousser les forces

libyennes hors du pays, sauf de la bande d'Aozou dont les forces libyennes ne se retireront
13
qu'en 1994 à la suite de l'arrêtrendu par la Cour, le 3 février1994 .

1.08. M. Habréreste au pouvoir jusqu'en 1990. Un nouveau mouvement rebelle(« le

Mouvement patriotique du salut»- MPS) crééau Soudan par un ancien conseiller de M.

Habrépour la défense et à la sécurité,M. Idriss Deby, chasse M. Habrédu pouvoir. ll se

réfugieau Sénégal.M. Deby est toujours présidentdu Tchad.

1.09. Durant la présidence de M. Habré,des violations multiples des droits humains

commises au Tchad ont été dénoncée:s arrestations d'opposants politiques réels ou

présumés, détentions sans jugement, conditions inhumaines de détention, mauvais
14
traitements, tortures, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées .

1.10. Selon un bilan publié, en 1993, par la Commission d'enquête nationale du

ministère tchadien de la Justice, la présidence de M. Habré aurait fait des dizaines de

milliers de victimes. La Commission cite les chiffres suivants :

13
Différendterritorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt,C.I.J. Recueip.6.94,
14
Voir les rapports annuels d'Amnesty International, éd. françaises d'Al. entre 1983 et 1990: Rapport
1983, pp. 116-117; Rapport 1984, pp. 124-128; Rapport 1985, pp. 132-135; Rapport 1986, pp. 111-
114; Rapport 1987, pp. 83-84; Rapport 1988, pp. 98-100; Rapport 1989, pp. 97-99.

14 «- plus de 40 000 victimes ;

plus de 80 000 orphelins ;

plus de 30 000 veuves ;

plus de 200 150 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien
moral et matériel » .

II. Les procédurescontre M. Habréau Sénégal

1.11. Le 25 janvier 2000, sept ressortissants tchadiens résidant au Tchad ams1 que

l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP)
16
déposent plainte contre M. Habré et se constituent parties civiles entre les mains du

Doyen des Juges d'instruction près le Tribunal Régional hors classe de Dakar 17.

1.12. Le 3 février2000, le juge d'instruction inculpe M. Habré de complicité «de
18
crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie » . Quelques semaines plus

tard, le ministère public, qui soutenait les poursuites contre M. Habré 19, revient sur sa

position et appuie la requêteen annulation des poursuites introduite par M. Habrédevant la

20
chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar . En outre, le Conseil supérieur de la
21
Magistrature mute le juge d'instruction, ce qui entraîne son dessaisissement du dossier .

1.13. Le 4 juillet 2000, la chambre d'accusation annule les poursuites parce que

celles-ci concernent des crimes commis par un étranger à 1'étrangercontre des étrangers, et

15
Rapport de la Commission d'enquêtenationale du ministère tchadien de la Justice sur Les crimes et
détournements de l'ex-Président Habréet de ses complices, op. cit. (note 12), p. 97.
16
La constitution de partie civile, en droit romano-germanique, est le fait pour une personne qui se prétend
léséepar un crime ou un délit deporter plainte auprès du juge d'instruction à propos de ce crime ou de ce

délit et de provoquer ainsi le déclenchement de l'action publique si celle-ci n'a pas encore étémise en
mouvement ; la partie civile peut participer à la procédure en faisant valoir son point de vue et en
demandant, éventuellement, que le juge de la cause lui accorde des réparationspour le dommage résultant
du crime ou du délit.

17 Annexe D.l.

18 Annexe D.2.

19 Cf. Le Soleil, 29-30 janv. 2000, annexe G.l ; Sud Quotidien, 4 févr.2000, annexe G.2.

20 Walfadjiri, 17 mai 2000, annexe G.3.
21
Ibid., 4 juillet 2000, annexe G.4; Sud Quotidien, n° 2173, 4 juillet 2000, annexe G.5.

15qu'il s'agirait d'exercer une compétenceuniverselle alors que le code de procédurepénale
22
du Sénégalne prévoitpas ce type de compétence(article 669) .

1.14. A la suite de ce non-lieu, deux rapporteurs spéciaux de la Commission des

droits de l'homme des Nations Unies- M. Dato Param Cumaraswamy, Rapporteur spécial

sur l'indépendancedes juges et des avocats, et Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécialsur la

23
torture -font part au Sénégalde leur «préoccupation» quant aux «circonstances » qui

ont entouré cette décision. Dans un communiqué de presse du 2 août 2000, « [l]es

Rapporteurs spéciaux rappellent au Gouvernement du Sénégalses obligations en tant

qu'État partie à la Convention contre la torture [... ] », et

« [i]ls attirent également son attention sur la résolution adoptée cette année par la

Commission des droits de l'homme sur la question de la torture (résolution 2000/43),
dans laquelle elle insiste sur l'obligation généraledes États d'enquêter sur les

allégationsde torture et d'assurer que ceux qui encouragent, ordonnent, tolèrent ou se
rendent coupables de tels actes soient poursuivis et sévèrementsanctionnés.» 24

1.15. Les parties plaignantes ayant saisi la Cour de Cassation, celle-ci rejette leur
25
pourvoi et confirme l'arrêtd'annulation de la chambre d'accusation, le 20 mars 2001 .

1.16. En avril 2001, le président Wade déclarepubliquement qu'il donne un mois à

M. Habrépour quitter le Sénégae 6.

1.17. Le 27 septembre 2001, à la suite de demandes émanant de la Haute

Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Mary Robinson, et du

Secrétairegénéraldes Nations Unies, M. Kofi Annan, le présidentWade déclarequ'il est

prêtà garder M. Habré au Sénégaljusqu'à ce qu'un pays - le président Wade cite la

Belgique- accepte« d'organiser un procès équitable» 27.

22Annexe D.3.

23Nations Unies, communiqué de presse du 2 août 2000.

24Ibid.

25Annexe D.4.
26
Human Rights Watch, Tchad: Les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice, juillet 2004,
vol. 17, no lO(A), p. 22, http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/chad0705fO.pdf; Le témoin, no
553, 27 mars- 2 avril2001, annexe G.6. ; Le Soleil, 9 avril2001, annexe G.7.

27Ibid.

16 1.18. Le 16 septembre 2008, à la suite des modifications constitutionnelles et
28
législatives intervenues en 2007 , 14 personnes (comprenant un citoyen sénégalais

résidant à Dakar, onze citoyens tchadiens résidant au Tchad, deux citoyens tchadiens

résidant l'un en France, l'autre aux États-Unis d'Amérique) déposent plainte contre M.

Habrépour crimes contre l'humanité, actes de torture et complicité dans ces crimes. La

29
plainte est adressée au Procureur généralprès la Cour d'appel de Dakar . A ce jour (fin

juin 2010), elle n'a reçu aucune suite.

III. L'instance judiciaire introduite contre M. Habréen Belgique

1.19. Les débuts de l'instance judiciaire introduite contre M. Habré en Belgique

remontent au 30 novembre 2000, date à laquelle un citoyen belge d'origine tchadienne

déposeplainte et se constitue partie civile contre M. Habrédevant un juge d'instruction

belge ; deux autres Belges d'origine tchadienne font la mêmedémarche, le 12 avril et

le 3 mai 2001 ; dix citoyens tchadiens résidant au Tchad déposent également plainte,

le 24 avril2001 30.

1.20. Ces plaintes sont fondéessur des crimes viséspar la loi belge du 16 juin 1993

relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, modifiée
31
par la loi du 10 février 1999 (ci-aprèsla «loi de 199311999»), et sur des crimes de
32
torture viséspar la Convention de 1984 .

1.21. A la suite de ces plaintes, le juge d'instruction constate que les faits dénoncés

peuvent êtrequalifiésde «crimes contre l'humanité» au regard de la loi de 1993 précitée

et il adresse, le 19 septembre 2001, deux commissions rogatoires internationales, l'une au

Sénégal,l'autre au Tchad.

28
Voir par. 1.46 ci-dessous.
29
Annexe D.5.
30 Annexe C.l.

31 Cette loi a étémodifiéeultérieurement, notamment par la loi du 5 août 2003, sans que ces modifications
n'affectent l'affaire H. Habrédevant les juridictions belges.

32 Voir Mandat d'arrêtinternational par défaut,19 septembre 2005, pp. 19 ss. et 30 ss. (annexe C.l.).

17 1.22. La première est adressée aux autorités sénégalaisesaux fins d'obtenir copie du

dossier de la procédure instruite par le juge d'instruction sénégalais saisi de plaintes
33 34
analogues ;elle est transmise par note verbale datéedu 10 octobre 2001 .

1.23. Le 22 novembre 2001, les autorités sénégalaisesenvoient à la Belgique, un

dossier de pièces et documents relatifs à la procédure au Sénégaldans l'affaire H. Habré.

1.24. En ce qui concerne la deuxième commission rogatoire - celle adressée aux

autoritéstchadiennes -, elle poursuit les fins suivantes :

auditionner les plaignants tchadiens, les membres de la Commission d'enquêtesur

les crimes imputésà M. Habréet divers témoins;

- obtenir copie des pièces et documents de la Commission d'enquête;

- visiter les sites désignéspar les plaignants et la Commission d'enquête;

transférer en Belgique les pièces et documents utiles à l'enquêteet découverts lors

de la commission rogatoire ;

autoriser la présence au cours de la mission de représentants belges du parquet, du

greffe du tribunal de première instance de Bruxelles et d'enquêteursde la police

35
fédéralebelge .

Cette commission rogatoire est exécutéeau Tchad par le juge d'instruction belge
36
du 26 févrierau 8 mars 2002 .

1.25. Le 27 mars 2002, le juge d'instruction belge demande au ministre de la Justice

du Tchad si M. Habré bénéficie d'une immunité de juridiction consécutive à son statut

d'ex-chef de l'État 37 •Le 7 octobre 2002, le ministre de la Justice du Tchad répond que la

33
Annexe C.2.
34
Annexe B .1.
35
Annexe C.3.
36Mandat d'arrêtinternational par défaut,19 septembre 2005, p. 14 (annexe C.l.).

37Annexe C.4.

18Conférence nationale souverame tenue à N'Djaména du 15janvier au 7 avril1993 a

«officiellement levétoute immunitéde juridiction à Monsieur HISSEIN HABRÉ » 38.

1.26. Entre 2002 et 2005, divers devoirs d'instruction sont exécutésen Belgique,

dont notamment, l'audition de parties plaignantes, de témoins et l'analyse de très

nombreuses pièces transmises par les autoritéstchadiennes en exécutionde la commission

rogatoire précitée.L'ensemble de ces pièces occupent quelque 27 classeurs de documents

qui constituent le dossier judiciaire belge.

1.27. Le 23 février2003, le président Wade confirme que toute demande

d'extradition peut êtreintroduite auprès de la justice sénégalaiseet que, si cela ne tenait

qu'à lui, il accorderait cette extradition, mais qu'il n'avait toujours pas reçu une telle
39
demande .

1.28. Le 19 septembre 2005, le juge d'instruction belge décerne un mandat d'arrêt

international par défautà l'encontre de M. Habré,« comme auteur ou coauteur» de crimes

de droit international humanitaire. Le mandat est transmis par Interpol (notice rouge) au
40
Sénégal; conformément aux pratiques en vigueur à Interpol (dont la Belgique et le

Sénégal sont membres depuis, respectivement, le 7 septembre 1923 et

le 4 septembre 1961), cette notice vaut demande d'arrestation provisoire en vue de

1'extradition41.

1.29. Le mandat expose notamment l'identité des plaignants, le contenu de leurs
42
plaintes et le fondement des compétences du juge belge; en ce qui concerne ces

dernières, le mandat préciseque :

ratione materiae, les faits sont constitutifs de violations graves du droit

international humanitaire et le juge belge est compétentpour en connaître en vertu

de la loi de 199311999; en outre, la réalitédes faits dénoncéspar les plaignants

38
Annexe C.5.
39Le Soleil (Sénégal),24 février2003 (annexe G.S).

40http://www.interpol.int/Public/ICPO/LegalMaterials/FactSheets13fr.asp.
41
Annexe C.6.
42
Annexe C.l., pp. l-9.

19 trouve confirmation dans le rapport précité de la Commission d'enquête du

ministère tchadien de la Justice publié en 1993 43 ; enfin, l'incrimination des

violations graves du droit international humanitaire dans le droit interne belge en

1993 et 1999 ne viole pas le principe de non-rétroactivité des lois pénales car il

s'agit d'incriminations prévuespar le droit international au moment où les faits en
0
cause ont ete commis 44 ;

ratione loci, la loi de 199311999 confère au Juge belge une compétence

universelle pour connaître des violations graves du droit international

humanitaire ; la loi du 5 août 2003 qui a limitéla portéede cette compétence telle

qu'elle étaitinitialement prévuedans la loi de 1993/1999 n'y fait pas obstacle, car

la loi de 2003 prévoit que les instructions commencées avant l'entrée en vigueur

de cette loi peuvent se poursuivre si elles résultent de plaintes déposéespar des
45
Belges ;

ratione personae, le juge reste compétent à l'égardde M. Habrédans la mesure où

celui-ci ne bénéficiepas d'immunité depuis qu'il n'est plus président du Tchad, et

que le Tchad lui-mêmea levé,pour autant que de besoin, les immunités dont M.
46
Habrépourrait souhaiter se prévaloir ;

ratione temporis, les faits instruits ont eu lieu pendant que M. Habré était

président du Tchad, entre 1982 et 1990, mais ils ne sont pas prescrits car il s'agit

de crimes de droit international humanitaire et que ceux-ci sont imprescriptibles
47
en vertu du droit international tel qu'intégréen droit interne belge •

1.30. Enfin, le mandat constate qu'il existe de nombreux indices tendant à confirmer

la réalitédes faits exposés dans les plaintes et justifiant que le juge d'instruction y donne

48
suite .

43 Ibid.,pp. 10-12.

44 Ibid.,pp. 20-26.
45
Ibid.,pp. 13-14.
46
Ibid.,pp. 15-16.
47
Ibid.,pp. 17-18.
48
Ibid.,p. 28.

20 1.31. Dans ces conditions, si l'intéressérestait en liberté, le mandat expose qu'il

risque d'entraver le bon déroulement de l'instruction et de faire disparaître des preuves. Le

mandat requiert donc l'arrestation de M. Habré 49.

1.32. M. Habré continuant à résider au Sénégal,les autres élémentsde procédure

relatifs à M. Habréconcernent les demandes d'extradition ou de poursuite adressées par la

Belgique au Sénégal,demandes qui sont à l'origine du présent différend entre les deux

États 50.

IV. Les efforts de la Belgique en vue d'encourager et d'aider le Sénégal à remplir

son obligation de poursuivre ou d'extrader

1.33. Le présent différend trouve son origine dans l'inexécution, par les autorités

sénégalaises,de l'extradition demandée par la Belgique bien que, en vertu des obligations

internationales qui sont les siennes, le Sénégalest obligé d'extrader M. Habréà défaut de

le juger au Sénégal.Les réponses données par le Sénégalaux notes verbales et demandes

belges et l'absence de toute mesure concrète afin de soumettre l'affaire H. Habré devant

les autoritésjudiciaires compétentes démontrent qu'il n'a pas honoré, et n'honore toujours

pas ses obligations internationales de poursuivre, ou à défaut,d'extrader M. Habrévers un

État qui en a expriméla demande.

1.34. Le 22 septembre 2005, la Belgique transmet au Sénégal une note verbale

contenant le mandat d'arrêtinternational par défautdécernépar le juge d'instruction belge

à l'encontre de M. Habré du chef de crimes de torture, crimes de génocide, crimes de

guerre, meurtres, coups et blessures volontaires 51.

Le Sénégalne répondpas.

1.35. Deux mois plus tard, le 16 novembre 2005, la Belgique informe le Sénégalque

des membres du parquet fédéralpourraient se rendre à Dakar

49Ibid.

50Voir pars. 1.34 ss. ci-dessous.
51
Annexe B.2. Voir aussi pars. 1.28-1.32 ci-dessus.

21 «pour fournir des informations complémentaires au sujet de la demande d'extradition
de Hissène Habrési les autorités sénégalaisesen exprimaient le souhait » 52.

Elle ajoute qu'elle serait reconnaissante d'obtenir une réponse des autorités
3 54
compétentes pour en informer le Service public fédéral 5 belge compétent .

1.36. Le 25 novembre 2005, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar se

prononce sur la demande d'extradition transmise par note verbale de la Belgique au

Sénégaldatée du 22 septembre 2005 55. Dans son arrêtdu 25 novembre 2005, la chambre

d'accusation constate que l'article 101 de la Constitution et la loi organique sur la Haute

Cour de Justice

« ont institué une procédure spéciale, exorbitante au droit commun pour tout acte de
poursuite à l'encontre du Président de la République »

et

«que dès lors, la Chambre d'accusation, juridiction ordinaire de droit commun, ne
saurait étendre sa compétence aux actes d'instruction et de poursuite engagés contre

un chef d'Etat pour des faits prétendument commis dans l'exercice de ses fonctions ».

Pour la chambre d'accusation, « Hissène Habré doit alors bénéficier de cette

immunité de juridiction» qui «a vocation à survivre à la cessation de fonctions du

Président de la République quelle que soit sa nationalité et en dehors de toute Convention

d'entraide»; la chambre conclut qu'elle est incompétente« pour connaître de la régularité
56
d'actes de poursuite et de validité de mandat d'arrêts'appliquant au chef d'Etat » . L'arrêt

se termine par une phrase sibylline invitant« le Ministère public à mieux se pourvoir » 57•

1.37. Le 30 novembre 2005, la Belgique, ayant pns connaissance de l'arrêt

du 25 novembre, prie le Sénégal,par note verbale, de répondre aux questions suivantes :

52
Annexe B.3.
53
La dénomination officielle de «ministère » en Belgique est« Service public fédéral»(SPF)
54
Annexe B.3.
55Annexe B.2. Voir également annexe C.7.

56Ibid.

57Ibid.

22 « quelles sont les implications de cette décision judiciaire » sur la demande

d'extradition de la Belgique?

- désormais, « quelle est la phase actuelle de la procédure ? »

le Sénégalpeut-il répondre officiellement «à la demande d'extradition» et

apporter « des éclaircissements sur la position du gouvernement sénégalaisà la
58
suite de cette décision » ?

59
1.38. Par note verbale du 7 décembre 2005 , le Sénégaltransmet à la Belgique un

communiqué du ministère sénégalais des Affaires étrangères «sur l'affaire Hissen
60
HABRE » . Ce communiqué évoque la demande d'extradition de la Belgique, l'arrêt

précité rendu par la chambre d'accusation, le 25 novembre 2005, à propos de cette

demande 61 et le renvoi de l'affaire à l'Union africaine. La note verbale préciseque

le Sénégalaccueille M. Habré «sans jamais chercher à le soustraire d'une action

de justice » ;

ainsi, il reste fidèle « à ses valeurs traditionnelles d'hospitalité », mms il reste

aussi attaché « aux principes de justice et démocratie » ;

- «par ailleurs », il a saisi le Sommet de l'Union africaine de cette question, ce qui

« préfigure une gestion concertée à l'échelle africaine de questions relevant à

priori de la souveraineté nationale des Etats »,

- contribue« à l'intégration politique du continent»,

- consolide «la Justice et l'Etat de droit en Afrique», et

58
Annexe B.4.
59Annexe B.5.

60Ibid.
61
Voir par. 1.36 ci-dessus.

23 0 0 d ' 1 d b 62
- mc1teau « respect es reg es e anne gouvernance » .

1.39. Le 23 décembre2005, le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalrépond

aux notes verbales envoyées par la Belgique en novembre 2005 à propos de l'affaire H.

Habré.Le ministère rappelle l'arrêtrendu par la chambre d'accusation de la Cour d'appel

de Dakar et préciseque «la décision» de soumettre l'affaire H. Habréà la Conférencedes

Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine «traduit la position du
63
Gouvernement sénégalaissuite à l'arrêtde la Chambre d'Accusation » .

1.40. Par note verbale du 11 janvier 2006 envoyée au ministère des Affaires

étrangèresdu Sénégal,l'ambassade de Belgique à Dakar observe que la Convention contre

la torture, et plus particulièrement l'obligation aut dedere aut judicare, ne crée des

obligations que dans le chef des États parties, c'est-à-dire, dans le cadre de la demande

d'extradition de M. Habré, dans le chef du Sénégal; très concrètement, l'ambassade

souhaiterait connaître la «décision finale» du Sénégal«quant à l'accord ou au refus de

donner suite à la demande d'extradition» de M. Habrë 4.

Le Sénégalne répondpas à cette note verbale.

1.41. Le 9 mars 2006, la Belgique, par la voix de son ambassade à Dakar, rappelle

65
quatre notes verbales antérieures (16 novembre 2005 , 30 novembre 2005,

23 décembre2005, 11 janvier 2006) et demande au ministère des Affaires étrangèresdu

Sénégal

«de bien vouloir lui faire savoir si sa décisionde transmettre l'affaire Hissène Habréà

l'Union africaine doit êtreinterprétéecomme signifiant que les autoritéssénégalaises
n'ont plus l'intention de l'extrader vers la Belgique ni de le faire juger par leurs
66
autoritésjudiciaires compétentes » .

62
Ibid.
63Annexe B.6.

64Annexe B.7.

65Dans la note verbale du 9 mars 2006, il est indiqué par erreur pour cette note verbale la date du ll
novembre 2005.

66Annexe B.S.

24 1.42. Le 4 mai 2006, l'ambassadeur du Sénégalà Bruxelles est convoqué au
67
ministère belge des Affaires étrangères pour un entretien avec le directeur généraldes

Affaires juridiques. A l'occasion de cet entretien, une note verbale lui est remise exprimant

«la préoccupation du gouvernement belge devant l'absence de réactionofficielle des

autoritéssénégalaisesaux demandes répétéed su gouvernement belge, demeurées sans
réponseà ce jour, en vue d'obtenir l'extradition du Sénégalvers la Belgique, de l'ex­

Président Hissène Habré recherché pour infractions graves au droit international
humanitaire » 68.

La note verbale du ministère des Affaires étrangères belge ajoute que «l'ex­

Président Hissène Habré est réfugié au Sénégal depuis 1990 » et que la requête

d'extradition de la Belgique « a été adressée en septembre 2005 aux autorités

sénégalaises ». Or, malgrédes

«contacts par notes verbales et démarchespersonnelles de l'ambassade de Belgique à

Dakar les 30 novembre 2005, 11janvier 2006 et une nouvelle fois le 10 mars 2006, les
autorités sénégalaisesn'ont pas communiqué au gouvernement belge leur décision
69
d'extrader ou non Hissène Habrévers la Belgique » .

Pour le ministère des Affaires étrangèresbelge,

«la décision de confier le cas Hissène Habré à l'Union Africaine ne peut [... ]

dispenser le Sénégaldes obligations qui lui incombent de juger ou extrader l'auteur
des faits incriminés conformément aux articles pertinents de la Convention contre la
70
torture [... ]» •

Le ministère des Affaires étrangèresbelge se réfèreà ce qu'il avait déjàdit dans sa

note verbale du 9 mars 2006 71, à savoir que

«la Belgique interprète l'article 7 de la Convention sur la Torture comme prévoyant

l'obligation pour l'Etat sur le territoire duquel est trouvé l'auteur présumé de
l'extrader à défautde l'avoir jugé. » 72

67
La dénomination officielle du «ministère des Affaires étrangères» belge est « Service public fédéral
Affaires étrangères» (SPF AE).
68
Annexe B.9.
69
Ibid.
70
Ibid.
71
Voirpar. 1.41 ci-dessus.
72Annexe B.S.

25 Le ministère ajoute :

« Une controverse non résolue au sujet de cette interprétation entraînerait un recours à
la procédure d'arbitrage prévueà l'article 30 de la Convention sur la torture. » 73

Il insiste, vu

«la volonté déjà exprimée par le Sénégalde part1c1per à l'effort de lutte contre
l'impunité des crimes les plus graves tels que ceux reprochés à Monsieur Hissène
Habré[... ] pour que le Sénégalrespecte les obligations découlant de la Convention sur
/ d ' 1 A d ' / b 1 74
1a torture et repon e en ce sens a a requete es autontes e ges. »

1.43. Le Sénégalrépond à cette note verbale par note verbale adressée au ministère
75
des Affaires étrangères belge, le 9 mai 2006 , dans laquelle le Sénégalestime que ses

notes verbales des 7 et 23 décembre 2005 76 répondaient aux questions de la Belgique et

ajoute

- à propos de l'interprétation de l'article 7 de la Convention contre la torture

« qu'en transférant le cas Hissène Habréà l'Union Africaine, le Sénégal,pour
ne pas créer une impasse juridique, se conforme à l'esprit du principe 'aut

dedere aut punire' dont le but essentiel est de s'assurer qu'aucun tortionnaire
ne puisse échapper à la justice en se rendant dans un autre pays » 77;

«[qu'] en portant cette affaire au niveau continental le plus élevé,le Sénégal,tout

en respectant la séparation des pouvoirs et l'indépendance de ses instances

judiciaires, vient ainsi d'ouvrir, à travers toute l'Afrique, de nouvelles

perspectives pour la défense des droits de l'homme et la lutte contre
'. . ' 78
l 1mpumte. »

qu'elle «[prend] acte» de «l'éventualité d'un recours de la Belgique à la

procédure d'arbitrage prévue à l'article 30 de la Convention contre la torture» ;

73
Ibid.
74
Ibid.
75Annexe B.lü.

76Voir pars. 1.38 et 1.39 ci-dessus.
77
Annexe B.lü.
78
Ibid.

26 mais qu'elle réaffirme «l'attachement du Sénégalaux excellentes relations de

coopération existant entre les deux pays et à la lutte contre l'impunité».

1.44. Le 20 juin 2006, la Belgique via son ambassade à Dakar écritau ministère des

Affaires étrangèresdu Sénégalpour rappeler les deux notes verbales belges de novembre

2005 et les trois notes verbales de janvier, mars et mai 2006 ainsi que deux notes verbales
79
du Sénégalde décembre 2005 et une note verbale de mai 2006 .Le Sénégala reconnu que

ces notes s'inscrivaient dans le cadre des négociations, prévues par l'article 30 de la

Convention contre la torture, concernant la demande belge d'extradition de M. Habré. La

Belgique rappelle que sa note du 4 mai 2006 constatait l'existence d'« une controverse non

résolue» sur l'interprétation de l'article 7 de la Convention de 1984 qui devait entraîner

80
l'arbitrage viséà l'article 30 de cette Convention . Le Sénégals'y étaitd'ailleurs référé

« dans sa réponse du 9 mai [... ] tout en rappelant s81 interprétation divergente des
dispositions pertinentes de ladite Convention » .

Selon la Belgique,

«la tentative de négociation entamée avec le Sénégalen novembre 2005 n'a pas

abouti et, conformément à l'article 30 §1er de la Convention Torture, [la Belgique]
demande en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à l'arbitrage suivant
82
des modalités à convenir de commun accord » .

1.45. Le Sénégalne répond pas à cette note verbale du 20 juin 2006 et ne reprend

contact avec la Belgique que le 20 février 2007. A cette date, l'ambassade du Sénégalà

Bruxelles informe le ministère des Affaires étrangèresbelge que le Conseil des ministres

du Sénégala déposéle 9 novembre 2006 deux projets de loi modifiant le code pénalet le

code de procédure pénale sénégalais «pour permettre la poursuite et le jugement de M.

Hissène HABRE au Sénégal »83 ; ces projets « ont étéprogrammés pour adoption par

84
1'Assembléenationale du Sénégaldurant sa séanceplénièredu 2 février 2007 » .En outre,

« le 23 novembre 2006, une Commission nationale chargée de définir les modalités du

79
Annexe B.ll.
80Ibid.

81Ibid.
82
Ibid.
83
Annexe B.12.
84
Ibid.

27procès de M. HABRE a étémise sur pied » ; elle doit « examiner toutes les implications

85
judiciaires, diplomatiques, sécuritaireset financières[ ... ] dudit procès » .L'ambassade du

Sénégalcite une décisiondu Sommet de l'Union africaine qui félicitele Sénégalpour ses

efforts «dans la mise en Œuvre de la décisionprise à Banjul sur la question», l'encourage

«à poursuivre son travail dans l'accomplissement du mandat reçu», et appelle la

communauté internationale à mobiliser « les ressources financières nécessaires» au

procès 86. Le 21 février2007, le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalconfirme les

points qui précèdentet précise que l'Assemblée nationale du Sénégala adoptéces deux

projets le 31 janvier 2007 ; il ajoute :

« Avec ces deux textes, le Sénégalcomble le vide juridique qui avait empêchéles

juridictions sénégalaises,pour des raisons techniques liées à l'inadaptation de la
législationnationale, de connaître de l'affaire Hissène HABRE. » 87

1.46. Le crime de torture avait étéintroduit en droit pénalsénégalaispar la loi 96-15

du 28 août 1996, mais il fallait modifier le code de procédure pénale pour permettre au

juge sénégalaisd'exercer la compétence universelle; c'est ce que font les nouvelles lois

qui, en outre, énoncent l'imprescriptibilité des crimes prévus dans le Statut de la Cour

pénale internationale. Le 31 janvier 2007, l'Assemblée nationale du Sénégaladopte deux

lois modifiant le code pénalet le code de procédurepénaledu Sénégal:

les articles 431-1 à 431-6 nouveaux du code pénal introduisent les cnmes de

génocide, les crimes contre l'humanité, y compris la torture, et les cnmes de

guerre en droit pénalsénégalais 88 ;

l'article 669 du code de procédurepénaleest modifiépour affirmer la compétence

du juge sénégalaisà l'égard des crimes précitéscommis par un étranger à

l'étranger si l'auteur présumé du crime se trouve au Sénégal(compétence

85Ibid.
86
Ibid. Voir aussi par. 1.72 ci-dessous.
87
Annexe B.13.
88
Annexe D.6.

28 universelle), ou si sa victime réside au Sénégal(compétence personnelle passive)

ou si l'auteur présuméa étéextradévers le Sénégal 89 .

1.47. Le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalobserve, par ailleurs dans sa

note verbale du 21 février2007, que «le principe de non-rétroactivité» n'empêchepas la

condamnation de toute personne reconnue coupable de faits «tenus pour criminels d'après

les principes générauxde droit reconnus par l'ensemble des Etats »90. Le Sénégala aussi

institué

« un Groupe de travail chargéde faire les propositions nécessaires pour déterminer les
modalitéset procédures aptes à faire poursuivre et juger, au nom de l'Afrique, l'ancien
91
Présidentdu Tchad, avec les garanties d'un procèsjuste et équitable » .

Il en découlerait que

« un dispositif particulier doit être m1s en place tant du point de vue

infrastructure!, législatif et administratif pour le conformer aux plus hautes
92
normes en la matière et permettre la tenue d'un procès équitable » ;

il faut faciliter les commissions rogatoires et le séjour à l'étranger du personnel

judiciaire « à des fins d'instruction » 93 ;

il faut assurer la plus large accessibilité des personnes intéresséesau procès et

94
utiliser les technologies de l'information et de la communication ;

il faut prévoir le «plus haut degré de protection » des Juges, témoins et

victimes 95 ;

89
Annexe D.7.
90 Annexe B.13.

91 Ibid.

92 Ibid.

93 Ibid.

94 Ibid.

95 Ibid.

29 un tel procès exige des moyens financiers nécessitant « le concours de la

96
Communautéinternationale» comme le suggère d'ailleurs l'Union africaine .

Le Sénégala présentéun rapport reprenant ces points à la Conférence des Chefs

d'État et de Gouvernement de l'Union africaine (29-30 janvier 2007) qui en a pris note et

appelé les États membres et l'ensemble de la communauté internationale à mobiliser
97
«toutes les ressources »,notamment financières pour le procès .

98
1.48. Par note verbale du 8 mai 2007 , la Belgique rappelle au Sénégalla demande

d'arbitrage qu'elle lui avait adressée en juin 2006 et dans laquelle elle se référaitaux

dispositions pertinentes de la Convention contre la torture.

Cette note verbale de la Belgique reste sans réponse.

1.49. Le 5 octobre 2007, le Sénégalinforme la Belgique, par note verbale, de sa

décisiond'organiser le procès contre M. Habréau Sénégalet invite la Belgique, ainsi que

d'autre États membres de l'Union européenne, à une «réunion des donateurs potentiels

99
pour son financement» prévuele 16 octobre 2007 .Cette réunionn'aura jamais lieu.

1.50. Par la suite, plusieurs échangesentre le délégué de la Commission européenne

et les représentations diplomatiques d'États membres de l'Union européenne basés à

Dakar, d'une part, et le Sénégal,d'autre part, ont eu lieu quant à la tenue d'une conférence

de donateurs. Aucune Conférence des donateurs ne sera toutefois effectivement organisée,

faute d'un budget réalisteet consensuel couvrant les frais d'organisation du procès de M.

Habre au enega . 1100

1.51. Par note verbale du 2 décembre 2008, remise au ministère des Affaires

étrangèresdu Sénégalle 16 décembre2008, l'ambassade de Belgique à Dakar rappelle le

différendentre les deux États sur l'interprétation et l'application de plusieurs dispositions

de la Convention contre la torture. La Belgique

96Ibid.

97Ibid.
98
Annexe B.14.
99
Annexe B.15.
100
Voir pars. 1.76 à 1.79 ci-dessous.

30 « réitèresa disponibilité à mettre sur pied une coopération judiciaire internationale

avec le Sénégal,en particulier par la transmission au Sénégald'une copie du dossier
d'instruction belge à charge de M. Habré sur la base d'une commission rogatoire

émanantdes autoritéssénégalaises».

La Belgique se déclareprête

« à recevoir dans les meilleurs délais et à leur meilleure convenance, les magistrats
instructeurs sénégalaissaisis de ce dossier». La Belgique espère ~ue cette coopération
1 1
permettra « une avancéedécisivedans les prochaines semaines » .

1.52. Le 19 février2009, la Belgique dépose, au Greffe de la Cour, une requête

introduisant la présente instance. Avec sa requête,la Belgique a déposéune demande en

indication de mesures conservatoires eu égardaux propos tenus par le présidentWade dans

la presse et les médias selon lesquels le Sénégalpourrait mettre fin à la mise en résidence

surveillée de M. Habré s'il ne trouvait pas le budget qu'il estime nécessaire à

l orgamsatwn. de son proces' 102.

1.53. Le ministre de la Justice du Sénégal déclare le 29 mai 2009 que quatre

magistrats ont été nommés «aux fins de conduire l'information contre Monsieur

HABRÉ » 10. Par note verbale du 23 juin 2009, remise le 2 juillet 2009, la Belgique

104
rappelle sa note verbale du 2 décembre 2008 et ajoute qu'elle prendra en charge les

coûts liés à l'exécution d'une première commission rogatoire visant à permettre aux
105
magistrats sénégalais de prendre connaissance du dossier judiciaire belge . Par note

verbale du 29 juillet 2009, le Sénégalprend acte de la proposition de coopérationjudiciaire

de la Belgique dans le cadre du dossier H. Habré; il préciseque les autoritéscompétentes

ont étésaisies de cette proposition et que « toute suite afférentesera communiquée, dèsque

possible, à l'ambassade » 10. Par note verbale du 14 septembre 2009, le Sénégalaccueille

favorablement la proposition d'assistance judiciaire de la Belgique. Le Sénégalannonce

égalementla désignation de deux des quatre magistrats, MM. Diouf et Seck, pour se rendre

101
Annexe B.16
102Annexes C.7 et C.S.

103Article Sud Quotidien, 29 mai 2009 (annexe G.9.) et article Walfadjiri, 29 mai 2009 (annexe G.lO). Voir
également annexe B.19.

104Voirpar. 1.51 ci-dessus.
105
AnnexeB.17.
106
Annexe B.18.

31en Belgique, les modalités concrètes pouvant êtrefixées «à la convenance des Parties

belge et sénégalaise,dès la fin des vacances judiciaires intervenant en mi-novembre
107
2009 » .

1.54. Par note verbale du 14 octobre 2009, rem1se lors d'une démarche effectuée

auprès du ministre des Affaires étrangèresle 22 octobre 2009, la Belgique prend acte de la

désignation de quatre juges sénégalaisaux fins de conduire l'information contre M.
108
Habré . Elle répète que les autorités judiciaires belges sont prêtes à remettre aux

magistrats sénégalais,dans le cadre d'une commission rogatoire à mener en Belgique, une

copie du dossier d'instruction belge à charge de M. Habréet à financer cette commission

rogatoire. La Belgique se permet d'insister sur le respect des procédures reqmses en

matière d'entraide judiciaire. Le 28 octobre 2009, lors d'un entretien accordé à

l'ambassadeur de Belgique, à certains ambassadeurs d'autres États membres de l'Union

européenne et au déléguéde la Commission européenne, le ministre sénégalaisde la

Justice remercie notamment la Belgique pour son offre de coopérationet précisequ'il s'est

engagéà y répondreau plus tôt. Le ministre évoqueégalementles questions budgétaires et

exprime le désaccorddes autoritéssénégalaisessur le budget révisépar l'Union africaine, à
109
la suite de la mission de la Commission de l'Union africaine de juin 2009 .

1.55. Le 19 novembre 2009, au cours d'un entretien téléphonique entre

l'ambassadeur de Belgique et le ministre sénégalaisde la Justice, ce dernier annonce que

ses services préparent une requêteformelle de commission rogatoire pour répondre à la

proposition d'entraide judiciaire de la Belgique.

1.56. Le 5 décembre2009, le président Wade reçoit le ministre belge de la

Coopération au Développement, Charles Michel, en visite à Dakar, et réitèrel'intention du

Sénégal de juger M. Habré à condition que l'entièreté des fonds nécessaires soit

disponible. Il menace, de nouveau, de renvoyer M. Habré «à l'Union africaine ou à la

Belgique» si aucune solution n'est trouvéepour janvier 2010.

107
Annexe B.19.
108Annexe B.20.

109Voir par. 1.89 ci-dessous.

32 1.57. Le 14janvier 2010, la Cour de Justice de la Communauté économique des

États de l'Afrique de l'Ouest tient une audience pour examiner l'affaire introduite contre la

République du Sénégaldans le cadre de l'affaire H. Habré. Lors de leurs plaidoiries, les

avocats du Sénégalont notamment rappelé qu'à ce stade, il n'y avait aucune procédure

pendante contre M. Habrédevant les juridictions sénégalaises 11.

1.58. En février 2010, le ministre belge des Affaires étrangères rencontre son

homologue sénégalais à Addis Abeba en marge du Sommet de l'Union africaine. Le

ministre sénégalaisindique que le seul obstacle restant pour l'organisation du procès n'est

plus que d'ordre financier. Il indique aussi que M. Habréest en résidence surveillée et qu'il

n'y a pas de risque qu'il s'échappe.

1.59. Le 23 février 2010, l'ambassadeur de Belgique remet au ministère des Affaires

étrangères sénégalais une note verbale par laquelle la Belgique réitère encore sa

proposition d'entraide judiciaire et fixe au 30 avril 2010 le délai pour l'exécution de la

commission rogatoire de magistrats sénégalais pour venir prendre copie du dossier

d'instruction à charge de H. Habréconstituépar les autoritésjudiciaires belges lll.

1.60. En mars 2010, l'ambassadeur de Belgique rencontre le nouveau ministre

sénégalaisde la Justice, qui se dit très sensible à la proposition belge d'entraide judiciaire

sans cependant vouloir s'engager concrètement quant à l'envoi d'une commission

rogatoire internationale.

1.61. Par note verbale datéedu 30 avril2010, le ministère des Affaires étrangèresdu

Sénégalrépond à la note du 23 février 2010 de l'ambassade de Belgique relative à la

proposition de coopération judiciaire belge consistant à accueillir en Belgique les

magistrats sénégalais en charge du dossier sur base d'une commission rogatoire

internationale en rappelant que « les Autorités sénégalaisescompétentes avaient saluécette

initiative» et que « [s]eules les modalités de mise en Œuvre restaient à déterminer par les
112
Parties » .

11
° Cour de Justice de la CEDEAO, Hissène Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,4 mai 2010, par. 14 (annexe E.l). Voir aussi par. 2.10 ci-dessous.
111
Annexe B.22.
112Annexe B.23.

33 1.62. Le 26 mai 2010, le ministre belge des Affaires étrangères rencontre son

homologue sénégalais à Bruxelles. Les ministres abordent notamment l'affaire H. Habré.

Le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresindique, lors de cette entrevue, au ministre

belge qu'aucun juge n'a à ce jour étéchargéde l'enquête,en raison de l'absence d'accord

sur le budget pour financer le procès. Dans ce contexte, le ministre sénégalaisindique ne

pas pouvoir envoyer de demande de commission rogatoire en bonne et due forme et

propose, à titre d'alternative, que quatre magistrats du parquet («ceux chargés de

l'accusation») accomplissent une mission exploratoire de consultation du dossier en

Belgique.

1.63. Dans la Note sur les dernières évolutions transmise par le Sénégalà la Cour,

113
le 15juin 2010 , le Sénégalaffirme que « [l]es Autorités sénégalaises ont accueilli
114
favorablement » l'offre de la Belgique de recevoir, à ses frais et sur la base d'une

commission rogatoire internationale, les magistrats en charge du dossier H. Habré. Le

Sénégalse réfère à des nombreuses reprises à sa volonté de respecter ses « engagements

internationaux » d'ouvrir une procédurejudiciaire contre M. Habré 115•Le Sénégalaffirme

en outre qu'il «ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tiréed'un manque de

moyens financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations et [qu'il] n'a pas envisagé

'b'l' / 116
une te11e poss1 11te» .

1.64. Par note verbale datéedu 15juin 2010 du ministère des Affaires étrangèresdu

Sénégaladressée à l'ambassade de Belgique à Dakar,

113
Voir par. 0.11 ci-dessus.
114Annexe D.9. p. 3

115Voir : « le Sénégaldans son engagement à juger Monsieur Hissène HABRE », ibid., p. 2 ; « la volonté du
Sénégalaussi bien de poursuivre les efforts entrepris à différents niveaux en vue de l'effectivité de la

tenue prochaine du procès », ibid. ; « le Président de la République [... ] a réaffirméson engagement à
faire ouvrir une procédure judiciaire contre Monsieur HABRE », ibid., p. 3 ; «les autorités sénégalaises
ont réponduen réaffirmant leur volontéde respecter les obligations conventionnelles du Sénégalnéesde
la signature et de la ratification de la Convention contre la torture»,id. ; p. 6, «son [du Sénégal]
engagement pour la lutte contre l'impunité», ibid. ; «Le Sénégalest assigné [devant deux cours
africaines] dans le cadre de deux affaires ayant directement trait au procès quet du Sénégalenvisage

d'ouvrir sur son propre territoire , conformément à ses engagements internationaux et à sa législation
nationale à l'encontre de Monsieur Hissène HABRE », ibid., pp. 6-7; «un obstacle évident que le
requérantcherchait à dresser face à la mise en Œuvre de la volontéde tenir le procès de Monsieur Hissène
HABRE, en exécution de ses obligations internationales, venait d'êtredéfinitivement écarté», ibid., p.
8 ;«la claire volontédu gouvernement et du chef de l'Etat sénégalaisd'ouvrir une procédurejudiciaire à

l'encontre de [M. Habré], conformément aux engagements internationaux et à la législation interne de
l'Etat du Sénégal»,ibid., p. 10. C'est la Belgique qui souligne, dans les extraits qui précèdent.
116
Ibid.,p. 6.

34 « [l]es autorités sénégalaises compétentes, tout en réitérant à l'ambassade leurs
remerciements pour cette initiative, voudraient, à nouveau, marquer leur disponibilité

à donner suite à [l'offre d'une commission rogatoire], dès que la Table ronde des
donateurs, sous l'égidede l'Union Européenne et de l'Union Africaine, pour collecter
les contributions financières des pays et Institutions, sera effective 11.

1.65. Par note verbale du 28 juin 2010 de l'ambassade de Belgique à Dakar au

ministère des Affaires étrangèresdu Sénégal 11,les autoritésbelges :

« [... ] tout en saluant la disponibilité du Sénégalde donner suite à la proposition
belge, rappellent qu'un Etat « ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tirée

d'un manque de moyen financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations
[internationales]». Cela a d'ailleurs étérappelé par le Sénégalmêmedans sa «Note
sur les dernières évolutions intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès

de M. Hissène Habré depuis le prononcé de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la
requête belge en indication de mesures conservatoires » adressée à la Cour

internationale de Justice par courrier du 15 juin 2010 dans le cadre du différend entre
la Belgique et le Sénégalporté par elle devant la Cour internationale de Justice par
requêteunilatéraledu 19 février2009. »

Et ajoutent :

«Si le Sénégaldevait confirmer sa position consistant à conditionner l'envoi d'une
première commission rogatoire en Belgique à la tenue effective d'une Table ronde des

donateurs - table ronde qui ne devrait vraisemblablement intervenir au plus tôt que
dans plusieurs mois seulement - les autoritésjudiciaires sénégalaisesrisqueraient de se
trouver dans l'impossibilité d'engager les poursuites contre M. Hissène Habrédans le

respect du principe du délai raisonnable. Par conséquent, la Belgique précise
respectueusement au Sénégalqu'il lui est encore possible d'honorer son obligation de
poursuivre ou d'extrader en optant pour la deuxième branche de cette alternative. »

V. La saisine de l'Union africaine et les développementsultérieurs

1.66. La présente section examine

- le renvoi, par le Sénégal,du dossier H. Habréà l'Union africaine (A) ; et

les efforts consentis par l'Union africaine et l'Union européenne pour assister le

Sénégalà intenter des poursuites (B).

117Annexe B.25.

118Annexe B.26.

35 A. LE RENVOI DE L'AFFAIRE H. HABRE A L'UNION AFRICAINE

1.67. L'implication de l'Union africaine dans le procès de H. Habré remonte à

décembre 2005, et se poursuit aujourd'hui. Durant cet intervalle de quatre ans et demi, le

ministère public sénégalais n'a fait aucune démarchejudicaire afin d'intenter les poursuites

contre M. Habré. Par ailleurs, devant la Cour de Justice de la Communauté économique

des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le Sénégala lui-mêmeaffirméque, à ce jour,

il n'existe «aucune procédure pendante contre [M. Habré] devant les juridictions
119
sénégalaises» • En outre, dans les déclarations du Sénégal,1'ambiguïté demeure quant à

la question de savoir si le Sénégalconsidère qu'il agit exclusivement en vertu d'un mandat

de l'Union africaine ou s'il cherche à remplir ses obligations en vertu de la Convention

contre la torture et en vertu d'autres règles de droit international.

1.68. Le lendemain de la décision du 25 novembre 2005 dans laquelle la chambre

d'accusation concluait qu'elle n'était pas compétente pour connaître de la requête

d'extradition, soit le 26 novembre 2005, le ministre sénégalaisde l'Intérieur adoptait un

décretpar lequel il décidait de «confier M. Habré [... ] à la garde du président de l'Union

africaine» tout en indiquant qu'après un délaide 48 heures, M. Habré serait expulsé vers
120
le Nigéria (le pays qui, à ce moment-là, assurait la présidence de l'Union africaine) .

Néanmoins, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresdéclarait le 27 novembre 2005

dans un communiqué, que M. Habrédemeurerait au Sénégaltant que le sommet de l'Union
121
africaine n'aurait pas « indiquéla juridiction compétente pour juger cette affaire » .

1.69. Dans un communiqué de son ministère des Affaires étrangères, annexé à une

note verbale adresséeà la Belgique le 7 décembre 2005 12, le Sénégaldéclarait« qu'il n'est

en aucune manière directement concerné par l'Affaire 'Hissen HABRE' » et que cette

affaire« n'est pas une affaire sénégalaisemais bien une affaire africaine». Comme indiqué

119
Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,4 mai 2010, par. 14 (annexe E.l).
120
HRW chronology : h!!J?~!l'!Y_'!Y_'!Y_cf!!~~"QigifJl!!~~êl;.QQ2[Q1ü~l!~~-:g[_':!!JS1~~~=Jjg_n_~cê:..t!~di!!lttü.:~:}J_':!QI:Q
12Annexe B.5.

122Ibid.

36plus haut, le ministre de l'Intérieur avait adoptéun décret confiant M. Habré «à la garde
123
du Président de l'Union africaine » •

1.70. Le Sénégal a dûment informé la Conférence des Chefs d'État et de

gouvernement de l'Union africaine, lors de sa sixième session ordinaire tenue à Khartoum

les 23-24 janvier 2006, que le gouvernement sénégalais avait pris la décision de

transmettre le dossier à l'Union africaine afin que les Chefs d'État et de gouvernement

124
décidentde la suite à donner à cette affaire .

1.71. Dans sa Décision 103 (VI), la Conférence de l'Union africaine a mis en place

un Comité d'éminents juristes africains afin d'examiner, entre autres, « tous les aspects et
125
toutes les implications du procès d'Hissène Habré » • Ce comité a présentéson rapport

lors de la suivante de la Conférence, tenue à Banjul le 1-2 juillet 2006. A cette occasion, la

Conférence a adopté la Décision 127 (VII) 126 par laquelle elle prend note du rapport

127
présentépar le Comité d'éminents juristes africains . La Conférence a, alors, relevé

qu'aux termes des articles 3 (h), 4 (h) et 4 (o) de l'Acte constitutif de l'Union africaine,

«les crimes reprochés à Hissène Habré sont pleinement de la compétence de l'Union

africaine» 128. Ensuite, considérant que «en l'état actuel, l'Union africaine ne dispose

d'aucun organe judiciaire en mesure d'assurer le jugement de Hissène Habré» 129, et

« considérant la jurisprudence pertinente de la Cour internationale de justice ... , et la

130
ratification par le Sénégalde la convention des Nations Unies contre la torture» , la

Conférence :

« i) DECIDE de considérer le Dossier Hissène Habré comme le dossier de l'Union
africaine;

ii) MANDATE la République du Sénégalde poursuivre et de faire juger, au nom de

l'Afrique, Hissène Habrépar une juridiction sénégalaisecompétente avec les garanties
d'un procèsjuste;

123 Voir par. 1.68 ci-dessus.

124 Assembly/AU/8 (VI) Add. 9.

125 Assembly/AU/Dec.l03 (VI), par. 3 (annexe F.l).
126
Assembly/ AU/Dec.l27 (VII) (annexe F.2).
127
Ibid., par. 2.
128
Ibid., par. 3.
129 Ibid., par. 4.

130 Ibid., par. 5.

37 iii) DONNE MANDAT au Président de l'Union, en concertation avec le président de
la Commission, d'apporter au Sénégall'assistance nécessaire pour le bon déroulement

et le bon aboutissement du procès ;

v) LANCE UN APPEL à la communauté internationale pour qu'elle apporte son
. G , , l . 131
soutien au ouvernement senega ms ».

1.72. Lors de sa huitième session ordinaire, tenue à Addis Abeba les 29-

30 janvier 2007, la Conférence de l'Union africaine a rappeléla décisionprise à Banjul et a
132
pris note d'un rapport provisoire du Sénégal . Lors de sa douzième session ordinaire,

tenue à nouveau à Addis Abeba (1er_3février 2009), la Conférence des Chefs d'État et de
133
gouvernement de l'Union africaine a adoptésa Décision 240 (XII) • Dans cette dernière,

la Conférence:

« 4. CONSIDERE que le budget définitif du procès devrait êtreélaboréet arrêté
par l'Union africaine, en collaboration avec le Gouvernement de la République du
Sénégalet l'Union européenne ; [et]

5. LANCE UN APPEL à tous les Etats membre de l'Union africaine, à l'Union

européenne et aux pays et institutions partenaires, pour qu'ils apportent leurs
contributions au budget du procès en versant directement ces contributions à la
Commission de l'Union africaine. »

1.73. A sa treizième session ordinaire, tenue à Syrte, en Libye (1er_3juillet 2009), la

Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine:

« 4. REITERE son appel à tous les Etats membres de l'Union africaine pour qu'ils
apportent leurs contributions au budget du procès et accorde leur soutien au

Gouvernement de la République du Sénégaldans l'exécution du mandat de l'Union
africaine d'inculper et de juger Hissène Habré;

5. DECIDE que l'Union africaine apporte une contribution symbolique au budget
du procès, dont le montant sera déterminéaprès consultation entre la Commission et le
. , d R , 134
Com1te es epresentants permanents. »

1.74. A sa quatorzième session ordinaire (Addis Abeba, 31 janvier-2 février2010), la

Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine:

131
Ibid.
132
Assembly/ AU/Dec.l57(Vlll) (annexe F.3.)
133Assembly/ AU/Dec.240(Xll) (annexe F.4.)

134Assembly/AU/Dec.246(Xlll), 3 juillet 2009 (annexe F.5.)

38 « 4. REITERE son appel à tous les États membres pour qu'ils apportent leurs

contributions au budget au titre du procès et l'appui nécessaire au Gouvernement
sénégalais dans l'exécution du mandat que lui a confié l'Union africaine (UA)
d'inculper et de juger M. Hissène Habré;

5. RAPPELLE sa Décision Assembly/AU/246 (XIII) adoptée en juillet 2009 à

Syrte (Grande Jamahiriya arabe libyenne) demandant à l'Union africaine de faire une
contribution symbolique au budget du procès pour un montant qui sera déterminé

aprèsconsultations entre la Commission et le Comitédes Représentants permanents ;

6. INVITE le Gouvernement sénégalais, la Commission et les partenaires,
notamment l'Union européenne de poursuivre les consultations dans la perspective
d'organiser, le plus tôt possible, la Table ronde des donateurs. » 135

1.75. Lors des audiences relatives à la demande en indication de mesures

conservatoires, le Sénégala affirmé:

1
charge» 136.

En outre, le Sénégala indiquéque

137
, et non en vertu d'un mandat de l'Union africaine. » .

1.76. Bien que la Belgique accueille favorablement ces déclarations, elle note que les

décisions de l'Union africaine concernant l'affaire Hissène Habré,y compris les décisions

postérieures aux déclarations du Sénégaldevant la Cour, se réfèrentà des poursuites contre

M. Hissène Habré «dans l'exécution du mandat de l'Union africaine». En outre, les

Termes de Référencearrêtés en octobre 2009 par les autorités sénégalaisesexpliquent que

«face à un mandat [de l'Union africaine] aussi clair, les autorités sénégalaisesétaient

tenues de mettre en place le dispositif adéquatpour permettre un jugement aussi rapide que

138
possible » et qu'il s'agit de «garantir l'exécution correcte de l'engagement politique
139
pris » •Ceci est cohérentavec certaines affirmations du Sénégalselon lesquelles

135
Assembly/AU/Dec.272(XIV), 2 février2010 (annexe F.6.)
136CR 2009/ll, 8 avril2009, p. 13, par. lü (Diouf).

137CR 2009/ll, 8 avril2009, p. 18, par. ll (Sall).
138
Annexe D.8., p. 8.
139
Ibid.,p.10.

39 - il aurait volontairement acceptéle «mandat» de l'Union africaine ;

- celle-ci pourrait mettre fin au mandat à sa guise ;

toute l'affaire relèverait, aujourd'hui, de la responsabilité de l'Afrique et non du

Sénégal.

B. LES EFFORTS DE L'UNION AFRICAINE ET DE L'UNION EUROPEENNE POUR AIDER LE

SENEGAL A ORGANISER DES POURSUITES

1.77. Dès juillet 2007, les autorités sénégalaisesdemandent l'appui financier de la

communauté internationale pour l'organisation du procès de M. Habré au Sénégalsans

140
toutefois qu'aucun budget réalisteni consensuel ne soit établi .

1.78. Le 18juillet 2007, une lettre est adresséepar le présidentsénégalaisau premier

ministre belge par laquelle les autorités sénégalaises communiquent une estimation

unilatérale réviséedu budget nécessaire pour l'organisation du procès (+/- 27 millions

d'euros) et demandent l'appui financier et technique de la Belgique. Le Présidentannonce

par ailleurs son intention de tenir une réunion des bailleurs potentiels en septembre

2007 14. Plusieurs partenaires de l'Union européenne reçoivent une lettre similaire et, sur

suggestion de certains autres États membres, il est décidéque la Présidence de l'Union

européenne répondra au nom de l'Union à cette requêtedes autorités sénégalaiseset

suggèrera l'envoi d'une mission d'experts de l'Union européenneafin d'aider les autorités

sénégalaisesdans l'évaluationd'un budget réalistepour ce procès.

1.79. Le 14 septembre 2007, la Présidencede l'Union européenne adresse une lettre

au Président Wade proposant l'envoi d'une «mission d'expertise technique qui serait en

charge d'analyser, avec les autoritéscompétentes [du Sénégal],les besoins existants en vue

142
de l'organisation du procès » .Malgréce courrier, l'Ambassade du Sénégaladresse le 5

140Les Termes de référencespour l'organisation du procès de M. Hissène Habré, préparésen octobre 2009

par le Comité de suivi et de communication établi par le Sénégal,prévoient un budget de plus de 18
milliards de FCFA (+/- 27 millions d'euro), budget identique à celui estimédéjàen 2007
141
Annexe D.l4.
142Ce document de correspondance européenne a étéclassifié restreint par le Secrétariat du Conseil de

l'Union européenne.

40octobre 2007 une note verbale au ministère belge des Affaires étrangèresconvoquant la

Belgique à une réunion des donateurs potentiels le 16 octobre 2007 143.Une note verbale

similaire est envoyée à toutes les missions diplomatiques à Bruxelles ainsi qu'à la

Commission européenne.Aprèsconcertation entre les Chefs de mission des États membres

de l'Union européenne à Dakar, la Présidence de l'Union européenne à Dakar intervient

verbalement auprès du directeur de cabinet du ministre Gadio en vue de postposer la

réunion des bailleurs potentiels après la mission des experts de l'Union européenne, le

budget totalement excessif estimé pour 1'organisation du procès par les autorités

sénégalaisesn'ayant pas étéréviséentretemps. Ce dernier accepte l'ajournement de la

réunionà une date à déterminer, et demande aux représentants de l'Union européenne au

Sénégalde proposer une nouvelle date dèsqu'ils l'estimeront opportun.

1.80. Néanmoins, par télécopiedu 4 décembre 2007 adressée au premier ministre

Verhofstadt, le Présidentdu Sénégalconvoque une nouvelle fois une réuniondes donateurs
144
potentiels pour les 13 et 14 décembre 2007 . Une invitation similaire est envoyée aux

autres représentations diplomatiques des États membres de l'Union européenneà Dakar et

au délégué de la Commission européenne. Ce dernier demande sur le champ et obtient le

report sine die de cette réunion après la mission d'experts de l'Union européenne. Par

courrier du 7 décembre2007, le Présidentsénégalaisinforme le premier ministre belge du

report « à une date ultérieure » de la conférencedes donateurs potentiels «pour des raisons

de calendriers »145.La Belgique, de son côté,fait pression pour que la mission d'experts

soit organiséele plus rapidement possible.

1.81. Depuis janvier 2008, l'Union africaine et l'Union européenne se sont efforcés

de déterminer le type d'assistance que le Sénégaldevrait recevoir en vue d'organiser le

procèsde M. Habré.

1.82. A maintes repnses, la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de

l'Union africaine a appelé les États membres de l'Union à contribuer au budget du
' 146 D N 1 d .' ' 1 . 1 S' ' 1 ' 1 d
proces . ans sa ote sur es ermeres evo ut10ns, e enega a note que ors e son

143
Annexe B.l5.
144Annexe D.l5.

145Annexe D.l6.
146
Voir aussi Note sur les dernières évolupp.4-5.

41dernier sommet de février 2010, le Sénégala été invitéà «poursuivre les consultations

dans la perspective de tenir en 2010, à Dakar, la Table Ronde des Donateurs » 147.Le

Sénégalévoque en outre deux avant-projets, proposés par l'Union africaine, concernant les

termes de référencessur l'organisation de la Table ronde des donateurs et sur la gestion des

fonds destinés au procès 148,sans que ces documents aient étécommuniqués à la Cour ou à

la Belgique.

1.83. En janvier 2008, une mission d'experts de l'Union européenne s'est rendue à

Dakar en vue de formuler des recommandations pour le soutien à l'organisation du procès

de H. Habré par les autorités sénégalaises dont, notamment, des recommandations sur

l'établissement d'un budget réexaminéet finalisé.

1.84. En mai 2008, le ministre de la Justice sénégalaisannonce que, pour préparer le

procès de M. Habré,il a nommé M. Ibrahima Gueye, comme coordonnateur, et un 'Comité

de suivi et de communication' regroupant notamment des magistrats et des représentants

d'organisations non-gouvernementales. Il annonce aussi la création d'un groupe de travail

149
sur les aspects budgétaires .

1.85. Par lettre du 4 novembre 2008, les autorités sénégalaises transmettent à la

Délégationde la Commission européenne à Dakar un projet de budget pour l'organisation

du procès de M. Habré: ce projet s'élève à 18 milliards de francs CFA

150
(environ 27 millions d'euros) .

1.86. En décembre 2008-janvier 2009, dans un échange de lettres entre le président

sénégalais et le président du Conseil de l'Union européenne, le président français, le

président Sarkozy constate que l'instruction du procès n'a pas démarréet qu'aucun budget

crédible n'a étéétabli. Il propose de mettre en place un appui technique de l'Union

européenne en vue de fixer un échéancieret un budget qui permettront la mobilisation

rapide de moyens financiers de la communauté internationale. Le président Wade réitèrela

147
Ibid.,p. 5.
148Ibid.

149Agence de Presse Sénégalaise(APS), communiqué du 21 mai 2008
150
Annexe D.lO.

42disponibilité du Sénégalà tenir le procès dès que les conditions financières et logistiques à

mêmede garantir sa crédibilitéseront réunies 15.

1.87. En mars 2009, Maître Robert Dossou, envoyéspécialde l'Union africaine pour

le dossier H. Habré, se rend à Dakar pour une mission concernant l'établissement du

budget. Il y rencontre notamment les ambassadeurs de Belgique, de France, des Pays-Bas,

de Suisse et le délégué de la Commission européenne.

1.88.Par lettre du 2 juin 2009 adressée au délégué de la Commission européenne à

Dakar, le président sénégalais requiert une assistance technique pour l'évaluation du

budget nécessaire au procès de H. Habré 15. Le déléguéde la Commission répond

favorablement et entame la rédaction de termes de référence pour cette mission

d'assistance technique. A sa demande, le ministre sénégalaisde la Justice lui transmet, le

25 juin 2009, une série de documents relatifs au budget évaluépour le procès (budget

provisoire de 18 milliards de francs CFA évaluéen 2007 auquel s'ajoute un budget pour le

coordonnateur et un budget pour 1'administration pénitentiaire).

1.89. Une délégationde la Commission de l'Union africaine se rend à Dakar du 4 au

10 juin 2009 aux fins d'élaborer un projet de budget conformément au «mandat de

l'organisation africaine »153• Aucune rencontre avec des représentants de l'Union

européenne n'est organisée et ceux-ci ne sont informés de cette visite qu'a posteriori par

courrier du ministre de la Justice du Sénégalau déléguéde la Commission de l'Union

européenne du 25 juin 2009. Au terme de cette mission, l'Union africaine réévaluele

budget nécessaire à 16 millions dollars américains.

1.90. En octobre 2009, des Termes de Référence pour l'organisation du procès de M.
54
Hissene Habré sont préparéspar le Comité de suivi et de communication établi par le

Sénégal.Ils se réfèrentau «mandat» de l'Union africaine et à l'« engagement politique »

151Lettre du président Sarkozy au président Wade du 15 décembre 2008 (annexe D. 11.) et lettre de réponse
du Président Wade au président Sarkozy du 6 janvier9 (annexe D.l2.)

152Lettre des autorités sénégalaisesà la Délégationde la Commission européenne à Dakar du 2 juin 2009
(annexe D.13.)
153
Courrier du Ministre de la Justice du Sénégalau déléguéde la Commission européenne du 25/06/09
(Annexe D.l7.)
154
Annexe D.S.

43 155
pns par les autorités sénégalaises • Les objectifs consistent à mettre en place les

conditions matérielles et juridiques pour l'organisation d'un procès équitable dans les 28

mois (20 mois pour la préparationet la formation, cinq mois pour le procès, trois mois pour

l'appel). Les Termes de Référencedécriventles changements législatifs déjàeffectués au

Sénégal.Ils décriventaussi le groupe de travail établiaprèsla décisionde l'Union africaine

pour examiner les changements législatifs, évaluer les coûts, prévoir un coordonnateur

ainsi qu'un Comité de suivi et de communication, et les besoins de formations des

magistrats et des auxiliaires de justice dans un futur proche. Il est recommandéde désigner

les personnes concernées,de les former (ce qui inclut des voyages d'études),de prévoirles

questions de sécuritéet de communication. Le budget dépasserait 18 milliards de francs

CFA (environ 27 millions d'euros).

1.91. Par une lettre du 29 octobre 2009, le ministre sénégalaisde la Justice propose

au délégué de la Commission européenne une réunion tripartite Union africaine-Union

européenne-Sénégalsur les questions budgétaires 156.Le délégué de la Commission répond

en demandant le report de cette réunionaprès la deuxième mission des experts de l'Union

européenneprévueavant la fin de l'annéeet propose d'élargirl'invitation à d'autres (par

exemple, les États-Unis d'Amérique,la Suisse).

1.92. Du 7 au 17 décembre 2009, trois experts de l'Union européenne se rendent à

Dakar dans le but d'assister les autorités sénégalaisesdans la finalisation du budget du

procès. Il s'agit de la première phase de la deuxième mission d'experts de l'Union

européenne.

1.93. Profitant de la présence à Dakar des experts de l'Union européenne, les

autorités sénégalaisesorganisent, le 9 décembre 2009, une «journée de validation des

termes de référencepour l'organisation du procès de H. Habré» à laquelle les experts de

l'Union européenneet des représentantsde la Commission de l'Union africaine participent

en qualitéd'observateurs.

155Ibid.p. 10.
156
Annexe D.18.

44 1.94. La deuxième phase de la deuxième mission d'experts de l'Union européenne

prévuedu 19 au 23 avril2010 est reportéeen raison des perturbations dans l'espace aérien

européen.Elle a finalement lieu la semaine du 17 mai 2010.

VI. Résumé des faits

1.95. Les faits de la présentecause peuvent se résumercomme suit:

De 1982 à 1990, M. Habré est président du Tchad; durant sa présidence, de

nombreuses violations des droits humains les plus fondamentaux sont commises

au préjudice de plusieurs dizaines de milliers de personnes (pars. 1.05-1.10 ci­

dessus) ; renverséen 1990, H. Habrétrouve refuge au Sénégaloù il résidedepuis

lors (par. 1.08 ci-dessus) ;

En janvier 2000, des victimes de M. Habré déposent plainte contre lui au

Sénégal;le juge d'instruction inculpe M. Habréde complicité«de crimes contre

l'humanité, d'actes de torture et de barbarie», mais la chambre d'accusation

annule les poursuites pour incompétence de la justice sénégalaisefaute de loi
permettant au juge sénégalaisd'exercer les compétencesextraterritoriales requises

par l'affaire (pars. 1.11-1.13 ci-dessus); en mars 2001, la Cour de cassation du

Sénégalrejette le pourvoi des victimes qui avaient déposéplainte au Sénégal

(par. 1.15 ci-dessus);

En novembre 2000, des plaintes sont déposéesen Belgique à l'encontre de M.
Habré(pars. 1.19-1.20 ci-dessus);

En septembre 2005, au terme de son instruction, le juge d'instruction belge

décerne un mandat d'arrêtpar défaut à l'encontre de M. Habré; transmis au

Sénégalpar le système Interpol, avec notice rouge, le mandat d'arrêt vaut
demande d'arrestation provisoire eu vue de l'extradition (pars. 1.28-1.31 et 1.34);

En novembre 2005, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar s'est

déclaréeincompétente pour se prononcer sur la demande d'extradition de la

45 Belgique vu l'immunitéreconnue par le droit sénégalais au président du Sénégal

(par. 1.36 ci-dessus);

En décembre 2005, le Sénégalenvme deux notes verbales à la Belgique se

référantà l'arrêtde la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar et
précisant que l'affaire est transmise à l'Union africaine (pars. 1.38-1.39 ci­

dessus);

En janvier et mars 2006, la Belgique envme au Sénégaldeux notes verbales

demandant au Sénégalde précisersa position sur la demande d'extradition de M.
Habréeu égardà la Convention contre la torture (pars. 1.40-1.41);

En mai 2006, le Sénégalrépondaux notes verbales de la Belgique en disant que le

transfert du dossier à l'Union africaine répond aux obligations de la Convention

de 1984 (par. 1.43ci-dessus);

En juin 2006, la Belgique envoie une note verbale au Sénégalconstatant que la

divergence de vues entre les deux États sur l'interprétation et l'application de la

Convention contre la torture n'a pas pu êtrerésolue par la négociation et, par

conséquent, elle propose de recourir à la procédure d'arbitrage prévue par la

Convention (par. 1.44 ci-dessus);

En 2008, des victimes de M. Habrédéposent une nouvelle plainte contre lui au

Sénégal(par. 1.49 ci-dessus);

En décembre2008, la Belgique offre sa coopérationjudiciaire au Sénégalpour lui

transmettre le dossier d'instruction relatif à M. Habréet accueillir en Belgique les

magistrats sénégalaisinstructeurs (par. 1.51 ci-dessus);

En février 2009, la Belgique déposeun acte introductif d'instance devant la Cour

et fait une demande en indication de mesures conservatoires (par. 1.52 ci-dessus) ;

En juillet 2009, la Belgique réitèreles propositions faites en décembre 2008

(par. 1.53 ci-dessus);

46En juillet et septembre 2009, le Sénégalaccueille favorablement la proposition

d'assistance judiciaire belge et désigne deux magistrats pour se rendre en

Belgique ; la Belgique en prend acte et se dit prête à financer cette commission

rogatoire (par.1.53 ci-dessus) ;

En novembre 2009, le ministre de la Justice du Sénégaldéclare à l'ambassadeur

de Belgique qu'une requêteformelle de commission rogatoire va êtreadresséeà la
Belgique (par. 1.55 ci-dessus); jusqu'à présent (fin juin 2010), la Belgique n'a

reçu aucune demande de commission rogatoire ;

En décembre 2009, le président Wade affirme que le Sénégaljugera H. Habré à

condition que l'entièreté des fonds nécessaires soit disponible (par. 1.56 ci­

dessus);

En février 2010, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresrépètece message

au ministre belge des Affaires étrangères(par. 1.58 ci-dessus) ;

En février2010, la Belgique réitèrepour la troisième fois son offre de coopération
judiciaire (par.1.59 ci-dessus) ;

En mars 2010, le nouveau ministre de la Justice du Sénégalse dit sensible aux

offres belges, mais ne peut s'engager concrètement pour l'envoi d'une

commission rogatoire en Belgique (par. 1.60 ci-dessus).

En juin 2010, le Sénégaltransmet à la Cour des documents qui cherchent à

montrer la volonté du Sénégalde poursuivre pénalement M. Habré (par. 1.63 ci­

dessus);

Également en juin 2010, le Sénégalréaffirme sa disponibilité à donner suite à
l'offre belge de commission rogatoire « dès que la Table ronde des donateurs,

sous l'égide de l'Union Européenne et de l'Union Africaine, pour collecter les

contributions financières des pays et Institutions, sera effective » (par. 1.64 ci­

dessus).

47 Dans une note verbale en réponse datant également de juin 2010, les autorités

belges indiquent aux autorités sénégalaises qu'en suspendant les poursuites à la

tenue effective d'une table ronde des donateurs, ces dernières pourraient ne pas

honorer dans un délai raisonnable leur obligation de poursuivre à défaut

d'extrader, sauf à choisir la seconde branche de cette alternative (par. 1.65 ci­

dessus)

1.96. En substance, M. Habré vit depuis 20 ans au Sénégalsans que les autorités

compétentessénégalaisesn'aient jamais donnéconcrètement suite

aux règles internationales de lutte contre l'impunité pour les faits qui lui sont

imputés;

à deux séries de plaintes individuelles adressées à la justice sénégalaise(2000,

2008) ;

- à la demande d'extradition adresséepar la Belgique au Sénégal(2005) ;

aux offres de coopération judiciaire de la Belgique au Sénégal(2008, 2009,

2010) ;

- aux engagements que le Sénégaldéclareassumer explicitement.

48 CHAPITRE II

LES PROCEDURES DEVANT LE COMITE CONTRE LA TORTURE,

LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES

ET

LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES

ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)

2.01. Plusieurs instances internationales ont traité de divers aspects de l'affaire H.

Habré: le Comité des Nations Unies contre la torture, et deux autres juridictions

internationales, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et la Cour de Justice

de la Communautééconomiquedes États d'Afrique de l'Ouest (comme le Sénégall'a déjà

dit durant les audiences sur les mesures conservatoires en avril 2009 15). Le présent

chapitre actualise les informations sur ces procédures dans la mesure où elles sont

disponibles.

1. Comitécontre la torture

2.02. Le 17 mai 2006, le Comité contre la torture rendait sa décision sur une
158
communication introduite contre le Sénégalpar Suleymane Guengueng et al. Le Comité

concluait que le Sénégalviolait la Convention contre la torture en manquant à son
159
obligation d'extrader ou de poursuivre M. Habré .

2.03. Le Comitéa conclu :

«9.3 Sur le fond, le Comité doit déterminer si l'Etat partie a violé les articles 5,

paragraphe 2, et 7 de la Convention. Il constate, et ceci n'est pas contesté,que Hissène
Habré se trouve sur le territoire de l'Etat partie depuis décembre 1990. En Janvier
2000, les requérants ont déposéune plainte contre Hissène Habré auprès d'un juge

d'instruction de Dakar, pour actes de torture. Le 20 mars 2001, au terme d'une
procédurejudiciaire, la Cour de Cassation du Sénégala estimé '[q]u'aucun texte de
procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaisesen

vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvéssur le territoire de la République, les

157CR 2009/9, 6 avril2009, pp. 28-29, par. 43 (Kandji).

158M. Suleymane Guengueng est une des victimes ayant déposéplainte devant les autorités judiciaires
sénégalaises
159
Annexe E.2.

49 présumésrequérants ou complices de faits [de torture] [... ] lorsque ces faits ont été

commis hors du Sénégalpar des étrangers ; que la présence au Sénégald'Hissène
Habré ne saurait à elle seule justifi[er] les poursuites intentées contre lui.'. Les
juridictions de l'Etat partie ne sont pas prononcées [sic] sur le bien fondé des
allégations de tortures invoquéespar les requérants au sein de leur plainte.

9.4 Le Comité constate également qu'en date du 25 novembre 2005, la Chambre
d'Accusation de la Cour d'appel de Dakar s'est déclaréeincompétente pour statuer sur

une demande d'extradition à l'encontre de Hissène Habréémanantde la Belgique.

9.5 Le Comitérappelle qu'en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, 'tout
Etat partie prend [... ] les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de
connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci se trouve sur
tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne 1'extrade pas [... ]'. Il note que
l'Etat partie n'a pas contesté, dans ses observations sur le fond, qu'il n'avait pas

adoptéces 'mesures nécessaires' viséespar l'article 5, paragraphe 2, de la Convention,
et constate que la Cour de Cassation a considéréelle-mêmeque ces mesures n'avaient
pas étéprises par l'Etat partie. De plus, il considère que le délai raisonnable dans
lequel l'Etat partie aurait du remplir cette obligation est largement dépassé.

9.6 Le Comité considère par conséquent que l'Etat partie n'a pas rempli ses

obligations en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention.

9.7 Le Comitérappelle qu'en vertu de l'article 7 de la Convention, 'l'Etat partie sur le

territoire sous la juridiction duquel l'auteur présuméd'une infraction viséeà l'article 4
est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, dans les cas visés à
l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale'.Il note à cet
égardque l'obligation de poursuivre l'auteur présuméd'actes de torture ne dépendpas

de l'existence préalabled'une demande d'extradition à son encontre. Cette alternative
qui est offerte à l'Etat partie en vertu de l'article 7 de la Convention n'existe que
lorsqu'une telle demande d'extradition a effectivement étéformulée et place dès lors
l'Etat partie dans la position de choisir entre (a) procéder à ladite extradition ou (b)

soumettre l'affaire à ses propres autorités judiciaires pour le commencement de
l'action pénale, le but de la disposition étant d'éviter l'impunité pour tout acte de
torture.

9.8 Le Comitéestime que l'Etat partie ne peut invoquer la complexité de sa procédure
judiciaire ou d'autres raisons dérivéesde son droit interne pour justifier le manque de
respect à ses obligations en vertu de la Convention. ll considère que cette obligation de

poursuivre Hissène Habré pour les faits alléguésde torture existait dans le chef de
l'Etat partie, à défautde prouver qu'il ne disposait pas d'élémentssuffisant permettant
de poursuivre Hissène Habré,à tout le moins au moment de l'introduction de la plainte
par les requérants en janvier 2000. Or, par sa décision du 20 mars 2001, non

susceptible d'appel, la Cour de Cassation a mis fin aux possibilités de poursuite à
l'encontre d'Hissène Habréau Sénégal.

50 9.9 Par conséquentet nonobstant le temps qui s'est écoulédepuis l'introduction de la

communication, le Comitéconsidèreque l'Etat partie n'a pas rempli ses obligations en
vertu de 1'article 7 de la Convention.

9.10 En outre, le Comitéconstate qu'à partir du 19 septembre 2005, l'Etat partie se

trouvait dans une autre des situations prévuespar ledit article 7 puisqu'une demande
formelle d'extradition avait alors étéformuléepar la Belgique. L'Etat partie avait à ce
moment l'alternative de procéderà cette extradition s'il décidaitde ne pas soumettre

l'affaire à ses propres autoritésjudiciaires pour l'exercice de poursuites pénales à
l'encontre de HissèneHabré.

9.11 Le Comitéconsidère qu'en refusant de faire suite à cette demande d'extradition,

l'Etat partie a une nouvelle fois manquéà ses obligations en vertu de l'article 7 de la
Convention.

9.12 Le Comitécontre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la

Convention, conclut que l'Etat partie a violé les articles 5, paragraphe 2, et 7 de la
Convention. » 160

2.04. Dans sa Note sur les dernières évolutions transmis au Greffe de la Cour, le

Sénégalfait part d'une mission confidentielle d'information du Comitécontre la torture qui

s'est rendue au Sénégaldu 4 au 7 août 2009 afin de« s'enquérirde l'étatde préparatifsdu

161
procès Hissène HABRE et des dispositions prises par l'Etat du Sénégaldans ce sens » .

La mission du Comitéa rencontréles autoritésadministratives et judiciaires en charge de

l'affaire H. Habré.Il est reportéque, suite à un constat fait par les membres de la mission,

les autorités sénégalaises ont réaffirmé « leur volonté de respecter les obligations

conventionnelles du Sénégalnéesde la signature et de la ratification de la Convention

contre la torture» et ont également assuréque «le Sénégalne saurait se prévaloird'une

quelconque exception tirée d'un manque de moyens financiers pour ne pas mettre en

Œuvre ses obligations et n'a pas envisagéune telle possibilité» 162.Selon les explications

contenues dans la Note sur les dernières évolutions, «les membres du Comité ont opté

pour une démarcheconsistant, avant tout, à auditionner l'Etat concernésur la question »163.

16°Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, pars. 9.3-9.12 (annexe E.2.)

161Annexe D.9., pp. 5-6.
162
Ibid.,p. 6.
163
Ibid.

51 II. Cour africaine des droits de l'homme et des peuples

2.05. En l'affaire Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal,le requérant a

demandé « le retrait de la procédure actuellement diligentée » par le Sénégalcontre M.

Habré.Dans son arrêtdu 15 décembre 2009, la Cour africaine des droits de l'homme et des

peuples a jugé à l'unanimité qu'elle n'avait pas de compétence pour connaître de l'affaire,

le Sénégal n'ayant pas fait de déclaration acceptant la compétence de la Cour

conformément à l'article 34, paragraphe 6, du Protocole à la Charte Africaine des droits de

l'homme et des peuples sur l'établissement de cette Cour 164.

III. Cour de Justice de la Communautééconomiquedes États

de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)

2.06. Par requêteintroduite le 6 octobre 2008 contre le Sénégal,M. Habré a saisi la

Cour de Justice de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest en

demandant à la Cour de constater de nombreuses violations d'instruments internationaux

de protection des droits de l'homme, y compris la Déclaration universelle des droit de

l'homme, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le Pacte international

relatif aux droits civils et politiques.l a priéla Cour de

«- dire et juger que toutes poursuites engagées sur les fondements indiqués dans [la]
requêteseraient de nature à perpétuer lesdites violations ;

- dire et juger que la violation de ces principes et droits fait obstacle à la mise en

Œuvre de toute procédure à l'encontre de Monsieur Hissein Habré;

- ordonner en conséquence à la République du Sénégalde se conformer aux droits et
principes ci-dessus rappelés et de cesser toutes poursuites et/ou actions à l'encontre de
165
Monsieur Hissein Habré » .

164Arrêtdu 15 décembre2009, Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal, requête n° 001/2008
(annexe E.3.). Voir également les explications du Sénégaldans sa Note sur les dernières évolutions

intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès de M. Hissène Habré depuis le prononcé de
l'ordonnance du 28 mai2009 sur la requêtebelge en indication de mesures conservatoires, 15 juin 2010,
pp. 7-8 (annexe D.9.)
165
Cour de Justice de la CEDEAO, Hissein Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit, mai 2010, par. 2 (annexe E.l.)

52 2.07. Il ressort de la Note sur les dernières évolutions adresséepar le Sénégalà la

Cour que, le 27 novembre 2009, la Cour de Justice a, par arrêtavant dire droit no ADD

ECW/CCI/APP/11/09 rejeté la demande d'intervention introduite par le «Collectif des
166
Victimes » .

2.08. Dans une note verbale du 12 mai 2010 adressée au ministère des affaires

étrangèresdu Sénégal 167, la Belgique a demandé aux autorités sénégalaisesqu'elles lui

confirment, dans l'hypothèse où une décision de la Cour de Justice de la Communauté

économique des États de l'Afrique de l'Ouest déclarerait fondé le recours de M. Habré,

leur interprétation de leur engagement solennel formulé devant la Cour internationale de

justice de maintenir M. Habré sur leur territoire. Fin juin 2010, cette note verbale reste

sans réponse.

2.09. Le 14 mai 2010, la Cour de Justice a déclaréqu'elle étaitcompétenteet que la

requêteétaitrecevable 16. La Cour a décidéque

«- La Cour est compétentepour connaître l'affaire dont elle a étésaisie par Monsieur

Hissein Habré;

- Dit que la requêtede Monsieur Hissein Habréest recevable ;

-En conséquence,rejette les exceptions préliminairessoulevéespar l'Etat du Sénégal;

- Ordonne la poursuite des débatsau fond »169.

2.10. Lors des plaidoiries sur la compétencede la Cour de Justice de la Communauté

économique des États de l'Afrique de l'Ouest, les représentants du Sénégalont reconnu

que

«au moment où Monsieur Hissein Habré a saisi la Cour de céans, il n'existait, ni

existe à ce jour, aucune procédure pendante contre lui devant les juridictions
senega mses »170.

166
Annexe D.9., p. 7.
167
Annexe B.24.
168Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt

avant dire droit,14 mai 2010 (annexe E.l.)
169Ibid., par. 71.

53 2.11. La Cour de Justice a tenu des audiences sur le fond de l'affaire le 18juin 2010.

Lors de ces audiences, le Sénégala réaffirméqu'aucune violation des instruments de

protection de droits de l'homme n'a étécommise et qu'il ne s'agit que de violations

potentielles eu égard au fait que, actuellement, aucune procédure judiciaire n'est

formellement engagée contre M. Habré. La décision de la Cour est attendue pour le

19 octobre 2010.

170
Ibid., pa14.

54 CHAPITRE III

LA COMPETENCE DE LA COUR

3.01. Dans sa requêteintroductive d'instance, la Belgique a invoquédeux bases de

compétence:

l'article 30 de la Convention contre la torture et autres pemes ou traitements

. h . d' d 171
crue 1s, m umams ou egra ants ; et

les déclarations de la Belgique et du Sénégal en vertu de l'article 36,
172
paragraphe 2, du Statut de la Cour .

3.02. Ces bases de compétence ont étéabordées lors de la procédure orale sur

l'indication de mesures conservatoires. Dans son ordonnance du 28 mai 2009, la Cour a

jugéqu'elle étaitcompétenteprimafacie en vertu de l'article 30 de la Convention contre la

torture 173.Elle a ega ement ec1 e'd'

«qu'il n'y a dès lors pas lieu de rechercher, à ce stade de la procédure, si les

déclarations faites par les Parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut
pourraient également fonder, prima facie, la compétence de la Cour pour connaître
174
de l'affaire » •

3.03. L'article 30 de la Convention contre la torture s'applique au différenddans la

mesure où il concerne les obligations du Sénégalen vertu de cette Convention. Par ailleurs,

la compétence fondée sur l'article 36, paragraphe 2, du Statut couvre l'ensemble du

différendportédevant la Cour, qu'il s'agisse du différendfondésur la Convention contre

la torture, ou sur toute autre règle de droit international conventionnel ou coutumier. La
175
Belgique estime que la Cour a compétencesur cette double base •

171Annexe A.l.
172
Annexe A.2.
173
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 53. Voir aussi l'examen de l'article 30 aux pars. 42-52.
174
Ibid., par. 54.
175
L'argument avancé par le Sénégallors des audiences publiques relatives à la demande en indication de
mesures conservatoires selon lequel la condition de compétence liéeà l'article celle qui découledes
déclarations facultatives de la juridiction obligatoires sontlatives de telle sorte qu'il suffit qu'une

55 3.04. La section 1 de ce chapitre examine la compétence de la Cour sur la base de

l'article 30 de la Convention contre la torture. La section II traite des déclarations

facultatives d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour.

1. La compétenceen vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture

3.05. L'article 30, paragraphe 1, de la Convention contre la torture est une clause

compromissoire, prévoyant que les différends concernant l'interprétation ou l'application

de la Convention sont soumis à l'arbitrage ou, si «les parties ne parviennent pas à se

mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage», à la Cour internationale de Justice:

«Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l'interprétation ou

l'application de la présente Convention qui ne peut pas êtreréglépar voie de
négociationest soumis à l'arbitrage à la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les six
mois qui suivent la date de la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent pas à se

mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant une requête
conformémentau Statut de la Cour. »

3.06. La Belgique et le Sénégalsont parties à la Convention contre la torture. Le

Sénégall'a ratifiéele 21 août 1986. Elle est entréeen vigueur pour le Sénégallors de son

entrée en vigueur générale le 26 juin 1987. La Belgique a ratifié la Convention

le 25 juin 1999. Elle est entréeen vigueur pour la Belgique, y compris dans ses relations

avec le Sénégal,le 25 juillet 1999.

3.07. Ni la Belgique ni le Sénégaln'ont fait de réserveà la convention, en particulier

sur la base du paragraphe 2 de l'article 30, qui autorise un État partie à se délier de la

clause compromissoire prévuepar le paragraphe 1 de cet article. La Belgique et le Sénégal

sont donc liéspar l'article 30, paragraphe 1, de la Convention.

3.08. L'article 30, paragraphe 1, est une disposition relativement habituelle dans les
176
conventions internationales. Il est similaire à 1'article 14 de la Convention de Montréal ,

seule d'entre elles fasse défautpour que la Cour ne puisse pas retenir sa compétence» (CR 2009/11, 8
avril2009, p. 15, par. 21 (Diouf)) est sans fondement aucun.

176Convention pour la répressiond'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde l'aviation civile, 23 septembre
1971, RTNU, vol. 974, p. 185 (l-14118).

56 177
que la Cour a examiné dans les affaires de Lockerbie . ll est également similaire à

l'article 29 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à

l'égard des femmes 178 dont la Cour a eu à connaître dans le différend entre la République

démocratique du Congo et le Rwanda 179•

3.09. Quatre conditions doivent êtresatisfaites avant qu'une partie puisse soumettre

un différendà la Cour en vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture:

Il faut « un différend entre deux ou plus des États parties concernant

l'interprétation ou l'application de la présente Convention» ;

- le différend « ne peut pas êtreréglépar voie de négociation » ;

- une des parties au différend doit avoir demandé qu'il soit soumis à l'arbitrage ; et

«dans les six mois qui suivent la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent

pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage».

3.10. Ces conditions sont cumulatives. Si elles sont réunies, le différend peut être

soumis à la Cour en vertu de l'article 30 de la Convention par chacune des parties.

A. L'EXISTENCE D'UN DIFFEREND

3.11. Le différend entre la Belgique et le Sénégalporte sur l'interprétation et, surtout,

l'application de la Convention contre la torture, ainsi qu'on l'expliquera de manière plus

177
Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c.Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil 1998, p. 9; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique),

exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J. Recueill998, p.115.
178
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égarddes femmes, 18 décembre
1979, art. 29, par., RTNU, vol. 1249, p. 13 (l-20378). Bien que cette disposition de la Convention de
1979 se réfère àtout différend «qui n'est pas réglépar voie de négociation» et celle de 1984 vise tout
différend «qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation »,il n'y a pas de différence de fond. Dans
l'affaire desActivités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda)

(nouvelle requête: 2002), la Cour s'est référée à la Convention de 1979 en disant« n'aurait pas pu être
réglépar voie de négociation» (compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 40, par. 89).
179
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda) (nouvelle
requête: 2002), mesures conservatoires, ordonnance du JO juillet 2002, C.I.J. Recueil2002,pp.246-247,
pars. 76-79.

57 180
détailléeau chapitre IV ci-dessous . La Belgique estime que le Sénégalne remplit pas les

obligations prévues par la Convention contre la torture, tandis que le Sénégalle nie. Qui

plus est, la Belgique et le Sénégalne sont pas d'accord sur le sens à donner à certaines

dispositions de cette Convention. Selon la Belgique, les actes et omissions du Sénégalsont

contraires à la Convention et entraînent la responsabilité internationale du Sénégal.Ces

actes et omissions comprennent

le fait de ne pas avoir pris, avant 2007, les mesures nécessaires pour mettre en

Œuvrela Convention conformémentà son article 5, paragraphe 2;

le renvoi du dossier H. Habré à l'Union africaine, ams1 que la prétention du

Sénégald'agir désormaissous« mandat» de l'Union;

- son refus de poursuivre ou d'extrader M. Habrédans un délairaisonnable ;

la suggestion que des considérations financières justifieraient, en quelque sorte,

l'inexécutionde la Convention.

3.12. La Cour a examiné l'existence d'un différend dans son ordonnance en

indication de mesures conservatoires du 28 mai 2009 ; elle a jugé que, prima facie, il y

avait un différendà la date de l'acte introductif d'instance 181et que ce différendcontinuait

mêmesi sa portéepouvait avoir changé:

« Considérant que, compte tenu de la façon dont les Parties ont présentéleurs

positions à l'audience, la Cour examinera à présentsi un tel différendcontinue, prima
facie, d'exister; que le Sénégala affirméque les obligations qui sont les siennes ne
découlentpas du mandat reçu de l'Union africaine en 2006 et qu'un Etat partie à la

convention contre la torture ne peut pas s'acquitter des obligations énoncéesà son
article 7 par le simple fait de saisir une organisation internationale ; que les Parties
semblent néanmoins continuer de s'opposer sur d'autres questions d'interprétation ou

d'application de la convention contre la torture, telles que celle du délaidans lequel les
obligations prévues à l'article 7 doivent êtreremplies ou celle des circonstances
(difficultés financières, juridiques ou autres) qui seraient pertinentes pour apprécier

s'il y a eu ou non manquement auxdites obligations ; que les vues des Parties, par
ailleurs, continuent apparemment de diverger sur la façon dont le Sénégaldevrait
s'acquitter de ses obligations conventionnelles; et qu'en conséquence il appert que,

180Voir pars. 4.02-4.59 ci-dessous.
181
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du28 mai 2009, par. 47.

58 prima facie, un différend de la nature de celui visé à l'article 30 de la convention
contre la torture demeure entre les Parties, mêmesi sa portéea pu évoluerdepuis le
/ A d 1 A 182
d epot e a requete » .

3.13. Selon la définitionclassique de la Cour permanente de Justice internationale,

« [u]n différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
183
une opposition de thèsesjuridiques ou d'intérêts entre deux personnes » •

Ainsi que la présente Cour l'a dit, « [i]l faut démontrerque la réclamation de l'une

des parties se heurte à l'opposition manifeste de l'autre » 184.

3.14. Un différend de ce type existe entre la Belgique et le Sénégalà propos de

185
l'interprétationet de l'application de la Convention contre la torture .Il s'agit de savoir si

l'absence de poursuite contre M. Habrépour actes de torture et le refus de l'extrader vers

la Belgique sont conformes ou non à l'article 7 et à d'autres dispositions de la Convention

contre la torture. Le Sénégalest clairement tenu par une obligation de poursuivre ou

d'extrader M. Habrépour les crimes de torture qui lui sont imputés,obligation qu'il n'a, à

ce jour, pas remplie. Cette obligation n'a notamment pas étéremplie en transmettant le

dossier « Hissène Habré» à l'Union africaine. En revanche, le Sénégalinterprète tout

autrement ses obligations et leur exécutionau regard de la Convention.

3.15. Ceci résulte très clairement du très long échange de notes verbales entre la

Belgique et le Sénégalet des contacts diplomatiques entre les deux pays 186,ainsi que des

actions et omissions du Sénégal.

3.16. Dans ces notes, la Belgique a constamment rappelé son interprétation des

dispositions pertinentes de la Convention contre la torture et a clairement affirméqu'« il

existait un différendau sens de l'article 30 de la Convention». De son côté,le Sénégala

tergiversé: soit il invoquait le renvoi de l'affaire à l'Union africaine, soit il invoquait

182Ibid., par. 48. Pour un point de vue différent,v. l'opinion individuelle commune des juges Al-Khasawneh

et Skotnikov, pars. 8-15 et l'opinion individuelle du juge hoc Sur, pars. 13-15.
183 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêtn° 2, !924, C.P.J.I. sérieA n° 2, p. 11.

184Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda) (nouvelle
requête:2002), compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 40, par. 90.

185Acte introductif d'instance, 19 février2009, par. 8.

186Voir pars. 1.33-1.60 ci-dessus et annexes B.l.à B.26.

59l'esprit de la Convention, soit il ne répondait pas. L'explication de la position du Sénégalà

l'époquefigure dans sa note du 23 décembre 2005 187 :

«La décision soumettant 'l'affaire Hissène Habré' à l'Union Africaine devra dès lors

êtreconsidéréecomme traduisant la position du Gouvernement sénégalais suite à
l'arrêtde la Chambre d'accusation. »

3.17. Il y avait donc un différend entre la Belgique et le Sénégal concernant

l'interprétation ou l'application de la Convention. Le différend s'est poursuivi au moment

du dépôtde l'acte introductif d'instance et au moment de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur

la demande en indication de mesures conservatoires. Le manquement persistant du Sénégal

à son obligation à prendre les mesures nécessaires pour poursuivre ou extrader M. Habré

depuis la date de 1'ordonnance en indication de mesures conservatoires confirme

1'existence continue du différend.

B. LE DIFFEREND N'A PAS PU ETRE REGLE PAR LA NEGOCIATION

3.18. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a conclu

que « la condition selon laquelle le différend qui lui est soumis doit êtrede ceux qui 'ne

peu[vent] pas êtreréglé[s]par voie de négociation' doit êtreregardée comme remplie

primafacie » 188.Pour aboutir à cette conclusion, la Cour a noté

« que la Belgique a tenté de négocier ; que [... ] la correspondance diplomatique,

notamment la note verbale en date du 11 janvier 2006 par laquelle la Belgique
entendait apporter certaines précisions 'dans le cadre de la procédure de négociation
visée à l'article 30 de la convention contre la torture ... ', montre que la Belgique a

tentéde résoudre le différend concerné par voie de négociation et que les négociations
ainsi proposées ne sauraient êtreréputéesavoir résoluce différend »189.

3.19. Des négociations relatives à ce différend ont, en effet, commencé avec la note

verbale du 30 novembre 2005, où la Belgique demandait «des éclaircissements sur la

position du gouvernement sénégalaissuite à [la décision de la chambre d'accusation de la

Cour d'appel de Dakar]». Cette demande a étésuivie d'un long échange de notes et de

187Annexe B.6.
188
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du28 mai 2009, par.50.
189
Ibid.

60contacts diplomatiques à Dakar et à Bruxelles. Nonobstant ces échanges, il étaitclair, en

2006, que le différendn'allait pas êtreréglépar voie de négociation.

3.20. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 15 octobre

2008 dans l'affaire relative à l'Application de la convention internationale sur

l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédérationde

Russie), la Cour a examiné l'article 22 de la Convention sur l'élimination de toutes les

formes de discrimination raciale (CIEDR). Cette clause compromissoire prévoit la

soumission à la Cour de tout différend concernant l'interprétation ou l'application de la

Convention qui «n'aura pas étéréglépar voie de négociation». Pour la Cour, cette

disposition

« prise dans son sens naturel, ne donne pas à penser que la tenue de négociations

formelles au titre de la Convention ou le recours aux procéduresviséesà l'article 22
constituent des conditions préalablesauxquelles il doit êtresatisfait avant toute saisine
190
de la Cour» .

Toutefois, précisela Cour, l'article 22

« donne [... ] à penser que la Partie demanderesse doit avoir tentéd'engager, avec la
Partie défenderesse, des discussions sur des questions pouvant relever de la
191
CIEDR » .

La Cour a constaté

«qu'il ressort du dossier de l'affaire que de telles questions ont étésoulevées à

l'occasion de contacts bilatérauxentre les Parties, et qu'elles n'ont manifestement pas
été résoluespar voie de négociationavant le dépôtde la requête» 192.

Dèslors, elle a estimé,«prima facie, avoir compétenceen vertu de l'article 22 de la
193
CIEDR pour connaître de l'affaire » .

190Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination

raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du I5 octobre 2008,
par. 114.
191
Ibid.
192Ibid., par.115.

193Ibid., par.117.

61 3.21. Dans cette affaire, la Géorgie n'avait pas fait explicitement référence à la

Convention sur 1'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dans ses

contacts bilatéraux avec la Fédérationde Russie, alors que, dans la présente espèce, la

Belgique s'est expressément référée à la Convention contre la torture tout au long de ses

contacts avec le Sénégal.La Belgique a, en effet, ététrès précise en invoquant, à plusieurs

reprises, la Convention et certaines de ses dispositions. Ainsi, dans sa note verbale du 11

janvier 2006, la Belgique s'est expressément référéeà «la procédure de négociation en

194
cours sur la base de l'article 30 de la Convention contre la torture » . Dans sa note
195
verbale du 9 mars 2006 ,la Belgique a évoquéà nouveau le processus de négociation, et

a observé qu'elle interprétait l'article 4, l'article 5, paragraphes 1 c et 2, l'article 7,

paragraphe 1, l'article 8, paragraphes 1, 2 et 4 et l'article 9, paragraphe 1 de la Convention

«comme prévoyant l'obligation pour l'Etat sur le territoire duquel est trouvé l'auteur
présumé d'une infraction visée à l'article 4 de la convention précitée,de l'extrader à
défautde l'avoir jugésur la base des incriminations viséesaudit article. »

Cette liste détailléede dispositions de la Convention a étérépétéedans la note

196
verbale belge du 20 juin 2006 ; la Belgique y constate que

«la tentative de négociation entamée avec le Sénégalen novembre 2005 n'a pas

abouti et, conformément à l'article 30 de la Convention Torture [la Belgique] demande
en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à l'arbitrage».

3.22. Ces faits ne sont pas contestéspar le Sénégal.A aucun moment, le Sénégaln'a

initiéou cherché à prolonger les négociations. La conclusion est donc claire : ce différend

ne pouvait pas êtreréglépar la négociation.

C. LA DEMANDE D'ARBITRAGE

3.23. La Belgique annonçait la possibilité de recounr à l'arbitrage dans sa note
197
verbale du 4 mai 2006 . Elle écrivait:

194
Annexe B.7.
195Annexe B.S.

196Annexe B.ll.
197
Annexe B.9.

62 «une controverse non résolue au sujet de cette interprétation [de l'article 7 de la

Convention contre la torture] entraînerait un recours à la procédure d'arbitrage prévue
à l'article 30 de la Convention sur la torture».

Le Sénégallui-même,dans sa note verbale du 9 mai 2006, a« pr[is] acte» de

«l'éventualité d'un recours à la procédure d'arbitrage prévue à l'article 30 de la
Convention contre la torture »198.

Dans sa note verbale du 20 juin 2006, la Belgique demandait formellement le recours

199
à la procédure d'arbitrage viséeà l'article 30 de la Convention :

«La Belgique se doit de constater que la tentative de négociation entamée avec le
Sénégalen novembre 2005 n'a pas abouti et, conformément à l'article 30, § 1erde la

Convention Torture demande en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à
l'arbitrage suivant les modalités à convenir de commun accord. »

3.24. Durant les audiences publiques sur la demande en indication de mesures

conservatoires, le Sénégala dit qu'il ne pouvait pas retrouver la note verbale belge

200
du 20 juin 2006 dans ses archives .La Belgique a expliquéque cette note avait étéremise

au secrétaire généraldu ministère des Affaires étrangères le 21 juin 2006 et elle s'est
201
référée à cet égard à un rapport interne du mêmejour .Le Sénégala répondu que cette
202
note verbale n'avait pas éténotifiéecorrectement ou officiellement .De toute façon, ainsi

que la Cour l'a dit dans son ordonnance du 28 mai 2009,

« mêmeà supposer que ladite note verbale ne soit jamais parvenue à son destinataire,

la note verbale en date du 8 mai 2007 s'y réfèreexplicitement ; et [... ] il est confirmé
que cette seconde note a étécommuniquée au Sénégalet reçue par celui-ci plus de six
203
mois avant la date de la saisine de la Cour » .

198Annexe B.lü.
199
Annexe B.11.
20
°CR 2009/9, 6 avril2009, p. 14, par. 34 (Thiam).
201
CR 2009/10,7 avril2009, p. 21, par.16 (Wood). Pour le rapport interne, v. annexe C.10.
202CR 2009/11,8 avril2009, pp. 15-16, pars. 23-25 (Diouf).

203Questions concernant l'obligation d'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 52.

63 D. LES PARTIES N'ONT PAS PU S'ENTENDRE SUR L'ORGANISATION D'UN ARBITRAGE

DANS LES SIX MOIS

3.25. La demande d'arbitrage baséesur l'article 30 de la Convention contre la torture

a étéformulée le 21 juin 2006. Onze mois plus tard, par note verbale du 8 mai 2007 204,la

Belgique a rappelé au Sénégalcette demande d'arbitrage, et, de nouveau, a énuméréles

dispositions pertinentes de la Convention contre la torture.

3.26. Le Sénégal n'a répondu à aucune de ces deux demandes (demande initiale

d'arbitrage du 21 juin 2006 et le rappel de celle-ci, le 8 mai 2007). Comme l'a dit la Cour,

205
lors des affaires de Lockerbie, la demande «est restée sans réponse » .Une proposition

d'arbitrage laissée sans réponse étaitprécisémentla situation considéréepar la Cour dans

les affaires de Lockerbie. Dans ces cas, les États-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni

avaient clairement fait savoir au Conseil de sécurité qu'ils n'accepteraient pas
206
d'arbitrage (un fait particulièrement pertinent pour la décision de la Cour concernant la

condition du délaide six mois, qui n'est pas en cause ici).

3.27. La Cour a, de nouveau, considéréla question dans l'arrêtrelatif à l'affaire

Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.

Rwanda) dans laquelle le défendeur n'avait pas donné de réponse à une proposition

d'arbitrage. Après avoir constaté que «l'absence d'accord entre les parties sur

l'organisation d'un arbitrage ne peut en effet pas se présumer», la Cour, citant les affaires

de Lockerbie, avait ajouté

«L'existence d'un tel désaccord [sur l'organisation de l'arbitrage] ne peut résulterque

d'une proposition d'arbitrage faite par le demandeur et restée sans réponse de la part
du défendeur ou suivie de l'expression par celui-ci de son intention de ne pas
l'accepter »207.

204
Annexe B.14.
205Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident

aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyennec. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil1998, p. 17, par. 20; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de
1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenneEtats-Unis d'Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt,I.J. Recueil1998, p. 122, par. 20.
206
Ibid., p. 17, par. 21 et p. 122, par. 21.
207
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda) (nouvelle
requête: 2002), compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 41, par. 92.

64 3.28. Dans la présenteespèce, la Belgique a demandéque le différend soit soumis à
208
l'arbitrage . La demande est restéesans réponse.Les parties n'ont donc pas pu s'entendre

sur l'organisation de l'arbitrage dans le délai de six mois prévu par l'article 30 de la

Convention contre la torture.

*

3.29. Toutes les conditions de l'article 30 ont étéremplies. La Cour a donc

compétence en vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture pour le différend

entre la Belgique et le Sénégalqui concerne l'interprétation ou l'application de cette

Convention.

II. La compétenceen vertu des déclarationsd'acceptation

de la juridiction obligatoire

3.30. La Belgique et le Sénégalont fait des déclarations d'acceptation de la

juridiction obligatoire de la Cour et celles-ci sont toujours en vigueur.

209
3.31. La déclaration actuelle de la Belgique date du 3 avril 1958 . Elle a été

déposéeauprès du Secrétairegénéraldes Nations Unies et a pris effet le 17juin 1958. La

Belgique déclare accepter la juridiction de la Cour pour «tous les différends d'ordre

juridique nésaprès le 13 juillet 1948 au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette

date ». Cette déclaration exclut les différendsjuridiques « où les parties auraient convenu

ou conviendraient d'avoir recours à un autre mode de règlement pacifique».

210
3.32. La déclarationdu Sénégaldate du 2 octobre 1985 . Elle a étédéposéeet a pris

effet le 2 décembre 1985. Elle s'étend à «tous les différends d'ordre juridique nés

postérieurement [ 211l à la présentedéclaration». Elle prévoitaussi que :

208 Voir pars. 3.23-3.24.

209RTNU, vol. 302, p. 251 (4364) (annexe A.2.)

210RTNU, vol. 1412, p. 155 (23644) (annexe A.2.)
211
La traduction anglaise de la déclaration sénégalaisepubliée par le Secrétariat des Nations Unies a rendu
«néspostérieurement » littéralement par«horn subsequent ». Dans le cas de la déclaration belge,«nés
après» a ététraduit d'une façon plus idiomatique par« arising afte».

65 « le Sénégalpeut renoncer à la compétencede la Cour au sujet :

des différends pour lesquels les parties seraient convenues d'avoir recours à un
autre mode de règlement ;

des différendsrelatifs à des questions qui, d'après le droit international, relèvent

de la compétenceexclusive du Sénégal. »

3.33. En vertu du principe de la réciprocité appliqué à ces déclarations, la

compétence de la Cour s'étend à tous les différends juridiques nés après

le 2 décembre1985, pourvu qu'ils concernent des situations ou des faits postérieurs au 13

juillet 1948, avec deux exceptions :

(i) les différends pour lesquels les parties ont accepté de recourir à un autre mode de

reg ement 212.

(ii) les différends qm, en vertu du droit international, relèvent de la «compétence

exclusive »d'une des parties.

A. L'EXISTENCE D'UN DIFFEREND JURIDIQUE

3.34. Dans son acte introductif d'instance, la Belgique a écrit:

« Il existe donc bien un différend entre le Sénégalet la Belgique, différend portant
sur l'application et l'interprétation des obligations conventionnelles et coutumières
internationales applicables à la répression de la torture et des crimes contre
213
l'humanité. »

3.35. Le différend porte sur l'absence de poursuites contre M. Habré pour crimes

contre l'humanité, crimes de génocide, crimes de guerre, et sur la responsabilité

internationale du Sénégal résultant de violations des règles conventionnelles et

coutumières. La Belgique estime que le Sénégaln'a pas rempli son obligation de

poursuivre ou d'extrader M. Habrépour les crimes qui lui sont imputés.Le Sénégal,de son

côté, par ses actions et son inaction, y compris son absence de réponse aux demandes

212La légèredifférence de formulation entre les deux déclarations n'entraîne aucune différence sur leur
substance.

213Requêteintroductive d'instance, 19 février2009, par. 9 (C.7.)e

66répétéesde la Belgique, a clairement montré qu'il n'interprétait pas les règles

conventionnelles et coutumières de la mêmemanière que la Belgique.

3.36. La correspondance diplomatique 214est également pertinente pour les crimes qui

ne sont pas couverts par la Convention contre la torture et dont M. Habré est accusé. La

demande d'extradition, transmise le 22 septembre 2005, couvrait ces crimes ainsi que ceux

visés par la Convention contre la torture. Le défaut du Sénégalde donner suite à cette

demande, ou d'intenter lui-même des poursuites, viole l'obligation conventionnelle et

coutumière du Sénégalde poursuivre ou d'extrader M. Habré et de veiller à ce qu'il ne

bénéficiepas de l'impunité. Un différendjuridique oppose donc la Belgique et le Sénégal

sur ces points.

B. L'INAPPLICABILITE DE LA LIMITE RATIO NE TEMPO RIS

215
3.37. Comme on l'a dit , une double limite ratione temporis résulte de l'effet

combiné des deux déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. En

vertu de ces déclarations, la compétence de la Cour s'étendà tous les différendsjuridiques

nés après le 2 décembre 1985, pourvu qu'ils concernent des situations ou des faits

postérieurs au 13 juillet 1948. Les deux dates critiques sont donc le 2 décembre 1985 et le

13 juillet 1948.

3.38. Le différend entre la Belgique et le Sénégalconcerne l'obligation du Sénégal,

selon le droit international conventionnel ou coutumier, de poursuivre ou d'extrader M.

Habré pour certains crimes, et le défaut du Sénégal, depuis 2005, de remplir cette

obligation. Le différend n'est pas nélorsque les crimes alléguésont étécommis au Tchad,

entre 1982 et 1990, crimes pour lesquels le Sénégalne porte, évidemment, aucune

responsabilité ; il a surgi lorsque la Belgique et le Sénégal se sont opposés sur

l'interprétation et sur l'application de l'obligation conventionnelle et coutumière du

Sénégalde veiller à ce que M. Habré ne jouisse pas de l'impunité. Il n'est pas nécessaire

d'établir la date précise de la naissance du différend; c'était de toute façon longtemps

après le 2 décembre 1985 dès lors que M. Habré n'a pas cherché refuge au Sénégalavant

1990.

214
Voir pars. 1.33-1.60 ci-dessus.
215Voir par. 3.33 ci-dessus.

67 3.39. De même,il est clair que le différend concerne des faits ou des situations

postérieures au 13juillet 1948.

3.40. Le présentdifférend ne se situe donc pas en dehors des limites ratione temporis

des déclarations facultatives de la juridiction obligatoire de la Cour faites par la Belgique et
le Sénégal.

C. L'ABSENCE D'AUTRES MOYENS DEREGLEMENT

3.41. L'exclusion de la compétence de la Cour des différends pour lesquels les

parties auraient convenu d'un autre mode de règlement ne joue aucun rôle ici. La Belgique

et le Sénégalne se sont mis d'accord sur aucun autre moyen de réglerle présentdifférend.

D. LE CONFLIT N'ENTRE PAS DANS LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU SENEGAL

3.42. Enfin, le Sénégala exclu de la juridiction de la Cour les «différends relatifs à

des questions qui, d'après le droit international, relèvent de la compétence exclusive du

Sénégal». C'est une réserve «objective» de compétence interne qui ne soulève pas les

questions difficiles qui s'étaientposées à la Cour lorsqu'elle avait étéconfrontée au même

type de réserveprésentéesous une forme «subjective».

3.43. Le présent différend ne tombe évidemment pas sous ce type d'exception: il

porte sur des violations de règles de droit international conventionnel ou coutumier et

n'entre donc pas dans la compétence exclusive d'une des parties.

*

3.44. Toutes les conditions visées par les déclarations facultatives de juridiction

obligatoire sont réunies. La Cour a compétence, en vertu de l'article 36, paragraphe 2, de
son Statut, pour l'ensemble du différend entre la Belgique et le Sénégal,tant au regard de

la Convention contre la torture qu'au regard d'autres règles du droit international

conventionnel et coutumier.

68 CHAPITRE IV

LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL

IMPUTABLESAUSENEGAL

4.01. En ne poursuivant pas M. Habréet en ne l'extradant pas vers la Belgique en

dépitde la demande d'extradition dûment formuléepar les autoritésbelges, le Sénégala

violé et viole toujours les obligations qui sont les siennes découlant de la Convention

contre la torture (1) ainsi que d'autres règles du droit international conventionnel et

coutumier (Il).

1. Les violations de la Convention contre la torture

A. LES OBLIGATIONS DECOULANT DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE

1. La Convention contre la torture

4.02. La Convention contre la torture a été adoptée par la résolution39/46

du 10 décembre1984 à la trente-neuvième session de l'Assemblée généraledes Nations

Unies 216. Elle a étéouverte à signature de tous les États conformément à son article 25.

217 18
Fin juin 2010, elle compte 146 États parties ,dont la Belgique et le Sénégae .

4.03. L'objet et le but de la Convention contre la torture sont clairement établisdans

son préambule: elle a étéadoptéeafin «d'accroître l'efficacitéde la lutte contre la torture

et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde
219
entier » . Dans sa résolution39/46 précitée,l'Assemblée généralea également exprimé

son désir«d'assurer une application plus efficace de l'interdiction, telle qu'elle résultedu

216
Assemblée générale,résolution 39/46, lü décembre 1984.
217Voir Traitésmultilatéraux déposésauprès du Secrétaire général,online http://treaties.un.org/, ch. IV, 9.

218Voir par. 3.06 ci-dessus.
219
Sixième considérant du préambule de la Convention. Voir aussi M. Nowak etE. McArthur, The United
Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford University Press, 2008, p. 8.

69droit international et des droits nationaux, de la pratique de la torture et des autres peines

0 1 ° h 0 d/ d 220
ou traitements crue s, m umams ou egra ants » .

4.04. A cette fin, la Convention ne se limite nullement à interdire la torture, mais

impose aux États parties d'autres obligations essentielles.

4.05. Les États parties ont souscrit à des obligations visant à prévenir les actes de

torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à renforcer leur

interdiction. En vertu de l'article 2, paragraphe 1, ils se sont notamment engagés à prendre

les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour

empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous [leur]

juridiction »221. Comme le Comité contre la torture l'a réaffirmédans son observation

générale no 2 sur l'application de l'article 2 de la Convention par les États parties :

« Les États parties sont tenus de supprimer tous les obstacles, juridiques ou autres, qui

empêchent l'élimination de la torture et des mauvais traitements et prendre des
mesures positives effectives pour prévenir efficacement de telles pratiques et
222
empêcherqu'elles ne se reproduisent ».

Plus spécifiquement, ils doivent intégrerl'interdiction de la torture dans la formation

de certaines catégories du personnel exerçant des prérogatives de puissance publique

(article 10), surveiller systématiquement les règles et pratiques d'interrogatoire ou de

détention sur leur territoire (article 11) et s'assurer que les autoritéscompétentes procèdent

immédiatement à des enquêtesex officia sur tout soupçon de torture (article 12). Toujours

aux fins de la prévention de toute forme de torture, les États parties se sont engagés à ne

pas expulser ou refouler une personne conformément à l'article 3 de la Convention.

4.06. Par ailleurs, la Convention reconnaît aux victimes le droit à un recours effectif

(article 13) et à une réparation adéquate (article 14). En vertu de son article 22, tout

particulier qui prétendêtrevictime d'une violation d'une disposition de la Convention a la

220 Op. cit. (cf. note 216).
221
L'article 16, paragraphe 1, oblige les États parties de prendre des mesures analogues pour« d'autres actes
constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (...) lorsque de tels actes sont
commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacit».

222Comité contre la torture, Observation généralen° 2 (Application de l'article 2 par les États parties),
CAT/C/GC/2, par. 4, in Documents officiels de l'Assemblée générale, soixante-troisième session,

supplément n° 44 (A/63/44), annexe VI, p. 168.

70possibilité de déposer une communication devant le Comitécontre la torture à condition

que l'État sous la juridiction duquel la victime se trouve ait reconnu la compétence du

Comitépour des communications individuelles. La Belgique et le Sénégalont reconnu la

compétencedu Comitécontre la torture à cette fin.

4.07. Enfin, la troisième catégoried'obligations contenues dans la Convention contre

la torture vise à obliger les États parties à mettre en place, dans leurs systèmes juridiques

internes, les normes et procédurespénalesnécessaires afin de punir tout acte de torture. Il
223
s'agit, en effet, d'une «special raison d'êtrefor the entire Convention » dont l'objectif
224
avoué consiste justement à «accroître l'efficacité de la lutte contre la torture » . La

Convention ne se limite ainsi pas à exiger des États parties de « veille[r] à ce que tous les

actes de torture [ainsi que la tentative de pratiquer la torture et la complicité ou la

participation à la torture] constituent des infractions au regard de son droit pénal»

(article 4), mais leur impose d'établir leur compétence aux fins de connaître de ces

infractions d'une façon particulièrement complète. Les États parties ne doivent pas

seulement établirleur compétencepénale; ils sont égalementobligésde l'exercer dans les

cas où l'auteur présuméd'actes de torture se trouve sur tout territoire sous leur juridiction

(articles 5, paragraphe 2), ou, s'ils le jugent plus approprié, ils doivent l'extrader

conformément aux dispositions de l'article 8. Il s'agit non d'une simple faculté,reconnue

par le droit international, mais d'une véritable obligation conventionnelle pour tout État

partie d'établir et d'exercer une compétence répressive qui, selon les cas, est territoriale

(article 5, paragraphe 1 a), personnelle active (article 5, paragraphe 1 b) ou universelle

(article 5, paragraphe 2). En outre, la Convention prévoitl'établissement de la compétence

personnelle passive si l'État concerné «le juge approprié» (article 5, paragraphe 1 c).

L'ensemble de ces compétences sont autant d'expressions de l'obligation de combattre

l'impunité.

4.08. Le différendqui oppose la Belgique au Sénégalconcerne plus particulièrement

le non-respect, par les autorités sénégalaises,de leur obligation d'exercer la compétence

universelle expriméepar la règle poursuivre ou extrader (article 5, paragraphe 2) résultant

de l'obligation de combattre l'impunité.

223M. Nowak et E. McArthur, The United Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford
University Press,008, p. 10.

224Convention contre la torture, préambule, paragraphe 6. Voir aussi par. 4.03 ci-dessus.

71 2. L'obligation depoursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare)

établiepar la Convention contre la torture

4.09. L'obligation de poursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare) établiepar

la Convention est énoncéeaux articles 5 à 9 :

Article 5

1. Tout État partie prend les mesures nécessairespour établirsa compétence aux
fins de connaître des infractions visées à l'article 4 dans les cas suivants:

a) Quand l'infraction a étécommise sur tout territoire sous la juridiction dudit État
ou à bord d'aéronefsou de navires immatriculésdans cet État;

b) Quand l'auteur présuméde l'infraction est un ressortissant dudit État;

c) Quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié.

2. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa
compétenceaux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé
de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l'extrade
pas conformément à l'article 8 vers l'un des États visés au paragraphe 1 du présent
article.

3. La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée
conformémentaux lois nationales.

Article 6

1. S'il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les
renseignements dont il dispose, tout État partie sur le territoire duquel se trouve une

personne soupçonnée d'avoir commis une infraction visée à l'article 4 assure la
détentionde cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessairespour
assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent êtreconformes à la
législationdudit État; elles ne peuvent êtremaintenues que pendant le délainécessaire

à l'engagement de poursuites pénalesou d'une procédured'extradition.
2. Ledit État procède immédiatement à une enquêtepréliminaire en vue d'établir

les faits.
3. Toute personne détenue en application du paragraphe 1 du présentarticle peut

communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifiéde l'État dont
elle a la nationalité ou, s'il s'agit d'une personne apatride, avec le représentant de
l'État où elle résidehabituellement.

4. Lorsqu'un État a mis une personne en détention, conformément aux
dispositions du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des
circonstances qui la justifient les États visésau paragraphe 1 de l'article 5. L'État qui

procède à 1'enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du présent article en
communique rapidement les conclusions auxdits États et leur indique s'il entend
exercer sa compétence.

72 Article 7

1. L'État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présuméd'une
infraction visée à l'article 4 est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet

l'affaire, dans les cas visésà l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de
l'action pénale.

2. Ces autorités prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute
infraction de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet État. Dans les
cas visés au paragraphe 2 de l'article 5, les règles de preuve qui s'appliquent aux
poursuites et à la condamnation ne sont en aucune façon moins rigoureuses que celles

qui s'appliquent dans les cas visésau paragraphe 1 de l'article 5.
3. Toute personne poursuivie pour l'une quelconque des infractions visées à

l'article 4 bénéficiede la garantie d'un traitement équitable à tous les stades de la
procédure.

Article 8

1. Les infractions visées à l'article 4 sont de plein droit comprises dans tout traité
d'extradition conclu entre États parties. Les États parties s'engagent à comprendre
lesdites infractions dans tout traitéd'extradition à conclure entre eux.

2. Si un État partie qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traitéest saisi
d'une demande d'extradition par un autre État partie avec lequel il n'est pas liépar un
traité d'extradition, il peut considérer la présente Convention comme constituant la

base juridique de l'extradition en ce qui concerne lesdites infractions. L'extradition est
subordonnée aux autres conditions prévuespar le droit de l'État requis.

3. Les États parties qui ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un traité
reconnaissent lesdites infractions comme cas d'extradition entre eux dans les
conditions prévuespar le droit de l'État requis.

4. Entre États parties lesdites infractions sont considéréesaux fins d'extradition
comme ayant étécommises tant au lieu de leur perpétration que sur le territoire sous la
juridiction des États tenus d'établir leur compétence en vertu du paragraphe 1 de

l'article5.

Article 9

1. Les États parties s'accordent 1'entraide judiciaire la plus large possible dans

toute procédure pénale relative aux infractions viséesà l'article 4, y compris en ce qui
concerne la communication de tous les élémentsde preuve dont ils disposent et qui
sont nécessaires aux fins de la procédure.

2. Les États parties s'acquittent de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 du
présentarticle en conformité avec tout traitéd'entraide judiciaire qui peut exister entre
eux.

73 4.10. L'obligation de poursuivre ou d'extrader comprend deux parties essentielles,

etrmtement 1eeset mter epen antes d 225 :

l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour établir une compétence

universelle des juridictions nationales dans le cas où l'auteur présuméd'actes de

torture se trouve sur le territoire de l'État du for (article 5, paragraphe 2) ;

en l'absence d'une demande d'extradition ou dans les cas où l'État du for choisit

de ne pas extrader l'auteur présumé d'actes de torture se trouvant sur son

territoire, l'État partie a l'obligation de soumettre l'affaire à ses autorités

compétentes pour l'exercice de l'action pénale(article 7, paragraphe 1).

4.11. Les obligations contenues dans les articles 6, 8 et 9 sont étroitement liées à

l'exercice de la compétence universelle et à l'obligation de poursuivre ou d'extrader 226.

Elles visent à assurer l'efficacité de l'action pénale, notamment en garantissant la présence

de l'auteur présuméd'actes de torture sous la juridiction de l'État du for et l'exécution

d'enquêtespréliminaires afin d'établir les faits, en permettant l'entraide judiciaire entre

plusieurs États et en facilitant les procédures d'extradition.

a) L'obligation d'établirune compétenceuniverselle

4.12. Outre l'obligation imposéepar la Convention contre la torture à tout État partie

de prendre les mesures nécessaires afin d'établir sa compétence territoriale et personnelle

pour tout acte de torture (article 5, paragraphe 1,a) et b)), les États parties sont également

obligés de mettre en place une compétence universelle conformément à l'article 5,

paragraphe 2, de ladite Convention. Cette disposition prévoit :

« Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence
aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci

225 Dans son étuderécente intitulée« Survey of multilateral conventions which may be of relevance for the
Commisssion's work on the tapie 'The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)' »,le
secrétariat de la Commission du droit international a remarqué :« Firstly, clauses usually qualified as
containing an obligation to extradite prosecute share two fundamental characteristics, namely: (l) their

objective to ensure the punishmentof certain offences at the internationallevand (2) their use, for that
purpose, of a mechanism combining the possibility of prosecution by the custodial State and the
possibilityof extradition to another State. » (A/CN.4/630, par. 150 (disponible sur le site Internet de la
Commission du droit international: http://www.un.org/law/ilcl)).
226
Voir aussi par. 4.23 ci-dessous.

74 se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne 1'extrade pas

conformément à l'article 8 vers l'un des États visés au paragraphe 1 du présent
article.»

4.13. Cette disposition est étroitementliéeà l'obligation de poursuivre ou d'extrader

prévue par l'article 7, et à l'étendue de la compétence pénale que les États doivent

instituer. Elle a pour objectif de veiller à ce que « no safe havens for perpetrators of torture
227
shall continue to exist in our contemporary global world » .A cette fin, les États parties

doivent se doter des moyens juridiques pour s'acquitter effectivement de leur obligation de

poursuivre ou d'extrader et, dans ce cas, traduire l'auteur présumédu crime de torture

devant les autorités nationales compétentes en matière pénale. Leur compétence peut se

fonder sur le droit pénalinterne ou, directement, sur le droit international.

4.14. J.H. Burgers etH. Danelius ont écrità cet égard:

« To be in a position to bring criminal proceedings against the offender, the State
concerned must have jurisdiction over the offence, and this is what article 5 seeks to
228
ensure »

4.15. Cette interprétation de l'article 5 est corroborée par les travaux de la

Commission du droit international concernant l'établissement d'un code des crimes contre

la paix et la sécuritéde l'humanité.Lors de sa 2408e séance,l'introduction, par le Comité

de rédaction,de l'article 5 bis dans le projet de la Commission concernant l'établissement

de la compétenceafin de connaître des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité 229

a été expliquéeainsi :

«Pour que l'option 'poursuivre ou extrader', reconnue à l'article 6 [du projet de la
Commission], soit effective, il convient que les deux solutions puissent êtremises en
Œuvre. La première solution (la poursuite) exige que l'État où le criminel présuméa

étédécouvert ait compétence pour connaître du crime. Cette condition fait l'objet du

227
M. Nowak et E. McArthur, The United Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford
University Press, 2008, p. 10.
228
J.H. Burgers et H. Danelius, The United Nations Convention against Torture, A Handhook on the
Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Martinus
Nijhoff Publishers, DordrechtBoston 1London, 1988, p. 131.
229
Ce projet d'article 5 his prévoyait:
« Chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence afin de connaître des

crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité
(Annuaire de la Commission du droit international (Ann. C.D.I.), 1995, vol. l, 2408e séance,30 juin 1995,

p. 209, par. 1).

75 nouvel article 5 bis. Le texte proposé par le Comité de rédaction (... ) calqué sur la
disposition correspondante qui figure dans toutes les conventions de droit pénal
évoquéesprécédemmentpar le Président du Comité se passe d'explication. Dans la

mesure où l'article 6 pose, à présent, une obligation de soumettre 'l'affaire à ses
autorités compétentes' - et non une obligation de juger, comme le prévoyait le texte
adopté en première lecture -, l'article 5 bis revêtune importance particulière, si l'on

songe que le but du principe 'extrader ou poursuivre' serait totalement manqué dans le
cas où les tribunaux d'un État sur le territoire duquel un individu présuméavoir
commis un crime relevant du code aurait ététrouvé, une fois saisis de l'affaire par les
. / / d/ 1 . . / 230
autontes competentes, se ec arerment mcompetents » .

4.16. Par rapport au système de compétence universelle et de l'obligation de

poursuivre ou d'extrader établi par la Convention de la Haye pour la répression de la

capture illicite d'aéronefs, dont les rédacteurs de la Convention de 1984 se sont largement

inspirés -, le juge G. Guillaume, a expliqué dans son opinion individuelle jointe à l'arrêt

dans l'affaire relative au Mandat d'arrêtdu 11 avril 2000 (Républiquedémocratique du

Congo c. Belgique) :

« [La Convention de la Haye de 1970] fait obligation à 1'État sur le territoire duquel

l'auteur de l'infraction se réfugie de l'extrader ou d'engager des poursuites à son
encontre. Mais un tel dispositif eût étéinsuffisant si en mêmetemps la convention
n'avait créépour les États parties une obligation d'établir à cette fin leur compétence

juridictionnelle. Aussi l'article 4, paragraphe 2, de la convention dispose-t-il que:

'Tout État contractant ... prend les mesures nécessaires pour établir sa
compétence aux fins de connaître de 1'infraction dans le cas où 1'auteur présumé
de celle-ci se trouve sur son territoire et où ledit État ne 1'extrade pas

conformément à [la convention].'

Cette formulation marquait un tournant dont la conférence de La Haye a d'ailleurs été
consciente. Désormais l'obligation de poursuite n'étaitplus subordonnée à l'existence
d'une compétence, mais la compétence elle-mêmedevait êtreprise pour permettre les
. 231
poursmtes » .

4.17. L'obligation de l'article 5 constitue donc un préalable indispensable à

l'obligation de poursuivre ou d'extrader de l'article 7. Comme la Cour permanente de

Justice internationale l'a constaté au sujet de l'article 18 de la Convention de Lausanne

concernant l'échange des populations grecques et turques :

230Ibid., p. 212, par. 15.

231Mandat d'arrêt du II avril2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, opinion
individuelle du président Guillaume,I.J. Recueil2002, p. 38 et 39, par. 7.

76 « [C]ette clause ne fait que mettre en relief un principe allant de soi, d'après lequel un
État qui a valablement contractédes obligations internationales est tenu d'apporter à sa

législation les modifications nécessaires pour assurer l'exécution des engagements
pns» 232

4.18. Bien que l'article 5, paragraphe 2, laisse aux États le soin d'adopter les mesures

nécessaires pour établir dans leur droit interne le résultat recherché, les États restent

obligés d'assurer la conformité de leur droit interne avec les dispositions de la Convention

dès son entrée en vigueur. Le Comité contre la torture demande régulièrement aux États

d'adopter la législation nécessaire ou de réformer leur système de compétence
233
universelle .

b) L'obligation de poursuivre ou d'extrader

4.19. Conformément à l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture:

«L'État partie sur le ternt01re sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une

infraction visée à l'article 4 est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet
l'affaire, dans les cas visésà l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de
l'action pénale».

4.20. Tandis que l'article 5 relatif à l'établissement de la compétence pour juger les

auteurs présumésd'actes de torture se limite à obliger les États parties à créer le cadre

juridique nécessaire pour exercer leur compétence pénale, l'article 7, paragraphe 1, leur

impose une utilisation efficace de cette compétence en traduisant toute personne présumée

d'avoir commis des actes de torture devant leurs autorités compétentes sauf s'ils décident

de l'extrader.

4.21. L'obligation de juger ou d'extrader de l'article 7 de la Convention est soumise

à la seule et unique condition que l'auteur présuméd'actes de torture se trouve sur le

territoire de l'État partie. Dès la découverte de cette présence, l'État partie est obligé

d'assurer la présence de l'auteur présumésur son territoire (article 6, paragraphe 1), de

procéder immédiatement à une enquête préliminaire afin d'établir les faits (article 6,

232
Echange des populations grecques et turques, avis consultatif, C.P.J.I., SérieB, p. 20.
233
Voir, p. ex., Rapport du Comité contre la torture, Documents officiels de l'Assemblée générale,soixante
et unième session, supplément n° 44 (A/61/44), par. 29 (18).

77paragraphe 2) et d'en informer les États susceptibles d'établir leur compétence sur la base

de l'article 5, paragraphe 1 (article 6, paragraphe 4).

4.22. Après av01r accompli ces mesures préliminaires, l'État du for doit,

conformément à l'article 7, paragraphe 1, soumettre l'affaire à ses autorités compétentes

afin d'exercer l'action pénale. Cette obligation (ainsi que la compétence universelle que les

États doivent mettre en place conformément à l'article 5, paragraphe 2) n'est pas

conditionnée par une demande d'extradition formulée par un autre État, mais s'impose en

raison de la seule présence d'un auteur présuméd'actes de torture sur le territoire de l'État

du for.

4.23. Il ressort des travaux préparatoires que « [p]lusieurs délégationsont indiqué

qu'elles auraient des difficultés, vu leur système juridique, à accepter une clause de
234
juridiction universelle qui ne serait pas assortie de certaines conditions » . A plusieurs

reprises il a étéproposé d'ajouter dans le projet d'article 5 de la Convention les termes

«après avoir reçu une demande d'extradition »235 ou d'instituer un régime plus souple, à

l'instar de la proposition brésilienne 236. Tous les amendements visant à assouplir

l'obligation d'exercer une compétence universelle ont étécependant rejetés et n'ont pas été
237
inclus dans le texte de la Convention .Dans sa décision du 17 mai 2006, le Comitécontre

la torture a souligné sans ambiguïté que

«l'obligation de poursuivre l'auteur présumé d'actes de torture ne dépend pas de
l'existence préalable d'une demande d'extradition à son encontre » 238.

4.24. Dans son étude récente intitulée « Survey of multilateral conventions which

may be of relevance for the Commisssion's work on the topic 'The obligation to extradite
239
or prosecute (aut dedere aut judicare)' » , le secrétariat de la Commission du droit

234
E/CN.4/1475, 1981, p. 60, par. 25.
235
E/CN.4/1408, 1980, p. 64, par. 50; E/CN.4/1475, 1981, p. 60, par. 25; E/CN.4/1982/30/Add.1, p. 6,
par.15.
236
E/CN.4/1983/WG.2/WP.12, in E/CN.4/1983/63, p. 6, par. 23.
237E/CN.4/1984/72, p. 10, par. 35.

238 Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7; voir aussi par. 2.03 ci-dessus et annexe E.2.

239 A/CN.4/630 (disponible sur le site Internet de la Commission du droit international :
http://www.un.org/law/ilc).

78international a, par ailleurs, confirmé cette conclusion. En ce qui concerne plus

particulièrement la relation entre poursuites et extradition, l'étude distingue deux

catégoriesde dispositions conventionnelles :

« (1) those clauses that impose an obligation to prosecute ipso facto when the alleged
offender is present in the territory of the State, which the latter may be liberated from

by granting extradition; and (2) those clauses for which the obligation to prosecute is
only triggered by the refusai to surrender the alleged offender following a request for
240
extradition. »

Selon l'étude, l'article 7 de la Convention contre la torture, comme toutes les

dispositions comparables des conventions élaborées sur la base de l'article 7 de la
241
Convention de la Haye pour la répression de la capture illicite d'aéronefs de 1970 ,fait
242
partie de la première catégorieprécitée .Concernant l'effet juridique de cette disposition,

1'étudenote :

« The first category includes all those clauses that impose an obligation upon States
Parties to prosecute any persan present in their territory who is alleged to have

committed a certain crime. This obligation to prosecute may be said to exist ipso facto
in that it arises as saon as the presence of the alleged offender in the territory of the
State concerned is ascertained, regardless of any request for extradition. lt is only

when the latter is made that an alternative course of action becomes available to the
State, namely the surrender of the alleged offender to another State for prosecution. In
other words, in the absence of a request for extradition, the obligation to prosecute is

absolute, but, once such a request is made, the State concerned has the discretion to
choose between extradition and prosecution. » 243

4.25. Lorsqu'une demande d'extradition a étéadressée à l'État du for, celui-ci peut

alors s'acquitter de ses obligations conventionnelles en extradant l'auteur présuméd'actes

de torture, conformément à l'article 8 de la Convention. Il ne s'agit cependant que d'une

possibilité ouverte par la Convention. L'obligation d'extrader ou de poursuivre telle que

prescrite par l'article 7 de la Convention laisse à l'État du for le soin de porter son choix

sur l'une ou sur l'autre des deux hypothèses tout en assurant la détention ou la surveillance

de la personne en cause (article 6, paragraphe 1). En vertu de la Convention, l'Etat du for

240
Ibid., par. 126.
241Ibid., pars. 90-124.

242Ibid., pars. 130-131.
243
Ibid., par. 127 (notes de bas de pages omises).

79est en droit de refuser l'extradition. Comme il a étéremarqué lors des travaux préparatoires

de la Convention :

« [L]'extradition étaiten effet un acte souverain relevant, chaque fois, d'une décision

de la juridiction compétente de l'État auquel elle avait étédemandée. Certains orateurs
ont fait observer qu'il convenait des points de vue juridique et politique, de laisser à

l'État dans lequel l'auteur de l'infraction était découvert la liberté de refuser
l'extradition, car si celle-ci étaitdemandée par l'État dans lequel les actes de torture
avaient eu lieu, il étaitdouteux que l'État demandeur condamne effectivement l'auteur
244
de 1'infraction » .

4.26. Bien que l'État du for pmsse refuser l'extradition, il ne doit pas moms

poursuivre l'auteur présuméd'actes de torture devant ses propres autorités compétentes.

C'est dans ce sens que les juges Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar ont interprété

l'article 7 de la Convention de Montréal de 1971 identique à l'article 7 de la Convention

contre la torture. Ils ont écrit dans leur déclaration commune jointe aux ordonnances en

indication de mesures conservatoires dans les affaires Lockerbie :

« [L]a convention de Montréal qui, à notre avis, était applicable en l'espèce,
n'interdisait pas à la Libye de refuser aux États-Unis et au Royaume-Uni l'extradition
des accusés. Elle impliquait seulement qu'à défaut d'extradition l'affaire soit soumise
245
par la Libye à ses autoritéscompétentes pour l'exercice de l'action pénale » .

4.27. Les articles 5 et 7 de la Convention établissent donc un système cohérent afin

de mettre en place l'obligation aut dedere aut judicare dont le principal objectif consiste à

«éviter l'impunité pour tout acte de torture » 246.Lorsque l'auteur présuméd'actes de

torture est découvert sur le territoire d'un État partie, ce dernier est dans l'obligation de

l'arrêter,puis de l'extrader ou de le poursuivre. Préalablement, l'État du for doit avoir

établi la compétence de ses tribunaux pour juger l'intéressépour le cas où il ne l'extrade

pas. La Convention de 1984 assure ainsi la répression universelle des infractions de torture

afin que leurs auteurs ne puissent trouver refuge sur le territoire d'aucun État.

244
E/CN.4/1984/72, p. 9, par. 33.
245
Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, Déclaration
commune de MM. Evensen, Tarassov, Guillaume et Agui/ar Mawdsley, C.I.J. Recuei/1992, p. 24 et 25,
par. 3; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d'Amérique), mesures
conservatoires, Déclaration commune de MM. Evensen, Tarassov, Guillaume et Agui/ar Mawdsley, C.I.J.

Recuei/1992, p. 136 et 137, par. 3.
246Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,

décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7 (annexe E.2.).

80 B. LE SENEGAL NE S'EST PAS ACQUITTE DE SES OBLIGATIONS EN VERTU DE

LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE

4.28. Par ses actions et omissions, le Sénégala violé les obligations découlant de

l'article 5, paragraphe 2, de l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la

Convention contre la torture.

1. Le Sénégaln'apas adoptéles mesures nécessairesprescritespar l'article 5,

paragraphe 2, de la Convention contre la torture

4.29. Jusqu'à la fin janvier 2007, le Sénégaln'avait pas introduit dans son droit

interne les dispositions nécessaires permettant aux autorités judiciaires sénégalaises

d'exercer la compétence universelle prévue par la Convention. Cette omission violait

l'article 5, paragraphe 2, de la Convention.

4.30. Dès 1990, le représentant sénégalaisavait cherchéà rassurer le Comitécontre

la torture lors de l'examen du rapport initial du Sénégal:

« [C]omme le Sénégalavait ratifié la Convention contre la torture sans émettre de
réserve, l'introduction des dispositions pertinentes dans la législation interne ne
247
devrait pas poser de difficultés » .

Néanmoins, lors de l'examen du deuxième rapport périodique du Sénégalpar le

Comité,six ans plus tard, en 1996, ce dernier avait demandéau Sénégal

« d'introduire explicitement dans la législationnationale les dispositions suivantes :

a) Définitionde la torture, conformément à l'article premier de la Convention, et
incrimination de la torture comme infraction générale,en application de l'article 4 de

la Convention; cette dernière disposition rendrait entre autres possible pour l'État
partie d'exercer la juridiction universelle prévue par les articles 5 et suivants de la
Convention »248.

4.31. Malgréce rappel de la part du Comité,le Sénégalne s'étaitpas acquittéde son

obligation de prendre les mesures législatives adaptées afin de combler cette lacune du

247
Rapport du Comité contre la torture, Documents officiels de l'Assemblée générale,quarante-cinquième
session, supplément° 44 (A/45/44), par. 393.
248
Ibid., par. 114 a).

81droit sénégalaiset d'instituer la compétence universelle prévue par la Convention. Cette

omission et la non-conformité de la législation sénégalaiseavec la Convention de 1984

sont devenues particulièrement sensibles en 2001 lors de la procédure en appel et en

cassation concernant l'annulation de la procédure instituée contre M. Habré pour

incompétencedes juridictions sénégalaises.

4.32. La chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar a conclu en 2001 :

« Considérant que le législateur sénégalais devrait parallèlement à la réforme
entreprise dans le Code Pénalapporter des modification[s] à l'article 669 du Code de

ProcédurePénaleen y incluant l'incrimination de torture, qu'en le faisant il se mettrait
en harmonie avec les objectifs de la convention et reconnaîtrait par conséquent le
249
principe de la compétence universelle » .

Et la chambre de continuer :

«Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les juridictions sénégalaisesne
peuvent connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire
sénégalais quelles que soient les nationalités des victimes, que le libellé de
250
l'article 669 du Code de Procédure Pénaleexclut cette compétence » .

La Cour d'appel ne faisait donc que constater le manquement des autorités

sénégalaisesde se conformer à l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture.

4.33. La Cour de cassation du Sénégaln'a pu que confirmer l'aveu des autorités

judiciaires de ne pas trouver dans la loi sénégalaisede dispositions leur conférant la

compétence universelle prévueaux articles 5 et 7 de la Convention. Elle a expliqué:

« [A]ucun texte de procédurene reconnaît une compétence universelle aux juridictions
sénégalaisesen vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la
République,les présumésauteurs ou complices de faits qui entrent dans les prévisions

de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation sénégalaise aux
dispositions de l'article 4 de la Convention lorsque ces faits ont étécommis hors du
/ / 1 d / 251
Senega par es etrangers » .

249Cour d'appel (Dakar), chambre d'accusation, Ministère public et François DIOUF c. Hissène HABRÉ,
arrêtn° 135, 4 juillet 2000 (annexe D.3.).
250
Ibid.
251
Cour de cassation, Souleymane GUENGUENG et autres c. Hissène HABRÉ, arrêtn° 14, 20 mars 2001
(annexe D.4.).

82 4.34. Les autorités sénégalaisesont donc reconnu que le droit sénégalaisn'étaitpas

conforme à ce qui est requis par l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la

torture. En 2001, le Sénégaln'avait donc pas adopté« toutes les mesures nécessaires »afin

d'établir dans son droit interne la compétence universelle prévuepar la Convention contre

la torture en violation de l'article 5, paragraphe 2.

4.35. Cinq ans plus tard, en 2006, la situation n'avait pas évoluéet le Comité contre

la torture a également constaté que le Sénégal ne s'était toujours pas conformé à

l'obligation qui lui incombe conformément à l'article 5, paragraphe 2, de la Convention

contre la torture. Le Comitéa rappelé

«qu'en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, 'tout État partie prend
[... ] les mesures nécessaires pour établirsa compétence aux fins de connaître desdites

infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci se trouve sur tout territoire sous
sa juridiction et où ledit État ne l'extrade pas [... ]'.Il note que l'État partie n'a pas
contesté, dans ses observations sur le fond, qu'il n'avait pas adopté ces 'mesures

nécessaires' visées par l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, et constate que la
Cour de Cassation a considéréelle-mêmeque ces mesures n'avaient pas étéprises par
l'Etat partie » 252.

Le Comité en a conclu que «l'État partie n'a pas rempli ses obligations en vertu de

253
l'article 5, paragraphe 2, de la Convention » .

4.36. C'est seulement après l'intervention de l'Union africaine 254 que le Sénégala

modifiéen 2007 sa législation pour se conformer à l'obligation de l'article 5, paragraphe 2,

de la Convention contre la torture et pour permettre l'application dans son système

juridique de la compétence universelle et de l'obligation aut dedere aut judicare prévue

par la Convention. En effet, le 31 janvier 2007, l'Assemblée nationale a adopté plusieurs

lois portant modification, d'une part, du code pénal sénégalais,avec l'introduction d'une

disposition formulant l'incrimination de la torture conformément à la Convention contre la

torture, et, d'autre part, du code de procédure pénale, en son article 669, permettant

désormais aux juridictions sénégalaisesde connaître des crimes de portée internationale

252Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu l7 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, par. 9.5, par. 2.03 ci-dessus et annexe E.2.

253Ibid., par. 9.6.
254
Voir pars. 1.67 ss. ci-dessus.

83 255
dont le fondement découle des principes reconnus par la communauté internationale .

Dans sa note à l'ambassade de Belgique à Dakar, en date du 21 février2007, le ministère

des Affaires étrangèresdu Sénégala ainsi assuré que «le Sénégal[a] combl[é] le vide

juridique qui avait empêchéles juridictions sénégalaises,pour des raisons techniques liées

à l'inadaptation de la législation nationale, de connaître de l'affaire Hissène HABRE » 256.

Lors des plaidoiries relatives à la demande en indication de mesures conservatoires, M.

Gaye, au nom du Sénégal,a confirméde nouveau que

« à ce jour, toutes les réformes législatives et constitutionnelles, tant sur le fond que

sur la forme, ont déjà étéeffectuées pour donner plein effet aux dispositions de la
convention susviséeet, ainsi, réunirles conditions idéalespour faire juger M. Hissène

Habré par les juridictions sénégalaises, dans le cadre d'un procès juste et
eqmta e » 257.

4.37. Il n'en reste pas moins que depuis l'entrée en vigueur de la Convention et

jusqu'en 2007, c'est-à-dire pendant vingt ans, le Sénégaln'avait pas pris les mesures

nécessaires prescrites par l'article 5, paragraphe 2, comme le ministre des affaires
258
étrangèresdu Sénégall'a, par ailleurs, clairement souligné . Faute de mesure législative

ou judiciaire adéquate, l'État défendeur n'a pas pu honorer ses obligations en vertu de la

Convention, notamment l'obligation aut dedere aut judicare, eu égard à la décision des

autorités sénégalaises de ne pas combler cette lacune en fondant directement leur

compétence sur le droit international. Par ses manquements, le Sénégala violé les

obligations centrales de la Convention qui, conformément à son préambule, vise à

« accroître l'efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants dans le monde entier» 259.

255
Loi n° 2007-05, du 2 février2007, modifiant le Code de la Procédure pénalerelative à la mise en Œuvre
du Traitéde Rome instituant la Cour pénale internationale,Journal officiel de la République du Sénégal,
lü mars 2007, p. 2384 (annexe D.7). Voir aussi par. 1.46 ci-dessus.
256
Annexe B.l3.
257
CR 2009/9, 6 avril2009, p. 18, par. 55 (Gaye).
258
Voir note 251 ci-dessus.
259 Sixième considérant du préambule de la Convention. Voir aussi par. 4.03 ci-dessus.

84 2. Le Sénégala manquéà son obligation depoursuivre ou d'extrader découlantde

l'article 7 de la Convention contre la torture

4.38. Le Sénégala également violé son obligation de poursuivre ou d'extrader (aut

dedere aut judicare) découlant de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la

torture.

4.39. Quelles que fussent les raisons pour lesquelles M. Habré n'a pas étépoursuivi
60
au Sénégae , ce dernier n'a pas extradé M. Habrévers la Belgique comme il aurait dû le

faire en vertu de l'article 7 de la Convention (a). Le «transfert» du dossier «Habré» à
261
l'Union africaine ne peut pas délierle Sénégalde ses obligations conventionnelles et ne

constitue pas un succédanéà ces obligations (b). À ce jour, 20 ans après son arrivée sur le

territoire sénégalais,et malgréles réformes législatives intervenues en 2007, le Sénégaln'a

toujours pas soumis l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action

pénale(c).

a) Le Sénégala manqué à son obligation de poursuivre ou d'extrader M. Habré

vers la Belgique

4.40. La Belgique ne conteste pas que, conformément aux dispositions de l'article 5,

paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention, un État partie sur le

territoire duquel se trouve l'auteur présuméd'actes de torture a le choix entre l'extrader ou

262
le déférerà ses propres autorités judiciaires aux fins de poursuite .ll peut donc refuser

l'extradition à condition qu'il défèrel'auteur présuméd'actes de torture à ses autorités
263
compétentes pour l'exercice de l'action pénale .

4.41. Néanmoins, vu la violation de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention de
264
1984 et l'incompatibilité du droit sénégalaisavec les exigences de ladite Convention au

260 Voir pars. 4.29 à 4.37 ci-dessus.
261
Voir pars. 1.67-1.76 ci-dessus.
262
Voir aussi pars. 4.24-4.25 ci-dessus.
263 Voir aussi pars. 4.24 et 4.26 ci-dessus. Voir aussi Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et

autres c. Sénégal,communication n° 181/2001, décisiondu l7 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7
(annexe E.2).
264
Voir pars. 4.29 à 4.37 ci-dessus.

85moment où la Belgique a demandé l'extradition de M. Habré, le Sénégalne pouvait pas se

prévaloir de la possibilité de choisir entre l'extradition et l'engagement de poursuites. Ne

pas extrader M. Habré vers un État qui a établi sa compétence afin de le poursuivre

conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la Convention et qui demande légitimement

son extradition compromettait l'objet et le but de l'obligation aut dedere aut judicare.

Comme la Commission du droit international l'a constatélors de l'élaboration du code des

crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité :

«le but du principe 'extrader ou poursuivre' serait totalement manqué dans le cas où

les tribunaux d'un État sur le territoire duquel un individu présuméavoir commis un
crime relevant du code aurait ététrouvé, une fois saisis de l'affaire par les autorités
compétentes, se déclareraient incompétents ».

Dans ses commentaires joints à l'article 8 du projet de code de crime contre la paix et la

sécuritéde l'humanité adopté en 1996, qui est analogue à l'article 5 de la Convention

contre la torture, la Commission a considéré:

« Si cette compétence [universelle] faisait défaut, l'État de détention serait contraint
d'accepter toute demande d'extradition, ce qui serait contraire au caractère alternatif

de l'obligation d'extrader ou de poursuivre, en vertu de laquelle l'État de détention
n'est pas inconditionnellement tenu de faire droit à une demande d'extradition.
D'autre part, l'auteur présumééchapperait aux poursuites dans l'hypothèse où l'État

de détention ne recevrait pas de demande d'extradition, ce qui compromettrait
gravement l'objectif fondamental du principe aut dedere aut judicare, à savoir, faire
en sorte, en veillant à ce que l'État de détention ait compétence subsidiaire en la
265
matière, que les auteurs soient effectivement poursuivis et sanctionnés » •

4.42. C'est la situation dans laquelle le Sénégalse trouvait en 2005. En ne prenant

pas les mesures nécessaires pour que ses tribunaux puissent connaître de l'affaire H.

Habré,le Sénégal n'a pas seulement violél'article 5, paragraphe 2, de la Convention, mais

ils'est également mis dans l'impossibilité de choisir les poursuites plutôt que l'extradition.

Pour emprunter les mots que M. l'agent du Sénégal,Cheikh Tidiane Thiam, a utilisés lors

des plaidoiries relatives à la demande en indication de mesures conservatoires : «Aut
266
dedere autjudicare: c'est l'un ou l'autre. Et surtout, c'est extrader si on ne peut juger ».

Puisque le Sénégals'estimait juridiquement incapable de juger M. Habré, il étaitobligéde

l'extrader vers la Belgique, seul État à avoir demandéson extradition afin de le juger.

265Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. Il, 2e partie, p. 29 et 30, par. 6) du
commentaire.

266CR 2009/9, 6 avril2009, p. 20, par. 56 (Thiam).

86 4.43. Le Comitécontre la torture a constatéen 2006 :

«qu'à partir du 19 septembre 2005, l'État partie se trouvait dans une autre des
situations prévues par ledit article 7 puisqu'une demande formelle d'extradition avait

alors étéformulée par la Belgique. L'État partie avait à ce moment l'alternative de
procéder à cette extradition s'il décidait de ne pas soumettre l'affaire à ses propres
autorités judiciaires pour l'exercice de poursuites pénales à l'encontre de Hissène
267
Habré » .

4.44. Pourtant, par sa décision du 25 novembre 2005, la Cour d'appel de Dakar a

déclaréson incompétence pour connaître de la demande d'extradition formulée par la

Belgique. Cette décision applique à M. Habré l'immunité prévue par le droit public

sénégalaispour le président du Sénégal.Étrange raisonnement qui consiste à conférer à un

ex-chef d'État étranger

le bénéficede règles prévues par la constitution du Sénégalpour son président en

exercice, non pour un chef d'État étranger ;

le bénéficede règles d'immunités que, de manière peu claire, la chambre semble lier
68
indirectement au droit internationae alors que celui-ci exclut l'immunité d'un ex­

chef d'État pour des faits hors fonctions,

le bénéficede règles d'immunités qui, de toute façon, ne s'appliquaient pas à M.

Habré,puisque le Tchad avait confirmé dès 1992, pour autant que de besoin, que M.

Habréne bénéficiaitd'aucune immunité.

4.45. Quelle que soit l'interprétation de ce jugement, il révèle,avec la décision de

transmettre le dossier à l'Union africaine, que l'État défendeur n'entendait pas pour autant

honorer son obligation d'extrader M. Habrévers la Belgique.

4.46. Conformément à l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, le

Sénégalétait alors tenu d'extrader M. Habré et aurait dû faire droit au mandat d'arrêt

international décerné le 19 septembre 2005 par le juge d'instruction belge 269. En ne

267Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,

décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, par. 9.10 (annexe E.2).
268Voir ibid., infine, la référencefaite par le jugement à l'aff. du mandat d'arrêt.

269Annexe C.2.

87l'extradant pas à défaut d'exercer sa compétence universelle, le Sénégala violé son

obligation conventionnelle énoncéeà l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la

torture.

b) La saisine de l'Union africaine ne constitue pas une alternative au respect des

obligations conventionnelles du Sénégal

4.47. Dans sa note verbale datéedu 9 mai 2006, l'ambassade du Sénégalà Bruxelles

a informé les autoritésbelges que

« [s]'agissant de l'interprétation de l'article 7 de la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l'Ambassade retient
qu'en transférant le cas Hissène Habré à l'Union Africaine, le Sénégal,pour ne pas

créerune impasse juridique, se conforme à l'esprit du principe 'aut dedere aut punire'
dont le but essentiel est de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse échapper à la
JUSticeen se ren ant ans un autre pays »270.

4.48. La Belgique ne peut pas endosser cette manière d'interpréter l'article 7 de la

Convention contre la torture. Il découleclairement du texte de cette disposition que l'« État

partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une infraction visée à

l'article 4 estdécouverte», s'il ne l'extrade pas, doit le déférerà ses autorités compétentes

pour l'exercice de l'action pénale.

4.49. Le «mandat» conférépar l'Union africaine au Sénégalpour juger M. Habré 271

ne dispense en rien le Sénégalde son obligation, en tant qu'État du for, de soumettre

l'affaire à ses autorités compétentes ou de l'extrader vers un État qui en a fait la demande.

Cette obligation subsiste malgré l'intervention de l'Union africaine. L'obligation de juger

ou d'extrader prévue par la Convention découle de la seule présence de la personne

présuméeavoir commis des actes de torture sur le territoire de l'État partie concerné. De
272
fait, il s'agit d'une responsabilité qui incombe au Sénégal,État du for •

270Annexe B.lü.
271
Annexe F.2.
272
Voir le communiqué du ministère des affaires étrangèresdu Sénégal,27 novembre 2005 (annexe B.4).
Dans ce communiqué le ministère a remarqué que « [l]e Sénégaln'est en aucune manière directement
concerné par l'affaire Hissène Habré» et que« cette affaire( ... ) n'est pas une affaire sénégalaise,mais
bien une affaire africaine ».

88 4.50. La décision de l'Union africaine confirme par ailleurs cette interprétation. En

effet, dans sa décision de juillet 2006 sur le procès d'Hissène Habré et sur l'Union

africaine, la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union s'est

expressément référée à «la ratification par le Sénégalde la convention des Nations Unies

273
contre la torture » • Lors de la procédure orale relative à la demande en indication de

mesures conservatoires, le représentantdu Sénégala égalementassuréque

«l'Union Africaine [a été]saisie du dossier par le Sénégal-chacun notera que je

parle de saisie ou de saisine, jamais de transfert ou d'appropriation 274 ou de
dessaisissement- en vue de son implication et de son appui » •

Et M. Thiam de continuer :

« [L]e texte par lequel l'Union africaine demande au Sénégalde juger M. Habrépar
ses propres juridictions s'appuie sur les obligations que le Sénégaltire de sa
275
ratification de la convention de 1984 contre la torture » •

4.51. La Belgique a pris note des déclarationsfaites par l'agent du Sénégalauprès de

la Cour internationale de Justice. Toutefois certaines déclarations faites par les autorités

276
sénégalaises semblent impliquer que le Sénégal,en mettant en place les conditions

273Ibid. Le Parlement européen a incité par ailleurs l'Union africaine «à veiller, dans le cas d'Hissène
Habré, à ce que le Sénégalhonore ses engagements internationaux en tant qu'État signataire de la

Convention précitéecontre la torture» (Résolution législative du Parlement européen sur l'impunité en
Afrique, en particulier le cas de Hissène Habré, P6_TA(2006)0101, 16 mars 2006, Journal officiel de
l'Union européenne C 157E du 6 juillet 2006, p. 420, point 14).

274CR 2009/9, 6 avril2009, p. 12, par. 24 (Thiam).
275
Ibid., p. 13, par. 29 (Thiam).
276
Voir p.ex. la note verbale de l'ambassade du Sénégalen Belgique au ministère des Affaires étrangèresde
Belgique, 20 février2007 (annexe B.1), la note verbale du ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalà
l'ambassade de Belgique à Dakar, 21 février2007 (annexe B.13). Voir également les déclarations faites

par l'Union africaine : Conférence de l'Union africaine, huitième session ordinaire, 29-30 janvier 2007,
décision AU/Dec.157(Vlll) («ENCOURAGE [le Sénégal] à poursuivre son travail pour
l'accomplissement du mandat qui lui a étéconfié», italiques ajoutéspar nous) ; ibid., douzième session
ordinaire, 1-3 février2009, décision AU!Dec.240(Xll) («RAPPELLE sa décision

Assembly/UA/Dec.127 (VII) prise à Banjul (Gambie) en juillet 2006 par laquelle elle a mandaté la
République du Sénégal 'de poursuivre et de faire juger, au nom de l'Afrique, M. Hissène HABRE, par
une juridiction sénégalaisecompétente avec les garanties'un procèsjuste' », italiques ajoutéspar nous) ;
ibid., treizième session ordinaire, 1-3 juillet 2009, décision AU/Dec.246(Xlll), 3 juillet 2009
(«REITERE son appel à tous les Etats membres de l'Union africaine pour qu'ils apportent leurs

contributions au budget du procès et accorde leur soutien au Gouvernement de la République du Sénégal
dans l'exécutiondu mandat de l'Union africaine d'inculper et de juger Hissène Habré», italiques ajoutés
par nous); ibid., quatorzième session ordinaire, 1-3 février2010, décision AU/Dec.272(XIV) Rev.1,
2 février2010 («REITERE son appel à tous les États membres pour qu'ils apportent leurs contributions

au budget au titre du procès et l'appui nécessaire au Gouvernement sénégalaisdans l'exécution du
mandat que lui a confié l'Union africaine (UA) d'inculper et de juger M. Hissène Habré», italiques
ajoutéspar nous). Voir égalementpar. 1.76 ci-dessus.

89nécessaires à la tenue d'un procès contre M. Habrésur son territoire, exécuterait non les

obligations que lui impose la Convention contre la torture, mais seulement un « mandat »

de l'Union africaine. Pourtant, comme la Belgique l'a rappeléà maintes reprises dans ses

notes verbales, c'est le Sénégalqui reste juridiquement tenu de poursuivre M. Habréou de

l'extrader vers la Belgique, aux termes de l'article 7 de la Convention contre la torture et

en vertu des règles conventionnelles et coutumières. Avec tout le respect dû à l'action de

l'Union africaine, qui a incontestablement eu des effets positifs, ne fût-ce qu'en facilitant

des changements législatifsessentiels dans le droit interne du Sénégal,il n'en demeure pas

moins que- sauf exception prévuepar le droit international lui-même- un État ne saurait

êtredispenséde ses obligations internationales en transférantune affaire à une organisation

régionale pas plus qu'il ne saurait êtredispensé de ses obligations en transférant ses

responsabilités à un autre Etat.

c) Le Sénégal n'a toujours ni ouvert d'enquêtepréliminaireni soumis l'affaire H.

Habréaux autoritéscompétentespour l'exercice de l'action pénale

4.52. Bien que, depuis la réformelégislative intervenue en 2007, le Sénégalait mis

en place les conditions réglementaires nécessairespour assumer son obligation de juger M.

Habréau Sénégal,il n'a toujours pas soumis l'affaire H. Habréà ses autoritéscompétentes

pour l'exercice de l'action pénale.Aucune mesure n'a étéprise: ni enquêtepréliminaire

afin de constater les faits, comme le prévoitl'article 6, paragraphe 2, de la Convention, ni

ouverture de l'instruction du dossier malgré l'introduction en septembre 2008 d'une

nouvelle requêteauprès du Procureur par quatorze victimes de nationalité sénégalaiseet
277
tchadienne, accusant M. Habréd'actes de torture et de crimes contre l'humanité .

4.53. A ce jour, le ministre de la Justice du Sénégala seulement «nommé» quatre

magistrats «aux fins de conduire l'information contre Monsieur HABRE » 278. Mais

aucune décision concernant l'ouverture d'une enquêteou information judiciaire ou d'une

instruction n'a été prise.

4.54. En outre, la Belgique a offert à plusieurs reprises d'accueillir, sur la base d'une

commission rogatoire internationale, la visite en Belgique des magistrats sénégalais

277Annexe D.5.

278Annexe B.19.

90 279
désignéspour instruire le dossier à charge de M. Habré . Bien que les autorités
280
sénégalaisesse soient montrées favorables à accepter ces offres , aucune demande de

commission rogatoire n'a étéformuléepar le Sénégalà ce jour (fin juin 2010). Il n'est pas

inutile de rappeler que, dans le cadre de l'instruction ouverte en Belgique, les autorités

belges avaient envoyé une commission rogatoire au Sénégalen octobre 2001, soit moins

d'un an aprèsle dépôtde la plainte contre M. Habréen novembre 2000; cette commission

rogatoire visait à obtenir copie du dossier judiciaire existant au Sénégal.Cinq ans aprèsla

demande d'extradition de la Belgique, le Sénégal,pour sa part, n'a toujours pas envoyé

une demande de commission rogatoire afin d'obtenir copie du dossier judiciaire belge.

4.55. En février2010, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresa assuré son

homologue belge qu'il n'y avait plus d'obstacle pour l'organisation du procès de H. Habré,
281
exception faite de la question du financement .Mais il n'en reste pas moins qu'à ce jour,

aucun examen - même préliminaire dans le sens de l'article 6, paragraphe 2, de la

Convention contre la torture- des faits n'a eu lieu et l'affaire H. Habrén'est toujours pas

soumise aux autoritéscompétentessénégalaisespour l'exercice de l'action pénale.

4.56. De surcroît, en Janvier 2010, devant la Cour de Justice de la Communauté

économique des États de l'Afrique de l'Ouest, les représentants du Sénégalont confirmé

qu'« il n'existait, ni existe à ce jour, aucune procédurependante contre [M. Habré]devant

les juridictions sénégalaises »282.

279Note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des Affaires étrangères du Sénégal,

2 décembre 2008 (annexe B.l6.); note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des
Affaires étrangèresdu Sénégal, 23 juin 2009 (annexe B.l7.); note verbale de l'ambassade de Belgique à
Dakar au ministère des Affaires étrangèresdu Sénégal,14 octobre 2009 (annexe B.20.) ; lettre datéedu
20 octobre 2009, de l'ambassadeur de Belgique au Sénégalau ministre des Affaires étrangères du

Sénégal,(annexe B.2l) ; note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégal,23 février2010 (annexe B.22.)
280
Note verbale du ministère des Affaires étrangères du Sénégalà l'ambassade de Belgique à Dakar,
14 septembre 2009 (annexe B.l9); note verbale du ministère des Affaires étrangères du Sénégalà
l'ambassade de Belgique à Dakar, 29 juillet 2009 (annexe B.l8.); note verbale du ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégalà l'ambassade de Belgique à Dakar, 30 avril2010 (annexe B.23.)

281 Voir par. 1.58 ci-dessus.

282Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,14 mai 2010, par. 14 (annexe E.l.)

91 4.57. L'abstention à agir du Sénégaln'est pas conforme à ce qui est requis en vertu
de l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention. Cette

abstention viole la Convention.

4.58. Qui plus est, la simple intention de juger M. Habré, exprimée à plusieurs

reprises par les autorités sénégalaises,ne suffit pas à mettre en Œuvre les engagements

internationaux que le Sénégala acceptés en devenant partie à la Convention de 1984. La

Convention n'octroie aucun délai pour la mise en Œuvre de l'obligation de poursuivre.

Cela signifie que les États parties doivent disposer de la législation nécessaire dès l'entrée

en vigueur de la Convention à leur égard.

4.59. Aussi longtemps que le Sénégaln'a pas soumis l'affaire H. Habréaux autorités

compétentes sénégalaisesaux fins de 1'exercice de 1'action pénale, ou, à défaut, ne 1'a pas

extradé vers tout État qui en a formulé la demande, il y a violation de l'article 7 de la

Convention contre la torture pour laquelle le Sénégal engage sa responsabilité

internationale.

II. Les violations d'autres règlesdu droit international conventionnel et coutumier

4.60. Le mandat d'arrêt en date du 19 septembre 2005 décerné par le juge

d'instruction belge à charge de M. Habréétaitfondésur l'imputation à M. Habréde crimes

contre l'humanité, de crimes de guerre et de crimes de génocide. Ces crimes sont visés,

respectivement, aux articles 136ter, 136quater et 136bis du code pénalbelge. Ils s'ajoutent

au crime de torture dans le sens de la Convention contre la torture283 et impliquent la

violation, par le Sénégal,d'autres règles du droit international conventionnel ou coutumier.

4.61. La Belgique n'abordera ni la pertinence de ces qualifications ni la légitimitéde
leur application à M. Habré car tel n'est pas l'objet du présent différend. Par ailleurs, le

Sénégalne les a jamais mises en question. Il suffit de constater que le mandat d'arrêtà

charge de M. Habrélui impute des faits criminels qualifiésde crimes contre l'humanité, de

crimes de guerre et de crimes de génocide, que ces qualifications ne sont pas sans

fondement eu égardà ce qu'enseigne l'histoire de M. Habré au temps de sa présidence du

283Voir pars. 4.02-4.59 ci-dessus.

92Tchad 284,et que, selon l'obligation de combattre l'impunité,le droit international oblige le

Sénégalà poursuivre l'auteur présuméde tels crimes dès lors qu'il se trouve sur le

territoire de cet État ou, qu'à défautd'exercer ces poursuites, cet État l'extrade vers un État

qui souhaite exercer ces poursuites. La Belgique va donc montrer, d'abord, la source de

cette obligation pour chacun des cnmes qm fait l'objet du mandat d'arrêt

du 19 septembre 2005 (A), ensuite, les modalitésde l'obligation de répression(B), enfin le

fondement des compétences que le Sénégaldoit exercer et que les autorités judiciaires

belges entendent exercer si le Sénégalne les exerce pas (C).

A. ÜBLIGATIONS CONVENTIONNELLES ET COUTUMIERES DE REPRESSION DES AUTRES

CRIMES IMPUTES A M. IIABRE

4.62. Les poursuites que les autoritésjudiciaires belges entendent exercer contre M.

Habrésont fondéessur l'imputation à M. Habréde la triade classique des crimes que l'on

présentera pour la facilité de l'exposé dans l'ordre suivant: les crimes contre

l'humanité (1),les crimes de guerre (2) et le crime de génocide(3).

1. Les crimes contre l'humanité

4.63. L'incrimination et la répressiondes crimes contre l'humaniténe font pas l'objet

d'une convention spécifique à l'instar du crime de torture. Toutefois, cette incrimination

est aujourd'hui considéréecomme une règle coutumière. Elle apparaît, notamment, dans
285
les statuts des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (article 6 c) (1945) ,de
286
Tokyo (article 5 c) (1946) , du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie

(articles 4-5) (1993) 287, du Tribunal pénal international pour le Rwanda (articles 2-3)

(1994) 288 et de la Cour pénaleinternationale (article 7) (1998) 289.La Commission du droit

international, dans sa codification des « principes du droit international consacrés par le

284Voirpars.1.09-1.10ci-dessus.
285
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances
européennes de l'Axe et statut du tribunal international militaire, Londres, 8 août 1945, R.T.N.U., vol.
LXXXII, p.279

286Charte du Tribunal militaire pour l'Extrême-Orient, 19janvier 1946, T.I.A.S. 1579
287
Conseil de sécurité,résolution 827 (1993), 25 mai 1993, S/RES/827 (1993).
288
Conseil de sécurité,résolution 955 (1994), 8 novembre 1994, S/RES/955 (1994).
289
RTNU, vol. 2187, pp. 162-163 (l-38544).

93Statut du Tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal» cite déjàen 1950 les

crimes contre l'humanitéau nombre des« crimes de droit international» (Principe 6). Lors

des débats de la Sixième Commission de l'Assemblée générale entre le 2 et

le 14 décembre1950, quelque 18 États confirment explicitement le caractère coutumier des
90
principes de Nuremberg dégagéspar la Commission du droit internationae .

4.64. L'obligation de réprimer les cnmes contre l'humanité est réitéréepar des

résolutions de l'Assemblée générale.Celles-ci exigent que les auteurs de crimes contre

l'humanitésoient poursuivis ou extradés.Ainsi, la résolution2840 (XXVI)(« Question du

châtiment des criminels de guerre et des individus coupables de crimes contre

l'humanité») du 18 décembre 1971 qualifie de violation du droit international le fait pour

un État de ne pas coopérerà l'arrestation, aux poursuites ou à l'extradition de l'auteur de

crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.L'Assemblée

«Affinne que le refus de la part d'un Etat de coopérer en vue de l'arrestation, de
l'extradition, du jugement et du châtiment d'individus coupables de crimes de guerre
et de crimes contre l'humanité est contraire aux buts et principes de la Charte des

Nations Unies et aux normes généralement reconnues du droit international »
(paragraphe 4).

4.65. Dans un sens analogue, la résolution3074 (XXVIII) du 3 décembre1973

intitulée « Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage,

l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de

crimes contre l'humanité» énoncecomme premier principe:

«Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient étécommis et

quel que soit le moment où ils ont étécommis, doivent faire l'objet d'une enquête,et
les individus contre lesquels il existe des preuves établissantqu'ils ont commis de tels
crimes doivent êtrerecherchés, arrêtés,traduits en justice et, s'ils sont reconnus

coupables, châtiés.»(paragraphe 1)

Le paragraphe 5 de la résolution dispose que « les Etats coopèrent pour tout ce qui

touche à l'extradition de ces individus». Ces résolutions consacrent donc, quoiqu'en

termes généraux,une règle coutumière constitutive de l'obligation classique de poursuite

ou d'extradition.

290Extraits des déclarations des Etats in E. David, Eléments de droit pénal international et européen,
Bruxelles, Bruylant, 2009, par. 16.6.76.

94L'obligation de poursuite est également énoncéeà propos de la torture par l'Assemblée

généraledes Nations Unies et le Conseil des droits de l'homme qui déclarent, en des

termes fort proches, que les auteurs d'actes de torture et autres peines ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants doivent en répondre, être «traduits en justice et condamnés à une
291
peine proportionnée à la gravitéde l'infraction » .

4.66. L'exposé des motifs de la loi sénégalaise,qui incorpore dans le code pénal

sénégalaisle crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre afin

de mettre en Œuvre les incriminations prévues par le Statut de la Cour pénale

internationale, précise que c'est «une opportunité d'intégration de règles internationales

d'origine conventionnelle et coutumière »292. Ceci confirme que le Sénégal admet le

caractère coutumier de l'incrimination des crimes contre l'humanité.

4.67. Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité adopté

par la Commission du droit international en 1996 affirme aussi que l'État

«sur le territoire duquel l'auteur présuméd'un crime viséà l'article 17 [génocide], 18
[crime contre l'humanité], 19 [crime contre le personnel des Nations Unies et associé]
293
ou 20 [crime de guerre] est découvert extrade ou poursuit ce dernier. »

4.68. L'obligation de poursuivre n'est pas subordonnée à une demande d'extradition

de la part d'un État tiers. Pour la Commission du droit international, «l'Etat de détention a

le choix entre deux lignes de conduite, qui doivent l'une et l'autre aboutir à l'ouverture de

poursuites contre l'auteur présumé » 294,mais elle précise :

«En l'absence de demande d'extradition, l'Etat de détention n'aurait pas d'autre

possibilité que de soumettre l'affaire à ses autorités nationales pour l'exercice de
l'action pénale. Cette obligation supplétive vise à garantir que les auteurs présumés
seront poursuivis devant une juridiction compétente, qui sera celle de l'Etat de
295
détention à défautd'autres tribunaux nationaux ou internationaux. »

291
A/RES/64/153, § 6, 18 déc.2009, adoptéesans vote; Conseil des droits de l'homme, A/HRC/RES/13/19,
adoptéesans vote, § 10.
292
Loi n° 2007-02 du 12 février2007 modifiant le code pénal,Journal officiel de la République du Sénégal,
10 mars 2007, p. 2377 (annexe D.6) (italiques ajoutés).
293
Article 9, Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 32.
294
Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 33.
295
Ibid.

95 4.69. L'obligation de réprimerles crimes contre l'humanités'inscrit dans le cadre de

la lutte contre l'impunité qu'on retrouve dans de nombreuses résolutions de l'Assemblée

généraleet du Conseil de sécurité.Ces résolutions ont étéadoptées à propos de graves

violations des droits humains commises dans un pays ou, de manière plus générale,à

propos du respect de certaines valeurs. Ainsi, les contextes suivants ont donnélieu à des

résolutions invitant les États à lutter contre l'impunité des auteurs de crimes contre

l'humanité et des autres crimes graves de droit international ; ces résolutions ont été

adoptées

à l'occasion d'une situation particulière de troubles et de violations des droits et

libertésfondamentaux dans un pays particulier; par exemple, à propos des troubles au

Burundi, le Conseil de sécuritéexprime sa préoccupationdu fait

« que l'impunitéengendre le mepns de la loi et conduit à des violations du droit
296
international humanitaire » ;

le Conseil a affirmé, dans plus de 70 résolutions, l'obligation de lutter contre

l'impunité à la suite de tensions internes graves auxquelles d'autres Etats ont été

confrontés; sans prétendre à l'exhaustivité, on peut citer: Cambodge 297, Irak298,

RDC 299, Haïti 300 , Rwanda 301, Côte d'Ivoire 302, Sierra Leone 303, Timor Leste 304,

296S/RES/1012, 2S août 1gg5, préambule, Se al. ; voir aussi S/RES/1545, 21 mai 2004, préambule, ge al. ;
S/RES/1602, 31 mai 2005, préambule, 14e al. et par. 5; S/RES/1650, 21 décembre 2005, par. g;

S/RESf171g, 25 octobre 2006, par. 2 (j); S/RES/1S5S, 22 décembre200S, préambule, lOeal. et pars. 13-
14; S/RES/lg02, 17 décembre200g, préambule, 11eal. et pars. lS-lg.

297A/RES/50/178, 22 décembre 1gg5 (sans vote), par. 12; A/RES/51/gs, 12 décembre 1gg6 (sans vote), par.
14; A/RES/52/135, 12 décembre 1gg7 (sans vote), par. g,

298A/RES/54/178, 17 décembre 1ggg, par. 3 (d).

299A/RES/54f17g, 17 décembre 1ggg, par. 3 (d) ; S/RES/146S, 20 mars 2003, pars. 6-7 ; S/RES/14S4, 30 mai
2003, pars. 5-6 ; S/RES/1565, 1eroctobre 2004, pars. 5 (g) et 1g ; S/RES/1653, 27 janvier 2006, pars. 6-

7 ; S/RES/1711, 2g septembre 2006, préambule, 11eal. ; S/RES/1756, 15 mai 2007, pars. 3 (c), 12 et 14 ;
S/RES/1S56, 22 décembre 200S, préambule, 11eal. et pars. 4 (c) et 25 ; S/RESf1Sg6, 30 novembre 200g,
préambule, lOe et 11e al. ; S/RESf1g06, 23 décembre 200g, préambule, Se al. ss., pars. 3 et 11 ;

S/RES/lg25, 2S mai 2010, préambule, 11eet 12eal. et par. 12, (c)-(d).
300
A/RES/54/1S7, 17 décembre 1ggg, par. S ; S/RES/152g, 2g février 2004, par. 7 ; S/RES/1542, 30 avril
2004, préambule,4e al. et parS a; S/RES/160S, 22juin 2005, préambule, Se al.; S/RES/1743, 15 février
2007, préambule,geal. ; S/RES/1S40, 14 octobre 200S, préambule,ge al. ; S/RESf1Sg2, préambule,geal.

301A/RES/54/lSS, 17 décembre 1ggg, par. S.
302
S/RES/1464, 4 février2003 ; S/RES/152S, 27 février2004, par. 6 n ; S/RES/160g, 24 juin 2005, par. 2 t;
S/RES/1721, 1ernovembre 2006, par. 30; S/RES/1S26, 2g juillet 200S, préambule, ge al. ; S/RES/1S65,

27 janvier 200g, préambule, lOeal. et par. 11 ; S/RES/lSSO, 30 juillet 200g, préambule, lOeal. et par. 26;
S/RES/lgll, 2Sjanvier 2010, préambule, lOeal. et par. 13.

96 3os G . , B. 306 G, . 307 Af h . 308 S . 309 , bl.
S ou an , umee 1ssau , eorg1e , g amstan , orna1 1e , Repu 1que
. . T h d31o N, 311
centra fncame et c a , epa1 ;

à l'occasion de certaines questions plus génériquestelles que le respect de la « sexo­

spécificité » où le Conseil de sécurité

«Souligne que tous les Etats ont l'obligation de mettre fin à l'impunité et de

poursuivre en justice ceux qui sont accusés de génocide, de crimes contre l'humanité
et de crimes de guerre, y compris toutes les formes de violence sexiste et autre contre

les femmes et les petites filles, et à cet égard fait valoir qu'il est nécessaire d'exclure si
possible ces crimes du bénéficedes mesures d'amnistie »312 ;

de même,à propos des enfants dans les conflits armés,le Conseil de sécuritédemande

aux États membres

«de mettre fin à l'impunité et de poursuivre les responsables de génocide, de crimes
contre l'humanité, de crimes de guerre et autres crimes abominables commis contre

des enfants, d'exclure autant que possible ces crimes des mesures d'amnistie et des
actes législatifs du mêmeordre [... ] »313 .

303S/RES/1470, 28 mars 2003, préambule, 7"al. ; S/RES/1610, 30 juin 200S, préambule,6eal.
304
S/RES/1S43, 14 mai 2004, par. 8 ; S/RES/1S73, 17 novembre 2004, par. 6 ; S/RES/174S, 22 février2007,
préambule, Se al. ; S/RES/1867, 26 février 200g, préambule, ge al. ; S/RES11g12, 26 février 2010,
préambule, r al.

305 S/RES!1SS6, 30 juillet 2004, par. 6 ; S/RES/1S64, 18 septembre 2004, préambule, ge al. et par. 7 ;
S/RES/1S74, 1g novembre 2004, préambule, lOe al. ; S/RES!lsgo, 24 mars 200S, par. 4 a, viii;

S/RES/lSgl, 2g mars 200S, préambule, lOe al. et par. S ; S/RES/1841, lS octobre 2008, préambule, 6e
al.; S/RES/1881, 30 juillet 200g, préambule, Seal. et par. ll ; S/RESf18gl, 13 octobre 200g, préambule,
6eal.

306S/RES/1S80, 22 décembre2004, par. 4.
307
S/RES/1S82, 28 janvier 200S, pars. 2g-30.
308
S/RES/1746, 23 mars 2007, par. 13 ; S/RES/1806, 20 mars 2008, par. 21 ; S/RES/lSgo, 8 octobre 200g,
préambule, l8e al. ; S/RES/lgl7, 22 mars 2010, pars. 22 et 30.
309
S/RES/1814, lS mai 2008, par. 16; S/RES/1872, 26 mai 200g, préambule, l3e al. et par. 22;
S/RESf18g7, 30 novembre 200g, par. 12; S/RES/lglo, 28 janvier 2010, préambule, l4e al.
310
S/RES/1778, 2S septembre 2007, par. 2 e; S/RES/1861, 14janvier 200g, par. 6f
311
S/RES/lgog, 21 janvier 2010, préambule, lSe al.
312
S/RES/132S, 31 octobre 2000, par. ll ; S/RES/1820, 1g juin 2008, par. 4; S/RES/1888, 30 septembre
200g, pars. 6-8 et préambule,al. 7 ss. ; S/RES/188g, S octobre 200g, par. 3.
313
S/RES/137g, 20 novembre 2001, par. g a; voir aussi S/RES/1460, 30 janvier 2003, préambule, Se al. ;
S/RES!1S3g, 22 avril 2004, préambule, 4e al.; Déclaration du président du Conseil de sécurité,
S/PRST/200g;g, 2g avril200g, ll eal. ; S/RES/1882, 4 août 200g, préambule,Se al. et par. 16.

97 de manière générale,en dehors de tout contexte géopolitique ou sociologique : ainsi, à

l'occasion du Sommet du Millénaire, le Conseil de sécurité

« Souligne que les auteurs de crimes contre l'humanité, de crimes de génocide, de

crimes de guerre et d'autres violations graves du droit international humanitaire
doiVentetre tra mts en JUStice• » 31.

4.70. A côté des demandes répétéesde l'Assemblée générale et du Conseil de

sécurité,le principe de lutte contre l'impunité répond également à une exigence découlant

du respect des droits de l'homme. Ainsi, en 2004, le Comité des droits de l'homme, dans

son observation généralen° 31, a affirmé, à propos de la mise en Œuvre de l'article 2,

paragraphe 3, du Pacte (obligation des États parties au Pacte de garantir par des moyens

judiciaires, administratifs ou législatifs, le respect des droits et libertésprévuspar le Pacte)

que

« Le fait pour un Etat partie de ne pas mener d'enquête sur des violations
présumées[des droits et libertés énoncéspar le Pacte] pourrait en soi donner lieu à

une violation distincte du Pacte. [... ] Lorsque les enquêtesrévèlentla violation de
certains droits reconnus dans le Pacte, les Etats parties doivent veiller à ce que les

responsables soient traduits en justice. Comme dans le cas où un Etat partie
s'abstient de mener une enquête,le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de
telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. [... ]

D'ailleurs, le problème de l'impunité des auteurs de ces violations [... ] peut bien
êtreun facteur important qui contribue à la répétitiondes violations. »315

La Commission et le Conseil des droits de l'homme ont étédans le mêmesens en:

« [r]appelant l'Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits

de l'homme par la lutte contre l'impunité (E/CN.4/Sub.2/1997 /20/Rev.l, annexe II)
et prenant note avec satisfaction de la version actualisée de ces principes
316
(E/CN.4/2005/102/Add.l) »

314S/RES/1318, 7 septembre 2000, VI.

315Observation généralen° 31 snr la nature de l'obligation juridique généraleimposéeaux Etats parties au
Pacte, 29 mars 2004, pars. 15 et 18, Documents officiels de l'Assemblée générale,cinquante-neuvième
session, Supplémentn° 40 (A/59/40), pp. 194-196.

316Le droit à la vérité,Résolutionde la Commission des droits de l'homme 2005/66, 20 avril2005 (adoptée
sans vote), préambule," al. ; Enforced and involuntary disappearances, Résolutiondu Conseil des droits

de l'homme 14/10, 18juin 2010 (adoptéesans vote), préambule,12eal.

98L'Assemblée généraledes Nations Unies évoque également ces principes comme «un
outil efficace pour prévenir et combattre la torture» 317.Parmi les principes auxquels la
Commission des droits de l'homme, le Conseil des droits de l'homme et l'Assemblée se

réfèrent,le principe 19 dispose :

«Les Etats doivent mener rapidement des enquêtes approfondies, indépendantes et
impartiales sur les violations des droits de l'homme et du droit international
humanitaire et prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs auteurs, notamment

dans le domaine de la justice pénale,pour que les responsables de crimes graves selon
le droit international soient poursuivis, jugéset condamnés à des peines appropriées. »
318

4.71. L'expression coutumière de l'obligation de répression des cnmes contre

l'humanité figure au préambule du Statut de la Cour pénaleinternationale auquel 111 États

sont parties (fin juin 2010), y compris le Sénégalet la Belgique. Les alinéas4 à 6 et 10 de

ce préambule disposent :

« Les États Parties au présentStatut

Affinnant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté

internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit êtreeffectivement
assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la
coopération internationale,

Détenninésà mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir

ainsi à la prévention de nouveaux crimes,
Rappelant qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle

les responsables de crimes internationaux,

Soulignant que la cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est
complémentaire des juridictions pénalesnationales ... ».

2. Les crimes de guerre

4.72. Les sources qui viennent d'êtrecitées et qui obligent les Etats à poursuivre
pénalement les auteurs de crimes contre l'humanité ou, à défaut, à les extrader vers tout

Etat qui veut les poursuivre s'appliquent également aux crimes de guerre. D'ailleurs,

plusieurs des extraits reproduits ci-dessus évoquent dans la mêmephrase l'obligation de

réprimerles crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.

317
A/RES/64/153, 18 déc.2009 (adoptéesans vote), § 7.
318Doc. ONU E/CN.4/2005/102/Add.1, principe 19.

99 4.73. En outre, dans le cas spécifiquedes crimes de guerre, l'obligation alternative de

poursuivre ou d'extrader leurs auteurs est énoncéedans un article commun aux quatre

Conventions de Genève du 12 août 1949 (articles 49 (1), 50 (Il), 129 (Ill) et 146 (IV)) et

dans leur premier Protocole additionnel du 8 juin 1977 (article 85, paragraphe 1),
319 320
instruments qui lient la Belgique et le Sénégal .

4.74. L'obligation de réprimer les cnmes de guerre est conventionnelle dans la

mesure où elle figure dans des traitésliant les deux États parties au présent différend (les

Conventions de Genève de 1949 et leur Protocole additionnel 1 de 1977). Elle est aussi

coutumière dans la mesure où la présenteCour a reconnu ce caractère aux Conventions de

Genève 321.En outre, l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier

dispose :

«Les Etats doivent enquêtersur les crimes de guerre qui auraient étécommis par

leurs ressortissants ou par leurs forces armées, ou sur leur territoire, et, le cas
échéant,poursuivre les suspects. Ils doivent aussi enquêtersur les autres crimes de
guerre relevant de leur compétence et, le cas échéant,poursuivre les suspects. »

(règle 158)

3. Le crime de génocide

4.75. A nouveau, les sources citées pour les crimes contre l'humanité s'appliquent

également au crime de génocide.

4.76. Certes, la Belgique n'ignore pas que dans l'affaire concernant l'Application de

la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie­

Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), la Cour a affirmé que l'article VI de cette

Convention n'obligeait que l'État du lieu du génocide à exercer la répression 322.Dans cette

affaire, la Cour, étant saisie sur le seul fondement de l'article IX de la Convention, n'a

statuéque sur cette Convention et non sur le droit international coutumier. Dans la présente

319
Depuis le 3 septembre 1952 pour les Conventions de Genève de 1949 et depuis le 20 mai 1986 pour le
Protocole additionnel! de 1977.
320
Depuis le 18 mai 1963 pour les Conventions de Genève de 1949 et depuis le 7 mai 1985 pour le Protocole
additionnel! de 1977.
321Licéitéde la menace ou de l'emploi des armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 19p.,257,

par. 79.
322Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie­

Herzégovine c. Serhie-et-Monténégro),fond, arrêt,par. 442.

100espèce cependant, la compétence de la Cour est également fondée sur les déclarations

concordantes d'acceptation de sa juridiction par le Sénégalet la Belgique concernant
323
«tous les différends d'ordre juridique » .Dès lors que l'obligation de réprimerle crime

de génocidetrouve sa source dans le droit international coutumier, la limitation territoriale

énoncéepar la Convention est inapplicable in casu.

4.77. Or, le caractère coutumier universel de l'obligation de réprimerle génocidene

paraît pas douteux. Ainsi, dans son avis sur les Réserves à la convention pour la prévention

et la répressiondu crime de génocide,la Cour a dit:

«Les origines de la Convention révèlentl'intention des Nations Unies de condamner
et de réprimerle génocidecomme 'un crime de droit des gens' impliquant le refus du

droit à l'existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience
humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité, et qui est contraire à la fois à la loi
morale et à l'esprit et aux fins des Nations Unies (résolution96 (I) de l'Assemblée

générale,11 décembre1946). Cette conception entraîne une première conséquence :
les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les
nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien

conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de la
condamnation du génocide et de la coopération nécessaire 'pour libérer l'humanité
d'un fléauaussi odieux' (préambulede la Convention). La Convention sur le génocide

a donc étévoulue tant par l'Assemblée généraleque par les parties contractantes
comme une convention de portée nettement universelle. En fait, elle fut approuvée,
le 9 décembre1948, par une résolution qui fut votéeunanimement par cinquante-six

États.

Les fins d'une telle convention doivent également êtreretenues. La Convention a été
manifestement adoptéedans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degréce double caractère,

puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence même de certains groupes
humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires.Dans une telle convention, les États contractants n'ont pas d'intérêts

propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêc tommun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d'êtrede la convention. Il en résulte que l'on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d'avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d'un exact équilibrecontractuel à maintenir entre

les droits et les charges. La considération des fins supérieuresde la Convention est, en
vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les
d1sposlt10nsque e ren erme. »324

323Voir pars. 3.30-3.43 ci-dessus.

324Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J.
Recueil !95!, p. 23.

101 La Cour souligne le caractère coutumier des principes de la Convention lorsqu'elle
dit:

« les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les
nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien

conventionnel »

En outre, à travers ce texte, la Cour souligne le caractère universel de l'obligation de
répression,

- soit lorsqu'elle dit :

«Les origines de la Convention révèlentl'intention des Nations Unies de condamner
et de réprimerle génocide comme 'un crime de droit des gens' [... ] »,

soit lorsqu'elle évoque:

«le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération

nécessaire 'pour libérerl'humanitéd'un fléauaussi odieux' »

soit lorsqu'elle souligne que :

« La Convention a étémanifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur [... ] puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence mêmede certains

groupes humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires »

En évoquant «l'intention des Nations Unies de condamner le génocide», le

«caractère universel» de cette condamnation et son «but purement humain et

civilisateur», la Cour renvoie à des principes fondamentaux d'humanité au cŒur des
325
fondements de toute sociétécivilisée. Dès lors que la répression du «crime des crimes »

est inhérente à la civilisation et à l'humanité, les formules utilisées par la Cour en 1951
sont une manière de souligner le caractère universel de l'obligation de répression.

4.78. Lors des débats récents à la Sixième Commission de l'Assemblée généralesur

«la portée et l'application du principe de compétence universelle», plusieurs États ont

325TPIR, affaire ICTR-96-3-T, Rutaganda, 6 décembre 1999, par. 451.

102soulignéle caractère universel de l'interdiction de l'impunitéconcernant les crimes les plus

graves, en particulier du génocide. Ainsi, pour

- l'Australie:

«Ce principe [de la compétence universelle] a vu le jour en droit international

coutumier pour empêcherles pirates de jouir de l'impunitéou de trouver refuge où que
ce soit et a depuis étéétendu au génocide, aux crimes de guerre, aux crimes contre

l'humanité, à l'esclavage et à la torture, des crimes qui, compte tenu de leur nature ou
de leur gravité exceptionnelle, préoccupent tous les membres de la communauté
internationale. »326

la Suisse:

« La justice joue un rôle essentiel dans la répression et la prévention du crime et si

c'est aux Etats qu'il incombe au premier chef d'engager des poursuites contre les
personnes relevant de leur compétence, des crimes comme le génocide, les crimes

contre l'humanité, les crimes de guerre et la torture choquent particulièrement la
conscience de la communauté internationale et ne doivent pas rester impunis. »327

l'Afrique du Sud:

« [... ] la compétence universelle ne devrait êtreexercée, en dehors d'une relation

conventionnelle, qu'à l'égarddes crimes que la communauté internationale considère
comme les plus odieux, à savoir l'esclavage, le génocide, les crimes de guerre et les
crimes contre l'humanité. »328

la République démocratique du Congo:

«Il est légitimeque des États exercent la compétence universelle pour que les actes de
torture, les crimes de ~uerr es,crimes contre l'humanitéet le crime de génocide ne
restent pas impunis. » 3 9

le Kenya:

« le principe de la compétence universelle [... ] est un instrument crucial pour
permettre aux victimes de crimes internationaux graves, tels que les crimes de guerre,
les crimes contre l'humanitéet le génocide, d'obtenir réparation lorsque l'État sur le

326A/C.6/64/SR.l2, par. 10.

327Ibid., par. 22.
328
Ibid., pa43.
329
Ibid., pa54.

103 territoire duquel le crime a étécommis ne peut pas ou ne veut pas ouvrir une enquête
0 ' d" d 330
ou orgamser un proces Igne e ce nom. »

la Slovaquie :

« il est généralement admis que le droit international coutumier autorise l'exercice
d'une telle compétence contre la piraterie, l'esclavage et la traite des êtreshumains, et

son application en cas de delicta juris gentia - génocide, torture, crimes contre

l'humanitéet v331ations graves des Conventions de Genève de 1949 - est largement
reconnue. »

1'Autriche :

«plus intéressants pour la Commission [du droit international] sont néanmoins les cas

dans lesquels les États exercent la compétence universelle uniquement sur la base du
droit international coutumier. ll semble généralementadmis qu'ils ont droit de le faire

en cas de génocide, de crimes contre l'humanité,de crimes de guerre, de torture ou de
prratene. »332

la Slovénie :

« En général,on admet que le droit coutumier autorise l'exercice de la compétence

universelle à l'égarddes crimes de piraterie, d'esclavage et de génocide, des crimes
333
contre l'humanité,des crimes de guerre et du crime de torture. »

la Belgique :

« l'exercice de la compétence universelle est [... ] un outil de dernier recours, dans les
cas où il y a un risque que les auteurs d'un génocide, de crimes contre l'humanité,de

crimes de guerre ou d'actes de torture échappent à la justice parce que l'État sur le
territoire duquel le crime a étécommis et l'État de nationalité des suspects ou des
0 0 1 d 0 334
victimes neveu ent pas ou ne peuvent pas engager e poursmtes. »

les États-Unis d'Amérique:

«En vertu du droit des États-Unis, les tribunaux fédérauxsont habilités à établirleur
compétence pour connaître des crimes qui préoccupent gravement la communauté

330
Ibid., par61.
331
Ibid., par64.
332
Ibid., par81.
333
Ibid., par96.
334
Ibid., par102.

104 internationale, comme la piraterie, la torture, le génocide et le terrorisme, mêmeen
l'absence de liens significatifs entre l'État et le crime en cause. »335

le Liechtenstein :

« Dans certains cas, lorsque ces États ne veulent pas ou ne peuvent pas traduire les

auteurs des crimes en justice, d'autres États qui n'ont aucun lien direct avec le crime
doivent engager des poursuites sur la base de la compétence universelle, qui constitue

donc un outil subsidiaire important pour engager la responsabilité des auteurs de
crimes tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et la
torture.» 336

le Togo:

« [... le principe de la compétenceuniverselle vise à prévenir l'immunité en cas de
337
crimes graves comme le génocide,les crimes contre l'humanitéet la torture[ ... ] » .

*

4.79. L'examen des sources citées dans cette section montre que les États doivent

assurer l'application de l'obligation de combattre l'impunité en mettant en place la

répression de la triade classique des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et

les crimes de guerre.

B. LES MODALITES DE L'OBLIGATION DE REPRESSION

4.80. Le droit international coutumier ne prescrit pas de modalitésparticulières pour

l'exercice de la répression des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des

crimes de guerre. S'il est évident que la répression de ces crimes implique la poursuite

pénalede leurs auteurs présumés,cette poursuite peut êtremise en Œuvre soit directement

par l'État où se trouve ces auteurs, soit indirectement, en les extradant vers un État qui

souhaite les poursuivre. Ces deux branches de l'alternative (poursuivre ou extrader - aut

dedere aut judicare) visent le mêmeobjectif: lutter contre l'impunité,c'est-à-dire assurer

la répression du crime. Le secrétariatde la Commission du droit international a examiné

les conventions multilatérales qui énoncent cette règle. En obligeant les États parties à

335A/C.6/64/SR.13, par. 22.

336Ibid., par. 26.
337
Ibid., par. 35.

105poursmvre l'auteur ou à l'extrader vers un État qui désire le poursuivre, le secrétariat

observe que les États remplissent l'obligation de poursuite prévuepar ces conventions. Le

secrétariatécritque les clauses aut dedere aut judicare

« impose upon States an obligation to ensure the prosecution of the offender either by
extraditing the individual to a State that will exercise criminal jurisdiction or by
enabling their own judicial authorities to prosecute » 338.

Judicare ou dedere sont donc bien des modalités alternatives d'exécution de

l'obligation.

4.81. Si la plupart des conventions de droit pénal international imposent l'obligation

de poursuite à l'État où le crime a étécommis, à l'État de la nationalité de l'auteur présumé

du crime et à l'État qui refuse l'extradition de cet auteur, aucune règle n'exige que l'État

où se trouve l'auteur présumédonne la priorité à la poursuite ou à l'extradition. Ainsi, la

Convention de 1948 pour la répression du crime de génocide qui exprime le droit
339
coutumier dispose, d'une part, que

« Les personnes accusées de génocide [... ] seront traduites devant les tribunaux
compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a étécommis[ ... ] »(article VI),

et, d'autre part, que

«Le génocide et les autres actes énumérésà l'article III ne seront pas considérés
comme des crimes politiques pour ce qui est de l'extradition.

Les Parties contractantes s'engagent en pareil cas à accorder 1'extradition
conformément à leur législation et aux traitésen vigueur. »(article VII)

Les Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de la guerre

disposent:

« Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues
d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions

graves, et elle devra les déférerà ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité.
Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre

338Survey of Multilateral Conventions which may be of Relevance for the Commission's Work on the Topic
"The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)", Study of the Secretariat,
A/CN.4/630, par. 126.

339Voir par. 4.77 ci-dessus.

106 législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéresséeà la
poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes
des charges suffisantes. »(article commun 49/501129/146, 2e al.)

Le projet de code adoptépar la Commission du droit international, en 1996, sur les

crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanitédispose :

« Sans préjudicede la compétence d'une cour criminelle internationale, l'Etat partie sur

le territoire duquel l'auteur présumé d'un crime visé à l'article 17, 18, 19 ou 20 est
découvertextrade ou poursuit ce dernier » (article 9).

L'Assemblée générale,dans sa résolution 3074 (XXVIII), déclare:

« 1. Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité,où qu'ils aient étécommis et
quel que soit le moment où ils ont étécommis, doivent faire l'objet d'une enquêteet les

individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels
crimes doivent êtrerecherchés, arrêtés,traduits en justice et, s'ils sont reconnus
coupables, châtiés. »

5. Les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis des
crimes de guerre et des crimes contre l'humanitédoivent êtretraduits en justice et, s'ils

sont reconnus coupables, châtiés, en règle générale,dans les pays où ils ont commis
ces crimes. A cet égard, les Etats coopèrent pour tout ce qui touche à l'extradition de
ces individus. »

Aucun de ces textes ne privilégieplutôt la poursuite ou plutôt l'extradition: judicare

et dedere sont mis sur le mêmeplan.

4.82. Tout au plus, constate-t-on que pour les cnmes imputés à M. Habré,

l'obligation de poursuite à charge de l'État existe indépendamment de toute demande

d'extradition et se fonde sur la seule présence de son auteur sur le territoire de cet État 340 :

aut dedere aut judicare devient judicare veZ dedere 341. On va voir à présent que le

caractère extraterritorial de la compétence à exercer par le Sénégalà l'égardde M. Habré

n'atténue en rien la portée de son obligation de poursuivre M. Habré ou, à défaut, de

l'extrader vers la Belgique.

340Ibid., pars. 127-131.

341Voir par. 4.68 ci-dessus.

107 C. FONDEMENT JURIDIQUE DES COMPETENCES QUE LE SENEGAL DOIT EXERCER A

L'EGARD DES CRIMES IMPUTES A M. HAB RE

4.83. Dèslors que tous les crimes imputésà M. Habrésont des crimes qui sont

- commis en dehors du Sénégal,et

- imputésà un particulier, M. Habré,qui n'est pas sénégalais;et

- commis contre des citoyens qui, pour la plupart, ne sont pas sénégalais.

Il en découle que la compétence que le Sénégaldoit exercer à l'égard de M. Habré

est une compétence universelle.

4.84. Qu'il s'agisse d'une compétence à caractère extraterritorial n'atténue en rien

l'obligation à charge du Sénégal. Il suffit de rappeler qu'aucune des règles citées

précédemment 342 ne limite l'obligation de répression des crimes graves de droit

international aux seuls États du lieu où le crime a été commisou aux États ayant un lien de

nationalité avec son auteur ou sa victime. La lutte contre l'impunité n'est nullement limitée

par des considérations relatives à la géographie du crime, la nationalité de son auteur ou

celle de sa victime. Certains textes disposent expressément que la répression de ces crimes

doit avoir lieu « où qu'ils aient étécommis et quel que soit le moment où ils ont été
. 343
commis»

4.85. Le seul critère qui importe pour déclencher l'obligation de poursuite dans le

chef d'un État est la présence de l'auteur présumé du crime sur son territoire. Le

commentaire, par la Commission du droit international, de l'article 9 de son projet de code

des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité préciseque cette seule présence suffit

pour obliger l'État à poursuivre cette personne, mêmeen l'absence de toute demande
344
d'extradition .

342Voir par. 4.64 ci-dessus.

343A/RES/3074 (XXVlll), 3 décembre 1973, par. 1.
344
Voir Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 33. Voir aussi par. 4.68 ci-dessus.

108 4.86. Ces pnnCipes ont ététrès largement rappelés lors des débats récents de la

Sixième Commission de l'Assemblée généralesur la compétence universelle. S'il est clair

que la compétence universelle doit évidemment êtreexercée de bonne foi et non de
345
manière abusive ,la plupart des intervenants ont insistésur le fait que l'exercice de cette

compétence s'inscrivait directement dans le cadre de la lutte contre l'impunité dont on

vient de voir qu'elle est le fondement de l'obligation du Sénégalde poursuivre ou

d'extrader M. Habré 346. Ainsi,

- pour le Salvador,

«la compétence universelle est utile pour combattre l'impunité et renforcer la justice

internationale parce qu'elle existe quel que soit le lieu où le crime est commis ou la
natwna lte e son auteur ... [ ]» 347

pour 1'Afrique du sud, si elle

«accepte la compétence universelle pour certains crimes internationaux graves, c'est
parce qu'elle appuie la lutte contre l'impunitéet la recherche de la justice. » 348

pour la République démocratique du Congo,

«l'impunité est aussi combattue au niveau national par l'utilisation de la compétence

universelle. [... ] De plus, les limites de la compétence de la Cour [pénale
internationale] et des tribunaux ad hoc et le grand nombre d'affaires portéesdevant les

tribunaux nationaux attestent ~ue la compétence universelle est un élémentessentiel
de la lutte contre l'impunité »34

pour le Kenya,

«L'application de ce principe [la compétence universelle] a réduit le nombre350s
refuges où les auteurs de tels crimes peuvent jouir de 1'impunité. »

345A/C.6/64/SR.l2, pars. 12 (Australie), 13 (Tunisie), 20 (Iran), 47 (Chine), 93 (Soudan); A/C.6/64/SR.l3,
pars. 12 (Iran), 18 (Israël), 31 (Rwanda), 35 (Togo), 40 (Sénégal),42 (Nigéria),45 (Italie).

346Voir pars. 4.64 et ss ci-dessus.
347
A/C.6/64/SR.l2, par. 25.
348
Ibid., par. 41.
349
Ibid., par. 52.
350Ibid., par. 61.

109- pour la Thaïlande,

« si ces deux règles de droit international [les règles aut dedere aut judicare et la
compétence universelle] sont conceptuellement distinctes, elles ont toutes deux pour
'. . ' 351
but d corn abtre l 1mpumte. »

pour le Pérou,

« si les deux institutions [justice pénale internationale et compétence universelle] ont
le même objectif- éviterl'impunité- la compétence universelle ne peut êtreexercée
/ 352
que par les Etats. »

pour la Norvège,

«Au cours des dernières décennies, l'un des développements majeurs des relations
internationales et du droit international est l'idée,partagéepar tous, qu'il ne doit pas y
. d'" . ' d . 353
av01r 1mpumte en cas e cnmes graves. »

pour la France, la compétence universelle

«ne peut êtreutilisée qu'à l'égard des actes qui sont condamnés universellement ou
qui appellent, dans toute la mesure possible, une réactionmondiale. Il s'agit donc d'un
354
outil essentiel pour combattre l'impunité. »

pour 1'Autriche,

«la compétence universelle est un outil important de lutte contre l'impun355, lutte qui
est [un] objectif essentiel de l'Organisation [des Nations Unies]. »

pour l'Allemagne,

«S'agissant des poursuites au niveau national, le principe de la compétence
universelle est un outil légitimeet utile de la prévention de l'impunitéet il est clair que

351
Ibid., par. 66.
352Ibid., par. 69.

353Ibid., par. 72.
354
Ibid., par. 76.
355
Ibid., par. 81.

110 le droit international coutumier permet de l'invoquer en cas de cnmes
internationaux. » 356

la Finlande déclarequ'elle est

« résolu[e] à promouvoir la responsabilité internationale et n'hésitera pas à appliquer

le principe de la compétence universelle s'il existe un risque qu'à défaut l'impunité
1'emporte » 357.

pour la Belgique

« l'exercice de la compétence universelle est un outil essentiel de la lutte contre

l'impunit. .n cas d358rimes internationaux graves et de la réparation du préjudice subi
par 1es victimes » .

4.87. Même les États qm craignaient les nsques d'utilisation abusive de la

compétence universelle ont admis cette filiation entre la compétence universelle et les

exigences de la lutte contre l'impunité 359. La lutte contre l'impunité formule donc un

principe de droit international coutumier obligeant tous les États à coopérer à la répression

des crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime de génocide. Cette obligation

de coopération oblige tout État où se trouve l'auteur présumé d'un tel crime à le poursuivre

pénalement, à défautde l'extrader vers un État fondéà le poursuivre.

4.88. Le fondement juridique de l'action intentée par la Belgique contre le Sénégal

réside donc dans l'obligation, imposée aux États par le droit international, de lutter contre

l'impunité à l'égardde personnes qui se trouvent sur leur territoire et qui sont soupçonnées

d'avoir commis des crimes graves de droit international.

4.89. Prévuepar le droit international conventionnel et coutumier liant le Sénégalet

la Belgique, cette obligation contraint le Sénégalà poursuivre pénalement M. Habré, ou à

l'extrader vers la Belgique pour y répondre des crimes qui lui sont imputés par la justice

belge.

356Ibid., par. 85.

357Ibid., par. 91.
358
Ibid., par. 102.
359
A/C.6/64/SR.12, par. 99 (Tunisie); A/C.6/64/SR.13, pars. 1 (Indonésie), 5 (Iran), 32 (Rwanda), 36
(Togo).

Ill CHAPITRE V

LA RESPONSABILITE DU SENEGAL ET LES REMEDES

1. Des« difficultés»d'ordre financier, juridique ou autre ne peuvent pas délierle

Sénégad le ses obligations ou excuser leur violation

5.01. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a noté

que les parties ont exprimédes points de vue différents quant à la question de savoir si des

difficultés d'ordre financier, juridique ou autre sont pertinentes pour apprécier s'il y a eu

ou non manquement aux obligations du Sénégal 360.

5.02. Aucune de ces difficultés ne peut cependant délierle Sénégalde ses obligations

internationales ou constituer autrement une circonstance excluant l'illicéitédes violations

attribuables aux autorités sénégalaises.

5.03. Quant aux difficultés d'ordre juridique, la Belgique note que, conformément à

l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,

« [u]ne partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la
non-exécution d'un traité...»361

De même, l'article 3 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait

internationalement illicite confirme :

« La qualification du fait d'un État comme internationalement illicite relève du droit

international. Une telle qualification n'est pas affectée par la qualification du même
fait comme licite par le droit interne. »362

5.04. Le Sénégal nepeut donc pas se prévaloir des difficultés qu'il a pu rencontrer au

plan interne pour se délier de ses obligations internationales conventionnelles ou

coutumières, d'une part, ou pour exclure le caractère illicite des manquements au droit

360Questions concernant l'obligationde poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du8 mai 2009, par48.

361RTNU, vol. 1155,p. 361 (l-18232).
362
Nations Unies, Assemblée générale,résolution 56/83, 12 décembre 2001, annexe.

113international qui lui sont attribuables. Comme la Cour permanente de Justice internationale

l'a noté:

«d'après les principes généralementadmis, un État ne peut, vis-à-vis d'un autre État,
se prévaloirdes dispositions constitutionnelles de ce dernier, mais seulement du droit

international et des engagements internationaux valablement contractés, et (...)
inversement, un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État sa propre

Constituti. /pour .se soust363re aux obligations que lui imposent le droit international
ou 1es traites en vigueur. »

5.05. De surcroît, le Comitécontre la torture a également soulignédans sa décision

du 17 mai 2006 que

«l'Etat partie ne peut invoquer la complexité de sa procédurejudiciaire ou d'autres
raisons dérivéesde son droit interne pour justifier le manque de respect à ses

obligations en vertu de la Convention. [Le Comité]considère que cette obligation de
poursuivre Hissène Habré pour les faits alléguésde torture existait dans le chef de
l'Etat partie, à défaut de prouver qu'il ne disposait pas d'élémentssuffisant[s]

permettant de poursuivre Hissène Habré,à tout le moins au moment de l'introduction
de la plainte par les requérantsen janvier 2000. »364

5.06. Au demeurant, l'impossibilité pour les autoritéssénégalaisesde poursuivre M.

Habrédevant ses juridictions en raison de l'inadaptation de son droit interne constitue, en

elle-même,une violation du droit international 365. En vertu de l'article 5, paragraphe 2, de

la Convention contre la torture, le Sénégalétait obligé d'adapter son droit interne aux
366
exigences de la Convention . L'État défendeur ne peut pas maintenant invoquer ses

propres manquements au droit international pour justifier ou excuser d'autres

manquements à ses obligations internationales. Nemo auditur propriam turpitudinem

allegans.

5.07. Pour justifier, par ailleurs, l'absence de mesures concrètes et le retard dans

l'institution des poursuites contre M. Habré, le Sénégalinvoque des difficultés d'ordre

financier. Dans sa note verbale du 21 février2007, le ministère des Affaires étrangèresdu

363Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d'origine ou de langue polonaise dans le
territoire du Dantzig, avis consultatif, 1932,.l., sérieAIE n° 44, p. 24.

364Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.8 (annexe E.2.)

365Voir pars. 4.29-4.37 ci-dessus.
366
Voir pars. 4.12-4.18 ci-dessus.

114Sénégala ainsi fait état, pour l'exécution du «mandat donné par l'Union africaine au

Sénégalpour juger Monsieur HissèneHabré», qu'

« un tel procès exige des moyens importants que le Sénégalne saurait mobiliser sans
le concours de la Communauté internationale. Le mandat de l'Union africaine est
. . ' / d 367
exp11c1tea cet egar » .

Devant la Cour, les représentants du Sénégalont réaffirmélors des plaidoiries

relatives à la demande en indication de mesures conservatoires :

« Le seul obstacle, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, à
l'ouverture du procès de M. Hissène Habré au Sénégalest d'ordre financier. Le
Sénégala accepté de juger M. Habrénon sans dire devant l'Union africaine, dès le
368
départ,qu'il ne pouvait pas, à lui tout seul, supporter le coût du procès » .

5.08. La Belgique est consciente des implications juridiques, logistiques et

financières de l'organisation d'un procès au Sénégal.Néanmoins, la non-exécution de

l'obligation de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture et du droit

international coutumier concernant l'obligation aut dedere aut judicare ne peut être

justifiée, en droit international, par de telles considérations. Le respect de ces obligations

internationales ne peut êtresoumis à l'obtention d'un soutien financier et des difficultés

d'ordre financier ne constituent pas un étatde nécessitésusceptible d'exclure l'illicéitédes
369
violations de ces obligations .

5.09. Il convient notamment de garder à l'esprit que l'obligation de juger M. Habré

s'impose au Sénégalnon en raison d'un mandat donné par l'Union africaine, mais en

raison de la présence de M. Habrésur le territoire sénégalaiset des règles pertinentes du

droit international, en particulier, l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la

torture. Mêmesans un quelconque soutien de la part des autoritéspolitiques du continent

africain, le Sénégaldoit s'acquitter des obligations qu'il a acceptéesen tant que partie à la

Convention de 1984. Aucune disposition de cette Convention ne permet de se soustraire au

respect de ses dispositions ou d'en suspendre l'application.

367Annexe B.13.

368CR 2009/9, 6 avri12009, p. 29, par. 47 (Kandji).
369
Voir notamment Affaire de l'indemnité russe (Russie/Turquie), sentence arbitrale du 11 novembre 1912,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. Xl, p. 443.

115 5.10. En outre, et sans qu'il soit nécessaire d'expliquer en détail le processus de

négociation qui est actuellement en cours entre la communauté internationale, et

notamment l'Union africaine et l'Union européenne, d'une part, et les autorités

sénégalaises,d'autre part, il ressort du dossier que les problèmes liésau soutien financier

du procès de M. Habré au Sénégal- soutien qui, dans son principe, a étépromis par

plusieurs États et par l'Union européenne - ont étécauséspar des évaluations de coûts

déraisonnables 370. Actuellement, une mission de l'Union européenne assiste les autorités

sénégalaisesà l'établissement d'un budget solide et raisonnable. En outre, la conduite des

enquêtespréliminaires,procédurejudiciaire classique et largement formelle conduite par le

procureur et, par ailleurs, prescrite par l'article 6, paragraphe 2, de la Convention contre la

torture, n'exige pas de budget particulier. Les difficultésrencontréespour la collecte des

fonds auprèsdes partenaires du Sénégalne peuvent aucunement justifier 1'absence de toute

enquêtepréliminaire,surtout quand on connaît la quantitéde documents et d'informations

déjàrecueillies par le Tchad, la Belgique et bien d'autres sources qui ne demandent qu'à

assister le Sénégal.C'est d'autant plus vrai pour l'exécutiond'une commission rogatoire

internationale en Belgique ; les autorités sénégalaisesont cependant, par leur note

du 15juin 2010, clairement conditionné l'exécution d'une telle commission rogatoire à

l'effectivitéde la Table ronde des donateurs 371.

5.11. Dans sa Note sur les dernières évolutions du 15juin 2010, le Sénégala par

ailleurs confirmé qu'il «ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tirée d'un

manque de moyens financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations » et qu'il «n'a

pas envisagéune telle possibilité » 37.

5.12. Si le Sénégalse trouve vraiment dans l'impossibilité de juger M. Habré en

raison de difficultésd'ordre financier ou logistique, la Belgique désireattirer l'attention de

la Cour et de l'État défendeursur le fait que l'obligation aut dedere aut judicare comporte

deux éléments: l'obligation de juger ne doit êtreassuméeque si l'État du for décidede ne

pas extrader l'auteur présuméd'actes de torture. Le Sénégalpeut toujours s'acquitter de

ses obligations internationales en extradant M. Habrévers la Belgique.

370Voir Requêteintroductive d'instance, 16 février2009, pp. 4 et 5.

371Annexe B.25. Voir aussi par. 1.64 ci-dessus.
372
Annexe D.9., p. 6.

116 *

5.13. Eu égard à ces considérations, le Sénégalne peut pas se dégager de sa

responsabilitéinternationale en invoquant des « difficultés» d'ordre juridique, financier ou

autres. Ses actions et omissions constituent des faits internationalement illicites qui
373
engagent sa responsabilitéinternationale .

II. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégal

5.14. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégalpour les faits

internationalement illicites imputables à ce dernier conformément à 1'article 42 b) i) des
374
Articles sur la responsabilitéde l'État pour fait internationalement illicite .

5.15. Comme la Belgique l'a expliqué dans sa réponse aux questions du juge

Cançado Trindade lors de la procédure en indication de mesures conservatoires,

l'obligation aut dedere aut judicare s'impose, dans le cadre de la Convention contre la
375
torture, à tous les États parties .Dans le cadre du droit international coutumier, tout État

doit respecter l'obligation aut dedere aut judicare vis-à-vis de la communauté

internationale dans son ensemble eu égard à l'objet et au but de cette obligation: lutter

contre l'impunité.La règle poursuit la réalisation d'un intérêq tui concerne tous les États.

La Cour a considéréen 1970 qu'

373 Voir articles 1eret 2 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit.
(note 362).

374Ibid. L'article 42 prévoit:

Article 42
Invocation de la responsabilité par l'État lésé

Un État est en droit en tant qu'État léséd'invoquer la responsabilité d'un autre État si l'obligation violée
est due:

a) À cet État individuellement ; ou

h) À un groupe d'États dont il fait partie ou à la communauté internationale dans son ensemble, et si la
violation de l'obligation:

i) Atteint spécialement cet État ; ou

ii) Est de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres États auxquels l'obligation est
due quant à l'exécutionultérieurede cette obligation.
375
Réponsede la Belgique au juge Cançado Trindade, 8 avril2009, par. 11.

117 « [u]ne distinction essentielle doit en particulier êtreétablie entre les obligations des
Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent

vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature
même,les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause,

tous.les E.ats peuv/ / êtr376nsidéréscomme ayant un intérêj turidique à ce que ces
drmts sment proteges » .

5.16. Dans ces circonstances, la Belgique, comme tout autre État partie à la

Convention contre la torture (en ce qui concerne le respect de cette dernière), ou tout autre

État (en ce qui concerne le respect du droit international coutumier), est en droit

d'invoquer la responsabilité du Sénégal.La Commission du droit international a considéré

dans ses commentaires à l'article 48 des Articles sur la responsabilité de l'État que «dans

le cas de violations d'obligations expresses protégeant les intérêtscollectifs d'un groupe

d'États ou les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble, la

responsabilité peut êtreinvoquéepar des États qui ne sont pas eux-mêmeslésésau sens de
377
l'article 42 » •

5.17. Mais la Belgique n'est pas simplement un« État autre qu'un État lésé»au sens

de l'article 48 des Articles sur la responsabilité- mêmesi cette qualification suffisait pour

invoquer la responsabilité du Sénégal. L'État belge est «atteint par la violation d'une
378
manière qui le distingue des autres États auxquels l'obligation est due » .D'une part, les

juridictions belges sont activement saisies de l'affaire H. Habré à la suite de plaintes
379
déposéesen 2000 ; certaines des victimes ont la nationalité belge . D'autre part, la

Belgique a formellement demandé l'extradition de M. Habré en faisant fond sur

l'obligation aut dedere aut judicare de la Convention de 1984 et du droit international

coutumier. La Belgique a donc un intérêttout particulier à ce que M. Habrésoit extradéou,

à défaut,jugéau Sénégal,ou, autrement dit, à ce que le Sénégalrespecte ses engagements

internationaux.

5.18. Pour toutes ces raisons, la Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du

Sénégalen tant qu'« État lésé». Bien que les obligations internationales violées par le

376Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Nouvelle requête: 1962) (Belgique c. Espagne),

arrêt,C.l.J. Recuei/1970, p. 32, par. 33.
377Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2partie, p. 135, par. 2) du commentaire.

378Ibid., p. 127, par. 12) du commentaire de l'article 42.
379
Annexe C.11.

118Sénégalsoient dues à un groupe d'État ou à la communauté internationale dans son

ensemble, ces violations ont spécialementatteint la Belgique 380.

III. Le contenu de la responsabilité du Sénégal

5.19. Les faits internationalement illicites qui sont attribuables au Sénégalet qui

engagent sa responsabilité entraînent plusieurs conséquences énuméréespar les Articles

sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite :

la cessation du fait illicite en question dans la mesure où il a un caractère

. 381
contmu ;

382
- la reprise de l'exécutionde l'obligation internationale violée ;et

383
- la réparationdu préjudicesubi par l'État lésé .

380 Article 42 h) i) des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit.
(note 362).

381 Article 30 a) des Articles sur la responsabilitéde l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit. (note

362). L'article 30 dispose:

Article 30
Cessation et non-répétition

L'État responsable du fait intemationalement illicite a l'obligation :

a) D'y mettre fin si ce fait continue ;

h) D'offrir des assurances et des garanties de non-répétitionappropriéessi les circonstances 1'exigent.
382
Article 29 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit. (note
362). L'article 29 dispose:

Article 29
Maintien du devoir d'exécuter l'obligation

Les conséquences juridiques d'un fait intemationalement illicite prévues dans la présente partie
n'affectent pas le maintien du devoir de l'État responsable d'exécuterl'obligation violée.

383 Article 31, paragraphe 1, des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite,
op. cit. (note 362). L'article 31 dispose :

Article 31

Réparation
1. L'État responsable est tenu de réparerintégralement le préjudice causépar le fait internationalement

illicite.

2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matérielque moral, résultant du fait internationalement
illicitede l'État.

119 5.20. Le Sénégal a violé et viole toujours ses obligations internationales

conventionnelles et coutumières, à savoir, d'une part, l'article 5, paragraphe 2, l'article 6,

paragraphe 2, et l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, et d'autre part,

les règlescoutumières appelant les États à lutter contre l'impunité.

5.21. Dans la mesure où ces violations continuent, le Sénégalest obligéde cesser le

fait illiciteComme la Commission du droit international a notédans son commentaire à

l'article 30 des Articles sur la responsabilitéde l'État:

« La cessation du comportement en violation d'une obligation internationale est la
première condition à remplir pour éliminerles conséquencesdu comportement illicite.

La cessation a pour fonction de mettre fin à une violation du droit international et de
préserver la validité et l'efficacité de la règle primaire sous-jacente. L'obligation de

cessation qui incombe à l'État responsable sert ainsi à protégeraussi bien l'intérêd te
l'État ou des États lésésque l'intérêtde la communauté internationale dans son
ensemble à préserverl'étatde droit et à s'appuyer sur lui. »384

5.22. Dans son arrêtdans l'affaire du Différend relatif à des droits de navigation et

des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a notéà cet égard:

« [L]orsque la Cour a constaté que le comportement d'un Etat présenteun caractère
illicite, et dans le cas où ce comportement se poursuit encore à la date de l'arrêt,l'Etat
en cause est tenu d'y mettre fin immédiatement. Cette obligation de cessation d'un

comportement illicite découle tout autant du devoir généralqu'a chaque Etat de se
comporter conformément au droit international, que de l'obligation spécifique qu'ont
les Etats parties aux différends portés devant la Cour de se conformer aux arrêtsde
385
celle-ci, en vertu de l'article 59 de son Statut»

5.23. Le Sénégalest ainsi obligé de mettre fin à ses violations de l'article 6,

paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, ainsi qu'à

sa violation de la règle coutumière aut dedere aut judicare. Cette cessation consiste en

l'exécution des obligations qui lient le Sénégalet qui, conformément à l'article 29 des
Articles sur la responsabilité de l'État, continue à le lier : «les conséquences juridiques

384Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2èmepartie, p. 95, pars. 4) et 5) du commentaire.

385Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costac.iNicaragua), arrêt,
par. 148.

120d'un fait internationalement illicite n'affectent pas le maintien du devoir de l'État
386
responsable d'exécuterl'obligation qu'il a violée » .

5.24. Le Sénégaldoit donc s'acquitter des obligations qui sont les siennes. A ces fins,

il est obligéde soumettre, sans délais,l'affaire H. Habréà ses autoritéscompétentespour

l'exercice de l'action pénale,ou, à défaut,d'extrader M. Habrévers la Belgique.

5.25. La Belgique est consciente du fait qu'« [i]l n'est pas nécessaire,et il n'est pas

utile en règlegénérale,que la Cour rappelle l'existence de cette obligation [de cessation du

fait internationalement illicite] dans le dispositif des arrêtsqu'elle rend : du seul fait que la

Cour constate l'existence d'une violation qui présenteun caractère continu, il découlede
387
plein droit l'obligation de la faire cesser, à la charge de l'Etat concerné » .Néanmoins,eu

égard aux circonstances de l'espèce, il est indispensable que la Cour détermine sans

ambiguïtéque le Sénégaldoit mettre fin à la violation de l'article 7, paragraphe 2, et doit

exécuter cette obligation dans les meilleurs délais.En effet, bien que les deux parties ne

semblent pas êtreen désaccord sur l'existence mêmede l'obligation- et la Note sur les

dernières évolutions du 15juin 2010 le confirme de nouveau 388 -, elles ont exprimé des

389
points de vue divergents quant aux modalités de son exécution . Il n'est donc pas

suffisant de constater la violation d'une obligation du droit international ; la Belgique prie

la Cour de dire que le Sénégaldoit effectivement poursuivre ou extrader M. Habrévers la

Belgique, ainsi que le prévoient l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture

et le droit international coutumier. Autrement dit, il ne suffit pas que le Sénégal

reconnaisse qu'il doit poursuivre M. Habré; il faut aussi qu'il le poursuive effectivement

et dans les meilleurs délais sans exciper de difficultés matériellesqui ne peuvent justifier

l'inaction d'un État qui est un État de droit.

5.26. Quant à la violation de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la

torture, le Sénégala, en janvier 2007, pris les mesures nécessairesafin de mettre son droit

interne en conformité avec les exigences de la Convention. Le fait internationalement

386
Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2èmepartie, p. 93, par. 2) du commentaire de l'article 29.
387Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c.Nicaragua), arrêt,

par. 148.
388 Voir par. 1.63 ci-dessus.

389Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 48

121illicite résultant de l'inadéquation de son droit interne aux exigences de la Convention a

donc cessé. Dans ces conditions, il n'est ni nécessaire ni opportun d'obliger le Sénégalà

mettre fin au fait intemationalement illicite et de reprendre l'exécution de l'obligation

violée. ll demeure, en revanche, impératif que le Sénégalremplisse son obligation de

poursuivre ou, à défaut,d'extrader M. Habrévers la Belgique.

5.27. De surcroît, le Sénégalest obligéde réparer tout préjudice subi par la Belgique

afin d'« effacer toutes les conséquences de l'acte illicite», y compris l'article 5,
390
paragraphe 2 . De l'avis de la Belgique, la constatation par la Cour des violations

attribuables au Sénégalconstitue une satisfaction appropriée 391.

390
Détroitde Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) ,fond, arrêt,C.I.J.
Recueili949, p. 47.
391
Détroitde Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) ,fond, arrêt,C.I.J.
Recueili949, p. 35. Voir aussi LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil200I, p. 508, par. 116; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

(Cameroun c. Nigéria; Guinée Équatoriale (intervenant)), arrêt,C.I.J. Recueil2002, p. 452, par. 319;
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide (Bosnie­
Herzégovine c. Yougoslavie), fond, arrêt, pars. 463, 465 et469; Certaines questions concernant
l'entraide judiciaire en matière !pénale(Djibouti. France), arrêt,par. 204.

122 CONCLUSIONS

Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, le Royaume de Belgique prie la

Cour internationale de Justice de dire et juger que :

1) a) le Sénégala violéses obligations internationales en n'ayant pas introduit

dans son droit interne les dispositions nécessaires permettant aux autorités

judiciaires sénégalaises d'exercer la compétence universelle prévue par

l'article 5, paragraphe 2, de Convention contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le Sénégala violé et viole ses obligations internationales découlant de

l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du

droit international coutumier en s'abstenant de poursuivre pénalement M.

Hissène Habré pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture, de

crime de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité qui lui

sont imputés en tant qu'auteur, coauteur ou complice, ou de l'extrader vers la
Belgique aux fins de telles poursuites pénales;

c) le Sénégalne peut pas invoquer des difficultés d'ordre financier ou autres

pour justifier les manquements à ses obligations internationales.

2) le Sénégalest tenu de mettre fin à ces faits internationalement illicites

a) en soumettant sans délais l'affaire Hissène Habré à ses autorités

compétentespour l'exercice de l'action pénale; ou,

b) à défaut,en extradant M. Habrévers la Belgique.

123 *

* *

La Belgique se réservele droit de modifier ou d'amender le cas échéant lesprésentes

conclusions, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour.

Le 1erjuille2010,

Paul RIETJENS GérardDIVE

Agent du Gouvernement du Royaume de Co-agent du Gouvernement du Royaume de

Belgique Belgique

Directeur généraldes Affaires juridiques Conseiller - Chef du service de droit
Service public fédéralAffaires étrangères, international humanitaire
Commerce extérieuret Coopération au Service public fédéralJustice

Développement

124125

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Mémoire de la Belgique

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