COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
QUESTIONS CONCERNANT L'OBLIGATION
DE POURSUIVRE OU D'EXTRADER
(BELGIQUE C. SENEGAL)
MEMOIRE
DU ROYAUME DE BELGIQUE
LIVRE I
1EJUILLET 2010 TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ........................................................................
..7........................................
I. L'objectif recherché par la Belgique dans la présente instance ........................ 7
II. La procédure........................................................................7..................................
III. La structure du mémoire ..........................................................11............
............
CHAPITREI LES FAITS.................................................................13.....
........................
I. Le Tchad au temps de M. Habré .....................................................13.................
II. Les procédures contre M. Habré au Sénégal..........................................15........
III. L'instance judiciaire introduite contre M. Habré en Belgique ....................... 17
IV. Les efforts de la Belgique en vue d'encourager et d'aider le Sénégalà
remplir son obligation de poursuivre ou d'extrader ........................................ 21
V. La saisine de l'Union africaine et les développements ultérieurs ................... 35
A. Le renvoi de l'affaire H. Habréà l'Union africaine ....................................... 36
B. Les efforts de l'Union africaine et de l'Union européenne pour aider le
Sénégalà organiser des poursuites ...........................................40....................
VI. Résumédes faits .................................................................455....
.........................
CHAPITREII LES PROCEDURESDEVANTLE COMITE CONTRELA TORTURE,LA
COURAFRICAINEDESDROITSDEL'HOMMEETDESPEUPLESETLA
COURDEJUSTICEDELACOMMUNAUTE ECONOMIQUE DESÉTATS
DEL'AFRIQUEDEL'OUEST(CEDEAO) ............................................49..
I. Comité contre la torture .........................................................49.............
.............
II. Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ....................................... 52
III. Cour de Justice de la Communauté économique des États de l'Afrique
de l'Ouest (CEDEAO) ..............................................................52........
.................
3CHAPITRE III LA COMPETENCE DE LA COUR ..................................................55...........
I. La compétence en vertu de l'article 30 de la Convention contre la
torture ........................................................................
........................................... 56
A. L'existence d'un différend........................................................57..............
.....
B. Le différend n'a pas pu êtreréglépar la négociation..................................... 60
C. La demande d'arbitrage ...........................................................62...........
..........
D. Les Parties n'ont pas pu s'entendre sur l'organisation d'un arbitrage
dans les six mois...............................................................64.......
.....................
II. La compétence en vertu des déclarations d'acceptation de la juridiction
obligatoire ........................................................................
.....................................
A. L'existence d'un différendjuridique .............................................................. 66
B. L'inapplicabilité de la limite ratione temporis............................................... 67
C. L'absence d'autres moyens de règlement ...................................................... 68
D. Le conflit n'entre pas dans la compétence exclusive du Sénégal.................. 68
CHAPITRE IV LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL IMPUTABLES AU
SENEGAL ...................................................................69...
.........................
I. Les violations de la Convention contre la torture ............................................ 69
A. Les obligations découlantde la Convention contre la torture ........................ 69
1. La Convention contre la torture .............................................................. 69
2. L'obligation de poursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare)
établiepar la Convention contre la torture .............................................. 72
a) L'obligation d'établirune compétenceuniverselle........................74
b) L 'obligationde poursuivre ou d'extrader........................................ 77
B. Le Sénégalne s'est pas acquitté de ses obligations en vertu de la
Convention contre la torture ........................................................................
...
1. Le Sénégaln'a pas adopté les mesures nécessaires prescrites par
l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture ................... 81
4 2. Le Sénégala manquéà son obligation de poursuivre ou d'extrader
découlantde l'article 7 de la Convention contre la torture ..................... 85
a) Le Sénégala manqué à son obligation de poursuivre ou
d'extrader M. Habrévers la Belgique ............................................. 85
b) La saisine de l'Union africaine ne constitue pas une
alternative au respect des obligations conventionnelles du
Sénéga.l.......................................................................
..................... 88
c) Le Sénégaln'a toujours ni ouvert d'enquêtepréliminaire ni
soumis l'affaire H. Habré aux autorités compétentes pour
l'exercice de l'action pénale............................................................ 90
II. Les violations d'autres règles du droit international conventionnel et
coutumier ........................................................................
.92..................................
A. Obligations conventionnelles et coutumières de répression des autres
crimes imputésà M. Habré........................................................................
.... 93
1. Les crimes contre l'humanité.................................................................. 93
2. Les crimes de guerre ........................................................................
....... 99
3. Le crime de génocide........................................................................
.... 100
B. Les modalitésde l'obligation de répression................................................. 105
C. Fondement juridique des compétences que le Sénégaldoit exercer à
l'égarddes crimes imputésà M. Habré........................................................ 108
CHAPITRE V LA RESPONSABILITE DU SENEGAL ET LES REMEDES ........................... 113
1. Des «difficultés» d'ordre financier, juridique ou autre ne peuvent pas
délier le Sénégalde ses obligations ou excuser leur violation ........................ 113
II. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégal................ 117
III. Le contenu de la responsabilité du Sénégal..................................................... 119
CONCLUSIONS ........................................................................
123....................................
5 INTRODUCTION
1. L'objectif recherchépar la Belgique dans la présenteinstance
0.01. Le Royaume de Belgique (ci-après la «Belgique») souhaite souligner que
l'introduction de la présente instance ne constitue en aucune manière un acte inamical à
l'encontre de la République du Sénégal(ci-après le «Sénégal»), pays avec lequel il
entretient depuis longtemps des relations excellentes. L'objectif de la Belgique est de faire
respecter le principe fondamental, reconnu tant par le Sénégalque par la Belgique, et
endossé par l'Union africaine, selon lequel les auteurs de crimes graves du droit
international, y compris les crimes de torture, les crimes de génocide, les crimes contre
l'humanité et les crimes de guerre, ne doivent pas rester impunis. A cette fin, le respect
scrupuleux des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (ci-après la «Convention contre la
1
torture ») et d'autres règles du droit international conventionnel ou coutumier relatives à
l'obligation aut dedere aut judicare est essentiel. C'est dans cet esprit, et dans l'espoir
qu'elle contribuera à une solution satisfaisante pour les deux parties, que la présente
instance a étéintroduite par la Belgique.
II. La procédure
0.02. Par requête datée du 16 février2009 et déposée au Greffe de la Cour
le 19 février2009, le Royaume de Belgique (ci-après la «Belgique») a introduit une
instance contre la République du Sénégal(ci-après le «Sénégal») dans le cadre d'un
différend concernant l'interprétation et l'application de la Convention contre la torture,
ainsi que l'application d'autres obligations coutumières et conventionnelles de répression
d'autres crimes graves de droit international. En effet, depuis fin 2000, des procédures ont
étéouvertes en Belgique afin que M. Habré, ancien président du Tchad, qui se trouve
actuellement au Sénégal,soit traduit en justice pour répondredes faits qui lui sont imputés
et qui peuvent êtrequalifiés, notamment, de crimes de torture et d'autres crimes graves de
1Nations Unies, Recueil des traités(RTNU), vol.p.123 (l-24841) (annexe A.1).
7droit international. Depuis 2005, la Belgique demande au Sénégalde juger M. Habré à
défautde l'extrader. A ce jour, le Sénégaln'a pas réponduconcrètement à ces demandes
de la Belgique.
0.03. La Belgique considère que le Sénégalest obligéde poursuivre pénalement M.
Habrépour des crimes de torture et d'autres crimes graves de droit international qui lui
sont imputésen tant qu'auteur, coauteur ou complice ou, à défautde poursuivre M. Habré,
de l'extrader vers la Belgique pour qu'il répondede ces crimes devant la justice belge.
0.04. La compétencede la Cour est fondéesur l'article 30 de la Convention contre la
torture et sur les déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faites
par la Belgique et par le Sénégalconformémentà l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la
Cour 2.
0.05. Le 19 février2009, après av01r déposéson acte introductif d'instance, la
Belgique a également présentéune demande en indication de mesures conservatoires
conformément aux articles 41 du Statut de la Cour et 73 à 75 de son Règlement. La
Belgique, inquiète des propos de M. A. Wade, président du Sénégal,selon lesquels le
Sénégalpourrait mettre fin à la mise en résidencesurveilléede M. Habrés'il ne trouve pas
le budget qu'il estime nécessaireà l'organisation de son procès, a déposéune demande en
indication de mesures conservatoires. Dans cette demande, la Belgique a prié la Cour
d'indiquer, en attendant qu'elle rende un arrêtdéfinitifsur le fond, que le Sénégalprenne
toutes les mesures en son pouvoir pour que M. Habré reste sous le contrôle et la
3
surveillance des autoritéssénégalaises .
0.06. Lors des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires,
tenues les 6, 7 et 8 avril 2009, le Sénégal,en réponseà une question poséepar un membre
de la Cour, a assuré qu'il ne permettait pas de laisser M. Habré quitter le territoire
sénégalais. Ces assurances données à la Cour ont étéexposées comme suit aux
paragraphes 38 et 68 de l'ordonnance:
2Annexe A.2.
3
Demande en indication de mesures conservatoirep.2. Annexe C.S.
8 « 38. Considérant qu'en réponse à la question posée par un membre de la Cour à
l'audience, viséeau paragraphe 33 ci-dessus, le Sénégala déclarésolennellement qu'il
ne /ermett.ait pas à M4 Habré de quitter son territoire pendant toute la durée de la
presente mstance » , et
« 68.... que le coagent du Sénégal,au terme de l'audience, a solennellement déclaré,
en réponse à une question poséepar un membre de la Cour, ce qui suit :
'Le Sénégalne permettra pas à M. Habré de quitter le Sénégalaussi longtemps
que la présente affaire sera pendante devant la Cour. Le Sénégal n'a pas
l'intention de permettre à M. Habré de quitter le territoire alors que cette affaire
est pendante devant la Cour.' » 5
Dans son ordonnance, la Cour a également rappeléqu'
«en réponse à une question posée par un membre de la Cour à l'audience, la
Belgique a indiqué qu'une déclaration solennelle prononcée devant la Cour par
l'agent du Sénégalau nom de son gouvernement pourrait suffire à la Belgique
pour considérer que sa demande en indication de mesures conservatoires n'aurait
plus d'objet, si ladite déclaration était claire et sans condition, et qu'elle
garantissait que toutes les mesures nécessaires seraient prises par le Sénégalpour
que M. Habré ne quitte pas le territoire sénégalaistant que la Cour n'aurait pas
6
rendu sa décisiondéfinitive ... » .
0.07. En raison des assurances précitéesdonnées solennellement devant la Cour par
le Sénégal,la Cour, dans une ordonnance rendue le 28 mai 2009, «prenant acte [de ces]
assurances données par le Sénégal,[a constaté] que le risque de préjudice irréparable aux
droits revendiqués par la Belgique n'[était] pas apparent à la date à laquelle la présente
7
ordonnance est rendue » et a jugé que les circonstances, telles qu'elles se présentaient
alors à la Cour, n'étaient pas de nature à exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des
mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut 8.La Cour a néanmoins notéque
son ordonnance «laisse également intact le droit de la Belgique de présenter à l'avenir une
4
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 38.
5
Ibid., par. 68. Cette assurance a étédonnée en anglais : «Senegal will not allow Mr. Habré to leave
Senegal while the present case is pending before the Court. Senegal has not the intention to allow Mr.
Habré to leave the territory while the present case is pending before the Court » (CR 2009/ll,
7 avril2009, p. 23, par. 6).
6Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 33.
7Ibid., par. 73.
8Ibid., par. 76
9nouvelle demande en indication de mesures conservatoires fondée sur des faits nouveaux,
en vertu du paragraphe 3 de l'article 75 du Règlement »9.
0.08. Le 9 juillet 2009, la Cour, après avmr consulté les parties, a pns une
ordonnance autorisant la présentation d'un mémoire de la Belgique, au 9 juillet 2010, et
d'un contre-mémoire du Sénégal,au 11juillet 2011 10.Le présent mémoire est présentéen
application de cette ordonnance.
0.09. Par une lettre datée du mêmejour, le Greffier de la Cour a sollicité de la
Belgique et du Sénégalqu'ils communiquent dans les meilleurs délais à la Cour un
document récapitulant de manière détaillée les informations dont elles disposent sur
certains élémentsnouveaux intervenus depuis que la Cour a rendu son ordonnance sur la
demande en indication de mesures conservatoires et relatifs :
aux diverses mesures prises par le Sénégalpour assurer la tenue du procès de M.
Habréaussitôt que possible ;
aux échanges diplomatiques entre les parties tendant à faciliter une coopération
entre elles aux fins dudit procès ;
aux démarches engagéespar le Sénégalauprès de l'Union africaine et de l'Union
européenne pour permettre le financement de celui-ci
0.10. La Belgique a répondu à la demande d'informations formulée par la Cour par
courrier du 16 juillet 2009, communiquée au Greffe par voie diplomatique le 28 juillet
2009.
0.11. Par une lettre datéedu 15juin 2010, le Sénégala transmis à la Cour une «Note
sur les dernières évolutions intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès de
M. Hissène HABRE, depuis le prononcé de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la requête
9
Ibid., par75.
10
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal),ordonnance du 9
juillet009.
10belge en indication de mesures conservatoires» (ci-après la «Note sur les dernières
evo ut10ns » accompagnee / d e p us1eurs annexes .11
III. La structure du mémoire
0.12. Le présentmémoire est diviséen cinq chapitres.
0.13. Le chapitre I présente les élémentsfactuels qm sont à l'origine du présent
différend. Il résume
la situation au Tchad sous la présidence de M. Habréqui, bien qu'elle ne constitue
pas le cŒur du différend qui oppose la Belgique au Sénégal,est néanmoins
importante en ce qu'elle constitue la base des procédures pénales engagées au
Sénégalet en Belgique à l'encontre de l'ancien président du Tchad;
les efforts faits par la Belgique afin de persuader et d'aider le Sénégalà s'acquitter
de son obligation de poursuivre M. Habré ou, à défaut, de l'extrader; ces efforts
ont mis en exergue le différend entre les deux États ; et
la sa1sme de 1'Union africaine et les développements qm ont eu lieu depuis
l'intervention de l'Union dans l'affaire H. Habré.
0.14. Le chapitre II récapitule, d'une part, les décisions concernant l'affaire H.
Habré rendues par le Comité contre la torture et, d'autre part, celles rendues par la Cour
africaine des droits de l'homme et des peuples et par la Cour de Justice de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest.
0.15. Au chapitre III, la Belgique démontre que la Cour a compétence pour
connaître du présent différend. Cette compétence se fonde sur l'article 30 de la Convention
contre la torture et sur les déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour
faites par la Belgique et par le Sénégalconformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut
de la Cour.
11 Note sur les dernières évolutionsintervenues dans la préparation,par le Sénégal,du procès de M. Hissène
Habrédepuis le prononcéde l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la requêtebelge en indication de mesures
conservatoires (15 juin 2010) Annexe D.9
11 0.16. Le chapitre IV démontre qu'en ne poursuivant pas et en n'extradant pas M.
Habré,le Sénégala violéet viole toujours les obligations qui sont les siennes découlantet
de la Convention contre la torture, d'une part, et des règles du droit international
conventionnel et coutumier, d'autre part. Le Sénégala notamment violéles obligations de
l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture. Il a également violéet viole
toujours son obligation de poursuivre ou d'extrader prévuepar l'article 7, paragraphe 1, de
ladite Convention et l'obligation connexe contenue dans l'article 6, paragraphe 2. En outre,
le Sénégalne s'est pas conforméà l'obligation imposéeaux États par le droit international
de lutter contre l'impunité à l'égardde personnes qui se trouvent sur leur territoire et qui
sont soupçonnéesd'avoir commis des crimes graves de droit international.
0.17. Au chapitre V, la Belgique démontre que, par ces violations du droit
international, le Sénégala engagé sa responsabilité internationale. Cette responsabilité
n'est, ni exclue, ni altéréepar les difficultés d'ordre financier, juridique ou autres
auxquelles le Sénégalest confrontédans l'organisation du procès de M. Habré.Le Sénégal
est, dès lors, obligé de mettre fin à ses manquements et doit exécuter ses obligations
internationales. En particulier, il doit soumettre l'affaire H. Habré à ses autorités
compétentes pour l'exercice de l'action pénale, ou, à défaut de poursuivre M. Habré,
l'extrader vers la Belgique.
0.18. Enfin, la Belgique présenteses conclusions.
12 CHAPITRE!
LES FAITS
1. Le Tchad au temps de M. Habré 12
1.01. Le Tchad, ancienne colonie française qui faisait partie de l'Afrique équatoriale
française, a accédéà l'indépendance en 1960 sous la présidencede François Tombalbaye,
originaire du sud du pays. A partir de 1968, les régionsde l'est et du nord du Tchad entrent
en rébellioncontre un gouvernement considérécomme trop proche des populations du sud.
F. Tombalbaye sollicite l'aide de la France pour faire face à l'insurrection. En 1975, F.
Tombalbaye est assassiné à la suite d'un coup d'État fomenté par le généralFélix
Malloum, qui prend le pouvoir.
1.02. M. Hissène Habré,membre de l'ethnie Toubou (implantée au Tibesti dans le
nord du Tchad), devient premier ministre du Tchad en août 1978. Il était, avec M.
Goukouni Oueddei, un des leaders du FROLINAT (Front de libération nationale du
Tchad), un mouvement armé crééau Soudan pour lutter contre le régime jugé trop
favorable aux populations du sud.
1.03. Le mandat de premier ministre de M. Habré prend fin lorsque le généralF.
Malloum doit quitter la présidence du Tchad en 1979 et céderla place à M. Oueddei qui,
comme M. Habré,vient du Tibesti. M. Oueddei forme un gouvernement d'uniténationale
et de transition (GUNT), dont M. Habréest ministre d'Etat à la Défense.
1.04. Les relations entre M. Oueddei et M. Habré s'apparentent toutefois à des
relations de rivalité car tous deux s'affirment comme leaders du FROLINAT et des
rebelles toubous.
1.05. Dès 1980, des unitésdu FROLINAT ayant pris le nom de Forces Arméesdu
Nord (FAN) et dirigées par M. Habré entrent en guerre contre les forces armées
populaires (FAP) de M. Oueddei. Les FAP l'emportent et M. Habrédoit se réfugierà l'est
12
Les informations contenues dans cette section proviennent, sauf information contraire, des Keesing 's
Contemporary Archives,979-1982, et du Rapport de la Commission d'enquêtenationale du ministère
tchadien de la JusticeLes crimes et détournements de l'ex-Président Habréet de ses complices, Paris,
L'Harmattan, 1993.
13du Tchad, à la frontière du Soudan. Les forces armées libyennes qui avaient soutenu le
GUNT se retirent en novembre 1981, et ne se maintiennent qu'au nord, dans la bande
d'Aozou. Entre-temps, les FAN, regroupées et réarmées,reprennent le contrôle de parties
orientales et centrales du Tchad. Le 7 juin 1982, les FAN entrent à N'Djamena où les FAP
n'opposent guère de résistance. M. Oueddei quitte le Tchad et M. Habré en devient le
nouveau président.
1.06. Le 19juin 1982, M. Habré supprime le poste de premier ministre. Plusieurs
opposants politiques sont exécutés. M. Habré transforme les FAN en Force armées
nationales du Tchad (FANT) et créeune police politique : la Direction de la documentation
et de la sécurité(DDS).
1.07. En 1983, M. Habré appelle la France pour combattre les forces libyennes
revenues au Tchad. En 1987, les forces tchadiennes réussissent à repousser les forces
libyennes hors du pays, sauf de la bande d'Aozou dont les forces libyennes ne se retireront
13
qu'en 1994 à la suite de l'arrêtrendu par la Cour, le 3 février1994 .
1.08. M. Habréreste au pouvoir jusqu'en 1990. Un nouveau mouvement rebelle(« le
Mouvement patriotique du salut»- MPS) crééau Soudan par un ancien conseiller de M.
Habrépour la défense et à la sécurité,M. Idriss Deby, chasse M. Habrédu pouvoir. ll se
réfugieau Sénégal.M. Deby est toujours présidentdu Tchad.
1.09. Durant la présidence de M. Habré,des violations multiples des droits humains
commises au Tchad ont été dénoncée:s arrestations d'opposants politiques réels ou
présumés, détentions sans jugement, conditions inhumaines de détention, mauvais
14
traitements, tortures, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées .
1.10. Selon un bilan publié, en 1993, par la Commission d'enquête nationale du
ministère tchadien de la Justice, la présidence de M. Habré aurait fait des dizaines de
milliers de victimes. La Commission cite les chiffres suivants :
13
Différendterritorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt,C.I.J. Recueip.6.94,
14
Voir les rapports annuels d'Amnesty International, éd. françaises d'Al. entre 1983 et 1990: Rapport
1983, pp. 116-117; Rapport 1984, pp. 124-128; Rapport 1985, pp. 132-135; Rapport 1986, pp. 111-
114; Rapport 1987, pp. 83-84; Rapport 1988, pp. 98-100; Rapport 1989, pp. 97-99.
14 «- plus de 40 000 victimes ;
plus de 80 000 orphelins ;
plus de 30 000 veuves ;
plus de 200 150 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien
moral et matériel » .
II. Les procédurescontre M. Habréau Sénégal
1.11. Le 25 janvier 2000, sept ressortissants tchadiens résidant au Tchad ams1 que
l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP)
16
déposent plainte contre M. Habré et se constituent parties civiles entre les mains du
Doyen des Juges d'instruction près le Tribunal Régional hors classe de Dakar 17.
1.12. Le 3 février2000, le juge d'instruction inculpe M. Habré de complicité «de
18
crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie » . Quelques semaines plus
tard, le ministère public, qui soutenait les poursuites contre M. Habré 19, revient sur sa
position et appuie la requêteen annulation des poursuites introduite par M. Habrédevant la
20
chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar . En outre, le Conseil supérieur de la
21
Magistrature mute le juge d'instruction, ce qui entraîne son dessaisissement du dossier .
1.13. Le 4 juillet 2000, la chambre d'accusation annule les poursuites parce que
celles-ci concernent des crimes commis par un étranger à 1'étrangercontre des étrangers, et
15
Rapport de la Commission d'enquêtenationale du ministère tchadien de la Justice sur Les crimes et
détournements de l'ex-Président Habréet de ses complices, op. cit. (note 12), p. 97.
16
La constitution de partie civile, en droit romano-germanique, est le fait pour une personne qui se prétend
léséepar un crime ou un délit deporter plainte auprès du juge d'instruction à propos de ce crime ou de ce
délit et de provoquer ainsi le déclenchement de l'action publique si celle-ci n'a pas encore étémise en
mouvement ; la partie civile peut participer à la procédure en faisant valoir son point de vue et en
demandant, éventuellement, que le juge de la cause lui accorde des réparationspour le dommage résultant
du crime ou du délit.
17 Annexe D.l.
18 Annexe D.2.
19 Cf. Le Soleil, 29-30 janv. 2000, annexe G.l ; Sud Quotidien, 4 févr.2000, annexe G.2.
20 Walfadjiri, 17 mai 2000, annexe G.3.
21
Ibid., 4 juillet 2000, annexe G.4; Sud Quotidien, n° 2173, 4 juillet 2000, annexe G.5.
15qu'il s'agirait d'exercer une compétenceuniverselle alors que le code de procédurepénale
22
du Sénégalne prévoitpas ce type de compétence(article 669) .
1.14. A la suite de ce non-lieu, deux rapporteurs spéciaux de la Commission des
droits de l'homme des Nations Unies- M. Dato Param Cumaraswamy, Rapporteur spécial
sur l'indépendancedes juges et des avocats, et Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécialsur la
23
torture -font part au Sénégalde leur «préoccupation» quant aux «circonstances » qui
ont entouré cette décision. Dans un communiqué de presse du 2 août 2000, « [l]es
Rapporteurs spéciaux rappellent au Gouvernement du Sénégalses obligations en tant
qu'État partie à la Convention contre la torture [... ] », et
« [i]ls attirent également son attention sur la résolution adoptée cette année par la
Commission des droits de l'homme sur la question de la torture (résolution 2000/43),
dans laquelle elle insiste sur l'obligation généraledes États d'enquêter sur les
allégationsde torture et d'assurer que ceux qui encouragent, ordonnent, tolèrent ou se
rendent coupables de tels actes soient poursuivis et sévèrementsanctionnés.» 24
1.15. Les parties plaignantes ayant saisi la Cour de Cassation, celle-ci rejette leur
25
pourvoi et confirme l'arrêtd'annulation de la chambre d'accusation, le 20 mars 2001 .
1.16. En avril 2001, le président Wade déclarepubliquement qu'il donne un mois à
M. Habrépour quitter le Sénégae 6.
1.17. Le 27 septembre 2001, à la suite de demandes émanant de la Haute
Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Mary Robinson, et du
Secrétairegénéraldes Nations Unies, M. Kofi Annan, le présidentWade déclarequ'il est
prêtà garder M. Habré au Sénégaljusqu'à ce qu'un pays - le président Wade cite la
Belgique- accepte« d'organiser un procès équitable» 27.
22Annexe D.3.
23Nations Unies, communiqué de presse du 2 août 2000.
24Ibid.
25Annexe D.4.
26
Human Rights Watch, Tchad: Les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice, juillet 2004,
vol. 17, no lO(A), p. 22, http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/chad0705fO.pdf; Le témoin, no
553, 27 mars- 2 avril2001, annexe G.6. ; Le Soleil, 9 avril2001, annexe G.7.
27Ibid.
16 1.18. Le 16 septembre 2008, à la suite des modifications constitutionnelles et
28
législatives intervenues en 2007 , 14 personnes (comprenant un citoyen sénégalais
résidant à Dakar, onze citoyens tchadiens résidant au Tchad, deux citoyens tchadiens
résidant l'un en France, l'autre aux États-Unis d'Amérique) déposent plainte contre M.
Habrépour crimes contre l'humanité, actes de torture et complicité dans ces crimes. La
29
plainte est adressée au Procureur généralprès la Cour d'appel de Dakar . A ce jour (fin
juin 2010), elle n'a reçu aucune suite.
III. L'instance judiciaire introduite contre M. Habréen Belgique
1.19. Les débuts de l'instance judiciaire introduite contre M. Habré en Belgique
remontent au 30 novembre 2000, date à laquelle un citoyen belge d'origine tchadienne
déposeplainte et se constitue partie civile contre M. Habrédevant un juge d'instruction
belge ; deux autres Belges d'origine tchadienne font la mêmedémarche, le 12 avril et
le 3 mai 2001 ; dix citoyens tchadiens résidant au Tchad déposent également plainte,
le 24 avril2001 30.
1.20. Ces plaintes sont fondéessur des crimes viséspar la loi belge du 16 juin 1993
relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, modifiée
31
par la loi du 10 février 1999 (ci-aprèsla «loi de 199311999»), et sur des crimes de
32
torture viséspar la Convention de 1984 .
1.21. A la suite de ces plaintes, le juge d'instruction constate que les faits dénoncés
peuvent êtrequalifiésde «crimes contre l'humanité» au regard de la loi de 1993 précitée
et il adresse, le 19 septembre 2001, deux commissions rogatoires internationales, l'une au
Sénégal,l'autre au Tchad.
28
Voir par. 1.46 ci-dessous.
29
Annexe D.5.
30 Annexe C.l.
31 Cette loi a étémodifiéeultérieurement, notamment par la loi du 5 août 2003, sans que ces modifications
n'affectent l'affaire H. Habrédevant les juridictions belges.
32 Voir Mandat d'arrêtinternational par défaut,19 septembre 2005, pp. 19 ss. et 30 ss. (annexe C.l.).
17 1.22. La première est adressée aux autorités sénégalaisesaux fins d'obtenir copie du
dossier de la procédure instruite par le juge d'instruction sénégalais saisi de plaintes
33 34
analogues ;elle est transmise par note verbale datéedu 10 octobre 2001 .
1.23. Le 22 novembre 2001, les autorités sénégalaisesenvoient à la Belgique, un
dossier de pièces et documents relatifs à la procédure au Sénégaldans l'affaire H. Habré.
1.24. En ce qui concerne la deuxième commission rogatoire - celle adressée aux
autoritéstchadiennes -, elle poursuit les fins suivantes :
auditionner les plaignants tchadiens, les membres de la Commission d'enquêtesur
les crimes imputésà M. Habréet divers témoins;
- obtenir copie des pièces et documents de la Commission d'enquête;
- visiter les sites désignéspar les plaignants et la Commission d'enquête;
transférer en Belgique les pièces et documents utiles à l'enquêteet découverts lors
de la commission rogatoire ;
autoriser la présence au cours de la mission de représentants belges du parquet, du
greffe du tribunal de première instance de Bruxelles et d'enquêteursde la police
35
fédéralebelge .
Cette commission rogatoire est exécutéeau Tchad par le juge d'instruction belge
36
du 26 févrierau 8 mars 2002 .
1.25. Le 27 mars 2002, le juge d'instruction belge demande au ministre de la Justice
du Tchad si M. Habré bénéficie d'une immunité de juridiction consécutive à son statut
d'ex-chef de l'État 37 •Le 7 octobre 2002, le ministre de la Justice du Tchad répond que la
33
Annexe C.2.
34
Annexe B .1.
35
Annexe C.3.
36Mandat d'arrêtinternational par défaut,19 septembre 2005, p. 14 (annexe C.l.).
37Annexe C.4.
18Conférence nationale souverame tenue à N'Djaména du 15janvier au 7 avril1993 a
«officiellement levétoute immunitéde juridiction à Monsieur HISSEIN HABRÉ » 38.
1.26. Entre 2002 et 2005, divers devoirs d'instruction sont exécutésen Belgique,
dont notamment, l'audition de parties plaignantes, de témoins et l'analyse de très
nombreuses pièces transmises par les autoritéstchadiennes en exécutionde la commission
rogatoire précitée.L'ensemble de ces pièces occupent quelque 27 classeurs de documents
qui constituent le dossier judiciaire belge.
1.27. Le 23 février2003, le président Wade confirme que toute demande
d'extradition peut êtreintroduite auprès de la justice sénégalaiseet que, si cela ne tenait
qu'à lui, il accorderait cette extradition, mais qu'il n'avait toujours pas reçu une telle
39
demande .
1.28. Le 19 septembre 2005, le juge d'instruction belge décerne un mandat d'arrêt
international par défautà l'encontre de M. Habré,« comme auteur ou coauteur» de crimes
de droit international humanitaire. Le mandat est transmis par Interpol (notice rouge) au
40
Sénégal; conformément aux pratiques en vigueur à Interpol (dont la Belgique et le
Sénégal sont membres depuis, respectivement, le 7 septembre 1923 et
le 4 septembre 1961), cette notice vaut demande d'arrestation provisoire en vue de
1'extradition41.
1.29. Le mandat expose notamment l'identité des plaignants, le contenu de leurs
42
plaintes et le fondement des compétences du juge belge; en ce qui concerne ces
dernières, le mandat préciseque :
ratione materiae, les faits sont constitutifs de violations graves du droit
international humanitaire et le juge belge est compétentpour en connaître en vertu
de la loi de 199311999; en outre, la réalitédes faits dénoncéspar les plaignants
38
Annexe C.5.
39Le Soleil (Sénégal),24 février2003 (annexe G.S).
40http://www.interpol.int/Public/ICPO/LegalMaterials/FactSheets13fr.asp.
41
Annexe C.6.
42
Annexe C.l., pp. l-9.
19 trouve confirmation dans le rapport précité de la Commission d'enquête du
ministère tchadien de la Justice publié en 1993 43 ; enfin, l'incrimination des
violations graves du droit international humanitaire dans le droit interne belge en
1993 et 1999 ne viole pas le principe de non-rétroactivité des lois pénales car il
s'agit d'incriminations prévuespar le droit international au moment où les faits en
0
cause ont ete commis 44 ;
ratione loci, la loi de 199311999 confère au Juge belge une compétence
universelle pour connaître des violations graves du droit international
humanitaire ; la loi du 5 août 2003 qui a limitéla portéede cette compétence telle
qu'elle étaitinitialement prévuedans la loi de 1993/1999 n'y fait pas obstacle, car
la loi de 2003 prévoit que les instructions commencées avant l'entrée en vigueur
de cette loi peuvent se poursuivre si elles résultent de plaintes déposéespar des
45
Belges ;
ratione personae, le juge reste compétent à l'égardde M. Habrédans la mesure où
celui-ci ne bénéficiepas d'immunité depuis qu'il n'est plus président du Tchad, et
que le Tchad lui-mêmea levé,pour autant que de besoin, les immunités dont M.
46
Habrépourrait souhaiter se prévaloir ;
ratione temporis, les faits instruits ont eu lieu pendant que M. Habré était
président du Tchad, entre 1982 et 1990, mais ils ne sont pas prescrits car il s'agit
de crimes de droit international humanitaire et que ceux-ci sont imprescriptibles
47
en vertu du droit international tel qu'intégréen droit interne belge •
1.30. Enfin, le mandat constate qu'il existe de nombreux indices tendant à confirmer
la réalitédes faits exposés dans les plaintes et justifiant que le juge d'instruction y donne
48
suite .
43 Ibid.,pp. 10-12.
44 Ibid.,pp. 20-26.
45
Ibid.,pp. 13-14.
46
Ibid.,pp. 15-16.
47
Ibid.,pp. 17-18.
48
Ibid.,p. 28.
20 1.31. Dans ces conditions, si l'intéressérestait en liberté, le mandat expose qu'il
risque d'entraver le bon déroulement de l'instruction et de faire disparaître des preuves. Le
mandat requiert donc l'arrestation de M. Habré 49.
1.32. M. Habré continuant à résider au Sénégal,les autres élémentsde procédure
relatifs à M. Habréconcernent les demandes d'extradition ou de poursuite adressées par la
Belgique au Sénégal,demandes qui sont à l'origine du présent différend entre les deux
États 50.
IV. Les efforts de la Belgique en vue d'encourager et d'aider le Sénégal à remplir
son obligation de poursuivre ou d'extrader
1.33. Le présent différend trouve son origine dans l'inexécution, par les autorités
sénégalaises,de l'extradition demandée par la Belgique bien que, en vertu des obligations
internationales qui sont les siennes, le Sénégalest obligé d'extrader M. Habréà défaut de
le juger au Sénégal.Les réponses données par le Sénégalaux notes verbales et demandes
belges et l'absence de toute mesure concrète afin de soumettre l'affaire H. Habré devant
les autoritésjudiciaires compétentes démontrent qu'il n'a pas honoré, et n'honore toujours
pas ses obligations internationales de poursuivre, ou à défaut,d'extrader M. Habrévers un
État qui en a expriméla demande.
1.34. Le 22 septembre 2005, la Belgique transmet au Sénégal une note verbale
contenant le mandat d'arrêtinternational par défautdécernépar le juge d'instruction belge
à l'encontre de M. Habré du chef de crimes de torture, crimes de génocide, crimes de
guerre, meurtres, coups et blessures volontaires 51.
Le Sénégalne répondpas.
1.35. Deux mois plus tard, le 16 novembre 2005, la Belgique informe le Sénégalque
des membres du parquet fédéralpourraient se rendre à Dakar
49Ibid.
50Voir pars. 1.34 ss. ci-dessous.
51
Annexe B.2. Voir aussi pars. 1.28-1.32 ci-dessus.
21 «pour fournir des informations complémentaires au sujet de la demande d'extradition
de Hissène Habrési les autorités sénégalaisesen exprimaient le souhait » 52.
Elle ajoute qu'elle serait reconnaissante d'obtenir une réponse des autorités
3 54
compétentes pour en informer le Service public fédéral 5 belge compétent .
1.36. Le 25 novembre 2005, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar se
prononce sur la demande d'extradition transmise par note verbale de la Belgique au
Sénégaldatée du 22 septembre 2005 55. Dans son arrêtdu 25 novembre 2005, la chambre
d'accusation constate que l'article 101 de la Constitution et la loi organique sur la Haute
Cour de Justice
« ont institué une procédure spéciale, exorbitante au droit commun pour tout acte de
poursuite à l'encontre du Président de la République »
et
«que dès lors, la Chambre d'accusation, juridiction ordinaire de droit commun, ne
saurait étendre sa compétence aux actes d'instruction et de poursuite engagés contre
un chef d'Etat pour des faits prétendument commis dans l'exercice de ses fonctions ».
Pour la chambre d'accusation, « Hissène Habré doit alors bénéficier de cette
immunité de juridiction» qui «a vocation à survivre à la cessation de fonctions du
Président de la République quelle que soit sa nationalité et en dehors de toute Convention
d'entraide»; la chambre conclut qu'elle est incompétente« pour connaître de la régularité
56
d'actes de poursuite et de validité de mandat d'arrêts'appliquant au chef d'Etat » . L'arrêt
se termine par une phrase sibylline invitant« le Ministère public à mieux se pourvoir » 57•
1.37. Le 30 novembre 2005, la Belgique, ayant pns connaissance de l'arrêt
du 25 novembre, prie le Sénégal,par note verbale, de répondre aux questions suivantes :
52
Annexe B.3.
53
La dénomination officielle de «ministère » en Belgique est« Service public fédéral»(SPF)
54
Annexe B.3.
55Annexe B.2. Voir également annexe C.7.
56Ibid.
57Ibid.
22 « quelles sont les implications de cette décision judiciaire » sur la demande
d'extradition de la Belgique?
- désormais, « quelle est la phase actuelle de la procédure ? »
le Sénégalpeut-il répondre officiellement «à la demande d'extradition» et
apporter « des éclaircissements sur la position du gouvernement sénégalaisà la
58
suite de cette décision » ?
59
1.38. Par note verbale du 7 décembre 2005 , le Sénégaltransmet à la Belgique un
communiqué du ministère sénégalais des Affaires étrangères «sur l'affaire Hissen
60
HABRE » . Ce communiqué évoque la demande d'extradition de la Belgique, l'arrêt
précité rendu par la chambre d'accusation, le 25 novembre 2005, à propos de cette
demande 61 et le renvoi de l'affaire à l'Union africaine. La note verbale préciseque
le Sénégalaccueille M. Habré «sans jamais chercher à le soustraire d'une action
de justice » ;
ainsi, il reste fidèle « à ses valeurs traditionnelles d'hospitalité », mms il reste
aussi attaché « aux principes de justice et démocratie » ;
- «par ailleurs », il a saisi le Sommet de l'Union africaine de cette question, ce qui
« préfigure une gestion concertée à l'échelle africaine de questions relevant à
priori de la souveraineté nationale des Etats »,
- contribue« à l'intégration politique du continent»,
- consolide «la Justice et l'Etat de droit en Afrique», et
58
Annexe B.4.
59Annexe B.5.
60Ibid.
61
Voir par. 1.36 ci-dessus.
23 0 0 d ' 1 d b 62
- mc1teau « respect es reg es e anne gouvernance » .
1.39. Le 23 décembre2005, le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalrépond
aux notes verbales envoyées par la Belgique en novembre 2005 à propos de l'affaire H.
Habré.Le ministère rappelle l'arrêtrendu par la chambre d'accusation de la Cour d'appel
de Dakar et préciseque «la décision» de soumettre l'affaire H. Habréà la Conférencedes
Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine «traduit la position du
63
Gouvernement sénégalaissuite à l'arrêtde la Chambre d'Accusation » .
1.40. Par note verbale du 11 janvier 2006 envoyée au ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégal,l'ambassade de Belgique à Dakar observe que la Convention contre
la torture, et plus particulièrement l'obligation aut dedere aut judicare, ne crée des
obligations que dans le chef des États parties, c'est-à-dire, dans le cadre de la demande
d'extradition de M. Habré, dans le chef du Sénégal; très concrètement, l'ambassade
souhaiterait connaître la «décision finale» du Sénégal«quant à l'accord ou au refus de
donner suite à la demande d'extradition» de M. Habrë 4.
Le Sénégalne répondpas à cette note verbale.
1.41. Le 9 mars 2006, la Belgique, par la voix de son ambassade à Dakar, rappelle
65
quatre notes verbales antérieures (16 novembre 2005 , 30 novembre 2005,
23 décembre2005, 11 janvier 2006) et demande au ministère des Affaires étrangèresdu
Sénégal
«de bien vouloir lui faire savoir si sa décisionde transmettre l'affaire Hissène Habréà
l'Union africaine doit êtreinterprétéecomme signifiant que les autoritéssénégalaises
n'ont plus l'intention de l'extrader vers la Belgique ni de le faire juger par leurs
66
autoritésjudiciaires compétentes » .
62
Ibid.
63Annexe B.6.
64Annexe B.7.
65Dans la note verbale du 9 mars 2006, il est indiqué par erreur pour cette note verbale la date du ll
novembre 2005.
66Annexe B.S.
24 1.42. Le 4 mai 2006, l'ambassadeur du Sénégalà Bruxelles est convoqué au
67
ministère belge des Affaires étrangères pour un entretien avec le directeur généraldes
Affaires juridiques. A l'occasion de cet entretien, une note verbale lui est remise exprimant
«la préoccupation du gouvernement belge devant l'absence de réactionofficielle des
autoritéssénégalaisesaux demandes répétéed su gouvernement belge, demeurées sans
réponseà ce jour, en vue d'obtenir l'extradition du Sénégalvers la Belgique, de l'ex
Président Hissène Habré recherché pour infractions graves au droit international
humanitaire » 68.
La note verbale du ministère des Affaires étrangères belge ajoute que «l'ex
Président Hissène Habré est réfugié au Sénégal depuis 1990 » et que la requête
d'extradition de la Belgique « a été adressée en septembre 2005 aux autorités
sénégalaises ». Or, malgrédes
«contacts par notes verbales et démarchespersonnelles de l'ambassade de Belgique à
Dakar les 30 novembre 2005, 11janvier 2006 et une nouvelle fois le 10 mars 2006, les
autorités sénégalaisesn'ont pas communiqué au gouvernement belge leur décision
69
d'extrader ou non Hissène Habrévers la Belgique » .
Pour le ministère des Affaires étrangèresbelge,
«la décision de confier le cas Hissène Habré à l'Union Africaine ne peut [... ]
dispenser le Sénégaldes obligations qui lui incombent de juger ou extrader l'auteur
des faits incriminés conformément aux articles pertinents de la Convention contre la
70
torture [... ]» •
Le ministère des Affaires étrangèresbelge se réfèreà ce qu'il avait déjàdit dans sa
note verbale du 9 mars 2006 71, à savoir que
«la Belgique interprète l'article 7 de la Convention sur la Torture comme prévoyant
l'obligation pour l'Etat sur le territoire duquel est trouvé l'auteur présumé de
l'extrader à défautde l'avoir jugé. » 72
67
La dénomination officielle du «ministère des Affaires étrangères» belge est « Service public fédéral
Affaires étrangères» (SPF AE).
68
Annexe B.9.
69
Ibid.
70
Ibid.
71
Voirpar. 1.41 ci-dessus.
72Annexe B.S.
25 Le ministère ajoute :
« Une controverse non résolue au sujet de cette interprétation entraînerait un recours à
la procédure d'arbitrage prévueà l'article 30 de la Convention sur la torture. » 73
Il insiste, vu
«la volonté déjà exprimée par le Sénégalde part1c1per à l'effort de lutte contre
l'impunité des crimes les plus graves tels que ceux reprochés à Monsieur Hissène
Habré[... ] pour que le Sénégalrespecte les obligations découlant de la Convention sur
/ d ' 1 A d ' / b 1 74
1a torture et repon e en ce sens a a requete es autontes e ges. »
1.43. Le Sénégalrépond à cette note verbale par note verbale adressée au ministère
75
des Affaires étrangères belge, le 9 mai 2006 , dans laquelle le Sénégalestime que ses
notes verbales des 7 et 23 décembre 2005 76 répondaient aux questions de la Belgique et
ajoute
- à propos de l'interprétation de l'article 7 de la Convention contre la torture
« qu'en transférant le cas Hissène Habréà l'Union Africaine, le Sénégal,pour
ne pas créer une impasse juridique, se conforme à l'esprit du principe 'aut
dedere aut punire' dont le but essentiel est de s'assurer qu'aucun tortionnaire
ne puisse échapper à la justice en se rendant dans un autre pays » 77;
«[qu'] en portant cette affaire au niveau continental le plus élevé,le Sénégal,tout
en respectant la séparation des pouvoirs et l'indépendance de ses instances
judiciaires, vient ainsi d'ouvrir, à travers toute l'Afrique, de nouvelles
perspectives pour la défense des droits de l'homme et la lutte contre
'. . ' 78
l 1mpumte. »
qu'elle «[prend] acte» de «l'éventualité d'un recours de la Belgique à la
procédure d'arbitrage prévue à l'article 30 de la Convention contre la torture» ;
73
Ibid.
74
Ibid.
75Annexe B.lü.
76Voir pars. 1.38 et 1.39 ci-dessus.
77
Annexe B.lü.
78
Ibid.
26 mais qu'elle réaffirme «l'attachement du Sénégalaux excellentes relations de
coopération existant entre les deux pays et à la lutte contre l'impunité».
1.44. Le 20 juin 2006, la Belgique via son ambassade à Dakar écritau ministère des
Affaires étrangèresdu Sénégalpour rappeler les deux notes verbales belges de novembre
2005 et les trois notes verbales de janvier, mars et mai 2006 ainsi que deux notes verbales
79
du Sénégalde décembre 2005 et une note verbale de mai 2006 .Le Sénégala reconnu que
ces notes s'inscrivaient dans le cadre des négociations, prévues par l'article 30 de la
Convention contre la torture, concernant la demande belge d'extradition de M. Habré. La
Belgique rappelle que sa note du 4 mai 2006 constatait l'existence d'« une controverse non
résolue» sur l'interprétation de l'article 7 de la Convention de 1984 qui devait entraîner
80
l'arbitrage viséà l'article 30 de cette Convention . Le Sénégals'y étaitd'ailleurs référé
« dans sa réponse du 9 mai [... ] tout en rappelant s81 interprétation divergente des
dispositions pertinentes de ladite Convention » .
Selon la Belgique,
«la tentative de négociation entamée avec le Sénégalen novembre 2005 n'a pas
abouti et, conformément à l'article 30 §1er de la Convention Torture, [la Belgique]
demande en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à l'arbitrage suivant
82
des modalités à convenir de commun accord » .
1.45. Le Sénégalne répond pas à cette note verbale du 20 juin 2006 et ne reprend
contact avec la Belgique que le 20 février 2007. A cette date, l'ambassade du Sénégalà
Bruxelles informe le ministère des Affaires étrangèresbelge que le Conseil des ministres
du Sénégala déposéle 9 novembre 2006 deux projets de loi modifiant le code pénalet le
code de procédure pénale sénégalais «pour permettre la poursuite et le jugement de M.
Hissène HABRE au Sénégal »83 ; ces projets « ont étéprogrammés pour adoption par
84
1'Assembléenationale du Sénégaldurant sa séanceplénièredu 2 février 2007 » .En outre,
« le 23 novembre 2006, une Commission nationale chargée de définir les modalités du
79
Annexe B.ll.
80Ibid.
81Ibid.
82
Ibid.
83
Annexe B.12.
84
Ibid.
27procès de M. HABRE a étémise sur pied » ; elle doit « examiner toutes les implications
85
judiciaires, diplomatiques, sécuritaireset financières[ ... ] dudit procès » .L'ambassade du
Sénégalcite une décisiondu Sommet de l'Union africaine qui félicitele Sénégalpour ses
efforts «dans la mise en Œuvre de la décisionprise à Banjul sur la question», l'encourage
«à poursuivre son travail dans l'accomplissement du mandat reçu», et appelle la
communauté internationale à mobiliser « les ressources financières nécessaires» au
procès 86. Le 21 février2007, le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalconfirme les
points qui précèdentet précise que l'Assemblée nationale du Sénégala adoptéces deux
projets le 31 janvier 2007 ; il ajoute :
« Avec ces deux textes, le Sénégalcomble le vide juridique qui avait empêchéles
juridictions sénégalaises,pour des raisons techniques liées à l'inadaptation de la
législationnationale, de connaître de l'affaire Hissène HABRE. » 87
1.46. Le crime de torture avait étéintroduit en droit pénalsénégalaispar la loi 96-15
du 28 août 1996, mais il fallait modifier le code de procédure pénale pour permettre au
juge sénégalaisd'exercer la compétence universelle; c'est ce que font les nouvelles lois
qui, en outre, énoncent l'imprescriptibilité des crimes prévus dans le Statut de la Cour
pénale internationale. Le 31 janvier 2007, l'Assemblée nationale du Sénégaladopte deux
lois modifiant le code pénalet le code de procédurepénaledu Sénégal:
les articles 431-1 à 431-6 nouveaux du code pénal introduisent les cnmes de
génocide, les crimes contre l'humanité, y compris la torture, et les cnmes de
guerre en droit pénalsénégalais 88 ;
l'article 669 du code de procédurepénaleest modifiépour affirmer la compétence
du juge sénégalaisà l'égard des crimes précitéscommis par un étranger à
l'étranger si l'auteur présumé du crime se trouve au Sénégal(compétence
85Ibid.
86
Ibid. Voir aussi par. 1.72 ci-dessous.
87
Annexe B.13.
88
Annexe D.6.
28 universelle), ou si sa victime réside au Sénégal(compétence personnelle passive)
ou si l'auteur présuméa étéextradévers le Sénégal 89 .
1.47. Le ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalobserve, par ailleurs dans sa
note verbale du 21 février2007, que «le principe de non-rétroactivité» n'empêchepas la
condamnation de toute personne reconnue coupable de faits «tenus pour criminels d'après
les principes générauxde droit reconnus par l'ensemble des Etats »90. Le Sénégala aussi
institué
« un Groupe de travail chargéde faire les propositions nécessaires pour déterminer les
modalitéset procédures aptes à faire poursuivre et juger, au nom de l'Afrique, l'ancien
91
Présidentdu Tchad, avec les garanties d'un procèsjuste et équitable » .
Il en découlerait que
« un dispositif particulier doit être m1s en place tant du point de vue
infrastructure!, législatif et administratif pour le conformer aux plus hautes
92
normes en la matière et permettre la tenue d'un procès équitable » ;
il faut faciliter les commissions rogatoires et le séjour à l'étranger du personnel
judiciaire « à des fins d'instruction » 93 ;
il faut assurer la plus large accessibilité des personnes intéresséesau procès et
94
utiliser les technologies de l'information et de la communication ;
il faut prévoir le «plus haut degré de protection » des Juges, témoins et
victimes 95 ;
89
Annexe D.7.
90 Annexe B.13.
91 Ibid.
92 Ibid.
93 Ibid.
94 Ibid.
95 Ibid.
29 un tel procès exige des moyens financiers nécessitant « le concours de la
96
Communautéinternationale» comme le suggère d'ailleurs l'Union africaine .
Le Sénégala présentéun rapport reprenant ces points à la Conférence des Chefs
d'État et de Gouvernement de l'Union africaine (29-30 janvier 2007) qui en a pris note et
appelé les États membres et l'ensemble de la communauté internationale à mobiliser
97
«toutes les ressources »,notamment financières pour le procès .
98
1.48. Par note verbale du 8 mai 2007 , la Belgique rappelle au Sénégalla demande
d'arbitrage qu'elle lui avait adressée en juin 2006 et dans laquelle elle se référaitaux
dispositions pertinentes de la Convention contre la torture.
Cette note verbale de la Belgique reste sans réponse.
1.49. Le 5 octobre 2007, le Sénégalinforme la Belgique, par note verbale, de sa
décisiond'organiser le procès contre M. Habréau Sénégalet invite la Belgique, ainsi que
d'autre États membres de l'Union européenne, à une «réunion des donateurs potentiels
99
pour son financement» prévuele 16 octobre 2007 .Cette réunionn'aura jamais lieu.
1.50. Par la suite, plusieurs échangesentre le délégué de la Commission européenne
et les représentations diplomatiques d'États membres de l'Union européenne basés à
Dakar, d'une part, et le Sénégal,d'autre part, ont eu lieu quant à la tenue d'une conférence
de donateurs. Aucune Conférence des donateurs ne sera toutefois effectivement organisée,
faute d'un budget réalisteet consensuel couvrant les frais d'organisation du procès de M.
Habre au enega . 1100
1.51. Par note verbale du 2 décembre 2008, remise au ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégalle 16 décembre2008, l'ambassade de Belgique à Dakar rappelle le
différendentre les deux États sur l'interprétation et l'application de plusieurs dispositions
de la Convention contre la torture. La Belgique
96Ibid.
97Ibid.
98
Annexe B.14.
99
Annexe B.15.
100
Voir pars. 1.76 à 1.79 ci-dessous.
30 « réitèresa disponibilité à mettre sur pied une coopération judiciaire internationale
avec le Sénégal,en particulier par la transmission au Sénégald'une copie du dossier
d'instruction belge à charge de M. Habré sur la base d'une commission rogatoire
émanantdes autoritéssénégalaises».
La Belgique se déclareprête
« à recevoir dans les meilleurs délais et à leur meilleure convenance, les magistrats
instructeurs sénégalaissaisis de ce dossier». La Belgique espère ~ue cette coopération
1 1
permettra « une avancéedécisivedans les prochaines semaines » .
1.52. Le 19 février2009, la Belgique dépose, au Greffe de la Cour, une requête
introduisant la présente instance. Avec sa requête,la Belgique a déposéune demande en
indication de mesures conservatoires eu égardaux propos tenus par le présidentWade dans
la presse et les médias selon lesquels le Sénégalpourrait mettre fin à la mise en résidence
surveillée de M. Habré s'il ne trouvait pas le budget qu'il estime nécessaire à
l orgamsatwn. de son proces' 102.
1.53. Le ministre de la Justice du Sénégal déclare le 29 mai 2009 que quatre
magistrats ont été nommés «aux fins de conduire l'information contre Monsieur
HABRÉ » 10. Par note verbale du 23 juin 2009, remise le 2 juillet 2009, la Belgique
104
rappelle sa note verbale du 2 décembre 2008 et ajoute qu'elle prendra en charge les
coûts liés à l'exécution d'une première commission rogatoire visant à permettre aux
105
magistrats sénégalais de prendre connaissance du dossier judiciaire belge . Par note
verbale du 29 juillet 2009, le Sénégalprend acte de la proposition de coopérationjudiciaire
de la Belgique dans le cadre du dossier H. Habré; il préciseque les autoritéscompétentes
ont étésaisies de cette proposition et que « toute suite afférentesera communiquée, dèsque
possible, à l'ambassade » 10. Par note verbale du 14 septembre 2009, le Sénégalaccueille
favorablement la proposition d'assistance judiciaire de la Belgique. Le Sénégalannonce
égalementla désignation de deux des quatre magistrats, MM. Diouf et Seck, pour se rendre
101
Annexe B.16
102Annexes C.7 et C.S.
103Article Sud Quotidien, 29 mai 2009 (annexe G.9.) et article Walfadjiri, 29 mai 2009 (annexe G.lO). Voir
également annexe B.19.
104Voirpar. 1.51 ci-dessus.
105
AnnexeB.17.
106
Annexe B.18.
31en Belgique, les modalités concrètes pouvant êtrefixées «à la convenance des Parties
belge et sénégalaise,dès la fin des vacances judiciaires intervenant en mi-novembre
107
2009 » .
1.54. Par note verbale du 14 octobre 2009, rem1se lors d'une démarche effectuée
auprès du ministre des Affaires étrangèresle 22 octobre 2009, la Belgique prend acte de la
désignation de quatre juges sénégalaisaux fins de conduire l'information contre M.
108
Habré . Elle répète que les autorités judiciaires belges sont prêtes à remettre aux
magistrats sénégalais,dans le cadre d'une commission rogatoire à mener en Belgique, une
copie du dossier d'instruction belge à charge de M. Habréet à financer cette commission
rogatoire. La Belgique se permet d'insister sur le respect des procédures reqmses en
matière d'entraide judiciaire. Le 28 octobre 2009, lors d'un entretien accordé à
l'ambassadeur de Belgique, à certains ambassadeurs d'autres États membres de l'Union
européenne et au déléguéde la Commission européenne, le ministre sénégalaisde la
Justice remercie notamment la Belgique pour son offre de coopérationet précisequ'il s'est
engagéà y répondreau plus tôt. Le ministre évoqueégalementles questions budgétaires et
exprime le désaccorddes autoritéssénégalaisessur le budget révisépar l'Union africaine, à
109
la suite de la mission de la Commission de l'Union africaine de juin 2009 .
1.55. Le 19 novembre 2009, au cours d'un entretien téléphonique entre
l'ambassadeur de Belgique et le ministre sénégalaisde la Justice, ce dernier annonce que
ses services préparent une requêteformelle de commission rogatoire pour répondre à la
proposition d'entraide judiciaire de la Belgique.
1.56. Le 5 décembre2009, le président Wade reçoit le ministre belge de la
Coopération au Développement, Charles Michel, en visite à Dakar, et réitèrel'intention du
Sénégal de juger M. Habré à condition que l'entièreté des fonds nécessaires soit
disponible. Il menace, de nouveau, de renvoyer M. Habré «à l'Union africaine ou à la
Belgique» si aucune solution n'est trouvéepour janvier 2010.
107
Annexe B.19.
108Annexe B.20.
109Voir par. 1.89 ci-dessous.
32 1.57. Le 14janvier 2010, la Cour de Justice de la Communauté économique des
États de l'Afrique de l'Ouest tient une audience pour examiner l'affaire introduite contre la
République du Sénégaldans le cadre de l'affaire H. Habré. Lors de leurs plaidoiries, les
avocats du Sénégalont notamment rappelé qu'à ce stade, il n'y avait aucune procédure
pendante contre M. Habrédevant les juridictions sénégalaises 11.
1.58. En février 2010, le ministre belge des Affaires étrangères rencontre son
homologue sénégalais à Addis Abeba en marge du Sommet de l'Union africaine. Le
ministre sénégalaisindique que le seul obstacle restant pour l'organisation du procès n'est
plus que d'ordre financier. Il indique aussi que M. Habréest en résidence surveillée et qu'il
n'y a pas de risque qu'il s'échappe.
1.59. Le 23 février 2010, l'ambassadeur de Belgique remet au ministère des Affaires
étrangères sénégalais une note verbale par laquelle la Belgique réitère encore sa
proposition d'entraide judiciaire et fixe au 30 avril 2010 le délai pour l'exécution de la
commission rogatoire de magistrats sénégalais pour venir prendre copie du dossier
d'instruction à charge de H. Habréconstituépar les autoritésjudiciaires belges lll.
1.60. En mars 2010, l'ambassadeur de Belgique rencontre le nouveau ministre
sénégalaisde la Justice, qui se dit très sensible à la proposition belge d'entraide judiciaire
sans cependant vouloir s'engager concrètement quant à l'envoi d'une commission
rogatoire internationale.
1.61. Par note verbale datéedu 30 avril2010, le ministère des Affaires étrangèresdu
Sénégalrépond à la note du 23 février 2010 de l'ambassade de Belgique relative à la
proposition de coopération judiciaire belge consistant à accueillir en Belgique les
magistrats sénégalais en charge du dossier sur base d'une commission rogatoire
internationale en rappelant que « les Autorités sénégalaisescompétentes avaient saluécette
initiative» et que « [s]eules les modalités de mise en Œuvre restaient à déterminer par les
112
Parties » .
11
° Cour de Justice de la CEDEAO, Hissène Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,4 mai 2010, par. 14 (annexe E.l). Voir aussi par. 2.10 ci-dessous.
111
Annexe B.22.
112Annexe B.23.
33 1.62. Le 26 mai 2010, le ministre belge des Affaires étrangères rencontre son
homologue sénégalais à Bruxelles. Les ministres abordent notamment l'affaire H. Habré.
Le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresindique, lors de cette entrevue, au ministre
belge qu'aucun juge n'a à ce jour étéchargéde l'enquête,en raison de l'absence d'accord
sur le budget pour financer le procès. Dans ce contexte, le ministre sénégalaisindique ne
pas pouvoir envoyer de demande de commission rogatoire en bonne et due forme et
propose, à titre d'alternative, que quatre magistrats du parquet («ceux chargés de
l'accusation») accomplissent une mission exploratoire de consultation du dossier en
Belgique.
1.63. Dans la Note sur les dernières évolutions transmise par le Sénégalà la Cour,
113
le 15juin 2010 , le Sénégalaffirme que « [l]es Autorités sénégalaises ont accueilli
114
favorablement » l'offre de la Belgique de recevoir, à ses frais et sur la base d'une
commission rogatoire internationale, les magistrats en charge du dossier H. Habré. Le
Sénégalse réfère à des nombreuses reprises à sa volonté de respecter ses « engagements
internationaux » d'ouvrir une procédurejudiciaire contre M. Habré 115•Le Sénégalaffirme
en outre qu'il «ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tiréed'un manque de
moyens financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations et [qu'il] n'a pas envisagé
'b'l' / 116
une te11e poss1 11te» .
1.64. Par note verbale datéedu 15juin 2010 du ministère des Affaires étrangèresdu
Sénégaladressée à l'ambassade de Belgique à Dakar,
113
Voir par. 0.11 ci-dessus.
114Annexe D.9. p. 3
115Voir : « le Sénégaldans son engagement à juger Monsieur Hissène HABRE », ibid., p. 2 ; « la volonté du
Sénégalaussi bien de poursuivre les efforts entrepris à différents niveaux en vue de l'effectivité de la
tenue prochaine du procès », ibid. ; « le Président de la République [... ] a réaffirméson engagement à
faire ouvrir une procédure judiciaire contre Monsieur HABRE », ibid., p. 3 ; «les autorités sénégalaises
ont réponduen réaffirmant leur volontéde respecter les obligations conventionnelles du Sénégalnéesde
la signature et de la ratification de la Convention contre la torture»,id. ; p. 6, «son [du Sénégal]
engagement pour la lutte contre l'impunité», ibid. ; «Le Sénégalest assigné [devant deux cours
africaines] dans le cadre de deux affaires ayant directement trait au procès quet du Sénégalenvisage
d'ouvrir sur son propre territoire , conformément à ses engagements internationaux et à sa législation
nationale à l'encontre de Monsieur Hissène HABRE », ibid., pp. 6-7; «un obstacle évident que le
requérantcherchait à dresser face à la mise en Œuvre de la volontéde tenir le procès de Monsieur Hissène
HABRE, en exécution de ses obligations internationales, venait d'êtredéfinitivement écarté», ibid., p.
8 ;«la claire volontédu gouvernement et du chef de l'Etat sénégalaisd'ouvrir une procédurejudiciaire à
l'encontre de [M. Habré], conformément aux engagements internationaux et à la législation interne de
l'Etat du Sénégal»,ibid., p. 10. C'est la Belgique qui souligne, dans les extraits qui précèdent.
116
Ibid.,p. 6.
34 « [l]es autorités sénégalaises compétentes, tout en réitérant à l'ambassade leurs
remerciements pour cette initiative, voudraient, à nouveau, marquer leur disponibilité
à donner suite à [l'offre d'une commission rogatoire], dès que la Table ronde des
donateurs, sous l'égidede l'Union Européenne et de l'Union Africaine, pour collecter
les contributions financières des pays et Institutions, sera effective 11.
1.65. Par note verbale du 28 juin 2010 de l'ambassade de Belgique à Dakar au
ministère des Affaires étrangèresdu Sénégal 11,les autoritésbelges :
« [... ] tout en saluant la disponibilité du Sénégalde donner suite à la proposition
belge, rappellent qu'un Etat « ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tirée
d'un manque de moyen financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations
[internationales]». Cela a d'ailleurs étérappelé par le Sénégalmêmedans sa «Note
sur les dernières évolutions intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès
de M. Hissène Habré depuis le prononcé de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur la
requête belge en indication de mesures conservatoires » adressée à la Cour
internationale de Justice par courrier du 15 juin 2010 dans le cadre du différend entre
la Belgique et le Sénégalporté par elle devant la Cour internationale de Justice par
requêteunilatéraledu 19 février2009. »
Et ajoutent :
«Si le Sénégaldevait confirmer sa position consistant à conditionner l'envoi d'une
première commission rogatoire en Belgique à la tenue effective d'une Table ronde des
donateurs - table ronde qui ne devrait vraisemblablement intervenir au plus tôt que
dans plusieurs mois seulement - les autoritésjudiciaires sénégalaisesrisqueraient de se
trouver dans l'impossibilité d'engager les poursuites contre M. Hissène Habrédans le
respect du principe du délai raisonnable. Par conséquent, la Belgique précise
respectueusement au Sénégalqu'il lui est encore possible d'honorer son obligation de
poursuivre ou d'extrader en optant pour la deuxième branche de cette alternative. »
V. La saisine de l'Union africaine et les développementsultérieurs
1.66. La présente section examine
- le renvoi, par le Sénégal,du dossier H. Habréà l'Union africaine (A) ; et
les efforts consentis par l'Union africaine et l'Union européenne pour assister le
Sénégalà intenter des poursuites (B).
117Annexe B.25.
118Annexe B.26.
35 A. LE RENVOI DE L'AFFAIRE H. HABRE A L'UNION AFRICAINE
1.67. L'implication de l'Union africaine dans le procès de H. Habré remonte à
décembre 2005, et se poursuit aujourd'hui. Durant cet intervalle de quatre ans et demi, le
ministère public sénégalais n'a fait aucune démarchejudicaire afin d'intenter les poursuites
contre M. Habré. Par ailleurs, devant la Cour de Justice de la Communauté économique
des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le Sénégala lui-mêmeaffirméque, à ce jour,
il n'existe «aucune procédure pendante contre [M. Habré] devant les juridictions
119
sénégalaises» • En outre, dans les déclarations du Sénégal,1'ambiguïté demeure quant à
la question de savoir si le Sénégalconsidère qu'il agit exclusivement en vertu d'un mandat
de l'Union africaine ou s'il cherche à remplir ses obligations en vertu de la Convention
contre la torture et en vertu d'autres règles de droit international.
1.68. Le lendemain de la décision du 25 novembre 2005 dans laquelle la chambre
d'accusation concluait qu'elle n'était pas compétente pour connaître de la requête
d'extradition, soit le 26 novembre 2005, le ministre sénégalaisde l'Intérieur adoptait un
décretpar lequel il décidait de «confier M. Habré [... ] à la garde du président de l'Union
africaine» tout en indiquant qu'après un délaide 48 heures, M. Habré serait expulsé vers
120
le Nigéria (le pays qui, à ce moment-là, assurait la présidence de l'Union africaine) .
Néanmoins, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresdéclarait le 27 novembre 2005
dans un communiqué, que M. Habrédemeurerait au Sénégaltant que le sommet de l'Union
121
africaine n'aurait pas « indiquéla juridiction compétente pour juger cette affaire » .
1.69. Dans un communiqué de son ministère des Affaires étrangères, annexé à une
note verbale adresséeà la Belgique le 7 décembre 2005 12, le Sénégaldéclarait« qu'il n'est
en aucune manière directement concerné par l'Affaire 'Hissen HABRE' » et que cette
affaire« n'est pas une affaire sénégalaisemais bien une affaire africaine». Comme indiqué
119
Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,4 mai 2010, par. 14 (annexe E.l).
120
HRW chronology : h!!J?~!l'!Y_'!Y_'!Y_cf!!~~"QigifJl!!~~êl;.QQ2[Q1ü~l!~~-:g[_':!!JS1~~~=Jjg_n_~cê:..t!~di!!lttü.:~:}J_':!QI:Q
12Annexe B.5.
122Ibid.
36plus haut, le ministre de l'Intérieur avait adoptéun décret confiant M. Habré «à la garde
123
du Président de l'Union africaine » •
1.70. Le Sénégal a dûment informé la Conférence des Chefs d'État et de
gouvernement de l'Union africaine, lors de sa sixième session ordinaire tenue à Khartoum
les 23-24 janvier 2006, que le gouvernement sénégalais avait pris la décision de
transmettre le dossier à l'Union africaine afin que les Chefs d'État et de gouvernement
124
décidentde la suite à donner à cette affaire .
1.71. Dans sa Décision 103 (VI), la Conférence de l'Union africaine a mis en place
un Comité d'éminents juristes africains afin d'examiner, entre autres, « tous les aspects et
125
toutes les implications du procès d'Hissène Habré » • Ce comité a présentéson rapport
lors de la suivante de la Conférence, tenue à Banjul le 1-2 juillet 2006. A cette occasion, la
Conférence a adopté la Décision 127 (VII) 126 par laquelle elle prend note du rapport
127
présentépar le Comité d'éminents juristes africains . La Conférence a, alors, relevé
qu'aux termes des articles 3 (h), 4 (h) et 4 (o) de l'Acte constitutif de l'Union africaine,
«les crimes reprochés à Hissène Habré sont pleinement de la compétence de l'Union
africaine» 128. Ensuite, considérant que «en l'état actuel, l'Union africaine ne dispose
d'aucun organe judiciaire en mesure d'assurer le jugement de Hissène Habré» 129, et
« considérant la jurisprudence pertinente de la Cour internationale de justice ... , et la
130
ratification par le Sénégalde la convention des Nations Unies contre la torture» , la
Conférence :
« i) DECIDE de considérer le Dossier Hissène Habré comme le dossier de l'Union
africaine;
ii) MANDATE la République du Sénégalde poursuivre et de faire juger, au nom de
l'Afrique, Hissène Habrépar une juridiction sénégalaisecompétente avec les garanties
d'un procèsjuste;
123 Voir par. 1.68 ci-dessus.
124 Assembly/AU/8 (VI) Add. 9.
125 Assembly/AU/Dec.l03 (VI), par. 3 (annexe F.l).
126
Assembly/ AU/Dec.l27 (VII) (annexe F.2).
127
Ibid., par. 2.
128
Ibid., par. 3.
129 Ibid., par. 4.
130 Ibid., par. 5.
37 iii) DONNE MANDAT au Président de l'Union, en concertation avec le président de
la Commission, d'apporter au Sénégall'assistance nécessaire pour le bon déroulement
et le bon aboutissement du procès ;
v) LANCE UN APPEL à la communauté internationale pour qu'elle apporte son
. G , , l . 131
soutien au ouvernement senega ms ».
1.72. Lors de sa huitième session ordinaire, tenue à Addis Abeba les 29-
30 janvier 2007, la Conférence de l'Union africaine a rappeléla décisionprise à Banjul et a
132
pris note d'un rapport provisoire du Sénégal . Lors de sa douzième session ordinaire,
tenue à nouveau à Addis Abeba (1er_3février 2009), la Conférence des Chefs d'État et de
133
gouvernement de l'Union africaine a adoptésa Décision 240 (XII) • Dans cette dernière,
la Conférence:
« 4. CONSIDERE que le budget définitif du procès devrait êtreélaboréet arrêté
par l'Union africaine, en collaboration avec le Gouvernement de la République du
Sénégalet l'Union européenne ; [et]
5. LANCE UN APPEL à tous les Etats membre de l'Union africaine, à l'Union
européenne et aux pays et institutions partenaires, pour qu'ils apportent leurs
contributions au budget du procès en versant directement ces contributions à la
Commission de l'Union africaine. »
1.73. A sa treizième session ordinaire, tenue à Syrte, en Libye (1er_3juillet 2009), la
Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine:
« 4. REITERE son appel à tous les Etats membres de l'Union africaine pour qu'ils
apportent leurs contributions au budget du procès et accorde leur soutien au
Gouvernement de la République du Sénégaldans l'exécution du mandat de l'Union
africaine d'inculper et de juger Hissène Habré;
5. DECIDE que l'Union africaine apporte une contribution symbolique au budget
du procès, dont le montant sera déterminéaprès consultation entre la Commission et le
. , d R , 134
Com1te es epresentants permanents. »
1.74. A sa quatorzième session ordinaire (Addis Abeba, 31 janvier-2 février2010), la
Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine:
131
Ibid.
132
Assembly/ AU/Dec.l57(Vlll) (annexe F.3.)
133Assembly/ AU/Dec.240(Xll) (annexe F.4.)
134Assembly/AU/Dec.246(Xlll), 3 juillet 2009 (annexe F.5.)
38 « 4. REITERE son appel à tous les États membres pour qu'ils apportent leurs
contributions au budget au titre du procès et l'appui nécessaire au Gouvernement
sénégalais dans l'exécution du mandat que lui a confié l'Union africaine (UA)
d'inculper et de juger M. Hissène Habré;
5. RAPPELLE sa Décision Assembly/AU/246 (XIII) adoptée en juillet 2009 à
Syrte (Grande Jamahiriya arabe libyenne) demandant à l'Union africaine de faire une
contribution symbolique au budget du procès pour un montant qui sera déterminé
aprèsconsultations entre la Commission et le Comitédes Représentants permanents ;
6. INVITE le Gouvernement sénégalais, la Commission et les partenaires,
notamment l'Union européenne de poursuivre les consultations dans la perspective
d'organiser, le plus tôt possible, la Table ronde des donateurs. » 135
1.75. Lors des audiences relatives à la demande en indication de mesures
conservatoires, le Sénégala affirmé:
1
charge» 136.
En outre, le Sénégala indiquéque
137
, et non en vertu d'un mandat de l'Union africaine. » .
1.76. Bien que la Belgique accueille favorablement ces déclarations, elle note que les
décisions de l'Union africaine concernant l'affaire Hissène Habré,y compris les décisions
postérieures aux déclarations du Sénégaldevant la Cour, se réfèrentà des poursuites contre
M. Hissène Habré «dans l'exécution du mandat de l'Union africaine». En outre, les
Termes de Référencearrêtés en octobre 2009 par les autorités sénégalaisesexpliquent que
«face à un mandat [de l'Union africaine] aussi clair, les autorités sénégalaisesétaient
tenues de mettre en place le dispositif adéquatpour permettre un jugement aussi rapide que
138
possible » et qu'il s'agit de «garantir l'exécution correcte de l'engagement politique
139
pris » •Ceci est cohérentavec certaines affirmations du Sénégalselon lesquelles
135
Assembly/AU/Dec.272(XIV), 2 février2010 (annexe F.6.)
136CR 2009/ll, 8 avril2009, p. 13, par. lü (Diouf).
137CR 2009/ll, 8 avril2009, p. 18, par. ll (Sall).
138
Annexe D.8., p. 8.
139
Ibid.,p.10.
39 - il aurait volontairement acceptéle «mandat» de l'Union africaine ;
- celle-ci pourrait mettre fin au mandat à sa guise ;
toute l'affaire relèverait, aujourd'hui, de la responsabilité de l'Afrique et non du
Sénégal.
B. LES EFFORTS DE L'UNION AFRICAINE ET DE L'UNION EUROPEENNE POUR AIDER LE
SENEGAL A ORGANISER DES POURSUITES
1.77. Dès juillet 2007, les autorités sénégalaisesdemandent l'appui financier de la
communauté internationale pour l'organisation du procès de M. Habré au Sénégalsans
140
toutefois qu'aucun budget réalisteni consensuel ne soit établi .
1.78. Le 18juillet 2007, une lettre est adresséepar le présidentsénégalaisau premier
ministre belge par laquelle les autorités sénégalaises communiquent une estimation
unilatérale réviséedu budget nécessaire pour l'organisation du procès (+/- 27 millions
d'euros) et demandent l'appui financier et technique de la Belgique. Le Présidentannonce
par ailleurs son intention de tenir une réunion des bailleurs potentiels en septembre
2007 14. Plusieurs partenaires de l'Union européenne reçoivent une lettre similaire et, sur
suggestion de certains autres États membres, il est décidéque la Présidence de l'Union
européenne répondra au nom de l'Union à cette requêtedes autorités sénégalaiseset
suggèrera l'envoi d'une mission d'experts de l'Union européenneafin d'aider les autorités
sénégalaisesdans l'évaluationd'un budget réalistepour ce procès.
1.79. Le 14 septembre 2007, la Présidencede l'Union européenne adresse une lettre
au Président Wade proposant l'envoi d'une «mission d'expertise technique qui serait en
charge d'analyser, avec les autoritéscompétentes [du Sénégal],les besoins existants en vue
142
de l'organisation du procès » .Malgréce courrier, l'Ambassade du Sénégaladresse le 5
140Les Termes de référencespour l'organisation du procès de M. Hissène Habré, préparésen octobre 2009
par le Comité de suivi et de communication établi par le Sénégal,prévoient un budget de plus de 18
milliards de FCFA (+/- 27 millions d'euro), budget identique à celui estimédéjàen 2007
141
Annexe D.l4.
142Ce document de correspondance européenne a étéclassifié restreint par le Secrétariat du Conseil de
l'Union européenne.
40octobre 2007 une note verbale au ministère belge des Affaires étrangèresconvoquant la
Belgique à une réunion des donateurs potentiels le 16 octobre 2007 143.Une note verbale
similaire est envoyée à toutes les missions diplomatiques à Bruxelles ainsi qu'à la
Commission européenne.Aprèsconcertation entre les Chefs de mission des États membres
de l'Union européenne à Dakar, la Présidence de l'Union européenne à Dakar intervient
verbalement auprès du directeur de cabinet du ministre Gadio en vue de postposer la
réunion des bailleurs potentiels après la mission des experts de l'Union européenne, le
budget totalement excessif estimé pour 1'organisation du procès par les autorités
sénégalaisesn'ayant pas étéréviséentretemps. Ce dernier accepte l'ajournement de la
réunionà une date à déterminer, et demande aux représentants de l'Union européenne au
Sénégalde proposer une nouvelle date dèsqu'ils l'estimeront opportun.
1.80. Néanmoins, par télécopiedu 4 décembre 2007 adressée au premier ministre
Verhofstadt, le Présidentdu Sénégalconvoque une nouvelle fois une réuniondes donateurs
144
potentiels pour les 13 et 14 décembre 2007 . Une invitation similaire est envoyée aux
autres représentations diplomatiques des États membres de l'Union européenneà Dakar et
au délégué de la Commission européenne. Ce dernier demande sur le champ et obtient le
report sine die de cette réunion après la mission d'experts de l'Union européenne. Par
courrier du 7 décembre2007, le Présidentsénégalaisinforme le premier ministre belge du
report « à une date ultérieure » de la conférencedes donateurs potentiels «pour des raisons
de calendriers »145.La Belgique, de son côté,fait pression pour que la mission d'experts
soit organiséele plus rapidement possible.
1.81. Depuis janvier 2008, l'Union africaine et l'Union européenne se sont efforcés
de déterminer le type d'assistance que le Sénégaldevrait recevoir en vue d'organiser le
procèsde M. Habré.
1.82. A maintes repnses, la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de
l'Union africaine a appelé les États membres de l'Union à contribuer au budget du
' 146 D N 1 d .' ' 1 . 1 S' ' 1 ' 1 d
proces . ans sa ote sur es ermeres evo ut10ns, e enega a note que ors e son
143
Annexe B.l5.
144Annexe D.l5.
145Annexe D.l6.
146
Voir aussi Note sur les dernières évolupp.4-5.
41dernier sommet de février 2010, le Sénégala été invitéà «poursuivre les consultations
dans la perspective de tenir en 2010, à Dakar, la Table Ronde des Donateurs » 147.Le
Sénégalévoque en outre deux avant-projets, proposés par l'Union africaine, concernant les
termes de référencessur l'organisation de la Table ronde des donateurs et sur la gestion des
fonds destinés au procès 148,sans que ces documents aient étécommuniqués à la Cour ou à
la Belgique.
1.83. En janvier 2008, une mission d'experts de l'Union européenne s'est rendue à
Dakar en vue de formuler des recommandations pour le soutien à l'organisation du procès
de H. Habré par les autorités sénégalaises dont, notamment, des recommandations sur
l'établissement d'un budget réexaminéet finalisé.
1.84. En mai 2008, le ministre de la Justice sénégalaisannonce que, pour préparer le
procès de M. Habré,il a nommé M. Ibrahima Gueye, comme coordonnateur, et un 'Comité
de suivi et de communication' regroupant notamment des magistrats et des représentants
d'organisations non-gouvernementales. Il annonce aussi la création d'un groupe de travail
149
sur les aspects budgétaires .
1.85. Par lettre du 4 novembre 2008, les autorités sénégalaises transmettent à la
Délégationde la Commission européenne à Dakar un projet de budget pour l'organisation
du procès de M. Habré: ce projet s'élève à 18 milliards de francs CFA
150
(environ 27 millions d'euros) .
1.86. En décembre 2008-janvier 2009, dans un échange de lettres entre le président
sénégalais et le président du Conseil de l'Union européenne, le président français, le
président Sarkozy constate que l'instruction du procès n'a pas démarréet qu'aucun budget
crédible n'a étéétabli. Il propose de mettre en place un appui technique de l'Union
européenne en vue de fixer un échéancieret un budget qui permettront la mobilisation
rapide de moyens financiers de la communauté internationale. Le président Wade réitèrela
147
Ibid.,p. 5.
148Ibid.
149Agence de Presse Sénégalaise(APS), communiqué du 21 mai 2008
150
Annexe D.lO.
42disponibilité du Sénégalà tenir le procès dès que les conditions financières et logistiques à
mêmede garantir sa crédibilitéseront réunies 15.
1.87. En mars 2009, Maître Robert Dossou, envoyéspécialde l'Union africaine pour
le dossier H. Habré, se rend à Dakar pour une mission concernant l'établissement du
budget. Il y rencontre notamment les ambassadeurs de Belgique, de France, des Pays-Bas,
de Suisse et le délégué de la Commission européenne.
1.88.Par lettre du 2 juin 2009 adressée au délégué de la Commission européenne à
Dakar, le président sénégalais requiert une assistance technique pour l'évaluation du
budget nécessaire au procès de H. Habré 15. Le déléguéde la Commission répond
favorablement et entame la rédaction de termes de référence pour cette mission
d'assistance technique. A sa demande, le ministre sénégalaisde la Justice lui transmet, le
25 juin 2009, une série de documents relatifs au budget évaluépour le procès (budget
provisoire de 18 milliards de francs CFA évaluéen 2007 auquel s'ajoute un budget pour le
coordonnateur et un budget pour 1'administration pénitentiaire).
1.89. Une délégationde la Commission de l'Union africaine se rend à Dakar du 4 au
10 juin 2009 aux fins d'élaborer un projet de budget conformément au «mandat de
l'organisation africaine »153• Aucune rencontre avec des représentants de l'Union
européenne n'est organisée et ceux-ci ne sont informés de cette visite qu'a posteriori par
courrier du ministre de la Justice du Sénégalau déléguéde la Commission de l'Union
européenne du 25 juin 2009. Au terme de cette mission, l'Union africaine réévaluele
budget nécessaire à 16 millions dollars américains.
1.90. En octobre 2009, des Termes de Référence pour l'organisation du procès de M.
54
Hissene Habré sont préparéspar le Comité de suivi et de communication établi par le
Sénégal.Ils se réfèrentau «mandat» de l'Union africaine et à l'« engagement politique »
151Lettre du président Sarkozy au président Wade du 15 décembre 2008 (annexe D. 11.) et lettre de réponse
du Président Wade au président Sarkozy du 6 janvier9 (annexe D.l2.)
152Lettre des autorités sénégalaisesà la Délégationde la Commission européenne à Dakar du 2 juin 2009
(annexe D.13.)
153
Courrier du Ministre de la Justice du Sénégalau déléguéde la Commission européenne du 25/06/09
(Annexe D.l7.)
154
Annexe D.S.
43 155
pns par les autorités sénégalaises • Les objectifs consistent à mettre en place les
conditions matérielles et juridiques pour l'organisation d'un procès équitable dans les 28
mois (20 mois pour la préparationet la formation, cinq mois pour le procès, trois mois pour
l'appel). Les Termes de Référencedécriventles changements législatifs déjàeffectués au
Sénégal.Ils décriventaussi le groupe de travail établiaprèsla décisionde l'Union africaine
pour examiner les changements législatifs, évaluer les coûts, prévoir un coordonnateur
ainsi qu'un Comité de suivi et de communication, et les besoins de formations des
magistrats et des auxiliaires de justice dans un futur proche. Il est recommandéde désigner
les personnes concernées,de les former (ce qui inclut des voyages d'études),de prévoirles
questions de sécuritéet de communication. Le budget dépasserait 18 milliards de francs
CFA (environ 27 millions d'euros).
1.91. Par une lettre du 29 octobre 2009, le ministre sénégalaisde la Justice propose
au délégué de la Commission européenne une réunion tripartite Union africaine-Union
européenne-Sénégalsur les questions budgétaires 156.Le délégué de la Commission répond
en demandant le report de cette réunionaprès la deuxième mission des experts de l'Union
européenneprévueavant la fin de l'annéeet propose d'élargirl'invitation à d'autres (par
exemple, les États-Unis d'Amérique,la Suisse).
1.92. Du 7 au 17 décembre 2009, trois experts de l'Union européenne se rendent à
Dakar dans le but d'assister les autorités sénégalaisesdans la finalisation du budget du
procès. Il s'agit de la première phase de la deuxième mission d'experts de l'Union
européenne.
1.93. Profitant de la présence à Dakar des experts de l'Union européenne, les
autorités sénégalaisesorganisent, le 9 décembre 2009, une «journée de validation des
termes de référencepour l'organisation du procès de H. Habré» à laquelle les experts de
l'Union européenneet des représentantsde la Commission de l'Union africaine participent
en qualitéd'observateurs.
155Ibid.p. 10.
156
Annexe D.18.
44 1.94. La deuxième phase de la deuxième mission d'experts de l'Union européenne
prévuedu 19 au 23 avril2010 est reportéeen raison des perturbations dans l'espace aérien
européen.Elle a finalement lieu la semaine du 17 mai 2010.
VI. Résumé des faits
1.95. Les faits de la présentecause peuvent se résumercomme suit:
De 1982 à 1990, M. Habré est président du Tchad; durant sa présidence, de
nombreuses violations des droits humains les plus fondamentaux sont commises
au préjudice de plusieurs dizaines de milliers de personnes (pars. 1.05-1.10 ci
dessus) ; renverséen 1990, H. Habrétrouve refuge au Sénégaloù il résidedepuis
lors (par. 1.08 ci-dessus) ;
En janvier 2000, des victimes de M. Habré déposent plainte contre lui au
Sénégal;le juge d'instruction inculpe M. Habréde complicité«de crimes contre
l'humanité, d'actes de torture et de barbarie», mais la chambre d'accusation
annule les poursuites pour incompétence de la justice sénégalaisefaute de loi
permettant au juge sénégalaisd'exercer les compétencesextraterritoriales requises
par l'affaire (pars. 1.11-1.13 ci-dessus); en mars 2001, la Cour de cassation du
Sénégalrejette le pourvoi des victimes qui avaient déposéplainte au Sénégal
(par. 1.15 ci-dessus);
En novembre 2000, des plaintes sont déposéesen Belgique à l'encontre de M.
Habré(pars. 1.19-1.20 ci-dessus);
En septembre 2005, au terme de son instruction, le juge d'instruction belge
décerne un mandat d'arrêtpar défaut à l'encontre de M. Habré; transmis au
Sénégalpar le système Interpol, avec notice rouge, le mandat d'arrêt vaut
demande d'arrestation provisoire eu vue de l'extradition (pars. 1.28-1.31 et 1.34);
En novembre 2005, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar s'est
déclaréeincompétente pour se prononcer sur la demande d'extradition de la
45 Belgique vu l'immunitéreconnue par le droit sénégalais au président du Sénégal
(par. 1.36 ci-dessus);
En décembre 2005, le Sénégalenvme deux notes verbales à la Belgique se
référantà l'arrêtde la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar et
précisant que l'affaire est transmise à l'Union africaine (pars. 1.38-1.39 ci
dessus);
En janvier et mars 2006, la Belgique envme au Sénégaldeux notes verbales
demandant au Sénégalde précisersa position sur la demande d'extradition de M.
Habréeu égardà la Convention contre la torture (pars. 1.40-1.41);
En mai 2006, le Sénégalrépondaux notes verbales de la Belgique en disant que le
transfert du dossier à l'Union africaine répond aux obligations de la Convention
de 1984 (par. 1.43ci-dessus);
En juin 2006, la Belgique envoie une note verbale au Sénégalconstatant que la
divergence de vues entre les deux États sur l'interprétation et l'application de la
Convention contre la torture n'a pas pu êtrerésolue par la négociation et, par
conséquent, elle propose de recourir à la procédure d'arbitrage prévue par la
Convention (par. 1.44 ci-dessus);
En 2008, des victimes de M. Habrédéposent une nouvelle plainte contre lui au
Sénégal(par. 1.49 ci-dessus);
En décembre2008, la Belgique offre sa coopérationjudiciaire au Sénégalpour lui
transmettre le dossier d'instruction relatif à M. Habréet accueillir en Belgique les
magistrats sénégalaisinstructeurs (par. 1.51 ci-dessus);
En février 2009, la Belgique déposeun acte introductif d'instance devant la Cour
et fait une demande en indication de mesures conservatoires (par. 1.52 ci-dessus) ;
En juillet 2009, la Belgique réitèreles propositions faites en décembre 2008
(par. 1.53 ci-dessus);
46En juillet et septembre 2009, le Sénégalaccueille favorablement la proposition
d'assistance judiciaire belge et désigne deux magistrats pour se rendre en
Belgique ; la Belgique en prend acte et se dit prête à financer cette commission
rogatoire (par.1.53 ci-dessus) ;
En novembre 2009, le ministre de la Justice du Sénégaldéclare à l'ambassadeur
de Belgique qu'une requêteformelle de commission rogatoire va êtreadresséeà la
Belgique (par. 1.55 ci-dessus); jusqu'à présent (fin juin 2010), la Belgique n'a
reçu aucune demande de commission rogatoire ;
En décembre 2009, le président Wade affirme que le Sénégaljugera H. Habré à
condition que l'entièreté des fonds nécessaires soit disponible (par. 1.56 ci
dessus);
En février 2010, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresrépètece message
au ministre belge des Affaires étrangères(par. 1.58 ci-dessus) ;
En février2010, la Belgique réitèrepour la troisième fois son offre de coopération
judiciaire (par.1.59 ci-dessus) ;
En mars 2010, le nouveau ministre de la Justice du Sénégalse dit sensible aux
offres belges, mais ne peut s'engager concrètement pour l'envoi d'une
commission rogatoire en Belgique (par. 1.60 ci-dessus).
En juin 2010, le Sénégaltransmet à la Cour des documents qui cherchent à
montrer la volonté du Sénégalde poursuivre pénalement M. Habré (par. 1.63 ci
dessus);
Également en juin 2010, le Sénégalréaffirme sa disponibilité à donner suite à
l'offre belge de commission rogatoire « dès que la Table ronde des donateurs,
sous l'égide de l'Union Européenne et de l'Union Africaine, pour collecter les
contributions financières des pays et Institutions, sera effective » (par. 1.64 ci
dessus).
47 Dans une note verbale en réponse datant également de juin 2010, les autorités
belges indiquent aux autorités sénégalaises qu'en suspendant les poursuites à la
tenue effective d'une table ronde des donateurs, ces dernières pourraient ne pas
honorer dans un délai raisonnable leur obligation de poursuivre à défaut
d'extrader, sauf à choisir la seconde branche de cette alternative (par. 1.65 ci
dessus)
1.96. En substance, M. Habré vit depuis 20 ans au Sénégalsans que les autorités
compétentessénégalaisesn'aient jamais donnéconcrètement suite
aux règles internationales de lutte contre l'impunité pour les faits qui lui sont
imputés;
à deux séries de plaintes individuelles adressées à la justice sénégalaise(2000,
2008) ;
- à la demande d'extradition adresséepar la Belgique au Sénégal(2005) ;
aux offres de coopération judiciaire de la Belgique au Sénégal(2008, 2009,
2010) ;
- aux engagements que le Sénégaldéclareassumer explicitement.
48 CHAPITRE II
LES PROCEDURES DEVANT LE COMITE CONTRE LA TORTURE,
LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
ET
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
2.01. Plusieurs instances internationales ont traité de divers aspects de l'affaire H.
Habré: le Comité des Nations Unies contre la torture, et deux autres juridictions
internationales, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et la Cour de Justice
de la Communautééconomiquedes États d'Afrique de l'Ouest (comme le Sénégall'a déjà
dit durant les audiences sur les mesures conservatoires en avril 2009 15). Le présent
chapitre actualise les informations sur ces procédures dans la mesure où elles sont
disponibles.
1. Comitécontre la torture
2.02. Le 17 mai 2006, le Comité contre la torture rendait sa décision sur une
158
communication introduite contre le Sénégalpar Suleymane Guengueng et al. Le Comité
concluait que le Sénégalviolait la Convention contre la torture en manquant à son
159
obligation d'extrader ou de poursuivre M. Habré .
2.03. Le Comitéa conclu :
«9.3 Sur le fond, le Comité doit déterminer si l'Etat partie a violé les articles 5,
paragraphe 2, et 7 de la Convention. Il constate, et ceci n'est pas contesté,que Hissène
Habré se trouve sur le territoire de l'Etat partie depuis décembre 1990. En Janvier
2000, les requérants ont déposéune plainte contre Hissène Habré auprès d'un juge
d'instruction de Dakar, pour actes de torture. Le 20 mars 2001, au terme d'une
procédurejudiciaire, la Cour de Cassation du Sénégala estimé '[q]u'aucun texte de
procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaisesen
vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvéssur le territoire de la République, les
157CR 2009/9, 6 avril2009, pp. 28-29, par. 43 (Kandji).
158M. Suleymane Guengueng est une des victimes ayant déposéplainte devant les autorités judiciaires
sénégalaises
159
Annexe E.2.
49 présumésrequérants ou complices de faits [de torture] [... ] lorsque ces faits ont été
commis hors du Sénégalpar des étrangers ; que la présence au Sénégald'Hissène
Habré ne saurait à elle seule justifi[er] les poursuites intentées contre lui.'. Les
juridictions de l'Etat partie ne sont pas prononcées [sic] sur le bien fondé des
allégations de tortures invoquéespar les requérants au sein de leur plainte.
9.4 Le Comité constate également qu'en date du 25 novembre 2005, la Chambre
d'Accusation de la Cour d'appel de Dakar s'est déclaréeincompétente pour statuer sur
une demande d'extradition à l'encontre de Hissène Habréémanantde la Belgique.
9.5 Le Comitérappelle qu'en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, 'tout
Etat partie prend [... ] les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de
connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci se trouve sur
tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne 1'extrade pas [... ]'. Il note que
l'Etat partie n'a pas contesté, dans ses observations sur le fond, qu'il n'avait pas
adoptéces 'mesures nécessaires' viséespar l'article 5, paragraphe 2, de la Convention,
et constate que la Cour de Cassation a considéréelle-mêmeque ces mesures n'avaient
pas étéprises par l'Etat partie. De plus, il considère que le délai raisonnable dans
lequel l'Etat partie aurait du remplir cette obligation est largement dépassé.
9.6 Le Comité considère par conséquent que l'Etat partie n'a pas rempli ses
obligations en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention.
9.7 Le Comitérappelle qu'en vertu de l'article 7 de la Convention, 'l'Etat partie sur le
territoire sous la juridiction duquel l'auteur présuméd'une infraction viséeà l'article 4
est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, dans les cas visés à
l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale'.Il note à cet
égardque l'obligation de poursuivre l'auteur présuméd'actes de torture ne dépendpas
de l'existence préalabled'une demande d'extradition à son encontre. Cette alternative
qui est offerte à l'Etat partie en vertu de l'article 7 de la Convention n'existe que
lorsqu'une telle demande d'extradition a effectivement étéformulée et place dès lors
l'Etat partie dans la position de choisir entre (a) procéder à ladite extradition ou (b)
soumettre l'affaire à ses propres autorités judiciaires pour le commencement de
l'action pénale, le but de la disposition étant d'éviter l'impunité pour tout acte de
torture.
9.8 Le Comitéestime que l'Etat partie ne peut invoquer la complexité de sa procédure
judiciaire ou d'autres raisons dérivéesde son droit interne pour justifier le manque de
respect à ses obligations en vertu de la Convention. ll considère que cette obligation de
poursuivre Hissène Habré pour les faits alléguésde torture existait dans le chef de
l'Etat partie, à défautde prouver qu'il ne disposait pas d'élémentssuffisant permettant
de poursuivre Hissène Habré,à tout le moins au moment de l'introduction de la plainte
par les requérants en janvier 2000. Or, par sa décision du 20 mars 2001, non
susceptible d'appel, la Cour de Cassation a mis fin aux possibilités de poursuite à
l'encontre d'Hissène Habréau Sénégal.
50 9.9 Par conséquentet nonobstant le temps qui s'est écoulédepuis l'introduction de la
communication, le Comitéconsidèreque l'Etat partie n'a pas rempli ses obligations en
vertu de 1'article 7 de la Convention.
9.10 En outre, le Comitéconstate qu'à partir du 19 septembre 2005, l'Etat partie se
trouvait dans une autre des situations prévuespar ledit article 7 puisqu'une demande
formelle d'extradition avait alors étéformuléepar la Belgique. L'Etat partie avait à ce
moment l'alternative de procéderà cette extradition s'il décidaitde ne pas soumettre
l'affaire à ses propres autoritésjudiciaires pour l'exercice de poursuites pénales à
l'encontre de HissèneHabré.
9.11 Le Comitéconsidère qu'en refusant de faire suite à cette demande d'extradition,
l'Etat partie a une nouvelle fois manquéà ses obligations en vertu de l'article 7 de la
Convention.
9.12 Le Comitécontre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la
Convention, conclut que l'Etat partie a violé les articles 5, paragraphe 2, et 7 de la
Convention. » 160
2.04. Dans sa Note sur les dernières évolutions transmis au Greffe de la Cour, le
Sénégalfait part d'une mission confidentielle d'information du Comitécontre la torture qui
s'est rendue au Sénégaldu 4 au 7 août 2009 afin de« s'enquérirde l'étatde préparatifsdu
161
procès Hissène HABRE et des dispositions prises par l'Etat du Sénégaldans ce sens » .
La mission du Comitéa rencontréles autoritésadministratives et judiciaires en charge de
l'affaire H. Habré.Il est reportéque, suite à un constat fait par les membres de la mission,
les autorités sénégalaises ont réaffirmé « leur volonté de respecter les obligations
conventionnelles du Sénégalnéesde la signature et de la ratification de la Convention
contre la torture» et ont également assuréque «le Sénégalne saurait se prévaloird'une
quelconque exception tirée d'un manque de moyens financiers pour ne pas mettre en
Œuvre ses obligations et n'a pas envisagéune telle possibilité» 162.Selon les explications
contenues dans la Note sur les dernières évolutions, «les membres du Comité ont opté
pour une démarcheconsistant, avant tout, à auditionner l'Etat concernésur la question »163.
16°Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, pars. 9.3-9.12 (annexe E.2.)
161Annexe D.9., pp. 5-6.
162
Ibid.,p. 6.
163
Ibid.
51 II. Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
2.05. En l'affaire Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal,le requérant a
demandé « le retrait de la procédure actuellement diligentée » par le Sénégalcontre M.
Habré.Dans son arrêtdu 15 décembre 2009, la Cour africaine des droits de l'homme et des
peuples a jugé à l'unanimité qu'elle n'avait pas de compétence pour connaître de l'affaire,
le Sénégal n'ayant pas fait de déclaration acceptant la compétence de la Cour
conformément à l'article 34, paragraphe 6, du Protocole à la Charte Africaine des droits de
l'homme et des peuples sur l'établissement de cette Cour 164.
III. Cour de Justice de la Communautééconomiquedes États
de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
2.06. Par requêteintroduite le 6 octobre 2008 contre le Sénégal,M. Habré a saisi la
Cour de Justice de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest en
demandant à la Cour de constater de nombreuses violations d'instruments internationaux
de protection des droits de l'homme, y compris la Déclaration universelle des droit de
l'homme, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.l a priéla Cour de
«- dire et juger que toutes poursuites engagées sur les fondements indiqués dans [la]
requêteseraient de nature à perpétuer lesdites violations ;
- dire et juger que la violation de ces principes et droits fait obstacle à la mise en
Œuvre de toute procédure à l'encontre de Monsieur Hissein Habré;
- ordonner en conséquence à la République du Sénégalde se conformer aux droits et
principes ci-dessus rappelés et de cesser toutes poursuites et/ou actions à l'encontre de
165
Monsieur Hissein Habré » .
164Arrêtdu 15 décembre2009, Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal, requête n° 001/2008
(annexe E.3.). Voir également les explications du Sénégaldans sa Note sur les dernières évolutions
intervenues dans la préparation, par le Sénégal,du procès de M. Hissène Habré depuis le prononcé de
l'ordonnance du 28 mai2009 sur la requêtebelge en indication de mesures conservatoires, 15 juin 2010,
pp. 7-8 (annexe D.9.)
165
Cour de Justice de la CEDEAO, Hissein Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit, mai 2010, par. 2 (annexe E.l.)
52 2.07. Il ressort de la Note sur les dernières évolutions adresséepar le Sénégalà la
Cour que, le 27 novembre 2009, la Cour de Justice a, par arrêtavant dire droit no ADD
ECW/CCI/APP/11/09 rejeté la demande d'intervention introduite par le «Collectif des
166
Victimes » .
2.08. Dans une note verbale du 12 mai 2010 adressée au ministère des affaires
étrangèresdu Sénégal 167, la Belgique a demandé aux autorités sénégalaisesqu'elles lui
confirment, dans l'hypothèse où une décision de la Cour de Justice de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest déclarerait fondé le recours de M. Habré,
leur interprétation de leur engagement solennel formulé devant la Cour internationale de
justice de maintenir M. Habré sur leur territoire. Fin juin 2010, cette note verbale reste
sans réponse.
2.09. Le 14 mai 2010, la Cour de Justice a déclaréqu'elle étaitcompétenteet que la
requêteétaitrecevable 16. La Cour a décidéque
«- La Cour est compétentepour connaître l'affaire dont elle a étésaisie par Monsieur
Hissein Habré;
- Dit que la requêtede Monsieur Hissein Habréest recevable ;
-En conséquence,rejette les exceptions préliminairessoulevéespar l'Etat du Sénégal;
- Ordonne la poursuite des débatsau fond »169.
2.10. Lors des plaidoiries sur la compétencede la Cour de Justice de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest, les représentants du Sénégalont reconnu
que
«au moment où Monsieur Hissein Habré a saisi la Cour de céans, il n'existait, ni
existe à ce jour, aucune procédure pendante contre lui devant les juridictions
senega mses »170.
166
Annexe D.9., p. 7.
167
Annexe B.24.
168Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,14 mai 2010 (annexe E.l.)
169Ibid., par. 71.
53 2.11. La Cour de Justice a tenu des audiences sur le fond de l'affaire le 18juin 2010.
Lors de ces audiences, le Sénégala réaffirméqu'aucune violation des instruments de
protection de droits de l'homme n'a étécommise et qu'il ne s'agit que de violations
potentielles eu égard au fait que, actuellement, aucune procédure judiciaire n'est
formellement engagée contre M. Habré. La décision de la Cour est attendue pour le
19 octobre 2010.
170
Ibid., pa14.
54 CHAPITRE III
LA COMPETENCE DE LA COUR
3.01. Dans sa requêteintroductive d'instance, la Belgique a invoquédeux bases de
compétence:
l'article 30 de la Convention contre la torture et autres pemes ou traitements
. h . d' d 171
crue 1s, m umams ou egra ants ; et
les déclarations de la Belgique et du Sénégal en vertu de l'article 36,
172
paragraphe 2, du Statut de la Cour .
3.02. Ces bases de compétence ont étéabordées lors de la procédure orale sur
l'indication de mesures conservatoires. Dans son ordonnance du 28 mai 2009, la Cour a
jugéqu'elle étaitcompétenteprimafacie en vertu de l'article 30 de la Convention contre la
torture 173.Elle a ega ement ec1 e'd'
«qu'il n'y a dès lors pas lieu de rechercher, à ce stade de la procédure, si les
déclarations faites par les Parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut
pourraient également fonder, prima facie, la compétence de la Cour pour connaître
174
de l'affaire » •
3.03. L'article 30 de la Convention contre la torture s'applique au différenddans la
mesure où il concerne les obligations du Sénégalen vertu de cette Convention. Par ailleurs,
la compétence fondée sur l'article 36, paragraphe 2, du Statut couvre l'ensemble du
différendportédevant la Cour, qu'il s'agisse du différendfondésur la Convention contre
la torture, ou sur toute autre règle de droit international conventionnel ou coutumier. La
175
Belgique estime que la Cour a compétencesur cette double base •
171Annexe A.l.
172
Annexe A.2.
173
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 53. Voir aussi l'examen de l'article 30 aux pars. 42-52.
174
Ibid., par. 54.
175
L'argument avancé par le Sénégallors des audiences publiques relatives à la demande en indication de
mesures conservatoires selon lequel la condition de compétence liéeà l'article celle qui découledes
déclarations facultatives de la juridiction obligatoires sontlatives de telle sorte qu'il suffit qu'une
55 3.04. La section 1 de ce chapitre examine la compétence de la Cour sur la base de
l'article 30 de la Convention contre la torture. La section II traite des déclarations
facultatives d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour.
1. La compétenceen vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture
3.05. L'article 30, paragraphe 1, de la Convention contre la torture est une clause
compromissoire, prévoyant que les différends concernant l'interprétation ou l'application
de la Convention sont soumis à l'arbitrage ou, si «les parties ne parviennent pas à se
mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage», à la Cour internationale de Justice:
«Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l'interprétation ou
l'application de la présente Convention qui ne peut pas êtreréglépar voie de
négociationest soumis à l'arbitrage à la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les six
mois qui suivent la date de la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent pas à se
mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant une requête
conformémentau Statut de la Cour. »
3.06. La Belgique et le Sénégalsont parties à la Convention contre la torture. Le
Sénégall'a ratifiéele 21 août 1986. Elle est entréeen vigueur pour le Sénégallors de son
entrée en vigueur générale le 26 juin 1987. La Belgique a ratifié la Convention
le 25 juin 1999. Elle est entréeen vigueur pour la Belgique, y compris dans ses relations
avec le Sénégal,le 25 juillet 1999.
3.07. Ni la Belgique ni le Sénégaln'ont fait de réserveà la convention, en particulier
sur la base du paragraphe 2 de l'article 30, qui autorise un État partie à se délier de la
clause compromissoire prévuepar le paragraphe 1 de cet article. La Belgique et le Sénégal
sont donc liéspar l'article 30, paragraphe 1, de la Convention.
3.08. L'article 30, paragraphe 1, est une disposition relativement habituelle dans les
176
conventions internationales. Il est similaire à 1'article 14 de la Convention de Montréal ,
seule d'entre elles fasse défautpour que la Cour ne puisse pas retenir sa compétence» (CR 2009/11, 8
avril2009, p. 15, par. 21 (Diouf)) est sans fondement aucun.
176Convention pour la répressiond'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde l'aviation civile, 23 septembre
1971, RTNU, vol. 974, p. 185 (l-14118).
56 177
que la Cour a examiné dans les affaires de Lockerbie . ll est également similaire à
l'article 29 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à
l'égard des femmes 178 dont la Cour a eu à connaître dans le différend entre la République
démocratique du Congo et le Rwanda 179•
3.09. Quatre conditions doivent êtresatisfaites avant qu'une partie puisse soumettre
un différendà la Cour en vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture:
Il faut « un différend entre deux ou plus des États parties concernant
l'interprétation ou l'application de la présente Convention» ;
- le différend « ne peut pas êtreréglépar voie de négociation » ;
- une des parties au différend doit avoir demandé qu'il soit soumis à l'arbitrage ; et
«dans les six mois qui suivent la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent
pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage».
3.10. Ces conditions sont cumulatives. Si elles sont réunies, le différend peut être
soumis à la Cour en vertu de l'article 30 de la Convention par chacune des parties.
A. L'EXISTENCE D'UN DIFFEREND
3.11. Le différend entre la Belgique et le Sénégalporte sur l'interprétation et, surtout,
l'application de la Convention contre la torture, ainsi qu'on l'expliquera de manière plus
177
Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c.Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil 1998, p. 9; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J. Recueill998, p.115.
178
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égarddes femmes, 18 décembre
1979, art. 29, par., RTNU, vol. 1249, p. 13 (l-20378). Bien que cette disposition de la Convention de
1979 se réfère àtout différend «qui n'est pas réglépar voie de négociation» et celle de 1984 vise tout
différend «qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation »,il n'y a pas de différence de fond. Dans
l'affaire desActivités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda)
(nouvelle requête: 2002), la Cour s'est référée à la Convention de 1979 en disant« n'aurait pas pu être
réglépar voie de négociation» (compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 40, par. 89).
179
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda) (nouvelle
requête: 2002), mesures conservatoires, ordonnance du JO juillet 2002, C.I.J. Recueil2002,pp.246-247,
pars. 76-79.
57 180
détailléeau chapitre IV ci-dessous . La Belgique estime que le Sénégalne remplit pas les
obligations prévues par la Convention contre la torture, tandis que le Sénégalle nie. Qui
plus est, la Belgique et le Sénégalne sont pas d'accord sur le sens à donner à certaines
dispositions de cette Convention. Selon la Belgique, les actes et omissions du Sénégalsont
contraires à la Convention et entraînent la responsabilité internationale du Sénégal.Ces
actes et omissions comprennent
le fait de ne pas avoir pris, avant 2007, les mesures nécessaires pour mettre en
Œuvrela Convention conformémentà son article 5, paragraphe 2;
le renvoi du dossier H. Habré à l'Union africaine, ams1 que la prétention du
Sénégald'agir désormaissous« mandat» de l'Union;
- son refus de poursuivre ou d'extrader M. Habrédans un délairaisonnable ;
la suggestion que des considérations financières justifieraient, en quelque sorte,
l'inexécutionde la Convention.
3.12. La Cour a examiné l'existence d'un différend dans son ordonnance en
indication de mesures conservatoires du 28 mai 2009 ; elle a jugé que, prima facie, il y
avait un différendà la date de l'acte introductif d'instance 181et que ce différendcontinuait
mêmesi sa portéepouvait avoir changé:
« Considérant que, compte tenu de la façon dont les Parties ont présentéleurs
positions à l'audience, la Cour examinera à présentsi un tel différendcontinue, prima
facie, d'exister; que le Sénégala affirméque les obligations qui sont les siennes ne
découlentpas du mandat reçu de l'Union africaine en 2006 et qu'un Etat partie à la
convention contre la torture ne peut pas s'acquitter des obligations énoncéesà son
article 7 par le simple fait de saisir une organisation internationale ; que les Parties
semblent néanmoins continuer de s'opposer sur d'autres questions d'interprétation ou
d'application de la convention contre la torture, telles que celle du délaidans lequel les
obligations prévues à l'article 7 doivent êtreremplies ou celle des circonstances
(difficultés financières, juridiques ou autres) qui seraient pertinentes pour apprécier
s'il y a eu ou non manquement auxdites obligations ; que les vues des Parties, par
ailleurs, continuent apparemment de diverger sur la façon dont le Sénégaldevrait
s'acquitter de ses obligations conventionnelles; et qu'en conséquence il appert que,
180Voir pars. 4.02-4.59 ci-dessous.
181
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du28 mai 2009, par. 47.
58 prima facie, un différend de la nature de celui visé à l'article 30 de la convention
contre la torture demeure entre les Parties, mêmesi sa portéea pu évoluerdepuis le
/ A d 1 A 182
d epot e a requete » .
3.13. Selon la définitionclassique de la Cour permanente de Justice internationale,
« [u]n différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
183
une opposition de thèsesjuridiques ou d'intérêts entre deux personnes » •
Ainsi que la présente Cour l'a dit, « [i]l faut démontrerque la réclamation de l'une
des parties se heurte à l'opposition manifeste de l'autre » 184.
3.14. Un différend de ce type existe entre la Belgique et le Sénégalà propos de
185
l'interprétationet de l'application de la Convention contre la torture .Il s'agit de savoir si
l'absence de poursuite contre M. Habrépour actes de torture et le refus de l'extrader vers
la Belgique sont conformes ou non à l'article 7 et à d'autres dispositions de la Convention
contre la torture. Le Sénégalest clairement tenu par une obligation de poursuivre ou
d'extrader M. Habrépour les crimes de torture qui lui sont imputés,obligation qu'il n'a, à
ce jour, pas remplie. Cette obligation n'a notamment pas étéremplie en transmettant le
dossier « Hissène Habré» à l'Union africaine. En revanche, le Sénégalinterprète tout
autrement ses obligations et leur exécutionau regard de la Convention.
3.15. Ceci résulte très clairement du très long échange de notes verbales entre la
Belgique et le Sénégalet des contacts diplomatiques entre les deux pays 186,ainsi que des
actions et omissions du Sénégal.
3.16. Dans ces notes, la Belgique a constamment rappelé son interprétation des
dispositions pertinentes de la Convention contre la torture et a clairement affirméqu'« il
existait un différendau sens de l'article 30 de la Convention». De son côté,le Sénégala
tergiversé: soit il invoquait le renvoi de l'affaire à l'Union africaine, soit il invoquait
182Ibid., par. 48. Pour un point de vue différent,v. l'opinion individuelle commune des juges Al-Khasawneh
et Skotnikov, pars. 8-15 et l'opinion individuelle du juge hoc Sur, pars. 13-15.
183 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêtn° 2, !924, C.P.J.I. sérieA n° 2, p. 11.
184Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda) (nouvelle
requête:2002), compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 40, par. 90.
185Acte introductif d'instance, 19 février2009, par. 8.
186Voir pars. 1.33-1.60 ci-dessus et annexes B.l.à B.26.
59l'esprit de la Convention, soit il ne répondait pas. L'explication de la position du Sénégalà
l'époquefigure dans sa note du 23 décembre 2005 187 :
«La décision soumettant 'l'affaire Hissène Habré' à l'Union Africaine devra dès lors
êtreconsidéréecomme traduisant la position du Gouvernement sénégalais suite à
l'arrêtde la Chambre d'accusation. »
3.17. Il y avait donc un différend entre la Belgique et le Sénégal concernant
l'interprétation ou l'application de la Convention. Le différend s'est poursuivi au moment
du dépôtde l'acte introductif d'instance et au moment de l'ordonnance du 28 mai 2009 sur
la demande en indication de mesures conservatoires. Le manquement persistant du Sénégal
à son obligation à prendre les mesures nécessaires pour poursuivre ou extrader M. Habré
depuis la date de 1'ordonnance en indication de mesures conservatoires confirme
1'existence continue du différend.
B. LE DIFFEREND N'A PAS PU ETRE REGLE PAR LA NEGOCIATION
3.18. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a conclu
que « la condition selon laquelle le différend qui lui est soumis doit êtrede ceux qui 'ne
peu[vent] pas êtreréglé[s]par voie de négociation' doit êtreregardée comme remplie
primafacie » 188.Pour aboutir à cette conclusion, la Cour a noté
« que la Belgique a tenté de négocier ; que [... ] la correspondance diplomatique,
notamment la note verbale en date du 11 janvier 2006 par laquelle la Belgique
entendait apporter certaines précisions 'dans le cadre de la procédure de négociation
visée à l'article 30 de la convention contre la torture ... ', montre que la Belgique a
tentéde résoudre le différend concerné par voie de négociation et que les négociations
ainsi proposées ne sauraient êtreréputéesavoir résoluce différend »189.
3.19. Des négociations relatives à ce différend ont, en effet, commencé avec la note
verbale du 30 novembre 2005, où la Belgique demandait «des éclaircissements sur la
position du gouvernement sénégalaissuite à [la décision de la chambre d'accusation de la
Cour d'appel de Dakar]». Cette demande a étésuivie d'un long échange de notes et de
187Annexe B.6.
188
Questions concernant l'obligationd'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du28 mai 2009, par.50.
189
Ibid.
60contacts diplomatiques à Dakar et à Bruxelles. Nonobstant ces échanges, il étaitclair, en
2006, que le différendn'allait pas êtreréglépar voie de négociation.
3.20. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 15 octobre
2008 dans l'affaire relative à l'Application de la convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédérationde
Russie), la Cour a examiné l'article 22 de la Convention sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (CIEDR). Cette clause compromissoire prévoit la
soumission à la Cour de tout différend concernant l'interprétation ou l'application de la
Convention qui «n'aura pas étéréglépar voie de négociation». Pour la Cour, cette
disposition
« prise dans son sens naturel, ne donne pas à penser que la tenue de négociations
formelles au titre de la Convention ou le recours aux procéduresviséesà l'article 22
constituent des conditions préalablesauxquelles il doit êtresatisfait avant toute saisine
190
de la Cour» .
Toutefois, précisela Cour, l'article 22
« donne [... ] à penser que la Partie demanderesse doit avoir tentéd'engager, avec la
Partie défenderesse, des discussions sur des questions pouvant relever de la
191
CIEDR » .
La Cour a constaté
«qu'il ressort du dossier de l'affaire que de telles questions ont étésoulevées à
l'occasion de contacts bilatérauxentre les Parties, et qu'elles n'ont manifestement pas
été résoluespar voie de négociationavant le dépôtde la requête» 192.
Dèslors, elle a estimé,«prima facie, avoir compétenceen vertu de l'article 22 de la
193
CIEDR pour connaître de l'affaire » .
190Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du I5 octobre 2008,
par. 114.
191
Ibid.
192Ibid., par.115.
193Ibid., par.117.
61 3.21. Dans cette affaire, la Géorgie n'avait pas fait explicitement référence à la
Convention sur 1'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dans ses
contacts bilatéraux avec la Fédérationde Russie, alors que, dans la présente espèce, la
Belgique s'est expressément référée à la Convention contre la torture tout au long de ses
contacts avec le Sénégal.La Belgique a, en effet, ététrès précise en invoquant, à plusieurs
reprises, la Convention et certaines de ses dispositions. Ainsi, dans sa note verbale du 11
janvier 2006, la Belgique s'est expressément référéeà «la procédure de négociation en
194
cours sur la base de l'article 30 de la Convention contre la torture » . Dans sa note
195
verbale du 9 mars 2006 ,la Belgique a évoquéà nouveau le processus de négociation, et
a observé qu'elle interprétait l'article 4, l'article 5, paragraphes 1 c et 2, l'article 7,
paragraphe 1, l'article 8, paragraphes 1, 2 et 4 et l'article 9, paragraphe 1 de la Convention
«comme prévoyant l'obligation pour l'Etat sur le territoire duquel est trouvé l'auteur
présumé d'une infraction visée à l'article 4 de la convention précitée,de l'extrader à
défautde l'avoir jugésur la base des incriminations viséesaudit article. »
Cette liste détailléede dispositions de la Convention a étérépétéedans la note
196
verbale belge du 20 juin 2006 ; la Belgique y constate que
«la tentative de négociation entamée avec le Sénégalen novembre 2005 n'a pas
abouti et, conformément à l'article 30 de la Convention Torture [la Belgique] demande
en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à l'arbitrage».
3.22. Ces faits ne sont pas contestéspar le Sénégal.A aucun moment, le Sénégaln'a
initiéou cherché à prolonger les négociations. La conclusion est donc claire : ce différend
ne pouvait pas êtreréglépar la négociation.
C. LA DEMANDE D'ARBITRAGE
3.23. La Belgique annonçait la possibilité de recounr à l'arbitrage dans sa note
197
verbale du 4 mai 2006 . Elle écrivait:
194
Annexe B.7.
195Annexe B.S.
196Annexe B.ll.
197
Annexe B.9.
62 «une controverse non résolue au sujet de cette interprétation [de l'article 7 de la
Convention contre la torture] entraînerait un recours à la procédure d'arbitrage prévue
à l'article 30 de la Convention sur la torture».
Le Sénégallui-même,dans sa note verbale du 9 mai 2006, a« pr[is] acte» de
«l'éventualité d'un recours à la procédure d'arbitrage prévue à l'article 30 de la
Convention contre la torture »198.
Dans sa note verbale du 20 juin 2006, la Belgique demandait formellement le recours
199
à la procédure d'arbitrage viséeà l'article 30 de la Convention :
«La Belgique se doit de constater que la tentative de négociation entamée avec le
Sénégalen novembre 2005 n'a pas abouti et, conformément à l'article 30, § 1erde la
Convention Torture demande en conséquence au Sénégalde soumettre le différend à
l'arbitrage suivant les modalités à convenir de commun accord. »
3.24. Durant les audiences publiques sur la demande en indication de mesures
conservatoires, le Sénégala dit qu'il ne pouvait pas retrouver la note verbale belge
200
du 20 juin 2006 dans ses archives .La Belgique a expliquéque cette note avait étéremise
au secrétaire généraldu ministère des Affaires étrangères le 21 juin 2006 et elle s'est
201
référée à cet égard à un rapport interne du mêmejour .Le Sénégala répondu que cette
202
note verbale n'avait pas éténotifiéecorrectement ou officiellement .De toute façon, ainsi
que la Cour l'a dit dans son ordonnance du 28 mai 2009,
« mêmeà supposer que ladite note verbale ne soit jamais parvenue à son destinataire,
la note verbale en date du 8 mai 2007 s'y réfèreexplicitement ; et [... ] il est confirmé
que cette seconde note a étécommuniquée au Sénégalet reçue par celui-ci plus de six
203
mois avant la date de la saisine de la Cour » .
198Annexe B.lü.
199
Annexe B.11.
20
°CR 2009/9, 6 avril2009, p. 14, par. 34 (Thiam).
201
CR 2009/10,7 avril2009, p. 21, par.16 (Wood). Pour le rapport interne, v. annexe C.10.
202CR 2009/11,8 avril2009, pp. 15-16, pars. 23-25 (Diouf).
203Questions concernant l'obligation d'extrader ou de poursuivre (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 52.
63 D. LES PARTIES N'ONT PAS PU S'ENTENDRE SUR L'ORGANISATION D'UN ARBITRAGE
DANS LES SIX MOIS
3.25. La demande d'arbitrage baséesur l'article 30 de la Convention contre la torture
a étéformulée le 21 juin 2006. Onze mois plus tard, par note verbale du 8 mai 2007 204,la
Belgique a rappelé au Sénégalcette demande d'arbitrage, et, de nouveau, a énuméréles
dispositions pertinentes de la Convention contre la torture.
3.26. Le Sénégal n'a répondu à aucune de ces deux demandes (demande initiale
d'arbitrage du 21 juin 2006 et le rappel de celle-ci, le 8 mai 2007). Comme l'a dit la Cour,
205
lors des affaires de Lockerbie, la demande «est restée sans réponse » .Une proposition
d'arbitrage laissée sans réponse étaitprécisémentla situation considéréepar la Cour dans
les affaires de Lockerbie. Dans ces cas, les États-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni
avaient clairement fait savoir au Conseil de sécurité qu'ils n'accepteraient pas
206
d'arbitrage (un fait particulièrement pertinent pour la décision de la Cour concernant la
condition du délaide six mois, qui n'est pas en cause ici).
3.27. La Cour a, de nouveau, considéréla question dans l'arrêtrelatif à l'affaire
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.
Rwanda) dans laquelle le défendeur n'avait pas donné de réponse à une proposition
d'arbitrage. Après avoir constaté que «l'absence d'accord entre les parties sur
l'organisation d'un arbitrage ne peut en effet pas se présumer», la Cour, citant les affaires
de Lockerbie, avait ajouté
«L'existence d'un tel désaccord [sur l'organisation de l'arbitrage] ne peut résulterque
d'une proposition d'arbitrage faite par le demandeur et restée sans réponse de la part
du défendeur ou suivie de l'expression par celui-ci de son intention de ne pas
l'accepter »207.
204
Annexe B.14.
205Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyennec. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil1998, p. 17, par. 20; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de
1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenneEtats-Unis d'Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt,I.J. Recueil1998, p. 122, par. 20.
206
Ibid., p. 17, par. 21 et p. 122, par. 21.
207
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda) (nouvelle
requête: 2002), compétence et recevabilité, arrêt,C.I.J. Recueil2006, p. 41, par. 92.
64 3.28. Dans la présenteespèce, la Belgique a demandéque le différend soit soumis à
208
l'arbitrage . La demande est restéesans réponse.Les parties n'ont donc pas pu s'entendre
sur l'organisation de l'arbitrage dans le délai de six mois prévu par l'article 30 de la
Convention contre la torture.
*
3.29. Toutes les conditions de l'article 30 ont étéremplies. La Cour a donc
compétence en vertu de l'article 30 de la Convention contre la torture pour le différend
entre la Belgique et le Sénégalqui concerne l'interprétation ou l'application de cette
Convention.
II. La compétenceen vertu des déclarationsd'acceptation
de la juridiction obligatoire
3.30. La Belgique et le Sénégalont fait des déclarations d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour et celles-ci sont toujours en vigueur.
209
3.31. La déclaration actuelle de la Belgique date du 3 avril 1958 . Elle a été
déposéeauprès du Secrétairegénéraldes Nations Unies et a pris effet le 17juin 1958. La
Belgique déclare accepter la juridiction de la Cour pour «tous les différends d'ordre
juridique nésaprès le 13 juillet 1948 au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette
date ». Cette déclaration exclut les différendsjuridiques « où les parties auraient convenu
ou conviendraient d'avoir recours à un autre mode de règlement pacifique».
210
3.32. La déclarationdu Sénégaldate du 2 octobre 1985 . Elle a étédéposéeet a pris
effet le 2 décembre 1985. Elle s'étend à «tous les différends d'ordre juridique nés
postérieurement [ 211l à la présentedéclaration». Elle prévoitaussi que :
208 Voir pars. 3.23-3.24.
209RTNU, vol. 302, p. 251 (4364) (annexe A.2.)
210RTNU, vol. 1412, p. 155 (23644) (annexe A.2.)
211
La traduction anglaise de la déclaration sénégalaisepubliée par le Secrétariat des Nations Unies a rendu
«néspostérieurement » littéralement par«horn subsequent ». Dans le cas de la déclaration belge,«nés
après» a ététraduit d'une façon plus idiomatique par« arising afte».
65 « le Sénégalpeut renoncer à la compétencede la Cour au sujet :
des différends pour lesquels les parties seraient convenues d'avoir recours à un
autre mode de règlement ;
des différendsrelatifs à des questions qui, d'après le droit international, relèvent
de la compétenceexclusive du Sénégal. »
3.33. En vertu du principe de la réciprocité appliqué à ces déclarations, la
compétence de la Cour s'étend à tous les différends juridiques nés après
le 2 décembre1985, pourvu qu'ils concernent des situations ou des faits postérieurs au 13
juillet 1948, avec deux exceptions :
(i) les différends pour lesquels les parties ont accepté de recourir à un autre mode de
reg ement 212.
(ii) les différends qm, en vertu du droit international, relèvent de la «compétence
exclusive »d'une des parties.
A. L'EXISTENCE D'UN DIFFEREND JURIDIQUE
3.34. Dans son acte introductif d'instance, la Belgique a écrit:
« Il existe donc bien un différend entre le Sénégalet la Belgique, différend portant
sur l'application et l'interprétation des obligations conventionnelles et coutumières
internationales applicables à la répression de la torture et des crimes contre
213
l'humanité. »
3.35. Le différend porte sur l'absence de poursuites contre M. Habré pour crimes
contre l'humanité, crimes de génocide, crimes de guerre, et sur la responsabilité
internationale du Sénégal résultant de violations des règles conventionnelles et
coutumières. La Belgique estime que le Sénégaln'a pas rempli son obligation de
poursuivre ou d'extrader M. Habrépour les crimes qui lui sont imputés.Le Sénégal,de son
côté, par ses actions et son inaction, y compris son absence de réponse aux demandes
212La légèredifférence de formulation entre les deux déclarations n'entraîne aucune différence sur leur
substance.
213Requêteintroductive d'instance, 19 février2009, par. 9 (C.7.)e
66répétéesde la Belgique, a clairement montré qu'il n'interprétait pas les règles
conventionnelles et coutumières de la mêmemanière que la Belgique.
3.36. La correspondance diplomatique 214est également pertinente pour les crimes qui
ne sont pas couverts par la Convention contre la torture et dont M. Habré est accusé. La
demande d'extradition, transmise le 22 septembre 2005, couvrait ces crimes ainsi que ceux
visés par la Convention contre la torture. Le défaut du Sénégalde donner suite à cette
demande, ou d'intenter lui-même des poursuites, viole l'obligation conventionnelle et
coutumière du Sénégalde poursuivre ou d'extrader M. Habré et de veiller à ce qu'il ne
bénéficiepas de l'impunité. Un différendjuridique oppose donc la Belgique et le Sénégal
sur ces points.
B. L'INAPPLICABILITE DE LA LIMITE RATIO NE TEMPO RIS
215
3.37. Comme on l'a dit , une double limite ratione temporis résulte de l'effet
combiné des deux déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. En
vertu de ces déclarations, la compétence de la Cour s'étendà tous les différendsjuridiques
nés après le 2 décembre 1985, pourvu qu'ils concernent des situations ou des faits
postérieurs au 13 juillet 1948. Les deux dates critiques sont donc le 2 décembre 1985 et le
13 juillet 1948.
3.38. Le différend entre la Belgique et le Sénégalconcerne l'obligation du Sénégal,
selon le droit international conventionnel ou coutumier, de poursuivre ou d'extrader M.
Habré pour certains crimes, et le défaut du Sénégal, depuis 2005, de remplir cette
obligation. Le différend n'est pas nélorsque les crimes alléguésont étécommis au Tchad,
entre 1982 et 1990, crimes pour lesquels le Sénégalne porte, évidemment, aucune
responsabilité ; il a surgi lorsque la Belgique et le Sénégal se sont opposés sur
l'interprétation et sur l'application de l'obligation conventionnelle et coutumière du
Sénégalde veiller à ce que M. Habré ne jouisse pas de l'impunité. Il n'est pas nécessaire
d'établir la date précise de la naissance du différend; c'était de toute façon longtemps
après le 2 décembre 1985 dès lors que M. Habré n'a pas cherché refuge au Sénégalavant
1990.
214
Voir pars. 1.33-1.60 ci-dessus.
215Voir par. 3.33 ci-dessus.
67 3.39. De même,il est clair que le différend concerne des faits ou des situations
postérieures au 13juillet 1948.
3.40. Le présentdifférend ne se situe donc pas en dehors des limites ratione temporis
des déclarations facultatives de la juridiction obligatoire de la Cour faites par la Belgique et
le Sénégal.
C. L'ABSENCE D'AUTRES MOYENS DEREGLEMENT
3.41. L'exclusion de la compétence de la Cour des différends pour lesquels les
parties auraient convenu d'un autre mode de règlement ne joue aucun rôle ici. La Belgique
et le Sénégalne se sont mis d'accord sur aucun autre moyen de réglerle présentdifférend.
D. LE CONFLIT N'ENTRE PAS DANS LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU SENEGAL
3.42. Enfin, le Sénégala exclu de la juridiction de la Cour les «différends relatifs à
des questions qui, d'après le droit international, relèvent de la compétence exclusive du
Sénégal». C'est une réserve «objective» de compétence interne qui ne soulève pas les
questions difficiles qui s'étaientposées à la Cour lorsqu'elle avait étéconfrontée au même
type de réserveprésentéesous une forme «subjective».
3.43. Le présent différend ne tombe évidemment pas sous ce type d'exception: il
porte sur des violations de règles de droit international conventionnel ou coutumier et
n'entre donc pas dans la compétence exclusive d'une des parties.
*
3.44. Toutes les conditions visées par les déclarations facultatives de juridiction
obligatoire sont réunies. La Cour a compétence, en vertu de l'article 36, paragraphe 2, de
son Statut, pour l'ensemble du différend entre la Belgique et le Sénégal,tant au regard de
la Convention contre la torture qu'au regard d'autres règles du droit international
conventionnel et coutumier.
68 CHAPITRE IV
LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL
IMPUTABLESAUSENEGAL
4.01. En ne poursuivant pas M. Habréet en ne l'extradant pas vers la Belgique en
dépitde la demande d'extradition dûment formuléepar les autoritésbelges, le Sénégala
violé et viole toujours les obligations qui sont les siennes découlant de la Convention
contre la torture (1) ainsi que d'autres règles du droit international conventionnel et
coutumier (Il).
1. Les violations de la Convention contre la torture
A. LES OBLIGATIONS DECOULANT DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
1. La Convention contre la torture
4.02. La Convention contre la torture a été adoptée par la résolution39/46
du 10 décembre1984 à la trente-neuvième session de l'Assemblée généraledes Nations
Unies 216. Elle a étéouverte à signature de tous les États conformément à son article 25.
217 18
Fin juin 2010, elle compte 146 États parties ,dont la Belgique et le Sénégae .
4.03. L'objet et le but de la Convention contre la torture sont clairement établisdans
son préambule: elle a étéadoptéeafin «d'accroître l'efficacitéde la lutte contre la torture
et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde
219
entier » . Dans sa résolution39/46 précitée,l'Assemblée généralea également exprimé
son désir«d'assurer une application plus efficace de l'interdiction, telle qu'elle résultedu
216
Assemblée générale,résolution 39/46, lü décembre 1984.
217Voir Traitésmultilatéraux déposésauprès du Secrétaire général,online http://treaties.un.org/, ch. IV, 9.
218Voir par. 3.06 ci-dessus.
219
Sixième considérant du préambule de la Convention. Voir aussi M. Nowak etE. McArthur, The United
Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford University Press, 2008, p. 8.
69droit international et des droits nationaux, de la pratique de la torture et des autres peines
0 1 ° h 0 d/ d 220
ou traitements crue s, m umams ou egra ants » .
4.04. A cette fin, la Convention ne se limite nullement à interdire la torture, mais
impose aux États parties d'autres obligations essentielles.
4.05. Les États parties ont souscrit à des obligations visant à prévenir les actes de
torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à renforcer leur
interdiction. En vertu de l'article 2, paragraphe 1, ils se sont notamment engagés à prendre
les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour
empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous [leur]
juridiction »221. Comme le Comité contre la torture l'a réaffirmédans son observation
générale no 2 sur l'application de l'article 2 de la Convention par les États parties :
« Les États parties sont tenus de supprimer tous les obstacles, juridiques ou autres, qui
empêchent l'élimination de la torture et des mauvais traitements et prendre des
mesures positives effectives pour prévenir efficacement de telles pratiques et
222
empêcherqu'elles ne se reproduisent ».
Plus spécifiquement, ils doivent intégrerl'interdiction de la torture dans la formation
de certaines catégories du personnel exerçant des prérogatives de puissance publique
(article 10), surveiller systématiquement les règles et pratiques d'interrogatoire ou de
détention sur leur territoire (article 11) et s'assurer que les autoritéscompétentes procèdent
immédiatement à des enquêtesex officia sur tout soupçon de torture (article 12). Toujours
aux fins de la prévention de toute forme de torture, les États parties se sont engagés à ne
pas expulser ou refouler une personne conformément à l'article 3 de la Convention.
4.06. Par ailleurs, la Convention reconnaît aux victimes le droit à un recours effectif
(article 13) et à une réparation adéquate (article 14). En vertu de son article 22, tout
particulier qui prétendêtrevictime d'une violation d'une disposition de la Convention a la
220 Op. cit. (cf. note 216).
221
L'article 16, paragraphe 1, oblige les États parties de prendre des mesures analogues pour« d'autres actes
constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (...) lorsque de tels actes sont
commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacit».
222Comité contre la torture, Observation généralen° 2 (Application de l'article 2 par les États parties),
CAT/C/GC/2, par. 4, in Documents officiels de l'Assemblée générale, soixante-troisième session,
supplément n° 44 (A/63/44), annexe VI, p. 168.
70possibilité de déposer une communication devant le Comitécontre la torture à condition
que l'État sous la juridiction duquel la victime se trouve ait reconnu la compétence du
Comitépour des communications individuelles. La Belgique et le Sénégalont reconnu la
compétencedu Comitécontre la torture à cette fin.
4.07. Enfin, la troisième catégoried'obligations contenues dans la Convention contre
la torture vise à obliger les États parties à mettre en place, dans leurs systèmes juridiques
internes, les normes et procédurespénalesnécessaires afin de punir tout acte de torture. Il
223
s'agit, en effet, d'une «special raison d'êtrefor the entire Convention » dont l'objectif
224
avoué consiste justement à «accroître l'efficacité de la lutte contre la torture » . La
Convention ne se limite ainsi pas à exiger des États parties de « veille[r] à ce que tous les
actes de torture [ainsi que la tentative de pratiquer la torture et la complicité ou la
participation à la torture] constituent des infractions au regard de son droit pénal»
(article 4), mais leur impose d'établir leur compétence aux fins de connaître de ces
infractions d'une façon particulièrement complète. Les États parties ne doivent pas
seulement établirleur compétencepénale; ils sont égalementobligésde l'exercer dans les
cas où l'auteur présuméd'actes de torture se trouve sur tout territoire sous leur juridiction
(articles 5, paragraphe 2), ou, s'ils le jugent plus approprié, ils doivent l'extrader
conformément aux dispositions de l'article 8. Il s'agit non d'une simple faculté,reconnue
par le droit international, mais d'une véritable obligation conventionnelle pour tout État
partie d'établir et d'exercer une compétence répressive qui, selon les cas, est territoriale
(article 5, paragraphe 1 a), personnelle active (article 5, paragraphe 1 b) ou universelle
(article 5, paragraphe 2). En outre, la Convention prévoitl'établissement de la compétence
personnelle passive si l'État concerné «le juge approprié» (article 5, paragraphe 1 c).
L'ensemble de ces compétences sont autant d'expressions de l'obligation de combattre
l'impunité.
4.08. Le différendqui oppose la Belgique au Sénégalconcerne plus particulièrement
le non-respect, par les autorités sénégalaises,de leur obligation d'exercer la compétence
universelle expriméepar la règle poursuivre ou extrader (article 5, paragraphe 2) résultant
de l'obligation de combattre l'impunité.
223M. Nowak et E. McArthur, The United Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford
University Press,008, p. 10.
224Convention contre la torture, préambule, paragraphe 6. Voir aussi par. 4.03 ci-dessus.
71 2. L'obligation depoursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare)
établiepar la Convention contre la torture
4.09. L'obligation de poursuivre ou d'extrader (aut dedere aut judicare) établiepar
la Convention est énoncéeaux articles 5 à 9 :
Article 5
1. Tout État partie prend les mesures nécessairespour établirsa compétence aux
fins de connaître des infractions visées à l'article 4 dans les cas suivants:
a) Quand l'infraction a étécommise sur tout territoire sous la juridiction dudit État
ou à bord d'aéronefsou de navires immatriculésdans cet État;
b) Quand l'auteur présuméde l'infraction est un ressortissant dudit État;
c) Quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié.
2. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa
compétenceaux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé
de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l'extrade
pas conformément à l'article 8 vers l'un des États visés au paragraphe 1 du présent
article.
3. La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée
conformémentaux lois nationales.
Article 6
1. S'il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les
renseignements dont il dispose, tout État partie sur le territoire duquel se trouve une
personne soupçonnée d'avoir commis une infraction visée à l'article 4 assure la
détentionde cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessairespour
assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent êtreconformes à la
législationdudit État; elles ne peuvent êtremaintenues que pendant le délainécessaire
à l'engagement de poursuites pénalesou d'une procédured'extradition.
2. Ledit État procède immédiatement à une enquêtepréliminaire en vue d'établir
les faits.
3. Toute personne détenue en application du paragraphe 1 du présentarticle peut
communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifiéde l'État dont
elle a la nationalité ou, s'il s'agit d'une personne apatride, avec le représentant de
l'État où elle résidehabituellement.
4. Lorsqu'un État a mis une personne en détention, conformément aux
dispositions du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des
circonstances qui la justifient les États visésau paragraphe 1 de l'article 5. L'État qui
procède à 1'enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du présent article en
communique rapidement les conclusions auxdits États et leur indique s'il entend
exercer sa compétence.
72 Article 7
1. L'État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présuméd'une
infraction visée à l'article 4 est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet
l'affaire, dans les cas visésà l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de
l'action pénale.
2. Ces autorités prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute
infraction de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet État. Dans les
cas visés au paragraphe 2 de l'article 5, les règles de preuve qui s'appliquent aux
poursuites et à la condamnation ne sont en aucune façon moins rigoureuses que celles
qui s'appliquent dans les cas visésau paragraphe 1 de l'article 5.
3. Toute personne poursuivie pour l'une quelconque des infractions visées à
l'article 4 bénéficiede la garantie d'un traitement équitable à tous les stades de la
procédure.
Article 8
1. Les infractions visées à l'article 4 sont de plein droit comprises dans tout traité
d'extradition conclu entre États parties. Les États parties s'engagent à comprendre
lesdites infractions dans tout traitéd'extradition à conclure entre eux.
2. Si un État partie qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traitéest saisi
d'une demande d'extradition par un autre État partie avec lequel il n'est pas liépar un
traité d'extradition, il peut considérer la présente Convention comme constituant la
base juridique de l'extradition en ce qui concerne lesdites infractions. L'extradition est
subordonnée aux autres conditions prévuespar le droit de l'État requis.
3. Les États parties qui ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un traité
reconnaissent lesdites infractions comme cas d'extradition entre eux dans les
conditions prévuespar le droit de l'État requis.
4. Entre États parties lesdites infractions sont considéréesaux fins d'extradition
comme ayant étécommises tant au lieu de leur perpétration que sur le territoire sous la
juridiction des États tenus d'établir leur compétence en vertu du paragraphe 1 de
l'article5.
Article 9
1. Les États parties s'accordent 1'entraide judiciaire la plus large possible dans
toute procédure pénale relative aux infractions viséesà l'article 4, y compris en ce qui
concerne la communication de tous les élémentsde preuve dont ils disposent et qui
sont nécessaires aux fins de la procédure.
2. Les États parties s'acquittent de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 du
présentarticle en conformité avec tout traitéd'entraide judiciaire qui peut exister entre
eux.
73 4.10. L'obligation de poursuivre ou d'extrader comprend deux parties essentielles,
etrmtement 1eeset mter epen antes d 225 :
l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour établir une compétence
universelle des juridictions nationales dans le cas où l'auteur présuméd'actes de
torture se trouve sur le territoire de l'État du for (article 5, paragraphe 2) ;
en l'absence d'une demande d'extradition ou dans les cas où l'État du for choisit
de ne pas extrader l'auteur présumé d'actes de torture se trouvant sur son
territoire, l'État partie a l'obligation de soumettre l'affaire à ses autorités
compétentes pour l'exercice de l'action pénale(article 7, paragraphe 1).
4.11. Les obligations contenues dans les articles 6, 8 et 9 sont étroitement liées à
l'exercice de la compétence universelle et à l'obligation de poursuivre ou d'extrader 226.
Elles visent à assurer l'efficacité de l'action pénale, notamment en garantissant la présence
de l'auteur présuméd'actes de torture sous la juridiction de l'État du for et l'exécution
d'enquêtespréliminaires afin d'établir les faits, en permettant l'entraide judiciaire entre
plusieurs États et en facilitant les procédures d'extradition.
a) L'obligation d'établirune compétenceuniverselle
4.12. Outre l'obligation imposéepar la Convention contre la torture à tout État partie
de prendre les mesures nécessaires afin d'établir sa compétence territoriale et personnelle
pour tout acte de torture (article 5, paragraphe 1,a) et b)), les États parties sont également
obligés de mettre en place une compétence universelle conformément à l'article 5,
paragraphe 2, de ladite Convention. Cette disposition prévoit :
« Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence
aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci
225 Dans son étuderécente intitulée« Survey of multilateral conventions which may be of relevance for the
Commisssion's work on the tapie 'The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)' »,le
secrétariat de la Commission du droit international a remarqué :« Firstly, clauses usually qualified as
containing an obligation to extradite prosecute share two fundamental characteristics, namely: (l) their
objective to ensure the punishmentof certain offences at the internationallevand (2) their use, for that
purpose, of a mechanism combining the possibility of prosecution by the custodial State and the
possibilityof extradition to another State. » (A/CN.4/630, par. 150 (disponible sur le site Internet de la
Commission du droit international: http://www.un.org/law/ilcl)).
226
Voir aussi par. 4.23 ci-dessous.
74 se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne 1'extrade pas
conformément à l'article 8 vers l'un des États visés au paragraphe 1 du présent
article.»
4.13. Cette disposition est étroitementliéeà l'obligation de poursuivre ou d'extrader
prévue par l'article 7, et à l'étendue de la compétence pénale que les États doivent
instituer. Elle a pour objectif de veiller à ce que « no safe havens for perpetrators of torture
227
shall continue to exist in our contemporary global world » .A cette fin, les États parties
doivent se doter des moyens juridiques pour s'acquitter effectivement de leur obligation de
poursuivre ou d'extrader et, dans ce cas, traduire l'auteur présumédu crime de torture
devant les autorités nationales compétentes en matière pénale. Leur compétence peut se
fonder sur le droit pénalinterne ou, directement, sur le droit international.
4.14. J.H. Burgers etH. Danelius ont écrità cet égard:
« To be in a position to bring criminal proceedings against the offender, the State
concerned must have jurisdiction over the offence, and this is what article 5 seeks to
228
ensure »
4.15. Cette interprétation de l'article 5 est corroborée par les travaux de la
Commission du droit international concernant l'établissement d'un code des crimes contre
la paix et la sécuritéde l'humanité.Lors de sa 2408e séance,l'introduction, par le Comité
de rédaction,de l'article 5 bis dans le projet de la Commission concernant l'établissement
de la compétenceafin de connaître des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité 229
a été expliquéeainsi :
«Pour que l'option 'poursuivre ou extrader', reconnue à l'article 6 [du projet de la
Commission], soit effective, il convient que les deux solutions puissent êtremises en
Œuvre. La première solution (la poursuite) exige que l'État où le criminel présuméa
étédécouvert ait compétence pour connaître du crime. Cette condition fait l'objet du
227
M. Nowak et E. McArthur, The United Nations Convention Against Torture, A Commentary, Oxford
University Press, 2008, p. 10.
228
J.H. Burgers et H. Danelius, The United Nations Convention against Torture, A Handhook on the
Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Martinus
Nijhoff Publishers, DordrechtBoston 1London, 1988, p. 131.
229
Ce projet d'article 5 his prévoyait:
« Chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence afin de connaître des
crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité
(Annuaire de la Commission du droit international (Ann. C.D.I.), 1995, vol. l, 2408e séance,30 juin 1995,
p. 209, par. 1).
75 nouvel article 5 bis. Le texte proposé par le Comité de rédaction (... ) calqué sur la
disposition correspondante qui figure dans toutes les conventions de droit pénal
évoquéesprécédemmentpar le Président du Comité se passe d'explication. Dans la
mesure où l'article 6 pose, à présent, une obligation de soumettre 'l'affaire à ses
autorités compétentes' - et non une obligation de juger, comme le prévoyait le texte
adopté en première lecture -, l'article 5 bis revêtune importance particulière, si l'on
songe que le but du principe 'extrader ou poursuivre' serait totalement manqué dans le
cas où les tribunaux d'un État sur le territoire duquel un individu présuméavoir
commis un crime relevant du code aurait ététrouvé, une fois saisis de l'affaire par les
. / / d/ 1 . . / 230
autontes competentes, se ec arerment mcompetents » .
4.16. Par rapport au système de compétence universelle et de l'obligation de
poursuivre ou d'extrader établi par la Convention de la Haye pour la répression de la
capture illicite d'aéronefs, dont les rédacteurs de la Convention de 1984 se sont largement
inspirés -, le juge G. Guillaume, a expliqué dans son opinion individuelle jointe à l'arrêt
dans l'affaire relative au Mandat d'arrêtdu 11 avril 2000 (Républiquedémocratique du
Congo c. Belgique) :
« [La Convention de la Haye de 1970] fait obligation à 1'État sur le territoire duquel
l'auteur de l'infraction se réfugie de l'extrader ou d'engager des poursuites à son
encontre. Mais un tel dispositif eût étéinsuffisant si en mêmetemps la convention
n'avait créépour les États parties une obligation d'établir à cette fin leur compétence
juridictionnelle. Aussi l'article 4, paragraphe 2, de la convention dispose-t-il que:
'Tout État contractant ... prend les mesures nécessaires pour établir sa
compétence aux fins de connaître de 1'infraction dans le cas où 1'auteur présumé
de celle-ci se trouve sur son territoire et où ledit État ne 1'extrade pas
conformément à [la convention].'
Cette formulation marquait un tournant dont la conférence de La Haye a d'ailleurs été
consciente. Désormais l'obligation de poursuite n'étaitplus subordonnée à l'existence
d'une compétence, mais la compétence elle-mêmedevait êtreprise pour permettre les
. 231
poursmtes » .
4.17. L'obligation de l'article 5 constitue donc un préalable indispensable à
l'obligation de poursuivre ou d'extrader de l'article 7. Comme la Cour permanente de
Justice internationale l'a constaté au sujet de l'article 18 de la Convention de Lausanne
concernant l'échange des populations grecques et turques :
230Ibid., p. 212, par. 15.
231Mandat d'arrêt du II avril2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, opinion
individuelle du président Guillaume,I.J. Recueil2002, p. 38 et 39, par. 7.
76 « [C]ette clause ne fait que mettre en relief un principe allant de soi, d'après lequel un
État qui a valablement contractédes obligations internationales est tenu d'apporter à sa
législation les modifications nécessaires pour assurer l'exécution des engagements
pns» 232
4.18. Bien que l'article 5, paragraphe 2, laisse aux États le soin d'adopter les mesures
nécessaires pour établir dans leur droit interne le résultat recherché, les États restent
obligés d'assurer la conformité de leur droit interne avec les dispositions de la Convention
dès son entrée en vigueur. Le Comité contre la torture demande régulièrement aux États
d'adopter la législation nécessaire ou de réformer leur système de compétence
233
universelle .
b) L'obligation de poursuivre ou d'extrader
4.19. Conformément à l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture:
«L'État partie sur le ternt01re sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une
infraction visée à l'article 4 est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet
l'affaire, dans les cas visésà l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de
l'action pénale».
4.20. Tandis que l'article 5 relatif à l'établissement de la compétence pour juger les
auteurs présumésd'actes de torture se limite à obliger les États parties à créer le cadre
juridique nécessaire pour exercer leur compétence pénale, l'article 7, paragraphe 1, leur
impose une utilisation efficace de cette compétence en traduisant toute personne présumée
d'avoir commis des actes de torture devant leurs autorités compétentes sauf s'ils décident
de l'extrader.
4.21. L'obligation de juger ou d'extrader de l'article 7 de la Convention est soumise
à la seule et unique condition que l'auteur présuméd'actes de torture se trouve sur le
territoire de l'État partie. Dès la découverte de cette présence, l'État partie est obligé
d'assurer la présence de l'auteur présumésur son territoire (article 6, paragraphe 1), de
procéder immédiatement à une enquête préliminaire afin d'établir les faits (article 6,
232
Echange des populations grecques et turques, avis consultatif, C.P.J.I., SérieB, p. 20.
233
Voir, p. ex., Rapport du Comité contre la torture, Documents officiels de l'Assemblée générale,soixante
et unième session, supplément n° 44 (A/61/44), par. 29 (18).
77paragraphe 2) et d'en informer les États susceptibles d'établir leur compétence sur la base
de l'article 5, paragraphe 1 (article 6, paragraphe 4).
4.22. Après av01r accompli ces mesures préliminaires, l'État du for doit,
conformément à l'article 7, paragraphe 1, soumettre l'affaire à ses autorités compétentes
afin d'exercer l'action pénale. Cette obligation (ainsi que la compétence universelle que les
États doivent mettre en place conformément à l'article 5, paragraphe 2) n'est pas
conditionnée par une demande d'extradition formulée par un autre État, mais s'impose en
raison de la seule présence d'un auteur présuméd'actes de torture sur le territoire de l'État
du for.
4.23. Il ressort des travaux préparatoires que « [p]lusieurs délégationsont indiqué
qu'elles auraient des difficultés, vu leur système juridique, à accepter une clause de
234
juridiction universelle qui ne serait pas assortie de certaines conditions » . A plusieurs
reprises il a étéproposé d'ajouter dans le projet d'article 5 de la Convention les termes
«après avoir reçu une demande d'extradition »235 ou d'instituer un régime plus souple, à
l'instar de la proposition brésilienne 236. Tous les amendements visant à assouplir
l'obligation d'exercer une compétence universelle ont étécependant rejetés et n'ont pas été
237
inclus dans le texte de la Convention .Dans sa décision du 17 mai 2006, le Comitécontre
la torture a souligné sans ambiguïté que
«l'obligation de poursuivre l'auteur présumé d'actes de torture ne dépend pas de
l'existence préalable d'une demande d'extradition à son encontre » 238.
4.24. Dans son étude récente intitulée « Survey of multilateral conventions which
may be of relevance for the Commisssion's work on the topic 'The obligation to extradite
239
or prosecute (aut dedere aut judicare)' » , le secrétariat de la Commission du droit
234
E/CN.4/1475, 1981, p. 60, par. 25.
235
E/CN.4/1408, 1980, p. 64, par. 50; E/CN.4/1475, 1981, p. 60, par. 25; E/CN.4/1982/30/Add.1, p. 6,
par.15.
236
E/CN.4/1983/WG.2/WP.12, in E/CN.4/1983/63, p. 6, par. 23.
237E/CN.4/1984/72, p. 10, par. 35.
238 Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7; voir aussi par. 2.03 ci-dessus et annexe E.2.
239 A/CN.4/630 (disponible sur le site Internet de la Commission du droit international :
http://www.un.org/law/ilc).
78international a, par ailleurs, confirmé cette conclusion. En ce qui concerne plus
particulièrement la relation entre poursuites et extradition, l'étude distingue deux
catégoriesde dispositions conventionnelles :
« (1) those clauses that impose an obligation to prosecute ipso facto when the alleged
offender is present in the territory of the State, which the latter may be liberated from
by granting extradition; and (2) those clauses for which the obligation to prosecute is
only triggered by the refusai to surrender the alleged offender following a request for
240
extradition. »
Selon l'étude, l'article 7 de la Convention contre la torture, comme toutes les
dispositions comparables des conventions élaborées sur la base de l'article 7 de la
241
Convention de la Haye pour la répression de la capture illicite d'aéronefs de 1970 ,fait
242
partie de la première catégorieprécitée .Concernant l'effet juridique de cette disposition,
1'étudenote :
« The first category includes all those clauses that impose an obligation upon States
Parties to prosecute any persan present in their territory who is alleged to have
committed a certain crime. This obligation to prosecute may be said to exist ipso facto
in that it arises as saon as the presence of the alleged offender in the territory of the
State concerned is ascertained, regardless of any request for extradition. lt is only
when the latter is made that an alternative course of action becomes available to the
State, namely the surrender of the alleged offender to another State for prosecution. In
other words, in the absence of a request for extradition, the obligation to prosecute is
absolute, but, once such a request is made, the State concerned has the discretion to
choose between extradition and prosecution. » 243
4.25. Lorsqu'une demande d'extradition a étéadressée à l'État du for, celui-ci peut
alors s'acquitter de ses obligations conventionnelles en extradant l'auteur présuméd'actes
de torture, conformément à l'article 8 de la Convention. Il ne s'agit cependant que d'une
possibilité ouverte par la Convention. L'obligation d'extrader ou de poursuivre telle que
prescrite par l'article 7 de la Convention laisse à l'État du for le soin de porter son choix
sur l'une ou sur l'autre des deux hypothèses tout en assurant la détention ou la surveillance
de la personne en cause (article 6, paragraphe 1). En vertu de la Convention, l'Etat du for
240
Ibid., par. 126.
241Ibid., pars. 90-124.
242Ibid., pars. 130-131.
243
Ibid., par. 127 (notes de bas de pages omises).
79est en droit de refuser l'extradition. Comme il a étéremarqué lors des travaux préparatoires
de la Convention :
« [L]'extradition étaiten effet un acte souverain relevant, chaque fois, d'une décision
de la juridiction compétente de l'État auquel elle avait étédemandée. Certains orateurs
ont fait observer qu'il convenait des points de vue juridique et politique, de laisser à
l'État dans lequel l'auteur de l'infraction était découvert la liberté de refuser
l'extradition, car si celle-ci étaitdemandée par l'État dans lequel les actes de torture
avaient eu lieu, il étaitdouteux que l'État demandeur condamne effectivement l'auteur
244
de 1'infraction » .
4.26. Bien que l'État du for pmsse refuser l'extradition, il ne doit pas moms
poursuivre l'auteur présuméd'actes de torture devant ses propres autorités compétentes.
C'est dans ce sens que les juges Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar ont interprété
l'article 7 de la Convention de Montréal de 1971 identique à l'article 7 de la Convention
contre la torture. Ils ont écrit dans leur déclaration commune jointe aux ordonnances en
indication de mesures conservatoires dans les affaires Lockerbie :
« [L]a convention de Montréal qui, à notre avis, était applicable en l'espèce,
n'interdisait pas à la Libye de refuser aux États-Unis et au Royaume-Uni l'extradition
des accusés. Elle impliquait seulement qu'à défaut d'extradition l'affaire soit soumise
245
par la Libye à ses autoritéscompétentes pour l'exercice de l'action pénale » .
4.27. Les articles 5 et 7 de la Convention établissent donc un système cohérent afin
de mettre en place l'obligation aut dedere aut judicare dont le principal objectif consiste à
«éviter l'impunité pour tout acte de torture » 246.Lorsque l'auteur présuméd'actes de
torture est découvert sur le territoire d'un État partie, ce dernier est dans l'obligation de
l'arrêter,puis de l'extrader ou de le poursuivre. Préalablement, l'État du for doit avoir
établi la compétence de ses tribunaux pour juger l'intéressépour le cas où il ne l'extrade
pas. La Convention de 1984 assure ainsi la répression universelle des infractions de torture
afin que leurs auteurs ne puissent trouver refuge sur le territoire d'aucun État.
244
E/CN.4/1984/72, p. 9, par. 33.
245
Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, Déclaration
commune de MM. Evensen, Tarassov, Guillaume et Agui/ar Mawdsley, C.I.J. Recuei/1992, p. 24 et 25,
par. 3; Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d'Amérique), mesures
conservatoires, Déclaration commune de MM. Evensen, Tarassov, Guillaume et Agui/ar Mawdsley, C.I.J.
Recuei/1992, p. 136 et 137, par. 3.
246Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7 (annexe E.2.).
80 B. LE SENEGAL NE S'EST PAS ACQUITTE DE SES OBLIGATIONS EN VERTU DE
LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
4.28. Par ses actions et omissions, le Sénégala violé les obligations découlant de
l'article 5, paragraphe 2, de l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la
Convention contre la torture.
1. Le Sénégaln'apas adoptéles mesures nécessairesprescritespar l'article 5,
paragraphe 2, de la Convention contre la torture
4.29. Jusqu'à la fin janvier 2007, le Sénégaln'avait pas introduit dans son droit
interne les dispositions nécessaires permettant aux autorités judiciaires sénégalaises
d'exercer la compétence universelle prévue par la Convention. Cette omission violait
l'article 5, paragraphe 2, de la Convention.
4.30. Dès 1990, le représentant sénégalaisavait cherchéà rassurer le Comitécontre
la torture lors de l'examen du rapport initial du Sénégal:
« [C]omme le Sénégalavait ratifié la Convention contre la torture sans émettre de
réserve, l'introduction des dispositions pertinentes dans la législation interne ne
247
devrait pas poser de difficultés » .
Néanmoins, lors de l'examen du deuxième rapport périodique du Sénégalpar le
Comité,six ans plus tard, en 1996, ce dernier avait demandéau Sénégal
« d'introduire explicitement dans la législationnationale les dispositions suivantes :
a) Définitionde la torture, conformément à l'article premier de la Convention, et
incrimination de la torture comme infraction générale,en application de l'article 4 de
la Convention; cette dernière disposition rendrait entre autres possible pour l'État
partie d'exercer la juridiction universelle prévue par les articles 5 et suivants de la
Convention »248.
4.31. Malgréce rappel de la part du Comité,le Sénégalne s'étaitpas acquittéde son
obligation de prendre les mesures législatives adaptées afin de combler cette lacune du
247
Rapport du Comité contre la torture, Documents officiels de l'Assemblée générale,quarante-cinquième
session, supplément° 44 (A/45/44), par. 393.
248
Ibid., par. 114 a).
81droit sénégalaiset d'instituer la compétence universelle prévue par la Convention. Cette
omission et la non-conformité de la législation sénégalaiseavec la Convention de 1984
sont devenues particulièrement sensibles en 2001 lors de la procédure en appel et en
cassation concernant l'annulation de la procédure instituée contre M. Habré pour
incompétencedes juridictions sénégalaises.
4.32. La chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar a conclu en 2001 :
« Considérant que le législateur sénégalais devrait parallèlement à la réforme
entreprise dans le Code Pénalapporter des modification[s] à l'article 669 du Code de
ProcédurePénaleen y incluant l'incrimination de torture, qu'en le faisant il se mettrait
en harmonie avec les objectifs de la convention et reconnaîtrait par conséquent le
249
principe de la compétence universelle » .
Et la chambre de continuer :
«Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les juridictions sénégalaisesne
peuvent connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire
sénégalais quelles que soient les nationalités des victimes, que le libellé de
250
l'article 669 du Code de Procédure Pénaleexclut cette compétence » .
La Cour d'appel ne faisait donc que constater le manquement des autorités
sénégalaisesde se conformer à l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture.
4.33. La Cour de cassation du Sénégaln'a pu que confirmer l'aveu des autorités
judiciaires de ne pas trouver dans la loi sénégalaisede dispositions leur conférant la
compétence universelle prévueaux articles 5 et 7 de la Convention. Elle a expliqué:
« [A]ucun texte de procédurene reconnaît une compétence universelle aux juridictions
sénégalaisesen vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la
République,les présumésauteurs ou complices de faits qui entrent dans les prévisions
de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation sénégalaise aux
dispositions de l'article 4 de la Convention lorsque ces faits ont étécommis hors du
/ / 1 d / 251
Senega par es etrangers » .
249Cour d'appel (Dakar), chambre d'accusation, Ministère public et François DIOUF c. Hissène HABRÉ,
arrêtn° 135, 4 juillet 2000 (annexe D.3.).
250
Ibid.
251
Cour de cassation, Souleymane GUENGUENG et autres c. Hissène HABRÉ, arrêtn° 14, 20 mars 2001
(annexe D.4.).
82 4.34. Les autorités sénégalaisesont donc reconnu que le droit sénégalaisn'étaitpas
conforme à ce qui est requis par l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la
torture. En 2001, le Sénégaln'avait donc pas adopté« toutes les mesures nécessaires »afin
d'établir dans son droit interne la compétence universelle prévuepar la Convention contre
la torture en violation de l'article 5, paragraphe 2.
4.35. Cinq ans plus tard, en 2006, la situation n'avait pas évoluéet le Comité contre
la torture a également constaté que le Sénégal ne s'était toujours pas conformé à
l'obligation qui lui incombe conformément à l'article 5, paragraphe 2, de la Convention
contre la torture. Le Comitéa rappelé
«qu'en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, 'tout État partie prend
[... ] les mesures nécessaires pour établirsa compétence aux fins de connaître desdites
infractions dans le cas où l'auteur présuméde celles-ci se trouve sur tout territoire sous
sa juridiction et où ledit État ne l'extrade pas [... ]'.Il note que l'État partie n'a pas
contesté, dans ses observations sur le fond, qu'il n'avait pas adopté ces 'mesures
nécessaires' visées par l'article 5, paragraphe 2, de la Convention, et constate que la
Cour de Cassation a considéréelle-mêmeque ces mesures n'avaient pas étéprises par
l'Etat partie » 252.
Le Comité en a conclu que «l'État partie n'a pas rempli ses obligations en vertu de
253
l'article 5, paragraphe 2, de la Convention » .
4.36. C'est seulement après l'intervention de l'Union africaine 254 que le Sénégala
modifiéen 2007 sa législation pour se conformer à l'obligation de l'article 5, paragraphe 2,
de la Convention contre la torture et pour permettre l'application dans son système
juridique de la compétence universelle et de l'obligation aut dedere aut judicare prévue
par la Convention. En effet, le 31 janvier 2007, l'Assemblée nationale a adopté plusieurs
lois portant modification, d'une part, du code pénal sénégalais,avec l'introduction d'une
disposition formulant l'incrimination de la torture conformément à la Convention contre la
torture, et, d'autre part, du code de procédure pénale, en son article 669, permettant
désormais aux juridictions sénégalaisesde connaître des crimes de portée internationale
252Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu l7 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, par. 9.5, par. 2.03 ci-dessus et annexe E.2.
253Ibid., par. 9.6.
254
Voir pars. 1.67 ss. ci-dessus.
83 255
dont le fondement découle des principes reconnus par la communauté internationale .
Dans sa note à l'ambassade de Belgique à Dakar, en date du 21 février2007, le ministère
des Affaires étrangèresdu Sénégala ainsi assuré que «le Sénégal[a] combl[é] le vide
juridique qui avait empêchéles juridictions sénégalaises,pour des raisons techniques liées
à l'inadaptation de la législation nationale, de connaître de l'affaire Hissène HABRE » 256.
Lors des plaidoiries relatives à la demande en indication de mesures conservatoires, M.
Gaye, au nom du Sénégal,a confirméde nouveau que
« à ce jour, toutes les réformes législatives et constitutionnelles, tant sur le fond que
sur la forme, ont déjà étéeffectuées pour donner plein effet aux dispositions de la
convention susviséeet, ainsi, réunirles conditions idéalespour faire juger M. Hissène
Habré par les juridictions sénégalaises, dans le cadre d'un procès juste et
eqmta e » 257.
4.37. Il n'en reste pas moins que depuis l'entrée en vigueur de la Convention et
jusqu'en 2007, c'est-à-dire pendant vingt ans, le Sénégaln'avait pas pris les mesures
nécessaires prescrites par l'article 5, paragraphe 2, comme le ministre des affaires
258
étrangèresdu Sénégall'a, par ailleurs, clairement souligné . Faute de mesure législative
ou judiciaire adéquate, l'État défendeur n'a pas pu honorer ses obligations en vertu de la
Convention, notamment l'obligation aut dedere aut judicare, eu égard à la décision des
autorités sénégalaises de ne pas combler cette lacune en fondant directement leur
compétence sur le droit international. Par ses manquements, le Sénégala violé les
obligations centrales de la Convention qui, conformément à son préambule, vise à
« accroître l'efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants dans le monde entier» 259.
255
Loi n° 2007-05, du 2 février2007, modifiant le Code de la Procédure pénalerelative à la mise en Œuvre
du Traitéde Rome instituant la Cour pénale internationale,Journal officiel de la République du Sénégal,
lü mars 2007, p. 2384 (annexe D.7). Voir aussi par. 1.46 ci-dessus.
256
Annexe B.l3.
257
CR 2009/9, 6 avril2009, p. 18, par. 55 (Gaye).
258
Voir note 251 ci-dessus.
259 Sixième considérant du préambule de la Convention. Voir aussi par. 4.03 ci-dessus.
84 2. Le Sénégala manquéà son obligation depoursuivre ou d'extrader découlantde
l'article 7 de la Convention contre la torture
4.38. Le Sénégala également violé son obligation de poursuivre ou d'extrader (aut
dedere aut judicare) découlant de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la
torture.
4.39. Quelles que fussent les raisons pour lesquelles M. Habré n'a pas étépoursuivi
60
au Sénégae , ce dernier n'a pas extradé M. Habrévers la Belgique comme il aurait dû le
faire en vertu de l'article 7 de la Convention (a). Le «transfert» du dossier «Habré» à
261
l'Union africaine ne peut pas délierle Sénégalde ses obligations conventionnelles et ne
constitue pas un succédanéà ces obligations (b). À ce jour, 20 ans après son arrivée sur le
territoire sénégalais,et malgréles réformes législatives intervenues en 2007, le Sénégaln'a
toujours pas soumis l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action
pénale(c).
a) Le Sénégala manqué à son obligation de poursuivre ou d'extrader M. Habré
vers la Belgique
4.40. La Belgique ne conteste pas que, conformément aux dispositions de l'article 5,
paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention, un État partie sur le
territoire duquel se trouve l'auteur présuméd'actes de torture a le choix entre l'extrader ou
262
le déférerà ses propres autorités judiciaires aux fins de poursuite .ll peut donc refuser
l'extradition à condition qu'il défèrel'auteur présuméd'actes de torture à ses autorités
263
compétentes pour l'exercice de l'action pénale .
4.41. Néanmoins, vu la violation de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention de
264
1984 et l'incompatibilité du droit sénégalaisavec les exigences de ladite Convention au
260 Voir pars. 4.29 à 4.37 ci-dessus.
261
Voir pars. 1.67-1.76 ci-dessus.
262
Voir aussi pars. 4.24-4.25 ci-dessus.
263 Voir aussi pars. 4.24 et 4.26 ci-dessus. Voir aussi Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et
autres c. Sénégal,communication n° 181/2001, décisiondu l7 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.7
(annexe E.2).
264
Voir pars. 4.29 à 4.37 ci-dessus.
85moment où la Belgique a demandé l'extradition de M. Habré, le Sénégalne pouvait pas se
prévaloir de la possibilité de choisir entre l'extradition et l'engagement de poursuites. Ne
pas extrader M. Habré vers un État qui a établi sa compétence afin de le poursuivre
conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la Convention et qui demande légitimement
son extradition compromettait l'objet et le but de l'obligation aut dedere aut judicare.
Comme la Commission du droit international l'a constatélors de l'élaboration du code des
crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité :
«le but du principe 'extrader ou poursuivre' serait totalement manqué dans le cas où
les tribunaux d'un État sur le territoire duquel un individu présuméavoir commis un
crime relevant du code aurait ététrouvé, une fois saisis de l'affaire par les autorités
compétentes, se déclareraient incompétents ».
Dans ses commentaires joints à l'article 8 du projet de code de crime contre la paix et la
sécuritéde l'humanité adopté en 1996, qui est analogue à l'article 5 de la Convention
contre la torture, la Commission a considéré:
« Si cette compétence [universelle] faisait défaut, l'État de détention serait contraint
d'accepter toute demande d'extradition, ce qui serait contraire au caractère alternatif
de l'obligation d'extrader ou de poursuivre, en vertu de laquelle l'État de détention
n'est pas inconditionnellement tenu de faire droit à une demande d'extradition.
D'autre part, l'auteur présumééchapperait aux poursuites dans l'hypothèse où l'État
de détention ne recevrait pas de demande d'extradition, ce qui compromettrait
gravement l'objectif fondamental du principe aut dedere aut judicare, à savoir, faire
en sorte, en veillant à ce que l'État de détention ait compétence subsidiaire en la
265
matière, que les auteurs soient effectivement poursuivis et sanctionnés » •
4.42. C'est la situation dans laquelle le Sénégalse trouvait en 2005. En ne prenant
pas les mesures nécessaires pour que ses tribunaux puissent connaître de l'affaire H.
Habré,le Sénégal n'a pas seulement violél'article 5, paragraphe 2, de la Convention, mais
ils'est également mis dans l'impossibilité de choisir les poursuites plutôt que l'extradition.
Pour emprunter les mots que M. l'agent du Sénégal,Cheikh Tidiane Thiam, a utilisés lors
des plaidoiries relatives à la demande en indication de mesures conservatoires : «Aut
266
dedere autjudicare: c'est l'un ou l'autre. Et surtout, c'est extrader si on ne peut juger ».
Puisque le Sénégals'estimait juridiquement incapable de juger M. Habré, il étaitobligéde
l'extrader vers la Belgique, seul État à avoir demandéson extradition afin de le juger.
265Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. Il, 2e partie, p. 29 et 30, par. 6) du
commentaire.
266CR 2009/9, 6 avril2009, p. 20, par. 56 (Thiam).
86 4.43. Le Comitécontre la torture a constatéen 2006 :
«qu'à partir du 19 septembre 2005, l'État partie se trouvait dans une autre des
situations prévues par ledit article 7 puisqu'une demande formelle d'extradition avait
alors étéformulée par la Belgique. L'État partie avait à ce moment l'alternative de
procéder à cette extradition s'il décidait de ne pas soumettre l'affaire à ses propres
autorités judiciaires pour l'exercice de poursuites pénales à l'encontre de Hissène
267
Habré » .
4.44. Pourtant, par sa décision du 25 novembre 2005, la Cour d'appel de Dakar a
déclaréson incompétence pour connaître de la demande d'extradition formulée par la
Belgique. Cette décision applique à M. Habré l'immunité prévue par le droit public
sénégalaispour le président du Sénégal.Étrange raisonnement qui consiste à conférer à un
ex-chef d'État étranger
le bénéficede règles prévues par la constitution du Sénégalpour son président en
exercice, non pour un chef d'État étranger ;
le bénéficede règles d'immunités que, de manière peu claire, la chambre semble lier
68
indirectement au droit internationae alors que celui-ci exclut l'immunité d'un ex
chef d'État pour des faits hors fonctions,
le bénéficede règles d'immunités qui, de toute façon, ne s'appliquaient pas à M.
Habré,puisque le Tchad avait confirmé dès 1992, pour autant que de besoin, que M.
Habréne bénéficiaitd'aucune immunité.
4.45. Quelle que soit l'interprétation de ce jugement, il révèle,avec la décision de
transmettre le dossier à l'Union africaine, que l'État défendeur n'entendait pas pour autant
honorer son obligation d'extrader M. Habrévers la Belgique.
4.46. Conformément à l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, le
Sénégalétait alors tenu d'extrader M. Habré et aurait dû faire droit au mandat d'arrêt
international décerné le 19 septembre 2005 par le juge d'instruction belge 269. En ne
267Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/l8l/200l, par. 9.10 (annexe E.2).
268Voir ibid., infine, la référencefaite par le jugement à l'aff. du mandat d'arrêt.
269Annexe C.2.
87l'extradant pas à défaut d'exercer sa compétence universelle, le Sénégala violé son
obligation conventionnelle énoncéeà l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la
torture.
b) La saisine de l'Union africaine ne constitue pas une alternative au respect des
obligations conventionnelles du Sénégal
4.47. Dans sa note verbale datéedu 9 mai 2006, l'ambassade du Sénégalà Bruxelles
a informé les autoritésbelges que
« [s]'agissant de l'interprétation de l'article 7 de la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l'Ambassade retient
qu'en transférant le cas Hissène Habré à l'Union Africaine, le Sénégal,pour ne pas
créerune impasse juridique, se conforme à l'esprit du principe 'aut dedere aut punire'
dont le but essentiel est de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse échapper à la
JUSticeen se ren ant ans un autre pays »270.
4.48. La Belgique ne peut pas endosser cette manière d'interpréter l'article 7 de la
Convention contre la torture. Il découleclairement du texte de cette disposition que l'« État
partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une infraction visée à
l'article 4 estdécouverte», s'il ne l'extrade pas, doit le déférerà ses autorités compétentes
pour l'exercice de l'action pénale.
4.49. Le «mandat» conférépar l'Union africaine au Sénégalpour juger M. Habré 271
ne dispense en rien le Sénégalde son obligation, en tant qu'État du for, de soumettre
l'affaire à ses autorités compétentes ou de l'extrader vers un État qui en a fait la demande.
Cette obligation subsiste malgré l'intervention de l'Union africaine. L'obligation de juger
ou d'extrader prévue par la Convention découle de la seule présence de la personne
présuméeavoir commis des actes de torture sur le territoire de l'État partie concerné. De
272
fait, il s'agit d'une responsabilité qui incombe au Sénégal,État du for •
270Annexe B.lü.
271
Annexe F.2.
272
Voir le communiqué du ministère des affaires étrangèresdu Sénégal,27 novembre 2005 (annexe B.4).
Dans ce communiqué le ministère a remarqué que « [l]e Sénégaln'est en aucune manière directement
concerné par l'affaire Hissène Habré» et que« cette affaire( ... ) n'est pas une affaire sénégalaise,mais
bien une affaire africaine ».
88 4.50. La décision de l'Union africaine confirme par ailleurs cette interprétation. En
effet, dans sa décision de juillet 2006 sur le procès d'Hissène Habré et sur l'Union
africaine, la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union s'est
expressément référée à «la ratification par le Sénégalde la convention des Nations Unies
273
contre la torture » • Lors de la procédure orale relative à la demande en indication de
mesures conservatoires, le représentantdu Sénégala égalementassuréque
«l'Union Africaine [a été]saisie du dossier par le Sénégal-chacun notera que je
parle de saisie ou de saisine, jamais de transfert ou d'appropriation 274 ou de
dessaisissement- en vue de son implication et de son appui » •
Et M. Thiam de continuer :
« [L]e texte par lequel l'Union africaine demande au Sénégalde juger M. Habrépar
ses propres juridictions s'appuie sur les obligations que le Sénégaltire de sa
275
ratification de la convention de 1984 contre la torture » •
4.51. La Belgique a pris note des déclarationsfaites par l'agent du Sénégalauprès de
la Cour internationale de Justice. Toutefois certaines déclarations faites par les autorités
276
sénégalaises semblent impliquer que le Sénégal,en mettant en place les conditions
273Ibid. Le Parlement européen a incité par ailleurs l'Union africaine «à veiller, dans le cas d'Hissène
Habré, à ce que le Sénégalhonore ses engagements internationaux en tant qu'État signataire de la
Convention précitéecontre la torture» (Résolution législative du Parlement européen sur l'impunité en
Afrique, en particulier le cas de Hissène Habré, P6_TA(2006)0101, 16 mars 2006, Journal officiel de
l'Union européenne C 157E du 6 juillet 2006, p. 420, point 14).
274CR 2009/9, 6 avril2009, p. 12, par. 24 (Thiam).
275
Ibid., p. 13, par. 29 (Thiam).
276
Voir p.ex. la note verbale de l'ambassade du Sénégalen Belgique au ministère des Affaires étrangèresde
Belgique, 20 février2007 (annexe B.1), la note verbale du ministère des Affaires étrangèresdu Sénégalà
l'ambassade de Belgique à Dakar, 21 février2007 (annexe B.13). Voir également les déclarations faites
par l'Union africaine : Conférence de l'Union africaine, huitième session ordinaire, 29-30 janvier 2007,
décision AU/Dec.157(Vlll) («ENCOURAGE [le Sénégal] à poursuivre son travail pour
l'accomplissement du mandat qui lui a étéconfié», italiques ajoutéspar nous) ; ibid., douzième session
ordinaire, 1-3 février2009, décision AU!Dec.240(Xll) («RAPPELLE sa décision
Assembly/UA/Dec.127 (VII) prise à Banjul (Gambie) en juillet 2006 par laquelle elle a mandaté la
République du Sénégal 'de poursuivre et de faire juger, au nom de l'Afrique, M. Hissène HABRE, par
une juridiction sénégalaisecompétente avec les garanties'un procèsjuste' », italiques ajoutéspar nous) ;
ibid., treizième session ordinaire, 1-3 juillet 2009, décision AU/Dec.246(Xlll), 3 juillet 2009
(«REITERE son appel à tous les Etats membres de l'Union africaine pour qu'ils apportent leurs
contributions au budget du procès et accorde leur soutien au Gouvernement de la République du Sénégal
dans l'exécutiondu mandat de l'Union africaine d'inculper et de juger Hissène Habré», italiques ajoutés
par nous); ibid., quatorzième session ordinaire, 1-3 février2010, décision AU/Dec.272(XIV) Rev.1,
2 février2010 («REITERE son appel à tous les États membres pour qu'ils apportent leurs contributions
au budget au titre du procès et l'appui nécessaire au Gouvernement sénégalaisdans l'exécution du
mandat que lui a confié l'Union africaine (UA) d'inculper et de juger M. Hissène Habré», italiques
ajoutéspar nous). Voir égalementpar. 1.76 ci-dessus.
89nécessaires à la tenue d'un procès contre M. Habrésur son territoire, exécuterait non les
obligations que lui impose la Convention contre la torture, mais seulement un « mandat »
de l'Union africaine. Pourtant, comme la Belgique l'a rappeléà maintes reprises dans ses
notes verbales, c'est le Sénégalqui reste juridiquement tenu de poursuivre M. Habréou de
l'extrader vers la Belgique, aux termes de l'article 7 de la Convention contre la torture et
en vertu des règles conventionnelles et coutumières. Avec tout le respect dû à l'action de
l'Union africaine, qui a incontestablement eu des effets positifs, ne fût-ce qu'en facilitant
des changements législatifsessentiels dans le droit interne du Sénégal,il n'en demeure pas
moins que- sauf exception prévuepar le droit international lui-même- un État ne saurait
êtredispenséde ses obligations internationales en transférantune affaire à une organisation
régionale pas plus qu'il ne saurait êtredispensé de ses obligations en transférant ses
responsabilités à un autre Etat.
c) Le Sénégal n'a toujours ni ouvert d'enquêtepréliminaireni soumis l'affaire H.
Habréaux autoritéscompétentespour l'exercice de l'action pénale
4.52. Bien que, depuis la réformelégislative intervenue en 2007, le Sénégalait mis
en place les conditions réglementaires nécessairespour assumer son obligation de juger M.
Habréau Sénégal,il n'a toujours pas soumis l'affaire H. Habréà ses autoritéscompétentes
pour l'exercice de l'action pénale.Aucune mesure n'a étéprise: ni enquêtepréliminaire
afin de constater les faits, comme le prévoitl'article 6, paragraphe 2, de la Convention, ni
ouverture de l'instruction du dossier malgré l'introduction en septembre 2008 d'une
nouvelle requêteauprès du Procureur par quatorze victimes de nationalité sénégalaiseet
277
tchadienne, accusant M. Habréd'actes de torture et de crimes contre l'humanité .
4.53. A ce jour, le ministre de la Justice du Sénégala seulement «nommé» quatre
magistrats «aux fins de conduire l'information contre Monsieur HABRE » 278. Mais
aucune décision concernant l'ouverture d'une enquêteou information judiciaire ou d'une
instruction n'a été prise.
4.54. En outre, la Belgique a offert à plusieurs reprises d'accueillir, sur la base d'une
commission rogatoire internationale, la visite en Belgique des magistrats sénégalais
277Annexe D.5.
278Annexe B.19.
90 279
désignéspour instruire le dossier à charge de M. Habré . Bien que les autorités
280
sénégalaisesse soient montrées favorables à accepter ces offres , aucune demande de
commission rogatoire n'a étéformuléepar le Sénégalà ce jour (fin juin 2010). Il n'est pas
inutile de rappeler que, dans le cadre de l'instruction ouverte en Belgique, les autorités
belges avaient envoyé une commission rogatoire au Sénégalen octobre 2001, soit moins
d'un an aprèsle dépôtde la plainte contre M. Habréen novembre 2000; cette commission
rogatoire visait à obtenir copie du dossier judiciaire existant au Sénégal.Cinq ans aprèsla
demande d'extradition de la Belgique, le Sénégal,pour sa part, n'a toujours pas envoyé
une demande de commission rogatoire afin d'obtenir copie du dossier judiciaire belge.
4.55. En février2010, le ministre sénégalaisdes Affaires étrangèresa assuré son
homologue belge qu'il n'y avait plus d'obstacle pour l'organisation du procès de H. Habré,
281
exception faite de la question du financement .Mais il n'en reste pas moins qu'à ce jour,
aucun examen - même préliminaire dans le sens de l'article 6, paragraphe 2, de la
Convention contre la torture- des faits n'a eu lieu et l'affaire H. Habrén'est toujours pas
soumise aux autoritéscompétentessénégalaisespour l'exercice de l'action pénale.
4.56. De surcroît, en Janvier 2010, devant la Cour de Justice de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest, les représentants du Sénégalont confirmé
qu'« il n'existait, ni existe à ce jour, aucune procédurependante contre [M. Habré]devant
les juridictions sénégalaises »282.
279Note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des Affaires étrangères du Sénégal,
2 décembre 2008 (annexe B.l6.); note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des
Affaires étrangèresdu Sénégal, 23 juin 2009 (annexe B.l7.); note verbale de l'ambassade de Belgique à
Dakar au ministère des Affaires étrangèresdu Sénégal,14 octobre 2009 (annexe B.20.) ; lettre datéedu
20 octobre 2009, de l'ambassadeur de Belgique au Sénégalau ministre des Affaires étrangères du
Sénégal,(annexe B.2l) ; note verbale de l'ambassade de Belgique à Dakar au ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégal,23 février2010 (annexe B.22.)
280
Note verbale du ministère des Affaires étrangères du Sénégalà l'ambassade de Belgique à Dakar,
14 septembre 2009 (annexe B.l9); note verbale du ministère des Affaires étrangères du Sénégalà
l'ambassade de Belgique à Dakar, 29 juillet 2009 (annexe B.l8.); note verbale du ministère des Affaires
étrangèresdu Sénégalà l'ambassade de Belgique à Dakar, 30 avril2010 (annexe B.23.)
281 Voir par. 1.58 ci-dessus.
282Cour de Justice de la CEDEAO, Hissèin Habréc. République du Sénégal,exceptions préliminaires, arrêt
avant dire droit,14 mai 2010, par. 14 (annexe E.l.)
91 4.57. L'abstention à agir du Sénégaln'est pas conforme à ce qui est requis en vertu
de l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention. Cette
abstention viole la Convention.
4.58. Qui plus est, la simple intention de juger M. Habré, exprimée à plusieurs
reprises par les autorités sénégalaises,ne suffit pas à mettre en Œuvre les engagements
internationaux que le Sénégala acceptés en devenant partie à la Convention de 1984. La
Convention n'octroie aucun délai pour la mise en Œuvre de l'obligation de poursuivre.
Cela signifie que les États parties doivent disposer de la législation nécessaire dès l'entrée
en vigueur de la Convention à leur égard.
4.59. Aussi longtemps que le Sénégaln'a pas soumis l'affaire H. Habréaux autorités
compétentes sénégalaisesaux fins de 1'exercice de 1'action pénale, ou, à défaut, ne 1'a pas
extradé vers tout État qui en a formulé la demande, il y a violation de l'article 7 de la
Convention contre la torture pour laquelle le Sénégal engage sa responsabilité
internationale.
II. Les violations d'autres règlesdu droit international conventionnel et coutumier
4.60. Le mandat d'arrêt en date du 19 septembre 2005 décerné par le juge
d'instruction belge à charge de M. Habréétaitfondésur l'imputation à M. Habréde crimes
contre l'humanité, de crimes de guerre et de crimes de génocide. Ces crimes sont visés,
respectivement, aux articles 136ter, 136quater et 136bis du code pénalbelge. Ils s'ajoutent
au crime de torture dans le sens de la Convention contre la torture283 et impliquent la
violation, par le Sénégal,d'autres règles du droit international conventionnel ou coutumier.
4.61. La Belgique n'abordera ni la pertinence de ces qualifications ni la légitimitéde
leur application à M. Habré car tel n'est pas l'objet du présent différend. Par ailleurs, le
Sénégalne les a jamais mises en question. Il suffit de constater que le mandat d'arrêtà
charge de M. Habrélui impute des faits criminels qualifiésde crimes contre l'humanité, de
crimes de guerre et de crimes de génocide, que ces qualifications ne sont pas sans
fondement eu égardà ce qu'enseigne l'histoire de M. Habré au temps de sa présidence du
283Voir pars. 4.02-4.59 ci-dessus.
92Tchad 284,et que, selon l'obligation de combattre l'impunité,le droit international oblige le
Sénégalà poursuivre l'auteur présuméde tels crimes dès lors qu'il se trouve sur le
territoire de cet État ou, qu'à défautd'exercer ces poursuites, cet État l'extrade vers un État
qui souhaite exercer ces poursuites. La Belgique va donc montrer, d'abord, la source de
cette obligation pour chacun des cnmes qm fait l'objet du mandat d'arrêt
du 19 septembre 2005 (A), ensuite, les modalitésde l'obligation de répression(B), enfin le
fondement des compétences que le Sénégaldoit exercer et que les autorités judiciaires
belges entendent exercer si le Sénégalne les exerce pas (C).
A. ÜBLIGATIONS CONVENTIONNELLES ET COUTUMIERES DE REPRESSION DES AUTRES
CRIMES IMPUTES A M. IIABRE
4.62. Les poursuites que les autoritésjudiciaires belges entendent exercer contre M.
Habrésont fondéessur l'imputation à M. Habréde la triade classique des crimes que l'on
présentera pour la facilité de l'exposé dans l'ordre suivant: les crimes contre
l'humanité (1),les crimes de guerre (2) et le crime de génocide(3).
1. Les crimes contre l'humanité
4.63. L'incrimination et la répressiondes crimes contre l'humaniténe font pas l'objet
d'une convention spécifique à l'instar du crime de torture. Toutefois, cette incrimination
est aujourd'hui considéréecomme une règle coutumière. Elle apparaît, notamment, dans
285
les statuts des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (article 6 c) (1945) ,de
286
Tokyo (article 5 c) (1946) , du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(articles 4-5) (1993) 287, du Tribunal pénal international pour le Rwanda (articles 2-3)
(1994) 288 et de la Cour pénaleinternationale (article 7) (1998) 289.La Commission du droit
international, dans sa codification des « principes du droit international consacrés par le
284Voirpars.1.09-1.10ci-dessus.
285
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances
européennes de l'Axe et statut du tribunal international militaire, Londres, 8 août 1945, R.T.N.U., vol.
LXXXII, p.279
286Charte du Tribunal militaire pour l'Extrême-Orient, 19janvier 1946, T.I.A.S. 1579
287
Conseil de sécurité,résolution 827 (1993), 25 mai 1993, S/RES/827 (1993).
288
Conseil de sécurité,résolution 955 (1994), 8 novembre 1994, S/RES/955 (1994).
289
RTNU, vol. 2187, pp. 162-163 (l-38544).
93Statut du Tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal» cite déjàen 1950 les
crimes contre l'humanitéau nombre des« crimes de droit international» (Principe 6). Lors
des débats de la Sixième Commission de l'Assemblée générale entre le 2 et
le 14 décembre1950, quelque 18 États confirment explicitement le caractère coutumier des
90
principes de Nuremberg dégagéspar la Commission du droit internationae .
4.64. L'obligation de réprimer les cnmes contre l'humanité est réitéréepar des
résolutions de l'Assemblée générale.Celles-ci exigent que les auteurs de crimes contre
l'humanitésoient poursuivis ou extradés.Ainsi, la résolution2840 (XXVI)(« Question du
châtiment des criminels de guerre et des individus coupables de crimes contre
l'humanité») du 18 décembre 1971 qualifie de violation du droit international le fait pour
un État de ne pas coopérerà l'arrestation, aux poursuites ou à l'extradition de l'auteur de
crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.L'Assemblée
«Affinne que le refus de la part d'un Etat de coopérer en vue de l'arrestation, de
l'extradition, du jugement et du châtiment d'individus coupables de crimes de guerre
et de crimes contre l'humanité est contraire aux buts et principes de la Charte des
Nations Unies et aux normes généralement reconnues du droit international »
(paragraphe 4).
4.65. Dans un sens analogue, la résolution3074 (XXVIII) du 3 décembre1973
intitulée « Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage,
l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de
crimes contre l'humanité» énoncecomme premier principe:
«Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient étécommis et
quel que soit le moment où ils ont étécommis, doivent faire l'objet d'une enquête,et
les individus contre lesquels il existe des preuves établissantqu'ils ont commis de tels
crimes doivent êtrerecherchés, arrêtés,traduits en justice et, s'ils sont reconnus
coupables, châtiés.»(paragraphe 1)
Le paragraphe 5 de la résolution dispose que « les Etats coopèrent pour tout ce qui
touche à l'extradition de ces individus». Ces résolutions consacrent donc, quoiqu'en
termes généraux,une règle coutumière constitutive de l'obligation classique de poursuite
ou d'extradition.
290Extraits des déclarations des Etats in E. David, Eléments de droit pénal international et européen,
Bruxelles, Bruylant, 2009, par. 16.6.76.
94L'obligation de poursuite est également énoncéeà propos de la torture par l'Assemblée
généraledes Nations Unies et le Conseil des droits de l'homme qui déclarent, en des
termes fort proches, que les auteurs d'actes de torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants doivent en répondre, être «traduits en justice et condamnés à une
291
peine proportionnée à la gravitéde l'infraction » .
4.66. L'exposé des motifs de la loi sénégalaise,qui incorpore dans le code pénal
sénégalaisle crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre afin
de mettre en Œuvre les incriminations prévues par le Statut de la Cour pénale
internationale, précise que c'est «une opportunité d'intégration de règles internationales
d'origine conventionnelle et coutumière »292. Ceci confirme que le Sénégal admet le
caractère coutumier de l'incrimination des crimes contre l'humanité.
4.67. Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité adopté
par la Commission du droit international en 1996 affirme aussi que l'État
«sur le territoire duquel l'auteur présuméd'un crime viséà l'article 17 [génocide], 18
[crime contre l'humanité], 19 [crime contre le personnel des Nations Unies et associé]
293
ou 20 [crime de guerre] est découvert extrade ou poursuit ce dernier. »
4.68. L'obligation de poursuivre n'est pas subordonnée à une demande d'extradition
de la part d'un État tiers. Pour la Commission du droit international, «l'Etat de détention a
le choix entre deux lignes de conduite, qui doivent l'une et l'autre aboutir à l'ouverture de
poursuites contre l'auteur présumé » 294,mais elle précise :
«En l'absence de demande d'extradition, l'Etat de détention n'aurait pas d'autre
possibilité que de soumettre l'affaire à ses autorités nationales pour l'exercice de
l'action pénale. Cette obligation supplétive vise à garantir que les auteurs présumés
seront poursuivis devant une juridiction compétente, qui sera celle de l'Etat de
295
détention à défautd'autres tribunaux nationaux ou internationaux. »
291
A/RES/64/153, § 6, 18 déc.2009, adoptéesans vote; Conseil des droits de l'homme, A/HRC/RES/13/19,
adoptéesans vote, § 10.
292
Loi n° 2007-02 du 12 février2007 modifiant le code pénal,Journal officiel de la République du Sénégal,
10 mars 2007, p. 2377 (annexe D.6) (italiques ajoutés).
293
Article 9, Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 32.
294
Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 33.
295
Ibid.
95 4.69. L'obligation de réprimerles crimes contre l'humanités'inscrit dans le cadre de
la lutte contre l'impunité qu'on retrouve dans de nombreuses résolutions de l'Assemblée
généraleet du Conseil de sécurité.Ces résolutions ont étéadoptées à propos de graves
violations des droits humains commises dans un pays ou, de manière plus générale,à
propos du respect de certaines valeurs. Ainsi, les contextes suivants ont donnélieu à des
résolutions invitant les États à lutter contre l'impunité des auteurs de crimes contre
l'humanité et des autres crimes graves de droit international ; ces résolutions ont été
adoptées
à l'occasion d'une situation particulière de troubles et de violations des droits et
libertésfondamentaux dans un pays particulier; par exemple, à propos des troubles au
Burundi, le Conseil de sécuritéexprime sa préoccupationdu fait
« que l'impunitéengendre le mepns de la loi et conduit à des violations du droit
296
international humanitaire » ;
le Conseil a affirmé, dans plus de 70 résolutions, l'obligation de lutter contre
l'impunité à la suite de tensions internes graves auxquelles d'autres Etats ont été
confrontés; sans prétendre à l'exhaustivité, on peut citer: Cambodge 297, Irak298,
RDC 299, Haïti 300 , Rwanda 301, Côte d'Ivoire 302, Sierra Leone 303, Timor Leste 304,
296S/RES/1012, 2S août 1gg5, préambule, Se al. ; voir aussi S/RES/1545, 21 mai 2004, préambule, ge al. ;
S/RES/1602, 31 mai 2005, préambule, 14e al. et par. 5; S/RES/1650, 21 décembre 2005, par. g;
S/RESf171g, 25 octobre 2006, par. 2 (j); S/RES/1S5S, 22 décembre200S, préambule, lOeal. et pars. 13-
14; S/RES/lg02, 17 décembre200g, préambule, 11eal. et pars. lS-lg.
297A/RES/50/178, 22 décembre 1gg5 (sans vote), par. 12; A/RES/51/gs, 12 décembre 1gg6 (sans vote), par.
14; A/RES/52/135, 12 décembre 1gg7 (sans vote), par. g,
298A/RES/54/178, 17 décembre 1ggg, par. 3 (d).
299A/RES/54f17g, 17 décembre 1ggg, par. 3 (d) ; S/RES/146S, 20 mars 2003, pars. 6-7 ; S/RES/14S4, 30 mai
2003, pars. 5-6 ; S/RES/1565, 1eroctobre 2004, pars. 5 (g) et 1g ; S/RES/1653, 27 janvier 2006, pars. 6-
7 ; S/RES/1711, 2g septembre 2006, préambule, 11eal. ; S/RES/1756, 15 mai 2007, pars. 3 (c), 12 et 14 ;
S/RES/1S56, 22 décembre 200S, préambule, 11eal. et pars. 4 (c) et 25 ; S/RESf1Sg6, 30 novembre 200g,
préambule, lOe et 11e al. ; S/RESf1g06, 23 décembre 200g, préambule, Se al. ss., pars. 3 et 11 ;
S/RES/lg25, 2S mai 2010, préambule, 11eet 12eal. et par. 12, (c)-(d).
300
A/RES/54/1S7, 17 décembre 1ggg, par. S ; S/RES/152g, 2g février 2004, par. 7 ; S/RES/1542, 30 avril
2004, préambule,4e al. et parS a; S/RES/160S, 22juin 2005, préambule, Se al.; S/RES/1743, 15 février
2007, préambule,geal. ; S/RES/1S40, 14 octobre 200S, préambule,ge al. ; S/RESf1Sg2, préambule,geal.
301A/RES/54/lSS, 17 décembre 1ggg, par. S.
302
S/RES/1464, 4 février2003 ; S/RES/152S, 27 février2004, par. 6 n ; S/RES/160g, 24 juin 2005, par. 2 t;
S/RES/1721, 1ernovembre 2006, par. 30; S/RES/1S26, 2g juillet 200S, préambule, ge al. ; S/RES/1S65,
27 janvier 200g, préambule, lOeal. et par. 11 ; S/RES/lSSO, 30 juillet 200g, préambule, lOeal. et par. 26;
S/RES/lgll, 2Sjanvier 2010, préambule, lOeal. et par. 13.
96 3os G . , B. 306 G, . 307 Af h . 308 S . 309 , bl.
S ou an , umee 1ssau , eorg1e , g amstan , orna1 1e , Repu 1que
. . T h d31o N, 311
centra fncame et c a , epa1 ;
à l'occasion de certaines questions plus génériquestelles que le respect de la « sexo
spécificité » où le Conseil de sécurité
«Souligne que tous les Etats ont l'obligation de mettre fin à l'impunité et de
poursuivre en justice ceux qui sont accusés de génocide, de crimes contre l'humanité
et de crimes de guerre, y compris toutes les formes de violence sexiste et autre contre
les femmes et les petites filles, et à cet égard fait valoir qu'il est nécessaire d'exclure si
possible ces crimes du bénéficedes mesures d'amnistie »312 ;
de même,à propos des enfants dans les conflits armés,le Conseil de sécuritédemande
aux États membres
«de mettre fin à l'impunité et de poursuivre les responsables de génocide, de crimes
contre l'humanité, de crimes de guerre et autres crimes abominables commis contre
des enfants, d'exclure autant que possible ces crimes des mesures d'amnistie et des
actes législatifs du mêmeordre [... ] »313 .
303S/RES/1470, 28 mars 2003, préambule, 7"al. ; S/RES/1610, 30 juin 200S, préambule,6eal.
304
S/RES/1S43, 14 mai 2004, par. 8 ; S/RES/1S73, 17 novembre 2004, par. 6 ; S/RES/174S, 22 février2007,
préambule, Se al. ; S/RES/1867, 26 février 200g, préambule, ge al. ; S/RES11g12, 26 février 2010,
préambule, r al.
305 S/RES!1SS6, 30 juillet 2004, par. 6 ; S/RES/1S64, 18 septembre 2004, préambule, ge al. et par. 7 ;
S/RES/1S74, 1g novembre 2004, préambule, lOe al. ; S/RES!lsgo, 24 mars 200S, par. 4 a, viii;
S/RES/lSgl, 2g mars 200S, préambule, lOe al. et par. S ; S/RES/1841, lS octobre 2008, préambule, 6e
al.; S/RES/1881, 30 juillet 200g, préambule, Seal. et par. ll ; S/RESf18gl, 13 octobre 200g, préambule,
6eal.
306S/RES/1S80, 22 décembre2004, par. 4.
307
S/RES/1S82, 28 janvier 200S, pars. 2g-30.
308
S/RES/1746, 23 mars 2007, par. 13 ; S/RES/1806, 20 mars 2008, par. 21 ; S/RES/lSgo, 8 octobre 200g,
préambule, l8e al. ; S/RES/lgl7, 22 mars 2010, pars. 22 et 30.
309
S/RES/1814, lS mai 2008, par. 16; S/RES/1872, 26 mai 200g, préambule, l3e al. et par. 22;
S/RESf18g7, 30 novembre 200g, par. 12; S/RES/lglo, 28 janvier 2010, préambule, l4e al.
310
S/RES/1778, 2S septembre 2007, par. 2 e; S/RES/1861, 14janvier 200g, par. 6f
311
S/RES/lgog, 21 janvier 2010, préambule, lSe al.
312
S/RES/132S, 31 octobre 2000, par. ll ; S/RES/1820, 1g juin 2008, par. 4; S/RES/1888, 30 septembre
200g, pars. 6-8 et préambule,al. 7 ss. ; S/RES/188g, S octobre 200g, par. 3.
313
S/RES/137g, 20 novembre 2001, par. g a; voir aussi S/RES/1460, 30 janvier 2003, préambule, Se al. ;
S/RES!1S3g, 22 avril 2004, préambule, 4e al.; Déclaration du président du Conseil de sécurité,
S/PRST/200g;g, 2g avril200g, ll eal. ; S/RES/1882, 4 août 200g, préambule,Se al. et par. 16.
97 de manière générale,en dehors de tout contexte géopolitique ou sociologique : ainsi, à
l'occasion du Sommet du Millénaire, le Conseil de sécurité
« Souligne que les auteurs de crimes contre l'humanité, de crimes de génocide, de
crimes de guerre et d'autres violations graves du droit international humanitaire
doiVentetre tra mts en JUStice• » 31.
4.70. A côté des demandes répétéesde l'Assemblée générale et du Conseil de
sécurité,le principe de lutte contre l'impunité répond également à une exigence découlant
du respect des droits de l'homme. Ainsi, en 2004, le Comité des droits de l'homme, dans
son observation généralen° 31, a affirmé, à propos de la mise en Œuvre de l'article 2,
paragraphe 3, du Pacte (obligation des États parties au Pacte de garantir par des moyens
judiciaires, administratifs ou législatifs, le respect des droits et libertésprévuspar le Pacte)
que
« Le fait pour un Etat partie de ne pas mener d'enquête sur des violations
présumées[des droits et libertés énoncéspar le Pacte] pourrait en soi donner lieu à
une violation distincte du Pacte. [... ] Lorsque les enquêtesrévèlentla violation de
certains droits reconnus dans le Pacte, les Etats parties doivent veiller à ce que les
responsables soient traduits en justice. Comme dans le cas où un Etat partie
s'abstient de mener une enquête,le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de
telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. [... ]
D'ailleurs, le problème de l'impunité des auteurs de ces violations [... ] peut bien
êtreun facteur important qui contribue à la répétitiondes violations. »315
La Commission et le Conseil des droits de l'homme ont étédans le mêmesens en:
« [r]appelant l'Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits
de l'homme par la lutte contre l'impunité (E/CN.4/Sub.2/1997 /20/Rev.l, annexe II)
et prenant note avec satisfaction de la version actualisée de ces principes
316
(E/CN.4/2005/102/Add.l) »
314S/RES/1318, 7 septembre 2000, VI.
315Observation généralen° 31 snr la nature de l'obligation juridique généraleimposéeaux Etats parties au
Pacte, 29 mars 2004, pars. 15 et 18, Documents officiels de l'Assemblée générale,cinquante-neuvième
session, Supplémentn° 40 (A/59/40), pp. 194-196.
316Le droit à la vérité,Résolutionde la Commission des droits de l'homme 2005/66, 20 avril2005 (adoptée
sans vote), préambule," al. ; Enforced and involuntary disappearances, Résolutiondu Conseil des droits
de l'homme 14/10, 18juin 2010 (adoptéesans vote), préambule,12eal.
98L'Assemblée généraledes Nations Unies évoque également ces principes comme «un
outil efficace pour prévenir et combattre la torture» 317.Parmi les principes auxquels la
Commission des droits de l'homme, le Conseil des droits de l'homme et l'Assemblée se
réfèrent,le principe 19 dispose :
«Les Etats doivent mener rapidement des enquêtes approfondies, indépendantes et
impartiales sur les violations des droits de l'homme et du droit international
humanitaire et prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs auteurs, notamment
dans le domaine de la justice pénale,pour que les responsables de crimes graves selon
le droit international soient poursuivis, jugéset condamnés à des peines appropriées. »
318
4.71. L'expression coutumière de l'obligation de répression des cnmes contre
l'humanité figure au préambule du Statut de la Cour pénaleinternationale auquel 111 États
sont parties (fin juin 2010), y compris le Sénégalet la Belgique. Les alinéas4 à 6 et 10 de
ce préambule disposent :
« Les États Parties au présentStatut
Affinnant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté
internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit êtreeffectivement
assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la
coopération internationale,
Détenninésà mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir
ainsi à la prévention de nouveaux crimes,
Rappelant qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle
les responsables de crimes internationaux,
Soulignant que la cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est
complémentaire des juridictions pénalesnationales ... ».
2. Les crimes de guerre
4.72. Les sources qui viennent d'êtrecitées et qui obligent les Etats à poursuivre
pénalement les auteurs de crimes contre l'humanité ou, à défaut, à les extrader vers tout
Etat qui veut les poursuivre s'appliquent également aux crimes de guerre. D'ailleurs,
plusieurs des extraits reproduits ci-dessus évoquent dans la mêmephrase l'obligation de
réprimerles crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.
317
A/RES/64/153, 18 déc.2009 (adoptéesans vote), § 7.
318Doc. ONU E/CN.4/2005/102/Add.1, principe 19.
99 4.73. En outre, dans le cas spécifiquedes crimes de guerre, l'obligation alternative de
poursuivre ou d'extrader leurs auteurs est énoncéedans un article commun aux quatre
Conventions de Genève du 12 août 1949 (articles 49 (1), 50 (Il), 129 (Ill) et 146 (IV)) et
dans leur premier Protocole additionnel du 8 juin 1977 (article 85, paragraphe 1),
319 320
instruments qui lient la Belgique et le Sénégal .
4.74. L'obligation de réprimer les cnmes de guerre est conventionnelle dans la
mesure où elle figure dans des traitésliant les deux États parties au présent différend (les
Conventions de Genève de 1949 et leur Protocole additionnel 1 de 1977). Elle est aussi
coutumière dans la mesure où la présenteCour a reconnu ce caractère aux Conventions de
Genève 321.En outre, l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier
dispose :
«Les Etats doivent enquêtersur les crimes de guerre qui auraient étécommis par
leurs ressortissants ou par leurs forces armées, ou sur leur territoire, et, le cas
échéant,poursuivre les suspects. Ils doivent aussi enquêtersur les autres crimes de
guerre relevant de leur compétence et, le cas échéant,poursuivre les suspects. »
(règle 158)
3. Le crime de génocide
4.75. A nouveau, les sources citées pour les crimes contre l'humanité s'appliquent
également au crime de génocide.
4.76. Certes, la Belgique n'ignore pas que dans l'affaire concernant l'Application de
la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), la Cour a affirmé que l'article VI de cette
Convention n'obligeait que l'État du lieu du génocide à exercer la répression 322.Dans cette
affaire, la Cour, étant saisie sur le seul fondement de l'article IX de la Convention, n'a
statuéque sur cette Convention et non sur le droit international coutumier. Dans la présente
319
Depuis le 3 septembre 1952 pour les Conventions de Genève de 1949 et depuis le 20 mai 1986 pour le
Protocole additionnel! de 1977.
320
Depuis le 18 mai 1963 pour les Conventions de Genève de 1949 et depuis le 7 mai 1985 pour le Protocole
additionnel! de 1977.
321Licéitéde la menace ou de l'emploi des armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 19p.,257,
par. 79.
322Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie
Herzégovine c. Serhie-et-Monténégro),fond, arrêt,par. 442.
100espèce cependant, la compétence de la Cour est également fondée sur les déclarations
concordantes d'acceptation de sa juridiction par le Sénégalet la Belgique concernant
323
«tous les différends d'ordre juridique » .Dès lors que l'obligation de réprimerle crime
de génocidetrouve sa source dans le droit international coutumier, la limitation territoriale
énoncéepar la Convention est inapplicable in casu.
4.77. Or, le caractère coutumier universel de l'obligation de réprimerle génocidene
paraît pas douteux. Ainsi, dans son avis sur les Réserves à la convention pour la prévention
et la répressiondu crime de génocide,la Cour a dit:
«Les origines de la Convention révèlentl'intention des Nations Unies de condamner
et de réprimerle génocidecomme 'un crime de droit des gens' impliquant le refus du
droit à l'existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience
humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité, et qui est contraire à la fois à la loi
morale et à l'esprit et aux fins des Nations Unies (résolution96 (I) de l'Assemblée
générale,11 décembre1946). Cette conception entraîne une première conséquence :
les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les
nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien
conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de la
condamnation du génocide et de la coopération nécessaire 'pour libérer l'humanité
d'un fléauaussi odieux' (préambulede la Convention). La Convention sur le génocide
a donc étévoulue tant par l'Assemblée généraleque par les parties contractantes
comme une convention de portée nettement universelle. En fait, elle fut approuvée,
le 9 décembre1948, par une résolution qui fut votéeunanimement par cinquante-six
États.
Les fins d'une telle convention doivent également êtreretenues. La Convention a été
manifestement adoptéedans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degréce double caractère,
puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence même de certains groupes
humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires.Dans une telle convention, les États contractants n'ont pas d'intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêc tommun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d'êtrede la convention. Il en résulte que l'on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d'avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d'un exact équilibrecontractuel à maintenir entre
les droits et les charges. La considération des fins supérieuresde la Convention est, en
vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les
d1sposlt10nsque e ren erme. »324
323Voir pars. 3.30-3.43 ci-dessus.
324Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J.
Recueil !95!, p. 23.
101 La Cour souligne le caractère coutumier des principes de la Convention lorsqu'elle
dit:
« les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les
nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien
conventionnel »
En outre, à travers ce texte, la Cour souligne le caractère universel de l'obligation de
répression,
- soit lorsqu'elle dit :
«Les origines de la Convention révèlentl'intention des Nations Unies de condamner
et de réprimerle génocide comme 'un crime de droit des gens' [... ] »,
soit lorsqu'elle évoque:
«le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération
nécessaire 'pour libérerl'humanitéd'un fléauaussi odieux' »
soit lorsqu'elle souligne que :
« La Convention a étémanifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur [... ] puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence mêmede certains
groupes humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires »
En évoquant «l'intention des Nations Unies de condamner le génocide», le
«caractère universel» de cette condamnation et son «but purement humain et
civilisateur», la Cour renvoie à des principes fondamentaux d'humanité au cŒur des
325
fondements de toute sociétécivilisée. Dès lors que la répression du «crime des crimes »
est inhérente à la civilisation et à l'humanité, les formules utilisées par la Cour en 1951
sont une manière de souligner le caractère universel de l'obligation de répression.
4.78. Lors des débats récents à la Sixième Commission de l'Assemblée généralesur
«la portée et l'application du principe de compétence universelle», plusieurs États ont
325TPIR, affaire ICTR-96-3-T, Rutaganda, 6 décembre 1999, par. 451.
102soulignéle caractère universel de l'interdiction de l'impunitéconcernant les crimes les plus
graves, en particulier du génocide. Ainsi, pour
- l'Australie:
«Ce principe [de la compétence universelle] a vu le jour en droit international
coutumier pour empêcherles pirates de jouir de l'impunitéou de trouver refuge où que
ce soit et a depuis étéétendu au génocide, aux crimes de guerre, aux crimes contre
l'humanité, à l'esclavage et à la torture, des crimes qui, compte tenu de leur nature ou
de leur gravité exceptionnelle, préoccupent tous les membres de la communauté
internationale. »326
la Suisse:
« La justice joue un rôle essentiel dans la répression et la prévention du crime et si
c'est aux Etats qu'il incombe au premier chef d'engager des poursuites contre les
personnes relevant de leur compétence, des crimes comme le génocide, les crimes
contre l'humanité, les crimes de guerre et la torture choquent particulièrement la
conscience de la communauté internationale et ne doivent pas rester impunis. »327
l'Afrique du Sud:
« [... ] la compétence universelle ne devrait êtreexercée, en dehors d'une relation
conventionnelle, qu'à l'égarddes crimes que la communauté internationale considère
comme les plus odieux, à savoir l'esclavage, le génocide, les crimes de guerre et les
crimes contre l'humanité. »328
la République démocratique du Congo:
«Il est légitimeque des États exercent la compétence universelle pour que les actes de
torture, les crimes de ~uerr es,crimes contre l'humanitéet le crime de génocide ne
restent pas impunis. » 3 9
le Kenya:
« le principe de la compétence universelle [... ] est un instrument crucial pour
permettre aux victimes de crimes internationaux graves, tels que les crimes de guerre,
les crimes contre l'humanitéet le génocide, d'obtenir réparation lorsque l'État sur le
326A/C.6/64/SR.l2, par. 10.
327Ibid., par. 22.
328
Ibid., pa43.
329
Ibid., pa54.
103 territoire duquel le crime a étécommis ne peut pas ou ne veut pas ouvrir une enquête
0 ' d" d 330
ou orgamser un proces Igne e ce nom. »
la Slovaquie :
« il est généralement admis que le droit international coutumier autorise l'exercice
d'une telle compétence contre la piraterie, l'esclavage et la traite des êtreshumains, et
son application en cas de delicta juris gentia - génocide, torture, crimes contre
l'humanitéet v331ations graves des Conventions de Genève de 1949 - est largement
reconnue. »
1'Autriche :
«plus intéressants pour la Commission [du droit international] sont néanmoins les cas
dans lesquels les États exercent la compétence universelle uniquement sur la base du
droit international coutumier. ll semble généralementadmis qu'ils ont droit de le faire
en cas de génocide, de crimes contre l'humanité,de crimes de guerre, de torture ou de
prratene. »332
la Slovénie :
« En général,on admet que le droit coutumier autorise l'exercice de la compétence
universelle à l'égarddes crimes de piraterie, d'esclavage et de génocide, des crimes
333
contre l'humanité,des crimes de guerre et du crime de torture. »
la Belgique :
« l'exercice de la compétence universelle est [... ] un outil de dernier recours, dans les
cas où il y a un risque que les auteurs d'un génocide, de crimes contre l'humanité,de
crimes de guerre ou d'actes de torture échappent à la justice parce que l'État sur le
territoire duquel le crime a étécommis et l'État de nationalité des suspects ou des
0 0 1 d 0 334
victimes neveu ent pas ou ne peuvent pas engager e poursmtes. »
les États-Unis d'Amérique:
«En vertu du droit des États-Unis, les tribunaux fédérauxsont habilités à établirleur
compétence pour connaître des crimes qui préoccupent gravement la communauté
330
Ibid., par61.
331
Ibid., par64.
332
Ibid., par81.
333
Ibid., par96.
334
Ibid., par102.
104 internationale, comme la piraterie, la torture, le génocide et le terrorisme, mêmeen
l'absence de liens significatifs entre l'État et le crime en cause. »335
le Liechtenstein :
« Dans certains cas, lorsque ces États ne veulent pas ou ne peuvent pas traduire les
auteurs des crimes en justice, d'autres États qui n'ont aucun lien direct avec le crime
doivent engager des poursuites sur la base de la compétence universelle, qui constitue
donc un outil subsidiaire important pour engager la responsabilité des auteurs de
crimes tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et la
torture.» 336
le Togo:
« [... le principe de la compétenceuniverselle vise à prévenir l'immunité en cas de
337
crimes graves comme le génocide,les crimes contre l'humanitéet la torture[ ... ] » .
*
4.79. L'examen des sources citées dans cette section montre que les États doivent
assurer l'application de l'obligation de combattre l'impunité en mettant en place la
répression de la triade classique des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et
les crimes de guerre.
B. LES MODALITES DE L'OBLIGATION DE REPRESSION
4.80. Le droit international coutumier ne prescrit pas de modalitésparticulières pour
l'exercice de la répression des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des
crimes de guerre. S'il est évident que la répression de ces crimes implique la poursuite
pénalede leurs auteurs présumés,cette poursuite peut êtremise en Œuvre soit directement
par l'État où se trouve ces auteurs, soit indirectement, en les extradant vers un État qui
souhaite les poursuivre. Ces deux branches de l'alternative (poursuivre ou extrader - aut
dedere aut judicare) visent le mêmeobjectif: lutter contre l'impunité,c'est-à-dire assurer
la répression du crime. Le secrétariatde la Commission du droit international a examiné
les conventions multilatérales qui énoncent cette règle. En obligeant les États parties à
335A/C.6/64/SR.13, par. 22.
336Ibid., par. 26.
337
Ibid., par. 35.
105poursmvre l'auteur ou à l'extrader vers un État qui désire le poursuivre, le secrétariat
observe que les États remplissent l'obligation de poursuite prévuepar ces conventions. Le
secrétariatécritque les clauses aut dedere aut judicare
« impose upon States an obligation to ensure the prosecution of the offender either by
extraditing the individual to a State that will exercise criminal jurisdiction or by
enabling their own judicial authorities to prosecute » 338.
Judicare ou dedere sont donc bien des modalités alternatives d'exécution de
l'obligation.
4.81. Si la plupart des conventions de droit pénal international imposent l'obligation
de poursuite à l'État où le crime a étécommis, à l'État de la nationalité de l'auteur présumé
du crime et à l'État qui refuse l'extradition de cet auteur, aucune règle n'exige que l'État
où se trouve l'auteur présumédonne la priorité à la poursuite ou à l'extradition. Ainsi, la
Convention de 1948 pour la répression du crime de génocide qui exprime le droit
339
coutumier dispose, d'une part, que
« Les personnes accusées de génocide [... ] seront traduites devant les tribunaux
compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a étécommis[ ... ] »(article VI),
et, d'autre part, que
«Le génocide et les autres actes énumérésà l'article III ne seront pas considérés
comme des crimes politiques pour ce qui est de l'extradition.
Les Parties contractantes s'engagent en pareil cas à accorder 1'extradition
conformément à leur législation et aux traitésen vigueur. »(article VII)
Les Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de la guerre
disposent:
« Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues
d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions
graves, et elle devra les déférerà ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité.
Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre
338Survey of Multilateral Conventions which may be of Relevance for the Commission's Work on the Topic
"The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)", Study of the Secretariat,
A/CN.4/630, par. 126.
339Voir par. 4.77 ci-dessus.
106 législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéresséeà la
poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes
des charges suffisantes. »(article commun 49/501129/146, 2e al.)
Le projet de code adoptépar la Commission du droit international, en 1996, sur les
crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanitédispose :
« Sans préjudicede la compétence d'une cour criminelle internationale, l'Etat partie sur
le territoire duquel l'auteur présumé d'un crime visé à l'article 17, 18, 19 ou 20 est
découvertextrade ou poursuit ce dernier » (article 9).
L'Assemblée générale,dans sa résolution 3074 (XXVIII), déclare:
« 1. Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité,où qu'ils aient étécommis et
quel que soit le moment où ils ont étécommis, doivent faire l'objet d'une enquêteet les
individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels
crimes doivent êtrerecherchés, arrêtés,traduits en justice et, s'ils sont reconnus
coupables, châtiés. »
5. Les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis des
crimes de guerre et des crimes contre l'humanitédoivent êtretraduits en justice et, s'ils
sont reconnus coupables, châtiés, en règle générale,dans les pays où ils ont commis
ces crimes. A cet égard, les Etats coopèrent pour tout ce qui touche à l'extradition de
ces individus. »
Aucun de ces textes ne privilégieplutôt la poursuite ou plutôt l'extradition: judicare
et dedere sont mis sur le mêmeplan.
4.82. Tout au plus, constate-t-on que pour les cnmes imputés à M. Habré,
l'obligation de poursuite à charge de l'État existe indépendamment de toute demande
d'extradition et se fonde sur la seule présence de son auteur sur le territoire de cet État 340 :
aut dedere aut judicare devient judicare veZ dedere 341. On va voir à présent que le
caractère extraterritorial de la compétence à exercer par le Sénégalà l'égardde M. Habré
n'atténue en rien la portée de son obligation de poursuivre M. Habré ou, à défaut, de
l'extrader vers la Belgique.
340Ibid., pars. 127-131.
341Voir par. 4.68 ci-dessus.
107 C. FONDEMENT JURIDIQUE DES COMPETENCES QUE LE SENEGAL DOIT EXERCER A
L'EGARD DES CRIMES IMPUTES A M. HAB RE
4.83. Dèslors que tous les crimes imputésà M. Habrésont des crimes qui sont
- commis en dehors du Sénégal,et
- imputésà un particulier, M. Habré,qui n'est pas sénégalais;et
- commis contre des citoyens qui, pour la plupart, ne sont pas sénégalais.
Il en découle que la compétence que le Sénégaldoit exercer à l'égard de M. Habré
est une compétence universelle.
4.84. Qu'il s'agisse d'une compétence à caractère extraterritorial n'atténue en rien
l'obligation à charge du Sénégal. Il suffit de rappeler qu'aucune des règles citées
précédemment 342 ne limite l'obligation de répression des crimes graves de droit
international aux seuls États du lieu où le crime a été commisou aux États ayant un lien de
nationalité avec son auteur ou sa victime. La lutte contre l'impunité n'est nullement limitée
par des considérations relatives à la géographie du crime, la nationalité de son auteur ou
celle de sa victime. Certains textes disposent expressément que la répression de ces crimes
doit avoir lieu « où qu'ils aient étécommis et quel que soit le moment où ils ont été
. 343
commis»
4.85. Le seul critère qui importe pour déclencher l'obligation de poursuite dans le
chef d'un État est la présence de l'auteur présumé du crime sur son territoire. Le
commentaire, par la Commission du droit international, de l'article 9 de son projet de code
des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité préciseque cette seule présence suffit
pour obliger l'État à poursuivre cette personne, mêmeen l'absence de toute demande
344
d'extradition .
342Voir par. 4.64 ci-dessus.
343A/RES/3074 (XXVlll), 3 décembre 1973, par. 1.
344
Voir Ann. C.D.I., 1996, vol. Il, 2epartie, p. 33. Voir aussi par. 4.68 ci-dessus.
108 4.86. Ces pnnCipes ont ététrès largement rappelés lors des débats récents de la
Sixième Commission de l'Assemblée généralesur la compétence universelle. S'il est clair
que la compétence universelle doit évidemment êtreexercée de bonne foi et non de
345
manière abusive ,la plupart des intervenants ont insistésur le fait que l'exercice de cette
compétence s'inscrivait directement dans le cadre de la lutte contre l'impunité dont on
vient de voir qu'elle est le fondement de l'obligation du Sénégalde poursuivre ou
d'extrader M. Habré 346. Ainsi,
- pour le Salvador,
«la compétence universelle est utile pour combattre l'impunité et renforcer la justice
internationale parce qu'elle existe quel que soit le lieu où le crime est commis ou la
natwna lte e son auteur ... [ ]» 347
pour 1'Afrique du sud, si elle
«accepte la compétence universelle pour certains crimes internationaux graves, c'est
parce qu'elle appuie la lutte contre l'impunitéet la recherche de la justice. » 348
pour la République démocratique du Congo,
«l'impunité est aussi combattue au niveau national par l'utilisation de la compétence
universelle. [... ] De plus, les limites de la compétence de la Cour [pénale
internationale] et des tribunaux ad hoc et le grand nombre d'affaires portéesdevant les
tribunaux nationaux attestent ~ue la compétence universelle est un élémentessentiel
de la lutte contre l'impunité »34
pour le Kenya,
«L'application de ce principe [la compétence universelle] a réduit le nombre350s
refuges où les auteurs de tels crimes peuvent jouir de 1'impunité. »
345A/C.6/64/SR.l2, pars. 12 (Australie), 13 (Tunisie), 20 (Iran), 47 (Chine), 93 (Soudan); A/C.6/64/SR.l3,
pars. 12 (Iran), 18 (Israël), 31 (Rwanda), 35 (Togo), 40 (Sénégal),42 (Nigéria),45 (Italie).
346Voir pars. 4.64 et ss ci-dessus.
347
A/C.6/64/SR.l2, par. 25.
348
Ibid., par. 41.
349
Ibid., par. 52.
350Ibid., par. 61.
109- pour la Thaïlande,
« si ces deux règles de droit international [les règles aut dedere aut judicare et la
compétence universelle] sont conceptuellement distinctes, elles ont toutes deux pour
'. . ' 351
but d corn abtre l 1mpumte. »
pour le Pérou,
« si les deux institutions [justice pénale internationale et compétence universelle] ont
le même objectif- éviterl'impunité- la compétence universelle ne peut êtreexercée
/ 352
que par les Etats. »
pour la Norvège,
«Au cours des dernières décennies, l'un des développements majeurs des relations
internationales et du droit international est l'idée,partagéepar tous, qu'il ne doit pas y
. d'" . ' d . 353
av01r 1mpumte en cas e cnmes graves. »
pour la France, la compétence universelle
«ne peut êtreutilisée qu'à l'égard des actes qui sont condamnés universellement ou
qui appellent, dans toute la mesure possible, une réactionmondiale. Il s'agit donc d'un
354
outil essentiel pour combattre l'impunité. »
pour 1'Autriche,
«la compétence universelle est un outil important de lutte contre l'impun355, lutte qui
est [un] objectif essentiel de l'Organisation [des Nations Unies]. »
pour l'Allemagne,
«S'agissant des poursuites au niveau national, le principe de la compétence
universelle est un outil légitimeet utile de la prévention de l'impunitéet il est clair que
351
Ibid., par. 66.
352Ibid., par. 69.
353Ibid., par. 72.
354
Ibid., par. 76.
355
Ibid., par. 81.
110 le droit international coutumier permet de l'invoquer en cas de cnmes
internationaux. » 356
la Finlande déclarequ'elle est
« résolu[e] à promouvoir la responsabilité internationale et n'hésitera pas à appliquer
le principe de la compétence universelle s'il existe un risque qu'à défaut l'impunité
1'emporte » 357.
pour la Belgique
« l'exercice de la compétence universelle est un outil essentiel de la lutte contre
l'impunit. .n cas d358rimes internationaux graves et de la réparation du préjudice subi
par 1es victimes » .
4.87. Même les États qm craignaient les nsques d'utilisation abusive de la
compétence universelle ont admis cette filiation entre la compétence universelle et les
exigences de la lutte contre l'impunité 359. La lutte contre l'impunité formule donc un
principe de droit international coutumier obligeant tous les États à coopérer à la répression
des crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime de génocide. Cette obligation
de coopération oblige tout État où se trouve l'auteur présumé d'un tel crime à le poursuivre
pénalement, à défautde l'extrader vers un État fondéà le poursuivre.
4.88. Le fondement juridique de l'action intentée par la Belgique contre le Sénégal
réside donc dans l'obligation, imposée aux États par le droit international, de lutter contre
l'impunité à l'égardde personnes qui se trouvent sur leur territoire et qui sont soupçonnées
d'avoir commis des crimes graves de droit international.
4.89. Prévuepar le droit international conventionnel et coutumier liant le Sénégalet
la Belgique, cette obligation contraint le Sénégalà poursuivre pénalement M. Habré, ou à
l'extrader vers la Belgique pour y répondre des crimes qui lui sont imputés par la justice
belge.
356Ibid., par. 85.
357Ibid., par. 91.
358
Ibid., par. 102.
359
A/C.6/64/SR.12, par. 99 (Tunisie); A/C.6/64/SR.13, pars. 1 (Indonésie), 5 (Iran), 32 (Rwanda), 36
(Togo).
Ill CHAPITRE V
LA RESPONSABILITE DU SENEGAL ET LES REMEDES
1. Des« difficultés»d'ordre financier, juridique ou autre ne peuvent pas délierle
Sénégad le ses obligations ou excuser leur violation
5.01. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a noté
que les parties ont exprimédes points de vue différents quant à la question de savoir si des
difficultés d'ordre financier, juridique ou autre sont pertinentes pour apprécier s'il y a eu
ou non manquement aux obligations du Sénégal 360.
5.02. Aucune de ces difficultés ne peut cependant délierle Sénégalde ses obligations
internationales ou constituer autrement une circonstance excluant l'illicéitédes violations
attribuables aux autorités sénégalaises.
5.03. Quant aux difficultés d'ordre juridique, la Belgique note que, conformément à
l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
« [u]ne partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la
non-exécution d'un traité...»361
De même, l'article 3 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait
internationalement illicite confirme :
« La qualification du fait d'un État comme internationalement illicite relève du droit
international. Une telle qualification n'est pas affectée par la qualification du même
fait comme licite par le droit interne. »362
5.04. Le Sénégal nepeut donc pas se prévaloir des difficultés qu'il a pu rencontrer au
plan interne pour se délier de ses obligations internationales conventionnelles ou
coutumières, d'une part, ou pour exclure le caractère illicite des manquements au droit
360Questions concernant l'obligationde poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du8 mai 2009, par48.
361RTNU, vol. 1155,p. 361 (l-18232).
362
Nations Unies, Assemblée générale,résolution 56/83, 12 décembre 2001, annexe.
113international qui lui sont attribuables. Comme la Cour permanente de Justice internationale
l'a noté:
«d'après les principes généralementadmis, un État ne peut, vis-à-vis d'un autre État,
se prévaloirdes dispositions constitutionnelles de ce dernier, mais seulement du droit
international et des engagements internationaux valablement contractés, et (...)
inversement, un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État sa propre
Constituti. /pour .se soust363re aux obligations que lui imposent le droit international
ou 1es traites en vigueur. »
5.05. De surcroît, le Comitécontre la torture a également soulignédans sa décision
du 17 mai 2006 que
«l'Etat partie ne peut invoquer la complexité de sa procédurejudiciaire ou d'autres
raisons dérivéesde son droit interne pour justifier le manque de respect à ses
obligations en vertu de la Convention. [Le Comité]considère que cette obligation de
poursuivre Hissène Habré pour les faits alléguésde torture existait dans le chef de
l'Etat partie, à défaut de prouver qu'il ne disposait pas d'élémentssuffisant[s]
permettant de poursuivre Hissène Habré,à tout le moins au moment de l'introduction
de la plainte par les requérantsen janvier 2000. »364
5.06. Au demeurant, l'impossibilité pour les autoritéssénégalaisesde poursuivre M.
Habrédevant ses juridictions en raison de l'inadaptation de son droit interne constitue, en
elle-même,une violation du droit international 365. En vertu de l'article 5, paragraphe 2, de
la Convention contre la torture, le Sénégalétait obligé d'adapter son droit interne aux
366
exigences de la Convention . L'État défendeur ne peut pas maintenant invoquer ses
propres manquements au droit international pour justifier ou excuser d'autres
manquements à ses obligations internationales. Nemo auditur propriam turpitudinem
allegans.
5.07. Pour justifier, par ailleurs, l'absence de mesures concrètes et le retard dans
l'institution des poursuites contre M. Habré, le Sénégalinvoque des difficultés d'ordre
financier. Dans sa note verbale du 21 février2007, le ministère des Affaires étrangèresdu
363Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d'origine ou de langue polonaise dans le
territoire du Dantzig, avis consultatif, 1932,.l., sérieAIE n° 44, p. 24.
364Comité contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, communication n° 181/2001,
décisiondu 17 mai 2006, CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.8 (annexe E.2.)
365Voir pars. 4.29-4.37 ci-dessus.
366
Voir pars. 4.12-4.18 ci-dessus.
114Sénégala ainsi fait état, pour l'exécution du «mandat donné par l'Union africaine au
Sénégalpour juger Monsieur HissèneHabré», qu'
« un tel procès exige des moyens importants que le Sénégalne saurait mobiliser sans
le concours de la Communauté internationale. Le mandat de l'Union africaine est
. . ' / d 367
exp11c1tea cet egar » .
Devant la Cour, les représentants du Sénégalont réaffirmélors des plaidoiries
relatives à la demande en indication de mesures conservatoires :
« Le seul obstacle, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, à
l'ouverture du procès de M. Hissène Habré au Sénégalest d'ordre financier. Le
Sénégala accepté de juger M. Habrénon sans dire devant l'Union africaine, dès le
368
départ,qu'il ne pouvait pas, à lui tout seul, supporter le coût du procès » .
5.08. La Belgique est consciente des implications juridiques, logistiques et
financières de l'organisation d'un procès au Sénégal.Néanmoins, la non-exécution de
l'obligation de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture et du droit
international coutumier concernant l'obligation aut dedere aut judicare ne peut être
justifiée, en droit international, par de telles considérations. Le respect de ces obligations
internationales ne peut êtresoumis à l'obtention d'un soutien financier et des difficultés
d'ordre financier ne constituent pas un étatde nécessitésusceptible d'exclure l'illicéitédes
369
violations de ces obligations .
5.09. Il convient notamment de garder à l'esprit que l'obligation de juger M. Habré
s'impose au Sénégalnon en raison d'un mandat donné par l'Union africaine, mais en
raison de la présence de M. Habrésur le territoire sénégalaiset des règles pertinentes du
droit international, en particulier, l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la
torture. Mêmesans un quelconque soutien de la part des autoritéspolitiques du continent
africain, le Sénégaldoit s'acquitter des obligations qu'il a acceptéesen tant que partie à la
Convention de 1984. Aucune disposition de cette Convention ne permet de se soustraire au
respect de ses dispositions ou d'en suspendre l'application.
367Annexe B.13.
368CR 2009/9, 6 avri12009, p. 29, par. 47 (Kandji).
369
Voir notamment Affaire de l'indemnité russe (Russie/Turquie), sentence arbitrale du 11 novembre 1912,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. Xl, p. 443.
115 5.10. En outre, et sans qu'il soit nécessaire d'expliquer en détail le processus de
négociation qui est actuellement en cours entre la communauté internationale, et
notamment l'Union africaine et l'Union européenne, d'une part, et les autorités
sénégalaises,d'autre part, il ressort du dossier que les problèmes liésau soutien financier
du procès de M. Habré au Sénégal- soutien qui, dans son principe, a étépromis par
plusieurs États et par l'Union européenne - ont étécauséspar des évaluations de coûts
déraisonnables 370. Actuellement, une mission de l'Union européenne assiste les autorités
sénégalaisesà l'établissement d'un budget solide et raisonnable. En outre, la conduite des
enquêtespréliminaires,procédurejudiciaire classique et largement formelle conduite par le
procureur et, par ailleurs, prescrite par l'article 6, paragraphe 2, de la Convention contre la
torture, n'exige pas de budget particulier. Les difficultésrencontréespour la collecte des
fonds auprèsdes partenaires du Sénégalne peuvent aucunement justifier 1'absence de toute
enquêtepréliminaire,surtout quand on connaît la quantitéde documents et d'informations
déjàrecueillies par le Tchad, la Belgique et bien d'autres sources qui ne demandent qu'à
assister le Sénégal.C'est d'autant plus vrai pour l'exécutiond'une commission rogatoire
internationale en Belgique ; les autorités sénégalaisesont cependant, par leur note
du 15juin 2010, clairement conditionné l'exécution d'une telle commission rogatoire à
l'effectivitéde la Table ronde des donateurs 371.
5.11. Dans sa Note sur les dernières évolutions du 15juin 2010, le Sénégala par
ailleurs confirmé qu'il «ne saurait se prévaloir d'une quelconque exception tirée d'un
manque de moyens financiers pour ne pas mettre en Œuvre ses obligations » et qu'il «n'a
pas envisagéune telle possibilité » 37.
5.12. Si le Sénégalse trouve vraiment dans l'impossibilité de juger M. Habré en
raison de difficultésd'ordre financier ou logistique, la Belgique désireattirer l'attention de
la Cour et de l'État défendeursur le fait que l'obligation aut dedere aut judicare comporte
deux éléments: l'obligation de juger ne doit êtreassuméeque si l'État du for décidede ne
pas extrader l'auteur présuméd'actes de torture. Le Sénégalpeut toujours s'acquitter de
ses obligations internationales en extradant M. Habrévers la Belgique.
370Voir Requêteintroductive d'instance, 16 février2009, pp. 4 et 5.
371Annexe B.25. Voir aussi par. 1.64 ci-dessus.
372
Annexe D.9., p. 6.
116 *
5.13. Eu égard à ces considérations, le Sénégalne peut pas se dégager de sa
responsabilitéinternationale en invoquant des « difficultés» d'ordre juridique, financier ou
autres. Ses actions et omissions constituent des faits internationalement illicites qui
373
engagent sa responsabilitéinternationale .
II. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégal
5.14. La Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du Sénégalpour les faits
internationalement illicites imputables à ce dernier conformément à 1'article 42 b) i) des
374
Articles sur la responsabilitéde l'État pour fait internationalement illicite .
5.15. Comme la Belgique l'a expliqué dans sa réponse aux questions du juge
Cançado Trindade lors de la procédure en indication de mesures conservatoires,
l'obligation aut dedere aut judicare s'impose, dans le cadre de la Convention contre la
375
torture, à tous les États parties .Dans le cadre du droit international coutumier, tout État
doit respecter l'obligation aut dedere aut judicare vis-à-vis de la communauté
internationale dans son ensemble eu égard à l'objet et au but de cette obligation: lutter
contre l'impunité.La règle poursuit la réalisation d'un intérêq tui concerne tous les États.
La Cour a considéréen 1970 qu'
373 Voir articles 1eret 2 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit.
(note 362).
374Ibid. L'article 42 prévoit:
Article 42
Invocation de la responsabilité par l'État lésé
Un État est en droit en tant qu'État léséd'invoquer la responsabilité d'un autre État si l'obligation violée
est due:
a) À cet État individuellement ; ou
h) À un groupe d'États dont il fait partie ou à la communauté internationale dans son ensemble, et si la
violation de l'obligation:
i) Atteint spécialement cet État ; ou
ii) Est de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres États auxquels l'obligation est
due quant à l'exécutionultérieurede cette obligation.
375
Réponsede la Belgique au juge Cançado Trindade, 8 avril2009, par. 11.
117 « [u]ne distinction essentielle doit en particulier êtreétablie entre les obligations des
Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent
vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature
même,les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause,
tous.les E.ats peuv/ / êtr376nsidéréscomme ayant un intérêj turidique à ce que ces
drmts sment proteges » .
5.16. Dans ces circonstances, la Belgique, comme tout autre État partie à la
Convention contre la torture (en ce qui concerne le respect de cette dernière), ou tout autre
État (en ce qui concerne le respect du droit international coutumier), est en droit
d'invoquer la responsabilité du Sénégal.La Commission du droit international a considéré
dans ses commentaires à l'article 48 des Articles sur la responsabilité de l'État que «dans
le cas de violations d'obligations expresses protégeant les intérêtscollectifs d'un groupe
d'États ou les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble, la
responsabilité peut êtreinvoquéepar des États qui ne sont pas eux-mêmeslésésau sens de
377
l'article 42 » •
5.17. Mais la Belgique n'est pas simplement un« État autre qu'un État lésé»au sens
de l'article 48 des Articles sur la responsabilité- mêmesi cette qualification suffisait pour
invoquer la responsabilité du Sénégal. L'État belge est «atteint par la violation d'une
378
manière qui le distingue des autres États auxquels l'obligation est due » .D'une part, les
juridictions belges sont activement saisies de l'affaire H. Habré à la suite de plaintes
379
déposéesen 2000 ; certaines des victimes ont la nationalité belge . D'autre part, la
Belgique a formellement demandé l'extradition de M. Habré en faisant fond sur
l'obligation aut dedere aut judicare de la Convention de 1984 et du droit international
coutumier. La Belgique a donc un intérêttout particulier à ce que M. Habrésoit extradéou,
à défaut,jugéau Sénégal,ou, autrement dit, à ce que le Sénégalrespecte ses engagements
internationaux.
5.18. Pour toutes ces raisons, la Belgique est en droit d'invoquer la responsabilité du
Sénégalen tant qu'« État lésé». Bien que les obligations internationales violées par le
376Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Nouvelle requête: 1962) (Belgique c. Espagne),
arrêt,C.l.J. Recuei/1970, p. 32, par. 33.
377Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2partie, p. 135, par. 2) du commentaire.
378Ibid., p. 127, par. 12) du commentaire de l'article 42.
379
Annexe C.11.
118Sénégalsoient dues à un groupe d'État ou à la communauté internationale dans son
ensemble, ces violations ont spécialementatteint la Belgique 380.
III. Le contenu de la responsabilité du Sénégal
5.19. Les faits internationalement illicites qui sont attribuables au Sénégalet qui
engagent sa responsabilité entraînent plusieurs conséquences énuméréespar les Articles
sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite :
la cessation du fait illicite en question dans la mesure où il a un caractère
. 381
contmu ;
382
- la reprise de l'exécutionde l'obligation internationale violée ;et
383
- la réparationdu préjudicesubi par l'État lésé .
380 Article 42 h) i) des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit.
(note 362).
381 Article 30 a) des Articles sur la responsabilitéde l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit. (note
362). L'article 30 dispose:
Article 30
Cessation et non-répétition
L'État responsable du fait intemationalement illicite a l'obligation :
a) D'y mettre fin si ce fait continue ;
h) D'offrir des assurances et des garanties de non-répétitionappropriéessi les circonstances 1'exigent.
382
Article 29 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite, op. cit. (note
362). L'article 29 dispose:
Article 29
Maintien du devoir d'exécuter l'obligation
Les conséquences juridiques d'un fait intemationalement illicite prévues dans la présente partie
n'affectent pas le maintien du devoir de l'État responsable d'exécuterl'obligation violée.
383 Article 31, paragraphe 1, des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait intemationalement illicite,
op. cit. (note 362). L'article 31 dispose :
Article 31
Réparation
1. L'État responsable est tenu de réparerintégralement le préjudice causépar le fait internationalement
illicite.
2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matérielque moral, résultant du fait internationalement
illicitede l'État.
119 5.20. Le Sénégal a violé et viole toujours ses obligations internationales
conventionnelles et coutumières, à savoir, d'une part, l'article 5, paragraphe 2, l'article 6,
paragraphe 2, et l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, et d'autre part,
les règlescoutumières appelant les États à lutter contre l'impunité.
5.21. Dans la mesure où ces violations continuent, le Sénégalest obligéde cesser le
fait illiciteComme la Commission du droit international a notédans son commentaire à
l'article 30 des Articles sur la responsabilitéde l'État:
« La cessation du comportement en violation d'une obligation internationale est la
première condition à remplir pour éliminerles conséquencesdu comportement illicite.
La cessation a pour fonction de mettre fin à une violation du droit international et de
préserver la validité et l'efficacité de la règle primaire sous-jacente. L'obligation de
cessation qui incombe à l'État responsable sert ainsi à protégeraussi bien l'intérêd te
l'État ou des États lésésque l'intérêtde la communauté internationale dans son
ensemble à préserverl'étatde droit et à s'appuyer sur lui. »384
5.22. Dans son arrêtdans l'affaire du Différend relatif à des droits de navigation et
des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a notéà cet égard:
« [L]orsque la Cour a constaté que le comportement d'un Etat présenteun caractère
illicite, et dans le cas où ce comportement se poursuit encore à la date de l'arrêt,l'Etat
en cause est tenu d'y mettre fin immédiatement. Cette obligation de cessation d'un
comportement illicite découle tout autant du devoir généralqu'a chaque Etat de se
comporter conformément au droit international, que de l'obligation spécifique qu'ont
les Etats parties aux différends portés devant la Cour de se conformer aux arrêtsde
385
celle-ci, en vertu de l'article 59 de son Statut»
5.23. Le Sénégalest ainsi obligé de mettre fin à ses violations de l'article 6,
paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, ainsi qu'à
sa violation de la règle coutumière aut dedere aut judicare. Cette cessation consiste en
l'exécution des obligations qui lient le Sénégalet qui, conformément à l'article 29 des
Articles sur la responsabilité de l'État, continue à le lier : «les conséquences juridiques
384Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2èmepartie, p. 95, pars. 4) et 5) du commentaire.
385Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costac.iNicaragua), arrêt,
par. 148.
120d'un fait internationalement illicite n'affectent pas le maintien du devoir de l'État
386
responsable d'exécuterl'obligation qu'il a violée » .
5.24. Le Sénégaldoit donc s'acquitter des obligations qui sont les siennes. A ces fins,
il est obligéde soumettre, sans délais,l'affaire H. Habréà ses autoritéscompétentespour
l'exercice de l'action pénale,ou, à défaut,d'extrader M. Habrévers la Belgique.
5.25. La Belgique est consciente du fait qu'« [i]l n'est pas nécessaire,et il n'est pas
utile en règlegénérale,que la Cour rappelle l'existence de cette obligation [de cessation du
fait internationalement illicite] dans le dispositif des arrêtsqu'elle rend : du seul fait que la
Cour constate l'existence d'une violation qui présenteun caractère continu, il découlede
387
plein droit l'obligation de la faire cesser, à la charge de l'Etat concerné » .Néanmoins,eu
égard aux circonstances de l'espèce, il est indispensable que la Cour détermine sans
ambiguïtéque le Sénégaldoit mettre fin à la violation de l'article 7, paragraphe 2, et doit
exécuter cette obligation dans les meilleurs délais.En effet, bien que les deux parties ne
semblent pas êtreen désaccord sur l'existence mêmede l'obligation- et la Note sur les
dernières évolutions du 15juin 2010 le confirme de nouveau 388 -, elles ont exprimé des
389
points de vue divergents quant aux modalités de son exécution . Il n'est donc pas
suffisant de constater la violation d'une obligation du droit international ; la Belgique prie
la Cour de dire que le Sénégaldoit effectivement poursuivre ou extrader M. Habrévers la
Belgique, ainsi que le prévoient l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre la torture
et le droit international coutumier. Autrement dit, il ne suffit pas que le Sénégal
reconnaisse qu'il doit poursuivre M. Habré; il faut aussi qu'il le poursuive effectivement
et dans les meilleurs délais sans exciper de difficultés matériellesqui ne peuvent justifier
l'inaction d'un État qui est un État de droit.
5.26. Quant à la violation de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la
torture, le Sénégala, en janvier 2007, pris les mesures nécessairesafin de mettre son droit
interne en conformité avec les exigences de la Convention. Le fait internationalement
386
Ann. C.D.I., 2001, vol. Il, 2èmepartie, p. 93, par. 2) du commentaire de l'article 29.
387Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c.Nicaragua), arrêt,
par. 148.
388 Voir par. 1.63 ci-dessus.
389Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, par. 48
121illicite résultant de l'inadéquation de son droit interne aux exigences de la Convention a
donc cessé. Dans ces conditions, il n'est ni nécessaire ni opportun d'obliger le Sénégalà
mettre fin au fait intemationalement illicite et de reprendre l'exécution de l'obligation
violée. ll demeure, en revanche, impératif que le Sénégalremplisse son obligation de
poursuivre ou, à défaut,d'extrader M. Habrévers la Belgique.
5.27. De surcroît, le Sénégalest obligéde réparer tout préjudice subi par la Belgique
afin d'« effacer toutes les conséquences de l'acte illicite», y compris l'article 5,
390
paragraphe 2 . De l'avis de la Belgique, la constatation par la Cour des violations
attribuables au Sénégalconstitue une satisfaction appropriée 391.
390
Détroitde Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) ,fond, arrêt,C.I.J.
Recueili949, p. 47.
391
Détroitde Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) ,fond, arrêt,C.I.J.
Recueili949, p. 35. Voir aussi LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil200I, p. 508, par. 116; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria; Guinée Équatoriale (intervenant)), arrêt,C.I.J. Recueil2002, p. 452, par. 319;
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide (Bosnie
Herzégovine c. Yougoslavie), fond, arrêt, pars. 463, 465 et469; Certaines questions concernant
l'entraide judiciaire en matière !pénale(Djibouti. France), arrêt,par. 204.
122 CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, le Royaume de Belgique prie la
Cour internationale de Justice de dire et juger que :
1) a) le Sénégala violéses obligations internationales en n'ayant pas introduit
dans son droit interne les dispositions nécessaires permettant aux autorités
judiciaires sénégalaises d'exercer la compétence universelle prévue par
l'article 5, paragraphe 2, de Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le Sénégala violé et viole ses obligations internationales découlant de
l'article 6, paragraphe 2, et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du
droit international coutumier en s'abstenant de poursuivre pénalement M.
Hissène Habré pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture, de
crime de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité qui lui
sont imputés en tant qu'auteur, coauteur ou complice, ou de l'extrader vers la
Belgique aux fins de telles poursuites pénales;
c) le Sénégalne peut pas invoquer des difficultés d'ordre financier ou autres
pour justifier les manquements à ses obligations internationales.
2) le Sénégalest tenu de mettre fin à ces faits internationalement illicites
a) en soumettant sans délais l'affaire Hissène Habré à ses autorités
compétentespour l'exercice de l'action pénale; ou,
b) à défaut,en extradant M. Habrévers la Belgique.
123 *
* *
La Belgique se réservele droit de modifier ou d'amender le cas échéant lesprésentes
conclusions, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour.
Le 1erjuille2010,
Paul RIETJENS GérardDIVE
Agent du Gouvernement du Royaume de Co-agent du Gouvernement du Royaume de
Belgique Belgique
Directeur généraldes Affaires juridiques Conseiller - Chef du service de droit
Service public fédéralAffaires étrangères, international humanitaire
Commerce extérieuret Coopération au Service public fédéralJustice
Développement
124125
Mémoire de la Belgique