Mémoire du Gouvernement de la Guinée-Bissau

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6669
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COUR INTERNATIONALE DEJUSTICE

AFFAIRERELATIVE A LA SENTENCE ARBITRALEDU 31JUILLET1989
(GUINÉE-BISSAC.SÉNÉGAL)

MÉMOIRE DU GOUVERNEMENT

DE LA RÉPUBLIQUE DE
GUINÉE-BISSAU

Livre 1

MAI 1990 TABLEDES MATIÈRES

INTRODUCTION

1. Les faits antérieurs au compromis d'arbitrage du
12 mars 1985 ...............................................
La nécessitéde procéder à des délimitations mari-
times ....................................................

L'ignorance de l'échangede lettres franco-portugais
La poursuite des négociations de fond ................

Les négociations en vue d'un compromis d'arbitrage .
Evénements (en relation avec le différend) inter-
venus avant l'entréeen vigueur du compromis d'arbi-
trage du 12 mars 1985 .................................

2. Les faits postérieurs au compromis d'arbitrage du
12 mars 1985 ..............................................

La nomination des arbitres ............................
Le déroulement de la procédure .....................

Les résultats ...............................
Les relations entre les deux Parties dans les jours
qui suivirent le 31 juillet 1989 ........................

CHAPITRE II. LA COMPETENCEDE LA COUR

1. Les caractéristiques généralesde l'instance ......

Une demande en inexistence et en nullité et non
en réformation par voie d'appel ou en révision .....
Une demande en inexistence et en nullité et non
en annulation ..........................................

2. Les déclarations des deux Etats relativement à la juri-
diction de la Cour ......................................... La compétence rolione lemporis ...... .......... .....

La compétence rofione moterioe .... ............ .....

3. La compétence de la Cour en application de l'article 36,
paragraphe 2 du statut ....................................

de différends viséesrànl'article 36, paragraphe 2 ....

La doctrine et la jurisprudence en la matière ......

CHAPITRE III. LE COMPROMISD'ARBITRAGE DU 12 MARS
1985 .................................. .........

1. Le compromis, source limitative et impérative des pou-
voirs du Tribunal ..........................................

2. Analyse du compromis d'arbitragr .. .......... .........
Article Il (paragraphe 1) ...............................

Article 10 (paragraphe 2) ..............................
Article 4 ....... ............. ...... ......... .......

Article 2 et 9............................................

CHAPITRE IV. L'INEXISTENCE DE LA PRÉTENDUE
«SENTENCE » ........ ..................... 59

1. L'inexistence comme catégorie distincte de la nullité .. 59

2. L'absence de majorité au sein du Tribunal ............. 62
La déclaration du président .. .......... ..... ...... 63

Les conséquences de la déclaration du président .. . 68

CHAPITRE V. L'EXCÈS DE POUVOIR ETLE DEFAUTDE
MOTIVATION ENTRAINENT LA NULLITE
ABSOLUE DELAPRETENDUE « SENTENCE » 71

1. Les fondements théoriques de la nullité d'une sentence
arbitrale .......... .... .............................. . 71 2. Les élémentsconstitutifs de la nullité de la «sentence»
du 31 juillet 1989 ......................................... 76
Tentative de mise en relation des motifs et du dis-
positif de la« sentence » ............................... 77

Les causes d'invalidité de la «sentence» ............ 78

3. Prolongements et conclusions ............................ 81

CONCLUSIONS .............................................. 85 INTRODUCTION

1. Le 23 août 1989,et en application du paragraphe I de l'artic40
du statut de la Cour, le Gouvernement de la Guinée-Bissau a déposé
auprèsde la Cour Internationale de Justice une requêteintroductive d'ins-
tance contre le Gouvernement de la République du Sénégal.
Cetterequête relative à la prétendue sentence rendue le 31juillet 1989par
le Tribunal arbitral pour la détermination de la frontière maritime Guinée-
Bissau -Sénégal,tend à prier la Cour de dire et juger:
«- que cette prétendue décision est frappée d'inexistencepar le fait
que. des deux arbitres ayant constituéen apparence une maioritéen
faveur du texte delac<sentence a.l'una, parune dcc13raiion~anncxc,
exprimé une opinion en contradiction avec ccllr. iippiiremnicnt
votée ;
- subsidiairement, que cette prétendue décision est frappée de
nullité.le Tribunal n'avant oas réoondu comolètement à la double
question poséeparle c6mpromis, n'ayant pasabouti à une ligneuni-
quede délimitation dûment oortée surune carte et n'a~.nt pas moti-
véles restrictions ainsi abusivement apportées à sa compétence ;
- que c'est donc à tort que le Gouvernement du Sénégalprétend
imposer ù celui de la Guinée-Bissau I'application de la prétendue
sentence du 31 juillet 1989.))

2. Le 1" novembre 1989,la Coura rendu une ordonnance fixant les
dates d'expiration des délais pour le dépôt des pièces de la procédure
écrite. En application de cette ordonnance, le présent mémoire est
aujourd'hui déposé au nom du Gouvernement de la Guinée-Bissau,
dcinandeur en cette affaire.
Les élémentsnécessaires à l'exposéde la cause et les arguments y relatifs
seront développésselon le schéma suivant:
- le premier chapitre servira à l'exposédes faits tels qu'ils ont conduit
d'abord à la constitution d'un Tribunal arbitral chargéde la délimitation
maritime entre les deux Etats, et ensuite à la saisine de la Cour par le
Gouvernement de la Guinée-Bissau;
-le secondchapitresera relatif àla compétencede la Couret analysera sur
quels fondements cette compétence est assurée;
- il conviendra dans un troisième chapitre de se livrer à une analyse
détaillée ducompromis d'arbitrage passéle 12 mars 1985.11constituait en
effet la base précisede l'accord des Parties relativement aux pouvoirs et
compétences attribués au Tribunal arbitral constitué par un effet de leurs
volontés.Aussi le texte produit comme sentence ne saurait-il êtredéclaré
valide sans une étroite vérification de l'application qui a étéfaite du
compromis arbitral ;-le quatrième et le cinquième chapitres seront consacrés respectivement
à l'examen de l'argument d'inexistence de la prétendue sentence pour
défaut de formation d'une majorité chez les arbitres, etl'examen de
l'argument d'invalidité pourexcèsde pouvoir, présenté titre subsidiaire
et fondésur le caractère incomplet des réponses apportéespar le Tribunal
aux questions poséespar le compromis, sur l'absence de fixation d'une
ligne unique, l'absence de la carte pourtant demandée, et la non-motiva-
tion de ces carences dans la prétendue décision.

A la suite de quoi, le Gouvernement de la Guinée-Bissau formulera les
conclusions qu'il présente respectueusementà la Cour. CHAPITRE 1

L'EXPOSÉDES FAITS

3. Le ré sentdifférend porte sur l'inexistence et l'invaliditédu
ieuie produit comme sr'nienccpar leTribunal arbitral le31 luillet 1989.Ces
aualilic~tions sont dedu~tescommr ilsera exposeplus loin. d'une pan. de
l;analysc mêmedu texte de la «sentence» et des déclarationet opinion
jointes, et d'autre part, de la violation du compromis arbitral par leTribu-
nal
L'importance des termes de cet accord (qui sera l'objet d'un examen
détaillédans le Illc Chapitre de ce Mémoire)justifie que soient rappelées
au moins brièvement les circonstances qui ont conduit à sa conclusion. En
effet, l'accumulation des faits antérieursà la signature du compromis, les
positions respectives des deux Etats telles qu'elles se sont exprimées dès
l'abord, sont des éléments décisifspour la pleine compréhension de la
rédactiondu comoromis arbitral oui a finalement emuortél'adhésiondes
deux Etats.
La situation oui s'est dévelo~péedepuis le compromis, c'est-à-dire pen-
dani le dérouiement de la pr6c~dure~;irbitraleet depui, son aihéverneni,
constitue également une partie des Faitsqu'il cst indispensable de ponsr 3
la connaissance de la Cour,

4. Aussi les faits de la cause seront-ils relatés en deux séries chro-
nologiques: les faits antérieursau compromis d'arbitrage du 12mars 1985,
et les faits postérieursà cette date

5. La Guinée-Bissaua estiméde son devoir de présenter àla Cour
~'~ ~ ~tiel desdocuments en sa oossession afin de contribuer àl'éclairerde
la meilleure nianiérepossible. n us riisvolumes d'annexes (Livre II, 111
ei I\'du oresent Mc'moireireoroduisent-ils les memoircsct ~laidoiriesdes
Parties dans la procédurédevant le Tribunal arbitral1.
L'exposédes faits ici présentéen sera allégé.

1. Les fails antérieursau compromis d'arbitrage du12 mars 1985.

L'indépendancede la Guinée-Bissauer sa position générale
à l'égarddes traitéspasséspar I'Etatprédécesseur

6. Les deux Etats Parties à la présentecause sont issusd'un proces-
sus de décolonisation.
Pour la Guinée-Bissau,une longue lutte de libération nationale préluda à
sa proclamation d'indkpendance intervenue le 24 septembre 1973, puisà son admission aux Nations-Unies le 17septembre 1974 Les responsables
du ieune Etat savaient aue les frontières terrestres avaient étédclimitées
aucefois par le ~ortu~ai. Ce dernier avait pour cela traitéavec la France,
elle-même soucieuse d'établirles frontières de ses colonies de Guinéeet
du Sénégal.Ils savaient que le 12mai 1886ces deux puissances coloniales
avaient conclu une Convention partageant leurs possessions respectives en
Afrique et plus particulièrement su; sa côte occidentale l.
Ils savaient aussi que cette Convention fixait précisémentles îles relevant
de lasouveraineté du Portugal, mais qu'elle n'abordait pas la question des
délimitationsmaritimes. laauelle durant lecours du XIXC siècleet àI'occa-
sion des parta es coloniaux n'avait pas étéun enjeu dans les relations
internationales .

7. La République de Guinée-Bissau par sa proclamation d'indé-
pendance :
- rappelait les limites terrestres de sa souveraineté territoriale;
- et affirmait son droit à la "table rase" pour tous les traités, accords,
alliances et concessionsconclus par I'Etatprédécesseur,le Portugal, relati-
vement au territoire guinéen 3.
Elle eut par la suite l'occasion de reconnaître l'utilitédu principe du res-
pect des frontières tracéespar le colonisateur tel qu'il résulte de la réso-
lution du 21juillet 1964de l'OUA et de l'article 11 de la Convention de
Vienne du 23 aoüt 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités.
Mais ildécouledes termes mêmesemployésalors, que son adhésion à ce
principe ne s'étendait pas aux délimitations maritimes et qu'elles se refu-
sait à toute extension de cette sorte4.

La nécessité de procéder à des délimitations maritimes

8. D'ailleurs, lors de son indépendance en 1973-1974, laGuinée-
Bissau n'avait aucune raison de penser que des délimitations maritimes
fussent intervenues dans le passé.
Les premiers mois suivant l'indépendance furent consacrés àde multiples
tâches aussi urgentes qu'écrasantes: reconstmire le pays après onze
années de guerre. mettre en place une administration étatique malgréla
raretédes cadres valablemenl formés,entreprendre la formation denou.
veaux cadres hautenient neceswires, faire Icbilan des ressources actuelles
et potentielles et prévoirleur exploitation afin de mettre le pays sur la voie
du développement.
Cette dernière tâche amena rapidement à une prise de conscience de I'im-
portance des ressources maritimes.
Les responsables de la Guinée-Bissau yfurent sensibilisés d'autant plus
fortement que leur entrée dans la vie internationale et leur participation

aux activitésdes organisations internationales coïncidèrent avec le début
des travaux de la IIIe Conférence des Nations-Unies sur le Droit de la
Mer (1973).

' Voir Livre - annexe 1.
Ifut confirm6palasentencerenduepar le Tribunalarbitralpour ladélimitationmaritime
entrelaGuinée-Bisseauet la Républiquede Guinee que la Convention du 12 1866
' n'avait pas dttermidefrontiere maritime (par.130 de la sentence).
Voir la Proclamation d'indépendance.Livr-annexe no2.
' LivreIl.M6moire deIoGuinée-Bissaup. 75el suivantes. 9. La Guinée-Bissau est dotée d'une large façade maritime, elle
comDorte une réeio- administrative constituée Dar le vaste archioel des
Bijagos, son territoire est balayé paruneforte maréequi rend la mesure de
sasurface terrestre aléatoire(la suverficie varie d'un auart selon au'elle est

mesurée à marée haute ou bassi) '.
Ses responsables eussent étécoupables de ne point se préoccuper des
avantagesque leur peuple pouvait retirer de cettc situation. Lcs débatsàIo
IllC Conférence furent pour eux unc formaiion accCICrL'cdansce domaine.
Ils vavorirent auels seraient les droits des Etats riverains sur les richesses
du Sol'ét sous-sol marin et de la colonne d'eau surjacente. Ils y prirent
conscience aussi du fait qu'il était nécessaireavant tout de définir var
accord avec les Etatsvoisins les limites respectives de l'exercice desdroits
souverains des uns et des autres.

10. Que cette attitude soit liéeàl'existence de richessestant biolo-
giques qu~ perrolifCr's dans cctte rCgion niüritinic nc doit Are ni mssqui..

ni chargéd'une ~~onno1ntii)nnCgati\,e.Ouzls rcspon\ablci politiques. sur-
tout 3 I'évouue ou ils fréuuentaicnt la Conference des Nations-Unies sur le
droit de ia mer, haut lieu d'information mondiale sur cesquestions, ne se
seraient souciésdes délimitations nécessaires à la fixation des droits de
leur pays, afin de rendre l'exploitation des ressources possible dans des
conditions juridiquement sûres?
Ainsi, la relation doit-elle êtreclairement établie entre les faits suivants (et
sur la même période : 1974-1977):
- début de l'indépendance de la Guinée-Bissau;

- déroulement de la III' Conférence des Nations-Unies;
- ignorance par la Guide-Bissau de toute délimitation antérieure;
- demande d'entrée en négociations sur ce sujet tant avec la République
de Guinée au sud, qu'avec celle du Sénégal aunord.

11. La Guinée-Bissau prit donc l'initiative. Elle posa le problème
par unenote au Sénégae l n date du 9 mai 1977'.Puis la question de ladéli-
mitation maritime fut mise àl'ordre dujour de lacommission mixte Séné-
gal-Guinée-Bissau lors de la session de septembre 1977.

L'ignorance de l'échangede lettres franco-poriugois

12. La Dreuve a étéan~o..éeau cours de la ~rocéduredevant le
Tribunal arbit;al :
- aue la Guinée-Bissau. àla date du 13septembre 1977.ienorait l'existence

d'un accord, de recommandations et m&ne tout simpl&ent de négocia-
tions aui seraient intervenues à ce suiet entre la France et le Portugal à-
l'époque deleurs souverainetés respectives dans la région;
-et que le Sénégal,àla mêmedate, avait connaissance des recommanda-
tions élaboréesentre la France et le Portueal. mais ienorait au'elles fussent
alors la base d'un échange de lettres sukénu quelques mois plus tard.
II s'aeit là de faits d'imoortance cavitale. Ils constituent l'un des
fondements de la position soutenue pa; la Guinée-Bissau selon laquelle
l'échange de lettres franco-portugais lui est inopposable.

' Pour la descriplion geographiquedu pvairLivreIIMimoire de Io Guinie-Birroupris
du Tribunal orbirral. p.etsuivantes, Livre III. R4pIip.10 etLivre V, annexe3.
LivrV e - annexe4. 13. Ces faits sont attestéspar le procès-verbalde la réuniondu 13
septembre 1977,la note adresséeensuite(3 novembre 1977)par leGouver-
nement du Sénégal àcelui de Bissau où il apparaît clairement que le Séné-
gal n'a eu connaissance de l'échangede notes qu'aprèsavoir effectuédes
recherches à ce sujet. et la dcmande adressée le 3 janvier 1978 par la
Guinée-Bissauau Portueal (et restée sans réoonsede la oart du Portueal)
de bien vouloir lui fouhi; toutes informaiions au sujet des fronticres
terrestres et maritimes'.

IJ Les responsables et dirigeants de la Guincc-Biss~u decouvrent
ainsi au début de I'ann:e 1978que les deux puisslincch col(~niales.en
orésenced'un reorésentant du Sénéeal.auraient décidéde la délimitation
maritime par m'échange de lettresen'date du 26 avril 19602 (à quelques
semainesde l'accession du Sénégal à la totale souveraineté intervenue le
20 août 1960et alors que la revendication d'indépendance estdéjàformu-
léepar le peuple de Guinée-Bissau).

15. Les mêmes hommes et femmes, responsables du pays depuis
leur indépendance, laquelle entrait dans sa cinquième année,avaient été
les organisateurs et responsables de la lutte politique puis militaire depuis
la fin des années 1950.Au premier titre, ils n'avaient jamais eu connais-
sance de ce texte. et au second (pendant la longue duréedu mouvement
d'indépendance). bien qu'attentifs a I'xttitude düI>ortugalrelativement i
tout ce qui concernait lacolonie deGuinée. ils n'avaient riennote pouvant
les alerter sur l'existence de cet accord, puisque par un concours de cir-

constance étrangement concordant tout s'étaitpasse comme si l'accordde
1960, conclu à Lisbonne, était «resté en quelque sorte juridiquement
«retenu» dans cette mêmecapitale, comme s'iln'intéressaitnullement le
territoire guinéen qui en était pourtant le support»3.

Lu poursuite des nigociations de fond

16. A oartir de la découverteoour les uns (les re~résentantsde la
Guinée-~issau)et redécouverte par1;s autres (les ieprésentants du Séné-
-.l) de l'échangede lettres franco- ort tue aisl.es nézociationsse ooursuivi-
rent jusqu'à laconclusion, sept ans plu; tafd, d'u~compromis par lequel
les deux Etats portèrent leur différend devant un Tribunal arbitral.

17. Lesréunions furentnombreuses.Leur relation détailléealour-
dirait inutilement le présent mémoire.
Le débat defond qui se déroulaau cours de ces néeociationssera évoaué
sonimaircment car ilne concerne qu'indireL.temenÏla présente instar&.
Sa connaissance est necessaire dans la seule mesure où elle éclaire les
conditions dans lesquelles furent débattusles termes du compromis d'arbi-
trage.

18. L'échange des points de vue sur le fond fut l'occasion de
rencontres jusqu'en 1982.

' Livre V-annexes 5. 6 et 7.
Voir le texte cetéchange de lettres.LivVe- annexe 8.
' Selon les termeutilir6s aparagraphe58 de l'opiniondissidente&mirepar lejuge
BedjaouiV. aiàce sujetl'ensembledes paragraphe54 à 68 de l'opinidissidente. Les déléeuésde la Guinée-Bissau refusent alors d~-s-~laisser imoos~~r--~-
Fichangede lettres franco-por&&is. Ils avaient en effet procédé à l'exa-
men de la délimitation découlant de ce texte et des conditions l'avant
entouré. Ils n'avaient pas manqué d'êtrefrappésdu caractère grossière-
ment inéauitable de la ligne aue la France avait alors réussàimposer au
Portugal. Ét ilsdeveloppeÏeni les arguments tirés dela nature de cet accord
et des défectuosités formellesqui l'affectaientntrainant son inopposabi-
litéet son invalidité

19. Comment pouvaient-ils en effet accepter la succession à un
accord de délimitaion maritime s'aoouvant sur une liane d'azimut 240'
alors que l'équidistance tracéeà pariiFdes côtes cont~nentalesdes deux
Etats oroduirait une liane orientée 247' et aue la orise en considération
de toutes les circonGances géographiques 'exige;ait une substantielle
remontée vers le nord de cette l-ene afin de tenir comote de I'imoortant
archipeldes Bijagos?
Comment pouvaient-ils reprendre àleur compte une telle amputation des
territoiresmaritimes devant leur revenir? Lescalculs faits par leursexperts
(et qui ont fait l'objetde leur argumentation par la suite devant le Tribunal
arbitral) leur nermettaient.nanolication des rèeles en vieueur dans le
droitdéla me;,-de prétendie de manière fondéeà;es droitsiouvrant une
zone s'étendantau minimum ius.u'à.une ligne-d'azimut 264' et pouvant
aller jusqu'à 270'.
Pour quelles raisons se seraient-ils portés partie succédantà un accord
inconnu et affectéde multiples causes d'&opposabilité et d'invalidité?

20. Ces arguments furent exposés lors de la rencontre des 3 et 4
juillet 1978età l'occasion de nouvelles réunionsqui orirent place les27.28
e..-. mai 1981
IIfallut bien alors prendre acte de I'irnpos~ibilitéde la négociation. toutau
moins d'une négociationponant sur la délimitation maritime elle-même.

21. Le Sénégals'en tenait de manière persistante àla ligne définie
dans l'échange delettres franco-portugais. II la considéraitcommevala-
blement acquise et, alors même que cette ligne n'avait délimitéque les y,
zones maritimes existant dans le droit international de 1960 (àsavoir la
mer territoriale, la zone contiguë et leplateau continental) ilentendait, par
un processus d'extension dont il ne donnait pas lesfondements juridiques,
consacrer le même azimutde direction depuis la ciite (240') pour la zone
économique exclusive.
II en faisait également la direction continuede toute la partie du plateau
continental en extension vers le large depuis les années 1960.Et il enten-&&
dait ainsi l'appliquer non seulement à la largeur du plateau continental
résultant de la définition de la Convention de Genève du 29 avril 1958
(article le:jusqu'à une profondeur de 200mètreset au-delà de cette limite
jusqu'au point accessibleà l'exploitation) mais encora celle découlantdu
nouveau droit de la mer (jusqu'à200milles vers le large).e Sénégan légli-
geait donc la nécessité impérativequetoute nouvelle delimitation se fasse
Dar.voie d'accord et sur des bases équitables, et sans avancer le moindre
argument en faveur du caractère équitabled'une ligne d'azimut 240°,s'en
tenait au orolongement de cette direction obtenuedans les chancelleries
européennes vingt ans auparavant

- LES DELIMITATIONSMARITIMES
SELON LES PRÉTENTIONSDU SENEGAL

-- Ligde 240'. 22. La Guinée-Bissau avait maintenu tout au long de cette phase
infructueuse des négociations que l'échange delettres de 1960 lui était
inopposable et était en soi invalide. Elle soutenait aussi que la direction

d'azimut 240' ne répondait à aucune des exigences du droit des délimita-
tions maritimes c'est-à-dire à l'exigence d'équité, pas davantage pour les
zones existant en 1960et dans la largeur qu'elles avaient à cette période
que pour les zones nouvelles ou l'extension vers le large deszones préexis-
tantes.
Elle avait maintenu la prétention découlant d'un examen des caractéristi-
ques géographiauesde la régio.,à s.voir une délimitation s'appuyant sur
la pariiiae du cap Roxo.

Les négociations sur la délimitation proprement dite ne pouvant aboutir,
une autre phase fut alors abordée.

Les négociationsen vued'un compromisd'arbitrage

23. A partir de 1981, les négociations changèrent d'objet.
Contraints de convenir de leur différend et de sescontours, les négocia-
teurs se mirent au moins d'accord sur la nécessité desoumettre ce désac-
cord à un Tribunal arbitral.
Quatre annéesfurent toutefois nécessairespour la rédactiondéfinitive du

compromis d'arbitrage.
Les procès-verbaux des réunions font apparaître clairement que deux
points formèrent longtemps une entrave à tout accord.

24. La Guinée-Bissau, dans le premier projet de compromis arbi-
tral par elle présenté,souhaitait que fût posée auTribunal une question
unique: «Ouel est le tracé dela liene délimitant les territoires maritimes
-
N JIrclévcnt respectivement de la Kcpubliquc du SCnCgaIet dela Rcpubli-
uuc deGuinée-riss au".^(;irtiilc 2 du roie et)el qu'il soit clairenient prévu
que les Partiess'abstiendraient d'acte de souverainetédansla zone contes-
tée pendant la durée de l'arbitrage (article 11du projet) '.
Le &égal dans son contre-projetprésentait lui aussiÜneunique question
à l'intention du Tribunal. Elle étaittrès différente de celle proposée parla
Guinée-Bissau: «L'accord conclu Dar un échange de lettres. le 26 avril
1960,et relatifà la frontière en mer; fait-il droit dansles relations entre la
République de Guinée-Bissau et la République du Sénégal?»

La proposition sénégalaised'article II illustrait de manière tout aussi mar-
auante la distance qui séparait lesdeux Parties sur les conditions dans
lesquelles devait se dérouler l'arbitrage puisque la proposition du Sénégal
tenait en ces mots: ((Pendant la duréede la procédure arbitrale, la Répu-
blique du Sénégalcontinuera d'exercer sa souveraineté pleine et entière
sur la zone considérée 2.)>

25. Les autres points en désaccordétaient d'importance mineure
en comparaison de ces deux-là.

Ils furent régléspetit à petit au cours des rencontres qui eurent lieu à

' Voir teprojede compromis arbitraprésentéparleGuinée-BissaL ui.vrV -annexe IO.
Le contre-projet sénégalaiscompromis arbitral se trouve LivreV -annexe II.Dakar le 12janvier 1982, àDakar le 26avril 1984, à Bissau le 30mai 1984, à
Dakar le 26 juin 1984et à Bissau le 8 novembre 1984'.
Les compies rendus de ces réunions permettent de circonscrire la diffi-
culté.
LaGuinée-Bissau ne pouvaiten aucun cassesatisfaire de la seulequestion
proposée parle Sénégal.
Sauf à renoncer par avance àtoute réponsepartiellement ou totalement
néeative. ce aui eût étéla néeation mêmede l'arbitrage. elle se devait
d'envisager lanécessitéet les c6nditions de la délimitati& qui découlerait
de cette éventuelle réponse négative (à ses yeux hautement probable).

26. Lorsque dans les débatsorauxde cesrencontres, elle tenta d'in.
tcrroger les délegucsdu S2ncgal sur l'issuede l'arbitrage dans cette hypo-
thèse, ceux-ci réticents à l'envisager, répondirent qu'on irait alors =un
nouvel arbitrage.
Décidés à éviter cela. les reorésentants de la Guinée-Bissau tentèrent
diverses issues dont les modalités(non retenues) apparaissent aux procès-
verbaux des 26juin 1984et 8 novembre 1984.11résultedes mêmesdocu-
ments que le statut de la zone contestée pendant la duréede l'arbitrage ne
faisait pas non plus l'accord des deux délégations.

27. Pour sortir la née-ciation de I'imoasse. il fallut une'ren~ont~e
au plus haut niveau.
Ce sont en effet le chefd'Ela1de la Guinée-Bissauet celuidu Sénégal qui,
lors d'une visite effectuée Dakar par lepremier au début del'année1985,
dépassèrent lesdifficultésiusaue-là rencontrées.IIconclurent d'une uart à
la nécessitéde poser au ~ribunal une double question afin de s'assurer
que, quelle que soit la réponserélative à la valeur de l'échangede lettres
franco-portugais, latâche duTribunal seraitbien de procéder àune délimi-
tation complète des territoires maritimes, et d'autre part à la pertinence
d'un article sauvenardant les droits de Vune et l'autre Parties oendant la
durée de la proc&iure.
Lesobstacles niajeurs étantainsi levés,il fut possible de procédeà I'élabo-
ration définitiveetà la signaturedu compromis arbitral. Celle-ci intervint
le 12 mars 1985.

28. Accord obtenu lentement et difficilement mais de manière
parfaitement claire,ce compromis est la base de l'engagement des Parties.
II dit les conditions auxauelles.l'une avec Iaufre. elles ont acce~téde se
soumettre 3 la procédure'arbitralc.Lesdélaispour parvenir àcet %ccordet
la diff~cultà surmonter le>obstclclesdisent assel I'impor[ance de chauue
mot et l'étroitesse et la précision de la compétence alors octroyée-au
Tribunal.
Le troisième chapitre de ce Mémoire aurapour objet l'analyse minutieuse
de ce compromis.

'Les proces-verbaux de créunionson1 auLivre V- annexe12. Evènemenrs(en relation avec le diffërend) intervenus avant l'entrée

en vigueur ducompromis d'arbitrage du12 mars 1985.

29. Leur description détailléeserait inutile ici. Mais leur mention
est nécessaire dans lebut d'éclairer totalement la Cour sur l'ensemble des
circonstances ayant conduit à l'arbitrage contesté qui lui est déféréà
présent.

Dans cet esprit on rappellera d'abord que le 26octobre 1977, àdeux heures
du matin, une patrouille de guerre sénégalaisearraisonna un bateau de
pêchedont la localisation en mer relevait des coordonnées suivantes:
12"19'6" nord et 17'07' ouest.
A cette date. la Guinée-Bissau était dans l'ianorance d'une délimitation
qui lui avait étéétrangèreet affirmait sesdr&s jusqu'au parallèle du cap
Roxo. Cet incident déclenchaen conséquenceuneprotestation diplomati-
que dc 53 part ci la conlirnia ddns Iii neccssit6 d50u\rir ddns Ics plus hrefs
delais une ncgociation afin d'aboutir à une d>liniitaiion par voie d'accord

30. En 1984.des incidents olus graves intervirent. Refusant déià de
considérer qu'il eûi une «zone en litGe» le Sénégalautorisa la ~lciété
Petro Canada International à entamer des ooérationstechniaues. Le Gou-
vernement de Bissau dut constater alors i'existence d'uni plate-forme
(Nedrill 2) et d'un navire (le Balder Challenger) opérantau point descoor-
données 12'06'35" de latitude nord et 17"15'39" de longitude ouest.

Fortement émues par un «passage à l'acte* allant dans le sens de la
volonté du Sénégal deconsidérerla zone comme étant sous sa souverai-
neté, lesautorités de Bissau élevèrent une véhémenteprotestation diplo-
matiaue et lui donnèrent la ol.s erande audience internationale en la oor-
tant ala connaissance desmembres du corps diplomatique de Bissau.Elles
intervinrent également auprèsde la sociétépétrolière concernéeafin d'ob-
tenir la suspension de toutes opérations.
Mais le ministre des Affaires étrangèresdu Sénégal.confirmant l'attitude
sus-mentionnée. adressa à son homoloeue de Guinée-Bissau. en même
~ ~ ~ ,~~
temps que le cintre-projet de comprom~s arbitraldont il a étéparlé plus
haut. une lettre comDortant le oassaaesuivant:
' «Ce projet vous est envoyk sansaucun lien avec la situation qui s'est
récemment développéedans cette zone sur laquelle le Gouverne-
ment du Sénégalentend continuer d'exercer sa souveraineté ..'.»
II ne pouvait Yavoir confirmation olus nette de lavolonté du Sénégad - l e ne
rien négocier.

2. Les fait postérieurs au compromis d'arbitrage du 12 mars 1985.

31. Si la durée et l'âpreté des conversations avaient pu faire dou-
ter d'une issue d? ce diK:rend nipo portanI~I~iilislaction desdeux parties.1ï
signature du conipromis arbritrïl intenrcnue dans les circonstancei que
l'on vient de retracer changeait les perspectives et le climat.

' LivreV - Annexe 13Désormais le lien entre les Parties était assurépar un texte conjoint,
preuve enfin obtenue d'une volontécommune de solution.
La première question était celle que le Sénégalavait souhaitée. Mais le
rajout d'une seconde question permettait un accord puisqu'elle donnait
l'assurance qu'à l'issue de l'arbitrage. en tout état de cause. une délimita-
tion d'ensemble de leurs territoiFes maritimes par une seule ligne et
dûment illustrée parune carte serait intervenue entre les Parties. C'étaat ,
cesconditions eluniquement a celles-là (celles justement indiquées dans
le compromis) que les Parties s'engageaient àreconnaître la délimitation
qui serait établie.

La nomination des arbitres

32. C'était la première étape du chemin tracé par le compromis.
Mais elle comprenait deux volets qui ne présentaient pas la même
difficulté.
La nomination des deux arbitres nationaux, étant un acte autonome de
chacun des Etats. fut accomulie rauidement. La Guinée-Bissau annonca
la désignation de'^. ~ohammed ~edjaoui, juge à la Cour. Le Sénégaliit
part de la désignationde M. AndréGros, ancien juge à la Cour. La nou-
velle surprit et inquiétaun peu la Guinée-Bissauqui n'étaitpassans savoir
que M. Gros avait occupéles fonctions de directeur des Affaires juridi-
ques (Jurisconsulte) au ministèredes AffairesétrangèresFrançais, précisé-
ment à l'époque où eurent lieu la négociation puis la conclusion de
l'échange de lettres franco-portugais dont l'opposabilité à la Guinée-
Bissauet la validitésetrouvaient contestées.Elle préféras'ouvrirau repré-
sentant du Sénégaldes inquiétudes que pouvait légitimement inspirer ce
choix. N'y aurait-il pas de la part d'un ancien haut fonctionnaire français
chargé de telles fonctions auelau'attachement à vouloir conlirmer un
accord passépar son propre payo? Le Sénégal protestaque cette crainte
étaitsansfondementet la Guinée-Bissausoucieuse de ne .as.araître tatil-
lonne se satisfit de cette assurance.

33. Un an s'écoulaencore avant que le Tribunal fût constitué. La
nomination du président requéraiten effet l'accord des deux Etats. De
multiples propositions furent échangées d'abord sans succès. Au mois
d'avril 1986 on fut urès d'aboutir. lors d'une rencontre entre les deux
agents au domicile parisien de l'agent du Sénégal.Deux noms possibles
recueillaient en effet l'accord de I'un et l'autre Etat. On choisit I'un des
noms et il fut demandé à I'un des conseils de la Guinée-Bissau, présentà
cette rencontre, de faire préparerune lettràla personne qui semblait ainsi
désignée.Mais lejour suivant, alors que la signature de cette lettre devait
officialiser le choix commun, celui-ci fut remis en cause au profit du
second des noms. L'agent de la Guinée-Bissau ayant acceptéa priori I'un
ou l'autre, s'étonnaun peu de cette hésitation ultime du Sénégalmais ne
revint pas quantà lui sursa parole et, le second nom l'ayantainsi emporté,
le président fut alors désignéen la personne de M. Julio Barberis.

Le déroulement de la procédure.

34. Le lieu du Tribunal avait étéfixé à Genève. M. Etienne Griesel
fut nommé greffier. Au printemps 1988,le Tribunal siégea pour entendre les plaidoiries des
Parties.
35. Deux choses sont à noter ici relativementà la position des Par-
ties pendant la procédure: d'une part il faut remarquer l'insistance
conjointe que mirent leurs représentants et conseils à-défendre l'idée
d'une ligneunique pour délimiter àla foisleurs plateaux continentaux res-
oectifs et leurs~zones économiaues exclusives res~ectives'.

autre part des développeme~ts furent consacré; par les conseils des
deux Gouvernements à I'inter~rétationde l'article2 du com~romis d'arbi-
iriigc. cclui par lequel ét<iieniexpriniéeslequestions poske; au Tribunal.
IIen ressort (et cc point 1'ond;inienialsera repris plus loin) quc I'iirticula-
lion logique entre-les deux questions n'étak pas formulee de la même
façon par les uns et les autres2.
36. Les olaidoiries s'achevèrent le 29 mars 1988. Les semaines
s'écoulèrent alorsdans l'attente de la décision, puislesmois.Pendant l'été

1988.les aeents des Parties avaient étéinformésqu'aprèsla démission du
greffier,M. Etienne Griesel, le Tribunal avait nommé à sa place M. San-
tiago Torrès-Bernadez. Celui-ci prit ses fonctions en septembre 1988.
Après9 mois de délibéré,soit àla date du lajanvier 1989,les Parties reçu-
rent communication d'une ordonnance du présidentduTribunal les priant
de fournir au Tribunal des renseignements complémentaires sur les res-
sources effectives ou potentielles en matière de pêcheet d'hydrocarbures
de la zone contestée et leur localisation3. Elles avaient pour ce faire jus-
qu'au le' avril 1989.
Tout le printemps s'écoulaencore dans le silence.
Dans le courant du mois de juillet, les deux Etats apprirent par le greffier
que la sentence serait rendue de manière imminente et au plus tard le 31
juillet 1989.Cette date fut bientôt annoncée comme celle de la séance
au cours de laquelle le Tribunal rendrait sa sentence à Genève.

37. La délégationde la Guinée-Bissau, en arrivant dans la salle
indiquée,constata que le Tribunal n'étaitpas au complet: l'arbitre André
Gros était absent. Aucune explication de cette absence ne fut fournie.
Le présidentJulio Barberis donna lecture du dispositif du texte par lequel
le Tribunal par deux voix (la sienne et celle de M. André Gros, absent ce
jour-là) contre une (celle de M. Mohammed Bedjaoui), décidait que
l'échangede lettres franco-portugais du 26 avril 1960,et relatif à la fron-
tière en mer, faisait droit entre les deux Etats «en ce qui concerne les
seuleszones mentionnées dans cet accord, à savoir la mer territoriale, la
zone contiguë et le plateau continental ».IIajouta encoreque M. Moham-
med Bedjaoui avait formuléune opinion dissidente. II dit enfin que lui-
mêmeavaitjugé bondejoindre à la «sentence » une déclaration précisant
sa position et que celle-ci était qu'il aurait répondu pour sa part la

' Livrc II, Mémoirde laGuinée-Bissau.p. 163.
Contre-Mémoire du Sénégal.p.378.
LivreIII -Répliqu ee laGuinée-Bissapu.247 et suivantes.
LivreIV -dPlaidoirie..V. no p.i54/60.
3 Livre V- annexe 14.première question posée parle compromis arbitral en spécifiant que I'ac-
cord de 1960ne faisait pas droit quant aux eaux de la zone économique
exclusive et de la zone de oêcheet aue cette réoonseaurait habilité leTri-
bunal à traiter la deuxième question poséepar le compromis arbitral.

Ces informations une fois données.le président du Tribunal s'ao~rêtaà
clore el lever la séance.
38. L'agent de la Guinée-Bissaupria qu'on lui donnât la parole afin
de demander au Tribunal auelle était donc la ré~onseà ladeuxième aues-

lion poséepar le compromis?
Le président précisaqu'il n'y avait pasdans la ((sentence » de réponseà la
deuxième question.
L'agent de la Guinée-Bissau fit part alors de son étonnement que la déci-
sion ainsi prise ne répondit pasiuu cxigenscs pourt3nt délinies-d'un coni-
mun accord par les Pnrtics et cxprini2cs dans Ic compromis d'arbitriigc. II
ajouta que, en attendant une lecture complète des documents et la consul-
tation de son Gouvernement, il réservait la position de la Guinée-Bissau
quant à l'applicabilité et la validité de cette «sentence».
La séancefut alors levéeet les Parties eurent le loisir de prendre connais-

sancede l'intégralité des documents produits : "sentence ",déclaration du
président du Tribunal, opinion dissidente de M. Bedjaoui.

Les résulrafs.

39. Du point de vue des faits (et en réservant pour les chapitres
ultérieurs la discussion de cesfaits dans le cadre d'une analysejuridique),
il est à noter que les deux Gouvernements se trouvaient mis devant la
situation suivante : l« sentence»,par sondispositif, déclarait l'échangede
lettres franco-portugais du 26 avril 1960comme faisant droit entre les Par-
ties pourleur frontière en mer pour les seules zones mentionnées dans cet
accord.

Le paragraphe 87 des motifs énonçait que de l'avis du Tribunal la
deuxièmequestion n'appelait pasune réponsede sapart et que le Tribunal
n'avait pas jugé utile «étant donné sa décision, de joindre une carte.
comprenant le tracé de la ligne-frontière)). Le paragraphe commençait
bien par les mots :«en tenant compte desconclusions ci-dessusauxquelles
le Tribunal est parvenu ..» mais la lecture de tout ce qui précédaitn'éclai-
rait aucunement sur les motifs du Tribunal. Pourquoi ne s'était-il d'au-
cune manière et àaucun moment prononcésur cequi aurait pu êtrela déli-
mitation des zones économiques exclusives respectives des deux Etats? II
était impossible de le savoir, ni desavoir cequ'était cette délimitation, sauf
àsavoir qu'elle ne découlait pas del'échangedelettres franco-portugais, ce

qui était dit clairement par le dispositif et éclairépar le paragraphe 85des
motifs. On savait donc ce qu'elle n'était pas, mais sans savoir ce qu'elle
était. Pourtant, les deux Parties avaient bien souhaité une délimitation
cornplèrecomme indiqué par le paragraphe 2 de l'article 2 du compromis
arbitral :
«En casde réponsenégativeàla première question, quel est le tracé
de la ligne délimitantlesterritoires maritimes qui relèvent respecti-
vement de la République de Guinée-Bissau et de la République du
Sénégal ?))
ainsi que par l'article 9: ((Cette décision doit comprendre le tracé de /a ligne frontière sur
une carte» (souligné par l'exposant).
La mission demandéeau Tribunal d'un commun accord par les deux Etats
n'avait donc pas étéaccomplie et le différend n'était pas réglé.
Cette évidente et pénible constatation s'accompagna, dès lesjours qui sui-

virent le31juillet 1989,de lacertitude que l'accord signéle 12mars 1985et
par lequel ensemble les deux Etats avaient soumis en des termes précis et
communs leur différend à l'arbitrage avait été éphémère.

Les relations entre les deux Parties dans les jours
qui suivirent le 31juillet 1989.

40. Le Gouvernement de la Guinée-Bissau, commeson agent l'avait
indiqué lors de la dernière séancedu Tribunal le 31 juillet 1989, croyait
utile avant toute prise de position de faire une analyse approfondie du
texte de la «sentence», de la déclaration annexée par le président du

Tribunal. de I'ooinion dissidente iointe et d'examiner avec soin et
réflexion la situation nouvelle ainsi créée.
II n'eut nuère le temps de ~oursuivre dans cette voie. car dès le le' août et
dans lesours qui suivireni, la radio et la pressesénégalaise(qui n'avaient
pu êtreinformées que par les responsables sénégalais.eux-mêmesseuls
détenteurs des info;mations) annonpient avec des accents triomphants
une victoire complète du Sénégal.D'aprks eux. les thèses de leurGouver-
nement auraient étéentièrement admises par le Tribunal.

41. Lesresponsablesde la Guinée-Bissaucomprirent alors que, àla
lumière de la situation confuse crééepar le résultat décevantde cet arbi-
trage, le Sénégatlentait d'imposer les solutions soutenues par lui au cours
de la procédure (mais non totalement acceptées parle Tribunal).
Ne pouvant laisser sedéveloppercette situation, ni devant l'opinion publi-

que internationale, ni devant l'opinion publique africaine, l'agent de la
Guinée-Bissau rédigeaalors un communiqué qui fut diffuse dès le 2 août
1989'.

42. 11s'y livrait à une analyse sommaire maisjuridique de la situa-

tion et il soulignait les causesd'inexistence et de nullité dela sentence et
fondait surcescauses le refus par la Guinée-Bissaude toute application (en
réalitéimoossible dansles faits sansuneforte sollicitation destextes) de la
prétendue ((sentence )).
II paraît utile d'insister sur l'argumentation immédiatement utilisée par la
Ciuinée-llis~au. II ne s'agissd;i .iucLncnicnt, comnie le Sénegal tenta
nniplemcnt de le faire croire, de renicr 13parole donn5c dans leconipromi\
<irbitral en \,iol<int son ariicle 10.p:ir. 2 qui prCvogait le saract2rc ohljgli-
foire tlc11s;entence unc fois rendue. >lais con5t:itant I:i situation conlLcc
et inapplicable crcce par I'issue de set nrbirrdge. la Ci-ince-Rissdu iippelilit

' LivreV - annexe 15le Sénégalà faire la mêmeconstatation et sedéclarait prêteàréouvrir les
née-ciations.
1.ecomniuniqué rappelait enlin quc, faute dc nouvcllc5 négociationscl nu
casou Ir. ScnCznIentrcnrendrait I'ex~loitation des richesses dela zone. I;i
Guinée-~issause livrerait pour sa part à l'exploitation des ressourcesbio-
logiques. Elle rappelait ainsi fermement l'absence de délimitation de la
~o~eeconomiqueexclusive (laquelle entachait ,pso/ai.iu toute autre deli-

niitation conilrtc tenu des tcrmes du coniproniis d'arbiirage).

43. Avant mêmela tenue de la dernière séanceauTribunal (3Ijuil-
let 1989), une visite du Président de la République SénégalaiseAbdou
Diouf à son homologue de Guinée-Bissau, le Président Vieira, avait été
prévue et préparéepour le 4 août. Les responsables de la Guinée-Bissau

espéraient que cetterencontre serait l'occasion d'une ouverture des négo-
ciations nécessaireà la clarification de la situation.
Mais l'annonce de l'annulation de la visite du chef d'~tat sénégalaisà Bis-
sau litdisoaraître cet es. ... ceoendant aue la radio et la oressesénéeal-i-
ses portaiént le comble à la confusion par une campagnéde presseviru-
lente1.

14. L'agcnt de 13Guinéc-Hiisau fuialors m:ind~t> par sonGouvsr-
nenient alin dr.sr.rcndrc ii D.ikdr. d'y rencontrer le PrésidentAbdou Dioui
et de s'entretenir avec lui de la situation. Cette entrevue eut lieu le 2 août
à 17heures en présencede celui qui étaitalors ministre des Affaires étran-
gères du Gouvernement du Sénégal.
L'entrevue eut pour résultat d'informer complètement le chef de I'Etat
sénég.laisde la situation et de lui ap. .ndre. te.te àl'appu.. que la préten-
duc s-ntcnic ,.n'avait pi15consair> le5thCbe5\2nCg~laisssdans leur intc-
grdlite. que la déliniitation coniplete deniandce pnr lesdcux I'arties n'avait
pas eu lieu, que la présenced'une opinion dissidente, maissurtout d'une
déclaration du président du Tribunal, remettait en causel'existence de la
majorité.

Rien de tout cela n'avait jusqu'alors étéporté à la connaissance du Prési-
dent du Sénégal.

45. Le ministre des Affaires étrangèreset l'agent du Sénégal orga-
nisèrent à Dakar le 8 août 1989une conférence depresseen présencedu
corps diplomatique2.
Et le 10août 1989,le directeur du Bureau d'information et de pressedu

Senégalà Paris diffusa auprès d'un grand nombre de correspondants une
lettre qui avait pour but de rendre compte de cette conférence de presse3.
Ce texte, ainsi que les déclarations faites au cours de la conférence de
presse, contenaient de multiples erreurs ou élémentsde confusion.

' Dcr extraiide presse sont présentésaLivre Y.annexe 16
Livre \' annexe no 17.
' Livre V -annexe na 18. 46. Le ministre des Affaires étrannèresdisait d'abord Quel'on pou-
vait s'étonnerde la simultanéitédesdécGvertes des potentialités péiroli-
fèresdans la zone et de lavolontéde la Guinée-Bissaud'aboutir à une déli-
mitation équitable. II a déjàétésouligné plus haut (part. 10 du présent
mémoire) qu'il n'y a lieu ni de s'étonner, niencore moins de s'indigner
d'une telle corrélation. La France elle-mêmen'avait précipitéles négocia-
tions avec le Portugal dans les années1959-1960que par souci de s'assurer
des positions pétrolières avantageuses.

47. L'exposédu ministre du Sénégaf laisait l'impassesur la restnc-
lion (capitale) contenue dans le dispositif de la «sentence» et selon
laquelle l'accord de 1960ne faisait droit entre les deux Parties que pour
,tles seules zones mentionnées dans cet accord ». IIinsistait sur l'îpplicabi-
lité immédiate de la <<sentence ,*:
«Autrement dit, cet accord est valide, et parce que la validité de cet
accord étaitainsi confirmée, il n'était plus nécessairede répondre à
la deuxième question ..." (page 4.)
«Conformément à l'engagement pris par notre pays. le Gouveme-

toutes mesures requises pour l'application de la sentence arbitrale *B

~ucun cokmentaire n'étaitfait de l'absence de carte pourtant hautement
révélatrice dela défectuositéde la "décision" et de sa réelle inaoolicabi-
lité.

48. Les interventions de l'agent du Sénégal(-.formé mieux que
quiconque de l'ensemble du dossiei), pendant la suite de cette conférence
de presse eten réponse auxquestions posées.revélèrent d'autreserreurset
acc~rent le désordre apparent de la-situation.
Commentant l'opinion dissidente jointe à la «sentence», il déclairait:
«Vous remarouerez d'ailleuk ouisaue la auestion vous intéresse
quela senten& arbitrale plutôi l'opkon dissidente de M. le Juge
Bedjaoui qui étaitl'arbitre désignépar la Guinée-Bissau, il faut le
dire l'opinion dissidente comporte plus de pages que la sentence
elle-même.c'est extrêmement rare de voir une opinion dissidente
qui est plus longue que la sentence : et cela explique les difficultés
de laGuinee-Bissau dans cette affaire. quand on a raison on n'a pas
besoin de oarler beaucouo car la raison c'est le bon sens : alors ie
voudrais simplement vousdire, quels sont les arguments q"i ont eié
invoquésparla Guinée-Bissauetque reprend lejuge Bedjaoui ; àcet
égard d'ailleurs,vous verrez que les prétentions du juge Bedjaoui
dont son opinion dissidente vont encore plus loin que les préten-
tions de la Guinée-Bissau.Vous verrez cette carte quise trouve dans
l'opinion dissidente, cette carte qui remonte encore plus haut que ce
que demandait la Guinée-Bissau bien que cela explique dans une
certaine mesure les incohérencesde la partie adverse. )(Pages 1et 2
de la seconde ~artie du compte rendu de la conférencede presse.)
Les cartes ci-jointes'illustrent le caractère erroné de cette affirmation.'
Dans son opinion dissidente, le iuge Bedjaoui arrivait à la conclusion que
la délimitat~onentre les deux ~tat<devaitse faire selon une ligne d'azimut
252'; cette ligne ne se trouve pas <<plus haut,,que celle revendiquee psr la
Guinée-Bissau, mais tout au contraire plus bas puisque la Gui- YN&UM "L/%7/'
,~G~/~:~~~~~u~zcv/~ DÉUMITATION SELONL'OPINION DISSIDENTE
DU JUG BEDJAOUI

Limite maritime entre la République de Guinée-Bissau
et la République du Sénégal(252") CARTEDE LA UGNE PROPOSEEPAR LA GUINEE-BISSAU

POUR LA DEUMITATION MARITIME ENTRELES REPUBUQUES
DU SENEGAL ET DE GUINEE-BISSAU

GUINÉA BISSAU __--

I
9 \ i/ :.
,321 ..#:
" i ;.'>L ~aoDOSi,co nnu<...
i 22?!/ 46
YI5 iB5z i ,%,,\ *A

Au-delà des 12 milles marins (ligne d'équidistance),
selon les critères retenus commles pluspertinents,
la ligne se situe dans un secteur compris entre les
azimuts 264' et 270'. née-Bissaudans sesconclusions devant le Tribunal arbitral avait revendi-

qué une ligne comprise entre les azimuts 264Oet 270".

49. L'agent du Sénégaflit d'autres remarques révélatrices d'erreurs
d'inégale importance. II soutenait:

«II n'y apasun argument de la Guinée-Bissau qui ait étéretenu, pas
un.)) (Page 4 de la 2' partie du document.)
C'était oublier que le Tribunal avait retenu au moins l'argument selon
lequel l'échange dleettresfranco-portugaisnevalaitpaspourla zone écono-
miqueexclusive, écartant surce point les thèsessénégalaisesL .e Sénégae l n
effet avait, par des développements très abondants dans ses écritures et
plaidoiries, soutenu que si I'accord franco-portugais de 1960faisait droit

entre les Parties, il ferait droit «pour toute l'étendue deszones de délimita-
tion '».
Et il avait tenté d'asseoir cette prétention sur la laborieuse et inéfficace
recherche d'une pratique dans ce sens2. Lebut de la démonstration était ,
de prouver (sans succès) que l'accord de 1960aurait été
((d'une part confirmé et d'autre part, complétépar la conduite ulté-
rieure des différents Etats concernés3)) et que «compte tenu de
cette conduite ultérieure des Etats protagonistes, la frontière en mer

entre le Sénéa-let la Guinée-Bissau est constituée Darla liene de-
230' euh~ussée i 13colonne d'eau.\ surji~cenies.dont Ic point ternii-
na1 csisitué i I'inier~eition de cette li-nc des 240 et dc la Iiniite des
200 milles ».
Or, par les termes de son dispositif, le Tribunal s'est clairement refuséà
suivre le Sénégal danscette voie.

50. L'agent du Sénégao l ubliait aussi que le présidentdu Tribunal
avait, par sadéclaration, rejoint l'argumentation de la Guinée-Bissauselon
laquelle, en cas de réponsepartiellement positive à la première question
poséepar le compromis, il faudrait répondre alors à la seconde question.

La déclaration du présidentdu Tribunal est a cet égardparfaitement expli-
cite :
«Comme la Guinée-Bissau l'a suggéréau cours de cet arbitrage
(réplique, page 248)cette réponseaurait habilité le Tribunal àtraiter
dans la sentence la deuxième question poséeparlecompromis arbi-
tral. (Page 74 du texte de la ((sentencen.)

51. Toujours à l'occasion de réponses apportéesà des questions
poséesau cours de la mêmeconférence de presse, l'agent du Gouverne-
ment du Sénégailnterrogé sur la déclaration du président,tenta d'en mini-
miser l'importance et de la banaliser. Pour cela il se livra (page 4 de la
seconde partie du compte rendu de la conférence de presse) à un glisse-
ment de mots et présentala déclaration du président comme s'il s'agissait
d'une opinion individuelle «qui éclaire la sentence renduen de la part de
quelqu'un qui ((l'aurait rédigé d'uneautre favon».

1 LivreIII.Duplique du Sinégal.p.25. part 45et p.37par.65
2 LivreIII.Duplique du Sénégal.pages 171à 220.
J LivreIV. Plaidoiries PVI16pages 161.
Livre IV. PlaidoiriPV/16. pages 184.Ces propos étaient fort éloignésde la réalité telle qu'elle se présentait,
aussi bien dans la forme que dans le fond. En effet, le présidentdu Tri-
bunal avait joint à la «sentence» un texte qu'il avait lui-mêmeintitulé
«déclaration », écartant donc les termes d'opinion individuelle. Mais de
surcroît. I'analvse (aui sera exposée~lusloin) de ce texte montre au'il ne

saurait êtreassimileà une opinion individuelle. Ce terme renvoie en effet
à une situation dans laquelle l'un desiuaes ou arbitres, bien au'en accord
avec le dispositifd'un j&ement ou d'unësentence, se t~ouvein désaccord
avec un des motifs ou plusieurs d'entre eux et croit utile d'exposer ce
désaccord. Orla déclarationdu orésidentdu Tribunal annexée àla «sen-
tence ))expose une divergence relative au dispositifet non aux motifs, ce
aue I'a~entdu Sénénalne orit oas en comote dans son exoosé du 10août

52. ~nfin les déclarations de l'agent du Sénégal, faites publique-
ment le mêmejour, comportaient un autre élémentde confusion de la
situation.
Alors que les deux Parties avaient, d'un bout à l'autre des négociationset
de la orocédure. touiours souhaité une délimitation comolète de ~ ~I'~ ~ ~
sembléde leur territohes maritimes, le Sénégalsoudain semblaitconsidé-
rer la délimitation de la zone économiaue exclusive comme étrannèreau
différend. -

Tentant de s'expliquer sur lecontenu de la déclarationdu présidentdu Tri-
bunal, l'agent déclaraen effet :
«Alors la Guinée-Bissauauraitvoulu que le Présidentréponde à une
troisièmequestion et quiétaitcelle de la délimitationde la zone éco-
nomique exclusive ;le Présidentdu Tribunal a réponduque s'ildon-
nait une réponse à cette question il aurait statué comme on dit en
droit ultrapetita.~ (Page 5 de la 2epartie du compte rendu.)
Ainsi faisait tout à coup irruption dans l'argumentation du Sénégall'idée
que la délimitationde la zone économiqueexclusive aurait étéétrangère à
la procédure.
Ce nouveau point de vue étaiten rupture absolue avec toutes les écritures

et plaidoiries du Sénégal (citées dans les paragraphes précédents).
IIétaitmêmeencontradiction avec I'exnoséfaitauelaues minutes auoara-
vant, le mêmejour, par leministre des Affairesét;angéresdu ~éné~al'dont
les orouos tendaient lu tôtà conclure aue tout était délimitéet au'il n'v
avait plus qu'à appliquer la «sentence».

53. Les responsables de la Guinée-Bissau qui assistèrent à cette
conférencede:presse en firent un compte rendu complet à leur Gouverne-
ment. ..,-:.:
II apparut alors clairement que la situation était dans une profonde
impasse et que l'issue de cet arbitrage, loin d'apaiser le différend,avait
contribué à accroître les tensions dans la sous-région.
Le Sénégal propageaitI'idéeque la Guinée-Bissau ne respectait pas la
parole donnée(celle de l'article 10 par. 2 du compromis arbitral relatif au
caractère obligatoire de la sentence), sans dire que la prétendue
«sentence n avait violéle comoromis arbitral et esau.~~~une~so~~ ~~n~ ~ ~~ ~
péed'inexistence et d'i~~é~a~e itnkdroit, incomplète et inapplicable en fajt.

Le Gouvernement de la Guinée-Bissau ne oouvait laisser s'installer une
situation extrêmement dommageable d'uni part aux intérêtsvitaux de son peuple et à sesdroits souverains sur les espacesmarins, d'autre part à
son image dans la sociétéinternationale.
Sesreprésentants avaient compris, après avoir assisté à cette confé-
rence de Dresse.aue le Sénégaln'était oa. .rêtà se livrer avec eux à une
lecture ailentive et exacte dis documents produits à l'issue de cet arbi-
trage, ni à ouvrir les négociations nécessairesoour dépasserla somme des
confusions a:curnulr'cb~~a qualit* dei perionnes avant donne cette conl;:.
rencc de prcsse(les hommes les niieux A nicnic de sonnaiire et d'analyser
le dossier) rendait douteux tout esooir de nouvelles néaociations. L'annu-
lation du ;oyage du chef de I'Etat Sénégalais àBissau kit dans le méme
sens.

54. Refuser la dégradation de la situation sur place et poursuivre
avec obstination dans lesvoies du droit et de lajustice étaient les objectifs

à conserver. La Guinée-Bissau aurait pu s'en tenir à sa conviction que la
orétendue «sentence» était inexistante et en tout état decause nulle et
inapplicable et que. par consCquent. elle n'iivait sucune ohligiiiion clc1;i
riiconnaitrc. ElIr. pouvait s'arrêter3ccla. Fllc a preferc toutefois chercher
encore une fois les voies d'une solution pacifique et juridictionnelle.
Le désaccordentre les deux Etats sur l'existence mêmede la ((sentence»,
son contenu, sa validité, son applicabilité, constituait désormais un nou-
veau différend. distinct du différend de la délimitation proprement dite.
Celle-ci n'était pas davantage régléeque lorsque les diuxEtats avaient
ouvert leurs négociations à ce sujet en 1977. La situation s'était même
dée-adéeoui.au'.n obstacle nouveau se dressait sur la route.
II fallait donc en priorité s'employer à lever cet obstacle, c'est-à-dire, puis-
aue le dialogue semblait im~ossible à ce suiet entre les Parties. s'en
remettre à l'instance la plus qualifiée pour seprononcer sur l« sentence».
II fut donc décidépar le Gouvernement de la Guinée-Bissau de porter ce

nouveau différend devant la Cour Internationale de Justice et de saisir la
haute juridiction, en application de l'article 40, paragraphe I du statut.
d'une reauêteen inexistence. nullité et inaoolicabilité de la «sentence».
Cela fut bit à la date du 23 Août 1989.Le &sent mémoire est présenté
dans le cadre de cette procédure.

55 Ce ciidrc était le >eu1desorniai\ oiTrdni le, conditions et guiin-
ties de riaueur ct d'ohjecti\,ité perniettant un expose scrcin des points de
fait et dédroit constitutifs du nouveau différend.
II était d'autant plus utile et urgent de porter l'affaire devant lajustice que

les reorésentants du Sénérdlavaient. lors de leur conférence de Dresse.
remis'aux personnes présentesdes extraits de la ((sentencen(mais &en de
la déclaration du président ni de l'opinion dissidente). Le Gouvernement
de la Guinée-Bissau avait appris aussi que dans certains milieux universi-
taires internationaux circulait ltexte de la«sentence risolédesdeux tex-
tes la complétant.
L'article 9, paragraphe 4 du compromis arbitral prévoyait:
«Les deux Gouvernements décieent ou non de publier la sentence
et/ou les pièces de procédures écritesou orales».
Après les mots «Les deux Gouvernements)) il n'était pas précisé
~enseniblen ou au contraire «chacun pour soi». Mais le Sénégal deson
côté avait opté pour cette dernière interprétation.L'agent de la Guinée-Bissauestima de son devoir d'informer le président
du Tribunal des déveloooements de la situation '.
~ ~~- ~
IIfit prépareràl'usaged';n largepublic des extraits du compromis arbitral,
de la déclaration du orésidentBarberis. et le dernier oaraeraohe de I'ooi-
nion dissidente du juge Bedjaoui, tou; élémentsque leUs&égal s'était
gardéde diffuser2.
Enfin l'ambassade de la Guinée-Bissau àBruxelles publia uncommuniqué
afin de faire savoir que la Cour Internationale de Justice était saisie de
cette nouvelle affaire '.

56. Tel est l'exposé de l'ensemble des faits qui constituent la
genèse du présent différend.
IIa Daruutile d'en faire le récitcornolet afin de bien mettre en lumière le
creu.rdu litige aciucl. IIest reconnu'ci non contesté par la Guinée-Bissîu
qu'il existe unc nornie de droit qui obligc Icsdestinataires d'une sentence
à la respecter. Mais cette norme, comme toute norme juridique, attache

certaines conséquences de droit à un état de fait déterminé.
«Son application suppose donc que les élémentsdontcetétatde fait
est composé, sont donnés; s'ils font défaut, iln'y a pas non plus de
conséauences iuridiaues')).
Ici les consequences-de droit (l'obligation de respecter la sentence) sont
rattachées à un étatde fait quitient à l'existence d'une décisionprise sous
tormc dc sentence en 3ppGcation du comproniis d'arhilrsge si les ?lé-
ments constitudnt I'Ctatde hi1 ne son1 pas rc'unis.ilest inipossihle d'ap-
pliquer la norme et les conséquencesjuridiques tombent d'elles-mêmes.

57. Les donnéesde fait décritessoigneusement dans les pages qui
précèdentont conduit la Guinée-Bissau (parune argumentation détaillée
qui sera développéedans les chapitres suivants) à constater l'absence de
toute décision correspondant à la demande faite au Tribunal coniointe-
ment par les deux parties.
Ainsi se trouvent soumises respecteusement à la Cour les conclusionsjuri-
diques qui s'imposent à l'analyse des faits: la "décision" arbitrale est
inexistante; elle est de surcroit frappéede nullité et d'une nullité abso-
lue; elle est en tout état de cause inapplicable.

' LivrcV -annexe 19.
Livre V -annexe 20.
' Livre V -annexe 21.
W.C. Hertz.N Les«fondements »de la nullitédanslajustice internationale». Revueinter-
nationalede la thhie du droit. 1938p 327. CHAPITRE 11

LA COMPÉTENCEDE LA COUR

58. La compétence de la Cour dans la présente instance, comme
dans toute autre, doit êtreappréciée à la lumière du particularisme de la
justice internationale qui en constitue le cadre d'examen.
Ce particularisme conduit. pour ce aui est des Droblèmesde comnétence
judiciaire,à un équilibreparfois délicatà trouver entre deux principes qui
dominent I'un et I'autre la matière et entrent parfois en contradiction.
IIexiste, d'une part et comme dans les droitsinternes, un principe général
selon lequel tout différend doittrouver un juge et lenon liquefêtreévité.
D'autre part cependant, le principe de souverainetédes Etats se prolonge
dans celui duvolontarisme comme fondement de toute procédureinterna-
tionale

59. Ce dernier principe conduit à la nécessitéd'une base consen-
Etats peut revêtirdeux formes. Elle estefosimulianée et particulière lors-

qu'intervient entre deux d'entre eux un accord de compromis de jundic-
tion pour porter un différendprécisdevant la Cour. Tel n'est pas le cas
dans la présente instance.
L'expression de la volontédes Etats peut aussi êtredécaléedans le temps
et porter par avance sur des catégoriesde litiges lorsque la Cour est saisie
par requêteunilatérale d'un Etat alors que cet Etal (demandeur) el celui
contre lequel est formulée la requête (défendeur)ont I'unet l'autre, à des
dates qui peuvent êtrefort distantes dans le temps, accepté parune clause
snécialeet par avance la iuridiction de la Cour.
ces1 dans des conditions qui relèvent de cette dernière hypothèse que le
Gouvernement de la Guinée-Bissau adéposéle 23 août 1989une requête
unilatéralecontre le Gouvernement du Sénégal, lesdeux Etats ayant I'un
et l'autre accepté pardéclaration unilatérale la juridiction de la Cour à
l'égardde tout autre Etat acceptant la mêmeobligation.
L'examen desfondements de la compétencede la Courdans le cas présent
ne requerra donc pas de longs développements.
II sera mené à travers trois paragraphes relatifs:
- aux caractéristiques généralesde l'instance ;
- aux déclarations unilatéralesdes deux Etats comme base de la compé-
tence de la Cour;
- aux dispositions du statut de la Cour relatives à sa compétence et plus
particulièrement aux termes de l'article36,paragraphe 2repris ou viséspar
les déclarations des deux Etats.

1. Les caractéristiquesgénéralesde l'instance

60. 11est nécessaire d'apporterquelques précisions àce sujet.Elles
ont pour but de ne laisser s'établiraucundoutesur le fait qu'il s'agitd'unedemande en inexistence et nullitéde la prétenduesentence arbitrale du 31
juillet 1989et qu'elle ne saurait aucunement être considéréecomme une
demande en appel ou en révision,ce qu'elle n'est pas.
Des orécisions sont nécessaires aussi oour soécifier au'il n'est Das
demandé à la Cour d'annuler une sentenci qui jusqu'au prononcéde l'an-
nulation serait orésuméevalide et a~~iicabie. Le Gouvernement de la
Guinée-Bissau prie la Cour de diri -que la «sentence» est entachée
d'inexistence et subsidiairement de nullité absolue.La démarche deman-
déeest une démarchedéclaratived'un phénomèneconstatable. IIne s'agit
pas d'une démarche constitutive.

Une demande en inexistence etnullité et non en riformation
par voie d'appel ou en révision

61. Lors de l'audience tenue le 12 février 1990devant la Cour à
l'occasion de la demande en indication de mesures conservatoires déoosée
par la Guinée-Bissau,le Conseil du Sénégaa l tentéd'introduire une confu-
sion dans la demande de la Guinée-Bissau...
«En fait, la Guinée-Bissau voudrait fairede la procédure devant la
Cour une procédure d'appel contre la sentence. A maintes reprises
ce matin nous avons entendu des déclarationsqui postulent que la
Cour est saisie d'un appel contre la délimitation '.»
Ces propos ne peuvent êtretenusque dans l'ignorance destermes mêmes
de la requêtede la Guinée-Bissau quisont d'une parfaiteclarté àcet égard.

62. Il n'y a ni appel ni appel déguiséà moins de brouiller les caté-
gories jusqu'à faire disparaître toute critère de distinction entre l'appel et
les autres voies de droit. Or ces critères sont très précis.
« L'a..e~ ~~oo~.~ ~ la hiérarchie des denrésde iuridiction institués
par i'organisation judiciaire. II permet Qla partie mécontente de la
décision d'uniu.e-inférieur de la déférer à un Tribunal suoérieur
qui ..substituera àla décision ainsi mise ànéantune nouvelie déci-
sion émanantde lui-même.Au-dessus de l'appel se présentela voie
de la cassation. Le remède ainsi accordéa pour but essentiel de pro-
téger les Parties contre une application erronée du droit ..'.»

63. Les critèressont oréciset les voies de droit aussi. Traditionnel-
lement, iln'yavaitpas d'appelorganisécontrelessentences arbitrales ainsi
qu'en disposait déjàl'article 81 de la Convention de 1907concernant le
règlement pacifique des conflits internationaux:
«La sentence dûment orononcéeet notifiée aux agents des Parties,
décide définitivement -et sans appel la contestation.))
Par contre, dèst'origine de l'arbitrage international, aucun texte ni aucune
norme n'a interdit la demande en nullité. Bien au contraire,

' CR. 90/2. Traduction.
2 EugèneBorel. Lesvoiesde recourt contrrenrenceorbiirales. R.C.A.D.I. 1932.p.de multiples projets de textes ont tent6 d'en organiser le déroulement et
une abondante littr'rature s'est attachée à analvscr les riossibilites de nul-
lité des sentences arbitrales '.
A l'aube de l'organisation iudiciaire internationale. au début du

XX' siècle. I;plupart des auteuis s'accordaient j.reconnaitre le principe et
la n?c:ssité de la d2clar;ition de nullitc déplorani alors seulenient qu'il n'y
eût oas à cette éooaue de iuee oreanisé oour la orononcer.
an's tous les éirit; la di&nction est toujours ;oigneusement établie

d'avec I'aooel. et le ~rononcéde l'inexistence ou de la nullité ne va iamais
dans l'esirit des aukurs avec une réformation de la décision qui ne Saurait
intervenir que dans la catégorie de l'appel.

64. La Guinée-Bissau n'a commis aucune méprise à cet égard.Les
termes mêmesdesa requêteen date du 23 août 1989indiquent bien qu'il

n'esi pas question de rbl'ormer la sentence, ni de la compl2tcr. Ce qui est
port6 devînt la Cour p.ir le Gouvernenicnt de 13Guince-Bisbu est rel;itif
seulement à un point de droit ne concernant pas la décision elle-même,

mais le chemin suivi pour y arriver (ou ne pas y arriver).
La Guinée-Bissau soutient que les règles de droit international présidant
au déroulement de l'arbitrage n'ont pas étérespectéeset que ces règles
tiennent pour l'essentiel au strict respect des termes de l'engagement d'ar-

bitrage sans lequel la base même du règlement du différend fait défaut.
Elle affirme que dans le casde I'arbitrage entre le Sénégae l t la Guinée-Bis-
sau l'engagement d'arbitrage a étéviolé en ce qu'il exigeait une majorité
des membres du Tribunal pour toute décision (article 4, par. 2),majoriti

aui a fait défaut: en ce a.'il.urévova.t au. le Tribunal ferait connaître aux
deux ~ouvernements sa décision quant aux questions posées(article 9,
par. 1). alors qu'il n'a pas été répondu à la seconde question;

' Notamment:
A. Balasko .ause* de nulUréde Ismrenre orbiIrale en droil inreinorionolpublie. Pedone.
1938.
F. Bandil,Le détournem~nd, epouvoir en droit inrer»r?lionalpublie. ThèsMarseille.
1966.
E. Borel.Les voie$de recours contrlessentencesorbirrolcR.C.A.D.I. 1935.

F. Cariberg.L'cxcèr de pouvoir danlajurrice inrernorionoR.C.A.D.I. 1931.
A. El Ouali.Efets juridiquer de Io sentenceinrernorianParis.L.G.D.J.1984.
P.Guggenheim ,o volodiréerla nulliréderocre.~juriinrrrnorionouxR.C.A.D.I.1949.
W.G.Hertz. Essoisurleproblèmede lo nullirRevuedeDroitInternaiiona ltdeLégisla-
tion comparée1.939. p.450.

M.A.Pierantoni .o nuIlil> d'unorbirrogeinrrrno,ioRevue de droiinternationaltde
législatiocomparée 1898.p. 445.
G. Salviolihforivi di nulliro dsencnreini<rnozonoliRivirtadi diritto internarionale.
1937. . 305.
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J.F. Wetter.The inrernorinol orbiiral proeNew.York, 1931.
J.C. Wittenberg.L'o>gonisalionjudicioirp. Io procédureer IrenIenccinCrnarionolrr.
Pedane,1917.
Commenroire sur le proje1de Con~,enrisur lo procPdurr r?rbitmNations.Unies N.ew
York, 1955.en ce aue la décision devaitêtreoleinement motivée (article 9. oar. 3) et
compréndre le tracéde la ligne Gantière sur une cartè (article.9, par.'2),
alors que la décisionou olutôt la non-décisionne sont riasmotivéeset aue
la carte est absente.
La Guinée-Bissaun'affirme donc pas que le cas ait étémal jugéau fond,
elle ne cherche pas àentrer en discussion sur le bien ou le maljugé,elle ne

dit paspar exemple que la ligne de délimitationdécoulantde I'arbitragene
corresoond Das àI'aoolication des orincioes éauitableset doit êtreremola-
céepar une'autre ligne. Elle ne ledit pas parie qu'elle ne s'est pas égarée
dans la voie de l'appel, voie non ouverte dans le cas d'une sentence arhi-
trale.

65. Une autre raison pour laquelle elle ne soutient pas cela est que
cela est impossible.
Demander en appel de réformerla solutiondécoulant de l'arbitragesuppo-
serait qu'il v eût une solution. ce aui n'est oas.

L'absence dé solution constatable à ia lecturédes documents ne conduit
qu'à une seule voie d'action qui est de l'ordre du prononcéde l'inexistence
et de la nullitéabsolue d'un ecrit donnépour sentence alors qu'il n'en est
pas une.

66. Ainsi aucune confusion ne oeut-elles'établirici surla nature de
la demande introduitedevant laCour. bas plus laconfusion entre action en
déclardtion d'inexistence et nullité cf appel, que celle r:ventuelle entre
action en déclaration d'inexistence et nuilité ef révision.Cette dernière
voie de recours ne correspond pas aux données de base de la situation.

La révisionest une voie de recours trèsparticulière quisuppose pour pou-
voir êtreempruntéeque surgisse dans les donnéesde fait un élémentnou-
veau inconnu jusqu'alors de la Partie qui l'invoque.
Faute de produire la preuve de ce fait nouveau, la voie de la révisionn'est
pas accessible.
C'est ainsi par exemple que la rumeur répandueau début de l'année1990
et selon laquelle la République de Guinée (Conakry) demanderait, par
l'initiative d'un de ses anciens conseils. la révision dela sentence arbitrale
intenenue le 11fhvricr 1985,boitprèsde cinq ans auparavant pour r&lerla
délimitationmaritime entre cet Et31et celui de laGuinéc.Bissau.s'est ave-
réenon fondéefaute d'une concrétisationdans les délaisutiles bar la pro-
duction d'un fait nouveau de nature à iustifier la recevabilité de la
~e~a~ ~ ~~~~ ~ ~ ~~-~~~~

De mêmedans le cas présentn'ya-t-il aucun fait nouveau relatif àl'affaire
de la délimitation permettant une demande en révisionde la «sentence».
Ainsi n'étantni demande en appel, ni demande en révision, larequêtequi
est à l'origine du ré senm t émoire estune reauêteen inexistence et subsi-
diairement en nullité de la ((sentence)).

Une demande en inexistence et en nullitéet non en annulation

67. Ce deuxième point est aussi important à clarifier que le pre-
mier afin de bien cerner la question de la compétence de la Cour.
Comme le premier, il a fait l'objet d'un certain désordre des catégo- ries dans les propos tenus par les représentantsdu Sénégap l endant la pro-
cédureincidente relative à la demande en indication de mesures conserva-
toires. En effet, les agentsou CO-agentsdu Sénégao l nt à plusieurs reprises

employé les termes «an application to nullify that Award », «recours en
annulation 1)).
C'est confondre deux choses cependant bien distinctes.

68. L'annulation vise une procédure nécessaire dansle casde cer-

tains actes qui, par le fait d'une manifestation extérieure d'un sujet de
droit, ont le statut d'acte doté d'efficacité. Ces actes déploient donc cer-
tains effets provisoires et pour les leur faire perdre il est nécessairede pas-
ser par une procédure d'annulation.

Elle consiste en une déclaration constitutive de la nullité par laquelle
seraient donc constatés les vices entachant la sentence.'
L'une des difficultés du droit international tient àce oue la notion d'annu-

labilité suppose une organisation judiciaire dévelopiée et une possibilité
de recours contre la sentence affectéed'un vice. Et bien oue cette hvoo-
thèse ait étéàplusieurs reprises imaginéedans certains prokts (en pariicu-
lier le projet de protocole rédigéen 1930par un comité dejuristes institué

sur proposition finlandaise par leConseil de la SociétédesNations) et que
la Cour Internationale de Justice soit l'organe judiciaire approprié,..etyp.
de recours contre la sentence arbitrale n'=pas connu de développements3.

69. Le cas soumis actuellement à la Cour ne relève pas de cette

hv~othèse. mais d'une autre aui. bien aue voisine. est ceoendant distincte
ei 'relève d'un régime juridique difféient empokant des conséquences
d'une autre nature.

Dans le cas pendant, il a manqué au prétendu acte juridique un élément
essentiel à la naissance mêmede I'acte: la formation d'une volonté
conimune à un nombre d'arbitres suffisant oour constituer une maior~ ~ ~ ~
ce défautdemajorité découledes termes mimes de la déclaration de II'un

des deux arbitres avant ceoendant oar sasignature c-ntribué àI'aoparence . .
d'une majorité.
II s'agit là d'un cas d'inexistence original et peut-êtremêmeunique dans
l'histoire de l'arbitrage international. II suffit en soi à oter toute consis-

tance juridique à I'acte poséanificiellement comme «sentence».

70. Mais au-delà de cet asoect caoital de la situation. à travers le
contenu du dispositif et la rédactiin des motifs de la ((sentence », il appa-
raît au'il Y aeu de manière indubitable excèsde oouvoir Darnon resoectdu
.
compromis et défaut grave de motivation.

1 CR. 9012. page 7 et lraduciion p. 3.
2 Voir sur ces auestions P. Gue~enheirn."o. ciri.D. 208
J On --
remarquera d'ailleurs. en toute rigueur, que l'absence de juridiction obligatoire
cmoéche. .~ ~ ~~ ~ar de nullitérelative.aue le nrononcésoiteonstituiif. Ou bien. la nul-
Ïité'relaiivecstvéritablementunenulli;é(et'non ;ne ~~~ulabiiité>l. différenceavecla nul-
.tic~li<ul.,c.<id,sulc?,rnl dunr ..ir.~.ic de I'.ni<idu~r. DAC":.Ir,? ;.>nlond.i.c; 1~n-
n~lnbitlléci I'ann~laiion ~1iiiw.ealorde II di; ar.on dsIL [>Arli<I-I'ln\uq-c iconimc
II.$rrhc P" nlusleulr dri>llr lnlcrncs e.ir c\cniole e13rreslllalio<Ir.ci~nir~I~II.c "ru-
nonce &tan<toujours declaratoire.Ce second aspect de la situation, moins original que le premier, a fait I'ob-
jet d'étudesplus fréquenteset approfondies dans la doctrine du droit inter-
national.
Conformément à une opinion partagéepar de nombreux auteurs, Brierly
affirme que dans le cas où les arbitres ne se sont pas conformés au
compromis

«the award is a nullity without binding force. It is, in fact, not an
award at al11».
La nullité absolue, seule en cause ici, rejoint alors l'inexistence. C'est une
nullité agissantautomatiauement. de plein droit, etdont le caractèreindis-
cutable est souligné paries auteurs les plus éminents. Elle est qualifiée
d'usurpation de pouvoirs par certains, reconnue par tous comme une nul-
lité ipso jure,ab initio, qui ne requiert rien de plus qu'une déclaration de

non validité.

71. Et Paul Guggenheim ladistinguesoigneusement de l'autre cas,
celui de la nullitérelative aui ne ~Orres~Ondpas aux élémentsde la pré-
sente espèce. Visant l'hypoihèsede l'excksde pouvoir qui recouvre bien la
présente situation, Paul Guggenheim écrit:
«La nullité découlant d'un excèsde pouvoir est donc une nullité

absolue, mêmes'il existe une instance de cassation ou d'appel à
laouelle e~ ~co~ ~éela tâche de cons~at~r~ ~ ~ ~lité affirméepa~~.'~ ~ ~ ~
dei Parties en cause. L'invocation de la nullité absolue ne fait que
déclencherla orocédurede déclarationde nullité.Le recours à cette
procédure n'a'donc pas de valeur constitutive au point de vue de
l'époque à partir de laquelle la nullité commence à déployer ses

effets. La constatation de la nullité, soit par la Partie elle-même,en
cas d'absence d'une procédured'appel ou de cassation. soit par I'ins-
tance arbitrale ou )"diciaire 3 laquelle incombe la tache de se pro-
noncer sur l'action ennullité,n'a qu'une valeur declaratoire. Elle se
limite j.refuser toute validité iuridiuue 3 la décision iudiciaireou
arbitrale attaquée 2.))

72. 11a paru utile d'insister sur cette distinction entre annulationet
nullitéen début de ce chapitreréservéauxremarques relatives àla campé-
tence de la Cour.
LaGuinée-Bissauva en effet s'attacher à montrerdans les paragraphes qui
suivent qu'aucun obstable ne s'élèvesur le chemin de la compétencede la
Cour dans la présente espèce.

Convaincue de l'inexistence et de la nullité absolue de cette ((sentence n
dèsl'examen auquel elle a procédédans lesjours qui ont suivi le 31juillet
1989.elle sait que ce tvpe de nullitéouèrede plein droit et n'est Dassubor-
donnée à la décisiond'un organe donnécar une ((sentence »ainsi affectée,
se trouve dès le début, dépourvue de tout effet.
LeGouvernement de la Guinec-tlissau n'estdonc pas soumisà une obliga-
tion généraledu droit des gens de soumettre au reglcmcnt judiciaire son

differend avec le Sénéaalau suiet de la validitéde cette d sentence),.
Toutefois il est persuad2 qu'uneattitude purement négativedans laquelle
(comme il le pourrait) il se ferait seul juge de la mesure de son droit serait

' BrierlyThe Lov ofNorionr. 5'6d. Oxford. 1955 .. 278.

Paul Guggenheim, Lu validirérrla nuIliri docrejuridiques inrrrnarionouR.C.A.D.I.
1949.p. 218. une contribution insuffisante à la recherche de relations pacifiques avec
les peuples et Etats voisins.
Animépar cet esprit et persuadéqu'il existe des bases indiscutables à la
compétencede la Cour à ce sujet, il a donc choisi, plutôt qu'une attitude
unilatérale,l'usaged'un prétoireprestigieux et liéparson origine àla fonc-
tion de maintien de la paix.

2. Les déclarationsdes deux Etats relativement à la juridiction

de la Cour.

73. D'essence volontariste, le rôle de la juridiction internationale
ne déoloie ses effets aui si les Etats Parties ont d'une manière ou d'une
autre manifestéleur acceptation de se soumettre à ce mode de règlement.
Les volontés du Sénégalet de la Guinée-Bissau sesont exuriméeset se

sontdonc rencontréespar leurs deux déclarationsd'acceptation de lajuri-
diction de la Cour. Celle du Sénégala étésignée le 22 octobre 1985et
déposée auprèsdu secrétaire généraldes Nations-Unies le 2 décembre
1985.Elle renvoie auxdifférendsd'ordrejuridique viséspar l'article 36,ali-
néa 2 du statut de la Cour dont elle reprend les termes. Elle est assortie
d'une double réserveen vertu de laquelle le Sénégal
«peut renoncer à la compétence de la Cour au sujet:
- des différendspour lesquels lesparties seraientconvenues d'avoir
recours à un autre mode de règlement;
- des différends relatifà desquestions qui, d'aprèsle droit interna-
tional, relèvent de la compétence exclusive du Sénégal)).
El~ ~ ~ ~ ~~ ~différends nés«oostérieurement à la.~~~~ente déc1aration.i)
La déclarationd'acceptation de lajuridiction de la Cour de la Guinée-Bis-
sau est en date du 7août 1989.Elle vise. sans en reorendre la formulation,
les différendsd'ordre juridique mentionnés au paragraphe 2 de l'article 36
du statut de la Cour.
Elle ne comporteaucune réserve.Letexte préciseseulement que la décla-
.-..-..
«restera en vigueurjusqu'à l'expiration d'un délaide sixmois àdater
du jour où le Gouvernement de la Guinée-Bissau feraconnaître son
intention d'y mettre fin».

74. Cesdeux déclarationsfaites conformément à l'article 36. para-
graphe 2du siaiut consiiiucni donc 13base sur iaquellc laconipetence de lx
Cour se trouvc fondbc. IIest nCcessairetoutefois d'examinerIcschoses un
peu plus avant et de vérifieravecsoin les contours que chaque Etat a fixéà
son intention de s'engager.
En effet, la compétence de la Cour
«n'est établie qu'autant que le consentement des Parties est
démontrépar une exacte interprétation des actes invoqués à son
appui D.
Et
«il faut d'ailleurs se garder de confondre avec l'interprétation res-
trictive qui està bannir, cette «attention particulière» que la Cour apporte à vérifierle fondement de la compétencequand elle est en
orésence d'une clause de juridiction assortie de modalités ou de
&serves qui attestent la volonté de celui qui l'a souscrite de ne
s'engager que dans des limites bien définies ')).
Aussi faut-il analyser avec soin le cadre donné par avance par les deux
Etats à la compétence de la Cour afin de s'assurer que l'affaire en cause
peut correctement s'y inscrire.
IIest possible d'affirmer comme on va le voirqu'il n'ya dans ce libellédes
deux déclarations, soit par le jeu des délais, soit par celui des réserves,
aucun obstacle s'opposant àla compétencede la Cour dans la présenteins-
tance.
La vérificationde cette assertion conduit à examiner d'abord la cornpé-
tence ratione temporis, puis, s'étant assuréde la possibilitéde celle-là, de
passer à l'examen de la compétence rarione n~ateriatelle qu'elle découle
des deux déclarations des Etats.

La compétenceratione temporis

75. Les élémentsde fait à partir desquels doit s'établirle raisonne-

ment sont les suivants:
- 2 décembre 1985 :engagement du Sénégal;
- 7 août 1989: engagement de la Guinée-Bissau;
- 23 août 1989 :dépôtde la requêteintroductive d'instance de la Guinée-
Bissau contre le Sénégal ;
- précisiondu Sénégaldans le texte de sa déclaration que celle-ci vaut
oour «tous les différends d'ordre iuridiaue nés oostérieurement)).
A partir de ces éléments,deux vérificationssont~nécessaires.Le rapport
entre les différentes dates permet-il d'assurer la compétence de la Cour?
La naissance du présent différendse situe-t-elle convenablement par rap-
port à l'engagement des Parties de souscrire à la juridiction de la Cour?
76. Par plusieurs arrêtsparfaitement concordants, lajurisprudence
de la Cour est bien fixéesur le premier point.
La date du dé~ôtde la déclaration d'un Etat au secrétariat généraldes
~ations-unies-marque le point de départdes effets de l'accëptation. En

d'autres termes. l'effet du dépôt de l'acceptation est immédiat.
La question s'est poséetoutefois de savoir si la déclarationprenait effet à
compter de la remise au secrétariat général,ou seulement à la date à
laauelle les autres Parties au statut en auront recu la notification.
~a'cour s'est prononcéesur ce point dans l'arrêtreiatif au droit de passage
en territoire indien (exceotions oréliminaires 26 Novembre 1957).
Le Portugal avait déposé sa déclahon le 19décembre 1955et sa ~equête
introductive d'instance dèsle 22 décembre 1955,soit troisjours plus tard.
Mais le Gouvernement Indien n'avait étéinformé officieusement de la
déclaration portugaise que le 30 décembre 1955et oficiellement seule-
ment le 19janvier 1956 par les soins du sécrétaire général.

' Charles de Virrcher. Problèd'inrerprélafionjudieenidroit inlernolionol public
Pedone.1963.page 201-202. L'exception préliminaire soulevée parl'Inde sur ces bases et invoquant la
nécessitéd'un délai raisonnable entre la remise de la déclaration et la
saisine de la Cour, fut rejetée.
La Cour estima en effet qu'un Etat :
«faisant une déclarationd'acce~tation. doit êtrecensétenir comDte
du fait qu'en vertu du Statut, il'peut si trouàetout moment tenu
des obligations découlantde la disposition facultative, vis-à-visd'un
nouveau signataire, par suite du dépôt de la déclarationd'accepta-
tion de ce dernier. Un Etat auiacceDte la compétence de la Cour.
doit prévoirqu'une requêtepuisse êtreintroduiie contre lui devant
la Cour par un nouvel Etat déclarant. lejour mémeoù ce dernier
déposeune déclaration d'a~ce~tationdans les mains du secrétaire
général. C'esten effet ce jour-là que le lien consensuel, quinsti-
lue la base de la disposi6on facultative, prend naissance entre les
Etats intéressés)).'

77. La Cour ayant aussi rappeléque l'article 36,alinéa2 n'énonce
aucune exigence su~~lémentaire.avait reietéI'exce~tion rél liminairsou-
levéepar plnde à ci sujet.
Ce qui crée le lien juridique entreles Etats adhérant à la clause facul-
tative c'est donc la coïncidence de leurs déclarations.Celle-ci se produit
partir du moment où le second d'entre eux souscrit précisémentàla décla-
ration et au jour du dépôt de celle-ci.
L'effetjuridique està ce jour automatique et immédiat.II n'y a pas d'in-
convénient semble-1-il àce que la saisine de la Cour soit effectuée à la
date mêmede la déclaration d'acceptation d'un Etat.
II en a étéainsi et sans contestation dans l'affairede l'or monétairepris
Rome en 1943. Le ministre d'Italie à La Haye avait dans cette espèce
déposéen même tempsla déclaration d'acceptationde son Gouvernement
et la requêteintroductive d'instance (l'une et l'autre en date du 19 mai
1953).

78. Dans l'affaireprésente,un délaide I6jours s'estécouléentre la
date du dépôt de la déclaration d'acceptation de la Guinée-Bissauet celle
de la requêteprésentée à la Cour, alors que le Sénégalavait souscrità la
clause facultative plus de trois ans auparavant. Ainsi questiondesdélais
nesepose-1-ellepas.El il njapas dbbsfacle à la compétence rationetempo-
risde la Cour.

79. Mais pour affirmer sans aucun doute la compétencede la Cour
dans le temm à ~ro~osd'une affaire déterminée.encore faut-il établirau'il
n'y a pas d'obsiacl-eprovenant de la naissance du différend.
Cela nécessitede prendre en considération les termes d'engagement des
deux Etats, le droit généralàce sujet, et de tenter d'identifierle moment
de la naissance du différend concerné.

80. Le Sénégalavait précisédans sa déclaration qu'il acceptait la
juridiction de la Cour pour«tous les différendsjuridiques néspostérieure-
ment à la présente déclaration.))Celle-ci est datée du 2 décembre 1985
(jour de son dépôt auprèsdu secrétaire général)A . ussi le présentdiffé-
rend se trouve-t-ilà coup sur couvert par cette déclaration, sa naissanceétant,pour desraisons qui vont êtreexposéesplus bas,identifiable dans les
jours du mois d'août L989ou les'&eq&Etats exprimèrent leur désaccordau
sujet des résultats de l'arbitrage intervenu entre eux.

81. 1.adéclarati(~ndu 7 iioüt 1989p;ir laqiielle 1:jGuinée-Hiss.1~a
souscrit 3la clause facultative ne restreint plis son proprc champ aux difi-
rends nés~ostérieurement. II faut de ce fait ra~oe..r auel'es sont les règle-
du droit ;ommun en la matière pour s'y référec.
Puiséesdansles principes généraux et lescommentaires de la doctrine. ces
réglesont étéconfirm~:e\~ar la jurisprudence dc l'affaire Interhandel.
A ILIquestion de savoir si desdifférends antérieurs3l'acceptation d'un Et31

peuvent cependant entrer dans le champ de la compétence, la doctrine
avait déjàréponduque le principe de non-rétroactivité est mis de côtépour
les lois de comoétence '
La Cour àconfirmé cesvues par son arrêtInterhandel du 21 mars 1959qui
confirme les effets rétroactifs de i'acce~tation de la iuridiction.
«Par exemple, la Suisse qui n'a pasexprimé dans sa déclaration de
réserve ratione temporis, alors que les Etats-Unis n'ont acceptéla
juriction obligatoire que pour les différends postérieurs au 26 août

1946, pourrait, si elle était défenderesse,invoquer par réciprocité
contre les Etats-Unis la réserveaméricaine si les Etats-Unis ten-
taient de porter devant la Cour un différend avecla Suissequi aurait
oris naissance avant le 26 août 1946.Tel est l'effet de la réciorocité
in la matière. La réciprocitépermet à I'Etat qui a acceptéle pius lar-
gement la juridiction de la Cour de se prévaloir des réserves àcette
acceptation énoncées parl'autre Partie. Là s'arrêtel'effet de la réci-
procité.Elle ne saurait autoriser un Etat. en l'espèce les Etats-Unis. à
se prévaloir d'une restriction dont l'autre parGe, la Suisse, n'a pas

affecté sa propre déclaration'.))

82. Ainsi, pas plus que les Etats-Unis n'ont pu le faire contre la
Suisse, le Sénégalne pourrait se prévaloir de sa propre réserveaux diffé-

rends nés postérieurement à sa déclaration oour imposer à la Guinée-
Bissau une;estriction de la compétencede la cour aux ;culs dill2rcnds n6s
postL:rieurenient i la propre déclaration de la Guinée-Bissau. alors quc cc
dernier texte est muet à ce sujet.
Maisbien plus, lajurisprudence Interhandelconfirme celle de la Cour per-
manente de Justice internationale dans l'affaire Mavrommatis et permet
d'affirmer que l'acceptation de lajuridiction de la Cour adeseffetsrétroac-
tifs.«Elle saisit tous les différends sureis avant sa formulation3.~)

Telles sont les&les applicables dans tous les cas où la déclaration d'ac-
ceotation dcla clause facultative Darun Etat n'a oascornoorté de réserve
temporelle.
La déclaration de la Guinée-Bissaurentrant danscette catégorie,la compé-
tence de la Cour peut s'étendre sans restriction à tout différend fût-

' C.Debbarch .a compircnre«rorione rempor;$is de Io CourInrcrnarionoi~deJusticedonsle
système deIo clousefarvltotive dejurididion obligolR.C.D.I.P.1960.p.230.
C.I.JRN. 1959, p.23.
3 Ch. Debbarch.>p .iré.p.244. il néantérieurement àla date de cette déclaration (7 août 1989).Il importe
seulement que le différend ne soit pas né antérie"rernen1 à la date de la
déclaration du Sénégal (22décembre 1985).

83. L'argument est en réalitésurabondant. En effet, si I'on recher-
chait ici le moment précisde la naissancedu différend objet de la présente
instance, la constatation s'imposerait que le différend est né après la
deuxième déclaration d'acceptation de la iuridiction de la Cour. celle de la
Guinée-Bissau en date du 7 août 1989.
La recherche de la date d'un différend afait I'obiet de multiples réflexions
en doctrine et de précisions en jurisprudence.
Le différend est
«un désaccordsur un point de droit ou de fait, une contradiction,

une opposition de thèses juridiques ou d'intérèts entre deux per-
sonnes 1».
II prend ainsi existence lorsque l'opposition des points de vue de deux
Etats s'est manifestée sur un objet donné. Car ce n'est pas la cause du
différend qui est l'élément pertinent pour déterminer sadate de naissance,
maisseulement son objet comme la Cour aété amenée àl'analyser dansla
jurisprudence Interhandel.

84. Dans le différend existant entre la Guinée-Bissau etle Sénéeal

sur la réalitéet la validité d'une sentence qui serait datéedu 31juillet 19&9,
la cause a sansdoute des racines anciennes, profondes et difficiles àdater,
mais l'objet est beaucoup mieux identifiable dans le temps.
Le saisir avecprécision mène àrechercher la date exacte àlaquelle sesont
trouvées forGulées de la part de l'un et de l'autre Etat les points de vue
contradictoires dont l'opposition est constitutive dû différend.
La chronologie des faits établie au chapitre 1 peut y aider.

85. L'arbitrage s'achève le 31 juillet1989.

Alerté par le ton de la presse et de la radio-télévision sénégalaise(ce qui
n'est pasencore une prise de position émanantdu Gouvernement du Séné-
gal lui-même), le Gouvernement de la Guinée-Bissau, par un cornmuni-
qué du 7 août 1989, énonçait clairement sa position.
II lafit savoir officiellement au chef de I'Etat sénégalaiset à son ministre
desAffaires étrangèreslors de l'entrevue qui fut accordéeà Dakarle 2août
1989 à I'aeent de la Guinée-Bissau. Ce iour-là la position du Gouverne-
ment de la~uinée-~issau étaitbien étabiieet connue de la Partie adverse :
elle consistait à considérer la «sentence» comme ne répondant pas aux
exigences posées d'un commun accord par les deux-Parties dans le

compromis et à demander l'ouverture de nouvelles négociations.

86. La position du Sénégal,à la date du 2 août, n'était pas encore
officiellement formulée.
II est irai que Ic ihcide I'Eiat s2nL'g;llairdécouvrait cejour-li seulement et
de la bouche dc l'agent du Gouvernement de Rissaule contenu exact de 13
((sentence » et les-éléments l'accompagnant.
C'est à la date du 8 août 1989 que I'on peut situer la naissance du dif-
férendcar c'est à cejour que des responsables sénégalais autorisés (l'agent

Affaire Mavrornmalis,C.P.JArrédu 30 ooûr1924.et le ministre des Affaires étrangères) dans une conférence de presse à
laquelle avait étéconvié le corps diplomatique accréditéauprès du Gou-
vernement du Sénégal,vont annoncer leur position en l'argumentant.
C'est à partir de ce jour-là qu'il y a un nouveau différend entre les deux

Etats relativement à la réalité,validité et applicabilité de la «sentence ».
On est alors au lendemain dujour d'acceptation par la Guinée-Bissaude la
juridiction de la Cour.
Le différend est donc postérieur, quoique de peu de temps, à I'une et à
I'autre des deux déclarations des Etats en litige.

87. Surabondant, puisque la rétroactivité d'une déclaration (silen-
cieuse à ce sujet) lui permet de couvrir des différends antérieurs, cet argu-
ment vient seulenient renforcer l'affirmation selon laquelle la compérence
ratione remporis de /a Cour a la présenteaffaire ne corinait aucun obstacle.

La compétence ratione rnateriae.

88. 11convient de vérifier maintenant si I'une ou I'autre des décla-
rations desdeux Etats contient quelque r$scrve niaifriclle qui. pardpplica-
[ion au present cas, cnipCcheraii que ne s'euergit la compétence de la
Cour.
La déclaration de la Guinée-Bissau par la simplicité et la généralitéde sa
formule exclut tout obstacle de cette sorte.
Elle renvoie seulement ((aux différends d'ordre juridique mentionnés au
~araara~he 2 de l'article 36du statut de la Cour Internationale de Justice. »

un Paragraphe ultérieur étudiera l'article 36, paragraphe 2 en tant qu'il
définit le champ de compétence de la Cour.
II faut relever ici seulement que la Guinée-Bissau de sonpropre chef n'y a
ajouté aucune restriction.

89. Le Sénégal parsa déclaration a fait preuve d'une conception
moins large des catégoriesde litiges qu'il accepte de soumettre au juge-
ment de la Cour.
Ceux qu'il exclut sont de deux sortes:
«des diilërends pour lesquels les Parties seraient convenues d'avoir
recours à un autre mode de rèelement:
des ditYirends relaiiii desquescons qui: d'aprcs le droit internlitio-
ml. relé\,ent de la conipetence exclusi\,e du Sénégal jb

Mais ni I'une ni l'autre de cesdeux catégoriesne sauraient en s'appliquant
3u pr&cnt litige, cnirainer cxslusion de la compéienic de Iii Cour
l'arec que le diffkrcnd consiste en une contestation relativi l'inexistence
et l'invalidité et inapplicshilited'une prétendue sentence censéeclle-
niinie nicitre lini un autre difiërend (celui de ladélimitation maritimc
entre les deux Etats), il va de soi que l'&airene relève pas de la compé-
tence exclusive du Sénégal.II ne s'agit pas d'une affaire nationale, mais
bien par nature d'une affaire internationale. La ((sentence», le sort qui lui
doit être réservé,relèvent des relations bilatérales. L'issue du litige de l'un d'eux.Etats et ne saurait êtrerattachée à la compétenceexclusive

90 L'autre réservedu Gouvernementdu Scnegal à son acceptation
de lajuridiction de1;Cour a pour but d'cn exclurr.u lesdiliërcnds nour les-
quels les Parties seraient convenues d'avoir recours à un autre mode de
règlement. »
Pas plus que la réserveprécédemment examinée,celle-ci ne saurait avoir
pour effet de restreindre la compétencede la Cnur par exclusion du diffé-
rend en cause.
Ce que le Sénégala rejetépar le biais de cette réserve,ce sont les dif-
férends ayant fait par ailleurs I'objet d'un accord des mêmesParties ten-
dant au choix d'un autre mode de règlement.
Deux remarques semblent nécessaires sur ce point.

91. La première a pour utilitéde souligner que sur l'actuel diffé-
rend, celui relatif l'inexistence etàla nullitéabsolue de la prétendue sen-
tence, les Parties ne sont convenues d'aucun mode de règlement. L'équi-
voque est impossible à ce sujet.
Les deux Parties avaient décidéensemblede recourir àI'arbitraee oour un
ditErend principnl :cclui rcliitifi leur délimitationen nicr Le hic qui a
surgi enirc cllcs dans 1r.spreniieres ieni.iines du nioibd'aoüt 1989est un
différend d'uneautre nature, de secondordre par rapport au différendprin-
cipal, et qui n'est relié lui qu'en ceci qu'ilconstitue un obstacle désor-
mais sur la voie du rèelement du différend orincioal.
Les représentants de labinée-~issau se sont'expliquéssur ce point dans
les observations exposées à l'occasion de la demande en indication de
mesures conservatoires devant la Cour le 12 février 1990.
S'ilexiste àleurs yeux un lien entre le différendsur la sentence et le diffé-
rend de délimitation maritime, le règlement du premier étantdésormais
une condition du règlement du second, et si ce lienleur a parujustifier une
demande en indication de mesures conservatoires, cela n'allait pasde leur
point de vue jusqu'à confondre les deux affaires.

92. La Cour 3 attiichc une griindc iniportance a la distinction des
deux diff:rends A tel ooint au'clle a considérél'absencede lien entre eux
comme fondant le refÙsqu'elle a opposé à la demande en indication de
mesures conservatoires par son ordonnance en date du 2 mars 1990.
Elle a alors souligné que :
«les droits alléguésdont ilest demandé qu'ils fassent l'objet de
mesures conservatoires ne sont pas l'objet de l'instance pendante
devant la Cour sur le fond de l'affaire ;et qu'aucune mesure de ce
genre ne saurait êtreincor~oréedans l'arrêtde la Cour sur le fond:
?7 Considéranten outrequ'une dbcision dc la Cour selon laquelle
la sentence est ineuistante ou nulle n'impliquerait en aucune
ni;in~,'rcquc 13Cnur dccide que lei prétentionsde 13deniandcrcssc
en ce qui concerne 13deliniitation maritinle contcstéesont fondées.
en tout ou en oïrtie..cl .u';iinsi Ir.diffcrend relatifi ces oretentions
ne sera pas reglépar l'arrêtde la Cour. »
Ce disant, elle est donc allée plus loinquene le soutenait la Guinée-Bissau
dans I'idéede I'indépendancedu présentdifférend avecceluiportant sur la
délimitation maritime. 93. Qu'ils'agissede deux litiges et non du mêmedécouled'ailleurs
du fait qu'il n'ya identité ni de cause, ni d'objet.
Dans le différend portédevant le Tribunal arbitral, la cause était notam-
ment un désaccord sur l'échangede lettres franco-portugais, et l'objet,
deux conceptions o~uoséesde la délimitation maritime
Dans le présentdiffcrend, la L.auscest dans l'arbitrage rendu le 31juillet
1989.l'objet porte sur la ialeurjuridique et l'existence meme dc l'actepro-
duit par le Tribunal arbitral.
Ainsi la réserve sénégalaisen'a-1-ellepas lieu de s'appliquer.

94. Une deuxième remarque ne sera faite ici que par souci de deve-
lopper un raisonnement coniplet, niai> cllc est en réalitésuperfiuc.
L3 Guinée-Riswu. unc foisconnus Icsrcsultats désiistreuxde cet arbitrage.
et constatant que lestravaux duTribunal étaientdonnes pour achevésbien
quc la di.l~mi!u!ian'a!!pas PI! licus'cst interrogée sur I'~>pportunitcde
Dorter devant la Cour le diff2rcnd ~rincii..l ~uisa.'il n'étaitoas rCelc.
Elle s'est demandé quelle serait alois la portéedans ce cas de'la réserve
sénéealaiseet a conclu au'elle ne constituerait iiasune entraveàla comué-
tencë de la Cour.
En effet. I'arbit-aee-avant étéinfructueux dans le fond tout en avant donné
une apparence de sentence dans la forme, le différendde délimitation se
trouve renouvelé alors que le mode de règlement ayant épuiséses effets
sans succès, les Partiesne se trouvent pks dans li situsion de Parties
(1convenues d'avoir recours à un autre mode de règlement».
Mais la volonté du Sénéealde considérerla sentence comme existante et
valide, en dépit de toute possibilité d'identifier la ligne de délimitation
demandée, a conduit le Gouvernement de Guinée-Bissau à préférer sou-
mettre d'abord à la Cour le différend secondaire, réservant sa position
future quant au règlement du différend principal.

95. Pour toutes les raisons ci-dessus ex~osées. Ia comuérencdeela
Courpeurs'exercer sulreprésentlitigesansque?>en dais /e1ibe;lédesdécla-
rations d'accepfariondela iuridictionde/a Courparlesdeux Erarsne consti-
tue unfrein à cetexercice.
Avant de clore ce chapitre sur la compétence, il est toutefois nécessaire
d'examiner un autre aspect de la compétence rarionemareriae, celui qui
découlede la référence (contenue dans l'une et l'autre déclarations) aux
différends mentionnés à I'article 36, paragraphe 2 du statut de la Cour.

3. La compétence de laCour en application de l'article 36
paragraphe 2 du Statut.

96. Afin de s'assurer compléternent de l'absence d'obstacle à la
compétence de la Cour dans le présent litige, il reste iconstater que ce
différendfait bien partie de ceux qui sont visésà I'article36, paragraphe 2
du statut. Le Sénégaa l repris l'énumérationdes différendsdans les termes
mêmede I'article 36. La Guinée-Bissaus'est contentée de renvoyer à ce
texte. Le présent différend rentre dans trois des catégories

de différendsvisées à l'article 36, paragraphe 2.

97. Les catégoriesde différends d'ordre juridique énumérées par le
Statut ont pour objet:
a) l'interprétation d'un traité ;
b) tout point de droit international ;
C) la réalitéde tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un
engagement international ;
d) la nature ou l'étendue de la réparation due pour larupture d'un engage-
ment international.

98. La question est alors de savoir si le différend soumis à la Cour
par la requêtede la Guinée-Bissau, en date du 23août 1989,s'intègre dans
l'une ou l'autre des catéaories rév vue asx alinéasde cet article ou si au
contraire l'interprétation-de cette &numération amène à en exclure le cas
pendant. c'est-à-dire un recours en inexistence et nullité pour excès de
pouvoir et défaut de motivation d'une sentence arbitrale-
Or, comme cela va êtreexposé,la réponsepositive s'impose et les trois pre-
miers alinéaspeuvent servir chacun de fondement à la compétencede la
Cour, le second étant à cet égard le plus large.

En effet, la contestation entre les deux Etats dans le présent différend
relève cumulativement de trois hypothèses.

99. L'objet en est bien la réalitde toutfait qui, s'ilé~aité!abli,cons-
tituerait la violation d'un engagemenrinternational. Le fait clairementétabli
est dans la volonté du Sénégalde faire passer pour une sentence ayant
régléle litige de délimitation maritime entre lesdeux Etats, une soit-disant
sentence de valeur juridique inexistante et d'exécution impossible.

L'engagement international qui setrouve par ce fait violé, est celui pris par
les deux Etats l'un envers l'autre dans lecompromisarbitral de chercher le
rèalement de leur différend sur certainesbases et à certainesconditions.
~<~ribun<il arbiir~l lui-m?nic a viol6 cesconditions (ce qui est conïiitutif
d'exce* de pouvoir cuninie il scra analysédc nianièrc :ipprofondie au sh.1-
pitre V du présent Mémoire).
Le Sénégav l ioleàson tour cet engagement enen oubliant lestermes el en
tentant de faire passer les résultats de cet arbitrage pour une sentence.
L'actuel litige est couvert à ce titre par la compétence de la Cour telle
qu'elle découle de l'article 36, paragraphe 2, alinéa c.

100. L'obiet de la contestation orésente entre le Sénéralet l"
tiuinée:l3iss~u porte r'giilenient sur l'~n;rr~>r~tnr~udn'rrnrr~ire
Le traite en causeest l'accord d'arhitrare du 12niiirs 1985.Lti denande par
la Guinée-Bissau en inexistence et en nullité de la «sentence» est une
demande tout entière fondée sur la nécessaireinterprétation de I'engage-
ment du 12 mars 1985 puisque l'inexistence et la nullité invoqu+es pro-
viennent de la violation affirmée de divers articles de cet accord.
Plus précisement et plus directement le désaccordporte sur I'interpréta-

lion de l'article 10, paragraphe 2 du compromis qui énonce:
«La sentence sera définitive et obligatoire pour les deux Etats qui
seront tenus de prendre toutes les mesures que comporte son
exécution. n 101. Le Sénéeal.si l'on se référeaux déclarations faites oubliaue-
ment le 8 août 198Fpar son agent et son ministre des Affaires éirang&es,
interorète ce.oara".aohe comme indéoendantdetous les autres articles du
compromis et comme entraînant une obligation d'exécution automatique
et autonome quelles que soient les caractéristiques et le contenu du texte
produit pour sentence.
La Guinée-Bissauen fait une interprétation différente. Pour elle, confor-
mément à la notion d'excèsde pouvoir admise en matière de sentence
arbitrale internationale, l'exécutionde la sentence est une obligation con-
ditonnelle. Et la condition à remolir tient à la nécessitéoour les arbitres
d'avoir agi dans la forme (majorité, motivation, etc.) ét dans le fond
(réoonseaux auestions oosées)en conformitéavec les indications oosées
de'manière impérative a leur egard dans le compromis. Faute que cette
condition soit remplie. il n'.a .,s. selon la Guinée-Bissau. d'oblig-tion
d'exécution de la k sentence ».
Le litige est ainsi sans hésitation possible un différendayant pour objet
l'interprétation d'un traité.
IIs'inscrit parfaitementà ce titredans l'application de la compétencede la
Cour sur la base de l'article 36 du statut paragraphe 2, alinéaa.

102. Enfin, le présentlitige cumule un troisième aspect en susdes
deux premiers qui viennent d'être évoqués c.'est qu'il est aussi un diffé-
rend dont l'objet porte surrourpoinrde>roi1inlernaÏional conformément à
I'article 36, paragraphe 2, alinéa b.
Le point de droit international ici objet du différendest la question de
savoir si la sentence est inexistante et nulle en raison des vices de diver-
ses sortes aui l'affectent.
contrairemint à l'affirmation ancienne de certains auteurs1, in'y a paslà
unequestion académique.Lepoint de droit international soulevén'estpas
le point théorique ainsi formulé : est-ce que en droit international l'excès
de pouvoir est de nature à vicier une sentence arbitrale? Cette question
généraleet théorique connaît aujourd'hui une réponse incontestablement
positive comme cela va êtrerappelé dans les lignes qui suivent.

de droit concret, appliquéiàune situation précises:est-ce que, selonle droit

international. le texte rendu oour sentence le 31 iuillet 1989 est fraooé
d'inexistenci et de nullité abSolue?

103. Ainsi la référence, faitepar les deuxEtatsdans leurs déclara-
tions,à l'article 36,paragraphe 2 du statut de la Cour età la liste des diffé-
rends ainsi couverts par sacompétence,conduit-elle par une interprétation
exacte de ce texte à situer la présenteaffaire dans le champ des différends
pouvant êtreportés devant la Cour.
Cette analyse est confortée par les développements d'une importante doc-
trine dans ce sens ainsi que par lespositions prises par la Courdans certai-
nes occasions.

I Borel,on.rir4p. 77. La doctrine et la jurisprudence en la matière

104. Dèsla fin du XIX',l'évolutiondes relations internationales a

mené au développement de l'arbitrage entre Etats, mais aussi parallèle-
ment à la juridictionnalisation de celui-ci.
En 1898,Pierantoni, consultésur la validitéde lasentence intervenue dans
l'affaire Cerrutti entre la Colombie et l'Italie, affirmait déjàavec force le
principe de la nullité des sentences arbitrales rendues par excèsde pou-
L'air.
<cTous Ics pouvoirs ont besoin d'un contrôle, d'une pondérationqui
Ics retiennent dans leurs limites Iéyliles.Dans les systèni:~ludiciai-

res, les législateurs y ont étéattentifs et ils ont posédes ;oieS.de
recours contre les iugements arbitraux l».
Et il se référaità des auteurs plus ancienset prestigieux qui avaient conlu
dans le mêmesens (Vattel, Calvo, Heffeter, Bonfils, Bluntschli, etc.)
S'appuyant sur la possibilitéinévitable que des arbitres s'engagent dans
une voie erronée,et la nécessitéde prévoir pour I'Etat victime d'une telle
erreur le moyen d'en refuser les effets, les auteurs, dans la logique d'un
besoin de contrôle des sentences arbitrales, en admettaient donc de très

longue date la nullité.

105. Mais le principe en fut posé d'abord indépendamment de
l'existence de voies de droit organi.ées.

<CCertes IIn'est pas d'actes inilttaquahlcs en droit. menie si les voies
d'action ne sont pas prévues ct si les moyens d'cxccplion ne sont p.ispréa-
lablement réglés- ) .
De telle sorte qu'était ainsi créée une situation dans laquelle
«il avait fallu d'une part, évoquerl'excèsde pouvoir de I'arbitre,juri-
diquement légitimeen mêmetemps que politiquement nécessaire
pour apaiser les craintes des Etats tandis que, d'autre part, le carac-
tère occasionnel de lajustice faisait qu'on laissait sans juge ce vice

possible de la sentence ...II apparut bientôt que la question essen-
tielle n'était pasde dresser la liste des cas de nullité, plus précisé-
ment de définir,dans la mesure du possible, l'excèsde pouvoir, mais
plutôt de prévoir l'organeinternational qui serait chargéde se pro-
noncer sur le fait de savoir siétaitréaliséeou non l'unedes causes de
nullité 3.»

106. Cette difficultéfut patente lors de la Confërence Internatio-
nale de la Paix à La Haye en 1899puisque i'on y renonça à énumérerles
causes de nullité.
L'explication en fut donnéepar Descamps qui dans son rapport parla
des

((inconvénients de prévoirdes cas de nullité, sans déterminer en
mêmetemps qui sera juge d'apprécier cescas».

1 A. Pierantoni, Lo nullit! d'un orbirrogeinlernoriRevue de Droit Internationel de
LégirlalionComparée 1898,p.445.
2 Rundntcin. Lo Coitr Permanentede Jurtice lnr~rnoriunolcornmp insioncede rrcours.
R.C.A.D.I. .931.p.17.

G. Berlia, Jurirprudrnce des Tribunauxorbirrauxen ce qui concerne leurrompirtnce,
R.C.A.D.I.. 1955.n.127.En 1935, Verzijl écrivait, toujours dans le méme sens:

«les difficultés du problème de la nullité des actesjuridiques inter-
nationaux de toute nature sont en grande partie attribuables au
défaut d'une orzanisation iudiciaire internationale régulière et
compétente pour-connailre hc toutcs Ics hypothcses p&siblcs de
validitc douteuse qui peuvcnt ?e présenterdans I'ordre internatio-
na11».
Ainsi se développajusqu'à la Seconde Guerre mondiale une littérature
juridique favorable dans sonensemble au principe de la nullité dessenten-
ces pour excès de pouvoir et déplorant l'absence d'instance pour en sta-

tuer. Elle fut appuyéepar les travaux de l'Institut du Droit International
(projet Goldschmidt dès 1874).

107. Avec la création de la Sociétédes Nations et de la Cour Per-
manente de Justice Internationale, les donnéesdu problème et les points
de vue commencèrent à évoluer.
Un pas considérable avait étéfait avec l'article 13 du Pacte de la Société

desNations qui fut repris par l'article 36, alinéa2du statut de la Cour, mais
il n'était pas certain encore aux yeux de tous que ce texte pût couvrir les
demandes en nullité des sentences arbitrales.
En 1929. à l'initiative du Gouvernement finlandais, une proposition fut
présentéetendant j.instituer un recours ù 13Cour pernlancntc pour ctiuse
d'incnmpétencc dc l'arbitre ou d'un cxccs dc pouvoir commis par lui.
A la méme époque, devant la Commission instituée par la Sociétédes
Nations pour la révision du statut de la Cour permanente, une proposi-
tion (soumise par M. Rundstein) tendait à compléter les motifs de recours
en y ajoutant l'application incorrecte d'une règle de droit international.

Et l'Institut du Droit International, dans sasession de New-York en 1929,
décidade porter à l'ordre du jour de sesdélibérations la possibilité d'une
instance de cassation contre les décisionsdes tribunaux arbitraux interna-
tionaux.

108. Pour des raisons diverses, aucune de ces propositions ne
connut d'aboutissement en temps utile.

Toutefois, la proposition finlandaise de 1929avait conduit le Conseil de la
Sociétédes Nations à créer un Comité de spécialistes qui avait conclu
à trois possibilités pour ouvrir la compétence de la Cour en matière de
demande en nullité des sentences arbitrales.
Si laauestion étaitorésente danstous les es~ritsde savoir si la comoétence
de lacour permanente de Justice internationale. telle qu'elle étaiiprévue
<il'article 36.alinéa2 du statut. incluait les casde demande en nullite des
sentences a~bitrales, la réponsesouvent soutenue comme affirmative, ne
fut pas avant la Seconde Guerre mondiale confirmée par un organe ou

dans un texte ayant l'autorité nécessaire.Le pas dans ce sens fut franchi
postérieurement à la création des Nations-Unies.

109. En effet, sous l'égide des Nations-Unies la question connut
une évolution décisive.Elle fut inscrite à l'ordre dujour des travaux de la

' Verzijl. volidiri rr la nulliri desacr~sjuridiquesinrerRevue deDroitInterna-
tional1935.p.339.,Commission du Droit.internationa1 dans le cadre d'un oroiet de conven-
tion sur la procédure arbitrale. Celui-ci. adoptépar la commission i sacin-
quième session. fut présenté à I'AsscmblCeaCncrnle. Mais celle-ci avant
pris acte de certaines réticences à l'idéed'une convention sur ce sujët, la

Commission transmit alors un «modèle de règles sur la procédure arbi-
trale» qui fut proposépar l'Assembléegénéraleen 1958 à l'attention des
Etats.
La préparation dece texte et le travail de réflexionmené surle sujetsous
l'autorité de Georges Scelle furent l'occasion d'un bilan des acquis en
matière de procédure arbitrale.

110. Le rapporteur Georges Scelle rappela longuement comment
la thèsedu caractèredéfinitifet inattaquable de toute sentencearbitralene
l'avait jamais eniporté, méme dans les occasion5 ou ilparut impossible
d'organiser les actions en nullité(en 1907particulièrement). et 11releva
des cas dans lesquels
«le trouble est si grave dans l'opinion publique que l'hypothèsedu
bien jugédevient inacceptable et qu'il faut, de toute nécesité, sacri-
fier la stabilité socialeà la justice1)).
Ainsi

«étant donnée la fréquente insuffisance des tribunaux arbitraux
dont la composition risque d'êtresouvent le résultatd'un compro-
mis, la necessired'une seconde instance doit Ctre substituée à pan-
cicnne conception sclon laquelle la sentence arbitrale est définitive-
ment et sans appel '»
«...il n'est pas vrai que les Parties se soient mises d'accord pour un
uniaue orocès. àmoins au'elles ne l'aient exoressémentorévu :elles
sesont mises d'accord pbur vider le litige. 01 il est des cas où mani-
festement la sentencerendue est inacceptable et par conséquentoù
sa critique est légitime.En telle occurrence, mêmesi elle est exécu-

tée, le litige ne sera pas réellement vidé et laissera subsister un
malaise inÏernational; ou bien 11 y aura une telle résistance dans
l'opinion, non seulement du pays défavorisépar la sentence, mais
dans I'ooinion oubliaue internationale. aue l'exécutionoourra être
indéfiniment différé;ou mêmerefuseej. »

111. Ainsi par un long travail de réflexionet d'échangeau sein de
la Commission, ses membres débouchèrent-ils rapidement sur l'intewen-
tion de la Cour Internationale de Justice «comme la seule acceptable ».
Et le modèle de règlessur la procédure arbitrale finalement adopté par la
Commission en 1958 prévoit à son article 26, paragraphe 1 :
«Si dans les trois mois de la date où la validitéa étécontestée, les
Parties ne se sont pas mises d'accord sur une autre juridiction, la
,. .Co,urInternationale de Justice est compétente pour prononcer, sur
'' . la demande 'del'une des Parties, la nullité totale ou partielle de la
sentence. »

Les hksitations expriméesjusque-là sur l'existence d'un organe devant
lequel porter l'action en nullité contre une sentence arbitrale, n'avaient
ainsi plus lieu d'être.

1 Annuoirede la Cornmirriondu Droit Internatio1950I.l,p.144.
Annuoiredr la Cornrnis~inu Droit Inrcrnarion1950I,l,p.145.
j Idem. p.146.112. L'arrst de la Cour internationale en date du 18novembre 1960,dans
l'affairedela sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le 23décembre
1906.a confirméla comoétence rationemareriaede la Cour su~ ~ ~ ~ ~ ~ ~~~~-~ -~
l'article 36,paragraphe i du Statut pour prononcer la nullité d'une sen-
tence arbitrale.
Les deux Etats Parties à cette cause, le Honduras et le Nicaragua, avaient
acceptéla juridiction obligatoire de la Cour conformement à l'article 36.
paragraphe 2 du statut, non pas au moyen de deux déclarations séparées;
mais par I'article 31 du pacte de Bogota auquel ils étaient Parties l'un et
l'autre. -

Le Honduras avait d'ailleurs précisédans sa requêtequ'il demandait à la
Cour de :
«Dire etjuger...que la non exécutionpar le Gouvernement du Nica-
ragua de la sentence arbitrale prononcée le23 décembre 1906par S.
M. le Roi d'Espagne constitue une violation d'un engagement inter-
national au sens de I'article36.ch. 2 (c) dustatut de la Cour interna-
tionale de Justice et du droit intemational général '».
Or, non seulement la Cour n'apas contestésa propre compétencesur une
telle base. mais encore. bien aue déclarantla sente~ ~ ~ ~~~~~~-~~~ ~----
toire et le'~icara~ua tenu de l'éxécutere ,llea admis que lesgriefs allég:is

par le Nicaragua, s'ilsavaient étéreconnus fondés.auraient entraînéla nul-
lité de la sentence.

113: Elle a ainsi écartécomme non recevable l'hypothèse d'un
appel contre la sentence, mais explicitementreconnula rei&abilitéd'une
demandeen nullité.
La Cour fit remarauer dans ce sens aue :
«la sentence'n'étant pas susceitible d'appel, elle ne peut entre-

prendre l'examen des objectionssoulevées par le Nicaragua à la vali-
ditéde la sentencecomme le ferait une Cour d'appel. La Cour n'est
pas appelée dire si l'arbitre a bien ou mal iuaé.Ces considérations
et celles qui s'y rattachent sont sans pertinence pour les fonctions
que la Cour est chargéede remplir dans la présenteprocédureet aui
sont de dire s'ilest pÏouvéque la sentence est nulle et de nul effet f.
Par cette décision leshésitations, précédemmentexprimees sur le fonde-
ment de la compétence de la Cour pour déclarer nulle une sentence arbi-
trale, se trouvent levées.

114. Le long chemin de réflexionsuivi Darla doctrine deouis la fin
du XIX' siècleet f6nctué fortement par les tirmes mêmedu Modèle de
Règlessur laprocédure arbitrale adoptéen 1958,a connu ainsi son aboutis-
sement.
Laconceptionactuelle de la compétencede la Cour, en application des dis-
~ositions de I'article36. oaranraohe 2 de son statut. conduit A la oossibilité
;l'y inclure une action en inëxiitence et nullité d'une sentence arbitrale.
Ainsi se trouveassuréela compétencede la Courdans la présenteflaire.

~ p
' C.I.J. Rec. 1960. p. 195.
C.I.J. Rcc. 1960, p. 214. CHAPITRE III

LE COMPROMISD'ARBITRAGE DU 12 MARS1985

115. 11pourrait paraître inutile de rappeler ici que tout Tribunal
arbitral et toute sentence arbitrale tiennent leur autoritédu compromis et
ne la tiennent que de là. tant la chose semble aller de soi.

Ce rappel fera iependant l'objet d'un premier point. II est rendu néces-
saire, puisque le Gouvernement du Sénégalsemble conférerau document
oroduit le 31iuillet 1989une autoritéde sentence arbitrale au.~~e~ ~~ ~ ~~ ~ ~~
Peut puiser dans le compromis aux prescriptions duquel il ne répondpas.
Une analyse du com~romis intervenu entre le Sénéaal-t la Guinée-Bissau
sera développée ensuitearticle par article.

1.Le compromis, sourΠlimitative et imphrative
des pouvoirs du Tribunal

116.. L'arbitrage international est un mode de règlement des diffé-
rends entièrement soumis à la volontédes Etats. II ne peut prendre nais-
sance que par l'accord de ceux-ci qui décidentalors, par un libre engage-
ment de leur part, de confier à une ou plusieurs personnes tierces de leur
choix. le soin de décider de l'issue d'un litige survenu entre eux.
L'étenduedes pouvoir des arbitres. la procédürea suivre, les contours et
les limites du problème posCau Tribunal. les règles qu'ildcvra suivre dans
l'élaborationde la réoonse.dévendent des termes de I'eneaeement arbi-
tral. Ne reposant sur aucune a"tre base, chacun de ces élémentsest fonc-
tion de la manifestation concordante des volontés expriméespar les Etats
dans l'accord qui préside seulaux destinées du Tribunal et de son Œuvre.
Ainsi un Tribunal compétent en vertu d'un engagement valable doit-il
fonctionner conformément au compromis dans ?eiacte mesuredes règles
prescritespar celui-ci.

117. Ce qui vient d'être rappelé ici découlede la logique mêmede
l'institution arbitrale et des principes générauxdu droit universellement
reconnus
Il serait possible et facile d'accumuler les citations doctrinales et les réfé-
rences textuelles d'ap..i montrant la force et l'universalitéde ces orin-
cipes.
II a paru superflu de le faire. et préférablede s'arrêterseulement au
ode le de regles sur la procédurearbitrale, puisque ce document est le
résultat du travail autorisé de la Commission du Droit International.
Quelques passages décisifsce texte, confirment ce qui a &téavancé plus
haut.

118. Les trois premiers alinéas du préambule disposent en effet:
«L'engagement d'arbitrage est fondé sur les règles fondamentales suivantes:
1. Tout engagement de recourir à I'arbitrage pour la solution d'un
différendentre Etats constitue une obligationjuridique qui doit être
exécutéede bonne foi.
2. Cet engagement résultede l'accord des Panies et peut viser des
dilTérendsdéjànésou des différends éventuels.
3. Les dispositions pertinentes ici pour souligner et renforcer la
dépendance dans laquelle toute la procédure et son résultatse trou-
vent par rapportà l'engagement initial, sont la réféiencà l'accord
des Parties, au fait que cet accord fonde une obligationjuridique qui
doit êtreexécutée de bonne foi, enfin la précisionselon laquelle un
document écrit est nécessaire. »
Ainsi par un écrit,référencecommune qui permettra en cas d'égarement
de ramener le Tribunal àce aue les Parties ont voulu, les deux Etats aui
vont à l'arbitrage créent entré eux une obligation, celle d'agir en appli-
cation de cet écrit et de bonne foi.

119. Le Modèlede règlesétablipar la Commission du Droit Inter-
national va plus loin dans la Précisionrélarivementau compromis. IIénu-
mère à I'anicle 2 les stipulations minima que l'acte écrit doitcomporter
(engagement d'arbiiragc, objet du différend, mode de constitution el
nombre des arbitres) et indique ensuite celles qui sont souhaitables dans
une énumérationdont il estrelevé au'elle n'est oas limitative (rèales de
droità appliquer, pouvoir de faire de; recommandations aux ~a;tiei, pou-
voir d'édictersesrèales de orocédure.orocédure àsuivre. auomm. maio-
rité,délais.possibiliïéou non d'opinions dissidentes ou individuelles. lin-
nues àemployer. répartitiondes frais et dépens,services susceptibles d'être
aernandés à -la Cour).

120. Sil'on se réfèreàcette liste, lecompromis passéentre le Sénk-
gai et la Guinée-Bissaule 12mars 1985est, comme le montrera son com-
mentaire, un texte rigoureux. Sans entrerdans un excès de stipulations
détaillées,il représentait un engagement d'arbitrage permettant un bon
fonctionnement de la procédure prévue.
D'ailleurs il n'y eut pas, pendant la duréedes différentesphases de'arbi-
traae. d'incidents à relever de ce point de vue.
Ets'il est vrai que chaque Panie est en mesure de réagirpendant tout le
cours du procèscontre les actes du Tribunal ou de la Panie adverse qui ne
lui paraitraient pas conformes aux règlesadoptees, aucune réactionde ce
type ne se produisit, parce que les Parties ne furentjusqu'au prononcéde la
((sentence », informées de rien que leur eût paru suspect relativement à
l'application du compromis.
Le Tribunal lui-même nefit rien savoir aui laissât transparaîtrequelaue
dificulté dans sa tâche. La duréedu délibkré fut,comme Celaa éteremar-
aue dans le premier chapitre, particulieremenr longue. mais les domiciles
&oignes destrois arbitres et les activitésprincipal& importantes de deux
d'entre eux pouvaient à juste titre tenir lieu d'explication.
Et le Tribunal n'avait oas fait savoir aux Etats au'une lacune fûtoarue
dans ses pouvoirs et q;'ils eussenà la combler en précisant lestermes de
leur engagement.

121. Tout portrait donc àcroire que l'arbitrage s'achèveraitparune
décisionprise en stricte application du compromis dans le champ délimitéà cet effet par les Parties lors des négociations ayant conduit à l'engage-
ment initial.
Le cadre ainsi fixé à l'action d'un Tribunal est d'interprétation stricte.
Celui-ci ne peut ni le dépasseren statuant au-delà de la ou des questions

posées,ni rester en deçà en donnant une réponsepartielle ou sectorielle.
II s'agit d'un cadre limitatif (aui ne saurait êtreélargi).mai- aussiimpératif
(qui ne peut être modifié).'
Le commentaire détaillé du compromis va montrer maintenant quelles

bornes préciseset claires étaient fixées à l'action du Tribunal et en quoi
celui-ci ne les a pas respectées.

2. L'analyse du compromis d'arbitrage

122. Plusieurs articles dc l'accord ;irbitr;il du 12 niars 1985 n'ont
1'311I'objer d'aucune discussion diIlicile, pasplus lors des negociations que

nendani ~ ~.~~~~d~~e~~~in~~ ~e~ difTicultL's <ictucllcs résultant de ce1arbi-
trage sont-elles sans lien avec ces articles. II a donc paru inutile de les
commenter. II s'unir des articles 1': 3, 5. 6. 7. 8. 10 (1 et 3). 11 12)et 12.
On notera toutefors, car cela est sansdoute un signe des difficultés à s'ac-

corder recentréesDar les deux Etats. le non-respect de l'alinéa 2. para-
graphe 2 de article premier qui prévoyait la nomination des arbitresdans
un délai de soixante jours.
C'est plus d'un an qu'il fallut pour que le Tribunalfût completcomme cela

a étérelaté au premier chapitre du présent mémoire.
Les autres articles appelleront des commentaires plus importants. On ne
les analysera pasdans l'ordre des numéros qu'ils portent dans le compro-
mis, mais en fonction de l'ampleur des problèmes qu'ils ont soulevés.

Article II (1)

123. La rédaction de cet article avait fait i'objet de laborieuses
néeociations aui ont été retracées dansle comote rendu des faits.
~a-~uinée-~i&au avait proposéun texte écartant toute possibilité d'acti-
vité dans la zone enlitige et d'ex~loitation desrichessesqu'elle contient '.

Le Sénégalprétendaitpendant ia durée de la procédure, garder
«sa souveraineté oleine et entière sur la zone considérée2».
En nieniionnant une souveraineté <<pleinc ct entiere ,.le projct sCncgalnis
allait trks au-delù desdispositions de I:i Convcnrion dei Nation\-Unics Jur

le droit de la mer qui nementionne la souverainetéque pour la mer territo-
riale et ne prévoit au-delà que des droits souverains (art. 56 et 57).
Cet article fut le plus longtemus en litiae comme cela apparaît àla lecture
dec procés-verhx".; d-s &oc;alions ',-et cela est rr'v~citcur de I'nltitudc
dcs ncaociatcurs sénégalaisdont Icspositions ont étécn maintc, occasions

maximalistes.

124. C'est dans l'ultime phase des négociations, celle dont le suc-
cès résulta d'une rencontre des chefs d'Etat eux-mêmes, quele cas

1 Livre V. annexe 10.article II.
Livre V. annexe Il. article II.
' Livre V. annexe 12.de cet article fut tranché au profit de la rédaction suivante:
« aucune activitédes Parties pendant la duréede la procédure ne
pourra êtreconsidéréecomme préjugeantde leur souverainetédans
la zone obiet du comoromis d'arbitrage.»

Si les activitésn'étaient pas-interdites, leur~conséquences relativement
aux droits de chacun des Etats sur la zone étaient strictement limitées ce
oui rendait le texte acce~table oour la Guinée-Bissau.
Cet article ne fut pas invoquéensuite. Aprèsles incidentsdu débutde I'an-
née1984(donc antérieurs à la conclusion de l'accordde comoromis). ,,iln'.
eut pas d'autres tentatives d'exploitation pétrolière.

ARTICLE IO, paragraphe 2.

125. 11dispose :
((2. La sentence sera définitiveet obligatoire pour les deux Etats
uui seront tenus de prendre toutes les mesures Que comoorte son
exécution. n
La Guinée-Bissaua eu l'occasion dans le chapitre précédentd'exposer à la
Cour l'interprétation qu'elle faitde ce texte en accord avec les principes
relatifsà la nécessaire validitéd'une sentence et aux conditions de son
exécution
Elle soutient et maintient que l'obligation de respecter la ((sentence » est
une oblieation fondée sur une condition ou olutôt sur un ensemble de
conditio~s qui tiennent au respect par le ~ribunal des stipulations fixées
dans le comoromis.
Elle pr:icnd quc iclle csi la seulc intcrprctaiion possible de 13disposition

conicnuedans le paragraphe 2de cei xriiile. Touie autre inlerpréiaiion fer-
merait radicalement la oorte àla ~ossibilitéde l'inexistence ou de la nullité
absolue de la sentence'pour excis de pouvoir. Elle donnerait aux arbitres
un oouvoirincontrôlé et illimitéet viderait de toute sienification les dis.o-
sitions du compromis indiquant aux arbitres le chemin à suivre.

C'est dans le mêmeesprit au'il faut lire le membre de phrase relatif
au fait que les deux Etats «seront-tenus de prendre toutes lesmesuresque
comporte son exécution » carcette obligation impérativen'est faite qu'aux
mêmes conditions
IIn'est sans doute pas inutile de rappeler que dans l'histoire de l'arbitrage,
un Etat avant soulevé une obiection relative à l'invaliditéde la sentence
pour excgsde pouvoir ou pou;toute autre cause, s'est refuségénéralement
à I'exécuterjusqu'à ce que l'invalidtésoit tranchée :
«II est de principe certain que. si l'arbitre excèdeles limitestracées
par le compromis à sa compétence. il appartient à toute Partie de
iéoondre àson excès de oouvoir oar unrefus d'exécution.
. ~~ ~ ~ ~
Cette affirmation n'enlève rienàiyobligati:ond'exécuterquidemeure, mais
uui n'existe uue dans le cadre conditionnel du resuec. var.leTribunal des
dispositions de l'engagement d'arbitrage.
127. 11est une autre condition à l'application de l'article 10,para-
graphe 2: celle de la possibilité mêmed'exécution.

1 A.de La PradelletN. PolitiRrnrcilderorbirrogciniernotionoux. Tom1.p.391.ipro-
pas de lsentencearbitralduIO janvier 1931edu rerupar lesEtats-Unis de l'exécuter. L'impossibilité matérielle d'exécution d'une norme est, dans tous les sys-
tèmes de droit une cause d'exonération de l'obligation.
La délimitation. on le sait. n'aoasétéo~éréeàl'issue decet arbitrage. Rien

n'est dit de lazone économique exclusive et le texte ancienqui est
confirmé comme base dela délimitationdu plateau continental ne l'est pas
comme base de la délimitation d'ensemble et ne saurait y pourvoir:
II ne correspondait pas à la largeur actuelle du plateau continental dont
une oart imoortante se trouve ainsi hors toute délimitation.
-' ' seul; une ligne unique (de synthèse) peut accomplir la délimitation
demandée. Dar conséauent la confirmation d'une ancienne délimitation
partielle d~'~lateau continental ne saurait valoir accomplissement de la
démarche reauise.

La ~uinée-~lssau se voit donc dispenséeel par une causejuridique: la
non-réalisation des conditions implicites nécessairesà la réalisation du
caractère obligatoire de la sentence, etpar une causematérielle : I'impossi-
bilité d'exécution, de l'application de l'article 10, paragraphe 2.
Cecine remet pasen causelecontenu ni la portéedece texte, lesquelssont
seulement dépendants de la réalisation des conditions.

ARTICLE 4

128. « 1. Le Tribunal ne pourra statuer que s'il est au complet.
2. Les décisions du Tribunal relatives à toutes les questions de
fond ou de procédure,y compris toutes les questions concernant la
compétenci du Tribunal et l'interprétation du compromis seront
prises à la majorité de ses membres.))
Les prescriptions de cet article4 sont de celles (avecun autregrouped'arti-
cles qui sera analyséensuite) qui ont étéà l'évidence violéespar le soit-
disant sentence du 31 juillet 1989.

129. On rappellpra d'abord l'étrange absence de l'arbitre André
Gros lors de la séancedu 3l juillet 1989au cours de laquelle le fruit destra-
vaux du Tribunal devait être porte à la connaissance des Parties.
II s'agissait d'une seancedu Tribunal d'une particulière importance.
Bien qu'elle ne fût pasdestinée à «statuer» et que par une interprétation
formelle et stricte il serait possible de ne paslui appliquer l'article 4, para-
graphe I exigeant que le Tribunal fût au complet, comment ne passouli-
gner l'affaiblissement que cette absenceoccasionnait àl'autorité du Tribu-

nal?

130. Comment ne oass'en étonner. d'autant olus qu'il s'agissait de
l'absence del'un des deux arbitres qui avaient voié la ksentetÏce»?
L'auteur de I'ooinion dissidente était présent.Mais celui qui avait soutenu
IiG.dciision ,,n':iv;iit p:tsjug? bon de sedCp13cerpour assunier par sapre-
sence physique la re~pons.ibiliie de ses choix. II avüii pourtant une part
-~~i-i\,ede l~ ~~ ~onsahiliié du rcsuliai et II la oortait nariiellenient sri11
.~ ~
puisque I'iutre cocipnaiairc ;ive? lui de la.sentence #Oiisavoir le prCsidcni
du Trihun~l. \'eiait I.irremcni dcsolldarisr: de 13 <<dCcision par unc dcsld-
ration sur la portée di laquelle on tentera de faire toute la lumière.
N'y avait-il pÿs là comme un aveu de l'échec du Tribunal à trancher le
différend?L'arbitre AndréGros, fort averti, de par sa longueexpérience de lajustice
internationale. desconditions nécessairesau succèsd'un arbitrrge, n'avait-
IIpas parfaitcnicnt co:iipris qdc la déclarationdu prcsidcnt avaÏt defait cc

qui avait semhlé(en apparence seulcnient) sc faire par I:isignature du texte
donné oour sentence? N'était-ce oas là le sens de son absence?
Tout le confirme et plus particuli~rement la confrontation des résultats
avec les termes emolovésdans le oar.ara-.e 2de l'article 4 aui seront exa-
minés maintenant:

131. Le sens de ce paragraphe ne prête à aucune confusion. II
décidedes modalitésde vote instituéesau sein du Tribunal oar la volonté
des deux Etats.
Dèslors que le Tribunal arbitral comporte plus d'un arbitre, il faut prévoir
en effet les conditions nécessaires à la formation de la décision.
Latradition sur ce point est établiede longuedate. IIestinutile de réquérir
l'unanimité.
«La règlede la majorité ainsi établie,se justifie par le principe qui
est à la base de toute l'organisationjudiciaire internationale. Dujour
où l'accord des Etats s'est fait sur elle, lajustice internationale suit
une destinée indé~endantede la volontéde I'un ou l'autre des liti-
gants: à l'instant héme où ilse produit entre Etats, le phénomène
juridictionnel se libère, se dégagede la volontéde chacun d'eux 1 .»
Instituer la règle de la majoritédans une formation arbitrale à trois, cela
signifie prévoirle cas dans lequel la décision pourrait êtreprise à deux

contre un.

132. Bien que l'idéalde tout présidentde Tribunal arbitral soit de
rallier les deux autres arbitresàune solution unanime puisque c'est alors,
par la médiationdes arbitres choisis par I'unet I'autre Etats, s'assurer de la
satisfaction commune desreauérants et. oar voie de conséauence. assurer
le succèsde l'arbitrage, le procédé arbitraiqui participe àlajustice'interna-
tionale doit compter avec l'hypothèse d'un ralliement partiel.
Deux voix sur troisassurentalors à la sentence une base suffisante. Lepré-
voir dans le compromis. c'est pour les Etats s'engager dans une voie qui
comporte des risques. C'est aussi accepter ces &ques.
Comme il est peu vraisemblable que la majoritésoit acquise par rassem-
blement des voix des deux arbitres nationaux. il revient alors au orési-
dent, s'il n'aputrouver dans le cadre d'application du compromis une'solu-
tion satisfaisant ses deux collèaues. de en cherclairement vers I'un ou
l'autre et de constituer ainsi 1; ma,oritk.

133. C'est cette hypothèse qui était classiquement prévue au
comoromis.
Stipulant que les décisionsseront prises a /u ~~rujoriredcses nicmbres. I'ar-
ticlc 4. ~arxrr3~he2écxrtaitla nécessited'une unanimité. niais éiablissait
expre&ément Cellede deux volontés pleinement concordantes parmi les
membres du Tribunal pour qu'il Y eût sentence.
I>xrticuliércmcniprécicet enumératil'quant aux dcc~sionsconccrn6es par
cette neccssitc. le conipromi\ arbitriil cntre le Sénégaelt la Guinec-Riwau

'J.C.Witenberg. Lbrponlsorionjudicloirprocédurrrlosentence;niernarionole-.Pedone.
1937,p. 28el suivantes.y incluait a lesdécisions relativesà toureslesquesrionsdefond ou deprocé-
dures. et comme si cela eût encore laissésubsister auelaue doute. il ren-
iherisiait ty sonipris todt~s lesquestions concirn;ini Io c;>nrpir<~nc~~T~r<-.r~ri
hunal et I'inierpreiar~ondu conrprottrns».(Souligne par I'esposant.)

134. Les conséauences decette disoosition sont inéluctables. S'il
apparaît que quelque dkcision que ce soit, préliminaire comme peut l'être
une auestion de comoétence(et nécessairement et loeiauement oréalable
à touie decision de 16nd) ou d'interprétation du coniproniis ou encore di
proiidurc. ou principalc coninie Ic sont Ics d2cisions de fond. aitet? prise

sansreposer sur le I'ondenient établi d'au nioins dcuv volont&s consordan-
tes. alors les conditions niëme d'existence de la t<sentence ,>n'étant pas
réunies,l'apparence de celle-ci s'évanouit pour laisser place à une rialite
incontestable. celle de l'absence de dciision.
Telle chi. selon l'analyse dc la GuinCe-Biss<iu. I'intcrpretaiion exacte du
contenu de l'article 1, paragraphe 2 du coniproniis du 12 mars 1985.

Les dévilo~~cnients du chanitre IV de cc ni?nioirc L'tabliront comnient a
manquéd&s cette affaire la'base d'accord nécessaireau moins entre deux
des arbitres pour fonder une réelle sentence.

ARTICLES 2 et 9

135. Les articles 2 et 9 du compromis arbitral doivent maitenant
être I'obietd'un commentaire détaillé. Relatifsaux auestions poséeset àla

structure de la sentence. leursprescriptions devaient Eire scrupuleuscmcnl
res~ectCcsDarIc Tribunal. S'en écarter cubstantielletiicnt equi\,.~lait pour
lui-à tomber dans l'excès de pouvoir, ce qui s'est produit.
Ces élémentsde reng.ge-ent arbitral et leur interprétation sont au cŒur
du présent litige.
L'alternative est en effet la suivante:
ou le Tribunal a, dans la ((sentence » proprement dite, respectéla volonté

des Parties telle qu'exprimée dans cesarticles, et si cela est confirmé il n'y
a oas lieu de s'attarder à l'hvoothèse d'un excès de oouvoir:
O" le Tribunal a commis un eXCèsde pouvoir en ne respectant pasles iodi-
cations (imoératives).exor.mées dans le com~romis et aui sont les seules
basesde'sacompétence, etla nullité absolue s'impose, la cour n'ayant plus
qu'à procéder à sa constatation.

136. L'interprétation de ces articles revêt donc la plus grande
importance. Le guide en la matière sera l'article 31 (paragraphe 1) de la
Convention de Vienne du 29mai 1969sur le Droit desTraités,qui apparaît
comme la codification du droit coutumier.

«Art. 31. Règle généraled'interprétation.
1. Un traité doit êtreinterprété de bonne foi suivant le sensordi-
naire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la
lumière de son objet et de son but.))
Si cela semble nécessaire,il sera possible d'utiliser le préambule (article
31, paragraphe 2 de la Convention de Vienne), de tenir compte de toute
pratique ultérieure par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de

l'interprétation du traité (article 31, paragraphe 3). et aussi de faire appel «aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le
traité aétéconclu. ))(Article 32.)

Conformément i ccttc méthode,l'analysetextuelle des articles pcriinents
scia mencc i la luniicre de I'objctcl du hut de I'engagenient. Lccontexte.
les travaux préparatoires et &pratique ultérieureseront utiliséschemin
faisant pour confirmer l'interprétation.

137. L'article 2 du compromis du 12 mars 1985 prévoit:

du droit international sur les questions suivantes:aux normes

1. L'accord conclu par un échange de lettres, le 26 avril 1960,et
relatifà la frontière en mer, fait-il droit dans les relations entre la
République de Guinée-Bissau et la République du Sénégal?
2. En cas de réponsenégative à la première question, quel est le
pectivement de la République de Guinée-Bissauet de la Républiquetres-

du Sénégal ?»
L'article 9 énonce :
« 1. quand les procédures devant le Tribunal auront pris fin, celui-
ci fera connaître aux deux Gouvernements sa décision.auan. .ux
2. Cette décision doitcomprendre le tracéde la liane frontière sur

experts techniques pour l'assister dans la préparationde cette carte.
3. La décision sera pleinement motivée.
4. Les deux Gouvernements décident ou non de publier la sen-
tence et/ou les pièces de procédure écritesou orales.))

138. Quatre conclusions découlent, sans soulever de doutes, des
termes employés :
- la totalitédes territoiresmaritimes devait êtredélimitéepar le Tribunal;
- L'hypothèse de deux lignes différentes pour le plateau continental et
oour la zone économiaue exclusive était écartéeau orofit d'une liane -
unique ;
- Les Parties demandaient au Tribunal une délimitation achevéeet non
des élémentsou une méthode pour délimiter eux-mêmes.
- La double question posée (liée àla nécessitéde motivation) laissait au
Tribunal un choix de solution et de voies de droit poury conduire. IIfallait
seulement que les deuxquestions soient vidées,les réponsesmotivéeset la
ligne tracée.

139. La ~remière conclusionest relative au but età I'obietde I'arbi-
trage et de l'engagement compromissoire qui le permet, àsavoir l'entière
délimitation des espaces relevant des juridictions nationales respectives
des deux Etats.
Cet objectif global est indiqué à plusieurs reprises:
«II estdemandé au Tribunal de statuer sur lesauestions suivantes)).
(article 2).
Aussi les deux questions doivent-elles êtreélucidées.
«Celui-ci (le Tribunal) fera connaître aux deux Gouvern&nents sa décision quant aux questions énoncéesà l'article 2 du présent

compromis)). (Article 9, paragraphe 1.)
Chacune des questions mérite donc une décision.
«...quel est le tracéde la ligne délimitant lesterritoiresmaritimes ..»
(Article 2, paragraphe 2.)
Tous les espacesmaritimes sont enjeu ainsi qu'il résultedu pluriel utilisé.
Aucune distinction n'est introduite privilégiant telle ou telle catégoriede
zones sous juridiction nationale.
Le caractère global de la délimitation recherchéeest confirmé par les ter-
mes employés dans le préambule (contexte).
<<Reconn,iiçsant qu'ils n'ont pu r>.ioudrc par \,oitde negociaiion
diplonidtiquc Ir. dillërend rclatil'à In détermination de leurJrr>nrim~

maritime.n...
L'expression «leur frontière maritime)) ici employée dans le texte intro-
ductif du Préambuleest, par sagénéralité,une preuve supplémentaire que
l'objectif recherché est une délimitation complète dans toute l'extension
possible des zones ou peuvent s'exercer les droits des Etats riverains.

140. Au-delà des mots choisis et au demeurant parfaitement clairs,
la logique interne de l'article 2 du compromis renforce l'identification du
but.
Cet article est construit en deux questions successives,la seconde par sa
place mêmeétant la question essentielle.
La orernière est une auestion oréalablevar raoo..t àladétermination de la
limite des espacesmarins. '
II faut l'élucider d'abord, puis passer à la seconde s'ily a lieu,c'est-à-dire
dans l'hypothèse où la réponseà la première ne couvrirait pasl'enjeu total
du différend : l'ensembledes espacesmarins.
L'histoire de la négociation éclaire l'articulation des deux questions.
L'exposédes faits a mis en lumière comment le Sénégav l oulait qu'il n'y

eût qu'une seule question, la première. II prenait ainsi le risque d'une déli-
mitation non effectuée (si l'échangede lettres ne faisait pasdroit) ou par-
tielle (s'il ne faisait droit que pour certaines zones).
La Guinée-Bissau n'en voulait qu'une aussi : la secondeamputéedes9 pre-
miers mots..

141. Le compromis emporté à l'arraché lors d'une rencontre au

plus haut niveau se fit par l'addition des deux questions et l'introduction
d'un raccord: les 9 premiers mots de la seconde question.
Les deux Etats avaient fait chacun une concession. La Guinée-Bissau avait
acceptéque le Tribunal examinât d'abord un texte qu'elle avait toujours
considérécomme lui était inopposable et comme étant invalide.
Mais elle n'avait fait cette concession que parce que le Sénégalpour sa
part, en avait fait une,savoir que l'arbitrage ne sebornait plus àla confir-
mation ou àl'infirmation de l'accord franco-portugais, mais que quel que
fût le sort réservéà ce texte (délimitation inexistante, partielle ou totale),
désormais les deux Parties acceptaient le principe d'une délimitation
complète.

142. D'ailleurs à l'occasion des mémoireset plaidoiries, le Sénégal
ne remit pas en cause cet objectif. II déploya, certes, tous les arguments
qu'il put trouver pour convaincre le Tribunal que cette délimitation totalepouvait et devait se faire sur la ligne d'azimut acquise par I'accordfranco-
portugais, mais il ne restreignit jamais l'objet de l'arbitrage à telle ou telle
catégorie des espaces marins sous juridiction nationale.
II déclara :
«Si le Tribunal arbitral parvient à la conclusion que tel est le cas, la

frontière maritime entre les deux Etats est formée sur touteson éten-
due par l'azimut 240 O...S'ilest admis que I'accordde 1960a étévala-
blement conclu et lie les Parties, c'est lui et lui seul, qui fait droit en
ce quiconcerne la frontière maritime séparant l'ensembledesdomai-
nes maritimes...'. ))
«...Si la validith de I'accordde 1960est confirmée,la ligne établiepar
cet instrumentforme la frontière maritime entre les deux Etats, qu'il
s'agisse de la mer territoriale, duplateau continental ou des zones éco-
nomiques exclusivesz. » (Passages soulignés par l'exposant.)
Ainsi. contrairement àce aui avait étrangementétésoutenu uubliauement
par l'agent du Sénégal à ~akar le 8 août1989', la zone économiq"e exclu-

sive entrait parfaitement dans l'enjeu dudifférendet les deux Etatsavaient
étéd'accord sur le choix des mots et le sens à leur attribuer pour couvrir
une délimitation d'ensemble.

143. Une seconde conclusion s'imuose àla lecture des articles oerti-
nents ducompromis :les deux Etats ont,d.un commun accord, écarté'l'hy-

pothèse (acceptable cependant dans le droit de la mer contemporain) de
deux lignes différentes,et ont opté pour une ligne unique partageant Pen-
semble de leurs territoires.
Ce choix~ ~t~ ~f~ ~~~~-~~
- à l'article 2:
« Ouel est le tracé de la l-ene délimitantles territoires mariti~ ~ ~ - ~ ~ - ~ ~
- à l'arccle 9, paragraphe 2 :
«cette décision doit comprendre le trace de la lignefrontière sur une
carte.»

II est confirmé par les termes du préambule
«le différend relatif à la détermination de leur frontière maritime »
et l'usage du singulier qui y est fait.
IIest corroboréde manière insusceptible de confusion par les écrituresdu
Sénégal.
«Les Parties souhaitent une ligne divisoire unique4. »

144. Le lroisieme conclusionqui résulteavec certitude de la lecture
de cesarticles tient à la nature de la demande faite au Tribunal. Ce n'était
ni une denisnde portant sur une question préalableou partielle dont 13
réponseeut permis sïulement de dégager l'horizondes deux Etais pour
qu'ils poursuivent leur négociation en vue de la délimitation, ni~une
demande portant sur les principes de la délimitation seulement, laissant
aux Etats le soin d'appliquer ces principes au cas concret.
L'objet de la demande était une délimitation complète et achevée.

' Livre IIContre-mimoiredu Sin6got.p 34 et35.
LivreII,Conrre-mimoire du Sénégo l,360.
' Livre V,annexe no 17.
' LivreII,Contre-mimoire du Sénégo l.35. 145. En atteste le choix des mots de l'article 2, paragraphe 2:
«Quel est le tracé dela ligne délimitant...»
Mais surtout la recherche de précisionet de certitudevoulue ensemble par
les deux Etats apparaît sansdétourdans la première phrase du paragraphe
2 de l'article 9:
« Cette décisiondoit comprendrele tracéde la lignefrontière sur une
carte.JI
Chaque mot de cette phrase pèse lourd de signification sur la réalitéde la
volonté des deux Etats.
Le tracésur une carte est une obligation. La décisiondu Tribunal doitle
comprendre. Le Tribunal n'en est &pensé dansaucune hypothèse.Ce qui
est viséest une ligne (une seule) dont le tracédoit apparaître matérielle-

ment sur une carie. ~a carte est partie de la décisionielle en est un élé-
ment, une composante, elle est comprise dans la décision.
Un raccourci nondéformant pourrait doncêtreformuléainsi :pasde carte,
pas de décision.
II n'ya eu aucune ambiguïtédans le choix des mots de ce texte par les Par-
ties. Le cadre fixéau Tribunal était clair et impératif.

146. 11reste. en suatrieme mnclusion. Dourfaire un commentaire
complet du compromis,~à s'interroger sur son maniement.
Le but de l'arbitrage était à l'évidence un délimitation con~plète et établie
par une ligne unique. Mais il étaitnécessaired'abord de s'interroger sur la
valeur de l'échangede lettres franco-portugai. et sur sa portéeéventuelle
dans cette délimfiation.
N'y avait-il pas danscette combinaison d'exigences quelqu'impossibilité?
Pouvait-on marier une rileine délimitation. une linne uniaue et une éven-
tuelle valeur totale ou'partie~ie reconnu; à l'échangedélettres?
Comme c'est habituellement lecas dansun litige remis entre les mains de
tiers qui doivent en décider,les Parties se sont livréesdans la procédure
devant le Tribunal à un jeu à fleuret moucheté.
Diverses hypothèses se présentaient dans la combinaison des exigences et
des deux questions.

147. Lapremière étaitcelle d'une réponsepleinement négative àla
première question qui laissait le champ entièrement libre à la recherche
d'une réponse à la seconde.
La Guinée-Bissau, Etat tiers par rapport à l'échange lettres franco-
portugais, connaissait bien les conséquences possibles pour un Etat des
traitéspasséspar lestiers. L'effet relatif des traitésest un principe cardinal
du droit international.
L'exce~tion construite autour des traités de frontières terrestres n'a Das
rencontré une acceptation universelle.

Jamais .ius~u'alors personne n'avait prétenduqu'ellevaudrait pour les déli-
~~~~~~~~~~-~~i~-~~~~~~~
Aussi, comme cela fut repris et solidement argumenté par lejuge M. Bed-
iaoui dans son ooinion dissidente. la Guinée-Bissau dévelo~~a-1-elle
i'in~~posabilitt?de'l'6changcde Iciircs franco-portdg31s.Fllc conclut sub.
sidiaircnieni ison invalidité.Cela ouvrsit cnsuiie ILI voic .i une dclimit;t-
lion ex nova.

148. Laseconde possibilitéconsistait à reconnaitre à l'inversede lapremière solution, la validité et l'opposabilité à la Guinée-Bissau de
l'échangede lettres de 1960.
Mais le Sénégal,tout autant que la Guinée-Bissau,savait évidemment et
dès lejour des négociationsde 1978où il retrouva cet accord et où il put
en peser les termes, qu'il ne «faisait droit » que pour leszones y mention-
nées: mer territoriale, zone contiguë et plateau continental, et cela dans
les définitionsdonnéesde ces institutions à l'époque (le plateaucontinen-

tal correspondait alors à une largeur d'environ 60 milles marins).
A supposer I'accordconfirnie, ilf2l;iii donc dlliniiter Icsurplu~du plaieau
continental pour I'éiendrejusqu'i 13 largeur contempor31ne (200 niilles
marins). IIfallait aussi délimiterla zoneéconomique exclusive en fonction
des principes équitables qui sont la règledu droit positif. Enfin, il fallait
manier les choses de manière à produire la ligne unique de délimitation
d'ensemble demandée par les Parties.

149. Le Sénégals'en tint à une position d'une extrêmerigidité.II

ne pouvait soutenir que I'accord franco-portugais eût abouti à une déli-
mitation complète et ne le fit d'ailleurs pas.
«Le Gouvernement du Sénégala établique la «ligne droite, orien-
téeà 240")) à partir du cap Roxo, définiepar I'accordprécitécomme
limite deseaux territoriales, deszones contiguës et du plateau conti-
.-.. .,..-.. -. . ..»
Mais il s'évertuacependant àfaire admettre pour ligne unique de délimita-
tion ci sur toutc la longueur iiiilc l'azimut 240". ccl;i11se dCt3chaen
cours de raisonnenieni de la base conventionnelle. iranco-portuguaise et
tenta de trouver des arguments à partir d'une pratique (en~réalité inexis-
tante) pour fonder la prolongation de la ligne jusqu'à la limite extérieure
actuelle du plateau continental, et son rehaussement depuis les fonds
marins qu'elle devait délimiter,jusqu'aux eaux sujacentes et à la surface,
que par une sorte de traction vers le haut, la ligne devait délimiterégale-
ment du point de vue du Sénégal.

150. Le Sénégalreconnut, au détour des pages, que la pratique2
serait« la source d'une oblieationnouvelle l» IIlui ~rêtaune double sieni-
fication :confirmer et compléterla ligne des 240" etablie par l'accordde
1960 :
«cette pratique a également complétéI'accord de 1960et lui a en
quelque sorte donnéune dimension supplémentaire. Elle l'aen effet
e~nrichisur le plan« vertical» en ce quiconcerne la délimitationde la
colonne d'eau su jacente ...'».

«...toute une pratique subséquente est venue enrichir et compléter
l'accord de 1960en exhaussant en quelque sorte la limite des 240"
aux eaux suriacentes. Le comportementdesEtats comme source de
droits et d'obligations dans les rappons interétatiques est si fécond
qu'il peut êtrepris en considération praeter legem, c'est-à-dire non
plus <(conformément àla loi écrite,mais «au-delà» de cette loi, pour

-
' Livre II. Conm-,ni,noire du Sinigol173.
dont iln'a pasréurrià prouver lconsistance
3 Livre III, DupirqduSénigol.p.97.
Livre III. Dupiiqu~ du Sinip.98. caractériser une pratique qui s'établit progressivement, soit pour
combler les lacunes de I'accord, soit plus simplement pour le com-
oléterdansdesdomaines aui n'avaient oasétéréelementéslorsde sa
Conclusionou qui ne po~~aientpas l'êireen raison de l'étatdu droit
à cette époque '.))

151. Ainsi, le Gouvernement du Sénégala-t-il soutenu que la pré-
tendue pratique
((complète I'accord de 1960 dans les domaines respectifs de la
défense, de la recherche hydrographique et de la pêche2.,,
C'est dire clairement, bien que les représentants du Sénégalne l'aient
jamais fait expressément,que leur raisonnement s'est développéen réalitéà
partir d'une riponse partiellement positive et partiellement négativeà la pre-
mièrequestion.
Toutefois, le Sénégala tenté de convaincre le Tribunal que pour la partie
de réponsenégative àla première question, ily avait lieu de répondre à la
seconde en utilisant la direction d'azimut 240",celle-là mêmeconvenue
entre la France et le Portugal pour la délimitation de l'époque.

152. Les responsables de la Guinée-Bissau savaientdepuis lejour
où ilsavaient eu connaissance de l'échangede lettres, quemêmedans l'hy-
pothèse d'une confirmation de celui-ci, la délimitation ne serait pas pour
autant complète. comme cela fut reconnu explicitement par le président
du Tribunal dans sa déclaration.
II faudrait donc, en tenant compte de I'accordde 1960,aboutir à une déli-
mitation achevée selon les exigences du compromis.
Les mots de l'article 2, paragraphe 2 du compromis:
«en cas de réponse négative à la première question...))
n'avaient étécomplétésd'aucun adverbe restrictif. Les négociateurs
n'avaient pas dit: en cas de réponse totalement négative.

153. Et lorsque le Sénégal,devant l'hypothèse, soulevée par la
Guinée-Bissau,d'une possibilitéde réponse partiellement positive, donc
partiellement négative,s'indigna qu'il yeût là des rajouts suggéréspar la
Guinée-Bissau', il faisait alors allusion à une manipulation de texte qu'il
était le seul a commettre.
C'en étaitbien une que d'envisager seulement le cas de réponsenégative
totale,puisque le texte n'avait pas ajouté l'adjectif: totale. Et d'ailleurs,
comme cela vient d'êtremontrépar les citations empruntéesauxécritures
du Sénégalc ,elui-cienfait,par son raisonnement, s'étaitalignésur l'inter-
prétationde la Guinée-Bissau (approuvée parle président)selon laquelle
la réponse négativepouvait, et mêmedevait si elle existait, n'êtreque
partielle.

154. La Guinée-Bissaumit cette possiblitéde manière trèsouverte
dans le débat4.

' ibidem. p. 219.iqu~du Sénés.. 171-172
Livre III, Dupliqu~du S+n&oo.37.
Livre III. Répliquede la Guinée-Bip.o248.Dès lors qu'une réponse positive serait donnée à la première question,
cette réponsene pouvant êtreque partielle, de multiples possibilitéss'ou-
vraient au Tribunal.
L'une fut évoquée' avec l'hypothèse où l'échange de lettres franco-
portugais n'aurait étéconfirmé que pour une catégorie de territoires
marins: par exemple les eaux territoriales. IIfaudrait alors délimiterle res-
te ex nova et la Guinée-Bissau soutenait qu'une délimitation équitable
prendrait alors le cap d'un autre azimut el-qu'on obtiendr~ir ainsi pour
I'ensemble des zones une ligne brisée. ce qui etait parfait~.menrconce-
vable

155. Devant le Tribunal s'ouvrait en réalitéune variétéde voies
possibles à emprunter qui lui permettaient les unes et les autres, à condi-
tion de les motiver convenablement, de résoudre le litige en respectant
I'ensemble des exigences poséespar le compromis.
En sus de la thèse défendue par la Guinée-Bissau (réponse totalement
négative à la première question et délimitation ex nova),il pouvait en effet
confirmer le traitépour ce qu'il valait alors,donc donner une réponseposi-
tive partielleà la première question et à partir de là:
1) rechercher quelle était en 1960la largeur du plateau continental,
décider selon des principes équitables de la prolongation de délimitation
du plateau continental,
et obtenir ainsi une ligne brisée pour la délimitation de cette catégorie
d'espaces marins ;
2) décider..elo~~.es nrincioes éauitables au'elle serait l~ ~ ~imitation de
la zone économique exclusive jusqu'alors non fixée:
3) se rrouvanr ainsi avec deux li-nes dilfërentes: une Ii-ne briséenour le
plateau continental et une autre ligne, droite celle-là, pour la zone'écono-
mique exclusive, faire la synthèse géométriquede ces deux lignes répon-
dant ainsi à I'ensemble des questions poséeset des exigences exprimées
dans le compromis.

156. Aucune impossibilité technique ni logique n'empêchaitde
respecter l'ensemble des prescriptions du compromis en répondant à I'en-
semble des questions ni n'entravait le déroulement du travail du Tribunal.
Dès lors, il semble opportun de conclure ce chapitre par où on l'a
commencé :lorsque deux Etats, ont dans un engagement arbitral écritet
d'interprétationaisée. décidé entre eux de soumettre un différendqui les
oppose à un Tribunal arbitral, cetengagement est la base préciseet étroite
de la compétenceconférée auxarbitres. S'ils s'enécartent,la ((sentence »
perd sa validitéjuridique. LesEtats sont alorsdispensés l'un envers l'autre
de toute obligation d'exécution.
Ainsi le veut l'application du principe quidomine I'ensemble des relations
interétatiques: Pacra sunr semanda.

' LivrIII. Réoliquedr Io Guinée-Bisp.248. CHAPITRE IV

L'INEXISTENCE DE LA PRETENDUE a SENTENCE

157. Le gouvernement de la Guinée-Bissau par la requêteintro-
duite le 23 août 1989a priéla Cour de dire etjuger que la prétendue«sen-

tence » du 3l juillet 1989
«est frappée d'inexistence par le fait que des deux arbitres ayant
constitué en apparence une majorité en faveur du texte de la «sen-
tence», I'un a, par une déclaration annexe, exprimé une opinion en
contradiction avec celle apparemment votée.))
Subsidiairement, il a prié laCour de dire que la «sentence»est frappéede
..-...-.
Au ~araara~he 17 de la reauête.ra~~elant les termes de l'article 4. Dara-
graphe 2-d" comproniis ïrbitral, il a'a.ppuyéla deniande en inexisicn& hur
Ic fait qu'aucune maiorilc (d'au molns deux nienibrci) nc s'etaii cunïiiiu~c
au sein du ~ribunal; ni sur le champ exact de sa sompetencc telle qu'elle

découlait des ternies du coniproniis, ni sur I'Stcnduc el la nature de la
réponse à apporter aux questions posées.

158. Parce que la demande ainsi formée porte concurrement sur
l'inexistence et la nullité. il sera utile de se livrer d'abord à auelaues
r6ilexion,, d'ordre sérnanhque et luridique la lois. rcldtives .i làdi>hnc.

lion entre ces deux niaux dont peul soulrrir Jne <sentencea.
Le terme inexistence est réservé,comme on le verra, à l'absence dûment
constatable d'un élémentindispensable à la réalitéde la sentence. L'élé-
ment manquant ici est celui d'une majorité au sein du Tribunal.
Ce manque devra donc êtredécrit et examiné. Pour ce faire, il faudra une
analyse minutieuse de la déclaration du président.L'on concluera alors par
un bilan des volontés telles qu'elles se sont expriméesà propos des diffé-
rents élémentsde décisions en cause dans l'affaire et par un rappel des
conséquencesde la non-formation d'une majorité.

I. L'inexistence comme catégoriedistincte de Is nullilé

159. 11peut sembler légitime de se demander quel est le senset la
periincnce d'unc disiin;tion entre les ;rcles incxistanls el les actes nuls
Le doute s'introduit, comnie c'est souvent le cas dans une réilexion sur
des catéeories.lorsaue l'on s'interroee surI'amoleur du ch am^de chacune
de ces &tégo;ies. ies franges laissent aperceboir alors des'cas ambigus
au'un COUD de Doucedonné d'un côtéou de l'autre oeut faire oencher DIU-
t'ôt dans "ne catégorie que dans I'autre.
II en va ainsi, à n'en pas douter, des actes nuls et des actes inexistants.

Ces deux sous-ensembles ont chacun quelques caractéristiques propres
qui font leur autonomie.
Toutefois, à l'intérieur de chacun d'entre eux, certains actes aux caracté-
ristiques moins typéesque d'autres peuvent basculer de I'un àI'autre selon
le tranchant plus ou moins grand du critère proposé. Cela tient au fait que si I'inexistence et la nullitéabsolue se rejoignent en
urinci~e dans leurs conséauencessur I'acte au'elles attei-nent. il estDOS-
Sible cependant de les distinguer dans leur-origine.

163. Lanullitéqui frappe letexte donnépoursentence à l'issuedes
travaux du Tribunal arbitral dans la présenteaffaire, est fondée,comme le
montreront les développements exposés au chapitre V du présent
mémoire,entre autres causes sur l'excèsde pouvoir des arbitres. Ceux-ci
ont rompu de manière essentielle avec le cadre qui leurétaitimposépar le

compromis arbitral. II ont de plus failli à l'obligation de motivation.
II s'agit d'une nullité absolue si grave qu'elle entraîne l'inexistence de
I'acteet qu'il n'y a pas lieu d'annuler la ((sentencemais seulement d'en
constater la nullité.
Mais ils'agitbien de vices dans la démarchesuiviepar le Tribunal unefois
celui-ci en conditions de s'exprimer.
Quant à l'inexistence dont il sera question dans le présent chapitre, elle
dépendd'une causequi remonte plusavant dans lagénèsede la volontédu
Tribunal et l'a privédes conditions nécessaires à sa propre formation.

164. Un minimum d'éléments sonten effet indispensables pour
qu'il yait une sentence. L'absence d'un de ces élémentsentraîne qu'il ya
seulement apparence de sentence, et non plus sentence.
Ce minimum d'élémentsrequis pour présider à la naissance mêmede
I'acte est déterminé dans un système donné par l'ordre juridique.
«Un acte est inexistant lorsqu'il lui manque un élémentessentiel à
sa formation, de telle sorte qu'on ne peut concevoir I'acte en I'ab-
sence de cet élément 1.»
Afin qu'un acteinternational existe de manièrevalide, ilest nécessaireque

quatre éléments se trouvent réunis: l'existence d'un sujet capable, d'un
objet approprié,d'une volonté réelleet dépourvuede vices et enfin deformes
consenables2.

165. A cet égard, il n'a manqué au Tribunal ni d'êtreun sujet
capable (il a étéérigéen Tribunal dans des conditions lui donnant cette
capacité),ni que sadémarche soit dirigéeversun objetapproprié(lesques-
tions poséesindiquaient en toute clartél'objet,à savoir une entièredélimi-
tation maritime entre les deux Etats). Les formes qu'il a empruntées
étaient convenables (sous réservedu manque de motivation et de I'ab-
sence de la carte qui sont a la fois des vices de forme et de graves défail-
lances de fond).

Le double et capital défautqui a réduit à néantle travail effectuétient au
manque du quatrième élément :une volontéréelleet dépourvuede vices.
Et parce que la volontén'a éténi réelleni dépourvue de vices, la ((sen-
tence)) se trouve à la fois inexistante et frappéede nullité absolue.

166. L'apparence de volonté s'est exprimée de manière viciée
(excèsde pouvoir et défautde motivation). Làest le cas de nullitéabsolue
(qui va jusqu'à l'inexistence).

' PlanioletRipcrt. ?roiri ilimrnloire de droit rii~il.3' édition. Tome 1. p. 147.
Paul Guggenheim. op. riri, page 205.Mais avant mêmel'examen de ce cas (ouvert à titresubsidiairedans le
rcquî.te de la GuinCe-Bissau. et dont l'éthe seraefTcstuécau chapitre sui-
van[). et devanccint toute autre considérdtion, 1'abs:ncc de volontc réelle
se présente aux yeux de l'observateur. II n'est pas possible d'ignorer le
caractère apparent et illusoire de la rencontre des volontés nécessaireà
constituer unemajorité au sein du Tribunal. Là estle casd'inexistence (qui
rejoint la nullité absolue).
Ainsi, selon une doctrine concordante chacun des deux caractères entrai-
..-t... .--~.-r.
II a étéjugé approprié néanmoins d'affecter plus précisémentchacune de
ces deux caractéristiques à l'un ou l'autre des deux aspects précisde I'ex-
tréme défaillance de l'acte urétendu.
Le terme de nullité a paru mieux convenir aux conséquencesdes erre-
ments dans lesquels le Tribunal est tombé par samanière de répondreaux
ouestions oosées
ie terme d'inexistence a semblé mieux adaptéaux conséquencesde la

situation très oarticulière survenue entre les trois arbitres et caractérisée
par l'absence iotale de volonté concordante entre deux au moins d'entre
eux pour trancher le différend.

2. L'absence de majorité au sein du Tribunal

167. Le gouvernement de la Guinée-Bissauaconstatéausoir du 31
juillet 1989lorsque sesreprésentantsont pris connaissance intégralement
des résultatsde l'arbitrage qu'il n'y avait eu de majorité sur aucun élément
de décision.
ils ont constatécela comme n'importe quel lecteuraverti aurait pu ou apu
le faireà la mêmelecture, parce qu'il y a la unfair qui ne relève pasd'une
construction de l'esprit. II s'impose à la simple observation

168. Dès lors au'un Tribunal est constitué en forme colléniale. il
n'y apascomme dans ie casd'un arbitre unique une seule volonté qÜi s'ex-
prime individuellement. Une nécessitéspécifique se fait jour, celle d'une
rencontre de plusieursvolonlésS .elon le nombre d'arbitres prévuet les dis-
positions de l'engagement arbitral au suiet des modalités de prise de déci-
sions. le nombrédé volontés exigé peut varier. Dans I'arbitragc entre ILI
Rr:publique du Scnégalet la RCpuhliquc dc Guinée-Bissau. I'anaI!.<e du
comoromis à laauelle a été consacré le IIIkhauitre de ce mémoire. a sou-
~ignk,sans qu'il'y eut à cela la moindre difficulté d'interprétation. I'exi-
rence de deux voix concordantes (surles trois membresformant le Tribu-
nal) pour toutes les décisions telles qu'elles sont énuméréesà cet article.

169. Lc point en qucbtion ici ct qui fonde I'incxistcnce~uridique dc
la sentence. n'est pas relatif3 un vice qui afïectcr~it une volont2 presente,
comme uourrait le faire la violence. le do1ou l'erreur. II est seulement rela-
tifà la formation et à l'expression de la volonté.
Le Tribunal arbitral était un organe collectif dont la constitution fonda-
trice avait organisé les prises de décision, c'est-à-dire les conditions de
formation de sa volonré.

La volonté d'un organe collectif est «la combinaison de volontés de personnes physiques que le droit
international considère comme constituant ensemble la volonté de
l'organe dont ces oersonnes font partie 'n.
ait actejuridique de cet organe (et dansle casprésentdécision
Pour
du Tribunal) il Y faut «un ensemble de manifestations de volonté émanant
dirne p~rrieplus ou moins nombreusedepersonnes physiques dont l'organe
se compose, et que le droit international impute à l'organe comme cons-
~ ~ ~~ ~-~ volonté.2)) (Souliené oar I'exoosant.)
Des termes du compr6mis a;bitral, il résultait que cette portiedes person-

nes o..siau.s dont la manifestation de volonté concordante était néces-
saire était de deux.
Cette condition de vote était essentielle.De son respect dépendait I'exis-
tence juridique de la décision.
«Car I'on ne saurait reconnaître comme manifestation valable de la
volonté d'un organe collectif international quelconque une décision

de cet organe qui serait prise contrairement aux règles constitution-
nelles régissant les conditions de ses votes)).).
En d'autres mots, sansmajorité il y a desactesindividuels, mais il n'y apas
d'acte du Tribunal.

170. Certes les apparences purement formelles ont étésauvées.On lit
au paragraphe 88 de la «sentence».
«...Le Tribunal décide par deux voix contre une.»

Constatant l'existence d'une opinion dissidente signée de M. Bedjaoui,
I'on est alors assuréque les deux voix étaient celles du présidentBarberis
et de M. A. Gros.
Mais il existe entre la «sentence ))et I'ooinion dissidente. une déclaration
du président Barberis qui, par sa ~résencemême etsoncontenu, détruit

I'aooarence et laisse oercer le désaccordpatent ayant existéau sein même
dèia majorité fictive.

La déclarationdu Président

171. 11est utile d'en examiner la portée et le contenu.

A la suite d'une évolution qui s'estcristallisée dansle règlement de la Cour
(art. 95) mais qui par extension s'applique à la procédure arbitrale, il est
admis qu'à l'issue d'une procédure internationale de règlement des diffé-
rends juridiques, I'un ou l'autre desjuges ou arbitres fassesavoir, par opi-
nion séoarée.des élémentsde sa conviction ou de sa réflexion qui sont
étrangers au texte de l'arrêt ou de la sentence.

Opinions dissidentes et opinions individuelles sont ainsi extrêmement
courantes. S'y ajoute une catégorie différente dite déclarations.
- Bien que cestrois sortes d'opinions séparées soient mentionnées àl'article
95 du statut de la Cour, lesdifférencesentre elles ne sont pastoujours bien
tranchées

1 J.H.W. VerzijlLa rolidiri ri Io nullilk desocttsjuridiques inlernRevueode Droit
International. 193p. 333.
1 Ibidem, mêmepage.

Ibidem. p.334. 172. 11a ététraditionnellement admis que l'opinion individuelle
ou dissidente est l'exposé d'une motivation différente de celle qui a
conduit au dispositif de la décision principale. Maiscette motivation diffé-
rente peut avoir menélejuge qui en est l'auteur à se rallieà la décision,
tout en empruntant pour cela des voie distinctes. On parle alors d'opinion
individuelle.
Si les variations dans la motivation conduisent à une solution oooosée à
celle prise par l'instance collective, lejuge signe alors une opinion dite dis-
sidente. On peut imaginer aussi au'un iuge suive la motivation du Tribunal
mais considère sulefie devrait iogiqüement déboucher sur une décision
différente.
Quoiqu'il en soit, dans une opinion individuelle, le juge-auteur reste au
sein de la majorité, dans une opinion dissidente ils'en sépare.

II est moins aiséde caractériserles déclarations. Ce terme est réservéen
principe à des textes plus brefs, non motivés,par lesquels un juge ((fait
constater son accord ou son dissentiment))
L'emploi du terme déclarationen intitulé d'un propos publié par un juge
ne permet donc pas de savoir a priori s'ila publié un propos deralliement
à la décision ou-de dissentiment à son égard.

173. Cependant, dans les circonstaiices de l'arbitrage entre le Séne-
aal et13Ouince-Bissau. le lecteur des travaux du Tribunal. asan[ remaruué
que la <(sentence ))n'avait étésoutenue que par deux arbiires parmi les-
quels se trouvait M. Barberis, et voyant apparaître immédiatement après
le dispositif une brève déclarationde M. Barberis lui-mêmene pouvait pas
s'imaginer qu'il se trouvait devant une déclaration de désaccord.
IIne pouvait qu'incliner à penser qu'il s'agissaitlà seulement d'une brève
clarification de certains points.
Tel n'est pas le cas cependant et c'est dans ce fait que réside le germe
d'inexistence indépassable de la asentence ».

174. Six élémentstextuels de la déclarationdu présidentBarberis
après avoir étéanalyséset mis en relation avec les élémentscorrespon-
dants de la «sentence» apparaissent comme les signes révélateursdu
désaccord intervenu entre lui-mêmeet M. André Gros.
Le premier élémena tpparaît dès la première phrase. Le président
((estime aue la réponse... aurait pu ètre DIUSprécise.))
Le choix des mots indique des l9;ibordque les~résehes du prcsident se
situcnt directement au niveau du dispohitif. La contestation exprimce ne
porte pas seulement sur les motifs, mais bien sur la décision. C'est la
réponseelle-mêmedonnéepar le Tribunal àla première question poséepar
le compromis qui encourt le reproche de manquer de précision, puisqu'il
est dit qu'elle aurait pu étre plus précise.
A ce niveau toutefois, la contestation du dispositif de la ((sentence)n'est
pas encore de nature àfaire entrer la déclarationdu présidentdans la caté-
gorie des déclarations de dissentiment (ce que \es expressions suivantes
vont faire). Car la précisionrecherchée et souhaitée par le président peut
après tout, tant qu'elle n'est pasénoncée,avoir un contenu confirmatif et
non infirmatif. Tel n'est pas le cas néanmoins.

175. Le second élémené t clairant de ce texte est la proposition de
réponse exprimée par le président. II substitue en effet son projet de
réponse au paragraphe 88 de la «sentence )). Celui-ci dispose :
«...l'accord conclu par un échange delettres le 26avril 1960et rela-
tif àlafrontière en mer, fait droit dans les relations entre la Républi-
que de Guinée-Bissau et la République du Sénégalen ce qui
concerne les seules zones mentionnéesdans cet ~ccord, à savoirla
mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental...))
Deux modifications sont aooortéesvar le oresident aui bouleversent tota-

lement l'économie du lexie: L'adjeitif seiles est supprimé. II introduisait
dans ce paragraphe 88une restriction à l'étendue du champ d'application
de l'échangede lettres franco-portugais sansque cette restriction fût trai-
tée ensuite par la «décision». et sans qu'elle entraînât aucune réponse
négative annoncéecomme telle à la première question.

176. En revanche, sousla plume du PrésidentBaberis, larestriction

est explicitée.
La réponsed'abord énoncéecomme positive pour certaines zones («L'ac-
cord...fait droit ») est ponctuéed'un «maisr. Cette conjonction de transi-
tion peut introduire une restriction. une orécision. une obiection ou une
idéecontraire àcelle qui aétéexprimée (Dictionnaire ~obërt). C'est cette
dernière fonction qu'elle rem~lit ici. en annoncant le passageàun second
ternie deILIcontradiction. inimédiatement introduit par Ics niots.< ilne fait
pasdroit quant aux eaux de In zone économique exclusive ou de la zone de
pêche. II
La rupture avec le texte de la «sentence ))est alors consommée. On est
oasséd'un oositif limité au négatif.

UIIC rc'ponseexplicitenir'nt n~~;ivc ila première question apparaît, alon
que lesauteurs (ou l'auteur 1)de la ttdécision 8,s'étai(enJtgardc(s) de toute
néeation.
II(;) avai(en)t donné une réponseinconditionnellement positive, et leur
(sa) restriction au charn. d'a..lication de l'accord introduite DarI'adiectif
&les n'avait fait l'objet ensuite d'aucun traitement. Tout S'était passé
comme si les zones mises Dareux (lui) en dehors de leur (son) interpréta-
tion (correcte) dr' l'échangede lettres. étaientausi en dehors du ch3nip de
conipétencedu Tribunal (et cela n'était pascorrect). On est passéde consi-
déraïions situéesstrictement àl'intérieur de l'accord à desconsidérations
prenant en compte ce qui est extérieur à l'accord.

177. L'introduction dans la déclaration orésidentielle d'une nén--
[ion explicite ne peut pas&tre assiniilée i une simple nuancc de précision
qui serait insigniliiinte quanti sa portée sur 13d5cision. II y a 13I'expres-
sion d'un point de vue radicalement opposé Cela est nianifeste. et véri.
fiable par les conséquencesqui r'n soiii tiries explicitemr'nt. Le rrihundi

voit s;ron~rert~nc~ e~iodifi~eenceci au'il est dsr'fait habilité à trancher la
seconde question :
« cette réoonse aurait habilité le Tribunal à trancher la seconde
question. »

178. La décisions'envoir bouleverséeL .'introduction d'une réponse
en ~artie né-ativc mct cn causela iustesseau fonddu disoositifde la «sen-
tencen, puisqu'une toute autre issue est envisagée:
«Le Tribunal aurait pu trancher le différend d'une maniere complète
car ..a il (iaurait pu déterminerla limite pour les eaux de la zone économique exclusive ou la zone de pêche, limite qui aurait pu ou
non coïncider avec la ligne établie par l'accord de 1960. )>
La ((décision))est critiquéecomme incomplète et le complément qui est
esquissé mais non tranché dénature explicitement le dispositif:
((aurait pu ou non coïncider avec la ligne établie par l'accord de
1960)).
Laphrase suivante comporte deux élémentsdutextedu président(lestroi-
siemc et quatricnie) iprendre en considération ici. Le t~oisi~m~cstconsti-
tué de deus expressions par lesquelles le présidentBarberis marque t'orte-
ment son désaccordd'avec la((sentence;. II afiirme ou'à son a& la des-
cription exactede la situationjuridique existant entre'les Parties est dans
cette réponse partiellement négative.
IIoppose ainsi son avisà celui exprimédans la«sentence ».Comment pou-
vait-il faire savoir plus clairement qu'il ne partageait pas l'avisde celui (qui
ne peut donc êtreque M. AndréGros et lui seul)qui était à l'origine du
dispositif? II s'en désolidarise expressément par ces mots.

En donnant pour la description eivacrcde la situation juridiquc existant
entre les Parties.celle qu'ilavance lui-mémeet qui n'est pds(loin s'en faut)
celle du dispositif, il sous-entend que la description contenue dans laen-
tence » est inexacte.

180. Le quatrièmeélémen tst dans la mêmephrase. Il est le déve-
loppement destermes précédemment examinés.Ce que le président Bar-
beris donne pourson avis, etcomme une descriptionexacte de la situation
entre les Parties, c'est une«réponsepartiellement affirmative et partielle-
ment négative)).
Or, le dispositif ne donne qu'une réponse positive(limitée).
Le mot seules ((«auxseules zones mentionnées dans cet accord ») corres-
oondait sans doute à une restriction. mais en déoitde cette restriction. le
dispositif ignorait superbement (et comment cela aurait-il pu êtreinvolon-
taire?) les zones ainsi exclues (zone économique exclusive et zone de
pêchejpour lesquelles il n'allait pas jusqu'à la~réponsenégative.
La venue des termes «réponse partiellement afiirmative et partiellement
négative» sous la plume du président n'est pas qu'une nuance.

181. Passer d'un dispositif rédigéen forme affirmativeà une décla-
ration prônant une réponse pour partie affirmative et pour partie «néga-
tive», c'est rompre avec la décision.
L'introduction d'une réponseen partie négative, là où iln'y avait qu'une
restriction, est un«plus» logique dans le raisonnement. Le président a
manifeste clairement qu'il était seul à le faire.
II a, par sa déclaration, fait comprendre aux Parties que M. AndréGros
n'avait pasvoulu le suivre dans cette voie. Or, l'objet partiel du litige dont
le résidentveut traiter complétement Darune réponse différencie a un
caractère fondamental dans le différend-puisqu3ils'agit de la délimitation
de la zone de pêcheet de la zone économique exclusive.
Elles sont l'un des deux élémentsessentiels (l'autre étantle plateau conti-
nental) des territoires marins dont la délimitation est en jeu.

182. Sur ce point d'une extrême importance, le présidenténonce
son avis.C'est une réponse à la fois différentede celle de M. AndréGroset inconciliable avec elle.
Article 2 du compromis:
((L'accordfait-il droit dans les relations entre la Guinée-Bissauet le
Sénégal ? ))
Réoonse de M. AndréGros.Ioar.arao-.88 de la «sentence»):
<.L'accordfaitdroit en ce quiconcerne les seules zones ~entionnccs
dans cet accord. isavoir la mer territoriale. la zone c-ntiguë et Icpla-
teau continental)), sans autre précision.
Déclarationdu présiden:t I'accord
«ne fait pas droit quant aux eaux de la zone économique exclusive
ou de la zone de pêche. »
Ici est ouvert un raisonnement qui doit se prolonger au-delà de la
réponsedonnéepar le Tribunalet qui peut la modifier. Le prolongement

est suggérémais non véritablement effectué par le président.

183. Le cinquiéme élémen de ce texte concerne la compétencedu
Tribunal.
Ici le désaccordest manifeste. Ouelle aue soit Darailleurs la ou les inter-
prétationsque l'onfasse de la déclarationdu pr&ident, elle estsur ce point
inconciliable avec le contenu de la «sentence». Elle énonce en effet:
((cette réponseaurait habilitéle Tribunalàtraiter dans la sentence la
deuxième question posée par le compromis arbitral.))
«La réponse... aura; attribuéau Tribunal une compétenc peartielle
pour répondre... »
« Dans ce cas leTribunalauraitété comoéten otour délimiterles eaux
de la zoneéconomique exclusive ou la zone de pêcheentre les deux

. .s. De cette facon le Tribunalaurait DU trancher led..férendd'une
manièrecomplèt e.)>
Le président Barberis, qui connaît sa responsabilité d'arbitre, a vu
parfaitement se dessiner l'excèsde pouvoir dans la ((décision »où atenté
de l'entraîner l'arbitre André Gros. II le signale etil s> refuse.

184. Où trouver encore, après la lecture des phrases qui viennent
d'être citéesu,ne majoritéde deux voix sur la compétence, cette majorité
exigéecependant Dar l'article 4, paragraphe 2 du compromis?
~eprcsident soutient, en accord ~vecÏe<iirgumcnts qui seront présentés
par Icgouvernement de la Guinée-Bissauau chapitre suivant,quc le dispo-
silira étéredieéd'une mxnikre oui n hloau; la cornoetense du Trihunxl et
I'a empêchéeudes'élargirjusqu'où elle aurait dU aller.
Dans ces auelaues ohrases du orésidentse résumetout à la fois.I'inexis-
tence de toute «sentence» par'défaut explicite de majoritésur "n point

essentiel relatiàla compétencedu Tribunal, et la nullitépourexcèdsepou-
voirpuisque l'excèsde pouvoir est constatéet regretté parle président lui-
même.

185. Lesixième élémen b,n que moins préciset moins développé
dansson contenu. l'est suffisamment toutefoisoour ex~rimerle désaccord
du présidentnon plus seulementsur la compéteke, mais aussi sur le fond.
«Le Tribunal auraitpu déterminer la limitepourleseauxdela zone
économique exclusiveoula zone depêchel,imitequi auraitpu ou non
coïncider avelca ligneétabliepar l'accord de 1960. J)
Ici, leprésidentne s'aventure pas,étantseul,à dire quelle seraitselon lui ladélimitation. IIconfirme sa désaoorobation de ce aui a étéfait. IIra~oelle
qu'après avoirpar confirrnation.de l'échangede iettres franco-por&ais
délimitécertaines zones. il fallait Drocéder à la délimitation des autres
espaces marins.
Cette limite-là((aurait DU»..Des hy~~thèses non comprises dans la « sen-
tence » sont ainsi annoncées :
«aurait pu ou non coincider avec la ligne établie par l'accord de
1960. »
Les possibilitésouvertes comportent au moins une certitude. Au moment
où il écrit ces lignes, le président Barberis accepte l'hypothèse selon
laquelle la zone économiqueexclusive ne suivrait pas l'azimut utilisédans
l'échange delettres franco-portugais.
Rien de plus n'est préciséC. ela suffit toutefois amplement pour que
l'absence de majorité soit une certitude.

Les conséquences de la déclaration du président

186. Deux choses frappent l'esprit à la lecture etàl'analyse de la
déclaration du président. Elle comporte à la fois des critiques contre la
décision et d'autres contre les limitations abusivement apportées à la
comoétence du Tribunal.
La ;echerche d'une réponse plus précise,d'une description exacte de la
situation entre les Parties, et d'un règlement du différendd'une manière

complète, laissent entendre que précision,exactitude et caractère complet
ont manqué à la «décision» rendue, ce qui correspond à des attaques
d'une extrêmegravitéen particulier pour ce qui est de l'inexactitude etdu
caractère incomplet.

187. Ouant à la com~étence du Tribunal. il a étédit ~lus haut
comment, enquelques lignes (douze exactement); le président avait mar-
teléson idée.Par quatre expressions successivement em~loyées,il a dit
l'exigence selon lui d'une habilitation plus large pour une-compétence
complète et en conformité avec les questions posées.
Le point de vue développé àtravers ces deux sortes de critiques ne laisse
pas de place pour une compatibilitéentre le point de vue du président Bar-
beris et celui de l'arbitre André Gros.

188. La déclaration du président est selon une analyse substan-
tielle une opinion dissidente, en dépitde I'absence d'une motivation com-
plèteet du fait que la solution (àcoup sûr différente de celle de la «sen-
tence ») qu'il esquisse n'est pasconstmite. IIa seulement assuréles bases
d'une compétence complète du Tribunal, celles-là mêmedont le manque
invalide absolument la «décision ».
II n'a pas voulu prendre la peine ni le temps de dire l'usage qu'il fallait
faire, de son point de vue, de la compétenceainsi appronfondie et élargie.
Réduite à deux courtes pages, cette opinion a étéintitulée déclaration.11
s'agità n'en pas douter d'une déclarationde dissentiment.
Les effets en sont d'autant plus percutants qu'elle est plus brève.
Après le choix fait par M. Bedjaoui d'une opinion dissidente, celui par le
président Barberis d'une déclarationde cette nature, laisse M.AndréGros parfaitement isolé.
Le désaccordainsi patent entre lui-mêmeet M. Barberis explique le défaut
de motivation, l'incohérence, l'absence de carte.

189. Par quels mobiles difficiles à imaginer le président a-t-il
cependant apposésa signature au bas de la «sentence»?
Par quelle lassitude, dans quel contexte psychologique, sous l'effet de
quelle usure du temps (le délibérés'était éternisépendant de longs mois)
a-t-il finalement associéson nom àun texte, en mêmetemps qu'il s'en dis-

sociait par un autre? a-t-il approuvé l'un d'abord et avecregrets? s'est-il
ensuite ravisé eta-t-il cru corriger leseffets du premier par le second? Quel
est le sens étrange du condiiionnel employé par le président ((j'aurais
répondu ...»? Quelles conditions devaient donc être réaliséespour qu'il
puisse répondre comme il l'entendait?
Sans doute ces questions que l'humain en chaque juriste pressede poser
sont-elles désormais hors du débat.
II n'y a maintenant devant la Cour, dans un contexte dépouilléde passion,

que les froides données d'une situation juridique.

190. Ces donnéesexmainéesdans le présentchapitre permettent
d'affirmer qu'il y a pas eu formation d'une majorité au sein du Tribunal.
II faut tenir en compte le fait que M. Bedjaoui s'est dissociécomplètement

des deux autres arbitres et a oroduit une longue opinion dissidente dont la
première partie pcrniet de conclure i l'ino~poslibilitéi la Guinée-Bissau
dc l'échangede lettres frlinco-portugais de 1960ci dont la seconde partie
en aoolication des orinci~e. c~n~ ~vorains du droit de la mer. mène au
choix'd'une ligne "nique orienté à 252"comme ligne de délimitation de
l'ensemble des territoires maritimes respectifs des deux Etats.
Cc fait. associeaux discordances ci-dessussoulignéesentre 13 ,<sentence ,,
si la décl3ration du pr6sidcnt Barberis. niet en luniiére l'impossibilité dans
laquelle celui-ci s'est trouvéau sein du Tribunal de rallier u-nemajorité sur

des questions essentielles de compétence et de fond.

191. La ((sentence)), si l'on s'en tient au texte présentésous ce
titre. manaue donc du fondement nécessaireuuisédans l'existence d'une
majorité &i aurait acceptésur tous les poinis essentiels de le soutenir.

L'arbitre du Sénégals'est trouvé seul sur des questions d'extrêmeimpor-
tance. II a étéisolé dans son refus de considérer la réponseà la première
question du compromis comme partiellement négative et dans le refus
correspondant de répondre à la seconde question.
Ainsi de bout en bout le Sénégaa l persisté dansuneattitude négative.La
rétrosoective des acteset des faits éclaire l'homogénéitéde cette attitude.
Lc contre projet de somproniisdu Sénégae l n;étele point de dépan, 1'3tti-
tude de I'arhitrc du Scnégalau sein du Tribunal le point d'aboutissenient.
Au départ les agents du-Sénégalne voulaient poser, au Tribunal qu'ils

acceptaient de constituer, que la première question et uniquement celle-là.
La seconde n'a étéintroduite dans le comoromis que dans des circonstan-
ces qui ont été relatées.
Mais Darla suite, l'arbitre du Sénég.s l 'est attachéà ignorer cette seconde
question.
Le président, malgré son ralliement formel au texte qui a constitué une
apparence de sentence, a prouvé dans sa déclaration sa ferme volonté de
répondre à l'ensemble des deux questions soumises au Tribunal.L'interrogation poséepar le juge M. Bedjaoui aux termes de son opinion
dissidente, sur «l'existence d'une majoritéet la réalitéde la sentence», se
trouve ainsi fondamentalement justifiée.

192. Après analyse, le fait est donc avéréque la «sentence» est
inexistante pour défautde majoritésubstantielle. ta déclarationdu prési-
dent constitue en elle-même la oreuve de cette d-ficience.,u.elle révèle
aux Parties. Le gouvernement de la Guinée-Bissau est, de ce fait même,
dis~enséde toute exécutionet autorisé à refuser tout acte aui se couvrirait
dei nécessités d'exécuterla sentence.
Le défautqui frappe ainsi l'acte prétendu est si grave que le droit interna-
tional ne peut pas même luiattribuer un effet provisoire, ni une apparence
de Iégalite.
II est demandé respecteusement à la Cour de le confirmer. CHAPITRE V

L'EXCES DEPOUVOIR
ET LE DEFAUT DE.MOTIVATION ENTRAINENT
LA NULLITE ABSOLUE

DE LA PRETENDUE a SENTENCE »

193. Le, travaux du Tribunal 3rbitr31constitu2 entrc 13République
de Guink-Bissau et la Rénubliouc du Sénéadlen vue de tra~ ~e~ ~ ~ ~E- ~ ~ ~ ~
rend de délimitation mariiime survenu entre cesdeux Etats n'ont conduit
nulle part, faute qu'il y eût une majoritéentre les arbitres sur une solu-

tion juridiquement correcte. Les conditions préliminaires à une décision
collégiale n'ont pas étéréunies.
Le gouvernement de la Guinée-Bissau pourrait s'en tenir aux arguments
avancés jusque-là.
II est convaincu que ceux-ci doivent mener la Cour àconstater I'inexis-
tence de la sentence.
Ces arguments conduisent aussi à I'inapplicabilitéde la prétendue déci-
sion. Cette inapplicabilitén'est que la conséquence logique et inéluctable
de l'inexistence constatée

194. Si touiefois. par un cvcrcice purenicnt intellectuel et absirair,
I'onprêtaitficti\,ement i cettea sentence ))quelqu'existence. c'est-i-dire si
I'on consentait à la lire comme une sentence réelle.elle et elle seule. il
apparaîtrait alors qu'elle est frappée de nullité absolue.
En effet. ce texte est.Darla nature de ce au'il énonce.un texte nul. Cette
nullitéseraexposée dans les pages qui vont suivre en ;elalion chaque fois
que cela est nécessaire avec l'inexistence.
II semble important de rappeler ici que c'est à titre subsidiaire qu'il est
demandé à la Cour de se prononcer sur ce point.
Le présentchapitre sera diviséen trois sections: lesfondements théoriques
de la nullité d'une «sentence». les élémentsconsritutifs de la nullitP de la
«sentence)> du 31 juillet1989 et enfin, les prolongements de cetre nullité.

1. Les fondements théoriquesde la nullitéd'une sentence arbitrale

195. 11 y a un large accord aujourd'hui dans la doctrine pour
admettre la notion de nullité d'une sentence arbitrale.
IIest reconnu qu'une sentence arbitrale peut avoir étCirréguliéremcntren-
duc et qu'en consbqucnce elle est dépoun.uc d'elkts juridiques. II s'agit
alors d'un acte nul. sans validité.Des auteurs anciens comme Vattel ou
Pufendorf en posè;ent le principe dès le XVIII' siècle :
«au reste. lorsqu'on dit qu'il faut en Dasserpar le iuaement de I'ar-
bitre, soitque la sentence se trouve jÜste, ou injusieTcela doit s'en-
tendre avec quelque restriction.J'avoue que. quelquebonne opinion
qu'une partie eüt conque de lajustice dey3 cause. cela ne ,utlit pas
pour I'autoriscr3 se d?dire du compromis. hlaiss'ilparait mûnifcsic-
nient qu'il y 3 eu dc la collusion entre l'arbitre et I'autrc par- lie, ou qu'elle l'avaitgagnépar des présents ou qu'ils avaient fait
ensemble une convention à notre préjudice, on n'est point alors
obligéde se soumettre àla sentence d'un tel juge qui aiant témoigné

une partialitési visible, ne saurait plus soutenir le personnage d'ar-
bitre.'»

196. A la base d'une sentence il y a le compromis, rien que le
compromis. Aussi la clause suivant laquelle la sentence est définitive et
sans appel ne peut produire effet que si la sentence est rendue conformé-
ment aux dispositions du compromis. Toute violation d'une disposition
essentielle du compromis entraîne la nullité. La doctrine dans son
ensemble est ralliée à ce point de vue.
Cela ne doit pas surprendre car il y a ((impossibilité logique d'échapperau
oroblème de la nullité 2».

il n'est pas possible, sans incohérence dommageable pour la justice inter-
nationale. d'avancer à la fois aue la source des ~ouvoirs de I'arbitre est
toute entière dans l'engagement arbitral entre les Etats et ne se trouve
que là, et qu'il n'existerait pasd'invaliditéde la sentence arbitrale.
Ce serait laisser en-dehors du droit les cas possibles dans lesquels I'arbitre
a agi en méconnaissance ou violation des prescriptions édictéespar le
compromis :
«Hors de leur compromis, les arbitres sont sans mission et sans
caractère3.»

197. Le fait pour un tribunal compétent d'agir contrairement au

compromis doit donc êtreconsidérécomme un excèsde pouvoir ouvrant
la voie à la nullité.
Celle-ci découlede ces violations qui peuvent survenir au coursde la pro-
cédure ou à l'occasion de la sentence.
«Ce n'est pas l'injustice de la sentencequi décidesur ces vices ; ce
sont ces vices qui entraînent sinon l'injustice, dumoins I'incorrec-
lion de la sentence non pas en elle-même, maisen raison de sa
génèse suspecte. II ne s'agit pas du résultat comme tel, mais de la
défectuositédu chemin qui y conduit4.»
Lescas de nullitéproviennent de différentessources (toutes relatives à une

violation du compromis). Mais les plus importantes sont incontestable-
nicni :l'incompétence de l'arbitre. l'ixc~sde pouvoir et le défautdc moti-
bation. Lesdeux preniiercs cntraincni 3ux yeux de I'ecrasantc niajoriiédes
auteurs une nullité absolue apparentée à l'inexistence (~undstein,
Castberg, Basdevant, Guggenheim par exemple).

1 D. Pufendorf, Le droit dc la natudesegens.TraductionBarbeyracAmsterdam .706,
tome III,LivreV. chapitrXIII,page 720.
2 Herlr.Esoi ru* le problèmede la oulliti. Revue de droit InternetdenLégislation
comparée, 1939,p. 453.
3 M. A. PierantoniLa nullidiinorbilrageinlernnolio. evuedeDroit Internatioet de
Legirlaiion comparée. 18p.455.
Hem. Lm fondement$de la nulliti dans iojustice internotional de io théo1938, droit.
p. 335. 198. La pratique a consacré ce point de vue.
«La pratique internationale considère aussi comme absolument
nulle la décision d'unTribunal arbitral ou judiciaire qui transgresse
les pouvoirs qui lui ont étéattribués par les parties. La nullité
découle alors soit de l'incompétence, soitde l'excèsde pouvoir du
juge '.n
Ce dernier ooint doit retenir toute l'attention
Lajustice internationale Ctant consensuelle I'Etat, les Fsats. aménagcni à
leur discrétionles conditions et Iss niod3lités de la ~roccdure qu'ilsinstau-
rent. Ils fixent ainsileurguise (commune) la détermination des pouvoirs
du juge.
L'excèsde pouvoir estalors ce vice de la décisionjuridictionnelle lié à une
violation des normes donnant sa juridiction au juge.

199. Admis trèstôt dans l'histoire de l'arbitrage international il a
étépar exemple introduit par lecommissaireaméricain Gare dans l'affaire
du Betsey 2. Pour lui, les arbitres n'ont le droit de statuer sur leur propre
compétence, donc d'interprétersur ce point le compromis que parce que
les pouvoirs au'ils ont reçus de la sorte connaissent leuriuste limite dans
l'éventualitéd'un excèsde pouvoir sanctionnéparla nulliiédelasentence.
(Dans la présente espèce le Tribunal, comme on l'avu, n'a d'ailleurs pas

décidésur sa . .ore c0moé.ence.l
«La règlede la compétenceet I'excèsde pouvoir ne se concevaient
Das I'un sans l'autre: mieux ils s'ex~liauaient I'un Dar l'autre1 ..»
~insi,la pratique chaque fois qu'une affaire's'estprésentéea-t-elle accepté
la notion d'excès de pouvoir comme cause de nullité d'une sentence
arbitrale.
II va de soi que ce vice ne s'entend pas de n'importe quelle erreur dans
I'inter~rétationdu comoromis et au'il v faut une méconnaissance d'une
clausèessentielle de celbi-ci :si ceiconditions sont réuniesle cas de nulli-
téest admis Dartous. auteurs et Etats. mêmeceux aui ~armi cesderniers
qui y ont le-moins d'intérêt.

200. Le Honduras dans sesécrituresdevant la Cour lors de la pro-
cédurerelative à l'arrêtdu 3 août 1959reconnaissait: il faut admettre qu'
«une sentence arbitrale n'est susceptible d'êtreannulée que pour
deux causes seulement: I'irréeul-ritédu comoromis et I'excèsde
pouvoir de l'arbitre 4».
Et s'appuyant sur l'affairede I'OrinocoSteamshipCompany (Cour Perma-
nente d'Arbitrage - 25 octobre 1910)les représentants de cet Etat rappe-
laient comment la Cour avait alors admis la nullité fondée sur une
méconnaissance du compromis.
La Cour, considérant que l'excèsde pouvoir peut consister non,seulement
à décider une question non soumise aux arbitres, mais aussi à

' P. Guggenheim. op. citPp.216.
2 DeLapradcll el Poliris. Recueil orbirrogps inlernoUonoTome 1, P. 53.
J G. Berlia. Jurirpmdencdes Tribunaux arbitraux en ce qui concerne irur eompérencr.
R.C.A.D.I. .995. 11p 129.
C.I.J.Affairde IoS~~C~CPdu ROId'E~pogne-Mimoire ~rploidoiri~~.1960.Républiquedu
Honduras, p.497.méconnaître les dispositions impératives du compromis quant à la voie
dans laquelle ils doivent arrêter leurs décisions, notamment en ce qui

concerne la loi ou les principes du droit à appliquer
«a estiméque lesurarbitre avait méconnusur ce point lecompromis
et, en conséquence, elle a déclaré nulle unepartie de la sentence 1».

201. La notion d'excès de pouvoir étantpar son histoire concrète
une notion dotée d'effet oratiaue. il imoortait encore de la définiravec
soin. De nombreux auteurs se s&~iappliqués àen proposer des définitions.
Celle de Paul Guaaenheim oeut être retenue oarmi d'autres. comme une
des plus concises-
L'excèsde pouvoir, selon lui,
((résultedu fait que le compromis en principe valable a étéappliqué
par le Tribunal à un domainepour lequelil n'j apas eud'accordentre
les Parties, ou du fait que le Tribunal a appliqué une règle non
conforme aux dispositions du compromis2». (Souligné par I'expo-

sant.)

202. Le premier domaine, celui pour lequel il n'ya pas eu d'accord
entre les Parties peut s'étendre au-delàdes termes du comoromis. si leTri-
bunal non seulement traite ce qui étaitdemandépar les ~tats, mais encore
va plus loin (ultra petitadans sa décision.
IIpeut aussi être en dehors ou à côté,si le Tribunal ne répondpas précisé-
ment aux questions posées,mais décidesur d'autres au sujet desquelles il
ne lui était pas demandé de statuer.
II y a alors excès de pouvoir quant à l'objet du litigeExemple :ne pas
répondre àl'une desauestions ooséesDarun comoromis arbitral alors au'il
y a manifestement lieu d'y répondre,(surtout alors qu'il y a indivisibilité
de l'objet soit par nature, soit par la volonté des Parties).

203. Le second domaine de l'excèsde pouvoir tient à l'application
de règles non conformes aux dispositions du compromis, en méconnais-
sance de celles qui y sont prescrites.
IIy a alors excèsde pouvoir quant aux règlesà appliquer. Exemple : ne pas
tracer une délimitation sur une cartealors que la sentence doit en compor-

ter une puisque le compromis en dispose ainsi.

204. Le cadre logique qui commande l'arbitrage etles causes de
nullité éventuelle des sentences est d'une parfaite rigueur.
La souveraineté commande que les Etats et leurs gouvernements dispo-
sent à leur gréde leur liberté quant aux moyens de règferles différends
juridiques qui peuvent les opposer entre eux.
Toutefois, cette libertése trouve (volontairement) circonscrite par l'acte
initiateur de la procédure choisie.
Engagésalors l'unenversl'autrelesEtatsconcernésne peuvent plus séparé-
ment modifier ce cadre.Mais le Tribunal qu'ils ont alorscrééenest captif
avec eux. II exerce sa fonction dans un champ de compétences et de
moyens précisémentet plus ou moins étroitement circonscrit par la déci-
sion commune des Parties.

'Réplique du Honduras.Ibidem. p. 429.

PaulGuggenheim, op.cil*, 218.Lare- ou étroit le chamo doit être couvert dans l'étendue précisément
imposée.
Tout écart en plus. en moins ou autrement par rapport au champ. tout
dérapage, estcbnslitutif d'excès de pouvoir ét par-là mêmede nullité.
Plus l'accord d'arbitrage a étédifficile à se former, plus les termes choisis
dans son texte auronï d'importance. Le Tribunal doit en tenir compte.

205. A tout ce qui vient d'être dit, la doctrine et la pratique
conviennent d'ajouter une cause de nullité différente: celle tenant à la
non-motivation d'une sentence.
La nullité découlealors de la violation d'une obligation généraledu droit

international, puisque le caractère obligatoire de la motivation est
reconnu.
Contestéede manière très isoléepar M. de Martens pendant lestravaux de
la Conférence de La Haye de 1899,cette obligation est cependant considé-
rée comme une garantie essentielle de bonne justice.
Elle permet en effet que s'exerce sur le travail du juge et sur son impartia-
lité le contrôle des parties et de l'opinion. Aussi est-elle devenue dès le

début du XIX' siècle une règle généraledu droit arbitral international
commun '.
Lc plus sou\,eni exprcssCmcnt iniposee par les compromis ou les icxtcs
instituant les trihunaux pcrninncnts, elle apparaii neanmois comnic indé-
pendante de textes précis.
«Que la sentencejuridictionnelle, disposant du fond du litige(on ils
merits) doive êtreécrite. soizneusement rédigée.lue en séance

publi&e, et motivéece sont là Chosesacquiseselpasséesen «forme
de droit)), depuis un temps indéfini. II paraît sans intérêtd'insister
sur des pointshors de contestation et suffisant de souligner la clause
de la motivation. Unesentencenon morivéen'estpos unesentence, c'est
une simple opinion'», (souligné par l'exposant).
Formulée d'abord dans les travaux de l'Institutde Droit International
(1873), l'obligation de motiver apparaît aussibien dans le Droit Internatio-

nal codifié de Fiore en 1890que dans la Convention de La Haye de 1899
(article52) ou dans la 2' Convention de La Haye de 1907àl'article 79.Elle
àpparaît enfin à l'article 29 du modèle de règlës sur la procédurearbitrale :
«la sentence arbitrale doit êtremotivée sur tous les points.))

207. La raison de cette obligation est dans la nécessitéde fournir

les justifications des décisions dans tous leurs éléments.
Lajustice doit êtredite en toute clartéet reposersur desargumentsconnus
de tous et susceptibles d'être appréciésou affirmés de tous.
«La iustice est la lumière et la vérité.II faut qu'elle se montre sous
une forme sensible; ...Les motifs en fait et en droit, s'ils sont une
garantie exigée parla loi de procédure sont un besoin de la société
internationaie'.))
De manière plus pragmatique, l'objectif poursuivi en obligeant l'arbitre à

motiver entièrement sa décision est d'ordre judiciaire. II est

1 A ce rujet J.C. Witenberg. L'orgonirnlionjuridicioir~, Io proSP~~P~Cinlernolio-
nole.Pedone. 1937.p.292 et s.
Georges Scelle. 1'' raprur Iprocédureorbirroledevon1la CourlnrernarionoledeJusrice.
AlCN.4118 . CDI. 1950,11,p.139 et5.
3 A. Pierantoniop. ciri, p. 455.d'éviter unconflit ultérieur sur la base de la sentence prononcée '. Une
motivation correcte peut contribuer àatteindre ce but en indiquant le che-
min suivi par le Tribunal pour parvenir à la solution qu'il a adoptée et
dont il fait sa décision.11peut par là convaincre les parties, y compris la
perdante qu'il n'yavait pas d'autre solution fondée en droit.
«En ce qui concerne le droit des gens. le fait que I'obliaation de
motiver le corps de I;Isentence cons6tue un principe généralau sens
technique de l'article 38, par. 2 du statut de la Cour. montre qu'il
s'agitd'une de ces règlesdu droit international quiéchappe entière-
ment à la volontédes Etats et qui n'existeque parce qu'elle présente
pour la communauté internationale «un caractère de nécessité'.))

Obligatoires, les motifs peuvent êtrecontrôlés. Le contrôle même
diffusconsiste à vérifierque leTribunal a fondésasentence surdes consi-
dérations oarfaitement valables eu éeard à son ouv voird'arbitre
Ce contrôie permet de s'assurer que Gs considérations de fait et de droit
constituant la base de la décision arbitrale ne révèlentpas un excès de
pouvoir.
A la lecture des motifs, il est possible d'appréciersi la raison donnée est
une bonne raison.
Si comme cela peut se produire leTribunal, face àune question complexe
oséedans le comoromis de manière insuffisamment claire. est amené à
Ln faire une interprétation précisant leslimites exactes de ses pouvoirs,
cette démarche. qui n'est pas interdite. doit elle-mêmeêtremotivée.
Les niolifs indiqueron1 alors les difficull'ésrencontr2es par les arbitres, les
modes d'interpreiation du comproniis utilises et leurs iustificalions (effet
utile par exemple) et les résultats obtenus.
Le contrôle des motifs permet encorede vérifiers'ily a concordance logi-
aue entre les motifs et la décision.car cela aussi est une condition de vali-
ditéde la sentence.

La «sentence» du 31juillet 1989ne répondni à l'obligation de respecter
strictement les termes du compromis, ni a l'obligation de motivation.

2. Les élémentsconstitutifs de la nullitéde la «sentence >I
du 31 juillet 1989

209. Les violations du compromis se recoupent et s'entrecroisent
dans le texte complet (motifs et dispositif) de la prétendue ((décision ».
Elle se renforcent mutuellement. Elles sont méléesde défautde motiva-
tion et parfois de véritables contre-motivations.
IIse dégagede la lecture de l'ensemble un puissant sentimentde confusion
et d'incohérence.
Les ambiguïtés et contradictions sont aussi en soi une cause de nullité.
Avant de tenter de démêlercet écheveauet d'identifier chacun des élé-
ments constitutifs de la nullité,on tentera une mise en relation des motifs
et du dispositif qui dégagerala béance dans le raisonnement.

' M. Gounclle.Lomotirarioderori~rjoridiquendroit intemolionolpubPedone,1979,
P. 99.
M. Gounelle.op.ririp. 113. Tentative de mise en relation des motifs
et du dispositif de la ifsentence»

210. Dans le dispositif l'échangede lettres de 1960 est déclaré
opposable àla Guinée-Bissau, maisil estconstaté que son champ matériel
ne couvre pas tous les espaces maritimes. Le lecteur de la «sentence » doit
poursuivre seul sur le chemin ouvert par le Tribunal puisque celui-ci s'ar-
rêtelà. La route est alors celle empruntée par le Présidentdans sa déclara-
tion: I'accord ne s'étend pas à la zone de pêcheet à la zone économique

exclusive. Cette version est biensemble-t-il celle vers laauelle leTribunal
a penché.II n'a pas dans son dispositif exclu expliciternéntces catégories
de I'auulication de I'accord. mais il les a exclues im~licitement Darla res-
triction contenue dans l'adjectif seules.

211. Cestermesde caractère restrictif: ((les seuleszones » ont été
employésmaisdans la formulation la moins restrictive possible. LeTribu-
nal a énoncéque I'accordfaisait droit uour les seules zones. II n'a pas été
jusqu'à dire
«l'accord ne fait droit que pour les zones...)).
II s'est ainsi engagédans la voie de la restriction mais il l'a fait au mini-
mum.
Aucune des conséquencesde la restriction amorcée(si faiblement que cela

eût l'été) n'esttirée, car:
- le Tribunal ne délimitepasjuridiquement les espaces dont il reconnaît
cependant implicitement qu'ils sont non traités par l'acte juridique
confirmé (l'échangede lettres);
-il ne délimite matériellementpar un tracésur une carte ni ceux-là, ni
ceux dont la délimitation est confirmée. II devait pourtant le faire en tout
étatde cause et c'est à cette occasion qu'il devait témoigner matérielle-
ment par une ligne qu'il avaittrouvéles voiesjuridiques permettant une
délimitation faisant la synthèsede celle du plateau continental et de celle
de la zone économique exclusive.
Ainsi il est suggéré(mais non dit) que le texte franco-portugais ne fait pas
droit dans les relations entre les deux uarties en ce qui concerne les eaux
de la zone de pêcheet de la zone économiqueexclusive.Mais le Tribunal
dans ce cas ne pouvait pas. en application du compromis, se soustraire à
l'examen de la seconde~question.0ù est donc la réponse à cette seconde
question?

212. L'examen des motifs est-il de quelque secours pour
comprendre ce qui s'est passé?
Au p~rag-aphe 87 des motifs. le Tribunalénonce aue de son avis compte-
rztiuilesCO~CIIISIOILIJIII.Y~II~//PYIorr~~~~j~isqu< ~-li I~b~ll'r,l'iirt~r2c
du ci~~nprorniosrb~tral.la dcuxienie question n'ap~~lle pas unc réponsede
sa part.
Mais les conclusions précédentes présentéesdans les motifs indiquaient
d'abord longuement uar auels arguments (aui restentjuridiauement non
fondés aux >eux de ia ~uinée-~issau) l'échangede lettres~pouvait être
considérécomme valable et opposable à la Guinée-Bissauet délimitaitla
mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental (paragraphe 80).
Elles indiquaient ensuite (paragraphe 85 des motifs)
«à la lumière de son texte et des principes de droit intertemporel

applicables, le Tribunal estime que I'accord de 1960 ne délimite pas les espaces maritimes qui n'existaient pas à cette date, qu'on les
appelle zone économiaue exclusive. zone de pêcheou autrement )).
(souligné par l'exposànt.)
Le Tribunal ici ne laisse subsister aucuneambiguïté,car ilse refuse aussi à
suivre le Sénégaldans quelqu'argumentation que ce soit qui permettrait
l'alignement de la délimitation de la zone économique sur l'azimut 240"
(paragraphes 81, 82 et 83 et 84 de la ((sentence))).
Ces élémentspuisés dans les motifs complètent la restriction amorcée
dans le dispositif.
L'accord de 1960 ne fait donc pas droit pour ces zones.

213. Le paragraphe 87 de la «sentence» vise avec les conclusions
que l'on vient de rappeler, le libelléde l'article 2 du compromis arbitral.
Ce libelléouvre la nécessitéde délimitationen casde réponsenégative àla
première question.
La mise en relation des paragraphes 81 à 85des motifs et destermes du dis-
positif montre que le Tribunal a reconnu devoir apporter une réponse par-
tiellement négative à la première question.
La mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental ont étédéli-
mités selon une ligne d'azimut 240" définie dans l'échange de lettres
franco-portugais que le Tribunal considère comme valable et opposable.

Tout autre espace marin sousjuridiction nationale dont la catégorien'exis-
tait pas en 1960, n'est pas délimitépar une ligne d'azimut 240'.
Cette certitude négative provientde la non-extension de l'accord de 1960 à
ces zones.

214. Or, entre les paragraphes des motifs sur lesquels on vient de
s'appuyer pour tenter d'éclairerle dispositif et le dispositif lui-même,se
trouve un paragraphe 87 des motifs qui (lui-même nonmotivé)annonce
une chute du raisonnement radicalement contradictoire avec celle atten-
due. Invoquant une mise en relation entre lesconclusionsprécédentes (ses
propres motifs) et les prescriptions du compromis, IcTribunal conclut que
. ~ «la deuxième question n'appelle pas uneréponse de sa part.;

Précisement la deuxième question appelait une réponse.
Un refus abmpt est introduit ici qui n'est pas motive.

Les causes d'invaliditéde la «sentence>>

215. Ces incohérences, ambiguïtés, contradictions de la «sen-
tence» débouchent sur la radicale nullitéqui la frappe (à supposer qu'on
lui prêtâtune existence qu'elle ne saurait avoir puisqu'il n'est restéqu'un
seul arbitre pour soutenir la «sentence» proprement dite);
Cette nullité absolue procède de deux chefs: l'excès de pouvoir et le
défaut de motivation, i'excès de pouvoir lui-même reposant sur deux
causes.

216. La première caused'excèsde pouvoir réside dans la réponse
refusée à la 2' question posée à l'article 2 du compromis. La première question :l'accord de 1960fait-il droit? n'étaitpas autonome.
Elle étaitlicc logiqucrncnt ;ila secondc: cn cas dc réponsenég3iii.cila
premierc. quel est le trxr' de Inlignc délimitant le5territoires niaritinies?
La restriction introduite par les les seules zonedans la réponsedon-
néepar le dispositifà la première question,jointe aux explications du para-
graphe 85 des motifs
«le Tribunal estime que l'accordde 1960ne délimitepas lesespaces
maritimes qui n'existaient pas à cette date»,
ne pouvaient déboucher que sur la constatation d'une réponse partielle-
ment négative à la première question, doncsur la nécessitéde répondre à
la seconde.
C'est là exactement ce que soutient le président dans sa déclaration. Il
voyait ainsi le moyen de ((trancher le différendde manière complète)).

217. Le Tribunal (donc le seul arbitre André Gros) a refusé toute
réponse à la seconde question.
Aucune motivation acceptable n'a étédonné de ce refus.
L'analyse des incohérences et contradictions a montré comment le para-
graphe 87 étaiten véritéune contre-motivation: les prémisesénoncésdu
raisonnement (conclusions ci-dessus + article 2 du compromis) condui-
saient à une conclusion (il est nécessaire de répondre à la 2' question)
notoirement en contradiction avec celle avancée(la 2' question n'appelle
pas de réponse de la part du Tribunal).

218. Le Tribunal (réduit à l'unité)a ainsi délibérementvioléle
compromis. Là où sa compétence était précisément indiquéei,l en a fixé
les bornes à sa guise et autrement. II est en réalité revenu (sansmandat
pour le faire)àl'unique question poséedans le contre-projet sénégalaisde

La d'écisionproduite fixe les délimitations partielles de la mer territoriale,
de la zone contiguë et du rilateau continental et non «la ligne délimitant
les territoires maritimes)) (article - paragraphe 2 du cokpromis).
Or la question de la délimitationde la mer territoriale, de la zone contigüe
et du plateau continental n'était pascomme telle une question soumise au
Tribunal. Elle forme une question différentede celles auxquelles il était
tenu de répondre.
Elle n'a en soi aucune base dans le compromis. Le Tribunal nëtait pas habi-
litea la traiter.
IIn'avait de pouvoir que pour en traiter une autre: celle de la délimitation
complète pour laquelle il devait en question préalablese prononcer sur les
effets de l'échangede lettres franco-portugais de 1960.Ainsi en avaient
voulu les deux Etats. La Guinée-Bissaun'avait accepté l'engagement arbi-
tral qu'à ces conditions.
Aussi ledispositif qui ne traiteue d'une seule question celle de certaines
zones, se trouve-1-idansson entierextra compromissuni et frappéde nullité
absolue.

219. La nécessitéde la ligne unique avait étéimposéesans ambi-
guïtédans le compromis, comme on l'a démontréau chapitre IIIdu pré-
sent Mémoire et cela correspond d'ailleurs à l'évolutionactuelle du droit
de la mer qui fait du plateau continental et de la zone économique exclu-
sive, deux institutions distinctes, mais qui dans ses tendances récentesfait coïncider le plus souvent les délimitations de ces deux catégories
d'espaces.
Le Tribunal ne s'aventure nulle partàdire expressémentqu'il yaurait plu-
sieurs lignes.
Au paragraphe 87 lorsqu'il annonce ne pasjoindre de cartà sadécision(ce
qui n'est nullement motivé)il parle mêmede Ioligne frontière, reprenant
ainsi le singulier sans que'on sache vraiment s'ilfait sienne cette expres-
sion, ou ne fait que reprendre les termes de l'article 9 du compromis.
«Au surplus, le Tribunal n'a pasjugéutile, étant donné sadécision,
de joindre une carte comprenant le tracé de la ligne frontière. ))
Le Tribunal a cependant failli à la délimitation complète qui par une
démarche achevée pouvait et devait produire une ligne.
IIy a là une autre cause d'excèsde pouvoir pour une autre violation des
dispositions du compromis: celles impératives relatives à une ligne
unique.

220. De surcroît la non-réponse à la seconde question et la non-
délimitation complète pourtant demandée, outre qu'elles sont en rupture
avec les termes du compromis, constituent un non liquet contraire aux
principes dujudiciaire. LeTribunal adéveloppéun attitude négotive(totale
ou partielle).
Tout tribunal doit avoir une attitude positive. Cela consisàrépondrepar
I'afirmative ou la négativeà toutes les questions que lui posent les parties
et qui constituent le différend.Refuser de répondre,c'estpour un Tribunal
manquer à sa fonction.

221. Losecondecaused'excèsdépouvoirtient à l'absence de carte. II
y a eu ici rupture avec les commandements du compromis (article 9 para-
graphe 2) : «Cette décision doitcomprendre le tracéde la ligne frontière
SUI une carte. »
Le tracésur une carte devaitfaire partie de la décision.Le ton du compro-
mis est ici l'impératif.
L'excès de pouvoir estsi manifeste dans ce cas qu'il suffiraità lui seulà
entraîner la nullité absolue de la «sentence», une nullité confinant à
l'inexistence.
La«décision»(spéciale) selonlaquelle la décision(générale)ne compren-
drait pas de carte n'est pas motivée (paragraphe 87).

222. Elle est étrangement commentée:
«au surplus, le Tribunal n'a posjugéutile, étant donnésa décision,
de joindre une carte comprenant le tmcé de la ligne frontière.))
A la nécessitéde motiver. le Tribunal a substitué son -iu-ement». Il n'a
pas jugé utile.
Une exigencejuridique posée entermes de droit ne doit paset ne peut pas
dépendre d'une question d'utilité.
Quelles que soient les réponsesapportées aux questions posées,ellesdoi-
vent produire une ligne que leTribunal doit tracer sur une carte avec l'aide
si besoin en est, d'experts techniques.
Les Parties ont attribué au Tribunal compétence pour le faire. Elles n'ont
passubordonnécette compétence à une condition d'utilité.Le compromis
ne disposait pas: «si le Tribunal le juge utile, il peut tracer la ligne sur une carte.))
En introduisant la condition d'utilité dont ilest juge, le Tribunal a
confondu l'obligation de tracer la ligne sur une carte avec l'utilité (à ses
yeux) de tracer la ligne sur une carte. II y alà une erreur grossièresur la
notion d'obligation.
II a agi comme s'ildisposait d'une compétencediscrétionnaire. alorsqu'il
se trouvait investi d'une compétence liée.

223. Le difaut de motivation
Ce défautgénérateurde nullitéen soi est apparu tout au long des analyses
aui orécèdent.
~a <;sentence» ressemble plutôt à une non-décision qu'à une véritable
décision tant elle est incomplète (le président l'a souligné)et en rupture
avec diverses prescriptions essentielles du compromis.
Ne sont motivéesdans les élémentsconfus qu'elle comporte que la confir-
mation de l'échangede lettres franco-portugais (sur des arguments émi-
nemment discutables mais dont il n'y a pas lieu ici de faire l'analyse), la
restriction dans l'application de ce texteauxseuleszones ymentionnéeset
l'exclusion de son champ d'application des zones maritimes qui n'exis-
taient pas à cette époque.

224. Aucune motivation n'est donnée à la décisionde ne paspasser
à la seconde question.
Y-a-t-ileu un vote sur ce point lors du délibéré?Comptetenu de i'opinion
dissidente de M. Bedjaoui et de la déclarationdu présidentBarberis la cer-
titude s'im~ose au'il n'v a oas eu de maiorité Dour soutenir cette non-
réponse. . .
D'où vient alors la contre-motivation relevéecontenue au paragraphe 87
de I:i sentcnsc 8,! Les deux elemcnis vises (conclusions prec6dcnres et

article 2 du compromis) deiruisenl loui fondcnieni iila proposition cnon-
cée :
«la deuxième question de l'avis du Tribunal, n'appelle pas une
réponse de sa part. ))

225. Aucune motivation n'est donnée nulle part à la non-produc-
lion d'une ligne unique telle qu'elle a étédécrite précédemment.

226. Aucune motivation n'est donnéeau refus de produire un tracé
de la ligne surune carte, aucune motivationjuridique car l'utilité n'estpas
un argument juridique

3. Prolongements et conclusions

227. L'arbitrage international est une procédurede règlement des
diffrends dont le succès et l'efficacitétiennent au fait qu'elle est dans
une étroite dépendancede la volontédes Parties tout en étantsoumise à
l'encadrement de quelques principes générauxuniversellement reconnus.
L'échecde l'arbitrage entre la Républiquede Guinée-Bissauet la Républi-
que du Sénégal pourle règlement du différendconcernant leur délimita-
tion maritime tient non seulement au fait que la «sentence» contenaitde multiples et arossières violations de I'eneaaement d'arbitrage. exorcs-
sion de làvolonÏe commune des Parties. ma'; cncorr. que le 'l'ri6unala agi
en manquement avec les principes généraux de l'arbitrage international.

228. Ces principes commandent au Tribunal d'éviterautant qu'il lui est
possible le non.,liquet en recherchant dans le compromisles fondements
d'une compétence applicable eu égard aux faits de la cause.
Si le compromis parail obscur à la compétence exacte qu'il coniere
au Tribunal, celui-cia le devoir d'en tenter l'interprétation selon les règles
bien fixéesde I'interorétationde tout accord. 3savoir en fonction de I'ohiet
et du but du traité.
Le présent Mémoire a été l'occasion d'exposer (chapitre III) comment,
ainsi éclairéDarson but (obtenir une délimitation totale oar une lien- uni-
que) sur lequel il n'y eut jamais aucune incertitude, le compromis conte-
nait des orescriotions aui n'entravaient oas l'action du Tribunal. mais lui
indiquai& les'bornes- à l'intérieur deSquelles devaient se déployer sa
capacité de décision.

229. A supposer (ce qui n'est pas)que le Tribunal eût rencontré
sur ce point une difficultéparticulière, deux voies s'ouvriraient à lui qu'il
n'a empruntées ni l'une ni l'autre :
- demander auxParties de changer et de préciseréventuellementles ques-
tions posées par elles. Cela n'a pas étéevisagée;
- prononcer un non-liquet, mais en le motivant, c'est-à-dire en décrivant
l'éventuelle impossibilitéde statuer rencontrée. II n'ya rien de tel dans les
motifs de la ((sentence ».

230. Les Parties se trouvent maintenant confrontées ensemble
(malgréle refus du gouverment du Sénégald'en convenir) à une nsen-
tencen radicalement inaoolicable Dar l'accumulation de lacunes et de
contradictions qu'elle comporte. '
Cela aussi esten contradiction avec les princip.s g-nérauxde l'arbitrage -t
de la -urid~c~ ~ ~ ~~-~~~tionales.
Ils imposent que l'arbitre ou le&e auquel les Parties ont confiél'issue de
leur différenden a-issent avec clarté.La «sentence» doit êtrelimoide et
son exécution praticable.
Le texte du 31 juillet 1989 est totalement dépourvu de ces caractères.

231. La«sentence» ne peut mêmepas êtreconsidérée simplement
comme une sentence oartielle. inachevée. au'il ne resterait olus au'a
-- ..v.-.-..
Cela est imoossible et par la nature desauestions ooséeset par le contenu
des motifs éxposéset-des éléments de-décision-fournis. '
LeTribunal a confirméla délimitationd'une partiedes espaces (la mer ter-
ritoriale, la zone contiguë, le plateau continental).
Cette délimitation ne s'étendpasaux autres espaces sousjuridiction natio-
nale: 11est ainsi reconnu au'il faut orocéder à leur délimitation ex novo.
II est admis aussi qu'aucun argument ne permet d'en aligner la délimita-
tion sur celle de 1960.Le caractère manifestement inéquitable de celle-ci
au regard des exigences contemporaines du droit de la mer n'apas manqué
sans doute de frapper le Tribunal. Tout s'arrêteici. Mais l'inachèvement
est destmcteur du peu qui avait étéétabli,car les questions formaient un
tout indivisible.1.r.dclibere garde son secret. Conipie tenu dc cc quc deux des arbitres ont
cx~rimépar leur opinion disiidenic et lcur declarlirion. ilcsi posbihlc en
logique de reconstruire une explication.
C'estparce qu'il n'ya pas eu d'accord suffisant entre les arbitres pour cons-
tituer une majoritésur une décisioncomplète (élément fondant I'inexis-
tence de la ((sentence »),qu'il n'ya eu dans le prononcéque deséléments
fragmentaires, invalides et non motivés(fondant la nullité).
Ceci explique alors cela. CONCLUSIONS

Le gouvernement de la Guinée-Bissaupar les motifs ci-dessusexposés,et
par tous les autres les complétant ou amendant qu'elle se réservede pro-
duire et développerdurant la suite de la procédure écriteet orale, prie res-
pectueusement la Cour de dire et juger:

- que la prétendue((sentence» du 31juillet 1989est frappéed'inexistence
par lefait que,desdeux arbitres ayant constitué en apparence une majorité
en faveur du texte de la «sentence», l'un a, par une déclarationannexe,
exprinié une opinion en contradiction avec celle apparemment votée;

-subsidiairement, que cette prétendue décision est frappéede nullité
absolue, le Tribunal ayant négligde répondreà lasecondequestion posée
par le compromis d'arbitrage, alors que sa réponsà la première question
ouvrait la nécessitéd'une réponse à la seconde, ne s'étantpas conformé
aux dispositions du compromis arbitral par lesquelleslétaitdemandéau
Tribunal de décidersur la délimitation de l'ensemble des espaces mariti-
mes, de le faire par une ligne unique et d'en porter le tracésur une carte et
n'ayant pas motivé les restrictions ainsi abusivement apportées à sa
compétence ;

- que c'est doncà tort que le gouvernemer? du Sénégalprétendimposer à
celui de la Guinée-Bissaul'application de la prétendue sentence du 31juil-

let 1989.

Le 2 Mai 1990 L'agent du gouvernement
de la Guinée-Bissau
F. Cabral de Almada,
Ministre d'Etat.

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Mémoire du Gouvernement de la Guinée-Bissau

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