Résumé de l'arrêt du 6 novembre 2003

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9745
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Number (Press Release, Order, etc)
2003/2
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
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Résumé 2003/2

Affaire des plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique)

Résumé de l’arrêt du 6 novembre 2003

Historique de la procédure et conclusions des Partiespar. 1-20)

Le 2 novembre 1992, la République islamique d’Iran (dénommée ci-après l’«Iran») a déposé
une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (dénommés ci-après les
«Etats-Unis») au sujet d’un différend «a[yant] pour origine l’attaque et la destruction de trois

installations de production pétroliè re offshore, propriété de la co mpagnie nationale iranienne des
pétroles et exploitées par elle à des fins commerciale s, par plusieurs navires de guerre de la marine
des Etats-Unis, les 19 octobre 1987 et 18 avril 1988, respectivement».

Dans sa requête, l’Iran soutenait que ces actes constituaient une «violation fondamentale» de
diverses dispositions du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre les Etats-Unis et
l’Iran, signé à Téhéran le 15août1955 et entré en vigueur le 16juin1957 (dénommé ci-après le
«traité de1955»), ainsi que du droit interna tional. La requête invoquait comme base de
compétence le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955.

Dans le délai prescrit aux fins du dépôt du contre-mémoire, l es Etats-Unis ont soulevé une
exception préliminaire à la compétence de la Cour conformément au paragraphe 1 de l’article 79 du
Règlement de la Cour du 14avril1978. Dans s on arrêt du 12décembre1996, la Cour a rejeté
l’exception préliminaire des Etats-Unis selon laquelle le traité de 1955 ne saurait d’aucune manière

fonder la compétence de la Cour et a dit qu’elle avait compétence, sur la base du paragraphe 2 de
l’articleXXI du traité de1955, pour connaître des demandes formulées par l’Iran au titre du
paragraphe 1 de l’article X dudit traité.

Le contre-mémoire des Etats-Unis incluait une demande reconventionnelle portant sur «les

actions menées par l’Iran dans le Golfe en 1987 et1988, qui comportaient des opérations de
mouillage de mines et d’autres attaques contre des navires battant pavillon des Etats-Unis ou
appartenant à ceux-ci». Par ordonnance du 10mars1998, la Cour a dit que cette demande
reconventionnelle était recevable comme telle et faisait partie de l’instance en cours.

Des audiences publiques ont été tenues du 17 fé vrier au 7 mars 2003, au cours desquelles les
Parties ont été entendues en leurs plaidoiries et réponses sur la demande de l’Iran et la demande
reconventionnelle des Etats-Unis. Dans la procédur e orale, les conclusions finales ci-après ont été
présentées par les Parties : - 2 -

Au nom du Gouvernement de l’Iran,

à l’audience du 3 mars 2003, concernant la demande de l’Iran :

«La République islamique d’Iran prie respectueusement la Cour, une fois
rejetées toutes demandes et conclusions en sens contraire, de dire et juger :

1. qu’en attaquant et en détruisant, les 19octobre1987 et 18avril1988, les
plates-formes pétrolières mentionnées dans la requête de l’Iran, les Etats-Unis ont
manqué à leurs obligations vis-à-vis de l’Iran au regard du paragraphe1 de

l’article X du traité d’amitié, et que la responsabilité de ces attaques incombe aux
Etats-Unis; et

2. que les Etats-Unis sont donc tenus de réparer intégralement le préjudice ainsi
causé à l’Iran pour avoir manqué à leurs ob ligations juridiques internationales,

selon des formes et un montant à déterminer par la Cour à un stade ultérieur de
l’instance, le droit de l’Iran d’introduire et de présenter, le moment venu, à la
Cour une évaluation précise des réparations dues par les Etats-Unis étant réservé;

et d’ordonner

3. tout autre remède que la Cour jugerait approprié»;

à l’audience du 7 mars 2003, concernant la demande reconventionnelle des Etats-Unis :

«La République islamique d’Iran prie respectueusement la Cour, une fois
rejetées toutes demandes et conclusions en sens contraire, de dire et juger :

que la demande reconventionnelle des Etats-Unis est rejetée.»

Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,

à l’audience du 5 mars 2003, concernant la demand e de l’Iran et la demande reconventionnelle des
Etats-Unis :

«Le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique prie respectueusement la Cour

de dire et juger :
1) que les Etats-Unis n’ont pas enfreint les obligations qui étaient les leurs envers la
République islamique d’Iran au titre du pa ragraphe 1 de l’articleX du traité
de 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran; et

2) que les demandes de la République islamique d’Iran doivent en conséquence être
rejetées.

S’agissant de leur demande reconventionnelle, les Etats-Unis d’Amérique prient
la Cour de dire et juger :

1) une fois rejetée toute conclusion en sen s contraire, qu’en attaquant les navires
dans le Golfe avec des mines et des missiles et en menant d’autres actions

militaires dangereuses et nuisibles pour le commerce et la navigation entre les
territoires des Etats-Unis et de la Républ ique islamique d’Iran, celle-ci a enfreint
les obligations qui étaient les siennes enve rs les Etats-Unis au titre de l’article X

du traité de 1955; et - 3 -

2) que la République islamique d’Iran est en conséquence tenue de réparer
intégralement le préjudice qu’elle a causé aux Etats-Unis par sa violation du traité

de 1955, selon des formes et un montant à déterminer par la Cour à un stade
ultérieur de l’instance.»

Base de compétence et circonstances de l’espèce (par. 21-26)

La Cour commence par faire observer qu’elle a pour tâche, en la présente instance, de
déterminer s’il y a eu ou non violation du traité de 1955 et, si elle juge que tel est le cas, d’en tirer
les conséquences appropriées au vu des conclusions des Parties. La Cour est saisie à la fois d’une

demande de l’Iran alléguant que les Etats-Un is ont violé le traité, et d’une demande
reconventionnelle des Etats-Unis alléguant que l’Ira n a violé celui-ci. La compétence de la Cour
pour connaître de la demande et de la demande reconventionnelle découlerait du paragraphe2 de
l’article XXI du traité de 1955.

La Cour rappelle que, s’agissant de la demande de l’Iran, la question de la compétence a fait
l’objet d’un arrêt, rendu le 12décembre1996. Elle note que les Parties ont cependant soulevé,
quant au sens ou à la portée exacts de cet arrêt, certaines questions qui sont examinées plus loin.

Quant à la demande reconventionnelle, la Cour rappelle en outre que, par ordonnance rendue
le 10mars1998, elle a déclaré cette demande rece vable et a indiqué que les faits allégués par les
Etats-Unis et sur lesquels ceux-ci s’appuient «sont susceptibles d’entrer dans les prévisions du

paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 tel qu’interprété par la Cour» et que, dès lors, «celle-ci
est compétente pour connaître de la demande rec onventionnelle des Etats-Unis dans la mesure où
les faits allégués ont pu porter atteinte aux libert és garanties par le paragraphe1 de l’articleX»
(C.I.J. Recueil 1998, p.204, par.36). Elle relève que, là encore, les Parties ont soulevé, quant au

sens et à la portée de cette décision relative à la compétence, des questions qui sont examinées plus
loin.

La Cour souligne qu’il ressort toutefois des décisions précitées qu’il ne saurait être fait droit

à la demande de l’Iran et à la demande reconventionnelle des Etats-Unis que pour autant qu’une ou
plusieurs violations du paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 peuvent être établies, même si
d’autres dispositions du traité peuvent être per tinentes pour interpréter ce paragraphe. Le
paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 est libellé comme suit : «Il y aura liberté de commerce

et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.»

La Cour décrit ensuite les circonstances de l’espèce telles qu’elles ressortent des écritures
des deuxParties, en relevant que celles-ci, dans le urs grandes lignes, ne sont pas contestées. Les

actions à l’origine de la demande et de la demande reconventionnelle s’inscrivent dans le contexte
des événements survenus dans le golfe Persique —voie internati onale d’échanges et de transport
d’importance majeure— entre 1980 et 1988, en partic ulier du conflit armé entre l’Iran et l’Iraq.
En 1984, l’Iraq commença à attaquer des navires dansle golfe Persique, notamment des pétroliers qui

transportaient du pétrole iranien. Ce furent les premiers incidents de ce qui devait plus tard être
appelé la «guerre des pétroliers»: entre 1984 et1988, des navires de commerce et des bâtiments de
guerre de diverses nationalités, y compris des navires neutres, fu rent attaqués par des avions, des
hélicoptères, des missiles ou des navires de guerre, ou heurtè rent des mines dans les eaux du golfe

Persique. Les forces navales des deuxparties bell igérantes menaient des opérations dans la région,
mais l’Iran nie être responsable de quelque action que ce soit, à l’exception d’incidents concernant
des navires ayant refusé l’arraisonnement et la fouille demandés en bonne et due forme. Les

Etats-Unis attribuent à l’Iran la responsabilité de certains incidents, alors que l’Iran laisse entendre
que l’Iraq en était responsable. - 4 -

La Cour note que deux attaques dirigées contre des navires présentent un intérêt particulier
en l’espèce. Le 16octobre1987, le pétrolier koweïtien SeaIsleCity , réimmatriculé aux

Etats-Unis, fut touché par un missile près du port de Koweït. Les Etats-Unis attribuèrent cette
attaque à l’Iran et, troisjours plus tard, le 19 octobre1987, ils attaquèrent des installations
iraniennes de production de pétrole offshore faisant partie du complexe de Reshadat [«Rostam»].
Le 14avril1988, le navire de guer re américain USS SamuelB.Roberts , de retour d’une mission

d’escorte, heurta une mine dans les eaux internationales à proximité de Bahreïn; quatre jours plus
tard, les Etats-Unis attaquèrent simultanément et détruisirent avec leurs forces navales les complexes
de Nasr [«Sirri»] et de Salman[«Sassan»].

Ces attaques menées par des forces américaines contre les plates-formes iraniennes
constituent selon l’Iran une violation du traité de 1955; et les attaques contre le SeaIsleCity et
l’USS Samuel B. Roberts sont invoquées par les Etats-Unis pour affirmer qu’ils ont agi en état de

légitime défense. La demande reconventionnelle des Etats-Unis ne se limite cependant pas à ces
attaques.

Les Etats-Unis attribuent un comportement illicite à l’Iran et prient la Cour de rejeter sa demande

(par. 27-30)

La Cour examine tout d’abord une argumentation à laquelle les Etats-Unis semblent attribuer
un certain caractère préliminaire. Les Etats-Un is, attribuant à l’Iran un comportement illicite, à

savoir la violation du traité de1955 ainsi que d’autres règles du droit international régissant
l’emploi de la force, prient la Cour de rejeter la demande de l’Iran et de lui refuser la réparation
qu’il sollicite.

La Cour note que, pour parvenir à la conclusi on demandée par les Etats-Unis, il lui faudrait
examiner les actions de l’Iran et des Etats-Unis da ns le golfe Persique duran t la période pertinente
—ce qu’elle doit également faire pour statuer sur la demande iranienne et la demande
reconventionnelle des Etats-Unis. C’est pourquoi elle n’est pas tenue, à ce stade de son arrêt, de se

pencher sur cette conclusion.

Application de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955 (par. 31-78)

La Cour rappelle que le différend, en la présente espèce, a été porté devant elle sur la base de
compétence constituée par le paragraphe2 de l’ articleXXI du traité de1955, selon lequel «Tout
différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Part ies contractantes quant à l’interprétation ou à
l’application du présent traité et qui ne pourrait p as être réglé d’une manière satisfaisante par la

voie diplomatique sera porté devant la Cour inte rnationale de Justice, à moins que les Hautes
Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques.»

La Cour rappelle en outre que, par son a rrêt du 12décembre1996, elle s’est déclarée

compétente, sur la base de cet article, «pour connaître des demandes formulées par la République
islamique d’Iran au titre du para graphe1 de l’articleX dudit traité» (C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 821, par. 55, alinéa 2)). Il lui incombe donc de rechercher s’il y a eu violation par les Etats-Unis
des dispositions du paragraphe 1 de l’article X; les autres dispositions du traité ne sont pertinentes

que dans la mesure où elles peuvent avoir une in cidence sur l’interprétation ou l’application de ce
texte.

A cet égard, la Cour relève que, selon les Etats-Unis, l’alinéad) du paragraphe1 de

l’articleXX du traité permet de trancher la qu estion de l’existence d’ une violation de leurs
obligations en vertu de l’article X. Ce paragraphe dispose que : - 5 -

«Le présent traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

d) … nécessaires à l’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties
contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la

sécurité internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie
contractante sur le plan de la sécurité.»

Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 12 décembre 1996 sur l’exception préliminaire des Etats-Unis,

la Cour a jugé que l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX n’ouvre pas une exception
d’incompétence, mais «offre seulement aux Parties [, le cas échéant, ] une défense au fond»
(C.I.J. Recueil 1996 (II), p.811, par.20). Conformément au paragraphe2 de l’articleXXI du
traité, il appartient aujourd’hui à la Cour, d ès lors qu’une telle défense est présentée par les

Etats-Unis, d’interpréter et d’appliquer cet alinéa.

Pour faire droit à la demande de l’Iran, la C our doit être convaincue à la fois que les actions
des Etats-Unis dont se plaint l’Iran ont porté attein te à la liberté de commerce entre les territoires

des parties garantie par le paragraphe 1 de l’article X, et que ces actions n’étaient pas justifiées par
la nécessité d’assurer la protection des intérêts vita ux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, au
sens de l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX. La question se pose toutefois de savoir dans

quel ordre la Cour doit examiner ces questions d’interprétation et d’application du traité.

En la présente espèce, la Cour est d’avis que des considérations particulières incitent à
examiner l’application de l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX avant d’aborder le

paragraphe 1 de l’article X. Il est indéniable que le différend initial entre les Parties portait sur la
licéité des actions menées par les Etats-Unis, à la lumière du droit international relatif à l’emploi de
la force. A l’époque, aucune des deux Parties n’ a mentionné le traité de1955. Les Etats-Unis
soutenaient alors que leurs attaques contre les plat es-formes pétrolières étaient justifiées au titre de

la légitime défense, en réponse à ce qu’ils cons idéraient comme des agressions armées de l’Iran,
raison pour laquelle ils ont porté leurs actions à la connaissan ce du Conseil de sécurité
conformément à l’article51 de la Charte des Natio nsUnies. Devant la Cour, les Etats-Unis ont
continué d’affirmer que l’exercice du droit de légitime défense justifiait leurs actions; ils

soutiennent que, même si la Cour devait conclure que leurs actions n’entraient pas dans le champ
d’application de l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX, e lles n’étaient pas illicites, en tant
qu’elles constituaient des actes de légitime défense nécessaires et appropriés. En outre, ainsi que
les Etats-Unis eux-mêmes le reconnaissent dans le ur duplique, «[l]es aspects de la présente espèce

touchant à la légitime défense soulèvent des questions de la plus haute importance pour l’ensemble
des membres de la communauté internationale», et les deux Parties conviennent que la présente
affaire est loin d’être sans incidences en matière d’ emploi de la force, même si elles tirent de ce
constat des conclusions opposées. La Cour consid ère donc que, dans la mesure où la compétence

que lui confère le paragraphe2 de l’articleXXI du traité de1 955 l’autorise à examiner ces
questions et à se prononcer sur celles-ci, elle doit le faire.

Les Parties sont en désaccord sur la question du lien entre la légitime défense et l’alinéad)

du paragraphe1 de l’articleXX du traité, s’agissant notamment de la compétence de la Cour. De
l’avis de celle-ci la Cour, il s’agit ici d’une questi on d’interprétation du traité , et en particulier de
l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX. Il y a lieu de déterminer si les parties au traité de 1955,
en précisant dans celui-ci qu’il «ne fera pas obstacle à l’application de mesures … nécessaires … à

la protection des intérêts vitaux…sur le plan de la sécurité» de l’une ou de l’autre des parties,
avaient l’intention de lui donner un tel effet, même lorsque ces mesures impliquaient un recours à - 6 -

la force armée; et, dans l’affirmative, si les parties envisageaient ou admettaient une limitation
selon laquelle un tel recours devrait être compa tible avec les conditions énoncées par le droit

international. La Cour estime que la compétence que lui confère le paragr aphe 2 de l’article XXI
du traité de1955 pour régler toute question co ncernant l’interprétation ou l’application de
⎯ notamment ⎯ l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX de ce traité l’autorise aussi, en tant
que de besoin, à déterminer si une action présen tée comme justifiée par ce paragraphe constituait

ou non un recours illicite à la force au regard du droit international applicable en la matière, à
savoir les dispositions de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier.

La Cour commence donc par examiner l’application de l’alinéad) du paragraphe1 de

l’articleXX du traité de1955, ce qui, dans les circonstances de l’espèce, et ainsi qu’il a été
expliqué plus haut, fait intervenir le principe de l’interdiction en dr oit international de l’emploi de
la force et sa limitation constituée par le droit de légitime défense. Compte tenu de cette

disposition, une partie au traité peut être f ondée à prendre certaines mesures qu’elle considère
comme «nécessaires» à la protection de ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. En l’espèce, la
question de savoir si les mesures adoptées étaient «nécessaires» recoupe en partie celle de leur
validité en tant qu’actes de légitime défense.

La Cour relève à cet égard qu’il n’est pas contesté par les Parties que, durant la guerre entre
l’Iran et l’Iraq, la navigation neut re dans le golfePersique avait été considérablement entravée et
avait subi des pertes et de graves dommages. Elle relève également que cette situation était dans

une large mesure le résultat de la présence de mines et de champs de mines posés par les deux
parties au conflit. La Cour n’a pas compétence pour s’interroger sur la question de savoir si et dans
quelle mesure l’Iran et l’Iraq se sont conformés a ux règles de droit international applicables aux
conflits armés sur mer. Elle peut toutefois prendre note de ces circonstances, qui selon les

Etats-Unis étaient pertinentes aux fins de le ur décision de mener contre l’Iran les actions
considérées par eux comme nécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité.
La licéité des mesures prises par les Etats-Unis n’en doit pas moins être évaluée au regard de
l’alinéa d) du paragraphe1 de l’article XX du traité de1955, à la lumière du droit international

relatif à l’emploi de la force en cas de légitime défense.

La Cour observe que les Etats-Unis n’ont ja mais contesté que leurs actions dirigées contre
les plates-formes iraniennes relevaient de l’emploi de la force armée. Elle indique qu’elle

examinera si chacune d’entre elles satisfait aux conditions de l’alinéad) du paragraphe1 de
l’article XX, tel qu’interprété à la lumière des règles pertinentes du droit international.

L’attaque du 19 octobre 1987 contre Reshadat (par. 46-64)

La Cour rappelle que les premières installati ons attaquées, le 19oct obre1987, furent celles
du complexe de Reshadat, qui était joint par ol éoduc sous-marin à un au tre complexe, celui de
Resalat. Au moment des attaques menées par les Et ats-Unis, ces complexes ne produisaient pas de

pétrole, du fait des dommages causés par les attaques iraquiennes antérieures. L’Iran a affirmé que,
en octobre1987, la réparation des plates-formes était quasiment achevée. Les Etats-Unis ont
toutefois contesté cette assertion. L’attaque se solda par la destruction quasi totale d’une
plate-forme et de graves dommages à une autre, et selon l’Iran, la production des complexes de

Reshadat et Resalat fut interrompue pendant plusieurs années.

La Cour porte en premier lieu son attention sur les faits de na ture à confirmer ou à infirmer
le bien-fondé de l’affirmation des Etats-Unis sel on laquelle ceux-ci auraient exercé leur droit de

légitime défense. Dans leur communication susmen tionnée au Conseil de s écurité, les Etats-Unis
fondaient cette affirmation sur l’existence d’«une série d’attaques armées illégales que les forces
iraniennes [avaient] lancées contre les Etats-Unis, y compris le mouillage de mines auquel il [avait]
été procédé dans les eaux internationales en vue de couler ou d’endommager des navires battant - 7 -

pavillon américain, ainsi que des tirs non provo qués contre des aéronefs américains»; les
Etats-Unis invoquaient notamment une attaque au missile contre le Sea Isle City comme étant

l’incident particulier déclencheur de leur attaque contre les plates-formes iraniennes. Devant la
Cour, ils ont plus particulièrement fondé leur argumentation sur cette attaque contre le
Sea Isle City, mais n’en ont pas moins continué à insister sur le rôle des autres attaques.

La Cour souligne que les Etats-Unis ne pr étendent pas avoir agi dans l’exercice de la
légitime défense collective au nom des Etats neut res se livrant à la navigation dans le golfe
Persique. Par conséquent, pour établir qu’ils étaient en droit d’attaquer les plates-formes iraniennes
dans l’exercice du droit de légitime défense indivi duelle, les Etats-Unis doivent démontrer qu’ils

ont été attaqués et que l’Iran était responsable des attaques; et que celles-ci étaient de nature à être
qualifiées d’«agression armée» tant au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies que selon
le droit coutumier en matière d’emploi de la force. Les Etats-Unis doivent également démontrer
que leurs actions étaient nécessaires et proportionnées à l’agression armée subie par eux, et que les

plates-formes constituaient une cible militaire légiti me susceptible d’être a ttaquée dans l’exercice
de la légitime défense.

Ayant examiné très attentivement les éléments et arguments présentés par chaque Partie, la

Cour estime que les preuves apportées à l’appui de la responsabilité iranienne dans l’attaque contre
le Sea Isle City ne suffisent pas à fonder les affirmations des Etats-Unis. La Cour conclut donc sur
ce point de l’affaire que les Etats-Unis ne se sont pas acquittés de la charge de la preuve qui pesait
sur eux, à savoir démontrer l’existence d’une agression armée contre eux par l’Iran, sous la forme

d’une attaque au missile contre le Sea Isle City.

Toutefois, que ce soit dans la lettre qu’ils ont adressée au Conseil de sécurité ou devant la
Cour, les Etats-Unis ont également affirmé que l’attaque contre le Sea Isle City n’était «que la

dernière d’une série de tirs de missiles [dans les eaux du Koweït] contre des bâtiments battant
pavillon américain et…d’autres navires…non belligérants [se livrant pacifiquement au
commerce]».

La Cour conclut que, même pris conjointement, et réserve faite, comme il a déjà été dit, de la
question de la responsabilité de l’Iran, ces incide nts ne lui semblent pas constituer une agression
armée contre les Etats-Unis.

Les attaques du 18avril1988 contre Nasr et Salman, et l’opération «Praying Mantis»
(par. 65-72)

La Cour rappelle que des installations pétrolières iraniennes furent attaquées une seconde

fois le 18 avril 1988, lors de l’action menée contre les plates-formes de Salman et de Nasr. L’Iran
expose que l’attaque endommagea gravement les infrastructures de production des plates-formes et
que les activités du complexe de Salman furent totalement interrompues pendant quatreans, la
production n’ayant repris régulièrement qu’en septembre1992, pour n’atteindre son niveau

habituel qu’en 1993; et que les activités de l’ense mble du complexe de Nasr furent interrompues et
ne reprirent que près de quatre années plus tard.

La nature des attaques menées contre les complexes de Salman et de Nasr, ainsi que la

justification invoquée, furent exposées au Conseil de sécurité des Nations Unies par les Etats-Unis
dans une lettre en date du 18 avril 1988 du représentant permanent des Etats-Unis, dans laquelle les
Etats-Unis déclaraient, entre autres, qu’ils avaient «exercé leur droit naturel de légitime défense
reconnu par le droit international en prenant des mesures défensives en réponse à une attaque de la

République islamique d’Iran contre un navire des Etats-Unis d’Amérique se trouvant dans les eaux
[internationales] du golfe Persique », à savoir le minage du navire américain Samuel B.Roberts ;
selon les Etats-Unis, «[c]e n’[était] là que la dern ière d’une série d’attaques et de provocations

auxquelles les forces navales iraniennes se sont liv rées contre des navires marchands de pays
neutres dans les eaux internationales du golfe Persique.» - 8 -

La Cour relève que l’attaque menée contre les plates-formes de Salman et de Nasr ne
constituait pas une action isolée visant simplement le s installations pétrolières, ce qui avait été le

cas des attaques du 19 octobre 1987. Elle s’inscriv ait dans le cadre d’une opération militaire bien
plus vaste, appelée «Operation Praying Mantis» («mante religieuse»), menée par les Etats-Unis
contre ce qu’ils estimaient être des «cibles militaires légitimes»; la force armée fut employée, et des
dommages furent infligés à plusieurs cibles, av ec notamment la destru ction de deux frégates

iraniennes ainsi que de plusieurs navires et aéronefs militaires iraniens.

Comme dans le cas de l’attaque contre le Sea Isle City , la première question qui se pose est
celle de savoir si les Etats-Unis ont rapporté la preuve, dont la charge leur incombe, que

l’USS Samuel B. Roberts a été touché par une mine mouillée par l’Iran. La Cour note que, à
l’époque, l’Iraq et l’Iran, qui étaient en guerre, mouillaient tous deux des mines, de sorte que les
éléments démontrant l’existence d’autres opérations iraniennes de mouillage de mines ne
permettent pas de conclure que l’ Iran est responsable du mouillage de cette mine particulière. Le

principal élément de preuve apporté à l’appui de l’affirmation selon laquelle la mine heurtée par
l’USS Samuel B.Roberts aurait été mouillée par l’Iran est la découverte dans la même zone de
mines lestées portant des numéros de série similaires à ceux d’autres mines iraniennes, en
particulier celles trouvées à bord de l’IranAjr . Cet élément de preuve n’est certes pas dépourvu

d’importance, mais il n’est pas déterminant.

En outre, aucune autre attaque contre des navires battant pavillon des Etats-Unis (par
opposition aux navires appartenant à des intérêts américains) que celles citées pour justifier les

précédentes attaques contre les plates-formes de Reshadat et que le minage de l’USSSamuel
B. Roberts n’a été invoquée devant la Cour. La question est par conséquent de savoir si cet
incident suffisait à lui seul à justifier des actesde légitime défense au motif qu’il aurait constitué
une «agression armée». La Cour n’exclut pas que le minage d’un seul navire de guerre puisse

suffire à justifier qu’il soit fait usage du «droit naturel de légitim e défense»; toutefois, au vu de
l’ensemble des circonstances, et notamment du caractère non-concluant des éléments concernant la
responsabilité de l’Iran dans le mouillage de la mine heurtée par le USS Samuel B.Roberts , la

Cour n’est pas en mesure de dire qu’il a été démontré que les attaques contre les plates-formes de
Salman et de Nasr constituaient une riposte justifiée à une «agression armée» de l’Iran contre les
Etats-Unis résultant du heurt de cette mine.

Les critères de nécessité et de proportionnalité (par. 73-77)

La Cour souligne que, en la présente affaire, la question de savoir si telle ou telle action est
«nécessaire» se pose à la fois en tant qu’élément du dr oit international de la légitime défense et au

regard du texte même de l’alinéad) du paragraphe1 de l’article XX du traité de1955, déjà cité,
aux termes duquel le traité «ne fera pas obstacl e à l’application de mesures … nécessaires … à la
protection des intérêts vitaux [de l’une ou l’autre par tie] sur le plan de la sécurité». La Cour se
penche donc sur les critères de nécessité et de proportionnalité dans le cadre du droit international

relatif à la légitime défense. Figure notamment au nombre de ces critères la nature de la cible
contre laquelle la force a été employée au nom de la légitime défense.

La Cour fait observer qu’elle n’est pas pleinement convaincue que les éléments de preuve

dont elle dispose étayent les allégations des Etats- Unis quant à l’importance des activités et de la
présence militaires sur les plates-formes pétrolières de Reshadat, et note qu’aucun élément n’a été
produit en ce sens s’agissant des complexes de Salm an et de Nasr. Toutefois, quand bien même,
pour les besoins de la discussion, elle admettrait l’exactitude des allégations américaines, la Cour

ne saurait conclure que les attaques lancées contre les plates-formes pouvaient se justifier au titre
de la légitime défense. Qu’il s’agisse de l’attaque contre le SeaIsleCity ou du mouillage de la
mine heurtée par l’USS Samuel B. Roberts, la Cour n’est pas convaincue que les attaques contre les
plates-formes étaient nécessaires en réponse à ces incidents. - 9 -

S’agissant de l’exigence de proportionnalité, la Cour, si elle avait conclu à la nécessité des
attaques du 19octobre1987 en réponse à l’incident du SeaIsleCity vu comme une agression

armée commise par l’Iran, aurait pu considérer qu’ell es y satisfaisaient. En revanche, l’attaque du
18avril1988 fut planifiée et menée dans le cad re d’une opération plus vaste baptisée «Operation
Praying Mantis». En réponse au mouillage, par un auteur non identifié, de la mine que devait
heurter un seul navire de guerre américain, lequel, s’il fut gravement endommagé, ne sombra

toutefois pas et dont l’équipage n’eut à déplorer aucune perte en vie humaine, ni l’opération
«Praying Mantis» dans son ensemble ni même le vo let de celle-ci qu’a constitué la destruction des
plates-formes de Salman et de Nasr ne sauraient être considérés, dans les circonstances de l’espèce,
comme un emploi proportionné de la force au titre de la légitime défense.

Conclusion (par. 78)

La Cour conclut de ce qui précède que les actions menées par les forces américaines contre

les installations pétrolières iraniennes les 19oc tobre1987 et 18avril1988 ne sauraient être
justifiées, en vertu de l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX du traité de1955, en tant que
mesures nécessaires à la protection des intérêts vita ux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, dès
lors qu’elles constituaient un recours à la force armée et ne pouvaient être considérées, au regard du

droit international relatif à cette question, comme des actes de légitime défense, et ne relevaient
donc pas de la catégorie des mesures prévues par ce tte disposition du traité telle qu’elle doit être
interprétée.

La demande de l’Iran fondée sur le paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 (par. 79-99)

Etant parvenue à la conclusion que, dans l es circonstances de l’espèce, les Etats-Unis ne
peuvent se prévaloir, vis-à-vis de la demande de l’Iran, du moyen de défense qu’ouvre l’alinéa d)

du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955, la Cour se penc he sur cette demande, fondée sur
le paragraphe 1 de l’article X dudit traité, aux termes duquel « [i]l y aura liberté de commerce et de
navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes».

Dans son arrêt du 12décembre1996 sur l’ exception préliminaire soulevée par les
Etats-Unis, la Cour a eu l’occasion, pour déterminer si et dans quelle mesure elle était compétente,
d’interpréter certaines dispositions du traité de1955, notamment le paragraphe 1 de l’article X.
Elle a constaté que le demandeur n’avait pas allégué qu’une action militaire avait porté atteinte à sa

liberté de navigation, si bien que la seule question à trancher était de «savoir si les actions que
l’Iran reproche aux Etats-Unis étaient susceptibles de porter atteinte à la «liberté de commerce»
telle que garantie par la disposition précitée» (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 817, par. 38). Après avoir

examiné les arguments des Parties quant au sens du mot «commerce» dans ce texte, la Cour a
conclu ce qui suit : «il serait naturel d’interpréter le mot «commerce» au paragraphe 1 de l’article X
du traité de1955 comme incluant d es activités commerciales en général ⎯non seulement les
activités mêmes d’achat et de vente, mais également les activités accessoires qui sont

intrinsèquement liées au commerce» (ibid., p. 819, par. 49).

Dans cette décision, la Cour a fait observer qu’elle n’avait pas alors à examiner la question de
savoir si le paragraphe1 de l’articleX «ne s’appliqu [ait] qu’au commerce «entre» les Parties»

(C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 817, par. 44). Les Parties admettent néanmoins toutes deux aujourd’hui
que cette disposition se limite expressément à la pr otection de la liberté de commerce «entre les
territoires des deux Hautes Parties contractantes». La Cour observe que ce sont les exportations de

pétrole de l’Iran vers les Etats-Unis qui sont pertinentes en l’espèce, et non les exportations de
pétrole iranien en général. - 10 -

Dans l’arrêt de 1996, la Cour a souligné en outre que «le paragraphe 1 de l’article X du traité
de 1955 ne protège pas à proprement parler le «commerce» mais la «liberté de commerce»», et elle

a ajouté: «sauf à rendre une telle liberté illuso ire, il faut considérer qu’elle pourrait être
effectivement entravée du fait d’actes qui emportera ient destruction de biens destinés à être
exportés, ou qui seraient susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de
l’exportation» (ibid. , p.819, par.50). La Cour a également fait observer que «la production

pétrolière de l’Iran, pièce maîtresse de l’économie de ce pays, constitue une composante majeure
de son commerce extérieur», et qu’«[e]n l’état actuel du dossier, la Cour n’est … pas en mesure de
déterminer si et dans quelle mesure la destructi on des plates-formes pétrolières iraniennes a eu des
conséquences sur l’exportation du pétrole iranien» (ibid. , p.820, par.51). La Cour conclut en

observant que si, au stade actuel de l’instance, elle devait constater que l’Iran avait établi que tel
était le cas, elle pourrait faire droit à la demande de l’Iran fondée sur le paragraphe 1 de l’article X.

Avant d’examiner les faits et les points de dé tail relatifs à la demande de l’Iran, la Cour

relève que les Etats-Unis ne sont pas parvenus à établir, à la satisfaction de la Cour, que la présence
militaire limitée sur les plates-formes, et les i ndications selon lesquelles des communications en
provenaient ou leur étaient destinées, pouvaient être considér ées comme justifiant que les
plates-formes fussent traitées comme des installations militaires (voir plus haut). Pour le même

motif, la Cour ne saurait considér er qu’elles sont exclues de la protection conférée parle paragraphe 1
de l’article X du traité de 1955, cmme le prétendent les Etats-Unis.

La Cour, dans son arrêt de 1996, a envisagé la possibilité que la liberté de commerce puisse

être entravée non seulement par la «destruction de biens destinés à être exportés», mais aussi par
des actes «qui seraient susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de l’exportation»
(C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50). Pour la Cour, les activités des plates-formes doivent être
considérées dans l’ensemble comme commerciales par nature; toutefois, une entrave à ces activités

n’entraîne pas nécessairement des conséquences pour la liberté de commerce entre les territoires de
l’Iran et des Etats-Unis.

La Cour estime que lorsqu’un Etat détruit des moyens de production et de transport de biens

d’un autre Etat destinés à l’exportation, ou des moyens accessoires ou ayant trait à cette production
ou à ce transport, il y a en principe atteinte à la liberté du commerce international. En détruisant
ces plates-formes, dont la fonction globale était précisément de produire et de transporter du

pétrole, les actions militaires ont rendu impossible à l’époque le commerce du pétrole provenant de
ces plates-formes et ont, dans cette mesure, porté atteinte à la liberté de commerce. Si le pétrole,
lorsqu’il quittait les complexes de plates-formes, n’ét ait pas encore en état d’être exporté en toute
sécurité, il n’en reste pas moins qu’il pouvait déjà à ce stade être destiné à l’exportation, et que la

destruction des plates-formes a empêché la poursuit e du traitement nécessaire à cette exportation.
La Cour conclut donc que la protection de la liberté de commerce prévue au paragraphe1 de
l’articleX du traité de1955 s’étendait aux plat es-formes attaquées par les Etats-Unis, et qu’ainsi
ces attaques ont entravé la liberté de commerce de l’Iran. La question demeure toutefois de savoir

s’il y a eu en l’espèce entrave à la liberté du commerce «entre les territoires des deux Hautes
Parties contractantes».

De fait, les Etats-Unis soutiennent égalemen t qu’il n’y a pas eu, en tout état de cause,

violation du paragraphe1 de l’articleX étant donné que, même à supposer que les attaques aient
entravé d’une manière quelconque la liberté de commerce, il n’a pas été porté atteinte à la liberté de
commerce «entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes». En premier lieu, pour ce
qui est de l’attaque du 19octobre1987 contre les plates-formes de Reshadat, les Etats-Unis font

observer que les plates-formes étaient en cours de réparation à la suite d’une attaque menée par
l’Iraq; en conséquence, elles n’étaient pas engagées dans le commerce entre les territoires des deux
Parties, ni ne contribuaient à celui-ci. En sec ond lieu, s’agissant de l’attaque du 18avril1988
contre les plates-formes de Salman et de Nasr, les Etats-Unis appellent l’attention sur - 11 -

l’Executive Order12613, signé par le président Reagan le 29octobre1987, qui interdisait, avec
effet immédiat, l’importation aux Et ats-Unis de la plupart des biens (y compris le pétrole) et

services d’origine iranienne. En raison de l’embargo imposé par ce texte, il n’y avait, est-il soutenu,
aucun commerce entre les territoires des Parties qui pût être entravé, et donc aucune violation du
traité qui protège ce commerce.

L’aIairme ⎯et les Etats-Unis ne le contestent pas ⎯ qu’il existait un marché pour le
brut iranien importé directement aux Etats-Un is jusqu’à l’adoption de l’Executive Order 12613 du
29octobre1987. Les exportations de pétrole ir anien jusqu’à cette époque constituaient donc un
«commerce … entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes» au sens du paragraphe 1

de l’article X du traité de 1955.

La Cour relève que, au moment des atta ques du 19octobre1987, les plates-formes de
Reshadat et de Resalat ne produisaient ou ne transformaient aucun pétrole puisqu’elles avaient été

mises hors d’usage par des attaques iraquiennes antérieures. S’il est vrai que les attaques ont
considérablement retardé la reprise de la produc tion des plates-formes, aucun commerce de pétrole
produit ou transformé par elles ne se poursuivait au moment des attaques.

La Cour relève également que l’ embargo imposé par l’ExecutiveOrder 12613 était déjà en
vigueur lorsque furent lancées les attaques contre l es plates-formes de Salman et de Nasr, et qu’il
n’a pas été établi que les plates-formes de Reshadat et de Resalat auraient, s’il n’y avait eu l’attaque
du 19octobre1987, repris leur production avant l’ imposition de l’embargo. La Cour doit donc

examiner la portée de l’ExecutiveOrder pour l’interprétation et l’a pplication du paragraphe1 de
l’article X du traité de 1955.

La Cour ne voit aucune raison de douter que, au cours de la période durant laquelle

l’embargo des Etats-Unis était en vigueur, des produits pétroliers dérivés en partie de pétrole brut
iranien soient parvenus aux Etats-Unis en très grandes quantités, comme l’ affirme l’Iran. Elle
souligne cependant que ce qu’elle doit déterminer , ce n’est pas de savoir si un produit donné qui

pouvait être désigné comme du pétrole «iranien» a pénétré aux Etats-Unis d’une manière ou d’une
autre pendant la durée de l’embargo, mais s’ il existait un «commerce» de pétrole entre les
territoires de l’Iran et des Etats-Unis pendant cette période ⎯au sens donné à ce terme dans le
traité de 1955.

A cet égard, c’est la nature des transactions commerciales successives liées au pétrole qui
paraît déterminante aux yeux de la Cour, et non les traitements techniques successifs qu’a subis
ledit produit. Ce que l’Iran considère comme un commerce «indirect» de pétrole entre lui et les

Etats-Unis impliquait une série de transactions comme rciales : la vente par l’Iran de pétrole brut à
un client en Europe occidentale, ou à un pays tiers autre que les Etats-Unis; peut-être une série de
transactions intermédiaires; et pour finir la vente de produits pétroliers à un client aux Etats-Unis.
Il ne s’agit pas là de «commerce» entre l’Iran et les Etats-Unis, mais de commerce entre l’Iran et un

acheteur intermédiaire, et de «commerce» entre un vendeur intermédiaire et les Etats-Unis.

La Cour conclut donc, en ce qui concerne l’attaque, le 19 octobre 1987, des plates-formes de
Reshadat, qu’il n’existait à ce moment-là aucun commerce entre les territoires de l’Iran et des

Etats-Unis s’agissant du pétrole produit par ces plates -formes et celles de Resa lat, dans la mesure
où elles étaient en réparation et hors d’usage; et que ces attaques ne sauraient dès lors être
considérées comme ayant porté atteinte à la liberté de commerce du pétrole entre les territoires des
Hautes Parties contractantes protégée par le paragr aphe1 de l’articleX du traité de1955, compte

tenu notamment de la date d’entrée en vigue ur de l’embargo imposé par l’Executive Order 12613.
La Cour constate en outre que, au moment des a ttaques contre les plates-formes de Salman et de
Nasr, le 18 avril 1988, tout commerce de pétrole brut entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis
était suspendu par cet Executive Order , si bien que lesdites attaques ne sauraient non plus être

considérées comme ayant porté atteinte aux droits garantis à l’Iran par le paragraphe1 de
l’article X du traité de 1955. - 12 -

La Cour ne saurait donc fair e droit aux conclusions de l’Ira n selon lesquelles les Etats-Unis,
en menant ces attaques, auraient violé les obligations qui étaient les leurs à l’égard de l’Iran au titre

du paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955. De ce fait, la demande en réparation présentée par
l’Iran ne saurait être accueillie.

*

La Cour ajoute que, ayant conclu ce qui précède sur la demande de l’Iran, il n’y a plus lieu
pour elle d’examiner l’argument des Etats-Unis (mentionné ci-dessus) selon lequel le propre

comportement de l’Iran empêche qu’il soit fait droit à sa demande.

La demande reconventionnelle des Etats-Unis (par. 101-124)

La Cour rappelle que les Etats-Unis ont présenté une demande r econventionnelle contre
l’Iran, et mentionne les conclusions finales qu’ils ont énoncées à cet égard dans le contre-mémoire.

La Cour rappelle en outre que, par une or donnance datée du 10mars1998, elle a conclu

«que la demande reconven tionnelle présentée par les Etats-Unis dans leur contre-mémoire [était]
recevable comme telle et [faisait] partie de l’instance en cours».

Les exceptions soulevées par l’Iran à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la

demande reconventionnelle des Etats-Unis (par. 103-116)

L’Iran fait valoir que, par son ordonnance du 10mars1998, la Cour n’a pas tranché toutes
les questions préliminaires soulevées par la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Il fait

observer que la Cour ne s’y est prononcée que sur la recevabilité de la demande reconventionnelle
des Etats-Unis en relation avec l’article80 du Règlement de la Cour, déclarant cette demande
recevable «comme telle» tout en réservant la suite de la procédure. L’Iran soutient que la Cour ne
devrait pas examiner la demande reconventionnelle au fond, et formule à cet égard cinq exceptions.

La Cour estime qu’il est loisible à l’Iran, à ce stade de l’instance, de soulever des exceptions
à la compétence de la Cour pour connaître de la demande reconventionnelle ou à la recevabilité de
cette demande, autres que celles ayant fait l’objet de l’ordonnance du 10 mars 1998. Elle souligne

que cette ordonnance ne traite, en ce qui concerne la compétence et la recevabilité, d’aucune
question qui ne soit directement liée à l’article 80 du Règlement. La Cour indique qu’elle va donc
examiner les exceptions présentées aujourd’hui par l’Iran.

La Cour conclut qu’elle ne saurait accueillir la première exception de l’Iran selon laquelle la
Cour ne peut connaître de la de mande reconventionnelle des Etat s-Unis parce que celle-ci a été
présentée sans avoir été précédée de négociations, et qu’elle ne concerne donc pas un différend
n’ayant pu être «réglé d’une manière satisfais ante par la voie diplomatique» au sens du

paragraphe 2 de l’article XXI du traité de1955. La Cour souligne qu’il est établi qu’un différend
est né entre l’Iran et les Etats-Unis sur les questions soulevées dans la demande reconventionnelle;
et qu’il suffit à la Cour de constater que le diffé rend n’a pas été réglé d’une manière satisfaisante
par la voie diplomatique avant de lui être soumis.

La Cour conclut que la deuxième exception de l’Iran, selon laquelle les Etats-Unis présentent
en fait une demande au nom d’Etats tiers ou d’entit és étrangères, et n’ont aucun titre pour ce faire,
est sans objet et ne saurait être accueillie. La Cour rappelle que dans le ur première conclusion

concernant leur demande reconventionnelle, les Etat s-Unis prient simplement la Cour de dire et
juger que, par les actions qui lui sont attribuées, l’ Iran a violé ses obligations à leur égard, sans
mentionner aucun Etat tiers. - 13 -

Dans sa troisième exception, l’Iran fait va loir que la demande reconventionnelle des
Etats-Unis sort du cadre du paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955, seul texte à l’égard duquel

la Cour soit compétente, et que celle-ci ne peut donc faire droit à des conclusions n’entrant pas
dans les prévisions de ce paragraphe1. La C our note que les Etats-Unis, dans les conclusions
finales qu’ils présentent sur leur demande reconventionnelle, n’invoquent plus, comme ils le
faisaient au début, l’article X du traité de 1955 da ns son ensemble mais seulement le paragraphe 1

de cet article et, de plus, prennent acte de la limitation territoriale du paragraphe 1 de l’article X, en
visant expressément les actions militaires qui au raient été «dangereuses et nuisibles pour le
commerce et la navigation entre les territoires des Etats-Unis et de la République islamique d’Iran »
(les italiques sont de la Cour) et non plus les «a ctions militaires dangereuses et nuisibles pour le

commerce maritime». En limitant la portée de leur demande reconve ntionnelle dans leurs
conclusions finales, les Etats-Unis ont privé la troisième exception de l’Iran de tout objet et la Cour
ne saurait partant l’accueillir.

Dans sa quatrième exception, l’Iran soutient que «la Cour est compétente pour statuer
uniquement sur les demandes reconventionnelles allégua nt une violation par l’Iran de la liberté de
commerce telle que celle-ci est protégée par le para graphe 1 de l’article X, et non sur les demandes
reconventionnelles alléguant une violation de la liberté de navigation telle que protégée par le

même paragraphe». La Cour re lève cependant qu’il semble que l’Iran ait modifié sa position et
reconnu que la demande reconventi onnelle pouvait être fondée sur la violation de la liberté de
navigation. La Cour note en outre qu’elle a ég alement conclu en1998 qu’elle était compétente

pour connaître de la demande reconventionnelle des Etats-Unis dans la mesure où les faits allégués
avaient pu porter atteinte aux libertés (au pluriel) garanties par le paragraphe1 de l’articleX du
traité de 1955, c’est-à-dire la liberté de commerce et la liberté de navigation. La Cour ne peut donc
faire droit à cette exception de l’Iran.

L’Iran présente un dernier argument contre la recevabilité de la demande reconventionnelle
des Etats-Unis, dont il admet néanmoins qu’il ne c oncerne qu’une partie de cette demande. Il
soutient que les Etats-Unis ont élargi l’objet de leur demande au-delà des conclusions qui figuraient

dans la demande reconventionnelle en ajoutant tardivement à leurs gr iefs concernant la liberté de
commerce des griefs concernant la liberté de na vigation, et en donnant, dans leur duplique, de
nouveaux exemples de violation de la liberté de commerce maritime qui viennent s’ajouter aux
incidents déjà invoqués dans la demande reconventionnelle présentée avec le contre-mémoire.

La Cour observe que la question soulevée par l’Iran est celle de savoir si les Etats-Unis
présentent une demande nouvelle. Il appartient donc à la Cour de déterminer ce qui constitue «une
demande nouvelle» et ce qui constitue seulement des «éléments de preuve additionnels relatifs à la

demande originelle». Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que les parties à un
e affaire
ne peuvent en cours d’instance «transformer le différend porté devant la C our en un différend dont
le caractère ne serait pas le même». La Cour rappelle qu’elle a en l’espèce relevé dans son
ordonnance du 10mars1998 que la demande reconventionnelle invoq uait «des attaques contre le

transport maritime, des mouillages de mines et d’autres activités militaires qui [auraient été]
«dangereuses et nuisibles pour le co mmerce maritime»» (C.I.J. Recueil 1998, p.204, par.36).
Postérieurement à leur contre-mémoire et à le ur demande reconventionnelle, ainsi qu’à cette
ordonnance de la Cour, les Etats-Unis ont four ni des descriptions détaillées d’autres incidents

étayant, selon eux, leurs demandes originelles. De l’avis de la Cour, les Etats-Unis n’ont pas, ce
faisant, transformé l’objet du différend initialement porté devant la Cour, ni modifié la substance de
leur demande reconventionnelle, qui demeure la même. La Cour ne saurait donc accueillir cette
exception de l’Iran. - 14 -

Examen au fond de la demande reconventionnelle des Etats-Unis (par. 119-123)

S’étant prononcée sur toutes les exceptions à sa compétence pour connaître de la demande
reconventionnelle et à la recevabilité de cette de mande formulées par l’Iran, la Cour examine la

demande reconventionnelle au fond . Elle souligne que, pour qu’il puisse être fait droit à leur
demande reconventionnelle, les Etats-Unis doivent montrer: a) qu’il a été porté atteinte à leur
liberté de commerce ou à leur liberté de navi gation entre les territoires des Hautes Parties
contractantes au traité de 1955; et que b) les actes qui auraient porté atteinte à l’une de ces libertés

ou aux deux sont attribuables à l’Iran.

La Cour rappelle que le paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 ne protège pas, dans les
relations entre les parties, la liberté de commerce ou la liberté de navigation en général. Comme il

a déjà été noté plus haut, ce paragraphe contient une limitation territoriale importante. Pour
bénéficier de la protection prévue par ce texte, le commerce ou la navigation doivent s’effectuer
entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran. La char ge de prouver que les navires qui ont été
attaqués se livraient au commerce ou à la navigation entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran

incombe aux Etats-Unis.

La Cour examine ensuite, dans l’ordre chronologique, chacune des attaques que les
Etats-Unis attribuent à l’Iran, au regard de cette exigence du traité de 1955, et conclut qu’aucun des

navires dont les Etats-Unis indiquent qu’ils auraient été endommagés par des attaques iraniennes ne
se livrait au commerce ou à la navigation «entre les territoires des deuxHautes Parties
contractantes». La Cour conclut donc qu’il n’y a eu violation du paragraphe 1 de l’articleX du

traité de1955 lors d’aucun des incidents précis mettant en cause ces navires et invoqués dans les
écritures des Etats-Unis.

La Cour note que les Etats-Unis ont également présenté leur demande dans un sens général.
Ils ont en effet soutenu qu’en di rigeant des attaques répétées contre des navires des Etats-Unis et

autres, en mouillant des mines et en menant d’autres actions militaires dans le golfe Persique, l’Iran
aurait rendu le Golfe périlleux et aurait ainsi méconnu son obligation relative à la liberté de
commerce et la liberté de navigation dont les Etats- Unis auraient dû jouir en vertu du paragraphe 1

de l’article X du traité de 1955.

La Cour relève que, s’il est notoire que, du fait de la guerre entre l’Iran et l’Iraq, la
navigation dans le golfe Persique comportait beaucoup plus de risques, ce fait ne saurait à lui seul

suffire à la Cour pour décider que l’Iran a violé le paragraphe1 de l’articleX. Il incombe aux
Etats-Unis de démontrer qu’il y a eu une entrave effective au commerce ou à la navigation entre les
territoires des deux Hautes Parties contractantes. Or, les Etats-Unis n’ont pas démontré que les
faits qu’ils attribuent à l’Iran ont porté atteinte à la liberté de commerce ou de navigation entre les

territoires des Etats-Unis et de l’Iran. La C our note en outre que l’examen susmentionné des
incidents précis montre qu’aucun d’entre eux, pris individuellement, n’a porté atteinte au
commerce et à la navigation protégés par le traité de1955; en conséquence, la demande de
caractère général des Etats-Unis ne peut être accueillie.

La Cour est ainsi parvenue à la conclusion que la demande reconventionnelle des Etats-Unis
relative à la violation par l’Iran de ses obligations à l’égard des Etats-Unis au titre du paragraphe 1
de l’article X du traité de 1955, qu’elle soit fond ée sur les incidents précis invoqués ou qu’elle soit

à entendre dans un sens général, doit être rejetée. Il n’est en conséquence point besoin pour la Cour
d’examiner, au titre de cette demande, les questions contestées d’attribution à l’Iran de ces
incidents. Compte tenu de ce qui précède, la demande en réparation présentée par les Etats-Unis ne
saurait être accueillie.

* - 15 -

Le texte intégral du dispositif (par. 125) se lit comme suit :

mcoPifs,

CoLuar,

1) Par quatorze voix contre deux,

Dit que les actions menées par les Etats-Unis d’Amérique contre les
plates-formes pétrolières iraniennes le 19 octobre 1987 et le 18 avril 1988 ne sauraient
être justifiées en tant que mesures nécessai res à la protection des intérêts vitaux des

Etats-Unis d’Amérique sur le plan de la sécurité en vertu de l’alinéa d) du
paragraphe1 de l’articleXX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires
de1955 entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, tel qu’interprété à la lumière du
droit international relatif à l’emploi de la force; dit en outre qu’elle ne saurait

cependant accueillir la conclusion de la République islamique d’Iran selon laquelle ces
actions constituent une violation par les Etats-Unis d’Amérique des obligations que
leur impose le paragraphe1 de l’articleX dudit traité, relatives à la liberté de

commerce entre les territoires des parties, et qu’en conséquence elle ne saurait
davantage accueillir la demande en répara tion présentée par la République islamique
d’Iran.

POUR : M.hi, président ; MR. anjeva, vice-président ; MMG . uillaume,
Koroma, Vereshchetin, MmeHiggins , MM. Parra-Aranguren, Kooijmans,
Rezek, Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, juges; M. Rigaux, juge ad hoc;

CONTRE : MM. Al-Khasawneh, Elaraby, juges;

2) Par quinze voix contre une,

Dit que la demande reconventionnelle des Etats-Unis d’Amérique concernant la

violation par la République islamique d’ Iran des obligations que lui impose le
paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 susvisé, relatives à la liberté de
commerce et de navigation entre les territoires des parties, ne saurait être accueillie; et
qu’en conséquence elle ne saurait davantag e accueillir la demande reconventionnelle

en réparation présentée par les Etats-Unis d’Amérique.

POUR : M.hi, président ; MR. anjeva, vice-président ; MMG . uillaume,
Koroma, Vereshchetin, MmeHiggins , MM. Parra-Aranguren, Kooijmans,

Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Tomka, juges ;
M. Rigaux, juge ad hoc;

CONTRE : M. SIMMA , juge.»

___________ Annexe au Résumé 2003/2

Déclaration de M. le juge Ranjeva

Souscrivant aux conclusions de l’arrêt, le juge Ranjeva évoque la distinction entre la
violation de la liberté du commerce entre les de ux Parties et la non-violation de la liberté du

commerce entre les territoires des mêmes Parties pour les mêmes faits.

Le juge Ranjeva, dans sa déclaration, sou ligne dans l’arrêt le percement du voile du
différend : la Cour a tenu à traiter en priorité et à suffisance le poi nt de droit auquel les Parties ont

accordé le plus d’importance, c’est à dire, la justification de l’usage de la force sur la base de
l’article XX, paragraphe 1 du traité de 1955 ou la légitime défense au regard du droit international.
La réponse négative formulée dans le corps même du dispositif traduit la dé cision de la Cour de
suivre une démarche fondée sur l’analyse des élém ents constitutifs de la demande: la cause de la

demande (cur) et l’objet de la demande (quid) . Il aurait été approprié dans ces conditions, de se
référer au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement et d’évoque r de manière directe le concept de
cause de la demande. Une démarche autre, occultant la cause de la demande , aurait affecté l’objet
de la volonté réelle des Parties litigantes au profit de considérations purement artificielles ou de

pure logique formelle compte tenu de la stra tégie de la présentation des demandes et de
l’argumentation. En l’espèce, l’attitude de la Partie défenderesse a contribué à désamorcer le débat
théorique portant sur la tension entre la base consen suelle de compétence de la Cour et le principe
jura novit curia.

Déclaration de M. le juge Koroma

Dans la déclaration qu’il joint à l’arrêt, le juge Koroma estime que c’est à raison que la Cour

y a formulé ce dictum important, selon lequel des mesures s’accompagnant de l’emploi de la force
et prises sous le couvert de l’article du traité de 1955 consacré au maintien ou au rétablissement de
la paix et de la sécurité internationales ou n écessaires à la protection des intérêts vitaux d’un Etat
partie sur le plan de la sécurité devaient être appréciées à la lumière du principe de l’interdiction en

droit international de l’emploi de la force, sous réserve de l’exercice du droit de légitime défense.
En d’autres termes, la question de savoir si une ac tion prétendument justifiée au titre de cet article
est ou n’est pas une mesure illicite doit être exam inée sur la base des critères de la Charte des
Nations Unies et des principes du droit international général.

Le juge Koroma fait sienne la décision de la Cour, telle qu’elle figure dans l’arrêt, selon
laquelle les actions menées contre les installations pétrolières n’étaient pas licites en tant que
mesures nécessaires à la protection des intérêts vita ux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, car

ces actions, relevant du recours à la force armée, ne peuvent être considérées, du point de vue de la
Charte des Nations Unies ou du droit international général, comme des actes de légitime défense, et
n’entrent donc pas dans les prévisions du traité de1955. Pour le juge Koroma, cette conclusion
répond à celles des Parties, et la question du principe non ultra petita ne se pose donc pas.

Il souscrit également au jugement de la Cour selon lequel, d’une part, les installations
pétrolières bénéficiaient de la protection de la liberté de commerce garantie par le traité de 1955 et,
d’autre part, si les attaques ont certes, prima facie , entravé la liberté de commerce de l’Iran au sens

que revêt cette expression dans le texte du traité, elles n’ont pas attenté à la liberté de commerce.
Le juge Koroma considère que cette affirmation n’est pas dénuée d’importance.

Opinion individuelle de Mme le juge Higgins

Le juge Higgins a voté en faveur du dispos itif, car elle est d’avis qu’il est impossible
d’accepter l’affirmation de l’Iran selon laquelle le s Etats-Unis ont violé le paragraphe1 de
l’article X du traité d’amitié. - 2 -

Toutefois, elle estime qu’en statuant de cette manière, la Cour n’avait pas besoin d’examiner
dans son arrêt la question de savoir si les Etat s-Unis pouvaient justifier leurs attaques militaires

contre les plates-formes pétrolières en invoquant l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX de ce
traité. En effet, la Cour elle-même a déclaré, dans son arrêt de 1996 sur l’exception préliminaire,
que l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX, doit être considéré comme un moyen de défense.
Une violation par les Etats-Unis du paragraphe 1 de l’article X n’ayant pas été établie, la question

d’un éventuel moyen de défense ne se pose pas.

Le juge Higgins fait observer qu’il n’aurait pas dû y avoir dans le dispositif de conclusion
sur l’alinéad) du paragraphe1 de l’article XX pour deuxraisons bien précises. Tout d’abord, la

Cour considère généralement un moyen de défense comme un élém ent du raisonnement sur lequel
elle se fonde pour déterminer si un défendeur a en freint une obligation juridique internationale.
C’est sa conclusion qui figure normalement dans le dispositif, et non son raisonnement quant à un
moyen de défense ou une justification éventuel s. En second lieu, compte tenu du fondement

consensuel de sa compétence, la Cour se contente , dans le dispositif, de formuler des conclusions
sur des questions dont le demandeur a sollicité le règlement. Dans ses conclusions finales, l’Iran ne
demande pas à la Cour de se prononcer sur l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX.

Même si la Cour avait eu raison d’examiner cet article, le jugeHiggins considère qu’elle
aurait alors dû interpréter les termes spécifiques de ces dispositions particulières à la lumière du
droit international général. A son avis, la Cour n’a pas interprété les termes proprement dits de
l’alinéa d) du paragraphe1 de l’articleXX, mais a fait abstraction de ce dernier, en appréciant

l’action militaire des Etats-Unis par rapport au droit relatif à l’agression armée et à la légitime
défense.

Enfin, de l’avis du juge Higgins, dans le tr aitement des moyens de preuve appelés à être

envisagés dans tout examen de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX, la Cour n’a pas précisé
le critère de la preuve à respecter, ni étudié les moyens de preuve de manière suffisamment
détaillée, ni procédé en toute impartialité.

Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

Le juge Parra-Aranguren explique qu’il a voté en faveur du dispositif de l’arrêt sans qu’il
faille pour autant en déduire qu’il souscrit à chaque partie du raisonnement suivi par la Cour pour

parvenir à ses conclusions. Il fait notamment état de son désaccord avec la première phrase de
l’alinéa 1 du paragraphe 125, aux termes de laquelle la Cour : «Dit que les actions menées par les
Etats-Unis d’Amérique contre les plates-formes pétrolières iraniennes le 19octobre1987 et le
18 avril 1988 ne sauraient être justifiées en tant que mesures nécessaires à la protection des intérêts

vitaux des Etats-Unis d’Amérique sur le pl an de la sécurité en vertu de l’alinéa d) du paragraphe 1
de l’articleXX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de1955 entre les
Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, tel qu’interpr été à la lumière du droit international relatif à
l’emploi de la force.»

Les motifs de son désaccord sont les suivants :

Dans son arrêt du 12 décembre 1985, la Cour a estimé qu’«elle a compétence, sur la base du

paragraphe2 de l’articleXXI du traité de1955, pour connaître des demandes formulées par la
République islamique d’Iran au titre du paragraphe 1 de l’articleX dudit traité» (Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c.Etats- Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 821, par. 55 2)). - 3 -

Dans sa première et principale conclusion, l’Iran prie la Cour de rejeter toutes demandes et
conclusions en sens contraire et de dire et juger: «qu’en attaquant et en détruisant, les

19 octobre 1987 et 18 avril 1988, les plates-formes pétrolières mentionnées dans la requête de
l’Iran, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations vis-à-vis de l’Iran au regard du paragraphe1
de l’article X du traité d’amitié, et que la responsabilité de ces attaques incombe aux Etats-Unis».

Dès lors, le juge Parra-Ara nguren estime que l’objet du diffé rend porté par la République
islamique d’Iran (ci-après dénommée l’«Iran») devant la Cour était de déterminer si les actions
militaires des Etats-Unis d’Amér ique (ci-après dénommés les «E tats-Unis») avaient violé les
obligations contractées par ces derniers vis-à-vis de l’Iran au titre du paragraphe 1 de l’article X du

traité d’amitié, de commerce et de droits consul aires, signé à Téhéran le 15août1955 (ci-après
dénommé le «traité de 1955»), en vigueur entre les pa rties. Ainsi, il incombait à la Cour de statuer
sur la demande présentée par l’Iran, c’est-à-dire d’examiner et de trancher la question de savoir si
les Etats-Unis avaient manqué aux obligations qui étaient les leurs en vertu du paragraphe1 de

l’articleX du traité de 1955. Selon lui, c’est seulement dans le cas où elle aurait conclu qu’ils
avaient enfreint les obligations que leur imposait le paragraphe 1 de l’article X du traité que la Cour
aurait eu compétence pour procéder à l’examen des moyens de défense invoqués par les Etats-Unis
pour justifier leurs actions militaires contre l’Iran, et notamment de leur affirmation selon laquelle

celles-ci étaient justifiées, aux termes de l’alinéa d) du paragraphe1 de l’articleXX du traité
de1955, en tant que nécessaires à la protection de leurs «intérêts vitaux…sur le plan de la
sécurité».

Selon la Cour, certaines considérations partic ulières incitent à examiner l’application de
l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX avant d’aborder le paragraphe 1 de l’article X.

La première considération militant en faveur de cette inversion de l’ordre d’examen des

articles du traité de 1955, telle qu’explicitée au paragraphe 37 d) de l’arrêt, consiste à dire qu’«[i]l
est indéniable que le différend initial entre les Pa rties portait sur la licéité des actions menées par
les Etats-Unis, à la lumière du droit international re latif à l’emploi de la force» et qu’«[à] l’époque,
aucune des deux Parties n’a mentionné le traité de1955», les Etats-Unis soutenant que «leurs

attaques contre les plates-formes pétrolières étaien t justifiées au titre de la légitime défense, en
réponse à ce qu’ils considéraient comme des agressions ar mées de l’Iran, raison pour laquelle ils
ont porté leurs actions à la connaissance du Conseil de sécurité conformément à l’article51 de la

Charte des Nations Unies».

La seconde considération particulière est énoncée au paragraphe 38 de l’arrêt, lequel précise
que, dans leur duplique, les Etats-Unis eux-mêmes ont reconnu que «[l]es aspects de la présente

espèce touchant à la légitime défense soulèvent des questions de la plus haute importance pour
l’ensemble des membres de la communauté internationale»; et que l’Iran souligne également
l’extrême importance que revêtent ces questions.

De l’avis du juge Parra-Aranguren, il ne saura it faire de doute que les questions touchant à

l’emploi de la force et à la lé gitime défense sont de la plus haute importance pour les membres de
la communauté internationale. Il relève également que ces deux considérations particulières étaient
parfaitement connues de la Cour lorsqu’elle a re ndu son arrêt de1996, mais qu’elle n’en a pas

moins expressément interprété alors le paragraphe1 d) de l’articleXX du traité «comme ouvrant
seulement une défense au fond», concluant qu’il «offr[ait] seulement aux Pa rties une défense au
fond qu’il leur appartiendra[it], le cas échéant, de faire valoir le moment venu» (Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c.Etats- Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,

C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20). - 4 -

En conséquence, le juge Parra-Aranguren est convaincu qu’aucune considération particulière
ne justifiait d’«examiner l’ application de l’alinéad) du paragraphe1 de l’articleXX avant

d’aborder le paragraphe 1 de l’article X» et que nombreux étaient les éléments militant dans le sens
contraire. Par la seconde phrase de l’alinéa1 du paragraphe125 de l’arrêt, la Cour rejette la
demande présentée par l’Iran, étant parvenue à la conclusion que les Etats-Unis n’ont pas violé le
paragraphe1 de l’articleX du tr aité de 1955. D’après le juge Parra-Aranguren, elle devait s’en

tenir là. Aussi conclut-il que la Cour n’était p as compétente pour examiner les moyens de défense
avancés par les Etats-Unis , au titre de l’alinéa d) du paragraphe1 de l’articleXX, en vue de
justifier leur éventuelle violation du paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955.

Opinion individuelle de M. le juge Kooijmans

Le jugeKooijmans a voté en faveur du dispositif car il en approuve la substance. Il est
toutefois d’avis que la conclusion de la Cour sel on laquelle les actions des Etats-Unis contre les

plates-formes pétrolières ne sauraient être justif iées en tant que mesures nécessaires à la protection
de leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité excède le cadre de la décision demandée et, par
conséquent, n’avait pas sa place dans le dispositif. Introduire pareil obiter dictum dans le dispositif
d’un arrêt revient à créer un précédent dangereux.

Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Kooijmans se livre tout d’abord à une
présentation du contexte factuel plus détaillée que celle contenue dans l’arrêt.

Il examine ensuite la question fondamentale que soulève le différend porté devant la Cour,
qui est celle de savoir si les Etats-Unis ont violé les obligations qui étaient les leurs au titre du
paragraphe1 de l’articleX du traité de 1955 concernant la liberté de commerce, et non celle de
savoir s’ils ont employé la force en violation de la Charte des Nations Unies et du droit coutumier.

Le jugeKooijmans voit dans l’alinéa d) du paragraphe1 de l’arti cleXX du traité de 1955,
qui autorise les parties à prendre des mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux sur
le plan de la sécurité, non pas une clause dérogatoire mais une disposition autonome, et il considère

que la Cour était donc fondée à conclure qu’il lui ét ait loisible de détermin er l’ordre dans lequel
elle devait examiner l’article X et l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX. Toutefois, ayant jugé
que les Etats-Unis ne pouvaient invoquer l’article XX, la Cour devait rendre sa décision sur la base
de motifs relevant du paragraphe1 de l’articleX proprement d it. Sa conclusion concernant

l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX avait dès lors perdu toute pertinence pour statuer sur la
demande et n’avait plus sa place dans le dispositif de l’arrêt.

Le jugeKooijmans ne s’associe pas davantage à la manière dont la Cour examine les

mesures, invoquées par les Etats-Unis comme «nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux
sur le plan de la sécurité», directement à l’aune des principes généraux du droit relatif à l’emploi de
la force, se méprenant ainsi sur l’étendue de sa compétence.

Dans la dernière partie de son opinion, le jugeKooijmans dé crit la manière dont la Cour
aurait dû, selon lui, envisager les aspects juridiques de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX.
A ce sujet, il se conforme à la distinction que la Cour opéra en 1986 dans son arrêt en l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis

d’Amérique) entre, d’une part, le critère du caractère raisonnable aux fins d’évaluer la menace
pesant sur la sécurité et, d’autre part, le critère de la licéité en droit aux fins de déterminer la
nécessité des mesures prises. Appliquant cette méthode, et utilisant les règles du droit international
général relatif à l’emploi de la force comme un moyen d’interprétation du terme «nécessaire», le

juge Kooijmans en arrive à la conclusion que les actions menées contre les plates-formes ne
constituaient pas des mesures pouvant être jugées nécessaires à la protection des intérêts vitaux des
Etats-Unis sur le plan de la sécurité. - 5 -

Opinion dissidente de M. le juge Al-Khasawneh

Le juge Al-Khasawneh estime que, dans sa stru cture, le dispositif de l’arrêt, amalgamant
comme il le fait deuxconclusions distinctes en un seul paragraphe, est peu orthodoxe et
inopportun. De ce fait, le juge Al-Khasawneh s’ est vu placé devant un choix difficile : accepter le
paragraphe dans son ensemble ou bien le rejeter. Il se trouve contraint d’exprimer son dissentiment

car il est en désaccord avec la conclusion selon la quelle les Etats-Unis n’ont pas enfreint les
obligations qui étaient les leurs au titre du paragra phe 1 de l’article X du traité de 1955 pour ce qui
est de la liberté de commerce. Ces conclusi ons sont l’aboutissement d’un raisonnement peu
convaincant qui s’appuie sur une distinction artif icielle entre les notions de commerce protégé

(commerce direct) et de commerce non protégé (co mmerce indirect). Le jugeAl-Khasawneh fait
observer que la liberté de commerce protégée par traité peut difficilement être appréciée à la
lumière de concepts relevant du droit commercia l international; qui plus est, l’arrêt est par trop
restrictif quant à la définition de la liberté de commerce, qu’il faut en tendre comme comprenant

non seulement le commerce existant, mais aussi le commerce potentiel. Le juge Al-Khasawneh est
également d’avis que cette position ne peut tenir à la lumière d’un examen du texte et se trouve en
contradiction avec la jurisprudence antérieure.

Quant au rejet de la demande reconventionne lle des Etats-Unis, le jugeAl-Khasawneh
estime qu’il est la conséquence de l’interprétation restreinte faite par la Cour du commerce protégé
et qu’il eût été préférable que celle-ci fît dr oit à la demande de l’Iran et à la demande
reconventionnelle des Etats-Unis. Cela étant, la difficulté principale soulevée par cette dernière

touchait à l’attribution des faits à l’Iran.

De l’avis du jugeAl-Khasawneh, la Cour aura it dû faire montre de plus de clarté dans le
choix de ses termes au moment de rejeter l’ar gument des Etats-Unis selon lequel leurs actions à

l’encontre des plates-formes pétrolières étaient justifiées, au titre de l’alinéa d) du paragraphe 1 de
l’articleXX du traité de 1955, en tant que mesure s nécessaires à la protection de leurs intérêts
vitaux sur le plan de la sécurité. Le recours à la force rendait inévitable un examen de ces critères
en termes de nécessité et de proportionnalité, lesque ls font partie intégrante de la notion de

non-recours à la force.

Opinion individuelle de M. le juge Buergenthal

Le juge Buergenthal souscrit à l’arrêt de la C our dans la mesure où cette dernière dit que les
Etats-Unis d’Amérique n’ont pas violé le paragra phe 1 de l’article X du traité de 1955 conclu avec
l’Iran. Il estime également que c’est à raison que la Cour a décidé de rejeter la demande
reconventionnelle présentée par les Etats-Unis à l’en contre de l’Iran. Selon lui, cette décision est

justifiée par les raisons mêmes qui, mutadis mutandis , ont conduit la Cour à conclure que les
Etats-Unis n’avaient pas manqué à leurs obligatio ns envers l’Iran au titre du paragraphe1 de
l’article X du traité de 1955. Le juge Buergenthal ne peut toutefois faire sienne la conclusion de la
Cour selon laquelle les actions des Etats-Unis à l’encontre de certaines plates-formes pétrolières

iraniennes ne sauraient être justifié es par les dispositions de l’alinéad) du paragraphe1 de
l’article XX tel qu’interprété «à la lumière du droit international relatif à l’empl oi de la force». Il
estime que cette conclusion n’a pas sa place dans l’a rrêt, et encore moins dans le dispositif de

celui-ci.

Le juge Buergenthal considère que la conc lusion de la Cour s’agissant de l’alinéad) du
paragraphe1 de l’articleXX du traité de1955 pèche à plusieur s égards. Premièrement, la

conclusion de la Cour concernant cet alinéa va à l’encontre du principe non ultra petita , règle qui
occupe une place centrale dans la procédure de la Cour et qui lui interdit de traiter dans le dispositif
d’un arrêt toute question ⎯ en l’occurrence, l’article XX, paragraphe 1 d) ⎯ que les Parties à
l’instance, dans leurs conclusions finales, ne lui auraient pas demandé de trancher. Deuxièmement,

la clause relative au règlement des différends co ntenue dans le traité de1955, à savoir le
paragraphe2de l’articleXXI, ne donne pas compétence à la Cour pour statuer sur cette question; - 6 -

or, cette clause est en l’espèce le seul fondement à la compétence de la Cour dès lors que celle-ci a
conclu à la non-violation, par les Etats-Unis, du paragraphe 1 de l’article X. Troisièmement, même

à supposer que la Cour ait eu la compétence requise pour statuer sur l’alinéa d) du paragraphe 1 de
l’article XX, elle a outrepassé cette compétence dans son interprétation des dispositions en question
à la lumière du droit international relatif à l’emploi de la force. Enfin, le juge Buergenthal estime
que la Cour analyse de manière gravement erronée les éléments de preuve relatifs à l’application de

l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX.

Opinion dissidente de M. le juge Elaraby

Le juge Elaraby a voté contre le premier paragraphe du dispositif, étant en désaccord
essentiellement sur trois points.

Premièrement, la Cour avait compétence pour statue r sur la licéité de l’emploi de la force.

Elle a, en particulier, estimé que le recours à la force par les Etats-Unis ne saurait être assimilé à un
exercice du droit de légitime défense justifié au regard des critères applicables, renvoyant plus
précisément aux «dispositions de la Charte des Nations Unies et du droit internationa l coutumier».
Les actions menées par les Etats-Unis constituaient des représailles armées; il convenait dès lors de

dresser le constat de leur illicéité. La Cour a ma nqué une occasion de réaffirmer et de préciser le
droit relatif à l’emploi de la force, sous toutes ses manifestations.

Deuxièmement, le refus de la Cour d’accueillir l’allégation de viola tion du paragraphe 1 de

l’articleX formulée par l’Iran repose sur des postulats de fait et de droit fragiles. L’important
n’était pas de déterminer si les plates-formes prises pour cibles produisaient du pétrole à l’époque
des attaques, mais si l’Iran, dans sa globalité, en produisait et en exportait vers les Etats-Unis. La
question cruciale était celle de l’éventuelle atteinte à la liberté de commerce entre les territoires des

deux Parties. Après l’entrée en vigueur de l’embargo, le commerce indirect fut autorisé et se
poursuivit de fait. Le sens ordinaire des termes du traité, interprété à la lumière de son contexte,
confirme la thèse selon laquelle cet instrument couv re le commerce au sens large. En outre, le
paragraphe1 de l’articleX n’exclut pas un tel commerce indirect. Les dix jours écoulés entre la

première attaque et l’imposition de l’embargo étai ent suffisants pour conclure à une atteinte à la
liberté de commerce et ainsi, à la violation de l’ obligation découlant du paragraphe 1 de l’article X
du traité.

Troisièmement, la Cour a eu raison d’examiner le paragraphe1, alinéad) , de l’articleXX
avant le paragraphe1 de l’artic leX. Elle était fondée à renforcer ainsi sa contribution au
développement progressif du droit en se prononçant de manière plus approfondie sur l’emploi de la
force.

Opinion individuelle de M. le juge Owada

Le juge Owada est d’accord avec la conclusi on finale de la Cour selon laquelle ni les

demandes de l’Iran, ni la dema nde reconventionnelle des Etats-Unis ne peuvent être accueillies,
mais il ne peut souscrire à tous les points du di spositif, ni à tous les motifs qui justifient les
conclusions de la Cour. C’est pourquoi le juge Owada joint l’exposé de son opinion individuelle,
qui ne porte que sur quelques points essentiels.

En premier lieu, sur la question du fondement de la décision de la Cour, le juge Owada
estime que celle-ci aurait dû examiner le paragraphe1 de l’articleX avant l’alinéad) du
paragraphe 1 de l’article XX. Ce dernier alinéa constitue un moyen de défense au fond contre les

demandes de l’Iran fondées sur le paragraphe1 de l’ articleX, et ne devrait dès lors être examiné
que si la Cour considère qu’il y a eu violati on de ce paragraphe. La Cour ne saurait choisir
librement le motif qui servira de fondement à sa décision, alors que sa compétence est limitée à
l’examen du paragraphe 1 de l’article X. - 7 -

En second lieu, sur la question de la portée du paragraphe 1 de l’article X, le juge Owada est
généralement d’accord avec l’arrêt, mais tient à souligner que l’expression «liberté de commerce»,

telle qu’employée dans le traité de1955, désigne le «cours ininterrompu des transactions
commerciales de marchandises et de services entre l es territoires des Parties contractantes» et ne
saurait couvrir les activités des plates-formes pétrolièr es. Abstraction faite des éléments de fait sur
lesquels se fonde l’arrêt, la Cour ne saurait pour cette raison retenir la thèse de la violation de la

«liberté de commerce» au paragraphe 1 de l’article X.

En troisième lieu, sur la question de la portée de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX,
que la Cour selon lui n’a pas à trancher vu la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant le

paragraphe1 de l’articleX, le juge Owada est d’avis que l’interp rétation et l’application de cet
alinéa et la légitime défense en droit international en général sont deux questions différentes et que
la Cour n’a pas à trancher la se conde. L’examen de cette dernière question par la Cour devrait se
limiter à ce qui est nécessaire à l’interprétation et à l’application de l’alinéa d) du paragraphe 1 de

l’article XX, compte tenu de l’étendue limitée de la compétence de la Cour.

Enfin, le juge Owada soulève la question de la discordance des éléments de preuve versés au
dossier, qui débouche sur une situati on délicate, où la Cour devrait véri fier la matérialité des faits.

S’il reconnaît le principe fondame ntal en matière de preuve que constitue l’adage actori incumbit
onus probandi , le juge Owada aurait souhaité que la Cour examine de manière beaucoup plus
approfondie le problème de l’établissement des faits de l’espèce, quitte à le faire d’office.

Opinion individuelle de M. le juge Simma

Dans son opinion individuelle, le juge Simma commence par expliquer les raisons pour
lesquelles il a voté en faveur de la première partie du dispositif de l’arrêt, bien que d’accord avec la

conclusion rendue par la Cour sur l’une seulement des deux questions qui y sont traitées, à savoir
celle des intérêts en matière de sécurité qui aura ient été ceux des Etats-Unis, appréciés à la lumière
du droit international relatif à la légitime défens e. S’agissant du reste du dispositif, le juge Simma
ne peut ni adhérer à la décision de la Cour sel on laquelle les attaques menées par les Etats-Unis

contre les plates-formes pétrolières n’ont pas, en de rnière analyse, violé le droit que l’Iran tirait du
traité de voir respectée sa liberté de commerce avec les Etats-Unis, ni approuver la manière dont la
Cour a tranché la demande reconventionnelle dite «de caractère général». Le jugeSimma estime
que la Cour aurait dû faire droit à cette dernière. Aussi ne peut-il que marquer son désaccord avec

la partie du dispositif qui lui est consacrée. S’il s’est abstenu de se dissocier également de la
première partie de celui-ci (et préfère qualifie r son opinion d’«individuelle» plutôt que de
«dissidente»), alors même qu’il ne souscrit aux c onclusions de la Cour qu’en ce qui concerne la

première des deux questions qu’elle y tranche, c’ est en raison de considérations d’opportunité
judiciaire: le jugeSimma se félicite que la Cour ait saisi cette occasion, que lui ont offerte les
Etats-Unis en se prévalant de l’article XX du traité de 1955, pour exprimer son point de vue sur les
limites juridiques du recours à la force, à une é poque où ces limites sont soumises à des tensions

considérables. Bien que, selon lui, la Cour n’ait, à cet égard, fait qu’accomplir son devoir avec une
retenue excessive, le juge Simma ne souhaite pas se dissocier de ce qui, en définitive, constitue une
confirmation, fût-ce trop pusillanime, du jus cogens énoncé par la Charte de l’Organisation des
Nations Unies.

Les questions relatives à l’emploi de la force par les Etats-Unis étant au cŒur du différend, le
juge Simma estime légitime le choix de la Cour d’examiner l’article XX avant d’aborder l’article X
du traité de1955. En revanche, la Cour aurait dû avoir le courage de réaffirmer et, partant, de

reconfirmer, les principes fondamentaux de l’Or ganisation des NationsUnies ainsi que du droit
international coutumier relatif à l’emploi de la force, avec le de gré de fermeté et de clarté dont elle
avait fait montre en l’affaire du Détroit de Corfou voici un demi-siècle. Elle n’en a
malheureusement rien fait. - 8 -

Le juge Simma est d’avis que la Cour aurait pu préciser la nature des contre-mesures qu’il
eût été loisible aux Etats-Unis de prendre pour leur défense : selon lui, une action militaire hostile

qui n’atteindrait pas le seuil d’une agression arm ée au sens de l’article51 de la Charte de
l’Organisation des NationsUnies, à l’instar de celle menée par l’Iran en l’espèce, peut entraîner
comme riposte des mesures défensives immédi ates et proportionnées revêtant également un
caractère militaire. Toutefois, les actions des Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières ne

participaient pas de telles contre-mesures proportionnées.

D’après le juge Simma, la démarche de la Cour , consistant à procéder par degrés à l’examen
de l’articleX relatif à la liberté de commerce en tre les territoires des Par ties, si elle apparaît

satisfaisante jusqu’à un certain point, se révèle ensuite erronée: premièrement, le fait que les
plates-formes attaquées en octobre1987 aient été provisoirement hors d’état de fonctionner ne
pouvait leur faire perdre la protection découlant de l’articleX, parce que, estime-t-il, la liberté
garantie par le traité comprend également la po ssibilité de commercer à l’ avenir. Deuxièmement,

le commerce indirect de pétrole iranien qui se dé roulait à l’époque de l’ embargo américain doit,
selon lui, également être tenu pour protégé par le traité.

S’agissant de la demande reconventionnelle des Etats-Unis, le juge Simma considère comme

tout à fait injustifiée la décision prise par la C our, en particulier en ce qui concerne la demande
reconventionnelle dite de caractère général, qu’elle aurait, à son avis, dû accueillir. Le juge Simma
s’attache alors à développer les arguments, défendus de manière relativement peu convaincante par
les Etats-Unis, plaidant en faveur de la demande reconventionnelle à caractère général. Que, dans

la présente espèce (contrairement à l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) ), ce soient deux Etats qui aient créé une
situation préjudiciable à la navigation neutre da ns le Golfe n’est pas déterminant. Selon le
juge Simma, seul importe, en ce qui concerne cet te demande reconventionnelle, le fait qu’incombe

à l’Iran la responsabilité d’une part non négligeable des actions portant atteinte à la liberté de
commerce et de navigation entre les deux pays san s qu’il soit nécessaire de déterminer quelle part
exactement. De même, l’on ne saurait arguer que l’ensemble des entraves à la liberté de commerce

et de navigation auxquelles ont dû faire face les navires neutres dans le Golfe aient été la
conséquence d’actes de guerre légitimes commis pa r les deux belligérants et que, de ce fait, les
navires neutres auraient pénétré à leurs risques et périls dans les zones du Golfe où la guerre faisait
rage. Pour le juge Simma, les actions iraniennes ont constitué une violation de l’article X du traité

de1955; le fait qu’elles aient entravé la liberté de commerce et de navigation est attesté par la
hausse des coûts de main d’Œuvre, frais d’assurances et autres qu’ont connue les différents
protagonistes du commerce entre les deux pays pendant la période pertinente.

Le juge Simma réfute ensuite l’argument selon lequel les actes présentés comme une entrave
à la liberté de commerce et de navigation aux te rmes du traité ne sauraient être attribués avec
certitude à l’Iran, de sorte qu’il serait impossible d’en déclarer ce dernier responsable. Le
juge Simma montre qu’en se fondant sur les systèm es juridiques internes, il était possible d’ériger

le principe de la responsabilité solidaire en un principe général de droit qui aurait permis de
surmonter le dilemme posé en l’espèce.

Enfin, le juge Simma soutient que la doctrine dite de la «tierce partie indispensable», d’abord

admise puis rejetée par la Cour dans sa jurisprude nce, n’interdisait pas de conclure au bien-fondé
de la demande reconventionnelle des Etats-Unis.

Opinion individuelle de M. le juge Rigaux

Le dispositif de l’arrêt comprend deux points: alors que le s econd conclut au rejet de la
demande reconventionnelle des Etats-Unis d’Amérique, le premier se divise en deux parties, la
seconde desquelles rejette la demande en réparati on de la République islamique d’Iran tandis que - 9 -

dans la première il est jugé que les attaques américaines contre les plates-formes pétrolières ne
satisfont pas aux dispositions pertinentes du tra ité de1955 interprétées à la lumière du droit

international relatif à l’emploi de la force.

Le juge Rigaux a voté en faveur des deuxpo ints du dispositif, avec des réserves en ce qui
concerne le premierpoint. Les deuxmembres de phrase dont il se compose paraissent peu

compatibles : il est antinomique de constater le car actère illicite du recours à la force armée contre
les plates-formes pétrolières et de rejeter la de mande de réparation du dommage causé par ce fait
illicite. Toutefois, l’affirmation par la Cour du pr incipe de prohibition du recours à la force armée
en dehors des hypothèses prévues par le droit internat ional a paru assez importante au juge Rigaux

pour qu’il ait estimé devoir y adhérer en dépit du refus de faire droit à la demande légitime de
l’Iran.

La motivation du rejet des deuxactions contie nt deuxéléments qui leur sont communs, à

savoir l’interprétation donnée à la notion de commerce «indirect» et l’idée qu’un commerce «futur»
n’entre pas dans les prévisions de la liberté du commerce. Ces deux éléments paraissent
contestables au juge Rigaux.

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Résumé de l'arrêt du 6 novembre 2003

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