Résumé de l'ordonnance du 10 juillet 2002

Document Number
14107
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Number (Press Release, Order, etc)
2002/2
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO
(NOUVELLE REQUÊTE : 2002) (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE
DU CONGO c. RWANDA) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 10 juillet 2002

Dans une ordonnance en l’affaire des Activités armées * *
sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002)
MK.oroma, M meHiggins, M. Buergenthal et
(République démocratique du Congo c. Rwanda), la Cour a M. Elaraby, juges, joignent des déclarations à l’ordonnance;
rejeté la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la République démocratique du Congo. MMD . ugard et Mavungu, juges ahoc, joignent à
Dans son ordonnance, la Cour a conclu «qu’elle ne l’ordonnance les exposés de leur opinion individuelle.
dispose pas en l’espèce de la compétence prima facie
*
nécessaire pour indiquer les mesures conservatoires * *
demandées par le Congo». Ce tte décision a été adoptée par
quatorze voix contre deux.
En outre, la Cour a estimé , par quinze voix contre une, Rappel des faits
que «elle ne saurait accéder à la demande du Rwanda Dans son ordonnance, la Cour rappelle que, par une
requête du 28mai2002, le Congo avait introduit une
tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle ».
La Cour était composée comme suit: M.Guillaume, instance contre le Rwanda au sujet d’un différend relatif à
Président; M.Shi, Vice-Président; MM. Ranjeva, Herczegh, des «violations massives, graves et flagrantes des droits de
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, M meHiggins, l’homme et du droit international humanitaire » qui auraient
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, été commises «au mépris de la “Charte internationale des
Buergenthal, Elaraby, juges; MM.Dugard, Mavungu, juges droits de l’homme”, d’autres instruments internationaux
pertinents et [de] résolutions impératives du Conseil de
ad hoc; M. Couvreur, Greffier. sécurité de l’ONU ». La Cour observe que, dans sa requête,

* le Congo a exposé que «les atteintes graves et flagrantes
* * [aux droits de l’homme et au droit international
humanitaire]» dont il se plaint «découlent des actes
Le texte intégral du dispositif se lit comme suit : d’agression armée perpétrés par le Rwanda sur le territoire
« 94. Par ces motifs, de la République démocratique du Congo en violation
flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale [de
LCAOUR,
1) Par quatorze voix contre deux, celle-ci], garantie[s] par les Chartes de l’ONU et de
Rejette la demande en indication de mesures l’OUA ».
conservatoires présenté par la République Démocratique La Cour souligne que le Congo a rappelé qu’il avait fait
une déclaration reconnaissant la juridiction obligatoire de la
du Congo le 28 mai 2002; Cour conformément au paragraphe2 de l’Article36 du
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- Statut de celle-ci, et qu’ia exposé que le Gouvernement
Président; MM R.anjeva, Herczegh, Fleischhauer,
Koroma, Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra rwandais «[s’était] abstenu de toute déclaration dans ce
Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, sens». Il est rappelé que, se référant au paragraphe1 de
Buergenthal, juges; M. Dugard, juge ad hoc; l’Article36 du Statut, le Congo a invoqué, pour fonder la
compétence de la Cour, l’article22 de la Convention
CONTRE: M.Elaraby, juge, et M.Mavungu, juge internationale sur l’élimination de toutes les formes de
ad hoc; discrimination raciale du 7ma rs 1966 (dénommée ci-après
2) Par quinze voix contre une, la Convention sur la discrimination racia»), le

Rejette les conclusions de la République Rwandaise paragraph1e de l’artie9 de la Convention sur
tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle de la Cour; l’élimination de toutes les formes de discrimination à
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- l’égard des femmes du 18déce mbre 1979 (dénommée ci-
Président; MM R.anjeva, Herczegh, Fleischhauer, après la «Convention sur la discrimination à l’égard des
Koroma, Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra- femmes »), l’article IX de la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide du 9décembre1948
Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh,
Buergenthal, Elaraby, juges; M. Mavungu, juge ad hoc; (dénommée ci-après la «Convention sur le génocide»),
CONTRE : M. Dugard, juge ad hoc. l’article 75 de la Constitution de l’Organisation mondiale de
la santé du 2juillt946 (dénommée ci-après la
* « Constitution de l’OMS »), le paragraphe 2 de l’article XIV

242de la Convention créant une Organisation des Nations Unies Compétence de la Cour
pour l’éducation, la science et la culture du 16novembre
Au sujet de sa compéten ce, la Cour observe que,
1945 (dénommée ci-après la «Convention UNESCO») conformément au paragraphe2 de l’Article36 du Statut, le
(ainsi que l’article9 de la Convention sur les privilèges et Congo (alors Zaïre) a, par déclaration en date du 8février
immunités des institutions spécialisées du 1989, reconnu la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard
21 novembre 1947, « qui concerne également
l’UNESCO »), le paragraph1 de l’articl30 de la de tout État acceptant la même obligation; qu’en revanche le
Convention de NewYork contre la torture et autres peines Rwanda n’a pas fait une telle déclaration; qu’en
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du conséquence la Cour ne do it examiner sa compétence
prima facie que sur la base des traités et conventions
10 décembre 1984 (dénommée ci-après la «Convention invoqués par le Congo en vertu du paragraphe1 de
contre la torture»), et le paragraphe1 de l’article14 de la l’Article 36 du Statut qui disposeque « la compétence de la
Convention de Montréal pour la répression d’actes illicites
dirigés contre la sécurité de l’aviation civile du Cour s’étend à toutes les a ffaires que les parties lui
23 septembre 1971 (dénommée ci-après la «Convention de soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement prévus
Montréal»). Le Congo soutient en outre que la Convention dans la Charte des NationsUnies ou dans les traités et
conventions en vigueur ».
de Vienne de 1969 sur le droit des traités fonde la
compétence de la Cour pour régler les différends nés de la
violation des normes impératives (jus cogens) en matière de La Convention contre la torture
droits de l’homme, telles que reflétées dans un certain La Cour note que le Congo est partie à ladite convention
nombre d’instruments internationaux. depuis 1996, mais que le Rwanda a indiqué qu’il n’était pas
La Cour rappelle que le Congo avait présenté une
partie et n’avait jamais été pa rtie à la Convention. La Cour
demande en indication de mesures conservatoires le même constate qu’il en est bien ainsi.
jour que son introduction d’instance.
La Convention sur la discrimination raciale
Raisonnement de la Cour
La Cour note d’abord que tant le Congo que le Rwanda
Dans son ordonnance la Cour souligne tout d’abord sont parties à la Convention sur la discrimination raciale,
qu’elle « est profondément préoccupée par le drame humain, mais que l’instrument d’adhésion du Rwanda à la
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que Convention comporte une réserve qui se lit comme suit:
l’on déplore dans l’est de la République démocratique du
«La République rwandaise ne se considère pas comme liée
Congo à la suite des combats qui s’y poursuivent». En par l’artie2 [clause compromissoire] de ladite
gardant « présents à l’esprit les buts et principes de la Charte convention». Elle note également que, dans l’instance, le
des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui lui Congo a contesté la validité de cette réserve. La Cour
incombent, en vertu de ladite Charte et du Statut de la Cour, observe que la Convention sur la discrimination raciale
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour interdit les réserves incompatibles avec son objet et son but;
« estime nécessaire de souligner que toutes les parties à des qu’aux termes du paragraphe2 de l’article20 de la
instances devant elle doivent agir conformément à leurs
Convention «une réserve [est] considérée comme rentrant
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des dans [cette catégorie] si les deux tiers au moins des États
autres règles du droit international, y compris du droit parties à la Convention élèvent des objections »; que tel n’a
humanitaire». Elle considère qu’elle «ne saurait trop pas été le cas s’agissant de la réserve formulée par le
insister sur l’obligation qu’ont le Congo et le Rwanda de Rwanda; que cette réserve n’apparaît pas incompatible avec
respecter les dispositions des Conventions de Genève du l’objet et le but de la Convention; et que le Congo n’a pas
12août1949 et du premier protocole additionnel à ces présenté d’objection à ladite réserve lorsqu’il a accédé à la

conventions, en date du 8juin1977, relatif à la protection Convention. La Cour conclut que la réserve du Rwanda est
des victimes des conflits armés internationaux, instruments applicable prima facie.
auxquels ils sont tous deux parties ».
La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas La Convention sur le génocide
automatiquement compétence pour connaître des différends
juridiques entre État» et que «l’un des principes La Cour note d’abord que tant le Congo que le Rwanda
sont parties à la Convention sur le génocide, mais que
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un l’instrument d’adhésion du Rwanda comporte une réserve
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa formulée comme suit: «La République rwandaise ne se
juridiction ». Elle ajoute que, en présence d’une demande en
indication de mesures conservatoires, point n’est besoin considère pas comme liée pa r l’artieX [clause
pour la Cour, avant de décider d’indiquer ou non de telles compromissoire] de ladite conventio» n. Elle note
mesures, de s’assurer de manière définitive qu’elle a également que, dans l’instance, le Congo a contesté la
compétence quant au fond de l’affaire; toutefois, la Cour ne validité de cette réserve. La Cour observe « que les droits et
obligations consacrés par la Convention sont des droits et
peut indiquer de mesures conservatoires sans que sa obligations erga omnes », mais que, comme elle a déjà eu
compétence en l’affaire ait été établie prima facie.
l’occasion de le soulig ner, «l’opposabilité erga omnes
243d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont demande en indication de mesures conservatoires, le Congo
deux choses différentes». Elle ajoute que le seul fait que n’a pas apporté la preuve que les conditions préalables à la

des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans saisine de la Cour, fixées par l’article75 de la Constitution
un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour de l’OMS, ont été remplies; et qu’au surplus un premier
connaître de ce différend. La Cour prend ensuite note du fait examen de ladite Constitution fait apparaître que son
que la Convention sur le génocide n’interdit pas les article2, invoqué par le Congo, met des obligations à la
réserves; que le Congo n’a pas présenté d’objection à la charge non des États membres mais de l’Organisation.
réserve du Rwanda lorsque celle-ci a été formulée; et que
ladite réserve ne porte pas sur le fond du droit, mais sur la
La Convention UNESCO
seule compétence de la Cour. La Cour constate que ladite La Cour relève que le Congo invoque, dans sa requête,
réserve n’apparaît dès lors pas contraire à l’objet et au but
de la Convention. l’article premier de la Convention et soutient que «par le
fait de la guerre, la République démocratique du Congo est
La Convention de Vienne sur le droit des traités aujourd’hui incapable de remp lir ses missions au sein de
l’UNESCO…» Elle prend note du fait que tant le Congo
La Cour considère que l’artic6 l6 (clause que le Rwanda sont parties à la Convention UNESCO. La
compromissoire) de la Convention de Vienne sur le droit Cour considère toutefois que le paragraph2 e de

des traités invoquée par le Congo doit être lu en conjonction l’articeIV (clause compromissoire) n’envisage la
avec l’article65 intitulé «Procédure à suivre concernant la soumission de différends relatifs à la Convention UNESCO,
nullité d’un traité, son extinction, le retrait d’une partie ou la aux conditions prévues par cette disposition, qu’en matière
suspension de l’application d’un traité ». Elle observe qu’en d’interprétation de ladite convention; que tel n’apparaît pas
l’état le Congo ne soutient pas qu’un différend, qui n’aurait être l’objet de la requête du Congo; et que celle-ci
pu être réglé en suivant la procédure prévue à l’article 65 de n’apparaît donc pas entrer dans les prévisions dudit article.
la Convention de Vienne, l’opposerait au Rwanda au sujet

d’un conflit entre un traité et une norme impérative de droit La Convention de Montréal
international; et que l’article66 n’a pas pour objet de
permettre que les procédures de règlement judiciaire, La Cour prend note du fait que tant le Congo que le
d’arbitrage et de conciliation de la Convention de Vienne Rwanda sont parties à la Convention deMontréal. Elle
sur le droit des traités soient substituées aux mécanismes de observe toutefois que le Congo n’a demandé à la Cour
règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’indication d’aucune mesure co nservatoire en rapport avec
l’application de traités déterminés, notamment lorsque la la sauvegarde des droits qu’il estime tenir de la Convention
de Montréal; et qu’il n’y a dès lors pas lieu pour la Cour, au
violation de ces traités est alléguée. stade de la procédure sur la demande en indication de

La Convention sur la discrimination mesures conservatoires, de se prononcer, même prima facie,
à l’égard des femmes sur sa compétence au regard de ladite convention ou sur les
conditions préalables pour fonder la compétence de la Cour
La Cour note d’abord que tant le Congo que le Rwanda aux termes de cette dernière.
sont parties à la Convention sur la discrimination à l’égard
des femmes. Elle considère ensuite qu’au stade de la
procédure sur la demande d’indication de mesures Conclusions
La Cour constate qu’il résulte de l’ensemble des
conservatoires le Congo n’a pas apporté la preuve que ses considérations qui précèdent qu’elle ne dispose pas en
tentatives en vue d’entamer des négociations ou d’engager
une procédure d’arbitrage avec le Rwanda ont visé l’espèce de la compétence prima facie nécessaire pour
l’application de l’article29 (clause compromissoire) de la indiquer les mesures conservatoires demandées par le
Convention sur la discrimination à l’égard des femmes. Elle Congo.
relève que le Congo n’a pas davantage précisé quels seraient
les droits protégés par cette convention qui auraient été *

méconnus par le Rwanda et qui devraient faire l’objet de Elle ajoute toutefois que les conclusions auxquelles elle
mesures conservatoires. La Cour constate qu’en est parvenue au terme de la procédure sur la demande en
conséquence les conditions préalables à la saisine de la indication de mesures conservatoires ne préjugent en rien la
Cour, fixées par l’article29 de la Convention, ne semblent compétence de la Cour pour conn aître du fond de l’affaire,
pas avoir été remplies prima facie. ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou
au fond lui-même, et qu’elles laissent intact le droit du

La Constitution de l’OMS Gouvernement congolais et du Gouvernement rwandais de
La Cour note d’abord que tant le Congo que le Rwanda faire valoir leurs moyens en la matière. En l’absence
d’incompétence manifeste, la Cour estime qu’elle ne saurait
sont parties à la Constitution del’OMS et qu’ils sont ainsi accéder à la demande du Rwanda tendant à ce que l’affaire
l’un et l’autre membres de cette Organisation. La Cour soit rayée du rôle.
considère toutefois qu’au stad e de la procédure sur la

244 La Cour rappelle enfin «qu’il existe une distinction lumière du rôle que joue la Cour dans le maintien de la paix

fondamentale entre la questio n de l’acceptation par un État et de la sécurité internationa les, notamment la sécurité des
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains êtres humains et le droit à la vie.
actes avec le droit internati onal; la compétence exige le De l’avis de M.Koroma, la Cour, à défaut de pouvoir
consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que faire droit à la demande, en l’absence de compétence prima
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa facie, a néanmoins eu raison de se déclarer, aux
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
paragraphes 54, 55, 56 et 93 de l’ordonnance, profondément
valoir leurs moyens en droit ». préoccupée par le drame humain, les pertes en vies
Elle rappelle que les États, qu’ils acceptent ou non la humaines et les terribles souffra nces que l’on déplore dans
juridiction de la Cour, demeurent en tout état de cause l’est de la République démocratique du Congo à la suite des
responsables des actes contraires au droit international qui combats qui s’y poursuivent. C’est également à bon droit
leur seraient imputables; qu’ils sont en particulier tenus de que la Cour a souligné que les États, qu’ils acceptent ou non

se conformer aux obligations qui sont les leurs en vertu de la sa juridiction, demeurent en tout état de cause responsables
Charte des NationsUnies; que le Conseil de sécurité a des actes contraires au droit international qui leur seraient
adopté de très nombreuses résolutions concernant la imputables et sont tenus de se conformer aux obligations qui
situation dans la région, en particulier les résolutions1234 sont les leurs en vertu de la Charte des Nations Unies et des
(1999), 1291 (2000), 1304 (2000), 1316 (2000), 1323 résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.
(2000), 1332 (2000), 1341 (2001), 1355(2001), 1376
(2001), 1399 (2002) et 1417 (2002); que le Conseil de M.Koroma conclut en relevant que, si un différend
devait justifier l’indication de mesures conservatoires, ce
sécurité a, à maintes reprises, exigé que «toutes les parties serait bien celui-là. À son avis, toutefois, bien que la Cour
au conflit mettent fin… aux violations des droits de n’ait pas, en l’absence de cer tains éléments, été en mesure
l’homme et du droit international humanitaire»; qu’il a de donner suite à la demande, elle ne s’en est pas moins
notamment rappelé «à toutes les parties les obligations qui acquittée des obligations qui lui incombent dans le domaine
leur incomb[aient] en ce qui concerne la sécurité des
populations civiles conformément à la quatrième du maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
l’obligation de prévenir l’aggravation du différend, par les
Convention de Genève relative à la protection des personnes déclarations incidentes ( obiter dicta ) qu’elle a faites aux
civiles en temps de guerre du 12août1949», et qu’il a paragraphes susmentionnés. La position adoptée par la Cour
ajouté que « toutes les forces présentes sur le territoire de la ne peut apparaître que constructive, tout en ne préjugeant
République démocratique du Congo [étaient] responsables pas le fond de l’affaire. Il s’agit d’une position d’ordre
de la prévention des violations du droit international judiciaire, et il est de l’intérêt de toutes les parties
humanitaire commises sur le territoire qu’elles contrôlent».
concernées d’entendre l’appel lancé par la Cour.
La Cour tient par ailleurs à s ouligner la nécessité pour les
Parties à l’instance d’user de leur influence pour prévenir les Déclaration du juge Higgins
violations graves et répétées des droits de l’homme et du
droit international humanitaire encore constatées M me Higgins n’est pas d’accord avec l’un des motifs
récemment. invoqués par la Cour au paragraphe 79 de son ordonnance.
M meHiggins rappelle qu’il est bien établi dans la

Déclaration du juge Koroma jurisprudence en droit international humanitaire que, pour
établir la compétence sur le fond, le requérant n’est pas tenu
M.Koroma a voté en faveur de l’ordonnance en tant de préciser quelles dispositions du traité invoqué par lui
qu’elle vise, de son point de vue, à remédier à certains pour fonder la comp étence ont, selon lui, été violées. Voir,
motifs de préoccupation qui sont au cŒur de la requête. par exemple, les conclusions du Comité des droits de
Se référant aux allégations et arguments avancés par l’homme dans l’affaire Jennon Stephens c. Jamaïque
chacune des Parties, il fait observer qu’il ressort clairement
(Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée o
des informations communiquées à la Cour que de sérieuses générale, cinquante et unième session, supplément n 40,
menaces pèsent en effet sur les populations de la région doc. A/51/40); l’affaire B.d.B. et al c. les Pays-Bas
concernée : leur vie, notamment, est en danger. (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
M.Koroma n’ignore pas que la Cour a subordonné générale, quarante-quatrième session, supplément n o40,
l’indication de mesures conserva toires à certains critères: doc.A/45/40); et de nombreuse s autres affaires. Il n’y a

pour qu’elle puisse accéder à une demande en ce sens, afortiori aucune raison pour que la Cour internationale de
doivent notamment avoir été constatés une compétence Justice, en examinant le point de savoir si elle dispose ou
prima facie ou potentielle, un caract ère d’urgence, et le non d’une compétence prima facie pour indiquer des
risque qu’un préjudice irré parable soit causé si une mesures conservatoires, invoque un critère plus strict. C’est
ordonnance n’est pas rendue à cet effet. Toutefois, il estime plutôt à la Cour elle-même, conformément à la pratique
que ces critères doivent être appréciés à la lumière de habituelle, qu’il devrait revenir de voir si les prétentions

l’Article41, qui autorise la Cour à «indiquer», si elle formulées par le Congo dans sa demande et les faits allégués
estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures par lui peuvent constituerprima facie des violations de l’une
conservatoires du droit de chacun doivent être prises, et à la quelconque des clauses de la Convention sur l’élimination

245de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, conservatoires formulées de manière similaire en les
l’instrument qui, selon le Congo, fournit une base à la adressant aux deux Parties, bien que seule l’une d’entre elles

compétence de la Cour sur le fond. les ait sollicitées.
Cependant, étant d’accord avec les autres éléments du M.Buergenthal estime que les déclarations de la Cour,
paragraphe 79 et avec les conséquences juridiques qui en en particulier celles qui figurent aux paragraphes56 et93,
découlent, M me Higgins a voté en faveur de l’ordonnance. pourraient être interprétées, qu’il s’agisse là de l’intention
de la Cour ou non, comme conférant une crédibilité aux faits

Déclaration du juge Buergenthal allégués par la partie qui sollicite les mesures
conservatoires. À l’avenir, ces déclarations pourraient par
Tout en approuvant la décision de la Cour, ailleurs inciter les États à présenter des demandes en
MB.uergenthal ne peut souscrire au libellé des indication de mesures conservatoires en sachant que, même
paragraphes54 à 56 et93 de l’ordonnance de la Cour. Il s’ils ne seraient pas en mesure de remplir la condition
n’est pas opposé aux idées nobles exprimées dans ces préalable de l’établissement de la compétence prima facie
paragraphes, mais estime que la Cour n’a pas compétence de la Cour, ils obtiendront de la Cour que celle-ci se
pour connaître des questions qui y sont traitées, dès lors
qu’elle a décidé qu’elle ne dispose pas de la compétence prononce d’une manière qui pourrait être interprétée comme
un appui à la demande soumise contre l’autre partie.
prima facie pour indiquer les mesures conservatoires
sollicitées. Déclaration du juge Elaraby
De l’avis de M.Buergenthal, la mission de la Cour est
de se prononcer sur des questions qui relèvent de sa 1. M.Elaraby a voté contre le rejet de la demande en
compétence et non d’exprimer des sentiments personnels ou indication de mesures conservatoires présentée par la
de formuler des observations, d’ordre général ou particulier, République démocratique du Congo, principalement parce
qu’il estime que la Cour, conformément à son Statut et à sa
qui, bien que traduisant certes de « bons sentiments », n’ont
pas leur place dans la présente ordonnance. jurisprudence actuelle, devrait en principe faire droit à une
M. Buergenthal souligne que « les responsabilités qui … demande en indication de mesures conservatoires, dès qu’il
incombent [à la Cour], en vert u de [la] Charte [de l’ONU] est établi, d’une part, que le s conditions d’urgence sont
… dans le maintien de la paix et de la sécurité», et que la satisfaites, et, d’autre part, qu’un préjudice irréparable peut
être causé aux droits de l’une ou des deux Parties au
Cour invoque au paragraphe 55, ne revêtent pas un caractère différend. M.Elaraby estime que la Cour, en vertu de
général. Elles se limitent strictement à l’exercice de ses l’Article41 de son Statut, jouit d’un vaste pouvoir
fonctions judiciaires dans des affaires qui relèvent de sa
compétence. Ainsi, lorsque la Cour, alors qu’elle ne dispose discrétionnaire pour indiquer des mesures conservatoires. Il
pas de la compétence requise, fait des déclarations comme ressort de sa jurisprudence que si la Cour, auparavant,
celles qui figurent au paragraphe55 par exemple, et qui se s’attachait rigoureusement à établir sa compétence avant
lisent comme le préambule d’une résolution de l’Assemblée d’exercer les pouvoirs prévus à l’Article41 de son Statut,
elle a progressivement, quoique graduellement, considéré
générale ou du Conseil de sécurité des NationsUnies, elle que l’existence d’une base prima facie à sa compétence
n’agit pas comme un organe judiciaire.
S’agissant du paragraphe 56, M.Buergenthal pense que constituait le seuil lui permettant d’exercer lesdits pouvoirs.
le fait que cette déclaration soit impartiale en ce qu’elle est Or, selon M.Elaraby, cette évolution n’est pas prise en
adressée aux deux Parties à l’ affaire ne justifie pas compte dans l’ordonnance.
2. M.Elaraby est convaincu que les deux paragraphes de
davantage sa place dans l’ordonnance que si elle n’avait été l’Artic41, d’après l’interprétation qu’il leur donne,
adressée qu’à une seule des Parties. Elle n’a pas sa place confèrent à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire pour
dans l’ordonnance, d’abord parce que la Cour n’a pas
compétence en l’espèce pour ap peler les États parties à décider quelles circonstances justifient l’indication de
respecter les Conventions de Genève ou les autres mesures conservatoires. La mention du Conseil de sécurité
instruments et principes juridiques mentionnés dans ledit souligne l’importance du lien qui existe entre la Cour et le
paragraphe. Ensuite, étant donné que la demande en Conseil en matière de maintien de la paix et de la sécurité
internationales. En outre, le Statut ne prévoit pas de
indication de mesures conservatoires de la République conditions supplémentaires pour que la Cour puisse exercer
démocratique du Congo visait à ce que le Rwanda mette un son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires. En
terme à certaines activités pouv ant être considérées comme
des violations des Conventions de Genève, la déclaration de réalité, il n’est pas nécessaire,à ce stade précoce de la
la Cour telle que formulée au paragraphe 56 pourrait être procédure, que la compétence de la Cour soit établie.
perçue comme conférant une certaine crédibilité à cette 3. M. Elaraby estime que la Convention de Montréal aurait
prétention. Cette dernière conclusion est confortée par le dû être considérée comme un instrument fournissant une
base prima facie adéquate à la compétence de la Cour pour
libellé du paragraphe 93, qui est très proche du libellé que la
Cour aurait très probablement employé si elle avait indiqué indiquer des mesures conservatoires.
les mesures conservatoires sollicitées. Le fait que le 4.ME. laraby pense qu’au vu des circonstances de
paragraphe vise les deux Parties est sans pertinence car la l’affaire, il est nécessaire de protéger d’urgence les droits et
Cour, en des circonstances analogues, a indiqué des mesures les intérêts de la République démocratique du Congo.

246 Opinion individuelle de M. Dugard, Congo, et ne préjugent en rien les questions dont la Cour est
juge ad hoc saisie.

Dans son opinion individuelle, M.Dugard partage la
position adoptée par la Cour dans son ordonnance, selon Opinion individuelle de M. Mavungu,
laquelle le Congo n’est pas parvenu à démontrer qu’il juge ad hoc

existait, prima facie, une base sur laquelle la compétence de MM. avungu approuve dans ses grandes lignes
la Cour pourrait être fondée; aussi la demande en indication l’ordonnance de la Cour. Cepe ndant, il est d’avis que la
de mesures conservatoires du Congo doit-elle être rejetée. haute juridiction aurait pu prescrire des mesures
M.Dugard est néanmoins en désaccord avec l’ordonnance conservatoires malgré l’étroitesse des bases de la
de la Cour lorsqu’elle prévoit que l’affaire ne doit pas être compétence de la Cour, en raison de la nature du différend.
rayée du rôle.
Son opinion aborde deux questions principales: le
M.Dugard estime qu’une affaire devrait être rayée du fondement de la compétence de la Cour et les conditions
rôle de la Cour lorsqu’il n’existe aucune possibilité d’indication de mesures conservatoires. S’agissant de la
raisonnable que le demandeur puisse à l’avenir établir la première question, il note que la République démocratique
compétence de la Cour à l’égard du différend qui est soumis du Congo a présenté plusieurs moyens de droit pour établir
à celle-ci sur la base des traités déjà invoqués à cet effet, au
motif que, dans ces conditions, il y a absence manifeste de la compétence de la Cour: la déclaration congolaise
d’acceptation de la ju ridiction obligatoire de la Cour de
compétence – il s’agit-là du critère retenu par la Cour dans février 1989, des clauses compromissoires et des normes jus
des décisions antérieures aux fins de rayer une affaire de son cogens. Il est des moyens invoqués par le demandeur qui ne
rôle. pouvaient pas fonder la compétence de la Cour: la
L’examen des traités invoqués par le Congo pour fonder déclaration congolaise de 1989, l’acte constitutif de
la compétence de la Cour en l’affaire amène M.Dugard à l’UNESCO de 1946 et la Convention contre la torture

conclure que ceux-ci ne peuvent manifestement pas servir à de1984. De jurisprudence constante de la Cour, sa
cette fin. Il est donc d’avis que l’affaire aurait dû être rayée compétence ne peut être établie que sur la base du
du rôle. consentement des États.
M.Dugard craint que, à la suite de la décision prise par En revanche, il estime que la compétence de la Cour
la Cour en 2001 dans l’affaire LaGrand, selon laquelle une pouvait être fondée prima facie au regard des clauses
ordonnance en indication de mesures conservatoires est
compromissoires contenues dans la Constitution de l’OMS,
juridiquement contraignante, un risque existe que la Cour la Convention de Montréal de 1971 et la Convention sur la
soit saisie d’un très grand nombre de demandes en discrimination à l’égard des femmes de 1979. La réserve
indication de telles mesures. La Cour devrait, pour prévenir formulée par la République du Rwanda à la clause de
un abus de cette procédure, adopter une démarche stricte juridiction prévue à l’articleIX de la Convention contre le
concernant les demandes pour lesquelles il n’existe génocide de 1948 serait contraire à l’objet et au but de ladite
manifestement pas de base de compétence, en procédant à la convention.

radiation de telles affaires du rôle de la Cour. Conformément à l’Article41 du Statut et à l’article73
M.Dugard approuve les observations d’ordre général du Règlement de la Cour, ainsi qu’au regard de la
formulées par la Cour sur la situation tragique qui prévaut jurisprudence bien établie de celle-ci, les mesures
dans l’est du Congo. Il insiste sur le fait que ces conservatoires sont tributai res de plusieurs facteur:
observations, dans lesquelles la Cour déplore les souffrances l’urgence, la préservation des droits des parties, la non-
des populations de l’est du Congo dues au conflit dans la aggravation du différend et la compétence prima facie. En

région et appelle les États à agir conformément au droit l’espèce, les conditions auraient été remplies; cela aurait dû
international, sont adressées à la fois au Rwanda et au amener la Cour à prescrire quelques mesures conservatoires.

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Résumé de l'ordonnance du 10 juillet 2002

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