Résumé de l'arrêt du 8 octobre 2007

Document Number
14077
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2007/4
Date of the Document
Document File
Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Résumé
Document non officiel

Résumé n 2007/4
Le 8 octobre 2007

Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras
dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras)

Résumé de l’arrêt du 8 octobre 2007

Chronologie de la procédure et conclusions des Parties(par. 1-19)

Le 8 décembre 1999, le Nicaragua a déposé une requête introductive d’instance contre le

Honduras au sujet d’un différend relatif à la délimitation des zones maritimes relevant
respectivement du Nicaragua et du Honduras dans la mer des Caraïbes.

Dans sa requête, le Nicaragua affirmait que la Cour était compétente en vertu de

l’articleXXXI du traité américain de règlement pa cifique (désigné officiellement par le nom de
«pacte de Bogotá»), ainsi que des déclarations des deux Parties acceptant la compétence de la Cour
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut.

La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles

s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe3 de l’article31 du Statut de procéder à la
désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Le Nicaragua a désigné M. Giorgio Gaja et le
Honduras a désigné M. Julio González Campos, puis, celui-ci ayant renoncé à exercer ses fonctions
le 17 août 2006, M. Santiago Torres Bernárdez.

Par ordonnance en date du 21mars2000, le prési dent de la Cour a fixé au 21mars2001 et
au 21mars2002, respectivement, les dates d’e xpiration des délais pour le dépôt du mémoire du
Nicaragua et du contre-mémoire du Honduras. C es pièces ont été dûment déposées dans les délais
ainsi prescrits.

Par ordonnance en date du 13 juin 2002, la Cour a autorisé la présentation d’une réplique par
le Nicaragua et d’une duplique par le Honduras, et fixé au 13janvier2003 et au 13août2003 les
dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces. La réplique du Nicaragua et la duplique

du Honduras ont été déposées dans les délais ainsi prescrits.

Des audiences publiques ont été tenues entre le 5 et le 23mars2007. Au terme de la
procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement du Nicaragua,

«Au vu des considérations exposées dans le mémoire, la réplique et les
plaidoiries, et plus particulièrement des élém ents de preuve relatifs aux relations entre
les Parties, - 2 -

Plaise à la Cour de dire et juger que :

La bissectrice des lignes représentant les façades côtières des deux Parties, telle
que présentée dans les écritures et à l’audience, et tracée à partir d’un point fixe situé à
3milles environ de l’embouchure du fleuve par 15°02'00"de latitude nord et
83°05'26"de longitude ouest, constitue la frontière maritime unique aux fins de la

délimitation des zones en litige de la mer territoriale, de la zone économique exclusive
et du plateau continental dans la région du seuil nicaraguayen.

Ainsi que l’a établi la sentence du roi d’ Espagne de 1906, le point de départ de

la délimitation est le thalweg de l’embouchure principale du fleuve Coco, où qu’elle se
situe au moment considéré.

Sans préjudice de ce qui précède, il est demandé à la Cour de trancher la

question de la souveraineté sur les îles et cayes situées dans la zone en litige.»

Au nom du Gouvernement du Honduras,

«Au vu des pièces de procédure et des plaidoiries, ainsi que des éléments de

preuve soumis par les Parties,

Plaise à la Cour de dire et juger que :

1. Les îles de BobelCay, SouthCay, Savanna Cay et Port Royal Cay, ainsi que
l’ensemble des autres îles, cayes, rochers, bancs et récifs revendiqués par le
Nicaragua et situés au nord du 15 eparallèle, relèvent de la souveraineté de la
République du Honduras.

2. Le point de départ de la frontière maritime à délimiter par la Cour est le point situé
par 14° 59,8' de latitude nord et 83° 05,8' de longitude ouest. La frontière allant du
point fixé par la commission mixte en1962 à 14°59,8'de latitude nord et

83°08,9de longitude ouest jusqu'au point de départ de la fr ontière maritime à
délimiter par la Cour fera l’objet d’un accord entre les Parties à la présente espèce
sur la base de la sentence rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906, qui a
force obligatoire pour les Parties, et prendra en compte les caractéristiques

géographiques changeantes de l’embouchure du fleuve Coco (également dénommé
Segovia ou Wanks).

3. A l’est du point situé par 14° 59,8' de latitude nord et 83° 05,8' de longitude ouest,

la frontière maritime unique séparant les mers territoriales, zones économiques
exclusives et plateaux continentaux respectifs du Honduras et du Nicaragua suit le
parallèle 14°59,8'de latitude nord, c’est-à -dire la frontière maritime actuelle, ou

suit une ligne d’équidistance ajustée, jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat
tiers.»

Géographie (par. 20-32)

La Cour note que la zone da ns laquelle doit s’effectuer la délimitation demandée se trouve
dans le bassin de l’océan Atlantique, communément appelé mer des Caraïbes, situé entre9°et
22° de latitude nord et 89° et 60° de longitude ou est. La côte nicaraguayenne se dirige légèrement
vers le sud-quart-sud-ouest après le cap Gracias a Dios, conservant cette direction jusqu’à la

frontière entre le Nicaragua et le CostaRica, à l’exception d’une saillie vers l’est à PuntaGorda.
Le Honduras, pour sa part, présente une façade côtière orientée généralement d’est en ouest,
entre15° et16°de latitude nord. Sur son segment hondurien, la côte centraméricaine bordant la

mer des Caraïbes s’oriente d’abord vers le nord, du cap Gracias a Dios jusqu’à CaboFalso, pour - 3 -

s’infléchir ensuite vers l’ouest. Au capCamarón, la côte change plus brutalement de direction et
s’oriente quasiment plein ouest jusqu’à la frontière entre le Honduras et le Guatemala. Les deux

littoraux forment approximativement un angle droit qui fa it saillie en mer. La convexité de la côte
est accentuée par le cap Gracias a Dios, situé à l’embouchure du fleuve Coco dont le cours se dirige
de manière générale vers l’est à l’approche de la côte et qui se jette dans la mer à la pointe orientale
du cap. Le cap Gracias a Dios constitue le point de convergence des façades côtières des deux

Etats. Il dessine une concavité de part et d’autre et présente deux pointes, séparées de quelques
centaines de mètres, une sur chaque rive du fleuve Coco.

La marge continentale prolongeant la cô te orientale du Nicaragua et du Honduras est

généralement appelée «seuil nicaraguayen». Il s’agit d’une plate-forme triangulaire relativement
plane, située à une vingtaine de mètres de profonde ur. A peu près à mi-chemin entre les côtes du
Honduras et du Nicaragua et celle de la Jamaïque , le seuil nicaraguayen s’achève par un dénivelé
abrupt de plus de 1500mètres. Avant d’atteindre ces plus grandes profondeurs, le seuil est

interrompu par plusieurs bancs de grande taille tels que ThunderKnoll Bank et Rosalind Bank
(également appelé Rosalinda Bank), séparés de la plate-forme principale par des chenaux plus
profonds atteignant plus de 200 mètres. Dans la zone peu profonde de la dorsale, à proximité de la
masse continentale du Nicaragua et du Honduras, se trouvent de nombreux récifs, dont certains

sont découverts et constituent des cayes.

Les cayes sont de petites îles de faible altit ude, formées principalement du sable provenant
du délitement des récifs coralliens sous l’action des vagues et déposé ensuite par le vent. Les plus

grandes peuvent accumuler suffisamment de sédiments pour qu’une végétation s’y développe et s’y
fixe. Les formations insulaires situées sur le pl ateau continental face au cap GraciasaDios, au
nord du 15 parallèle, comprennent Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay, situées
à une distance de 30 à 40 milles marins à l’est de l’embouchure du fleuve Coco.

En ce qui concerne la géomorphologie de l’ embouchure du fleuve Coco, le plus long de
l’isthme centraméricain, la Cour relève que celle -ci est un delta typique, qui forme sur la côte une
avancée constituant un cap : le cap Gracias a Dios. Tous les deltas sont par définition des accidents

géographiques de caractère instable. Le delta du fleu ve Coco et même les côtes situées au nord et
au sud de celui-ci présentent un morphodynamism e très actif. Il s’ensuit que la forme de
l’embouchure du fleuve change constamment, et que des îles et hauts-fonds instables se constituent

dans cette embouchure là où le fleuve dépose une grande partie de ses sédiments.

Le contexte historique (par. 33-71)

La Cour rend compte brièvement de l’histor ique du différend qui oppose les Parties (et qui

n’est exposé qu’en partie ci-dessous).

Elle note que, après être devenus indépendants de l’Espagne en 1821, le Nicaragua et le
Honduras acquirent la souveraineté sur leur territo ire respectif comprenant les îles adjacentes le

long de leurs côtes, sans que le nom de ces îles soit précisé. Le 7 octobre 1894, le Nicaragua et le
Honduras réussirent à conclure un traité général de frontières, connu sous le nom de traité
Gámez-Bonilla, qui entra en vigueur le 26 décembre 1896. L’article II du traité, conformément au
principe de l’uti possidetis juris , disposait que «chaque République [était] maîtresse des territoires

qui, à la date de l’indépendance, constituaien t respectivement les provinces du Honduras et du
Nicaragua». L’article premier du traité prévoy ait en outre la constitution d’une commission mixte
des limites chargée de la démar cation de la frontière entre le Nicaragua et le Honduras. La

commission fixa la frontière entre le golfe de Fonseca sur l’océan Pacifique et le Portillo de
Teotecacinte, situé à une distance équivalant à envir on un tiers de la largeur du territoire, mais ne
fut pas en mesure de déterminer la frontière entre ce point et la côte atlantique. - 4 -

En application de l’articleIII du traité Gámez-Bonilla, le Nicaragua et le Honduras
soumirent ultérieurement leur différend relatif à la portion de la frontière qui n’avait pu être

déterminée au roi d’Espagne, arbitre unique. Le roi AlphonseXIII d’Espagne rendit le
23décembre1906 une sentence arbitrale qui fixait la frontière depuis l’embouchure du
fleuve Coco, au cap Gracias a Dios , jusqu’au Portillo de Teotecacinte. Le Nicaragua contesta par
la suite, dans une note du 19mars1912, la validité et le caractère obligatoire de cette sentence.

Après plusieurs tentatives infructueuses de règlement du différend et un certain nombre d’incidents
frontaliers survenus en 1957, le conseil de l’Organisation des Etats américains (OEA) se saisit cette
même année de la question. Grâce à la médiation d’une commission adhoc créée par celui-ci, le
Nicaragua et le Honduras convinrent de soumettre leur différend à la Cour internationale de Justice.

Dans son arrêt du 18 novembre 1960, la Cour internationale de Justice conclut que la
sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23décembre1906 était valable et obligatoire et
que le Nicaragua était tenu de l’exécuter.

Le Nicaragua et le Honduras n’étant pas parv enus à se mettre d’accord par la suite sur la
manière d’appliquer la sentence arbitrale de 1906, le Nicaragua demanda l’intervention de la
commission interaméricaine de la paix. Celle-ci constitua alors une commission mixte qui acheva

la démarcation de la frontière par la pose de bornes en 1962. La commission mixte détermina que
la frontière terrestre partirait de l’embouchure du fleuve Coco, située par 14° 59,8' de latitude nord
et 83° 08,9' de longitude ouest.

De 1963 à 1979, le Honduras et le Nicaragua entretinrent des relations amicales. En 1977, le
Nicaragua entama des négociations au sujet de la frontière maritime dans la mer des Caraïbes.
Cependant, ces négociations ne progressèrent pas. Dans la période qui suivit, les relations entre le
Nicaragua et le Honduras se détériorèrent. De nombreux incidents ayant donné lieu, dans les
e
parages du 15 parallèle, à la saisie ou à l’attaque par chacun des deux Etats de bateaux de pêche
appartenant à l’autre sont rapportés dans une série d’échanges diplomatiques. Plusieurs
commissions mixtes furent chargées de trouver un règl ement à la situation, mais leurs tentatives se
révélèrent infructueuses.

Le 29 novembre 1999, le Nicaragua déposa devant la Cour centraméricaine de justice une
requête contre le Honduras ainsi qu’une demande en indication de mesures conservatoires, après
que le Honduras eut exprimé l’intention de ratif ier un traité de 1986 relatif à la délimitation
e
maritime avec la Colombie, dans lequel le parallèle 14° 59' 08" à l’est du 82 méridien était indiqué
en tant que ligne frontière entre le Honduras et la Colombie. Dans sa requête, le Nicaragua priait la
Cour centraméricaine de justice de dire et juger que le Honduras, en approuvant et en ratifiant le

traité de 1986, avait agi en violation des obligations lui incombant en vertu de divers instruments
juridiques d’intégration régionale, parmi lesquels le protocole de Tegucigalpa modifiant la Charte
de l’Organisation des Etats d’Amérique centrale. Dans sa demande en indication de mesures
conservatoires, le Nicaragua priait la Cour centr américaine de justice d’ordonner au Honduras de

s’abstenir d’approuver et de ratifier le traité de 1986, jusqu’à ce que les intérêts souverains du
Nicaragua dans ses espaces maritimes, les intérêts patrimoniaux de l’Amérique centrale et les
intérêts supérieurs des institutions régionales fu ssent «sauvegardés». Par une ordonnance en date
du 30novembre1999, la Cour centraméricaine de justice a conclu que le Honduras devait

suspendre la procédure de ratification du traité de 1986 jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur le
fond de l’affaire.

Le Honduras et la Colombie ont poursuivi la procédure de ratification et, le

20 décembre 1999, ont échangé leurs instruments de ratification. Le 7 janvier 2000, le Nicaragua a
présenté une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires, priant la Cour
centraméricaine de justice de déclarer nulle la procédure de ratification du traité de1986 par le
Honduras. Par une ordonnance du 17 janvier 2000, la Cour centraméricaine de justice a jugé que le

Honduras ne s’était pas conformé à son ordonnance en indication de mesures conservatoires du
30novembre1999, mais a estimé ne pas avoir co mpétence pour statuer sur la demande formulée - 5 -

par le Nicaragua visant à ce qu’elle déclare nul le processus de ratification par le Honduras. Dans

son arrêt sur le fond rendu le 27novembre2001, la Cour centraméricaine de justice a confirmé
l’existence d’un «patrimoine territorial de l’Amérique centrale». Elle a dit en outre que, en ratifiant
le traité de 1986, le Honduras avait enfreint un certain nombre de dis positions du protocole de
Tegucigalpa modifiant la Charte de l’Organisati on des Etats d’Amérique centrale, qui énoncent,

notamment, les objectifs et principes fondamentau x du Système d’intégration centraméricain,
parmi lesquels le concept de «patrimoine territorial de l’Amérique centrale».

Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs notes diplomatiques furent également échangées
au sujet de la publication par les Parties de cartes concernant la région en litige.

Positions des Parties (par. 72-103)

⎯ Objet du différend

Dans sa requête et dans ses écritures, le Nicar agua prie la Cour de dé terminer le tracé d’une

frontière maritime unique entre les mers territorial es, les portions de plateau continental et les
zones économiques exclusives relevant respectiv ement du Nicaragua et du Honduras dans la mer
des Caraïbes. Il affirme avoir toujours soutenu que sa frontière maritime avec le Honduras dans la

mer des Caraïbes n’avait pas été délimitée. A l’ audience, le Nicaragua a en outre spécifiquement
prié la Cour de trancher la question de la souvera ineté sur les îles situées dans la zone en litige, au
nord de la ligne frontière revendiquée par le Honduras qui s’étend le long du 15 e parallèle

(14° 59' 08" de latitude nord).

Selon le Honduras, il existe déjà dans la mer des Caraïbes une frontière traditionnellement
reconnue entre les espaces maritimes du Honduras et du Nicaragua, «qui tire son origine du

principe de l’uti possidetis juris et qui est à la fois solidement an crée dans la pratique du Honduras
et du Nicaragua, et confirmée par celle de pays tie rs». Le Honduras convient que la Cour devrait
«détermine[r] l’emplacement d’une frontière maritime unique» et prie la Cour de tracer celle-ci en
suivant la «frontière maritime traditionnelle», le long du 15 parallèle, «jusqu’à atteindre la

juridiction d’un Etat tiers». A l’audience, le Honduras a également prié la Cour de dire et juger que
«[l]es îles de BobelCay, SouthCay, Savanna Cay et Port Royal Cay, ainsi que l’ensemble des
autres îles, cayes, rochers, bancs et récifs revendiqués par le Nicaragua, situés au nord du
e
15 parallèle, relèvent de la souveraineté de la République du Honduras». Pour les revendications
des Parties, voir le croquis n 2 de l’arrêt.

⎯ Souveraineté sur les îles dans la zone en litige

Le Nicaragua revendique la souveraineté sur l es îles et cayes de la zone en litige de la mer
des Caraïbes, au nord du 15 parallèle, et notamment sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay

et SouthCay. Le Honduras revendique la souveraineté sur BobeC l ay, Savanna Cay,
Port Royal Cay et South Cay, ainsi que le titre sur d’autres îles et cayes de taille plus réduite situées
dans cette même partie de la mer des Caraïbes.

Les deux Etats conviennent qu’aucune des îles et cayes en litige n’était terra nullius en 1821,
date de leur indépendance. Ils sont toutefois en désaccord sur la situation qui suivit. Le Nicaragua
affirme que ni l’une ni l’autre des deux républiqu es ne reçut ces formations en partage et qu’il est

impossible d’établir la situation à la lumière de l’uti pos
sidetis juris de 1821 s’agissant des cayes.
Il conclut donc à la nécessité de recourir à «d’autres titres» et, en particulier, affirme détenir sur les
cayes un titre originaire par le jeu du principe d’adjacence. Le Honduras, pour sa part, prétend

détenir sur les îles en litige un titre originaire découlant du principe de l’uti possidetis juris, titre qui
est confirmé par de nombreuses effectivités. - 6 -

o
Croquis n 2 de l’arrêt - 7 -

⎯ Délimitation maritime au-delà de la mer territoriale

La ligne proposée par le Nicaragua : la méthode de la bissectrice

La Cour note que le Nicaragua propose une méthode de délimitation fondée sur «la

bissectrice de l’angle formé par les lignes résultant de la projection des façades côtières des
Parties». Cette bissectrice est calculée à partir d es directions générales des côtes du Nicaragua et
du Honduras. Ces façades côtières engendrent une bissectrice qui, partant de l’embouchure du
fleuveCoco, suit un cap constant (d’azimut52°45' 21") jusqu’à son intersection avec la frontière

d’un Etat tiers à proximité de Rosalind Bank.

La ligne proposée par le Honduras : la «frontière traditionnelle» le long du 15 parallèle

Le Hoeduras, pour sa part, prie la Cour de confirmer l’existence de ce qu’il prétend être, le
long du 15 parallèle, une frontière maritime traditionnelle entre le Honduras et le Nicaragua dans
la mer des Caraïbes, et de prolonger cette ligne jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat tiers. Dans
l’hypothèse où elle écarterait ses arguments relatifs au 15 e parallèle, le Honduras prie la Cour, à

titre subsidiaire, de tracer une ligne d’équidistance ajustée, jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat
tiers.

⎯ Le point de départ de la frontière maritime

Les deux Parties conviennent que le point terminal de la frontière terrestre entre le Nicaragua
et le Honduras a été établi par la sentence arbitrale de1906 à l’embouchure du bras principal du

fleuve Coco. En 1962, la commission mixte de déli mitation a déterminé que le point de départ de
la frontière terrestre à l’embouchure du fleuveCoco était situé par 14°59,8'de latitude nord et
83° 08,9' de longitude ouest. Les deux Parties c onviennent par ailleurs que, depuis 1962, ce point
s’est déplacé en raison de l’accumulation de sédiments.

Le Nicaragua propose, dans ses écritures, que le point de départ de la frontière maritime soit
fixé sur la bissectrice «à une distance raisonna ble», à savoir 3millesmarins de l’embouchure
proprement dite du fleuve Coco. Le Nicaragua a, dans un premier temps, avancé que les Parties

devraient négocier «une ligne constit uant la frontière entre le point de départ de la frontière à
l’embouchure du fleuveCoco et le point à partir duquel la Cour aura déterminé la frontière
[maritime]». Tout en laissant cette possibilité ouverte, le Nicaragua a, dans ses conclusions finales,

prié la Cour de confirmer que, «[a]insi que l’a ét abli la sentence du roi d’Espagne de 1906, le point
de départ de la délimitation est le thalweg de l’embouchure principale du fleuve Coco, où qu’elle se
situe au moment considéré». Le Honduras accepte que le point de départ de la frontière soit situé à
«3milles du point terminal retenu en1962», mais précise que le point fixe situé en mer doit être
e
mesuré à partir du point établi par la commission mixte de 1962 et se trouver sur le 15 parallèle.

⎯ Délimitation de la mer territoriale

Le Nicaragua affirme que la délimitation de la mer territoriale entre des Etats dont les côtes
sont adjacentes doit se faire sur la base des principes énoncés à l’article15 de la convention des
NationsUnies sur le droit de la mer (CNUDM) mais que, en la présente affaire, il est toutefois

techniquement impossible de tracer une ligne d’équi distance, dans la mesure où elle devrait être
entièrement construite à partir des deux points ex trêmes de l’embouchure du fleuve, lesquels sont
très instables et continuellement mouvants. Par conséquent, selon le Nicaragua, il devrait
également être recouru à la méthode de la bi ssectrice pour effectuer la délimitation de la mer

territoriale.

Le Honduras s’accorde avec le Nicaragua sur l’ existence de «circonstances spéciales» qui,
en vertu de l’article15 de la CNUDM, «exigent que la frontière soit délimitée autrement que par

une ligne médiane au sens strict». Néanmoins, pour le Honduras, si la configuration de la masse - 8 -

terrestre continentale peut constituer une telle «circonstance spéciale», bien plus importante est «la
pratique établie des Parties consistant à considérer le 15 parallèle comme leur frontière commune à

partir de l’embouchure du fleuveCoco». Comme autre facteur «de la plus haute importance», le
Honduras cite «le déplacement progressif vers l’ est de l’embouchure proprement dite du fleuve
Coco». Il suggère donc qu’à partir du point fixe situé en mer, la frontière maritime dans la mer
territoriale se dirige vers l’est le long du 15 parallèle.

Recevabilité de la nouvelle demande relative à la so uveraineté sur les îles situées dans la zone en
litige (par. 104-116)

La Cour observe que, d’un point de vue formel , la demande relative à la souveraineté sur les
îles situées dans la zone maritime en litige, formul ée par le Nicaragua dans ses conclusions finales,
constitue une demande nouvelle par ra pport à celles qui avaient été présentées dans la requête et
dans les écritures.

Toutefois, la nouveauté d’une demande n’est pas décisive en soi pour la question de la
recevabilité. Afin de déterminer si une nouvelle demande introduite en cours d’instance est
recevable, la Cour doit se poser la question de savoir si, «bien que formellement nouvelle, la

demande en question ne peut être considérée comme étant matériellement incluse dans la demande
originelle» (Certaines terres à phos phates à Nauru (Nauru c.Australie ), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 265-266, par. 65). A cet effet, pour conclure que la nouvelle demande
était matériellement incluse dans la demande orig inelle, il ne suffit pas qu’existent entre elles des

liens de nature générale. Encore faut-il

«que la demande additionnelle soit implicitement contenue dans la requête (Temple de
Préah Vihéar, fond, C.I.J. Recueil 1962, p. 36) ou découle «directement de la question

qui fait l’objet de cette requête» (Compéte nce en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Isla nde), fond, C.I.J.Recueil1974 , p. 203, par. 72)».
(Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 67).

Rappelant qu’à plusieurs reprises, elle a souligné que «la terre domine la mer», la Cour note
que, pour tracer une frontière maritime unique dans une zone de la mer des Caraïbes où se trouvent
plusieurs îles et rochers, elle devra examiner comment ces formations maritimes pourraient influer

sur cette ligne frontière. Il lui faudra donc co mmencer par déterminer à quel Etat revient la
souveraineté sur les îles et rochers situés dans la zone en litige. La Cour est tenue de procéder
ainsi, qu’une demande formelle ait ou non été formulée en ce sens. Dans ces conditions, la
demande relative à la souveraineté est implicitement contenue dans la question qui fait l’objet de la

requête du Nicaragua, à savoir la délimitation des portions contestées de mer territoriale, de plateau
continental et de zone économique exclusive, question dont elle découle directement.

La Cour en conclut que la demande du Nicar agua relative à la souveraineté sur les îles

situées dans la zone maritime en litige est recevabl e car inhérente à la demande initiale concernant
la délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes.

La date critique (par. 117-131)

La Cour rappelle que, dans le contexte d’un différend portant sur une délimitation maritime
ou d’un différend relatif à la souveraineté sur un territo ire, l’importance de la date critique consiste
en ceci qu’elle permet de faire la part entre l es actes accomplis à titre de souverain qui sont en

principe pertinents aux fins d’apprécier et de c onfirmer des effectivités, et ceux postérieurs à cette
date, lesquels ne sont généralement pas pertinents en tant qu’ils sont le fait d’un Etat qui, ayant déjà
à faire valoir certaines revendications dans le cadre d’un différend juridique, pourrait avoir
accompli les actes en question dans le seul but d’étayer celles-ci. La date critique marque donc le

point à partir duquel les activités des Parties cessent d’être pertinentes en tant qu’effectivités. - 9 -

Le Honduras soutient qu’il existe deux diffé rends distincts, quoique connexes, l’un portant
sur la question de savoir si le titre sur les îles en litige appartient au Nicaragua ou au Honduras,
e
l’autre sur celle de savoir si le 15 parallèle marque l’actuelle frontière maritime entre les Parties.
Le Nicaragua estime qu’il s’agit d’un différend unique.

Le Honduras fait observer que, s’agissant du différend relatif à la souveraineté sur les

formations maritimes se trouvant dans la zone en litige, il «peut exister plus d’une date critique».
Dès lors, «dans la mesure où la question du titre met en jeu l’application de l’uti possidetis», la date
critique serait 1821 ⎯date à laquelle le Honduras et le Ni caragua sont devenus indépendants de
l’Espagne. Aux fins des effectivités postcoloniales, le Honduras plaide que la date critique ne peut

être «antérieure à celle du dépôt du mémoire ⎯ le 21 mars 2001 ⎯, puisque c’est à ce moment-là
que le Nicaragua a affirmé pour la première fois qu’il détenait le titre sur les îles». En ce qui
concerne le différend portant sur la frontière maritime, le Honduras avance la date critique de 1979,

année de l’arrivée au pouvoir du gouvernement sandiniste, «le Nicaragua n’a[yant] jamais
[auparavant] manifesté le moindre intérêt pour les cayes et les îles se trouvant au nord du
15 parallèle».

Pour le Nicaragua, la date critique à reteni r est1977, année où les Parties engagèrent des
négociations sur la délimitation maritime, à la suite d’un échange de correspondance entre leurs
deux gouvernements. Le Nicaragua soutient que le différend relatif à la frontière maritime englobe
logiquement celui relatif aux îles situées dans la zone pertinente et que, par voie de conséquence, la

date critique est la même pour l’un et pour l’autre.

Ayant examiné les arguments des Parties, la Cour considère que dans les affaires où il existe
deux différends connexes, comme en la présente espèce, il n’y a pas nécessairement une date

critique unique ; cette date peut ne pas être la même aux fins des deux différends. Elle estime donc
nécessaire de distinguer deux dates critiques qui doivent s’appliquer dans deux contextes différents.
La première concerne l’attribution de la souveraineté sur les îles à l’un ou l’autre des deux Etats qui
se les disputent, la seconde la délimitation de la zone maritime en litige.

En ce qui concerne le différend sur les îles, la Cour retient pour da te critique l’année 2001,
puisque ce n’est qu’à cette date que, dans son mémo ire, le Nicaragua a expressément réservé «les
droits souverains attachés à tous les îlots et rochers qu’il revendique dans la zone contestée».

En ce qui concerne le différend relatif à la délimitation maritime, la Cour estime que c’est
aux deux incidents relatifs à la saisie de bateaux de pêche en mars 1982 et à l’échange de notes
diplomatiques entre les Parties que l’on peut fa ire remonter l’existence d’un différend sur la

délimitation de la frontière maritime.

Souveraineté sur les îles (par. 132-227)

⎯ Les formations maritimes de la zone en litige

En examinant la nature juridique des formations terrestres de la zone en litige, la Cour note
que les Parties ne contestent pas le fait que Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay

restent découvertes à marée haute. Elles relève nt donc de la définition et du régime des îles
figurant à l’article121 de la CNUDM (à laquelle le Nicaragua et le Honduras sont l’un et l’autre
parties).

Hormis pour ces quatre îles, la Cour déclare qu’il lui semble n’avoir pas reçu tous les
renseignements dont elle aurait besoin pour iden tifier avec précision un certain nombre des autres
formations maritimes situées dans la zone en litige. A cet égard, les pièces de procédure écrite et
les plaidoiries ont été de peu d’aide pour défi nir, avec la précision nécessaire, les autres

«formations» pour lesquelles les Part ies avaient demandé à la Cour de trancher la question de la
souveraineté territoriale. - 10 -

La Cour note qu’au cours de la procédure, deux autres cayes ont été mentionnées : Logwood
Cay (également dénommée Palo de Campeche) et Media Luna Cay. En réponse à une question

posée par un juge ad hoc , les Parties ont affirmé que Media Luna Cay était maintenant recouverte
et qu’elle n’était donc plus une île. Le doute subsiste quant à l’ état actuel de Logwood Cay : selon
le Honduras, elle reste découverte (quoique de peu) à marée haute; d’après le Nicaragua, elle est
complètement recouverte à marée haute.

Au vu de toutes ces circonstances, la Cour estim e approprié de ne statuer que sur la question
de la souveraineté sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay.

A l’audience, chacune des Parties a égalem ent revendiqué une île située en un endroit
totalement différent, à savoir celle se trouvant à l’embouchure du fleuve Coco. Depuis un siècle, le
caractère instable de cette embouchure est tel que les îles les plus grandes sont susceptibles de
s’intégrer à la côte la plus proche et que le devenir d’îles plus petites est incertain. En raison des

caractéristiques changeantes de la zone en question, la Cour ne se prononce pas sur l’attribution
d’un titre souverain sur les îles situées dans l’embouchure du fleuve Coco.

⎯ Le principe de l’uti possidetis juris et la souveraineté sur les îles en litige

La Cour relève que le prin cipe de l’uti possidetis juris a été invoqué par le Honduras en tant
que base de souveraineté sur les îles en litige. Le Nicaragua affirme en revanche que la
souveraineté sur les îles ne saurait être attribuée à l’une ou l’autre Partie sur la base de ce principe.

La Cour rappelle qu’elle a reconnu que le «principe de l’uti possidetis s’[était] maintenu au
rang des principes juridiques les plus importants» en matière de titre territorial et de délimitation
des frontières au moment de la décolonisation (Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.567, par.26). Elle déclare que le principe s’applique

indubitablement à la question de la délimitation territoriale entreele Nicaragua et le Honduras, tous
deux anciennes provinces coloniales espagnoles. Au XIX siècle, des négociations visant à
déterminer la frontière territoriale entre le Nicaragua et le Honduras s’achevèrent par la conclusion
du traité Gámez-Bonilla du 7 octo bre 1894, dans lequel les deux Etat s convinrent, au paragraphe 3

de l’articleII, que «chaque République [était ] maîtresse des territoires qui, à la date de
l’indépendance, constituaient respectivement les provinces du Honduras et du Nicaragua». La
sentence rendue par le roi d’Espagne en1906, laque lle repose précisément sur le principe de l’uti

possidetis juris inscrit dans le paragraphe3 de l’artic leII du traité Gámez-Bonilla, définit la
frontière territoriale entre les deux pays pour ce qui concerne les portions de terre alors contestées,
à savoir celles situées entre le Portillo de Teotecacinte et la côte atlantique. La validité ainsi que le
caractère obligatoire de la sentence de 1906 ont été confirmés par la Cour dans son arrêt de 1960 et

les deux Parties au présent différend reconnaissent la sentence comme juridiquement obligatoire.

Passant à la question de la souveraineté sur les îles, la Cour commence par faire observer que
l’uti possidetis juris peut, en principe, s’appliquer aux possessions territoriales situées au large des

côtes et aux espaces maritimes. Elle note que la si mple invocation du principe de l’uti possidetis
juris ne fournit pas en soi une réponse claire quant à la souveraineté sur les îles en litige. Si les îles
ne sont pas terra nullius , ainsi que le reconnaissent les deux Parties et qu’il est communément
admis, l’on ne peut que présumer qu’elles relevaient de la Couronne espagnole. Toutefois, cela ne

signifie pas nécessairement que le successeur en ce qui concerne l es îles en litige ne pourrait être
que le Honduras, du fait que celui-ci est le seul Etat à avoir formellement revendiqué un tel statut.
La Cour rappelle que l’uti possidetis juris présuppose que les autorités coloniales centrales aient
procédé à une délimitation territoriale entre les provinces coloniales concernées. Ainsi, pour que le

principe de l’uti possidetis juris puisse être appliqué aux îles en litige, il doit au préalable être
démontré que la Couronne espagnole les avait attribuées à l’une ou l’autre de ses provinces
coloniales. - 11 -

La Cour examine alors s’il existe des élémen ts de preuve convaincants qui lui permettraient
de déterminer à laquelle des provinces coloniales de l’ancienne Amérique espagnole les îles en

question avaient, le cas échéant, été attribuées.

Elle fait observer que les Parties n’ont pas produit d’éléments de preuve documentaires ou
autres antérieurs à l’indépendance qui mentionnent expressément les îles. La Cour relève aussi que

la proximité en tant que telle ne permet pas nécessairement d’établir un titre juridique. Les
éléments d’information apportés par les Parties su r l’administration par l’ Espagne de l’Amérique
centrale au cours de la période coloniale ne permettent pas de déterminer avec certitude si c’était
une entité unique (la capitainerie générale de Guatemala) ou deux entités subordonnées (le

gouvernement du Honduras et le commandement général du Nicaragua) qui administraient à
l’époque les territoires insulaires du Honduras et du Nicaragua. A la différence du territoire
terrestre, pour lequel les limites administratives entre les différentes provinces étaient plus ou
moins clairement démarquées, il est manifeste qu’il n’existait aucune délimitation nette s’agissant

des îles en général. Il semble d’autant plus en avoir été ainsi pour les îles en question, lesquelles
devaient être très peu peuplées, voire pas du tout, et ne possédaient pour ainsi dire pas de
ressources naturelles en dehors des ressources halieutiques de la zone maritime alentour. La Cour
fait observer par ailleurs que la capitainerie généra le de Guatemala exerçait vraisemblablement sur

les territoires terrestres et sur les territoires insulaires adjacents aux côtes un contrôle qui lui
permettait d’assurer la sécurité, de prévenir la contrebande ou de prendre d’autres mesures
nécessaires à la protection des intérêts de la Cour onne espagnole. Mais aucun élément de preuve

n’existe qui donnerait à penser que les îles en cause ont joué le moindre rôle dans la poursuite de
ces objectifs stratégiques.

En dépit de l’importance historique et actuelle du principe de l’uti possidetis juris , si
étroitement lié à la décolonisation de l’Amérique latine, l’on ne saurait dire en l’espèce que

l’application de ce principe à ces petites îles, qui sont situées très loin au large et ne sont pas
manifestement adjacentes à la côte continentale du Nicaragua ou du Honduras, réglerait la question
de la souveraineté sur celles-ci.

En ce qui concerne l’argument de l’adjacence avancé par le Nicaragua, la Cour note que les
traités d’indépendance conclus par le Nicaragua et le Honduras avec l’Espagne en 1850 et 1866
respectivement renvoient à l’adjacence par rapport aux côtes continentales plutôt que par référence

aux îles situées au large. Aussi l’argument du Nicaragua selon lequel les îles en cause sont plus
proches d’Edinburgh Cay, qui lui appartient, ne sau rait-il être accueilli. Même si elle ne fonde pas
ses conclusions sur l’adjacence, la Cour observe que, en tout état de cause, les îles en litige sont en
réalité plus proches de la côte du Honduras que de celle du Nicaragua.

Ayant conclu que la question de la souveraineté sur les îles en litige ne saurait être tranchée
sur cette base, la Cour s’attache ensuite à rechercher d’éventuelles effectivités pertinentes
remontant à la période coloniale. Ces «effectivités coloniales» ont été définies comme le

«comportement des autorités administratives en tant que preuve de l’exercice effectif de
compétences territoriales dans la région pendant la période coloniale» (Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 586, par. 63 ; Différend frontalier
(Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 120, par. 47).

La Cour note qu’en l’espèce les renseignements manquent sur pareil comportement des
autorités administratives coloniales. Elle consid ère que, au vu de l’emplacement des îles en litige
et du fait qu’elles ne revêtaient pas à l’ép oque d’importance économique ou stratégique

particulière, il n’y a pas d’effectivités coloniales les concernant. Elle ne saurait dès lors, sur cette
base, conclure à l’existence d’un titre sur le territoire des îles en litige ni confirmer l’existence d’un
pareil titre. - 12 -

Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour conclut que le principe de l’uti
possidetis est de peu d’aide pour la détermination de la souveraineté sur ces îles, en ce que rien

n’indique clairement si celles-ci furent attribuées, avant l’indépendance ou au moment de celle-ci, à
la province coloniale du Nicaragua ou à celle du Honduras. Pareille attribution ne ressort pas
davantage de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne en 1906. Par ailleurs, aucun élément
de preuve concernant des effectivités coloniales relatives à ces îles n’a été soumis à la Cour. Il n’a

donc pas été établi que le Honduras ou le Nicaragua possédait un titre sur ces îles en vertu de l’uti
possidetis.

⎯ Les effectivités postcoloniales et la souveraineté sur les îles en litige

La Cour note tout d’abord que, selon sa jurisprudence (en particulier l’affaire
Indonésie/Malaisie) et celle de la Cour permanente de Justice internationale, la souveraineté sur des
formations maritimes mineures, telles que les îles en litige entre le Honduras et le Nicaragua, peut

être établie sur la base d’une manifestation rela tivement modeste, d’un point de vue tant qualitatif
que quantitatif, des pouvoirs étatiques.

Elle examine ensuite les différentes catégories d’effectivités présentées par les Parties.

En ce qui concerne la catégorie du contrôle législatif et administratif , la Cour, constatant
qu’il n’est fait aucune référence aux quatre îl es en litige dans les diverses constitutions du
Honduras et dans la loi agraire, relève de surcroît qu’aucun élément de preuve n’atteste que le

Honduras ait, d’une manière ou d’une autre, appliqué ces instruments juridiques dans les îles. La
Cour estime par conséquent que la thèse du Honduras selon laquelle il exerçait un contrôle
législatif et administratif sur les îles n’est pas convaincante.

En ce qui concerne l’application du droit pénal et du droit civil , la Cour estime que les
éléments de preuve fournis par le Honduras revêtent bien une valeur juridique. Le fait qu’un
certain nombre des actes invoqués (entre autres, les plaintes déposées au pénal pour vol et voies de
fait à Savanna Cay et Bobel Cay, ainsi qu’une opé ration de lutte antidrogue menée en 1993 dans la

région par les autorités honduriennes et les services fédéraux de lutte antidrogue des Etats-Unis
d’Amérique (DEA)) aient été accomplis dans les annéesquatre-vingt-dix ne remet pas en cause
leur pertinence, puisque la Cour a jugé que la date critique s’agissant des îles était2001. Les
plaintes pénales sont pertinentes dans la mesure où les actes visés se sont produits sur les îles

contestées. Bien que ne constituant pas nécessai rement un exemple d’appl ication du droit pénal
hondurien, l’opération de lutte antidrogue de 1993 peut tout à fait être considérée comme une
autorisation de survol des îles citées dans le document ⎯ lesquelles se trouvent au sein de la zone

contestée ⎯ accordée par le Honduras aux services fédéraux de lutte antidrogue des Etats-Unis
d’Amérique. Le fait que le Honduras ait accordé à ce ux-ci une autorisation de survol de «l’espace
aérien national» et qu’aient été expressément mentionnées les quatre îles et cayes peut être
considéré comme un acte souverain de l’Etat constituant une effectivité pertinente dans la zone.

En ce qui concerne la réglementation de l’immigration , la Cour relève que le Honduras
semble avoir mené une importante activité en mati ère de réglementation de l’immigration et de
délivrance des permis de travail en découlant à l’égard de personnes présentes dans les îles en 1999

et en 2000. En 1999, les autorités honduriennes se s ont rendues sur les quatre îles et ont recueilli
des renseignements sur les étrangers vivant à SouthCay, PortRoyalCay et SavannaCay
(BobelCay n’était pas habitée à l’époque, mais l’ avait été auparavant). Le Honduras présente la

déclaration d’un agent hondurien des services de l’immigration qui s’est rendu sur les îles à trois ou
quatre reprises de 1997 à 1999. La Cour estime qu’une valeur juridique doit être attachée aux
éléments fournis par le Honduras en matière de réglementation de l’immigration en tant que preuve
d’effectivités, en dépit du fait que cette activité n’a commencé qu’à la fin des années

quatre-vingt-dix. La délivrance de permis de trav ail et de visas à des ressortissants jamaïcains et
nicaraguayens atteste l’exercice d’un pouvoir réglementaire par le Honduras. Les visites effectuées
sur les îles par un agent hondurien des services de l’immigration témoignent d’un exercice de - 13 -

compétence, même si l’objet de ces visites était de contrôler plutôt que de réglementer
l’immigration sur les îles. Le laps de temp s au cours duquel ces actes de souveraineté ont été

accomplis est plutôt bref, mais seul le Honduras a pr is dans la zone des mesures qui peuvent être
considérées comme des actes ac complis à titre de souverain. A aucun moment le Nicaragua
n’affirme avoir réglementé l’immigration sur les îles en litige, que ce soit avant ou après les années
quatre-vingt-dix.

En ce qui concerne la réglementation des activités de pêche , la Cour est d’avis que les
autorités honduriennes délivraient des permis de pêche en ayant la conviction que le Honduras
détenait, sur la base de son titre sur les îles, des dr oits sur les espaces maritimes entourant celles-ci.

Les éléments de preuve fournis par le Honduras au sujet de la réglementation de l’activité des
bateaux de pêche et des constructions sur les îles sont également juridiquement pertinents, de l’avis
de la Cour, au titre du contrôle administratif et légi slatif exercé. La Cour considère que les permis
délivrés par le Gouvernement hondurien pour la c onstruction de maisons à Savanna Cay et le

permis délivré pour l’entreposage de matériel de pêche sur la même caye, permis accordés par la
municipalité de Puerto Lempira, peuvent égalemen t être regardés comme une manifestation, certes
modeste, de l’exercice d’une autorité, et comme des éléments de preuve d’effectivités dans les îles
en litige. La Cour ne trouve pas non plus convaincant l’argument du Nicaragua selon lequel les

négociations menées entre le Nicar agua et le Royaume-Uni dans les années cinquante, en vue du
renouvellement des droits de pêche à la tortue au large des côtes nicaraguaye nnes, attesteraient la
souveraineté du Nicaragua sur les îles en litige.

En ce qui concerne les patrouilles navales, la Cour rappelle qu’elle a déjà indiqué que la date
critique aux fins de la question du titre sur les îl es n’était pas1977, mais2001. Les éléments de
preuve mis en avant par les deux Parties au sujet des patrouilles navales sont peu abondants et ne
démontrent pas clairement un lien direct entre le Nicaragua ou le Honduras et les îles en litige. Dès

lors, la Cour ne trouve pas convain cants, aux fins de l’existence d’ effectivités concernant ces îles,
les éléments de preuve fournis par l’une comme par l’autre Partie.

En ce qui concerne les concessions pétrolières , la Cour estime que les éléments de preuve

relatifs aux activités de prospection pétrolière offshore des Partie s n’ont aucun rapport avec les îles
contestées. Aussi s’intéresse-t-elle, sous la rubr ique des travaux publics, aux actes accomplis sur
les îles en relation avec les concessions pétrolières.

En ce qui concerne les travaux publics, la Cour fait observer que l’installation sur Bobel Cay,
en1975, d’une antenne de 10mètres de haut par Ge ophysical Services Inc. pour le compte de la
Union Oil Company faisait partie d’un réseau géodésique local des tiné à faciliter les activités de

forage dans le cadre des concessions pétro lières accordées. Le Honduras soutient que la
construction de l’antenne faisait pa rtie intégrante des «activités de prospection pétrolière qu’il a
autorisées». Des rapports sur ces activités étai ent périodiquement soumis par la compagnie
pétrolière aux autorités honduriennes, dans lesquels était également indiqué le montant des taxes

correspondantes acquittées. Le Nicaragua prétend que l’installation de l’antenne sur BobelCay
était un acte privé pour lequel aucune autorisation gouvernementale spécifique n’avait été délivrée.
La Cour est d’avis que l’antenne a été installée da ns le cadre d’activités de prospection pétrolière
autorisées. Par ailleurs, le paiement de taxes au titre de ces activités en général peut être considéré

comme un élément de preuve supplém entaire de ce que l’installation de l’antenne s’est effectuée
avec l’autorisation du gouvernement. La Cour considère donc que les travaux publics dont fait état
le Honduras constituent des effectiv ités qui viennent à l’appui de sa revendication de souveraineté
sur les îles en litige.

Après avoir examiné les arguments et les éléments de preuve avancés par les Parties, la Cour
conclut que les effectivités invoquées par le Hondu ras établissent une «intention et [une] volonté
d’agir en qualité de souverain» et constituent une manifestation mod este mais réelle d’autorité sur

les quatre îles. Bien qu’il n’ait pas été établi que les quatre îles revêtent une importance
économique ou stratégique, et en dépit de la rareté des actes d’autorité étatique les concernant, le - 14 -

Honduras a démontré un ensemble de comportements suffisant pour manifester son intention d’agir
en qualité de souverain à l’égard de BobelCay, Sa vannaCay, PortRoyalCay et SouthCay. La

Cour note en outre que ces activités honduriennes, qui peuvent être considérées comme des
effectivités et que l’on peut présumer avoir ét é connues du Nicaragua, n’avaient suscité aucune
protestation de la part de celui-ci. Quant au Ni caragua, la Cour n’a trouvé aucune preuve de son
intention ou de sa volonté d’agir en qualité de souverain, ni aucune preuve d’un exercice effectif ou

d’une manifestation de son autorité sur les îles.

⎯ Valeur probante des cartes pour confirmer la souveraineté sur les î
les en litige

La Cour constate qu’un nombre important de cartes a été présenté par les Parties à l’appui de
leur argumentation respective, mais aucune des cartes soumises par les Parties et sur lesquelles sont
représentées certaines des îles en litige n’indique clairement quel Etat exerce la souveraineté sur
ces îles. En outre, aucune des cartes ne faisant par tie d’un instrument juridique en vigueur ni, plus

précisément, d’un traité frontalier conclu entre le Nicaragua et le Honduras, la Cour conclut que le
matériau cartographique qui a été présenté par les Parties ne saurait en soi étayer leurs
revendications respectives de souveraineté sur les îles situées au nord du 15 parallèle.

⎯ Reconnaissance par des Etats tiers et traités bilatéraux ; l’accord de libre-échange de 1998

De l’avis de la Cour, aucun élément de preuve n’étaye les allégations formulées par les
Parties au sujet de la reconnaissance par des Etats tiers d’une souveraineté du Honduras ou du

Nicaragua sur les îles en litige. Certains élém ents présentés par elles attestent d’événements
sporadiques qui ne sont ni constants, ni consécu tifs. Il est manifeste qu’ils ne traduisent pas
l’existence d’une reconnaissance explicite de souve raineté et n’étaient d’ailleurs pas supposés

emporter pareille reconnaissance.

La Cour relève que le Honduras a invoqué des traités bilatéraux conclus par la Colombie,
l’un avec le Honduras, l’autre avec la Jamaïque, comme preuve de la reconnaissance de sa

souveraineté sur les îles en litige. Elle note à pr opos de ces traités que le Nicaragua n’a jamais
acquiescé à une quelconque entente impliquant que le Honduras aurait eu souveraineté sur les îles
en litige. La Cour ne juge pas ces traités bilaté raux pertinents pour établir la reconnaissance par
une tierce partie d’un titre sur les îles en litige.

La Cour rappelle que, à l’audience, elle a ét é informée de l’histoire des négociations menées
en vue de la conclusion d’un accord de libre-éch ange Amérique centrale-République dominicaine
le 16avril1998 à Saint-Domingue entre le Nicarag ua, le Honduras, le Cost a Rica, le Guatemala,

ElSalvador et la République dominicaine. Sel on le Honduras, le texte original de cet accord
comportait une annexe à l’article2.01, contenan t une définition du territoire du Honduras, qui
mentionnait notamment les cayes de Palo de Camp eche et de MediaLuna. Le Honduras affirme
que le nom de «Media Luna» était «fréquemment employé pour désigner le groupe entier d’îles et

cayes» dans la zone en litige. Le Nicaragua fait observer que, lors du processus de ratification, son
Assemblée nationale approuva une version revisée de l’accord de libre-échange qui ne comportait
pas l’annexe à l’article2.01. Ayant examiné ladite annexe, la Cour relève que les quatre îles en
litige n’y sont pas nommément désignées. De plus, elle note qu’il ne lui a été fourni aucun élément

de preuve montrant de manière concluante que le s termes «Media Luna» ont le sens que leur prête
le Honduras. Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les
arguments relatifs à ce traité, ni le statut de celui-ci aux fins de la présente procédure.

⎯ Décision quant à la souveraineté sur les îles

Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve relatifs aux prétentions des Parties
concernant la souveraineté sur les îles de Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay, et

considéré notamment la question de la valeur probante des cartes ainsi que celle de la - 15 -

reconnaissance par des Etats tiers, la Cour conclut que le Honduras a la souveraineté sur ces îles sur

la base des effectivités postcoloniales.

La délimitation des zones maritimes (par. 228-320)

⎯ La frontière maritime traditionnelle revendiquée par le Honduras

Le principe de l’uti possidetis juris

La Cour considère que, dans certaines circonstances, comme celles qui ont trait à des baies et
mers territoriales historiques, le principe de l’uti possidetis juris pourrait jouer un rôle dans la
délimitation maritime. Dans la présente espèce, cependant, même si la Cour admettait l’argument

du Honduras selon lequel le cap Gracias a Dios marq uait la limite entre les juridictions maritimes
respectives des provinces coloniales du Honduras et du Nicaragua, aucune raison convaincante n’a
été avancée par le Honduras pour expliquer pourquoi la frontière maritime devrait suivre le
15 parallèle à partir du cap. Il se borne à a ffirmer que la Couronne espagnole avait tendance à

utiliser les parallèles et les méridiens pour délim iter les juridictions, sans apporter la moindre
preuve que la puissance coloniale ait agi ainsi dans ce cas particulier.

La Cour ne peut donc accueillir l’argument du Honduras selon lequel le erincipe de l’uti
possidetis juris était à l’origine d’une ligne de partage maritime le long du 15 parallèle jusqu’à «au
moins 6 milles marins du cap Gracias a Dios», ni celui selon lequel la souveraineté territoriale sur
les îles situées au nord du 15 eparallèle, qui trouve son fondem ent dans le principe de l’uti

possidetis juris , «donne à la ligne traditionnelle qui sépare ces îles honduriennes des îles
nicaraguayennes situées au sud une base historique solide, qui contribue à en renforcer le
fondement juridique».

La Cour relève en outre que, au moment de l’indépendance, le Nicaragua et le Honduras, en
tant que nouveaux Etats indépendants, avaient droit, en vertu du principe de l’uti possidetis juris ,
aux territoires continentaux et insulaires ai nsi qu’aux mers territoriales des provinces

correspondantes. La Cour a toutefois déjà conc lu qu’il n’était pas possible de déterminer la
souveraineté sur les îles en question sur la base du principe de l’uti possidetis juris . Il n’a pas
davantage été démontré que la Couronne espagnole aurait réparti sa juridiction maritime entre les

provinces coloniales du Nicaragua et du Honduras, même dans les limites de la mer territoriale. Si
l’on peut certes accepter l’idée que tous les Etats ont accédé à l’indépendance en ayant eu droit à
une mer territoriale, cette réalité juridique ne détermine pas le tracé de la frontière maritime entre
les mers adjacentes des Etats voisins. Dans les circ onstances de la présente affaire, il ne peut être

dit que le principe de l’uti possidetis juris a servi de base à une ligne de partage maritime le long du
15 parallèle.

La Cour note également que la sentence arb itrale de 1906, qui reposait en effet sur le
principe de l’uti possidetis juris , n’a pas traité de la délimitation maritime entre le Nicaragua et le
Honduras, et qu’elle ne confirme pas l’existence d’une frontière maritime entre eux le long du
15 parallèle.

La Cour conclut en conséquence que l’ar gument du Honduras selon lequel le principe de
l’uti possidetis juris fonderait une frontière maritime «traditionnelle» le long du 15 e parallèle ne

saurait être retenu.

Actcacrte

Ayant déjà indiqué qu’il n’existait pas de frontière établie sur la base de l’uti possidetis juris,
la Cour doit rechercher si, comme l’affirme le Honduras, il existait un accord tacite suffisant pour
établir une frontière. Les éléments de preuve a ttestant l’existence d’un accord tacite doivent être
convaincants. L’établissement d’une frontière ma ritime permanente est une question de grande - 16 -

importance, et un accord ne doit pas être présumé facilement. Une ligne defacto pourrait dans

certaines circonstances correspondre à l’existence d’une frontière convenue en droit ou revêtir
davantage le caractère d’une ligne provisoire ou d’une ligne à vocation spécifique, limitée, telle que
le partage d’une ressource rare. Même s’il y avai t eu une ligne provisoire jugée utile pour un
certain temps, cela n’en ferait pas une frontière internationale.

En ce qui concerne les éléments de preuve relatifs aux concessions pétrolières invoqués par
le Honduras à l’appui de sa thèse, la Cour considère que le Nicaragua, en laissant ouverte la limite

septentrionale de ses concessions ou en s’abstenant de mentionner la frontière avec le Honduras à
cet égard, a réservé sa position concernant sa frontiè re maritime avec le Honduras. La Cour relève
en outre que les concessions nicaraguayennes qui s’étendaient provisoirement jusqu’au
15 parallèle ont toutes été accordées après que le Honduras eut lui-même octroyé des concessions
e
s’étendant, au sud, jusqu’au 15 parallèle.

En ce qui concerne le traité de1986 entre la Colombie et le Honduras et le traité de1993

entre la Colombie et la Jamaïque invoqués par le Honduras, la Cour rappelle que le Nicaragua
maintient les objections qu’il a toujours élevées au su jet de ces traités. Dans le traité de1986, le
parallèle 14°59’08" sert, à l’est du 82 eméridien, de ligne frontière entre la Colombie et le
Honduras. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, selon le Honduras, le traité de1993 découle de la

reconnaissance de la validité du traité de 1986 entre la Colombie et le Honderas, et reconnaît par là
la juridiction hondurienne sur les eaux et les îles situées au nord du 15 parallèle.

La Cour a constaté qu’à certaines périodes, comme le montrent les éléments de preuve, le
e
15 parallèle semble avoir joué un certain rôle dans la conduite des Parties. Ces éléments de preuve
concernent la période comprise entre 1961, date à laquelle le Nicaragua se retira des zones situées
au nord du cap Gracias a Dios à la suite de l’arrêt rendu par la Cour sur la validité de la sentence

arbitrale de 1906 et 1977, date à laquelle le Ni caragua proposa d’engager des négociations avec le
Honduras aux fins de la délimitati on de leurs zones maritimes dans la mer des Caraïbes. La Cour
relève que, pendant cette péri ode, les Parties octroyèrent pl usieurs concessions pétrolières

indiquant que leurs limites septentrionale et méri dionale se trouvaient resp ectivement à 14° 59,8'.
De plus, la réglementation de la pêche dans la zone semblait parfois indiquer qu’il était entendu
que le 15 parallèle divisait les zones de pêche respectives des deux Etats. Enfin, le 15 e parallèle
était aussi considéré par certains pêcheurs co mme une ligne divisant les zones maritimes sous

juridictions nicaraguayenne et hondurienne. Toutef ois, ces événements, survenus sur une courte
période, ne permettent pas à la Cour de conclure qu’il existait une frontière maritime internationale
juridiquement établie entre les deux Etats.

La Cour observe que la note du ministre des affaires étrangères du Honduras en date du
3mai1982 citée par les Parties (dans laquelle celu i-ci convenait avec le ministère des affaires
étrangères du Nicaragua que «la fron tière maritime entre le Honduras et le Nicaragua n’[avait] pas

[été] délimitée en droit», et proposait que les Parties parviennent au moins à un arrangement
«temporaire» au sujet de la frontière, afin d’év iter d’autres incidents frontaliers) révèle quelque
incertitude quant à l’existence d’une frontière reconnue le long du 15 parallèle. La reconnaissance

du fait qu’il n’y avait pas alors de délimitation en droit «[n’était] pas … une proposition ou … une
concession faite au cours de négociations, mais… l’énoncé de faits transmis au [ministère des
affaires étrangères] qui n’a[vait] exprimé aucune réserve à ce sujet» et elle devrait donc être
considérée «comme la preuve des vues officielles [du Honduras] à l’époque».

Ayant examiné l’ensemble de cette pratique, dont les échanges de notes diplomatiques, la
Cour conclut qu’il n’existait pas en1982 ⎯ni à fortiori à une que lconque date postérieure ⎯

d’accord tacite entre les Parties de nature à établir une frontière maritime juridiquement obligatoire. - 17 -

⎯ Détermination de la frontière maritime

La Cour, ayant conclu qu’il n’existait pas de ligne frontière traditionnelle le long du
15 parallèle, procède à la délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras.

Le droit applicable

Dans leurs conclusions finales, les deux Pa rties ont demandé à la Cour de tracer une
«frontière maritime unique» délimitant leur mer territoriale, leur zone économique exclusive et leur

plateau continental respectifs dans la zone en litige. Bien que le Nicaragua n’ait pas été partie à la
CNUDM lorsqu’il a déposé sa requête en la présente espèce, les Parties reconnaissent que la
convention est maintenant en vigueur entre elles et que ses articles pertinents leur sont applicables

dans le présent différend.

Zones à délimiter et méthodologie

La «frontière maritime unique» en la présente espèce découlera de la délimitation des
diverses zones de compétence dans l’espace mariti me compris entre les côtes continentales du
Nicaragua et du Honduras et, au moins, le 82 eméridien, à partir duquel les intérêts d’Etats tiers

peuvent entrer en jeu. Dans les parties occident ales de la zone à délimiter, les côtes continentales
des Parties sont adjacentes; aussi, sur une certa ine distance, la frontière délimitera-t-elle
exclusivement leurs mers territoriales (CNUDM, art. 2, par. 1). Les deux Parties conviennent aussi
que les quatre îles en litige au nord du 15 eparallèle (Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et

South Cay), qui ont été attribuées au Honduras, ainsi qu’EdinburghCay, la caye nicaraguayenne
située au sud du 15 parallèle, peuvent engendrer leurs propres mers territoriales pour l’Etat côtier.
La Cour rappelle que les deux Pa rties ne revendiquent pas, pour les îles en litige, d’autre zone

maritime que la mer territoriale.

La Cour relève que, bien que les Parties ne s’accordent pas sur la largeur de la mer
territoriale de ces îles, selon l’article3 de la CNUDM, la mer territoriale d’un Etat ne saurait

s’étendre au-delà de 12milles marins. Toutes ce s îles se trouvent incontestablement à moins de
24milles les unes des autres, mais à plus de 24milles à l’est du continent. Par conséquent, la
frontière maritime unique pourrait comprendre à la fois des segments déli mitant les zones de

chevauchement des mers territoriales des îles qui se font face et des segments délimitant le plateau
continental et les zones économiques exclusives qui les entourent.

Aux fins de la délimitation des mers territo riales, l’article15 de la CNUDM, traité qui a

force obligatoire entre les Parties, prévoit ce qui suit :

«Lorsque les côtes de deux Etats sont adjacentes ou se font face, ni l’un ni

l’autre de ces Etats n’est en droit, sauf accord contraire entre eux, d’étendre sa mer
territoriale au-delà de la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points
les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer
territoriale de chacun des deux Etats. Cette disposition ne s’applique cependant pas

dans le cas où, en raison de l’existence de titres historiques ou d’autres circonstances
spéciales, il est nécessaire de délimiter autrement la mer territoriale des deux Etats.»

Comme il a déjà été indiqué, la Cour a conclu qu’il n’existait pas de ligne «historique» ou
e
traditionnelle le long du 15 parallèle. - 18 -

Ainsi que la Cour l’a fait observer au sujet de la mise en Œuvre des dispositions de

l’article 15 de la CNUDM : «La méthode la plus lo gique et la plus largement pratiquée consiste à
tracer d’abord à titre provisoire une ligne d’équidistance et à examiner ensuite si cette ligne doit
être ajustée pour tenir compte de l’existence de circonstances spéciales.» (Délimitation maritime et
questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J.Recueil2001 ,

p. 94, par. 176.)

La jurisprudence de la Cour énonce les raisons pour lesquelles la méthode de l’équidistance
est largement utilisée en matière de délimitation maritime : elle a une certaine valeur intrinsèque en

raison de son caractère scientifique et de la facilité relative avec laquelle elle peut être appliquée.
Cela étant, la méthode de l’équidistance n’a pas automatiquement la priorité sur les autres
méthodes de délimitation et, dans certaines circonstances, des facteurs peuvent rendre son
application inappropriée.

La Cour note que ni l’une ni l’autre des Partie s ne fait valoir à titre principal qu’une ligne
d’équidistance provisoire constituerait la méthode de délimitation la plus indiquée.

Elle relève d’emblée que les Parties ont l’une et l’autre fait valoir un certain nombre de
considérations géographiques et juridiques au suje t de la méthode qu’elle devrait appliquer pour
effectuer la délimitation maritime. Le cap Gracias a Dios, où prend fin la frontière terrestre entre le
Nicaragua et le Honduras, est une projection territoriale très convexe touchant à un littoral concave

de part et d’autre, au nord et au sud-ouest. Compte tenu de l’article 15 de la CNUDM, et étant
donné la configuration géographique décrite ci-dessus, les deux points de base à situer sur l’une et
l’autre rives du fleuve Coco, à l’extrémité du cap, auraient une importance critique dans le tracé
d’une ligne d’équidistance, en particulier à mesure que celle-ci s’éloignerait vers le large. Ces

points de base devant être très proches l’un de l’au tre, la moindre variation ou erreur dans leur
emplacement s’amplifierait de manière disproporti onnée lors de ce tracé. Les Parties conviennent
en outre que les sédiments charriés et dépo sés en mer par le fleuve Coco confèrent un
morphodynamisme marqué à son delta, ainsi qu’au littoral au nord et au sud du cap. Aussi

l’accrétion continue du cap risquerait-elle de re ndre arbitraire et déraisonnable dans un avenir
proche toute ligne d’équidistance qui serait tracée aujourd’hui de cette façon. Ces difficultés
d’ordre géographique et géologique se posent avec d’autant plus d’acuité que les Parties n’ont
elles-mêmes revendiqué ou accepté aucun point de base viable au cap Gracias a Dios.

Cette difficulté à identifier des points de base fiables est accentu ée par les divergences,
examinées plus en détail plus loin, qui subsiste nt apparemment encore entre les Parties quant à
l’interprétation et à l’application de la sentence arbitrale rendue en1906 par le roi d’Espagne au

sujet de la souveraineté sur les îlots formés près de l’embouchure du fleuve Coco et de
l’établissement du «point extrême limitrophe comm un sur la côte atlantique» (Sentence arbitrale
rendue par le roi d’Espagne le 2d 3écem bre906 (Honduras cN . icaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 1960, p. 202).

Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente espèce, la Cour se trouve dans
l’impossibilité de définir des points de base et de construire une ligne d’équidistance provisoire
pour établir la frontière maritime unique délim itant les espaces maritim es au large des côtes

continentales des Parties. Même si les particularités déjà évoquées ne permettent pas de tracer une
ligne d’équidistance en tant que frontière mariti me unique, la Cour doit cependant déterminer si,
pour son segment traversant les mers territorial es, la ligne frontière pourrait commencer comme

une ligne d’équidistance au sens de l’article 15 de la CNUDM. L’on pourrait faire valoir que, si les
saillies de part et d’autre du capGraciasaDi os étaient utilisées comme points de base, les
problèmes liés à la distorsion se poseraient avec moins d’acuité à proximité de la côte. Cela étant,
la Cour fait tout d’abord observer que les Parties sont en désaccord quant au titre sur les îles

instables qui se sont formées dans l’embouchure du fl euve Coco et dont les Parties avaient laissé
entendre, au cours de la procédure orale, qu’elles pourraient servir de points de base. Il est rappelé - 19 -

que, en raison des caractéristiques changeantes de cette zone, la Cour ne s’est pas prononcée sur
l’attribution de la souveraineté sur ces îles. En outre, quels que soient les points de base qui

seraient utilisés pour le tracé d’une ligne d’équidistance, la configuration et la nature instable des
côtes pertinentes, y compris l es îles en litige qui se sont formées dans l’embouchure du fleuve
Coco, rendraient en peu de temps incertains ces points de base (qu’ils soient situés au
cap Gracias a Dios ou ailleurs).

L’article 15 de la CNUDM envisage lui-même la possibilité de déroger au principe du tracé
d’une ligne médiane, lorsque «l’existence de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales» le
rend nécessaire. Rien dans l’énoncé de l’article 15 ne permet de conclure que des problèmes

géomorphologiques ne sauraient en tant que tels constituer des «circonstances spéciales» au sens de
cette exception, ni que de telles «circonstan ces spéciales» ne puissent être invoquées que pour
corriger une ligne déjà tracée. Cette dernière hypothèse serait d’ailleurs en nette contradiction avec
le libellé de l’exception décrite à l’article 15. Il est rappelé que l’article 15 de la CNUDM, qui a été

adopté sans que la question de la méthode de délim itation de la mer territoriale n’ait donné lieu à
débat, est pratiquement identique (quelques modi fications d’ordre rédactionnel mises à part) au
texte du paragraphe1 de l’article 12 de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë
de 1958.

La genèse du texte de l’article 12 de la convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone
contiguë montre que la possibilité de recourir à une méthode différente en cas de configuration
spéciale de la côte fut effectivement évoquée (voir Annuaire Commission du droit international

(Annuaire de la CDI) , 1952, vol.II, p.38, commentaire, par.4). Le traitement qui fut en1956
réservé à cette question vient d’ailleurs le confirmer. Les termes de l’exception à la règle générale
demeurèrent les mêmes (voir Annuaire de la CDI , 1956, vol.I, p.306; vol.II, p.271, 272, et
p.300 où le commentaire du projet de conventio n sur le plateau continental relève que «comme

pour [les] mers [territoriales], il doit être pré vu qu’on peut s’écarter de la règle lorsqu’une
configuration exceptionnelle de la côte… l’exig e»). On ne trouve pas davantage, dans la
jurisprudence de la Cour, d’éléments qui fondent une interprétation allant à l’encontre du sens

ordinaire des termes de l’article 15 de la CNUDM.

Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour se trouve dans le cas de l’exception prévue à
l’article 15 de la CNUDM, c’est-à-dire face à des circonstances spéciales qui ne lui permettent pas

d’appliquer le principe de l’équidistance. Ce dernier n’en demeure pas moins la règle générale.

Construction d’une ligne bissectrice

Ayant conclu à l’impossibilité de construire une ligne d’équidistance à partir du continent, la

Cour doit envisager l’applicabilité des autres méthodes proposées par les Parties.

Le principal argument du Nicaragua est qu’une «bissectrice de l’angle formé par deux lignes
représentant toute la façade côtière des deux Et ats» devrait être utilisée pour effectuer la

délimitation à partir du continent, tandis que, s’agis sant des formations maritimes dans la zone en
litige, «il serait possible de conférer une souveraineté sur ces formations à l’une ou l’autre Partie en
fonction de la position de la formation considérée par rapport à la bissectrice».

Le Honduras «ne conteste pas que les méthodes de délimitation géométriques, telles que les
perpendiculaires ou les bissectrices, puissent, dans certaines circonstances, permettre d’aboutir à
des délimitations équitables», mais il exprime son désaccord quant à la construction de l’angle de la
bissectrice telle que faite par le Nicaragua. Le Honduras, comme il a déjà été exposé, plaide pour
e
une ligne suivant le 15 parallèle, qu’il ne serait pas nécessaire d’ajuster par rapport aux îles. La
Cour note que, dans ses conclusions finales, le Honduras lui a demandé de dire que sa frontière
maritime unique avec le Nicaragua «suit le parallè le 14°59,8'de latitude nord, c’est-à-dire la

frontière maritime actuelle, ou suit une ligne d’équidi stance ajustée, jusqu’à atteindre la juridiction
d’un Etat tiers». - 20 -

La Cour rappelle que les deux propositions du Honduras (à sa voir la principale, d’après
laquelle, en vertu d’un accord tacite, le 15 parallèle représenterait la frontière maritime, et l’autre,

consistant à recourir à une ligne d’équidistance ajustée) n’ont pas été retenues.

La Cour indique que le recours à une bissectrice ⎯ la ligne qui divise en deux parts égales
l’angle formé par des lignes représentant la direction générale des côtes ⎯ s’est avéré être une

méthode de remplacement valable dans certaines circonstances où il n’est pas possible ou approprié
d’utiliser la méthode de l’équidistance. C’est la configuration des façades côtières pertinentes et
des zones maritimes à délimiter ainsi que les rapports entre ces éléments qui justifient le recours à

la méthode de la bissectrice en matière de délim itation maritime. Toutefois, lorsque, comme en la
présente espèce, tous les points de base que la Cour pourrait déterminer sont par définition
instables, la méthode de la bissectrice peut être considérée comme une approximation de celle de
l’équidistance. Tout comme celle de l’équidistan ce, la méthode de la bissectrice est une approche

géométrique qui peut être utilisée pour donner un effet juridique au

«critère à propos duquel l’équité est de longue date considérée comme un caractère
rejoignant la simplicité : à savoir le critère qui consiste à viser en principe — en tenant

compte des circonstances spéciales de l’espèce — à une division par parts égales des
zones de convergence et de chevauchemen t des projections ma rines des côtes des
Etats…» (Délimitation de la frontière mar itime dans la région du golfe du Maine,
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 327, par. 195).

Pour que sa méthode de délimitation «respecte la situation géographique réelle» (Plateau
continental (Jamahiriya arabe libyenne/M alte), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.45, par.57), la Cour
devrait rechercher une solution en déterminant d’abord ce que sont les «côtes pertinentes» des Etats

(voir Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn),
fond, arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p.94, par.178; voir aussi Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun cN . igéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 442, par. 90). La détermination de la géographie côtière pertinente nécessite

une appréciation réfléchie de la géographie côtière réelle. La méthode de l’équidistance exprime la
relation entre les côtes pertinentes des deux Parties en prenant en compte les relations existant entre
des paires de points choisis comme points de base. La méthode de la bissectrice tend elle aussi à
exprimer les relations côtières pertinentes, mais elle le fait sur la base de la macrogéographie d’un

littoral représenté par une droite joignant deux points sur la côte. Aussi, en cas de recours à la
méthode de la bissectrice, faut-il veiller à ne pas «refaire la nature entièrement» (Plateau
continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 91).

La Cour note que, en l’espèce, l’application de la méthode de la bissectrice est justifiée par la
configuration géographique de la côte et les ca ractéristiques géomorphologiques de la zone où se
trouve le point terminal de la frontière terrestre.

La Cour considère qu’en l’occurrence il convi ent d’utiliser le point fixé en1962 par la
commission mixte au cap Gracias a Dios comme point de jonction entre les façades côtières des
deux Parties. Elle ajoute qu’aux fins présentes il n’y a pas lieu, à ce stade, de définir avec
exactitude les coordonnées des points terminaux des façades côtières : l’un des avantages pratiques

de la méthode de la bissectrice réside en ceci qu’un léger écart dans la position exacte des points
terminaux, qui se trouvent à une distance raisonna ble du point commun, n’aura qu’une incidence
relativement mineure sur la direction générale de la façade côtière. Si les circonstances
l’exigeaient, la Cour pourrait ajuster le tracé de la ligne de façon à parvenir à un résultat équitable

(voir CNUDM, art. 74, par. 1, et 83, par. 1).

La Cour examine ensuite les diverses f açades côtières qui, pour chacun des deux Etats,
pourraient servir à établir les lignes reflétant la géographie pertinen te. La première proposition du

Nicaragua, consistant à considérer la façade cô tière comme s’étendant, pour le Honduras, du cap
GraciasaDios à sa frontière avec le Guatemala et, pour le Nicaragua, du cap GraciasaDios à sa - 21 -

frontière avec le Costa Rica, amputerait le H onduras d’une portion importante de territoire au nord
de cette ligne et accorderait ainsi un poids cons idérable à une partie du territoire hondurien très

éloignée de la zone à délimiter. L’angle résu ltant de cette solution semble bien trop aigu pour
qu’une bissectrice y soit tracée.

S’agissant de déterminer les façades côtièr es pertinentes, la Cour a envisagé la façade
comprise entre CaboFalso et PuntaGorda (engendrant une bissectrice d’azimut70°54'), qui fait
incontestablement face à la zone en litige, mais dont la longueur (quelque 100 kilomètres) n’est pas
vraiment suffisante pour constituer la représenta tion d’une façade côtière à plus de 100milles

marins de la côte, surtout si l’on tient compte de la rapidité avec laquelle la côte hondurienne
s’éloigne de la zone à délimiter à partir de Cabo Falso jusqu’à Punta Patuca et au cap Camerón. Le
Honduras estime d’ailleurs que Cabo Falso est l’«inflexion» la pl us importante de la côte du
continent.

De même que la première proposition nicar aguayenne, une façade côtière allant du
capCamerón au RioGrande (engendrant une bissectrice d’azimut 64°02') créerait aussi un
déséquilibre à cet égard, car la totalité de la ligne serait située sur le Honduras continental,

empêchant ainsi l’importante masse terrestre hondurienne comprise entre la mer et cette ligne de
produire le moindre effet sur la délimitation.

La façade maritime s’étendant de PuntaPa tuca à Wouhnta permettrait d’éviter que la ligne
traverse le territoire hondurien et offrirait en même temps une façade côtière suffisamment longue
pour rendre compte correctement de la configuration côtière de la zone en litige. Ainsi, une façade
côtière hondurienne allant jusqu’à Punta Patuca et une façade côtière nicaraguayenne allant jusqu’à

Wouhnta constituent-elles, selon la Cour, les côtes pe rtinentes aux fins du tracé de la bissectrice.
Cette bissectrice a un azimut de 70° 14' 41,25".

Délimitation autour des îles

La Cour relève que, en vertu de l’article 3 de la CNUDM, le Honduras a le droit de fixer à
12milles marins la largeur de sa mer territoriale, tant pour son territoire continental que pour les
îles relevant de sa souveraineté. Le Honduras de mande en l’espèce, pour les quatre îles en cause,

une mer territoriale de 12milles marins. La Cour estime donc que, sous réserve d’éventuels
chevauchements entre les mers territoriales situées respectivemen t autour d’îles honduriennes et
d’îles nicaraguayennes se trouvant à proximité, B obel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et

South Cay doivent se voir accorder une mer territoriale de 12 milles marins.

Une mer territoriale d’une largeur de 12m illes ayant été accordée aux îles de BobelCay,
Savanna Cay, PortRoyal Cay et SouthCay (Hondu ras) et à l’île d’EdinburghCay (Nicaragua), il

est évident que les mers territoriales du Nicaraeua et du Honduras sont appelées à se chevaucher
dans cette région tant au sud qu’au nord du 15 parallèle.

Le tracé d’une ligne d’équidistance provisoire en tre les îles qui se font face aux fins de la

délimitation de la mer territoriale ne présente pas les mêmes difficultés que celui d’une ligne
d’équidistance à partir du continent. Les Parties ont fourni à la Cour les coordonnées des quatre
îles en litige au nord du 15 parallèle et d’Edinburgh Cay au sud de ce parallèle. Il est possible de
délimiter de façon satisfaisante cette zone rela tivement réduite en traçant une ligne d’équidistance

provisoire prenant les coordonnées de ces îles comme points de base de leur mer territoriale dans
les zones de chevauchement, entre les mers territoriales de BobelCay, PortRoyal Cay et
South Cay (Honduras), d’une part, et celle d’Edinburgh Cay (Nicaragua), d’autre part. Il n’y a pas

de chevauchement entre la mer territoriale de Sa vannaCay (Honduras) et celle d’EdinburghCay.
La Cour considère qu’il n’existe pas, dans cette zone, de «circonstances spéciales» juridiquement
pertinentes justifiant l’ajustement de cette ligne provisoire. - 22 -

La frontière maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans les environs de Bobel Cay,
Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay (Honduras), ainsi qu’Edinburgh Cay (Nicaragua) suivra

donc la ligne décrite ci-après.

A partir de l’intersection au point A (situé pa r 15° 05' 25" de latitude nord et 82° 52' 54" de

longitude ouest) entre la bissectrice et l’arc formé par la mer territoriale de 12 milles de Bobel Cay,
la ligne frontière suit l’arc formé par la mer terr itoriale de 12 milles de Bobel Cay en direction du
sud, jusqu’à son intersection au point B (situé pa r 14°57'13"de latitude nord et 82°50'03"de
longitude ouest) avec l’arc formé par la mer territori ale de 12 milles d’Edinburgh Cay. A partir du

point B, la ligne frontière se poursuit le long de la ligne médiane, laquelle est formée par les points
d’équidistance entre Bobel Cay, Port Royal Cay et South Cay (Honduras), ainsi que Edinburgh Cay
(Nicaragua), en passant par les points C (situé par 14°56'45"de latitude nord et 82°33'56"de
longitude ouest) et D (situé par 14°56'35"de latitude nord et 82° 33' 20" de longitude ouest),

jusqu’à sa jonction avec l’intersection au point E (situé par 14°53'15"de latitude nord et
82° 29' 24" de longitude ouest) des arcs formés pa r les mers territoriales de 12 milles de South Cay
(Honduras) et d’Edinburgh Cay (Nicaragua). A partir du point E, la ligne frontière suit l’arc formé

par la mer territoriale de 12 milles de South Cay en direction du nord, jusqu’à son intersection avec
la bissectrice au point F (situé par 15° 16' 08" de latitude nord et 82° 21' 56" de longitude ouest).

Le point de départ et le point terminal de la frontière maritime

Ayant examiné les propositions des Parties, la Cour estime qu’il convient de fixer le point de
départ (15° 00' 52'' de latitude nord et 83°05'58'' de longitude ouest) à 3milles au large du point
déjà identifié par la commission mixte de1962, selon l’azimut de la bissectrice telle que décrite

ci-dessus. Les Parties devront convenir d’une ligne reliant le point terminal de la frontière terrestre
tel que fixé par la sentence de1906 au point de départ de la délimitation maritime établie par le
présent arrêt.

S’agissant du point terminal, ni le Nicaragua ni le Honduras n’ont, dans leurs conclusions,
indiqué de limite extérieure précise à leur frontière maritime.

La Cour relève que trois possibilités s’offrent à elle : elle pourrait ne pas se prononcer sur le

point terminal de la ligne, se contentant de déclarer que celle-ci se poursuit jusqu’à atteindre la
juridiction d’un Etat tiers; elle pourrait déci der que la ligne ne se poursuit pas au-delà du
82 méridien; ou bien, elle pourrait indiquer que les dr oits d’Etats tiers qui existeraient à l’est du
e
82 méridien ne concernent pas la zone à délimite r et ne l’empêchent donc pas de décider que la
ligne se poursuit au-delà de ce méridien.

La Cour se penche sur certains intérêts d’Etats tiers tels qu’ils résultent de traités bilatéraux

conclus entre pays de la région qui pourraient êt re pertinents quant aux limites de la frontière
maritime tracée entre le Nicaragua et le Honduras, et ajoute que l’examen auquel elle a procédé de
ces divers intérêts est sans préjudice de tous autres intérêts légitimes d’Etats tiers dans la zone.

La Cour peut donc, sans pour autant indiquer de point terminal précis, délimiter la frontière
maritime et déclarer que celle-ci s’étend au-delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits
d’Etats tiers. A cet égard, il convient également de relever que la ligne ne saurait en aucun cas être
interprétée comme se prolongeant à plus de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles

est mesurée la largeur de la mer territoriale; t oute prétention relative à des droits sur le plateau
continental au-delà de 200 milles doit être conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par la
Commission des limites du plateau continental constituée en vertu de ce traité. - 23 -

Le tracé de la frontière maritime (croquis n 7et 8 de l’arrêt)

La ligne de délimitation doit commencer au point de départ fixé sur la bissectrice à 3 milles
marins au large. A partir de ce point, elle su it la bissectrice jusqu’à ce qu’elle rejoigne la limite
extérieure de la mer territoriale de 12 milles marins de Bobel Cay. Elle s’infléchit alors vers le sud

pour suivre le pourtour de cette mer territoriale ju squ’à ce qu’elle rencontre la ligne médiane de la
zone de chevauchement des mers territoriales de Bobel Cay, Port Royal Cay et South Cay
(Honduras) et d’Edinburgh Cay (Nicaragua). La ligne de délimitation se poursuit ensuite le long de
cette ligne médiane jusqu’à sa jonction avec la mer territoriale de South Cay, laquelle, pour

l’essentiel, n’empiète pas sur la mer territoriale d’Edinburgh Cay. La ligne suit alors, en direction
du nord, le pourtour de la mer territoriale de 12milles marins de South Cay jusqu’à ce qu’elle
rencontre de nouveau la bissectrice. A partir de ce point, elle se poursuit selon l’azimut de cette
dernière jusqu’à atteindre la zone dans laquelle pourraient être en cause les droits de certains Etats

tiers. - 24 -

o
Croquis n 7 de l’arrêt - 25 -

o
Croquis n 8 de l’arrêt - 26 -

Dispositif (par. 321)

mcotis,

L A C OUR ,

1) A l’unanimité,

Dit que la République du Honduras a la souve raineté sur Bobel Cay, Savanna Cay,
Port Royal Cay et South Cay ;

2) Par quinze voix contre deux,

Décide que le point de départ de la frontière maritime unique qui sépare la mer territoriale, le

plateau continental et les zones économiques exclus ives de la République du Nicaragua et de la
République du Honduras sera le point de coordonnées 15° 00' 52" de latitude nord et 83° 05' 58" de
longitude ouest ;

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM.Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, To mka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, Skotnikov, juges; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Parra-Aranguren, juge; M. Torres Bernárdez, jugead hoc ;

3) Par quatorze voix contre trois,

Décide que, à partir du point de coordonnées 15° 00' 52'' de latitude nord et 83° 05' 58'' de

longitude ouest, la frontière maritime unique suiv ra la ligne d’azimut 70°14'41,25" jusqu’à son
intersection, au pointA (situé par 15°05'25"de la titude nord et 82°52'54"de longitude ouest),
avec l’arc formé par la mer territoriale de 12 milles marins de Bobel Cay. A partir du point A, elle
suivra l’arc formé par la mer territoriale de 12m illes marins de BobelCay en direction du sud,

jusqu’à son intersection, au pointB (situé par 14° 57' 13" de latitude nord et 82° 50' 03" de
longitude ouest), avec l’arc formé par la mer terr itoriale de 12 milles marins d’Edinburgh Cay. A
partir du pointB, la frontière se poursuivra le long de la ligne médiane formée par les points

d’équidistance entre BobelCay, PortRoyalCay et SouthCay (Honduras) et EdinburghCay
(Nicaragua), en passant par les pointsC (situé par 14° 56' 45" de latitude nord et 82° 33' 56" de
longitude ouest) etD (situé par 14°56'35"de latitude nord et 82°33'20"de longitude ouest),
jusqu’à rejoindre, au pointE (situé par 14°53' 15"de latitude nord et 82°29'24"de longitude

ouest), l’intersection des arcs formés par les mers territoriales de 12milles marins de SouthCay
(Honduras) et d’Edinburgh Cay (Nicaragua). A partir du point E, la frontière suivra l’arc formé par
la mer territoriale de 12milles marins de South Cay en direction du nord, jusqu’à rencontrer la
ligne d’azimut au point F (situé par 15° 16' 08" de latitude nord et 82° 21' 56" de longitude ouest).

A partir du point F, elle se poursuivra le long de la ligne d’azimut 70° 14' 41,25" jusqu’à atteindre
la zone dans laquelle elle risque de mettre en cause les droits d’Etats tiers ;

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM.Shi, Koroma,

Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepú lveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges; M. Gaja, jugead hoc ;

CONTRE : MM. Ranjeva, Parra-Aranguren, juges; M. Torres Bernárdez, jugead hoc ;

4) Par seize voix contre une, - 27 -

Dit que les Parties devront négoc ier de bonne foi en vue de convenir du tracé de la ligne de

délimitation de la partie de la mer territoriale situ ée entre le point terminal de la frontière terrestre
établi par la sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la frontière maritime unique fixé par
la Cour au point de coordonnées 15° 00' 52" de latitude nord et 83° 05' 58" de longitude ouest.

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM.Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, To mka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, Skotnikov, juges; MM. Torres Bernárdez, Gaja, jugesad hoc ;

CONTRE : M. Parra-Aranguren, juge. »

*

M. le juge RNJEVA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. lOROMAe K

joint à l’arrêt l’exposé de son opion individuelle; M.le juge PARRA -A RANGUREN joint une
déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad ORRES B ERNÁRDEZ joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge ad hoAJA joint une déclaration à l’arrêt.

___________ COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Résumé
Document non officiel

Annexe au résumé n 2007/4

Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva

Le juge Ranjeva a expliqué son vote négatif au troisième alinéa du dispositif dans une

opinion individuelle jointe à l’arrêt. S’agissant de l’azimuo du segment de la frontière situé à partir
du point de coordonnées 15° 00’ 52 " de latitude nord et 83 05’ 58" de longitude ouest qui longe la
ligne d’azimut 70°14’25" jusqu’à son intersec tion au point A (de coordonnées 15°05’25" et
82°52’54") avec l’arc formé par la mer territorial e de 12 milles nautiques de BobelCay, l’arrêt
remet en cause le droit et la jurisprudence constante de la méthode de délimitation de la mer

territoriale. En effet, en raison de l’instabilitédes côtes, l’arrêt a renoncé à la méthode de la
délimitation par étapes pour reconnaître aux circonstances géomorphologiques de la côte une
fonction directement normative. Le juge Ranjeva ne peut accepter la voie suivie par l’arrêt, en ce
sens que les circonstances ont au regard du dr oit de la délimitation maritime, une fonction

correctrice des effets rigides de l’applicati on de la ligne provisoire d’équidistance. En
reconnaissant une fonction normative aux circonstances, l’arrêt crée d’abord une nouvelle catégorie
de circonstances à côté de la classification conven tionnelle entre les spéciales et les pertinentes ; il
rouvre ensuite le débat, dorénavant apaisé entre les tenants de l’équidistance et de l’équité. Enfin,

la méthode de la bissectrice place l’objet de la décision judiciaire dans l’économie du partage d’un
secteur d’angle et non d’une délimitation. Quant au problème de l’impossibilité de tracer la ligne
provisoire d’équidistance, les arguments avancés semblent trop subjectifs dans la mesure où la
notion de côtes instables n’est pas inconnue de la convention de Montego Bay de 1982.

Opinion individuelle M. le juge Koroma

Dans une opinion individuelle, le juge Koroma fait sienne la conclusion de la Cour sur la
méthode de délimitation appliquée en l’espèce, mais estime que certains aspects importants de
l’arrêt méritent d’être soulignés et éclaircis. Sel on lui, en recourant à la méthode de la bissectrice

pour effectuer la délimitation, la Cour ne se démar que pas de la jurisprudence existant en matière
de délimitation maritime mais, bien plutôt, s’inspire et se situe dans le droit fil de celle-ci. D’après
cette jurisprudence, procéder à une délimitation consiste à définir d’abord le contexte géographique
du différend, puis à appliquer les règles de droit international et principes équitables pertinents afin

de déterminer l’intérêt et le poi ds des formations géographiques en cause. Le choix de la méthode
est donc très étroitement lié aux circonstances pertinentes de la zone en question.

C’est au vu de ces considérations que la Cour a jugé que la bissectrice constituait la méthode

la mieux adaptée au processus de délimitation en l’espèce. Le juge Koroma souligne que la
méthode de l’équidistance ne peut pas, dans le contexte de la délimitation, s’appliquer
universellement et automatiquement quelle que soit la zone à délimiter et que, en l’espèce, ni l’une
ni l’autre des Parties n’a argué, à titre principalqu’il convenait d’y rec ourir pour délimiter leurs
mers territoriales respectives compte tenu du caractèr e instable de la géographie côtière. Aussi la

Cour, ayant soigneusement considéré les arguments des Parties et leur réticence, tout à fait fondée,
à adopter la méthode de l’équidistance, a-t-elle d écidé de retenir celle de la bissectrice en tant que
méthode de délimitation appropriée en l’espèce.

Le juge Koroma rappelle que le r ecours à la méthode de la bissectrice ⎯ la ligne qui divise
en deux parts égales l’angle formé par les deux lignes représentant les façades côtières des Etats ⎯ - 2 -

est une méthode géographique qui peut être utilisée pour donner un effet juridique au critère à
propos duquel l’équité est de longue date considérée comme un caractèr e rejoignant la simplicité :

à savoir le critère qui consiste à viser en principe ⎯ en tenant compte des circonstances spéciales
de l’espèce ⎯ à une division par parts égales des zones de convergence et de chevauchement des
projections marines des côtes des Et ats, et que, si la méthode de l’équidistance exprime la relation

entre les côtes pertinentes des deux Parties par référence à des relations précises entre paires de
points de base acceptables, la méthode de la bissectrice tend quant à elle à exprimer les relations
côtières pertinentes sur la base de la macrogéographie d’un littoral. Le juge Koroma convient qu’il
faut toujours veiller à ne pas refaire la nature entièrement. Il note que l’utilisation de la méthode de

la bissectrice n’est pas sans précédents et que, en choisissant ici cette approche, la Cour ne s’est pas
écartée de sa jurisprudence, mais l’a au contraire réaffirmée, appliquée, et lui a donné effet.

En revanche, le juge Koroma nourrit certain es réserves quant à la décision d’attribuer au

Honduras des portions de mer territoriale au sud du parallèle de 14°59,8' de latitude nord. Le
Honduras avait, dans ses conclusions, indiqué que sa mer territoriale ne s’étendrait pas au sud du
parallèle de 14° 59,8' de latitude nord, et aucun motif impérieux ne justifiait de ne pas le suivre sur
ce point, alors que, ce faisant, la Cour aurait écarté une source de conflit potentielle et évité de

donner un effet disproportionné aux petites îles à l’ égard desquelles la souveraineté était en litige
en l’espèce.

Déclaration de M. le juge Parra-Aranguren

Le juge Parra-Aranguren rappelle la note du 19 mars 1912 adressée au ministre des affaires
étrangères du Honduras par le ministre des affa ires étrangères du Nicaragua, qui précisait que le
désaccord devant être tranché par l’arbitre en application de l’article III du traité de 1894 conclu

entre les deux pays portait sur la partie de la ligne frontière «depuis le point de la cordillère appelé
Teotecacinte jusqu’à sa fin sur la côte Atlantique et jusqu’où doit finir dans la mer la juridiction des
deux Etats» (non souligné dans l’original) et qui contest ait pour la première fo is la validité et le
caractère obligatoire de la sentence arbitrale de 1906. Le Nicaragua invoquait plusieurs motifs de

nullité de la décision du roi d’Espagne, indiquant entre autres que «la contradiction dans laquelle
tomb[ait] la sentence [était] patente lorsqu’elle tra it[ait] du tronçon de ligne qui d[evait] séparer la
juridiction des deux pays dans la mer territoriale» (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par
le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua) , vol. I, p. 294 ; non souligné dans

l’original).

Le paragraphe39 de l’arrêt renvoie à cette note du 19 mars 1912, mais la Cour y indique
seulement que le Nicaragua «contesta… la validité et le caractère obligatoire de la sentence

arbitrale», sans mentionner les déclarations rappe lées ci-dessus bien qu’elles démontrent que, aux
yeux du Nicaragua, la sentence arbitrale de 1906 av ait établi la «ligne qui d[evait] séparer la
juridiction des deux pays dans la mer territoriale».

Le juge Parra-Aranguren est d’accord avec la note de 1912 du Nicaragua considérant que la
sentence arbitrale de1906 avait déterminé la souveraineté sur les territoires continentaux et
insulaires contestés, ainsi que sur les eaux territori ales continentales et insulaires appartenant au
Honduras et au Nicaragua. Il ne saurait cependant partager l’avis du Nicaragua selon lequel la

décision du roi d’Espagne était nulle et non avenue en raison des «lacunes, contradictions et
obscurités qui l’affect[ai]ent». Le Nicaragua a présenté cet argument à la Cour, qui ne l’a pas
retenu dans son arrêt du 18novemb re1960, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée
(Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagn e le 23décembre1906 (Honduras c.Nicaragua),

arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 205-217).

Pour ces motifs, le juge Parra-Aranguren a vot é en faveur de l’alinéa1) et contre les
alinéas 2), 3) et 4) du dispositif de l’arrêt.

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Torres Bernárdez - 3 -

1. Comme il est expliqué dans l’introduction de l’opinion, le juge Torres Bernárdez a voté en
faveur de la décision de l’arrêt aux termes de laquelle la République du Honduras a la souveraineté

sur Bobel Cay, Savanna Cay, Poet Royal Cay (d ispositif, al.1)) parce qu’il estime que ces îles,
situées toutes au nord du 15 parallèle, appartiennent au Honduras pour trois motifs, à savoir : a) la
possession par le Honduras d’un titre juridique sur les îles en vertu de l’uti possidetis juris de 1821
applicable entre les Parties; b) les effectivités postcoloniales ex ercées par le Honduras à titre de

souverain sur les îles ainsi que da ns la mer territoriale les entourant, et l’absence d’effectivités du
Nicaragua ; et c) l’acquiescement du Nicaragua à la souveraineté hondurienne sur les î
les jusqu’à la
revendication tardive contenue da ns le mémoire que le demandeur à déposé dans la présente
instance le 21 mars 2001.

2. La souveraineté du Honduras sur les îles bénéficierait donc, d’après le juge
TorresBernárdez, d’une triple assise juridique, y compris celle des effectivités postcoloniales,

tandis que, d’après les motifs de l’arrêt, le Honduras n’aurait la souveraineté sur les îles que sur la
base des effectivités postcoloniales car il n’existerait pas suffisamment d’éléments de preuve pour
permettre de déterminer laquelle des deux Parties aurait hérité du titre espagnol sur les îles en vertu
du principe de l’uti possidetis juris, ni la preuve d’un acquiescemen t quelconque du Nicaragua à la

souveraineté du Honduras sur les îles.

3. Il en découle que les considérations de l’opinion concernant le «différend territorial»

constituent un exposé ayant un caractère individuel et non pas dissident. La raison pour laquelle la
présente opinion est une «opinion dissidente» se tr ouve dans la «délimitation maritime» effectuée
par l’arrêt car, dans ce domaine, à une exception près, le juge TorresBernárdez est tout à fait en
désaccord avec les décisions et les mo tifs à l’appui de la majorité, ce qui explique son vote contre

les alinéas 2) et 3) du dispositif.

4. L’exception, dont le juge TorresBern árdez reconnaît l’importance, concerne la

délimitation de la mer territoriale autour des île s, car cette délimitation est pour lui pleinement
conforme à la convention des NationsUnies sur le droit de la mer de 1982 applicable entre les
Parties. Son vote contre l’alinéa 3) du dispositif doit être compris comme comportant cette réserve,
car s’il y avait eu un vote séparé sur le tronçon de la frontière maritime unique autour des îles, le

juge Torres Bernárdez aurait voté en sa faveur.

I. LE DIFFÉREND TERRITORIAL

A. Le droit applicable à la détermination de la souveraineté sur les îles en litige

5. La partie de l’opinion concernant le «d ifférend territorial» commence en réaffirmant que
le droit applicable à la détermination de la s ouveraineté sur les îles en litige est celui relatif à

l’acquisition de territoires terrestres, notamment, dans les circonstances de l’affaire, l’uti possidetis
juris de 1821, les effectivités postcoloniales et l’acquiescement. Aux audiences, le Nicaragua
invoqua l’«adjacence» tout court, à savoir une adjacence autonome, or, d’après l’opinion, en dehors
de l’application du principe de l’uti possidetis juris ou d’une autre règle de droit international qui

incorporerait le critère, la simple adjacence géogr aphique ne constitue pas, en droit international,
un titre territorial (affaire de l’Ile de Palmas).

B. La décision de l’arrêt et les effectivités post-coloniales

6. La décision de l’arrêt concernant la souveraineté de la République du Honduras sur les îles
en litige sur la base des effectivités postcolonial es s’appuie sur les principes généralement admis

dégagés par la jurisprudence de la Cour permanente dans l’affaire du Statut juridique du Groënland - 4 -

oriental, ainsi que sur la jurisprudence récente de la Cour actuelle relative aux petites îles habitées
de façon non permanente, inhabitées ou ayant une importance économique modeste (Qit’at

Jaradah ; Pulau Ligitan et Pulau Sipadan). - 5 -

7. Le juge Torres Bernárdez partage entièrement ces conclusions de l’arrêt, car les éléments

de preuve présentés à la Cour font pencher réso lument la balance du côté du Honduras. Leur
nombre et leur valeur probante sont certes variables, mais l’ensemble est largement suffisant pour
prouver l’intention et la volonté du Honduras d’agir à titre de souverain ainsi que l’exercice et la
manifestation effectifs de son autorité sur les îles et dans les eaux adjacentes. Face à ces

effectivités postcoloniales du défendeur, le Nicaragua n’a pas été en mesure de prouver l’existence
d’une seule effectivité postcoloniale nicaraguaye nne à l’égard des îles en litige. En outre,
l’acquisition par le Honduras d’un titre sur les îles par le biais d’un mode d’acquisition basé sur les
effectivités postcoloniales ne saurait guère susciter de conflit avec le tenant d’un titre né de l’uti

possidetis juris, le Nicaragua étant, dans les îles, aussi dépourvu d’effectivités postcoloniales qu’il
l’est d’un titre d’uti possidetis juris.

C. L’uti possidetis juris du Honduras dans les îles en litige

8. L’opinion examine ensuite l’applicabilité du principe de droit in ternational de l’uti
possidetis juris au différend concernant la souveraineté sur les îles en litige, rappelant que comme il

est dit ans la sentence arbitrale rendue le 23 déce mbre 1906 par Alphonse XIII, roi d’Espagne, «les
provinces espagnoles du Honduras et du Nicaragua ont été formées par une évolution historique,
jusqu’à leur constitution en deux in tendances distinctes de la capitainerie générale du Guatemala,
en vertu des dispositions de l’ ordonnance royale des intendants de province de la Nouvelle-

Espagne de 1786, appliquée au Guatemala, et sous le régime de laquelle se trouvaient ces dites
provinces-intendances jusqu’à leur affranchissement de l’Espagne en 1821» (Recueil international
des traités du XX siècle, Descamps & Renault, 1906, p. 1030).

9. En 1821, lors de leur accession à l’in dépendance, la République du Honduras et la
République du Nicaragua acceptèrent librement le principe de l’uti possidetis juris qui avait été
énoncé quelques années auparavant comme un critère objectif pour faciliter le règlement pacifique

de questions territoriales qui pourraient se poser aux nouvelles Républiques hispano-américaines.
Le principe fut incorporé dans les Constitutions respectives de la République du Honduras et de la
République du Nicaragua et dans leurs traités. Pa r exemple, l’articleII, paragraphe3, du traité
Gámez-Bonilla du 7 octobre 1894 énonce de manière lapidaire l’essence même du principe de l’uti

possidetis juris dans les termes suivants : «Il sera ente ndu que chaque République est maîtresse des
territoires qui, à la date de l’indépendance, constituaient respectivement les provinces du Honduras
et du Nicaragua.» Cette disposition fut la base de la délimitation effectuée en 1900-1904 par la
commission mixte créée par ledit traité et, plus tard, de celle établie par la sentence arbitrale

de 1906.

10. L’opinion rappelle les fortes résistances qui se sont historiquement manifestées dans la

doctrine européenne à une application universelle du principe de l’uti possidetis juris en tant que
norme positive de droit international général. Ce pendant, à partir de l’acceptation généralisée par
les Etats africains de l’intangibilité des frontières hé ritées de la décolonisation, le principe de l’uti
possidetis juris s’est universalisé à tel point qu’en 1986 une Chambre de la Cour internationale de

justice a pu déclarer que «l’uti possidetis [était] … un principe d’ordre général nécessairement lié à
la décolonisation où qu’elle se produise» (affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 566, par. 23). En 1992, une autre Chambre de la Cour a été
appelée à appliquer le principe (Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime

(El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)). Plus récemment, en 2005, le principe a été
appliqué par une troisième Chambre en l’affaire du Différend frontalier (Bénin/Niger). - 6 -

11. Parfois, le principe a été également invoq ué dans des affaires portées devant la Cour
plénière, notamment dans l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre

Qatar et Bahreïn, mais la Cour n’a pas eu à l’appliquer car l’affaire n’était pas liée à une succession
d’Etats. Cette difficulté ne se posait pas dans la présente affaire car elle concerne un événement
précis de décolonisation. Ainsi, le présent arrêt n’a pas eu de difficulté à confirmer l’applicabilité
en l’espèce de l’uti possidetis juris en tant que principe de droit international général au différend

sur les îles en litige, car le principe concerne tant les différends relatifs à une délimitation
proprement dite que ceux relatif à la détermination du titulaire du titre sur un espace territorial,
insulaire ou maritime donné (différends d’attribution).

12. Pour ce qui est de la question de l’applicabilité du principe comme tel aux îles en litige et
de la notion même de possession à laquelle renvoi l’uti possidetis juris , la majorité et le juge
TorresBernárdez partagent les mêmes vues. Ce qui les sépare se situe dans le champ de

l’administration de la preuve et en particulier, de la méthode permettant de mieux l’apprécier à la
lumière de la nature du titre originaire de la Couronne espagnole dans ses anciens territoires
américains et des caractéristiques et finalités de la législation américaine. Pour le juge
Torres Bernárdez, le présent arrêt confirme les difficultés que l’application de l’uti possidetis juris

continue à rencontrer, dans une espèce donnée, lorsque le droit interne auquel renvoi le génitif latin
juris est un jus historique comme celui appliqué par la Couronne espagnole en Amérique pendant
plus de trois siècles.

13. En effet, pour la majorité, l’on ne saurait dire que l’applica tion de ce principe à
BobelCay, Savanna Cay, South Cay et Port Royal Cay ⎯ qui sont des îles d’importance très

minime situées très loin au large du continent ⎯réglerait la question de la souveraineté sur
celles-ci (paragraphe 163 de l’arrêt) . Selon l’arrêt, il n’existait aucune délimitation administrative
nette s’agissant des îles entre les différentes provinces de la capitainerie générale du Guatemala;
c’était vraisemblablement à la capitainerie générale elle-même que corr espondaient les tâches

d’assurer la sécurité, la prévention de la contre bande, ou de prendre d’autres mesures nécessaires à
la protection des intérêts de la Couronne dans les îles.

14. Le juge TorresBernárdez ne partage pas cette conclusion hypothétique de la majorité,
car elle néglige le fait que l’exercice d’une autorité directe par la capitainerie générale du
Guatemala sur une place ou endroit quelconque de l’une des provinces ne modifia en rien le
territoire de la province en question (voir sente nce arbitrale de 1906, Recueil international des
e
traités du XX siècle, Descamps & Renault, 1906, p.1031). Selon lui, s’agissant de la preuve
rétroactive de l’uti possidetis juris , il n’est pas toujours possible de disposer de documents à
caractère législatif ou analogue indiquant de manière précise l’appartenance ou l’étendue des
territoires en cause ou l’emplacement des limites des provinces. Il faut alors, dans un effort de

reconstitution, reprendre l’ensemble des éléments de preuve et d’information disponibles au travers
de critères d’interprétation historiques et logiques. En outre, il faut tenir compte du fait que les
éléments de preuve concernant l’aspect territorial de l’uti possidetis juris sont souvent très utiles
aux fins d’en préciser l’aspect délimitatif et vice versa.

15. La recherche et la preuve du titre sur les îles en litige en vertu de l’uti possidetis juris se
trouvent en l’espèce, d’après le juge TorresBernárdez, grandement facilité du fait que, dans les

motifs de la sentence arbitrale rendue par le roi d’ Espagne en 1906 sur la base du principe de l’uti
possidetis juris tel qu’énoncé dans le traité Gámez-Bonilla de 1894, l’arbitre définit le territoire de
la province du Nicaragua et de celui de la provi nce du Honduras à la veille de leur indépendance.
A cet égard, la sentence arbitrale précise, notamment, a) que la commission d’examen n’a pas

constaté que l’action expansive du Nicaragua se fût étendue au nord du cap Gracias a Dios, ni eût
atteint par conséquent le cap Camarón et, en c onséquence, il n’y a pas lieu de choisir ledit cap - 7 -

comme limite de la frontière avec le Honduras sur la côte de l’atlantique, ainsi que le prétend le
Nicaragua et b) que la Commission d’examen a découvert que l’extension de la juridiction du

Honduras au sud du cap de Gracias a Dios n’a jamais été bien déterminée, et qu’en tout cas elle a
été éphémère face à l’action positive et perman ente du Nicaragua jusqu’audit cap et, par
conséquent, il ne convient pas que la limite commune sur le littoral de l’Atlantique soit Sandy Bay,
comme le prétend Honduras.

16. C’est sur la base de cette appréciati on de la situation de l’uti possidetis juris en 1821,
dûment documentée, que la sentence arbitrale de 1906 détermine que le point extrême limitrophe

commun sur la côte atlantique entre la République du Honduras et la République du Nicaragua est
l’embouchure du fleuve Coco, Segovia ou Wanks dans la mer, près du cap de Gracias a Dios, en
considérant comme embouchure du fleuve celle de son bras principal entre Hara et l’île de San Pío
ou se trouve ledit cap. L’arrêt de la Cour du 18novembre1960 confirme que cette décision de

l’arbitre est fondée sur le principe de l’uti possidetis juris dans les termes suivants :

«Le Nicaragua soutient que l’arbitre a fixé une frontière qu’il considérait
comme naturelle sans tenir compte des lois et brevets royaux de l’Etat espagnol qui

établissaient les divisions administratives espagnoles avant la date de l’indépendance.
De l’avis de la Cour, ce grief n’est pas fondé, la déci sion de l’arbitre reposant sur des
considérations historiques et juridiques (derecho histórico) en conformité avec les
paragraphes3 et4 de l’articleII [du tra ité Gámez-Bonilla].» (Sentence arbitrale

rendue par le roi d’Espagne le 23déce mbre 1906, arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 215 ;
c’est moi qui souligne.)

17. Les éléments de preuve et d’information sur lesquels s’appuient la sentence arbitrale
de1906 et l’arrêt de la Cour de 1960, à la fo is nombreux et d’une qualité et d’une autorité
indéniables, sont, de l’avis du juge Torres Bernár dez, essentiels de par leur contenu aux fins d’une
détermination judiciaire de la situation de l’uti possidetis juris dans les îles en litige. D’ailleurs, ces

décisions s’imposent, car comme il a été signalé par une Chambre de la Cour «L’appréciation que
fait la sentence de la situation résultant de l’uti possidetis juris prévaut, et elle ne peut maintenant
être remise en question du point de vue juridique , même si elle peut l’être du point de vue
historique» (Différend frontalier terrestre, insulair e et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua

(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67).

18. Pour l’opinion, il est donc clair que d’après l’uti possidetis juris de 1821 le littoral du

Honduras s´étend au nord du point extrême commun sur la côte atlantique de la frontière terrestre,
situé dans l’embouchure du bras principal du fleuve Coco dans la mer près du cap Gracias a Dios
jusqu’à la frontière avec le Guatemala, et le littoral du Nicaragua au sud de ce point extrême
limitrophe commun jusqu’à la frontière avec le Co sta Rica. L’on connaît donc avec précision la

côte ayant appartenu en 1821 à l’une ou l’autre Partie et, par voie de conséquence, le point de
repère permettant d’appliquer sans difficulté la notion d’«île adjacente» du droit historique
espagnol en tant que critère général d’attribution des îles à une entité administrative donnée, notion
beaucoup plus large d’ailleurs que celle d’«île côtière» du droit international contemporain, car une

île définie ou traitée comme «île adjacente» pouvait être située à une grande distance du continent.

19. Par exemple, des îles comme Aves, Clipperton, Cygne, San Andrés, etc., étaient

considérées comme des «îles adjacentes» bien qu’elles soient situées à une distance considérable
du continent. Ainsi, le fait que les îles en litige en la présente affaire soient situées à une distance
comprise entre 27 et 32 milles du littoral hondurien au nord du cap Gracias a Dios n’empêche pas
de les considérer comme étant des «îles adjace ntes» de la province du Honduras au sens du droit

historique espagnol. Dans ce droit, la notion d’« île adjacente» était aussi beaucoup plus flexible - 8 -

que dans le droit international contemporain. Elle n’était en effet qu’une règle résiduelle en ce sens
qu’il pouvait, à tout moment, y être dérogé moyennant une disposition spécifique normative

contraire émanant du roi comme, par exemple, l’or donnance royale de 1786 relative à l’île d’Aves
ou le brevet royal de 1803 concernant les îles de San Andrés.

20. Mais le Nicaragua n’a présenté aucune preuve d’une décision spécifique du roi en faveur
de la province du Nicaragua pour ce qui est des îles concernées dans la présente affaire. Ainsi,
dans ces circonstances ⎯ d’après le juge Torres Bernárdez ⎯ la délimitation de la frontière

terrestre faite par la sentence arbitrale de 1906 pe rmet de donner une réponse judiciaire, sur la base
du principe de l’uti possidetis juris à la question de la souveraineté sur les îles en litige, car les
quatre cayes en question sont situées au nord du 15 parallèle, au large et dans les parages de la côte
continentale hondurienne, et plus près de celle-ci que de la côte continentale nicaraguayenne située

au sud dudit parallèle.

21. Dans une situation pareille, si l`on tient compte du critère généra l d’attribution d’«île

adjacente» du droit historique espagnol, la souverainet é sur les cayes en vertu du principe de l’uti
possidetis juris appartient, selon le juge Torres Bernárdez, à la République du Honduras sans aucun
doute possible car, d’après la sentence arbitrale, les autorités de la province du Nicaragua n’avaient

ni n’exerçaient en 1821 aucune juridiction dans les espaces terrestres, insulaires ou maritimes situés
au nord du cap Gracias a Dios.

22. D’autre part, la conduite des Parties après 1821 confirme cette conclusion. Par exemple,
la note diplomatique du 23novembre1844, adre ssée à S. M. britannique par le ministre
représentant à la fois le Honduras et le Nicaragua qui reconnaît le droit souverain du Nicaragua le
long de la côte atlantique, mais seulement depuis le cap Gracias a Dios au nord jusqu’à la ligne

frontière qui le sépare du Costa Rica. En outre, l’Etat prédécesseur renonça à son ancien titre sur le
territoire continental et insulaire de l’une et de l’autre provinces coloniales, par les traités conclus
au XIX siècle entre l’Espagne et la République du Nicaragua (1856) et entre l’Espagne et la
République du Honduras (1860). Les Constitutio ns des deux Républiques recourent aussi à

l’expression «îles adjacentes» dans leurs définitions respectives du territoire national.

23. L’opinion souligne aussi que lors de la pr océdure arbitrale, le Nicaragua avait cherché à
e
obtenir une ligne frontière le long du 85 méridien de longitude ouest qui passe au-dessus du cap
Camarón, et suit ce méridien jusqu’à la mer, lais sant au Nicaragua Swan Island (île du Cygne).
Mais, l’arbitre, on l’a vu, n’accepta pas cette conclusion du Nicaragua et plaça ⎯ en vertu du

principe de l’uti possidetis juris de 1821 ⎯ le point extrême limitrophe commun aux deux
républiques dans l’embouchure du fleuve Coco, à proximité du cap Gracias a Dios, parce que
comme il est dit dans la sentence arbitrale de 1906 les «documents» signalaient le cap Gracias a

Dios comme point limitrophe des «juridictions» concédées aux gouverneurs de la prov
ince du
Honduras (Juan de Vera) et de la province du Ni caragua (Alonso Fernánd ez de Heredia) par les
décrets royaux de 1745. Ajoutons que le brevet royal du 30novembre1803 relatif aux îles de
SanAndrés et à la partie de la côte des Mousqu itos depuis le cap Gracias a Dios jusqu’au fleuve

Chagres, confirme le rôle dudit cap comme limite de juridictions de la province du Honduras et de
celle du Nicaragua.

D. L’acquiescement du Nicaragua

24. Si après l’arrêt de la Cour de 1960 sur la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
Nicaragua croyait encore avoir des droits sur les îles en litige au nord du 15 parallèle, il aurait dû le

manifester plus tôt. Mais le Nicaragua ne l’a fait ni avant ni après la cristallisation du différend sur - 9 -

la délimitation maritime en 1982. Par exemple, lorsque le président du Nicaragua signa le texte
original de l’accord de libre-échange de 1998, le Nicaragua n’avait pas encore manifesté de

revendications sur les îles en litige dans la présente instance (paragraphe 226 de l’arrêt). Il a fallu
attendre le 21 mars 2001 pour que le Nicaragua exprime des revendications à l’égard de ces îles.

25. Or, en gardant le silence pendant des années, le Nicaragua a adopté une conduite qui a pu
faire croire au Honduras qu’il acceptait, pour les îles en litige, la situation de l’uti possidetis juris
telle que, de l’avis du juge TorresBernárdez, elle s’imposait aux Parties depuis que la sentence

arbitrale de 1906 avait fixée le point terminal de la frontière terrestre à l’embouchure du fleuve
Coco dans la mer près du cap de Gracias a Dios. En outre, pour protéger les droits qu’il revendique
dans la présente instance, le Nicaragua aurait dû, conformément au droit international, manifester
une vigilance plus intense et une opposition plus nette vis-à-vis les effectivités postcoloniales du

Honduras dans les îles en question.

E. Conclusion

26. C’est sur la base des considérations précéd entes que le juge Torres Bernárdez estime que
la souveraineté du Honduras sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay bénéficie
du triple assise juridique, les effectivités postcoloniales et l’acquiescement du Nicaragua venant

conforter le titre juridique sur les îles détenu pa r la République du Honduras depuis 1821 en vertu
du principe de l’uti possidetis juris.

II. LA DÉLIMITATION DES ZONES MARITIMES PAR UNE FRONTIÈRE MARITIME UNIQUE

A. Le rejet de la «frontière maritime traditionnelle» revendiquée par le Honduras

e27. Le Honduras a défendu l’existence d’une frontière maritime dite «traditionnelle» le long
du 15 parallèle de latitude nord, à travers la mer territoriale et au-delà, b asée initialement sur le
principe de l’uti possidetis juris (jusqu’aux 6milles marins des eaux territoriales de la période
coloniale) et, par la suite, sur un accord tacite entre les Parties concernant l’ensemble des zones à

délimiter par la Cour en la présente instance. Cependant, la Cour, après avoir considéré les
arguments et les nombreux éléments de preuve du Honduras, ainsi que les arguments et les
éléments de contre-preuve du Nicaragua, conclut «qu’il n’existait pas en 1982 ⎯ ni à fortiori à une

quelconque date postérieure ⎯ d’accord tacite entre les Parties de nature à établir une frontière
maritime juridiquement obligatoire» (paragraphe 258 de l’arrêt).

e
28. Pour la majorité, à certains périodes (1961-1977), le 15 parallèle «semble avoir joué un
certain rôle dans la conduite des Parties», mais ces événements étaient su rvenus sur une courte
période. Or, le juge Torres Bernárdez souligne dans son opinion que la période en question est

bien plus longue que celle de l’affaire du Golfe du Maine . En tout cas, il estime que les éléments
de preuve présentés par le Honduras, notamment ceux concernant les concessions pétrolières et
gazières et la réglementation de la pêche et des activités y relatives, militent de manière décisive en
faveur de la thèse de l’existence d’un accord tacite entre les Parties sur la frontière maritime dite

«traditionnelle». Ainsi, il ne partage pas la c onclusion négative de la majorité sur la question
considérée, quoiqu’il reconnaisse que c’est le privilège du juge de pondérer et de prendre position
sur la preuve soumise par les parties.

29. Dans ce contexte, l’opinion contient deux remarques ponctuelles. Dans la première, le
juge déclare qu’il n’est pas d’accord avec l’interprétation que fait l’arrêt de la note du ministre
Paz Barnica du 3 mai 1982. La deuxième a tra it à la réponse du Nicaragua à la note hondurienne - 10 -

du 21septembre1979 qui souligne que la capture en mer, le 18septembre1979, d’un navire
hondurien par la marine nicaraguayenne s’était produite «8 milles au nord du 15 parallèle, qui sert

de limite entre le Honduras et le Nicaragua » (contre-mémoire du Hondur as, p.48). Or, l’arrêt
n’attribue aucun effet juridique au fait que, dans sa réponse, le Nica ragua ne réfuta ni réserva cette
affirmation du Honduras.

B. La non-application par l’arrêt de la succession aux eaux territoriales de la période
coloniale en vertu de l’uti possidetis juris

30. Dans ses pièces écrites et à l’audience, le Honduras a posé également la question de la
succession des Parties aux espaces maritimes de la pé riode coloniale en vertu de l’uti possidetis
juris. A cet égard, l’arrêt déclare que, dans certaines circonstances, comme celles qui ont trait à des
baies et à des mers territoriales historiques, le principe de l’uti possidetis juris pourrait jouer un rôle

dans la délimitation maritime (par agraphe232), confirmant ainsi la jurisprudence pertinente de
l’arrêt de 1992 en l’affaire du Différend fr ontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) . Dans son opinion, le juge Torres Bernárdez

partage entièrement ce point de droit explicité par l’arrêt. Malheureusemen t, la majorité n’a pas
tiré de cette déclaration les conséquences qui s’imposent en l’espèce.

31. La position du Honduras sur la question c onsidérée est résumée ainsi dans l’opinion:
1)le principe de l’uti possidetis juris invoqué dans le traité Gám ez-Bonilla, ainsi que dans la
sentence rendue par le roi d’Espagne en 1906, est app licable à la zone maritime au large des côtes
du Honduras et du Nicaragua; 2)le 15 e parallèle constitue la ligne de délimitation maritime

résultant de la application du principe ; 3) le Honduras et le Nicaragua ont, en 1821, succédé à un
espace maritime de mer territoriale de 6milles; et 4)l’uti possidetis juris engendre une
présomption de titre du Honduras sur le plateau con tinental et la zone économique exclusive au
nord du 15 parallèle.

32. La réponse du juge Torres Bernárdez à chacune de ces composantes de la position du
Honduras est la suivante :

Réponse au point 1): Sans doute. Aujourd’hui, comme principe de droit international
général, l’uti possidetis juris est applicable tant aux délimitati ons terrestres qu’aux délimitations
maritimes, ce qui est confirmé par l’arrêt. D’ autre part, le traité Gá mez-Bonilla vaut pour la

résolution amiable de «tous les doutes et tous les différends pendants» et aux fins de «démarquer
sur le terrain la ligne de division indiquant la limite entre les deux républiques» (article premier du
traité). Le terme «limite» n’est donc pas qualifié pa r l’adjectif «terrestre». La pratique des Parties
confirme d’ailleurs cette interprétation, car le procès-verbalII de la commission mixte du

12 juin 1900 effectua une démarcation entre les deux républiques dans la partie du golfe ou baie de
Fonseca «adjacente à leurs côtes, celles-ci étant séparées par une distance inférieure à six lieues
marines» (C.I.J.Mémoires, Sentence arbitr ale rendue par le roi d’Espagne (Honduras c.
Nicaragua), vol.I, p.235). Voir aussi la note ni caraguayenne du 19mars1912 du ministre des

affaires étrangères du Nicaragua indiquant les ra isons sur lesquelles se fondait le Nicaragua pour
considérer nulle la sentence du roi d’Espagne (ibid., p. 292- 294).

Réponse au point 2): Oui, si l’affirmation est comprise comme s’appliquant à l’espace

maritime de 6 milles marins de la mer territo riale à l’époque coloniale; mais non pas pour
l’ensemble de la «frontière mar itime traditionnelle», car le juge Torres Bernárdez convient avec le
Nicaragua qu’un titre sur la zone économique excl usive ou sur le plateau continental correspond à
des notions juridiques manifestement modernes qui n’existaient pas en 1821.

Réponse au point 3) : Sans doute, en vertu du principe de l’uti possidetis juris. - 11 -

Réponse au point 4) : Le juge Torres Bernárdez comprend ce point comme voulant dire que
le principe de l’uti possidetis juris a servi à déterminer les côtes de chacune des Parties, lesquelles,

à leur tour, constituent le fondement du titre qui commande la délimitation des zones maritimes du
plateau continental et de la zone économique exclusive entre les Parties à la présente affaire.

*

33. L’opinion constate que l’arrêt de la Cour admet ⎯ tout comme les deux Parties ⎯ que la
sentence arbitrale de 1906 fixe le point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique de la
frontière terrestre qu’elle établit. Alors comment peut-on dire que rien dans la sentence arbitrale
e
de1906 n’indique que le 15 parallèle de latitude nord a été considéré comme étant la ligne
frontière? Il y a au moins un point, le point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique
dégagé par la sentence arbitrale, qui est le «starting uti possidetis juris point» d’une ligne de

délimitation de la mer territoriale entre les Parties et, à ce titre, il peut être invoqué comme un
élément de preuve d’une succession à une ligne de pa rtage maritime le long de la ligne horizontale
du 15 parallèle nord pour ce qui est des 6milles mari ns ici considérés, car le droit historique
espagnol avait recours aux parallèles et méridiens pour délimiter les espaces maritimes.

34. Le fait que ce point soit situé à proximité du 15 eparallèle de latitude nord près du cap
Gracias a Dios et non pas, par exemple, sur un parallèle ou un méridien passant près du cap

Camarón, de Punta Patuca, du cap Falso ou de Sandy Bay, est sans doute, d’après le juge
TorresBernárdez, un indice ou élément très important pour un juge ou arbitre engagé dans
l’application du principe de l’uti possidetis juris . La Chambre constituée en l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) l’a bien

compris lorsqu’elle dégagea des méthodes d’appréciation et d’interprétation des preuves en
harmonie avec la nature essentiellement historique du principe en Amérique latine.

35. Pour l’opinion, dire que la sentence ar bitrale de 1906 n’a pas effectué une délimitation
maritime dans l’Atlantique est exact, mais di re qu’elle «n’est pas applicable» à la présente
délimitation maritime entre les Parties l’est beaucoup moins. Il faut se familiariser avec les motifs

de la sentence arbitrale pour être à même de connaître la situation de l’uti possidetis juris de 1821
le long des côtes des Parties et dans leurs zon es maritimes adjacentes respectives, car la terre
domine la mer. Or, la terre, les façades maritimes des Parties, sont définies par la sentence arbitrale
de 1906 et non pas par les ressources de la zone économique exclusive située au large au-delà de la

mer territoriale.

36. Quant à la question, bien différente, de la portée de l’autorité de la chose jugée de la

sentence arbitrale de 1906, il faudra, d’après le juge Torres Bernárdez, s’il y a lieu, appliquer la
jurisprudence de la Cour concernant la relation entre dispositif et motifs car la chose jugée n’est pas
seulement ce qui est écrit matériellement dans le dispositif d’une sentence ou d’un arrêt (voir, par
exemple, affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (Bosnie-Herzé govine c. Serbie-et-Monténégro) , arrêt du 26février2007,
par. 26).

* - 12 -

37. Le juge Torres Bernárdez ne peut suivre la majorité lorsque l’a rrêt ignore pratiquement

les données de fait historiques, géographiques et juridiques développées dans les motifs de la
sentence arbitrale de 1906. Il souligne toute l’ importance de la documentation de cette affaire
arbitrale pour une application du principe de l’uti possidetis juris à la délimitation de la mer
territoriale dans la présente affaire. A son avis, si l’on consulte les motifs de la sentence arbitrale et

la documentation en question, l’on peut apprécier toute l’importance du rôle historique du cap
Gracias a Dios en tant que point saillant séparant les côtes de la province du Honduras de celles de
la province du Nicaragua, et avoir ainsi une visi on de l’espace de mer territoriale de 6milles qui

correspondait avant le 15septembre1821 à l’une ou à l’autre en tant que provinces coloniales
espagnoles.

38. Pour lui, cette vision est d’ailleurs suffisamment précise ⎯ aux fins d’une application du
principe de l’uti possidetis juris de 1821 ⎯ pour pouvoir reconnaître et affirmer que c’était bien au
niveau du parallèle passant par le cap Gracias a Dios (au 15 parallèle de latitude nord) que, le jour

de l’indépendance, se terminait la zone de mer territoriale continentale de la République du
Honduras et commençait la zone de mer territorial e continentale de la République du Nicaragua
venant du nord et vice versa, venant du sud. Il s’agit, bien entendu d’une «délimitation» de 1821 et

non pas d’une «démarcation» en mer de 2007. Pourquoi? Parce que, selon la sentence arbitrale
de1906 fondée sur la «documentation» historique fournie par les Parties, le cap Gracias a Dios
«marque le point qui a été le point terminus de l’expansion ou de la conquête du Nicaragua au nord
et du Honduras au sud» (Recueil international des traités au XX e siècle, Descamps & Renault,

1906, p. 1035).

39. En lisant l’arrêt, le juge Torres Bérnardez a parfois le sentiment que la majorité exige

trop pour la preuve de l’uti possidetis juris de 1821 et pour la définition de ce qui était, au début du
XIX siècle, une délimitation maritime des eaux territoriales entre côtes adjacentes de deux Etats.
Il faut se demander si, à l’époque, même en Eu rope, il était d’usage d’effectuer une délimitation

collatérale de la mer territoriale par des lignes précises définies dans des traités conclus en bonne et
due forme. Il a des doutes à cet égard. D’autre pa rt, les preuves, les informations et la géographie
sont particulièrement claires pour une application de l’uti possidetis juris à la délimitation des

premiees 6 milles de la mer territoriale entre les côtes continentales concerné es des Parties le long
du 15 parallèle.

*

e
40. L’opinion rappelle l’affirma tion du Honduras selon laquelle le 15 parallèle est la ligne
de partage entre les Parties de l’espace maritime de 6 milles des eaux territoriales hérité de
l’Espagne, sur la base de la sentence arbitrale de 1906 et la documentation y relative, ainsi que

d’autres éléments de preuve comme le décret royal du 30novembre1803 concernant les îles de
San Andrés et la côte de Mousquitos, depuis le cap Gracias a Dios jusqu’au fleuve Chagres, le plan
géographique du vice-royaume de Santa Fé de Bogotá, nouveau royaume de Granada (1774)

(duplique du Honduras, vol. 2, annexe 232), la note diplomatique du 23 novembre 1844 adressée à
sa Majesté britannique par le ministre représentant à la fois le Honduras et le Nicaragua, et deux
avis d’experts concernant les compétences générale s en terre et mer des capitaineries générales et
des gouvernements dans le droit hist orique espagnol d’outre-mer (ibid., annexe 266) et la question

des droits honduriens dans les eaux de l’océan Atlantique (ibid., annexe 267). - 13 -

41. Au cours de la phase orale, le Nicaragua s’en est pris au premier de ces avis en invoquant
à ce propos l’ordonnance royale sur les gardes-cô tes (1802), l’instruction relative à la gouverne de

garde-côtes aux Indes (1803), l’ordonnance sur le s navires corsaires (1796, revisée en 1801) et
l’ordonnance relative au régime et au gouvernem ent militaire des immatriculations maritimes
(1802). Le juge Torres Bernárdez ne voit pas en quoi le texte de ces instruments modifie les
conclusions générales qui découlent des avis émis par les experts honduriens.

*

42. Mais le Nicaragua ne s’est pas limité à parler d’éléments de preuve. Il a soumis aussi des
arguments sous la forme d’une thèse intitulée «La mer, un espace unitaire, sous juridiction unique

dans la monarchie espagnole», d’après laquelle «toute la mer» était un espace unitaire sur lequel
une juridiction spéciale et centralisée à Madrid, celle de la marine royale, s’appliquait à titre
exclusif, pour terminer en affirmant que la revendication par la Couronne espagnole d’une mer
territoriale de 6 milles ne permet «de rien … inférer s’agissant de la limite de cette mer territoriale

entre les province du Honduras et du Nicaragua» (paragraphe231 de l’arrêt; souligné dans
l’original). Ainsi donc, le Nicaragua nie aux républiques issues des anciennes provinces coloniales
du Honduras et du Nicaragua ledit espace maritime de 6 milles en tant que partie du legs territorial
de l’Espagne, comme Etat prédécesseur.

43. L’opinion prend position sur cette thèse nicar aguayenne, car le juge Torres Bernárdez ne
la partage pas. A son avis, elle équivaut à ad mettre que les républiques établies sur le territoire

d’une ancienne «province colonial e» en Amérique n’auraient reçu en vertu du principe de l’uti
possidetis juris que des «dry coasts» , de même, éventuellement, que les «vice-royautés» et les
«capitaineries générales», car la thèse de la mer, espace unitaire géré par une juridiction centralisée
à Madrid, ne se prête pas à faire de distinction en tre les «provinces coloniales» et les autres entités

administratives territoriales établies par la Couronne espagnole en Amérique.

44. Le juge Torres Bernárdez souligne que la thèse nicaraguayenne est construite comme un

syllogisme mais les prémisses ne sont pas exactes. Tout d’abord, il est inexact d’affirmer que toute
la mer était un «espace unitaire» alors que le droit historique espagnol ⎯ en tout cas au
XVIII esiècle (décret royal du 17décembre1760) ⎯ distinguait les eaux juridictionnelles

espagnoles adjacentes à la côte (les 6 milles) et le reste de la mer, sans préjudice de l’existence des
eaux ou baies historiques comme celles du golfe de Fonseca dont le Nicaragua est riverain. En
outre, les rois espagnols du siècle des lumières étai ent, comme ailleurs en Europe, à la tête de
monarchies absolues où la source, la modification et la fin de toute compétence n’étaient que la

volonté du roi. Ainsi, dans tous les domaines, les compétences étaient centralisées dans la
personne du roi et s’exerçaient par leurs titulaires respectifs, tant en Espagne qu’en Amérique,
comme une délégation du pouvoir du souverain.

45. Dans un même espace, qu’il soit terrestre ou maritime, américain ou métropolitain,
coexistaient plusieurs juridictions, chaque titulaire exerçant la fonction ou l’activité qui lui avait été
dévolue par la législation générale ou les instructions particulières du monarque. L’existence d’une

juridiction spéciale de la marine n’excluait point l’exercice dans la mer territoriale de 6 milles des
compétences de caractère gouvernemental, milita ire ou maritime d’un capitaine général ou d’un
gouverneur. Les compétences en mer de ces derniers ne furent par entamées par celle de la marine
royale. - 14 -

46. Le juge Torres Bernárdez souligne, dans son opinion, qu’en dernière analyse la thèse
commentée se fonde sur une confusion conceptuelle entre les rôles respectifs en la matière du

principe de droit international de l’uti possidetis juris et du droit historique espagnol en Amérique.
L’existence d’une mer territoriale de 6milles le long de côtes des territoires de la Couronne
espagnole en Amérique relève du droit historique espagnol. Mais la gestion centralisée ou non de
la mer par la Couronne espagnole est dépourvue de toute pertinence, car la détermination des Etats

successeurs de la monarchie espagnole pouvant bénéficier dès la date de leur indépendance desdits
6milles de mer territoriale, en tant que partie du legs territorial de l’Etat prédécesseur, relève du
droit international.

*

47. Après avoir essayé de semer le doute avec la thèse ci-dessus, le Nicaragua s’est
finalement rebattu sur l’indivision de l’espace maritime de 6 milles de mer territoriale de la période
coloniale. Il l’a fait dans les termes suivants : «[L]a seule chose que l’on puisse dire est que, à la

date de l’indépendance, une s ouveraineté conjointe des républiques riveraines se produisit sur les
eaux de la Couronne [espagnole]… et perdure tant que l’on ne procédera pas à une délimitation
des espaces correspondants à chacune d’elles.» (CR 2007/3, p. 35, par. 82.)

48. Pour le juge Torres Bernárdez, ceci équivaut à admettre qu’il y a bel et bien eu
succession de la République du Nicaragua et de la République du Honduras aux 6milles d’eaux
territoriales de la période coloniale au large du cap Gracias a Dios en vertu du principe de l’uti

possidetis juris. Les deux Parties étant ainsi d’accord sur l’existence d’une succession en 1821
dudit espace maritime, il ne resterait à régler que le tracé de la ligne de partage de ces eaux
territoriales entre elles. A cet égard, il est dit dans l’opinion que l’«indivision», sans plus, ne
signifie pas que l’on soit devant une situation de souveraineté conjointe. Pour cela, il faut encore

que les eaux indivisées se trouvent placées dans une situation ou une structure de communauté qui
n’existe pas en l’espèce (Différend fronta lier terrestre, insulaire et maritime
(EL Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 599, par. 401).

49. En ce qui concerne l’emplacement et la direction de ladite ligne en 1821, le juge
Torres Bernárdez considère que, lorsqu’on lit le dossier judiciaire de l’affaire, il tombe sous le sens
qu’en vertu du principe du droit international de l’uti possidetis juris la ligne du parallèle passant
e
par le cap Gracias a Dios, à savoir le 15 parallèle environ, faisait fonction de ligne de partage pour
la zone de 6 milles des eaux territoriales de l’époq ue coloniale entre les Parties dans la mer de
Caraïbes, car les autorités coloniales de la province du Honduras n’exerçaient pas de «juridictions»
au sud de ce parallèle et les autorités coloniales de la province du Nicaragua n’exerçaient pas de

«juridictions» au nord dudit parallèle.

50. Les Parties le savaient bien dès le lendema in de l’indépendance (voir, par exemple, la

note diplomatique du 23novembre1844), et la sente nce arbitrale de 1906 le leur confirma en
plaçant avec force de chose jugée le point ex trême commun de la frontière terrestre dans
l’embouchure du fleuve Coco près du cap Gracias a Dios. Ainsi, il n’y avait pas lieu de procéder à
d’autres recherches, car la conduite des Parties confirmée par la sentence arbitrale était désormais

l’expression authentique de l’uti possidetis juris de 1821 (voir par exemple affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant),
C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67). En outre, après l’arrêt de la Cour de 1960 sur la validité et la
force obligatoire de la sentence arbitrale de 1906, les Parties se sont conduites comme après - 15 -

l’indépendance, à savoir, comme si la li gne de partage était effectivement le 15 eparallèle
(comportement à l’origine de la frontière mariti me dite «traditionnelle»). En tout cas, l’uti

possidetis juris étant un principe d’application automatique, les divisions administratives
coloniales, terrestres ou maritimes, sont transformées en frontières internationales «by the
operation of the law» . Aucun acte de volonté complémentaire n’est nécessaire (ibid. , p.565,

par. 345).

51. Le juge Torres Bernárdez considère, en conséquence, comme étant non fondée la

conclusion de l’arrêt d’après lequelle le Honduras aurait dû démontrer davant age que la frontière
maritime devait suivre le 15 parallèle à partir du cap Gracias a Dios et produire la preuve que la
puissance coloniale avait utilisé dans ce cas particulier les parallèles et les méridiens, ce qui était sa
pratique générale en mer.

52. De l’avis du juge Torres Bernárdez, ce sta ndard est trop strict s’agissant d’apprécier une
situation d’uti possidetis juris concernant deux Etats qui, en 1821, avaient une même lecture de ce

principe pour l’espace maritime concerné. Cela co nfirmerait la critique du juge de l’arrêt pour
avoir opté pour une méthode un peu trop mécanique et «ahistorique» dans l’appréciation de la
preuve de faits relevant de l’application du principe de l’uti possidetis juris.

53. Ceci a, en l’espèce, la conséquence f âcheuse de priver le Honduras d’un «titre
historique» pouvant être invoqué en relation avec l’ interprétation et l’application de l’article 15 de
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 dans la présente affaire. C’est la

première raison du vote contre les alinéas 2) et 3) du dispositif de l’arrêt du juge Torres Bernárdez.

C. La délimitation ex novo des zones maritimes effectuée par l’arrêt

1. Les revendications des Parties et la question de la définition de la «zone en litige»

54. Dans la présente affaire, les Parties ont adopté des approches fondamentalement

différentes quant à la délimitation de leur «frontière maritime unique» dans la mer de Caraïbes.
Une première conséquence de cette divergence est, d’après le juge Torres Bernárdez, que la «zone
en litige» définie par les revendications des Parties ne correspon
d pas avec l’«aire» où la
délimitation maritime doit être effectuée compte tenu de la géographie concernée.

55. Selon l’opinion du juge, la ligne bissectrice revendiquée par le Nicaragua sur la base de
la totalité des façades maritimes de l’une et de l’autre Parties, la ligne du 15 eparallèle de latitude
e
nord revendiquée par le Honduras et, par ex emple aux fins de l’argument, le 80 méridien de
longitude ouest dessinent une «zone en litige» en fo rme de triangle qui est tout à fait artificielle en
ce sens qu’elle se trouve déconnectée de la réalité des circonstances géographiques, juridiques et

historiques d’une affaire relative à la délimitati on des espaces maritimes se trouvant situés au nord
et au sud de l’embouchure du fleuve Coco près du cap Gracias a Dios.

56. La majorité de la Cour semble présuppo ser, dit le juge Torres Bernardez, qu’un partage
égal, ou presque, du triangle ci-dessus constitue, dans les circonstances de l’espèce, un résultat
équitable. Il ne le pense pas, bien que le ratio entre les zones du triangle attribuées au Nicaragua et
celles attribuées au Honduras est d’environ 3 :4 (1 :1,3) en faveur du Honduras (dont une extension

importante en qualité de mer territoriale à cause des îles). Mais, il faut tenir compte que la
bissectrice revendiquée par le Nicaragua visait, certes, à étayer une ambition politique récente - 16 -

(1994/1995), mais il lui manquait la crédibilité juri dique, car elle était fondée sur l’ensemble de
façades maritimes de l’un et l’autre Etats indé pendamment de leur rapport avec l’aire de la

délimitation et, en outre, ces façades étaient remplacées par des lignes droites sans relation avec la
géographie physique de la côte.

57. Pour la définition de la «zone en litige», la ligne bissectrice revendiquée par le
demandeur constitue un artifice, source en l’espèce d’une distorsion, d’un effet inéquitable. L’arrêt
ne corrige pas cet effet. En outre, la position principale du défendeur n’a pas aidé non plus à
rétablir dans un premier temps une définition pl us équilibrée de la «zone en litige» en ce qui

concerne la limite sud de ladite zone (la conclusion alternative hondurienne d’une ligne
d’équidistance ajustée fut soumise à l’audience). En conséquence, le juge Torres Bernárdez note
que la zone de chevauchement des revendications principales respectives des Parties est située au
nord du 15 parallèle, tandis que l’aire de la délimitation se situe au nord et au sud de ce parallèle.

2. Le droit applicable à la délimitation maritime

58. Le Honduras et le Nicaragua étant devenus parties à la convention des Nations Unies sur

le droit de la mer de 1982, la convention est mainte nant en vigueur entre les Parties. Les articles
pertinents de la convention sont donc applicables qua droit conventionnel dans le présent différend.
Le juge Torres Bernárdez approuve qu’il soit ainsi déclaré par l’arrêt (paragraphe 261). Cependant,

il observe que le poids des traditions étant ce qu’ il est, l’économie de l’a rrêt dans son ensemble
s’inspire davantage de la jurisprudence que du texte de la convention, au détriment souvent de la
singularité de la délimitation de la mer territoriale.

3. Zones à délimiter et méthodologie adoptée pa r l’arrêt: l’abandon de l’équidistance et de
la délimitation par étapes en faveur de la méthode de la bissectrice

59. Le juge Torres Bernárdez n’est pas d’accord avec l’arrêt sur la méthodologie à suivre

pour déterminer le tracé de la frontière maritime unique. Il admet que la Cour doive appliquer
d’abord et avant tout les règles qui ont trait à la délimitation de la mer territoriale, sans oublier que
la tâche ultime consiste à tracer une limite maritime unique entre les Parties qui soit valable aussi à
d’autres fins (affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et

Bahreïn (Qatar c Bahreïn), C.I.J. Recueil 2001, p. 93, par. 174). Mais l’arrêt ne fait pas cela.

60. Le juge Torres Bernárdez critique aussi que l’arrêt écarte d’emblé la méthode de

l’équidistance spécifiquement et expressément men tionnée à l’article15 (délimitation de la mer
territoriale) de la convention sur le droit de la mer de 1982, en invoquant, tout d’abord, l’existence
de «circonstances spéciales» pour se placer, ensuite, dans le cadre des règles de la convention
relatives à la délimitation de la zone économique exclusive (art.74) et du plateau continental

(art.83), voire même dans le cadre de la règl e coutumière dite des «principes équitables et
circonstances pertinentes» (paragraphe 271 de l’arrêt).

61. Ainsi, les efforts déployés ces dernières années pour rendre plus objectives les décisions
judiciaires en la matière moyennant le tracé, dans une première étape, d’une ligne d’équidistance
provisoire, quitte, dans un deuxième temps, à l’ajuste r à la lumière de «circonstances spéciales» ou
de «circonstances pertinentes» se trouvent écartés. L’on retombe dans l’unicum , c'est-à-dire dans

le pragmatisme et la subjectivité. Le moins que l’on puisse dire est que l’arrêt ne place pas la
méthode de l’équidistance au cŒur de la démarc he qu’il convient de suivre en invoquant à cet
égard des «difficultés» qui empêcheraient la Cour de définir des points de base nécessaires pour
construire une ligne d’équidistance (paragraphe 280 de l’arrêt). - 17 -

62. Il est vrai que ni l’une ni l’autre des Par ties n’a fait valoir «à titre principal» qu’une ligne
d’équidistance provisoire constituerait la méthode de délimitation la plus indiquée. Mais ceci ne

signifie point que la position respective des Parties à l’égard de la méthode de l’équidistance soit la
même.

63. L’une des Parties, le Honduras, a présenté une ligne d’équidistance provisoire tracée à
partir de deux points de base, situés respectivement sur les côtes continentales de l’une et de l’autre
des Parties au nord et au sud de l’embouchure du fleuve Coco, et a en outre demandé à la Cour
dans ses conclusions finales, à titre alternatif à la ligne du 15 parallèle, une de ligne d’équidistance

ajustée (d’azimut 78º48' environ). En revanche , le Nicaragua a soutenu tout au long de la
procédure ainsi que dans ses conclusions final es que la méthode de l’équidistance/circonstances
spéciales ou pertinentes n’est pas appropriée aux fins de la délimitation à effectuer dans la présente
affaire à cause de l’instabilité de l’embouchure du fleuve Coco. Pour le Nicaragua, la Cour devait

tracer l’ensemble de la frontière maritime unique partant de la bissectrice de l’angle formé par deux
lignes droites qui étaient censées de représenter l’ensemble de façades maritimes de l’une et de
l’autre Parties (d’azimut 52º 45' 21" environ).

64. Pour justifier que la Cour s’abstienne en l’espèce de recourir à la méthode de
l’équidistance, même dans une première démarche provisoire, l’arrêt fait valoir la configuration
géographique du littoral de part et d’autre du cap Gracias à Dios et l’instabilité marquée du delta du

fleuve Coco à son embouchure. Le juge Torres Bernárdez partage la c onclusion qu’il s’agit de
circonstances physiques à pendre en considérati on dans l’opération de délimitation mais, à son
avis, aucune d’elles ne justifie l’abandon de la méthode de l’équi distance en faveur d’une méthode
comme celle de la bissectrice, laquelle crée en l’espèce des problèmes de droit et d’équité bien plus

graves que l’équidistance.

65. A cet égard, le juge Torres Bernárdez souligne qu’en présence de ce type de

circonstances physiques le remède préconisé par la convention sur le droit de la mer de 1982 est le
recours à la méthode dite des «lignes de base droite s» pour définir les points de base (art. 7 et 9 de
la convention), et non pas une méthode comme celle de la bissectrice, fondée sur la
macrogéographie, qui s’avère incapable dans les circonstances de l’espèce de sauvegarder le

principe de non-empiétement (non-encroachement) des zones situées devant la façade maritime
continentale hondurienne.

66. Comme il est expliqué dans l’opinion, le tracé de la frontière maritime unique de l’arrêt,
qui commence sur une certaine distance par délimite r exclusivement les mers territoriales des deux
Etats, passe, du fait de l’application de la méthode de la bissectrice, trop près de la côte
continentale hondurienne. Pour le juge Torres Bern árdez, ce tracé est par conséquent inéquitable,

surtout dans un espace maritime où les intérêts de sé curité et de défense ne peuvent que prévaloir
sur les considérations économiques. De plus, le juge Torres Bernárdez n’est pas du tout persuadé
de l’«impossibilité de construire une li gne d´équidistance à partir du continent» comme cela est
affirmé par l’arrêt (paragraphe283), ni de l’ar gument selon lequel l’existence de seulement deux

point de base est une circonstance de nature à écarter la méthode de l’équidistance (voir affaire de
la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigéria),
C.I.J. Recueil 2002, p. 443, par. 292). - 18 -

4. La bissectrice de l’arrêt et sa construction (façades maritimes)

67. L’arrêt n’a pas retenu les lignes de délimitation demandées par l’une ou l’autre des
Parties. Ainsi, en ce qui concerne le Honduras, il écarte aussi bien
la ligne le long du 15 eparallèle
qu’une ligne d’équidistance ajustée. Mais l’arrêt rejette également la bissectrice d’azimut

52º 45' 21" demandée par le Nicaragua laquelle se basait sur des lignes représentant l’ensemble des
façades maritimes des deux pays construites par le demandeur comme des lignes droites
moyennant une opération de «rabotage» et de «lissage» de la géographie côtière hondurienne.

68. Toutefois, l’arrêt a choisi de recourir à la méthode de la bissectrice pour définir le tracé
de la frontière maritime unique établie par la Cour elle-même car, pour la majorité, une telle
méthode s’est révélée valable dans des circ onstances où il n’était pas possible ou approprié
d’utiliser la méthode de l’équidistance (parag raphe287 de l’arrêt). Cependant, le juge

TorresBernárdez constate que la jurisprudence de la Cour mentionnée dans l’arrêt à l’appui de
cette conclusion ne concerne pas des affaires où il était question de délimitation de la mer
territoriale.

69. Dans son opinion, le juge Torres Bernárdez souligne qu’il y a dans l’arrêt une symétrie
totale entre les motifs qui ont conduit la majorité à écarter la méthode de l’équidistance et ceux qui
l’ont amenée à adopter la méthode de la bissectrice . Or, pour lui, il n’existe pas entre ces deux

méthodes une relation de cause à effet. Une bi ssectrice ne saurait être, en l’espèce, le seul moyen
possible pour aboutir à une solution équitable. C’ est plutôt le contraire, car, en termes d’espaces
maritimes, la méthode de la bissectrice fait s upporter à une seule Partie, le Honduras, la charge

d’une situation géographique et morphologique (configuration de la côte; instabilité de
l’embouchure du fleuve Coco) (paragraphe292 de l’arrêt) partagée par les de ux Parties, car elle
existe tout le long de la côte, aussi bien au nord qu’au sud de l’embouchure du fleuve Coco, ainsi
que l’arrêt le reconnaît lui-même.

70. Or, l’arrêt ne procède à aucun ajustement équitable de sa ligne bissectrice en faveur du
Honduras pour compenser cette charge que seul le Honduras subit. Le reje t de la ligne droite
nicaraguayenne allant du cap Gracias a Dios à la frontière avec le Guatemala n’a rien à avoir avec

l’équité. L’arrêt n’a fait à cet égard que rétab lir la géographie côtière réelle du Honduras rabotée
dans la proposition du demandeur. En outre, le choi x de la méthode de la bissectrice a eu l’effet
d’élargir les côtes pertinentes au-delà de celles directement concernées par l’aire de la délimitation.

Ainsi, la côte de Cabo Falso à Laguna Wano dé fendue par le Honduras a été écartée au profit de
façades maritimes plus longues.

71. A cet égard, l’arrêt écarte une façade côtière allant du cap Camarón au Rio Grande

(engendrant une bissectrice d’azimut 64º 02'), car la totalité de la ligne serait située sur le Honduras
continental. Mais l’arrêt écarte également la façade comprise entre Cabo Falso et Punta Gorda
parce que sa longueur (quelque 100kilomètres) ne saurait être suffisante pour constituer la
représentation d’une façade côtière à plus de 100m illes marins de la côte bien que l’azimut de

l’angle de la bissectrice soit, tout de même, de 70º 54'. Ce n’était pas encore suffisant pour la
majorité qui s’est arrêtée finalement à une façad e côtière hondurienne allant du cap Gracias a Dios
jusqu’à Punta Patuca (bien que la côte en tre Cabo Falso et Punta Patuca n’aboutisse pas

directement à l’aire de la délimitation), et à une façade côtière nicaraguayenne allant du cap
Gracias a Dios jusqu’à Wouhta, que l’arrêt c onsidère comme suffisamment longue pour rendre
compte correctement de la configuration côtière de la zone en litige. La bissectrice de l’angle
formé par ces deux façades maritimes a un azimut de 70º 14' 41,25". C’est l’azimut de la

bissectrice de l’arrêt. - 19 -

72. Le juge Torres Bernárdez compare cet azi mut de l’arrêt avec celui (78º 48' environ)
d’une ligne d’équidistance provisoire tracée à partir de points de base situés au nord et au sud de

l’embouchure du fleuve Coco, constatant que la différence entre les deux azimuts est de plus de 8º.
C’est pour le juge une différence énorme. Il ne saurait l’accepter comme la solution équitable que
préconise la convention sur le droit de la mer de 1982. Le choix d’une méthode pour surmonter

des difficultés d’ordre physique communes aux fa çades maritimes relevant des deux Parties ne
saurait justifier une délimitation inéquitable pour l’une des Parties.

5. Application de l’équidistance à la délimitation autour des îles

73. Ayant rejeté la prétention du Nicaragua d’enclaver les îles attribuées au Honduras à
l’intérieur d’une mer territoriale de 3milles mari ns, la Cour délimite ensuite la mer territoriale

autour des îles, conformément aux articles3, 15 et121 de la convention des NationsUnies sur le
droit de la mer de 1982 qui constitue le droit applicable entre les Parties. Le juge Torres Bernárdez
est tout à fait d’accord avec ces décisions de la C our et, en conséquence, sur le tracé du tronçon de
la frontière maritime qui effectue la délimitation autour des îles.

74. Chacune des îles concernées – Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay
pour le Honduras et Edinburgh Cay pour le Nicarag ua – se voit reconnaître une mer territoriale de

12 milles, et la zone de chevauchement des ces mers territoriales du Honduras et du Nicaragua, tant
au nord qu’au sud du 15 parallèle, est délimitée par application de la méthode de l’équidistance.
La Cour a tracé d’abord une ligne d’équidistance provisoire prenant les coordonnées de ces îles
comme point de base de sa mer territoriale, puis a construit la ligne médiane dans les zones de

chevauchement. Enfin, ayant constaté qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales justifiant un
ajustement, elle adopta cette ligne provisoire comme ligne de délimitation (paragraphe304 de
l’arrêt).

75. Comme résultat de l’application de l’équidi stance, le tracé de la ligne de délimitation
autour des îles se situe en partie au sud du 15 e parallèle. Ceci n’est pas surprenant car l’existence

d’une limite maritime quelconque le long de ce para llèle basée sur l’accord tacite des Parties avait
déjà été écartée par la majorité de la Cour (voir ci-dessus).

6. La démarcation de la commission mixte de 1962 et le point de départ de la frontière
maritime unique

76. Les deux Parties ont laissé à la Cour la tâch e de fixer le point de départ de la frontière

maritime unique et l’arrêt l’a fixé en mer à 3 mille s du point identifié dans le fleuve Coco par la
Commission mixte de 1962 comme le voulait le Honduras, mais la majorité l’a placé dans la
direction et l’azimut de la bissectrice comme le voulait le Nicaragua (parag raphe 311 de l’arrêt).
Les cordonnés du point de départ ainsi décidé par la Cour sont 15º 00' 52" de latitude nord et

83º 05' 58" de longitude ouest (dispositif, al. 2)).

77. Le juge TorresBernárdez est en désaccord avec l’emplacement de ce point décidé par

l’arrêt car, à son avis, il aurait dû être un point équi distant des points de base situés au nord et au
sud de l’embouchure du fleuve Coco. Le point choi si par la majorité n’est pas un point neutre par
rapport aux revendications principales des Parties, ce qui explique son vote contre l’alinéa2 du

dispositif de l’arrêt. - 20 -

78. En revanche, le juge Torres Bernárdez approuve la décision par laquelle la Cour charge
les Parties de convenir du tracé de la ligne de dé limitation dans la mer territoriale entre le point
terminal de la frontière terrestre établi par la sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la
délimitation maritime du présent arrêt dans le cadre des négociations menées de bonne foi.

7. Le point terminal de la frontière maritime unique, les traités bilatéraux et les Etats tiers

79. Dans les paragraphes 314 à 319 de l’arrêt, la Cour considère les différentes possibilités
qui s’offrent à elle en ce qui concerne la questi on du point terminal de la ligne et examine les
éventuels intérêts d’Etat tiers au-delà du 82 eméridien, à savoir ceux de la Colombie et de la

Jamaïque. Au terme de cette considération, elle arrive à la c onclusion qu’elle ne peut tracer une
ligne de délimitation qui couperait la ligne établie par le traité entre la Colombie et la Jamaïque
de 1993, mais peut déclarer que la délimitation ma ritime entre le Honduras et le Nicaragua s’étend
au-delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits de la Colombie en vertu de son traité de 1928

avec le Nicaragua et de 1986 avec le Honduras.

80. Ainsi, l’arrêt affirme que la Cour peut, sans pour autant indiquer de point précis,
e
délimiter la frontière maritime au-delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits d’Etats tiers
(paragraphe 319 de l’arrêt et croquis nº 7). A son grand regret, le juge Torres Bernárdez n’est pas
aussi certain que l’arrêt sur cette conclusion. Il est vrai que, dans ses motifs, l’arrêt ajoute une

précision importante, à savoir que «l’examen auquel [l a Cour] a procédé de ces divers intérêts est
sans préjudice de tous autres intérêts légitimes d’Et at tiers dans la zone» (paragraphe 318). Ainsi,
les intérêts légitimes d’Etat tiers «dans la zone» délimitée par l’arrêt sembleraient être dûment
protégés. Mais, il reste la question des droits et intérêts légitimes d’Etat tiers dans les espaces

maritimes limitrophes de la zone délimitée.

e 81. D’après l’opinion du Juee TorresBern árdez, la présence du Nicaragua au nord du
15 parallèle et à l’est du 82 méridien ne peut que porter atteinte aux droits et intérêts de la
Colombie, car cette dernière n’est plus protégée par la ligne de délimitation du traité de 1986 avec
le Honduras et, en conséquence, est exposée à des revendications du Nicaragua au sud et à l’est de

ladite ligne de délimitation.eC’est la première raison de l’opposition du juge Torres Bernárdez à la
délimitation, au-delà du 82 méridien, faite par l’arrêt.

82. Mais il en a une seconde, car la délimita tion effectuée par le présent arrêt ne tient pas
compte du traité de délimitati on maritime conclu en 1986 entre le Honduras et la Colombie bien
qu’il s’agisse d’un traité en vigueur entre ces deux Etats, enregistré au Secrétariat de l’Organisation

des Nations Unies et invoqué par le Honduras dans la présente instance. Le juge Torres Bernárdez
trouve cela surprenant. Pourquoi ? Parce que le di fférend qui existe à propos de ce traité entre les
Parties à la présente instance n’a pas été inscrit par le demandeur, le Nicaragua, dans l’objet du
différend défini dans sa requête introductive d’in stance, pas d’avantage qu’il n’a, dans ses

conclusions finales, demandé à la Cour de se prononcer sur un aspect juridique quelconque du
différend entre les Parties concernant ledit tr aité. Or, cela soulèv e une question d’ordre
juridictionnel qui mériterait une considération particulière que l’on ne trouve pas dans l’arrêt.

83. En d’autres termes, il aurait fallu détermin er au préalable le statut de l’instrument
conventionnel en question, car une ligne de dé limitation maritime ne saurait régler un différend

relatif au droit des Etats de conclure des traités (treaty making power des Etats) et/ou à la validité
des traités ainsi conclus, tout comme elle ne pou vait régler dans la présente instance le différend
entre les Parties concernant la souveraineté sur les îles en litige. Et c’est au juge Torres Bernárdez - 21 -

de rappeler à ce propos que, selon les articles74 et 83 de la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982, la délimitation de la z one économique exclusive et du plateau continental

doit être effectuée «conformément au droit interna tional tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de
la Cour international de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable».

8. Conclusion

84. Le Juge TorresBernárdez a voté contre les alinéas2) et3) du dispositif de l’arrêt parce
qu’il a la conviction que la ligne de délimitation maritime unique de l’arrêt n’est pas tout à fait

conforme aux prescriptions pertinentes de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de
1982, sauf en ce qui concerne le tronçon autour des îles (deuxième tronçon de la ligne).

85. Pour ce qui est du premier tronçon qui commence en délimitant sur une certaine distance
la mer territoriale continentale des Parties, il est évident que la règle générale de l’équidistance de
l’article 15 de la convention de 1982 n’a pas été appl iquée. Elle a été écartée pour la première fois

dans la jurisprudence de la Cour relative à la mer territoriale, et dès le début de l’opération de
délimitation, au profit d’une bissectrice incapab le d’assurer le principe de non-empiétement
(non-encroachement) pour ce qui est des côtes continentales honduriennes. Dans l’arrêt, la
méthode de la bissectrice choisie est justifiée par la considération selon la quelle la configuration

des côtes continentales considérées et l’instabilité de l’embouchure du fleuve Coco constitueraient
une «circonstance spéciale» au sens de l’exception de la deuxième phrase dudit article 15. Le juge
TorresBernárdez ne peut pas accep ter cette justification car le re mède de la convention de 1982
pour ces situations n’est pas la méthode de la bissectrice mais celle de lignes de base droites (art. 7,

par. 2) et 9, de la convention). Cela étant, et l’arrêt ayant rejeté les titres historiques (uti possidetis
juris) invoqués par le Honduras, le juge TorresBernárdez ne trouve pas du tout «nécessaire» de
délimiter la mer territoriale autrement que par la ligne médiane (méthode de l’équidistance) de la

règle générale de l’article 15 de la convention de 1982.

86. En ce qui concerne le troisième tronçon, qui délimite seulement la zone économique

exclusive et le plateau continental, la bissectrice de l’arrêt n’est pas à même non plus, de l’avis du
juge TorresBernárdez, d’aboutir à une solution équ itable. Tout d’abord, la construction de la
bissectrice rend nécessaire de faire intervenir une côte hondurienne (entre Cabo Falso et
PuntaPatuca) qui n’aboutit pas directement sur l’ aire de la délimitation. En deuxième lieu, et

surtout, l’azimut de l’angle de la ligne bissectrice de l’arrêt ne trouve de justification dans la
relation entre les côtes directement visées par la dé limitation, ni dans les circonstances historiques
du différend. Une ligne bissectrice dont l’azimut de l’angle favorise l’une des Parties d’une
o
différence de 8 par rapport à l’azimut de l’angle de la ligne d’équidistance provisoire établie à
partir des point de base situés au nord et au sud du fleuve Coco n’est pas un résultat équitable car,
en l’espèce, l’arrêt n’invoque aucune «circonstance pertinente» qui justifierait un ajustement de la
ligne d’équidistance provisoire d’une telle envergure. Ceci est particulièrement vrai si l’on tient

compte du fait que la circonstance des côtes et de l’embouchure mentionnées ci-dessus est
commune aux façades maritimes de l’un et de l’autre Etats. Finalement, le fait que la ligne de
délimitation du troisième tronçon se prolonge au-delà du 82 méridien soulève des questions
d’ordre juridictionnel relatives au traité conclu en 1986 entre le Honduras et la Colombie et aux

droits et intérêts juridiques de la Colombie dans les espaces maritimes situés au sud et à l’est de la
délimitation effectuée par ce traité.

Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja

Le juge ad hoc Gaja déclare que, s’il souscrit au reste du dispositif de l’arrêt et à la plupart
de ses motifs, il ne partage pas l’idée que des zones maritimes situées au sud du parallèle

14° 59,8' de latitude nord doivent être attribuées au Honduras en tant que portions de sa mer - 22 -

territoriale. Aux termes de l’article 3 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, tout
Etat a le droit de fixer la largeur de sa mer te rritoriale, cette largeur ne dépassant pas 12milles

marins. Le Honduras a toujours considéré ⎯jusque dans ses conclusions finales ⎯ que la mer
territoriale des cayes du groupe Media Luna ne s’ét endait pas, vers le sud, au-delà du parallèle
14° 59,8' de latitude nord.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'arrêt du 8 octobre 2007

Links