Résumé de l'arrêt du 16 mars 2001

Document Number
7029
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Number (Press Release, Order, etc)
2001/1
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE DE LADÉLIMITATION MARITIME ET DES QUESTIONS
TERRITORIALES ENTRE QATAR ET BAHREÏN (QATAR c. BAHREÏN)
(FOND)

Arrêt du 16 mars 2001

Dans son arrêt sur l’affaire de la Délimitation maritime Khasawneh, Buergenthal, juge s; MM.Torres Bernárdez,
des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar Fortier, juges ad hoc; M. Couvreur, Greffier.

c. Bahreïn), laCour: a décidé à l’unanimité que Qatar a *
souveraineté sur Zubarah; a affirmé par douze voix contre
cinq que Bahreïn a souveraineté sur les îles Hawar; a rappelé * *
à l’unanimité que les navires de Qatar jouissent dans la mer
territoriale de Bahreïn séparant les îles Hawar des autres îles Le texte du dispositif est le suivant :
bahreïnites du droit de passage inoffensif consacré par le « 252. Par ces motifs,
LAOUR,
droit international coutumier; a décidé par treize voix contre
quatre que Qatar a souveraineté sur l’île de Janan, y compris 1)’unanimité,
Hadd Janan; a ajouté par douze voix contre cinq que Bahreïn Dit que l’État de Qatar a souveraineté sur Zubarah;
a souveraineté sur l’île de Qit’at Jaradah; a décidé à 2) a) Par douze voix contre cinq,
l’unanimité que le haut-fond découvrant de Fasht ad Dibal
relève de la souveraineté de Qatar; a conclu par treize voix Dit que l’État de Bahreïn a souveraineté sur les îles
contre quatre que la limite maritime unique divisant les Hawar;
POUR : M. uillaume, Président; M. hi, Vice-
différentes zones maritimes de Qatar et de Bahreïn doit être Président; MMd.a, He rczegh, Fleischhauer,
tracée comme indiqué au paragraphe 250 de l’arrêt. me
Dans ce paragraphe, la Cour a indiqué les coordonnées M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
des points devant être reliés, dans un ordre précis, par des Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; MF. ortier juge
lignes géodésiques pour former la limite maritime unique ad hoc;
suivante : CONTR:EMM B.edjaoui, Ranjeva, Koroma,
Vereshchetin, juges; M. Torres Bernárdez, juge ad hoc;
• au sud, à partir du point d’intersection des limites
maritimes respectives de l’Arabie saoudite d’une part et b ) À l’unanimité,
de Bahreïn et de Qatar de l’autre, qui ne peut être fixé, lappelle que les navires de l’État de Qatar jouissent
frontière se dirige dans une direction nord-est, puis dans la mer territoriale de Bahreïn séparant les îles
oblique immédiatement en direction de l’est et passe Hawar des autres îles bahreïnites du droit de passage

ensuite entre Jazirat Hawar et Janan; elle s’infléchit plus inoffensif consacré par le droit international coutumier;
loin vers le nord pour passer entre les îles Hawar et la 3) Par treize voix contre quatre,
péninsule de Qatar et continue en direction du nord, en Dit que l’État de Qatar a souveraineté sur l’île de
laissant le haut-fond découvrant de Fasht Bu Thur et Janan, y compris Hadd Janan;
Fasht al Azm du côté de Bahreïn et les hauts-fonds
découvrants de Qita’a el Erge et de Qit’at ash Shajarah POUR : M. uillaume, Président; M. hi, Vice-
du côté de Qatar; enfin elle passe entre Qit’at Jaradah et Président; MMe.djaoui , Ranjeva, Herczegh,
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren,
Fasht ad Dibal, en laissant Qit’at Jaradah du côté de Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges;
Bahreïn et Fasht ad Dibal du côté de Qatar (voir par. 222 M. Torres Bernárdez, juge ad hoc;
de l’arrêt); me
• au nord, la limite mar itime unique est constituée en CONTRE : M. Oda, M Higgins, M. Kooijmans,
premier lieu par une ligne qui, partant d’un point situé au juges; M. Fortier, juge ad hoc;
4) Par douze voix contre cinq,
nord-ouest de Fasht ad Dibal, rejoint la ligne Dit que l’État de Bahreïn a souveraineté sur l’île de
d’équidistance ajustée pour tenir compte de l’absence
d’effet reconnu à Fasht al Jarim. La limite suit ensuite Qit’ at Jaradah;
cette ligne d’équidistance ajustée jusqu’à ce qu’elle POUR : M. uillaume, Président; M. hi, Vice-
rencontre la ligne de délimitation des zones maritimes Président; MMd.a, He rczegh, Fleischhauer,
respectives de l’Iran d’une part et de Bahreïn et de Qatar M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
de l’autre (voir par. 249 de l’arrêt). Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; MF. ortier juge

La Cour était composé comme suit: M.Guillaume, ad hoc;
Président; M.hi, Vice-Prés ident; MM. Oda, Bedjaoui, CONTR:EMM B.edjaoui, Ranjeva, Koroma,
Ranjeva, Herczegh, Fleischh auer, Koroma, Vereshchetin, Vereshchetin, juges; M. Torres Bernárdez, juge ad hoc;
M me Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-

180 5)’unanimité, verbal », signé à Doha le 25 décembre 1990 par les Ministres

Dit que le haut-fond découvrant de FashtadDibal des affaires étrangères de Bahreïn, de Qatar et de l’Arabie
relève de la souveraineté de l’État de Qatar; saoudite, constituaient des accords internationaux créant des
6) Par treize voix contre quatre, droits et des obligations pour les Parties; et qu’aux termes de
ces accords les Parties avaient pris l’engagement de
Décide que la limite maritime unique divisant les soumettre à la Cour l’ensemble du différend qui les oppose,
différentes zones maritimes de l’État de Qatar et de l’État tel que circonscrit par la formule bahreïnite. Ayant noté
de Bahreïn doit être tracée comme indiqué au paragraphe
250 du présent arrêt. qu’elle disposait seulement d’une requête de Qatar exposant
POUR : MG. uillaume, Président; MS. hi, Vice- les prétentions spécifiques de cet État dans le cadre de cette
formule, la Cour a décidé de donner aux Parties l’occasion
Président; MOMd.a, Hmeczegh, Fleischhauer, de lui soumettre l’ensemble du différend. Après que chacune
Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren, des Parties eut déposé un document à ce sujet dans le délai
Kooijmans, Rezek, Al-Khasawn eh, Buergenthal, juges; fixé, la Cour, par arrêt du 15 février 1995, a dit qu’elle avait
M. Fortier juge ad hoc; compétence pour statuer sur le différend entre Qatar et
CONTRE : MM. Bedjaoui, Ranjeva, Koroma, juges;
Bahreïn, qui lui avait été soumis; qu’elle était désormais
M. Torres Bernárdez, juge ad hoc. » saisie de l’ensemble du différend; et que la requête de l’État
de Qatar telle que formulée le 30novembre 1994 était
* recevable.
* * Au cours de la procédure écrite sur le fond, Bahreïn a mis

M.Oda, juge, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion en cause l’authenticité de quatre-vingt-deux documents
individuelle. MM.Bedjaoui, Ranjeva et Koroma, juges, produits par Qatar en annexe à ses écritures. Chacune des
joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente Parties a présenté un certain nombre de rapports d’experts
commune. MM.Herczegh et Vereshchetin, et M me Higgins, sur la question et la Cour a rendu plusieurs ordonnances. Par
sa dernière ordonnance du 17 février 1999 sur la question, la
juges, joignent des déclarations à l’arrêt. MMP. arra- Cour, compte tenu de la coïncidence de vues entre les Parties
Aranguren, Kooijmans et Al-Khasawneh, juges, joignent à
l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle. M.Torres sur la question du traitement à réserver aux documents
Bernárdez, juge ad hoc, joint à l’arrêt l’exposé de son contestés et de leur accord sur celle de la prorogation du
opinion dissidente. M.Fortier, juge ad hoc, joint à l’arrêt délai pour le dépôt des répliques, a pris acte de la décision de
l’exposé de son opinion individuelle. Qatar de ne pas tenir compte, aux fins de la présente affaire,
des quatre-vingt-deux documents contestés par Bahreïn et a
* décidé que les répliques ne s’appuieraient pas sur ces

* * documents. Après le dépôt de ces répliques, la Cour a décidé
d’autoriser les Parties à présenter des documents
Rappel de la procédure et des conclusions des Parties supplémentaires. Des audiences publiques ont été tenues du
(par. 1 à 34) 29 mai au 29 juin 2000.
Les conclusions finales présentées par chacune des
Le 8juillet 1991, Qatar a déposé au Greffe de la Cour
une requête introduisant une instance contre Bahreïn au sujet Parties à l’issue des audiences étaient les suivantes :
Au nom du Gouvernement de Qatar,
de certains différends entre les deux États relatifs «à la «L’État de Qatar prie respectueusement la Cour, une
souveraineté sur les îles Hawar, aux droits souverains sur les
hauts-fonds de Dibal et de Qit’atJaradah et à la délimitation fois rejetées toutes autres demandes et conclusions en
des zones maritimes entre les deux États». Dans cette sens contraire,
requête, Qatar soutenait que la Cour était compétente pour I.de dire et juger conformément au droit
connaître du différend en vertu de deux «accords» conclus internation:al

par les Parties respectivemen t en décembre 1987 et en A. 1) que l’État de Qatar a souveraineté sur les îles
décembre 1990; selon le demandeur, l’objet et la portée de Hawar;
l’engagement ainsi pris en ce qui concerne la compétence de 2) que les hauts-fonds de Dibal et de Qit’at Jaradah
la Cour étaient déterminés par une formule proposée à Qatar sont des hauts-fonds découvrants sur lesquels Qatar a
par Bahreïn le 26octobre 1988 et acceptée par Qatar en souveraineté;
décembre 1990 (dénommée ci-après la f« ormule
B. 1) que l’État de Bahreïn n’a pas souveraineté sur
bahreïnite»). Par lettres du 14juillet 1991 et du 18août l’île de Janan;
1991, Bahreïn a contesté la base de compétence invoquée par 2) que l’État de Bahreïn n’a pas souveraineté sur
Qatar. Zubarah;
Par arrêt du 1 ejuillet 1994, la Cour a dit que les
échanges de lettres entre le Roi d’Arabiesaoudite et l’Émir 3) que toute demande de Bahreïn concernant des
lignes de base archipélagiques et des zones de pêche à
de Qatar, datées des 19 et 21 décembre 1987, et entre le Roi l’huître perlière et au poiss on serait sans pertinence
d’Arabiesaoudite et l’Émir de Bahreïn, datées des 19 et aux fins de la délimitation maritime à opérer en
26décembre 1987, ainsi que le document intitulé «Procès- l’espèce;

181 II. de tracer une limite maritime unique entre les Au nom du Gouvernement de Bahreïn,
espaces maritimes comprenant les fonds marins, le sous- « Sur la base des faits et des arguments exposés dans
sol et les eaux surjacentes qui relèvent respectivement de le mémoire, le contre-mémoire et la réplique de Bahreïn
l’État de Qatar et de l’État de Bahreïn, étant convenu que
ainsi que lors des présentes audiences,
Zubarah, les îles Hawar et l’île de Janan appartiennent à Qu’il plaise à la Cour de rejeter toutes demandes et
l’État de Qatar et non à l’État de Bahreïn, et que ladite conclusions contraires et dire et juger que :
limite part du point2 de l’Accord de délimitation conclu
en 1971 entre Bahreïn et l’Iran (51 o05’ 54’’ de longitude 1. Bahreïn a souveraineté sur Zubarah.
o 2. Bahreïn a souveraineté sur les îles Hawar, y
est et 27 02’ 47’’ de latitude nood), se dirige ensuite vers
le sud jusqu’au point BLV (50 57’ 30’’ de longitude est compris sur Janan et Hadd Janan.
et 26 o33’ 35’’ de latitude nord), suivant à partir dudit 3. Compte tenu de la souveraineté de Bahreïn sur
point BLV la ligne établie par la décision britannique du toutes les formations, insula ires et autres, y compris
o sur FashtadDibal et Qit’atJaradah, qui constituent
23 décembre 1947 jusqu’ou point NSLB (50 49’ 48’’ de
longitude est et 26 21’ 24’’ de latitude nord) puis l’archipel bahreïnite, la limite maritime entre Bahreïn
jusqu’au point L (50 o 43’ 00’’ de longitude est et 25 47’ et Qatar est celle décrite dans la deuxième partie du
27’’ de latitude nord) et se prolonge jusqu’au point S1 de mémoire de Bahreïn. »

l’Accord de délimitatioo conclu en 1958 entre Bahreïn et o [Pour les lignes de délimioation proposées par chacune des
l’Arabie saoudite (50 31’ 45’’ de longitude est et 25 35’ Parties, voir le croquis n 2 de l’arrêt, ci-joint.]
38’’ de latitude nord). »

182Cadre géographique différents cheikhs de la région. Ces cheikhs s’engagèrent à

(par. 35) conclure un traité général de paix. Par ce traité, signé
La Cour rappelle que l’État de Qatar et l’État de Bahreïn en1820, ces cheikhs et chefs s’engageaient notamment tant
en leur nom propre qu’en celui de leurs sujets à s’abstenir à
sont tous deux situés dans la partie méridionale du golfe l’avenir de tout acte de pillage ou de piraterie. Ce n’est que
arabo-persique (ci-après dénommé le «Golfe»), presque à vers la fin du XIX esiècle que la Grande-Bretagne adoptera
mi-chemin entre l’embouchure du Chatt al-Arab, au nord- une politique générale de protection dans le Golfe en
ouest, et le détroit d’Ormuz, à l’extrémité orientale du Golfe,
au nord d’Oman. La zone contin entale située à l’ouest et au concluant des «accords exclus ifs» avec la plupart des
sud de l’île principale de Bahreïn et au sud de la péninsule de principautés dont celles de Bahreïn, d’Abou Dhabi, de
Chardjah et de Doubaï. La représentation des intérêts de la
Qatar fait partie intégrante du Royaume d’Arabie saoudite. Grande-Bretagne dans la région fut confiée à un résident
La zone continentale qui borde le Golfe au nord fait partie de politique britannique dans le Golfe, installé à Bushire
l’Iran. (Perse), auquel furent par la suite subordonnés des agents
La péninsule de Qatar s’avance dans le Golfe selon une
direction nord à partir de la baie dénommée Dawhat Salwah, politiques dans différentes principautés avec lesquelles la
Grande-Bretagne avait conclu des accords.
à l’ouest, et de la région s ituée au sud du Khoral-Udaid, à Le 31 mai 1861, le Gouvernement britannique conclut un
l’est. La capitale de l’État de Qatar, Doha, est située sur la «Traité perpétuel de paix et d’amitié» avec le cheikh
côte orientale de la péninsule. Mahomed bin Khalifah, dans le quel ce dernier était désigné
Bahreïn est constitué d’un certain nombre d’îles, d’îlots
et de hauts-fonds situés au large des côtes orientale et comme souverain indépendant de Bahreïn. Aux termes de ce
traité, Bahreïn s’engageait notamment à s’abstenir de toute
occidentale de son île principa le, qui est également appelée agression maritime de quelque nature qu’elle soit, tandis que
île Al-Awal. La capitale de l’État de Bahreïn, Manama, est la Grande-Bretagne s’engageait à fournir à Bahreïn l’appui
située dans la partie nord-est de l’île Al-Awal. nécessaire pour maintenir la sécurité de ses possessions
Zubarah se situe sur la côte nord-ouest de la péninsule de contre toute agression. Aucune disposition de ce traité ne
Qatar, face à l’île principale de Bahreïn.
précisait l’étendue de ces possessions.
Les îles Hawar se situent à proximité immédiate de la À la suite d’hostilités qui avaient éclaté en1867 dans la
partie médiane de la côte occidentale de la péninsule de péninsule de Qatar, le Résident politique britannique dans le
Qatar, au sud-est de l’île principale de Bahreïn et à une Golfe se mit en rapport avec le cheikh Ali bin Khalifah, chef
distance approximative de 10 milles marins de celle-ci. de Bahreïn, et le cheikh Mohamed Al-Thani, chef de Qatar

Janan est située au large de la pointe sud-ouest de l’île et, les 6 et 12septembre1868, respectivement, les amena
Hawar proprement dite. l’un et l’autre à signer un acco rd avec la Grande-Bretagne.
Fasht ad Dibal et Qit’at Jaradah sont deux formations Par ces accords, le chef de Bahreïn reconnaissait notamment
maritimes qui se situent au large de la côte nord-ouest de la que certains actes de piraterie avaient été commis par
péninsule de Qatar et au nord-est de l’île principale de Mahomed bin Khalifah, son prédécesseur, et, «afin de
sauvegarder la paix en mer et de prévenir la survenance
Bahreïn.
d’autres troubles ainsi que pour tenir le Résident politique
Contexte historique informé de ce qui se passe», il promettait de désigner un
(par. 36 à 69) représentant auprès de ce dernier; quant au chef de Qatar, il
s’engageait, entre autres, à retourner à Doha et à y résider
La Cour fait ensuite un bref exposé de l’histoire pacifiquement, à ne pas prendr e la mer avec des intentions
complexe qui sert de toile de fond au différend entre les hostiles et, au cas où surgiraient des différends ou des
Parties (repris en partie ci-après).
malentendus, à en référer sans exception au Résident
La navigation dans le Golfe était traditionnellement aux politique. Selon Bahreïn, les «événements de1867-1868»
mains des habitants de la région. À partir du début du démontrent que Qatar n’était pas indépendant de Bahreïn.
XVI siècle, les puissances européennes commencèrent à Selon Qatar au contraire, les Accords de 1868
s’intéresser à cette région qui jouxtait l’une des routes reconnaissaient pour la première fois officiellement l’identité
commerciales vers l’Inde. Le quasi-monopole commercial distincte de Qatar.

exercéepar les Portugais ne fut remis en cause qu’au début du Si la Grande-Bretagne était à l’époque la puissance
XVII siècle. En effet, la Grande-Bretagne désira alors maritime dominante dans le Golfe, l’Empire ottoman avait
renforcer sa présence dans le Golfe aux fins de protéger les pour sa part rétabli son autorité sur de vastes régions
intérêts commerciaux croissants de la Compagnie des Indes terrestres du côté méridional du Golfe. Dans les années qui
orientales. suivirent l’arrivée des Ottomans dans la péninsule de Qatar,

Entre 1797 et 1819, la Grande-Bretagne lança de la Grande-Bretagne accrut s on influence à Bahreïn. Une
nombreuses expéditions punitives pour riposter aux actes de «Convention anglo-ottomane relative au golfe Persique et
pillage et de piraterie perpétrés par des tribus arabes dirigées aux territoires environnants» fut signée le 29juillet 1913,
par les Qawasim contre des navires britanniques et locaux. mais ne fut jamais ratifiée. La section II de cette convention
En 1819, elle prit le contrôle de Rasal-Khaimah, quartier portait sur Qatar. Son article11 décrivait le tracé de la ligne
général des Qawasim, et conclut des accords séparés avec les qui, selon l’accord entre les parties, devait séparer le sandjak

183ottoman du Nedjd de la «presqu’île d’El-Katr». Qatar fait prétentions bahreïnites. Le 11juillet 1939, les souverains de
valoir que les Ottomans et les Britanniques avaient Qatar et de Bahreïn furent informés que le Gouvernement

également signé, le 9mars 1914 , un traité concernant les britannique avait décidé que les îles Hawar appartenaient à
frontières d’Aden, ratifié la même année, dont l’articleIII Bahreïn.
précisait que la délimitation entre Qatar et le sandjak du Enmai 1946, la Bahrain Petroleum Company Ltd.
Nedjd serait « en conformité de l’article 11 de la Convention demanda l’autorisation de forer dans des zones du plateau
anglo-ottomane du 29 juillet 1913, relative au golfe Persique continental dont certaines pouvaient, de l’avis des
et aux territoires environnants». Par un traité conclu le
3novembre 1916 entre la Grande-Bretagne et le cheikh de Britanniques, appartenir à Qatar. Le Gouvernement
britannique décida que cette autorisation ne pourrait être
Qatar, le cheikh de Qatar s’engageait notamment à «ne pas accordée tant qu’il n’y aurait pas eu délimitation des fonds
avoir de relations et à ne pas correspondre avec une autre marins entre Bahreïn et Qatar. Il procéda à un examen de la
puissance, ni à recevoir son agen t, sans le consentement du question et, le 2décembre 1947, l’agent politique
Gouvernement britannique», à ne pas céder, sans un tel britannique à Bahreïn adressa aux souverains de Qatar et de
consentement, de terres à une autre puissance ni à ses sujets, Bahreïn deux lettres, ayant la même teneur, qui indiquaient
et à ne pas accorder sans ce consentement de monopoles ou
notamment la ligne que le Gouvernement britannique
de concessions. En échange, le Gouvernement britannique considérait « comme partageant les fonds marins en question
s’engageait à protéger le chei kh de Qatar et à prêter ses selon des principes équitables»; cette lettre indiquait
«bons offices» au cas où le cheikh ou ses sujets seraient également que le cheikh de Bahreïn avait des droits
attaqués par voie terrestre sur les territoires de Qatar. Aucune souverains sur la région des hauts-fonds de Dibal et de
disposition de ce traité ne précisait l’étendue de ces Jaradah (qui ne devaient pas être considérés comme des îles
territoires. possédant des eaux territoriales), ainsi que sur les îles du

Le a9vril 1936, le représentant de la groupe des Hawar, en précisant que l’île de Janan n’était pas
PetroleumConcessions Ltd. attira par écrit l’attention de considérée comme faisant partie du groupe des Hawar.
l’India Office britannique, qui était responsable des relations En 1971, Qatar et Bahreïn cessèrent d’être des États
avec les États protégés du Golfe, sur un accord de concession protégés par la Grande-Bretagne. Le 21septembre 1971, ils
qatari en date du 17 mai 1935 et fit observer que le souverain furent tous deux admis à l’Organisation des Nations Unies.
de Bahreïn revendiquait Hawar dans le cadre des
négociations qu’il menait avec la PetroleumConcessions À partir de 1976, une médi ation, également qualifiée de
« bons offices », fut menée par le Roi d’Arabie saoudite avec
Ltd.; il demanda en conséquence auquel des deux émirats l’accord des Émirs de Bahreïn et de Qatar. Les bons offices
(Bahreïn ou Qatar) Hawar appartenait. Le 14juillet 1936, la du Roi Fahd n’aboutirent pas dans le délai ainsi fixé, et
PetroleumConcessions Ltd. fut informée par l’India Office Qatar, le 8juillet 1991, introduisit devant la Cour une
qu’il apparaissait au Gouvernement britannique que Hawar instance contre Bahreïn.
appartenait au cheikh de Bahreïn. Le contenu de ces
communications ne fut pas porté à la connaissance du cheikh
Souveraineté sur Zubarah
de Qatar. (par. 70 à 97)
En 1937, Qatar tenta d’imposer la tribu des Naim établie
à Zubarah; Bahreïn s’y opposa, car il prétendait avoir des La Cour note que les deux Parties conviennent que les
droits sur cette région. Les relations entre Qatar et Bahreïn se Al-Khalifah ont occupé Zubarah dans les années1760 et
dégradèrent. Des négociations s’engagèrent entre les deux que, quelques années plus tard, ceux-ci se sont établis à
États au printemps 1937 et furent rompues enjuillet de la Bahreïn, mais qu’elles sont en désaccord sur la situation
juridique qui a prévalu par la suite et qui déboucha sur les
même année.
Selon Qatar, Bahreïn aurait occupé clandestinement et événements de 1937. De l’avis de la Cour, les termes de
illicitement les îles Hawar en 1937. Bahreïn soutient que son l’Accord de1868 entre la Gran de-Bretagne et le cheikh de
souverain ne faisait alors qu ’accomplir des actes légitimes Bahreïn (voir ci-dessus) montrent que les Britanniques
participant de l’administration continue de son propre n’eussent pas toléré que Bahreïn cherchât à appuyer ses
revendications sur Zubarah par des actions militaires en mer.
territoire. Par lettre en date du10mai 1938, le souverain de Bahreïn soutient toutefois que les Al-Khalifah ont continué
Qatar protesta auprès du Gouvernement britannique contre
ce qu’il qualifiait d’« actions irrégulières menées par Bahreïn d’exercer leur autorité sur Zubarah par l’intermédiaire d’une
contre Qatar» et auxquelles il s’était déjà référé enfévrier confédération tribale dirigée par les Naim loyaux à Bahreïn,
1938 au cours d’une convers ation qu’il avait eue à Doha nonobstant le fait qu’ils avaient déplacé le siège de leur
avec l’agent politique britannique à Bahreïn. Le 20mai gouvernement vers les îles de Bahreïn à la fin du
1938, ce dernier écrivit au souverain de Qatar pour l’inviter à XVIII e siècle. La Cour n’accepte pas cette affirmation.
Selon la Cour, eu égard au rôle joué à l’époque par la
exposer au plus tôt ses prétentions sur Hawar. Le souverain
de Qatar répondit dans une lettre datée du 27mai 1938. Grande-Bretagne et l’Empire ottoman dans la région, il
Quelques mois plus tard, le 3 janvier 1939, Bahreïn présenta importe de mentionner l’article11 de la Convention anglo-
en réponse ses propres prétentions. Dans une lettre du ottomane signée le 29 juillet 1913, qui énonce notamment ce
30mars 1939, le souverain de Qatar présenta à l’agent qui suit: «il est entendu entre les deux gouvernements que
politique britannique à Bahreïn ses observations sur les ladite presqu’île sera, comme par le passé, gouvernée par le

184cheikh Djassim-bin-Sani et pa r ses successeurs». Ainsi, la accueillir la première conclusion de Bahreïn et que Qatar a
Grande-Bretagne et l’Empire ottoman n’ont pas reconnu la souveraineté sur Zubarah.

souveraineté de Bahreïn sur la presqu’île, y compris
Zubarah. Ils considéraient que la presqu’île de Qatar dans Souveraineté sur les îles Hawar
son ensemble continuerait d’être gouvernée par le cheikh (par. 98 à 148)
JassimAl-Thani – qui avait été précédemment nommé
kaimakam par les Ottomans– et par ses successeurs. Les La Cour traite ensuite de la question de la souveraineté
deux Parties conviennent que la Convention anglo-ottomane sur les îlesHawar, réservant à ce stade de l’examen la
de 1913 n’a jamais été ratifiée; elles divergent en revanche question de Janan.

sur la valeur probante à lui a ccorder en ce qui concerne la La Cour observe que l’abondante argumentation
souveraineté de Qatar sur la presqu’île. La Cour observe que développée par les Parties en ce qui concerne la souveraineté
les accords signés mais non ratifiés peuvent constituer sur les îles Hawar soulève plusieurs questions juridiques: la
l’expression fidèle des vues communes des parties à nature et la validité de la décision prise par la Grande-
l’époque de la signature. En l’espèce, la Cour aboutit à la Bretagne en 1939; l’existen ce d’un titre originaire; les
conclusion que la Convention anglo-ottomane établit quelles effectivités; et l’applicabilité en l’espèce du principe de l’uti
possidetis juris. La Cour commence par examiner la nature
étaient les vues de la Grande-Bretagne et de l’Empire
ottoman en ce qui concerne l’ét endue factuelle de l’autorité et la validité de la décision britannique de 1939.
du souverain Al-Thani à Qatar jusqu’en 1913. La Cour Bahreïn soutient que la décision britannique de 1939 doit
observe également que l’article 11 de la Convention de 1913 être regardée à titre principal comme une sentence arbitrale
est visé à l’articleIII du Traité anglo-ottoman du 9mars passée en force de chose jugée. Il défend l’idée que la Cour
1914, qui a été dûment ratifié au cours de la même année. n’a pas compétence pour réexam iner la sentence rendue par
Les parties à ce traité n’envisa geaient donc d’autre autorité un autre tribunal, en invoquant à cette fin la jurisprudence de

sur la péninsule que celle de Qatar. la Cour permanente de Justice internationale et de la présente
La Cour passe ensuite à l’ examen de certains incidents Cour. Qatar conteste la pertinence des arrêts auxquels
survenus à Zubarah en 1937 après que le cheikh de Qatar eut Bahreïn se réfère. Il affirme ce qui suit :
tenté d’imposer les Naim. Elle relève notamment que, le «[A]ucune de ces affaires ne présente la moindre
5mai 1937, le Résident politique rendit compte de ces pertinence pour la question que la Cour doit trancher
incidents au Secrétaire d’État pour les Indes lui indiquant
dans la présente instance et qui est celle-ci: les
qu’il estimait «personnellement… que, du point de vue procédures suivies par le Gouvernement britannique en
juridique, les prétentions bahreïnites sur Zubarah [étaient] 1938 et 1939 peuvent-elles être assimilées à un processus
vouées à l’échec». Par télégramme du 15juillet 1937, le arbitral susceptible d’aboutir à une sentence obligatoire
Secrétaire d’État britannique indiqua au Résident politique pour les parties? »
que le cheikh de Bahreïn devait être informé que le
Gouvernement britannique regrettait « de ne pouvoir La Cour se penche tout d’abord sur la question de savoir
si la décision britannique de 1939 doit être considérée
intervenir dans le litige opposant le cheikh de Qatar à la tribu comme constituant une sentence arbitrale. Elle observe à cet
des Naim ». égard qu’en droit international public, le mot arbitrage vise
Compte tenu de ce qui précède, la Cour dit ne pouvoir communément «le règlement des litiges entre les États par
accepter l’affirmation de Bahreïn selon laquelle la Grande- des juges de leur choix et sur la base du respect du droit » et
Bretagne aurait toujours considéré que Zubarah appartenait à que cette formulation fut réaffirmée dans les travaux de la
Bahreïn. Les termes de l’Accord de1868 conclu entre le
Commission du droit international, qui ont réservé le cas
Gouvernement britannique et le cheikh de Bahreïn, ceux des dans lequel les parties conviendraient que la décision
Conventions de 1913 et 1914 et ceux des lettres de 1937 sollicitée devrait être rendue ex æquo et bono . La Cour
adressées au Secrétaire d’État pour les Indes par le Résident observe qu’au cas particulier il n’existait aucun accord entre
politique et au Résident politique par le Secrétaire d’État, les parties pour se soumettre à un arbitrage rendu par des
témoignent tous du contraire. De fait, le Gouvernement juges de leur choix et statuant soit en droit soit ex æquo et
britannique ne considérait pas en 1937 que Bahreïn avait bono. Les parties étaient seulement convenues que la
souveraineté sur Zubarah; c’ est la raison pour laquelle il
question serait tranchée par le gouvernement de
avait refusé de fournir à Bahr eïn l’assistance que celui-ci SaMajesté», mais elles laissaient à l’appréciation de ce
sollicitait sur la base des accords en vigueur entre les deux dernier le soin de déterminer comment et par lesquels de ses
pays. Dans la période ayant suivi1868, l’autorité du cheikh fonctionnaires cette décision serait prise. Dès lors, la
de Qatar sur le territoire de Zubarah se consolida décision par laquelle le Gouvernement britannique a estimé
graduellement; elle fut constatée dans la Convention anglo- en 1939 que les îles Hawar appartenaient à Bahreïn ne
ottomane de 1913 et était définitivement établie en 1937. Les constituait pas une sentence arbitrale internationale. La Cour

actes accomplis par le cheikh de Qatar à Zubarah cette dit qu’elle n’a pas par conséquent à examiner la thèse de
année-là participaient de l’ex ercice de son autorité sur son Bahreïn concernant sa compét ence pour connaître de la
territoire et, contrairement à ce que Bahreïn allègue, ne validité de sentences arbitrales.
constituaient pas un recours illicite à la force contre Bahreïn. La Cour observe cependant que la circonstance qu’une
Pour tous ces motifs, la Cour conclut qu’elle ne saurait décision n’est pas une sentence arbitrale n’implique pas que

185cette décision soit dépourvue d’effets juridiques. Pour selon laquelle il aurait été victime d’une inégalité de
apprécier quel est l’effet juridique de la décision britannique traitement ne saurait donc être accueillie. La Cour note aussi

de 1939, elle rappelle ensuite les événements qui en que, si les motifs retenus à l’appui de la décision de 1939
précédèrent, puis en suivirent immédiatement l’adoption. La n’ont pas été communiqués aux souverains de Bahreïn et de
Cour passe ensuite à l’examen de l’argumentation sur Qatar, cette absence de motivation est sans influence sur la
laquelle Qatar s’appuie pour contester la validité de la régularité de la décision intervenue dès lors qu’aucune
décision britannique de 1939. obligation de motivation n’avait été imposée au
Gouvernement britannique lorsque celui-ci s’était vu chargé
Qatar soutient en premier lieu n’avoir jamais consenti à de régler l’affaire. La Cour ne peut donc faire droit à la thèse
ce que la question des îles Hawar soit tranchée par le
Gouvernement britannique. de Qatar selon laquelle la décision britannique de 1939
La Cour relève cependant qu’à la suite de l’échange de n’était pas valide faute de motivation. Enfin, le fait que le
lettres des 10 mai et 20 mai 1938, le souverain de Qatar avait cheikh de Qatar ait protesté à plusieurs reprises contre le
accepté le 27mai 1938 de confier au Gouvernement contenu de la décision britannique de 1939 après en avoir été
informé n’a pu rendre cette d écision inopposable au cheikh,
britannique le soin de décider de la question des îles Hawar. contrairement à ce que prétend Qatar. La Cour parvient donc
Il avait le même jour présenté sa plainte à l’agent politique
britannique. Il avait enfin accepté, comme le souverain de à la conclusion que la décision prise par le Gouvernement
Bahreïn, de participer à la procédure qui devait mener à la britannique le 11juillet 1939 présente un caractère
décision de 1939. La compétence du Gouvernement obligatoire pour les Parties. Pour tous ces motifs, la Cour
britannique pour prendre la décision concernant les îles conclut que Bahreïn a souveraineté sur les îles Hawar et que,
Hawar découlait de ce double consentement; la Cour n’a partant, elle ne saurait accueillir les conclusions de Qatar sur
cette question. La Cour observe enfin que la conclusion à
donc pas à examiner si, en l’ absence d’un tel consentement, laquelle elle est ainsi parvenue sur la base de la décision
le Gouvernement britannique aurait eu autorité pour ce faire
en vertu des traités faisant de Bahreïn comme de Qatar des britannique de 1939 la dispense de se prononcer sur
États protégés de la Grande-Bretagne. l’argumentation des Parties tir ée de l’existence d’un titre
Qatar soutient en second lieu que les fonctionnaires originaire, des effectivités ou de l’applicabilité en l’espèce
du principe de l’uti possidetis juris.
britanniques chargés de la question des îles Hawar étaient de
parti pris et que leur jugement avait été arrêté d’avance. La
procédure suivie aurait par suite méconnu «la règle Souveraineté sur l’île de Janan
interdisant toute partialité chez une autorité investie du (par. 149 à 165)
pouvoir de décider au niveau international». En outre, les La Cour examine ensuite les prétentions des Parties sur
parties n’auraient pas été mises à même de présenter leurs
arguments sur un pied d’égalité et de façon équitable, et la l’île de Janan. Elle observe à titre liminaire que Qatar et
Bahreïn se font une idée divergente de ce qu’il convient
décision prise n’aurait pas été motivée. d’entendre par l’expression «île de Janan». Selon Qatar,
La Cour commence par indiquer que bien que la décision «Janan est une île d’environ 700mètres de long et
de 1939 ne constitue pas une sentence arbitrale, il n’en 175 mètres de large, située au large de la pointe sud-ouest de
résulte pas qu’elle ait été dépourvue de tout effet juridique. l’île Hawar proprement dite…» Pour Bahreïn, l’expression
Bien au contraire, il ressort du dossier, et notamment des vise « deux îles qui se trouvent à une distance de 1 à 2 milles

échanges de correspondance rappelés ci-dessus, que Bahreïn marins au large de la côte mé ridionale de JaziratHawar, et
et Qatar avaient accepté que le Gouvernement britannique qui, à marée basse, ne forment plus qu’une île…» Après
règle leur différend en ce qui concerne les îles Hawar. Dès avoir examiné l’argumentation des Parties la Cour estime
lors, la décision de 1939 doit être regardée comme une pouvoir traiter Janan et Hadd Janan comme une seule île.
décision qui était dès l’origine obligatoire pour les deux États La Cour, ainsi qu’elle l’a fait dans le cas des
et a continué de l’être pou r ces mêmes États après 1971,
année au cours de laquelle ils ont cessé d’être des États revendications des Parties sur les îles Hawar, examine tout
d’abord les effets de la décision britannique de 1939 quant à
protégés par la Grande-Bretagne. la question de la souveraineté sur l’île de Janan. Comme elle
La Cour observe en outre qu e, s’il est exact qu’au cours l’a indiqué précédemment, aux termes de cette décision, le
de cette procédure les fonctionnaires britanniques chargés du Gouvernement britannique avait conclu que les îles Hawar
dossier sont partis de la prémisse que Bahreïn possédait «appart[enaient] à l’État de Bahreïn et non à l’État de
prima facie un titre sur les îles et que la charge de la preuve Qatar». Aucune mention n’était faite de l’île de Janan. Il

contraire reposait sur le souverain de Qatar, Qatar ne saurait n’était cependant pas précisé ce qu’il convenait d’entendre
soutenir qu’il ait été contraire à la justice de partir de cette par l’expression «îles Hawar». Les Parties ont dès lors
prémisse dans la mesure où il en avait été informé avant de longuement discuté de la question de savoir si Janan devait
consentir à la procédure et où il n’en a pas moins consenti à être regardée comme faisant partie des îles Hawar et si, par
ce qu’elle se déroule sur cette base. Au cours de ladite suite, elle relevait de la souveraineté bahreïnite en vertu de la
procédure, les deux souverains ont pu présenter leur décision de 1939 ou si, au contra ire, elle n’était pas couverte
argumentation et chacun d’entr e eux a disposé d’un temps par cette décision. À l’appui de leurs thèses respectives,

que la Cour estime suffisant à cet effet; la thèse de Qatar Qatar et Bahreïn ont invoqué des documents tant antérieurs

186que postérieurs à la décision britannique de 1939. Qatar s’est que la plupart des dispositions de la Convention de 1982 qui
en particulier fondé sur une «décision» du Gouvernement sont pertinentes en l’espèce reflètent le droit coutumier.

britannique de 1947 ayant trait à la délimitation des fonds
marins entre les deux États. Bahreïn arappelé qu’il avait Une limite maritime unique
soumis quatre listes au Gouvernement britannique en avril (par. 168 à 173)
1936, août 1937, mai 1938 etjuillet 1946, au sujet de la
composition des îles Hawar. La Cour note qu’aux termes de la « formule bahreïnite »,
adoptée en décembre 1990, les Pa rties l’ont priée « de tracer
La Cour constate qu’il n’y a pas identité entre les trois une limite maritime unique entre leurs zones maritimes
listes que Bahreïn, avant 1939, a soumises au Gouvernement respectives, comprenant les fonds marins, le sous-sol et les
britannique au sujet de la composition du groupe des Hawar. eaux surjacentes ».
En particulier, l’île de Janan ne figure nommément que sur
l’une de ces trois listes. Quant à la quatrième liste, différente La Cour observe qu’il ne faut pas oublier que le concept
elle-même des trois premières, elle mentionne expressément de «limite maritime unique » peut revêtir plusieurs
l’île de Janan, mais elle n’a été soumise au Gouvernement fonctions. Dans la présente affaire, la limite maritime unique
procédera de la délimitation de diverses juridictions. Dans la
britannique qu’en 1946, soit plusieurs années après partie méridionale de l’aire à délimiter, qui est située là où
l’adoption de la décision de 1939. Ainsi, aucune conclusion
certaine ne peut être tirée de ces différentes listes. les côtes des Parties se font face, la distance entre ces côtes
La Cour se penche ensuite sur les lettres adressées le n’est nulle part supérieure à 24milles marins. La limite que
23 décembre 1947 aux souverains de Qatar et de Bahreïn par la Cour aura à tracer délimitera donc exclusivement leur mer
l’agent politique britannique à Bahreïn. Par ces lettres, territoriale et, de ce fait, un espace sur lequel les Parties
exercent une souveraineté terr itoriale. Cependant, plus au
l’agent politique, agissant au nom du Gouvernement nord, là où les côtes des deux États ne se font plus face, mais
britannique, informait les deux États du partage de leurs sont plutôt comparables à des côtes adjacentes, la
fonds marins effectué par le Gouvernement britannique. Or,
ledit gouvernement, qui avait adopté la décision de 1939 délimitation à opérer sera une délimitation entre le plateau
relative aux îles Hawar, a entendu préciser, dans la dernière continental et la zone économique exclusive relevant de
phrase du paragraphe 4 ii) de ces lettres, que « l’île de Janan chacune des Parties, c’est-à-dire entre des espaces dans
lesquels ces États exercent seulement des droits souverains et
n’est pas considérée comme fa isant partie du groupe des des compétences fonctionnelles. Aussi les deux Parties ont-
Hawar». Le Gouvernement britannique, par voie de elles entendu distinguer un secteur sud et un secteur nord.
conséquence, n’a pas « reconnu » au cheikh de Bahreïn « des
droits souverains » sur cette île et, pour la détermination des La Cour observe de surcroît que le concept de limite
points fixés au paragraphe5 de ces lettres, comme pour maritime unique n’est pas issu du droit conventionnel
l’établissement de la carte jointe auxdites lettres, a regardé multilatéral mais de la pratique étatique et qu’il s’explique
Janan comme appartenant à Qatar. La Cour considère qu’en par le vŒu des États d’établir une limite ininterrompue
unique délimitant les différentes zones maritimes
procédant de la sorte, le Gouvernement britannique a fourni – coïncidant partiellement– qui relèvent de leur juridiction.
une interprétation faisant foi de la décision de 1939 et de la
situation en résultant. Compte tenu de l’ensemble de ce qui Dans le cas de zones de juridiction qui coïncident, la
précède, la Cour ne saurait accepter la thèse de Bahreïn selon détermination d’une ligne unique pour les différents objets
laquelle le Gouvernement britannique, en 1939, aurait de la délimitation
reconnu «la souveraineté de Bahreïn sur Janan en tant que ne saurait être effect uée que par l’application
partie intégrante des îles Hawar». Elle conclut que Qatar a d’uncritère ou d’une combinaison de critères qui ne
favorise pas l’un de ces… objets au détriment de l’autre
souveraineté sur l’île de Janan y inclus HaddJanan, sur la
base de la décision prise par le Gouvernement britannique en et soit en même temps susceptible de convenir également
1939, telle qu’interprétée en 1947. à une division de chacun d’eux »,
comme l’a relevé la Chambre constituée par la Cour dans
Délimitation maritime l’affaire du Golfe du Maine . Dans cette affaire, il avait été
demandé à la Chambre de tracer une ligne unique valant à la
(par. 166 à 251)
La Cour passe ensuite à l’examen de la question de la fois pour le plateau continental et la colonne d’eau
délimitation maritime. surjacente.

La Cour note tout d’abord que les Parties conviennent Délimitation de la mer territoriale
qu’elle doit se prononcer sur la délimitation maritime (par. 174 à 223)
conformément au droit international. Ni Bahreïn ni Qatar ne
sont parties aux Conventions de Genève sur le droit de la La délimitation des mers territoriales ne soulève pas de
mer du 29avril 1958; Bahreïn a ratifié la Convention des problèmes du genre de ceux auxquels était confrontée la
Chambre de la Cour dans l’affaire susmentionnée car les
NationsUnies sur le droit de la mer du 10décembre 1982,
mais Qatar l’a seulement signée. En conséquence, la Cour droits de l’État côtier dans la zone concernée ne sont pas
indique que c’est le droit international coutumier qui est le fonctionnels mais territoriaux et impliquent souveraineté sur
droit applicable. Cela étant, les deux Parties reconnaissent le fond de la mer, les eaux surjacentes et l’espace aérien

187surjacent. La Cour, pour s’acquitter de cet aspect de sa tâche, Les côtes pertinentes
doit donc appliquer d’abord et avant tout les principes et (par. 178 à 216)

règles du droit international coutumier qui ont trait à la La Cour indique qu’elle déterminera donc en premier lieu
délimitation de la mer territoriale, sans oublier que sa tâche les côtes pertinentes des Parties, à partir desquelles sera fixé
ultime consiste à tracer une limite maritime unique qui soit l’emplacement des lignes de base ainsi que des points de
valable aussi à d’autres fins. Les Parties conviennent que les
dispositions de l’article15 de la Convention de 1982 sur le base appropriés permettant de construire la ligne
droit de la mer qui est intitulé «Délimitation de la mer d’équidistance. Qatar a fait valoir qu’aux fins de la présente
territoriale entre États dont les côtes sont adjacentes ou se délimitation, la ligne d’équidistance devrait être construite
par application de la méthode de calcul de masse terrestre à
font face» font partie du droit coutumier. Cet article masse terrestre. Le concept de « masse terrestr»e
dispose : s’appliquerait tant à la péninsule de Qatar, à laquelle il
«Lorsque les côtes de deux États sont adjacentes ou
se font face, ni l’un ni l’autr e de ces États n’est en droit, conviendrait d’intégrer l’île principale du groupe des Hawar,
sauf accord contraire entre eux, d’étendre sa mer qu’à Bahreïn, pour lequel devraient être prises en
considération l’île Al-Awal (aussi appelée île de Bahreïn)
territoriale au-delà de la ligne médiane dont tous les ainsi que les îles Al-Muharraq et Sitrah. L’application de la
points sont équidistants des points les plus proches des méthode de calcul de masse terrestre à masse terrestre aurait
lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur deux conséquences principales. En premier lieu, elle aurait
de la mer territoriale de chacun des deux États. Cette pour effet de ne tenir aucun compte des îles (sous réserve des
disposition ne s’applique cependant pas dans le cas où,
en raison de l’existence de titres historiques ou d’autres îles précitées de Hawar du côté qatari et d’Al-Awal, d’Al-
circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter Muharraq et de Sitrah du côté bahreïnite), îlots, rochers,
récifs et hauts-fonds découvrants situés dans la zone
autrement la mer territoriale des deux États. » pertinente. En second lieu, selon Qatar, la mise en Œuvre de
La Cour note que l’article 15 de la Convention de 1982 la méthode de calcul de masse terrestre à masse terrestre
est pratiquement identique au paragraphe 1 de l’article 12 de impliquerait également que la ligne d’équidistance devrait
la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone être construite à partir de la laisse de haute mer.
contiguë, et doit être regard é comme possédant un caractère
Bahreïn a soutenu être de fa cto un État archipel ou un
coutumier. Il y est souvent fait référence comme à la règle État pluri-insulaire, caractérisé par une variété de formations
«équidistance/circonstances spéciales». La méthode la plus maritimes de nature et de dimensions diverses. Toutes ces
logique et la plus largement pratiquée consiste à tracer formations seraient étroitement liées entre elles et
d’abord à titre provisoire une ligne d’équidistance et à constitueraient ensemble l’État de Bahreïn; réduire cet État à
examiner ensuite si cette ligne doit être ajustée pour tenir
compte de l’existence de circonstances spéciales. La Cour un nombre limité d’îles prétendument « principales»
explique qu’une fois qu’elle aura délimité sur cette base les reviendrait à remodeler la nature et à refaire la géographie.
Puisque c’est la terre qui détermine les droits exercés en mer,
mers territoriales des Parties, elle déterminera quels sont les les points de base pertinents seraient situés sur l’ensemble de
règles et principes du droit coutumier à appliquer pour la ces formations maritimes, sur lesquelles Bahreïn a
délimitation de leurs plateaux continentaux et de leurs zones souveraineté. Bahreïn a également soutenu que, selon le droit
économiques exclusives ou de leurs zones de pêche. La Cour international conventionnel et coutumier, c’est la laisse de
décidera alors si la méthode à retenir pour opérer cette
délimitation est similaire à celle qui vient d’être décrite ou si basse mer qui est déterminante et sert pour calculer la largeur
elle est différente. de la mer territoriale et délimiter les eaux territoriales qui se
chevauchent. Bahreïn a enfin soutenu qu’en tant qu’État
archipel de facto, il est en droit de décl arer qu’il est un État
La ligne d’équidistance archipel au sens de la partie IV de la Convention de 1982 sur
(par. 177 à 216) le droit de la mer et de tracer les lignes de base autorisées par
l’article47 de cette convention, c’est-à-dire «des lignes de
La Cour rappelle tout d’abord que la ligne d’équidistance
est la ligne dont chaque point est équidistant des points les base archipélagiques droites reliant les points extrêmes des
plus proches des lignes de base à partir desquels la largeur de îles les plus éloignées et des récifs découvrants de
la mer territoriale de chacun des deux États est mesurée. l’archipel». Qatar a contesté la prétention de Bahreïn selon
Cette ligne ne peut être tracée que lorsque les lignes de base laquelle celui-ci serait en droit de se déclarer État archipel au
sens de la partie IV de la Convention de 1982.
sont connues. Ni l’une ni l’autre des Parties n’a encore
précisé quelles sont les lignes de base qui doivent être S’agissant de la prétention de Bahreïn, la Cour constate
utilisées aux fins de la détermination de la largeur de leur que Bahreïn n’a pas fait de celle-ci l’une de ses conclusions
mer territoriale; elles n’ont pas davantage produit de cartes formelles et que, partant, elle n’est pas priée de prendre
ou de cartes marines officielles où figuraient de telles lignes position sur cette question. En revanche, ce que la Cour est
de base. Ce n’est qu’au cours de la présente procédure appelée à faire, c’est tracer une limite maritime unique
qu’elles ont fourni à la Cour des points de base conformément au droit international. La Cour ne peut
procéder à cette délimitation qu’en appliquant les règles et
approximatifs que la Cour pourrait, à leur avis, utiliser pour
déterminer la limite maritime. principes du droit coutumier pertinents dans les

188circonstances actuelles. Elle so uligne que sa décision aura Qit’at Jaradah
force obligatoire pour les Parties en litige conformément à (par. 191 à 198)

l’Article59 du Statut de la Cour et ne saurait par suite être Les Parties ont également adopté des points de vue
remise en cause par l’action unilatérale de l’une ou l’autre diamétralement opposés sur la question de savoir si Qit’at
des Parties, et notamment par une décision éventuelle de Jaradah est une île ou un haut-fond découvrant. La Cour
Bahreïn de se proclamer État archipel.
La Cour s’attachera donc à déterminer les côtes rappelle qu’une île est définie en droit comme « une étendue
naturelle de terre entourée d’eau qui reste découverte à
pertinentes à partir desquelles la largeur de la mer territoriale marée haute» (art.10, par.1, de la Convention de 1958 sur
de chacune des Parties est mesu rée. Elle rappelle à cet égard la mer territoriale et la zone contiguë; art.121, par.1, de la
que, selon les règles de droit international applicables, la Convention de 1982 sur le droit de la mer). La Cour a
ligne de base normale à partir de laquelle est mesurée la examiné attentivement les éléments de preuve produits par
largeur de la mer territoriale est la laisse de basse mer le long
de la côte (art.5 de la Convention de 1982 sur le droit de la les Parties et évalué les conclusions des expertises
mer). susmentionnées, en particulier le fait que les experts de Qatar
eux-mêmes n’aient pas soutenu qu’il était scientifiquement
Dans des affaires antérieures, la Cour a dit clairement que prouvé que Qit’atJaradah soit un haut-fond découvrant. Sur
les droits sur la mer dérivent de la souveraineté de l’État ces bases, la Cour conclut que la formation maritime de
côtier sur la terre, principe qui peut être résumé comme suit : Qit’atJaradah répond aux cr itères énumérés ci-dessus et
« la terre domine la mer ». C’est donc la situation territoriale qu’il s’agit d’une île qui doit comme telle être prise en
terrestre qu’il faut prendre pour point de départ pour
déterminer les droits d’un État côtier en mer. Aux fins de considération aux fins du tracé de la ligne d’équidistance. En
l’espèce, compte tenu de la ta ille de Qit’atJaradah, les
déterminer quelles sont les côtes pertinentes de Bahreïn et les activités exercées par Bahreïn sur cette île peuvent être
lignes de base pertinentes du côté bahreïnite, la Cour doit considérées comme suffisantes po ur étayer sa revendication
d’abord établir quelles îles relèvent de la souveraineté selon laquelle celle-ci se trouve sous sa souveraineté.
bahreïnite. La Cour rappelle qu’elle a conclu que les îles
Hawar appartiennent à Bahreïn et que l’île de Janan
appartient à Qatar. Elle observe que d’autres îles qui peuvent Fasht ad Dibal
(par. 199 à 209)
être identifiées dans l’aire de délimitation, et qui sont
pertinentes aux fins de la délimitation dans le secteur sud, Les deux Parties conviennent que FashtadDibal est un
sont Jazirat Mashtan et UmmJalid qui, à marée haute, sont haut-fond découvrant. Mais alors que Qatar soutient, comme
des îles de très petites dimensions, mais qui, à marée basse, il l’a fait pour Qit’at Jaradah, que Fasht ad Dibal, en tant que
ont une surface beaucoup plus étendue. Bahreïn revendique haut-fond découvrant, ne saurait faire l’objet d’une
la souveraineté sur ces îles, et cette revendication n’est pas appropriation, Bahreïn prétend que les hauts-fonds
contestée par Qatar. découvrants, de par leur nature même, sont des territoires et
peuvent donc faire l’objet d’appropriation conformément aux

FashAtlzm critères applicables à l’acquisition de territoires: «[q]uelle
(par. 188 à 190) que soit leur situation, les hauts-fonds découvrants sont
toujours soumis au droit qui régit l’acquisition et la
Les Parties s’opposent en revanche sur le point de savoir conservation de la souveraineté territoriale, avec sa
si Fasht alAzm doit être réputé faire partie de l’île de Sitrah dialectique subtile du titre et des effectivités ».
ou s’il s’agit d’un haut-fond découvrant qui n’est pas
naturellement relié à l’île de Sitrah. En 1982, Bahreïn a La Cour observe que d’après les dispositions pertinentes
entrepris des travaux de terrassement pour la construction des conventions sur le droit de la mer, qui reflètent le droit
international coutumier, on entend par « hauts-fonds
d’une usine pétrochimique, travaux au cours desquels un découvrants» les élévations naturelles de terrain qui sont
chenal artificiel a été dragué , faisant communiquer les eaux entourées par la mer, découvertes à marée basse et
des deux côtés de FashtalAzm. Après avoir analysé recouvertes à marée haute (par .1 de l’article11 de la
attentivement les divers rapports, documents et cartes soumis Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone
par les Parties, la Cour a été dans l’incapacité d’établir s’il
existait ou non un passage séparant de façon permanente l’île contiguë; par.1 de l’article13 de la Convention de 1982 sur
de Sitrah de FashtalAzm av ant les travaux d’aménagement le droit de la mer). Lorsqu’un haut-fond découvrant est situé
dans la zone de chevauchement de la mer territoriale de deux
de 1982. Pour les raisons qui seront exposées ultérieurement, États, que leurs côtes soient adjacentes ou se fassent face, ces
la Cour n’en sera pas moins à même d’opérer la délimitation deux États ont, en principe, le droit d’utiliser la laisse de
sollicitée dans ce secteur, sans avoir à se prononcer sur la basse mer du haut-fond pour mesurer la largeur de leur mer
question de savoir si FashtalAzm doit être regardé comme territoriale. Le même haut-fond découvrant fait alors partie
faisant partie de l’île de Sitrah ou comme un haut-fond
découvrant. de la configuration côtière des deux États. Il en est ainsi

189même si ce haut-fond découvrant est plus proche de la côte Méthode des lignes de base droites
d’un État que de celle de l’autre, ou plus proche d’une île (par. 210 à 216)

appartenant à l’un que du territo ire principal de l’autre. Aux La Cour constate en outre que la méthode des lignes de
fins de la délimitation, les droits concurrents que les deux base droites, que Bahreïn a appliquée dans son
États côtiers tirent des dispositions pertinentes du droit de la argumentation et dans les cartes qu’il a fournies à la Cour,
mer semblent nécessairement devoir se neutraliser.
Toutefois, de l’avis de Bahreïn, ce sont les effectivités déroge aux règles normales de détermination des lignes de
présentées par les deux États côtiers qui déterminent lequel base, ne peut être appliquée que si plusieurs conditions sont
d’entre eux a un titre supérieur sur le haut-fond découvrant remplies. Cette méthode doit être appliquée de façon
restrictive. Pour l’essentiel, ces conditions sont les
en question et, par là même, lequel est habilité à exercer le suivantes: la côte doit être profondément échancrée et
droit que lui attribuent les dispositions pertinentes du droit de découpée ou bien il doit exister un chapelet d’îles le long de
la mer, tout comme dans le cas des îles qui sont situées dans
les limites de la mer territoriale de plus d’un État. De l’avis la côte, à proximité immédiate de celle-ci. Le fait qu’un État
de la Cour, la question décisive, aux fins de la présente se regarde comme un État pluri-in sulaire ou un État archipel
espèce, est de savoir si un État peut, par voie de facto ne l’autorise pas à s’ écarter des règles normales de
détermination des lignes de base, à moins que les conditions
d’appropriation, acquérir la souveraineté sur un haut-fond voulues soient remplies. Les côtes des îles principales de
découvrant situé dans les limites de sa mer territoriale Bahreïn ne sont pas profondément échancrées et d’ailleurs
lorsque le même haut-fond se situe également dans les Bahreïn ne l’a pas soutenu. En revanche, Bahreïn a fait
limites de la mer territoriale d’un autre État. Le droit
international conventionnel est muet sur la question de savoir valoir que les formations maritimes au large de la côte de ses
si les hauts-fonds découvrants peuvent être considérés îles principales pouvaient être assimilées à un chapelet d’îles
comme des «territoires». À la connaissance de la Cour, il formant un tout avec son territoire principal. La Cour ne
conteste pas que les formations maritimes situées à l’est des
n’existe pas non plus de pratique étatique uniforme et îles principales de Bahreïn font partie de la configuration
largement répandue qui aurait pu donner naissance à une géographique générale; ce serait néanmoins aller trop loin
règle coutumière autorisant ou excluant catégoriquement que de les qualifier de chapelet d’îles le long de la côte. La
l’appropriation des hauts-fonds découvrants. C’est seulement
dans le domaine du droit de la mer qu’un certain nombre de Cour conclut par conséquent que Bahreïn n’est pas fondé à
règles ouvrant des droits aux États ont été établies en ce qui appliquer la méthode des lignes de base droites. Chaque
concerne les hauts-fonds découvrants situés à une distance formation maritime aura ainsi son propre effet sur la
détermination des lignes de base, étant entendu que, pour les
relativement faible d’une côte. Les quelques règles existantes raisons ci-dessus exposées, le s hauts-fonds découvrants qui
ne justifient pas que l’on présume de façon générale que les se situent dans la zone de chevauchement des mers
hauts-fonds découvrants constituent des territoires au même territoriales ne seront pas pris en compte. C’est sur cette base
titre que les îles. Il n’a jamais été contesté que les îles
constituent de la terre ferme et qu’elles sont soumises aux que la ligne d’équidistance doit être tracée. La Cour note
règles et principes de l’acquisition territoriale; il existe en cependant que Fasht al Azm mérite une mention particulière.
revanche une importante différence entre les effets que le Si cette formation devait être regardée comme faisant partie
de l’île de Sitrah, les points de base servant à déterminer la
droit de la mer attribue aux îles et ceux qu’il attribue aux ligne d’équidistance seraient situés sur la laisse de basse mer
hauts-fonds découvrants. Il n’est donc pas établi qu’en orientale de FashtalAzm. Si cette formation ne devait pas
l’absence d’autres règles et principes juridiques, les hauts- être regardée comme faisant partie de l’île de Sitrah, Fasht al
fonds découvrants puissent, du point de vue de l’acquisition
de la souveraineté, être pleinement assimilés aux îles et Azm ne pourrait pas fournir de tels points de base. Comme la
autres territoires terrestres. À cet égard, la Cour rappelle la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si cette
règle selon laquelle les hauts-fonds découvrants situés au- formation fait ou non partie de l’île de Sitrah, elle tracera une
double ligne d’équidistance reflétant chacune de ces
delà des limites de la mer territoriale ne sont pas dotés d’une hypothèses.
mer territoriale propre. Ainsi, un haut-fond découvrant
n’engendre pas en tant que tel les mêmes droits qu’une île ou
un autre territoire. En conséquence, la Cour estime que rien Circonstance spéciales
ne permet en l’espèce de reconnaître à Bahreïn le droit (par. 217 à 223)
d’utiliser comme ligne de base la laisse de basse mer des
La Cour examine ensuite s’il existe des circonstances
hauts-fonds découvrants qui sont situés dans la zone de spéciales qui exigeraient d’aj uster la ligne d’équidistance
chevauchement ou d’accorder le même droit à Qatar. La tracée à titre provisoire afin d’obtenir un résultat équitable en
Cour conclut par suite que de tels hauts-fonds découvrants ne ce qui concerne cette partie de la limite maritime unique qui
doivent pas être pris en compte aux fins du tracé de la ligne doit être fixée.
d’équidistance.

190 S’agissant de Fasht alAzm, la Cour estime que, dans entre Qit’at Jaradah et Fasht ad Dibal, en laissant Qit’at
l’une comme dans l’autre des h ypothèses susvisées, il existe Jaradah du côté de Bahreïn et Fasht ad Dibal du côté de

ainsi des circonstances spéciales qui justifient le choix d’une Qatar.
ligne de délimitation passant entre Fasht al Azm et Qit’at ash S’agissant de la question de la navigation, la Cour note
Shajarah. S’agissant de Qit’at Jaradah, la Cour constate que que le chenal reliant les espaces maritimes de Qatar situés au
c’est une île très petite, inhabitée et totalement dépourvue de sud des îles Hawar et ceux situés au nord de ces îles est étroit
végétation. Cette île minuscule qui –comme la Cour l’a et peu profond et en conséquence peu propice à la
établi – se trouve sous la souver aineté de Bahreïn, se situe à
peu près à mi-chemin entre l’île principale de Bahreïn et la navigation. Elle souligne que, Bahreïn n’étant pas fondé à
appliquer la méthode des lignes de base droites, les eaux
péninsule de Qatar. De ce fait, utiliser sa laisse de basse mer s’étendant entre les îles Hawar et les autres îles bahreïnites
pour déterminer un point de base servant à construire la ligne constituent, non des eaux intérieures de Bahreïn, mais la mer
d’équidistance et retenir cette ligne comme ligne de territoriale de cet État. Par voie de conséquence, les navires
délimitation reviendrait à attribuer un effet disproportionné à de Qatar, comme d’ailleurs ceux de tous les autres États,
une formation maritime insignifiante. Aussi la Cour estime-t- jouissent dans ces eaux du droit de passage inoffensif
elle qu’il y a en l’espèce une circonstance spéciale qui
consacré par le droit international coutumier. De même, les
justifie le choix d’une ligne de délimitation passant navires de Bahreïn, comme d’ailleurs ceux de tous les autres
immédiatement à l’est de Qit’at Jaradah. États, jouissent dans la mer te rritoriale de Qatar de ce droit
La Cour a observé plus haut que, ne s’étant pas de passage inoffensif.
prononcée sur la question de savoir si Fasht al Azm fait
partie de l’île de Sitrah ou s’il s’agit d’un haut-fond
découvrant distinct, il convient de tracer à titre provisoire Délimitation du plateau continental et de la zone
économique exclusive
deux lignes d’équidistance. Si aucun effet n’est donné à (par. 224 à 249)
Qit’at Jaradah, et dans l’hypothèse où l’on considère que
Fasht al Azm fait partie de l’île de Sitrah, la ligne La Cour aborde ensuite le tracé de la limite maritime
d’équidistance ainsi ajustée coupe Fasht ad Dibal, laissant la unique dans la partie de la zone de délimitation qui couvre à
majeure partie de ce haut-fond du côté qatari. Si, en la fois le plateau continental et la zone économique
revanche, Fasht al Azm est regardé comme un haut-fond exclusive.
découvrant, la ligne d’équidistance ajustée passe à l’ouest de Invoquant sa propre juri sprudence sur le tracé d’une

Fasht adDibal. Compte tenu du fait que, dans ces deux limite maritime unique, la Cour indique qu’elle adoptera la
hypothèses, Fasht adDibal se trouve, dans une large mesure même démarche dans la présente espèce. Pour la délimitation
ou en totalité, du côté qatari de la ligne d’équidistance des zones maritimes au-delà de la zone des 12milles, elle
ajustée, la Cour considère qu’il convient de tracer la ligne de tracera d’abord, à titre provisoire, une ligne d’équidistance et
délimitation entre Qit’at Jaradah et Fasht adDibal. Comme examinera ensuite s’il existe des circonstances devant
Fasht ad Dibal est ainsi situé dans la mer territoriale de conduire à ajuster cette ligne. La Cour note en outre que la
règle de l’équidistance/circ onstances spéciales, qui est
Qatar, il relève pour ce motif de la souveraineté de cet État.
Se fondant sur ces considérations, la Cour se dit en applicable en particulier à la délimitation de la mer
mesure de déterminer le tracé de ce tronçon de la frontière territoriale, et la règle des pr incipes équitables/circonstances
maritime unique qui délimitera les mers territoriales des pertinentes, telle qu’elle s’est développée depuis 1958 dans
Parties. Elle relève toutefois auparavant qu’elle ne peut fixer la jurisprudence et la pratique des États quand il s’agit de
le point situé le plus au sud de cette frontière, car délimiter le plateau continental et la zone économique
exclusive, sont étroitement liées l’une à l’autre.
l’emplacement définitif de ce point est tributaire des limites
des zones maritimes respectives de l’Arabie saoudite et des La Cour examine ensuite s’il existe des circonstances qui
Parties. La Cour estime aussi qu’il y a lieu de simplifier, pourraient rendre nécessaire d’ajuster la ligne d’équidistance
comme il est de pratique co urante, ce qui serait autrement afin d’aboutir à un résultat équitable. S’agissant de la
une ligne de délimitation très complexe dans la région des revendication de Bahreïn concernant l’industrie perlière la
îles Hawar. Cour constate que celle-ci a effectivement disparu, et ce
depuis fort longtemps. Elle observe ensuite qu’il ressort
Compte tenu de tout ce qui pr écède, la Cour décide qu’à
partir du point d’intersection des limites maritimes clairement des éléments de preuve qui lui ont été présentés
respectives de l’Arabie saoudite d’une part et de Bahreïn et que la pêche aux huîtres perlières dans la région du Golfe
de Qatar de l’autre, qui ne peut être fixé, la frontière se était traditionnellement considérée comme un droit exercé en
dirigera dans une direction nord-est, puis obliquera commun par les populations riveraines. En conséquence, la
immédiatement en direction de l’est et passera ensuite entre Cour ne considère pas que l’existence de bancs d’huîtres
perlières, bien qu’exploités dans le passé de façon
Jazirat Hawar et Janan; elle s’infléchira plus loin vers le nord prédominante par des pêcheurs bahreïnites, constitue une
pour passer entre les îles Hawar et la péninsule de Qatar et
continuera en direction du nord, en laissant le haut-fond circonstance qui justifierait un déplacement vers l’est de la
découvrant de Fasht Bu Thur et Fasht alAzm du côté de ligne d’équidistance comme le demande Bahreïn.
Bahreïn et les hauts-fonds découvrants de Qita’a el Erge et La Cour estime qu’elle n’a pas à définir la valeur
de Qit’at ash Shajarah du côté de Qatar; enfin elle passera juridique de la «décision» contenue dans les lettres du

191 o o
23 décembre 1947 adressées aux souverains de Bahreïn et de 9 25 32’ 43" 50 47’ 46"
Qatar par l’agent politique britannique, en ce qui concerne la 10 25 o 32’ 6" 50 o 48’ 36"
division des fonds marins, que Qatar invoque comme o o
circonstance spéciale. Il luisuffit de noter qu’aucune des 11 25 32’ 40" 50 48’ 54"
12 25 o 32’ 55" 50 o 48’ 48"
Parties ne l’a acceptée comme ayant force obligatoire et o o
qu’elles n’en ont invoqué que certains éléments à l’appui de 13 25 33’ 44" 50 49’ 4"
leurs arguments. 14 25 o 33’ 49" 50 o 48’ 32"
15 25 o 34’ 33" 50 o 47’ 37"
Ayant décidé que Bahreïn avait souveraineté sur les îles o o
Hawar, la Cour dit que la différence de longueur entre les 16 25 35’ 33" 50 46’ 49"
façades côtières des Parties n’est pas de nature, comme le 17 25 o 37’ 21" 50 o 47’ 54"
prétend Qatar, à imposer d’ajuster la ligne d’équidistance. o o
18 25 37’ 45" 50 49’ 44"
La Cour rappelle enfin que, dans le secteur nord, les côtes 19 25 o 38’ 19" 50 o 50’ 22"
des Parties sont comparables à des côtes adjacentes bordant o o
les mêmes zones maritimes qui s’étendent vers le large dans 20 25 38’ 43" 50 50’ 26"
le Golfe. Les côtes septentrionales des territoires appartenant 21 25 o 39’ 31" 50 o 56’"
o o
aux Parties ne sont pas très différentes quant à leur caractère 22 25 40’ 10" 50 50’ 30"
ou à leur étendue; tant du côté de Qatar que de Bahreïn, le 23 25 o 41’ 27" 50 o 51’ 43"
relief est plat, marqué par une très légère déclivité. Le seul 24 25 o 42’ 27" 50 o 51’ 9"
élément remarquable est FashtalJarim, qui est comme un o o
25 25 44’ 7" 50 51’ 58"
saillant de la côte de Bahreïn s’avançant loin dans le Golfe, 26 25 o 44’ 58" 50 o 52’ 5"
et qui, s’il lui était reconnu un plein effet, « [ferait] dévier la o o
limite et produir[ait] des effets disproportionnés». De l’avis 27 25 45’ 35" 50 51’ 53"
de la Cour, une telle déviation, due à une formation maritime 28 25 o 46’ 0" 50 o 51’ 40"
o o
située très au large et dont, au plus, une partie infime serait 29 25 46’ 57" 50 51’ 23"
découverte à marée haute, n’ aboutirait pas à une solution 30 25 o 48’ 43" 50 o 50’ 32"
équitable qui tienne compte de tous les autres facteurs o o
pertinents indiqués ci-dessus. Dans les circonstances de 31 25 51’ 40" 50 49’ 53"
32 25 o 52’ 26" 50 o 49’ 12"
l’espèce, des considérations d’équité exigent de ne pas o o
donner d’effet à FashtalJarim aux fins de la détermination 33 25 o 53’ 42" 50 o 48’ 57"
de la ligne de délimitation dans le secteur nord. 34 26 0’ 40" 50 51’ 00"
La Cour décide par conséquent que la limite maritime 35 26 o 4’ 38" 50 o 54’ 27"
o o
unique dans ce secteur sera constituée en premier lieu par 36 26 11’ 2" 50 55’ 3"
une ligne qui, partant d’un point situé au nord-ouest de 37 26 o 15’ 55" 50 o 55’ 22"
Fasht ad Dibal, rejoindra la ligne d’équidistance ajustée pour o o
tenir compte de l’absence d’effet reconnu à Fasht al Jarim. 38 26 17’ 58" 50 55’ 58"
39 26 o 20’ 2" 50 o 57’ 16"
La limite suivra ensuite cette ligne d’équidistance ajustée o o
jusqu’à ce qu’elle rencontre la ligne de délimitation des 40 26 26’ 11" 50 59’ 12"
zones maritimes respectives de l’Iran d’une part et de 41 26 o 43’ 58" 51 o 3’ 16"
Bahreïn et de Qatar de l’autre. o o
42 27 2’ 0" 51 7’ 11"
La Cour conclut de tout ce qui précède que la limite
maritime unique divisant les différentes zones maritimes de En deçà du point 1, la lim ite maritime unique suivra, en
l’État de Qatar et de l’État de Bahreïn sera formée par une
série de lignes géodésiques reliant, dans l’ordre précisé, lesdirection du sod-ouest, une ligne loxodromique ayant un
azimut de 234 16’ 53", jusqu’à ce qu’elle rencontre la ligne
points ayant les coordonnées suivantes : de délimitation entre les zones maritimes respectives de
l’Arabie saoudite d’une part et de Bahreïn et de Qatar de
(Système géodésique mondial, 1984) l’autre. Au-delà du point 42, la ligne maritime unique suivra,

Point Latitude nord Longitude est en direction du nord-nord-est, une ligne loxodromique ayant
o o un azimut de 12 15’ 12", jusqu’à ce qu’elle rencontre la
1 25 34’ 34" 50 34’ 3" ligne de délimitation entre les zones maritimes respectives de
2 25 o 35’ 10" 50 o 34’ 48" l’Iran d’une part et de Bahreïn et de Qatar de l’autre. Le
o o o
3 25 34’53" 50 41’ 22" croquis n 7 joint à l’arrêt indique, à seules fins d’illustration,
4 25 o 34’ 50" 50 o 41’ 35" le tracé de cette limite.
o o
5 25 34’ 21" 50 44’ 5"
6 25 o 33’ 29" 50 o 45’ 49" Opinion individuelle du juge Oda
o o
7 25 32’ 49" 50 46’ 11" M.Oda a voté pour la délimitation d’une frontière
8 25 o 32’ 55" 50 o 46’ 48" maritime entre les Parties telle qu’elle a été opérée par la
Cour dans l’espoir que les Parties la trouveront mutuellement
192193acceptable en tant qu’États voisins entretenant des relations Délimitation maritime dans la région située entre le
amicales. M.Oda est néanmoins en désaccord avec les Groenland et Jan Mayen (1993), dans laquelle il expliquait

méthodes choisies par la Cour pour cette délimitation et que l’application de principes équitables donne la possibilité
n’approuve pas nonplus la décision de la Cour tendant à de choisir entre de multiples frontières possibles; la Cour
définir les coordonnées géographiques précises de cette devrait faire preuve de prudence et de retenue et s’abstenir
limite. C’est pourquoi il expose ses vues dans une opinion de manifester une précision injustifiée quand elle se
individuelle. prononce sur une frontière mar itime. Le tracé exact de la
frontière peut être confié à un groupe d’experts désignés
M.Oda note tout d’abord que la région de Zubarah conjointement par les parties à cette fin.
occupe une place qui est, d’un point de vue procédural,
distincte en la présente instance. Il est heureux de ce que la Après avoir relevé les failles que présente la démarche
Cour ait abouti à une décision unanime accordant à Qatar la de la Cour, M.Oda donne son point de vue personnel. Vu
souveraineté sur ce territoire. Ensuite, M.Oda constate que l’histoire politique de la région et l’importance qu’y revêt
l’exploitation de réserves pétrolières intervient à de l’exploitation pétrolière, M.Od a est d’avis que, dans cette
nombreux égards dans le différend, s’agissant notamment de affaire, il ne faudrait tracer de délimitation que pour les

la décision conjointe que les Parties ont prise (à travers leur plateaux continentaux et non po ur les mers territoriales.
compromis) de s’en remettre au sujet de certaines masses Après un examen approfondi de l’évolution du régime du
terrestres et formations maritimes à la compétence de la plateau continental (par référence à l’historique des
Cour, et des attentes des Parties en ce qui concerne le type négociations des dispositions pertinentes des Conventions
de frontière qu’elles espèrent que la Cour délimitera. de 1958 et 1982 sur le droit de la mer et aux conférences des
M.Oda s’attarde sur la décision de la Cour concernant Nations Unies où elles ont été élaborées), M.Oda dit à
nouveau qu’il préférerait un e solution équitable du
les hauts-fonds découvrants et les îlots. Il retrace en détail
l’histoire des négociations relatives au droit de la mer pour différend. Il fait observer qu’il adopte là la position qu’il a
faire ressortir en cette matière des nuances dont la Cour n’a toujours adoptée tout au long de sa carrière judiciaire,
pas entièrement tenu compte. Il relève notamment comme le montrent par exemple les déclarations qu’il a
l’incongruité qui existe entre l’élargissement de la mer faites en qualité de conseil de la République fédérale
territoriale, laquelle passe de 3 à 12 milles, et le régime d’Allemagne dans les affaires du Plateau continental de la
mer du Nord (1969). Il privilégie la modestie face à une
consistant à accorder aux ha uts-fonds découvrants comme situation géographiquement complexe et propose des
aux îlots une mer territoriale qui leur est propre. Qui plus
est, M. Oda est d’avis qu’un tel régime, que les dispositions principes à suivre aux fins de la délimitation sur la base
pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit d’une démarche macrogéographique. Pour préciser en quel
de la mer de 1982 ne traitent que de façon indirecte, pourrait sens il formule ces indications, M.Oda joint deuxcartes
ne pas être nécessairement considéré comme relevant du sous forme de croquis où est figurée «une ligne choisie
droit international coutumier. parmi les nombreuses lignes qu’il est raisonnablement
possible de proposer ».
M. Oda conteste l’utilisation par la Cour de l’expression
«limite maritime unique» et rappelle qu’il existe plusieurs
régimes s’appliquant à la zone économique exclusive et au Opinion dissidente commune
plateau continental d’une part, àla mer territoriale d’autre des juges Bedjaoui, Ranjeva et Koroma
part, de sorte qu’il n’est pas approprié de parler, comme le
fait la Cour, d’une «limite maritime unique». M.Oda En introduction à leur opinion, les juges Bedjaoui,
Ranjeva et Koroma, qui regrettent de n’avoir pas pu avoir
s’oppose également à la décision de la Cour tendant à d’autre choix que de se séparer de la majorité, soulignent
délimiter le secteur sud comme s’il s’agissait d’une mer l’ancienneté du différend, sa récurrence et les difficultés
territoriale. Il dit aussi que, même si la démarche adoptée particulières de l’affaire. Ils font appel aux Parties pour
par la Cour à l’égard du secteur sud est justifiée, la Cour
n’en interprète et applique pas moins à tort les règles et qu’elles tirent des inépuisables ressources que leur offre leur
principes qui régissent la mer territoriale. Sur ce point, génie commun la volonté de transcender leurs frustrations
par leur coopération.
M.Oda fait observer que la Cour emploie à tort la règle MM.Bedjaoui, Ranjeva et Ko roma espèrent à cet égard
«équidistance/circonstances spéciales» aux fins de la que le règlement judiciaire aura réuni toutes les conditions
délimitation de la mer territoriale alors que cette règle relève pour une acceptabilité sociale de ses solutions et pourra
du régime du plateau continental. M.Oda approuve la Cour
de vouloir tracer une frontière entre les plateaux ainsi pleinement exercer sa fonction apaisante et
continentaux dans le secteur nord, mais il estime que la pacificatrice.
Cour n’explique pas comme il se doit les méthodes par Passant à la question de la stratégie judiciaire respective
adoptée par chacune des deux Parties devant la Cour,
lesquelles elle aboutit au tracé de délimitation définitif dans MM.Bedjaoui, Ranjeva et Ko roma articulent toute la
ce secteur. Il finit de critiquer la démarche adoptée par la
Cour en l’affaire en indiquant qu’elle aurait dû définir les variété des moyens de droit déployés par elles et regrettent
principes auxquels obéirait le tr acé de la frontière maritime que la Cour se soit attachée à l’examen d’un seul d’entre
sans pour autant fixer les limites exactes de celle-ci. M. Oda eux, la décision britannique de 1939, qui a servi de base
rappelle à ce sujet son opinion individuelle en l’affaire de la quasi exclusive à l’arrêt de la Cour. MM. Bedjaoui, Ranjeva

194et Koroma craignent que la Cour n’offre dès lors Les coauteurs observent qu’après sa décision de 1939, le

aujourd’hui qu’un prononcé infra petita, pour avoir écarté Royaume-Uni a marqué quelques hésitations et formulé
tous les autres moyens de droit articulés par les Parties. De quelques doutes sur le bien-fondé de cette décision, au point
surcroît, la Cour a procédé à une analyse lacunaire et d’avoir accepté dans les années 60 que celle-ci fût
contestable de la décision britannique de 1939 sur le plan de réexaminée par une autorité, sans doute arbitrale, qualifiée
sa validité formelle. Certes MM.Bedjaoui, Ranjeva et de «neutre». À cela s’étaien t ajoutées les protestations
Koroma partagent l’avis de la Cour selon lequel cette persistantes et le refus d’acquiescement de Qatar tant à

décision de 1939 est une décision politique et non pas une ladite décision britannique de 1939 qu’aux actes consécutifs
sentence arbitrale qui serait revêtue de l’autorité de la chose d’occupation de Jazirat Hawar par Bahreïn. Cette conduite
jugée. Ils estiment aussi, comme la Cour, que la condition permanente de non-renonciation de Qatar, conjuguée avec la
première d’une validité de la décision de 1939 est le fragilité des effectivités dans les îles autres que celle-là,
consentement des Parties. Mais ils sont d’avis que les sont, selon les coauteurs, susceptibles d’empêcher la
circonstances de l’affaire et le contexte historique montrent formation d’un titre au profit de Bahreïn sur les Hawar.
à l’évidence que le consenteme nt donné par une Partie, qui L’arrêt aurait dû aussi tenir compte du non-respect du statu

devait être explicite, éclairé et libre comme pour toute quo territorial aussi bien pendant la période 1936-1939 de
affaire de contentieux territorial, a été entaché ici d’éléments préparation de la décision britannique finale, qu’au cours de
constitutifs d’un dol. la médiation saoudienne à compter de 1983 et depuis 1991
Aussi, en se limitant à l’examen de la validité purement que l’affaire est sub judice devant la Cour internationale de
formelle de la décision britannique de 1939, MM. Bedjaoui, Justice.

Ranjeva et Koroma concluent que cette décision est Force est de revenir, selon les coauteurs, au moyen de
impropre à servir de titre juridique valide pour une droit décisif que les deux Parties ont abondamment plaidé et
dévolution des îles Hawar. que la Cour a malheureusement écarté: il s’agit de la
Au surplus cette décision ne possédait aucun caractère recherche du titre historique sur les Hawar. Compte tenu de
la grande place que tiennent les faits historiques dans la
obligatoire pour les Parties car le consentement de l’une dynamique des controverses juridiques territoriales, le juge
d’elles, d’ailleurs vicié à la base, n’était qu’un consentement
à la procédure et nullement un consentement à la décision est chargé d’un devoir impératif, celui de relever le défi que
au fond. lui lance l’histoire, alors même qu’il n’est pas rompu à cette
Les coauteurs regrettent par ailleurs que la Cour se soit discipline. En droit international contemporain, il existe des
critères d’appréciation juridique des faits historiques. Or
abstenue d’examiner la validité substantielle de la décision l’arrêt de la Cour contient un exposé purement descriptif et
britannique de 1939, ce qui, selon eux, a empêché la Cour factuel du contexte historique de l’affaire, sans qu’on y
d’aller au bout de sa logique et de déboucher sur une
solution moyenne, ou « a minima », de partage des îles trouve une application des principes et règles juridiques qui
Hawar par la prise en compte des effectivités de Bahreïn. La encadrent les faits historiques. La seule fois où la Cour a
signification et l’interprétation de la formule bahreïnite procédé à la recherche du titre historique fut, selon les
doivent être dégagées de manière à restituer à cette formule coauteurs, pour la dévolution de Zubarah, ce qui rend plus
injustifiée l’abstention de le faire pour la question des
sa cohérence interne. Au passage, les coauteurs relèvent Hawar dans laquelle cette recherche historique s’imposait
qu’il existe une incompatibilité certaine entre l’application
de la formule bahreïnite à l’espèce et l’application du davantage. e
principe de l’uti possidetis juris quelaCouraeuraison La présence britannique dans le Golfe aux XIX et
d’écarter en cette affaire. Mais la question des effectivités, XX e siècles avait eu pour cons équence juridique la création
que la Cour a cherché à éviter d’examiner, devait de deux entités distinctes l’une de l’autre, Bahreïn et Qatar,
à partir du dernier tiers du XIX siècle. Ainsi s’était
inévitablement resurgir du fait même du choix du moyen de
droit tiré de l’existence de la décision de 1939. L’examen de progressivement formé et consolidé le titre historique des
la validité substantielle de celle-ci aurait en effet entraîné la Al-Thani sur la presqu’île de Qatar et ses adjacences
Cour dans l’examen des effectivités, car le rapport naturelles.
Weightman qui est à la base de cette décision britannique Après quoi, la pénétration ottomane à Qatar, à partir de
justifie la dévolution de la grande île des Hawar («Jazirat 1871 et jusqu’en 1914, a eu des conséquences juridiques qui

Hawar») sur la base des effectivités, et l’attribution des ont définitivement établi le titre historique de la dynastie des
autres îles de Hawar sur celle d’une simple présomption Al-Thani sur Qatar. La conduite du Royaume-Uni est une
d’effectivités. À cet égard les coauteurs de l’opinion reconnaissance explicite de la perte de tout titre de Bahreïn
dissidente relèvent l’existence d’une contradiction interne sur quelque partie que ce soit de Qatar, y compris sur les îles
dans le rapport Weightman et d’un double standard ou d’un Hawar. Cette conduite britannique s’était conjuguée avec
«deux poids, deux mesures» dans l’application que le celle de Bahreïn dont le long silence d’acquiescement

même rapport fait du principe de proximité. En fin de marqua la perte de son titre, ainsi qu’avec celle toute inverse
compte l’arrêt de la Cour se distingue par un prononcé des cheikhs successifs de Qatar qui développèrent leur
« ultra petita» sur la base d’effectivités limitées à «Jazirat autorité sur toute la péninsule qatarie. Tout cela se traduisit
Hawar» et totalement absentes dans les autres îles et îlots dans des traités.
de l’archipel des Hawar.

195 Les Conventions anglo-ottomanes de 1913 et 1914, les (Botswana/Namibie), se devait de considérer également
Traités anglo-saoudiens de 1915 et 1927, et surtout l’Accord comme un élément de règlement du fond du litige la

entre le Royaume-Uni et Qatar de 1916, montrent en toute conclusion d’un accord entre les deux Parties assurant
clarté que Qatar a établi prog ressivement depuis 1868 sur l’enclavement juridique des îles Hawar avec un régime de
l’ensemble de la péninsule, ses adjacences incluses, un titre « servitude internationale ».
historique que l’Accord anglo-qatari a fait définitivement En deuxième lieu, la méthode de construction de la ligne
consolider. médiane provisoire a égalemen t été critiquée par les trois

Selon les coauteurs, la rencontre entre l’histoire et le juges comme contraire aux principes de base de la
droit, dans son interprétation juridique, se conjugue aussi en délimitation. La terre ferme doit être prise en compte à titre
l’espèce avec la rencontre entre la géographie et le droit, essentiel dans l’adage «la terre domine la mer», et les
pour servir de contre-épreuve à l’existence d’un titre valide circonstances spéciales ne sa uraient entrer prématurément
et certain de Qatar sur les Hawar. La question de proximité en ligne de compte pour le tracé de la ligne médiane
géographique a donné naissance à un concept juridique qu’il provisoire et théorique. Le droit ne prescrit pas que les
serait hasardeux d’ignorer. La notion de «distance» a reçu lignes et points de base qui servent à la délimitation soient

diverses traductions juridiques dans le droit international les mêmes que ceux utilisés pour la fixation des limites
moderne de la mer. Parmi elles, figure l’établissement d’une extérieures des espaces vers le large. Cette interprétation du
forte présomption juridique d’appartenance à l’État côtier de droit a été celle qui a prév alu dans les travaux des
toutes les îles situées dans ses eaux territoriales. La question conférences sur le droit de la mer, contrairement à la
de l’intégrité territoriale de l’ État côtier méritait, selon les position de la Commission de droit international. La
coauteurs, plus d’attention de la Cour. La solution pour une jurisprudence s’est écartée des tendances qui prescrivaient
dévolution juridiquement irréprochable des îles Hawar ne une interprétation favorable au dédoublement fonctionnel.

pouvait à cet égard faire de dout e et le droit se serait trouvé La Cour, contrairement à la pr ésente décision, a toujours
en parfaite harmonie tant avec l’histoire qu’avec la préconisé le choix de points équitables pour que la méthode
géographie. du tracé et le résultat fussent équitables. «L’effet équitable
MMB . edjaoui, Ranjeva et Koroma regrettent par d’une ligne d’équidistance dé pend de la précaution qu’on
ailleurs le silence de l’arrêt sur le dossier cartographique. aura pris d’éliminer l’effet exagéré de certains îlots, rochers
ou légers saillants des côtes.» ( C.I.J. Recueil 1985, p.48,
S’il est exact que le matéri au cartographique tient une par.64). Il s’agit d’une règle générale qui s’applique
placetoute relative dans l’administration de la preuve, il
n’en reste pas moins que les cartes demeurent l’expression également au calcul de la lig ne d’équidistance dans la
ou le reflet de l’état de l’opinion publique générale et de la délimitation de la mer territoriale. Il est en effet étrange que
réputation. À cet égard, le volumineux dossier ce ne soit pas la terre ferme qui domine la mer mais des
cartographique produit par Qatar et enrichi par le fait de formations maritimes tout à fait insignifiantes (comme
l’universalité dans l’espace et de la diversité dans le temps Umm Jalid par exemple) dont les assises manquent
précisément de fermeté.
de ses cartes, ajouté aux cartes britanniques du War Office
qui possèdent une crédibilité particulière, vient confirmer le En troisième lieu , la qualification juridique de Qit’at
titre historique de Qatar sur les Hawar, tout comme le font Jaradah ne recueille pas le sou tien des coauteurs, en raison
aussi les nombreux documents historiques qui établissent les des caractéristiques géophysiques de cette formation. La
assiettes territoriales respectives des deux Parties. problématique de l’île s’articule autour de considérations
Sur la délimitation maritime, les coauteurs ont focalisé hydrographiques (la marée haute) et géomorphologiques
(étendue naturelle de terre). Selon une jurisprudence
leurs observations critiques sur quatre points. En premier
lieu, l’arrêt statue infra petita, selon MM. Bedjaoui, Ranjeva ancienne, l’affaire de l’ Anna, l’origine de la terre serait
et Koroma, eu égard à la form ule bahreïnite appliquée au indifférente pour la qualifica tion de la formation d’une île.
tracé de la ligne maritime unique, que l’arrêt qualifie de Mais depuis l’adoption dans la Convention de Genève de
ligne unique multifonctionnelle. Le recours à la technique 1958 de l’insertion de l’adjectif «naturel», la conception a
de l’énumération des zones à délimiter répond à un double changé: la formation affleura nte doit être une étendue qui
soit de constitution autre que des rochers ou des atolls, la
objectif: énoncer les zones à délimiter et affirmer la Convention de MontegoBay prévoyant pour les deltas une
distinction de chaque zone par rapport aux autres en raison
de sa propre cohérence juridique; il revenait dès lors à la mention pour les terres non fermes de ces configurations.
Cour de s’assurer de la cohé rence du résultat obtenu sur Aussi la formation Qit’at Jaradah ne satisfait pas aux
l’ensemble de l’espace maritime délimité. conditions de l’article121 du Tr aité de 1982 sur le droit de
Ce test de cohérence s’imposait en raison de la portée de la mer. Par ailleurs, les auteurs contestent l’attribution à
Bahreïn de cette île, plus proche des côtes de Qatar que de
l’attribution des îles Hawar à Bahreïn : la confirmation dans Bahreïn, selon les calculs effectués par l’hydrographe
le dispositif du droit de passage inoffensif dans les eaux désigné par la Cour.
territoriales de Bahreïn est insuffisante. De l’avis des
coauteurs de cette opinion dissidente, il ne faut pas sous- Cette anomalie est aggravée par l’attribution d’un effet
estimer les risques de conflits liés à la mise en Œuvre du de 500mètres à Qit’atJaradah, alors même que la Cour
droit de passage inoffensif. Bien que non saisie du avait décidé de la priver de tout effet et de tracer la ligne de
problème, la Cour, comme dans l’affaire de Kasikili/Sedudu délimitation de façon strictement tangentielle à

196Qit’atJaradah. Cette attribution d’effet n’est pas sans et artificieuse au détriment des droits des peuples. Enfin, le
conséquences distordantes dans la partie septentrionale de la principe de l’uti possidetis juris s’applique aux frontières de

ligne. deux États «globalement» prises, alors qu’ici, c’est le
Cette situation est de plus aggravée du fait que la Cour a détail d’un texte qui est soumis à l’examen de la Cour.
établi la ligne unique de délimitation maritime sur la base de Ainsi, MM.Bedjaoui, Ranjeva et Koroma ont été amenés à
deux cartes contradictoires, un e américaine pour le secteur se livrer à un examen critique de la validité du texte de 1939
sud de la ligne et une britannique pour le secteur nord. Cette mesurée à l’aune des normes internationales contemporaines
et des méthodes modernes d’interprétation.
double position de la Cour laisse quelque peu perplexe,
alors qu’il eût été plus normal que la Cour fît référence à
une carte unique pour établir l’ensemble de la ligne et Déclaration du juge Herczegh
qu’elle le fît en choisissant précisément la carte la plus
récente offrant les données les mieux actualisées. Telle était Dans sa déclaration, M.Herczegh souligne l’importance
la carte britannique établie en 1994 par l’amirauté de la du point 2 b) du dispositif, dans lequel la Cour a rappelé que
puissance protectrice de la région pendant longtemps et, de les navires de l’État de Qatar jouissent dans la mer
territoriale de Bahreïn séparant les îles Hawar des autres îles
ce fait, assez bien informée de la situation. Cette carte bahreïnites du droit de passage inoffensif. Ce rappel opéré
bathymétrique anglaise fait bien apparaître quant à elle la au point2 b) lui a permis de voter en faveur du point 6 du
continuité géographique entre les Hawar et Qatar, qui sont
d’un seul tenant et qui ensemble constituent la presqu’île dispositif définissant la limite maritime unique divisant les
qatarie. Mais en choisissant de se référer plutôt à la carte espaces maritimes entre les deux États Parties au différend.
américaine pour ce secteur sud de la ligne unique à établir,
la Cour ne pouvait qu’arbitrairement représenter la laisse de Déclaration du juge Vereshchetin

basse mer dans ledit secteur sud, faisant ainsi craindre une Dans sa déclaration, M. Vereshchetin expose brièvement
mauvaise lisibilité de la décision et surtout le risque réel les motifs qui l’ont empêché de faire siennes les conclusions
d’une amputation du territoire de Qatar proprement dit. auxquelles la Cour est parvenue sur la situation juridique
C’est pourquoi le choix de la carte la moins appropriée des îles Hawar et de la formation maritime de Qit’at
pour le sud laisse des doutes sérieux non seulement sur
Jaradah. Celle qui concerne les îles Hawar repose
l’équité, mais encore sur la simple exactitude, de la ligne exclusivement sur la décision de 1939 rendue par l’ancienne
obtenue. Faute de choisir la carte anglaise, il eût mieux valu «puissance protectrice». Ce qui implique que la Cour voit
que l’arrêt ne prenne pas la responsabilité d’une erreur de dans la décision britannique de 1939 une sorte de règlement
tracé et invite plutôt les Parties à négocier ce tracé sur la juridiquement obligatoire par tierce partie d’un conflit
base d’indications de la Cour. territorial entre deux États souverains. Et ce qui implique
Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, aussi que les deux États placés sous la protection

MM. Bedjaoui, Ranjeva et Koroma regrettent de ne pouvoir britannique à l’époque considérée ont pu exprimer– et ont
endosser la responsabilité d’une possible amputation du effectivement exprimé– libreme nt leur volonté souveraine
territoire de Qatar. d’être juridiquement liés par la décision britannique. Et la
Enfin, MM. Bedjaoui, Ranjeva et Koroma regrettent que « tierce partie » chargée de statuer doit, pour sa part, être
le vote des membres de la Cour ne se soit pas fait sur la base présumée neutre et impartiale. Or, pour M.Vereshchetin,
aucune des conditions préalables susvisées qui permettraient
d’une division en deux parties de la ligne maritime unique à la Cour de confirmer la validité formelle de la décision de
finale, compte tenu des démarches des Parties et de la
dévolution des îles Hawar à Bahreïn qu’ils ne pouvaient 1939 ne sont réunies dans le contexte de la «relation
accepter. La partie septentrionale leur paraissait au spéciale» existant à l’époque considérée entre les «États
contraire, et dans l’ensemble, susceptible de recueillir leur protégés » et l’« État protecteur ».
accord même si son tracé pouv ait être amélioré par une Le doute que suscite inévitablement la validité formelle
petite translation vers l’ouest. de la décision de 1939, surtout dans un contexte politique et

En conclusion, MM.Bedj aoui, Ranjeva et Koroma juridique totalement nouveau, faisait obligation à la Cour
partagent les analyses de la Cour sur l’inapplicabilité du d’en réexaminer le fondement juridique. En s’abstenant de
principe de l’uti possidetis juris auquel ils sont attachés en rechercher si la décision de 1939 était bien fondée en droit
tant que représentants des différents systèmes juridiques du et de la corriger le cas échéant, la Cour a manqué à
continent africain. Mais ils observent qu’en l’espèce, on ne l’obligation qui est la sienne de tenir compte de tous les
éléments nécessaires pour stat uer sur la situation juridique
pouvait pas parler de successi on d’États en l’absence de des îles Hawar.
création d’un nouveau sujet de droit international. Par
ailleurs, de simples raisons d’éthique juridique leur Quant au statut juridique de Qit’at Jaradah,
prescrivaient le rejet de l’application de ce principe en MV. ereshchetin estime que cette formation maritime
raison des véritables motifs de la décision de 1939: «le minuscule, dont l’aspect physique ne cesse de changer, ne
pétrole domine la terre et la mer», leur a semblé être sa saurait être considérée comme une île au sens de la
devise favorite. Dès lors toute construction juridique Convention de 1982 sur le droit de la mer. Il s’agit plutôt
d’un haut-fond découvrant qui appartiendra à Qatar ou à
articulée autour de cette idée ne pouvait être qu’artificielle

197Bahreïn selon qu’il se trouve dans la mer territoriale du questions territoriales qui divisaient les Parties (Zubarah, les

premier ou du deuxième. Partant, l’attribution de Qit’at îles Hawar, Janan) bien qu’il ait voté pour les paragraphes
Jaradah n’aurait dû se faire qu’après la délimitation des du dispositif de l’arrêt concernant la souveraineté sur
mers territoriales des Parties et non avant. Zubarah et les îles Hawar, n’exprimant une opinion
dissidente qu’à l’égard de Janan.
Déclaration du juge Higgins Il se dissocie toutefois du raisonnement que la Cour fait

La souveraineté sur Janan, de l’avis de M me Higgins, sien sur ces trois questions car il estime que celle-ci a suivi
appartient à Bahreïn pour les motifs qu’ont développés une démarche excessivement formaliste en se fondant
principalement sur la position adoptée par l’ancienne
MM. Kooijmans et Fortier. Aussi a-t-elle voté contre le puissance protectrice (la Grande-Bretagne) et non pas sur
paragraphe3 du dispositif. Mais comme la Cour a dit que les règles et principes matériels du droit international, en
Qatar a souveraineté sur Janan et parce qu’elle est d’accord particulier ceux relatifs à l’acquisition de territoires.
de façon générale avec le tracé de la ligne de délimitation
établi par l’arrêt, elle a voté pour le paragraphe 6. M.Kooijmans commence par brosser un tableau de la
situation politique et juridique dans la région du Golfe au
La Cour, si elle l’avait voulu, aurait pu aussi fonder le XIX e siècle et au début du XX esiècle. Les États n’y
titre de Bahreïn aux îlesHawar sur le droit applicable en constituaient pas encore à cette époque des entités
matière d’acquisition territoriale. Certains des actes souveraines dotées d’une assise territoriale. Ce n’est
accomplis aux îlesHawar étaien t en effet pertinents pour
l’établissement du titre juridique. Ces effectivités étaient qu’avec la découverte du pétrole que sont apparus le besoin
tout aussi nombreuses que celles sur le fondement de frontières clairement définies et la notion de juridiction
exclusive sur un territoire donné.
desquelles un titre a été reconnu dans d’autres affaires. Il vaut la peine de relever que la nature juridique des
Même si Qatar avait étendu sa propre souveraineté à la relations existant entre la principale puissance occidentale
côte de la péninsule faisant face aux îlesHawar à l’époque
de ces premières effectivités, on n’a pas relevé à son actif dans la région, la Grande-Bretagne, et les souverains locaux,
d’effectivités comparables dans ces îles. qui a été consacrée dans un certain nombre de traités
conclus de bonne heure, est demeurée inchangée après que
Ces éléments suffisent à réfuter toute présomption de la possibilité d’exploiter des ressources naturelles eut pris
titre en faveur de l’État côtier. une grande importance. Les principautés locales ne
devinrent pas des colonies mais demeurèrent des entités
Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
juridiques indépendantes même si l’autorité politique de la
Bien qu’ayant voté pour le dispositif de l’arrêt, M. Parra- puissance protectrice pouvait s’être affermie.
Aranguren indique que son suffrage ne signifie pas qu’il Pour M.Kooijmans, par conséquent, le principe ou la
règle de l’ uti possidetis juris , invoqué par Bahreïn, ne
partage en tous points les motifs qui ont conduit la Cour à sa trouve pas à s’appliquer en l’ espèce. Il est essentiel à cet
conclusion. Notamment, il juge inutile l’alinéa b du
paragraphe2 du dispositif et précise, pour éviter tout égard de déterminer s’il y a a) transfert de souveraineté d’un
malentendu, qu’il estime que Qatar jouit du droit de passage État à un autre État à la suite de quoi b) des limites
inoffensif que le droit international coutumier reconnaît administratives deviennent des frontières internationales.
dans toute la mer territoriale relevant de la souveraineté de Aucun de ces critères n’est satisfait en l’espèce. Lorsque
la puissance protectrice a réglé les questions territoriales,
Bahreïn. Par ailleurs, M.Parr a-Aranguren explique qu’il a
voté pour le paragraphe 4 du dispositif parce qu’il souscrit à elle l’a fait en fixant des frontières internationales entre les
la ligne de délimitation maritime entre Qatar et Bahreïn deux entités avec lesquelles elle avait des relations
décrite au paragraphe6 du dispositif. Selon lui, le forage conventionnelles.
d’un puits artésien, invoqué par Bahreïn pour démontrer sa Or les traités en question ne conféraient pas à la
souveraineté sur Quit’at Jaradah, ne saurait être qualifié puissance protectrice le droit de fixer unilatéralement les
d’acte de souveraineté. Pas plus que ne sauraient être
frontières des émirats ou de trancher des questions de
qualifiés d’actes de souveraineté les prétendus actes de souveraineté territoriale. Elle ne pouvait le faire qu’avec le
souveraineté sur le haut-fond découvrant de Fasht ad Dibal, consentement des souverains locaux.
à savoir la construction d’aides à la navigation et le forage M.Kooijmans se dit fondamentalement en désaccord
d’un puits artésien. En consé quence, il n’est pas nécessaire, avec la Cour lorsque celle-ci affirme que la décision prise en
à son avis, de se prononcer, comme on le fait dans l’arrêt,
sur la question de savoir si, aux fins d’établir la 1939 par le Gouvernement britannique d’attribuer les îles
Hawar à Bahreïn l’a été à la suite de la mise en place d’un
souveraineté, les hauts-fonds découvrants peuvent être mécanisme de règlement des différends que le souverain de
pleinement assimilés à des îles ou à d’autres territoires Qatar avait accepté librement le moment voulu. Celui-ci n’a
terrestres. nullement donné son consentement et il n’y a eu non plus ni
acceptation ni acquiescement de sa part par la suite. La

Opinion individuelle du juge Kooijmans décision britannique n’a par conséquent en soi aucune
Dans son opinion individuelle, M.Kooijmans se dit en valeur juridique. Toutes les questions territoriales, et non
désaccord avec le volet de l’arrêt de la Cour portant sur les pas seulement celle concernant Zubarah au sujet de laquelle

198la puissance protectrice ne s’est pas prononcée La souveraineté sur l’île de Janan soulève une question
officiellement, doivent être résolues à la lumière des distincte uniquement parce que le Gouvernement

principes généraux du droit international. britannique l’avait exclue du groupe des Hawar dans la
Quant au différend visant Zubarah, celui-ci remonte au décision qu’il a rendue en 19 47 sur le partage des fonds
XIX esiècle, époque à laquelle les loyautés tribales jouaient marins entre les Parties. Les faits démontrent toutefois
un rôle plus important que les revendications territoriales. clairement que les deux Parties ainsi que la puissance
Bahreïn fonde principalement sa revendication sur des droits protectrice considéraient, lorsque s’est élevé le différend au
sujet des îles Hawar, que Janan faisait partie du groupe des
historiques et les liens d’allégeance existant entre lui et la Hawar. Il n’en a pas été non plus question dans la décision
tribu des Naim (ou une branche de celle-ci).
Les liens d’allégeance qui ont pu exister entre le de 1939. Étant donné que la décision de 1947 a une valeur
souverain de Bahreïn et certaines tribus dans la région sont juridique incertaine et ne saurait être regardée comme
insuffisants pour établir un lien de souveraineté territoriale attributive de droits souverai ns, Janan doit être considérée
(affaire du Sahara occidental). On peut par contre constater comme faisant partie des îles Hawar sur lesquelles Bahreïn
exerçait déjà sa souveraineté à l’époque de la décision de
que Qatar a progressivement réussi à consolider son autorité 1947. C’est ce qui a conduit M. Kooijmans à voter contre le
sur la région.
Certains éléments donnent par ailleurs à penser que paragraphe du dispositif dans lequel la Cour dit que Qatar a
Bahreïn a acquiescé par son comportement à cet état souveraineté sur Janan. La limite maritime unique devrait
dechoses avant de réactiver le différend au cours de par conséquent passer entre Janan et la péninsule de Qatar et
e non entre l’île Hawar et Janan.
ladeuxième moitié du XX siècle. Aussi M. Kooijmans
pense-t-il, tout comme la Cour, que Zubarah relève de Qatar Opinion individuelle du juge Al-Khasawneh
même s’il estime que la Cour s’est trop fondée sur la
position adoptée par la Grande-Bretagne et l’Empire M.Al-Khasawneh a voté avec la majorité sur les
ottoman. questions territoriales, c’est-à-dire Zubarah et les îles
Quant aux îles Hawar, Qatar fonde sa revendication sur
Hawar, mais, pour ce qui concerne ces dernières, il reproche
le titre originaire reconnu par la Grande-Bretagne (et les à la Cour de se fonder ex clusivement sur la décision
Ottomans) ainsi que sur le principe de proximité ou de britannique de 1939 consid érée «comme une décision
contiguïté, ces îles étant en effet situées à proximité de la politique valable qui lie les Parties». À son avis, cette
côte de la péninsule et faisant partie de celle-ci du point de approche est trop restrictive et formaliste à l’excès. En
vue géographique. Selon M.Kooijmans, ce serait un outre, on est raisonnablement fondé, estime-t-il, à conserver
anachronisme que d’interpréter l’Accord conclu en 1868 par des doutes sur la réalité du consentement de Qatar quand on

la Grande-Bretagne avec le chef de Doha comme conférant se replace dans le cadre d’une situation de fait marquée par
à ce dernier un titre sur l’ensemble de la péninsule de Qatar. le contrôle quasi total des Britanniques sur Bahreïn et Qatar.
Quant au principe de contiguïté, il s’agit en droit En outre, les accusations form ulées par Qatar pour qui
international d’une simple présomption réfragable qui doit certains fonctionnaires britanniques manifestaient des
céder devant une prétention supérieure. «préjugés» et pratiquaient le «jugement par anticipation»
Bahreïn invoque les liens d’allégeance qui l’unissaient n’ont pas reçu de réponse adéquate dans l’arrêt. Pour
M. Al-Khasawneh, il n’est pas non plus justifié de s’abstenir
de longue date aux Dowasir de Hawar, tribu qui avait établi
son domicile principal sur l’île de Bahreïn proprement dite, totalement d’évoquer le droit positif dans la partie de l’arrêt
ainsi qu’un certain nombre d’effectivités qui constitueraient consacrée aux îles Hawar.
une manifestation authentique de l’exercice de son autorité. La Cour aurait dû, pour fonder plus solidement sa
S’il est vraisemblable que des liens ont existé entre les position, explorer d’autres voie s de motivation, qui sont en
l’occurrence celles de l’uti possidetis, du titre historique ou
habitants des îles Hawar et Bahreïn, il est moins certain
qu’ils aient pris la forme de liens d’«allégeance» vis-à-vis originaire, des effectivités et du concept de la proximité
du souverain de Bahreïn. On ne saurait non plus interpréter géographique.
les effectivités invoquées par Bahreïn comme prouvant des En ce qui concerne le principe uti possidetis juris ,
manifestations continues d’autorité. Mais comme Qatar n’a M. Al-Khasawneh conclut qu’il est inapplicable parce que le
pas fait valoir la moindre effectivité, l’observation de la Gouvernement britannique, à la différence de la Royauté
Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire du espagnole en Amérique latine, n’avait pas acquis de titre de

Statut juridique du Groenland oriental , selon laquelle les souveraineté. En outre, la doctrine du droit intertemporel
tribunaux n’ont pas souvent exigé de nombreuses milite contre le principe. En règle générale, s’en remettre
manifestations d’un exercice de droits souverains pourvu trop facilement à ce principe est préjudiciable à d’autres
que l’autre État en cause ne pût faire valoir une prétention principes juridiques, comme le droit à l’autodétermination
supérieure, demeure également applicable en l’espèce. par exemple, et peut porter atteinte à la vraie fonction des
Les îles Hawar doivent par conséquent être considérées juridictions internationales, qui consiste à remédier aux
illégalités là où elles se produisent et non pas simplement à
comme relevant de Bahreïn et la décision britannique de
1939 comme étant intrinsèquement exacte. déclarer – afin d’éviter les conflits– qu’une situation

199territoriale préexistante est légale sans qu’on s’intéresse au territoriale de Bahreïn séparant les îles Hawar des autres îles
titre ni à certains autres critères juridiquement pertinents. bahreïnites du droit de passage inoffensif consacré par le

Reconnaissant qu’il est difficile d’établir un titre droit international coutumier, de sorte que ce droit de l’État
originaire, la difficulté tenant en partie aux limites de Qatar revêt désormais l’autorité de la chose jugée
intrinsèques de toute recherche historique et en partie au peu impartie au présent arrêt.
d’information disponible sur la question cruciale de T.outefois, Mo.rres Bernárdez se trouve
l’étendue du territoire qatari, M.Al-Khasawneh estime malheureusement dans l’impossibilité de souscrire aux

néanmoins que certains faits historiques ressortent assez conclusions de la majorité en ce qui concerne la
nettement du contexte. Il apparaît notamment que les souveraineté sur les îles Hawar et Qit’atJaradah, c’est-à-
cheikhs bahreïnites ont exercé un contrôle considérable sur dire de souscrire aux paragraphes2 a) et4 du dispositif,
les affaires de la péninsule qatarie jusqu’en1868. Soutenir pour les motifs qu’il expose dans son opinion. Sur ces deux
que l’indépendance de Qatar remonte à cette date (qui est questions territoriales, les conclusions de MT. orres
celle à laquelle Mohammad Al-Khalifah fut puni par les Bernárdez sont très exactement à l’opposé de celles de la
Britanniques) est toutefois très exagéré, car le fait que les majorité.

Britanniques ont traité dire ctement avec les cheikhs de 3. M. Torres Bernárdez a également voté contre l’ensemble
Qatar ne crée pas en soi de titre. En outre, Qatar était du paragraphe6 du dispositif de l’arrêt concernant la limite
territoire ottoman. La véritable date de l’indépendance maritime unique mais il l’a fait pour des raisons de
qatarie est 1913, date à laquelle les Ottomans ont conclu un procédure, le vote par division n’étant pas autorisé. Sur ce
traité avec la Grande-Bretagne. Pourtant, même alors, on ne second point, il regrette également de ne pouvoir souscrire
sait pas bien quelle étendue de territoire était soumise à la
domination des Al-Thani. Bahreïn a prétendu être l’auteur aux vues de la majorité mais sa position en la matière n’a
rien à voir avec les conclusions formulées dans l’arrêt au
d’un certain nombre d’effectivités sur les îles Hawar; sujet des questions territoriales. En fait, M. orres
certaines sont modestes et n’ont pas beaucoup de valeur Bernárdez accepte, parce qu’il s’inscrit dans les paramètres
probante. Les effectivités datant de la période1872-1913 d’une solution équitable, le tracé de la délimitation maritime
sont néanmoins importantes car personne alors ne peut unique depuis Qita’a elErge jusqu’au tout dernier point de
douter que la domination ottomane s’étende à l’intégralité la ligne situé dans le secteur nord des Parties, précisément
de la péninsule. Le fait que les Ottomans ont consenti à ces
effectivités montre que s’ils ne reconnaissaient aucune sous l’effet des conclusions formulées dans l’arrêt au sujet
des questions territoriales. Mais M.Torres Bernárdez ne
souveraineté territoriale bahreïnite sur la masse terrestre de peut pas accepter que, dans l’espace maritime des îles
Qatar, les Ottomans estimaient néanmoins que le souverain Hawar – îles qui deviennent des îles côtières étrangères
de Bahreïn avait des droits de propriété sur les îles situées le sous l’effet de l’arrêt– la délimitation soit opérée par
long de la côte occidentale de Qatar. Bahreïn a fait la preuve application de la «méthode de la semi-enclave» en faveur
d’effectivités supplémentaires jusqu’en 1936. Quand la du souverain lointain et ne soit pas opérée suivant les
portée spatiale du titre n’est pas claire, ces effectivités
méthodes parfaitement équitables retenues dans ce type de
jouent un rôle essentiel en permettant d’interpréter la portée situations, c’est-à-dire la « méthode de l’enclave » en faveur
dont il s’agit. Les effectivités en question sont peu du souverain riverain ou une solution de rechange à même
nombreuses, mais Qatar n’a pas pu citer d’effectivités d’opérer une délimitation maritime équitable dans l’espace
comparables, et aucune d’ailleurs qui concerne les îles. considéré.
Voilà pourquoi M.Al-Khasawneh s’est finalement rallié
aux vues de la majorité. 4. Pour M. Torres Bernárdez, les conclusions de la majorité
sur les questions visées aux paragraphes2 et3 ci-dessus:
1)ne reconnaissent pas que le titre originaire de l’État de
Opinion dissidente de M. Torres Bernárdez, Qatar sur l’intégralité de la péninsule et de ses îles proches
juge ad hoc est parfaitement établi à l’époque 1913-1915 sous l’effet
d’un processus de consolidation historique et de
1. M. Torres Bernárdez a voté pour les paragraphes 1, 2 b), reconnaissance générale; 2)font de la «décision» adoptée
3 et 5 du dispositif de l’arrêt. Dans ces paragraphes, la Cour
dit que l’État de Qatar a souveraineté sur Zubarah et sur l’île par les Britanniques en 1939 au sujet des îles Hawar la
de Janan, y compris HaddJanan, et que le haut-fond source d’un titre dérivé de Bahreïn qui est supérieur au titre
découvrant de Fasht ad Dibal relève de la souveraineté de originaire de Qatar, bien que ladite « décision » soit dans la
l’État de Qatar. En outre, la limite maritime unique qui est forme comme au fond nulle en droit international et bien
que les îles Hawar – qui font géographiquement partie de la
adoptée: i)place ég alement sous la souveraineté de l’État côte occidentale de la péninsule de Qatar– entrent dans le
de Qatar les hauts-fonds découvrants de Qit’atashShajarah champ du titre originaire de l’État de Qatar et soient situées
et Qit’a el Erge; et ii) laisse à l’État de Qatar la plus grande
partie du plateau continental et des eaux surjacentes du dans la mer territoriale créée par la côte occidentale de
secteur nord de la délimitation maritime qui était en litige Qatar; 3)qualifient d’île une formation maritime comme
entre les Parties avec ses ressources biologiques et non Qit’atJaradah et acceptent qu ’une telle formation maritime
biologiques. Enfin, le dispositif de l’arrêt nous rappelle que puisse faire l’objet d’appropri ation au même titre qu’une
étendue de terre ferme sous l’effet de prétendues
les navires de l’État de Qatar jouissent dans la mer « activités » bahreïnites ne correspondant pas à des actes

200accomplis par l’État de Bahreïn à titre de souverain; et 4) ne 8. M.Torres Bernárdez souligne aussi que la Grande-
tiennent pas compte, lors de la délimitation maritime, de la Bretagne protège Bahreïn dans les îles de Bahreïn et il met

situation géographique/politique découlant de l’attribution en évidence l’importance que revêt à cet égard notamment
des îles Hawar à l’État de Bahreïn; cette «circonstance l’Accord de1861 conclu entre la Grande-Bretagne et
spéciale » majeure (superveniens) aurait dû être prise en Bahreïn; il rappelle aussi qu’en1867 le souverain de
considération pour que l’on puisse résoudre équitablement Bahreïn a attaqué les Qataris par la mer (Doha fut détruite)
le problème de la délimitation dans la zone des îles Hawar et que les Britanniques sont intervenus pour mettre fin aux
en équilibrant les intérêts en jeu grâce à la méthode de hostilités qui ont ensuite mis aux prises les Bahreïnites et les
l’enclave évoquée plus haut, en définissant une aire de mer Qataris, hostilités qualifiées de «guerre» dans certains

territoriale commune ou bien en adoptant d’autres mesures documents britanniques de l’époque. Ces événements se
de caractère territorial. soldent par les accords conclu s en1868 par la Grande-
Bretagne avec le nouveau souverain Al-Khalifah de Bahreïn
* et avec le chef Al-Thani de Gutter. L’arrivée des Ottomans à
Qatar troisans plus tard, en1871, est le second événement
5. En ce qui concerne l’ aspect territorial de l’espèce , historique qui, avec les Accords de1868 va, d’après
M. Torres Bernárdez rappelle que la géographie politique et
la géographique physique ne coïncident pas nécessairement. M. Torres Bernárdez, déterminer la portée à attribuer
Puis il examine au fond les prétentions de chacune des ultérieurement au titre originaire de souveraineté sur le
Parties quand elles soutiennent détenir un titre originaire territoire de Qatar et celui de Bahreïn.
sur les territoires en litige. M. Torres Bernárdez analyse en 9. En fait, pour M.Torres Bernárdez, le processus de
consolidation et de reconnaissance du titre originaire de
premier le titre originaire concernant l’ensemble du souveraineté des souverains Al-Thani sur l’intégralité de la
territoire de chacune des Parties, puis il étudie en second
lieu quelle portée a ce titre quant aux territoires particuliers péninsule de Qatar et de ses îles adjacentes a commencé
qui sont en litige, c’est-à-dire Zubarah, les îles Hawar et précisément quelques années avant1868. Le comportement
l’île de Janan. Comme les deux États parties sont le produit de la Grande-Bretagne et de Bahreïn respectivement face à
d’une évolution historique, M.Torres Bernárdez souligne l’arrivée des Ottomans à Qatar est très révélateur à cet
que la consolidation historique et la reconnaissance égard. Les Ottomans ont organisé Qatar comme une unité
administrative, comme une kaza de l’Empire ottoman et ont
générale sont un mode d’acquisition d’un titre originaire de désigné comme kaimakam le chef de Qatar qui était un Al-
souveraineté sur un territoire déterminé.
6. M.Torres Bernárdez rappelle les origines des familles Thani. C’est ainsi que pendant la période ottomane les chefs
dirigeantes de Qatar et de Bahreïn, l’installation des Al- de Qatar ont progressivement assuré leur autorité effective
Khalifah sur l’île de Bahreïn en 1783 et les effets juridiques sur les tribus et le territoire qataris en tirant parti de leur
double qualité de chef de Qatar et de kaimakam de la kaza
consécutifs à cette installation en matière de souveraineté ottomane de Qatar. Et le comportement de la Grande-
territoriale après 17ans passés à Zubarah, c’est-à-dire Bretagne vis-à-vis du chef Al-Thani de Qatar pendant cette
l’absence de corpus possesionis chez les Al-Khalifah sur la
péninsule de Qatar et ses îles adjacentes, ainsi que les effets période ottomane a favorisé le développement de cette
de l’installation des Al-Thani dans la région de Doha pour autorité effective. La Grande-Bretagne n’a nullement
l’établissement et la consolidation de leur titre originaire sur contesté la présence de l’Empire ottoman sur la péninsule de
toute la péninsule de Qatar et ses îles adjacentes. Qatar mais a continué de traiter directement avec le chef Al-
Thani de Qatar, particulièrement pour tout ce qui concernait
7. M.Torres Bernárdez fait observer que les Al-Thani et le maintien de la paix en mer. En revanche, l’autorité
les Al-Khalifah n’ont pas été les seuls protagonistes à se effective des Al-Khalifah qui était souverain de Bahreïn sur
doter progressivement d’un titre originaire de souveraineté
territoriale : d’autres protagonistes sont également le plan territorial était limitée aux îles de Bahreïn
intervenus sur la scène politique du Golfe à partir des proprement dites sous l’effet des obligations
dernières décennies du XVIII esiècle, la Perse, Mascate, conventionnelles qu’ ils avaient contractées auprès de la
Grande-Bretagne. En tout état de cause, les Al-Khalifah
Oman et, en particulier, les Wahhabis. Mais les événeeents n’ont exercé ni directement ni indirectement aucune autorité
historiques qui ont le plus compté datent du XIX siècle. Il effective sur la péninsule de Qatar et ses îles proches
s’agit tout d’abord de la présence dans le Golfe de la pendant toute la période ottomane de Qatar qui a duré
Grande-Bretagne dont le rôle , en ce qui concerne le
maintien de la paix en mer, devient alors primordial et il jusqu’en 1915, c’est-à-dire pendant 44 ans environ.
s’agit ensuite de l’implantation de l’ancien Empireottoman
*
sur la masse terrestre de la péninsule arabique, y compris 10. n1873, Bahreïn a présenté aux Britanniques sa
Qatar, de1871 à 1915. Pour M.Torres Bernárdez, la
rupture du lien historique entre Bahreïn et Qatar se situe première revendication sur Zubarah en prétendant avoir des
vers1868-1871. En tout état de cause, les tribus qataries droits mal définis dans la région et en invoquant des liens
cessent de verser en1872 le tribut commun ( zakat) dû par d’allégeance entre les Al-Khalifah et la tribu des Naim. Les
les Bahreïnites et les Qataris à l’émir wahhabite. Britanniques ont rejeté cette demande en la qualifiant

201d’infondée et ont continué de rejeter les revendications reconnus par les puissances au début du XX esiècle. Le titre
ultérieures des Bahreïnites sur Zubarah, y compris en 1937. originaire sur le territoire de l’État de Qatar est en outre

En fait, Zubarah faisait partie de la kaza de Qatar où le chef confirmé par la commune renommée telle que celle-ci
de Qatar et les Ottomans exer çaient une autorité effective s’exprime dans l’abondante collection de cartes officielles et
comme le prouvent des pièces documentaires versées au non officielles présentées à la Cour comme éléments de
dossier. La Grande-Bretagne reconnaissait cette situation preuve, notamment la carte figurant à l’annexeV de la
que les souverains de Bahreïn ont eux-mêmes admise Convention anglo-ottomane de 1913 et les cartes officielles
d’ailleurs à certaines occasions. Les Britanniques se britanniques telles que la carte de 1920 concernant la
souciaient de préserver la paix en mer et d’assurer la négociation du Traité de paix de Lausanne. Il y a lieu de

sécurité des îles de Bahreïn, ce qui explique que, depuis les signaler aussi la carte de 1923 signée par Holmes agissant
Accords de 1868, ils considéraient la mer entre Bahreïn et la au nom de la BAPCO, etc.
péninsule de Qatar comme une zone tampon entre les deux 13.En outre, entre 1916 et 1936, les représentants de la
pays. Grande-Bretagne ont agi comme si le souverain Al-Thani
11À. l’opposé pourrait-on dire des revendications était le chef de l’ensemble de Qatar, par exemple lors des

formulées par Bahreïn sur Zubarah, les souverains Al- négociations aboutissant à la première concession pétrolière
Khalifah ont attendu 1936 pour présenter pour la première de Qatar en 1935. De surcroît, pendant cette période, le
fois par écrit aux Britanniques une revendication sur les îles souverain de Qatar a continué d’exercer normalement son
Hawar et sur l’ île de Janan . Cette première revendication autorité effective sur l’ensemble du territoire de Qatar y
est datée d’avril 1936. Le silence prolongé de Bahreïn sur compris les îles Hawar, comme le prouve le fait que les
les îles Hawar et sur l’île de Janan, y compris au moment Britanniques ont demandé au souverain de Qatar
même où le titre originaire du chef Al-Thani de Qatar avait l’autorisation de faire procéder par la RAF à un levé aérien

été historiquement consolid é et fait l’objet d’une du territoire de Qatar et que le souverain de Qatar a donné
reconnaissance générale, ne peut pas être totalement son consentement à cette opération. Tous les éléments de
dépourvu d’effets juridiques en droit international. Bahreïn preuve britanniques pertinents, rapports, documents et cartes
avait eu l’occasion de revendiquer les îles en question. Par officielles, concernant la période 1916-1936 confirment la
exemple, au moment où le ma jor Prideaux s’est rendu en conclusion à laquelle il faut aboutir qui est que les îles
1909 en visite à Zakhnuniyah et à JaziratHawar, Bahreïn a Hawar et l’île de Janan faisaient partie du territoire de Qatar
revendiqué Zakhnuniyah mais non pas JaziratHawar ( qui et étaient donc des îles relevant de la souveraineté de l’État

taceret consentire videtur). Pour M.TorresBernárdez, cela de Qatar.
veut dire que la revendication bahreïnite de 1936 sur les îles
en question est un peu tardive au regard du droit *
international et, en tout état de cause, ne pourrait pas avoir
d’effet rétroactif à l’encontre de la consolidation historique 14.Le comportement de la Grande-Bretagne pendant la
et de la reconnaissance générale du titre originaire de Qatar période ottomane face à la présence de l’Empire ottoman sur
la péninsule de Qatar ainsi que le comportement des
qui était d’ores et déjà fermement établi avant 1936. souverains Al-Khalifah de Bahreïn eux-mêmes pendant la
12.La définition de Bent qui date de 1889 ainsi que d’autres même période ont contribué à consolider le titre originaire
descriptions britanniques de « Bahreïn » et le témoignage de du chef Al-Thani de Qatar sur l’ensemble de la péninsule. À
1908, qui fait autorité, de Lorimer tel qu’il fut approuvé par cette époque, le territoire bahreïnite était défini par toutes
le Résident politique britannique Prideaux ne font que
rendre compte des réalités territoriales dans la région, c’est- les grandes puissances présentes dans la région (la Grande-
Bretagne, l’Empire ottoman, la Perse) comme étant
à-dire du titre originaire dont Qatar jouit sur l’intégralité de composé exclusivement de l’archipel des îles de Bahreïn à
la péninsule ainsi que les îles Hawar et l’île de Janan proprement parler, en l’absence de toute dépendance
adjacentes. Cet état de choses procède également de la bahreïnite sur la péninsule de Qatar et les îles adjacentes. Le
présomption du droit international en faveur des îles situées fait que, en opposition flagrante avec le cas de Zubarah, la
dans la mer territoriale d’un État (voir la première sentence toute première revendication bahreïnite sur les îles Hawar
rendue par le tribunal arbitral dans le litige
Érythrée/Yémen), et du rôle que joue la proximité ou la date de 1936, est éloquent. En droit international, cela veut
obligatoirement dire que les souverains de Bahreïn
contiguïté dans l’établissement d’un titre de souveraineté sur acceptaient la situation territori ale existant dans la région.
les îles côtières, dont la «doctrine du portique» définie par La souveraineté territorial e correspond aussi à des
LordStowell en1805. Il en va de même pour la obligations et en premier lieu à l’obligation d’adopter une
jurisprudence de la Cour permanente (affaire du Statut attitude vigilante vis-à-vis de tout empiétement éventuel par
juridique du Groenland oriental et de l’arbitrage de l’ Île de des États tiers sur son propre territoire ou sur ce que l’on
Palmas). Les articles11, 12 et 13 de la Convention anglo-
considère ou que l’on revendique comme son propre
ottomane de 1913 et les cartes qui lui étaient annexées – la territoire. L’autorité ottomane et qatarie sur l’ensemble de la
Convention anglo-ottomane de 1914– le Traité anglo- péninsule est en tout état de cause reconnue par la
saoudien de 1915 et le Traité anglo-qatari de 1916 sont documentation contemporaine dont la Cour est saisie et
autant d’instruments conventionnels qui rendent comptent confirmée par les éléments de preuve cartographiques
de la portée des titres originaires de Qatar et de Bahreïn évoqués ci-dessus.

20215.Jusqu’en 1937 Bahreïn n’était pas présent sur les îles 18.En outre, au-delà du comportement des Parties et de la
Hawar et jusqu’en 1936 ne revendiquait même pas ces îles Grande-Bretagne, il faut aussi, bien entendu, considérer le

comme faisant partie de son te rritoire. Étant adjacentes à la droit international. S’agissant d’îles, le droit international
péninsule de Qatar, les îles Hawar relevaient du titre que le énonce une règle générale sous la forme d’une présomption
chef de Qatar détenait sur l’ensemble de la péninsule. Les suivant laquelle la souveraineté sur les îles situées
articles rédigés en 1907-1908 par Lorimer sur la principauté totalement ou partiellement dans la mer territoriale d’un État
de Bahreïn et sur Qatar, revisés et confirmés par Prideaux, déterminé appartient audit État à moins qu’un État tiers ne
le Résident politique britannique dans le Golfe, prouvent démontre solidement le contraire. C’est cette règle qu’un
clairement qu’au début du XX esiècle les îles Hawar étaient tribunal arbitral a récemment appliquée à certains groupes

considérées par toutes les personnes les plus directement d’îles dans la mer Rouge (affaire Érythrée/Yémen). La
intéressées comme faisant partie du territoire du chef de plupart des îles Hawar étaient dans les années 1930
Qatar, autrement dit qu’elles étaient territoire qatari. Le totalement ou partiellement situées dans la mer territoriale
dossier ne contient aucune protestation ni revendication du de Qatar qui mesurait alors troismilles marins et elles sont
souverain de Bahreïn à l’encontre de la situation territoriale toutes aujourd’hui intégralement situées dans la mer
existant aux îles Hawar jusqu’en 1936-1939. territoriale de Qatar qui mesure désormais douzemilles. En

16.En outre, les Conventions anglo-ottomanes de 1913- tant que présomption juris tantum, cette norme est aussi un
1914 ont bien traduit sous forme conventionnelle élément d’interprétation du texte de certains engagements
l’interprétation de la Grande-Bretagne et de l’Empire conventionnels pertinents, comme les Accords Pelly
ottoman pour qui le titre territorial du chef de Qatar de1868, les Conventions anglo-ottomanes de 1913 et 1914
s’étendait à la « péninsule de Qatar » dans son ensemble. Le et le Traité de 1916 conclu entre la Grande-Bretagne et
chef de Qatar était censé gouverner l’ensemble de ladite Qatar.

péninsule comme dans le passé et la Grande-Bretagne disait 19.Dans les circonstances de l’espèce, cela permet de
qu’il fallait bien comprendre qu’elle ne permettrait pas au définir avec une plus grande précision la portée territoriale
cheikh de Bahreïn d’intervenir dans les affaires intérieures du titre originaire de Qatar tel que celui-ci est établi sous
de Qatar, de mettre en danger l’autonomie de la région ni l’effet de la consolidation historique et de la commune
de l’annexer. On ne peut guère dire plus clairement que renommée. La norme fondée par exemple sur les critères de
Bahreïn n’avait aucun titre territorial sur la péninsule de proximité et de sécurité éta it en vigueur bien avant les
Qatar et que, par conséquent, Bahreïn n’en avait pas non années 1930 et est d’ailleurs toujours en vigueur. En outre,

plus sur les îles adjacentes et les eaux territoriales. De plus, comme il s’agit d’une présomption qui crée un droit, ladite
la Convention anglo-ottomane de 1913 ne reconnaissait norme est subordonnée au prin cipe du droit intertemporel
aucun droit en faveur des sujets bahreïnites sur les îles suivant lequel la manifestation continue du droit en question
Hawar alors que c’était le cas pour l’île de Zakhnuniyah. Le obéit aux conditions imposées par l’évolution juridique.
Traité anglo-qatari de 1916 ne contient rien que l’on puisse C’est-à-dire que, le droit international autorisant désormais
interpréter comme un changement de position de la part de à donner à la mer territoriale la largeur d’une ceinture

la Grande-Bretagne quant à l’étendue du titre territorial du côtière de douzemilles, la présomption de souveraineté
chef Al-Thani ou souverain de Qatar. Les éléments de s’étend aux îles situées au-delà de la mer territoriale de
preuve conventionnels confirment par conséquent la douzemilles de l’État côtier intéressé. C’est ainsi que la
situation territoriale préexistan te et font aussi échec à la sentence arbitrale rendue en 1998 dans l’affaire
thèse de Bahreïn quand ce dernier soutient détenir un titre Érythrée/Yémen interprète et applique ladite présomption.
originaire sur les îles Hawar. 20.Cette présomption correspond à une norme logique et

17.La commune renommée dont se fait l’écho la masse raisonnable qui, tout comme d’autres, vise à faciliter dans la
d’éléments de preuve cartographiques dont la Cour est saisie pratique l’application du prin cipe de possession effective
corrobore sans laisser planer le moindre doute raisonnable (sous la forme d’une possession présumée) à des situations
l’existence du titre originaire de Qatar sur les îles Hawar. Le concrètes particulières par rapport à un critère géographique
comportement adopté par Qatar à la suite du Traité anglo- objectif tout en préservant la possibilité pour un État tiers de
qatari signé en 1916 confirme également que le chef de faire solidement la preuve du contraire. Autrement dit,
Qatar exerçait une autorité effective sur l’ensemble de la s’agissant de la présente espèce, la norme présume que les

péninsule et de ses îles adjacentes, les Hawar et Janan îles Hawar et l’île de Janan sont possessions de Qatar sauf si
comprises. Il en va de même pour le comportement de la Bahreïn est en mesure de prouver parfaitement le contraire.
Grande-Bretagne et de Qatar jusqu’à la période 1936-1939. Or, c’est précisément ce que Bahreïn n’a pas prouvé en la
Il n’y eut aucune effectivité étatique de Bahreïn sur les îles présente espèce pour les îles Hawar et l’île de Janan.
Hawar avant l’occupation clandestine de la principale île
Hawar en 1937. Mais à cette époque, le titre originaire de *

Qatar sur les îles Hawar était déjà parfaitement consolidé et 21.M.Torres Bernárdez en te rmine avec l’examen de la
généralement reconnu conformément aux normes adoptées question du titre originaire en indiquant en conclusion que
par les tribunaux internationaux saisis de différends en Qatar détient le titre originaire sur les territoires en litige,
matière d’attribution de souveraineté. c’est-à-dire Zubarah, les îles Hawar et l’île de Janan et que,

203par conséquent, en l’absence d’un titre dérivé de Bahreïn régit en droit international le consentement à tous les types
qui soit meilleur que le titre originaire ou supérieur à ce de règlement pacifique, que le règlement finalement retenu

titre, Qatar a la souveraineté sur Zubarah, sur les îles Hawar ait ou non force obligatoire.
et sur l’île de Janan. Les conclusions formulées dans l’arrêt 24.Les deux principales raisons pour lesquelles M.Torres
sur Zubarah et sur l’ île de Janan coïncident avec celles de Bernárdez ne peut pas accepter la conclusion de la majorité
M.Torres Bernárdez. Mais les conclusions ne coïncident en ce qui concerne la «décision» britannique de 1939 ont
pas en ce qui concerne les îles Hawar, puisque la majorité un caractère encore plus nettement fondamental. Ces motifs
estime que c’est Bahreïn qui a souveraineté sur ces îles.
M. Torres Bernárdez se demande donc si l’on peut dire que ont trait à la validité du consentement à la procédure
britannique de 1938-1939 dont on a établi qu’il a été donné
Bahreïn a sur les îles Hawar un titre dérivé qui est meilleur par le souverain de Qatar, d’une part, et de l’autre, à la
ou supérieur et il commence par examiner la « décision » validité en droit international de la «décision» britannique
britannique de 1939 relative aux îles Hawar que Bahreïn de 1939 elle-même. S’agissant du premier point, le
invoque parce que la majorité fonde en fait sur ladite consentement du souverain de Qatar tel qu’il aurait été
«décision» la conclusion qu’elle formule au sujet des îles. donné n’était pas un consentement à une procédure
Tout en souscrivant à la conclusion de l’arrêt quand celui-ci
constructive donné librement, en connaissance de cause.
dit que la «décision» britannique n’est pas une sentence Pour M.Torres Bernárdez, les éléments de preuve dont la
arbitrale internationale revêtant l’autorité de la chose jugée, Cour est saisie montrent que ce consentement a été vicié
M.Torres Bernárdez s’écarte de la majorité quand celle-ci sous l’effet de l’erreur provoquée, d’un comportement
dit que cette « décision » britannique de 1939 est néanmoins frauduleux et de la contrainte. La mauvaise foi de l’agent
une décision qui avait en 1939 et qui a toujours force politique britannique, Weightman, qui participait aux
obligatoire dans les relations entre les Parties à la présente négociations avec le souverain de Qatar, est manifeste et
espèce.
quand Weightman a pris l’engagement que le
22.Pour M.Torres Bernárdez, la conclusion de la majorité Gouvernement britannique se prononcerait « dans un esprit
est totalement erronée en droit, difficile à expliquer au de vérité et de justice », il n’avait pas l’intention de
regard des éléments de preuve soumis par les Parties et sa respecter sa promesse et il ne l’a pas respectée. En ce qui
motivation n’est pas très solide. Comme la question concerne le second point, c’est-à-dire la validité de la
juridique à résoudre ici est celle du consentement à la décision britannique de 1939 elle-même, MT .orres
procédure britannique de 1938-1939 concernant les îles Bernárdez estime pour les motifs qu’il expose dans son

Hawar, M. Torres Bernárdez commence par faire valoir que opinion que ladite «décision» est nulle en droit
le consentement à une certaine procédure n’est pas un international à la fois pour des raisons de forme et pour des
consentement dont il est possi ble d’établir l’existence ou raisons de fond. Il est donc totalement injustifié à son avis
dont il faut établir l’existence in abstracto. Il faut le situer que, dans les circonstances de l’espèce, cette «décision»
dans le contexte particulier où ce prétendu consentement a britannique de 1939 soit la source d’un titre dérivé de
été donné. À ce sujet, M.To rres Bernárdez note qu’en Bahreïn sur les îles Hawar.

établissant quels sont les effets juridiques à attribuer à la *
«décision» britannique de 1939, la Cour, dans les motifs
exposés dans l’arrêt, ne prend pas en considération certains 25.Après avoir conclu à la nullité du consentement donné
événements antérieurs à 1938 très étroitement liés à la en 1938 par le souverain de Qatar et à la nullité de la
décision de 1939, en particulier la «décision provisoire»
britannique de 1936 ainsi que l’occupation clandestine et «décision» britannique de 1939, M.Torres Bernárdez
illégale de la partie septentrionale de Jazirat Hawar opérée examine les deux autres titres dérivés invoqués par Bahreïn,
c’est-à-dire les effectivités et le principe de l’ uti possidetis
par Bahreïn sous couvert de ladite « décision provisoire ». juris. En ce qui concerne ce prin cipe, M.Torres Bernárdez
23.Cet exposé des motifs n’explique pas non plus quelle conclut qu’en tant que norme de droit international général,
autorité ou quel pouvoir exerce le Gouvernement il est inapplicable à la présente espèce. Quant aux
britannique qui lui permet de prendre au sujet des îles effectivités que Bahreïn revendique sur les îles Hawar, elles
Hawar une «décision» ayant force obligatoire en droit
international pour Qatar et pour Bahreïn à la suite du occupent beaucoup de volume mais n’ont guère de poids
utile. La plupart d’entre elles ne sont pas recevables car elles
consentement qui aurait été donné à la procédure sont postérieures à l’occupati on clandestine et illégale de
britannique de 1938-1939. De même, l’arrêt n’analyse pas la Jazirat Hawar par Bahreïn en 1937. Certaines autres
question de savoir si le consentement dont on a établi qu’il a contredisent manifestement le statu quo accepté par les
été donné par le souverain de Qatar à la procédure parties dans le cadre de la médiation de l’Arabie saoudite.
britannique de 1938-1939 signifiait implicitement que le En outre, les effectivités recevables ne constituent pas sur le
souverain acceptait que la procédure ait pour résultat une
plan international la manifestation sous forme continue et
décision ayant juridiquement force obligatoire en droit pacifique du pouvoir et de l’autorité exercés sur un territoire
international sur les questions de titre ou de souveraineté sur par le truchement de la juridiction et des fonctions de l’État.
les îles Hawar. Pour M.Torr es Bernárdez, toutes ces Les activités des Dowasir ne sont pas des actes accomplis
questions méritaient d’être traitées en détail dans l’arrêt car par Bahreïn à titre de souverain . Dans ces conditions,
ce qui est en jeu ici, c’est le principe du consensualisme qui M.Torres Bernárdez ne peut pas souscrire non plus à

204l’argument des effectivités bahreïnites. De plus, dans le 30. La «ligne d’équidistance » dont l’arrêt construit le tracé
passé comme aujourd’hui, les effectivités dont Bahreïn tire n’est par conséquent pas une ligne située entre deux lignes

argument ont exclusivement trait à l’île de Jazirat Hawar. Il côtières, c’est quelque chose d’autre. M.Torres Bernárdez
n’a existé sur les autres îles du groupe des Hawar aucune rejette cette «ligne d’équidistance» parce qu’elle est
effectivité d’aucun ordre et il n’en existe pas aujourd’hui artificielle et sans justification juridique. En fait, dans le
non plus. raisonnement suivi dans l’arrêt, la mer domine la terre.
26.M.Torres Bernárdez rejette par conséquent les trois S’abstenir, comme on le fait dans l’arrêt, de pratiquer la
méthode de calcul de masse terrestre à masse terrestre
arguments de Bahreïn qui correspondraient à des titres signifie que la «ligne d’équidistance» tracée dans l’arrêt
dérivés sur les îles Hawar; à son avis, la souveraineté sur les
îles Hawar revient à l’État de Qatar sous l’effet du titre n’est pas une « ligne d’équidistance » au sens normal donné
originaire qu’il détient sur ces îles. Ce titre originaire de à l’expression lors d’une délimitation maritime. À toutes
Qatar sur les îles Hawar n’a été supplanté par aucun titre fins pratiques, cette ligne représente la ligne extérieure des
dérivé de Bahreïn qui soit supérieur au titre de Qatar. revendications de Bahreïn et parfois même plus que cela. Il
est exact que cette «ligne d’équidistance» tracée dans
* l’arrêt est ensuite corrigée en faveur de Qatar sur certains

27.En ce qui concerne l’aspect de l’affaire relatif à la segments de ladite ligne. Il n’empêche que cette «ligne
délimitation maritime , M.Torres Bernárdez rejette les d’équidistance» de l’arrêt accorde de façon injustifiée un
arguments de Bahreïn reposant sur la qualité d’«État plus initial à Bahreïn et, en fait, Bahreïn obtient à la fin de
cette opération de délimitation plus d’espace maritime que
archipel», «le titre ou les droits historiques» et la qualité ne lui en accordaient les précédentes lignes de partage des
d’«État archipel ou État pluri-insulaire de facto ». L’arrêt fonds marins tracées indépendamment des Parties (la ligne
rejette également, lui aussi, les arguments de Bahreïn britannique de 1947 et la ligne Boggs-Kennedy), tout
reposant sur la qualité d’« État archipel » et sur « le titre ou
les droits historiques», mais, pour M.Torres Bernárdez, la particulièrement dans le secteu r central et le secteur sud de
majorité n’est pas insensible à l’argument reposant sur la l’aire de délimitation.
qualité d’« État archipel ou d’État pluri-insulaire de facto». 31.En ce qui concerne les « circonstances spéciales » qui
justifient un ajustement de la «ligne d’équidistance» de
28.D’où l’étrange façon dont l’ arrêt interprète les principes l’arrêt, elles ne tiennent pas compte non plus de la longueur
et les règles pertinentes du droit international général des côtes pertinentes des Partie s. En outre, la majorité
applicable à la délimitation mar itime en l’espèce. La Cour
avait pour tâche de tracer une limite maritime unique entre considère que Qit’at Jaradah est une île (bien qu’elle soit
les côtes pertinentes des États parties, ce qui veut dépourvue de mer territoriale aux fins de la définition de la
limite maritime unique) et e lle attribue à Bahreïn, sous
notamment dire que le résultat de la délimitation doit être l’effet de l’occupation, la souveraineté sur cette formation
« équitable » sur tout le tracé de la ligne, indépendamment maritime particulière! Cette conclusion est totalement
de la juridiction maritime divisée par ladite ligne dans un infondée en droit. Toutefois, Fasht ad Dibal relève de la
secteur déterminé. À ce sujet, M.Torres Bernárdez estime
que la majorité a accordé une importance excessive et souveraineté de Qatar et, concrètement, ce haut-fond
injustifiée au fait que la ligne en question divise sur un découvrant situé dans la mer territoriale de l’État de Qatar
tronçon de son trajet la mer territoriale des parties. se trouve du côté qatari de la limite maritime unique. Pour
M.Torres Bernárdez, il aura it fallu énoncer les mêmes
29. M. Torres Bernárdez souligne que l’arrêt évite de définir conclusions sur le haut-fond découvrant de Qit’at Jaradah.
l’« espace à délimiter » et dé finit artificiellement les « côtes Sur le point de savoir si Fasht al Azm fait partie de l’île de
pertinentes de Bahreïn » par rapport à des « points de base » Sitrah, comme le soutient Bahreïn, la majorité décide dans
situés sur des îles minuscules et des hauts-fonds
découvrants. L’opération a pour résultat que la côte l’arrêt dene pas se prononcer. Pour M. Torres Bernárdez, il
est clair, compte tenu de s témoignages techniques
pertinente de Qatar est une côte intégralement géographique impossibles à contester dont la Cour est saisie, que Fasht al
et continue, un front côtier (c’est-à-dire la côte occidentale Azm était séparé de l’île de Sitrah par un chenal naturel que
pertinente de la péninsule de Qatar), tandis que «les côtes les pêcheurs utilisaient autrefois et que, par conséquent,
pertinentes de Bahreïn» sont composées d’une série de Fasht al Azm est un haut-fond découvrant et ne fait pas
«points de base» situés sur ces formations maritimes partie de l’île de Sitrah.
mineures qui sont éloignées l’une de l’autre tout comme
elles sont éloignées de la côte de la masse terrestre de 32.Pour ce qui concerne les « circonstances spéciales», la
décision de la majorité qui es t la plus nettement injustifiée
Bahreïn ou de son front côtier. Par suite, les «côtes du point de vue juridique a trait à l’espace maritime des îles
pertinentes de Bahreïn» prises en compte dans l’arrêt sont Hawar. Ces îles Hawar auraient dû être enclavées parce
finalement constituées par quelques «points de base» qu’elles font partie de la côte occidentale de la péninsule de
isolés, situés sur des formations maritimes mineures, et par Qatar et sont par conséquent situées dans la mer territoriale
l’eau qui les sépare ! C’est là incontestablement une
conclusion étrange, voire extraordinaire que formule ainsi la de l’État de Qatar. Quand on applique ainsi en faveur de
majorité pour définir la côte pertinente aux fins d’une Bahreïn la méthode de la semi-enclave à des îles côtières
étrangères, on aboutit à un résultat on ne peut plus
délimitation maritime. inéquitable parce que la côte occidentale de Qatar se trouve

205divisée en deux parties distinctes par les îles Hawar elles- s’engager dans une même voie, et ce, de l’avis de M. Torres
mêmes et par les eaux territoriales de Bahreïn. Le précédent Bernárdez, sans obéir aux impératifs normatifs du droit

des Îles anglo-normandes a été écarté, même si la Cour international général qui est applicable et/ou au poids relatif
rappelle à l’alinéa b du paragraphe 2 du dispositif de l’arrêt des arguments et des éléments de preuve soumis par les
que les navires de l’État de Qatar jouissent dans la mer Parties. Enfin et surtout, les considérations qui motivent
territoriale de Bahreïn séparant les îles Hawar des autres îles dans l’arrêt la conclusion énoncée sur le différend relatif aux
bahreïnites du droit de passage inoffensif consacré par le îles Hawar sont totalement insuffisantes. Pour M.Torres
droit international coutumier. Bernárdez, il est impossible de justifier dûment par cette
motivation la conclusion qu’énonce la majorité au sujet du
33. Compte tenu des considérations ci-dessus, M.Torres
Bernárdez est d’avis que la limite maritime unique n’est pas différend relatif aux îles Hawar.
«équitable» dans l’espace maritime des îles Hawar et il la 36.Comment est-il possible de fonder une conclusion sur un
rejette par conséquent pour ce qui concerne ce secteur. En consentement à une procédure suivie par les Britanniques en
revanche, M.Torres Bernárdez estime qu’entre Qita’a el 1938-1939 quand ce consentement est vicié et que le résultat
Erge et le dernier point de la limite dans le secteur nord de de cette procédure, la « décision » britannique de 1939, était

l’aire de délimitation, le tracé de la délimitation maritime manifestement et visiblement frappée de nullité en droit
unique est acceptable, même si Bu Thur et Qit’at Jaradah international quant à la forme et quant au fond à la fois, au
auraient dû être situés du côté qatari de la délimitation moment où elle a été adoptée comme aujourd’hui encore?
maritime. Ressusciter en 2001 une décision inspirée de l’esprit
colonialiste qui est liée à des intérêts pétroliers et qui est
* entachée de nullité pour résoudre une question territoriale
34.En conclusion, le désacco rd de M.Torres Bernárdez opposant deux États est plus qu’étrange et, aux yeux de
porte essentiellement sur la conclusion retenue par la
MT. orres Bernárdez, cela représente une proposition
majorité des membres de la Cour en ce qui concerne le litige parfaitement inacceptable sur le plan juridique. Sur la
relatif aux îles Hawar, sur le fondement juridique de cette question du consentement, la Cour fait dans son arrêt, à
conclusion et sur les conséquences qu’elle a pour la toutes fins pratiques, porter exclusivement son raisonnement
délimitation maritime. Concrètement cette conclusion ne sur Qatar. Mais la procédure britannique de 1938-1939
reconnaît pas 1) le titre originaire que l’État de Qatar intéressait trois participants. Où dans cet exposé des motifs
détient sur les îles Hawar, titr e conférant souveraineté sur se trouve l’analyse du consentement et des conditions dans
les îles et établi grâce à tout un processus de consolidation
lesquelles il a été donné en ce qui concerne les deux autres
historique et de reconnaissance générale; et cette même participants? Et on semble aussi avoir oublié que les
conclusion ne reconnaît pas 2) que l’État de Bahreïn ne représentants britanniques dans le Golfe qui étaient appelés
détient sur les îles Hawar aucun titre dérivé supérieur au à traiter avec Qatar et avec Bahreïn, Fowle, Weightman et
titre originaire. Il convient d’ajouter que la «circonstance certains autres de même que les fonctionnaires britanniques
spéciale » maritime superveniens qui résulte de ladite à Londres comme ceux de l’Indi a Office étaient des agents
conclusion n’est pas traitée comme telle aux fins du tracé de
du Gouvernement britannique qui agissaient à ce titre.
la délimitation maritime unique dans l’espace maritime des C’est-à-dire que leurs actes, dans la mesure où il est prouvé
îles Hawar. que ce sont des actes viciés , sont des actes viciés du
35.Pour M.Torres Bernárdez, la conclusion de la majorité Gouvernement britannique ou imputables au Gouvernement
sur le différend relatif aux îles Hawar est totalement erronée britannique en droit international, c’est-à-dire au
en droit international et par voie de conséquence, Gouvernement même qui a pris la «décision » de 1939. De
malheureusement, l’État de Qatar – qui est venu devant la surcroît, l’arrêt n’examine même pas expressément la

Cour notamment pour qu’il soit remédié à une violation de question de savoir si la «décision» britannique de 1939
son intégrité territoriale dans les îles Hawar par le moyen était valable, c’est-à-dire si elle répondait aux prescriptions
pacifique du règlement judici aire – n’a pas à cet égard juridiques fondamentales concernant la validité.
obtenu de la Cour la réponse judiciaire qu’il méritait sur le 37.En outre, la validité intertemporelle demeure totalement
fond de ce différend relatif aux îles Hawar. Devant cet étrangère au raisonnement suivi dans l’arrêt. Comment peut-
exemple, M.Torres Bernárdez se demande si le règlement on affirmer que la «décision» britannique de 1939 a force
judiciaire permet vraiment de remédier à de graves
obligatoire aujourd’hui pour les Parties sans examiner si ce
usurpations de territoire au moyen du changement pacifique qu’on appelle le «consentemen» t à la procédure
que peut exiger dans une situation donnée le rétablissement britannique de 1938-1939 peut vraiment être considéré
de la primauté du droit international. En tout état de cause, comme un consentement valable selon le droit international
le principe quieta non movere ne fournit pas l’explication en en vigueur au moment où le pr ésent arrêt est adopté? Pour
l’espèce car l’arrêt so uscrit à la prescription non movere conclure que tel est bien le cas, il aurait fallu faire
quant il s’agit de résoudre le litige relatif aux îles Hawar,
intervenir, par exemple, l’existence éventuelle de règles de
mais ne lui obéit pas quant il s’agit de définir le tracé de la jus cogens superveniens ou d’obligations impératives erga
délimitation maritime unique. Quand il s’occupe de ce tracé, omnes , ainsi que les principes fondamentaux de la Charte
l’arrêt tend en effet à movere. Mais, s’agissant de des Nations Unies et de l’ordre juridique international
non movere comme de movere, la majorité paraît toujours actuel.

2063M .T.orres Bernárdez est par conséquent dans international, que, lorsqu’un territoire possède des
l’impossibilité d’accepter la conclusion selon laquelle l’État caractéristiques exceptionnelles, notamment celle d’être très

de Bahreïn détient sur les îles Hawar un titre dérivé peu habitable, un souverain peut créer et consolider un titre
découlant du consentement à la procédure britannique tel sur son territoire par des actes de gouvernement et
que l’arrêt l’a établi. Dans l’ exposé de ses motifs, l’arrêt d’administration qui s’expriment par le fait que des tribus
n’explique pas suffisamment ni de façon convaincante que lui faisaient allégeance et s’ adressaient à lui pour obtenir
ce consentement existe vraiment et qu’il est valable – de une aide.
même qu’il aurait toujours force obligatoire pour les Parties.
En même temps, comme M.To rres Bernárdez n’a trouvé En 1937, la tribu des Naim établie à Zubarah a été
attaquée par les Al-Thani et a été chassée de la région. Les
aucun autre titre dérivé pertin ent, c’est pour lui le titre événements dejuillet 1937 doivent être considérés comme
originaire de Qatar sur les îles Hawar qui fait des actes de conquête de la part de Qatar. La prise de
nécessairement droit entre les Parties pour le règlement du Zubarah par la force, en 1937, serait considérée aujourd’hui
litige relatif aux îles Hawar dans le cadre de la présente comme un acte illicite et ne priverait pas Bahreïn de son
espèce. titre.

Toutefois, la conquête de territoires par la force
Opinion individuelle de M. Fortier, juge ad hoc antérieurement à l’adoption de la Charte des NationsUnies
ne peut pas être contestée à présent. Le principe de stabilité
est un élément important dans les questions de souveraineté
Question préliminaire nationale. La Cour n’est pas compétente pour dire et juger
Dans son opinion individuelle, M.Fortier note que
aujourd’hui, plus de soixante ans après les faits, que Bahreïn
l’arrêt ne fait mention des documents de Qatar dont a conservé, à tous les moments décisifs, la souveraineté sur
l’authenticité a été contestée par Bahreïn que dans la partie Zubarah.
descriptive retraçant l’histori que de l’instance pendante
devant la Cour. Ces documents jouaient un rôle essentiel L’île de Janan
dans le mémoire présenté par Qatar, car ils constituaient
pratiquement la seule base de sa revendication sur les îles En ce qui concerne Janan, la question essentielle, pour
Hawar. Après la mise en cause de leur authenticité par M.Fortier, est de savoir si, selon les règles d’interprétation
habituelles, la décision prise par la Grande-Bretagne en
Bahreïn, Qatar n’a pas abandonné sa revendication sur ces
îles. Il a invoqué un nouvel argument qui n’avait même pas 1939 doit être interprétée comme englobant, à l’époque, l’île
été développé à titre subsidiaire dans son mémoire. On ne de Janan. La Cour a pour seule tâche d’interpréter la
saurait examiner les prétentions de Qatar sans songer à décision de 1939. La seule interprétation possible de cette
l’atteinte qui aurait été portée à l’administration de la justice décision est qu’elle comprenait l’île de Janan.
internationale, voire à la position même de la Cour, si la La Cour a attaché une grande importance aux lettres que
le Gouvernement britannique a adressées, le 23décembre
mise en cause par Bahreïn de l’authenticité de ces
documents n’avait finalement amené Qatar à informer la 1947, aux souverains de Qatar et de Bahreïn. Ces lettres
Cour qu’il avait décidé de ne tenir compte d’aucun des étaient simplement censées exprimer la politique du
documents contestés. Royaume-Uni et n’avaient aucu ne signification juridique
quant à l’appartenance de l’île de Janan. Janan, y compris
Zubarah Hadd Janan, doit être considérée comme faisant partie des
Hawar sur lesquelles Bahreïn a souveraineté.
Les documents datant des années 1869 à 1916, de l’avis
de M.Fortier, sur lesquels Qa tar se fonde pour justifier sa
Délimitation maritime
revendication sur Zubarah, et que la Cour a jugés
déterminants, ne justifient rien. En 1916, Bahreïn n’avait M.Fortier fait de sérieuses réserves sur le raisonnement
pas perdu son titre sur la région de Zubarah dans la de la Cour concernant certains aspects de la délimitation
péninsule de Qatar. L’allégeance de la tribu des Naim, qui maritime. Il est en désaccord sur la partie de la limite
occupait le nord-ouest de la péninsule et qui est restée fidèle maritime unique tracée en direc tion de l’ouest entre Jazirat
à Bahreïn et aux Al-Khalifa jusqu’en 1937, confirme le titre Hawar et Janan. Il s’abstie nt cependant d’exprimer ses
de Bahreïn sur cette région. Il est admis, en droit réserves et son désaccord par un vote négatif.

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Résumé de l'arrêt du 16 mars 2001

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