Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Document Number
14151
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1999/9
Date of the Document
Document File
Document

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE
(YOUGOSLAVIE c. PAYS-BAS) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren,
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Pays-Bas), la Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc;
Cour a rejeté par onze voix contre quatre la demande en
CONTRE : M. Oda, juge. »
indication de mesures conservatoires présentée par la
République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre, la *
Cour a affirmé qu’elle reste saisie de l’affaire. La suite * *
de la procédure a été réservée par quatorze voix contre une.
La Cour était composée comme suit: M. Weeramantry, M. Koroma, juge, a joint une déclaration à l’ordonnance
de la Cour. M. Oda, Mme Higgins, et MM. Parra-Aranguren
Vice-Président, faisant fonction de président; M. Schwebel, et Kooijmans, juges, y ont joint les exposés de leur opinion
Président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, individuelle. M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra-Aranguren, fonction de président en l’affaire, MM. Shi et Vereshchetin,
Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc; M. Valencia- juges, et M. Kreca, juge ad hoc, y ont joint les exposés de
Ospina, Greffier. leur opinion dissidente.

* *
* *
* *

Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi Rappel des faits
libellé :
« 51. Par ces motifs, Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
introductive d’instance contre les Pays-Bas pour « violation
LA COUR, de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force »,
1) Par onze voix contre quatre, accusant cet État de bombarder le territoire yougoslave
Rejette la demande en indication de mesures « conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN ».
conservatoires présentée par la République fédérale de Le même jour, elle a présenté une demande en indication de

Yougoslavie le 29 avril 1999; mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner aux Pays-
POUR : M. Schwebel, Président de la Cour; Bas de « cesser immédiatement de recourir à l’emploi de la
MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, force » et de « s’abstenir de tout acte constituant un recours
Fleischhauer, Koroma, M meHiggins, MM. Parra- ou une menace de recours à la force » contre la RFY.
Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a
Aranguren, Kooijmans, juges;
CONTRE : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant invoqué les déclarations par lesquelles les deux États ont
fonction de président en l’affaire; MM. Shi, accepté la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard de tout
Vereshchetin, juges; M. Kreca, juge ad hoc; autre État acceptant la même obligation (Art. 36, par. 2, du
Statut de la Cour), ainsi que l’article IX de la Convention
2) Par quatorze voix contre une, pour la prévention et la répression du crime de génocide,
Réserve la suite de la procédure. adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le
POUR : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
fonction de président en l’affaire; M. Schwebel, 9 décembre 1948.
Cet article prévoit que les différends entre les parties
Président de la Cour; MM. Bedjaoui, Guillaume, contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, l’exécution de la Convention seront soumis à la Cour

_______________________________
Lire la suite à la page suivante

105internationale de Justice. Dans un complément à sa requête les résolutions 47/1 (1992) et 48/88 (1993) de l’Assemblée
soumis à la Cour le 12 mai 1999, la Yougoslavie a invoqué, générale des Nations Unies, ni un État partie au Statut de la

en tant que chef de compéten ce supplémentaire, l’article 4 Cour, de sorte que la Yougoslavie ne peut pas faire
du Traité de règlement judiciaire, d’arbitrage et de valablement la déclaration d’ acceptation de la juridiction
conciliation entre les Pays-Bas et le Royaume de obligatoire de la Cour, la Cour indique qu’elle n’a pas à
Yougoslavie, signé à La Haye le 11 mars 1931. examiner cette question compte tenu du fait qu’elle a conclu
que les déclarations ne constituent pas une base de
compétence.
Raisonnement de la Cour
Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord À propos de l’article IX de la Convention sur le
qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain, génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la
Yougoslavie que les Pays-Bas sont parties à cette
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que convention, sans réserves, et que l’article IX semble ainsi
connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour
différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances pourrait être fondée. La Cour estime toutefois qu’elle doit
humaines que l’on déplore de façon continue dans
l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également rechercher si les violations de la Convention alléguées par la
«fortement préoccupée par l’emploi de la force en Yougoslavie sont susceptibles d’entrer dans les prévisions
de cet instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir
Yougoslavie» qui, «dans les circonstances actuelles... compétence pour connaître du différend ratione materiae.
soulève des problèmes très graves de droit international». Dans sa requête, la Yougoslavie indique que l’objet du
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la différend porte notamment sur «les actes commis par le
Charte des Nations Unies, ainsi que lesresponsabilités qui Royaume des Pays-Bas, en violation de son obligation
lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut,
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour internationale ... de ne pas soumettre intentionnellement un
« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se groupe national à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique». Elle soutient que le
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs bombardement constant et intensif de l’ensemble de son
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des territoire, y compris les zones les plus peuplées, constitue
autres règles du droit international, y compris du droit «une violation grave de l’article II de la Convention sur le
humanitaire ». génocide», que c’est la nation yougoslave tout entière, en
La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas
automatiquement compétence pour connaître des différends tant que telle, qui est prise pour cible et que le recours à
certaines armes, dont on connaît par avance les
juridiques» entre États et que l’un des principes conséquences dommageables à lo ng terme sur la santé et
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un l’environnement, ou la destruction de la plus grande partie
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa du réseau d’alimentation en électricité du pays, dont on peut
juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures prévoir d’avance les conséquences catastrophiques,
conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été
établie prima facie. «témoigne[nt] implicitement de l’intention de détruire
totalement ou partiellement » le groupe national yougoslave
Au sujet de la première base de compétence invoquée, la en tant que tel. Selon les Pays-Bas, la Yougoslavie n’a pas
Cour fait observer qu’aux term es de sa déclaration, la fait état dans sa requête de ce qui constitue l’essentiel du
Yougoslavie limite son accep tation de la juridiction crime de génocide aux termes de la Convention, à savoir
obligatoire de la Cour aux «différends, surgissant ou «l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
pouvant surgir après la signature de la présente déclaration, national, ethnique, racial ou religieux comme tel» et la
qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à
Cour n’est de ce fait pas compétente ratione materiae sur la
ladite signature... » La Cour indique qu’aux fins d’apprécier base de l’article IX. La Cour constate que, d’après la
sa compétence, il suffit de déte rminer si le différend porté Convention, la caractéristique essentielle du génocide est la
devant la Cour a «surgi» avant ou après le 25 avril 1999, destruction intentionnelle d’un groupe national, ethnique,
date de la signature de la déclaration. Elle constate que les racial ou religieux; elle précise que «le recours ou la
bombardements ont commencé le 24 mars 1999 et se sont menace du recours à l’emploi de la force contre un État ne
poursuivis, de façon continue, au-delà du 25 avril 1999. Il sauraient en soi constituer un acte de génocide au sens de
ne fait ainsi pas de doute pour elle « qu’un différend d’ordre
l’article II de la Convention sur le génocide». Elle ajoute
juridique ... a “surgi” entre la Yougoslavie et [les Pays-Bas], qu’il n’apparaît pas au présent stade de la procédure que les
comme avec les autres États membres de l’OTAN, bien bombardements qui constituent l’objet de la requête
avant le 25 avril 1999». La Cour conclut que yougoslavec« omporte[nt] effectivement l’élément
lesdéclarations faites par les parties ne constituent pas une d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que
base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima requiert la disposition » sus-indiquée. La Cour considère dès
facie être fondée en l’espèce. lors qu’elle n’est pas en mesure de conclure, à ce stade de la

Quant à l’argument des Pays-Bas selon lequel la procédure, que les actes que la Yougoslavie impute aux
Yougoslavie n’est pas un État membre des Nations Unies vu Pays-Bas seraient susceptibles d’entrer dans les prévisions
les résolutions 757 et 777 (1992) du Conseil de sécurité et de la Convention sur le génocide; et l’article IX de la

106Convention sur le génocide ne constitue partant pas une sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important
base sur laquelle sa compétence pourrait prima facie être dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit

fondée en l’espèce. la Charte des Nations Unies. Aussi l’indication de telles
En ce qui concerne l’article 4 du Traité de règlement mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus
judiciaire, d’arbitrage et de conciliation entre les Pays-Bas importantes de la Cour.
et le Royaume de Yougoslavie, la Cour fait observer que Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne
«l’invocation par une partie d’une nouvelle base de peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À

juridiction au stade du second tour de plaidoiries sur une cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera
demande en indication de mesures conservatoires est sans pas droit à une demande en indication de mesures
précédent dans la pratique de la Cour, qu’une démarche conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie
aussi tardive, lorsqu’elle n’est pas acceptée par l’autre ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur
partie, met gravement en péril le principe du contradictoire prononcé.
et la bonne administration de la justice» et que, par Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire
conséquent, elle ne saurait prendre en considération ce
principal des Nations Unies dont la principale raison d’être
nouveau chef de compétence. demeure le maintien de la paix et de la sécurité
La Cour ayant conclu qu’elle n’a «pas compétence internationales, a une obligation claire et nette de contribuer
prima facie pour connaître de la requête de la Yougoslavie au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
ni sur la base du paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut ni fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un
sur celle de l’article IX de la Convention sur le génocide» conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
et ayant estimé « ne pas pouvoir, à ce stade de la procédure, seulement menace la paix et la sécurité internationales mais

prendre en considération la base de juridiction additionnelle engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
invoquée par la Yougoslavie», ils’ensuit qu’elle «ne pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
saurait indiquer quelque mesure conservatoire que ce soit». pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
Toutefois, les conclusions auxquelles la Cour est parvenue appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
« ne préjugent en rien [s]a compétence ... pour connaître du l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
fond de l’affaire» et elles «laissent intact le droit du aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit

Gouvernement yougoslave et duGouvernement néerlandais international, y compris le droit humanitaire et les droits de
de faire valoir leurs moyens en la matière ». l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction
fondamentale entre la questio n de l’acceptation par un État Opinion individuelle du juge Oda
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
actes avec le droit internati onal ». « [L]a compétence exige M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les
demandes en indication de mesures conservatoires
le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa les dix États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États, Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à
qu’ils acceptent ou non la juridi ction de la Cour, demeurent l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres
en tout état de cause responsables des actes contraires au affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de
droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle
«[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que
seraient imputables» et que «tout différend relatif à la ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général
licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques de la Cour à ce stade de la procédure.
dont le choix est laissé aux parties conformément à
l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie
doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend». n’est pas membre des Nations Unies et n’est pas en
La Cour réaffirme que, « lorsqu’un tel différend suscite une conséquence partie au Statut de la Cour internationale de
Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à
menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
d’agression, leonseil de sécurité est investi de
responsabilités spéciales en vertu du Chapitre VII de la fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
Charte ». rayées du rôle général de la Cour.
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
Déclaration du juge Koroma République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
Dans sa déclaration, M.Koroma fait observer qu’il instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait
considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné
jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le
conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la
jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le Belgique et les Pays-Bas, respectivement; et iiil)a
recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de

107ces instruments ne confère à la Cour compétence pour dans sa décision du 11 juillet 1996 ( Application de la
connaître de l’une ou l’autre de ces dix requêtes. Convention pour la prévention et la répression du crime de

Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit, génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614 et 615,
demandes en indication de mesures conservatoires dans les par.29); et que, selon l’article IX de la Convention sur le
dix instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes
compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
présente Conventio» n seront soumis à la Cour
facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune internationale de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit,
selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce prima facie compétence pour se pr ononcer sur les mesures
stade de la procédure non seulement dans les affaires conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le
son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à
autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte

compétence prima facie. constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi
M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la de la force contre la République fédérale de Yougoslavie».
Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force
objet– résulte simplement des positions différentes que les contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de
États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a génocide au sens de la Convention sur le génocide. La
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour. Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures
conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle
Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la
suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne
M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes
conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a
stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments. donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la
Yougoslavie.

Opinion individuelle du juge Higgins
me Opinion individuelle du juge Kooijmans
Dans ses opinions individuelles, M Higgins aborde 1. M.Kooijmans joint à l’ord onnance de la Cour l’exposé
deux questions que soulèvent les instances où la République
fédérale de la Yougoslavie invoque la compétence de la de son opinion individuelle dans les instances introduites
Cour sur le fondement du paragraphe 2 de l’Article 36 du par la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays-
Statut. La première concerne les limitations ratione Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni,
temporis dont sont assorties les « clauses facultatives » et en respectivement.
particulier celle de savoir à quel moment surgit un différend Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel

et quand les événements en cause se sont produits. Ces la déclaration par laquelle la Yougoslavie a accepté la
notions sont analysées compte tenu de la déclaration même juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril 1999 ne saurait
de la Yougoslavie. La deuxième question est de savoir établir un titre de compétence dans la présente affaire même
exactement ce qu’il faut démontrer pour que la Cour soit prima facie du fait des réserves figurant dans les
convaincue qu’elle a compétence prima facie , lorsqu’elle déclarations de l’Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de
envisage d’indiquer des mesures conservatoires. Certaines la limitation ratione temporis figurant dans la déclaration de
questions de compétence sont d’une telle complexité qu’il la Yougoslavie (il s’agit des instances introduites contre la

n’est pas du tout possible de les examiner à ce stade de la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime
procédure. Le report de leur examen à un stade ultérieur ne que la Cour n’a pas compétence prima facie, parce que la
fait pas obstacle à ce que la Cour détermine si elle a ou non déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité,
compétence prima facie au regard de l’Article 41. prête à controverse. La question de la validité de cette
déclaration constitue une question préliminaire que la Cour
aurait dû examiner dès le départ.
Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie Comme cette question n’est pas pertinente dans les
soutient que «le bombardement ... de zones habitées quatre autres affaires (contre la France, l’Allemagne, l’Italie
et les États-Unis) – ces États ne reconnaissant eux-mêmes
yougoslaves constitue ... une violation de l’article II de la pas la juridiction obligatoire de la Cour –, point n’est besoin
Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur; de joindre l’exposé d’une opinion individuelle pour celles-
qu’un différend d’ordre juri dique s’est élevé entre les ci.
Parties du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle
les points de vue des deux Parties, quant à l’exécution ou à 2. Selon le texte même du paragraphe 2 de l’Article 36 du
la non-exécution de certaine s obligations découlant d’[un Statut, seuls les États qui y sont parties peuvent reconnaître
traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une

108déclaration d’acceptation au Secrétaire général de 8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les
l’Organisation des Nations Unies. Les États Membres de limitations ratione temporis sur le fondement desquelles la

cette organisation sont d’office parties au Statut. Chacun des Cour s’est prononcée sont dénuées de pertinence
six États défendeurs a fait valoir que la déclaration puisqu’elles sont totalement subordonnées à la question
d’acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n’a préliminaire de la validité de la déclaration.
pas été faite valablement étant donné que cet État n’est pas
membre des Nations Unies. Opinion dissidente de M. Weeramantry,

3. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale, sur la Vice-Président
recommandation du Conseil de sécurité, a décidé que la M.Weeramantry a joint à l’ordonnance rendue dans
République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer cette affaire l’exposé de son opinion dissidente, qui est
automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation
des Nations Unies à la place de l’ancienne République fondée sur les mêmes motifs qu’il a énoncés dans son
fédérative socialiste de Yougoslavie et qu’elle devrait donc opinion dissidente dans Yougoslavie c. Belgique.
présenter une demande d’admission à l’Organisation des
Opinion dissidente du juge Shi
Nations Unies. Dans l’immédiat , elle ne participerait pas
aux travaux de l’Assemblée générale (résolution 47/1). La Dans les quatre instances introduites par la Yougoslavie
République fédérale de Yougoslavie n’a jamais présenté de contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal,
demande d’admission. M.Shi se dit en désaccord avec la conclusion de la Cour
4. Dans les ordonnances qu’elle rend dans ces affaires, la selon laquelle la limitation ratione temporis figurant dans la
Cour élude la question de la validité contestée de la
déclaration d’acceptation par la Yougoslavie de la
déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à compétence obligatoire de la Cour fait que celle-ci n’a pas
examiner cette question puisque la déclaration ne saurait lui compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de
conférer compétence prima facie sur le fondement d’autres l’Article 36 de son Statut pour indiquer les mesures
titres. conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
5.Selon M.Kooijmans, le raisonnement de la Cour
Par sa déclaration signée le 25 avril 1999, la
manque de cohérence à cet égard. Ces autres titres de Yougoslavie a reconnu la co mpétence obligatoire «pour
compétence n’entrent en ligne de compte que si la validité tous les différends, surgissant ou pouvant surgir après la
de la déclaration – du moins au stade actuel de la signature de la présente déclaration, qui ont trait à des
procédure– est acceptée. Le raisonnement de la Cour situations ou à des faits postér ieurs à ladite signature...»
présume la validité de la déclaration. La Cour aurait dû le DanslescasoùlaCourse trouve en présence d’une telle
dire et aurait dû justifier son point de vue. «formule de double exclusion», il lui appartient de

6. Selon M. Kooijmans, il n’était certes pas nécessaire pour déterminer tant la date du différend que les situations ou
la Cour de se prononcer définitivement sur l’admission de la faits ayant donné lieu à celui-ci.
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies. Il sait S’agissant du premier aspect de la condition relative à la
parfaitement que la résolutio n 47/1 est sans précédent et date, la Cour doit déterminer quel est l’objet du différend
soulève un certain nombre de questions juridiques d’une très qui, dans les affaires en cause, se compose d’un certain
grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et
nombre d’éléments constitutifs. La section «Objet du
une évaluation rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de différend» dans chacune des requêtes présentées par la
la procédure. Yougoslavie indique qu’il s’agit d’actes commis par le
Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions défendeur en violation de ses obligations internationales de
pertinentes ont été prises par les organes de l’Organisation ne pas recourir à l’emploi de la force contre un autre État, de
des Nations Unies (le Conseil de sécurité et l’Assemblée ne pas s’immiscer dans les a ffaires intérieures d’un autre
générale) qui ont compétence exclusive en matière État, de ne pas porter atteinte à la souveraineté d’un autre

d’admission, et ces décisions ne sauraient être méconnues État, de protéger les populations civiles et les biens de
ou ignorées. caractère civil en temps de guerre, de protéger
7. Selon M.Kooijmans, les doutes que soulèvent les l’environnement, etc.
décisions prises par les organes compétents de On ne saurait affirmer que le différend est né avant que
l’Organisation des Nations Unies à l’égard de l’admission tous les éléments constitutifs aient existé. Même si les

de la Yougoslavie et de la validité de la déclaration que bombardements aériens du territoire de la Yougoslavie ont
celle-ci a faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû commencé quelques semaines avant la date critique que
conclure que cette déclaration ne saurait constituer pour elle représente la signature de la déclaration, ceux-ci, avec les
une base de compétence prima facie. La Cour ne devrait conséquences qui les accompagnent, ne constituent pas un
indiquer des mesures conservatoires que si sa compétence différend. Certes, la Yougoslavie avait avant la date critique
pour connaître du différend apparaît comme accusé l’OTAN de recourir illégalement à l’emploi de la
raisonnablement probable. Or cette probabilité raisonnable force à son encontre, mais ce grief ne constitue tout au plus

n’existe pas dans ces affaires, étant donné la validité qu’un des nombreux éléments constitutifs du différend. En
incertaine de la déclaration. outre, l’OTAN ne saurait être assimilé au défendeur ni ne

109saurait être celui-ci, ratione personae, dans les affaires en des accords signés entre la Belgique et la Yougoslavie le
cause. Le différend n’a pris naissance qu’à une date 25mars 1930 et entre les Pays-Bas et la Yougoslavie le

postérieure à la signature de la déclaration. 11 mars 1931.
S’agissant du second aspect de la condition relative à la MV.ereshchetin est en désaccord avec deux
date, le différend porte sur la prétendue violation de diverses propositions fondamentales sur lesquelles, à son avis,
obligations internationales par des recours à la force, sous la reposent les arguments allant à l’encontre des thèses
forme de bombardements aériens du territoire de la précitées et que la Cour a accueillis dans ses ordonnances.

Yougoslavie, que le demandeur impute à l’État défendeur. Il La première proposition est que le texte de la déclaration
est évident que la prétendue violation d’obligations par un yougoslave acceptant la juridiction de la Cour, et en
tel fait «continu» s’est d’abord produite au moment où ce particulier le libellé de la ré serve qui y figure, ne confère
fait a débuté, c’est-à-dire des semaines avant la date pas compétence prima facie à la Cour. La deuxième
critique. Étant donné que les bombardements aériens se sont proposition est que le moment choisi pour la présentation
poursuivis bien au-delà de la date critique et se poursuivent par la Yougoslavie de bases additionnelles de compétences
encore, la période au cours de laquelle a été perpétrée la ne permet pas à la Cour de conclure qu’elle a compétence

violation de ces obligations s’étend sur la totalité du laps de prima facie à l’égard des instances introduites contre la
temps qui s’est écoulé pendant que ces faits se poursuivaient Belgique et les Pays-Bas.
et ne prendra fin qu’à la cessation de ceux-ci par l’État En ce qui concerne la première proposition,
défendeur. M. Vereshchetin est d’avis que la Cour, en refusant de tenir
On peut conclure que la limitation ratione temporis compte de l’intention explicite de la Yougoslavie, interprète
figurant dans la déclaration de la Yougoslavie n’empêche
sa déclaration d’une façon qui pourrait conduire à la
absolument pas de reconnaître à la Cour, sur le fondement conclusion absurde que la Yougoslavie entendait, par sa
du paragraphe 2 de l’Article 36 de son Statut, compétence déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour,
prima facie pour indiquer des mesures conservatoires dans exclure la juridiction de la Cour à l’égard de ses requêtes
les affaires en cause. introductives d’instance contre les défendeurs.
En outre, pour des motifs semblables à ceux qu’il a En ce qui concerne la deuxième proposition, qui a trait à

exposés dans les déclarations relatives aux six autres l’invocation de motifs de compétence additionnels, dans le
affaires, M.Shi regrette que la Cour, confrontée à une cas de la Belgique et des Pays-Bas, la préoccupation
situation de grande urgence, se soit abstenue de faire une légitime de la Cour concernant le respect du «principe du
déclaration générale exhortant les Parties à agir contradictoire et la bonne administration de la justice», de
conformément aux obligations qui sont les leurs en vertu de l’avis de M.Vereshchetin, ne peut être étendue au point de
la Charte des Nations Unies et de toutes les règles du droit soustraire à priori le chef de compétence additionnel à son
international applicables en l’ espèce et au moins à ne pas examen, uniquement parce que les États défendeurs n’ont

aggraver ou étendre leurs différends dès après le dépôt de la pas eu assez de temps pour préparer leurs arguments pour y
demande de la Yougoslavie et indépendamment de la répondre. Certes, on ne saurait considérer comme normal
conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa qu’un nouveau chef de compétence soit invoqué au
compétence prima facie en attendant qu’elle rende son arrêt deuxième tour des exposés oraux. Toutefois, les États
définitif. La Cour s’est également abstenue d’user de la défendeurs ont eu la possibilité de présenter leur réplique à
faculté que lui donne le paragraphe 1 de l’article 75 de son la Cour, et ils ont fait usage de cette possibilité pour
règlement de statuer d’office sur les demandes bien que la
présenter diverses observations et objections à l’encontre du
Yougoslavie l’en ait priée. nouveau chef de compétence. Au besoin, ils auraient pu
Pour ces motifs, M.Shi s’ est vu dans l’obligation de demander une prolongation des audiences. Pour sa part, le
voter contre le paragraphe 1 du dispositif des quatre demandeur peut raisonnablement soutenir que l’invocation
ordonnances. tardive des nouveaux chefs de compétence a eu pour cause
la situation extraordinaire en Yougoslavie, dans laquelle la
préparation des requêtes s’est effectuée dans les conditions
Opinion dissidente du juge Vereshchetin
crées par les bombardements aériens quotidiens auxquels
M.Vereshchetin commence son opinion dissidente par procédaient les défendeurs.
une déclaration d’ordre général, qu’il joint à toutes les Le refus de la majorité de prendre en considération les
ordonnances rendues par la Cour, dans laquelle il affirme nouveaux chefs de compétence es t clairement contraire aux
que les circonstances extraordin aires et sans précédent des dispositions de l’article 38 du Règlement de la Cour et à la
affaires dont la Cour a été saisie imposaient à celle-ci la jurisprudence de la Cour. Le refus de tenir dûment compte
nécessité d’agir promptement, et , si nécessaire, d’office. Il
explique ensuite pourquoi il n’a aucun doute qu’il existait de l’intention d’un État qui fait une déclaration
d’acceptation de la juridiction de la Cour est également
une compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de incompatible avec la jurisprudence de la Cour et avec les
l’Article 36 du Statut de la Cour, en ce qui concerne les règles coutumières d’interprétation des instruments
requêtes introduites contre la Belgique, le Canada, les Pays- juridiques. De l’avis de MV. ereshchetin, toutes les
Bas et le Portugal. Pour ce qui est de la Belgique et des conditions nécessaires à l’indication de mesures
Pays-Bas, la Cour a aussi compétence prima facie en vertu conservatoires, découlant de l’Article 41 du Statut de la

110Cour et de sa jurisprudence bi en établie, ont été réunies, et composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
la Cour aurait indubitablement dû indiquer de telles mesures mois à des attaques continues de la part d’une «armada»

pour ce qui concerne les quatre États susmentionnés. aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
États les plus puissants de la Terre. De plus, l’arsenal utilisé
Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
les points suivants : dommages irréparables et d’une portée considérable à la
M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution santé de l’ensemble de la population.

du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour M.Kreca estime qu’en ce qui concerne l’appartenance
n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la de la Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, la
lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut Cour est restée fidèle à sa position qui consiste à «éluder»
de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la la question en continuant d’affirmer «[qu’elle] n’a pas à
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le examiner cette question à l’effet de décider si elle peut ou
droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place
sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre non indiquer des mesures conservatoires dans le cas
d’espèce ». Pourtant, M. Kreca est profondément convaincu
l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un que la Cour aurait dû répondre à la question de savoir si la
juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause République fédérale de Yougoslavie peut ou non, à la
commune. Le droit naturel à une représentation égale au lumière de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et de
sein de la Cour, traduction du principe fondamental de l’usage établi au sein de l’organisation universelle, être
l’égalité des parties, signifie concrètement que la considérée comme Membre des Nations Unies et, en
République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit
de désigner cinq juges ad hoc, car cinq des dix États particulier, comme partie au Stat ut de la Cour; en effet, le
texte de la résolution 47/1 ne fait aucune mention du statut
défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, de la République fédérale de Yougoslavie en tant que partie
l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge au Statut de la Cour internationale de Justice. De même,
de leur nationalité. M.Kreca est convaincu que la Cour aurait dû répondre à
Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante cette question, étant donné en particulier que le texte de la
de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de résolution, qui constitue une contradictio in adjecto, et plus

désigner un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la spécialement l’usage au sein de l’organisation universelle
commission internationale de l’Oder; Régime douanier après son adoption il y a près de sept ans, lui fournissaient
entre l’Allemagne et l’Autriche). tous les arguments voulus pour se prononcer sur la question.
Point n’est besoin de souligner la très grande importance M.Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à
des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de
voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais
moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale,
qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes peut mener à la «soumission ... du groupe à des conditions
d’une portée considérable. d’existence» qui entraînent «sa destruction physique»
Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande (Convention sur le génocide, art. II).
importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa Certes, précise M.Kreca, il peut être soutenu que les
jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures
actes de cette nature servent à affaiblir les capacités
conservatoires, en particulier dans les affaires touchant militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne
directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce saurait toutefois considérer cette explication comme un
critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être
procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette
mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire argumentation, que la puissance militaire se compose après
LaGrand). Ainsi, les considératio ns d’ordre humanitaire, tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
indépendamment des normes du droit international en
échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de
matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de
certaine manière acquis une signification juridique mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un
autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la État.
philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit. M.Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de
Dans la présente instance, il semble que l’«impératif procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se

humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à
avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à
circonstances particulières de l’espèce. À la différence des l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif
d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la groupe est menacée.

111 De l’avis de M. Kreca, la position de la Cour en ce qui a) le demandeur dit sans équivoque qu’il compte
concerne sa juridiction ratione temporis est très contestable, s’appuyer sur cette base de compétence;

et ce pour deux motifs fondamentaux. Premièrement, pour b) l’invocation de chefs supplémentaires n’a pas pour
des raisons générales liées à la jurisprudence de la Cour en résultat de transformer le différend dont la Cour est saisie
l’espèce, d’une part, et à la nature de la procédure en dans la requête en un différend distinct, d’une autre nature;
indication de mesures conservatoires, d’autre part, et c) les chefs supplémentaires constituent une base sur le
deuxièmement, pour des raisons particulières tenant aux
circonstances de l’espèce. S’agissant de la juridiction de la fonde ment de laquelle la compétence de la Cour pour
Cour, il paraît incontestable que la Cour interprète de façon connaître de la requête peut être établie prima facie.
Il convient de souligner, selon M. Kreca, que le Traité de
libérale l’élément ratione temporis de sa compétence en 1931 a été rédigé et conclu pour régler les différends
matière d’indication de mesures conservatoires. Certes, la éventuels entre les parties contractantes par « la conciliation,
procédure en indication de mesures conservatoires ne vise
pas à statuer de façon finale et définitive sur la compétence le règlement judiciaire et l’arbitrage », et qu’il constitue
de la Cour. Le qualificatif « prima facie » lui-même indique donc par définition une base permettant d’établir la
qu’il ne s’agit pas d’établir la compétence définitive, mais compétence de la Cour à l’égard de la requête. Le Traité
prévoit en son paragraphe 1 de l’article 4 que « le litige sera
une compétence découlant ou censée découler normalement sou mis d’un commun accord par voie de compromis » et,
d’un fait juridique pertinent qui est défini comme étant le comme tel n’est manifestement pas le cas, seul le
« titre de compétence ». Il peut être affirmé que le « titre de paragraphe 2 de cet article peut constituer la base appropriée
compétence » suffit en soi à fonder la compétence prima
facie, sauf lorsque l’absence de compétence sur le fond est de la juridiction de la Cour pro futuro.
manifeste (affaires sur la Compétence en matière de M. Kreca signale aussi que, même si le document dans
pêcheries). lequel le demandeur avait invoqué le Traité de 1931 comme
chef de compétence supplémentaire était déclaré
M. Kreca n’est pas d’accord avec la position de la Cour « irrecevable », la Cour ne pouvait ne pas tenir compte de
au sujet du chef de compétence supplémentaire (art. 4 du l’existence du Traité. Auquel cas la Cour aurait pu établir
Traité de 1931), car il estime que trois conditions
essentielles à la recevabilité de ce chef supplémentaire sont un e distinction entre le document en tant que tel et le Traité
réunies en l’espèce : de 1931 lui-même, comme base de sa juridiction.

112

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Links