Résumé de l'ordonnance du 2 juin

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14153
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Number (Press Release, Order, etc)
1999/8
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LALICÉIT É DE L’EMPLOI DE LAFORCE
(YOUGOSLAVIE c. ITALIE) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la MW.eeramantry, ice-Prés ident, faisant fonction de
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Italie), la président en l’affaire, MM.Sh i, Koroma et Vereshchetin,
Cour a rejeté par douze voix contre trois la demande en juges, et M.Gaja, juge ad ho c, ont joint des déclarations à
indication de mesures conservatoires présentée par la l’ordonnance de la Cour. MM. Oda et Parra-Aranguren,

République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre, la juges, y ont joint les exposés de leur opinion individuelle.
Cour a affirmé qu’elle ne saurait accéder, à ce stade de la M.Kreca, juge ad hoc, y a joint l’exposé de son opinion
procédure, à la demande de l’Italie tendant à ce que l’affairdissidente.
soit rayée du rôle. Elle reste par conséquent saisie de
l’affaire. La suite de la procédure a été réservée par quinze *
voix contre une. * *

La Cour était composée co mme suit: M.Weeramantry,
Vice-Président, faisant fonction de président; M.Schwebel, Rappel des faits
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, introductive d’instance contre l’Italie pour «violation de
Kooijmans, juges; MMG . aja, Kreca, juges ad hoc; l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force»,
accusant cet État de bombarder le territoire yougoslave
M. Valencia-Ospina, Greffier. « conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN ».
* Le même jour, elle a présenté une demande en indication de
mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner à l’Italie
* * de «cesser immédiatement de recourir à l’emploi de la

Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi force » et de «s’abstenir de tout acte constituant un recours
libellé : ou une menace de recours à la force » contre la RFY.
« 39. Par ces motifs, Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a
invoqué l’article IX de la Convention pour la prévention et
LAOUR, la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée
1) Par treize voix contre trois,
Rejette la demande en indication de mesures générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, ainsi que le
conservatoires présentée par la République fédérale de paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de laCour.
L’article IX de la Convention sur le génocide prévoit que les
Yougoslavie le 29 avril 1999; différends entre les partie s contractantes relatifs à
POUM:W.eeramantry, Vice-Président, faisant l’interprétation, l’applica tion ou l’exécution de la
fonction de président en l’affaire;.chwebel, Convention seront soumis à la Cour internationale de
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Justice. Quant au paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement
Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, M me Higgins,
de la Cour, il prévoit que lorsqu’un État dépose une requête
MMP .arra-Aranguren, Kooijmans, juges; M. aja, contre un autre État n’ayant pas accepté la compétence de la
juge ad hoc; Cour, la requête est transmise à cet autre État, mais aucun
CONTRE : MM. Shi, Vereshchetin, juges; M. Kreca, acte de procédure n’est effectué tant que cet État n’a pas
juge ad hoc; accepté la compétence de la Cour aux fins de l’affaire.

2) Par quinze voix contre une,
Réserve la suite de la procédure. Raisonnement de la Cour
POUM:W.eeramantry, Vice-Président, faisant Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord
fonction de président en l’affaire;.chwebel,
Président de la Cour; MMB. edjaoui, Guillaume, qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain,
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que
Ranjeva, Herczegh, Shme Fleischhauer, Koroma, connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du
Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren, différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances
Kooijmans, juges; MM. Gaja, Kreca, juges ad hoc; humaines que l’on déplore de façon continue dans
CONTRE : M. Oda, juge. » l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également
«fortement préoccupée par l’emploi de la force en
*
Yougoslavie» qui, «dans le s circonstances actuelles ...
* * soulève des problèmes très graves de droit international».

100En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la stade de la procédure que leb sombardements qui
Charte des Nations Unies, ainsi que lesresponsabilités qui constituent l’objet de la requête yougoslave «comporte[nt]

lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut, effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour groupe comme tel, que requiert ladisposition» sus-
« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se indiquée. La Cour considère dès lors qu’elle n’est pas en
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des que la Yougoslavie impute à l’Italie seraient susceptibles
autres règles du droit international, y compris du droit d’entrer dans les prévisions de la Convention sur le
humanitaire ». génocide; et l’article IX de la Convention sur le génocide ne

La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas constitue partant pas une base sur laquelle sa compétence
automatiquement compétence pour connaître des différends pourrait prima facie être fondée en l’espèce.
juridiques» entre États et que «l’un des principes Au sujet du paragraphe 5 de l’article 38 de son
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un règlement, la Cour souligne qu’en l’absence de
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa consentement de l’Italie, elle ne saurait avoir compétence en

juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures l’espèce sur cette base, même prima facie.
conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été La Cour conclut qu’elle « n’a pas prima facie
établie prima facie. compétence pour connaître de la requête de
À propos de l’article IX de la Convention sur le laYougoslavie» et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer
génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la quelque mesure conservatoire que ce soit». Toutefois, les
Yougoslavie que l’Italie sont parties à cette convention, sans
conclusions auxquelles la Cour est parvenue «ne préjugent
réserves, et que l’article IX semble ainsi constituer une base en rien [s]a compétence ... pour connaître du fond de
sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée. l’affaire » et elles « laissent intact le droit du Gouvernement
La Cour estime toutefois qu’e lle doit rechercher si les yougoslave et du Gouvernement italien de faire valoir leurs
violations de la Convention alléguées par la Yougoslavie moyens en la matière ».
sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction
instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir compétence
fondamentale entre la questi on de l’acceptation par un État
pour connaître du différend ratione materiae . Dans sa de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
requête, la Yougoslavie indique que l’objet du différend actes avec le droit international ». « La compétence exige le
porte notamment sur «les actes commis par la République consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
italienne, en violation de son obligation internationale ... de quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa
ne pas soumettre intentionnellement un groupe national à compétence et entendu les deux parties faire pleinement
des conditions d’existence devant entraîner sadestruction valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États,
physique». Elle soutient que le bombardement constant et
qu’ils acceptent ou non la juri diction de la Cour, demeurent
intensif de l’ensemble de son territoire, y compris les zones en tout état de cause responsables des actes contraires au
les plus peuplées, constitue «une violation grave de droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur
l’articleII de laConvention sur le génocide», que c’est la seraient imputables» et que «tout différend relatif à la
nation yougoslave tout entière, en tant que telle, qui est prise licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques
pour cible et que le recours à certaines armes, dont on dont le choix est laissé aux parties conformément à
connaît par avance les conséq uences dommageables à long l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties
terme sur la santé et l’environnement, ou la destruction de la
doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend».
plus grande partie du réseau d’alimentation en électricité du La Cour réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une
pays, dont on peut prévoir d’avance lesconséquences menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
catastrophiques, «témoigne[nt] implicitement de l’intention d’agression, le Conseil de sécurité est investi de
de détruire totalement ou partiellement» le groupe national responsabilités spéciales en vertu du Chapitre VII de la
yougoslave en tant que tel. L’Italie considère pour sa part Charte ».
que «[d]e toute évidence tant l’élément subjectif du crime
de génocide que l’élément objectif font défaut», que
Déclaration de M. Weeramantry,
«[l]’action des États membres de l’OTAN a pour objet le Vice-Président
territoire de la [RFY] et non pas sa population » et qu’il y a
«absence de ... volonté délib érée et intentionnelle de M.Weeramantry est d’avis que la Cour, même si elle
réaliser lafinalité inhérente du crime». La Cour constate n’a pas indiqué de mesures conservatoires, a toujours le
que, d’après la Convention, la caractéristique essentielle du pouvoir de lancer aux deux Parties un appel les invitant à
génocide est la destruction intentionnelle d’un groupe agir conformément aux obligations qui sont les leurs en
vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles de
national, ethnique, racial ou religieux; elleprécise que «le
recours ou la menace du recour s à l’emploi de la force droit international, y compris le droit humanitaire, et à ne
contre un État ne sauraient en soi constituer un acte de rien faire qui puisse aggraver ou étendre le conflit.
génocide au sens de l’article II de la Convention sur Elle a ce pouvoir parce qu’elle continue d’être saisie de
le génocide ». Elle ajoute qu’il n’apparaît pas au présent l’affaire et le demeurera ju squ’à ce qu’elle l’examine et

101parce qu’il ne s’agit pas non plus d’un cas où il y a absence Déclaration du juge Koroma
manifeste de compétence.
Dans sa déclaration, M. Koroma fait observer qu’il
Pour M.Weeramantry, c’es t la démarche qu’il convient s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait
de suivre. La Cour elle-même fait état de sa profonde jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures
préoccupation devant le drame humain et les pertes en vies conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la
humaines en cause ainsi que des responsabilités qui lui
incombent, en vertu de la Charte et de son Statut, dans le jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le
recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la
maintien de la paix et de la sécurité. sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important
La Cour aurait aussi parfaitement le pouvoir inhérent de dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit
lancer un tel appel, comme M. Weeramantry l’explique de la Charte des NationsUnies. Aussi l’indication de telles
façon plus détaillée dans son opinion dissidente dans mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus
Yougoslavie c. Belgique.
importantes de la Cour.
Un tel appel aurait égalem ent plus de portée que la Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne
simple mention de ces questions dans l’ordonnance elle- peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À
même. cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera
pas droit à une demande en indication de mesures
conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie
Déclaration du juge Shi
Tout comme la majorité, M.Shi pense que la Cour n’a ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur
pas dans les instances que la Yougoslavie a introduites prononcé.
Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire
contre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni principal des NationsUnies dont la principale raison d’être
compétence prima facie pour indiquer les mesures demeure le maintien de la paix et de la sécurité
conservatoires sollicitées par le demandeur et qu’il est
même encore plus évident qu’il en va de même dans les internationales, a une obligation claire et nette de contribuer
instances introduites contre l’Espagne et les États-Unis. au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
Il estime cependant que la Cour, confrontée à une fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un
conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
situation de grande urgence découlant de l’emploi de la seulement menace la paix et la sécurité internationales mais
force en Yougoslavie et contre celle-ci et saisie des engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
demandes en indication de mesures conservatoires pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
présentées par le demandeur, aurait dû faire une déclaration
générale exhortant les Parties à agir conformément aux pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
NationsUnies et de toutes les autres règles de droit aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit
international applicables à la situation et tout au moins à ne international, y compris le droit humanitaire et les droits de
pas aggraver ou étendre leurs différends, indépendamment l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
de la conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa
compétence prima facie avant de rendre son arrêt définitif.
Aucune disposition du Statut ou du Règlement n’interdit Déclaration du juge Vereshchetin

à la Cour d’agir ainsi. De plus, étant donné les Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la
responsabilités que la Charte et le Statut qui fait partie Yougoslavie a présenté sa demande en indication de
intégrante de celle-ci attribuent à la Cour dans le cadre mesures conservatoires imposaient la nécessité de réagir
général du maintien de la paix et de la sécurité, une telle immédiatement. La Cour au rait dû exprimer sa profonde
déclaration relève des pouvoirs implicites que possède la préoccupation devant les événements douloureux, les pertes
Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire. La Cour, à en vies humaines et les graves violations du droit
l’évidence, n’a pas saisi l’occasion de jouer le rôle qu’on international qui se produisaient et qui, lorsque la demande

attend d’elle pour le maintien de la paix et de la sécurité a été déposée, étaient déjà une question de notoriété
lorsque le besoin s’en fait le plus sentir. publique. Il n’est pas convenab le que l’organe judiciaire
De plus, contrairement à ce qu’elle a fait dans la récente principal des NationsUnies, dont la raison d’être est
affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique) , d’apporter une solution pacifique aux différends
dans une situation présentant un moindre degré d’urgence internationaux, garde le silence dans une telle situation.
Même si, en fin de compte, la Cour parvient à la conclusion
que celle dont elle est actuellement saisie, la Cour n’a pas
exercé, ainsi que le lui avait demandé la Yougoslavie, le que, à cause des contraintes que lui impose son Statut, elle
pouvoir de se prononcer d’office sur la demande en ne peut pas indiquer de mesures conservatoires en bonne et
indication de mesures conservatoires de celle-ci, sur la base due forme conformément aux dispositions de l’Article 41 du
du paragraphe 1 de l’article 75 de son règlement. Statut à l’égard de l’un ou l’ autre des États défendeurs, la
Pour ces motifs, M. Shi se voit dans l’obligation de voter Cour a le pouvoir inhérent, à tout le moins, d’enjoindre
immédiatement aux Parties de ne rien faire qui puisse
contre le paragraphe 1 du dispositif des six ordonnances.

102aggraver ou étendre le conflit et d’agir conformément à l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres
leurs obligations en vertu de la Charte des NationsUnies. affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de

Ce pouvoir découle de sa responsabilité qui est d’être la l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle
gardienne du droit international ainsi que de considérations «[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que
essentielles d’ordre public. L’autorité d’un tel appel de la ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général
«Cour mondiale», qui se situerait dans le droit fil des de la Cour à ce stade de la procédure.
dispositions de l’Article41 de son Statut, du paragraphe4 Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie
de l’article74 et du paragraphe1 de l’article75 de son
règlement, pourrait avoir pour effet de donner à réfléchir n’est pas membre des NationsUnies et n’est pas en
conséquence partie au Statut de la Cour internationale de
aux Parties engagées dans un conflit militaire sans précédent Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à
dans l’histoire de l’Europe depuis la fin de la Seconde l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
Guerre mondiale. fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
La Cour était instamment priée de faire prévaloir la règle rayées du rôle général de la Cour.
de droit dans le contexte de violations flagrantes sur une
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
grande échelle du droit international, y compris de la Charte République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
des NationsUnies. Au lieu d’agir avec diligence et, si requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
nécessaire, en sa qualité de «principale gardienne du droit instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
international », la majorité de la Cour, plus d’un mois après considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné
que les demandes ont été présentées, les a rejetées d’emblée i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le
à l’égard de l’ensemble des affaires qui avaient été contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la
soumises, y compris celles dans lesquelles la compétence
Belgique et les Pays-Bas respectivement; et iiil)a
prima facie de la Cour aurait clairement pu être établie. En Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de
outre, cette décision a été prise dans une situation dans ces instruments ne confère à la Cour compétence pour
laquelle l’intensification délibérée des bombardements des connaître de l’une ou l’autre de ces 10 requêtes.
zones les plus fortement peuplées continue de causer sans Tout comme la Cour, M.Oda pense que celle-ci doit,
répit des pertes en vies humaines parmi les non-combattants
ainsi que des maux physiques et psychologiques à la faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les
population dans l’ensemble de la Yougoslavie. demandes en indication de mesures conservatoires dans les
10 instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas
Pour les raisons qui précèdent, M.Vereshchetin ne peut compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima
souscrire à l’inaction de la Co ur à cet égard, bien qu’il facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune
concède que, dans certaines des affaires introduites par le compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit,
demandeur, la base de compétence de la Cour, à ce stade de selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce
la procédure, peut susciter le doute, et que dans le cas de
stade de la procédure non seulement dans les affaires
l’Espagne et des États-Unis, elle est inexistante. concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à
son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les
Déclaration de M. Gaja, juge ad hoc autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas
compétence prima facie.
Dans sa déclaration jointe à l’ordonnance rendue par la
Cour dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la
force (Yougoslavie c. Italie), M. Gaja donne des explications Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même
concernant les motifs pour lesquels l’affaire ne devait pas objet– résulte simplement des positions différentes que les
être rayée du rôle. À son avis, la Cour doit rendre une États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour.
ordonnance prescrivant que l’a ffaire soit rayée du rôle Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la
lorsque la base de compétence invoquée par l’État suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour
demandeur est manifestement inexistante. Cela vaut
également lorsque aucun lien raisonnable n’existe entre le M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa
différend soumis à la Cour et le traité contenant une clause conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce
juridictionnelle invoquée par le demandeur, et lorsqu’il n’est stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments.
pas concevable qu’aucun lien raisonnable pourrait
Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
apparaître à un stade ultérieur de la procédure.
MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie
Opinion individuelle du juge Oda soutient que «le bombardemen.t.d .e zones habitées
yougoslaves constitue...une violation de l’articleII de la
M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les
demandes en indication de mesures conservatoires Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur;
présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre qu’un différend d’ordre juri dique s’est élevé entre les
les 10États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la Parties du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle
Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à les points de vue des deuxParties, quant à l’exécution ou à

103la non-exécution de certaine s obligations découlant d’[un Commission internationale de l’Oder; Régime douanier
traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé entre l’Allemagne et l’Autriche).

dans sa décision du 11juillet1996 (Application de la Point n’est besoin de souligner la très grande importance
Convention pour la prévention et la répression du crime de des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.614 et 615, qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes
par.29); et que, selon l’artic le9 de la Convention sur le d’une portée considérable.
génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes
relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande
importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa
présente convention » seront soumis à la Cour internationale jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures
de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a prima facie conservatoires, en particulier dans les affaires touchant
compétence pour se pro noncer sur les mesures directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce
conservatoires sollicitées par la Yougoslavie. critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de
La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le
procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de
défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire
l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte LaGrand). Ainsi, les considératio ns d’ordre humanitaire,
constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi indépendamment des normes du droit international en
de la force contre la République fédérale de Yougoslavie». matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une
Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force certaine manière acquis une signification juridique
contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de
génocide au sens de la Convention sur le génocide. La autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la
philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit.
Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures Dans la présente instance, il semble que l’«impératif
conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les
pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes circonstances particulières de l’espèce. À la différence des
de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a
donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif
Yougoslavie. humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort
d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale
de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la
Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
mois à des attaques continues de la part d’une «armada»
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
les points suivants :
M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé
du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut dommages irréparables et d’une portée considérable à la
de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la santé de l’ensemble de la population.
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le
droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place M.Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à
sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de
l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale,
peut mener à la «soumission ... du groupe à des conditions
juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause d’existence» qui entraînent «sa destruction physique»
commune. Le droit naturel à une représentation égale au (Convention sur le génocide, art. II).
sein de la Cour, traduction du principe fondamental de
l’égalité des parties, signifie concrètement que la Certes, précise M.Kreca, il peut être soutenu que les
République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit actes de cette nature servent à affaiblir les capacités
de désigner cinq juges ad hoc car cinq des 10 États militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne
défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, saurait toutefois considérer cette explication comme un
argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être
l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge
de leur nationalité. amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette
Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante argumentation, que la puissance militaire se compose après
de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
désigner un juge ad hoc ( Juridiction territoriale de la échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de

104précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à

mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
État. stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
M. Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif
procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à groupe est menacée.

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