Résumé de l'ordonnance du 9 avril 1998

Document Number
7601
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Number (Press Release, Order, etc)
1998/3
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS

CONSULAIR S (PARAGUAY c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
(MESURES CONSERVATOIRES)

Or donnance du 9 avril 1998

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à aux États-Unis d’Amérique de porter à sa connaissance
Convention de Vienne sur les relations consulaires toutes les mesures qui auront été prises à cet effet.
(Paraguay c. États-Unis d’Amérique), la Cour a sollicité les La Cour était composée comme suit :
États-Unis d’Amérique de « prendre toutes les mesures
M. Weeramantry, Vice-Président, faisant fonction de
disponibles » pour empêcher l’exécution de M. Angel président; M. Schwebel, Président; MM. Oda, Bedjaoui,
Francisco Breard tant que la Cour n’aura pas rendu une Guillame, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
décision définitive dans l’affaire portée par le ParaguaVereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren,
de ant elle. M. Breard est un ressortissant paraguayen Kooijmans, Rezek, juges; M. Valencia-Ospina, greffier.
reconnu coupable d’homicide volontaire en Virginie (États-
Un is d’Amérique) dont l’exécution est prévue le 14 avril *
1998. Dans son ordonnance, la Cour a également demandé
* *

_______________________________
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29 Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est Gouvernement du Paraguay apprit par ses propres moyens
ainsi libellé : que M. Breard était emprisonné aux États-Unis.

« 41. Par ces motifs, Le Paraguay expose que les juridictions fédérales ont
CLOAUR, dénié à M.Breard le droit d’invoquer la Convention de
l’uàanimité, Vienne; que la juridiction de Virginie qui a condamné
M. Breard à la peine capitale a fixé au 14 avril1998 la date
I. Indique à titre provisoire les mesures de l’exécution de l’intéressé; que M.Breard, ayant épuisé
conservatoires suivantes :
Les États-Unis doivent prendre toutes les mesures toutes les voies de recours juridiques auxquelles il avait
dont ils disposent pour que M.Angel Francisco Breard droit, a saisi la Cour suprême des États-Unis d’une demande
d’ordonnance de certiorari, la priant d’exercer son pouvoir
ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la discrétionnaire de réexaminer la décision des juridictions
présente instance n’aura pas été rendue, et doivent porter fédérales inférieures et de décider qu’il serait sursis à son
à la connaissance de la Cour toutes les mesures qui exécution pendant cet examen ; et que, bien que cette
auront été prises en application de la présente demande soit encore pendante devant la Cour suprême, il est
ordonnance.
cependant rare que celle-ci accède à des demandes de cette
II. Décide que, jusqu’à ce que la Cour rende sa nature. Le Paraguay expose en outre qu’ayant lui-même
décision définitive, elle demeurera saisie des questions saisi les juridictions fédérales des États-Unis sans succès, il
qui font l’objet de la présente ordonnance. » a également soumis une demande d’ordonnance de
certiorari à la Cour suprême, qui est également pendante; et
* qu’il a en outre engagé une action diplomatique auprès du
* * Gouvernement des États-Unis et sollicité les bons offices du

Sch.webPe,sident, et MM.Oda et Koroma, Département d’État.
juges, ont joint des déclarations à l’ordonnance. Le Paraguay soutient qu’en méconnaissant leurs
obligations aux termes de l’alinéa b du paragraphe 1 de
* l’article 36 de la Convention de Vienne, les États-Unis l’ont
empêché d’exercer les fonctions consulaires prévues aux
* *
Historique de l’affaire et exposé des demandes articles 5 et 36 de la Conv ention, et tout spécialement
(par. 1 à 22) d’assurer la protection de ses intérêts et de ceux de ses
ressortissants aux États-Unis ; qu’il n’a pu contacter
La Cour commence par rapp eler que le Paraguay a M.Breard ni lui fournir l’a ssistance nécessaire, et qu’en
introduit une instance contre les États-Unis d’Amérique à conséquence celui-ci a « pris un certain nombre de décisions
raison de «violations de la Convention de Vienne [du d’un caractère objectivement déra isonnable tout au long de
24avril 1963] sur les relations consulaires» (ci-après la procédure pénale engagée contre lui, qui a été menée sans
dénommée la «Convention de Vienne») qui auraient été
traduction et «’a pas compris les différences
commises par les États-Unis. Le Paraguay fonde la fondamentales qui existent entre les systèmes de justice
compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’Article 36 pénale aux États-Unis et au Paraguay»; le Paraguay en
du Statut de la Cour et l’article premier du Protocole de conclut qu’il a droit à une restitutio in integrum, c’est-à-dire
signature facultative concernant le règlement obligatoire des au «rétablissement de la situation qui existait avant que les
différends qui accompagne la Convention de Vienne sur les États-Unis manquent de procéder aux notifications
relations consulaires (ci-après dénommé le «Protocole de requises »;
signature facultative »).
Le Paraguay prie la Cour de dire et juger que :
Dans la requête du Paraguay, il est indiqué qu’en 1992 1«)en arrêtant, détenant, jugeant, déclarant
les autorités de l’État de Virginie ont arrêté un ressortissant coupable et condamnant M. Angel Francisco Breard,
paraguayen, M.Angel Franci sco Breard, qui a été accusé, dans les conditions indiquées dans l’exposé des faits qui
jugé, déclaré coupable d’homicide volontaire et condamné à
la peine capitale par une juridi ction de Virginie en 1993, précède, les États-Unis ont violé leurs obligations
sans avoir été informé de ses droits aux termes de l’alinéa b juridiques internationales envers le Paraguay, en son
nom propre et dans l’exercice du droit qu’a cet État
du paragraphe 1 de l’article 36 de la Convention de Vienne; d’assurer la protection diplomatique de son ressortissant,
il est précisé que, parmi ces droits, figurent le droit pour ainsi qu’il est prévu aux articles 5 et 36 de la Convention
l’intéressé de demander que le poste consulaire compétent de Vienne;
de l’État dont il est le ressortissant soit averti de son
arrestation et de sa détention, et son droit de communiquer 2) le Paraguay en conséquence a droit à une
avec ledit poste; il est également allégué que les autorités de restitutio in integrum;
l’État de Virginie n’ont pas davantage avisé les 3) les États-Unis ont l’obligation juridique
internationale de ne pas appliquer la doctrine dite de la
fonctionnaires consulaires paraguayens compétents de la « carence procédurale » (procedural default), ni aucune
détention de M.Breard, et que ceux-ci n’ont été en mesure
de lui fournir une assistance qu’à partir de 1996, lorsque le autre doctrine de son droit interne, d’une manière qui ait

30 pour effet de faire obstacl e à l’exercice des droits application de l’alinéa a ci-dessus ainsi que les suites qui
conférés par l’article 36 de la Convention de Vienne; et auront été données à ces mesures; et

4) les États-Unis ont l’obligation juridique c ) le Gouvernement des Ét ats-Unis fasse en sorte
internationale d’agir conformément aux obligations qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte
juridiques internationales susmentionnées dans le cas où, aux droits de la République du Paraguay en ce qui
à l’avenir, ils placeraient en détention MA . ngel concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur
Francisco Breard ou tout au tre ressortissant paraguayen le fond de l’affaire. »

sur leur territoire ou engageraient une action pénale à Il prie en outre la Cour d’examiner sa demande avec
leur encontre, que cet acte soit entrepris par un pouvoir la plus grande urgence «eu égard à l’extrême gravité et à
constitué, législatif, exécutif, judiciaire ou autre, que ce l’imminence de la menace d’exécution d’un citoyen
pouvoir occupe une place supérieure ou subordonnée paraguayen ».
dans l’organisation des États-Unis et que les fonctions
de ce pouvoir présentent un caractère international ou Par des lettres identiques en date du 3avril 1998, le
interne; Vice-Président de la Cour s’est adressé aux deux Parties
dans les termes suivants :
et, conformément aux obligations juridiques « Exerçant la présidence de la Cour en vertu des articles
internationales susmentionnées : 13 et 32 du Règlement de la Cour, et agissant
1) toute responsabilité pénale attribuée à M.Angel conformément aux dispositions du paragraphe 4 de
Francisco Breard en violation d’obligations juridiques
l’article 74 dudit règlement, j’appelle par la présente
internationales est nulle et doit être reconnue comme l’attention des deux Parties sur la nécessité d’agir de
nulle par les autorités légales des États-Unis; manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande
2) les États-Unis doivent restaurer le statu quo en indication de mesures conservatoires puisse avoir les
ante, c’est-à-dire rétablir la situation qui existait avant effets voulus. »
les actes de détention, de poursuite, de déclaration de
culpabilité et de condamnation du ressortissant du Lors des audiences publiques tenues le 7avril 1998,
des observations orales sur la demande en indication de
Paraguay commis en violation des obligations juridiques mesures conservatoires ont été présentées par les deux
internationales des États-Unis; et Parties.
3) les États-Unis doivent donner au Paraguay la
garantie que de tels actes illicites ne se reproduiront
pas. » Le raisonnement de la Cour
(par. 23 à 41)
Le 3 avril 1998 le Paragu ay a également présenté une La Cour commence par indiquer qu’en présence d’une
demande urgente en indication de mesures conservatoires à
l’effet de protéger ses droits. Il expose en ces termes les demande en indication de mesures conservatoires elle n’a
motifs de la demande et les conséquences éventuelles de son pas besoin, avant de décider d’indiquer ou non de telles
rejet : mesures, de s’assurer d’une manière définitive qu’elle a
compétence quant au fond de l’af faire, mais qu’elle ne peut
«Dans les circonstances graves et exceptionnelles de la cependant indiquer ces mesures que si les dispositions
présente affaire et eu égard à l’intérêt primordial que le invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer
Paraguay attache à la vie et à la liberté de ses une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être
ressortissants, il est urgent d’indiquer des mesures
conservatoires pour protéger la vie du ressortissant fondée.
paraguayen et sauvegarder le pouvoir de la Cour Elle note que l’article premier du Protocole de
signature facultative, que le Paraguay invoque comme base
d’ordonner la mesure à laquelle le Paraguay a droit: le de la compétence de la Cour dans la présente affaire, est
rétablissement de l’état de choses antérieur. Si les ainsi libellé :
mesures conservatoires demandées ne sont pas
indiquées, les États-Unis ex écuteront M.Breard avant Les différends relatifs à l’interprétation ou à
que la Cour puisse examiner le bien-fondé des l’application de la Convention relèvent de la compétence
prétentions du Paraguay et celui-ci sera à jamais privé de obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce
la possibilité d’obtenir le rétablissement de la situation titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au
différend qui sera elle-même partie au présent
antérieure si la Cour venait à se prononcer en sa protocole. »
faveur. »
Le Paraguay prie la Cour d’indiquer, en attendant et que le Paraguay et les États-Unis sont tous les deux
l’arrêt définitif en l’instance, des mesures tendant à ce que : Parties à la Convention de Vienne et au Protocole de
signature facultative, dans chaque cas sans réserve.
« a) le Gouvernement des États-Unis prenne les La Cour prend note que, dans sa requête et à
mesures nécessaires pour faire en sorte que M. Breard ne
soit pas exécuté tant que la décision n’aura pas été l’audience, le Paraguay a exposé que les questions en litige
rendue en la présente instance; entre lui-même et les États-Unis d’Amérique concernent les
b) le Gouvernement des États-Unis porte à la articles 5 et 36 de la Convention de Vienne et relèvent de la

connaissance de la Cour les mesures qu’il aura prises en
31compétence obligatoire de la Cour en vertu de l’article Déclaration de M. Schwebel, Président
premier du Protocole de signature facultative.
J’ai voté pour l’ordonnance, mais non sans
À l’audience, les États-Unis ont soutenu que le appréhension. Les questions délicates qu’elle soulève ont
Paraguay n’a pas établi la compétence de la Cour en été débattues à la hâte, bien qu’avec beaucoup de talent. Les
l’espèce, même prima facie; ils ont fait valoir qu’il n’existe moyens de preuve produits sont extrêmement succincts. La
entre les Parties aucun différen d quant à l’interprétation de
l’alinéa b du paragraphe 1 de l’article 36 de la Convention Cour n’a pu procéder qu’à une analyse sommaire des points
de droit et de fait dans les ci rconstances qui lui avaient été
de Vienne et qu’il n’en existe pas davantage quant à son imposées. Les États-Unis soutiennent qu’aucun État n’a
application, dès lors que les États-Unis reconnaissent que la jamais prétendu, comme le fait maintenant le Paraguay, que
notification qui y est prévue n’ a pas été effectuée; ils ont le droit de communication avec les fonctionnaires
soutenu que les objections que le Paraguay élève à consulaires prévu par la Convention de Vienne sur les
l’encontre des procédures engagées contre son ressortissant
ne sauraient être constitutives d’un différend relatif à relations consulaires n’ayant pa s été respecté les décisions
l’interprétation ou à l’application de la Convention de se rapportant à une procédure judiciaire, une déclaration de
culpabilité et un appel doivent être annulés. Les États-Unis
Vienne; et ils ont ajouté qu’aucun droit à restitutio in ont non seulement présenté des excuses au Paraguay pour
integrum n’existe aux termes de ladite convention. avoir omis involontairement de notifier à son consul
La Cour conclut qu’il existe un différend sur la l’arrestation et le jugement de 1’accusé, mais ils ont aussi
question de savoir si la solution recherchée par le Paraguay pris des mesures concrètes pour renforcer le respect, qui
figure parmi les mesures possibles en vertu de la
Convention de Vienne, en particulier au regard des semble être assez inégal sur leur territoire, des obligations
que leur impose la Convention de Vienne.
dispositions des articles 5 et 36 de cette convention; et qu’il Cela étant dit, j’ai voté en fav eur de l’ordonnance
s’agit là d’un différend rela tif à l’application de la indiquant des mesures conservatoires en application de
Convention au sens de l’article premier du Protocole de l’Article 41 du Statut de la Cour. Ces mesures doivent être
signature facultative; et qu’elle a prima facie compétence en prises pour sauvegarder les droits du Paraguay dans une
vertu de l’article premier du Protocole de signature
facultative susmentionné pour se prononcer sur le différend situation d’urgence incontestable.
Je me suis prononcé en faveur de 1’ordonnance
entre le Paraguay et les États-Unis. essentiellement pour les raisons suivantes: l’État de
La Cour fait remarquer ensuite que le pouvoir Virginie ayant admis qu’il avait omis d’accorder au consulat
d’indiquer des mesures conservatoires, que la Cour tient de du Paraguay la possibilité de communiquer en temps utile
l’Article 41 de son Statut, a pour objet de sauvegarder le
droit de chacune des Parties en attendant qu’elle rende sa avec l’accusé, il est reconnu que le traité a été violé. Le fait
décision, et présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit que des excuses ont été présentées et que des dispositions
ont été prises au niveau fédéral pour éviter que de tels
pas être causé aux droits en litige dans une procédure manquements ne se reproduisent ne présente aucune utilité
judiciaire; qu’il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de pour l’accusé qui, selon le Paraguay, a subi ou a pu subir un
sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt préjudice parce qu’il n’a pu communiquer avec son
qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement consulat, ce qui soulève une question relevant du fond. Il est
reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur; et que de
telles mesures ne sont justifiées que s’il y a urgence. évidemment important pour le maintien et le développement
de la primauté du droit entre les États que les obligations
La Cour relève ensuite que l’ordre d’exécution de conventionnelles soient respectées etquesiellesnelesont
M. Breard a été donné pour le 14 avril 1998; et elle constate pas une réparation soit demandée. L’intérêt réciproque des
qu’une telle exécution rendrait impossible l’adoption de la États au respect effectif des obligations découlant de la
solution demandée par le Paraguay et porterait ainsi un Convention de Vienne sur les relations consulaires est
préjudice irréparable aux droits revendiqués par celui-ci. d’autant plus grand dans le monde d’aujourd’hui où les

Elle fait observer à ce propos que les questions portées individus se mélangent et le feront encore plus demain (et
devant la Cour en l’espèce ne concernent pas le droit des les ressortissants des États-Unis qui se déplacent à l’étranger
États fédérés qui composent les États-Unis de recourir à la ont plus que les ressortissants de n’importe quel autre État
peine de mort pour les crimes les plus odieux; et qu’en outre intérêt au respect de ces obligations). Selon moi, ces
la fonction de la Cour est de régler des différends juridiques considérations vont au-delà de s graves difficultés que cette
internationaux entre États, notamment lorsqu’ils découlent ordonnance entraînera pour les autorités des États-Unis et de

de l’interprétation ou de l’application de conventions la Virginie.
internationales, et non pas d’agir en tant que cour d’appel en
matière criminelle. Déclaration de M. Oda
Compte tenu des considérations susmentionnées, la
Cour conclut que les circonst ances exigent qu’elle indique 1. J’ai voté en faveur de l’ordonnance de la Cour après
d’urgence des mesures conservatoires, conformément à avoir beaucoup hésité car je croi s et je persiste à croire que
la demande en indication de mesures conservatoires
l’Article 41 de son Statut.

32présentée par le Paraguay à la Cour aurait dû être rejetée. ne se reproduirait plus à l’aven ir. Selon moi, les États-Unis
Dans le délai restreint – un ou deux jours – dont disposait la étaient ainsi dégagés de toute responsabilité en raison de la

Cour pour statuer, je me suis toutefois vu dans violation de la Convention de Vienne.
l’impossibilité de développer suffisamment mon La question de la violation de la Convention de
argumentation pour persuader mes collègues de modifier Vienne, qui aurait pu être à l’origine d’un différend relatif à
leur position. son application et son interprétation, ne se posait plus à
2. Je voudrais tout d’abord faire part de certaines partir de ce moment-là. Cette question a toutefois été de

réflexions que m’inspire la demande. nouveau soulevée le 3avril 1998, date du dépôt de la
Je peux, pour des motifs humanitaires, comprendre la requête du Paraguay.
situation critique dans laque lle se trouve M.Breard et 4. Quelle est la décision que le Paraguay demande à la
reconnaître que le dépôt de la requête par le Paraguay le Cour de rendre dans sa requête du 3avril 1998? Le
3avril 1998 fait que son sort, encore que cela ne soit pas Paraguay la prie principalement de statuer sur la situation
normal, est aujourd’hui entre les mains de la Cour. personnelle de M.Breard, à savoir sur son exécution

Je voudrais toutefois ajouter que s’il y a lieu de imminente par les autorités compétentes de l’État de
respecter les droits de M.Breard dès lors qu’ils ont trait à Virginie.
des questions d’ordre humanitaire, il convient en même Le Paraguay demande une restitutio in integrum. Or,
temps de tenir compte des droits des victimes d’actes de si les autorités consulaires avaient pu entrer en
violence (aspect qui a souvent été négligé). II convient aussi communication avec M. Breard à l’époque de son

de noter que M. Breard a été traité de façon équitable depuis arrestation ou de sa détention, la procédure judiciaire dans
son arrestation dans toutes les procédures dont il a fait cette affaire devant les tribunaux internes des États-Unis
l’objet dans le cadre du système judiciaire américain, qui est n’aurait pas été différente. Ce point a été explicité lors des
régi par le principe de la légalité. plaidoiries.
La Cour ne saurait ni faire fonction de cour d’appel en
matière criminelle ni être saisie de requêtes tendant à ce * *

qu’elle rende des ordonnances d’ habeas corpus. La Cour 5. Je voudrais maintenant aborder certaines questions
n’a pas compéten ce pour se prononcer sur des questions générales concernant les mesures conservatoires. En premier
relatives à la peine capitale et à son application et ne devrait lieu, des mesures conservatoires sont généralement
pas intervenir dans ces domaines. indiquées pour sauvegarder des droits exposés à un risque
imminent de violation irréparable et ces droits doivent être
* *
ceux qui seront examinés lors de la phase du fond et doivent
3. Comme il a été dit plus haut, la Cour a été saisie le constituer l’objet de la requête ou se rapporter directement à
avril 1998 de la demande du Paraguay, déposée celle-ci. Or, en l’espèce, ces droits (d’États parties) visés
simultanément avec la requête introductive d’instance qu’il dans la Convention de Vienne ne sont nullement exposés à
a présentée contre les États-Unis en raison de violations de un risque de violation imminente irréparable.

la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 6. En deuxième lieu, il faut, pour que la Cour puisse
1963. La Cour a été saisie unilatéralement de la requête du indiquer des mesures conservatoires, qu’elle ait à tout le
Paraguay sur le fondement du Protocole de signature moins compétence prima facie pour connaître des questions
facultative. Je nourris de très sérieux doutes sur l’existence, relatives aux droits des États parties. Or je crois que,
à la date du dépôt de la requête et de la demande, d’un s’agissant de la présente demande en indication de mesures
« [différend relatif] à l’interprétation ou à l’application de la conservatoires, la Cour n’a pas compétence, même prima
Convention [de Vienne»] (Protocole de signature facie, pour traiter de cette question.

facultative, article premier). 7. En troisième lieu, s’il n’avait pas été fait droit à la
Si un différend existait entre le Paraguay et les États- demande en l’espèce, la requête elle-même aurait été vidée
Unis au sujet de l’interprétation ou de 1’application de la de tout son sens. Je n’aurais alors pas hésité en pareil cas à
Convention de Vienne, il pourrait tenir au fait que les États- faire observer qu’on ne saura it se servir d’une demande en
Unis auraient violé la Convention au moment de indication de mesures conservatoires pour permettre à la

l’arrestation de M.Breard en 1992 en n’avertissant pas le requête principale de suivre son cours. De plus, des
Consul du Paraguay de cet événement. demandeurs ne devraient pas se servir de la demande en
Le Paraguay a soulevé ce point lorsqu’il a eu indication de mesures conservatoires pour obtenir des
connaissance de la situation de M. Breard. Des négociations décisions interlocutoires qui confirmeraient leurs propres
se sont déroulées en 1996 entre le Paraguay et les États-Unis droits et préjugeraient la décision dans l’instance principale.
au sujet de cette fonction consulaire prévue dans la 8. Ce sont là les raisons qui m’ont conduit à penser qu’il

Convention. En juillet 1997, les États-Unis ont entrepris de n’y avait pas lieu d’indiquer les mesures conservatoires
remédier à la violation en envoyant au Gouvernement du demandées par le Paraguay eu égard au caractère
Paraguay une lettre dans laquelle ils lui présentaient leurs fondamental de telles mesures.
excuses pour ne pas avoir informé le Consul des événements
concernant M. Breard et lui assuraient que ce manquement

33 Je rappelle toutefois que j’ai voté en faveur de Cour d’efficacité ou d’objet. C’est compte tenu de ces
l’ordonnance pour des raisons humanitaires et compte tenu circonstances que la Cour a jugé nécessaire d’indiquer des

du fait que, quelles que soient les conclusions auxquelles la mesures conservatoires afin de protéger les droits respectifs
Cour aurait pu aboutir, elles seraient privées d’objet si de chacune des Parties au différend. Cependant, avant d’en
l’exécution devait avoir lieu le 14 avril 1998. arriver là, il incombe à l’État de bien montrer que la Cour
est prima facie compétente.
Déclaration de M. Koroma Examinant les faits présentés dans le contexte de la

Je n’ai décidé de voter en faveur de l’ordonnance qui Convention de Vienne sur les relations consulaires et, en
indique des mesures conservatoires en l’espèce qu’après particulier, de ses articles 5 et 36, ainsi que de l’article
avoir mûrement réfléchi et compte tenu de l’urgence de la premier du Protocole de signat ure facultative concernant le
règlement obligatoire des différends du 24 avril 1963, la
présente affaire, ainsi que de ses circonstances Cour est parvenue à juste titre à la conclusion qu’il existait
exceptionnelles. J’étais déch iré entre, d’une part, la un différend et que sa compétence avait été établie prima
nécessité d’observer les conditions auxquelles l’Article 41 facie.
du Statut de la Cour subordonne l’indication de mesures
conservatoires, afin de garantir que, quelle que soit la Selon moi, en rendant la présente ordonnance, la Cour
décision que la Cour puisse rendre, celle-ci ne soit pas a satisfait aux conditions posées par l’Article 41 du Statut,
tandis que l’ordonnance sauvegarde en même temps les
privée d’objet, et, d’autre part, la nécessité, pour la Cour, de droits respectifs de l’une et l’autre Partie : le Paraguay et les
rester dans les limites de la compétence qui l’habilite à États-Unis. L’ordonnance indique qu’il doit être sursis à
régler les différends entre États, qui, selon moi, s’étend au
respect de la souveraineté d’un État vis-à-vis de son système l’exécution de la condamnation de M. Breard à la peine
de justice pénale. capitale le 14 avril 1998, sauvegardant ainsi son droit à la
II était donc à la fois opportun et approprié pour la vie jusqu’à ce que la Cour rende sa décision définitive en
l’espèce; elle reconnaît aussi la souveraineté pénale des
Cour de tenir compte de la mission qui est la sienne, qui États-Unis, notamment lorsqu’il s’agit de poursuivre, juger,
consiste à statuer sur des différ ends entre États et non pas à déclarer coupables et condamner des personnes
agir en tant que cour suprême universelle d’appel en matière soupçonnées d’avoir commis une infraction aux États-Unis
pénale. Par ailleurs, il est également vrai que la Cour a pour
fonction de trancher des différends entre États qui lui sont ou dans les limites de leur juridiction. Je suis d’accord avec
soumis conformément au droit international, en appliquant cette décision.
des conventions internationales, etc. À mon avis, En aboutissant à cette déci sion, la Cour a également
agi avec la prudence judiciaire dont elle doit faire preuve
l’ordonnance satisfait à ces exigences. lors de l’examen d’une demande en indication de mesures
La requête du Paraguay, déposée le 3avril 1998, qui conservatoires : elle ne doit pas aborder des questions
introduit une instance contre les États-Unis, en alléguant des
violations de la Convention de Vienne sur les relations dépourvues de pertinence immédiate aux fins de la
consulaires de 1963, prie la Cour, notamment, d’indiquer protection des droits respectifs de 1’une ou 1’autre Partie,
ou qui relèvent du fond de l’affaire. Une fois encore elle a
des mesures conservatoires en vertu de l’Article 41 du donc confirmé sa jurisprudence constante : une mesure
Statut, afin de protéger ses droits et le droit d’un de ses conservatoire ne doit être indi quée que pour autant qu’elle
ressortissants, qui a été déclaré coupable d’un crime grave est indispensable et nécessaire à la préservation des droits
commis aux États-Unis et condamné à mort.
Une demande en indication de mesures conservatoires respectifs de l’une et l’autr e Partie, et seulement avec
a pour but de sauvegarder et protéger les droits des Parties circonspection. C’est compte tenu de la considération qui
précède que j’ai souscrit à la décision de la Cour de faire
qui font l’objet du différend, surtout lorsque ces droits ou droit à la demande présentée en vertu de l’Article 41 du
l’objet du différend risqueraient d’être anéantis de façon Statut.
irrémédiable ou irréparable, privant ainsi la décision de la

34

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Résumé de l'ordonnance du 9 avril 1998

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