Résumé de l'arrêt du 25 septembre 1997

Document Number
7377
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1997/1
Date of the Document
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Document

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVEAU PROJET GABCÍKOVO-NAGYMAROS

(HONGRIE/SLOVAQUIE)

Arrêt du 25 septembre 1997

Dans son arrêt sur l’affaire relative au Projet Gabcíkovo- Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer,

Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), la Cour a décidé que la Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans,
Hongrie n’était pas en droit de suspendre puis Rezek, juges; M.Skubiszewski, juge ad hoc; M.Valencia-
d’abandonner, en 1989, la partie des travaux qui lui Ospina, Greffier.
incombait dans le cadre du projet de barrage, tels qu’ils
étaient déterminés dans le Traité signé en 1977 par la *
Hongrie et la Tchécoslovaquie et dans les instruments y * *
afférents; la Cour a décidé en outre que la Tchécoslovaquie
Le dispositif de l’arrêt se lit comme suit :
était en droit d’entreprendre, en novembre 1991, les travaux « 155. Par ces motifs,
préparatoires en vue de la mise en Œuvre d’une solution
alternative et provisoire (la «variante C»), mais non de la LA COUR,
mettre unilatéralement en service en octobre 1992; que la 1) Vu le paragraphe 1 de l’article 2 du compromis,
notification, le 19 mai 1992, par la Hongrie de la A. Dit, par quatorze voix contre une, que la Hongrie
terminaison du Traité de 1977 et des instruments y afférents
n’a pas eu pour effet juridique d’y mettre fin (et que par n’était pas en droit de suspendre puis d’abandonner, en
1989, les travaux relatifs au projet de Nagymaros ainsi
conséquent ils sont toujours en vigueur et régissent les qu’à la partie du projet de Gabcíkovo dont elle était
relations entre les Parties); et que la Slovaquie, en tant que responsable aux termes du Traité du 16 septembre 1977
successeur de la Tchécoslovaq uie, est devenue partie au et des instruments y afférents;
Traité de 1977.
Quant au futur comportement des Parties, la Cour a POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
Vice-Président; MMO.da, Bedjaoui, Guillaume,
conclu : que la Hongrie et la Slovaquie doivent conduire des Ranjeva, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin,
négociations de bonne foi en tenant compte de la situation Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges;
existante, et qu’elles doivent prendre toutes les mesures M. Skubiszewski, juge ad hoc;
nécessaires afin d’assurer la réalisation des objectifs du CONTRE : M. Herczegh, juge;
Traité de 1977; que, sauf si les Parties en conviennent
autrement, un régime opérationnel conjoint pour le barrage B. Dit, par neuf voix contre six, que la
en territoire slovaque doit être établi conformément au Tchécoslovaquie était en droit de recourir, en novembre
1991, à la «solution provisoire» telle que décrite aux
Traité de 1977; que chaque Pa rtie doit indemniser l’autre termes du compromis;
Partie pour les dommages causés par son comportement; et
que le règlement des comptes concernant la construction et PO:Uee.ramantry, Vice-Président;
le fonctionnement des ouvrages doit être effectué MM. Oda, Guillaume, Shi, Koroma,Vereshchetin, Parra-
conformément aux dispositions pertinentes du Traité de Aranguren, Kooijmans, juges; M. Skubiszewski, juge ad
1977 et des instruments y afférents. hoc;
CONTRE: M.Schwebel, Président; MM.Bedjaoui,
De plus, la Cour a décidé que des normes du droit de
l’environnement, récemment apparues, étaient pertinentes à Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Rezek, juges;
l’exécution du Traité et que les Parties pouvaient, d’un C. Dit, par dix voix contre cinq, que la
commun accord, en tenir compte en appliquant plusieurs de Tchécoslovaquie n’était pas en droit de mettre en
ses articles. Elle a conclu que les Parties, pour concilier le service, à partir d’octobre 1992, cetsolution
développement économique et la protection de provisoire »;

l’environnement, «devraient ex aminer à nouveau les effets POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
sur l’environnement de l’exploitation de la centrale de Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva,
Gabcíkovo. En particulier, elles doivent trouver une solution Herczegh, Shi, Fleischhauer, Kooijmans, Rezek, juges;
satisfaisante en ce qui concerne le volume d’eau à déverser CONTRE : MM. Oda, Koroma,Vereshchetin, Parra-
dans l’ancien lit du Danube et dans les bras situés de part et Aranguren, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc;
d’autre du fleuve ».
D. Dit, par onze voix contre quatre, que la
La Cour était composée comme suit : M. Schwebel, notification, le 19 mai 1992, de la terminaison du Traité
Président; M. eeramantry, Vice-Président; MMO . da,

1 du 16 septembre 1977 et des instruments y afférents par E. Dit, par treize voix contre deux, que le règlement
la Hongrie n’a pas eu pour effet juridique d’y mettre fin; des comptes concernant la construction et le

PO:UMe.ramantry, Vice-Président; fonctionnement des ouvrages doit être effectué
MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma, conformément aux dispositions pertinentes du Traité du
Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; 16 septembre 1977 et des instruments y afférents,
M. Skubiszewski, juge ad hoc; compte dûment tenu des mesures qui auront été prises
par les Parties en application des points 2 B et C du
CONTRE : M. Schwebel, Président; MM.Herczegh, présent dispositif.
Fleischhauer, Rezek, juges;
2) Vu le paragraphe 2 de l’article 2 et l’article 5 du POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
compromis, Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Shi, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren,
A. Dit, par douze voix contre trois, que la Slovaquie, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc;
en tant que successeur de la Tchécoslovaquie, est CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges.
devenue partie au Traité du 16 septembre 1977 à
compter du 1 erjanvier 1993; *
POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
* *
Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Shi, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, MS.hwebelP, résident, et M.Rezek ont joint des
Kooijmans, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc; déclarations à l’arrêt de laCour; M.Weeramantry, Vice-
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, Rezek, Président, et MM. Bedjaoui et Koroma ont joint à l’arrêt les
juges; exposés de leur opinion individuelle; MM.Oda, Ranjeva,
Herczegh, Fleischhauer, Veresh chetin, Parra-Aranguren et
B. Dit, par treize voix contre deux, que la Hongrie et M. Skubiszewski, juge ad hoc, ont joint à l’arrêt les exposés
la Slovaquie doivent négocier de bonne foi en tenant
compte de la situation existante et doivent prendre toutes de leur opinion dissidente.
mesures nécessaires à l’effet d’assurer la réalisation des
objectifs du Traité du 16 septembre 1977, selon des *
modalités dont elles conviendront; * *

POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry, Rappel de la procédure et exposé des demandes
Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Shi, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, (par. 1 à 14)
Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc; La Cour commence par rappeler que l’instance a été
introduite, le 2 juillet 1993, par la notification conjointe, par
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges;
C. Dit, par treize voix contre deux, que, sauf si les la Hongrie et la Slovaquie, d’un compromis, signé à
Parties en conviennent autrement, un régime Bruxelles le 7avril 1993. Après avoir cité le texte du
opérationnel conjoint doit être établi conformément au compromis, la Cour expose les étapes successives de la
Traité du 16 septembre 1977; procédure, mentionnant, en autres choses, la visite sur les
lieux qu’elle a effectuée, à l’invitation des Parties, du 1
POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry, 4 avril 1997. Elle énonce ensuite les conclusions des Parties.
Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Shi, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren,
Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc; Historique du différend
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges; (par. 15 à 25)

D. Dit, par douze voix contre trois, que, sauf si les La Cour rappelle que la présente affaire trouve son
Parties en conviennent autrement, la Hongrie devra origine dans la signature, le 16 septembre 1977, par la
indemniser la Slovaquie pour les dommages subis par la République populaire hongroise et la République socialiste
Tchécoslovaquie et par la Slovaquie du fait de la tchécoslovaque d’un traité «relatif à la construction et au
suspension et de l’abandon par la Hongrie de travaux qui fonctionnement du système d’écluses de Gabcíkovo-

lui incombaient; et la Slovaquie devra indemniser la Nagymaros» (dénommé ci-après le «Traité de 1977»). Le
Hongrie pour les dommages subis par cette dernière du nom des deux États contractants a varié au cours des ans; ils
fait de la mise en service de la «solution provisoire» sont dénommés ci-après la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
par la Tchécoslovaquie et de son maintien en service par Le Traité de 1977 est entré en vigueur le 30 juin 1978. Il
la Slovaquie; prévoit la construction et l’exploitation du système d’écluses
POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry, par les Parties «en tant qu’investissement conjoint». Selon
le préambule du Traité, le système avait pour but «de
Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva,
Herczegh, Shi, Fleischh auer, Parra-Aranguren, mettre en valeur, de façon générale, les ressources naturelles
Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc; de la section Bratislava-Budapest du Danube aux fins du
CONTRE : MM. Oda, Koroma, Vereshchetin, juges; développement des secteurs des ressources hydrauliques, de
l’énergie, des transports et de l’agriculture et des autres

2secteurs de l’économie nationale des Parties contractantes ». *

L’investissement conjoint tendait ainsi essentiellement à la * *
production d’hydroélectricité, à l’amélioration de la
navigation sur le tronçon en cause du Danube et à la Le calendrier de réalisation des travaux avait pour sa
protection des régions riveraines contre les inondations. En part été fixé dans un accord d’assistance mutuelle signé par
même temps, les Parties contractantes, selon les termes du les deux Parties le 16 septembre 1977, en même temps que
Traité, s’engageaient tant à veiller à ce que la mise en Œuvre le Traité lui-même. L’accord apportait quelques retouches à
la répartition des travaux entre les Parties telle qu’opérée par
du projet ne compromette pas la qualité des eaux du Danube
qu’à s’acquitter de leurs obligations concernant la protection le Traité. Les travaux relatif s au projet commencèrent en
de la nature et découlant de la construction et du 1978. À l’initiative de la Hongrie, les deux Parties
fonctionnement du système d’écluses. convinrent d’abord, par deux protocoles signés le 10 octobre
Le secteur du Danube auquel se rapporte la présente 1983, de ralentir les travaux et de différer la mise en service
des centrales, puis, par un protocole signé le 6 février 1989,
affaire est un tronçon d’e nviron 200 kilomètres, entre d’accélérer le projet.
Bratislava, en Slovaquie, et Budapest, en Hongrie. En aval
de Bratislava, la déclivité du fleuve diminue sensiblement, À la suite de vives critiques que le projet avait suscitées
créant une plaine alluviale de gravier et de sédiments en Hongrie, le Gouvernement hongrois décida le 13 mai
sableux. La frontière entre les deux États est constituée dans 1989 de suspendre les travaux à Nagymaros en attendant
la majeure partie de cette région par le chenal principal du l’achèvement de diverses études que les autorités
fleuve. Cunovo et, plus en aval, Gabcíkovo sont situés dans compétentes devaient mener à bien avant le 31 juillet 1989.

ce secteur du fleuve, en territoire slovaque; Cunovo est situé Le 21juillet 1989, le Gouvernement hongrois prolongea
sur la rive droite du fleuve et Gabcíkovo sur la rive gauche. jusqu’au 31octobre 1989 la suspension des travaux à
Plus bas, après jonction des divers bras, le fleuve entre en Nagymaros et suspendit en outre les travaux à Dunakiliti
territoire hongrois. Nagymaros se trouve dans une vallée jusqu’à la même date. Enfin, le 27 octobre 1989, la Hongrie
étroite à un endroit où le Danube fait un coude juste avant décida d’abandonner les tr avaux à Nagymaros et de
de se diriger vers le sud, ento urant la grande île fluviale de maintenir le statu quo à Dunakiliti.
o
Szentendre avant d’atteindre Budapest (voir le croquis n 1). Au cours de cette période, des négociations furent tenues
Les principaux ouvrages à construire en exécution du entre les Parties. La Tchécoslovaquie mit aussi à l’étude des
projet sont décrits dans le Traité de 1977. Deux séries solutions de rechange. L’une d’entre elles, solution de
d’écluses étaient prévues, l’ une à Gabcíkovo (en territoire rechange dénommée par la suite «variante C», impliquait
tchécoslovaque), l’autre à Nagymaros (en territoire le détournement unilatéral du Danube par la
Tchécoslovaquie sur son territoire à quelque 10 kilomètres
hongrois), en vue de constituer «un système d’ouvrages o o
opérationnel, unique et indivisible» (voir le croquis n 2). en amont de Dunakiliti (voir le croquis n 3). Dans son
Le Traité prévoyait en outre que les spécifications dernier état, la variante C comportait la construction à
techniques concernant le système seraient fixées dans le Cunovo d’un barrage déversoir et d’une digue reliant ce
plan contractuel conjoint », qui devait être établi barrage à la rive sud du canal de dérivation. Des ouvrages
conformément à l’accord signé à cette fin par les deux accessoires étaient prévus.

gouvernements le 6 mai 1976; il prévoyait également que la Le 23 juillet 1991, le Gouvernement slovaque décida de
construction, le financement et la gestion des travaux « commencer en septembre 1991 les constructions en vue de
seraient menés à bien conjointement et que les Parties y permettre la mise en exploitation du projet de Gabcíkovo
participeraient à parts égales. grâce à la solution provisoire ». Les travaux relatifs à la
Sur un grand nombre de points, le plan contractuel variante C commencèrent en novembre 1991. Les
discussions se poursuivirent en vain entre les deux Parties
conjoint précisait à la fois les objectifs du système et les
caractéristiques des ouvrages. Il comprenait également des et, le 19 mai 1992, le Gouvernement hongrois transmit au
«consignes provisoires d’exploitation et d’entretien» dont Gouvernement tchécoslovaque une note verbale mettant fin,
l’article 23 précisait que «Les consignes d’exploitation à compter du 25 mai 1992, au Traité de 1977. Le 15 octobre
définitives [seraient] agréées dans un délai d’un an à 1992, la Tchécoslovaquie en tama les travaux devant
compter de la mise en service du système. » permettre la fermeture du Danube et elle procéda, à partir du
23 octobre, au barrage du fleuve.
La Cour observe que le projet devait donc se présenter er
comme un projet conjoint intégré dans lequel les deux La Cour enfin prend note du fait que le 1 janvier 1993,
Parties contractantes seraient sur un pied d’égalité en ce qui la Slovaquie devint un État indépendant; que dans le
concerne le financement, la construction et l’exploitation compromis conclu par la suite entre la Hongrie et la
des ouvrages. Son caractère unique et indivisible devait être Slovaquie les Parties étaient convenues d’établir et
d’appliquer un régime temporaire de gestion des eaux pour
concrétisé grâce au plan contr actuel conjoint qui complétait
le Traité. C’est sous le contrôle de la Hongrie, en particulier, le Danube; et qu’elles ont conclu finalement, le 19 avril
que se seraient trouvés les vannes de Dunakiliti et les 1995, un accord à cet effet, qui doit prendre fin quatorze
ouvrages de Nagymaros, tandis que les ouvrages de jours après le prononcé de l’arrêt de la Cour. La Cour
Gabcíkovo auraient été placés sous le contrôle de la observe également que le préambule du compromis
Tchécoslovaquie. s’applique non seulement au Traité de 1977, mais aussi aux

3«instruments y afférents»; et que les Parties, tout en La Cour examine ensuite la question de savoir s’il
concentrant leur argumentation sur le Traité de 1977, existait, en 1989, un état de nécessité qui eût permis à la

paraissent avoir étendu leur démonstration aux Hongrie, sans engager sa responsabilité internationale, de
« instruments y afférents ». suspendre et d’abandonner des travaux qu’elle était tenue de
réaliser conformément au Traité de 1977 et aux instruments
Suspension et abandon par la Hongrie en 1989 des y afférents.
travaux relatifs au projet La Cour observe tout d’abord que l’état de nécessité

(par. 27 à 59) constitue une cause, reconnue par le droit international
Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, alinéa a, du coutumier, d’exclusion de l’illicéité d’un fait non conforme
compromis, il est demandé en premier lieu à la Cour de dire à une obligation internationale. Elle considère en outre que
cette cause d’exclusion de l’illicéité ne saurait être admise
«si la République de Hongrie était en droit de qu’à titre exceptionnel. Dans la présente affaire, les
suspendre puis d’abandonner, en 1989, les travaux conditions de base suivantes, énoncées à l’article 33 du
relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu’à la partie projet d’articles sur la responsabilité internationale des États
du projet de Gabcíkovo dont la République de
Hongrie est responsable aux termes du Traité ». de la Commission du droit international sont pertinentes : un
« intérêt essentiel » de l’État auteur du fait contraire à l’une
La Cour observe qu’elle n’a pas à s’attarder sur la de ses obligations internationales doit avoir été en cause; cet
question de l’applicabilité ou de l’inapplicabilité en l’espèce intérêt doit avoir été menacé par un «péril grave et
de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités imminent»; le fait incriminé doit avoir été le «seul
qu’ont invoquée les Parties. Il lui suffit de rappeler qu’à moyen» de sauvegarder ledit intérêt; ce fait ne doit pas
plusieurs reprises déjà, elle a eu l’occasion de dire que avoir «gravement porté atteinte à un intérêt essentiel» de
certaines des règles énoncées dans ladite convention
l’État à l’égard duquel l’obliga tion existait; et l’État auteur
pouvaient être considérées comme une codification du droit dudit fait ne doit pas avoir «contribué à la survenance de
coutumier existant. La Cour est d’avis qu’à bien des égards l’état de nécessité». Ces conditions reflètent le droit
tel est le cas des règles de la Convention de Vienne international coutumier.
afférentes à l’extinction et à la suspension de l’application La Cour ne voit aucune di fficulté à reconnaître que les
des traités, énoncées à ses articles 60 à 62. La Cour ne perd
pas non plus de vue que la Convention de Vienne est en tout préoccupations exprimées par la Hongrie en ce qui concerne
son environnement naturel dans la région affectée par le
état de cause applicable au Protocole du 6 février 1989 par projet Gabcíkovo-Nagymaros avaient trait à un «intérêt
lequel la Hongrie et la Tch écoslovaquie étaient convenues essentiel » de cet État.
d’accélérer les travaux rela tifs au projet Gabcíkovo- La Cour estime cependant que, s’agissant aussi bien de
Nagymaros. Nagymaros que de Gabcíkovo, les périls invoqués par la
La Cour n’a pas davantage à s’étendre sur la question
des relations qu’entretiennent le droit des traités et le droit Hongrie, sans préjudice de leur gravité éventuelle, n’étaient
en 1989 ni suffisamment établis, ni «imminents»; et que,
de la responsabilité des États, à laquelle les Parties ont pour y faire face, la Hongrie disposait à l’époque d’autres
consacré de longs développements. Ces deux branches du moyens que la suspension et l’abandon de travaux dont elle
droit international ont en effet, à l’évidence, des champs avait la charge. Qui plus est, des négociations étaient en
d’application distincts. C’est au regard du droit des traités cours, qui auraient pu aboutir à une révision du projet et au
qu’il convient de déterminer si une convention est ou non en
vigueur, et si elle a ou non été régulièrement suspendue ou report de certaines de ses échéances, sans qu’il fût besoin de
dénoncée. C’est en revanche au regard du droit de la l’abandonner.
La Cour de plus observe que la Hongrie, lorsqu’elle a
responsabilité des États qu’il y a lieu d’apprécier dans quelle décidé de conclure le Traité de 1977, était – à ce que l’on
mesure la suspension ou la dénonciation d’une convention peut supposer – consciente de la situation telle qu’elle était
qui serait incompatible avec le droit des traités engage la alors connue; et que la nécessité d’assurer la protection de
responsabilité de l’État qui y a procédé.
La Cour ne peut suivre la Hongrie lorsque celle-ci l’environnement n’avait pas éch appé aux Parties. Elle ne
peut manquer de noter les positions adoptées par la Hongrie
soutient qu’en suspendant puis en abandonnant en 1989 les après l’entrée en vigueur du Traité de 1977. En 1983, la
travaux dont elle avait encore la charge à Nagymaros et à Hongrie a sollicité le ralentissement des travaux prescrits
Dunakiliti, elle n’a pas suspendu l’application du Traité de par le Traité. En 1989, elle a sollicité l’accélération desdits
1977 lui-même, puis rejeté ce traité. Le comportement de la travaux. La Cour infère qu’e n l’espèce, même s’il avait été
Hongrie à l’époque ne peut être interprété que comme établi qu’il existait en 1989 un état de nécessité lié à
traduisant sa volonté de ne pas exécuter au moins certaines
dispositions du Traité et du protocole du 6 février 1989, l’exécution du Traité de 1977, la Hongrie n’aurait pas été
admise à s’en prévaloir pour justifier le manquement à ses
telles que précisées dans le plan contractuel conjoint. L’effet obligations conventionnelles, car elle aurait contribué, par
du comportement de la Hongrie a été de rendre impossible action ou omission, à sa survenance.
la réalisation du système d’ouvr ages que le Traité qualifiait Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-
expressément d’« unique et indivisible ».
dessus, la Cour conclut que la Hongrie n’était pas en droit

4de suspendre puis d’abandonner, en 1989, les travaux contraire, a violé certaines de ses dispositions expresses et,
relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu’à la partie du projet de ce fait, a commis un acte internationalement illicite.

de Gabcíkovo dont elle était responsable aux termes du La Cour note qu’entre novembre 1991 et octobre 1992,
Traité de 1977 et des instruments y afférents. la Tchécoslovaquie s’est born ée à exécuter sur son propre
territoire des travaux qui étaien t certes nécessaires pour la
Recours par la Tchécoslovaquie, en novembre 1991, miseenŒuvredelavarianteC,maisquiauraientpuêtre
à la « variante C » et mise en service, à partir abandonnés si un accord était in tervenu entre les Parties et

d’octobre 1992, de cette variante ne préjugeaient dès lors pas de la décision définitive à
(par. 60 à 88) prendre. Tant que le Danu be n’avait pas été barré
Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, alinéa b, du unilatéralement, la variante C n’avait en fait pas été
appliquée. Une telle situation n’est pas rare en droit
compromis, il est demandé en second lieu à la Cour de dire international, comme d’ailleurs en droit interne. Un fait
«b) si la République fédérative tchèque et illicite ou une infraction est fréquemment précédé d’actes
slovaque était en droit de recourir, en novembre 1991, à préparatoires qui ne sauraient être confondus avec le fait ou
la “solution provisoire” et de mettre en service, à partir
d’octobre 1992, ce système ». l’infraction eux-mêmes. Il convient de distinguer entre la
réalisation même d’un fait illicite (que celui-ci soit
La Tchécoslovaquie avait soutenu que le recours à la instantané ou continu) et le comportement antérieur à ce fait
variante C et la mise en service de celle-ci ne constituaient qui présente un caractère préparatoire et « qui ne saurait être
pas des faits internationalement illicites; la Slovaquie a traité comme un fait illicite ».
repris cette thèse. Au cours de la procédure devant la Cour,
la Slovaquie a affirmé que la décision de la Hongrie de La Slovaquie a aussi soutenu que son action était
suspendre puis d’abandonner la construction des ouvrages à motivée par une obligation d’atténuer des dommages
lorsqu’elle a réalisé la variante C. Elle a déclaré que « c’est
Dunakiliti avait mis la Tchécoslovaquie dans l’impossibilité un principe de droit international qu’une partie lésée du fait
d’effectuer les travaux tels qu ’ils avaient initialement été de la non-exécution d’un engagement pris par une autre
envisagés par le Traité de 1977 et que cette dernière était en partie doit s’employer à atténuer les dommages qu’elle a
conséquence en droit de recourir à une solution qui était subis». Mais la Cour observ e que si ce principe pourrait
aussi proche que possible du projet initial. La Slovaquie a
invoqué ce qu’elle a décrit comme un « principe ainsi fournir une base pour le calcul de dommages et
intérêts, en revanche, il ne saurait justifier ce qui constitue
d’application par approximatio» n pour justifier la par ailleurs un fait illicite. La Cour estime de plus que le
construction et la mise en service de la variante C. Elle a détournement du Danube effectué par la Tchécoslovaquie
expliqué que c’était là la seule possibilité qui lui restait n’était pas une contre-mesure licite, faute d’être
«non seulement d’atteindre les buts visés par le Traité de proportionnée.
1977, mais encore de respect er l’obligation continue de
mettre en Œuvre ledit traité de bonne foi ». Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-
dessus, la Cour conclut que la Tchécoslovaquie était en droit
La Cour observe qu’elle n’a pas à déterminer s’il existe de recourir, en novembre 1991, à la variante C, dans la
un principe de droit international ou un principe général de mesure où elle se bornait alors à entamer des travaux qui ne
droit d’«application par approximation» car, même si un préjugeaient pas de la décision définitive qu’elle devait
tel principe existait, il ne pourrait par définition y être prendre. En revanche, la Tchécoslovaquie n’était pas en
recouru que dans les limites du traité en cause. Or, de l’avis
de la Cour, la variante C ne satisfait pas à cette condition droit de mettre en service cette variante à partir d’octobre
primordiale au regard du Traité de 1977. 1992.

Comme la Cour l’a déjà observé, la caractéristique Notification par la Hongrie, le 19 mai 1992,
fondamentale du Traité de 1977 est, selon son article de la terminaison du Traité de 1977
premier, de prévoir la construction du système d’écluses de et des instruments y afférents
Gabcíkovo-Nagymaros en tant qu’investissement conjoint
constituant un système d’ouvrages opérationnel, unique et (par. 89 à 115)
Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, alinéa c, du
indivisible. Cet élément est également reflété aux articles 8
et 10 du Traité, qui prévoient la propriété conjointe des compromis, il est demandé à la Cour en troisième lieu de
ouvrages les plus importants du projet Gabcíkovo- dire
Nagymaros et l’exploitation de cette propriété conjointe « quels sont les effets juridiques de la notification, le
comme une entité unique et coordonnée. Par définition, tout 19 mai 1992, de la terminaison du Traité par la
cela ne pouvait être réalisé par voie d’action unilatérale. En République de Hongrie ».
dépit d’une certaine ressemblan ce physique extérieure avec
Au cours de la procédure, la Hongrie a présenté cinq
le projet initial, la variante C en diffère donc nettement motifs en vue de démontrer que la notification de
quant à ses caractéristiques juridiques. La Cour conclut en terminaison était licite, et par suite effective: l’existence
conséquence que la Tchécoslovaquie, en mettant en service d’un état de nécessité, l’impossibilité d’exécuter le Traité, la
la variante C, n’a pas appliqué le Traité de 1977 mais, au survenance d’un changement fondamental de circonstances,
la violation substantielle du Traité par la Tchécoslovaquie

5et, enfin, l’apparition de nouvelles normes de droit Hongrie, le 19 mai 1992, de la terminaison du Traité était
international de l’environnement. La Slovaquie a contesté prématurée. Il n’y avait pas encore eu de violation du Traité

chacun de ces motifs. par la Tchécoslovaquie; la Hongrie n’était donc pas en droit
d’invoquer semblable violation du Traité comme motif pour
État de nécessité y mettre fin au moment où elle l’a fait.

La Cour observe que même si l’existence d’un état de Apparition de nouvelles normes de droit international
nécessité est établie, il ne peut être mis fin à un traité sur
cette base. L’état de nécessité ne peut être invoqué que pour de l’environnement
exonérer de sa responsabilité un État qui n’a pas exécuté un La Cour note qu’aucune des Parties n’a prétendu que
traité. des normes impératives du droit de l’environnement soient

nées depuis la conclusion du Traité de 1977; et la Cour
Impossibilité d’exécution n’aura par suite pas à s’interrog er sur la portée de l’article
64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui
La Cour estime qu’elle n’a pas à déterminer si le mot traite de la nullité et de la terminaison d’un traité à cause de
«objet» figurant à l’article 61 de la Convention de Vienne l’apparition d’une nouvelle norme impérative de droit
de 1969 sur le droit des traités (qui mentionne «la international général ( jus cogens ). En revanche, la Cour
disparition ou destruction définitives d’un objet
indispensable à l’exécution [du] traité») peut aussi être tient à relever que de nouvelles normes du droit de
interprété comme visant un régime juridique car en tout état l’environnement, récemment apparues, sont pertinentes pour
l’exécution du Traité et que les parties pouvaient, d’un
de cause, même si tel était le cas, elle aurait à conclure commun accord, en tenir compte en appliquant les articles
qu’en l’espèce ce régime n’avait pas définitivement disparu. 15, 19 et 20 du Traité. Ces articles ne contiennent pas
Le Traité de 1977 – et en particulier ses articles 15, 19 et 20 d’obligations spécifiques de faire, mais ils imposent aux
– offrait en effet aux parties les moyens nécessaires pour parties, en s’acquittant de leurs obligations de veiller à ce
procéder à tout moment, par voie de négociation, aux
réajustements requis entre impératifs économiques et que la qualité des eaux du Danube ne soit pas compromise
et à ce que la protection de la nature soit assurée, de tenir
impératifs écologiques. compte des nouvelles normes en matière d’environnement
lorsque ces parties conviennent des moyens à préciser dans
Changement fondamental de circonstances le plan contractuel conjoint. En insérant dans le Traité ces
dispositions évolutives, les par ties ont reconnu la nécessité
De l’avis de la Cour, les conditions politiques de d’adapter éventuellement le projet. En conséquence, le
l’époque n’étaient pas liées à l’ objet et au but du Traité au
point de constituer une base essentielle du consentement des Traité n’est pas un instrument figé et est susceptible de
parties et, en se modifiant, de transformer radicalement la s’adapter à de nouvelles normes du droit international. Au
portée des obligations qui restai ent à exécuter. Il en va de moyen des articles 15 et 19, de nouvelles normes en matière
d’environnement peuvent être incorporées dans le plan
même du système économique en vigueur au moment de la contractuel conjoint. La conscience que l’environnement est
conclusion du Traité de 1977. La Cour ne considère pas vulnérable et la reconnaissance de ce qu’il faut
davantage que les nouvelles connaissances acquises en continuellement évaluer les risques écologiques se sont
matière d’environnement et les progrès du droit de
l’environnement aient présen té un caractère complètement affirmées de plus en plus dans les années qui ont suivi la
imprévu. Bien plus, le libellé des articles 15, 19 et 20 est conclusion du Traité. Ces nouvelles préoccupations ont
conçu dans une perspective d’évolution. De l’avis de la rendu les articles 15, 19 et 20 du Traité d’autant plus
pertinents. La Cour reconnaît que les Parties s’accordent sur
Cour, les changements de circonstances que la Hongrie la nécessité de se soucier sérieusement de l’environnement
invoque ne sont pas, pris séparément ou conjointement, et de prendre les mesures de précaution qui s’imposent,
d’une nature telle qu’ils aient pour effet de transformer mais elles sont fondamentale ment en désaccord sur les
radicalement la portée des obligations qui restent à exécuter
pour réaliser le projet. conséquences qui en découlent pour le projet conjoint. Dans
ces conditions, le recours à une tierce partie pourrait se
révéler utile et permettre de trouver une solution, à
Violation substantielle du Traité condition que chacune des Parties fasse preuve de souplesse
L’argument principal de la Hongrie lorsqu’elle invoque dans ses positions.

une violation substantielle du Traité est la construction et la Enfin, bien qu’elle ait constaté que tant la Hongrie que la
miseenservicedelavarianteC.LaCourrelèvequ’ellea Tchécoslovaquie avaient ma nqué à leurs obligations
déjà conclu que la Tchécoslov aquie n’a violé le Traité que découlant du Traité de 1977 , la Cour estime que ces
lorsqu’elle a détourné les eaux du Danube dans le canal de comportements illicites réciproques n’ont pas mis fin au
dérivation en octobre 1992. En construisant les ouvrages qui Traité ni justifié qu’il y fût mis fin.
devaient conduire à la mise en service de la variante C, la Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-
Tchécoslovaquie n’a pas agi de façon illicite. En
dessus, la Cour conclut que la notification de terminaison
conséquence, la Cour est d’av is que la notification par la faite par la Hongrie le 19 mai 1992 n’a pas eu pour effet

6juridique de mettre fin au Traité de 1977 et aux instruments d’incidence sur le Traité lui-même. La Cour en conclut que
y afférents. le Traité de 1977 lie la Slovaquie depuis le 1 erjanvier 1993.

Dissolution de la Tchécoslovaquie Conséquences juridiques de l’arrêt
(par. 117 à 124) (par. 125 à 154)

La Cour examine ensuite la question de savoir si la La Cour fait observer que la partie de l’arrêt où elle
Slovaquie est devenue partie au Traité de 1977 en tant répond aux questions posées au paragraphe 1 de l’article 2
qu’État successeur de la Tchécoslovaquie. À titre du compromis revêt un caractère déclaratoire. Elle y traite
d’argument subsidiaire, la Hongrie a en effet soutenu que, du comportement passé des Parties et détermine la licéité ou
même s’il avait survécu à la notification de terminaison, le l’illicéité de ce comportement de 1989 à 1992, ainsi que ses

Traité aurait en tout état de cause cessé d’être en vigueur en effets sur l’existence du Traité. Il revient maintenant à la
tant que Traité le 31 décembre 1992, à la suite de la Cour, sur la base de ses conclusions précédentes, d’établir
«disparition de l’une des parties». À cette date, la quel devrait être le comportement des Parties à l’avenir. La
Tchécoslovaquie a cessé d’exister comme entité juridique présente partie de l’arrêt est plus normative que déclaratoire,
et, le 1 erjanvier 1993, la République tchèque et la parce qu’elle définit les droits et obligations des Parties.
République slovaque ont vu le jour. C’est à la lumière de cette définition que les Parties devront

La Cour ne juge pas nécessaire, aux fins de l’espèce, de rechercher un acco rd sur les modalités d’exécution de
discuter du point de savoir si l’article 34 de la Convention l’arrêt, ainsi qu’elles en sont convenues à l’article 5 du
de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de compromis.
traités (qui prévoit une règle de succession automatique à À cet égard, il est d’une importance primordiale que la
tous les traités) reflète ou non l’état du droit international Cour ait constaté que le Traité de 1977 est toujours en
coutumier. Pour son analyse actuelle, la nature et le vigueur et régit par conséquent les relations entre les Parties.

caractère particuliers du Tr aité de 1977 présentent Ces relations sont certes aussi soumises aux règles des
davantage de pertinence. Un ex amen de ce traité confirme autres conventions pertinentes auxquelles les deux États
que ce dernier, outre qu’il prévoit incontestablement un sont parties, aux règles du droit international général et, en
investissement conjoint, porte principalement sur un projet l’espèce, aux règles de la responsabilité des États; mais elles
de construction et d’exploitation conjointe d’un vaste sont gouvernées avant tout par les règles applicables du
complexe intégré et indivisible d’ouvrages et d’installations Traité de 1977 en tant que lex specialis. La Cour observe
sur des parties bien définies des territoires respectifs de la qu’elle ne saurait toutefois ignorer qu’aucune des parties n’a

Hongrie et de la Tchécoslovaq uie, le long du Danube. Le pleinement exécuté le Traité depuis des années, ni d’ailleurs
Traité a aussi établi le régime de navigation applicable à un que les Parties, par leurs actes et leurs omissions, ont
tronçon important d’un cours d’eau international, contribué à créer la situation de fait qui prévaut aujourd’hui.
notamment en faisant désormais passer le chenal principal En se prononçant sur les exigences auxquelles le
de navigation internationale par le canal de dérivation. Ce comportement à venir des Parties devra satisfaire en droit, la
faisant, il a inévitablement créé une situation qui a une Cour ne peut négliger de tenir compte de cette situation de

incidence sur les intérêts des autres utilisateurs du Danube. fait et des possibilités et impossibilités pratiques qui en
De plus, les intérêts d’États tiers ont été expressément résultent. C’est pourquoi il est essentiel de replacer la
reconnus à son article 18, aux termes duquel les parties se situation de fait, telle qu’elle s’est développée depuis 1989,
sont engagées à veiller à ce que «la navigation puisse se dans le contexte de la relation conventionnelle qui s’est
poursuivre de façon ininterrompue et dans des conditions de maintenue et qui est appelée à é voluer, afin de réaliser son
sécurité dans le chenal inte rnational», conformément aux objet et son but dans toute la mesure du possible. Car ce
obligations qui sont les leurs en vertu de la Convention n’est qu’à cette condition qu’il pourra être porté remède à la

relative au régime de la navigation sur le Danube du 18 août situation irrégulière due aux manquements des deux Parties
1948. à leurs obligations conventionnelles.
La Cour fait ensuite référence à l’article 12 de la La Cour souligne que le Traité de 1977 ne prévoyait pas
Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en seulement un plan d’investissement conjoint pour la
matière de traités qui reflète le principe selon lequel tant la production d’énergie, mais servait également d’autres
doctrine traditionnelle que les auteurs modernes considèrent objectifs: l’amélioration de la navigation sur le Danube, la

qu’une succession d’États était sans effet sur «les traités maîtrise des crues, la régulation de l’évacuation des glaces
territoriaux ». La Cour considère que l’article 12 traduit une et la protection de l’environnement naturel. Pour les
règle de droit international coutumier; elle prend note de ce atteindre, les Parties ont accepté d’assumer des obligations
qu’aucune des Parties ne le conteste. La Cour conclut que le de comportement, des obligations de faire et des obligations
Traité de 1977, de par son contenu, doit être considéré de résultat. La Cour est d’avis que les Parties sont
comme établissant un régime terr itorial au sens de l’article juridiquement tenues, au cours des négociations qu’elles
12 de la Convention de Vienne de 1978. Il a créé des droits mèneront en application de l’article 5 du compromis,

et obligations « attachés » aux secteurs du Danube auxquels d’envisager dans le contexte du Traité de 1977 de quelle
il se rapporte; ainsi, une succession d’États ne saurait avoir façon elles peuvent servir au mieux les objectifs multiples

7du Traité, en gardant à l’esprit qu’ils devraient tous être de gestion des eaux. Le barrage de Cunovo a assumé le rôle
atteints. qui avait été prévu à l’origine pour les ouvrages de

Il est clair que les incidences du projet sur Dunakiliti, et il devrait donc bénéficier d’un statut analogue.
l’environnement et ses impli cations pour celui-ci seront La Cour conclut également que la variante C, qu’elle a
nécessairement une question clef. Aux fins de l’évaluation estimé fonctionner d’une mani ère incompatible avec le
des risques écologiques, ce sont les normes actuelles qui Traité, devrait être mise en conformité avec ce dernier. La
doivent être prises en considération. Non seulement le Cour observe que le rétablissement du régime conjoint
reflétera aussi de façon optimale le concept d’une utilisation
libellé des articles 15 et 19 le permet, mais il le prescrit conjointe des ressources en eau partagées pour atteindre les
même dans la mesure où ces articles mettent à la charge des
Parties une obligation continue, et donc nécessairement différents objectifs mentionnés dans le Traité.
évolutive, de maintenir la qualité de l’eau du Danube et de Ayant jusqu’ici indiqué quels devraient être, d’après
protéger la nature. La Cour ne perd pas de vue que, dans le elle, les effets de sa décision suivant laquelle le Traité de
domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et 1977 est toujours en vigueu r, la Cour en vient aux
la prévention s’imposent en raison du caractère souvent conséquences juridiques des actes internationalement

irréversible des dommages causé s à l’environnement et des illicites commis par les Parties, car elle a été priée par les
limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce deux Parties de déterminer les conséquences de son arrêt en
type de dommages. De nouvelles normes et exigences ont ce qui est du paiement de dommages et intérêts.
été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand La Cour n’a pas été priée à ce stade de déterminer le
nombre d’instruments au cours des deux dernières montant des dommages et intérêts dus, mais d’indiquer sur
décennies. Ces normes nouvelle s doivent être prises en
considération et ces exigences nouvelles convenablement quelle base ils doivent être versés. Les deux Parties ont
prétendu avoir subi des pertes financières considérables et
appréciées, non seulement lorsqu e des États envisagent de elles demandent toutes deux à en être indemnisées.
nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des Dans l’arrêt, la Cour a conclu que les deux Parties
activités qu’ils ont engagées dans le passé. Aux fins de la avaient commis des actes internationalement illicites et elle
présente espèce, cela signifie que les Parties devraient, a constaté que ceux-ci sont à l’origine des dommages subis
ensemble, examiner à n ouveau les effets sur
l’environnement de l’exploitation de la centrale de par les Parties; en conséquence, la Hongrie et la Slovaquie
Gabcíkovo. En particulier, elles doivent trouver une solution sont toutes deux tenues de verser des indemnités et sont
toutes deux en droit d’en recevoir. La Cour observe
satisfaisante en ce qui concerne le volume d’eau à déverser cependant que compte tenu de ce que les deux Parties ont
dans l’ancien lit du Danube et dans les bras situés de part et commis des actes illicites croisés, la question de
d’autre du fleuve. l’indemnisation pourrait être résolue de façon satisfaisante,
Ce que la règle pacta sunt servanda, telle que reflétée à dans le cadre d’un règlement d’ensemble, si chacune des
l’article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit
Parties renonçait à toutes ses demandes et contre-demandes
des traités, exige en l’espèce des Parties, c’est de trouver d’ordre financier ou les annulait. La Cour tient en même
d’un commun accord une solution dans le cadre de temps à souligner que le règlement des comptes concernant
coopération que prévoit le Tra ité. L’article 26 associe deux la construction des ouvrages es t une question distincte de
éléments, qui sont d’égale importance. Il dispose que « Tout celle de l’indemnisation et do it être effectué conformément
traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles au Traité de 1977 et aux instruments y afférents. Si la
de bonne foi.» De l’avis de la Cour, ce dernier élément
implique qu’au cas particulier c’est le but du Traité, et Hongrie participe à l’exploitation du complexe de Cunovo
et reçoit sa part de bénéfices, elle devra payer une part
l’intention dans laquelle les Parties ont conclu celui-ci, qui proportionnelle des coûts de construction et de
doivent prévaloir sur son application littérale. Le principe de fonctionnement.
bonne foi oblige les Parties à l’appliquer de façon
raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint. Déclaration de M. Schwebel, Président de la Cour
Le Traité de 1977 ne prévoit pas seulement un
Je suis très largement d’ accord avec ce qui est dit dans
programme d’investissement conjoint, il établit aussi un l’arrêt de la Cour et j’ai, par conséquent, voté pour la plupart
régime. Selon le Traité, les principaux ouvrages du système
d’écluses sont la propriété conjointe des Parties; ils seront des alinéas de son dispositif. J’ai voté contre l’alinéa 1 B du
gérés en tant qu’unité unique coordonnée; et les bénéfices dispositif, essentiellement parce que je considère que la
du projet seront partagés à pa rts égales. Puisque la Cour a construction de la variante C, dite «solution provisoire»,
conclu que le Traité est toujours en vigueur et qu’aux termes est inséparable de sa mise en service. J’ai voté contre
de celui-ci le régime conjoint en est un élément l’alinéa 1 D du dispositif, essentiellement parce que je ne
suis pas convaincu que la position de la Hongrie, en tant que
fondamental, elle est d’avis qu’à moins que les Parties n’en Partie ayant commis la première violation, privait cet État
disposent autrement un tel régime devrait être rétabli. La
Cour estime que les ouvrages de Cunovo devraient devenir du droit de mettre fin au Traité pour riposter à la violation
une unité exploitée conjointement au sens du paragraphe 1 substantielle par la Tchécoslovaquie, violation qui, à mes
de l’article 10, compte tenu de leur rôle central dans le yeux (comme mon vote sur l’alinéa 1 B l’indique) était en
fonctionnement de ce qui reste du projet et dans le régime

8train d’être commise lorsqu e la Hongrie a notifié la ressources terrestres, celui des droits appartenant aux
terminaison du Traité. générations futures, ceux de la protection de la flore et de la

En même temps, j’appuie pleinement les conclusions de faune, du respect de la terre et de l’usage optimal des
la Cour sur la conduite que les Parties devraient adopter à ressources naturelles concilié avec la préservation de leur
l’avenir et sur le règlement des questions d’indemnisation. capacité de se reconstituer ainsi que celui voulant que le
développement et la protection de l’environnement aillent
de pair.
Déclaration de M. Rezek
M.Rezek estime que le Traité de 1977 ne subsiste plus, Dans son opinion, M W .eeramantry souligne
l’importance de l’évaluation continue de l’impact d’un
abrogé qu’il a été par l’attitude des deux Parties. De cette projet sur l’environnement ta nt que ce projet est actif.
conclusion, toutefois, il tire des conséquences proches de L’obligation de procéder à un e évaluation de l’impact sur
celles que la majorité dégage de la survivance du Traité. Il y l’environnement n’est pas remp lie simplement en recourant
a, en premier lieu, des faits accomplis, et accomplis de à elle avant le début du proj et. Les normes à respecter à
bonne foi. Il y a, aussi et surt out,leprincipemêmedela l’occasion d’un tel suivi continu sont celles qui s’appliquent
bonne foi, qui doit orienter en l’espèce l’accomplissement
des devoirs réciproques, reliquats d’un traité inappliqué par à l’époque de l’évaluation et non celles en vigueur au début
du projet.
la faute commune des Parties. Le troisième aspect du dro it de l’environnement abordé
est celui de savoir s’il convient d’appliquer les principes
Opinion individuelle de M. Weeramantry, d’estoppel susceptibles de jouer entre parties aux questions
Vice-Président
relatives à l’environnement dont l’intérêt ne se limite pas
MW. eeramantry partage toutes les conclusions aux seules deux Parties en litige. Les règles de procédure
auxquelles est arrivée la majorité des membres de la Cour. élaborées pour les litiges inter partes peuvent ne pas
Il aborde toutefois dans son opinion individuelle trois toujours convenir pour résoudre les questions portant sur
des obligations erga omnes . MW . eeramantry attire
questions concernant certains aspects du droit de l’attention sur ce point qui nécessitera un examen attentif.
l’environnement – le principe du développement qui
concilie les exigences rivales du développement et de la
protection de l’environnement, le principe de l’évaluation Opinion individuelle de M. Bedjaoui
continue de l’impact sur l’environnement et l’opportunité de
se servir d’un principe juridique applicable inter partes M. Bedjaoui considère que la majorité de la Cour n’a pas
suffisamment clarifié la question du droit applicable et celle
comme l ’estoppel pour résoudre des problèmes qui de la nature du Traité de 1977. Concernant le premier point,
présentent un caractère erga omnes , comme le dommage il souligne qu’une « interprétation évolutive » du Traité de
causé à l’environnement. 1977 ne peut s’appliquer que dans le respect de la règle
S’agissant de la première que stion, il est d’avis que tant générale d’interprétation de l’article 31 de la Convention de
le droit au développement que le droit à la protection de Vienne sur le droit des traités, et qu’il ne faut pas confondre
l’environnement sont des principes qui font actuellement
la « définition» d’un concept et le « droit» applicable à ce
partie du corpus du droit international. Ces principes concept, ou l’« interprétation» d’un traité et la « révision »
peuvent entrer en collision à moins qu’un autre principe du de celui-ci. M.Bedjaoui recommande de limiter la prise en
droit international ne vienne indiquer comment les concilier. compte du droit postérieur à des hypothèses très
Ce principe est celui du déve loppement durable qui, à son particulières. C’est le cas en l’occurrence. C’est la première
avis, est davantage qu’un simple concept, c’est un principe grande affaire que la Cour traite, dans laquelle il existe un
reconnu du droit international moderne. arrière-fond écologique tellement sensible qu’il a envahi le

Dans les efforts qu’elle déploie pour donner corps à ce devant de la scène au point de risquer de détourner le regard
principe, la Cour devrait tirer parti de l’expérience du droit des traités. L’opinion publique internationale
antérieure de l’humanité car cela fait des millénaires que n’aurait pas compris si la Cour avait écarté le droit nouveau
celle-ci se trouve aux prises avec le besoin de concilier les dont la Hongrie réclamait l’ap plication. Fort heureusement,
principes du développement et de la protection de à partir de la souche des articles 15, 19 et 20 du Traité de
l’environnement. Le développement durable n’est donc pas 1977, la Cour pouvait faire pousser l’arbre du droit nouveau.
D’ailleurs il faut souligner que la Slovaquie ne s’opposait
un concept nouveau et l’on dispose, pour le définir
aujourd’hui, de la riche expérience accumulée dans le pas à la prise en compte de ce droit. Mais en accueillant en
monde entier. Sont examinées en ce sens dans l’opinion un l’espèce le principe dit de l’interprétation évolutive d’un
certain nombre d’anciennes civilisations fondées sur traité, la Cour devait s’expliquer davantage et rappeler que
l’irrigation. La Cour, dans sa fonction de représentation des la règle générale d’interprétation d’un traité demeure celle
principales formes de civilisation, se doit de tirer parti de la de l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969.
sagesse de toutes les cultures, en particulier dans les
Quant à la question de la nature du Traité de 1977 et de
domaines du droit international qui sont actuellement en ses instruments connexes elle a semblé au juge Bedjaoui
cours d’évolution. Parmi les principes que l’on peut dégager devoir mériter plus d’attention de la part de la majorité de la
de ces cultures, il y a celui de la garde tutélaire des Cour. C’est en effet une question centrale. La nature de ce

9traité conditionne largement la succession de la Slovaquie à M. Bedjaoui en vient enfin à la nécessité pour les Parties
cet instrument qui constitue la substance du droit applicable de négocier à nouveau et de le faire de bonne foi. La

et qui, en dépit des violations croisées qu’il a subies de la renégociation doit être vue co mme une obligation stricte,
part des deux Parties, reste toujours en vigueur. tout comme l’est le comportement de bonne foi qu’elle
Le Traité de 1977 (ses instruments connexes compris) implique. Cette obligation découle non seulement du Traité
possède la triple caractéristique lui-même, mais aussi du droit international général tel qu’il
s’est développé dans les domaines des fleuves
– qu’il est un traité territorial; internationaux et de l’environnement.
– qu’il est un traité auquel a succédé valablement la
Slovaquie; et
– qu’il est un traité toujours en vigueur aujourd’hui. Opinion individuelle de M. Koroma

En substance, M. Bedjaoui ne partage pas l’opinion de la Dans son opinion individuelle, M.Koroma déclare
majorité de la Cour quant à la qualification juridique de la souscrire à la conclusion de la Cour selon laquelle la
variante C qu’il considère pour sa part comme une Hongrie n’était pas en droit de suspendre puis d’abandonner
infraction dont l’illicéité a ffecte chacun des actes de la les travaux relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu’à la
construction de cette variante. La construction en question partie du projet de Gabcíkovo dont elle était responsable aux
termes du Traité et à celle selon laquelle ce traité demeure
ne pouvait être innocente, ni neutre; elle était marquée du
sceau propre à la finalité de la variante C qui est le en vigueur. Ces conclusions sont, selon lui, non seulement
détournement des eaux du fleuve. Il n’est donc pas possible conformes au Traité mais également au principe pacta sunt
de séparer d’un côté la construction et de l’autre le servanda qui est un des tout premiers principes du droit
détournement; la variante C est illicite dans sa totalité. international et en fait d’ailleurs partie intégrante. Selon
Sur un autre sujet, M.Bedjaoui considère que chacune M.Koroma, une conclusion contraire aurait laissé supposer
qu’un État pouvait toujours rejeter unilatéralement un traité
des deux Parties, la Hongrie tout comme la Slovaquie, a lorsqu’il jugeait gênantes les obligations que celui-ci mettait
violé le Traité de 1977. La situation créée par elles se
caractérise par des violations croisées qui se sont répondues à sa charge. Pareille façon de voir, soutient-il, saperait
l’une à l’autre. Mais il n’est pa s facile de déterminer avec gravement le principe pacta sunt servanda et l’ensemble des
certitude les liens de cause à effet dans chaque cas. Les faits relations conventionnelles.
et les comportements des Parties s’enchevêtrent parfois. Il partage la compréhension dont la Cour fait preuve à
Une profonde méfiance réciproque a malheureusement l’égard des préoccupations que nourrit la Hongrie au sujet
des effets du projet sur son environnement naturel et pense,
caractérisé les relations entre les Parties pendant de longues
années. comme elle, que les documents soumis à la Cour ne
Ces violations croisées ont généré, sur le terrain, une sauraient justifier le rejet unilatéral du Traité.
réalité que la majorité de la Cour n’a pas jugé utile de M.Koroma ne partage toutefois pas la conclusion de la
qualifier. Il a paru à M. Bedja oui nécessaire et important de Cour selon laquelle la Tchécoslovaquie n’était pas en droit
de mettre en service la variante C. Il estime que cette
relever que ces violations croisées ont créé deux effectivités
qui resteront inscrites dans le paysage de la région conclusion ne tient suffisamment compte ni des dispositions
considérée. du Traité ni des préjudices financier et écologique que la
M.Bedjaoui a indiqué la signification qui doit être Tchécoslovaquie aurait subis en cas d’inachèvement du
attachée à la prise en compte de ces effectivités . En projet, conséquence inévitable des mesures prises par la
l’espèce, la prise en cons idération des effectivités Hongrie. Il voit dans la variante C une tentative véritable de
mettre en Œuvre le Traité afin de réaliser son but et son
n’équivaut pas à une négation du titre juridique. Celui-ci ne objet.
disparaît pas; il s’adapte seulement, et de surcroît
moyennant la mise en jeu de la responsabilité des auteurs de Il ne partage pas non plus l’avis de la Cour lorsque celle-
ces effectivités, qui seront soumis à toutes les ci semble considérer comme équivalentes les conséquences
indemnisations nécessaires. du « comportement illicite » des Parties.

Ces effectivités, susceptibles d’aménagements, faits ou à
faire, pour se couler dans le moule d’un traité nouveau, ont Opinion dissidente de M. Oda
certes violé et dépassé le droit existant, mais celui-ci les M. Oda a voté contre l’alinéa 1 C parce qu’il estime que
rattrape et les régente à nouveau de trois manières :
– ces effectivités ne tuent pas le Traité, lequel leur non seulement la construction mais aussi le fonctionnement
du barrage de Cunovo ne faisaient que mettre en Œuvre le
survit; projet défini dans le Traité de 1977 conclu par la
– ces effectivités ne restent pas impunies et comportent Tchécoslovaquie et la Hong rie relativement au système
des sanctions et indemnisations; d’écluses de Gabcíkovo-Nagymaros. Il est d’avis que la
– et surtout, ces effectivités seront «refondues», ou solution provisoire, la variante C, était le seul choix possible
enserrées, dans le Traité, dont le nouveau contenu à pour réaliser le projet initia l sur le Danube. M.Oda ne

négocier leur servira de texte de légitimation. comprend pas pourquoi la Cour, après avoir conclu à la
licéité de la construction de la variante C, c’est-à-dire le

10barrage de Cunovo, conclut ensuite à l’illicéité de son Opinion dissidente de M. Ranjeva
fonctionnement.
M.R. Ranjeva a exprimé son désaccord avec la
M.Oda opère une nette distinction entre le plan majorité des membres de la Cour lorsque dans le paragraphe
contractuel conjoint (PCC) qui concerne l’exécution du 155 1 C l’arrêt limite l’illicéité de la variante C à sa mise en
projet, et le Traité de 1977 qui est l’assise de l’ensemble du service et à son maintien en fonctionnement jusqu’à ce jour.
projet et qui a été élaboré su r plusieurs dizaines d’années.
Le PCC, qui ressemble à un contrat de partenariat, aurait dû M. Ranjeva fait d’abord observer qu’il y a une contradiction
logique entre les alinéas B et C du même paragraphe du
être soumis, lorsqu’il y avait lieu, à un régime plus souple dispositif. Comment, en effet, admettre la licéité de la
de modification et de révision. construction de cette variante C tout en déclarant l’illicéité
La construction du canal de dérivation et des centrales de sa mise en service? L’arrêt, de l’opinion de son membre,
électriques aux barrages de Gabcíkovo et de Nagymaros en est arrivé à cette conclusion parce qu’il a limité la portée
était, selon lui, l’objet fondamental du Traité de 1977. En
premier lieu, l’inexécution par la Hongrie de ses obligations des illicéités croisées imputables à la Hongrie et à la
Tchécoslovaquie et à la Slovaquie au seul problème de
conventionnelles ne saurait se justifier sur le fondement de l’obligation de réparer les conséquences des dommages; par
la nouvelle norme internationale de la protection de cette démarche, la Cour a exhumé une règle du droit romain,
l’environnement. Les éléments de l’ensemble du projet et du dite règle pomponienne. Mais la Cour ne s’est pas
Traité de 1977 en particulier ont – cela ne fait aucun doute interrogée sur la portée de ce croisement d’illicéités sur un
– été établis dans les années 70 après avoir tenu compte autre point: la causalité dans la séquence des événements
comme il se doit de l’environnement du Danube. Rien ne
vient infirmer cette hypothès e. En deuxième lieu, la qui ont abouti à la situation qui fait l’objet du différend
devant la Cour. Selon M.Ranjeva, les circonstances de fait
Tchécoslovaquie n’a pas violé le Traité en mettant en Œuvre qui ont pour toile de fond des relations chaotiques
la solution provisoire, la variante C, seul choix qui s’offrait empreintes de méfiance et de suspicion, ont non seulement
à elle pour réaliser l’essentiel du projet au cas où la Hongrie rendu difficile l’identification de la cause originelle de cette
ne s’acquitterait pas de son obligation de construire le situation mais surtout eu pour résultat le fait que l’illicéité
barrage de Dunakiliti. commise par l’une des Parties a joué le rôle déclencheur de

Quant aux négociations que les Parties devront celle de l’autre. Contrairemen t à l’analyse linéaire de la
entreprendre sur les modalités d’exécution de l’arrêt ainsi Cour, il ne s’agit pas, selon l’auteur de l’opinion, de
qu’elles en sont convenues dans le compromis, M.Oda plusieurs illicéités uniquement successives, mais d’illicéités
propose de modifier le PCC afin d’y inclure les travaux distinctes qui ont concouru, progressivement, à la réalisation
relatifs au barrage de Cunovo qui ont permis la réalisation de la situation objet du différend actuel. La conclusion que
de l’ensemble du projet. En ce qui concerne M.Ranjeva en tire est que l’illicéité de la décision
l’environnement, il conviendrait que les Parties procèdent à hongroise, qui est indiscutable, a été non pas la cause mais

une évaluation de l’environnement du Danube afin de le motif ou le mobile retenu par la Tchécoslovaquie puis la
trouver les solutions techniques qui permettront de limiter Slovaquie pour justifier ses comportements ultérieurs. La
ou de réparer le préjudice écologique causé par la seconde conclusion que l’auteur de l’opinion dégage est
construction du canal de dérivation par la Tchécoslovaquie relative à la licéité de la variante C. À son avis, sur le plan
ainsi que par l’abandon du barrage de Nagymaros par la des faits, la distinction qui a été retenue entre le recours à la
Hongrie. solution provisoire et sa mise en service, est artificielle; elle
aurait été plausible si une équipollence entre ces deux
La Tchécoslovaquie doit être indemnisée du préjudice
que lui a causé l’inexécution par la Hongrie de ses éléments était réelle et que l’un des éléments ne pouvait pas
obligations découlant du Traité. Bien que le barrage de être absorbé par l’autre. Le r ecours à la solution provisoire
Nagymaros fît partie de l’ensemble du projet, l’abandon de n’avait de signification que s’il était mené à son terme.
sa construction par la Hongri e n’a toutefois causé aucun Ainsi l’illicéité de la variante C, selon M.Ranjeva, frappait
préjudice réel à la Tchécosl ovaquie. La Hongrie doit non pas tellement la construction, la mise en service ou
même le détournement du Danube, mais la substitution d’un
prendre en charge une partie des frais de construction du
barrage de Cunovo, cet ouvrage ayant permis à l’ensemble projet national à un projet international; la variante C ne
du projet de voir le jour. On peut toutefois aussi admettre pouvait se rattacher à aucune obligation du Traité de 1977
que l’ensemble du projet (c’est-à-dire le canal de dérivation dès lors qu’à juste titre la Cour écarta l’idée d’une
et la centrale de Gabcíkovo co nstruite sur celui-ci) profite application par approximation ou d’une obligation de limiter
simplement à la Tchécoslovaqui e et à la Slovaquie et qu’il les dommages dans le droit des traités.
ne présente aucun avantage pour la Hongrie. Il y a lieu de

tenir compte de ce facteur lorsque sera examinée la question Opinion dissidente de M. Herczegh
de l’indemnité que la Hongrie devra verser à la Slovaquie en L’opinion dissidente présente de manière exhaustive les
réparation du préjudice que celle-ci a subi.
arguments militant en faveur de l’existence d’un état de

11nécessité de la Hongrie, en rapport avec la construction du Slovaquie ne sera plus tenue, elle, de gérer conjointement le
barrage de Nagymaros. Elle considère que non seulement la projet.

mise en service mais aussi le recours à «la solution
provisoire», dite «variante C» par la Tchécoslovaquie ont Opinion dissidente de M. Vereshchetin
constitué une violation grave du Traité de 1977. En
conséquence, la Hongrie était en droit de mettre fin à ce M.Vereshchetin est d’avis que la Tchécoslovaquie était
traité. M.Herczegh a par suite voté contre les points du pleinement en droit, au regard du droit international, de
dispositif se référant expressément audit traité, mais il a voté mettre en service, à partir d’octobre 1992, la «solution
en faveur de l’indemnisation réciproque de la Slovaquie et provisoire » (la variante C) à titre de contre-mesure tant que
l’autre partie au Traité persis tait à violer ses obligations. Il
de la Hongrie pour les dommages qu’elles ont subis en ne saurait donc souscrire à l’alinéa 1 C du paragraphe 155
rapport avec la construction du système d’écluses faisant
l’objet de leur différend. de l’arrêt ni à l’intégralité de son paragraphe 155 2 D.
D’après la jurisprudence de la Cour, la commission
Opinion dissidente de M. Fleischhauer d’actes illicites justifieraies contre-mesures
proportionnées ... de la part de l’État qui en aurait été
M.Fleischhauer est en désaccord avec la conclusion victime ...» ( Activités militaires et paramilitaires au
centrale de la Cour selon laquelle la notification du 19 mai
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis
1992, par la Hongrie, de la terminaison du Traité de 1977 d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 127,
n’a pas eu pour effet de mettre fin audit traité parce que la par.249). Selon M.Vereshchetin, toutes les conditions
notification aurait été prématur ée et que la Hongrie aurait fondamentales pour qu’une co ntre-mesure soit licite étaient
perdu son droit d’y mettre fin du fait qu’elle avait réunies lorsque la Tchécoslovaquie a mis en service la
précédemment violé le Traité. M.Fleischhauer souscrit à la variante C à partir d’octobre 1992. Ces conditions sont les
conclusion de la Cour selon laquelle la Hongrie a violé les suivantes: 1) la commission préalable d’un acte illicite par
obligations que le Traité de 1977 mettait à sa charge
l’État visé par la contre-mesure, 2) la nécessité de la contre-
lorsqu’elle a suspendu puis abandonné, en 1989, les travaux mesure en question, et 3) sa proportionnalité au regard des
relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu’à la partie du projet circonstances de l’espèce.
de Gabcíkovo dont elle était responsable. Il souscrit MV.ereshchetin reconnaît que le critère de
également à la conclusion selon laquelle la Tchécoslovaquie proportionnalité est très important dans le régime des
n’était pas en droit de mettre en service, à partir d’octobre
1992, la variante C, solution unilatérale qui supposait contre-mesures, mais croit que la Cour aurait dû apprécier et
l’appropriation par la Tchécoslovaquie puis par la comparer séparémen:t1l)es effets économiques et
financiers de la violation par rapport aux effets économiques
Slovaquie, essentiellement à son propre usage, de 80 à 90 % et financiers de la contre-mesure, 2l)es effets sur
des eaux du Danube dans la zone visée par le Traité et qui l’environnement de la violation par rapport aux effets sur
n’est donc pas proportionnée. Toutefois, il estime que l’environnement de la contre-mesure, et 3)les effets de la
lorsque la Tchécoslovaquie, en novembre 1991, a violation sur l’exercice du droit à employer les ressources en
commencé la mise en Œuvre de la variante C, le point de
non-retour a été franchi de part et d’autre. À ce moment-là, eaux communes par rapport aux effets de la contre-mesure
il était certain que la Hongrie ne reprendrait pas l’exécution sur l’exercice de ce même droit.
M.Vereshchetin s’est livré à sa propre appréciation de
du Traité et que la Tchécoslovaquie n’accepterait pas de ces effets et en conclut qu’à supposer même que la
retarder encore le barrage du Danube. En conséquence, le Tchécoslovaquie aurait dû, pour des raisons d’équité,
fait internationalement illicite ne se limitait pas au barrage déverser plus d’eau qu’elle ne l’a fait dans l’ancien lit du
effectif du fleuve mais a commencé en novembre 1991, plus
de six mois avant la notification de terminaison du Traité fleuve, cette hypothèse n’aurait porté que sur un seul des
par la Hongrie. M.Fleischhauer pense en outre que la nombreux aspects que recèle en matière de proportionnalité
Hongrie, bien qu’elle ait violé le Traité la première, n’était la contre-mesure en question, ce qui n’aurait pas en soi
permis à la Cour de conclure, de manière générale, que la
pas privée de son droit de réagir à la variante C en mettant Tchécoslovaquie n’était pas en droit de mettre en service la
fin au Traité, parce que le droit international ne tolère pas variante C à partir d’octobre 1992.
les représailles disproportionnées. Dans des situations
comme celle-ci, le remède réside plutôt dans la limitation du
droit à réparation de l’État qui a commis la première Opinion dissidente de M. Parra-Aranguren
violation. Comme il estime le Traité caduc, M. Fleischhauer
J’ai voté contre l’alinéa 1 C du dispositif de l’arrêt parce
a voté contre les conclusions de la Cour relatives aux que j’estime que la Hongrie n’était pas en droit de suspendre
conséquences de l’arrêt dans la mesure où elles se fondent puis d’abandonner, en 1989, les travaux qui lui incombaient
sur le maintien en vigueur du Traité (2 A, B, C, E). Il estime aux termes du Traité du 16septembre 1977 et des
qu’il n’y a pas lieu de démanteler les installations instruments y afférents. Cette suspension et cet abandon ont
construites en territoire slovaque mais que la Slovaquie placé la Tchécoslovaquie dans une position extrêmement
devra, pour continuer à les utiliser licitement, négocier un
régime de gestion des eaux avec la Hongrie. Celle-ci n’est difficile, en raison non seulement des sommes considérables
qu’elle avait déjà investies, mais aussi des conséquences
plus obligée de construire l’ouvrage de Nagymaros, mais la
12écologiques qu’il y avait à lai sser inachevés et à l’abandon conclusion générale selon laquelle la Tchécoslovaquie
les ouvrages existants, qui étaient presque achevés dans n’était pas en droit de mettre en service la variante C à partir

certains secteurs du projet re latif à Gabcíkovo. Dans cette d’octobre 1992 (arrêt, par. 155, al. 1 C). Cette conclusion a
situation, la Tchécoslovaquie ét ait en droit, à mon avis, de une portée trop générale. Selon lui, la Cour aurait dû opérer
prendre toutes les mesures néce ssaires et c’est pourquoi la une distinction entre, d’une part, le droit qu’avait la
construction et la mise en service de la «solution Tchécoslovaquie de prendre des mesures pour réaliser et
provisoire» (la variante C) ne sauraient être considérées exploiter certains ouvrages sur son territoire et, d’autre part,
comme des faits internationalement illicites. En principe, la sa responsabilité (et par la suite celle de la Slovaquie) à
Slovaquie ne devra donc pas indemniser la Hongrie du fait l’égard de la Hongrie découlant du détournement de la plus

de la construction et de la mise en service de la «solution grande partie des eaux du Danube en territoire slovaque,
provisoire» (la variante C) ainsi que de son maintien en particulièrement au cours de la période précédant la
service par la première, sauf à prouver un abus de droits conclusion de l’accord hungaro-slovaque du 19 avril 1995.
manifeste de sa part. Le retrait de la Hongrie du projet a laissé à la
À mon sens, l’alinéa 2 A n’avait pas sa place dans le Tchécoslovaquie la faculté d’accomplir sur son territoire ce

dispositif de l’arrêt parce que la succession de la Slovaquie que le droit général relatif aux fleuves internationaux lui
au Traité de 1977 n’était ni une question posée à la Cour permettait de faire. Considérée dans son ensemble, la
dans le compromis, ni une conséquence juridique découlant «solution provisoire» était et est licite. Cette appréciation
de la décision sur les questions soumises par les Parties au n’est pas modifiée par un de ses éléments, à savoir le
paragraphe 1 de l’article 2 du compromis. En outre, la partage des eaux du Danube, qui appelle réparation et
réponse de la Cour est incomplète parce qu’elle ne dit rien mesures correctrices. Ayant r econnu les sérieux problèmes
sur les « instruments afférents » au Traité de 1977 et qu’elle auxquels la Tchécoslovaquie devait faire face à la suite des

ne prend pas en compte la position des juges dissidents qui actions de la Hongrie, la Cour aurait dû appliquer l’équité
estiment que le Traité de 1977 n’était plus en vigueur. comme faisant partie du droit international. Elle serait ainsi
arrivée à une conclusion qui aurait nuancé davantage sa
Opinion dissidente de M. Skubiszewski, décision.
juge ad hoc Malgré les demandes d’indemnisation réciproques des

M. Skubiszewski, juge ad hoc, souscrit à toutes les Parties, fortes sont les raisons militant en faveur de
conclusions de l’arrêt de la Cour à l’exception de la l’« option zéro » (arrêt, par. 15 3). Cette option faciliterait le
règlement du différend.

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Résumé de l'arrêt du 25 septembre 1997

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