Résumé de l'arrêt du 19 décembre 1978

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6247
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Number (Press Release, Order, etc)
1978/1
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIREDU PLATEAUCONTINENTALDE LA MER ÉGÉE
(COMPÉTENCEDE LA COUR)

Arrêd tu 19décembre1978

Dans son arrêtsur la question de sa compétenceen depuis 1973,la Cour conclut, contrairement àce que
l'affairedu plateau continental de la mer Egée(Grèce suggère la Turquie,que lefait que des négociationsse
c. Turquie), la Cour, par 12voix contre 2, a dit qu'ellpoursuivent pendant la procédurene constitue pas en
n'a pascompétencepour connaîtrede la requêtedépo- droitunobstacleàl'exercicede safonctionjudiciaire et
sée parle Gouvernement grec. qu'lindifférendd'ordre juridique existeentre les deux
La Courétait composée commesuit :M.Jiménezde Ettits au sujet du plateau continental de la mer Egée
Aréchaga, président;M. Nagendra Singh, vice-prési- (par. 16à 31).
dent; MM. Forster, Gros, Lachs, Dillard, de Castro, Premièrebase de compétenceinvoquée :l'article17de
Morozov,sirHumphrey Waldock,MM.Ruda,Mosler, l'.Acte général(paragraphes 32 à93)
Elias, Tarazi,juges; M. Stassinopoulos,juge ad hoc. LeGouvernementgrec spécifiedans sarequêtedeux
bases sur lesquelles ildéclarefonderlacompétencede
Parmi les 12membres de la Cour ayant voté pour la Cour en I'espèce. La première base invoquéeest
l'arrêt,MM. Nagendra Singh, Gros, Lachs, Morozov l'article 17de l'Actegénéradle 1928pour le règlement
et Tarazi y ontjoint soit l'exposéde leur opinion indi-pacifique des différendsinternationaux, rapprochéde
viduelle soit une déclaration. l'Article36,paragraphe 1,et del'Article37duStatutde
Les deuxjuges ayant votécontre l'arrêty ont joint la Cour.
l'exposéde leur opinion dissidente.Il s'agit dM. de
Castro et de M. Stassino~oulos,.-u-e ad hoc. L'article 17del'Acte généraelst ainsi conçu :
"Tous différendsau sujet desquels les parties se
* contesteraient réciproquementun droitseront, sauf
* * lesréserveséventuellesprévue sl'article39,soumis
pourjugement à laCourpermanente deJusticeinter-
Procédure et historiqrte des négociations (paragra- nationale, &moins que les parties ne tombent d'ac-
phes 1 à 31) cord, danslestermesprévusci-après,pourrecourir à
Dans sonarrêtlaCour rappellequele 10août 1976la un tribunal arbitral. Il est entendu que les différends
Grèce a introduit une instance contre la Turquie au ci-dessus viséscomprennent notamment ceux que
sujet d'un différendrelatiàla délimitationdu plateau mentionne l'Article 36 du Statut de la Cour perma-
continental relevant de chacun des deux Etats dans la nente de Justice internationale."
merEgéeetauxdroitsdeces deuxEtats sur ceplateau. Cet article prévoyait donc que les différendspou-
Parlettre du 26août 1976,laTurquiea faitvaloirquela vaient être devant la Cour permanente qui a
Cour n'avait pas compétencepour connaître de la re- précédé la Cour actuelle. Par lejeu de l'Article 37du
quête. Statut de la Cour actuelle, la Cour internationale de
Le demandeur ayant priéla Cour d'indiquerdes me- Justice est substituéà la Cour permanente dans tout
sures conservatoires, celle-ci a, par ordonnace du traitéOU convention en vigueur prévoyantle renvoi à
11septembre 1976,dit que les circonstances n'étaient celle:-ci.11découle quesi l'Acte généralst considéré
pas de natureà exiger l'indicationde telles mesures et comme une convention en vigueurentre la Grèce etla
décidéque lespièces écrites porteraient d'abord sulr Turquie, l'Acte, se conjuguant avec les Articles 37
compétencede laCourpourconnaître du différend.La et 36, paragraphe 1, du Statut, Peut fournir un fon-
dement suffisant à la compétence dela Cour (par. 32
Grècea déposeun mémoireet plaidéen audience pu- à 34).
blique; ellea conclu que la Courétait compétentepour
connaître du différend.La Turquie n'a pas déposéde La question de la situation de l'Actegénérle 1928
contre-mémoireet n'étaitpas représentéeaux audien- en tant que en vigueur aux fins de llArti-
ces. Son attitude a étédéfiniedans la lettre précitee cle37du Statut a déjàétésoulevée, nontranchée,
et dans ses communications à la Cour des 24 avril et dans des instances précédentes.En l'espèce,le Gou-
10octobre 1978,(par. 1 à 14). vernementgrec fait valoir que l'Acte général doit tre
Ilest regrettableque leGouvernementturc ne sesoit réputé demeuréen vigueurentre laGrèceetlaTurquie;
pas présentépour développerses arguments mais laD le Gouvernement turc affirme au contraire que l'Acte
Cour n'endoitpas moinsexaminerd'officelaquestion généran l 'est plus en vigueur (par. à538).
de sa Propre compétenceet cette obligation est en L, Cour constate que la Grècea appelél'attention
l'espèce renforcée par les termesde l'Article 53 du sur 1,fait que les instruments grec et turc d'adhésàon
Statut en vertu duquel, lorsqu'une des parties ne se l'Acte étaientaccompagnésde déclarationscompor-
présente pas, la cour doit s'assurer qu'elle a corn- tant des réserves. Celles-ci seraient, selon la Grèce,
pétence avantde statuer sur le fond, (par. 15). sans pertinence en l'espèce. La Turquie indique au
Aprèsun historique des négociationsentre la Grèce contraire que, indépendammentdu point de savoir si
et la Turquie sur la délimitationdu plateau continentall'Acte généralest réputedemeuré envigueur, I'ins-

134trurrientd'adhésiondelaGrèceendate du 14septembre laCourpermanente,déclaration quidate du 12septem-
1931 comporte une réserve b qui exclurait la compé- bre 1929, deux ans seulement avant l'adhésionde la
tence de la Courpour connaître du différend(par. 39). Cirèceà l'Actegénéral,contientune clause quiest sans
conteste une réserve indépendantevisant "les diffé-
LI: texte de la réservel7est le suivant: rends ayanttrait au statutterritorialde laGr6ce". Oron
"Sont exclus des procédures décrites par l'Acte peut difficilement supposer que, dans son instrument
gCnéra l. . d'adhésion à l'Acte, la Grèce ait voulu donner à sa
"6) Les différendsportant sur des quesi:ionsque rciservedes "différendsayant trait au statut territorial
ledroitinternationallaisseà lacompétenceexclusive de la Gr6ce" une portée radicalementautre que celle
de:sEtatset. notamment, les différendsayant trait au qu'elle revêtdans sa déclaration d'acceptation de la
statutterritorialde laGrèce,ycomprisceux relatifs à disposition facultative. Rien dans les documents de
sesdroits de souveraindé sursesports et se:;voiesde l'époquequiontétécommuniqués àla Cour au suiet de
communication." l'élaborationde ladéclarationd'acceptationet de l'ins-
tiument d'adhésionne montre que la Grèce ait voulu
La Cour considèreque, sielle doittenir pour fondée lui conférerune portée différente dans l'une et dans
la thèsede la Turquie quant à l'effetde la réservebsur l'autre.
I'applicabilitéde l'Acte entre la Grèce etla Turquie eu
égard à l'objetdudifférend:i,lne sera plus indispensable Cela étant,la Courconclutque la réserveb consiste
de dire si l'Acte est actuellementen vigueur avant de en deux réserves distinctes et indépendantes,l'unevi-
pouvoir statuer sur la compétencedela Cour (par. 40). sant les différendsportant sur des questions de com-
Selon la Grèce, la Cour ne devrait pas prendre en pétenceexclusive et l'autre "les différendsayant trait
considérationla réserve b parce que la questionde son au statut territorial de la Grèce" (par. 57à 68).
incidence sur l'applicabilitéde l'Acte n'a pas étésou-
levéerégulièrementpar la.Turquiedans les conditions
prescrites par leR6glement de la Cour, et que la Tur-
quie ne se serait donc pas "prévalue" de 1i1réserve La Cour examine ensuite ce qu'il faut entendre par
comme l'exige l'article 39, paragraphe 3, de l'Acte se- "différendsayanttrait au statutterritorial delaGrèce".
lon lequel "Si une des parties en litige a for.muléune La Grèce soutient que les termes de la réservedoi-
réserve. lesautres parties.pourront se prévaloir vis-à- vent recevoir une interprétationrestrictiveen raison du
vis d'elle de la mème réserve." La Cour estime que contexte historique et qu'ils concernent des questions
la d~iclarationpar laquelle "la Turquie invoque la ré- t~erritorialliéesauxr6glementsterritoriauxétablispar
serve h" en réponse àune communication de la Cour 112tsraitésde paix qui ont suivilapremièreguerre mon-
doit êtreconsidérée comme revenant à "se prévaloir" d!iale.De l'avis de la Cour, les éléments historiques
de la réserveau sens de l'article 39. paragraphe 3, de iinvoquéspar la Grèce paraissent plutôt confirmerque
l'Acte. Elle ne saurait donc laisser en dehors de son 1"expression"statut territorial" dans la réserveb était
exainen une réserve dont l'invocation a étérégulière- uitiliséedans son sens naturel et générique commedé-
men.tportée à saconnaissance à unstadeantérieurdela signant toutes les questions qui peuvent légitimement
procédure (par. 41 à 47). ê:trceonsidérdescommeentrant dansla notionde statut
territorial en droit international public. Elle inclut par
considérerle présentdiffiirendrelatif au plateau conti- conséquent non seulement le régimejuridique parti-
nental de la mer Egéecornme l'un de ceux que vise la c:uliermais l'intégritterritoriale et les frontières d'un
Etat (par. 69 à 76).
réserve b, de sorte que ce différendn'estpas exclu, du
l'article 17de l'Acte entre normalement enjeu. Ildit en La Grèce soutient que la notion mêmede plateau
particulier que la réserve ne s'applique pas iltous les c:ontinentalétait totalement inconnueen 1928,au mo-
diffkrendsrelatifs au statut territorial de la Grèce,mais rnentoù l'Actegénéraa l étéconclu, et en 193l, lorsque
uniquement à ceux qui, à la jbis, ont trait au statut liaGrèce y a adhéré.Or, selon la Cour, dès lors que
territorial et portent sur "des questions qui: le droit l'expression "statut territorial" a éemployéedans la
international laisse à la compétence exchisive des réserve grecquecomme une formule générique,il faut
Etaits" (par. 48 et 49). riécessairementprésumer queson sens - tout comme
celui du mot "droit" àl'article 17de l'Acte général-
L'argument repose sur une interprétation essentiel- e:stcenséévolueravecle droit et revêtir à tout moment
lem,entgrammaticale et ilest axésur le sens à donner à 1.asignification que pourraient lui donner les règlesen
l'expression " et, notamn~ent.". La Cour, après avoir vigueur. Elle est donc d'avis que les mots "différends
examinécet argument, dit que la question de savoir si siyanttrait au statutterritorial de laGrèce" doiventêtre
en l'occurrence cette expression a le sens que:la Grèce interprétés conformémena tux règlesdu droit interna-
lui attribue dépend du contexte dans lequel ces mots tional telles qu'elles existent aujourd'hui et non telles
sont utilisésdansl'instrunient d'adhésiondelaGrèceet (lu'ellesexistaient en 1931(par. 77 à 80).
qu'il ne s'agit passimpleimentd'une questioi~d'usage La Cour recherche ensuite si, compte tenu du déve-
prépondérantde la langue. Ellerappelle qu'elle ne sau- loppement du droitinternational relatif au plateau con-
rait se fonder sur une interprétation purement gram- tinental, l'expression "différendsayant trait au statut
maticale du texte et fait observer que nombre de con- territorial de larece" doit ou non s'entendre comme
sidérationsde fond semblent militer de façori décisive incluant des différendsrelatifs à l'étenduegéographi-
en faveur de la conclusiorique la réserveb ccimprenait quedesdroits delaGrècesurleplateau continental. Le
deuxréservesdistinctesel:indépendantes(par. 50 à56). Gouvernement grec affirme en effet que le différend
L'une de ces considéri~tionsest que la dkclaration concerne la délimitationdu plateau continental, ce qui
d'acceptation de la juridiction obligatoire faite par la est étrangerau concept de statut territorial, et que, le
Grèceen vertude la dispositionfacultative du Statut de plateau continental ne faisantpaspartie du territoire, ilne peut êtreconsidérécomme ayant trait au statut solus pacifiquement par la voie des négociationset
territorial. La Courfaitobserver qu'ilest difficiled'ad- concernant le plateau continentalde la mer Egéepar
mettre que la délimitationsoitentièrementétrangère à la Cour internationale de Justice."
la notion de statut territorial et, de plus, considère
qu'un différendconcernant la délimitationdu plateau La Grèce soutient qu'il attribue directement compé-
continental tend par sa nature à avoir trait au statut tence àlaCour, obligelespartiesà concluretoutaccord
territorialparce que lesdroits d'un Etat.riverain sur ced'application nécessaire et, en cas de refus par une
plateau découlent de la souverainetéde 1'Etat sur le partie de conclure un tel accord, permetl'autre partie
territoire terrestre adjacent. Il s'ensuit que le statutde saisirunilatéralementlaCour. La Turquie affirmede
territorial d'un Etat riverain comprend ipso jure les son côté que le communiqué "n'équivaut pas à un
droits d'exploration et d'exploitationi plateau conti- accordendroitinternational" et que, detoutemanière,
nental qu'il tient du droit international (par.à89). ilne contientaucun engagement de s'adresser àlaCour
sanscompromiset n'équivaut pas àun accord en vertu
Eu égard auxconsidérationsqui précèdent,la Cour duquel un Etat accepterait de se soumettre lajuridic-
est d'avis que le présent différenda trait au statut tion de la Cour lorsque l'autre Etat déposerait une
temtorial de la Grèce au sens de la réserveb et que requêteunilatérale(par. 94 à 99).
l'invocation de cette réserve par la Turquie a l'effet
d'exclure le différendde l'application de l'article 17de Devant ces divergences de vues,laCourrecherche si
l'Acte général.Celui-cin'offre donc pas de fondement lescirconstancesentourant laréuniondu 31mai 1975et
valable à sa compétence (par. 90). la rcrdaction du communiqué peuvent en éclairer le
sens. Elle constate que rien ne donneà penser que la
Turquie ait étdisposée àenvisagerautrechosequ'une
sournissionconjointe du différendàla Cour. Quantaux
La Cour a pris en considérationl'argument suivant renseignements qui luiont étéfournissurce quia suivi
lequel l'Acte n'aurait jamais étéapplicable entre la lecommuniquéde Bruxelles, elle y voitlaconfirmation
Turquie et la Grèce du fait de l'existence du traité que les deux premiers ministres n'ont pas pris l'en-
gréco-turc d'amitié,de neutralité, de conciliation et gagementinconditionnel de saisir la Cour du différend
d'arbitrage en date du0octobre 1930.]LaCourestime concernant le plateau continental (par.00 à 106).
nepas avoir àexaminer laquestion del'effetdutraitéde
1930surl'applicabilitédel'Actegénéral,parcequ'ellea Lc communiquéneconstituedonc pas de la part des
établi que l'Acte n'est pas applicable au présentdif- premiers ministres de Grèce et de Turquie un enga-
férendparlejeu de la réserveb et que le traitéde 1930 gement immédiatd'accepter inconditionnellement que
n'a pas étéinvoqué commefondement de la compé- le présentdifférendsoit soumis à la Cour par requête
tence de la Cour (par.91 à 93). unilatérale.Ilendécoulequelecommuniquéde Bruxel-
les n'offre pasde fondement valableà sa compétence.
Seconde base de compétenceinvoquée : le commu- La Courajouteque riendecequ'elleaditne saurait être
niqué conjoind te Bruxellesdu31mai 1975(paragra- interprétécomme empêchantde soumettre le différend
phes 94 à 108) à la Cour dès lors que les conditions établissant sa
La seconde base de compétence invoquée par juridiction viendraientêtreremplies (par. 107et 108).
la Grèce est le communiquéconjoint de Bruxelles du
31mai 1975.Ils'agitd'uncommuniquédepresse publié
par les deux premiersministres de Grèceet de Turquie
à l'issue de leur réunionde la mêmedate. Ce commu-
niquécontient le passage suivant :
Parces motifs, laCourdit qu'ellen'apascompétence
"Ils [les premiers ministres] ont décidé queces pour connaître de la requête déposée par le Gouver-
problèmes[opposantles deux pays] doivent êtreré- nement grec le 10août 1976(par. 109).

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