Résumé de l'arrêt du 5 février 1970

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5389
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Number (Press Release, Order, etc)
1970/1
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIREDE I,A BARCE1,ONA TRACTION, LIGHT
ANDPOWERCOME'ANY, LIMI[TED (DEUXIÈME PHASE)

Arrêt du 5 février 1970

D.ansson arrêtdans ladeuxièmephasede l'affairede 11:sdevises devaient servir à rembourser des dettes
la Eiarcelona Traction. I.ight and Power Clompany, résultant d'apports effectifs de capitaux étrangers en
Limited (nouvelle requête :1962)[Belgique c. Espa- Espagne et que cette preuve n'avait pas étt faite.
gne],par 15voixcontre une.laCour arejetélademande En 1948,trois porteurs espagnolsd'obligationsde la
de liiBelgique. EsarcelonaTraction payablesen livresdemandèrent au
Cette demande, introduite devant la Cour le 19juin tribunal de Reus (province de Tarragone) la mise en
1962,faisait suite la mise en faillite en Espagne de la faillite de la société pournon-paiement d'intérêts. Le
Barcelona Traction, sociétéconstituéeau Cariada. Elle 12 février 1948fut prononcé un jugement de faillite
avait pour objet la répartitiondu préjudicesubi, selon c:omportantunordrede saisiedes biensde laBarcelona
les thèses de la Belgique, par des ressortissaiits belgesractionet dedeuxdessociétésauxiliaires.Enapplica-
actionnaires de la sociétédu fait d'actes contraires au tion de cejugement, les principaux dirigeantsdesdeux
droitinternational commis àl'égarddecette socittépar sociétés furent destitués et des administrateurs espa-
des organes de 1'Etatespagnol. gnols furent nommés.Peu après, ces mesures furent
etendues aux autres sociétés auxiliaires.De nouveaux
LaCour aconstaté quelaBelgiquen'avaitpas qualité titres des sociétésauxiliairesfurent créés etvendus en
pour exercer la protection diplomatique des action- 1,952,par adjudication publique, à une société nou-
naires d'une société canadienneau sujet de mesures vellement constituée, Fuerzas Eltctricas de Cataluna
prises contre cette société en Espagne. (Fecsa), qui obtint ainsi un contrôle complet de I'en-
MM.Petrénet Onyeama,juges, ontjoint àl'arrêtune treprise en Espagne.
décliarationcommune. M..Lachs, juge, y a joint une
décllaration.M. Bustamante y Rivero, président, et Des recours avaient étéintentés sans succèspar di-
sirGerald Fitzmaurice et MM. Tanaka, Jessup, Mo- versessociétésoupersonnesdevant lestribunauxespa-
relli, PadillaNervo, Gros etAmmoun,juges, :yontjoint gnols. Selon le Gouvernementespagnol, il a étérendu
les exposés de leur opinion individuelle. dans l'affaire, avant qu'elle ne soit soumiàela Cour
NI.Riphagen,juge ad hoc, ajoint àl'arrêtl'cxposéde internationale de Justice, 2 736 ordonnances, 494ju-
son opinion dissidente. gements et 37 arrêts. LaCour constate qu'en 1948la
IBarcelonaTraction, quin'avait pas reçude notification
Historique de l'affaire (paragraphes 8à24 clel'arrêt) concernant la procédure de faillite et n'avait pas été
représentée devantle tribunal de Reus, n'agit pas en
L.aBarcelonaTraction, Light and Power Company, justice avant le 18juin et n'intenta donc pas de recours
Lirnited, est une sociétéisonstituee en 191iToronto enoppositiondans le délaide huitjours prévuparla loi
(Canada), où se trouve son siège. En vue de créeret espagnole à compter de la date de publication dujuge-
de developper en Catalogne (Espagne) un reseau de ment. Toutefois le Gouvernement belge fait valoir que
production et de distribution d'énergieélecti-ique,elle ce délain'a jamais commencé à courir parce que la
avait fondéplusieurssociétésauxiliaires,doritles unes ;notificationet la publication n'avaient pas étéeffec-
avaient leur siège auCanada et les autres en Espagne. tuéesconformément àla loi.
Ces;sociétés auxiliairesen 1936assuraient la majeure Par ailleurs, les Gouvernements du Royaume-Uni,
partie des besoins de la Catalogne en électtricit. e- duCanada, des Etats-Unis et de la Belgique firent à
lona Tractionétaient passées engrandepartie entre les partir de 1948-1949des démarches auprèsdu Gouver-
nement espagnol. Le Gouvernementcanadienpour sa
premièreguerre mondiale:,maisleGouvernernent espa-a part interrompit son action en 1955.
g~cilsoutient que la nationalitébelge des actionnaires .Procéduredevant la Cour et nature de la demande
n est pas établie. (paragraphes 1 à 7 et 26à 31 de l'arrêt)

L,a Barcelona Traction avait émisplusieurs séries Le Gouvernement belge a introduit devant la Cour
d'obligations. La pluparttaient libelléesen livresster- unepremièrerequêtecontreleGouvernement espagnol
linget leur service était aissurégrâàdes v.ersements en 1958. Il a renoncéà poursuivre l'instanceà raison
faitsàla BarcelonaTractionpar les sociétesauxiliaires de negociations entre les représentants desintérêsri-
exerçant leur activite en Espagne. En 1936,le service vésen cause et l'affaire a étérayée du rôle en 1961.
des obligationsfutinterro~mpudufait delaguerre civile. Les négociationsn'ayant pas abouti, le Gouvernement
Apres lafinde celle-ci,l'office espagnoldecontrôledes belge a présenté à la Cour une nouvelle requêtele
changes refusad'autoriser lestransferts de d.evisesné- 19juin 1962. Le Gouvernement espagnol a souleve
cessaires pour la reprise du service des obligations en quatre exceptions préliminaires à l'encontre de cette
livres. Ultérieurement,lorsque leGouvernernent belge requête en 1963. La Cour a rejeté la première et la
s'en plaignit, leouvern.ernentespagnol fit valoir que deuxièmeexception et joint au fond la troisième et la
ces autorisationsetaient subordonnées àla preuve que quatrième par arrêtdu 24juillet 1964. Dans la procédure écrite et orale qui a suivi, les ci en souffrent. Pour que la situation soit différente,
parties ont fourni une documentation et des explica- faudrait que les actes incriminés soient dirigéscontre
tions abondantes. La Cour constate que la longueur lesdroitspropres de I'actionnaireen tant que tel (cequi
inusitéede l'instance estvenuedece que lesparties ont n'est pas le cas en l'espèce, le Gouvernement belge
demandéde très longs délais pour la préparation de ayant lui-mêmeadmisqu'il ne fondait pas sa demande
leurs~iècesdeprocédureécriteet ont sollicitédefaçon sur une atteinte aux droits-pr-pres des actionnaires).
répétke des proÎ-ogationsde ces délais.LaCour n'apas Le droit international doit se référer à ces règles
cru devoir rejeter ces demandes, mais elle demeure gé"éralement acceptées Par les systèmes de droit
convaincue que, pour préserverl'autoritéde lajustice interne. Le préjudice aux intérêts des actionnairesdé-
internationale, les affaires devraient êtrerégléessans coiilant d'un préjudiceaux droitsde la sociéténe suffit
retard injustifié. pas à justifier une réclamation. S'agissant d'un acte
La demande présentée à la Cour est formuléepar le
Gouvernement belgePour lecompte dePersonnes P~Y- la règlegénéralede droit international n'autorise que
siques et morales qui seraient ressortissantes belges et ]'Etat national de cette sociétà exercer sa protection
actionnaires de la Barcelona Traction? société diplomatique pour obtenir Aucune règlede
tuée au Canada et Y ayant son siège. L'objet de la droit international généralne confère expressémentce
requêteest d'obtenir réparationdu dommagequi aurait droit à 1'Etat national des actionnaires.
étécausé à ces personnes par le comportement con-
traire au droit internationalde divers organesde1'Etat La Cour recherche s'il existe en l'espèce des cir-
espagnol à l'égardde cette société. constances spécialestelles que la règlegénéralepour-
rait ne pas avoir effet. Deux situations retiennent son
latroisièmeexception préliminairedu Gouver- attention :a) la sociétéauraitcesséd'exister, h)IYEtat
nement espagnol, qui a étéjointe au fond, le Gouver- nationaldelasociétén'auraitlui-même pas qualitépour
nement belge n'a pas qualitépour presenter une de- agir. S'agissant de la première de ces éventualités,la
mande à raison dommage causé à une société CO"' constate que, si la BarceIona Traction a perdu
canadienne, silesactionnaires sont belges. Selon toussesavoirsenEspagne et aété placéesousreceiver-
la quatrième exception préliminaire,égalementjointe hi^ au Canada, On ne saurait pour autant
au fond, les recours internes utilisables en Espagne qu'elle aitdisparucommepersonne moraleniqu'elle ait
n'ont pas étéépuisés. perdu la capacité d'exercer l'actionsociale. En ce qui
L'affaire soumise à la Cour Concerneprincipakment concerne la deuxièmeéventualité,iln'est pas contesté
trois Etats, la Belgique. l'Espagne et le Canada. et il que la sociétés'est constituée au Canada et que son
convient d'examiner une série deproblèmes résultant siègestatutaire s'ytrouve, et sa nationalitécanadienne
de cette relation triangulaire. est généralementreconnue. Orle gouvernement cana-
dieri a exercé une protection diplomatique pour son
Qrralitédrr Goui~ert~e~netb ttelge porrr agir (paragra- con,pte pendant des Sià un momentdonnéce
phes 32 à 101de l'arrêt) gouvernement a cessé d'exercer sa protection diplo-
La Courcommence par traiter la question(soulevée matique. il n'en a pas moins conservé qualité pour le
par la troisièmeexception préliminairejointe au fond) faireet leGouvernementespagnoln'a pas misen doute
du droit de la Belgique à exercer la protection diplo- ce droit de protection. Quels qu'en soient lesmotifs,le
matique d'actionnaires belges d'une sociétéconstituée changementd'attitude du Gouvernement canadien ne
au Canada, alors que les mesures incriminéesont été saurait en soi justifier l'exercice d'une protection di-
prisesà l'égard deladite sociétet non deressortissants plomatique par un autre gouvernement.
belges.
On a soutenu qu'un Etat peut formuler une réclama-
La Cour que' dèslors qu'un Etat admet sur tion lorsquedes investissementsfaitspar ses ressortis-
de leur accorder la protection de la loi et assume cer- sants à l'étranger, investissements qui font partie des
ressourceséconomiquesde la nation, subissent unpré-
les obligations ne sont pas absolues. Un autre Etat ne- judice du fait de laviolation du droit de 1'Etatlui-même
à ce que ses ressortissants bénéficientd'un certain
violation de l'uned'elles, avant d'avoir Çtabli qu'ilen atraitement. Mais, dans actuel des pareil
ne peut résulterque traitéouaccord spécial.
le droit. Or aucuninstrument de ce genren'est en vigueur entre
Dans le domaine de la protection diplomatique, le la Belgique et l'Espagne.
droit international est en évolution continue et il est
appelé à reconnaître des institutions de droit interne. Ona soutenuaussi que, pourdesraisonsd'équité,un
Or, en droit interne, la notion de société anonymere- Etat devrait pouvoir assumer dans certains cas la pro-
pose sur une stricte distinction entre les droits de la tectionde sesressortissants actionnairesd'une société
société et ceuxde I'actionnaire. La société. dotée dela victime d'une violation du droit international. La Cour
personnalitéjuridique, est la seule pouvoir agir pour considère que l'adoption de la thèse de la protection
toutequestion de caractère social. Un dommagequi lui diplomatiquedes actionnaires comme tels ouvrirait la
est causé atteint souvent l'actionnaire, mais cela n'im- voie à des réclamations concurrentes de la part de
plique pas que tous deux aient le droit de demander plusieurs Etats, ce qui pourrait créer un climat d'in-
réparation. Chaque fois que les intérêts d'un action- sécurité dans les relations économiques internationa-
naire sont léséspar des actes visant la société, c'est les. Bans les circonstances particulières de la présente
vers la sociétéqu'idl oit se tourner pour qu'elle intenteaffaire où 1'Etat national de la société esten mesure
les recours voulus. Des actes qui n'atteignent que les d'agir, la Cour n'est pasd'avis que des considérations
droits de la sociétén'impliquent aucune responsabilité d'équitésoient de nature à conférer à la Belgique qua-
à I'égardde I'actionnaire, même sliesintérêtsde celui- lité pouragir.

1O0Décisionde la cour (paragraphes 102et 103de l'arrêt) 11:s.M. Tanaka, juge, expose que les deux exceptions
préliminairesjointes au fond auraient dû êtrerejetées,
La Cour a pris connaissance du grand nombre de rnais que l'allégationdu Gouvernement belge concer-
documents et autres moyens de preuve prési:ntéspar riantles dénisdejustice n'étaitpas fondée.M.Jessup,
les Parties et elle a pu appréciertoute1'impori:ancedes juge, conclut notamment qu'un Etat possède, dans cer-
prot~lèmes juridiques soulevéspar l'allégation.ui està tainescirconstances, ledroitdeprésenterune réclama-
la base de la demande du Gouvernement belge et qui tion diplomatique au nom d'actionnaires qui sont ses
concerne les dénis dejustice qu'auraient coinmis des ressortissants, mais que la Belgique n'a pas réussi à
orgalnesde 1'Etat espagnol. Cependant la possession prouver la nationalitébelge, entre les dates critiques,
par le Gouvernement belge d'un droit de protection clespersonnes physiques et morales encause. M. Gros,
constitue une condition préalable à l'examen de tels juge, constate en particulier que c'est à 1'Etat dont
problèmes.Attenduque laqualitéde ce Gouvi:rnement l'économie nationaleest atteinte enfaitqu'appartient le
pouiragirdevant la Courn'a pas été démontrée,iln'ya droit d'agirenjustice, mais que la preuve de I'apparte-
pas :lieuque laCourseprononcesur d'autres aspectsde riancede la Barcelona Traction à l'économiebelge n'a
l'affaire. pas étéfournie.
En conséquence, la Cour rejette la deniande du
Gouvernement belge par 15 voix contre uni:. 12 des Parmiles 12membres delamajoritéquisesont ralliés
voix de la majoritése fondant sur les motifs ci-dessus au dispositif de l'arrêten se fondant sur les mêmes
énoilcés. rnotifs(défautdequalitépouragirde1'Etatnational des
Déclnrarions. opitzions individitelles, opinion dissi- actionnaires), MM.Bustamante yRivero,président,sir
dente (3erald Fitzmaurice et MM. Morelli, Padilla Nervo et
Ammoun,juges (opinions individuelles), MM. Petrén
M.Riphagen,juge ndhoc, ajoint à l'arrêtune opinion etOnyeama,juges (déclarationcommune)et M. Lacns,
dissidente dans laquelle il expose qu'il n'est pas en juge (déclaration), ont exposéqu'il y avait toutefois
mesure de s'associer à l'arrêt,le raisonnernent juri- certaines différencesentre leur raisonnement et celui
dique suivi par la Cour lui paraissant mécoiinaitrela tie l'arrêt,ou qu'ils désiraient apporter des complé-
nature des règles de droit international public coutu- inents au texte de l'arrêt.
mier applicablesen l'espèce. (SirMuhammadZafrullaKhan,juge. avait informéle
Parmi les 15 membres de la majorité, trois se sont l'résidentdèslestadedesexceptions préliminairesque,
ralliésau dispositif de l'arrêt (rejetde la de~nandedu ayant étéconsulté par l'une des Parties au sujet de
Gouvernement belge) en se fondant sur des rnotifsdif- l'affaireavant son électioncommemembre de laCour,
férents etils ontjointàI'iirrêtes opinions iridividuel- il estimait ne pas devoir participàrson règlement.)

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Résumé de l'arrêt du 5 février 1970

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