Audience publique tenue le lundi 8 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

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149-20121008-ORA-01-00-BI
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2012/19
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CR 2012/19

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le lundi 8 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Monday 8 October 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina Faso/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
Sepúl.vvace-poé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Crnçadoe
Greenwood
XuMe mes

Donoghue
Gaja.
Sebutinede
Bhgn.dari,

MaMhiou.
jDgesdet, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Greenwood
Xue

Donoghue
Gaja
Sebutinde
Bhandari

Judges ad hoc Mahiou
Daudet

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Burkina Faso est représenté par :

S. Exc. M. Jerôme Bougouma, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de
la sécurité,

comme agent ;

S. Exc. Mme Salamata Sawadogo/Tapsoba, ministre de la justice, garde des sceaux,

S. Exc. M. Frédéric Assomption Korsaga, ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagents ;

S. Exc. M. Alain Edouard Traoré, ministre de la communication, porte-parole du Gouvernement,

comme conseiller spécial ;

Mme Joséphine Kouara Apiou/Kaboré, directrice générale de l’administration du territoire,

M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de l’Institut géographique du Burkina Faso,

M. Benoît Kambou, professeur à l’Université de Ouagadougou,

M. Pierre Claver Hien, historien, chercheur au centre national de la recherche scientifique et
technologique,

comme agents adjoints ;

M.MathiasForteau, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-La Défense, membre de la

Commission du droit international,

M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien président de la
Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre, avocat au barreau de Paris (cabinet Sygna Partners),

comme conseils et avocats ;

M. Halidou Nagabila, ingénieur topographe,

M. André Bassolé, expert en géomatique,

M. Dramane Ernest Diarra, administrateur civil,

e
M Benoît Sawadogo, avocat à la Cour,

M Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris,

M. Romain Pieri, chercheur en droit international,

M.LudovicLegrand, chercheur au Centre de dr oit international de Nanterre (CEDIN), juriste

(cabinet Sygna Partners),

M. Simplice Honoré Guibila, directeur général des affaires juridiques et consulaires,

M. Daniel Bicaba, ministre conseiller à l’ambassade du Burkina Faso à Bruxelles,

comme conseillers. - 5 -

The Government of Burkina Faso is represented by:

H.E. Mr. Jérôme Bougouma, Minister for Territorial Administration, Decentralization and Security,
Asgent;

H.E. Ms Salamata Sawadogo/Tapsoba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,

H.E.Mr. Frédéric Assomption Korsaga, Ambassador of Burkina Faso to the Kingdom of the

Netherlands,
Cso-Agents;

H.E. Mr. Alain Edouard Traoré, Minister of Communication, Government Spokesman,

as Special Adviser;

Ms Joséphine Kouara Apiou/Kabore, Director-General of Territorial Administration,

Mr. Claude Obin Tapsoba, Director-General of the Geographical Institute of Burkina,

Mr. Benoît Kambou, Professor at the University of Ouagadougou,

Mr. Pierre Claver Hien, Historian, Researcher at the National Science and Technology Research
Centre,

Dseputy-Agents;

Mr.Mathias Forteau, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, Member of
the International Law Commission,

Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, former Chairman
of the International Law Commission, associate member of the Institut de droit international,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar
(Cabinet Sygna partners),

as Counsel and Advocates;

Mr. Halidou Nagabila, Surveying Engineer,

Mr. André Bassolé, Geomatics Expert,

Mr. Dramane Ernest Diarra, Civil Administrator,

Maître Benoît Sawadogo, Avocat à la Cour,

Maître Héloïse Bajer-Pellet, member of the Paris Bar,

Mr. Romain Pieri, International Law Researcher,

Mr. Ludovic Legrand, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Lawyer
(Cabinet Sygna partners),

Mr. Simplice Honoré Guibila, Director-General of Legal and Consular Affairs,

Mr. Daniel Bicaba, Minister-Counsellor, Embassy of Burkina Faso in Brussels,
Asdvisers. - 6 -

Le Gouvernement du Niger est représenté par :

S. Exc. M. Mohamed Bazoum, ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la coopération,
de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur, président du comité d’appui aux conseils
du Niger,

comme chef de la délégation et agent ;

S. Exc. M. Abdou Labo, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique, de la
décentralisation, et des affaires religieuses,

comme coagent ;

S. Exc. M Karidio Mahamadou, ministre de la défense nationale,

S. Exc. M. Marou Amadou, ministre de la justice, garde des sceaux, porte-parole du gouvernement,

S. Exc. M. Issaka Djibo, ambassadeur de la République du Niger auprès du Royaume des

Pays-Bas,

comme coagents adjoints ;

M.Sadé Elhadji Mahaman, conservateur des archives et bibliothèques, coordonnateur du

secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme agent adjoint ;

M.JeanSalmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Institut de
droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

comme conseil principal ;

M. Maurice Kamto, professeur agrégé de droit public , avocat au barreau de Paris, ancien doyen de
la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, ancien président et
membre de la Commission du droit internationa l, membre associé de l’Institut de droit

international,

M.PierreKlein, professeur de droit et directeur adjoint du Centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M.AmadouTankoano, professeur de droit internatio nal, enseignant-chercheur et ancien doyen de
la faculté de sciences économiques et juridiqu es de l’Université AbdouMoumouni de Niamey
du Niger,

comme conseils ;

Mme MartynaFalkowska, chercheuse au Centre de droit international à l’Université libre de
Bruxelles,

comme assistante des conseils ; - 7 -

The Government of Niger is represented by:

H.E.Mr. Mohamed Bazoum, Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation, African
Integration and Nigeriens Abroad, Chairman of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Head of the Delegation and Agent;

H.E.Mr.Abdou Labo, Minister of State for the Interior, Public Security, Decentralization and
Religious Affairs,

as Co-Agent;

H.E. Mr. Karidio Mahamadou, Minister of National Defence,

H.E. Mr. Marou Amadou, Minister of Justice, Keeper of the Seals, Government Spokesman,

H.E. Mr. Issaka Djibo, Ambassador of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

as Deputy Co-Agents;

Mr.Sadé Elhadji Mahaman, Curator of Archives and Libraries, Co-ordinator of the Permanent
Secretariat of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Deputy Agent;

Professor Jean Salmon, Professor emeritus of the Université Libre de Bruxelles, Member of the
Institut du droit international, member of the Permanent Court of Arbitration,

as Lead Counsel;

Professor Maurice Kamto, Professor agrégé of public law, member of the Pa ris Bar, former Dean

of the Faculty of Law and Political Science at the University of YaoundéII, former Chairman
and Member of the International Law Commissi on, associate member of the Institut de droit
international,

Professor Pierre Klein, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles, Deputy-Director of
the Centre of International Law,

Professor Amadou Tankoano, Professor of International Law, former Dean of the Faculty of

Economic and Legal Science, Lecturer and Re searcher at Abdou Moumouni University in
Niamey, Niger,

as Counsel;

MsMartyna Falkowska, Researcher at the Centre of International Law, Université Libre de
Bruxelles,

as Assistant; - 8 -

Le général Maïga Mamadou Youssoufa, gouverneur de la région de Tillabéri,

M.AmadouTcheko, directeur général des affaires juridiques et consulaires au ministère des
affaires étrangères, de la coopéra tion, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,
coordinateur adjoint du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le colonelMahamaneKoraou, secrétaire permanent de la commission nationale de frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger (en retraite),

M. Mahamane Laminou Amadou Maouli, magistrat, rapporteur du comité d’appui aux conseils du

Niger,

M.HassimiAdamou, ingénieur géomètre principa l, directeur général de l’Institut géographique
national du Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.HamadouMounkaila, ingénieur géomètre princi pal à la commission nationale des frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Mahamane Laminou, ingénieur géomètre principal, expert à l’institut géographique national du

Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Soumaye Poutia, magistrat, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Idrissa Yansambou, directeur des archives nationales du Niger, membre du comité d’appui aux
conseils du Niger,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le général Yayé Garba, ministère de la défense nationale, membre du comité d’appui aux conseils
du Niger,

M. Seydou Adamou, conseiller technique du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la

coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

M. Abdou Abarry, directeur général des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères, de
la coopération de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

Le colonel Harouna Djibo Hamani, directeur de la coopération militaire, des opérations et du
maintien de la paix au ministère des affaires étrangères, de la coopération, de l’intégration
africaine et des Nigériens à l’extérieur,

comme experts ;

M. Ado Elhadji Abou, ministre conseiller à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Chitou Boubacar, chargé du protocole à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Salissou Mahamane, agent comptable du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.AbdoussalamNouri, secrétaire principal au secrétariat permanent du comité d’appui aux
conseils du Niger,

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire au secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme personnel d’appui. - 9 -

General Maïga Mamadou Youssoufa, Governor of the Region of Tillabéri,

Mr.Amadou Tcheko, Director-General of Legal and Consular Affairs at the Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad, Deputy Co-ordinator of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Col. (retired) Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou Amadou Maouli, Magistra t, Rapporteur of the Support Committee to

Counsel for Niger,

Mr.Hassimi Adamou, Chief Surveyor, Director-Gen eral of the National Geographical Institute of
Niger (NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Hamadou Mounkaila, Chief Surveyor at the National Boundaries Commission, member of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou, Chief Surveyor, Expert at the National Geographical Institute of Niger

(NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Soumaye Poutia, Magistrat, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Idrissa Yansambou, Director of the National Archives of Niger, member of the Support
Committee to Counsel for Niger,

Mr. Belko Garba, Surveyor, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

General Yayé Garba, Ministry of National Defe nce, member of the Support Committee to Counsel
for Niger,

Mr. Seydou Adamou, Technical Adviser to the Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation,

African Integration and Nigeriens Abroad,

Mr.Abdou Abarry, Director-General of Bilatera l Relations, Ministry of Foreign Affairs,
Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

Col. Harouna Djibo Hamani, Director of Milita ry Co-operation and Peace-Keeping Operations,
Ministry of Foreign Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

as Experts;

Mr. Ado Elhadji Abou, Minister-Counsellor, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Chitou Boubacar, Protocol Officer, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Salissou Mahamane, Accountant of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Abdoussalam Nouri, Principal Secretary, Perm anent Secretariat of the Support Committee to

Counsel for Niger,

MsHaoua Ibrahim, Secretary, Permanent Secretariat of the Support Committee to Counsel for
Niger,

as Support Staff. - 10 -

Le PRESIDENT : Veuillez-vous asseoir. L’audience est ouverte.

La Cour se réunit aujourd’hui, en application des articles43 et suivants de son Statut, pour

entendre les Parties en leurs plaidoiries dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger).

M.lejugeYusuf, pour des raisons dont il m’a fait part, ne peut être présent aujourd’hui sur le

siège.

La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles

s’est prévalue de la faculté que lui confère le pa ragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un

juge ad hoc. Le BurkinaFaso avait initialement désigné M.Jean-PierreCot; celui-ci ayant

démissionné de ses fonctions le 25avril2012, le BurkinaFaso a désigné M.YvesDaudet. La

République du Niger a désigné M. Ahmed Mahiou.

L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,

prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute

conscience». En vertu du paragraphe6 de l’ar ticle31 du Statut, cette disposition s’applique

également aux juges ad hoc.

Bien que M. Mahiou ait été désigné juge ad hoc en d’autres affaires dans lesquelles il a fait

des déclarations solennelles, il lui faut, conforméme nt au paragraphe 3 de l’article 8 du Règlement

de la Cour, en faire une nouvelle en la présente affaire.

Avant de les inviter à faire leurs déclarations solennelles, je dirai d’abord quelques mots de

la carrière et des qualifications de MM. Mahiou et Daudet.

M. Mahiou, de nationalité algérienne, est bien connu de la Cour puisqu’il a siégé en qualité

de juge ad hoc dans trois autres affaires. Il est docteur d’Etat de la faculté de droit de Nancy et

agrégé de droit public et de science politique. Il a occupé divers postes d’enseignement et de

recherche en Algérie, en France et dans d’autres pays, et a été doyen de la faculté de droit de

l’Université d’Alger. M.Mahiou a été membre de la Commission du droit international de1982

à1996, et a été élu président de cette Commission lors de sa quarante-huitième session en1996.

M. Mahiou a représenté l’Algérie dans de nombreuses conférences internationales et a été membre

de divers organes internationaux. Il a été vice-président du Conseil d’appel de l’Unesco et a exercé

les fonctions d’arbitre dans le cadre de plusieurs différends internationaux. M. Mahiou est membre - 11 -

de divers organes et institutions scientifiques et me mbre de l’Institut de droit international. Il a

publié de nombreux ouvrages et articles dans différents domaines du droit international.

M.Daudet, de nationalité française, est docteur en droit et agrégé de droit public et de

science politique. Il a occupé divers postes d’enseignement et de recherche en France

métropolitaine, en Martinique, à l’île Maurice, au Maroc et en Côte d’Ivoire. Il a été membre de la

délégation française au Groupe d’experts, puis à la conférence des NationsUnies sur le transfert

international de technologie. M. Daudet est secrétaire général de l’Académie de droit international

de La Haye et professeur émérite de l’Université Paris I (Paris-Sorbonne), dont il a été le premier

vice-président. Il est par ailleurs membre du comité de rédaction de l’ Annuaire français de droit

international, et membre de la Société française pour le droit international et de la branche

française de l’International Law Association. Il a publié de nombreux ouvrages et articles dans

différents domaines du droit international.

J’invite maintenant MM.Mahiou et Daudet à prendre l’engagement solennel prescrit par

l’article20 du Statut de la Cour et demande à toutes les personnes présente
s à l’audience de bien

vouloir se lever. Monsieur Mahiou.

M. MAHIOU :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et
en toute conscience.»

LE PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Mahiou. Monsieur Daudet.

M. DAUDET :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et

en toute conscience.»

LE PRESIDENT : Je vous remercie, M. Daudet. Veuillez-vous asseoir. La Cour prend acte

des déclarations solennelles faites par MM. Mahiou et Daudet et je déclare ceux-ci dûment installés

en qualité de juges ad hoc en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger).

Je rappellerai à présent les principales étapes de la procédure en l’espèce. - 12 -

Par une lettre de notification conjointe datée du 12 mai 2010 et déposée au Greffe de la Cour

le 20 juillet 2010, le Burkina Faso et la République du Niger ont fait tenir au greffier un compromis

entre les deux Etats, signé à Niamey le 24févr ier2009 et entré en vigueur le 20novembre2009,

par lequel leurs gouvernements sont convenus de soumettre à la Cour le différend frontalier qui les

oppose sur un secteur de leur frontière commune. Par la même lettre de notification conjointe, les

deux Etats ont également communiqué à la Cour le protocole d’échange des instruments de

ratification du compromis et l’échange de notes consacrant leur accord dans les secteurs délimités

de la frontière, en date, respectivement, des 29 octobre et 2 novembre 2009.

Par ordonnance du 14septembre2010, la Cour a fixé au 20avril2011 la date d’expiration

du délai pour le dépôt du mémoire de chacune des Parties et au 20 janvier 2012 la date d’expiration

du délai pour le dépôt du cont re-mémoire de chacune des Parties. Les mémoires et les

contre-mémoires ont été dûment déposés dans les délais ainsi fixés. Les Parties ont ensuite fait

savoir à la Cour qu’elles estimaient que la présentation de nouvelles pièces de procédure écrite

n’était pas nécessaire, mais qu’elles souhaitaient se réserver le droit de produire, le cas échéant, des

documents nouveaux en application de l’article56 du Règlement. Aucune demande tendant à la

production de tels documents n’a été adressée à la Cour.

Conformément au paragraphe2 de l’article53 de son Règlement, la Cour, après s’être

renseignée auprès des Parties, a décidé de rendre accessibles au public, à l’ouverture de la

procédure orale, des exemplaires des pièces de procédure et documents annexés. En outre,

conformément à la pratique de la Cour, l’ensem ble de ces documents, sa ns leurs annexes, sera

placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.

Je constate la présence à l’audience des agen ts, conseils et avocats des deux Parties.

Conformément aux dispositions relatives à l’organisa tion de la procédure arrêtées par la Cour, les

audiences comprendront un premier et un second tour de plaidoiries.

Le premier tour de plaidoiries débute aujourd’hui et se terminera le

vendredi12octobre2012. Le second tour de pl aidoiries s’ouvrira le lundi15octobre2012 et

s’achèvera le mercredi 17 octobre 2012. - 13 -

Conformément au calendrier des audiences arrêté par la Cour, après consultation des Parties,

le BurkinFaaso sera entendu le premier. Je donne à présent la parole à

S. Exc. M. Jérôme Bougouma, agent du Burkina Faso. Monsieur l’agent, vous avez la parole.

M. BOUGOUMA :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, permettez-moi avant tout propos

de vous transmettre les salutations du président, du Gouvernement et du peuple du BurkinaFaso,

que j’ai le très grand honneur de représenter aujour d’hui devant vous. Je le fais avec d’autant plus

de sérénité et de respect que mon pays a déjà eu l’occasion de porter une affaire devant la Cour et

qu’il s’est félicité de son issue. En dépit des contraintes diverses qu’une affaire devant la Cour

pose inévitablement à un pays sans grands moyens, le BurkinaFaso, pour la seconde fois s’en

remet à votre haute juridiction pour régler un litige frontalier avec l’un de ses voisins.

2. C’est en effet en 1984 que le Burkina, conjointement avec le Mali, a saisi une Chambre de

la Cour du Différend frontalier entre les deux pays. Salué par les internationalistes du monde

entier pour les principes fondamentaux qu’il énonce en matière de délimitation territoriale entre

pays issus de la décolonisation, l’arrêt du 22 décembre 1986 a réglé à l’entière satisfaction des deux

Parties le litige qui les opposait, conformément au droit et à la justice. Cet arrêt a encouragé les

Etats africains à s’en remettre en toute confiance à la Cour pour régler leurs contentieux frontaliers

alors même que les enjeux de souveraineté exacerbent trop souvent les passions dans ce domaine

particulièrement sensible.

3. Faute d’avoir pu démarquer complétement la frontière par voie de concertation bilatérale,

comme nous nous y sommes efforcés durant pr ès de quaranteans, nous avons, d’un commun

accord, saisi la Cour dont l’arrêt à venir, «définitif et sans recours», garantit une solution durable et

fondée sur le droit, à l’écart des aléas et des arrière-pensées politiques.

4. Je note d’ailleurs que nos frères nigériens ont , eux aussi, déjà saisi la Cour d’un différend

frontalier avec un autre de leurs voisins et, comme nous, ont choisi de s’adresser à nouveau à votre

haute juridiction. Cela laisse bien augurer de l’accueil que nos deux pays réserveront à l’arrêt

qu’ils vous appellent à rendre par le compromis qu’ils ont signé le 24février2009. Du même - 14 -

coup, Mesdames et Messieurs les juges, vous mettrez fin à la seule ombre qui pèse sur les relations

entre nos deux pays frères, dont je me plais à dire qu’elles sont, pour le reste, excellentes.

5. Il ne faut pas, pour autant, sous-estimer la dimension de ce différend, qui complique la

cohabitation entre les populations à la frontière et qui pourrait envenimer les rapports entre les deux

pays.

6. C’est d’ailleurs pourquoi le Burkina et le Niger ont décidé, par le protocole d’accord de

Niamey du 23juin1964, de ne p as accepter qu’il soit porté atteinte au statu quo, renforçant ainsi

les conséquences du jeu normal du principe de l’uti possidetis qui gèle le titre territorial à la date de

la décolonisation. Au surplus, par l’article10 du compromis, les Parties ont pris l’«engagement

spécial» de «s’abstenir de tout acte d’incursion dans les zones litigieuses».

7. Monsieur le président, au paragraphe0. 19 de son contre-mémoire, le Niger écrit: «Le

caractère récurrent de tels incidents ... montre de façon particulièrement probante la persistance des

difficultés auxquelles les deux Etats se sont trouv és confrontés du fait de l’imprécision des limites

édictées par la puissance coloniale dans ce secteu r.» Nous ne pouvons souscrire à la deuxième

partie de ses affirmations : contrairement à ce qu’il prétend, la présente affaire, par contraste avec

la plupart des affaires portant sur des différends frontaliers, se caractérise par la précision et la

complétude de la frontière léguée par le colonisat eur. Ceci étant, ces incidents existent et je

conviens volontiers qu’il faut y mettre fin, quelles qu’aient pu être les responsabilités passées. Ce

sera tout le mérite de votre arrêt, Mesdames et Messieurs les juges.

8. Les travaux en vue de la démarcation de notre frontière commune avaient pourtant bien

commencé. Outre la conclusion du protocole de Niamey que je viens de mentionner, les Parties ont

adopté, le 28mars1987, un accord et un protoc ole d’accord qui, en réalité, consacrent la

délimitation de la frontière telle qu’elle résulte de l’ erratum du 5octobre1927 à l’arrêté du

gouverneur général de l’Afrique occidentale française du 31août précédent. C’est au stade de la

démarcation que les travaux ont achoppé. Encore faut-il noter qu’à plusieurs reprises, un accord

global était pratiquement acquis : ainsi, en septembre 1988, les experts de la commission mixte ont

adopté un tracé consensuel couvrant toute la frontière; et à nouveau en mai1991 les ministres

compétents se sont mis d’accord sur une solution de compromis propre à mettre fin à l’ensemble du

différend. Malheureusement, dans les deux cas, le Niger est revenu sur son agrément initial. - 15 -

[Projection : Vue générale de la frontière entre les deux Etats.]

9. Malgré tout, nous sommes parvenus à un acco rd sur les deux extrémités de la frontière.

C’est pourquoi la Cour est priée par l’article2 du compromis, non pas de délimiter les secteurs

allant des hauteurs du MontN’Gouma à la borne astronomique de Tong-Tong d’une part, et du

début de la boucle de Botou jusqu’à la rivière Mékrou, d’autre part, mais, en ce qui concerne ces

deux secteurs, de «donner acte aux Parties de leur entente sur les résultats des travaux de la

commission technique mixte d’abornement de la frontière Burkina-Niger». Je reconnais qu’il

s’agit là d’une formule un peu insolite, Monsieur le président, mais, si je peux utiliser cette

expression, «chat échaudé craint l’eau froide» et, habitués aux revirements de nos frères nigériens,

nous avons souhaité que cette entente soit consacrée pa r la Cour afin que l’ensemble du tracé de la

frontière bénéficie de l’autorité de la chose jug ée. Alors même qu’il a conclu le compromis, le

1
Niger juge cette démarche «superfétatoire» . Ce n’est pas notre avis ; votre caution, Mesdames et

Messieurs les juges, est un gage de stabilité auquel nous tenons.

[Fin de la projection.]

10. Monsieur le président, l’affaire que le BurkinaFaso et la République du Niger ont

soumise à la Cour se distingue des précédentes affaires de délimitation terrestre dont elle a été

saisie à deux points de vue très particuliers :

⎯ Primo, les Parties sont d’accord sur les moye ns de preuve qu’elles peuvent utiliser ⎯ à

l’exclusion de tout autre ⎯ et sur lesquels, par conséquent, la Cour peut se fonder: il s’agit,

comme le rappelle le préambule du compromis, qui se réfère à l’article2 de l’accord de1987

que j’ai mentionné il y a un instant, de «l ’arrêté2336 du 31août1927, précisé par son

erratum 2602/APA du 5 octobre 1927» ; et l’accord de 1987 ajoute : «En cas d’insuffisance de

l’arrêté et de son erratum, le tracé sera celui figurant sur la carte au1/200000 de l’Institut

géographique national de France, édition 1960, e t/ou de tout autre document pertinent accepté

d’accord Parties». Aucun document n’ayant fait l’objet d’un tel accord, restent donc ⎯ et

restent seulement : l’arrêté modifié par l’erratum et la carte IGN France.

1
CMN, p. 4, par. 0.7. - 16 -

⎯ Secundo ⎯mais ceci découle de cela, à la différence de ce qui est le cas dans la plupart des

différends frontaliers ⎯, un instrument unique constitue le titre de référence auquel le tracé de

toute la frontière peut et doit être rattaché. Contrairement aux affaires ayant donné lieu aux

arrêts de 1986 (dans Burkina/Mali) et de 2005 (dans Bénin/Niger), il s’agit ici non pas de tracer

une frontière de novo , mais de confirmer la délimitation de la frontiè re telle qu’elle résulte de

l’arrêté du 31août1927 et de son erratum. Au fond, il s’agit de consacrer une délimitation

déjà acquise afin d’assurer une démarcation finale sur une base incontestable.

11. Contrairement à la Partie nigérienne, le Burkina ne pense pas que vous deviez ⎯ ni, à

vrai dire, que vous puissiez ⎯ Mesdames et Messieurs de la Cour, vous affranchir du cadre strict

tracé par le compromis et l’accord de1987. Vous n’êtes pas invités à vous prononcer en équité,

moins encore à consacrer des usurpations de terr itoire qui se sont produites depuis l’indépendance

⎯voire auparavant lorsque certains administrate urs coloniaux grommelaient contre les décisions

prises à Dakar. Vous n’êtes pas appelés à réécrire un titre colonial qui, pour une fois, couvre

l’ensemble de la frontière contestée, ni même à en apprécier la validité ou la force probante puisque

les Parties ont consacré l’une et l’autre. Vous n’êtes pas conviés à substituer votre voix à celle de
2
l’uti possidetis : contrairement à ce qui se produit parfois , il parle ici d’une voix assurée. Il n’est

dès lors pas utile que vous entriez, comme le Ni ger vous y a invités dans ses plaidoiries écrites,

dans les incertitudes de prétendues effectivités (souvent mouvantes), ou dans le décryptage des

incidents frontaliers qui se sont produits ici et là, ou dans les incohérences alléguées de la

cartographie de la région. Il vous suffit plutôt de constater que, dans la grande majorité des cas,

l’erratum de 1927 se suffit à lui-même et de vous repor ter à la carte IGN France de 1960 dans les

très rares hypothèses où il est «insuffisant».

12. Et je crois pouvoir vous rassurer d’avan ce, Mesdames et Messieurs les juges: en

procédant ainsi, conformément au droit que les Parties ont désigné, vous ne ferez pas violence aux

«réalités du terrain» dont se prévaut à tort la Partie nigérienne. Ces réalités sont caractérisées par la

coexistence du nomadisme et du semi-nomadisme, de zones de transhumance et de certains habitats

sédentaires mais toujours relativement instables ⎯ce qui explique la disparition fréquente de

2Voir Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)),

arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 386, par. 41. - 17 -

villages ou de lieudits dont il est question dans cer tains documents pas toujours forcément très

anciens. Ce sont ces réalités-là dont il faut tenir compte pour interpréter les deux instruments qui

établissent la frontièreBurkina-Niger et non le fait accompli créé par l’établissement anarchique

(ou téléguidé) de certaines populations d’un côté ou de l’autre de la frontière.

13. Monsieur le président, avant de présenter le plan de nos plaidoiries et les éminents

conseils qui ont bien voulu nous apporter leur concours, je voudrais m’ acquitter de deux devoirs

très plaisants. En premier lieu, il m’est agréab le de remercier très vivement Monsieur le

greffier Philippe Couvreur et toute son équipe du Gr effe pour l’aide qu’ils nous ont apportée et les

conseils qu’ils nous ont prodigués tout au long de la procédure. En second lieu, je souhaite

adresser publiquement les remerciements du Gouvernement et du peuple burkinabè à tous ceux qui

participent à la défense du Burkina Faso dans cette affaire si importante pour mon pays.

14. Je saisis également cette occasion pour salue r très chaleureusement la délégation de la

République sŒur du Niger. Monsieur le président, après cette introduction, le

professeurJean-MarcThouvenin décrira la naissanc e du différend et les négociations qui ont eu

lieu entre les Parties pour tenter de le régler. M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de

l’Institut géographique du Burkina, fera ensuite une présentation géographique et cartographique de

la frontière litigieuse. Le professeur Alain Pellet lui succédera à cette barre pour décrire le contexte

historique et les points d’accord et de désaccord entre les Parties ⎯ ce qui devrait nous amener à la

fin de la matinée. Cet après-midi, le professeur Pe llet reprendra brièvement la parole pour décrire

les grandes lignes de la thèse burkinabè. Celle-ci sera ensuite précisée en ce qui concerne le tracé

de la frontière successivement depuis la borne astronomique de Tong-Tong jusqu’au point où elle

atteint la rivière Sirba à Bossébangou, puis de ce point jusqu’à la boucle de Botou, par les

professeursMathiasForteau et Jean-MarcThouvenin. Le professeurPellet fermera la marche en

présentant la partie abornée de la frontière avant de conclure nos plaidoiries du premier tour.

15. Je ne voudrais pas terminer ma présentation sans redire la pleine et totale confiance que

mon pays place dans la Cour et sa conviction profonde que l’arrêt que vous allez rendre, Mesdames

et Messieurs les juges, contri buera à renforcer encore les re lations amicales entre les deux

Républiques sŒurs. Votre arrêt permettra de conforter ces liens en dissipant l’un des rares

problèmes qu’elles n’ont pu complètement résoudre par la négociation. - 18 -

16. Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie très vivement de l’attention que vous

m’avez prêtée. Et je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole au

professeur Jean-Marc Thouvenin.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’ agent et Monsieur le ministre. Je donne la

parole au professeur Jean-Marc Thouvenin. Vous avez la parole, Monsieur.

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président.

N AISSANCE DU DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA C OUR ⎯ LES DISCUSSIONS ENTRE LES P ARTIES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, j’ai l’honneur de me présenter à

nouveau devant votre haute juridiction, et j’en re mercie vivement le Burkina Faso, au nom duquel,

comme M.l’agent vient de l’annoncer, il me revi ent ce matin de présenter la genèse du différend

dont la Cour est saisie.

2. Monsieur le président, force est de consta ter qu’après deux tours de plaidoiries écrites, les

Parties proposent des visions assez divergentes de la succession des événements qui ont conduit à

la naissance du différend, et de leurs responsabilités respectives à cet égard.

3. De son côté, le Niger semble considérer qu’il revient à la Cour de trancher un différend

presque séculaire. Il écrit en effet que des «difficultés persistantes»ont nées à propos de la limite

4
entre la Haute-Volta et le Niger dès avant les indépendances , découlant selon lui de «l’incertitude

de la limite entre la colonie du Niger et celle de la Haute-Volta résultant de l’ erratum du

5
5 octobre 1927 corrigeant l’arrêté général du 31 août 1927» . Et, suggérant que les deux Parties à

la présente instance auraient immédiatement pris conscience du fait qu’elles avaient hérité d’une

situation territoriale mal stabilisée, le Niger soutient qu’elles se seraient engagées dans le règlement

6
du différend qui en résulte «dès leur accession à l’indépendance» .

4. S’agissant des discussions conduites par l es deux Etats depuis les années1960, le Niger

fait valoir dans son contre-mémoire que le Burkina aurait adopté des positions successives

3MN, p. 25, par. 2.1.
4
Ibid., p. 25-35, par. 2.2-2.8.
5Ibid., p. 25, par. 2.1.

6Ibid., par. 3.1, p. 39. - 19 -

contradictoires, adoptant dans un premier temps le tracé frontalier reporté par l’IGN France sur la

carte de 1960, avant de changer d’avis 7.

5. Pour sa part, le Burkina considère que le différend a pris naissance durant la période

postcoloniale, puisqu’un différend entre les deux Parties à la présente procédure n’a, par hypothèse

même, pas pu naître avant qu’elles accèdent à l’indépendance. Et s’il est vrai que depuis les

années1960 la question frontalière s’est posée de manière récurrente, le Burkina distingue deux

phases successives bien différentes, durant lesquelles il a main tenu une position constante quant au

tracé de la frontière: une première phase, dite «consensuelle» 8, s’étendant de1964 à1990(I), et

une seconde phase durant laquelle s’affirme clairement un différend d’ordre juridique entre les

Parties, qui commence en 1990 et ne s’achèvera qu’avec le prononcé de l’arrêt de la Cour (II).

I. La coopération en vue de la matérialisation de la frontière (1964-1990)

6. La première phase, à laquelle je vais consacrer la première partie de ma plaidoirie, est

clairement placée sous le signe de l’absence d’opposition entre les Parties sur la question de la

délimitation frontalière, et voit t out au contraire se développer le ur coopération, d’ailleurs très

fructueuse, en vue de démarquer leur frontière, c’est-à-dire de l’aborner. Trois accords en ont

résulté: le protocole d’accord de 1964, l’accord de 1987, et le protocole d’accord qui

l’accompagne. D’emblée le Niger se méprend lorsqu ’il en présente la genèse, en indiquant dans

son mémoire que les «efforts menés par les deux Etats à partir de 1964» visaient à «aboutir à la

9
délimitation, puis la démarcati on de leur frontière commune» : en réalité, les Parties ne parlaient

alors que de démarcation, la question de la dé limitation étant considérée comme déjà tranchée,

durant la période coloniale, par l’arrêté du gouve rneur général de l’AOF du 31août1927, précisé

par l’erratum d’octobre de la même année.

7
CMN, p. 48, par. 1.2.7 ; voir aussi CMN, p. 49, par. 1.2.9.
8
CMBF, p. 48-51, par. 2.2-2.10.
9 CMN, p. 47, par. 1.2.3. - 20 -

A. Le protocole d’accord de 1964

7. C’est d’ailleurs le Niger lui-même qui, à juste titre, a jugé bon dès 1964 de placer le débat

frontalier sur le seul terrain de la matérialisation de la ligne frontière 10, en affirmant avec force que

la délimitation ne pouvait être en débat. La note verbale du 17 juin 1964 du ministre nigérien des

affaires étrangères à son homologue voltaïque est éloquente à cet égard. Vous en trouverez une

reproduction à l’onglet 1, sous-onglet 1, du dossier de plaidoiries. Le Niger y soutient :

⎯ que la frontière est «déjà arrêtée par la colonisation» ;

⎯ qu’elle est en effet «fixée par un arrêté du gou verneur général en date du 31 août 1927 précisé

o
par un erratum publié au journal officiel de l’AOF n 1201 du 24 septembre 1927, p. 638» ;

⎯ que, par conséquent, «un texte de base assez précis existe» ;

⎯ mais que «les bornes sont perdues, et [qu’]il est impossible actuellement aux représentants des

deux Républiques de situer exactement la frontière sur le terrain» ;

⎯ tant et si bien que la seule chose à faire, selon le ministre nigérien des affaires étrangères, était

de «désigner des géomètres des deux Etats pour matérialiser la frontière avec des bornes» 11.

8. Le Burkina donna une suite favorable quasi immédiate à cette démarche en signant le

protocole d’accord du 23juin1964, lequel est repro duit à l’onglet1, sous-onglet2, du dossier de

plaidoiries.

9. Cet instrument ne visait pas à régler «la question de la délimitation», contrairement à ce

12
que prétend avec insistance le Niger dans son mémoire ; il constatait à l’inverse, à l’instar du

ministre nigérien des affaires étrangères dans sa note verbale précitée, que les «frontières

théoriques» entre les deux Etats étaient déjà arrêtées mais qu’elles n’étaient pas matérialisées sur le

terrain; puis il prenait acte de l’accord des Par ties pour «considérer comme documents de base

pour la détermination de la fr ontière, l’arrêté gé néral2336 du 31août1927, précisé par son

erratum 2602/APA du 5 octobre 1927 et la carte au 1/200 000 de l’Institut géographique de Paris».

En outre, il chargeait une commission paritaire d’entreprendre les travaux de matérialisation ⎯ les

Parties ne parlent décidément pas de délimitation ⎯ dès la mi-novembre 1964.

10
MBF, p. 34-35, par. 1.39-1.40.
11
Ibid., annexe 44.
12MN, p. 39, par. 3.1. - 21 -

10. Interprétant les termes de cet accord, le Niger prétend dans son contre-mémoire que la

carte de 1960 y était évoquée «sur le même pied» que les actes de 1927 13. Cela n’est pas exact,

pour au moins trois raisons.

11. Premièrement, cette affirmation de la Partie nigérienne est en parfaite contradiction avec

la position qu’elle a elle-même exprimée dans la note verbale évoquée à l’instant, rédigée

seulement cinq jours avant la signature du protocol e d’accord. Cette lettre, qui relève des travaux

préparatoires du protocole d’accord, ne mentionne même pas l’existence de la carte, pour s’en tenir

strictement à citer les textes que sont l’arrêté et l’erratum.

12. Deuxièmement, les différences qui existent entre la frontière établie par les textes de

1927 et la ligne reportée sur la carte de 1960 par l’IGN sont telles ⎯nous aurons l’occasion d’y

revenir au cours de ces plaidoiries ⎯qu’il est tout à fait impossible de s’appuyer sur l’une et

l’autre «sur un pied d’égalité» afin de procéder à la matérialisation de la frontière.

13. Enfin, le protocole d’accord de 1964 n’a ja mais été interprété par les experts nigériens et

burkinabè qui furent en charge de le mettre en Œuvre comme donnant une égale valeur à la carte et

à l’erratum. Pour preuve, les experts du Niger eux- mêmes soulignaient expressément en 1990 que

«la carte IGNF à 1/200 000, édition 1960 a été c onsidérée comme un document de travail à cause

de sa précision technique et non du fait de sa conformité aux textes juridiques» 14.

14. A la suite de l’adoption en 1964 de ce protocole d’accord, les travaux d’abornement

n’avancèrent pas aussi vite que les Parties l’avaient espéré. Quatreans plus tard, en 1968, elles

envisagèrent de confier à l’IGN France les travaux de matérialisation de la frontière, pour un coût

estimé à 10 millions de francs CFA 15.

15. Ce projet n’aboutit jamais. Il inspire cependant le Niger, qui soutient dans son

contre-mémoire que le principe retenu par les deuxEtats en19 68 consistant à confier à l’IGN

France la charge de poser des bornes le long de la frontière «allait au-delà d’une simple entente sur

la procédure à suivre et recouvrait également un consensus sur le tracé à adopter lui-même».

«Selon toute vraisemblance», ajoute-t-il, «l’IGN aurait alors réalisé ces travaux d’abornement sur

13
CMN, p. 42, par. 1.1.30.
14MBF, annexe 85 (procès-verbal de la réunion extrao rdinaire de la commission t echnique mixte d’abornement

de la frontière Niger-Burkina tenue à Niamey le 14 mai 1990).
15Ibid., p. 38-39, par. 1.51 ; CMN, p. 48, par. 1.2.5. - 22 -

la base du tracé de la carte de1960» 16. Le Niger tire de cette «vraisemblance» que les Parties

s’accordaient pour considérer le tracé reporté sur la carteIGN de1960 comme reflétant leur

frontière. Ceci serait d’ailleurs confirmé, selon le Niger, par une carte routière de la Haute-Volta

datée de 1963 17 sur laquelle cette ligne est reportée. Pour le Niger, la Haute-Volta aurait, par cette

18 19
carte, «avalisé» , ou même «adopté» cette ligne dès1963. Le Niger en tire argument pour

prétendre que le Burkina a changé de position depuis lors 20.

16. Ce raisonnement est dépourvu de tout fondement.

17. S’il existait dans les années1970 une conve rgence de vues entre les Parties, elle ne

portait certainement pas sur la ligne tracée sur la carte de1960 par l’IGN France, laquelle n’a

jamais été «adoptée», ni par le Burkina, ni, d’ailleur s, par le Niger. Les Parties se rejoignaient à

21
cette époque sur le fait qu’«un texte de base» ⎯ je souligne texte, Monsieur le président ⎯ hérité

22
de la colonisation existait et fixait la frontière, à savoir l’erratum de 1927 . C’est cela que reflète

le protocole d’accord de 1964. Si les Etats avai ent entendu, comme le prétend le Niger, consacrer

comme frontière la ligne reportée sur la carte de 1960, ils l’auraient indiqué . Ce n’est pas le cas.

S’il est fait référence à la carte comme «documen t de base» dans le pr otocole d’accord de1964,

c’est à titre de fond de carte ainsi que, de mani ère subsidiaire, comme complément éventuel

d’informations pertinentes afin de réaliser l’abornement.

18. Quant au fait que les Parties ont souhaité confier à l’IGNFrance la charge de poser les

bornes frontières sur le terrain, il ne signifie nullement qu’un blanc-seing aurait été donné à cet

organisme pour établir la frontière là où il lui aurait semblé qu’elle devait passer.

23
19. Enfin, s’agissant de la carte routière de la Haute-Volta de 1963 , le Niger a bien tort de

s’étonner qu’elle reproduise le tracé frontalier de la carte établie par l’IGN en1960 puisqu’elle a

été éditée, non pas par la Haute-Volta, mais par le même IGN, via son antenne de Dakar. On

16 CMN, p. 48, par. 1.2.5. ; voir aussi CMN, p. 43, par. 1.1.31.
17
MN, annexe D 31.
18
CMN, p. 48, par. 1.2.5.
19
Ibid., p. 42, par. 1.1.31.
20 Ibid., p. 48, par. 1.2.7 ; voir aussi CMN, p. 49, par. 1.2.9.

21 MBF, annexe 44, les italiques sont de nous.

22 Ibid.
23
MN, annexe D 31. - 23 -

saurait d’autant moins en inférer que la Haute-Vo lta aurait «validé» ce tracé que rien ne laisse

entendre qu’il représenterait la position officielle de celle-ci, ce que le Niger n’essaie du reste

même pas de soutenir.

20. L’IGN ne réalisa finalement pas la mi ssion que les Parties avaient envisagé de lui

attribuer en 1968. Les deux Etats reprirent leurs travaux quelque temps plus tard, tant et si bien que

les techniciens des deux Parties s’accordèrent en mai1986 sur un tracé. Le Niger fait mine d’y

accorder une grande importance, alors qu’il s’agi ssait d’une simple ébauche, établie à des fins

purement techniques puisque la réunion des experts de mai 1986 n’avait pas d’autre objet inscrit à

son ordre du jour que «[l’]évaluation des coût s des travaux d’abornement de la frontière

24 25
Niger/Burkina» . Le Niger le soulignait d’ailleurs dans son mémoire avant de se raviser dans

son contre-mémoire pour tenter de faire croire que lors de cette réunion un tracé définitif de la

26
frontière aurait été convenu .

21. En tout état de cause, les résultats des travaux de 1986 n’ont pas été conclusifs puisqu’ils

ont été partiellement rejetés en1988 par la commission technique mixte d’abornement mise en

place par le protocole d’accord de 1987.

B. L’accord et le protocole d’accord de 1987

22. Le Niger comprend manifestement mal le sens de la position prise par la commission

technique mixte en1988 consistant à rejeter le tracé de1986. En effet, le Niger prétend que la

décision prise par la commission en 1988 aurait été le fruit d’une volte-face du Burkina, qui aurait,

27
ce faisant, répudié la position qu’il avait adoptée en1986 . Mais la décision de1988 révèle

d’autant moins une quelconque inconstance du Burkina qu’entre1986 et1988 furent signés

l’accord de1987 et le protocole d’accord qui l’accompagne. Or, non seulement ces textes

confirment-ils de manière claire la délimitation de la frontière entre les deux Etats, mais encore ils

précisent la procédure de démarcation qu’ils s’accordaient à suivre. La commission mise en place

24MBF, annexe 69.
25
MN, p. 40, par. 3.3.
26CMN, p. 48-49, par. 1.2.7.

27Ibid., p. 49, par. 1.2.9. - 24 -

par le protocole d’accord de 1987 avait donc, en 1988, les mains liées par ces textes, et ne pouvait

en aucun cas déroger à leurs dispositions.

23. Dès lors, si une partie (une partie seulement) du tracé qu’avaient retenu les techniciens

en1986 ne pouvait être validée lors de cette réunion tenue en1988, ce n’ est évidemment pas à

raison d’un revirement du Burkina, mais parce que leurs travaux n’étaient pas conformes à ce

qu’avaient souverainement décidé les deuxEtats en1987. De l’avis unanime de la commission

composée à parité de membres nigériens et burkinabè , ce tracé avait été établi à partir de la carte

de 1960, et non des textes de 1927, ce qui n’était pas acceptable puisque «les techniciens n’étaient

pas habilités à décider d’une procédure dérogean t aux décisions des deuxgouvernements» prises

en1987, lesquelles indiquent clairement que la frontière est telle que décrite par l’ erratum. La

commission n’avait donc d’autre choix que de de mander aux techniciens «de reprendre la portion

des 110 km concernés en respectant les textes retenus dans l’accord et le protocole d’accord signés

28
entre les deux gouvernements dans un délai de huit (8) jours» .

24. Mais il est vrai que notre contradicteur ignore superbement les termes de l’accord et du

protocole d’accord de1987, qui constituent pourtant des éléments clefs dans l’histoire des

discussions frontalières. Ils sont reproduits à l’onglet1, sous-onglets4 et5, du dossier de

plaidoiries. Les principaux articles du texte de l’accord du 18 mars 1987 se lisent ainsi :

«Article 1.

La frontière entre les deuxEtats va des hauteurs de N’Gouma, situées au nord
du gué de Kabia, jusqu’à l’intersection de l’ancienne limite des cercles de Fada et
de Say avec le cours de la Mékrou, telle que décrite par l’arrêté du 31 août 1927.

Article 2.

La frontière sera matérialisée par des bornes frontières conformément au tracé

décrit par l’arrêté2336 du 31août1927, précisé par son erratum 2602/APA
du5octobre 1927. En cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum, le tracé sera
celui figurant sur la carte à 1/200 000 de l’Institut Géographique National de France,
édition 1960, et /ou de tout autre document pertinent accepté d’accord parties.

Article 3.

Il est créé une commission technique mixte d’abornement dont la composition
et les attributions seront définies par un protocole d’accord entre les deux Etats.»

28
MBF, annexe 80. - 25 -

25. De son côté, le protocole d’accord a essentiellement pour objet de régler le

fonctionnement de la commission mixte d’aborneme nt. On retiendra à ce stade que sa mission est

précisément fixée à l’article4, puisqu’elle est en charge de «la matérialisation de la frontière,

conformément aux dispositions des articles 1 et 2». Lesdits articles 1 et 2 ne laissent aucune marge

d’appréciation à la commission quant à la pertin ence ou non du tracé de la carte de 1960, puisque

l’article 2 précise que ce n’est qu’en cas «d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum, [que] le tracé

sera celui figurant sur la carte à 1/200000 de l’Institut géographique national de France,

29
édition 1960, et/ou de tout autre document pertinent accepté d’accord parties» .

C. Le tracé consensuel de 1988

26. Sur la base de l’accord et du protocole d’accord de 1987, les travaux de la commission

furent dans un premier temps rondement menés. Il s aboutirent d’ailleurs dès l’année suivante à un

tracé consensuel respectant à la lettre les dispositi ons de l’accord de 1987. Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les juges, vous trouverez une reproduction du tracé consensuel à l’onglet 1,

sous-onglet 6, du dossier de plaidoiries. Les moda lités de la réalisation de ce tracé consensuel sont

correctement relatées par le Niger dans son contre-mémoire :

«A l’issue de la quatrième rencontre de la commission technique mixte, les
représentants des deux Etats constatèrent que «les techniciens [étaient] unanimes
quant à l’interprétation sur carte et à la r econnaissance sur terrain du tracé défini dans

les documents de base cité dans l’accord et protocole d’accord, signés à Ouagadougou
le 28 mars 1987» 30. Dès lors les représentants d es deux Etats s’accordèrent sur un

tracé issu de l’interprétation des textes de base qu’ils représentèrent sur deux
assemblages de cartes à l’échelle de 1/200 000 (carte IGN de 1960). C’est là ce que le
Burkina Faso appelle, dans ses écritures, le «tracé consensuel».» 31

27. Monsieur le président, si le Burkina peut aisément faire sienne cette observation tirée du

contre-mémoire du Niger, il n’en va pas de même s’agissant des autres analyses qui y sont

développées.

28. Notre contradicteur prétend que «[le tracé consensuel de 1988] ne s’avéra en réalité pas

plus consensuel que celui de 1986» 32, la preuve en étant, selon lui, que «la commission mixte avait

29MBF, annexe 73.
30
Ibid., annexe 81.
31CMN, p. 50, par. 1.2.10.

32Ibid., p. 50, par. 1.2.11. - 26 -

constaté un nombre significatif de «décalages» entre le tracé de la frontière issue des textes de base,

33
le tracé de la carteIGN de 1960 «et même...certaines réalités administratives sur le terrain»» .

Ceci aurait créé des doutes chez les Nigériens, lesquels doutes auraient été «confirmés par la

mission de terrain des directeurs nationaux des de ux pays en charge des questions frontalières

effectuée du 17 au 21 avril 1990 à la demande de la commission technique mixte d’abornement» 34.

29. Mesdames et Messieurs les juges, le Niger s’égare ici dans des explications totalement

dénuées de fondement, et, pour tout dire, assez absurdes.

⎯ En premier lieu, l’existence de décalages entre le tracé consensuel et le tracé de la carteIGN

de1960 ne signifiait nullement absence de consen sus sur le premier, sauf à suggérer que le

tracé consensuel aurait nécessairement dû, aux yeux de la commission mixte, «coller» au tracé

de la carte IGN de 1960, ce qui est absurde puis que, tout au contraire, ladite commission mixte

n’a pas considéré comme pertinente une par tie du tracé retenu par les experts en 1986

précisément parce qu’il reproduisait purement et simplement le tracé de la carte de 1960.

⎯ En deuxième lieu, le fait que le tracé de la frontière faisant droit entre les Parties soit en

décalage avec certaines réalités de terrain avait été très précisément envisagé par le protocole

d’accord du 28mars1987, qui prévoit expressément les modalités de mise en conformité des

réalités de terrain avec le tracé. L’article15 évoque l’hypothèse dans laquelle la frontière

«traverse[rait»] des constructions ou toutes autr es propriétés», sans pour autant réclamer une

modification de son tracé pour éviter cet inconvé nient. Et l’article19 précise qu’après la

matérialisation de la frontière, «les ressortissan ts de l’un ou l’autre Etat, qui ne sont pas

originaires de leur lieu de résidence et qui décident d’y rester, seront immédiatement soumis à

la juridiction et aux lois et règlements de cet Etat». Les Parties étaient donc parfaitement

d’accord sur le principe selon lequel la réalité de terrain devrait être adaptée au tracé de la

frontière, et non l’inverse.

⎯ En troisième lieu, si la partie nigérienne a eu des «doutes» sur le tracé consensuel de 1988 ⎯ je

reprends ici ses propres termes en évoquant des d outes, ce n’est que deux ans plus tard, à la

faveur d’un changement de composition de la délégation nigérienne participant à la

33
CMN, p. 50, par. 1.2.11.
34Ibid. - 27 -

commission mixte. A cet égard, le ministre de l’administration territoriale du Burkina explique

dans un compte rendu au chef de l’Etat :

«c’est à partir de février1990, alors que le président de la commission du côté
nigérien en stage en France avait été provisoirement remplacé par le directeur de la

topographie du Niger, qui est l’homologue du directeur général de l’Institut
géographique du Burkina, qu’un certain ma laise a été ressenti particulièrement au
niveau des techniciens travaillant sur le terrain» . 35

⎯ Enfin, lesdits «doutes» n’ont pas été «confirmés par les directeurs nationaux» en avril1990,

contrairement à ce que prétend le Niger en renvoyant à un document qui n’en atteste

aucunement. L’annexe MBF 85 citée en note de bas de page 144 du c ontre-mémoire nigérien

ne dit rien de tel. Il s’agit du procès-verbal de la réunion extraordinaire de la commission

technique mixte d’abornement de la frontière Niger-Burkina tenue à Niamey le 14mai1990,

réunion durant laquelle la déléga tion nigérienne, et elle seule , fit volte-face en remettant

totalement en cause le tracé consensuel. Quant à la mission de terrain du 17 au 21 avril1990

que le Niger évoque de manière énigmatique dans son mémoire 36, on n’en trouve aucune trace

37
au dossier. Une mission technique de terrain a été conduite du 5 au 12 juin 1990 pour tenter

de reconnaître les villages de Alfassi, Kouro, Takalan (Tokalan), Tankouro et Kogori. Mais le

compte rendu de cette mission ne confirme en rien le caractère «non consensuel» du tracé de

1988, ou de soi-disant «doutes» sur sa pertinence, comme le laisse entendre le Niger.

30. Monsieur le président, le fait est que le Niger a remis en cause le tracé consensuel de

1988 à partir de mai 1990 (il avait commencé à installer un malaise au sein de la commission dès

février1990), pas avant, et certainement pas «dès le s premières évaluations de la situation sur le

38
terrain» . Ce ne sont au demeurant pas lesdites évaluations de terrain qu’il a invoquées pour

justifier sa volte-face de mai1990, mais une carte au 1/1000000, dont l’échelle démontre à elle

39
seule qu’elle est bien incapable de faire ressortir des détails de terrain . Deux mois après, en

juillet1990, le Niger présenta de nouveaux argumen ts, tous d’ordre théorique et sans aucun lien

35MBF, annexe 88.

36CMN, p. 50, par. 1.2.11.
37
MBF, annexe 86.
38CMN, p. 51, par. 1.2.14.

39MBF, annexe 85. - 28 -

avec les «réalités de terrain»: c’est à cette o ccasion que surgirent deux thèses, aussi nouvelles

qu’éphémères puisqu’elles ont été abandonnées depuis lors, selon lesquelles, d’une part, la

frontière serait «courbe» entre la borne astr onomique de Tong-Tong et la rivièreSirba à

40
Bossébangou, d’autre part, Takalan et Takatami seraient un seul et même village .

31. Dans son contre-mémoire le Niger reproche au Burkina de présenter cette position

nigérienne quant à l’interprétation du tracé frontalier comme étant fondée sur des convictions

41
«éphémères» , et soutient qu’au contraire ladite pos ition aurait été «constamment réitérée» en

42
avril 1990, en juillet 1990, en novembre 1990, et en février 1991 .

32. Mais, Mesdames et Messieurs les juges, de quelle position le Niger parle-t-il ? S’agit-il

de celle selon laquelle la frontiè re n’atteindrait pas la rivière Sirba à Bossébangou, invoquée en

43
mai 1990, carte de 1927 à l’appui , puis abandonnée seulement deux mois après, dès juillet de la

44 45
même année , pour n’être reprise que dans le cadre du présent contentieux ? Faut-il chercher la

position «constamment réitérée» dont se prévaut le Niger dans le tracé entre la borne astronomique

de Tong-Tong et la rivière Sirba à Bossébangou qu’il voit tantôt courbe, comme affirmé en

juillet 1990 46, tantôt composé de segments de droite comme il l’a admis en 1988 47 et 1991 , puis à

49
nouveau courbe en2001 , pour enfin concéder, devant la Cour, que cette position est

50 51
«discutable» ⎯ pour ne pas dire intenable ⎯ et plaider désormais un tracé sinueux ? Il serait

cruel de reprendre ici la liste de toutes les inconstances du Niger, déjà établie dans le

40
MBF, annexe 87.
41CMN, p. 51, par. 1.2.14.

42Ibid., p. 51-52, par. 1.2.14

43MBF, annexe 85.

44Ibid., annexe 87 ; voir aussi CMN, annexe C 130.

45CMBF, p. 54, par. 2.17-2.19.
46
MBF, annexe 87.
47
Ibid.,annexe 81.
48
Ibid.,annexe 89.
49
Ibid., annexe 94.
50
MN, p. 70, par. 5.9.
51
CMBF, p. 53-54, par. 2.15-2.16. - 29 -

52
contre-mémoire du Burkina . Mais il est tout de même étonnant de lire sous la plume de notre

contradicteur combien sa position aurait été «constamment réitérée».

II. La cristallisation du différend

33. C’est la volte-face du Niger en 1990, remettant en cause le tracé consensuel de 1988, qui

marque le début de la période de cristallisation du différend. Les Parties sauront toutefois le

résoudre, temporairement, par un nouvel accord conclu en mai 1991 ⎯ une copie de ce compromis

est reproduite à l’onglet 1, sous-onglet 7 du dossier de plaidoiries.

A. Le compromis de mai 1991

34. La solution de compromis de1991 appa raît comme une reconnaissance partielle de la

revendication burkinabè, puisque le tracé consensuel de1988 ⎯c’est-à-dire le tracé de

l’erratum ⎯ y est repris entre la borne de Tong-Tong et la rivière Sirba à Bossébangou, tandis que

pour ce qui concerne la portion suivante, qui va de la rivière Sirba à Bossébangou jusqu’à la rivière

Mékrou, le compromis donne satisfaction au Niger en suivant le tracé de la carte de 1960.

35. Ceci précisé, ni le Burkina ni le Niger n’invoquent cet accord comme faisant droit dans

la présente espèce. Le Niger prétend cependant qu’à l’occasion de ce compromis les ministres des

deux Etats auraient «constaté les insuffisances de l’arrêté de 1927 et son erratum» 53. C’est là une

54
invention, les ministres n’ayant jamais effectué un tel constat . Notre contradicteur avait

d’ailleurs été un peu plus prudent dans son mémo ire en affirmant seulement que les ministres

avaient constaté « des lacunes dans l’application de l’ arrêté de1927 et de son erratum» 55, ce qui

n’était déjà pas exact puisque les ministr es s’étaient en réalité bornés à constater les lacunes de

l’application des textes par la commission mixte d’abornement 56. En réalité, ils ont simplement

constaté l’incapacité de la commission mixte à tranch er la question, et ont décidé de le faire par

eux-mêmes en adoptant une solution politique.

52CMBF, p. 54-56, par. 2.14-2.23.
53
CMN, p. 52, par. 1.2.15.
54
MBF, annexe 49.
55MN, p. 41, par. 3.5.

56CMBF, p. 52, par. 2.12. - 30 -

B. La répudiation du compromis de 1991 et l’échec partiel des discussions subséquentes

36. On le sait, cette solution politique n’a pas tenu bien longtemps, là encore en raison d’une

nouvelle volte-face du Niger. Le Niger essaie depuis lors de s’en justifier par des arguments

juridiques en expliquant que le tracé issu du comp romis de1991 n’était pas tout à fait conforme

57
aux articles1 et2 de l’accord de1987 dont le Niger se révèle sur ce point ardent défenseur

⎯alors qu’il s’évertue par ailleurs autant qu’il le peut à passer cet accord sous silence dans ses

écritures devant la Cour. Cette justification pa raît de toute manière absconse puisque, en tant

qu’accord international, l’accord de1991 pouvait parfaitement s’écarter des termes de l’accord

de1987, ce qu’il faisait en effet, en tradui sant par voie d’accord une solution politique de

compromis. La justification invoquée par le Niger sert donc uniquement à masquer le fait qu’il

avait une fois de plus changé d’avis et qu’il ne voulait plus de la solution politique qu’il avait

lui-même négociée et acceptée.

37. Rien ne se passa de significatif entre 1991 et 2001 et c’est seulement lors de la quatrième

session ordinaire de la commission technique mixte d’abornement de la frontière qui se tint en

juillet2001 que les débats furent relancés, permettant de clarifier les points d’accord et les points

58
de désaccord entre les Parties . Durant cette réunion fut constit ué un comité paritaire chargé

d’examiner le tracé théorique de la frontière, leque l examen fut conduit à la lumière de l’accord et

du protocole d’accord de 1987, et de l’erratum du 5 octobre 1927. En conclusion de ses travaux, la

commission prit acte du fait qu’avait été reconnu san s ambiguïté le tracé de la frontière des

hauteurs de N’Gouma à la bor ne astronomique de Tong-Tong ⎯à l’exception des ruines de

Tokébangou qui n’avaient pas pu être identifiées, et de Tchenguiliba à la rivière Mékrou, sous

réserve de vérifier la position du village de Kogori. En revanche, elle c onstata que de la borne

astronomique de Tong-Tong à la rivière Sirb a à Bossébangou, les interprétations de l’ erratum

retenues par le Burkina et le Niger étaient inconcilia bles : pour le premier, la frontière était, et est

toujours, constituée de deux segments de droite, ta ndis que pour le second elle suivait une ligne

courbe ⎯ la position du Niger a changé depuis lors. De même, de Bossébangou à Tchenguiliba, la

commission constata la divergence des positions des deux parties.

57
CMN, p. 52, par. 1.2.16.
58
MBF, annexe 94. - 31 -

38. Les deux segments de tracé reconnus sans am biguïté en2001 n’ont plus été remis en

cause depuis lors. Les Parties ont demandé à la Co ur de leur donner acte de cette entente; mon

collègue et ami Alain Pellet y reviendra. Cette entente ne s’étend pas aux deux autres segments de

frontière, qui vont respectivement de la borne astronomique de Tong-Tong à la rivièreSirba à

Bossébangou, et de la rivière Sirba à Bossébangou jusqu’au début de la boucle de Botou ; en ce qui

les concerne, c’est donc à la Cour qu’il appa rtient de confirmer le tracé décrit par l’ erratum

de 1927.

39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ceci conclut ma plaidoirie de ce

matin. Je vous remercie très vivement de votre attention et vous prie respectueusement, Monsieur

le président, d’appeler à la barre M. Claude Obin Tapsoba, à moins qu’il ne vous paraisse opportun

de suspendre la séance pour la pause du matin.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le conseil. J’invite maintenant

M. Claude Obin Tapsoba à nous faire la présentation géographico-cartographique. Vous avez la

parole, Monsieur.

M. TAPSOBA : Merci, Monsieur le président.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, le professeur

Jean-MarcThouvenin a décrit le contexte diplomati que du différend qui vous est soumis. Je suis

fier et heureux de faire, au nom de mon pays, une présentation du cadre géographique et

cartographique de ce différend.

[Projection no1 : Situation du Burkina Faso.]

2. Le BurkinaFaso, autrefois République de Haute-Volta, avec une superficie de

274 200 km 2est enclavé au cŒur de l’Afrique de l’Ouest et fait partie des pays les plus petits du

continent africain. Il s’étend du nord au sud sur environ 625 km et d’est en ouest sur une distance

de 865 km.

3. Son territoire est situé entre le 8degrés et le 16degrés de latitude nord et entre les

longitudes 6degrés ouest et 3degrés est par rapport au méridien de Greenwich. Le pays partage - 32 -

ses limites avec le Mali au nord et à l’ouest, la Côte d’Ivoire au sud-ouest, le Ghana et le Togo au

sud, le Bénin au sud-est et le Niger à l’est.

[Fin de la projection n 1.]

I. Présentation du milieu physique, humain et économique

4. Une grande partie du pays est située sur une pénéplaine qui est à une altitude moyenne de

trois cents mètres au-dessus du niveau moyen de la mer.

5. Son climat est tropical de type soudanien à l’exception du nord du pays où il est de type

sahélien. Dans les deux cas, on distingue deux saisons: une saison des pluies appelée hivernage

qui va de mi-mai à mi-octobre et une saison sèche qui s’étend sur le reste de l’année. La

pluviométrie décroît au fur et à mesure que l’on avance vers le nord.

6. La végétation est de type savane arborée à l’ouest, au sud et au sud-est, arbustive au centre

et à l’est. Le nord se caractérise par les steppes ou brousses tigrées.

7. Le réseau hydrographique du Burkina est di visé en trois bassins principaux: ceux de la

Volta, de la Comoé et du Niger. La région frontalière avec la République du Niger relève du bassin

ouest du fleuve Niger dont plusieurs affluents sont pertinents dans le cadre du présent différend

frontalier. C’est le cas du Béli, de la Sirba, de la Tapoa et de la Dyamongou qui prennent leurs

sources en territoire burkinabè.

59
8. Le Burkina Faso compte un peu plus de quatorze m illions d’habitants selon les résultats

définitifs du recensement général de la population et de l’habitat du Burkina Faso, réalisé en 2006,

avec une densité de 51,8 habitants au kilomètre carré. La composition ethnographique du pays est

de type cosmopolite. Les principaux groupes ethniques sont les Mossi, les Pe ul, les Gourmantché,

les Bobo et les Gourounsi.

[Projection n o 2 : MBF, carte administrative du BF.]

9. La capitale du Burkina est Ouagadougou. En termes d’organisation administrative, le

pays est divisé en treize régions dont deux, la ré gion du Sahel et celle de l’est, sont mitoyennes au

territoire nigérien.

59http://www.insd.bf/fr/IMG/pdf/Resultats_definitifs_RGPH_2006.pdf - 33 -

10. Les régions sont subdivisées en provinces. La région du Sahel au nord est formée des

provinces de l’Oudalan, du Séno, du Yagha et du Soum. La région de l’est dans la partie sud de la

frontière est constituée des provinces de la Gn agna, de la Komondjari, du Gourma, de la

Kompienga et de la Tapoa.

[Fin de la projection n 2 et début de la projection n 3 : Situation du Niger.]

11. Quant à la République du Niger, dont la population était estimée en2010, à plus de

15 millions d’habitants 60, elle est formée de huit régions subdi visées en trente-six départements.

2
Elle couvre une superficie de 1267000km et est enclavée tout comme le BurkinaFaso. Le

territoire nigérien est constitué en grande partie du Sahara et du Sahel. Il est traversé par le

fleuveNiger dans sa partie sud-ouest. Le Niger partage ses frontières avec le Mali, l’Algérie, la

Lybie, le Tchad, le Nigéria, le Bénin et enfin le Burkina. Ce sont les départements de Téra au nord

et de Say au sud, tous deux de la région de Tillabéry, qui sont frontaliers du Burkina.

o
[Fin de la projection n 3.]

12. De part et d’autre de la frontière, objet de la présente affaire, les départements nigériens

de Téra et de Say avec respectivement les provinces burkinabè de l’Oudalan, du Séno, du Yagha et

celles de la Komondjari, du Gourma et de la Tapoa présentent sensiblement les mêmes

caractéristiques, qu’elles soient pluviométrique, climatique ou végétale.

13. Les éléments dont je viens de faire men tion correspondent à la situation actuelle. Il

importe de préciser en revanche que la mobilité des personnes dans l’espace et dans le temps, le

caractère approximatif des données statistiques coloniales et l’absence de monographies des

villages dans les secteurs litigieux notamment, ne permettent pas d’avoir une idée exacte sur

l’évolution démographique de la zone frontière.

II. Les régions du Sahel et de l’est

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ce sont les régions burkinabè du

Sahel et de l’est qui sont concernées par le différend frontalier dont la Cour est saisie.

[Projection n° 4 : Circonscriptions administratives à la frontière.]

60MN, p. 3, par. 0.10. - 34 -

15. La région du Sahel, rappelons-le, est composée de quatre provinces dont trois font

frontière avec le Niger : l’Oudalan, le Séno et le Yagha. Située à l’extrême nord du pays entre les

parallèles 13 degrés et 16 degrés nord, elle est limitée au nord par la République du Mali, à l’est par

la République du Niger, au sud par les régions bur kinabè de l’est et du centre nord, à l’ouest par

celle du nord. Sa population est essentiellement co mposée de Peulh, de Touareg, de Gourmantché

et de Mossi.

[Fin de la projection no 4.]

16. Le caractère désertique de cette région lim ite la production agricole. Cependant, elle a

une forte potentialité en matière d’élevage. Le pastoralisme caractérisé par une forte mobilité y

constitue le système de production animale. Dans cette zone marquée par un climat défavorable,

cette activité est dominée par les populations nomades et semi-nomades pour lesquelles le

pastoralisme a toujours été le mode habituel de gestion des ressources pastorales et hydriques.

17. La population de ces trois provinces a été estimée selon le dernier recensement général

de la population et de l’habitat de2006 à environ 625000habitants. Elle était inférieure

à 100 000 habitants durant les années 1920. Le fulful dé est la langue locale la plus parlée dans la

région du Sahel, suivi du tamachèque.

18. La région du Sahel accueille des pers onnes de nationalité étrangère, venant pour

l’essentiel du Niger et du Mali. Certaines sont résidentes et d’autres y séjournent périodiquement

pour l’exploitation de leurs champs ou encore à la recherche de pâturages ou de points d’eau pour

les troupeaux. En l’absence de cultures fou rragères comme appoint pour l’alimentation des

troupeaux, le mode d’alimentation de ceux-ci re pose sur une utilisation extensive des pâturages

naturels. Les pasteurs sont par conséquent c ontraints à des déplacements d’amplitude variable

selon les ethnies ou tribus. Ils ont tendance à se disperser autour des points d’eau assez disparates

durant la saison sèche et à se regrouper à nouveau dès les premières pluies. Cette pratique explique

la flexibilité et la réactivité des populations pour l’exploitation des ressources végétales dont la

disponibilité géographique et temporelle est particulièrement inconstante.

19. La deuxième région frontalière du Burkina Faso concernée par la présente affaire est

celle de l’est. Comme son nom l’indique, elle est située à l’est du Burkina entre 10degrés et

14 degrés de latitude nord. Elle c onstitue la partie sud de la portion de frontière objet du différend - 35 -

et comprend cinq provinces dont deux font frontière avec la République du Niger. Il s’agit des

provinces de la Komondjari et de la Tapoa.

20. Le réseau hydrographique de la portion nord de la région est formé par les affluents de la

rive droite du bassin du fleuve Niger. Les br as de rivière s’organisent en réseau local dont le

collecteur principal est la Sirba. Dans la province de la Tapoa, le réseau hydrographique s’organise

par rapport à la Tapoa qui est le seul cours d’eau permanent. Les terres du sud de la région

appartiennent au sous bassin versant de la Pendjari. La Pendjari et ses affluents ne coulent pas en

saison sèche, mais de nombreuses mares ou retenues d’eau permanentes sont situées sur son cours.

21. La population de la région de l’est est estimée en 2006 à près de 1 200 000 habitants, soit

environ 8 % de la population du pays à la même date. Celle du cerc le de Fada aurait été de moins

de 200000habitants dans les années1920. La lan gue locale la plus parlée dans la région est le

gourmantché, suivi du fulfuldé et du mooré.

22. Le plus important à souligner est le fait que la pression démographique est devenue de

plus en plus forte ces dernières décennies. Par exemple, en1975, la province du Seno,

correspondant alors aux arrondissements de Dori et Sebba, comptait environ 140000habitants et

en 1985, environ 229 000 habitants ; la population a presque doublé en 10ans. Durant la même

période, la population du Gourma était estimée à 190000 habitants en1975, 295000 habitants

en 1985 et 350 000 habitants en 1991 ; entre 1975 et 1991, la population a donc augmenté de 82 %.

III. La région de Tillabery

23. Face aux deux régions du Burkina qui couvrent la frontière objet de la présente affaire, se

trouve la région nigérienne de T illabéry. Elle est limitée au nord par le Mali, à l’ouest et au

sud-ouest par le Burkina, au sud par le Bénin, au sud-est par la région nigérienne de Dosso et au
2
nord-est par la région de Tahoua. Elle c ouvre une superficie d’environ 91000km et est arrosée

par le fleuve Niger. La population de la région de Tillabéri est d’environ 1 850 000 habitants selon

les résultats provisoires du recensement général de la population et de l’habitat du Niger réalisé en

2001. Le relief y est marqué par deux grands ensembles, la vallée fossile du Dallol Bosso et celle - 36 -

du fleuve Niger, dominés par un vaste plateau dont les altitudes extrêmes varient entre 200 et

300 mètres 61.

24. La région de Tillabéry est la plus jeune des huit régions du pays; elle a été créée par

l’ordonnance n°88-20 du 7 avril 1988. Elle est subdivisée en six départements, sept postes

62
administratifs et quarante-quatre communes . Les départements de Téra et de Say sont frontaliers

avec le Burkina. Selon une source 63 citée par l’étude sur l’appr ofondissement du diagnostic et

l’analyse des systèmes de production agro-sylvo-pastoraux dans le cadre de la mise en Œuvre de la

stratégie de développement rural de la région de Tillabéry, les populations des deux départements

étaient, en 2001, respectivement de 414 000 habitants pour Téra et 230 000 habitants pour Say.

25. A l’instar des régions frontalières du Bu rkina, l’agriculture et l’élevage sont les

principales activités menées par la population de la région de Tillabéry. Cependant, les

perturbations d’ordre biophysique, conséquen ces des changements climatiques entre autres,

influent sur le mode de conduite des troupeaux. A la recherche de zones de transhumance, les

éleveurs sont quelquefois contraints à des séjours prolongés dans les pays voisins parmi lesquels le

64
Burkina .

IV. Nomadisme et transhumance

26. Monsieur le président, comme je viens de le dire, l’élevage et l’agriculture constituent les

principales sources de revenus pour les populations vivant le long de la frontière entre le Niger et le

Burkina. La pratique de l’élevage est prédomin ante dans la portion nord de la frontière, et

l’agriculture dans la partie sud.

[Projection n o 5 : croquis représentant les parcours de transhumance.]

27. Au Sahel en général, dont fait partie la zone en litige et où les populations sont en

majorité nomades, se déplacer est une question de survie aussi bien pour les hommes que pour le

bétail, car il faut sans cesse trouver de nouveaux pâturages pour les troupeaux ou des terres pour la

culture de subsistance. Ces dépl acements s’effectuent au gré de la nature. Ainsi des mouvements

61http://www.pnud.ne/tillabery.htm
62
http://www.strategie-developpement-rural-niger.org/public/images/ressou….
63DSCN/RGP 2001/CNEDD/2004.

64http://www.strategie-developpement-rural-niger.org/public/images/ressou…. - 37 -

séculaires de va-et-vient s’effectuent selon des iti néraires et des calendriers qui peuvent au fil du

temps connaître des modifications, à la recherche d’eau, de pâturages ou d’autres ressources

indispensables à la santé et à la reproduction du troupeau.

28. Cette liberté de mener une vie d'e rrance cyclique à travers des espaces ouverts 65 fut

cependant ponctuellement restreinte alors même que des conventions dites de nomadisation, qui

existaient entre les colonies du groupe de l'Afrique occidentale française pendant la période

coloniale, permettaient aux gouverneurs locaux d'exercer un contrôle fiscal et administratif sur les

66
populations, sans porter atteinte au mouvement des personnes .

29. Il faut souligner que les mouvements des peuples nomades ne répondent pas seulement

aux exigences de la technique traditionnelle d’exploitation des parcours. Ils sont aussi influencés

par les relations sociales. Ainsi, le choix des parcours est dicté, en plus des critères déjà cités, par

l’existence d’aires pouvant permettre le regroupement des troupeaux de parenté. L’existence de

conflits ou de liens privilégiés peut interdire ou permettre l’accès à des points d’eau ou à certains

territoires. Ces conditions d’accès peuvent varier en fonction des saisons, notamment selon les

droits fonciers coutumiers ou les utilisations multiples des espaces.

[Fin de la projection n o 5.]

30. Monsieur le président, le Burkina et le Niger sont deux pays sahéliens qui enregistrent

très fréquemment des déficits fourra gers et hydriques. Ces défici ts sont aggravés entre autres par

les conséquences des aléas climatiques et la pressi on foncière. Dans ces conditions, l'alimentation

du bétail devient une préoccupation majeure des popul ations qui pratiquent la transhumance leur

permettant de trouver des pâturages et des points d’eau nécessaires à l’alimentation des troupeaux.

Cette préoccupation est partagée par les gouvernan ts de nos deux pays qui ont initié des

concertations ayant permis d’identifier les parcours des transhumants entre le Burkina et le Niger

67
en vue d’une meilleure gestion des ressources .

65Voir J.-M. Kambou-Ferrand, 1993, P euples voltaïques et conquêtes co loniales (1885-1914), Burkina Faso ,

Paris, l'Harmattan, p. 355, et la carte de la page 357.
66. Voir J.-M. Kambou-Ferrand, 1993, ibid. p. 355-356.

67Rapport général de la rencontre de concertation sur la transhumance transfrontalière Dori, Burkina Faso, les 19
et 20 décembre 2002 ;http://www.mra.gov.bf/SiteMra/transhumance/rapport-general.html. - 38 -

31. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait

également siennes les difficultés liées aux déficits fourragers et hydriques. Elle contribue à la

résolution du problème aux côtés des Etats en adoptant des accords relatifs à la circulation

68
transfrontalière des troupeaux .

V. Les toponymes

32. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs les juges, l’appropriation d’un espace

passe par sa dénomination. Il existe peu de lieux de par le monde qui ne soient pas nommés. La

toponymie est au cŒur de la relation de la so ciété avec l’espace. Elle est porteuse des valeurs

culturelles et historiques des groupes sociaux en présence. Utilisés depuis la nuit des temps, les

toponymes constituent pour chaque peuple un patrimoine historique et culturel. Ils représentent les

idées, les souhaits et la vie des premiers occupants.

33. Donner un nom à un territoire est un acte culturel et social qui s’attache à l’espace, au

pouvoir et au temps. Certains lieux étaient des repères destinés à s’orient er (un cours d’eau, une

montagne) avant que les hommes s’y regroupent en villages. Les toponymes peuvent évoquer des

spécificités telles que la topographie du terroir, la qualité du sol, l’existence d’arbres particuliers :

c’est le cas de Vibourié, encore appelé Wiboria, qui signifie en langue locale «beaux arbres». Ils

peuvent aussi rappeler la présence d’un cours d’eau, d’une hauteur naturelle ou d’un événement;

c’est le cas de Banizoumbou, un quartier de Datambi, qui indique le «lieu où le bonheur est arrivé»

ou encore Karénakéni ⎯ «lieu où le caïman se couche» ⎯ dans la commune de Bondouré.

34. Un même lieu peut avoir plusieurs noms simultanément ou successivement dans le

temps: par exemple Ainéou Haïni, village admi nistratif de la commune de Falangountou. De

même, plusieurs lieux peuvent avoir le même nom. La carte n° 17, annexe série D au mémoire du

Niger, donne un exemple qui illustre parfaitement ce cas. On y retrouve Falangountou entre Téra

et Dori, puis de nouveau Falangountou plus au nord aux environs de To ng-Tong. Ce dernier

village s’écrit Jalakountou sur la carte n° 7 des a nnexes série D du mémoire du Niger. C’est aussi

le cas de Petel Kolé, que l’on retrouve sur la feu ille cartographique de Téra et une seconde fois sur

celle de Say.

68Décision A/DEC.5/10/98 du 31 octobre 1998 relative àréglementation de la tran shumance entre les Etats

membres de la CEDEAO. - 39 -

35. En Afrique, et particulièrement dans la zone frontalière entre le Burkina Faso et la

République du Niger, les toponymes ont de tout temps été utilisés dans le langage oral. Les

localités y ont été nommées par les populations qui les fréquentent. Leur forme écrite est née des

besoins de l’administration coloniale qui, en initiant la cartographie des territoires, avait pour

objectif une meilleure connaissance des pays et du continent. Cette initiative a eu aussi pour

objectif de renseigner les parcours réalisés sur le terrain à l’attention de la métropole.

36. Les fonctionnaires d’alors, venus des pays colonisateurs, ont mené des enquêtes sur le

terrain, avec l’aide d’interprètes locaux, en vue de reporter les toponymes sur les cartes de base.

Aussi ont-ils bien évidemment rencontré des probl èmes de transcription et de traduction qui ont

dénaturé certains toponymes, leur faisant perdre quelquefois la charge historique et culturelle qu’ils

sont censés porter. L’administration coloniale a également été confrontée à la méfiance des

populations qui, pour échapper aux objectifs supposés de la collecte d’informations, ont parfois

donné des noms erronés pour se jouer d’elle. C’est dans ce contexte global que s’inscrivent les

toponymes de la zone concernée par le différend qui oppose le Burkina Faso à la République du

Niger.

37. Pour illustrer mon propos, intéressons-nous à certains toponymes utilisés dans l’erratum

du 31août1927 que nous allons comparer aux noms utilisés sur la carte à l’échelle 1/200000,

éditée par l’Institut géographique national de France en 1960. On y constate alors que :

o
[Projection n 6 : Extrait de la feuille de Tera.]

⎯ Arounskoye dans l’arrêté s’écrit Arwaskoy sur la carte ;

⎯ Balébanguia dans l’arrêté s’écrit Ballé Banguia (en deux mots) sur la carte ;

⎯ Tokébangou dans l’arrêté s’écrit Takabougou sur la carte ;

⎯ Doumafendé dans l’arrêté mais Douma Fèndé (en deux mots) sur la carte ;

⎯ Tchenguiliba dans l’arrêté et le fascicule IV du répertoire gé néral des localités de l’Afrique

occidentale française s’écrit Tyenkilibi sur la carte.

o
[Fin de la projection n 6.]

38. A l’inverse, certains noms n’ont jamais varié. C’est le cas de Tong-Tong, de Tao, de

Say. - 40 -

VI. Caractéristiques des villages et de l’habitat

39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, comme nous l’avons vu

précédemment, la frontière entre les deux pays est occupée par des populations dont les activités

dominantes sont l’élevage dans la région du Sahel et l’agriculture dans la région de l’Est. Ces

activités vont imprimer des caractéristiques particulières à l’habitat des populations concernées et à

leur village.

40. Dans le Sahel, le village est formé par un habitat clairsemé laissant ainsi de l’espace aux

troupeaux. Cet habitat est caractérisé dans cette région en majorité peule , par des cases en paille

tressée, adaptées aux déplacement s incessants des familles. El les sont constituées d’éléments

légers et peu encombrants pour faciliter les démé nagements quelquefois sur de longues distances.

La case, univers de la vie communautaire, peut c onstituer en même temps la cuisine, l’atelier de

confection du beurre mais aussi un lieu de commerc e pour la femme. Ce type d’habitat est dicté

par la mobilité des nomades qui sont quelquefois amenés à prendre des décisions urgentes de

déplacement d’un point à un autre. Ils se réinstalle nt alors sur d’autres sites encore temporaires en

gardant parfois le même toponyme. Cela cons titue une des sources de l’homonymie des localités

mais aussi des incertitudes sur la localisation des villages.

41. La mobilité des nomades, son ampleur ainsi que sa fréquence sont profondément liées au

déroulement de l’année pastorale. Cependant, au fil des ans, le déplacement des campements et les

changements de pâturage impliquant les mouvements de troupeaux dépendent de plusieurs facteurs

dont la nature des sols, le rythme de croissance et la composition de la strate herbacée, la

distribution des points d’eau et les aires de rasse mblement des troupeaux. Toutefois, l’obligation

pour les troupeaux de revenir à un point d’eau pour s’abreuver limite l’amplitude des déplacements

entre deux séances d’abreuvement. A la fin des réco ltes, les nomades se rapprochent des champs

afin de conclure des contrats avec les agriculteurs qui souhaitent profiter de la déjection des

animaux pour enrichir les sols.

42. L’habitat des communautés touaregs, ég alement nomades, est tout aussi sommaire et

précaire. Il est constitué d’une charpente en bois recouverte de peaux d’animaux ou de paille. Ce - 41 -

type d’habitat n’est cependant pas le seul de la région et on y trouve quelques villages formés par

des habitats groupés construits en terre.

43. C’est ce type d’habitat en terre mais clairsemé qui caractérise les villages du sud de la

zone frontalière, notamment dans la région de l’Est où les populations sont en majorité sédentaires.

Les espaces laissés entre les concessions permettent les cultures de case alors que les champs sont

plus éloignés.

44. Dans cette région, les cases sont construites par superposition de briques en terre qui sont

ensuite recouvertes ou non d’un enduit en banco. La toiture est en paille ou en terre, supportée par

une charpente de bois.

45. De manière générale, les villages sont constitués de plusieurs concessions à la tête

desquelles il y a des chefs de famille. Un chef de village ou un chef de tribu dans certaines

contrées veille à la gestion des affaires de la cité . Les populations du ressort territorial d’un chef

lui font allégeance.

VII. Matériau cartographique

46. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, les Parties au présent litige ont

produit des documents graphiques composés de cart es, de croquis et de dessins de sources et

qualité diverses.

47. La carte se différencie des croquis et dessi ns par sa qualité géométrique, la fidélité de sa

représentation des détails cartographiés. Elle résulte de l’extraction d'informations à partir de levés

directs, de photographies aériennes ou d’images satel lites et comporte une légende, une échelle et

bien d’autres informations marginales qui cons tituent ses métadonnées. La confection d’une carte

requiert la mise en place d’un réseau de bornes calculé dans un système de coordonnées adopté

pour un pays ou un groupe de pays.

48. Les croquis et les dessins réalisés pour illustrer un territoire ou un parcours n’ont pas les

exigences de la carte qui est réalisée selon un processus technique de production qui respecte des

normes établies.

49. Dans la présente affaire, il existe quelques cartes fournies par les Parties dont les plus

anciennes datent des années1920. Aucune d’entr e elles n’est cependant partie intégrante du titre - 42 -

retenu par les Parties. Les autres documents graphiques sont des croquis ou des synthèses de

croquis de sources diverses souvent réalisés à main levée; ce qui ne leur confère pas la qualité

requise quant à la localisation des entités représentées.

50. Aucune des Parties n'a pu identifier une carte qui illustrerait de façon officielle les limites

69
entre les colonies de la Haute-Volta et du Niger selon l’ erratum de 1927 . On peut donc retenir,

de l’ensemble des documents graphiques soumis pa r les Parties, la carte à l’échelle1/200 000

éditée par l’Institut géographique national de Fr ance dans les années1960 comme celle étant la

plus pertinente pour servir de fond de carte pour la représentation visuelle de l’arrêté et de son

erratum. Cela nous paraît indiqué parce que les deux Parties l’ont adoptée malgré les erreurs sur la

représentation du tracé tel qu’il résulte de l’erratum.

51. Quant aux autres documents graphiques four nis, certains comportent des insuffisances.

Des croquis ont été classés abusivement par le Niger dans les cartes. C’est le cas du document n o 1

de l’annexe série D du mémoire du Niger que l’aute ur lui-même a intitulé «Croquis de la traversée

o
du Niger dans le Cercle du Djerma»; il en est de même pour la «carte n 4» de la même série

d’annexes. Le croquis intitulé «canton de Dia gourou – échelle 1/250 000», numéroté par le Niger

o
carte n 21, annexes série D de son mémoire, ne comporte pas de date et son auteur est inconnu.

[Projection n o7 : Extrait de la carte n 25, annexe série D du MN.]

52. Pour terminer mon propos, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, il

me semble utile de faire observer que l’assemblage numéroté «carte n o33», annexes sérieD du

contre-mémoire du Niger, est composée de cartes ré alisées à des dates différentes. La feuille de

Gotheye éditée en 1960 a été remplac ée par l’édition de 1982 (carte n o25, annexes sérieD du

mémoire du Niger) dont la collecte des données de complètement a été réalisée par la direction de

la topographie et du cadastre de la République du Niger. De nouveaux toponymes y apparaissent

tels que Bouno Kalaï, Déba (qui apparaît deux fois, le second remplaçant l’ancien village de Doba),

Korkoulokou sur l’ancienne édition devient Kokoloukou, de même OurouSawabé devient

Boborgou Saba dans l’édition de 1982.

69Voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 583-584, par. 57. - 43 -

o o
[Fin de la projection n 7 et début de la projection n 8: Extrait des feuilles de Gotheye, éd.1982

et 1960.]

53. Par ailleurs, Banizoumbou, cartographié en territoire burkinabè dans l’édition de 1960 se

retrouve en territoire nigérien à l’emplacement où la carte de 1960 indique Nabamboro.

54. C’est pourquoi, bien que la carte de Gotheye, édition 1982, reprenne le tracé frontalier de

l’édition de 1960, le BurkinaFaso, pour éviter toute confusion, prie la Cour de bien vouloir s’en

tenir à l’édition de 1960 de la carte IGN adoptée d’accord parties.

[Fin de la projection n 8.]

55. Telle est, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la présentation

géographique et cartographique que j’ai eu le plaisir et l’honneur de vous faire. Je vous prie,

Monsieur le président, de bien vouloir appeler à la barre le professeur Alain Pellet.

Je vous remercie vivement pour votre attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur le conseil. Je donnerai la parole à M. Pellet

après une pause-café. L’audience est suspendue pour 20 minutes.

L’audience est suspendue de 11 h 40 à 12 h 5.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur le professeur Pellet, vous avez la parole.

M. PELLET :

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

LE CONTEXTE HISTORIQUE ;LES POINTS D ’ACCORD ET DE DÉSACCORD
ENTRE LES P ARTIES ;LA THÈSE DU B URKINA

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ce n’est pas sans émotion que je

me présente aujourd’hui devant vous au nom du Burk ina Faso. L’une des toutes premières affaires

70
que j’ai eue l’honneur de plaider devant la Cour était celle qui opposait le Burkina au Mali . Plus

d’un quart de siècle s’est écoulé et le Faso revient devant vous pour vous demander de régler son

70Voir C.I.J. Mémoires, Différend frontalier Burkina/Mali (Burkina Faso/République du Mali), vol. III, p. 28-38,
CR 86/1, p. 38-64 et C.I.J. Mémoires, Différend frontalier Burkina/Mali (Burkina Faso/Républivol. IV,ali),
p. 54-73, CR 86/3, p. 28-73 et p. 94-127, CR 86/4, p. 43-79 et CR 86/5, p. 6-48. - 44 -

différend frontalier avec son autre voisin dunord, la République du Niger. Je suis fier de le

représenter à nouveau et reconnaissant au Gouvernement burkinabè de m’y avoir invité.

2. Monsieur le président, ma tâche est triple . Dans un premier temps, je m’emploierai à

replacer le litige qui vous est soumis dans son c ontexte historique; je m’attacherai ensuite à

dégager les points d’accord (souvent trompeur) et de désaccord (souvent profond), entre les Parties.

Et je terminerai cette présentation générale ⎯qui se poursuivra en début d’après-midi ⎯ en

exposant les grandes lignes de la position du Burkina.

I. Le contexte historique

3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, M.Tapsoba vient de vous

présenter le contexte géographique et cartographique de l’affaire qui nous occupe. De son côté, le

professeur Thouvenin a décrit la naissance immédiate du différend et les conditions dans lesquelles

il a été soumis à la Cour. Il m’échoit de décrire le cadre historique plus large de la délimitation de

la frontière entre les deux pays.

71
4. Celle-ci est un héritage colonial que le Burkina assume pleinement , quel qu’ait pu être

l’arbitraire qui a présidé à son tracé. Mais comme l’a superbement expliqué la Chambre de la Cour

qui s’est prononcée sur le Différend frontalier (Burkina/Mali) :

«le maintien du statu quo territorial en Afrique apparaît souvent comme une solution
de sagesse visant à préserver les acquis des peuples qui ont lutté pour leur
indépendance et à éviter la rupture d’un é quilibre qui ferait perdre au continent

africain le bénéfice de tant de sacrifices. C’est le besoin vital de stabilité pour
survivre, se développer et consolider progressivement leur indépendance dans tous les
domaines qui a amené les Etats africains à consentir au respect des frontières
coloniales» .2

5. Dans notre espèce, l’arbitraire colonial apparaît de manière particulièrement crue si l’on se

penche sur les mésaventures que la puissance administrante a fait subir à la Haute-Volta. Ceci n’a

pas empêché que la naissance tardive tant de celle-ci que du Niger en tant que colonies

autonomes(A.) ait été rapidement suivie par la détermination précise du tr acé de leur frontière

commune (B.), et cette délimitation a survécu aux avatars de la Haute-Volta (C.).

71
Voir MBF, p. 69, par. 2.39, note 213.
72Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 567, par. 25. - 45 -

A. La conquête coloniale et l’établissement des colonies françaises de la Haute-Volta et du
Niger

6. Monsieur le président, je ne reviendrai ni sur l’histoire précoloniale, largement abordée

dans le mémoire du BurkinaFaso, ni sur les rivalités coloniales entre puissances européennes,

notamment l’Allemagne, l’Angleterre et la France ⎯ le fameux scramble for Africa , qui est à

73
l’origine de la division territoriale de l’A frique qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours .

74
Au demeurant, intégrés l’une et l’autre dans l’Afrique occidentale française créée le 16 juin 1895 ,

la Haute-Volta et le Niger ont relevé sans interruptio n de l’empire colonial de la France. Ceci est

important car il en résulte qu’en principe, en vertu du droit international gé néral, la détermination

du tracé de la frontière entre les Parties doit s’apprécier

«à la lumière du droit colonial français dit «droit d'outre-mer». Etant donné que les

territoires des deux Etats ont fait partie de l’Afrique occidentale française, la limite qui
les séparait n’est devenue frontière interna tionale qu’au moment de leur accession à
l’indépendance. La ligne que la [Chambre] est appelée à déterminer...n’était alors

que la limite administrative qui séparait deux anciennes colonies que le droit français
dénommait territoires d’outre-mer depuis1946; à ce titre, elle était nécessairement
définie non pas d’après le droit international mais d’après la législation française
75
applicable à ces territoires» .

7. Le sort de ces deux colonies a d’ailleurs été lié, même confondu, à deux reprises :

⎯ à l’origine, lorsque les territoires actuels du Bu rkina et du Niger faisaient tous deux parties de

la colonie du Haut-Sénégal et Niger ; et

⎯ entre1932 et1947, lorsqu’une partie ⎯environ 68000km², soit près du quart ⎯ de la

Haute-Volta a été incorporée au Niger (les trois quarts restants étant rattachés à la Côte d’Ivoire

ou au Soudan français).

o
[Projection n 1 : Le Haut-Sénégal et Niger en 1904.]

8. Le Haut-Sénégal et Niger a été créé par un décret du président de la République française

76
du 18 octobre 1904 portant réorganisation du gouvernement général de l’AOF. Aux termes de

l’article premier de ce décret :

73
Voir MBF, p.18-20, par.1.4-1. 7, citant les pa ssages pertinents des arrê ts du 22décembre1986 et du
12 juillet 2005.
74
Décret du 16 juin 1895 instituant un gouvernement général de l’Afrique occidentale française, MN, annexe B1.
75Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 29.

76Décret du président de la République française portant réorganisation du gouvernement général de l’AOF,
18 octobre 1904, MBF, annexe 4. - 46 -

«La colonie du Haut-Sénégal et du Niger ... comprend les anciens territoires du

Haut-Sénégal et du Moyen-Niger et ceux qui forment le troisième territoire militaire.»

9. Produit de la dissolution du Soudan français en tant que colonie autonome par un décret

du 17 décembre 1899 77, le Haut-Sénégal et Moyen-Niger recouvrait les régions du Soudan français

qui n’ont pas été attribuées aux colonies voisines, et regroupait ainsi un vaste territoire civil et

deuxterritoires militaires. Le premier territoire civil correspondait approximativement ausud du

Mali actuel et à la moitiénord du Burkina Faso; le deuxième équivalait, tout aussi

approximativement, à la moitié sud du Burkina 78. Quant au troisième territoire militaire, il

79
regroupait la majeure partie du Niger actuel .

o o er
[Fin de la projection n 1 ⎯ projection n 2 : Le Haut-Sénégal et Niger au 1 janvier 1912.]

10. Le territoire de la nouvelle colonie de Haute-Volta fut étendu par le décret du

2mars1907 au Sénégal et Niger, rattachant au Haut-Sénégal et Niger les cercles de

80
FadaN’Gourma et de Say . En outre, l’arrêté du gouverneur général de l’AOF du 22juin1910,

incluant la région de Tombouctou au territoire civ il du Haut-Sénégal et Niger, décide d’incorporer

à celui-ci les parties du cercle de Gao, Tillabéry et Djerma qui se trouvaient sur la rive droite du

fleuve Niger 81. Et, par un décret du 7septembre1911, le territoire militaire du Niger fut détaché

de la colonie du Haut-Sénégal et Niger et institué en subdivision administrative distincte dépendant

82
directement du gouvernement général de l’AOF . Cette partie prendra le nom de «Territoire du

Niger» à compter du 1 er janvier 1921 , pour devenir finalement une colonie de plein exercice à

er 84
partir du 1 juillet 1922 .

77Décret du 17octobre1899 portant réorganisation de s territoires ayant constitué les possessions du
Soudan français, MN, annexe B2.

78Voir l’arrêté du gouverneur général de l’AOF du 25décembre1899, MBF, annexe2 ; voir aussi MBF, p.23,
par. 1.12.

79Créé par l’arrêté général du 23 juillet 1900, MBF, annexe 3 et MBF, p. 23, par. 1.12.

80Décret du président de la République française rattachant à la colonie du Haut-Sénégal et Niger les cercles de
Fada N’Gourma et de Say, 2 mars 1907, MBF, annexe 8.

81Arrêté du gouverneur général de l’AOF rattachant la région de Tombouctou au territoire civil du Haut-Sénégal
et Niger, 22 juin 1910, MBF, annexe 12.

82Décret du président de la République française ra ttachant le territoire militaire du Niger au gouvernement
général de l’AOF à compter du 1 janvier 1912, 7 septembre 1911, MBF, annexe 13.

83Décret du président de la République française portant réorganisation du territoire militaire du Niger et
transformation en colonie du territoire civil de la Mauritanie à compter du 1 ejanvier 1921, 4 décembre 1920, MBF,

annexe 28.
84Décret du président de la République française porta nt transformation du territoir e civil du Niger en colonie

autonome, 13 octobre 1922, MBF, annexe 19. - 47 -

o o
[Fin de la projection n 2 ⎯ projection n 3 : La naissance de la Haute-Volta (1919).]

11. La partie restante du Haut-Sénégal et Niger fut à son tour divisée en deuxcolonies

distinctes par le d écret du président de la République française du 1 ermars 1919 . Il résulte de

l’article premier de ce texte fondateur que :

«Les cercles de Gaoua, Bobo-Dioulasso, Dédougou, Ouagadougou, Dori, Say et
FadaN’Gourma, faisant actuellement partie du Haut-Sénégal et Niger, forment une
colonie distincte qui porte le nom de Haute-Volta.»

La Haute-Volta était née, le fleuve Niger constituait alors la frontière entre la Haute-Volta et
le Niger.

o o
[Fin de la projection n 3 ⎯ projection n 4 : L’amputation territoriale de la Haute-Volta (1926).]

12. Toutefois, suite au transfert du chef-lieu du Niger de Zinder àNiamey, l’article2 du

décret du 28décembre1926 ⎯que vous trouverez sous l’ongletn o1.12 de vos dossiers ⎯ a

amputé la nouvelle colonie de la Haute-Volta de certains territoires de la rive droite du fleuve Niger

au profit de la colonie du même nom :

«Les territoires ci-après, qui font actue llement parties de la colonie de la
er
Haute-Volta, sont rattachés à la colonie du Niger pour compter du 1 janvier 1927,
à savoir :

1) le cercle de Say, à l’exception du canton Gourmantché de Botou ;

2) les cantons du cercle de Dori qui relevaie nt autrefois du Niger, dans la région de

Téra et de Yatacala, et qui ont été dé tachés par l’arrêté du gouverneur général du
22 juin 1910.»

Le second alinéa de cette disposition, l’article 2 du décret de 1926, présente une grande importance

⎯ j’y reviendrai ; il précisait ⎯je le cite d’ores et déjà: «Un arrêté du Gouverneur général en

commission permanente du conseil de gouvernement déterminera le tracé de la limite des deux

86
colonies dans cette région.»

Sans opérer de modification territoriale entre les deux colonies (contrairement à ce que le Niger a

87
laissé entendre dans son mémoire ), l’arrêté du gouverneur général de l’AOF du 22 janvier 1927 a

tiré les conséquences de cette redistribution en décidant

85Décret du président de la République française portant division de la colonie dHaut-Sénégal et Niger et
création de la colonie de la Haute-Volta, 1 mars 1919, MBF, annexe 16.

86Décret du président de la République française fixant le chef-lieu du Niger à Niamey et rattachant certains
territoires de la Haute-Volta à la colonie du Niger, 28 décembre 1926, MBF, annexe 26.

87MN, p. 17, par. 1.23. - 48 -

1) la constitution du cercle de Tillabéry formé de l’ancienne subdivision du même nom du cercle

de Niamey et de la partie du cercle de Dori transférée au Niger ;

2) la transformation de la partie du cercle de Sa y attribuée au Niger en un nouveau cercle nigérien

sous la même dénomination ; et

88
3) l’incorporation du canton Gourmantché de Botou dans le cercle voltaïque de Fada .

13. Mais il s’agissait là d’une redéfinition des cer cles au sein des deux colonies et non de la

détermination du «tracé de la limite des deux colonies dans ce tte région» qu’annonçait le second

alinéa de l’article2 du décret du 28décembre19 26. Cette détermination est intervenue avec

l’arrêté du 31 août 1927 que modifiera et complètera l’erratum du 5 octobre suivant.

o
[Fin de la projection n 4.]

B. La détermination du tracé de la lim ite entre la Haute-Volta et le Niger ⎯ L’arrêté du
31 août 1927 et son erratum du 5 octobre 1927

14. Avant de rappeler les grandes lignes de l’él aboration de l’arrêté de1927 et de son

erratum, deux remarques générales, si vous le voulez bien, Monsieur le président. Elles constituent

une réponse aux pages 20 à 29 du contre-mémoire du Ni ger, dans lesquelles il s’efforce de montrer

que «[l]’historique de la conf ection de la limite n’impliqua it en rien un quelconque caractère

89
artificiel et arbitraire» .

15. Selon la Partie nigérienne, le colonisateur aurait marqué «un grand souci du respect des

populations et des circonscriptions préexistantes» 90. Cette vision idyllique et touchante est,

malheureusement, démentie par le raisonnement même que le Niger est contraint de suivre. Il met

bout à bout un petit nombre de citations, av ancées hors contexte, allant dans ce sens ⎯ et il aurait

pu en trouver d’autres : certes, il peut arriver que le s autorités coloniales françaises se soucient de

ne pas dissocier des groupes ethniques ⎯ mais ce n’est que lorsqu’ une telle dissociation risque

⎯je cite une lettre du lieutenant-gouverneur de la Haute-Volta ⎯ de «préjudicier plus ou moins

88 o
Arrêté n 184 du gouverneur général de l’AOF portant modifica tions territoriales aux colonies de la Haute-
Volta et du Niger, 22 janvier 1927, MBF, annexe 29.
89CMN, p. 20, B.

90Ibid., p. 20, par. 1.1.7. - 49 -

gravement aux intérêts d’une bonne administration » . J’extrais cette formule de la lettre du

92
lieutenant-gouverneur de la Haute-Volta du 28 juillet 1920, dont le Niger fait grand cas ; mais il

omet de citer cet extrait (et le remplace par des points de suspension). De même les tribulations

des régions de Say ou de Dori, qui passent du Nige r à la Haute-Volta et de la Haute-Volta au

93
Niger , ne doivent rien à la sollicitude du colonisateur pour l’unité ethnique des territoires visés : il

94
ne s’agit que de faciliter «[la] direction et [le] contrôle» de l’administration coloniale sur les

territoires et les populations concernées.

16. Des citations isolées de leur contexte donc. De ce collage, le Niger déduit la vigilance

95
ethnique des administrateurs coloniaux, leur attachement à «l’élément humain» . Mais de quels

administrateurs s’agit-il ? Des administrateurs locaux ⎯ dans un cas, du lieutenant-gouverneur de

la Haute-Volta, mais jamais des autorités inv esties du pouvoir de décision en matière de fixation

des limites des colonies. Au contraire, le préside nt de la République française, compétent pour la

96
création des colonies , et le gouverneur-général de l’AOF, a uquel il appartient de «détermine[r]»

⎯et je cite le décret de1902 concernant les pouvoirs du gouverneur-général ⎯ «en Conseil de

Gouvernement et sur le rapport des lieutenants -gouverneurs intéressés, les circonscriptions

97
administratives dans chacun des territoires et colonies de l’Afrique occidentale française» , ces

autorités refusent de tenir compte de ces objections ⎯ des objections des administrateurs locaux ⎯

et leurs décisions ⎯ décisions du président de la République et du gouverneur général ⎯ appellent

de vigoureuses protestations, dont on se demande souve nt d’ailleurs si elles ne sont pas inspirées

davantage par le souci de leurs auteurs de prés erver l’intégrité du territoire dont ils avaient la

charge que par des considérations ethniques et humaines. Et, s’agissant plus particulièrement de la

91 o
Lettre-circulaire n 713 A.G. du lieutenant-gouverneur de la Haute-Vo lta aux administrateurs, des cercles de la
colonie, 28 juillet 1920, MBF, annexe 17.
92
CMN, p. 22, par. 1.1.10.
93
Décret du président de la République française fixant le chef-lieu du Niger à Niamey et rattachant certains
territoires de la Haute-Volta à la colonie du Niger, 28 décembre 1926, MBF, annexe 26.
94
Exposé des motifs du décret du président de la République française fixant le chef-lieu du Niger à Niamey et
rattachant certains territoires de la Haute-Volta à la colonie du Niger, 28 décembre 1926, MBF, annexe 26.
95
CMN, p. 23, par. 1.1.11.
96Voir le Sénatus-consulte du 3 mai1854, CMN, annexeB33. Voir C.I.J. Recueil 1986, Chambre, arrêt,

22 décembre 1986, Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), p. 569, par. 31.
97Article5 du décret du 1 octobre1902 portant réorganisation du Gouvernement général de l’AOF, MN,

annexeB7, réaffirmé à l’article5 du décret du 18octobr e1904 portant réorganisation du Gouvernement général de
l’AOF, MBF, annexe 4. - 50 -

zone qui nous concerne, il n’est pas sans intérê t de noter que, dans son rapport qui a conduit au

rétablissement de la colonie de la Haute-Volta en 1947, l’inspecteur général des colonies, Bargues,

relevait la grande diversité ethnique du cercle de Dori et indiquait que «[c]es populations

sahéliennes, nomades ou semi-nomades, ont d'étroit es affinités avec les autres éléments ethniques

qui peuplent le Niger et n’ont d’autres rapports que de commerce avec les Mossis» 98; ceci n’a pas

empêché que cette région soit à nouveau séparée du Ni ger et rattachée à la colonie de la Haute-

Volta rétablie.

17. Seconde remarque générale sur les curi eux raisonnements de la Partie nigérienne.

Celle-ci voit dans la définition fréquente des terri toires concernés en termes de cantons «une

volonté évidente de rechercher sur le terrain l es limites des cantons concernés telles qu’elles se

99
présentaient en 1910» . Voilà, Monsieur le Président, une généralisation bien hâtive ! Il est tout à

fait exact, comme l’a relevé la Chambre de la Cour qui s’est prononcée sur le différend bénino-

nigérien, qu’au départ (c’est-à-dire au moment de la création de la Haute-Volta) «[c]’est par la

délimitation précise des cercles mentionnés à l’article premier du décret du 1 ermars 1919

⎯ délimitation à laquelle ne procède pas le décret lui-même ⎯ que pouvait être définie, à partir de

cette date, la limite intercoloniale» (Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt , C.I.J. Recueil 2005,

p. 146, par. 134). Mais la Chambre de 2005 ajoute aussitôt ⎯ et à tout aussi juste titre ⎯ que :

«si le décret de 1919 ne remettait pas en cause la limite intercoloniale fixée en 1907, il

laissait intacte, pour l’avenir, la possibilité pour le gouverneur général de fixer
l’étendue des cercles considérés comme il en avait normalement la compétence»
(ibid.).

C’est ce qu’il a fait avec l’arrêté du 31août1927 ⎯ce que la Chambre de2005 note également

lorsqu’elle relève ( ibid., p.146-147, par.135) que «par cet arrêté, le gouverneur général fixe

clairement la limite du cercle de Say, et par suite la limite intercoloniale à la Mékrou» pour ce qui

concernait l’affaire alors en examen (cf. ibid., p. 147, par. 135). Le texte de l’arrêté du

31 août 1927 figure à l’onglet 1.13 de vos dossiers.

98 o
Rapport de mission n 103 de l’inspecteur des colonies Bargues surle rétablissement év entuel de la Haute-
Volta, 30 mai 1947, p. 35, MBF, annexe 38.
99CMN, p. 25, par. 1.1.14. - 51 -

18. Dans Bénin/Niger, la Chambre de la Cour n’a pas considéré que « l’arrêté du

23 juillet 1900 et le décret du 20 décembre 1900, créant à eux deux le troisième territoire militaire»

fixait la limite de celui-ci ( Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt , C.I.J. Recueil 2005, p.122,

par. 53) ; de la même manière, vous ne sauriez admettre, Mesdames et Messieurs de la Cour, que le

décret du président de la République française de1926 fixe les limites de la Haute-Volta. Cette

détermination est le fait de l’a rrêté de 1927 du gouverneur général de l’AOF qui donnait suite aux

dispositions du second alinéa de l’article 2 du décret du 28 décembre 1926, l’invitant à déterminer

«le tracé de la limite des deux colonies dans cette région». Et c’est à juste titre que ni le président

de la République ni le gouverneur général ne se sont satisfaits de la référence faite dans le premier

alinéa de cette même dispos ition aux subdivisions territoriales préexistantes, dont nos

contradicteurs s’ingénient à réinventer les limites. Contrairement à ce qu’ils croient ou veulent

faire croire, l’arrêté a un caractère constitutif et non déclaratif: il ne décrit pas des frontières

préexistantes entre les deux colonies; il les détermine ⎯le mot figure d’ailleurs expressément

dans l’article premier.

19. Au bénéfice de ces remarques, quelques mots, Monsieur le président, sur l’élaboration de

ce document ⎯ brefs car les Parties se sont déjà beaucoup exprimées à ce sujet 100. Donc, en style

télégraphique :

1) en vue de la détermination du tracé de la li mite intercoloniale, le gouverneur général semble

avoir consulté les deux colonies, dont les lieuten ants-gouverneurs consultèrent à leur tour les

administrateurs coloniaux placés sous leurs ordres 101 ;

2) un certain nombre de documents résultèrent de ces consultations; les principaux (en tout cas

ceux dont nous avons conservé la trace) sont :

⎯ un procès-verbal du 2 février 1927 entre le lieut enant-gouverneur du Niger et le délégué de

celui de la Haute-Volta 102; on peut désigner ce document comme étant le «procès-verbal

Brévié-Lefilliatre» ;

100MBF, p. 29-33, par. 1.28-1.33 ; CMBF, p. 20-21, par. 1.14-1.16 ; MN, p. 16-19, par. 1.22-1.26 ; CMN, p. 20-
28, par. 1.1.8-1.1.16.

101Voir, par exemple, la lettre du 27 avril 1927 du lieuten ant-gouverneur de la Haute-Volta aux commandants de
cercles de Dori et de Fada (MN, annexe C11), ou celle du commandant de cercle de Dori au lieutenant-gouverneur de la
Haute-Volta du 27 août 1927 (MN, annexe C16). - 52 -

⎯ un autre, du 10 février 1927, entre le même Le filliatre (agissant toujours comme délégué du

lieutenant-gouverneur de la Haute-Volta) et M C.hoteau, qui représentait le

lieutenant-gouverneur du Niger 103; et

⎯ un troisième, du 9 mai 1927, entre les administrateurs des cercles de Fada (Coutouly) et de Say

(Lesserteur) ; en outre,

⎯ les administrateurs des cercles de Dori (Delbos) et Tillabéry (Prudon) ont effectué une mission

de reconnaissance sur le terrain, dont seuls semblent subsister un croquis établi par Delbos 104,

105 106
et un compte rendu et un croquis établis par Prudon ;

⎯ il faut ajouter enfin un projet de délimitation détaillé 107 et un autre croquis 108 envoyés par

Delbos ;

3) le Niger reconnaît que ces derniers documents, do nt le destinataire n’était d’ailleurs pas le

gouverneur général de l’AOF mais le gouverneur de chaque colonie, «ne parvinrent toutefois

pas en temps utile à Dakar pour pouvoir être pris en compte dans l’élaboration de l’arrêté du

109
31août1927, fixant les limites entre les deux colonies» ; pourtant, ceci n’empêche pas la

Partie nigérienne d’accorder un poids cons idérable à ce qu’elle appelait «l’accord

Delbos/Prudon de 1927» 110 dans son mémoire ⎯ elle a prudemment renoncé à cette appellation

inexacte dans son contre-mémoire.

o
[Projection n 5 : Le tracé résultant de l’arrêté du 31 août 1927.]

20. On voit mal le poids qui pourrait s’attacher à ces documents: ils n’ont pas concouru à

l’élaboration de l’arrêté et ne peuvent donc êt re considérés comme faisant partie de ses travaux

102
Procès-verbal constatant le rattachement à la colonie du Ni ger des territoires de la ri ve droite du fleuve, en
conformité du décret du 28 décembre 1926, 2 février 1927 (MBF, annexe 30).
103
Procès-verbal de réunion des représ entants des lieutenants-gouverneurs de la Haute-Volta et du Niger,
10 février 1927 (MBF, annexe 31).
104
Croquis établi par l’administrateur Delbos de l’itinéraire suivi par les administrateurs de Dori et Tillabéry lors
d’une mission, en juin 1927, en vue de la délimitation entre les cercles de Dori et Tillabéry (MN, annexe C14).
105
Extrait n° 25 du rapport de tournée de l’administrateur Prudon, daté du 4 août 1927 (MN, annexe C15).
106Cercle de Tillabéry, croquis au 1/200.000 dressé par l’administrateur Prudon, juin 1927 (MN, annexe D3).

107Lettre du commandant de cercle de Dori au lieuten ant-gouverneur de la Haute-Volta, 27 août 192 (MN,
annexe C16).

108Ibid.

109MN, p. 19, par. 1.25.
110
Voir, par exemple, MN, p. 28, par. 2.4 ; p. 72, par. 5.11 ; ou p. 109, par. 7.19. - 53 -

préparatoires; au surplus, ils émanent d’admi nistrateurs coloniaux n’ayant aucune compétence

pour procéder à une délimitation intercoloniale. Du reste, pour ce qui est des trois procès-verbaux

111
de février et mai 1927 sur la base desquels l’arrêté a été rédigé , on doit également admettre que,

dans la mesure où ils énumèrent les subdivisions te rritoriales passant de la Haute-Volta au Niger,

ils ne font que tirer les conséquences du décr et du président de la République française du

28 décembre 1926. En revanche leurs signataires seraient sortis de leur rôle si l’on considérait que

ces documents définissent les limites ⎯ intercoloniales ⎯ des subdivisions territoriales

112
concernées : comme le rappelle le second alinéa de l’article2 de ce même décret ⎯ celui de

1926 ⎯, une telle détermination est l’affaire du seul gouverneur général. Tout au plus ces

documents constituent-ils des propositions faites au gouverneur général en vue de la fixation du

tracé de la limite.

o o
[Fin de la projection n 5 ⎯ projection n 6 : Le tracé résultant de l’erratum du 5 octobre 1927]

21. Curieusement, nous ne disposons pas d’informations précises sur les raisons qui ont

conduit le gouverneur général de l’AOF à modifier son arrêté et à le remplacer par l’ erratum du

5octobre 1927 (qui figure à l’onglet1.14 du dossier des juges). On en est dès lors réduit à des

conjectures. Trois explications, peut-être complémentaires, paraissent convaincantes à cet égard :

⎯ en premier lieu, celle qu’a avancée la Chambre de la Cour dans l’affaire Bénin/Niger :

«l’erratum semble bien avoir été motivé...par la volonté de ne pas préciser la limite
entre le Dahomey et le Niger dans un arrêté ayant pour objet, comme cela résultait de
son intitulé même, de fixer la limite entre le Niger et la Haute-Volta» ( Différend

frontalier (Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 147, par. 136) ;

⎯ en second lieu, il est probable que le gouverneur gé néral s’est aperçu de la confusion relevée

tant par le Niger que par le Burkina qui résultait de l’inclusion dans l’arrêté, dont l’unique objet

était de déterminer «les limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta», de la description

113
de l’intégralité des limites ⎯ y compris internes ⎯ du cercle de Say ;

111Voir la lettre du directeua.i. des affaires politiques et administratives au gouverneur général de l’AOF,

juillet 1927 (CMBF, annexe 2)
112Voir MN, p. 18, par. 1.24.

113Voir Ibid., p. 20, par. 1.26, et p. 64, par. 5.5 ; voir aussi CMN, p. 37, par. 1.1.26, et p. 76-77, par. 2.2.2-2.2.4 ;
ou MBF, p. 137, par. 4.95. - 54 -

⎯ en outre, à l’évidence, le gouverneur général a voulu corriger certaines imprécisions de l’arrêté

de1927, notamment en ce qui concerne le secteur allant de la Sirba à la Mékrou; alors que

l’arrêté reprenait le texte des travaux prépar atoires de février (sur lesquels s’appuie

exclusivement le Niger), l’erratum retient une formule plus précise.

22. En tout cas, l’erratum du 5 octobre remédie à ces deux confusions : il se borne à décrire

(sur toute sa longueur) la frontière entre la Haute- Volta et le Niger, à l’exclusion de toute limite

entre cercles à l’intérieur d’une même colonie. En même temps, il apporte des précisions qui ne

114
figuraient pas dans le texte du 31 août . Ainsi se trouve déterminé, en application du décret du

26 décembre 1928, le tracé de la limite des deux colonies.

o
[Fin de la projection n 6.]

C. Les avatars de la Haute-Volta et la stabilité du tracé de la front
ière

23. Ce tracé, Mesdames et Messieurs les juges, s’est perpétué jusqu’à nos jours et est celui

que vous êtes appelés à consacrer par l’arrêt à venir. Il a en effet perduré malgré la suppression

temporaire de la Haute-Volta entre 1932 et 1947 et en dépit des modifications apportées aux limites

115
entre cercles durant ces quinze années .

[Projection n o7 : Le démantèlement de la colonie de la Haute-Volta.]

24. La suppression d’un trait de plume de la colonie de la Haute-Volta par le décret du

116
5 septembre 1932 ne plaide pas vraiment en faveur de la thèse nigérienne du bon co
lonisateur

soucieux de l’unité ethnique des territoires placés sous son contrôle. Elle s’est traduite à la fois par

un partage du pays mossi entre la Côte d’Ivoire et le Soudan français (devenu aujourd’hui le Mali),

et par la réorganisation des cercles concernés et une redéfinition de leur composition entraînant

celle des limites intercoloniales.

25. Il ne me paraît pas utile de décrire c es nouvelles limites: elles sont projetées en ce

moment à l’écran, mais, de toute manière, elles n’ont pas survécu au rétablissement de la colonie

114Voir MBF, p.31-32, par.1.31; p.70-71, par.2. 43-2.44 ; p. 103-104, par. 4.12-4.15 ; p. 134, par. 4.85 ;
p. 142-143, par. 4.109-4.112 ; et CMBF, p. 114, par. 4.27.

115Voir le procès-verbal de délimitation entre les cercles de Dori et de Tillabéry réalisées par les administrateurs
des cercles de Dori (Delmond) et de Tillabéry (Texier et Garat), 8 décembre 1943, MN, annexe C69.

116Décret du président de la République française du 5 septembre 1932 portant suppression de la colonie de la
Haute-Volta et répartition de son territoire entre les colonies du Niger, du Soudan français et de la Côte d ’Ivoire (MBF,
annexe 36). - 55 -

de la Haute-Volta par la loi du 4 septembre 1947 re constituant la Haute-Volta dans ses limites à la

117
date du 5 septembre 1932 ⎯ vous en trouverez le texte à l’onglet 1.15 de vos dossiers.

[Fin de la projection n o7 ⎯ projection n° 8 : Le rétablissement de la Haute-Volta.]

26. Aux termes de l’article 2 de cette loi, les limites du territoire de la Haute-Volta rétablie

«sont celles de l’ancienne colonie de la Haute- Volta à la date du 5septembre1932». Autrement

dit, les modifications apportées aux limites des cercles entre 1932 et 1947 sont rapportées ; toute la

période est mise entre parenthèses; et l’on se retrouve dans la situation frontalière qui était celle

existant en1932, elle-même identique à celle de1927, puisque l’ erratum du 5octobre constitue

l’unique définition juridiquement pertinente du tracé de la frontière entre les colonies de la

Haute-Volta et du Niger. Et cette situation pe rdurera jusqu’à l’indépendance: aucune des deux

Parties ne prétend que le tracé de l’erratum de 1927 ait été modifié depuis lors.

27. C’est aussi la frontière déterminée pa r cet instrument fondamental que consacrent

l’accord et le protocole d’accord du 28mars1987 su r la matérialisation de la frontière, auxquels

renvoient le préambule et l’article 6 du compromis par lequel la Cour a été saisie. Il n’est pas utile

que je revienne sur les circonstances dans lesque lles ces traités ont été conclus: elles ont été

décrites avec beaucoup de clarté par le professeur Jean-Marc Thouvenin.

28. Au fond, Mesdames et Messieurs les j uges, si l’on met à part la parenthèse des

années 1932-1947, l’histoire ⎯ l’histoire pertinente ⎯ de la frontière entre le BurkinaFaso et la

République du Niger est brève et simple :

⎯ elle est brève car elle ne commence réellement qu’en1926 lorsque le décret du 28décembre

énumère les composantes de la Haute-Volta et prévoit que le tracé de la limite entre les

deuxcolonies sera déterminé par un arrêté du gouve rneur général de l’AOF; et elle s’achève

avec la publication de l’erratum du 5 octobre 1927 qui fixe définitivement ce tracé ; et

⎯ cette histoire est particulièrement simple puisqu’un texte unique, l’ erratum de 1927 justement,

dont la valeur probante et la validité sont acceptées ⎯ en principe ⎯ par les deuxParties,

constitue le titre établissant la frontière sur toute sa longueur.

117Loi n°47-1707 du 4septembre1947 reconstituant la Haute-Volta dans ses limites à la date du

5 septembre 1932 (MBF, annexe 39). - 56 -

II. Les points d’accord et de désaccord entre les Parties

29. En réalité, les Parties ne s’opposent pas su r cette histoire simple, mais elles en donnent

une interprétation très différente. A la simplicité des faits et des données juridiques, dont le

Burkina prend acte, le Niger répond par des arguties tortueuses ⎯et parfois embarrassées.

L’opposition des points de vue n’est cependant pas totale et, avant d’en venir à ce qui oppose les

Parties, il me semble utile de redire quelques mo ts des éléments sur lesquels elles s’accordent ou

semblent s’accorder.

A. Les points d’accord

30. Dans l’introduction de leurs contre-mém oires respectifs, le BurkinaFaso et la

République du Niger ont, l’un et l’autre, énuméré leurs points d’accord 118.

31. Certains se retrouvent dans les deux listes. Il en va ainsi tout d’abord de l’objet de l’arrêt

à intervenir, qui est, comme l’écrit le Niger, «de me ttre fin, avec l’autorité de la chose jugée, au

119
différend frontalier entre les deuxParties» . Nous sommes évidemment d’accord même si nous

considérons que la demande (commune) des Parti es de leur donner acte de leur entente sur les

segments abornés de leur frontière commune n’a rien de «superfétatoire» 12, comme l’a déjà

souligné l’agent du Burkina. J’aurai d’aille urs l’occasion d’y revenir à nouveau brièvement

demain.

32. Dans les deux contre-mémoires, les Parties soulignent aussi qu’elles «s’accordent

également sur le fait que les textes de base à pr endre en compte pour la résolution du présent

différend sont ceux de1927, qui n’ont jamais été modifiés par la suite» 121. La nouvelle

formulation nigérienne constitue nettement un pas en arrière cependant, et cela résulte clairement

de la phrase conclusive du contre-mémoire du Niger sur ce point : «le fait que le texte de l’erratum

n’ait jamais été modifié par la suite ne signifie pas pour autant que ses énoncés suffisent à eux seuls

122
à identifier le tracé de la fron tière dans le secteur en litige» . Dans son mémoire, le Niger

admettait pourtant que l’ erratum de1927 «demeurait au moment où les deux Etats sont devenus

118Voir CMBF, p. 1-6, par. 0.4-0.6, et CMN, p. 4-6, par. 0.7-0.11.
119
CMN, p. 4, par. 0.7, renvoyant à MBF, p. 5, par. 0.14.
120
Voir CMN, ibid.
121CMN, p. 5, par. 0.9, renvoyant à MBF, p. 27, par. 1.23.

122Ibid., p. 5, par. 0.9. - 57 -

123
indépendants, le seul texte de référence pour la détermination de le ur frontière commune … »

Certes, la Cour doit «prendre en considération» les textes de 1927. Mais l’expression «prendre en

considération» est bien faible. Il résulte de l’accord du 28 mars 1987 que le tracé à retenir est celui

«décrit par l’arrêté 2336 du 31 août 1927, précisé par son erratum 2602/APA du 5 octobre 1927» et

ce n’est qu’«[e]n cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum [que] le tracé sera celui figurant

sur la carte à 1/200 000 de l’Institut géographique national de France, édition 1960 ... »

33. Et c’est tout, Monsieur le président, pu isque le Niger, comme le Burkina, constate

124
«[l]’absence de documents retenus d’accord parties» . Et, sur cela, il est vrai que nous sommes

d’accord 125. Mais, contrairement aux espoirs nigériens, cela exclut clairement la prise en compte

«pour la détermination du tracé frontalier, [des ] accords informels auxquels sont parvenues les

autorités coloniales quant à l’emplacement des poi nts frontières, en particulier sur les routes

intercoloniales» 126. Certes, on peut prendre ces accords informels «en compte» pour interpréter

127
l’erratum mais en aucune manière, contrairement à ce que le Niger prétend à plusieurs reprises ,

pour le modifier.

34. Au demeurant, je le répète, Monsieur le président, en réduisant l’accord des Parties au

sujet du droit applicable à la seule «prise en c onsidération» des textes de1927 qu’ils mettent à

égalité avec une pléiade de prétendus accords info rmels, le Niger minimise considérablement et la

portée de l’accord du 28 mars 1987 et l’interprétati on commune que semblaient en faire les Parties

lors de la première phase de la procédure écrite. En effet, sur la foi de plusieurs passages du

mémoire nigérien, qui nous semblaient fort cl airs, nous avons égalemen t indiqué dans notre

contre-mémoire, parmi les points d’accord entre les Parties, le principe selon lequel «[l]’accord

de1987 auquel renvoie le compromis indique limitativement les documents à prendre en

123
MN, p. 104, par. 7.12 ⎯ les italiques sont de nous.
124
CMN, p. 5, par. 0.10.
125MBF, p. 72, par. 2.46.

126CMN, p. 6, par. 0.10.

127MN, p. 74, par. 5.12 (borne de Ouiboriels); MN, p. 77, par. 5.16; p. 94, par. 6.22; CMN, p. 65-66,
par. 2. (Pételkolé), ou MN, p. 92-93, par. 6.20 et CMN, p. 64, par. 2.1.4 (Vibourié). - 58 -

128
considération pour procéder à la démarcation de la frontière» . Il est regrettable que la Partie

nigérienne paraisse revenir sur sa position initiale à cet égard.

35. Et toujours sur ce point, j’ajoute, Monsie ur le président, que le Niger nous fait une

mauvaise querelle lorsqu’il préte nd que nous continuons à nous réfé rer à l’arrêté comme texte de

base alors que «[l]’erratum du 5 octobre 1927 constitue en réalité le texte de référence en l’espèce,

129
dès lors qu’il a purement et simplement remplacé le texte de l’arrêté da ns sa partie opérative» .

Nous en sommes parfaitement d’accord et n’avons jamais écrit le contraire malgré ce qu’allèguent

nos amis nigériens 130 ⎯ sauf à remarquer que l’accord de 1987 lie les deux instruments et que nous

n’avons aucune raison de répudier cet accord sur ce point pas davantage que sur aucun autre. Il est

vrai que, pour sa part, le Niger marque, d’une ma nière générale, disons un certain éloignement

vis-à-vis des engagements qu’il a pris dans l’accord de 1987 131.

36. Dernier point d’accord selon le Nige:r«L’importance du décret du

28 décembre 1926» 132. Nous ne récusons nullement cette importance, Monsieur le président. Mais

nous n’admettons en aucune manière que l’effet de cet important décret, qui décrivait la

consistance territoriale de la Haute-Volta, était de renvoyer pour la délimitation de sa frontière avec

le Niger, aux limites préexistantes des circonscriptions territoriales. Je dois le répéter à nouveau, le

décret de 1926 renvoyait expressément la détermination du tracé de cette frontière à un « arrêté du

gouverneur général». Ce furent l’arrêté puis l’ erratum de 1927. Au demeurant, l’accord de 1987

conclu entre le Niger et le Burkina ne laisse au cun doute sur le fait que c’est l’arrêté précisé par

l’erratum de1927 qui décrit le tracé de la frontière entre les deuxpays, pas les limites des

circonscriptions territoriales telles qu’elles étaient supposées exister avant l’adoption de ces textes.

128
CMBF, p. 4, tableau, point3, renvoyant à MN, p. 24, par. 1.32; p. 60-61, par. 5.2; p. 75, par. 5.13; p.91,
par. 6.16 ; p. 104-105, par. 7.12, et MBF, p. 9, par. 0.19 ; p. 61-62, par. 2.20 ; p. 66, par. 2.35 ; p. 71, par. 2.47.
129
CMN, p. 5, par. 0.9.
130Voir MBF, p. 28, par. 1.26 ; p. 64, par. 2.27 ; p. 69-71, par. 2.41-2.44 ; p. 73, par. 2.50 ; p. 134, par. 4.86 ; ou
CMBF, p. 19, par. 1.11 ; p. 41, par. 1.49 ; p. 42, par. 1.51 ; ou p. 106, par. 4.1.

131Voir CMBF, p. 13, par. 0.17.

132CMN, p. 4, par. 0.8, citant MBF, p. 24, par. 1.16. - 59 -

B. Les points de désaccord entre les Parties

37. Monsieur le président, certes, les Parties ne sont pas en désaccord sur tout ; néanmoins, il

faut bien le constater, si l’on tente d’approf ondir quelque peu les points sur lesquels un accord

semblait se dessiner dans les mémoires, les «m ais» dont il convient d’assortir ces points d’accord

finissent par éclipser leur entente apparente. Le Niger n’énumère pas moins de sixpoints de

divergences entre les Parties dans son contre-mémoire 133. Plus sobrement, le Burkina en relève

deux :

⎯ la question de la prééminence de l’arrêté de 1927 et de son erratum ; et

⎯ celle de l’énumération limitative des docum ents à prendre en considération en cas

134
d’insuffisance de l’erratum .

38. Quelques mots tout de même sur les mo indres divergences soulignées par le Niger au

sujet de la présentation unilatérale qu’aurait faite le Burkina Faso à propos d’une part des incidents

de frontière, et, d’autre part, de la question du tracé consensuel ⎯des tracés consensuels,

pourrait-on dire ⎯ sur lesquels le Niger est revenu.

39. En ce qui concerne le premier point 135, il me suffira de relever que les incidents en

question sont bien le fait du Niger (et les notes de bas de page de son mémoire auxquelles il se

réfère pour toute réponse 136 n’établissent nullement le contraire). Cela étant, il ne sert pas à

grand-chose de se rejeter la responsabilité de tels incidents: ils montrent surtout l’utilité qu’aura

votre arrêt en revêtant de l’auto rité solennelle de la chose jugée un règlement territorial intervenu

en réalité il y a soixante-quinze ans.

40. L’autre «désaccord périphérique» dont fait état le Niger est totalement artificiel. Nos

contradicteurs affectent de s’indigner que nous parlions de «tracé consensuel» pour désigner

l’entente intervenue en1988 entre les experts membres de la commission technique paritaire

établie par l’accord de1987 137. C’est une bien mauvaise querelle: contrairement à ce que la

rédaction prétendument indignée du paragraphe0.21 du contre-mémoire nigérien laisse entendre,

133Voir CMN, p. 6-13, par. 0.11-0.21.

134Voir CMBF, p. 6-10, par. 0.7-0.15.
135
Voir CMN, p. 11, par. 0.19.
136MN, p. 38, notes 119 et suiv.

137CMN, p. 12-13, par. 0.21 ; et p. 54-59, par. 1.2.20-1.2.30. - 60 -

nous n’avons jamais prétendu que ce tracé ait été juridiquement «consacré...dans les relations

entre les deuxpays» alors même qu’il était, en effet, consensuel entre les experts des deuxpays

puisque les représentants des deux Parties l’ont paraphé . Malheureusement, il n’a pas, en effet, été

138
«juridiquement consacré» du fait du revirement nigérien . Mais on peut, malheureusement, aller

un peu plus loin, car le même scénario s’est reproduit ⎯avec une nuance de taille ⎯ après

qu’en 1991 les ministres compétents des deux Etats avaient adopté une solution cette fois politique

de compromis, afin de débloquer la situation en donnant quelques satisfactions au Niger, et afin de

139
permettre le redémarrage du processus de démarcation qui était bloqué . A nouveau, le Niger

s’opposa à la mise en Œuvre de la solution de compromis 14. Nous n’alléguons pas non plus que

cette décision ministérielle était juridiquement oblig atoire pour les Parties (et elle n’était sûrement

pas totalement conforme à l’erratum de 1927) ; mais il n’empêche qu’alors que l’on pouvait croire

le litige résolu, le Niger a, une nouvelle fois, changé d’avis.

41. J’en viens maintenant, Monsieur le président, aux désaccords les plus graves, dont la

solution conditionne réellement le règlement du différend soumis à la Cour.

42. En ce qui concerne d’abord le rôle qu’est appelé à jouer l’erratum de 1927 (je ne dis plus

«l’arrêté et son erratum» puisque nos amis nigériens nous en font grief ⎯mais c’est la même

chose) ⎯ en ce qui concerne le rôle de l’erratum donc, les désaccords sont profonds.

43. Dans son contre-mémoire, le Niger se de mande assez longuement si le différend que la

Cour est appelée à trancher porte sur la déli mitation ou sur la démarcation de la frontière 141.

Comme souvent, nos contradicteurs recourent à la caricature de notre position pour y trouver prise

à critique. Contrairement à ce qu’ils prétendent, nous n’avons jamais écrit qu’il s’agissait d’un

litige «de démarcation» ⎯ce qui n’aurait pas grand sens devant la Cour. Dans les

deuxparagraphes du mémoire burki nabè auquel la Partie nigéri enne renvoie pour affirmer le

contraire, nous écrivons que, la délimitation stricto sensu ayant été effectuée par l’arrêté de 1927 et

138 MBF, p4.8-49, par1..74-177, et CMBF p5.2, par2..1;1voir aussi le compte rendu
n 42/FP/MAT/SGIDCAF du mini stre de l ’administration territoriale au chef de l’Etat du BurkinaFaso, 5 mars 1991,

MBF, annexe 88 ; CMN, p. 50-52, par. 1.2.10-1.2.14.
139Voir le communiqué conjoint du 16 mai 1991, publié à l’i ssue de la rencontre minist érielle de concertation et
de travail entre le Niger et le Burkina, MBF, annexe 89.

140Voir MBF, p.51, par.1.81; ou p.65, par.2.32; ou CMBF, p.52, par.2.12-2.13. Voir aussi MN, p.42,
par. 3.6 et CMN, p. 52-53, par. 1.2.16-1.2.17.

141CMN, p. 6-9, par. 0.11-0.16. - 61 -

son erratum ⎯ce qu’admettent l’accord de1987 et le co mpromis, «il ne s’agit plus pour la

hautejuridiction que de préciser l’ interprétation de ces instruments afin de permettre la

matérialisation de la frontière entre les deuxpays» 142 ⎯ permettre de matérialiser, ce n’est pas

matérialiser, opération qui, bien sûr, ne relève pas de la compétence de la Cour de céans (même si

elle peut être appelée à assister les Parties dans une opération de démarcation ⎯ comme l’article 7,

paragraphe 4, du compromis l’y invite en l’espèce). Mais le différend qui vous est soumis est bien

né à l’occasion de difficultés rencontrées durant l’opération d’abornement sur le terrain, menée par

les Parties avec la conviction qu’une délimitation préexistait.

44. Et c’est un fait, Monsieur le président, que l’arrêté et l’ erratum de1927 sont bien des

textes de délimitation : ils décrivent ⎯l’un remplaçant l’autre ⎯ l’ensemble de la frontière

contestée et l’ erratum constitue un titre frontalier (unique et clair) reconnu comme tel par les

Parties ⎯ c’est-à-dire à la fois le fondement, la «cause juridique» de la frontière et la preuve de son

tracé 143 ⎯ ce que la Partie nigérienne finit pa r reconnaître du bout des lèvres dans son

144
contre-mémoire . Et, malgré la véhémence du Niger (il n’h ésite pas à parler de «l’inanité» de la

145
thèse du Burkina... ), il est très certain qu’il existe une grande différence d’approche entre les

textes officiels de1927 et ceux qui les ont précédés 146: jusqu’alors ⎯comme le colonisateur

147
français qui se croyait partout chez lui le faisait souvent dans ses possessions africaines , il s’était

borné à définir les nouvelles colonies du centre de l’Afrique par référence aux subdivisions

coloniales les composant, dont les frontières étai ent rarement précisées dans des textes formels,

148
mais résultaient d’une pratique empirique , parfois formalisée dans des accords entre

142
MBF, p.2, par.0.3 ⎯les italiques sont de nous; voir aussi, p. 9, par.0.19, passages auxquels renvoie le
contre-mémoire du Niger, p. 6, note 13.
143
Voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18 ; voir
MBF, p. 66-67, par. 2.36-2.37 ; ou CMBF, p. 18-19, par. 1.10-1.11.
144
CMN, p. 16, par. 1.1.2.
145
Ibid., p. 10, par. 0.18 ; voir aussi p. 24-26, par. 1.1.13-1.1.15.
146Voir CMBF, p. 16-21, par. 1.4-1.17.

147Outre l’article premier du décret du 1 mars 1919 créant la colonie de la Haute-Volta, voir Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p. 580, par.51, ou Différend frontalier (Bénin/Niger),

arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p.112-113, par. 34-35. Voir aussi: Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad),
arrêt, C.I.J. Recueil 1994, opinion individuelle du juge Ajibola, p. 53, par. 9.
148 o
Voir notamment la note n 521 CM2 du service géographique de l’AOF au directeur des affaires politiques et
administratives du gouvernement général a/s croquis de cantons de cercles dont FadaN’Gourma, Say et Tillabéry,
25 juin 1938, CMBF, annexe 6 ; voir CMBF, p. 17-18, par. 1.9. - 62 -

administrateurs ⎯ qui n’avaient en tout cas aucune compétence pour définir les limites

intercoloniales. Comme le souligne le Niger au suje t de la création de la colonie de la Haute-Volta

en 1919 : «la constitution de cette nouvelle coloni e n’est pas accompagnée par une description des

149
limites des entités qui la composent» . Et s’agissant de la frontière qui nous intéresse, c’est

encore ainsi que procède le décret du président de la République française du 28décembre1926.

Mais, et c’est là le changement, le second alinéa de l’article 2 de cet instrument annonce clairement

un changement d’approche ⎯je relis cette disposition im portante: «Un arrêté du gouverneur

général en commission permanen te du conseil de gouvernement déterminera le tracé de la limite

des deux colonies dans cette région » (le premier alinéa, pour sa part, procédait à un transfert de

subdivisions de la Haute-Volta au Niger). L’arrêté puis l’ erratum de1927 ont procédé à cette

150
détermination du tracé de la limite ⎯ c’est bien de délimitation qu’il s’agit .

45. Selon le Niger, le texte de l’ erratum serait «lacunaire et imprécis» ; il en voit la preuve

151
dans les protestations des administrateurs locaux, principalement du cercle de Dori puis de Téra .

Il est exact que ces chefs de cercle ont parfois protesté (dans certains cas avec véhémence) contre

l’erratum, mais, comme le Burkina Faso l’a montré dans son contre-mémoire auquel je me permets

152
de vous renvoyer cette fois avec insist ance, Mesdames et Messieurs de la Cour , ces attaques

⎯loin de renforcer la thèse nigérienne ⎯ confirment au contraire la positivité de la délimitation

contestée: en protestant contre le tracé de l’ erratum, les administrateurs coloniaux concernés

confirment du même coup qu’il fait droit et qu’ils ont conscience qu’il leur faut ⎯ volens

nolens ⎯ l’appliquer effectivement. Et je me permets d’ajouter, Monsieur le président, avec tout le

respect dû à nos amis et adversaires, qu’il est assez absurde de tirer argument du fait que «le texte

de 1927 ne dit pas que» les lignes joignant les différents points qu’il mentionne sont droites 153; il

149MN, p. 14, par. 1.17.
150
Voir CMBF, p. 19-23, par. 1.12-1.21.
151
Voir notamment MN, p. 25-27, par. 2.2-2.3 et p. 30-31 par. 2.5 ; p. 66, par. 5.6 ; ou CMN, p. 35, par. 1.1.24.
152Voir CMBF, p. 29-37, par. 1.26-1.39 ; voir d’ailleurs MN, p. 25-35, par. 2.2-2.8.

153CMN, p. 34, par. 1.1.22. - 63 -

ne le dit pas tout simplement parce que, lorsqu’un texte de délimitation ne dit pas le contraire, les

154
lignes joignant les éléments qu’il mentionne sont droites .

Monsieur le président, j’arrive à 13 heures, mais, si vous voulez bien me donner droit à une

petite compensation, j’en ai pour quatre minutes, je pense.

Le PRESIDENT : Exceptionnellement, vous pouvez dépasser de dix minutes 13 heures.

M. PELLET : C’est un peu une compensation du début de la matinée, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Oui, c’est le temps que j’ai pris ce matin pour ouvrir l’audience, introduire

les deux juges ad hoc et rappeler l’historique de l’affaire. Vous avez la parole, Monsieur.

M. PELLET : Honnêtement, j’en ai pour quatre minutes, je pense.

46. L’imprécision de l’ erratum tiendrait notamment, selon le Niger, au «caractère

particulièrement lapidaire de ses énoncés pour plusieurs portions de la frontière en litige» 155 ; c’est

156
confondre imprécision et concision : il est vrai que le gouverneur général a déterminé le tracé de

la frontière litigieuse en décrivant, pour l’essentiel, des tronçons relativement longs ⎯ mais moins

que ceux adoptés par le colonisateur français dans de nombreuses autres parties de son empire

157
colonial . Et le Niger donne lui-même l’explicatio n de cette attitude: la limite maintenant

contestée par lui concernait «pour une partie non négligeable…des zones mal connues et peu

habitées» 158.

47. Au demeurant, il est exact que, dans leur accord de 1987, le Burkina et le Niger ont

159
envisagé l’hypothèse d’une insuffisance de l’ erratum , en même temps qu’ils ont indiqué les

154Voir, par exemple, Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 624,
par.130 et MBF, p. 124-125, par. 4.60; ou Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun

c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 385, par. 151-152.
155CMN, p. 11, par. 0.20 ; voir aussi, p. 6, par. 0.12.

156Voir CMBF, p. 42-45, par. 1.52-1.57.

157Voir, par exemple,: I. Brownlie, African Boundaries , Hurst/University of California Press, Londres/Los
Angeles, 1979, p. 46-47 ⎯ convention de Niamey du 20 juin 1909 (frontière entre l’Algérie et le Mali et le Niger
actuels; voir aussi: la convention du 5 janvier 1983 conc lue entre l’Algérie et le Niger, NationsUnies, Recueil des
o
Traités, n 23104, 1984, convention relative au bornage de la frontière d’Etat, signée à Alger le 5 janvier 1983 ; entrée en
vigueur le même jour, http://treaties.un.org/doc/P ublication/UNTS/Volume%201373/volume-1373-I-23104-French.pdf)
⎯ ou p. 409 ⎯ décret du 23 avril 1913 ( JORF du 26 avril 1913, p. 3682-3683) (frontière entre la Mauritanie et l’actuel
Mali).

158CMN, p. 12, par. 0.20.
159
Voir CMN, p. 9, par. 0.17. - 64 -

moyens d’y remédier (ce que le Niger omet de préciser) en recourant à la carte IGN de 1960. Nous

ne prétendons pas que l’ erratum ne se prête pas à interprétation ⎯c’est le propre de tout texte

juridique que d’être interprété! ⎯ mais en gardant à l’esprit quelques principes de base qui sont

complètement négligés par le Niger: conformément à la maxime interpretatio cessat in claris ,

«[l]e devoir de la Cour est nettement tracé. Plac ée en présence d’un texte dont la clarté ne laisse

rien à désirer, elle est tenue de l’appliquer tel qu’il est...» 160, car «[l]a Cour est appelée à interpréter

les traités, non à les réviser» 161 ⎯ et cela est vrai des autres textes qu’elle est appelée à appliquer,

comme c’est le cas, par renvoi, de l’erratum de 1927. Or le Niger, loin de se borner à interpréter ce

texte fondamental, Mesdames et Messieurs les jug es, vous demande de le compléter lorsqu’il le

trouve trop succinct 162, ou carrément de l’écarter au profit d’autres documents dont la valeur

163
probante est discutable et, qui n’ont, en tout état de cause, pas été acceptés d’accord parties . La

notion d’insuffisance, retenue dans l’accord de 1987 , ne se prête pas à ce traitement capricieux:

pour pouvoir recourir à la carte de 1960, il faut que la lecture de l’ erratum ne suffise pas à

déterminer le tracé de la frontière litigieuse ⎯et non pas qu’une partie le trouve excessivement

164
succinct ou estime que le tracé qu’il décrit est insatisfaisant . Insatisfaisant et insuffisant ne sont

pas des mots synonymes. Du reste, quand bien même les Parties n’auraient pas conclu d’accord

165
exprès, «la Cour ne saurait s’écarter [du] tracé» frontalier résultant d’un titre valide et «n’a pas

166
compétence pour modifier une ligne frontière délimitée» .

48. Ceci me conduit à un second désaccord majeur entre les Parties, celui qui porte sur les

documents que la Cour peut ⎯ et doit ⎯ prendre en considération pour régler le présent différend.

160 o
( Acquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. sérieB n 7, p. 20 ; Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne /Tchad), arrêt, C.I.J.Recueil1994 , p.25, par.51 ou LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77).
161
(Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 229 ; voir aussi Acquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I.
série B no7, p.20, Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Améri que au Maroc (France c.Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J.Recueil1952, p.196, Sud-Ouest africain (Ethiopie c.Afrique du Sud; Libéria c.Afri que du Sud), deuxième
phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 48, par. 91).

162Voir MN, p. 86, par. 6.11 ; p. 93, par. 6.21 ; CMN p. 61, par. 2.2.1.

163MN, p. 105, par. 7.12 ; p. 112, par. 7.26 ; p. 115, par. 7.32 ; p. 116, par. 7.35 ; CMN p. 63, par. 2.1.4 ; p. 92-
93, par. 2.2.21.

164MBF, p. 72-73, par. 2.47-2.49 ; voir aussi CMBF p. 8, par. 0.12 ; p. 45, par. 1.58 ; p. 108, par. 4.6.
165
Frontière terrestre et maritime entr e le Cameroun et le Nigéria (Camer oun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 372, par. 118.
166
Ibid., p. 374, par. 123. Voir CMBF, p. 41-42, par. 149. - 65 -

A cet égard, ce n’est pas tant l’ erratum en tant que tel qu’il convient d’interpréter, que l’accord du

28 mars 1987 (son texte est reproduit à l’onglet 1.8 du dossier des juges). Comme je l’ai souligné

tout à l’heure, le Niger, s’il ne récuse pas ouvertement ses engagements au titre de l’accord de

1987, n’en fait pas moins tout son possible pour en limiter la portée.

49. En vertu du texte, limpide, de l’article 2, que je lis à nouveau, le tracé de la frontière est

celui «décrit par l’arrêté2336 du 31 août1927, précisé par son erratum 2602/APA du

5 octobre 1927. En cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum, le tracé sera celui figurant sur

la carte à 1/200 000 de l’Institut géographique national de France, édition 1960, et/ou de tout autre

document pertinent accepté d’accord parties». Fa ute de l’acceptation de tels documents par les

Parties, seule la carte de l’IGN de 1960 peut être utilisée face à une insuffisance ⎯ et je dis bien :

167
face à une insuffisance ⎯ de l’ erratum . Ce n’est assurément pas la position de la Partie

nigérienne qui ne fait de l’ erratum qu’un instrument ⎯ parmi beaucoup d’autres qu’elle se targue

168
sans vergogne d’utiliser ⎯ à prendre en considération non pas lorsque l’ erratum ne suffit pas

pour déterminer la frontière, mais lorsque le tracé en résultant ne lui paraît pas satisfaisant . Quant

à la carte de 1960, alors même que le Niger consta te que la formule obligeant à y avoir recours en

169
cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum «est impérative» , il l’utilise lorsque cela le sert,

en proclamant sans l’étab lir l’insuffisance de l’ erratum ; il met de côté la carte de1960 ⎯ au

170
profit, éventuellement, d’autres croquis ⎯ lorsqu’elle ne sert pas ses intérêts . En 1988, certaines

propositions faites par les experts pour remédier à quelques incertitudes quant à l’emplacement

précis de certains points de la frontière avaient dérogé de la même manière, pour des raisons de

commodité, aux instructions découlant de l’accord de 1987; ces propositions ont été repoussées

par la commission technique paritaire pour n’avoir pas respecté les dispositions de l’accord de 1987

171
⎯ et donc de l’erratum ⎯ et les experts durent reprendre leur copie en les suivant à la lettre . La

167
Voir MBF, p. 71-72, par. 2.47-2.49 ; ou CMBF, p. 45-46, par. 1.59-1.64.
168
Voir notamment CMBF, p. 2, par. 0.2 ; ou p. 3, par. 0.4.
169MN, p. 75, par. 5.14.

170Voir, par exemple, MN, p. 93-97, par. 6.22-6.23; p. 98-99par. 6.25; p. 110, par. 7. 21; p. 114, par. 7.30;
CMN, p. 61, par. 2.1.1 ; p. 63, par. 2.1.4 ; p. 65-68, par. 2.1.7-2.1.8 ; p. 83, par. 2.2.13 ; ou p. 86, par. 2.2.15.

171Voir MBF, p. 45-46, par. 1.67-1.69, ou p. 65, par. 2.31. - 66 -

position du Niger qui n’est compatible ni avec le texte ni avec l’esprit, ni de l’accord de 1987 ni du

compromis de 2009, doit être rejetée pour la même raison fondamentale.

Monsieur le président, je poursuivrai, avec votre autorisation, cette présentation cet

aprèsmidi. En attendant, Mesdames et Messieurs les juges, je vous souhaite un excellent appétit

en m’excusant d’avoir écorné un peu la pause-déjeuner.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Pelle t. L’audience est levée. La Cour se

réunira de nouveau à partir de 15 heures.

L’audience est levée à 13 h 5

___________

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Audience publique tenue le lundi 8 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

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