Opinion dissidente de M. Zoricic

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008-19500330-ADV-01-03-EN
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008-19500330-ADV-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. ZORICIC

Je suis entihrement d'accord sur l'avis de la Cour selon lequel
les questions visant le respect des droits de l'homme ne rentrent
aucunement dans le cadre des questions de la demande d'avis.
De même je suis d'accord pour dire que l'exception d'incompétence,
soulevée par plusieurs Etats, et reposant sur l'affirmation qu'il
s'agirait de questions cqncernant une matière qui appartiendrait
au domaine réservéde 1'Etat (articl2, paragraphe 7, de la.Charte),
est mal fondée et ne peut êtreretenue.

Ce qui, à mon regret, me sépare de la majorité de la Cour, est
uniquement une question de principe. A mon avis, la Cour aurait
dû constater qu'elle se trouve dans l'impossibilité de répondre aux

questions posées, pour les raisons suivantes :
Les questions posées à la Cour sont conyues dans les termes
suivants :
«1. Ressort-il de la correspondance diplomatique échangée entre
la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, d'une part, et certaines
Puissances alliées et associéessignataires des traités de paix,
d'autre part, touchant l'application de l'articl2 des traités avec
la Bulgarieet la Hongrieet del'artic3edu traitéavec la Roumanie,
qu'il existe des différends pourlesquels l'article6 du traité de
paix avec la Bulgarie, l'article 40 du traité de paixec la Hongrie
et l'article 35 du traité avec la Roumanie, prévoient une procédure
de règlement ?
II. Les Gouvernements de la Bulgarie, de la Hongrie et de la
Roumanie sont-ils tenus d'exécuter les clauses des articles men-
tionnés à la question 1, notamment cellesqui concernent la dési-
gnation de leurs représentants aux commissions prévuespar les
traités?))

La question 1 demande à la Cour de se prononcer en première
ligne sur l'existence d'un différend, ce qui est une simple question
de fait,et, ensuite, sur la question de savoir si ce différend doit être
considéré comme un différend tombant sous les dispositions des
articles 36, 38 et 40, respectivement, des traités de paix avec la
Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, ce qui est une question de
droit.
La question IIest entièrement une question de droit portant sur

l'existence de l'obligation internationale pour la Bulgarie, la Rou-
manie et la Hongrie, d'exécuter les articles 36, 38 et 40 des traités
de paix et notamment de désigner leurs représentants aux commis-
sions prévues dans ces articles.
37 De la documentation soumise à la Cour, il ressort qu'une diver-
gence entre les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni, d'une
part, et la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, d'autre part,

concernant l'application des clauses des traités de paix relatives
aux droits de l'homme, a donné naissance à un nouveau litige, dont
l'objet, et leond propre, est la question de savoir non seulement s'il
existe ou non un différend, mais bien s'il y a un différendde telle
sorte que les clauses procédurales des traités de paix lui soient
applicables.
Un pareil développement selon lequel d'un premier différend
surgit un deuxième, un troisième, etc., ne présente rien de nouveau
dans la vie internationale. On ne saurait toutefois direque le premier
différend présente du point de vue juridique une plus grande
importance que ceux qui ont pris naissance après. Dans chacun
,des différendssubséquents, les États en litige peuvent prendre des
positions juridiques indépendamment du premier différend, la
solution de chacun d'eux a ses conséquencespropres, et les États
intéresséssont les seuls juges de l'importance qu'offre pour eux la
solution à donner au différend.

Il ne saurait être,mis en doute que la demande d'avis a trait à
un différendentre Etats. Or, c'est chose acquise qu'elle ne vise pas
le différend relatif au respect des droits de l'homme. Au contraire,
la question 1 demande à la Cour de se prononcer sur le nouveau
litige concernant l'applicabilité des clauses procédurales des traités
de paix. Ce nouveau litige a donc évidemment pour objet une ques-
tion indépendante du précédent différendconcernant le respect
des droits humains. Afin de pouvoir répondre à cette question, la
Cour doit procéder à l'interprétation des articles 36, 38 et 40 des
traités de paix. Que cette interprétation soit très simple et facile,
cela, du point de vue du principe, reste entièrement dépourvu de
pertinence. En tout état de cause, la réponse de la Cour concerne
nécessairement le point essentiel du litige actuel, et, qu'elle soit
positive ou négative, elle ne peut que trancher le fond mêmede ce
litige, c'est-à-dire résoudrela seule question qui constituele différend

relatifà l'applicabilité desarticles 36, 38 et 40 des traités de paix.
Aussi ce .litige se trouye définitivement résolu par l'avis, et les
rapports juridiques des Etats en litige sont, en ce qui concerne cette
question, décidéspar l'autorité de la Cour. En d'autres termes :la
question 1 a transféréà la Cour la décisionmêmedu litige entre les
parties, et la Cour, par son avis, s'est prononcéesur des obligations
internatipnales de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Roumanie sans
que ces Etats aient donnéleur consentement à la procédure devant
la Cour.

Or, une règlefondamentale du droit international veut qu'aucun
État ne soit obligéde soumettre ses différends avec d'autres Etats
àn'importe quel procédé,judiciaire ouautre, sans son consentement.

38Cette règlede droit est fondéesur le principe de l'égalité souveraine
des États, principe qui est le corollaire de l'indépendanceet qui est
expressément reconnu par la Charte des Nations Unies (article 2,
paragraphe 1).
Les développements suivants ont pour but de démontrer que
cette règles'applique non seulement aux arrêtsde la Cour mais bien
aussi aux avis consultatifs.

Le Statut et le Règlement de la Cour démontrent que sa fonction
consultative se rattache à la fonction consultative de la Cour
permanente de Justice internationale (ci-après: C. P. J. 1.). Par
conséquent, et tenant compte du fait que les dispositions du Statut
et du Règlement de la Cour actuelle sont essentiellement les mêmes
que celles du Statut et du Règlement de l'ancienne Cour, il s'ensuit
que ces dispositions peuvent êtreappliquées à la lumière de l'expé-
rience et de la pratique de la C. P. J. 1.
Il suffit de remarquer brièvement que la C. P. J. 1. avait, au
commencement, considérélesÉtats intéressésà des avis consultatifs
comme de simples ((informateurs a, mais qu'elle s'est bientôt
aperçue que la position des États était essentiellement différente,
dans les cas où un avis consultatif avait trait à un litige existant
entre les États. On ne pouvait ne pas reconnaître que, dans ces cas,
les Etats en litige étaient de véritables parties devant la Cour
auxquelles on devait conférer une position analogue à celle des
parties dans une affaire contentieuse. Par conséquent,le Règlement
de la Cour fut adapté à ces besoins et,à l'occasion de la revision du
Statut: un nouvel article 68 y fut inséré, selon lequel les dispositions
du Statut qui s'appliquent en matière contentieuse devaient être

appliquées dans la mesure où la Cour les reconnaîtrait applicables.
L'article 68, qui a étéinsérétextuellement dans le Statut de la
Cour actuelle, est très important pour Ia solution de la question de
savoir quelle est la position des Etats dont un litige est porté devant
la Cour par la voie d'un avis consultatif. A cet égard, il faut remar-
quer que l'article 68 du Statut est impératif. La Cour a sans doute
le droit d'examiner si certaines dispositions régissant la matière
contentieuse sont applicables ou non dans un cas d'espèce; mais
l'applicabilité étant un critère objectif, si la Cour trouve qu'une
disposition est'applicable, elle est tenue de l'appliquer. Cela ressort
autant du texte même del'article 68 que des explications expresses
et très claires fournieà ce sujet àl'occasion de la revision du Statut
de la Cour, dans le rapport du Comitéde Juristes de la Société des
Nations (S.d. N. C/r66/M/66. 1929. V, p. II~), et dans la lettre
du Président de la Conférence des États signataires du Statut,
adresséeau Président de l'Assemblée(S.d. N. C/154/M/173.1929. V,

P.Dans ces conditions, il me parait hors de doute que la position

des États en litige soit, mêmeen matière consultative, celle desparties devant la Cour. Ils-ont indiscutablement le droit de présenter
des exposés,de fournir et de demander des preuves, de contester les
affirmations de la partie adverse, et mêmele droit de compter un
juge sur le siège (article 83 du Règlement de la Cour). Il s'ensuit
qu'une demande d'avis ne saurait êtreconsidérée commedonnant
lieu uniquement à une relation entre la Cour et l'organe interna-
tional qui lui a demandé l'avis, mais que, bien au contraire, à
côté decette relation d'autres relations peuvent se former, à savoir
des relations entre la Cour et les parties, d'une part, et entre les

parties, d'autre part. (Cf. Negulesco : (L'évolution dela procédure
des avis consultatifs de la C. P. J. 1.», Recueil des Cours, vol. 57.)

La position des États en litige étant, à mon avis, ainsi établie
comme étant celle des parties devant la Cour, il paraît utile d'exa-
miner les conséquencesqu'aurait, pour les États, un avis consultatif
ayant trait à une question juridique actuellement pendante entre
les Etats. (Article 82 du Règlement.)
Il est évident que l'avis consultatif est, par sa nature juridique,
différent d'un jugement. Dans les jugements, dont l'objet est

toujours une affairecontentieuse, la Cour décidetoutes les questions
du litige, le jugement est sans appel et devient resjztdicata,de sorte
que les droits et obligations des États se trouvent légalement et
définitivement établis.
Les avis consultatifs, d'autre part, sont émisà la demande d'un
organe international autorisé à cette fin, la Cour se prononce sur les
questions posées,mais l'avis n'a pas de force obligatoire.

Telle est bien la différenceentre jugement et avissi on lesconsidère
du point de vue formel et strictement juridique. Dans la vie réelle,
toutefois, les choses se présentent sous un aspect bien différent,
de sorte que l'on peut dire qu'en pratique un avis consultatif de la
Cour, concernant un litige entre États, n'est autre chose qu'un
jugement non exécutoire. Cela ressort en premier lieu du fait que,
dans un cas pareil, l'affaire se déroule normalement de la même

manière qu'une véritable affaire contentieuse. Les États parties au
litige présentent leurs exposésécritset oraux, le débat se poursuit
en séance publique, la Cour plénièredélibère,les juges nationaux
prenant part aux délibérationset aux votes de la Cour, et, enfin,
l'avis est émisen séance publique et imprimé dans les publications
de la Cour, tout comme un arrêt.
En deuxièmelieu,les avis de la Cour jouissent dela mêmeautorité
que ses arrêtset sont citéspar la doctrine, qui leur attribue une
importance égaleà celle de ses arrêts.La Cour elle-mêmese réfère
à ses avis précédents aussi bien qu'à ses arrêts.
En troisième lieu, l'avis consultatif ayant trait à un différend,
décide d'une manière légalement certaine l'existence ou la non-existence du rapport juridique qui fut l'objet du litige. Il s'ensuit
que l'avis ne peut manquer d'exercer une influence très importante
sur les positions juridiques respectives des Etats, et cela d'autant

plus que l'avis peut servir comme moyen de pression psychologique
sur les gouvernements des États intéressés.

C'est bien pour ces raisons que les États se sont toujours opposés
à ce que leurs affaires, leurs litiges, les positions prises par eux et
les intérêtsqui s'y attachent, soient discutés et tranchés par une
cour de justice sansleurconsentement. Il suffitce sujetde rappeler
la cinquième réserve des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, faite
à l'occasion de l'adhésion des Etats-Unis au protocole de signature
du Statut de la C.P. J. I., ainsi conçue :

((...De plus, la Cour ne pourra pas, sans le consentement des
États-Unis, donner suite à aucune demande d'avis consultatif au
sujet d'un différendou d'une question à laquelle les Etats-Unis
sont ou déclarent êtreintéressés. ))(S. d. N.-C/166/M/66. 1929. V,
P. 97.)
Cette réserve des États-~nis était en accord avec un précédent
de plus grande importance, à savoir avec la réponse donnée par la
C. P. J. 1. dans l'affaire de la Carélie orientale. II convient de

rappeler brièvement cette réponse, vu que les règles de droit y
énoncéesprésentent un intérêtspécial,pour l'affaire actuelle.

Ayant étésaisie d'une demande d'avis sur un différend entre la
Finlande etla Russie concernant l'interprétation de certains textes,
et se trouvant en face d'un refus de la Russie de consentir à la
procédure, la C. P. J. 1. a constaté qu'il est :

...bien établi en droit international qu'aucun État, ne saurait
êtreobligéde soumettre ses différendsavec un autre Etat, soit à
la médiation,soità l'arbitrage, soit, enfià,n'importe quel procédé
de solution pacifique, sans son consentement ».
Après avoir ensuite mentionné les hypothèses sous lesquelles le
consentement peut se vérifier, la C. P. J. 1.a conclu :

Or, le consentement de la Russie n'a jamais étédonné; par
contre, elle a nettement et à maintes reprises déclaré qu'elle n'ac-
cepte. aucune intervention de la Société desNations dans son
différendavec la Finlande ....Les refus que la Russie avait déjà
opposésaux démarchessuggérées par le Conseilont étérenouvelés
lorsque la requête d'avis luia éténotifiée.Par conséqwnt,la Cour
se voit dans l'impossibilitéd'exprimer un avis sur un différend de
cet ordre1) (SérieB, no 5, p. 28.)

Dans la dernière proposition, soulignéepar moi, il ressort claire-
ment que la seule règle de droit international susmentionnée suffisaità la C. P. J. 1. pour lui permettre de se déclarer dans
l'impossibilité de donner une réponse. Il est vrai que la Cour a
donné :((encore d'autres raisons »,mais ces raisons ne sont que des
raisons supplémentaires, mentionnées pour renforcer par des obser-
vations d'ordre pratique la décisiondéjà bien fondée sur la règle

de droit décisive dans l'affaire.
Le précédent dela Carélieorientale fournit donc, d'après moi, la
preuve convaincante que le consentement des Etats est nécessaire
non seulement quand il s'agit des afiaires contentieuses, mais bien
aussi dans les affairesconsultatives, si la demande d'avis porte sur
un litige entre Etats, de sorte que la réponsede la Cour trancherait
la question qui forme l'objet du litige.
Il paraît aussi nécessairede souligner le fait que la C. P. J. 1. a
rendu sa décisiondans l'affaire de la Carélieorientale, bien qu'à ce
temps-là elle ne fût obligéepar aucune règled'appliquer les dispo-
sitions du Statut qui régissent les affaires contentieuses. Au

contraire, c'est bien à cause de cette décision. reconnue comme
bien fondée, que l'article 68 du Statut a été introduit plus tard :
((fixant ainsi de nianière à la mettre à l'abri de tolite velléité
de n~odification venant de la Cour elle-mênie, la doctrine dont
s'inspirait sa réponse dans l'affaire de la Carélie orientale ».
(Hammarskjold : Juridiction internationale, <in memoriam D,Leyde,
1938, p. 285.)
L'affaire actuelle présente une analogie frappante avec l'affaire
de la Carélie orientale. Preniièrement : dans l'affaire actuelle,
l'objet de la deniande d'avis porte aussi sur l'interprétation d'un
traité et sur l'existence de certaines obligations internationales

découlant de ce traité, de sorte que la réponsede la Cour équivaut
en substance à la solution du différend actuel entre les parties ;
deuxièmement : dans les deux affaires, l'une de;. parties au litige
s'est refuséeà prendre part aux discussions au sein de l'organisation
internationale, laquelle, ensuite, demande l'avis ; troisièniement :
dans les deux cas,une des parties n'est pas menibre del'Organisation
internationale, et. finalement, une des parties en litige conteste le
droit de la Cour de se prononcer dans l'affaire $an5 son consente-
ment.
Il va de soi que cette analogie n'a pu échapper à l'attention des
parties qui se sont présentéesdevant la Cour, et elles ont insisté
pour affirmer que la doctrine de ce précédentneserait pas applicable

dans l'affaire présente parce que, d'une part, le différend actuel
porterait seulement sur des dispositions des traités de pais
concernant une certaine procédure, et non pas sur les différends
relatifs aux droits de l'homme, ayant donné naissance à la première
divergence d'opinion. D'autre part, a-t-on dit, la Cour n'est pas
obligéede se tenir aux précédents.
Je ne saurais me rallier à ces opinions.
Du point de vue du droit, tout différend entre États doit être
traité comme tel, sans égard à la plus ou moins grande importancepratique de la solution du différend, que, d'ailleurs, seuls ces États
peuvent apprécier. Les Etats ont le droit de maintenir la position
juridique, bonne ou mauvaise, prise par eux, et il serait, sansdoute,
bien difficile d'établir une ligne de démarcation entre les différends
importants et les autres. Dès qu'il existe un différend et quel que
soit son objet, les Etats sont en droit d'exiger qu'il ne soit souniis
à aucun mode de règlenient sans leur consentement.

D'autre part, il est parfaitement vrai qu'aucune Cour interna-

tionale n'est liéepar des précédents.Mais ce dontla Cour est obligée
de tenir compte, ce sont les principes du droit international. Si un
précédent est solidement fondé sur un pareil principe, la Cour ne
saurait trancher un cas analoeUe dans un sens contraire aussi
longtemps que le principe retient sa valeur.
Or, le principe de l'égalitésouveraine des États, et la règle de
droit qui en découle et qui a étéappliquée dans l'affaire de la
Caré'ieorientale, n'ont rien perdu de leurvaleur. La grande majorité
des Etats s'est constamment déclaréecontre toute sorte de juridic-
tion obligatoire. La Cour ne devrait donc pas, selon moi, admettre
que des litiges entre États lui soient soumis d'une manièredétournée

par la voie d'avis. A ce sujet, les motifs et les besoins de l'organe
qui a demandé l'avis n'entrent pas en ligne de compte, car, comme
l'a dit la C.P. J. 1. dans l'affaire précitée:

(La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départirdes
règles essentielles qui dirigent ses activités de tribunal, même
lorsqu'elle donne des avis consultatifs.))

La Cour aurait donc dû, à mon avis, se prévaloir du pouvoir
discrétionnaire que lui confère l'article 65 de son Statut pour se
déclarer dans l'impossibilité de donner un avis sur les deux ques-
tions.

(Signé )ORI~IC.

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OPINION DISSIDENTE DE M. ZORICIC

Je suis entihrement d'accord sur l'avis de la Cour selon lequel
les questions visant le respect des droits de l'homme ne rentrent
aucunement dans le cadre des questions de la demande d'avis.
De même je suis d'accord pour dire que l'exception d'incompétence,
soulevée par plusieurs Etats, et reposant sur l'affirmation qu'il
s'agirait de questions cqncernant une matière qui appartiendrait
au domaine réservéde 1'Etat (articl2, paragraphe 7, de la.Charte),
est mal fondée et ne peut êtreretenue.

Ce qui, à mon regret, me sépare de la majorité de la Cour, est
uniquement une question de principe. A mon avis, la Cour aurait
dû constater qu'elle se trouve dans l'impossibilité de répondre aux

questions posées, pour les raisons suivantes :
Les questions posées à la Cour sont conyues dans les termes
suivants :
«1. Ressort-il de la correspondance diplomatique échangée entre
la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, d'une part, et certaines
Puissances alliées et associéessignataires des traités de paix,
d'autre part, touchant l'application de l'articl2 des traités avec
la Bulgarieet la Hongrieet del'artic3edu traitéavec la Roumanie,
qu'il existe des différends pourlesquels l'article6 du traité de
paix avec la Bulgarie, l'article 40 du traité de paixec la Hongrie
et l'article 35 du traité avec la Roumanie, prévoient une procédure
de règlement ?
II. Les Gouvernements de la Bulgarie, de la Hongrie et de la
Roumanie sont-ils tenus d'exécuter les clauses des articles men-
tionnés à la question 1, notamment cellesqui concernent la dési-
gnation de leurs représentants aux commissions prévuespar les
traités?))

La question 1 demande à la Cour de se prononcer en première
ligne sur l'existence d'un différend, ce qui est une simple question
de fait,et, ensuite, sur la question de savoir si ce différend doit être
considéré comme un différend tombant sous les dispositions des
articles 36, 38 et 40, respectivement, des traités de paix avec la
Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, ce qui est une question de
droit.
La question IIest entièrement une question de droit portant sur

l'existence de l'obligation internationale pour la Bulgarie, la Rou-
manie et la Hongrie, d'exécuter les articles 36, 38 et 40 des traités
de paix et notamment de désigner leurs représentants aux commis-
sions prévues dans ces articles.
37 DISSENTING OPINION BY JUDGE ZORICIC
[Translation]

1am in entire agreement with the Court's opipion that matters
concerning the observance of human rights certainly do not fa11
within the ambit of the Questions contained in the Request for
an Opinion. Similarly, 1 agree that the objection to the Court's
jurisdiction, raised by several States, and which is based on the
argument that the Questions put to the Court relate to a subject
falling exclusively within the domestic jurisdiction of the State

(Article 2, paragraph 7, of the Charter), is ill-founded and cannot
be upheld.
What prevents me, tomy regret, froni agreeing with the majority
of the Court is entirely a question of principle. In my view, the
Court should have declared that it was unable to answer the
Questions put to it, for the reasons which follow :
The Questions put to the Court are worded as follows :

"1. Do the diplomatic exchanges between Bulgaria, Hungary
and Romania on the one hand and certain Allied and Associated
Powers signatories to the Treaties of Peace on the other, concerning
the implementation of Article 2 of the Treaties with Bulgaria and
Hungary and Article 3 of the Treaty with Romania, disclose dis-
putes subject to the provisions for the settlement of disputes
contained in Article 36 of the Treaty of Peace with Bulgaria,
Article 40 of the Treaty of Peace with Hungarp, and Article 38
of the Treaty of Peace with Romania ?
II. Are the Governments of Bulgaria, Hungary and Romania
obligated to carry out the provisions of the articles referred to in
question 1, including the provisions for the appointment of their
representatives to the Treaty Commissions ?"

In Question 1,the Court is asked to give its opinion in the first
place as to the existence of a dispute, which is a simple issue of
fact, and, next, on the question whether that dispute is to be
regarded as a dispute subject to the provisions of Articles 36, 38
and 40, respectively, of the Treaties of Peace with Bulgaria,
Romania and Hungary ;that is a question of law.

Question II is entirely a question of law relating to the existence
of an international obligation for Bulgaria, Romania and Hungary
to execute Articles 36, 38 and 40 of the Peace Treaties and in
particular to appoint their representatives to the Commissions
provided for in those articles.

37 De la documentation soumise à la Cour, il ressort qu'une diver-
gence entre les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni, d'une
part, et la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, d'autre part,

concernant l'application des clauses des traités de paix relatives
aux droits de l'homme, a donné naissance à un nouveau litige, dont
l'objet, et leond propre, est la question de savoir non seulement s'il
existe ou non un différend, mais bien s'il y a un différendde telle
sorte que les clauses procédurales des traités de paix lui soient
applicables.
Un pareil développement selon lequel d'un premier différend
surgit un deuxième, un troisième, etc., ne présente rien de nouveau
dans la vie internationale. On ne saurait toutefois direque le premier
différend présente du point de vue juridique une plus grande
importance que ceux qui ont pris naissance après. Dans chacun
,des différendssubséquents, les États en litige peuvent prendre des
positions juridiques indépendamment du premier différend, la
solution de chacun d'eux a ses conséquencespropres, et les États
intéresséssont les seuls juges de l'importance qu'offre pour eux la
solution à donner au différend.

Il ne saurait être,mis en doute que la demande d'avis a trait à
un différendentre Etats. Or, c'est chose acquise qu'elle ne vise pas
le différend relatif au respect des droits de l'homme. Au contraire,
la question 1 demande à la Cour de se prononcer sur le nouveau
litige concernant l'applicabilité des clauses procédurales des traités
de paix. Ce nouveau litige a donc évidemment pour objet une ques-
tion indépendante du précédent différendconcernant le respect
des droits humains. Afin de pouvoir répondre à cette question, la
Cour doit procéder à l'interprétation des articles 36, 38 et 40 des
traités de paix. Que cette interprétation soit très simple et facile,
cela, du point de vue du principe, reste entièrement dépourvu de
pertinence. En tout état de cause, la réponse de la Cour concerne
nécessairement le point essentiel du litige actuel, et, qu'elle soit
positive ou négative, elle ne peut que trancher le fond mêmede ce
litige, c'est-à-dire résoudrela seule question qui constituele différend

relatifà l'applicabilité desarticles 36, 38 et 40 des traités de paix.
Aussi ce .litige se trouye définitivement résolu par l'avis, et les
rapports juridiques des Etats en litige sont, en ce qui concerne cette
question, décidéspar l'autorité de la Cour. En d'autres termes :la
question 1 a transféréà la Cour la décisionmêmedu litige entre les
parties, et la Cour, par son avis, s'est prononcéesur des obligations
internatipnales de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Roumanie sans
que ces Etats aient donnéleur consentement à la procédure devant
la Cour.

Or, une règlefondamentale du droit international veut qu'aucun
État ne soit obligéde soumettre ses différends avec d'autres Etats
àn'importe quel procédé,judiciaire ouautre, sans son consentement.

38 The documentation submitted to the Court shows that a diver-
gence of views between the United States of America and the
United Kingdom, on the one hand, and Hungary, Romania and

Bulgaria, on the other hand, concerning the application of the
Treaty provisions relating to human rights, gave rise to another
dispute, the subject of which, and its fundamental issue, is not
only whether a dispute does or does not exist, but whether a dispute
exists of such a nature that the procedural clauses of the Peace
Treaties are applicable to it.
Such a development, in which an original dispute gives rise to
a second, a third, and other disputes, is not a novel feature in
international affairs. It cannot, however, be maintained that, from
a legal point of view, the original dispute is of greater importance
than those to which it gives rise. In each of the subsequent disputes
the States which are in dispute may adopt legal positions indepen-
dently of their attitude in regard to the original dispute ; the
solution of each of them produces effects of its own, and the States
concerned are the only judges of the importance-to them-of
the solution reached.
It is beyond question that, in this case, the Request for an
Adviçory Opinion relates to a dispute between States, and it is
common ground that it is not concerned with the dispute about

the observance of human rights. On the contrary, Question 1 asks
the Court to give its opinion on a new dispute which concerns
the applicability of the procedural clauses of thg Peace Treaties.
The subject-matter of this new dispute is thus clearly something
independent of the former dispute relating to the observance of
human rights. In order to be in a position to answer this Question,
the Court must undertalte the interpretation of Articles 36, 38 and
40 of the Peace Treaties. The fact that such an interpretation may
be vergr simple and very easy has no relevance whatevei- from the
standpoint of the principle involved. In any case, the Court's reply
necessarily deals with the essential issue of the present dispute, and,
whether that reply be in the affirmative or in the negative, it cannot
avoid settling the merits of the dispute, or, in other words, deciding
the sole question now in dispute, namely the applicability of Art-
icles 36, 38 and 40 of the Peace Treaties. Accordingly, this dispute is
definitively settled by the Opinion and the legal relations between
the States in dispute are, so far as concerns that question, decided

by the authority of the Court. In other words : Question 1 has
transferred to the Court the actual decision of the dispute between
the parties, and the Court, byits Opinion, has pronounced upon the
international obligations of Bulgaria, Hungary and Romania,
although those Stateshad not given their consent to the proceedings
before the Court.
Now, it is a fundamental rule of international law that no State
can be compelled to submit its disputes with other States to any
procedure, judicial or othenvise, without its consent. That legal rule

38Cette règlede droit est fondéesur le principe de l'égalité souveraine
des États, principe qui est le corollaire de l'indépendanceet qui est
expressément reconnu par la Charte des Nations Unies (article 2,
paragraphe 1).
Les développements suivants ont pour but de démontrer que
cette règles'applique non seulement aux arrêtsde la Cour mais bien
aussi aux avis consultatifs.

Le Statut et le Règlement de la Cour démontrent que sa fonction
consultative se rattache à la fonction consultative de la Cour
permanente de Justice internationale (ci-après: C. P. J. 1.). Par
conséquent, et tenant compte du fait que les dispositions du Statut
et du Règlement de la Cour actuelle sont essentiellement les mêmes
que celles du Statut et du Règlement de l'ancienne Cour, il s'ensuit
que ces dispositions peuvent êtreappliquées à la lumière de l'expé-
rience et de la pratique de la C. P. J. 1.
Il suffit de remarquer brièvement que la C. P. J. 1. avait, au
commencement, considérélesÉtats intéressésà des avis consultatifs
comme de simples ((informateurs a, mais qu'elle s'est bientôt
aperçue que la position des États était essentiellement différente,
dans les cas où un avis consultatif avait trait à un litige existant
entre les États. On ne pouvait ne pas reconnaître que, dans ces cas,
les Etats en litige étaient de véritables parties devant la Cour
auxquelles on devait conférer une position analogue à celle des
parties dans une affaire contentieuse. Par conséquent,le Règlement
de la Cour fut adapté à ces besoins et,à l'occasion de la revision du
Statut: un nouvel article 68 y fut inséré, selon lequel les dispositions
du Statut qui s'appliquent en matière contentieuse devaient être

appliquées dans la mesure où la Cour les reconnaîtrait applicables.
L'article 68, qui a étéinsérétextuellement dans le Statut de la
Cour actuelle, est très important pour Ia solution de la question de
savoir quelle est la position des Etats dont un litige est porté devant
la Cour par la voie d'un avis consultatif. A cet égard, il faut remar-
quer que l'article 68 du Statut est impératif. La Cour a sans doute
le droit d'examiner si certaines dispositions régissant la matière
contentieuse sont applicables ou non dans un cas d'espèce; mais
l'applicabilité étant un critère objectif, si la Cour trouve qu'une
disposition est'applicable, elle est tenue de l'appliquer. Cela ressort
autant du texte même del'article 68 que des explications expresses
et très claires fournieà ce sujet àl'occasion de la revision du Statut
de la Cour, dans le rapport du Comitéde Juristes de la Société des
Nations (S.d. N. C/r66/M/66. 1929. V, p. II~), et dans la lettre
du Président de la Conférence des États signataires du Statut,
adresséeau Président de l'Assemblée(S.d. N. C/154/M/173.1929. V,

P.Dans ces conditions, il me parait hors de doute que la position

des États en litige soit, mêmeen matière consultative, celle des DISSENTIKG OPINION BY JUDGE ZORIEIC 100
is founded on the principle of the sovereign equality of States, a
principle which is the corollary of independence and which is expres-
sly recognized by the Charter of the United Nations (paragraph I
of Article 2).
The considerations which follow are designed to show that this

rule applies not only to the Court's Judgments but also to its
Advisory Opinions.
* * *

The Statute and the Rules of Court show that this Court's
advisory function is a continuance of the advisory function of the
Permanent Court of International Justice (hereinafter called the
P.C.I.J.). Consequently, and having regard to the fact that the
provisions of the Statute and the Rules of the present Court are
essentially the same as those of the Statute and Rules of the former
Court, it follows that these provisions may be applied in the light
of the experience and practice of the P.C.I. J.
It will suffice to explain briefly that the P.C.J. had, at the out-
set, considered the States interested in Advisory Opinions simply
as furnishing information, but it very soon perceived that the posi-
tion of the States was substantially different in cases where an

Advisory Opinion related to a dispute actually existing between
States. It was impossible not to admit that, in such cases, the States
in dispute were really parties before the Court and that they must
be given a position similar to that of parties in a contentious case.
Consequently, the Rules of Court were adapted to this need and,
when the Statute was revised, a new Article 68 was introduced
laying down that the provisions of the Statute relating to conten-
tious cases were to be applied to the extent to which the Court
recognized them as applicable.
Article 68, which was inserted bodily in the present Court's
Statute, is of great importance in determining the position of States
engaged in a dispute which is brought before the Court by way of
a Request for an Advisory Opinion. Inthat connexion, it should be
noted that Article 68 of the Statute has an imperative character.
It is true that the Court has power to examine whether or not
certain provisions goveming contentious cases are applicable in a
given case ; but applicability is an objective criterion, and if the

Court finds that a clause is applicable, its obliged to apply it. That
is made clear, not only by the actual words of Article 68, but also
by the very clear and express etplanations that were given on the
occasion of the revision of the Court's Statute in the report by the
Jurists' Committee of the League of Nations (LN. C/166/M/66.
1929. V, p. II~),and in the letter sent to the President of the Assem-
bly by the President of the Conference of States signatories of the
Statute (L.N. C/154/M/173. 1929. V, p. 79).
In view of these facts, it seems to me beyond doubt that the
position of States in dispute is, even in advisory matters, the same

39parties devant la Cour. Ils-ont indiscutablement le droit de présenter
des exposés,de fournir et de demander des preuves, de contester les
affirmations de la partie adverse, et mêmele droit de compter un
juge sur le siège (article 83 du Règlement de la Cour). Il s'ensuit
qu'une demande d'avis ne saurait êtreconsidérée commedonnant
lieu uniquement à une relation entre la Cour et l'organe interna-
tional qui lui a demandé l'avis, mais que, bien au contraire, à
côté decette relation d'autres relations peuvent se former, à savoir
des relations entre la Cour et les parties, d'une part, et entre les

parties, d'autre part. (Cf. Negulesco : (L'évolution dela procédure
des avis consultatifs de la C. P. J. 1.», Recueil des Cours, vol. 57.)

La position des États en litige étant, à mon avis, ainsi établie
comme étant celle des parties devant la Cour, il paraît utile d'exa-
miner les conséquencesqu'aurait, pour les États, un avis consultatif
ayant trait à une question juridique actuellement pendante entre
les Etats. (Article 82 du Règlement.)
Il est évident que l'avis consultatif est, par sa nature juridique,
différent d'un jugement. Dans les jugements, dont l'objet est

toujours une affairecontentieuse, la Cour décidetoutes les questions
du litige, le jugement est sans appel et devient resjztdicata,de sorte
que les droits et obligations des États se trouvent légalement et
définitivement établis.
Les avis consultatifs, d'autre part, sont émisà la demande d'un
organe international autorisé à cette fin, la Cour se prononce sur les
questions posées,mais l'avis n'a pas de force obligatoire.

Telle est bien la différenceentre jugement et avissi on lesconsidère
du point de vue formel et strictement juridique. Dans la vie réelle,
toutefois, les choses se présentent sous un aspect bien différent,
de sorte que l'on peut dire qu'en pratique un avis consultatif de la
Cour, concernant un litige entre États, n'est autre chose qu'un
jugement non exécutoire. Cela ressort en premier lieu du fait que,
dans un cas pareil, l'affaire se déroule normalement de la même

manière qu'une véritable affaire contentieuse. Les États parties au
litige présentent leurs exposésécritset oraux, le débat se poursuit
en séance publique, la Cour plénièredélibère,les juges nationaux
prenant part aux délibérationset aux votes de la Cour, et, enfin,
l'avis est émisen séance publique et imprimé dans les publications
de la Cour, tout comme un arrêt.
En deuxièmelieu,les avis de la Cour jouissent dela mêmeautorité
que ses arrêtset sont citéspar la doctrine, qui leur attribue une
importance égaleà celle de ses arrêts.La Cour elle-mêmese réfère
à ses avis précédents aussi bien qu'à ses arrêts.
En troisième lieu, l'avis consultatif ayant trait à un différend,
décide d'une manière légalement certaine l'existence ou la non-as that of parties before the Court. They have an indisput:rble right
to submit statements, to furnish and to demand evidence, to dispute
the allegations of the opposing party, and they are even entitled
to have a judge on the bench (Article S3 of the Rules of Court).
It follows that a request for an opinion cannot be regarded as giving
rise solely to a relation between the Court and the international
organ \srhich asks for the Opinion, but that, on the contrary, in

addition to that relation, other relations may be established first,
between the Court and the parties, and, again, between the parties
themselves. (Cf. Negulesco :"L'évolution de la procédure des avis
consultatifs de la C. P. J. I.", Reczteildes Cours, Vol. 57.)

The position of States in dispute being thus established, in my
view, as that of parties before the Court, it is desirable to examine
the effects which an advisory opinion relating to a legal question
actually pending between States (Article 52 of the Rules of Court)
may produce upon the said States.
Itis clear that an advisory opinion is, in its legal nature, different
from a judgment. In a judgment, which is always the result of a

contentious case, the Court decides all the issues in dispute, the
judgment is unappealable and becomes res judicata, so that the
rights and obligations of the States are legally and definitively
established.
Advisory opinions, on the other hand, are given at the request of
an international organ authorized to ask for them ;the Court gives
its answer to the questions put to it, but the opinion possesses no
binding force.
This is certainly the difference between a judgment and an
advisory opinion, regarded from a forma1and strictly legal point of
view. In actual life, however, the matter often assumes a very dif-
ferent aspect and it may be said that ,in practice, an advisory opinion
given by the Court in regard to a dispute between States is nothing
else than an unenforceable judgment. The first reason is that, in
such a case, the procedure normally follows the same course as in
an actual contentious case. The States parties to the dispute submit
written and oral statements, the case is argued in open Court, the
full Court deliberates, the national judges take part in the delibera-
tions of the Court and in the voting and, finally, the opinion is read

out at a public sitting and printed in the Court's publications
exactly in the same way as a judgment.
Secondly, the Court's advisory opinions enjoy the same authority
as its judgments, and are cited by jurists who attribute the same
importance to them as to judgments. The Court itself refers to its
previous advisory opinions in the same way as to its judgments.
Thirdly, an advisory opinion which is concerned with a dispute
between States from a legal point of view amounts to a definitiveexistence du rapport juridique qui fut l'objet du litige. Il s'ensuit
que l'avis ne peut manquer d'exercer une influence très importante
sur les positions juridiques respectives des Etats, et cela d'autant

plus que l'avis peut servir comme moyen de pression psychologique
sur les gouvernements des États intéressés.

C'est bien pour ces raisons que les États se sont toujours opposés
à ce que leurs affaires, leurs litiges, les positions prises par eux et
les intérêtsqui s'y attachent, soient discutés et tranchés par une
cour de justice sansleurconsentement. Il suffitce sujetde rappeler
la cinquième réserve des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, faite
à l'occasion de l'adhésion des Etats-Unis au protocole de signature
du Statut de la C.P. J. I., ainsi conçue :

((...De plus, la Cour ne pourra pas, sans le consentement des
États-Unis, donner suite à aucune demande d'avis consultatif au
sujet d'un différendou d'une question à laquelle les Etats-Unis
sont ou déclarent êtreintéressés. ))(S. d. N.-C/166/M/66. 1929. V,
P. 97.)
Cette réserve des États-~nis était en accord avec un précédent
de plus grande importance, à savoir avec la réponse donnée par la
C. P. J. 1. dans l'affaire de la Carélie orientale. II convient de

rappeler brièvement cette réponse, vu que les règles de droit y
énoncéesprésentent un intérêtspécial,pour l'affaire actuelle.

Ayant étésaisie d'une demande d'avis sur un différend entre la
Finlande etla Russie concernant l'interprétation de certains textes,
et se trouvant en face d'un refus de la Russie de consentir à la
procédure, la C. P. J. 1. a constaté qu'il est :

...bien établi en droit international qu'aucun État, ne saurait
êtreobligéde soumettre ses différendsavec un autre Etat, soit à
la médiation,soità l'arbitrage, soit, enfià,n'importe quel procédé
de solution pacifique, sans son consentement ».
Après avoir ensuite mentionné les hypothèses sous lesquelles le
consentement peut se vérifier, la C. P. J. 1.a conclu :

Or, le consentement de la Russie n'a jamais étédonné; par
contre, elle a nettement et à maintes reprises déclaré qu'elle n'ac-
cepte. aucune intervention de la Société desNations dans son
différendavec la Finlande ....Les refus que la Russie avait déjà
opposésaux démarchessuggérées par le Conseilont étérenouvelés
lorsque la requête d'avis luia éténotifiée.Par conséqwnt,la Cour
se voit dans l'impossibilitéd'exprimer un avis sur un différend de
cet ordre1) (SérieB, no 5, p. 28.)

Dans la dernière proposition, soulignéepar moi, il ressort claire-
ment que la seule règle de droit international susmentionnéedecision upon the existence or non-existence of the legal relations,
which is the subject of the dispute. It follows that the opinion can-

not fail to exercise very great influence on the respective legal posi-
tions of the States, all the more so because the opinion may be used
as a means of psychological pressure upon the governments of the
States concerned.
It is for these very reasons that States have always objected to
their cases, their disputes, the positions they have adopted and the
interests thereby involved being discussed and decided by a court
of justice without their consent. It will suffice in this connexion to
refer to the fifth reservation of the United States of America in
regard to the accession of the United States to the Protocol of
Signature of the Statute of the P.C.I. J. It was worded as follows :

O....Nor shall it [the Court] without the consent of the United
States entertain any request for an advisory opinion touching any
dispute or question in which the United States has or claims an
interest." (L.N. C/166/M/66. 1929. V, p. 97.)

That reservation by the Uriited States was in accord with a
precedent of the highest importance, namely the reply given by the

P.C.1.J in the Eastern Carelia case. It seems worth while to refer
briefly to that reply as the legal rules which it lays down are of
special interest in the present case.

Having received a Request for an Opinion on a dispute between
Finland and Russia concerning the interpretation of certain clauses,
and being confronted by a refusa1 on the part of Russia to consent
to the proceedings, the P.C.I. J. declared that it is :

"....well established in international law that no State can,
without its consent, be compelled to submit its disputes with other
States either to mediation or to arbitration or any other kind of
pacific settlement".
After going on to mention the possible circumstances in which
consent may be given, the P.C.I.J. concluded :

"Such consent, however, has never been given by Russia. On
the contrary, Russia has, on several occasions, declared that it
accepts no intervention by the League of Nations in the dispute
with Finland. The refusals which Russia had already opposed to
the steps suggested by the Council have been renewed upon the
receipt by it of the notification of the request for an advisory
opinion. The Court therefore finds it impossible to give its opinion
on a dispute of this kind." (SeriesB, No. 5, p.28.)

From the last statement, which 1 have underlined, it is clearly
apparent that the above-mentioned rule of international 'law
41 suffisaità la C. P. J. 1. pour lui permettre de se déclarer dans
l'impossibilité de donner une réponse. Il est vrai que la Cour a
donné :((encore d'autres raisons »,mais ces raisons ne sont que des
raisons supplémentaires, mentionnées pour renforcer par des obser-
vations d'ordre pratique la décisiondéjà bien fondée sur la règle

de droit décisive dans l'affaire.
Le précédent dela Carélieorientale fournit donc, d'après moi, la
preuve convaincante que le consentement des Etats est nécessaire
non seulement quand il s'agit des afiaires contentieuses, mais bien
aussi dans les affairesconsultatives, si la demande d'avis porte sur
un litige entre Etats, de sorte que la réponsede la Cour trancherait
la question qui forme l'objet du litige.
Il paraît aussi nécessairede souligner le fait que la C. P. J. 1. a
rendu sa décisiondans l'affaire de la Carélieorientale, bien qu'à ce
temps-là elle ne fût obligéepar aucune règled'appliquer les dispo-
sitions du Statut qui régissent les affaires contentieuses. Au

contraire, c'est bien à cause de cette décision. reconnue comme
bien fondée, que l'article 68 du Statut a été introduit plus tard :
((fixant ainsi de nianière à la mettre à l'abri de tolite velléité
de n~odification venant de la Cour elle-mênie, la doctrine dont
s'inspirait sa réponse dans l'affaire de la Carélie orientale ».
(Hammarskjold : Juridiction internationale, <in memoriam D,Leyde,
1938, p. 285.)
L'affaire actuelle présente une analogie frappante avec l'affaire
de la Carélie orientale. Preniièrement : dans l'affaire actuelle,
l'objet de la deniande d'avis porte aussi sur l'interprétation d'un
traité et sur l'existence de certaines obligations internationales

découlant de ce traité, de sorte que la réponsede la Cour équivaut
en substance à la solution du différend actuel entre les parties ;
deuxièmement : dans les deux affaires, l'une de;. parties au litige
s'est refuséeà prendre part aux discussions au sein de l'organisation
internationale, laquelle, ensuite, demande l'avis ; troisièniement :
dans les deux cas,une des parties n'est pas menibre del'Organisation
internationale, et. finalement, une des parties en litige conteste le
droit de la Cour de se prononcer dans l'affaire $an5 son consente-
ment.
Il va de soi que cette analogie n'a pu échapper à l'attention des
parties qui se sont présentéesdevant la Cour, et elles ont insisté
pour affirmer que la doctrine de ce précédentneserait pas applicable

dans l'affaire présente parce que, d'une part, le différend actuel
porterait seulement sur des dispositions des traités de pais
concernant une certaine procédure, et non pas sur les différends
relatifs aux droits de l'homme, ayant donné naissance à la première
divergence d'opinion. D'autre part, a-t-on dit, la Cour n'est pas
obligéede se tenir aux précédents.
Je ne saurais me rallier à ces opinions.
Du point de vue du droit, tout différend entre États doit être
traité comme tel, sans égard à la plus ou moins grande importancesufficed, by itself, to enable the P.C.I.J. to say that it found it

impossible to give an answer. It is true that the Court gave "other
cogent reasons", Dut these are only supplenientary reasons which
are mentioned in order to strengthen, by consideratio~lsof practical
expediency, a decision which waç already well-founded on the
legal mle that \vas decisive in the case.
The precedent of Eastern Carelia constitutes, in my view, a con-
vincing proof that the consent of the States is necessary, not only
in regard to contentious cases, but also in advisory cases where
the request for the opinion relates to a dispute between States,
so that the answer of the Court would decide the issue that is the
subject of the dispute.
It is also necessary to emphasize the fact that the P.C.I.J. gave
that decision in the Eastern Carelia case, in spite of the fact that,
at that time, there was no rule in existence compelling it to apply

the provisions of the Statute applicable to contentious cases.
On the contrary, it was actually as a result of that decision, which
was generally admitted to be sound, that Article 68 of the Statute
was subseqüentlj~ introduced :"thus establishing in such a way
as to protect against any disposition to change it, even on the
part of the Court, the doctrine which inspired its reply in the
Eastern Carelia case". (Hammarskjold : Juridiction internationale,
" zn memoriam", I.eyden, 1938, p. 285.)
The present case offers a striking analogy to the Eastern Carelia
case. To begin with, in the present case, the subject-matter of
the Advjsory Opinion is also the interpretation of a treaty and
the existence of certain international obligations arising under
that treaty, so that the Court's answer is substantially equivalent
to deciding the dispute between the parties which is now before
the Court ;secondly, in both cases, one of the parties to the dispute

refiised to take part in the debates in the international organization
which subsequently requested the Opinion. Thirdly, in both cases.
one of the parties is not a member of the international Organization
and, finally, one of the parties to the dispute contests the right
of the Court to give an Opinion in the case without its consent.

Very naturally, this analogy did not escape the notice of the
parties who appeared before the Court, and they were at special
pains to show that the theory based on that precedent \vas not
applicable to the present case because, in the first place, the present
dispute merely related to the clauses of the Peace Treaties con-
cerning certain procedure and not to the disputes about human
rights which gave rise to the first difference of opinion ; and,
secondly-as they contended-because the Court is not obliged

to adhere to precedents.
I am unable to agree with these views.
From a legal standpoint, any dispute between States must be
treated as such, without regard to the degree of practical importâncepratique de la solution du différend, que, d'ailleurs, seuls ces États
peuvent apprécier. Les Etats ont le droit de maintenir la position
juridique, bonne ou mauvaise, prise par eux, et il serait, sansdoute,
bien difficile d'établir une ligne de démarcation entre les différends
importants et les autres. Dès qu'il existe un différend et quel que
soit son objet, les Etats sont en droit d'exiger qu'il ne soit souniis
à aucun mode de règlenient sans leur consentement.

D'autre part, il est parfaitement vrai qu'aucune Cour interna-

tionale n'est liéepar des précédents.Mais ce dontla Cour est obligée
de tenir compte, ce sont les principes du droit international. Si un
précédent est solidement fondé sur un pareil principe, la Cour ne
saurait trancher un cas analoeUe dans un sens contraire aussi
longtemps que le principe retient sa valeur.
Or, le principe de l'égalitésouveraine des États, et la règle de
droit qui en découle et qui a étéappliquée dans l'affaire de la
Caré'ieorientale, n'ont rien perdu de leurvaleur. La grande majorité
des Etats s'est constamment déclaréecontre toute sorte de juridic-
tion obligatoire. La Cour ne devrait donc pas, selon moi, admettre
que des litiges entre États lui soient soumis d'une manièredétournée

par la voie d'avis. A ce sujet, les motifs et les besoins de l'organe
qui a demandé l'avis n'entrent pas en ligne de compte, car, comme
l'a dit la C.P. J. 1. dans l'affaire précitée:

(La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départirdes
règles essentielles qui dirigent ses activités de tribunal, même
lorsqu'elle donne des avis consultatifs.))

La Cour aurait donc dû, à mon avis, se prévaloir du pouvoir
discrétionnaire que lui confère l'article 65 de son Statut pour se
déclarer dans l'impossibilité de donner un avis sur les deux ques-
tions.

(Signé )ORI~IC.which the solution of the dispute may present-that being, more-
over, a matter of which those States are the best judges. The States
are entitled to maintain the legal positions-whether good or bad-
which they have adopted, and it would evidently be very difficult
to draw a line of demarcation between important disputes and other
disputes. Once a dispute occurs, no matter what its subject, the

States are entitled to insist that it should not be subjected to any
procedure for settlement without their consent.
On the other hand, it is quite true that no international court is
bound by precedents. But there is something which this Court is
bound to take into account, namely the principles of international
law. Ifa precedent is firmly based on such a principle, the Court
cannot decide an analogous case in a contrary sense, so long as the
principle retains its value.
But the principle of the sovereign equality of States, and the rule
of law which follows from it and which was applied in the case of
Eastern Carelia, have lost nothing of their value. Thegreat majority
of States have consistently opposed any kind of obligatory jurisdic-
tion. The Court should not therefore, in my opinion, allow disputes
between States to be submitted to it in an indirect fashion by way
of requests for an advisory opinion. In regard to that point, the
reasons and the needs of the organ which requested the Opinion
cannot be brought into account, for, as the P.C.I.J. stated in the
above-quoted case :

"The Court, being a Court of Justice, cannot, even in giving
advisory opinions, depart from the essential rules guiding its
activity as a court."
The Court sbould therefore, in my opinion, avail itself of the
discretionary power conferred on it by Article 65 of its Statute and
state that it finds it impossible to give an Opinion on the two Ques-
tions.

(Signed) ZORICIC.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Zoricic

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