Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Cot

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151-20110718-ORD-01-08-EN
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151-20110718-ORD-01-00-EN
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627

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC COT

I. Remarques préliminaiffres

1. Je regrette de ne pouvoir m’associer à la décision adoptée pffar la
majorité de la Cour au stade de la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par le Cambodge dans l’affaire du tempffle de
Préah Vihéar (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’af ‑

faire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c.
Thaïlande)). Je salue les efforts de la Cour pour rendre une décision équi -
librée, qui ne préjuge pas l’instance au principal. Mais j’affi quelques dive- r
gences sur certains des motifs avancés par la Cour et je crois que laff
principale mesure conservatoire indiquée n’est pas appropriée.

2. L’indication de mesures conservatoires est toujours une mesure
exceptionnelle, puisque la Cour limite le libre exercice des droits des ff
parties avant d’avoir statué sur sa propre compétence, c’estff-à-dire
avant de s’assurer du consentement des parties à l’instance. Ce pou -

voir doit être exercé à bon escient et avec réserve, compte tenu des
circonstances.
3. Cette observation générale s’impose d’autant plus lorsque laff Cour
est saisie d’une requête en indication de mesures conservatoires à l’occa -
sion d’une demande en interprétation au titre de l’article 60 du Statut. La
Cour n’a exercé ce pouvoir qu’une fois, à l’occasion de lffa demande en

interprétation dans l’affaire Avena (Demande en interprétation de l’arrêt
du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats‑Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008,
p. 311). Mais les circonstances étaient très différentes. Il y alfflait de la vie

d’hommes condamnés à mort et voués à l’exécution. Lffes mesures conser -
vatoires alors décidées par la Cour visaient à empêcher que ffl’arrêt
concerné par la demande d’interprétation ne soit vidé de toufft contenu du
fait du désaccord entre les Parties sur son interprétation. Dans lffa présente
espèce, il s’agit d’un recours en interprétation d’un arrffêt rendu il y a un

demi-siècle et dont l’application n’a pas posé de problème pendant une
bonne quarantaine d’années. La base de compétence initiale de la Cour a
disparu depuis longtemps. Certes, la demande en interprétation n’effst sou -
mise à aucun délai. Mais, limitant l’exercice de la souverainetffé territoriale
de manière significative, les mesures conservatoires ne doivent êtffre indi -
quées en pareille hypothèse qu’après une stricte vérificafftion de la base de

compétence de la Cour et des conditions préalables à la mise enff œuvre de
l’article 60 du Statut.

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6 CIJ1023.indb 184 18/06/13 10:38 628 demande en interprétffation (op. diss. cot)

II. L’objet de la demandeff

4. La demande soumise dans l’instance principale par le Cambodge se
présente comme une demande en interprétation de l’arrêt du 1ff5 juin 1962.
La Thaïlande conteste cette qualification. Elle considère que l’ffobjet véri -
table de la demande cambodgienne porte alternativement sur l’exécufftion
de l’arrêt ou sur sa revision.

5. Pour la Thaïlande, dans la mesure où le Cambodge demande le retrait
des personnels civils et militaires thaïlandais de la zone contestée, il s’agit
d’un recours relatif à l’exécution de l’arrêt, exécffution qui n’a posé aucun
problème pendant de longues années. La Cour n’a pas compétenffce, on le
sait, pour assurer le «suivi» de ses arrêts. C’est au Conseil de sécurité d’in -

tervenir le cas échéant sur la base de l’article 94, paragraphe 2, de la Charte.
6. quant à la partie de la demande relative au statut de la frontière,ff il
s’agirait d’un recours en revision de l’arrêt de 1962, qui aurait dû être
fondé sur l’article 61 du Statut et non sur l’article 60. La demande contre -
dit en effet le prononcé clair de la Cour en 1962, qui rejetait les deux

premières conclusions de l’époque.
7. Lors de ses conclusions finales, lues à l’audience du 20 mars 1962, le
Cambodge déclare :

«Plaise à la Cour [de]
1. Dire et juger que la carte du secteur des Dangrek (annexe I au
mémoire du Cambodge) a été dressée et publiée au nom et ffpour le

compte de la Commission mixte de délimitation, créée par le traffité
du 13 février 1904, qu’elle énonce les décisions prises par ladite Com -
mission et qu’elle présente tant de ce fait que des accords et compor -
tements ultérieurs des Parties un caractère conventionnel ;

2. Dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la
Thaïlande, dans la région contestée voisine du temple de Préffah
Vihéar, est celle qui est marquée sur la carte de la Commission deff
délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe I au mémoire du
Cambodge)… » (Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande),

fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11.)
8. La Cour répond très précisément à ces conclusions, en deuffx temps.

Au début de son arrêt de 1962, la Cour note :
«L’objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contes-

tation relative à la souveraineté dans la région du temple de Pffréah
Vihéar. Pour trancher cette question de souveraineté territoriale,ff la
Cour devra faire état de la frontière entre les deux Etats dans ceff sec -
teur. Des cartes lui ont été soumises et diverses considérationffs ont été
invoquées à ce sujet. La Cour ne fera état des unes et des autrffes que
dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décision qu’ffelle doit

rendre pour trancher le seul différend qui lui est soumis et dont l’ffob -
jet vient d’être ci-dessus énoncé. » (Ibid., p. 14.)

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6 CIJ1023.indb 186 18/06/13 10:38 629 demande en interprétffation (op. diss. cot)

9. Puis elle ajoute, dans les paragraphes précédant le dispositif proffpre-
ment dit :

«Se référant finalement aux conclusions présentées à la fiffn de la
procédure orale, la Cour, pour les raisons indiquées au début dffu

présent arrêt, constate que les première et deuxième conclusffions du
Cambodge priant la Cour de se prononcer sur le statut juridique de
la carte de l’annexe I et sur la ligne frontière dans la région contestée
ne peuvent être retenues que dans la mesure où elles énoncent dffes
motifs et non des demandes à retenir dans le dispositif de l’arrêfft. »

(C.I.J. Recueil 1962, p. 36.)
10. Dans la mesure où le Cambodge demanderait par ses conclusions à

la Cour de revenir sur ladite décision et de « [d]ire et juger que la ligne
frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans la région contestée voi -
sine du temple de Préah Vihéar, est celle qui est marquée sur la carte de la
Commission de délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe I au
mémoire du Cambodge) » (ibid., p. 11), sa requête ne relèverait pas de

l’interprétation de l’arrêt (article 60 du Statut), mais de la revision dudit
arrêt (article 61 du Statut).

11. Les deux arguments relatifs à la nature de la demande posent
implicitement la question du détournement de procédure. N’est-on pas en

présence, cinquante années après le prononcé de l’arrêfft de 1962, d’une
tentative pour introduire des demandes de caractère nouveau en les grffef-
fant sur un prétendu contentieux de l’interprétation de l’arffrêt, afin d’assu-
rer une base de compétence qui ferait défaut sinon ? Il serait souhaitable
que la Cour reprenne la question lors de l’instance principale, afin ffde ne

pas encourager ce type d’action qui remet en cause le principe fondamffen-
tal du consentement des Parties à l’instance.
12. Je reconnais que la requête du Cambodge est ambiguë sur ces ques-
tions et devra être clarifiée lors de l’instance principale. Jeff regrette cepen-
dant que la Cour n’ait pas cru nécessaire de répondre à ces ffarguments qui

fondent la demande de la Thaïlande de radiation du rôle in limine litis et
se soit contentée, au fil de sa démonstration, d’apporter quelqffues éléments
partiels de réponse.

III. Contestation sur le sffens et la portée de l’affrrêt de 1962

13. La Cour considère au paragraphe 22 de l’ordonnance

«qu’une contestation au sens de l’article 60 du Statut doit être com -
prise comme une divergence d’opinions ou de vues entre les parties
quant au sens et à la portée d’un arrêt rendu par la Cour ; et que
l’existence d’une telle contestation n’exige pas que soient remffplis les

mêmes critères que ceux qui déterminent l’existence d’un ffdifférend
visé au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ».

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6 CIJ1023.indb 188 18/06/13 10:38 630 demande en interprétffation (op. diss. cot)

14. La distinction entre contestation et différend, qui n’apparaît ffpas
dans le texte anglais — le terme de « dispute» est utilisé dans les deux

cas —, aurait mérité quelques mots d’explication. Les deux conceffpts
n’impliquent pas les mêmes exigences en termes de procédure. Unff Etat
qui introduit un recours en interprétation au titre de l’article 60 du Statut
n’a pas à épuiser les recours diplomatiques préalables. Mais la formula -
tion utilisée dans le paragraphe 22 me gêne dans la mesure où elle semble

impliquer un seuil d’exigence inférieur quant au contenu même dffe la
notion de contestation, par opposition à celle de différend.

15. Certes, il s’agit d’une appréciation prima facie en l’espèce. La Cour

n’a pas à établir de manière définitive l’existence duff différend. Mais il
reste au moins deux points communs aux notions de contestation et de
différend. En premier lieu, il appartient à la Cour de déterminffer l’exis -
tence d’une contestation. La Cour l’a rappelé dans l’affaireff Avena préci -
tée: « C’est à la Cour elle-même qu’il appartient de déterminer s’il existe

effectivement une contestation. » (Demande en interprétation de l’arrêt du
31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats‑Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 13, par. 29.) Il ne suffit pas qu’une partie
invoque une contestation pour que celle-ci soit établie. En second lieu, il

doit s’agir d’un « litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques
entre les parties » (Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume‑Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 34).

16. Or la Cour considère en son paragraphe 31 que
«cette divergence d’opinions ou de vues paraît porter, ensuite, surff la

nature de l’obligation imposée à la Thaïlande, dans le deuxiffème
paragraphe du dispositif de l’arrêt, de « retirer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens », et notam -
ment sur le point de savoir si cette obligation est de caractère contffinu
ou instantané ».

17. Pour ma part, je ne vois pas en quoi l’obligation prétendue alléffguée
par le Cambodge se distingue de l’obligation générale de droit ffinternatio -

nal de respecter la souveraineté territoriale et de s’abstenir d’ffoccuper par
des éléments armés ou de l’administration civile le territoiffre relevant de la
souveraineté d’un Etat voisin. Le Cambodge en convient lui-même. Dans
sa requête, il déclare :

«L’obligation pour la Thaïlande de « retirer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a ff
installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoireff cam -

bodgien» (point 2 du dispositif) est une conséquence particulière de
l’obligation générale et continue de respecter l’intégrité du territoire

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6 CIJ1023.indb 190 18/06/13 10:38 631 demande en interprétffation (op. diss. cot)

du Cambodge, territoire délimité dans la région du Temple et seffs
environs par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la
Cour est basé. » (Requête introductive d’instance, p. 36, par. 45.)

18. Les deux Parties s’accordent sur ce principe et s’engagent à le res -
pecter. que l’obligation énoncée en 1962 soit ponctuelle ou permanente
ne change rien à l’affaire. La contestation relative à l’intfferprétation de

l’arrêt de 1962 porte sur la zone géographique relevant respectivement de
la souveraineté thaïlandaise et de la souveraineté cambodgienneff, mais
non sur les conséquences qui en découlent quant à l’exerciceff de la souve -
raineté sur le territoire ainsi défini. Je ne trouve pas d’oppoffsition sur un
point de fait ou de droit qui pourrait constituer une contestation au seffns

de l’article 60 du Statut. Pour reprendre les termes du juge Anzilotti,
cela me paraît exclure « l’existence de toute contestation rentrant dans le
cadre de l’article 60 du Statut, tel qu’il a été interprété ci-dessus, et, en
réalité, réduit la divergence entre les deux gouvernements àff une question
os
do mots » (Interprétation des arrots n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt
n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13 ; opinion dissidente du juge Anzilotti,
p. 24-25).
19. Toutefois, je constate avec la Cour qu’il existe une divergence de

vues entre les Parties sur le sens et la portée de l’expression «ff environs
situés en territoire cambodgien », utilisée au deuxième paragraphe du dis -
positif de l’arrêt de 1962, « et qu’une base suffisante existe pour que la
Cour puisse indiquer les mesures conservatoires sollicitées par le Caffm -
bodge, si les conditions requises à cet effet sont remplies » (paragraphe 32

de l’ordonnance).

IV. Mesures conservatoirffes indiquées

20. Mon désaccord principal avec l’ordonnance porte sur le dispositif,ff
et plus précisément sur la principale mesure indiquée, celle quffi crée une
zone démilitarisée provisoire, dont elle fournit les coordonnéeffs au para -

graphe 62 de l’ordonnance, illustrée par le croquis annexé (p. 553).

21. Les Parties ont présenté à la Cour un matériel cartographiquffe très
limité. La seule carte un peu précise à la disposition de la Cour est celle de
l’annexe I, établie en 1907. Malgré ses qualités, cette carte ne constitue

pas une référence techniquement fiable et n’indique pas les déffveloppe -
ments ultérieurs à son établissement, notamment les voies d’ffaccès au
temple. Il manque au dossier une élémentaire carte récente d’ffétat-major
avec la position exacte des lieux cités par les Parties, etc. De surcffroît, les

Parties n’ont fourni aucune indication quant à la nature et aux poffsitions
des forces militaires en présence.
22. En l’état actuel des informations à notre disposition, il est iffmpru -
dent pour la Cour de définir une zone démilitarisée provisoire ffavec les

éléments de renseignement dont elle dispose. Une «stratégie de chambre»,

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6 CIJ1023.indb 192 18/06/13 10:38 632 demande en interprétffation (op. diss. cot)

ne reposant pas sur des données précises, risque de conduire à ffl’indication
de mesures conservatoires inapplicables sur le terrain.

23. La Cour a rejeté la formulation de la demande cambodgienne en
considérant celle-ci comme par trop unilatérale. Elle trace une zone démi -
litarisée provisoire qui comprend le territoire contesté et s’étend en même
temps sur des portions de territoire relevant incontestablement de la sou -
veraineté du Cambodge et de la Thaïlande, respectivement. Mais, poffur

être équilibrée, la décision de la Cour ne me paraît pas ffappropriée. Si,
comme je le crains, les Parties constataient sur le terrain que la mesurffe est
inapplicable, la situation se détériorerait au lieu de s’apaiseffr. Une telle
indication de mesures conservatoires, loin de préserver les droits deff cha -
cun, compliquerait l’instance au principal, qui serait consacrée pffour
bonne part aux accusations mutuelles de non-respect des mesures indi -

quées. Elle risquerait de compromettre l’acceptation par les Partiffes de la
décision de la Cour dans l’instance principale portant sur la défffinition du
périmètre du « voisinage» relevant de la souveraineté du Cambodge.
24. Pour ma part, j’aurais souhaité que la Cour s’inspire de l’offrdon -
nance rendue par la Chambre en 1986 dans l’affaire du Différend fronta ‑

lier (Burkina faso/République du Mali). La Chambre avait alors noté :

«Considérant que les mesures dont la Chambre envisage l’indica -
tion, en vue d’éliminer le risque de toute action future tendant àff
aggraver ou à étendre le différend, devraient nécessairementff inclure
le retrait des troupes des deux Parties sur des positions telles qu’iffl ne
se produise plus d’incident fâcheux ; mais que le choix de telles posi -

tions requerrait une connaissance du cadre géographique et straté -
gique du conflit que la Chambre ne possède pas, et dont en toute
probabilité elle ne pourrait disposer sans procéder à une experfftise.»
(Différend frontalier (Burkina faso/République du Mali), ordonnance
du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 10-11, par. 27.)

25. Ceci n’est pas à dire que la Cour doit s’abstenir d’indiquerff des
mesures conservatoires. Le Conseil de sécurité, saisi des incidentffs armés,

a estimé par la déclaration de son président en date du 14 février 2011 que
le litige relevait d’un traitement régional. Il a appelé les deffux Parties à
conclure un cessez-le-feu et a exprimé son soutien à l’action entreprise par
l’ANASE et la présidence indonésienne de l’organisation réffgionale afin de
ramener la paix dans le secteur des Dangrek. La Cour appuie cet effort et

demande aux Parties d’y collaborer activement et sans délai.
26. En l’espèce, les deux Parties ont demandé à la présidenceff indoné -
sienne de l’ANASE de déployer des observateurs indonésiens des ffdeux
côtés de la frontière concernée, afin d’observer le respeffct par les Parties de
leur engagement d’éviter de nouveaux incidents armés. La réuffnion infor -
melle des ministres des affaires étrangères de l’ANASE du 22 février 2011

a salué cet engagement des Parties et a donné mandat à la préffsidence
indonésienne pour mettre en application la décision.

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6 CIJ1023.indb 194 18/06/13 10:38 633 demande en interprétffation (op. diss. cot)

27. Mais les Parties tardent à convenir des conditions pratiques de
mise en œuvre du dispositif et notamment du positionnement des obser -
vateurs. La Cour enjoint aux Parties de cesser immédiatement tout actffe
d’hostilité dans la zone du temple et de convenir, sans délai, ffde la mise en

place des observateurs proposés par la présidence indonésienne.ff Cette
mesure concrète, de nature à apaiser la tension et à écarterff le danger d’un
dommage irréparable aux personnes et aux biens, résulte du disposifftif. J’y
souscris pleinement.

(Signé) Jean-Pierre Cot.

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6 CIJ1023.indb 196 18/06/13 10:38

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC COT

I. Remarques préliminaiffres

1. Je regrette de ne pouvoir m’associer à la décision adoptée pffar la
majorité de la Cour au stade de la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par le Cambodge dans l’affaire du tempffle de
Préah Vihéar (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’af ‑

faire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c.
Thaïlande)). Je salue les efforts de la Cour pour rendre une décision équi -
librée, qui ne préjuge pas l’instance au principal. Mais j’affi quelques dive- r
gences sur certains des motifs avancés par la Cour et je crois que laff
principale mesure conservatoire indiquée n’est pas appropriée.

2. L’indication de mesures conservatoires est toujours une mesure
exceptionnelle, puisque la Cour limite le libre exercice des droits des ff
parties avant d’avoir statué sur sa propre compétence, c’estff-à-dire
avant de s’assurer du consentement des parties à l’instance. Ce pou -

voir doit être exercé à bon escient et avec réserve, compte tenu des
circonstances.
3. Cette observation générale s’impose d’autant plus lorsque laff Cour
est saisie d’une requête en indication de mesures conservatoires à l’occa -
sion d’une demande en interprétation au titre de l’article 60 du Statut. La
Cour n’a exercé ce pouvoir qu’une fois, à l’occasion de lffa demande en

interprétation dans l’affaire Avena (Demande en interprétation de l’arrêt
du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats‑Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008,
p. 311). Mais les circonstances étaient très différentes. Il y alfflait de la vie

d’hommes condamnés à mort et voués à l’exécution. Lffes mesures conser -
vatoires alors décidées par la Cour visaient à empêcher que ffl’arrêt
concerné par la demande d’interprétation ne soit vidé de toufft contenu du
fait du désaccord entre les Parties sur son interprétation. Dans lffa présente
espèce, il s’agit d’un recours en interprétation d’un arrffêt rendu il y a un

demi-siècle et dont l’application n’a pas posé de problème pendant une
bonne quarantaine d’années. La base de compétence initiale de la Cour a
disparu depuis longtemps. Certes, la demande en interprétation n’effst sou -
mise à aucun délai. Mais, limitant l’exercice de la souverainetffé territoriale
de manière significative, les mesures conservatoires ne doivent êtffre indi -
quées en pareille hypothèse qu’après une stricte vérificafftion de la base de

compétence de la Cour et des conditions préalables à la mise enff œuvre de
l’article 60 du Statut.

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6 CIJ1023.indb 184 18/06/13 10:38 627

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC COT

[Translation]

I. Preliminary Observatiffons

1. I regret that I am unable to concur in the decision adopted by the
majority of the Court on the request for the indication of provisional mffea -
sures submitted by Cambodia in the case concerning the Temple of Preah
Vihear (Request for Interpretation of the Judgment of 15 June 1962 in the

Case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand)
(Cambodia v. Thailand)). I applaud the efforts of the Court to give a bal -
anced decision which does not prejudge the principal proceedings. How -
ever, I differ on some aspects of the reasoning put forward by the Court
and believe that the principal provisional measure indicated is not appro -

priate.
2. The indication of provisional measures is always an exceptional
measure, since the Court limits the free exercise of the parties’ rigffhts
before ruling on its own jurisdiction, that is, before satisfying itselfff that it
has the consent of the parties to the proceedings. This power must be

exercised wisely and with discretion under the circumstances.
3. This general observation is all the more pertinent when the Court is
seised of an application for the indication of provisional measures in cffon -
nection with a request for interpretation under Article 60 of the Statute.
The Court has exercised this power only once, in connection with the
request for an interpretation in the Avena case (Request for Interpretation

of the Judgment of 31 March 2004 in the Case concerning Avena and Other
Mexican Nationals (Mexico v. United States of America) (Mexico v.
United States of America), Provisional Measures, Order of 16 July 2008,
I.C.J. Reports 2008, p. 311). However, the circumstances were very differ -
ent. The lives of men sentenced to death and awaiting execution were at

stake. The aim of the provisional measures decided by the Court was to
ensure that the judgment concerned by the request for interpretation
should not be emptied of all content as a result of the disagreement
between the Parties as to its interpretation. The present proceedings coffn -
cern a request for interpretation of a judgment rendered half a century

ago, and which was applied without any problems for a good 40 years.
The Court’s original basis of jurisdiction disappeared long ago. Admifft -
tedly, a request for interpretation is not subject to any time-limit. Hoffw -
ever, as provisional measures significantly limit the exercise of territfforial
sovereignty, they should be indicated in such a case only after strict vfferifi
cation of the basis of the Court’s jurisdiction and of the conditionsff required

for the application of Article 60 of the Statute.

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6 CIJ1023.indb 185 18/06/13 10:38 628 demande en interprétffation (op. diss. cot)

II. L’objet de la demandeff

4. La demande soumise dans l’instance principale par le Cambodge se
présente comme une demande en interprétation de l’arrêt du 1ff5 juin 1962.
La Thaïlande conteste cette qualification. Elle considère que l’ffobjet véri -
table de la demande cambodgienne porte alternativement sur l’exécufftion
de l’arrêt ou sur sa revision.

5. Pour la Thaïlande, dans la mesure où le Cambodge demande le retrait
des personnels civils et militaires thaïlandais de la zone contestée, il s’agit
d’un recours relatif à l’exécution de l’arrêt, exécffution qui n’a posé aucun
problème pendant de longues années. La Cour n’a pas compétenffce, on le
sait, pour assurer le «suivi» de ses arrêts. C’est au Conseil de sécurité d’in -

tervenir le cas échéant sur la base de l’article 94, paragraphe 2, de la Charte.
6. quant à la partie de la demande relative au statut de la frontière,ff il
s’agirait d’un recours en revision de l’arrêt de 1962, qui aurait dû être
fondé sur l’article 61 du Statut et non sur l’article 60. La demande contre -
dit en effet le prononcé clair de la Cour en 1962, qui rejetait les deux

premières conclusions de l’époque.
7. Lors de ses conclusions finales, lues à l’audience du 20 mars 1962, le
Cambodge déclare :

«Plaise à la Cour [de]
1. Dire et juger que la carte du secteur des Dangrek (annexe I au
mémoire du Cambodge) a été dressée et publiée au nom et ffpour le

compte de la Commission mixte de délimitation, créée par le traffité
du 13 février 1904, qu’elle énonce les décisions prises par ladite Com -
mission et qu’elle présente tant de ce fait que des accords et compor -
tements ultérieurs des Parties un caractère conventionnel ;

2. Dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la
Thaïlande, dans la région contestée voisine du temple de Préffah
Vihéar, est celle qui est marquée sur la carte de la Commission deff
délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe I au mémoire du
Cambodge)… » (Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande),

fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11.)
8. La Cour répond très précisément à ces conclusions, en deuffx temps.

Au début de son arrêt de 1962, la Cour note :
«L’objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contes-

tation relative à la souveraineté dans la région du temple de Pffréah
Vihéar. Pour trancher cette question de souveraineté territoriale,ff la
Cour devra faire état de la frontière entre les deux Etats dans ceff sec -
teur. Des cartes lui ont été soumises et diverses considérationffs ont été
invoquées à ce sujet. La Cour ne fera état des unes et des autrffes que
dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décision qu’ffelle doit

rendre pour trancher le seul différend qui lui est soumis et dont l’ffob -
jet vient d’être ci-dessus énoncé. » (Ibid., p. 14.)

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6 CIJ1023.indb 186 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 628

II. The Object of the Requesfft

4. The request submitted by Cambodia in the principal proceedings is
presented as a request for interpretation of the Judgment of 15 June 1962.
Thailand contests this characterization. It considers that the true objeffct
of Cambodia’s request concerns either enforcement of the Judgment or ffits
revision.

5. In Thailand’s view, in so far as Cambodia is seeking the withdrawal
of Thai civilian and military personnel from the disputed area, the pro -
ceedings relate to enforcement of the Judgment, a matter which for many ff
years has not posed any problem. As we know, the Court does not have
jurisdiction to “follow up” its judgments. It falls to the Securitffy Council

to intervene if necessary, under Article 94, paragraph 2, of the Charter.
6. As regards the part of the request relating to the status of the fron -
tier, Thailand regards this as an application for revision of the 1962 Jffudg -
ment, which should have been based on Article 61 of the Statute and not
on Article 60. The request in effect contradicts the Court’s clear ruling in

1962, which rejected Cambodia’s first two submissions at the time.
7. In its final submissions, read at the hearing of 20 March 1962, Cam -
bodia states :

“May it please the Court :
1. To adjudge and declare that the map of the Dangrek sector
(Annex I to the Memorial of Cambodia) was drawn up and published

in the name and on behalf of the Mixed Delimitation Commission set
up by the Treaty of 13 February 1904, that it sets forth the decisions
taken by the said Commission and that, by reason of that fact and
also of the subsequent agreements and conduct of the Parties, it pre -
sents a treaty character ;

2. To adjudge and declare that the frontier line between Cambodia
and Thailand, in the disputed region in the neighborhood of the Tem -
ple of Preah Vihear, is that which is marked on the map of the Com -
mission of Delimitation between Indo-China and Siam (Annex I to
the Memorial of Cambodia) . . .” (Temple of Preah Vihear (Cambo ‑

dia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 11.)
8. The Court responds to these submissions in very precise terms, in

two parts. At the beginning of its 1962 Judgment, the Court notes :
“Accordingly, the subject of the dispute submitted to the Court is

confined to a difference of view about sovereignty over the region of
the Temple of Preah Vihear. To decide this question of territorial sov -
ereignty, the Court must have regard to the frontier line between the
two States in this sector. Maps have been submitted to it and various
considerations have been advanced in this connection. The Court will
have regard to each of these only to such extent as it may find in them

reasons for the decision it has to give in order to settle the sole dispffute
submitted to it, the subject of which has just been stated.” (Ibid., p. 14.)

95

6 CIJ1023.indb 187 18/06/13 10:38 629 demande en interprétffation (op. diss. cot)

9. Puis elle ajoute, dans les paragraphes précédant le dispositif proffpre-
ment dit :

«Se référant finalement aux conclusions présentées à la fiffn de la
procédure orale, la Cour, pour les raisons indiquées au début dffu

présent arrêt, constate que les première et deuxième conclusffions du
Cambodge priant la Cour de se prononcer sur le statut juridique de
la carte de l’annexe I et sur la ligne frontière dans la région contestée
ne peuvent être retenues que dans la mesure où elles énoncent dffes
motifs et non des demandes à retenir dans le dispositif de l’arrêfft. »

(C.I.J. Recueil 1962, p. 36.)
10. Dans la mesure où le Cambodge demanderait par ses conclusions à

la Cour de revenir sur ladite décision et de « [d]ire et juger que la ligne
frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans la région contestée voi -
sine du temple de Préah Vihéar, est celle qui est marquée sur la carte de la
Commission de délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe I au
mémoire du Cambodge) » (ibid., p. 11), sa requête ne relèverait pas de

l’interprétation de l’arrêt (article 60 du Statut), mais de la revision dudit
arrêt (article 61 du Statut).

11. Les deux arguments relatifs à la nature de la demande posent
implicitement la question du détournement de procédure. N’est-on pas en

présence, cinquante années après le prononcé de l’arrêfft de 1962, d’une
tentative pour introduire des demandes de caractère nouveau en les grffef-
fant sur un prétendu contentieux de l’interprétation de l’arffrêt, afin d’assu-
rer une base de compétence qui ferait défaut sinon ? Il serait souhaitable
que la Cour reprenne la question lors de l’instance principale, afin ffde ne

pas encourager ce type d’action qui remet en cause le principe fondamffen-
tal du consentement des Parties à l’instance.
12. Je reconnais que la requête du Cambodge est ambiguë sur ces ques-
tions et devra être clarifiée lors de l’instance principale. Jeff regrette cepen-
dant que la Cour n’ait pas cru nécessaire de répondre à ces ffarguments qui

fondent la demande de la Thaïlande de radiation du rôle in limine litis et
se soit contentée, au fil de sa démonstration, d’apporter quelqffues éléments
partiels de réponse.

III. Contestation sur le sffens et la portée de l’affrrêt de 1962

13. La Cour considère au paragraphe 22 de l’ordonnance

«qu’une contestation au sens de l’article 60 du Statut doit être com -
prise comme une divergence d’opinions ou de vues entre les parties
quant au sens et à la portée d’un arrêt rendu par la Cour ; et que
l’existence d’une telle contestation n’exige pas que soient remffplis les

mêmes critères que ceux qui déterminent l’existence d’un ffdifférend
visé au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ».

96

6 CIJ1023.indb 188 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 629

9. It then adds, in the paragraphs preceding the operative clause stricto
sensu :

“Referring finally to the Submissions presented at the end of the
oral proceedings, the Court, for the reasons indicated at the beginning ff

of the present Judgment, finds that Cambodia’s first and second
Submissions, calling for pronouncements on the legal status of the
Annex 1 map and on the frontier line in the disputed region, can be
entertained only to the extent that they give expression to grounds,
and not as claims to be dealt with in the operative provisions of the

Judgment.” (I.C.J. Reports 1962, p. 36.)
10. To the extent that Cambodia, in its submissions, could be said to

be asking the Court to reconsider the said decision and “[t]o adjudgeff and
declare that the frontier line between Cambodia and Thailand, in the disff-
puted region in the neighborhood of the Temple of Preah Vihear, is that ff
which is marked on the map of the Commission of Delimitation between
Indo-China and Siam (Annex I to the Memorial of Cambodia)” (ibid.,

p. 11), it would appear that its Application concerns not the interpreta -
tion of the Judgment (Article 60 of the Statute), but the revision of the
said Judgment (Article 61 of the Statute).
11. The two arguments relating to the nature of the request implicitly
raise the question of abuse of process. Is this not an attempt, 50 years

after the delivery of the 1962 Judgment, to submit new claims by graftinffg
them onto a so-called dispute as to the interpretation of the Judgment, ffin
order to ensure a basis of jurisdiction which would otherwise be lackingff?
It would be advisable for the Court to reconsider the question during thffe
main proceedings, with a view to discouraging this type of action, whichff

calls into question the fundamental principle of the consent of the Parties
to the proceedings.
12. I recognize that Cambodia’s Application is ambiguous in respect of
these questions and should be clarified in the main proceedings. Howeverff,
I regret that the Court did not deem it necessary to respond to these arffgu -

ments, which are at the basis of Thailand’s request for the Applicatiffon to
be removed from the List in limine litis, and that it merely offered a par -
tial response in the course of its reasoning.

III. Dispute as to the Meaniffng or Scope of the 1962 Judgffment

13. In paragraph 22 of the Order, the Court considers that

“a dispute within the meaning of Article 60 of the Statute must be
understood as a difference of opinion or views between the parties as
to the meaning or scope of a judgment rendered by the Court ; and
[that] the existence of such a dispute does not require the samecriteria

to be fulfilled as those determining the existence of a dispute
under Article 36, paragraph 2, of the Statute”.

96

6 CIJ1023.indb 189 18/06/13 10:38 630 demande en interprétffation (op. diss. cot)

14. La distinction entre contestation et différend, qui n’apparaît ffpas
dans le texte anglais — le terme de « dispute» est utilisé dans les deux

cas —, aurait mérité quelques mots d’explication. Les deux conceffpts
n’impliquent pas les mêmes exigences en termes de procédure. Unff Etat
qui introduit un recours en interprétation au titre de l’article 60 du Statut
n’a pas à épuiser les recours diplomatiques préalables. Mais la formula -
tion utilisée dans le paragraphe 22 me gêne dans la mesure où elle semble

impliquer un seuil d’exigence inférieur quant au contenu même dffe la
notion de contestation, par opposition à celle de différend.

15. Certes, il s’agit d’une appréciation prima facie en l’espèce. La Cour

n’a pas à établir de manière définitive l’existence duff différend. Mais il
reste au moins deux points communs aux notions de contestation et de
différend. En premier lieu, il appartient à la Cour de déterminffer l’exis -
tence d’une contestation. La Cour l’a rappelé dans l’affaireff Avena préci -
tée: « C’est à la Cour elle-même qu’il appartient de déterminer s’il existe

effectivement une contestation. » (Demande en interprétation de l’arrêt du
31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats‑Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 13, par. 29.) Il ne suffit pas qu’une partie
invoque une contestation pour que celle-ci soit établie. En second lieu, il

doit s’agir d’un « litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques
entre les parties » (Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume‑Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 34).

16. Or la Cour considère en son paragraphe 31 que
«cette divergence d’opinions ou de vues paraît porter, ensuite, surff la

nature de l’obligation imposée à la Thaïlande, dans le deuxiffème
paragraphe du dispositif de l’arrêt, de « retirer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens », et notam -
ment sur le point de savoir si cette obligation est de caractère contffinu
ou instantané ».

17. Pour ma part, je ne vois pas en quoi l’obligation prétendue alléffguée
par le Cambodge se distingue de l’obligation générale de droit ffinternatio -

nal de respecter la souveraineté territoriale et de s’abstenir d’ffoccuper par
des éléments armés ou de l’administration civile le territoiffre relevant de la
souveraineté d’un Etat voisin. Le Cambodge en convient lui-même. Dans
sa requête, il déclare :

«L’obligation pour la Thaïlande de « retirer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a ff
installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoireff cam -

bodgien» (point 2 du dispositif) est une conséquence particulière de
l’obligation générale et continue de respecter l’intégrité du territoire

97

6 CIJ1023.indb 190 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 630

14. The distinction between a dispute within the meaning of Article 60
of the Statute (“contestation” in French) and a dispute as referffred to in

Article 36, paragraph 2, of the Statute (“différend” in French), which is
not apparent in the English text, where the term “dispute” is usedff in both
cases, would have merited a few words of explanation. The two concepts
do not entail the same procedural requirements. A State which submits
an application for interpretation under Article 60 of the Statute is not

obliged to exhaust all diplomatic channels beforehand. However, the
wording used in paragraph 22 bothers me in so far as it seems to imply a
lower threshold for the actual content of the notion of a dispute under ff
Article 60 (“contestation”) than for one under Article 36 (“différend”).
15. Of course, it is a matter of prima facie appraisal in this case. The

Court does not have to establish definitively the existence of a disputeff
(“différend”) in the sense of Article 36. However, the notions of “contes -
tation” and “différend” have at least two points in common. ffFirst, it is
for the Court to determine the existence of a dispute (“contestationff”).
The Court recalled this in the Avena case cited above : “It is for the Court

itself to decide whether a dispute within the meaning of Article 60 of the
Statute does indeed exist.” (Request for Interpretation of the Judgment of
31 March 2004 in the Case concerning Avena and Other Mexican Nation -
als (Mexico v. United States of America) (Mexico v. United States of
America), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 13, para. 29.) It is not enough

for a party to invoke a dispute (“contestation”) for it to be esfftablished.
Secondly, there must be “an actual controversy involving a conflict of
legal interests between the parties” (Northern Cameroons (Cameroon v.
United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963,
p. 34).

16. But the Court states in paragraph 31 that
“this difference of opinion or views appears to relate, next, to the ff

nature of the obligation imposed on Thailand, in the second para -
graph of the operative clause of the Judgment, to ‘withdraw any mil -
itary or police forces, or other guards or keepers’, and, in particulffar,
to the question of whether this obligation is of a continuing or an
instantaneous character”.

17. For my part, I cannot see how the alleged obligation asserted by
Cambodia can be distinguished from the general obligation under inter -

national law to respect territorial integrity and refrain from occupyingff,
with armed elements or civil administration personnel, territory under tffhe
sovereignty of a neighbouring State. Cambodia itself concurs in this. Inff
its Application, it declares :

“The obligation incumbent upon Thailand to ‘withdraw any mili -
tary or police forces, or other guards or keepers, stationed by her at
the Temple, or in its vicinity on Cambodian territory’ (second para -

graph of the operative clause) is a particular consequence of the gen -
eral and continuing obligation to respect the integrity of the territoryff

97

6 CIJ1023.indb 191 18/06/13 10:38 631 demande en interprétffation (op. diss. cot)

du Cambodge, territoire délimité dans la région du Temple et seffs
environs par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la
Cour est basé. » (Requête introductive d’instance, p. 36, par. 45.)

18. Les deux Parties s’accordent sur ce principe et s’engagent à le res -
pecter. que l’obligation énoncée en 1962 soit ponctuelle ou permanente
ne change rien à l’affaire. La contestation relative à l’intfferprétation de

l’arrêt de 1962 porte sur la zone géographique relevant respectivement de
la souveraineté thaïlandaise et de la souveraineté cambodgienneff, mais
non sur les conséquences qui en découlent quant à l’exerciceff de la souve -
raineté sur le territoire ainsi défini. Je ne trouve pas d’oppoffsition sur un
point de fait ou de droit qui pourrait constituer une contestation au seffns

de l’article 60 du Statut. Pour reprendre les termes du juge Anzilotti,
cela me paraît exclure « l’existence de toute contestation rentrant dans le
cadre de l’article 60 du Statut, tel qu’il a été interprété ci-dessus, et, en
réalité, réduit la divergence entre les deux gouvernements àff une question
os
do mots » (Interprétation des arrots n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt
n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13 ; opinion dissidente du juge Anzilotti,
p. 24-25).
19. Toutefois, je constate avec la Cour qu’il existe une divergence de

vues entre les Parties sur le sens et la portée de l’expression «ff environs
situés en territoire cambodgien », utilisée au deuxième paragraphe du dis -
positif de l’arrêt de 1962, « et qu’une base suffisante existe pour que la
Cour puisse indiquer les mesures conservatoires sollicitées par le Caffm -
bodge, si les conditions requises à cet effet sont remplies » (paragraphe 32

de l’ordonnance).

IV. Mesures conservatoirffes indiquées

20. Mon désaccord principal avec l’ordonnance porte sur le dispositif,ff
et plus précisément sur la principale mesure indiquée, celle quffi crée une
zone démilitarisée provisoire, dont elle fournit les coordonnéeffs au para -

graphe 62 de l’ordonnance, illustrée par le croquis annexé (p. 553).

21. Les Parties ont présenté à la Cour un matériel cartographiquffe très
limité. La seule carte un peu précise à la disposition de la Cour est celle de
l’annexe I, établie en 1907. Malgré ses qualités, cette carte ne constitue

pas une référence techniquement fiable et n’indique pas les déffveloppe -
ments ultérieurs à son établissement, notamment les voies d’ffaccès au
temple. Il manque au dossier une élémentaire carte récente d’ffétat-major
avec la position exacte des lieux cités par les Parties, etc. De surcffroît, les

Parties n’ont fourni aucune indication quant à la nature et aux poffsitions
des forces militaires en présence.
22. En l’état actuel des informations à notre disposition, il est iffmpru -
dent pour la Cour de définir une zone démilitarisée provisoire ffavec les

éléments de renseignement dont elle dispose. Une «stratégie de chambre»,

98

6 CIJ1023.indb 192 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 631

of Cambodia, that territory having been delimited in the area of the
Temple and its vicinity by the line on the Annex I map, on which the

Judgment of the Court is based.” (Application instituting proceed -
ings, p. 37, para. 45.)

18. Both Parties agree on this principle and are committed to respect -
ing it. It makes no difference whether the obligation laid down in 1962 ffis
of a “one-off” or permanent nature. The dispute as to the interprefftation
of the 1962 Judgment relates to the geographical areas under the respec -
tive sovereignty of Thailand and Cambodia, but does not concern the

consequences that arise from the exercise of sovereignty over the territffory
thus defined. I can see no disagreement on a point of fact or of law whiffch
could constitute a dispute within the meaning of Article 60 of the Statute.
To me this appears, as Judge Anzilotti put it, to be incompatible “wiffth
the existence of any dispute coming within the terms of Article 60 of the

Statute as interpreted above, and reduces the divergence between the
views of the two Governments to a question of words” (Interpretation of
Judgments Nos. 7 and 8 (factory at Chorzów), Judgment No. 11, 1927,
P.C.I.J., Series A, No. 13; dissenting opinion of Judge Anzilotti, pp. 24-25).
19. Nevertheless, I concur with the Court that a difference of views

does exist between the Parties as to the meaning or scope of the phrase ff
“vicinity on Cambodian territory”, as used in the second paragraphff of
the operative part of the 1962 Judgment, and that “there is a sufficffient
basis for the Court to be able to indicate the provisional measures
requested by Cambodia, if the necessary conditions are fulfilled” (pffara -

graph 32 of the Order).

IV. Provisional Measures ffIndicated

20. My main point of contention with the Order concerns the opera -
tive part and, more precisely, the principal measure indicated, whereby a
provisional demilitarized zone is created, whose co-ordinates are provided
in paragraph 62 of the Order, which is shown in the annexed sketch-
map (p. 553).

21. The Parties submitted a very limited amount of cartographic mate -
rial to the Court. The only relatively accurate map available to the Couffrt
is the Annex I map, prepared in 1907. Notwithstanding its qualities, this
map does not represent a reliable technical reference source and does nofft
show developments subsequent to its preparation, in particular the accesffs

routes to the Temple. The file lacks a basic recent topographical map
showing the exact position of the localities cited by the Parties, etc. ffMore-
over, the Parties provided no information on the nature and positions offf
the military forces present.
22. Given the information currently available to us, it is unwise for the

Court to define a provisional demilitarized zone based on the informatioffn
it has. An “armchair strategy”, which is not based on accurate datffa, may

98

6 CIJ1023.indb 193 18/06/13 10:38 632 demande en interprétffation (op. diss. cot)

ne reposant pas sur des données précises, risque de conduire à ffl’indication
de mesures conservatoires inapplicables sur le terrain.

23. La Cour a rejeté la formulation de la demande cambodgienne en
considérant celle-ci comme par trop unilatérale. Elle trace une zone démi -
litarisée provisoire qui comprend le territoire contesté et s’étend en même
temps sur des portions de territoire relevant incontestablement de la sou -
veraineté du Cambodge et de la Thaïlande, respectivement. Mais, poffur

être équilibrée, la décision de la Cour ne me paraît pas ffappropriée. Si,
comme je le crains, les Parties constataient sur le terrain que la mesurffe est
inapplicable, la situation se détériorerait au lieu de s’apaiseffr. Une telle
indication de mesures conservatoires, loin de préserver les droits deff cha -
cun, compliquerait l’instance au principal, qui serait consacrée pffour
bonne part aux accusations mutuelles de non-respect des mesures indi -

quées. Elle risquerait de compromettre l’acceptation par les Partiffes de la
décision de la Cour dans l’instance principale portant sur la défffinition du
périmètre du « voisinage» relevant de la souveraineté du Cambodge.
24. Pour ma part, j’aurais souhaité que la Cour s’inspire de l’offrdon -
nance rendue par la Chambre en 1986 dans l’affaire du Différend fronta ‑

lier (Burkina faso/République du Mali). La Chambre avait alors noté :

«Considérant que les mesures dont la Chambre envisage l’indica -
tion, en vue d’éliminer le risque de toute action future tendant àff
aggraver ou à étendre le différend, devraient nécessairementff inclure
le retrait des troupes des deux Parties sur des positions telles qu’iffl ne
se produise plus d’incident fâcheux ; mais que le choix de telles posi -

tions requerrait une connaissance du cadre géographique et straté -
gique du conflit que la Chambre ne possède pas, et dont en toute
probabilité elle ne pourrait disposer sans procéder à une experfftise.»
(Différend frontalier (Burkina faso/République du Mali), ordonnance
du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 10-11, par. 27.)

25. Ceci n’est pas à dire que la Cour doit s’abstenir d’indiquerff des
mesures conservatoires. Le Conseil de sécurité, saisi des incidentffs armés,

a estimé par la déclaration de son président en date du 14 février 2011 que
le litige relevait d’un traitement régional. Il a appelé les deffux Parties à
conclure un cessez-le-feu et a exprimé son soutien à l’action entreprise par
l’ANASE et la présidence indonésienne de l’organisation réffgionale afin de
ramener la paix dans le secteur des Dangrek. La Cour appuie cet effort et

demande aux Parties d’y collaborer activement et sans délai.
26. En l’espèce, les deux Parties ont demandé à la présidenceff indoné -
sienne de l’ANASE de déployer des observateurs indonésiens des ffdeux
côtés de la frontière concernée, afin d’observer le respeffct par les Parties de
leur engagement d’éviter de nouveaux incidents armés. La réuffnion infor -
melle des ministres des affaires étrangères de l’ANASE du 22 février 2011

a salué cet engagement des Parties et a donné mandat à la préffsidence
indonésienne pour mettre en application la décision.

99

6 CIJ1023.indb 194 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 632

lead to the indication of provisional measures that are inapplicable on ffthe
ground.

23. The Court rejected Cambodia’s request in the terms in which it was
formulated, as it considered it to be too one-sided. It establishes a provi -
sional demilitarized zone which includes the disputed territory, and at ffthe
same time extends over areas of territory that are unquestionably under
the sovereignty of Cambodia or of Thailand. However, for all that the

Court’s decision is balanced, it does not seem to me to be appropriatffe. If,
as I fear, the Parties were to find the measure to be inapplicable on thffe
ground, the situation would deteriorate instead of calming down. Far
from preserving the rights of each Party, such provisional measures woulffd
complicate the principal proceedings, a good part of which would be
taken up with mutual accusations of non-compliance with the measures

indicated. The Parties might thus find it difficult to accept the Courtff’s
decision in the principal proceedings regarding the definition of the peffri-
meter of the “vicinity” falling under Cambodian sovereignty.
24. For my part, I would have liked the Court to have based itself on
the Order rendered by the Chamber in 1986 in the case concerning the

frontier Dispute (Burkina faso/Republic of Mali). The Chamber noted at
the time in the Order :

“Whereas the measures which the Chamber contemplates indicat -
ing, for the purpose of eliminating the risk of any future action likelyff
to aggravate or extend the dispute, must necessarily include the with -
drawal of the troops of both Parties to such positions as to avoid the
recrudescence of regrettable incidents ; whereas, however, the selec -

tion of these positions would require a knowledge of the geographical
and strategic context of the conflict which the Chamber does not
possess, and which in al1 probability it could not obtain without
undertaking an expert survey.” (frontier Dispute (Burkina faso/
Republic of Mali), Order of 10 January 1986, I.C.J. Reports 1986,
pp. 10-11, para. 27.)

25. This is not to say that the Court should refrain from indicating pro -
visional measures. In a statement dated 14 February 2011, the President of

the Security Council, to which the armed incidents had been reported,
considered that the dispute should be dealt with at regional level. It cffalled
on the two sides to establish a ceasefire and expressed support for the
active efforts of ASEAN and the regional organization’s Indonesian Presi -
dency to restore peace in the Dangrek sector. The Court supports this

effort and asks for the active and immediate co-operation of the Parties.
26. In this case, both Parties asked the Indonesian Presidency of
ASEAN to deploy Indonesian observers on both sides of the frontier in
question, in order to monitor the Parties’ compliance with their commffit -
ment to avoid any further armed incidents. The informal meeting of the
ASEAN Foreign Ministers on 22 February 2011 welcomed the Parties’

commitment and mandated the Indonesian Presidency to implement the
decision.

99

6 CIJ1023.indb 195 18/06/13 10:38 633 demande en interprétffation (op. diss. cot)

27. Mais les Parties tardent à convenir des conditions pratiques de
mise en œuvre du dispositif et notamment du positionnement des obser -
vateurs. La Cour enjoint aux Parties de cesser immédiatement tout actffe
d’hostilité dans la zone du temple et de convenir, sans délai, ffde la mise en

place des observateurs proposés par la présidence indonésienne.ff Cette
mesure concrète, de nature à apaiser la tension et à écarterff le danger d’un
dommage irréparable aux personnes et aux biens, résulte du disposifftif. J’y
souscris pleinement.

(Signé) Jean-Pierre Cot.

100

6 CIJ1023.indb 196 18/06/13 10:38 request for interpretffation (diss. op. cot) 633

27. However, the Parties are taking a long time to agree on the practi -
cal arrangements for implementing the plan and in particular for posi -
tioning the observers. The Court urges the Parties to cease any hostile ff
action in the area of the Temple immediately and to agree, without delayff,

on the deployment of the observers proposed by the Indonesian Presi -
dency. This concrete measure, which is liable to ease the tension and avffert
the danger of irreparable damage being caused to persons and property,
results from the operative clause. I fully endorse it.

(Signed) Jean-Pierre Cot.

100

6 CIJ1023.indb 197 18/06/13 10:38

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Cot

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