COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DÉCLARATION D'INTERVENTION DU GRANDDUCHÉ
DE LUXEMBOURG
INTERVENTION EN VERTU DE L'ARTICLE 63 DU STATUT DE LA
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
en l'affaire
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DELA CONVENTION
POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE
GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
11 octobre 2022
INTERVENTION EN VERTU DE L'ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
A Monsieur le Greffier de la Cour internationale de justice (ci-après « la Cour»), le
soussigné étant dûment autorisé par le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg
(ci-après« Luxembourg») :
1. Au nom du Luxembourg j'ai l'honneur de soumettre à la Cour une déclaration
d'intervention en vertu de l'article 63, paragraphe 2, du Statut de la Cour (ci-après« le
Statut») en l'affaire des Allégations de génocide au regard de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. L'article 82, paragraphe 2, du Règlement de la Cour (ci-après« le Règlement») prévoit
que la déclaration par laquelle un État entend se prévaloir du droit d'intervention que lui
confère l'article 63 du Statut doit préciser l'affaire et la convention auxquelles elle se
rapporte et contenir :
(a) les détails de la base sur laquelle l'État déclarant se considère comme partie à la
convention ;
(b) l'identification des dispositions particulières de la convention dont il estime
que l'interprétation est en cause ;
(c) un exposé de l'interprétation des dispositions qu'elle défend;
(d) une liste de documents à l'appui, lesquels documents doivent être joints.
3. Ces points sont abordés dans l'ordre ci-dessous. Le Luxembourg entend également faire
certaines observations liminaires en amont.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, l'Ukraine a engagé une procédure contre la Fédération de Russie
dans le cadre d'un différend concernant l'interprétation, l'application ou le respect de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ( ci-après la
« convention sur le génocide »).1
5. Aux paragraphes 4 à 12 de sa requête introductive d'instance,2 l'Ukraine soutient qu'il
existe un différend entre l'Ukraine et la Fédération de Russie au sens de l'article IX
relatif à l'interprétation, à l'application ou à l'exécution de la convention sur le génocide.
1 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, signée à Paris, le 9 décembre
1948, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).
2 Requête introductive d'instance déposée au Greffe de la Cour le 26 février 2022 en l'affaire relative
aux Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), ci-après « requête ».
2
6. Sur le fond, l'Ukraine affirme que le recours à la force par la Fédération de Russie dans
ou contre l'Ukraine depuis le 24 février 2022, ainsi que ses actes de reconnaissance sur
le fondement d'une allégation fallacieuse de génocide, qui ont précédé l'opération
militaire, sont incompatibles avec la convention, en citant les articles I à III de celle-ci
(paragraphes 26 à 29 de la requête).
7. Suite à une demande de mesures conservatoires de l'Ukraine, la Cour a ordonné le 16
mars 2022 que:
(1) La Fédération de Russie doit immédiatement suspendre les opérations militaires
qu'elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l'Ukraine ;
(2) La Fédération de Russie doit veiller à ce qu'aucune des unités militaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui,
ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa
direction, ne commette d'actes tendant à la poursuite des opérations militaires
visées au point 1 ci-dessus; et
(3) Les deux parties doivent s'abstenir de tout acte qui risquerait d'aggraver ou
d'étendre le différend dont la Cour est saisie ou d'en rendre le règlement plus
difficile.
8. A la date de la présente déclaration, la Russie ne s'est pas conformée à l'ordonnance, a
intensifié et étendu ses opérations militaires sur le territoire de l'Ukraine et a ainsi
aggravé le différend pendant devant la Cour.
9. Le 30 mars 2022, comme le prévoit le paragraphe premier de l'article 63 du Statut, le
greffier a dûment notifié au gouvernement du Luxembourg, en tant que partie à la
convention sur le génocide, que, par la requête de l'Ukraine, la convention sur le
génocide « est invoquée à la fois comme fondement de la compétence de la Cour et à
l'appui des demandes [de l'Ukraine] au fond». Le greffier a également noté que:
« [L'Ukraine] entend fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire
figurant à l'article IX de la convention [sur le génocide}, prie la Cour de déclarer
qu'elle ne commet pas de génocide, tel que défini aux articles Il et Ill de la convention,
et soulève des questions sur la portée de l'obligation de prévenir et de punir le génocide
consacré à l'article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l'interprétation
de cette convention pourrait être en cause en l 'affaire. »3
1 O. Il est entendu par le Luxembourg que la convention sur le génocide est de la plus haute
importance pour prévenir le génocide et tenir les auteurs redevables de leurs actes. Tout
acte commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
3 Lettre du greffier de la Cour du 30 mars 2022 - voir annexe A
3
ethnique, racial ou religieux constitue un crime au regard du droit international.
L'interdiction du génocide est une norme reconnue comme étant de jus cogens en droit
international. 4 Les droits et obligations consacrés par la convention sont dus à la
communauté internationale dans son ensemble ( droits et obligations erga omnes
partes). 5 Dans une telle situation, lorsqu'un instrument international porte sur des
questions d'intérêt collectif, le regretté juge Cançado Trindade a appelé tous les États
parties à contribuer à l'interprétation correcte du traité comme une sorte de « garantie
collective du respect des obligations contractées par les États parties. » 6 Le
Luxembourg considère que l'intervention dans la présente affaire permet aux États
parties à la convention sur le génocide de réaffirmer leur engagement collectif à
respecter les droits et obligations contenues dans cette convention, et notamment en
soutenant le rôle essentiel de la Cour.
11. Par la présente déclaration, le Luxembourg entend se prévaloir du droit d'intervention
que lui confère l'article 63, paragraphe 2, du Statut. La Cour a reconnu que l'article 63
du Statut confère un « droit » d'intervention à tout État partie à une convention dont
l'interprétation est en cause dans une affaire pendante.7 La Cour a également souligné
qu'une intervention « se limite à la présentation d'observations au sujet de
l'interprétation de la convention concernée et ne permet pas à l'intervenant, qui
n'acquiert pas la qualité de partie au différend, d'aborder quelque autre aspect que ce
soit de l'affaire dont est saisie la Cour ; et qu'une telle intervention ne peut pas
compromettre l'égalité entre les Parties au différend». 8
12. En tant qu'État partie à la convention sur le génocide, le Luxembourg a un intérêt direct
dans l'interprétation, l'application et l'exécution correcte des obligations contenues
dans la convention sur le génocide. Le Luxembourg estime d'autant plus nécessaire de
se prévaloir de son droit d'intervention en la présente affaire eu égard la nature
particulière de la convention sur le génocide, dans laquelle « les États contractants
n'ont pas d'intérêts propres [et] ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun,
celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d'être de la convention ».9
13. Compte tenu de la portée limitée des interventions prévues à l'article 63 du Statut, le
4 Affaire relative à l'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, à la p. 111,
paragraphes 161 à 162.
5 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3 avec
d'autres références ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Gambie c. Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 36, paragraphe 107.
6 Opinion individuelle du juge Cançado Trindade, jointe à Chasse à la baleine dans l'Antarctique
(Australie c. Japon), déclaration d'intervention de la Nouvelle-Zélande, ordonnance du 6 février 2013,
C.I.J. Recueil 2013, p. 33, paragraphe 53.
7 Haya de la Torre (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76; Plateau continental (Tunisie/
Jamahiriya arabe libyenne), demande d'intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, paragraphe 21.
8 Chasse à la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d'intervention de la NouvelleZélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 3, à lap. 9, paragraphe 18.
9 Réserves à la convention sur le génocide_, Avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
4
Luxembourg présentera son interprétation des articles pertinents de la convention sur
le génocide conformément aux règles d'interprétation telles que contenues à l'article 31
de la convention de Vienne sur le droit des traités qui reflète également le droit
international coutumier. 10 L'article 31, paragraphe 1, dispose que « [un] traité doit être
interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur
contexte et à la lumière de son objet et de son but.» Ensemble avec le contexte,
l'interprétation d'un traité doit donc prendre en compte également la pratique
ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties
à l'égard de l'interprétation du traité, ainsi que toute règle pertinente de droit international
applicable dans les relations entre les parties. Dans certaines circonstances, il peut aussi
être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, notamment aux travaux
préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.
14. Le Luxembourg note que l'article 63 du Statut n'opère pas de distinction entre les
dispositions d'une convention qui concernent les questions de compétence et celles qui
concernent les questions de fond. Selon le juge Schwebel, « l'intervention pendant la
phase juridictionnelle d'une procédure [fait} partie du droit que ! 'article 63 confère
aux États ». 11 En effet, dans les deux situations, les États peuvent offrir leur assistance
à la Cour dans l'interprétation d'une convention particulière. En conséquence, les
interventions sur les deux aspects sont autorisées, 12 et le libellé de l'article 82,
paragraphe 1, du Règlement de déposer une déclaration « dès que possible et au plus
tard à la date fixée pour l'ouverture de la procédure orale» confirme que le dépôt d'une
déclaration en vertu de l'article 63 du Statut est recevable à ce stade de la procédure.
15. Dans la présente déclaration, le Luxembourg se concentrera sur l'interprétation de
l'article IX de la convention relatif à la compétence de la Cour et ajoutera encore
certaines réflexions qui sont pertinentes pour le fond de l'affaire, en rappelant
notamment l'importance du principe de bonne foi dans les relations internationales. Il
n'entend pas acquérir la qualité de partie au différend et accepte que l'interprétation de
la convention par la Cour lui soit également opposable.
16. Le Luxembourg souhaite assurer la Cour que l'intervention a été déposée à la date la
10 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 31, paragraphe 87 : « La Cour aura recours aux règles du droit
international coutumier en matière d'interprétation des traités telles qu'elles ressortent des articles 31
à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 » ; voir également Application
de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar
c. Émirats arabes unis), Exceptions préliminaires, arrêt du 4 février 2021, p. 24, paragraphe 75 avec
d'autres références.
11 Voir l'opinion du juge Schwebel dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) (Déclaration d'intervention du Salvador),
ordonnance du 4 octobre 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 223, aux pp. 235-236.
12 Voir p.ex. : Malcolm Shaw (Éd.), Rosenne's Law and Practice of the International Court 1920-2015
(5e Éd, Vol III, Brill Nijhoff 2016), p. 1533; Hugh Thirlway, The Law and Procedure of the
International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence (Vol I, OUP 2013), p. 1031; Alina Miron/
Christine Chinkin, Article 63, dans: Zimmennann/Tams/Oellers-Frahm/Tomuschat (Éds.), The Statute
of the International Court of Justice: A Commentary (3° Éd. OUP 2019), p. 1741, à la p. 1763, note 46.
5
plus proche raisonnablement possible pour le Luxembourg, conformément à l'article 82
du Règlement. Il demande à recevoir copie de toutes les pièces de procédure déposées
par l'Ukraine et la Fédération de Russie, ainsi que de tous les documents annexés,
conformément à l'article 86, paragraphe 1, du Règlement. Tenant compte que le
Luxembourg s'est conformé à l'obligation procédurale sous l'article 82, paragraphe 1,
du Règlement de déposer son intervention « dès que possible », il se réserve le droit
d'amender ou compléter la présente déclaration et la portée de ses observations, dans
la mesure où des questions additionnelles de compétence ou pertinentes pour le fond de
l'affaire seraient soulevées ultérieurement devant la Cour, respectivement lorsque le
Luxembourg en prendra connaissance en recevant les pièces de procédure et documents
annexés conformément à l'article 86 susmentionné du Règlement.
17. Enfin, le Luxembourg informe la Cour qu'il est disposé à l'aider en regroupant son
intervention avec des interventions identiques ou essentiellement comparables d'autres
États membres de l'Union européenne ayant choisi d'adopter une approche commune
pour les étapes ultérieures de la procédure, si la Cour juge une telle démarche utile dans
l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
BASE SUR LAQUELLE LE LUXEMBOURG EST PARTIE À LA CONVENTION
18. Le Luxembourg a déposé son instrument d'adhésion à la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide conformément à l'article XI, paragraphe 4, de la
convention, auprès du Secrétaire général des Nations Unies, le 7 octobre 1981.
LES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION EN QUESTION DANS LA
PRÉSENTE AFF AIRE :
COMPÉTENCE
19. L'article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit:« Les différends entre
les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, à l'application ou à l'exécution de
la présente convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un État pour
génocide ou pour l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article Ill seront
soumis à la Cour internationale de Justice à la requête de l'une quelconque des parties
au différend. » Les termes de cet article ne font ressortir aucune limitation de la
compétence de la Cour aux cas où il s'agirait de l'État requérant accusant l'État
défendeur d'un manquement aux obligations sous la convention. En outre, l'article IX
prévoit expressément la compétence de la Cour « à la demande de rune quelconque des
parties au différend» (c'est nous qui soulignons). La Cour a observé que cette phrase
« précise que seule une partie au litige peut porter celui-ci devant la Cour. »13 La
limitation pertinente est que la partie saisissant la Cour doit être une partie au litige,
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, paragraphe 111.
6
mais il n'y a pas de limitation quant à la partie au litige. Il peut s'agir de« toute » partie
au litige.
20. Les différends susceptibles d'être soumis à la Cour en vertu de l'article IX comprennent
expressément « ceux relatifs à la responsabilité d'un État pour génocide ou pour l'un
quelconque des autres actes énumérés à l'article III». Ainsi, lorsqu'il existe un différend
portant sur la question de savoir si un État a adopté un comportement contraire à la
convention, l'État accusé d'un tel comportement a le même droit de soumettre le
différend à la Cour que l'État qui a formulé l'accusation, et la Cour sera compétente
pour connaître de ce différend. Pour apprécier si un différend dont elle est saisie relève
du champ de l'article IX de la convention, la Cour« ne saurait se borner à constater
que l'une des parties soutient que la convention s'applique, tandis que l'autre le nie. »14
Dès lors, un État peut notamment demander à la Cour une déclaration « négative » que
les allégations d'un autre État selon lesquelles il serait responsable d'un génocide sont
dépourvues de fondement juridique et factuel.
21. La notion de « différend » est également établie de longue date dans la jurisprudence
de la Cour et de son prédécesseur, la Cour permanente de justice internationale, et le
Luxembourg appuie l'interprétation large conférée à ce terme en droit international
public tel que réaffirmé très récemment par la Cour. 15 Par conséquent, il approuve le
sens donné au mot « litige » dès 1924 par la Cour permanente de justice internationale,
à savoir « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d'intérêts » entre les parties. 16
22. Selon la présente Cour, pour qu'il existe un différend, « il faut démontrer que la
réclamation de l'une des parties se heurte à l'opposition manifeste de l'autre » 17
respectivement qu' « [il} existe un différend entre des États lorsque leurs points de vue
quant à l'exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales sont
nettement opposés ». 18 En outre,« dans le cas où le défendeurs 'est abstenu de répondre
aux réclamations du demandeur, il est possible d'inférer de ce silence, dans certaines
circonstances, qu'il rejette celles-ci et que, par suite, un différend existe ». 19 Enfin, dans
le contexte spécifique de la convention sur le génocide, l'existence d'un différend peut
14 Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), ordonnance de mesures conservatoires du 2
juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 137, paragraphe 38.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, paragraphe 63.
16 Concessions Mavrommatis Palestine, arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I., série A, n° 2, p. 11.
17 Afrique du Sud-Ouest (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), Exceptions
préliminaires, arrêt du 21 décembre 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 319, à la p. 328.
18 Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J.
Recueil 2018, p. 406, à la p. 414, paragraphe 18 ; Violations alléguées des droits souverains et des
espaces maritimes dans la mer des Caraibes (Nicaragua c. Colombie), Objections préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016, p. 3, à la p. 26, paragraphe 50, citant Interprétation des traités de paix avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.1.J. Recueil 1950, p. 74.
19 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 27, paragraphe 71.
7
être établie malgré l'absence d'une« référence particulière» à la convention ou à ses
dispositions dans les déclarations publiques des parties, pour autant que les déclarations
d'un État fassent référence « assez clairement à l'objet du traité pour que l'État contre
lequel il formule un grief puisse savoir qu'un différend existe ou peut exister à cet
égard ».20
23. Le Luxembourg se concentre dès lors sur l'interprétation des autres parties de l'article
IX, à savoir que la portée de ces différends doit être « relati[ve] à l'interprétation, à
l'application ou à l'exécution de la présente convention ». Il soutient que l'article IX est
une clause juridictionnelle large, permettant à la Cour de statuer sur des différends
concernant l'exécution alléguée par une partie contractante de ses obligations au titre
de la convention. Comme l'a noté le juge Oda, l'inclusion du mot « exécution » est
« unique par rapport aux clauses compromissoires d'autres traités multilatéraux et qui
prévoient la soumission à la Cour internationale de Justice des différends entre les
parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou application ».21 Cette inclusion
du terme « exécution » témoigne d'une attention toute particulière portée par les
rédacteurs de la convention sur le respect de l'obligation d'exécuter les traités de bonne
foi, qui est une réalisation concrète du principe fondamental de pacta sunt servanda en
droit international public.
24. Le sens ordinaire de l'expression« relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution
de la convention » peut être divisé en deux sous-catégories.
25. Le premier point(« relatifs à») établit un lien entre le litige et la convention.
26. Le deuxième point (« interprétation, application ou exécution de la convention»)
englobe de nombreux scénarios différents, d'autant que l'article IX inclut tous les litiges
« relatifs à la responsabilité d'un État en matière de génocide». Cette absence
d'exclusion en matière de responsabilité a été confirmée par la Cour.22 Par ailleurs, il
est utile de se référer à la version française du texte de la convention pour clarifier
l'expression «for genocide » dans la version en langue anglaise, les termes« en matière
de génocide» pouvant couvrir tant la commission que la non-commission d'actes de
génocide. Enfin, l'expression « y compris» suggère le caractère non-exhaustif des
catégories de litiges pouvant entrer dans le champ de l'article IX, ouvrant dès lors le
plus largement la saisine de la Cour.
27. Il peut y avoir un différend relatif à l'interprétation, l'application ou le respect de la
20 Ibid., paragraphe 72.
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (BosnieHerzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), exceptions préliminaires, déclaration du juge Oda, C.I.J.
Recueil 1996 (Il), p. 627, paragraphe 5 (souligné dans l'original).
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (BosnieHerzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, 11 juillet 1996, C.I.J. Recueil 1996, p.
616, paragraphe 32.
8
convention lorsqu'un État allègue qu'un autre État a commis un génocide. 23 Dans ce
scénario, la Cour vérifie la base factuelle de cette allégation : si elle n'est pas
convaincue que des actes de génocide aient effectivement été commis par l'État
défendeur, elle peut décliner sa compétence, également prima facie. 24
28. Alors que ce scénario de responsabilité (alléguée) pour des actes de génocide constitue
un type important de litige relatif à« l'interprétation, l'application ou l'exécution» de la
convention, il n'est pas le seul. Par exemple, dans l'affaire Gambie c. Myanmar
(pendante), la requérante a affirmé que le défendeur n'était pas seulement responsable
d'actes interdits en vertu de l'article III, mais qu'il violait également les obligations qui
lui incombent en vertu de la convention en ne prévenant pas le génocide, en violation
de l'article premier, et en ne punissant pas le génocide, en violation des articles premier,
IV et V.25 Dans cet exemple, un État allègue qu'un autre État ne respecte pas son
engagement de « prévenir » et de « punir » le génocide, en accordant l'impunité aux
actes de génocide commis sur son territoire. Des différends peuvent dès lors également
naître au sujet de la« non-action» en tant que violation des obligations substantielles
prévues aux articles premier, IV et V.
29. Par conséquent, le sens ordinaire de l'article IX indique clairement qu'il n'est pas
nécessaire d'établir des actes de génocide pour affirmer la compétence de la Cour. Au
contraire, la Cour est compétente sur la question de savoir si des actes de génocide ont
été ou sont commis ou non.26 Il en résulte qu'elle est également compétente ratione
materiae pour déclarer l'absence de génocide et la violation d'une exécution de bonne
foi de la convention, entraînant un abus de droit. En particulier, la compétence de la
Cour s'étend aux différends concernant le recours unilatéral à la force militaire dans le
but déclaré de prévenir et de punir un génocide allégué.27
30. Le contexte de la phrase(« relatifs à ... ») confirme également cette lecture. Comme
susmentionné, la caractéristique inhabituelle des mots « y compris» dans la phrase
intermédiaire indique une portée plus large de l'article IX de la convention par rapport
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (BosnieHerzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.LJ. Recueil 2007, p. 43, à la p. 75, paragraphe 169. 169.
24 Affaire relative à la légalité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. France), mesures conservatoires,
ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 363, aux pp. 372-373, paragraphes 24-31. Par la
suite, la Cour a décliné sa compétence au motif que la Serbie-et-Monténégro n'avait pas accès à la
Cour, au moment de l'introduction de l'instance, en vertu de l'article 35 du Statut (voir par exemple
Affaire relative à la légalité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. France), Exceptions
préliminaires, arrêt du 15 décembre 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 595).
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (La Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 12, paragraphe 24, points (1) (c), d) et (e).
26 Allégations de génocide en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, p. 10, paragraphe 43;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, paragraphe 30.
27 Allégations de génocide en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, p. 11, paragraphe 45.
9
à une clause compromissoire classique.28 Les différends relatifs à la responsabilité d'un
État pour génocide ou pour tout autre acte énuméré à l'article III ne sont donc qu'un
type de différend couvert par l'article IX, qui est« inclus » dans la phrase plus large des
différends « relatifs à l'interprétation, à l'application et à l'exécution» de la
convention. 29
31. Ainsi, le contexte de l'article IX confirme que la compétence de la Cour va au-delà des
différends entre États sur la responsabilité d'actes de génocide allégués, mais couvre
également les différends entre États sur l'absence de génocide et la violation d'une
exécution de bonne foi de la convention, entraînant un abus de droit.
32. Enfin, l'objet et le but du traité apportent un soutien supplémentaire à l'interprétation
large de l'article IX. Dans son avis consultatif de 1951, la Cour a déclaré :
« Les fins d'une telle convention doivent également être retenues. La convention a été
manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. One ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère,
puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence même de certains groupes
humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires. Dans une telle convention, les, États contractants n'ont pas d'intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d'être de la convention. Il en résulte que l'on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d'avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d'un exact équilibre contractuel à maintenir entre
les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la convention est, en
vertu de · la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les
dispositions qu'elle renferme. » 30
33. La Cour a récemment réaffirmé ces principes et noté que« [t]ous les Etats parties à la
convention sur le génocide ont donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet
instrument, un intérêt commun à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et
puni. » 31
28 Voir aussi: Affaire concernant l'application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, à la
p. 75, paragraphe 169.
29 Voir également l'exposé écrit de la Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par le
Myanmar dans l'affaire relative à \'Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Gambie c. Myanmar), 20 avril 2021, pp. 18-19, paragraphe 3 .22 ( « [L ]' article IX
énonce précisément que les 'différends entre les Parties contractantes' susceptibles d'être 'soumis à la
Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au différend', peuvent porter sur 'la
responsabilité d'un Etat en matière de génocide'. Cette précision signifie incontestablement que la
responsabilité à l'égard d'actes de génocide peut être l'objet d'un différend porté devant la Cour par
toute partie contractante»).
30 Réserves à la convention sur le génocide, Avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
31 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c.
Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 36, paragraphe 107.
10
34. L'objet de la convention, consistant à protéger les principes les plus élémentaires de la
moralité internationale, interdit également toute possibilité pour un État partie d'abuser
de ses dispositions à d'autres fins. La crédibilité de la convention en tant qu'instrument
universel visant à interdire le crime le plus odieux de génocide serait compromise si un
État partie pouvait abuser de son autorité sans que la victime d'un tel abus puisse se
tourner vers la Cour. L'objet de la convention plaide donc clairement en faveur d'une
lecture de l'article IX, selon laquelle les différends relatifs à l'interprétation, à
l'application et au respect de la convention comprennent les différends relatifs à l'abus
de pouvoir de l'autorité de la convention pour justifier l'action d'un État vis-à-vis d'un
autre État partie à la convention.
35. En conclusion, le Luxembourg soutient qu'il ressort du sens ordinaire de l'article IX de
la convention, de son contexte et de l'objet et du but de l'ensemble de la convention
qu'un différend relatif à des actes accomplis par un État contre un autre État sur la base
de fausses allégations de génocide relève de la notion de « différend entre Parties
contractantes relatif à l'interprétation, à l'application ou à l'exécution de la présente
convention». Par conséquent, la Cour est compétente pour déclarer l'absence de
génocide et la violation d'une exécution de bonne foi de la convention, entraînant un
abus de droit.
SUR LE FOND
36. Le Luxembourg souhaite encore faire part à la Cour de son interprétation de certaines
dispositions de la convention pertinentes pour le fond de l'affaire.
37. L'article premier de la convention est ainsi libellé : « Les Parties contractantes
confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre,
est un crime de droit international qu'elles s'engagent à prévenir et à punir. »
38. Selon l'article premier de la convention sur le génocide, tous les États parties sont tenus
de prévenir et de punir le génocide. Etant donné le caractère jus cogens de l'interdiction
du génocide, la prévention et la répression du génocide ne sont donc pas une affaire
intérieure, mais concernent la communauté internationale dans son ensemble
(obligation erga omnes). 32 Cependant, comme la Cour l'a déjà souligné, les parties
contractantes, dans l'accomplissement de leur devoir de prévention du génocide,
doivent agir dans les limites autorisées par le droit international. 33 Et à l'instar de toutes
les dispositions de traités internationaux, l'article premier de la convention doit être
interprété et exécuté de bonne foi, conformément aux articles 26 et 31, paragraphe 1,
de la convention de Vienne sur le droit des traités, reflétant le droit international
32 Supra, point 10 de la déclaration.
33 Affaire relative à l'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 221, para 430 ;
Allégations de génocide en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, paragraphe 57.
11
coutumier. L'obligation d'exécuter un traité de bonne foi découle également du
principe pacta sunt servanda, un principe fondamental du droit international public.34
39. La bonne foi est indissociable du traité dont l'application ou l'interprétation est
examinée, et implique que l'intégrité de la convention soit respectée. La Cour a ainsi
fait observer que le principe de bonne foi« oblige les Parties à appliquer [un traité}
d'une manière raisonnable et de telle sorte que son but puisse être réalisé ». 35
L'interprétation de bonne foi constitue donc un bouclier contre l'utilisation abusive des
termes de la convention. En tant que« [l'un] des principes de base qui président à la
création et à l'exécution d'obligations juridiques», la bonne foi est également
directement liée à la « confiance réciproque [qui} est une condition inhérente de la
coopération internationale ». 36
40. De l'avis du Luxembourg, la notion de« s'engagent de prévenir» implique que chaque
État partie doit évaluer l'existence d'un génocide ou d'une menace sérieuse de génocide
avant de prendre des mesures en vertu de l'article premier.37 Cette évaluation doit être
justifiée par des éléments de preuve substantiels« qui soient pleinement concluants. »38
41. En tant que membre actuel du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le
Luxembourg tient à souligner que cet organe intergouvernemental des Nations Unies
« [e}ngage tous les États, afin de prévenir de nouveaux génocides, à coopérer,_
notamment dans le cadre du système des Nations Unies, afin de renforcer la
collaboration voulue entre les dispositifs en place qui contribuent à détecter
rapidement et à prévenir les violations massives, graves et systématiques des droits de
l'homme qui, s'il n '.Y est pas mis fin, pourraient conduire à un génocide ». 39 Il peut
donc être considéré de bonne pratique de s'appuyer sur les résultats d'enquêtes
indépendantes menées sous les auspices des Nations Unies avant de qualifier une
situation de génocide et de prendre toute autre mesure en vertu de la convention.40
42. Un État qui prétend agir en prévention du génocide est partant soumis à une obligation
34 Voir aussi supra, point 23 de la déclaration.
35 Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, à la p. 79,
paragraphe 142.
36 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt du 20 décembre 1974, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, à la
p. 268, paragraphe 46.
37 Affaire relative à l'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, aux pp. 221-
222, paragraphes 430-431.
38 Affaire concernant l'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, à la p. 90,
paragraphe 209.
39 Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Résolution 43/29 : Prévention du génocide (29 juin
2020), UN Doc A/HRC/RES/43/29, paragraphe 11.
40 Voir par exemple le fait que la Gambie s'est appuyée sur les rapports de la Mission internationale
indépendante d'établissement des faits sur le Myanmar établie par le Conseil des droits de l'homme des
Nations Unies avant de saisir la Cour ; pour plus de détails, voir Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022, p. 25-
27, paragraphes 65-69.
12
de« diligence raisonnable» (due diligence) de recueillir des preuves substantielles et
concluantes auprès de sources indépendantes avant de prendre toute autre mesure. La
Cour a affirmé que cette notion de diligence raisonnable « revêt une importance
cruciale », précisant encore que « chaque État ne peut déployer son action que dans les
limites de ce que lui permet la légalité internationale ».41 Il est incompatible avec le
principe de bonne foi pour un État partie à la convention de s'acquitter de l'obligation
de diligence raisonnable de manière abusive. Cette interprétation de l'article premier
est soutenue par les travaux préparatoires de la convention sur le génocide, dont il
ressort que lors de la rédaction de cette dernière, les délégués veillaient à maintenir une
définition du génocide aussi précise que possible, par souci de prévenir que la
convention soit détournée comme « prétexte pour l'ingérence dans les affaires
intérieures des États ».42
43. La portée de l' « engagement de prévention» est encore précisée par le dernier
considérant du préambule de la convention, qui souligne la nécessité d'une
« coopération internationale ». En outre, en vertu de l'article VIII, les États peuvent
demander aux organes compétents des Nations Unies d'agir, et l'article IX prévoit un
règlement judiciaire. L'ensemble de ces éléments plaide en faveur d'un devoir
d'employer d'abord des moyens multilatéraux et pacifiques pour prévenir le génocide
avant de prendre des mesures unilatérales en dernier recours. Cette lecture coïncide
également avec l'obligation générale des États de régler leurs différends par des moyens
pacifiques inscrite dans la Charte des Nations Unies.43
44. Il découle de l'obligation de procéder à une évaluation de bonne foi de l'existence d'un
génocide ou d'un risque sérieux de génocide que, lorsqu'un État n'a pas procédé à une
telle évaluation, il ne peut invoquer l' « engagement de prévenir» le génocide prévu à
l'article premier de la convention pour justifier son comportement. Ainsi, une partie
contractante ne peut pas invoquer l'article premier pour rendre licite un comportement
qui serait autrement illégal en droit international si elle n'a pas établi, sur une base
objective et en vertu d'une évaluation effectuée de bonne de foi, tous les éléments de
preuve pertinents provenant de sources indépendantes, selon laquelle un génocide est
en train de se produire ou qu'il existe un risque sérieux qu'un génocide se produise.
45. Le Luxembourg souligne en particulier que tous les États parties se sont engagés à
supprimer le génocide dans le monde entier pour le bien de l'humanité dans son
ensemble, et non pour protéger leurs propres intérêts. Ce serait pour le moins une
réprobation du « but purement humain et civilisateur » de la convention qui répond aux
41 Affaire relative à l'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, à la p. 22,
paragraphe 430.
42 Voir Hirad Abtahi et Philippa Webb, The Genocide Convention: The Travaux Préparatoires
(Martinus Nijhoff, 2008), Vol. I, p. 1230 (notre traduction).
43 Le Chapitre VII de la Charte fait également ressortir la prééminence des mesures coercitives par le
Conseil de sécurité des Nations Unies, favorisant ainsi les mesures collectives par la communauté
internationale.
13
« principes de la morale la plus élémentaire » tout comme « aux fins des Nations
Unies »,44 si un État pouvait détourner l'article premier de sorte à pouvoir commettre
des actes d'agression, des violations du droit international humanitaire ou des crimes
contre l'humanité sous le couvert d'une prétendue prévention du génocide. Par
conséquent, lorsqu'une action visant à prévenir prétendument un génocide fait suite à
de fausses allégations de génocide, ces allégations et toute action ultérieure ne peuvent
en aucun cas être considérées comme raisonnables et vont même à l'encontre de l'objet
et des buts de la convention elle-même. Toute mesure prise sur la base de telles
allégations, dans le cadre d'une prétendue application de l'article premier de la
convention, ne peut donc être considérée que comme une violation grave de l'obligation
d'interpréter et d'appliquer cette disposition de bonne foi.
46. En ce qui concerne l'engagement « de punir » figurant à l'article premier de la
convention, le Luxembourg soutient que cette obligation est limitée à la responsabilité
pénale individuelle des auteurs du crime de génocide. Ceci est confirmé par les articles
IV à VI de la convention. En d'autres termes, un État devrait utiliser son droit pénal
interne ou selon le principe de complémentarité s'appuyer sur des enquêtes menées par
la Cour pénale internationale, dont l'article 5, paragraphe 1, sous (a) du Statut de
Rome45 reconnaît la compétence de ladite Cour pour le crime de génocide, afin de
réprimer le génocide commis par des auteurs individuels et ne pas s'engager dans tout
autre type de mesures, en particulier des mesures forcées ou militaires pour« punir»
un État ou un peuple.
DOCUMENTS À L'APPUI DE LA DÉCLARATION
4 7. Liste des documents à l'appui de la présente déclaration, documents qui sont joints aux
présentes:
(A) Lettre de Monsieur le Greffier de la Cour internationale de Justice à
!'Ambassadeur du Luxembourg auprès du Royaume des Pays-Bas en date du 30
mars 2022;
(B) Instrument d'adhésion du Luxembourg à la convention sur le génocide.
CONCLUSION
48. Sur la base des informations exposées ci-dessus, le Luxembourg entend se prévaloir de
son droit d'intervention que lui confère l'article 63, paragraphe 2, du Statut, en tant que
partie à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dont
l'interprétation est en cause dans la présente affaire portée devant la Cour par l'Ukraine
à l'encontre de la Fédération de Russie.
44 Réserves à la convention sur le génocide, Avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
45 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé à Rome, le 17 juillet 1998, Nations Unies,
Recueil des Traités, vol. 2187, p. 3 ( entré en vigueur le 1er juillet 2002).
14
49. Le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg a désigné en qualité d'agents:
Monsieur Alain Germeaux, Conseiller de légation adjoint, Conseiller juridique
principal du Ministère des Affaires étrangères et européennes du Grand-Duché de
Luxembourg
Monsieur Jean-Marc Hoscheit, Ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg
auprès du Royaume des Pays-Bas
Le greffier de la Cour peut acheminer toute communication relative à la présente affaire
à l'adresse suivante :
Ambassade du Grand-Duché de Luxembourg
auprès du Royaume des Pays-Bas
Nassaulaan 8
2514 JS La Haye
Pays-Bas
Luxembourg, le 11 octobre 2022
Respectueusement,
(signé)
Alain Germeaux
Agent du gouvernement
Annexe A : Lettre de Monsieur le Greffier de la Cour internationale de Justice à
!'Ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg auprès du Royaume des Pays-Bas en
date du 30 mars 2022 ;
Annexe B : Instrument d'adhésion du Grand-Duché de Luxembourg à la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide.
15
CERTIFICATION
Je certifie par la présente que les annexes jointes à la demande d'intervention sont des
copies conformes des documents auxquels il est fait référence.
Luxembourg, le 11 octobre 2022
(signé)
Alain Germeaux
Agent du gouvernement
16
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
(IV,l)
UNITED NATIONS • NATIONS UNIES
POSTAL ADDRE!l!I--AD/IESSE POSTALE· UNITIW NATIONS, N,V, 10011
CA9LE ADDP'E&-...o/lES< TELli:(iftAPHIQU!t, UNATIONI NIIWVOIIH
""""'"' C,N,301,1981.TREATIES-3 (Notification dépositaire)
CONVENTION POUR LA PREVENTION ET LA REPRESSION DU CRIME DE GENOCIDE
ADOPTEE PAR L'ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES LE 9'DECEMBRE 1948
ADHESION DU LUXEMBOURG
1/
Le Secrt!!taire général de 1 'Organisation des \tl/iti9ns Unies,
ag.i ssant en sa quali t'e de dé p os ita.ir e de la Co~n. ~en~t~\ofn pour la
✓,?~"~\, -.:\.,
prévention et la répression du crime de gé~i'-ide, adoptée par
l'Assemblée générale des Nations Unies ,,J,e 9 'décembre 19li8,
f ···~
communique , · ½~ )
t-...,.=~
Le 7 octobre 1981, l'instruni,ent d'adhésion du Gouvernement
1 uxembourgeo.i s a' 1 a Conventi. on su,1\ ;_,i ~_:\! Y.' ionn é e a ét é de' pose' aupre' s
du Secrétaire général,
0
Conformément au paragraph~ 3 de son article XIII, la
Convention,entrera en v:lkueur pour le Luxembourg le quatre-vingt=\\
dixième jour qui sut,vra l'e, dépôt de son instrument d 'adhl\sion,
1?~1
soit le 5 janvier1Qj~2.
()'
() ~)
Le 28 octobre 1981
A l'attention des services des traités des ministères des affaires
étrangères et des organisations internationales intéressées
GRAN-D-DUCHÉ DE L.UXEMBOURG
,
ADHESION
à la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, ouverte à la signature, le 9 décembre
1948, à Paris.
1 Nous Jean,
par la grâce de Dieu,
Qrand~Duc de Luxembourg,
Duc de Nassau,
Ayant vu et examiné la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, ouverte à la signature,
le 9 déce1nbre 1948, à Paris, dont le texte est reproduit
c1. -apre' s:
1
Déclarons adhérer à ladite Convention et promettons
qu'el1e sera exécutée et observée dans le Grand-Duché de
Luxembourg selon sa forme et teneur.
En foi de quoi Nous avons signé les présentes et y avons
fait apposer Notre sceau grand-ducal.
Palais de Luxembourg, le 16 septembre 1981
Le Ministre des .Affaires Etrangères,
du Commerce Extérieur et de la Coopération,
Déclaration d'intervention du Luxembourg