Déclaration d'intervention de la Roumanie

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182-20220913-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT DE LA
ROUMANIE EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT
DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
13 septembre 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, le soussigné, dûment autorisé par
le Gouvernement roumain, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement roumain, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du
paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui précise
l’affaire et la convention qu’elle concerne, et qui contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Ces éléments sont précisés ci-dessous, après une série d’observations liminaires.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie à raison
d’un différend concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide» ou la
«convention»).
5. Dans sa requête introductive d’instance, l’Ukraine affirme qu’il existe, entre elle-même et
la Fédération de Russie, un différend au sens de l’article IX concernant l’interprétation, l’application
ou l’exécution de la convention sur le génocide, soulignant que «l’Ukraine et la Russie ont des vues
opposées sur la question de savoir si un génocide a été perpétré sur le sol ukrainien et si l’article
premier de la convention peut fonder l’emploi de la force armée par la Russie contre l’Ukraine pour
«prévenir et punir» ce génocide allégué»1.
6. En outre, l’Ukraine soutient que l’emploi de la force contre elle et sur son territoire par la
Fédération de Russie depuis le 24 février 2022, sur le fondement d’une allégation mensongère de
génocide, ainsi que la reconnaissance qui a précédé cet emploi de la force sont, au vu des
articles premier à III de la convention, incompatibles avec celle-ci2.
7. Le 7 mars 2022, la Fédération de Russie a communiqué au greffier de la Cour un document
dans lequel elle a exposé sa position au sujet de la compétence de la Cour, soutenant que celle-ci était
incompétente et la priant de radier l’affaire de son rôle.
1 Paragraphes 7 et 11 de la requête de l’Ukraine introduisant une instance contre la Fédération de Russie en l’affaire
relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(ci-après la «requête de l’Ukraine»).
2 Ibid., par. 26-29.
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8. En même temps que sa requête, l’Ukraine a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires fondée sur l’article 41 du Statut de la Cour. Le 16 mars 2022, comme suite à cette
demande, la Cour a rendu une ordonnance indiquant les mesures conservatoires suivantes :
«1) La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires
qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
2) La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui,
ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa
direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre
le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, le
greffier a dûment averti la Roumanie, en sa qualité de partie à la convention sur le génocide, que,
dans la requête de l’Ukraine, cette convention était
«invoquée à la fois comme base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes
de l’Ukraine au fond. Plus précisément, celle-ci entend fonder la compétence de la Cour
sur la clause compromissoire figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de
déclarer qu’elle ne commet pas de génocide, tel que défini aux articles II et III de la
convention, et soulève des questions sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir
le génocide consacrée à l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que
l’interprétation de cette convention pourrait être en cause en l’affaire»3.
BASE SUR LAQUELLE LA ROUMANIE EST PARTIE A LA CONVENTION
10. La Roumanie a adhéré à la convention le 2 novembre 1950, en déposant son instrument
d’adhésion conformément au paragraphe 4 de l’article XI de la convention.
PORTEE DE L’INTERVENTION DE LA ROUMANIE
11. La Roumanie considère que la convention est un instrument capital de l’effort mondial de
prévention et de répression du crime de génocide, car l’interdiction du génocide est une norme de jus
cogens. Au vu des faits, et étant donné que les droits et obligations consacrés par la convention sont
opposables erga omnes, ainsi que la Cour l’a elle-même établi4, les questions d’interprétation que
soulève la présente espèce sont de la plus haute importance.
12. Etant parvenue à cette conclusion, la Roumanie a décidé d’intervenir en tant que non-partie
à la présente espèce, sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut.
3 Lettre du greffier de la Cour en date du 30 mars 2022 (annexe I).
4 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 615-616, par. 31.
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13. Suivant l’interprétation donnée par la Cour,
«l’intervention au titre de l’article 63 du Statut se limite à la présentation d’observations
au sujet de l’interprétation de la convention concernée et ne permet pas à l’intervenant,
qui n’acquiert pas la qualité de partie au différend, d’aborder quelque autre aspect que
ce soit de l’affaire dont est saisie la Cour»5.
Conformément à cette lecture, la portée de l’intervention de la Roumanie se limite aux questions
relatives à l’interprétation de la convention qui se posent dans le contexte de la présente espèce. A
cette fin, la Roumanie présentera une interprétation des articles pertinents de la convention sur le
génocide dans le respect des règles coutumières d’interprétation, telles que codifiées à l’article 31 de
la convention de Vienne sur le droit des traités.
14. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour, après avoir
examiné les positions des Parties, a constaté que
«[l]es déclarations émanant des organes de l’Etat et de hauts responsables des deux
Parties indiqu[aient] l’existence entre elles d’une divergence de vues sur la question de
savoir si certains actes qui auraient été commis par l’Ukraine dans les régions de
Donetsk et de Louhansk [étaient] constitutifs de génocide et emport[aient] donc
violation des obligations incombant à cet Etat au titre de la convention sur le génocide,
et si l’emploi de la force par la Fédération de Russie dans le but affiché de prévenir et
de punir un prétendu génocide [était] une mesure qui p[ouvait] être prise en exécution
de l’obligation de prévenir et de punir énoncée à l’article premier de la convention»6.
15. Par conséquent, la situation en cause requiert une juste interprétation de la portée des
obligations ci-après, énoncées par la convention sur le génocide :
a) l’obligation de soumettre à la Cour les différends relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la convention, prévue à l’article IX ;
b) l’obligation de prévenir et punir le crime de génocide prévue à l’article premier de la convention,
entraînant aussi l’interprétation de ses articles II, III et VIII.
16. En déposant la présente déclaration d’intervention, la Roumanie n’entend pas devenir
partie à l’instance et accepte comme également obligatoire à son égard l’interprétation de la
convention sur le génocide que contiendra l’arrêt de la Cour en l’espèce.
17. Enfin, la Roumanie fait observer que son intervention est déposée en temps voulu, dans le
respect des dispositions de l’article 82 du Règlement de la Cour.
5 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, par. 18.
6 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
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EXPOSE DE L’INTERPRETATION QUE LA ROUMANIE DONNE DES DISPOSITIONS
EN CAUSE DE LA CONVENTION SUR LE GENOCIDE
Observations générales
18. L’un des principes fondamentaux du droit international tel qu’il est énoncé dans la
déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies7 et dans l’acte final
d’Helsinki de 1975, mais également dans la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités8,
est le principe pacta sunt servanda, qui exige notamment que chaque Etat «rempli[sse] de bonne foi
les obligations qui lui incombent en vertu d’accords internationaux conformes aux principes et règles
généralement reconnus du droit international»9 et conformément à la Charte des Nations Unies.
19. Selon la règle générale d’interprétation des traités telle qu’elle est codifiée dans la
convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, «[u]n traité doit être interprété de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but»10.
20. Par conséquent, un Etat est tenu d’exécuter de bonne foi les obligations internationales qui
lui incombent en vertu des traités auxquels il est partie et, à cette fin, d’interpréter ces instruments de
bonne foi conformément à leur objet et à leur but. Il découle de l’obligation d’exécuter un traité de
bonne foi qu’un Etat doit s’abstenir de tout acte qui réduirait à néant l’objet et le but dudit traité ou
empêcherait leur réalisation11.
21. L’objet et le but de la convention sur le génocide consistent à prévenir et à condamner le
génocide ⎯ un «fléau … odieux»12 ⎯, notamment au moyen de la coopération internationale. La
Cour a examiné en détail l’objet de cette convention dans l’avis consultatif qu’elle a rendu sur les
Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, où elle a pris acte
de ce qui suit :
«La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut
degré ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même
de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas
d’intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun un intérêt commun, celui de
préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que
l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
7 Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 intitulée «Déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des
Nations Unies», accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/350/22/
img/NR035022.pdf?OpenElement (dernière consultation le 3 août 2022).
8 Article 26.
9 Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
10 Article 31, paragraphe 1.
11 Voir [Commission du droit international, Droit des traités,] Annuaire de la Commission du droit international,
19[6]6, vol. II, [p. 66,] par. 4 et Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78,
par. 142.
12 Préambule de la convention sur le génocide.
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droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»13
22. Ainsi que la Cour le confirme encore dans cet avis consultatif, les principes qui
sous-tendent la convention relèvent du droit international coutumier, tandis que l’interdiction de
commettre le génocide est reconnue comme une norme impérative14. Toutefois, dans le cadre de la
réalisation des fins supérieures qui définissent l’objet de la convention, les Etats contractants doivent
agir de bonne foi et conformément à la Charte des Nations Unies et à d’autres principes et règles de
droit international.
Article IX
23. L’affaire a été soumise à la Cour sur le fondement de l’article IX de la convention sur le
génocide, lequel comprend une clause compromissoire ainsi libellée :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
24. Sur la base de cet article, les Etats contractants n’ayant pas formulé de réserves ont consenti
à recourir à la Cour internationale de Justice pour régler l’intégralité de leurs «différends» relatifs à
«l’interprétation, l’application ou l’exécution» de la convention sur le génocide.
25. La Cour a analysé en détail la notion de «différend» dans ses décisions passées, établissant
que celle-ci suppose l’existence d’«un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts»15 entre les parties, à condition qu’il soit
«démontr[é] que la réclamation de l’une d[’elles] se heurte à l’opposition manifeste de l’autre»16. La
Cour a de surcroît établi que, «dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations
du demandeur, il est possible d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette
celles-ci et que, par suite, un différend existe»17.
13 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
14 Ibid.
15 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
16 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
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26. De plus, pour déterminer l’existence d’un différend, circonscrire le véritable problème en
cause et préciser l’objet de la demande18, la Cour se réfère non seulement à la date du dépôt de la
requête, mais également au comportement des parties postérieur à celle-ci, en accordant une attention
particulière aux auteurs des déclarations ou documents ainsi qu’aux personnes auxquelles ils étaient
destinés ou qui en ont effectivement eu connaissance et à leur contenu19.
27. Pour que la Cour soit compétente pour connaître d’un différend sur le fondement de
l’article IX, le différend doit concerner une question ayant trait à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la convention. Il doit par conséquent exister un lien entre le différend et l’objet de la
convention.
28. Or, ce lien existerait même si la Cour n’était pas nécessairement appelée à se prononcer
sur la commission effective d’actes de génocide, mais sur la non-existence de tels actes.
29. De fait, l’interprétation de la clause compromissoire montre que la question de la
compétence de la Cour est inhérente à celle de savoir si des actes de génocide ont effectivement été
commis20. Partant, il est impossible de rejeter la compétence de la Cour au simple motif qu’elle ne
pourrait être fondée sur la requête d’un demandeur tendant à faire établir qu’il n’a pas commis d’actes
de génocide et qu’il s’est acquitté de bonne foi des obligations découlant de la convention. Une
interprétation inverse priverait les parties contractantes de la possibilité de régler pacifiquement leurs
différends au moyen du mécanisme prescrit lorsque leurs arguments juridiques s’opposent sur le
point de savoir ce qui constitue un comportement acceptable de la part d’un Etat tenu de s’acquitter
de bonne foi des obligations prévues par la convention, compte tenu de l’objet et du but de celle-ci.
30. En outre, aux termes de cette clause, une partie au différend peut soumettre une affaire à
la Cour aux fins de son règlement. Il découle de cette formulation que la compétence de la Cour ne
saurait être niée au motif que celle-ci a été appelée à dire que le demandeur n’a pas violé les
dispositions de la convention, contrairement aux allégations du défendeur.
31. Un autre aspect qui relèverait de la compétence ratione materiae de la Cour concerne le
différend relatif à l’interprétation de la portée de l’obligation de prévenir et de punir les actes de
génocide, telle qu’elle est énoncée à l’article premier de la convention, et plus précisément le point
de savoir si un emploi de la force incompatible avec le droit international serait un comportement
acceptable à cet effet.
32. Un différend peut aussi relever du champ d’application de plusieurs traités, auquel cas il
est possible d’en connaître si la compétence ratione materiae peut être établie à l’égard d’au moins
l’un d’entre eux21.
18 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466, par. 30.
19 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 64 et la jurisprudence qui y est citée.
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
21 Voir, par exemple, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 120,
par. 113.
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Article premier (au regard des articles II, III et VIII)
33. Au titre de l’article premier, les parties contractantes s’engagent à prévenir et à punir le
crime de génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre.
34. L’article premier comprend deux types distincts d’obligations : l’obligation de prévenir et
l’obligation de punir.
35. L’obligation de prévenir emporte, pour les parties contractantes, une obligation de
comportement (et non de résultat) consistant à mettre en oeuvre «tous les moyens qui sont
raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide»22.
Cela veut dire que, au vu de l’article premier, un Etat contractant ne saurait outrepasser les limites
de ce que lui permet la légalité internationale23.
36. L’article premier impose aux Etats parties une obligation positive de diligence requise
qu’ils sont tenus d’exécuter de bonne foi, conformément à l’objet et au but de la convention,
c’est-à-dire avec comme finalité de prévenir le génocide.
37. Comme l’a constaté la Cour :
«l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire prennent naissance,
pour un Etat, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement avoir
connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet
instant, l’Etat est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à
l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut
raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique (dolus specialis), de
mettre en oeuvre ces moyens, selon les circonstances»24.
38. Un Etat contractant n’est tenu au devoir d’agir pour prévenir un génocide que lorsqu’il est
dûment déterminé que, compte tenu des faits, il existe un risque sérieux de génocide, tel que défini
aux articles II et III de la convention. Par conséquent, le risque de commission d’un génocide ou la
commission d’un tel crime ne peuvent être déterminés arbitrairement ou subjectivement, et c’est au
contraire sur la base des faits qu’il doit être satisfait aux critères précisés dans la convention.
39. La Cour a examiné la question du critère de la preuve dans le cadre de l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, soulignant
avoir
«admis de longue date que les allégations formulées contre un Etat qui comprennent des
accusations d’une exceptionnelle gravité doivent être prouvées par des éléments ayant
pleine force probante (cf. Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 17). La Cour doit être pleinement convaincue qu’ont été
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
23 Ibid.
24 Ibid., par. 431.
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clairement avérées les allégations formulées au cours de l’instance selon lesquelles le
crime de génocide ou les autres actes énumérés à l’article III ont été commis. Le même
critère s’applique à la preuve de l’attribution de tels actes»25.
40. En conséquence, lorsqu’il défend ses actions en se fondant sur l’article premier, un Etat
contractant doit être capable de démontrer, à l’aide d’éléments ayant pleine force probante, le risque
de commission d’un génocide ou la commission de ce crime, au sens des articles II et III de la
convention suivant le critère de la preuve établi par la Cour. A cet effet, une bonne pratique consiste
à s’appuyer sur des «rapports émanant d’organes officiels ou indépendants relatant certains faits
pertinents»26, dont ceux produits sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies.
41. Ainsi, il découle de l’article premier, dès lors que celui-ci est correctement interprété,
qu’un Etat contractant ne peut agir en exécution de son obligation de prévenir le génocide qu’après
avoir déterminé clairement, en s’appuyant sur un nombre suffisant d’éléments ayant pleine force
probante et émanant de sources fiables et indépendantes, qu’un génocide, au sens des articles II et III
de la convention, est commis ou sur le point de l’être.
42. Une fois ce point déterminé, les Etats contractants sont tenus, sous la forme d’une
obligation de moyens, au devoir d’agir pour prévenir le génocide. Les actes doivent être limités à ce
que permet le droit international et ne peuvent constituer eux-mêmes des violations de la convention.
43. Ainsi, il découle de l’article premier, dès lors que celui-ci est correctement interprété,
qu’un Etat contractant agissant dans l’exécution de son obligation de prévenir le génocide ne peut
outrepasser les limites prévues par le droit international, au sens où, de fait, il ne saurait recourir à
l’emploi de la force en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ni
prendre des mesures visant à priver un Etat contractant de ses droits souverains sur tout ou partie de
son territoire.
44. L’article VIII apparaît comme une concrétisation du but établi de la convention, à savoir
«libérer l’humanité» du génocide au moyen de la coopération internationale et de l’action collective
plutôt que par une mise en oeuvre unilatérale. En vertu de cet article, toute partie contractante agissant
dans l’exécution de son obligation de prévention du génocide peut saisir l’Organisation des
Nations Unies afin que celle-ci prenne, conformément à la Charte, des mesures visant à prévenir ou
à réprimer le génocide.
45. Quant à l’obligation de punir énoncée à l’article premier de la convention, elle se limite à
des mesures punitives à caractère pénal prises contre des individus, comme le confirment les
articles IV à VI de la convention. Elle emporte l’obligation pour les Etats contractants d’incriminer
le génocide dans leur législation nationale et de créer les conditions nécessaires pour que leur système
interne de justice pénale puisse punir les auteurs d’actes de génocide. Les Etats peuvent également
s’acquitter de cette obligation en recourant à une cour pénale internationale ou à des mécanismes
établis qui auraient compétence en matière de crime de génocide, tel que défini aux articles II et III
de la convention.
25 Ibid., par. 209.
26 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 135, par. 227.
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DOCUMENTS FOURNIS A L’APPUI DE LA DECLARATION
46. On trouvera ci-après le bordereau des documents à l’appui de la présente déclaration, qui
lui sont annexés :
a) la lettre circulaire en date du 30 mars 2022 adressée aux Etats parties à la convention sur le
génocide par le greffier de la Cour internationale de Justice ;
b) l’instrument d’adhésion de la Roumanie à la convention sur le génocide.
CONCLUSION
47. Au vu de ce qui précède, la Roumanie se prévaut du droit que lui confère le paragraphe 2
de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la Cour par
l’Ukraine contre la Fédération de Russie. Elle se réserve le droit de compléter ou de modifier la
présente déclaration et toutes observations écrites y relatives qui seraient présentées à cet égard, si
elle le juge nécessaire en fonction de l’évolution de la procédure.
48. Le Gouvernement roumain a désigné le soussigné, M. Bogdan Aurescu, ministre des
affaires étrangères, membre de la Commission du droit international de l’Organisation des
Nations Unies, professeur de droit international à la faculté de droit de l’Université de Bucarest, en
qualité d’agent aux fins de la présente déclaration. Le greffier de la Cour est prié d’adresser toutes
les communications à l’adresse suivante :
Ambassade de Roumanie
Catsheuvel 55
2517 KA La Haye
Royaume des Pays-Bas
Respectueusement,
L’agent du Gouvernement roumain,
(Signé) Bogdan AURESCU.
___________
ANNEXE A
LETTRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE AUX ETATS PARTIES À LA CONVENTION SUR LE
GÉNOCIDE PAR LE GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
ANNEXE B
INSTRUMENT D’ADHÉSION DE LA ROUMANIE À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
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MONSI 1,tJR LE SECJ'.OETA RE GENERAL,
J 1 a 1 honne r a porcer à votre con.h lasanoe
que je ais charg6 par mon Gouvernement de signer
les protocoles u vanta:
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1. Protocole en date du 4 mai 194 , amenl'J\
range n nt re et f à la r p Pssion Ile la c. rcun
des pt\bl 00 t1 ons obscènes, concl-􀌀 Par s, le 4
9 o.
2. ro-ocole du 12 novembre 1947, mandant
la. Convent oh pour a r press :!.on de la t), :1.te d s femmes
et des enf'an s, conclue à Gen ve, le 11 octobre 933.
12 nOV':lUlb e lJ4r/, · menàant la
· on rle la c·rou ati n et u
obscènes, conclue à G ève, 1􀌂
3.Prot col dn
t 0n pour lo r pr
des pub lestions
o br l\")2'3.
d 1 dhé lun
Convention
Gén􀌁r le a.
cambre 194
a1•ticles 9
la g cl" dPpose:ir l' c,e
füi Pop Jla. :re Houma1ne la
e g noc·􀌃 , appro􀌄v e par l'Assemblée
1 1 0rgan1s tio des Nat ona Unies, le d -
, aveo rés or'l7e s en ce qui c once1•ne as
et 12.
J v us pr e, Monsieur le ecréta re G􀌅néral,
ae bien vou oi fixer la date " laqnelle je pou1􀌆 'ais
,complir ma mission •
. /.
10NSIEUR TRY VE LIE,
SECRa.!.TAIRE GE ERAL DE L I RGA USATil 1'1 DES NATIONS UN ES.
Je joins a toutes fins utiles, l es copies des
pleins pouvo1rs qui viennent de m1etre envoyes.
Je vous prie, Monsieur le Seor6taire
General, d 1 a greer 1 1expression de mes sentiments les
plus distingues.
CORNELIU BOGDAN
Directeur au Ministere des Affaires
Exterieures de la Republique Populaire
Roumaine,
Observateur du Gouvernement de la
Republique Popul aire Roumaine pres la
c1nquieme Asaernblee (;.eneral e de l ' Organisation
des Nations Unieso
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Déclaration d'intervention de la Roumanie

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