Exposé écrit d'Israël

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169-20180227-WRI-04-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15076
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT D’ISRAËL
27 février 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. Introduction .................................................................................................................................... 1
II. Pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser de donner suite à la demande d’avis
consultatif ..................................................................................................................................... 2
III. Raisons décisives de refuser de rendre l’avis consultatif demandé .............................................. 3
A. Accepter de donner un avis reviendrait à contourner le principe selon lequel un Etat ne
peut pas être contraint de soumettre ses différends à un règlement judiciaire sans son
consentement ........................................................................................................................... 4
B. La procédure consultative se prête mal à la détermination de faits complexes et
controversés telle que celle requise en l’espèce ....................................................................... 9
IV. Conclusion ................................................................................................................................ 10
I. INTRODUCTION
1.1. Dans son ordonnance du 14 mai 2017, la Cour a invité les Etats Membres de
l’Organisation des Nations Unies à soumettre des exposés écrits sur la demande d’avis consultatif
relative aux Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. Le
présent exposé est soumis conformément à ladite ordonnance.
1.2. Israël a voté contre l’adoption de la résolution A/RES/71/292 de l’Assemblée générale
intitulée «Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques
de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965». Son représentant a fait valoir
devant l’Assemblée que :
«[s]ans aborder les questions de fond soulevées dans la résolution 71/292, Israël
est d’avis que la résolution vise à renvoyer un différend bilatéral à la Cour
internationale de Justice. A notre avis, il est inapproprié de recourir au mécanisme de
l’avis consultatif pour impliquer la Cour internationale de Justice dans un différend
territorial qui est essentiellement de nature bilatérale. La démarche sous-jacente
reflétée dans la résolution représente, à notre avis, un détournement de la disposition
relative à l’avis consultatif énoncée à l’article 96 de la Charte des Nations Unies et
compromet la principale distinction entre la compétence de la Cour dans les affaires
contentieuses et sa compétence consultative — une distinction qui doit être maintenue
dans l’intérêt de l’Organisation des Nations Unies et de la Cour internationale de
Justice elle-même. C’est la raison pour laquelle Israël a voté contre cette résolution.»1
1.3. Bon nombre d’autres Etats, lorsqu’ils ont justifié leur position, ont exprimé des
préoccupations similaires. Il convient également de noter le résultat du scrutin (94 voix pour,
15 contre et 65 abstentions), qui traduit une profonde division au sein de l’Assemblée générale
concernant l’opportunité de la résolution.
1.4. Ainsi qu’il est expliqué dans le présent exposé écrit, Israël persiste à croire que les
circonstances de l’espèce justifieraient l’exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire— que lui
confère l’article 65 de son Statut — de refuser de donner suite à la demande d’avis consultatif.
Notre position vise à préserver le caractère judiciaire de la Cour et à prévenir tout recours abusif à
sa fonction consultative, notamment lorsque le fait d’accepter de rendre un avis consultatif «aurait
pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au
règlement judiciaire s’il n’est pas consentant»2.
1.5. Sans préjudice d’autres considérations, le présent exposé écrit se limite aux questions
touchant l’opportunité judiciaire. En particulier, il n’est pas dans notre intention d’aborder des
questions tenant à la compétence ou visant l’essence même du différend qui sous-tend l’affaire,
lequel, selon nous, revêt un caractère purement bilatéral.
1.6. Dans cette optique, le chapitre II du présent exposé rappelle la jurisprudence de la Cour
quant à son pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre un avis consultatif. Le chapitre III explique
pourquoi les circonstances de l’espèce devraient inciter la Cour à user dudit pouvoir pour rejeter la
demande. Quant au chapitre IV, il résume brièvement les conclusions d’Israël.
1 A/71/PV.88 (22 juin 2017), p. 21.
2 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
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II. POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR DE REFUSER DE DONNER SUITE
À LA DEMANDE D’AVIS CONSULTATIF
2.1. Comme la Cour l’a constamment rappelé dans maintes décisions, la formulation
permissive de l’article 65 de son Statut lui confère le pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre
un avis consultatif, même lorsque les conditions de compétence sont réunies3. Comme elle l’a
récemment dit, cette marge d’appréciation lui a été conférée « pour de bonnes raisons »4. L’enjeu
est la nécessité impérative de « protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour et sa nature
en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies»5. Pour reprendre la
formule de la Cour elle-même :
« La Cour et sa devancière ont souligné que, en exerçant leur compétence
consultative, elles devaient préserver leur intégrité en tant qu’instances judiciaires.
Ainsi, dès 1923, la Cour permanente de Justice internationale, reconnaissant qu’il lui
était loisible de rejeter une demande d’avis consultatif, a formulé une importante
déclaration de principe :
«La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départir des règles essentielles qui
dirigent son activité de tribunal, même lorsqu’elle donne des avis consultatifs»»6.
2.2. Il convient également de mentionner dans ce contexte la position analogue adoptée par
la Cour en l’affaire Sahara occidental :
« L’article 65, paragraphe 1, du Statut qui confère à la Cour le pouvoir de donner des
avis consultatifs est permissif et le pouvoir qu’il lui attribue ainsi a un caractère
discrétionnaire. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour internationale
de Justice, de même que la Cour permanente de Justice internationale, a toujours suivi
le principe selon lequel, en tant que corps judiciaire, elle doit rester fidèle aux
exigences de son caractère judiciaire, même lorsqu’elle rend des avis consultatifs. S’il
lui est posé une question juridique à laquelle elle a incontestablement compétence
3 Jugement n° 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le
Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 24-25, par. 33 ; Conformité
au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2010 (II), p. 415-416, par. 29 ; Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 44 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur
spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78, par. 28 ; Licéité de la
menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234-235, par. 14 ; Sahara
occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; Demande de réformation du jugement n° 158 du Tribunal
administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 175, par. 24 ; Conséquences juridiques pour les
Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970)
du Conseil de Sécurité, avis consultatif, Recueil C.I.J. 1971, p. 27, par. 41 ; Certaines dépenses des Nations Unies
(article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962 : C.I.J. Recueil 1962, p. 155 ; Jugements du
Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, Avis consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956,
p. 86 ; Réserves à la Convention sur le Génocide, avis consultatif : C.I.J. Recueil 1951, p. 19 ; Interprétation des traités
de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
4 Jugement n° 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le
Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 33.
5 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 29 (citant également des décisions rendues dans d’autres affaires).
6 Jugement n° 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le
Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 34 (citant Statut de la
Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B, n° 5, p. 29, et renvoyant « pour la dernière déclaration en date
sur ce point » à Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29, et aux sources mentionnées dans ce dernier). Voir aussi Affaire
du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt du 2 décembre 1963, C.I.J.
Recueil 1963, p. 30.
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pour répondre, elle peut néanmoins refuser de le faire. Comme la Cour l’a déclaré
dans des avis consultatifs antérieurs, le caractère permissif de l’article 65,
paragraphe 1, lui donne le pouvoir d’apprécier si les circonstances de l’espèce sont
telles qu’elles doivent la déterminer à ne pas répondre à une demande d’avis. »7
2.3. Tout en précisant qu’il convient en règle générale de ne pas refuser de donner suite aux
demandes d’avis consultatif8, la Cour a fait constamment valoir aussi que des « raisons décisives »
peuvent parfaitement justifier un refus9. Il lui appartient en effet dans chaque affaire de « s’assurer
de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire en l’espèce »10.
2.4. Comme indiqué dans la suite du présent exposé, la jurisprudence de la Cour donne
quelques indications sur les raisons pouvant s’avérer suffisamment décisives pour refuser de
donner un avis. A supposer que cette jurisprudence et le pouvoir discrétionnaire conféré par
l’article 65 du Statut de la Cour soient censés guider effectivement les juges dans leur décision,
l’affaire soumise en l’espèce recèle clairement des raisons suffisamment décisives pour inciter les
intéressés à refuser de donner un avis consultatif.
III. RAISONS DÉCISIVES DE REFUSER DE RENDRE L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
3.1. Pour Israël, deux bonnes raisons tenant aux « règles essentielles qui dirigent son activité
de tribunal »11 devraient conduire la Cour à refuser de donner un avis consultatif en l’espèce.
Premièrement, il convient d’éviter que le principe fondamental de l’acceptation de la compétence
soit contourné. C’est notamment le cas lorsque (i) la question soumise à la Cour touche au coeur
d’un différend en cours entre des Etats ; et/ou (ii) l’essence du différend porte sur une question de
souveraineté territoriale. Deuxièmement, la procédure d’avis consultatif se prête mal à l’examen
des questions de fait complexes et litigieuses soulevées en l’espèce, dans la mesure où elle ne
7 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23.
8 Voir, plus récemment, Jugement n° 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail
sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25,
par. 3.
9 Idem ; voir aussi Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au
Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30 ; Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans
le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44, et p. 157, par. 45 ; Différend
relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif,
C.1.J. Recueil 1999, p. 78, par. 29 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; Demande de
réformation du jugement n° 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 183,
par. 40 ; Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, avis consultatif, Recueil C.I.J. 1971, p. 27, par. 41 ;
Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, avis consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J.
Recueil 1956, p. 86 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du
20 juillet 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 155 ; Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre
l’UNESCO, avis consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 86.
10 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 31. Voir aussi, par exemple, Conséquences juridiques à l’édification d’un
mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13, et p. 157, par. 45. Dans
son avis consultatif relatif au Jugement du tribunal administratif de l’OIT, la Cour se pose la question suivante : « La
Cour est un corps judiciaire et, dans l’exercice de sa fonction consultative, elle doit rester fidèle aux exigences de son
caractère judiciaire. Cela est-il possible dans le cas présent ?» (Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes
contre l’UNESCO, avis consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 84).
11 Jugement n° 2867 du Tribunal administratif de l’OIT sur requête contre le Fonds international de
développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 34 (citant Statut de la Carélie orientale, avis
consultatif, 1923, C.P.J.I., série B, n° 5, p. 29).
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prévoit pas les procédures contradictoires et les protections disponibles dans le cadre d’une affaire
contentieuse.
A. Accepter de donner un avis reviendrait à contourner le principe selon lequel un Etat ne
peut pas être contraint de soumettre ses différends à un règlement judiciaire sans son
consentement
3.2. La Cour a fait observer que, même si le défaut de consentement d’un Etat à la procédure
consultative ne saurait avoir d’effets sur sa compétence, « c’est là une question qui doit être
examinée pour déterminer s’il est opportun que la Cour donne un avis »12. Ceci pour une raison
reconnue il y a déjà fort longtemps par la Cour permanente de Justice internationale lorsqu’elle a
refusé de rendre l’avis consultatif demandé en l’affaire Carélie orientale, à savoir que :
«[i]l est bien établi en droit international qu’aucun Etat ne saurait être obligé de
soumettre ses différends avec les autres Etats soit à la médiation, soit à l’arbitrage, soit
enfin à n’importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement.»13
3.3. En l’espèce, comme la Cour a eu l’occasion de l’expliquer (et de l’approuver) dans son
avis Interprétation des traités de paix, la Cour permanente de Justice internationale avait refusé
d’exprimer un avis :
« … estimant que la question qui lui avait été posée, d’une part, concernait
directement le point essentiel d’un différend actuellement né entre deux Etats de sorte
qu’y répondre équivaudrait en substance à trancher un différend entre les parties … »14
3.4. Dans l’affaire Sahara occidental, la Cour a effectivement reconnu :
« … que le défaut de consentement pourrait l’amener à ne pas émettre d’avis si, dans
les circonstances d’une espèce donnée, des considérations tenant à son caractère
judiciaire imposaient un refus de répondre. Bref, le consentement d’un Etat intéressé
conserve son importance non pas du point de vue de la compétence de la Cour, mais
pour apprécier s’il est opportun de rendre un avis consultatif.»15
avant de préciser :
«Ainsi le défaut de consentement d’un Etat intéressé peut, dans certaines
circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère
judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre
aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre
un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant. Si une telle situation
devait se produire, le pouvoir discrétionnaire que la Cour tient de l’article 65,
12 Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations
Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 190-191, par. 37.
13 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B, n° 5, p. 27.
14 Interprétation des traités de paix (deuxième phase), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72. Voir aussi
l’opinion individuelle de M. le juge Owada dans Edification d’un mur : « le critère déterminant de l’opportunité judiciaire
doit être pour la Cour de s’assurer que répondre sous la forme d’un avis consultatif relatif à l’objet de la requête ne
revient pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement … » (Conséquences juridiques
de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.1.J. Recueil 2004 (I), p. 265, par. 13).
15 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 32.
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paragraphe 1, du Statut fournirait des moyens juridiques suffisants pour assurer le
respect du principe fondamental du consentement à la juridiction.»16
3.5. La présente affaire vise précisément une situation de ce type et, par conséquent, la Cour
devrait exercer son pouvoir pour veiller au respect du principe fondamental du consentement à la
juridiction.
3.6. Le respect du principe fondamental du consentement à la juridiction revêt une
importance cruciale dans les procédures consultatives. Il permet notamment de maintenir l’intégrité
judiciaire de la Cour et, ce faisant, contribue à préserver la distinction claire et essentielle établie
par le Statut entre compétence dans les affaires contentieuses et compétence consultative. Même si
la Cour a interprété jusqu’à présent ce principe de manière étroite en matière consultative, les
circonstances de l’espèce justifieraient pleinement le refus de rendre un avis.
3.7. Le Royaume-Uni maintient depuis longtemps qu’il n’accepte pas l’intervention
judiciaire, y compris de la Cour, dans son vieux différend bilatéral avec Maurice concernant
l’archipel des Chagos. Les comptes rendus des débats de l’Assemblée générale confirment qu’il n’a
pas donné et « ne donnerait pas » un tel consentement17. Le Royaume-Uni s’est également opposé à
ce que la Cour soit saisie d’une demande d’avis consultatif sur la question, au motif qu’il ne
consent pas à ce que les questions soulevées par la résolution A/RES/71/292 de l’Assemblée
générale soient tranchées18.
3.8. Maurice a ouvertement reconnu que la présente procédure consultative a été déclenchée
précisément parce que les négociations bilatérales visant à régler son différend avec le Royaume-
Uni ont, selon elle, échoué19. L’aide-mémoire diffusé par Maurice au sein de l’Assemblée générale
mentionne explicitement son objectif qui est « d’exercer sa pleine souveraineté sur l’archipel des
Chagos »20. Maurice avait également déjà tenté de soumettre le différend relatif à la souveraineté à
la juridiction du tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII de la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer, mais celui-ci s’était déclaré incompétent pour statuer sur cette
question21. Dans ces circonstances, il semble difficile de nier que c’est le différend entre les deux
Etats qui est soumis à la Cour dans la présente procédure. En effet, plusieurs autres Etats, dans leur
explication de vote à l’Assemblée générale, ont eux aussi noté que la demande d’avis consultatif
16 Idem, par. 33. Voir aussi Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 101, par. 26 (où
la Cour rappelle que « l’un des principes fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un différend entre des
Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction.»).
17 A/71/PV.88 (22 juin 2017), p. 11.
18 Ibid., p. 15-16.
19 Voir, par exemple, ibid., p. 7.
20 République de Maurice, aide-mémoire joint au projet de résolution, point 87 de l’ordre du jour de la 71e session
de l’Assemblée générale de l’ONU, Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets
juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, mai 2017, p. 2, par. 2.
21 Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), sentence du 18 mars 2015,
par. 213-221.
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visait essentiellement à contourner l’absence de compétence contentieuse de la Cour sur une
question purement bilatérale22.
3.9. De plus, alors que les questions posées à la Cour dans la résolution A/RES/71/292
semblent être formulées de manière à les replacer dans un cadre de référence plus large, toute
question d’ordre juridique peut en fait se prêter à une interprétation et une présentation plus larges
de ce type. C’est pourquoi il est du devoir de la Cour, « pour rester fidèle aux exigences de son
caractère judiciaire dans l’exercice de sa compétence consultative, [de] rechercher quelles sont
véritablement les questions juridiques que soulèvent les demandes formulées dans une requête »23.
Ce faisant, il apparaît de nouveau clairement que la demande de l’Assemblée générale porte sur le
différend bilatéral entre le Royaume-Uni et Maurice, ne serait-ce que parce qu’enquêter sur la
question de savoir si « [l]e processus de décolonisation [a] été validement mené à bien» ou sur les
effets juridiques «du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord» revient presque inévitablement à évaluer les revendications
antagonistes du Royaume-Uni et de Maurice relatives à leurs titres souverains respectifs sur le
territoire.
3.10. Compte tenu de ce qui précède, on peut avancer un argument supplémentaire. La Cour
a déclaré dans le passé que «les motifs ayant inspiré les Etats qui sont à l’origine, ou votent en
faveur, d’une résolution portant demande d’avis consultatif ne sont pas pertinents au regard de
l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à la question qui lui est
posée»24 ; pourtant, cette approche ne devrait pas s’appliquer de manière excessivement formaliste,
sous peine de conduire à un recours abusif à un processus manifestement conçu pour contourner
l’absence de consentement de la part de l’un des Etats intéressés à la compétence contentieuse.
22 Voir, par exemple, A/71/PV.88 (22 juin 2017), p. 13 (observations formulées par les Etats-Unis d’Amérique
selon lesquelles le projet de résolution « cherche à saisir la Cour internationale de Justice d’un différend territorial
bilatéral … Alors que Maurice tente de présenter cela comme un problème de décolonisation qui concerne la
communauté internationale, il s’agit pleinement d’un différend territorial bilatéral, et le Royaume-Uni n’a pas consenti à
la compétence de la Cour internationale de Justice.») ; p. 16 (le Chili «prend note de la demande d’avis consultatif de la
Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, qui
inclut des questions qui peuvent être traitées de manière bilatérale conformément aux normes du droit international ») ;
p. 17 (déclaration de la France selon laquelle «[u]n litige de souveraineté entre Etats, comme c’est le cas en l’espèce,
devrait, au demeurant, se régler en respectant le principe du consentement des Etats à être jugés. Nous devons tous être
attentifs au respect de ce principe que la Cour internationale de Justice a qualifié de principe fondamental») ; p. 18
(déclarations de l’Australie selon laquelle «le vote soulève une question plus spécifique, notamment celle de savoir s’il
est approprié de demander à la Cour internationale de Justice de rendre un avis consultatif sur des questions très
spécifiques qui concernent directement les droits et les intérêts des deux pays, Maurice et le Royaume-Uni» et de
l’Allemagne selon laquelle «le différend entre Maurice et le Royaume-Uni est un différend à caractère bilatéral » et
«l’une des parties au différend a expressément refusé d’impliquer la Cour internationale de Justice dans cette question, ce
qui est conforme au Statut de la Cour») ; p. 20 (déclaration du Canada pour qui « … le principe fondamental selon lequel
le règlement des affaires contentieuses entre Etats par la Cour internationale de Justice exige le consentement des deux
parties. Nous sommes d’avis que demander le renvoi d’une affaire contentieuse entre Etats par l’intermédiaire du pouvoir
de l’Assemblée générale de solliciter des avis consultatifs contourne ce principe fondamental»).
23 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980,
p. 88, par. 35. Voir aussi Admissibilité de l’audition de pétitionnaires par le Comité du Sud-Ouest africain, avis
consultatif du 7 juin 1956 : C.I.J. Recueil 1956, p. 37 (opinion individuelle de Sir Hersch Lauterpacht, dans laquelle
celui-ci fait remarquer que «l’Assemblée générale, bien qu’effectivement désireuse d’avoir la réponse de la Cour à
propos d’une situation déterminée, a formulé sa requête en des termes qui paraissent détachés de cette situation. Cela
étant, une réponse par voie de simple affirmation ne semble pas satisfaire aux exigences du cas. L’expérience démontre
couramment que la simple réponse affirmative ou négative à une question n’est pas toujours celle qui s’approche le plus
près possible de la vérité. La pratique antérieure de la Cour fournit des précédents à l’opinion que celle-ci jouit d’une
latitude considérable pour interpréter la question qu’on lui pose, ou pour formuler sa réponse de manière à rendre son rôle
consultatif utile et effectif »).
24 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 417, par. 33 (rappelant la référence analogue faite par la Cour, dans l’avis
consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, «[aux] origines ou [à] l’histoire politique de la
demande, ou [à] la répartition des voix lors de l’adoption de la résolution»).
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Dans le cas contraire, la compétence consultative de la Cour risquerait d’apparaître comme un
mécanisme alternatif et non contraignant de régler les différends d’une manière portant atteinte à la
Cour en tant qu’organe judiciaire, à son Statut et à la distinction de principe entre les fonctions de
cette juridiction dans les affaires consultatives et contentieuses.
3.11. Comme expliqué plus bas, les arguments qui précèdent sont d’autant plus pertinents
lorsque la question soumise à la Cour touche au coeur même du différend et/ou porte sur des
revendications antagonistes de souveraineté territoriale.
i) Le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu d’autoriser qu’un différend auquel il est
partie soit soumis au règlement judiciaire sans son consentement doit être
particulièrement respecté lorsque la question portée devant la Cour touche au coeur même
de ce différend
3.12. La Cour reconnaît que la portée du différend peut présenter «de l’importance quand il
s’agit d’apprécier, du point de vue de l’exercice … de son pouvoir discrétionnaire, les
conséquences d’un défaut de consentement »25. Comme noté plus haut, la Cour — suivant en cela
les traces de sa devancière — a effectivement fait remarquer que, dans les affaires où « la question
qui lui [a] été posée … concern[e] directement le point essentiel d’un différend actuellement né
entre deux Etats, … répondre équivaudrait en substance à trancher un différend entre les parties »,
l’opportunité judiciaire commande de refuser de rendre un avis consultatif26.
3.13. Ainsi, même si la Cour s’est montrée disposée dans le passé à rendre des avis
consultatifs concernant des questions liées à un différend bilatéral en cours, elle a toujours
maintenu la position selon laquelle les questions au coeur de ces différends ne doivent pas faire
l’objet d’une procédure consultative dès lors qu’un Etat intéressé n’a pas donné son
consentement27.
3.14. Par exemple, dans l’affaire Edification d’un mur, la Cour a noté que l’objet de l’affaire
«faisait partie d’un ensemble» et que « la question que l’Assemblée générale a choisi de lui
soumettre pour avis est limitée» à un seul «aspect du conflit israélo-palestinien»28. La Juge Higgins
a en outre tenu à préciser, dans son opinion individuelle, que la Cour « avec sagesse et comme il
sied, [a évité] les questions dites du «statut permanent»»29. Le Juge Owada a noté pour sa part, dans
son opinion individuelle, que «le critère déterminant de l’opportunité judiciaire doit être pour la
Cour de s’assurer que répondre sous la forme d’un avis consultatif relatif à l’objet de la requête ne
revient pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement»30. Israël,
même s’il s’est opposé à l’avis et au raisonnement de la Cour dans cette affaire, a relevé que la
Cour a été contrainte de souligner que traiter la question dont elle était saisie ne revenait pas, à son
avis, à trancher un différend bilatéral ni à toucher au coeur de ce différend. La Cour a ainsi confirmé
25 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42.
26 Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
27 Voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 236,
par. 15 : «La finalité de la fonction consultative n’est pas de régler — du moins pas directement — des différends entre
Etats».
28 Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 160, par. 54.
29 Ibid., p. 211, par. 17.
30 Ibid., p. 265, par. 13.
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le principe selon lequel, si le traitement de l’affaire avait eu cet effet, elle aurait été tenue de rejeter
la demande d’avis consultatif.
3.15. En l’espèce, compte tenu de la portée et des termes de la demande, il est difficile de
voir comment la Cour pourrait éviter d’examiner la question de la souveraineté sur l’archipel des
Chagos tout en répondant aux questions posées dans la résolution A/RES/71/292. Par conséquent,
on ne saurait véritablement affirmer, comme ce fut le cas dans Interprétation des traités de paix,
que la présente demande d’avis « ne touche assurément pas le fond»31 du différend entre le
Royaume-Uni et Maurice. En fait, la demande n’a tout simplement pas « trait à une question
juridique actuellement pendante entre Etats»32. Elle «concerne directement le point essentiel du
conflit»33 entre eux, un point qui — il convient de le préciser — n’est pas seulement théorique,
mais fait concrètement l’objet de négociations bilatérales entre ces deux Etats. Pour reprendre une
formule employée antérieurement par la Cour, le règlement de la question posée en l’espèce aura
incontestablement un «effet sur les droits que [le Royaume-Uni] possède actuellement», de sorte
que sa position juridique pourrait bien «être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire
aux questions qui lui sont posées»34.
3.16. En d’autres termes, répondre aux questions posées par l’Assemblée générale ne
reviendrait pas à examiner des points n’ayant qu’une incidence mineure sur la controverse ; une
telle attitude «équivaudrait en substance à trancher un différend entre les parties»35. Il convient
également de souligner qu’en pareilles circonstances la Cour accorde un poids déterminant dans sa
jurisprudence au principe fondamental du consentement dans les différends bilatéraux, même si le
différend en cause fait également l’objet d’un débat ou d’une action au sein des organes politiques
de l’Organisation des Nations Unies. En fait, la jurisprudence de la Cour accorde une importance
prépondérante au principe selon lequel sa compétence consultative ne saurait être invoquée pour
l’entraîner dans ce qui est en substance un différend entre plusieurs parties s’agissant d’évaluer
l’opportunité judiciaire d’un avis consultatif, quelle que soit par ailleurs la teneur des débats et des
résolutions adoptées au sein des autres organes des Nations Unies.
ii) Le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu d’autoriser qu’un différend auquel il est
partie soit soumis au règlement judiciaire sans son consentement doit être
particulièrement respecté lorsque la question portée devant la Cour a trait à des
revendications antagonistes de souveraineté territoriale
3.17. Le respect du principe fondamental du consentement à la compétence s’impose
particulièrement lorsque la question portée devant la Cour a trait à des revendications antagonistes
de souveraineté territoriale. Les différends entre Etats nés de revendications de souveraineté et/ou
de territoire sont — invariablement et par leur nature même — particulièrement sensibles et
touchent souvent à des intérêts nationaux supérieurs, notamment de sécurité. Le principe du
consentement à la compétence revêt une importance spéciale pour les Etats dans le contexte de
différends concernant la souveraineté territoriale, lesquels sont généralement, sinon exclusivement,
traités dans le cadre de mécanismes consensuels, le plus souvent sous la forme de négociations ou
d’une procédure contentieuse acceptée par les parties.
31 Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
32 Ibid., p. 71.
33 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B, n° 5, p. 28-29 (à propos de la question
posée à la Cour dans la requête).
34 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12-21, par. 42 (citant aussi Interprétation des traités
de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72).
35 Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
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3.18. La Cour semble avoir tenu compte de cette observation fondamentale dans l’affaire
Sahara occidental. En effet, elle n’a pas rejeté l’argument de l’Espagne selon lequel «le
consentement d’un Etat au règlement judiciaire d’un différend concernant l’attribution de la
souveraineté territoriale est toujours nécessaire», préférant faire valoir que «[l]es questions posées
dans la requête ne se rattachent pourtant pas à un conflit territorial, au sens propre, entre les Etats
intéressés»36.
3.19. L’affaire qui nous occupe est fondamentalement différente comme il ressort des
éclaircissements apportés par la Cour dans son avis consultatif sur le Sahara occidental. Dans cette
affaire, la Cour avait en effet précisé que la demande ne nécessitait pas de sa part qu’elle se
prononce sur des droits territoriaux existants ni sur la souveraineté sur un territoire ; elle était donc
recevable, dans la mesure où elle ne remettait pas en cause « la situation actuelle de l’Espagne en
tant que Puissance administrante du territoire … [ni] la validité des titres auxquels [elle] doit d’être
devenue Puissance administrante du territoire »37. Dans les circonstances de l’espèce, cependant, il
semble impossible de pouvoir se prévaloir des mêmes assurances en ce qui concerne la position
actuelle du Royaume-Uni sur l’archipel des Chagos.
3.20. Encore une fois, le fait que des organes politiques de l’Organisation des Nations Unies
s’intéressent à des différends territoriaux bilatéraux ne saurait modifier le caractère fondamental
d’iceux et les précautions que celui-ci impose. En particulier lorsque la souveraineté territoriale est
au coeur d’un différend porté devant la Cour par le biais d’une demande d’avis consultatif,
l’absence de consentement d’un Etat intéressé peut motiver un refus de répondre à ladite demande.
Ce principe devrait clairement s’appliquer en l’espèce et constituer aux yeux de la Cour une raison
décisive pour refuser de donner suite à la demande.
B. La procédure consultative se prête mal à la détermination de faits complexes et
controversés telle que celle requise en l’espèce
3.21. Pour la Cour, une demande d’avis consultatif peut parfaitement être rejetée en
l’absence «de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un
jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une
manière conforme à son caractère judiciaire»38. Elle a également fait observer que «la question de
savoir si les éléments de preuve dont elle dispose sont suffisants pour donner un avis consultatif
doit être tranchée dans chaque cas particulier »39.
3.22. Les questions posées à la Cour en l’espèce exigeraient sans aucun doute des
vérifications exhaustives et complexes pour déterminer les faits relatifs à l’objet du différend et
notamment les effets des accords signés entre le Royaume-Uni et Maurice et la situation des
personnes d’origine chagossienne. Même si le seuil exigé pour les «renseignements suffisants» est
généralement peu élevé40, Israël persiste à croire que les procédures consultatives conviennent mal
36 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27-28, par. 43.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 28-29, par. 46 ; voir aussi Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 161, par. 56 (citant une jurisprudence antérieure).
39 Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 161, par. 56.
40 Conséquences juridiques à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 136 [voir aussi p. 240-245 (déclaration du Juge Buergenthal)].
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à la résolution des divergences entre les sources d’information41. Même lorsque les parties ou le
Secrétaire général des Nations Unies fournissent de plus amples informations, le cadre procédural
de l’avis consultatif complique singulièrement l’établissement des faits contestés. Pour reprendre la
formule de la Cour permanente de Justice internationale, «dans des circonstances ordinaires, il
serait certainement utile que les faits sur lesquels l’avis de la Cour est demandé fussent constants :
le soin de les déterminer ne devrait pas être laissé à la Cour elle-même »42.
3.23. De fait, la procédure consultative a été conçue essentiellement pour répondre à une
question juridique et elle est dépourvue des mécanismes contradictoires — comme l’audition de
témoins et d’experts ou l’échange d’arguments et de contre-arguments — dont dispose la Cour
dans le cadre d’une procédure contentieuse pour tirer des conclusions bien étayées sur des
questions de fait complexes et controversées.
3.24. Il s’agit là encore d’une raison décisive de rejeter la demande d’avis consultatif.
IV. CONCLUSION
4.1. Lorsqu’elle exerce sa compétence consultative, la Cour doit veiller à maintenir son
intégrité en tant qu’institution judiciaire. Comme elle n’a pas manqué de le relever elle-même
dès 1950 :
« [il] y a certaines limites … de la Cour de répondre à une demande d’avis. La Cour
n’est pas seulement «organe des Nations Unies», elle est aussi essentiellement leur
«organe judiciaire principal» (article 92 de la Charte et article I du Statut) »43
4.2. Dans les circonstances de l’espèce, comme Israël a essayé de le démontrer, donner l’avis
demandé compromettrait gravement l’intégrité judiciaire de la Cour. La présente instance
correspond au type d’affaires même où la Cour — qui n’a jamais jusqu’à présent usé de son
pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande d’avis — devrait recourir à cette faculté44. Une telle
décision contribuerait à prévenir l’érosion de la distinction fondamentale, consacrée par le Statut de
la Cour, entre compétence contentieuse et compétence consultative ; s’inscrirait dans le droit fil de
la jurisprudence de la Cour ; et consacrerait le respect des principes régulièrement reconnus par la
Cour comme protégeant son caractère judiciaire.
41 Voir aussi Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005, volume II 956
(4e édition, 2006) : «… à moins que les parties s’accordent sur les faits à prendre en considération pour déterminer le
droit applicable, les procédures non contentieuses et non contradictoires conviennent généralement assez mal à
l’établissement des faits».
42 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B, n° 5, p. 28.
43 Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
44 Voir aussi, dans l’affaire Kosovo, les remarques du Juge Bennouna en faveur d’« un coup d’arrêt à toutes les
demandes «frivoles» d’avis que des organes politiques pourraient être tentés, à l’avenir [de lui adresser]» : Conformité au
droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2010 (I), p. 500-501, par. 3 et 5 (opinion dissidente de M. le juge Bennouna).
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4.3. Pour les raisons exposées plus haut, Israël prie respectueusement la Cour d’user du
pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 65, paragraphe 1, de son Statut pour refuser de
donner l’avis consultatif demandé en l’espèce.
Le 27 février 2018,
Le conseiller juridique,
Ministère des affaires étrangères,
Jérusalem,
(Signé) M. Tal BECKER
___________

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Exposé écrit d'Israël

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