Exposé écrit des Pays-Bas

Document Number
169-20180227-WRI-01-00-EN
Document Type
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE
MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU ROYAUME DES PAYS-BAS
27 février 2018
1. Introduction
1.1 Dans sa résolution 71/292 du 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé
de demander à la Cour internationale de Justice, en vertu de l’article 65 de son Statut, un avis
consultatif sur les questions suivantes :
(a) « Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son
indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du
droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514
(XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357
(XXII) du 19 décembre 1967 ? » ;
(b) « Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées
dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans
laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier
ceux d’origine chagossienne ? ».
1.2 Dans son ordonnance du 14 juillet 2017, la Cour a fixé au 30 janvier 2018 la date d’expiration
du délai dans lequel les Nations unies et les États habilité à se présenter devant la Cour pourront
lui soumettre un exposé écrit sur la question, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son
Statut.
1.3 En tant qu’État membre de l’Organisation des Nations unies et également, en vertu de
l’article 92 de la Charte des Nations unies, partie au Statut de la Cour, le Royaume des Pays-Bas
souhaite saisir l’occasion qui lui est donnée par l’ordonnance de la Cour datée du 14 juillet 2017
de faire un exposé écrit sur la requête pour avis consultatif adressée à la Cour par l’Assemblée
générale.
1.4 La question soumise à la Cour porte essentiellement sur les règles juridiques internationales
applicables à la réalisation et à l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que
sur les effets juridiques d’une éventuelle violation de ce droit dans un contexte de décolonisation.
1.5 Aux yeux du Royaume des Pays-Bas, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne saurait
être considéré comme un droit à exercer une fois pour toutes, mais comme un droit universel,
inaliénable et impératif dont l’exercice doit être permanent et continu. Il existe cependant des
différences essentielles dans la mise en oeuvre de ce droit par les peuples selon que le contexte est
colonial ou post-colonial. Dans son exposé écrit sur la Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo, le Royaume des Pays-Bas a exprimé son point de vue concernant plusieurs aspects de la
mise en oeuvre du droit à l’autodétermination dans un contexte post-colonial. Le présent exposé
énonce le point de vue du Royaume des Pays-Bas au sujet du droit à l’autodétermination, de ses
titulaires, de son statut juridique, de sa mise en oeuvre et de son exercice dans un contexte colonial,
en examinant particulièrement la transition entre la mise en oeuvre de ce droit dans un contexte
colonial et sa mise en oeuvre et son exercice dans un contexte post-colonial.
2. Portée du droit à l’autodétermination
2.1 Les instruments internationaux définissent de manière comparable la teneur du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes. Le paragraphe 2 de la résolution 1514 affirme que :
« [t]ous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut
politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. »
Les articles 1ers des Pactes de 1966 reprennent la même formulation. Selon la résolution 2625,
« [e]n vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe
consacré dans la Charte des Nations unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en
toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel,
et tout État a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte. »
L’article 20(1) de la Charte africaine déclare que « [t]out peuple a un droit imprescriptible et
inaliénable à l’autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son
développement économique et social selon la voie qu’il a librement choisie ».
2.2 Sur la base de ces définitions formulées dans les traités internationaux et les déclarations des
Nations unies faisant autorité, il apparaît que le droit à l’autodétermination porte sur la
détermination du statut politique d’un peuple, sur la poursuite de son développement économique,
social et culturel ainsi que sur son avenir. Il faut en outre conclure de ces définitions que les
décisions relatives au statut politique et au développement économique, social et culturel sont
prises par ce peuple lui-même, ou par ses représentants légitimes, et par personne d’autre, et ce en
toute liberté, sans pression ni ingérence extérieure.
2.3 Le droit à l’autodétermination a joué un rôle crucial dans la décolonisation des peuples et des
territoires dépendants. Toutefois, il faut d’emblée souligner que la décolonisation n’a constitué
que l’une des manifestations particulières de l’exercice et de la mise en oeuvre de ce droit. Comme
l’observe le juge Kreća dans son opinion dissidente dans l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro) :
« [l]e fait que dans la pratique de la Cour [...] le droit à l’autodétermination externe ait été lié aux territoires
non autonomes ne peut être considéré comme limitant la portée du droit à l’autodétermination ratione personae,
mais comme l’application ad casum du droit universel. » (CIJ Recueil 1996, p. 595, paragraphe 72).
2.4 En effet, d’abord principe juridique inclus à la Charte des Nations unies, le concept
d’autodétermination des peuples est devenu un droit mis en oeuvre de façon particulière dans le
contexte de la décolonisation. Il est toutefois entendu que ce droit reste applicable en situation
post-coloniale. Comme nous verrons plus en détail ci-dessous (paragraphe 3.32), l’exercice et la
réalisation du droit à l’autodétermination par un peuple dans un contexte colonial conformément
au droit international applicable met fin au statut colonial de ce peuple ainsi que de son territoire.
Le droit à la décolonisation et les modalités de mise en oeuvre du droit à l’autodétermination liées
au contexte de décolonisation s’éteignent concomitamment. Si le peuple concerné choisit, en toute
liberté, l’intégration ou l’association à un État existant, cela ne met pas fin à l’applicabilité du droit
à l’autodétermination à ce peuple ni à l’obligation légale qui en découle pour l’État auquel le
territoire a été intégré ou associé de respecter et de promouvoir le droit à l’autodétermination de
ce peuple dans le nouveau contexte post-colonial. De plus, il est entendu que, si le peuple d’un
territoire colonial choisit, en toute liberté, d’établir un État indépendant, celui-ci doit, en vertu du
droit international, respecter et promouvoir le droit à l’autodétermination des peuples vivant au
sein de ses frontières.
2.5 Les arguments ci-dessus émanent du point de vue du Royaume des Pays-Bas selon lequel le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit permanent, continu, universel, inaliénable
et impératif (cf. exposé écrit du Royaume des Pays-Bas, 17 avril 2009, paragraphe 3.2) dont la
portée dépasse le cadre de la décolonisation et de l’occupation étrangère. Le droit à
l’autodétermination a été inclus à différents instruments internationaux n’ayant pas, ou pas
uniquement, trait aux situations de décolonisation ou d’occupation étrangère. Il est ainsi mentionné
aux articles 1ers des Pactes de 1966, dans la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations
unies, dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à la section I.2 de la
Déclaration et du Programme d’action de Vienne de 1993 tels qu’adoptés lors de la Conférence
mondiale sur les droits de l’homme, et à la section VIII de l’Acte final de la Conférence sur la
sécurité et la coopération en Europe. Ces instruments ont en commun de faire de « tous les
peuples », et non seulement des peuples coloniaux ou opprimés, les titulaires du droit à
l’autodétermination, un choix terminologique qui implique le caractère universel et continu d’au
moins certains aspects de ce droit.
2.6 Dans le cadre de la procédure consultative relative à la Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo, le Royaume des Pays-Bas a avancé qu’en droit international, une distinction devait être
établie entre l’exercice du droit à l’autodétermination
« d’une manière qui préserve les frontières internationales (autodétermination interne) ou
si son exercice implique une modification desdites frontières (autodétermination externe) »
(exposé écrit du Royaume des Pays-Bas, 17 avril 2009, paragraphe 3.5).
Dans un contexte colonial, le droit à l’autodétermination trouve sa réalisation dans un processus
d’indépendance, d’association ou d’intégration à un autre État. En situation post-coloniale, le droit
d’un peuple à disposer de lui-même doit en principe être exercé dans les limites des frontières
internationales de l’État dans lequel réside ce peuple, et c’est à cette dimension interne que les
articles 1er des Pactes de 1966 ainsi que les autres instruments internationaux susmentionnés font
référence.
2.7 Bien que le droit à l’autodétermination doive en principe, dans une situation post-coloniale,
être exercé dans les limites des frontières internationales d’un État, le droit à l’autodétermination
externe peut dans certains cas être légitimement revendiqué par un peuple. Ainsi, même dans un
contexte post-colonial, l’autodétermination peut trouver sa réalisation dans un processus
d’indépendance, d’association ou d’intégration au moyen de (a) la dissolution d’un État, (b) la
fusion de plusieurs États ou (c) la sécession d’une partie d’un État. En vertu de leur droit à disposer
d’eux-mêmes, les peuples résidant sur le territoire d’un État ont la faculté, sur la base d’un accord
libre et consensuel, de décider la dissolution d’un État et la création de plusieurs États sur son
territoire ou d’autoriser un ou plusieurs de ces peuples à faire sécession (sécession consensuelle).
Un tel accord peut être conclu de manière ad hoc ou inscrit dans la Constitution de l’État, par
exemple. Le Royaume des Pays-Bas est toujours d’avis que, dans un contexte post-colonial, le
droit de sécession unilatérale ne naît que lorsqu’il est satisfait à des conditions substantielles et
procédurales particulières et cumulatives : (a) une violation persistante et sérieuse du droit à
l’autodétermination interne du peuple concerné (condition substantielle), telle que l’absence de
gouvernement représentant l’ensemble du peuple résidant sur le territoire de l’État (résolution
2625) et l’épuisement, de bonne foi, par le peuple concerné de tous les recours possibles visant à
exercer son droit à disposer de lui-même au sein des frontières internationales de l’État (condition
procédurale), ou (b) des violations graves et généralisées des droits fondamentaux des individus
appartenant au peuple concerné (condition substantielle). Relativement à la condition procédurale,
le Royaume des Pays-Bas a énoncé dans son exposé sur la Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo que :
« toutes les pistes [devaient avoir] été explorées en vue de garantir le respect et la promotion de
l’autodétermination par le biais des procédures disponibles, et notamment par le biais de négociations
bilatérales, de l’assistance de tiers et, lorsque cela était possible ou convenu, du recours à des tribunaux et
cours d’arbitrage nationaux et/ou internationaux » (exposé écrit du Royaume des Pays-Bas, 17 avril 2009,
paragraphe 3.11).
Le Royaume des Pays-Bas affirme également dans ce même exposé que :
« le droit à l’autodétermination politique peut [ainsi] évoluer vers un droit à l’autodétermination externe
dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire dans des cas très spécifiques ou dans des cas sui
generis. Il s’agit là d’une exception à la règle, dont l’interprétation doit rester restrictive. Le recours à
l’autodétermination externe [au moyen d’une sécession unilatérale] est en effet considéré comme un
ultimum remedium » (exposé écrit du Royaume des Pays-Bas, 17 avril 2009, paragraphe 3.6).
3. Droit à l’autodétermination et décolonisation
Statut juridique du droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation
3.1 Après avoir été proclamé par les États-Unis et le Royaume-Uni dans la Charte de l’Atlantique
(troisième principe) durant la Seconde Guerre mondiale, le principe d’autodétermination a ensuite
été inclus à la Charte des Nations unies, qui en fait mention à deux reprises. L’article 1(2) énonce
comme l’un des buts et principes des Nations unies :
« Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits
des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la
paix du monde ».
La seconde référence à l’autodétermination se trouve à l’article 55(c). La Charte des Nations unies
n’a cependant défini ni la teneur du principe d’autodétermination ni le terme « peuples ». Les
nombreuses résolutions adoptées au cours des années suivantes, en particulier par l’Assemblée
générale, fournissent des enseignements sur la teneur de ce principe dans le contexte de la
décolonisation.
3.2 Au fur et à mesure du développement de la pratique des Nations unies et des États, il est apparu
clairement que les chapitres XI et XII de la Charte des Nations unies formaient la toile de fond de
l’évolution de l’autodétermination et de son passage du statut de principe à celui de droit légal
positif dans le contexte de la décolonisation dans les deux décennies suivant la création des Nations
unies.
Bien qu’il n’y soit pas explicitement mentionné, le principe d’autodétermination sous-tend les
chapitres XI et XII de la Charte, ce dernier pouvant être considéré comme le successeur du système
de mandat de la Société des Nations, leurs objectifs étant fondamentalement similaires. Le chapitre
XI, de son côté, instaure un nouveau système de territoires non autonomes, décrits à l’article 73 de
la Charte comme « des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement
elles-mêmes ». La portée de l’application de la notion d’autodétermination a été de cette façon
considérablement élargie par rapport à l’ère de la Société des Nations.
Conformément à l’article 73(e), selon lequel « les Membres des Nations unies qui ont ou qui
assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas
encore complètement elles-mêmes » doivent « communiquer régulièrement au Secrétaire général,
à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre
constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux
conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement
responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les Chapitres XII et XIII », le Secrétaire
général a invité les États membres à donner leur opinion sur les facteurs à prendre en compte en
vue de déterminer si un territoire est ou non un territoire non autonome (A/47, 29 juin 1946, et
A/47, Ann. I à VIII et Add. 1 et Add. 2). Sur la base des informations fournies, l’Assemblée
générale a recensé, dans sa résolution 66(I) (A/RES/66(I), 14 déc. 1946), soixante-quatorze
territoires au sens de l’article 73 de la Charte. Elle a ajouté en 1960 à cette liste quatre territoires
espagnols et neuf territoires portugais (A/Res/1542 (XV), 15 déc. 1960) ainsi que, en 1962, la
Rhodésie du Sud (A/Res/1747 (XVI), 28 juin 1962). En 1963, le Sahara occidental a été ajouté à
cette liste (A/5514, annexe III). En 1986, la Nouvelle-Calédonie (A/Res/41/41, 2 déc. 1983) et, en
2013, la Polynésie française (A/Res/67/265, 17 mai 2013) y ont été réinscrites.
Les chapitres XI et XII ont permis l’évolution progressive des territoires non autonomes vers
l’autonomie ou, dans le cas des territoires sous tutelle, vers l’indépendance « compte tenu des
conditions particulières » (article 76(b)). Mais, au début des années 1950, l’Assemblée générale a
de plus en plus mis à mal cette politique d’évolution progressive et graduelle vers davantage
d’autonomie (voir notamment A/Res/637 (VII), 16 déc. 1952). Elle l’a finalement complètement
mise de côté en faveur d’une politique prônant l’indépendance immédiate des territoires assujettis,
dépendants ou colonisés.
3.3 La résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale (« Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux ») a été d’une importance fondamentale pour la promotion de
l’autodétermination en tant que droit des territoires et des peuples coloniaux. Quatre-vingt-neuf
États membres ont voté en sa faveur et neuf se sont abstenus, mais aucun n’a voté contre. Dans le
préambule, l’Assemblée générale souligne « la nécessité de mettre rapidement et
inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations »
comme l’un des objectifs principaux de la résolution. Dans le dispositif de la résolution,
l’Assemblée générale déclare que :
1. « La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères
constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations unies et
compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales.
2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement
leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.
3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de
l’enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l’indépendance.
4. Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu’elle soient,
dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et
librement leur droit à l’indépendance complète, et l’intégrité de leur territoire national sera respectée.
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes
et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs
aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs
voeux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur
permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.
6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale
d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies.
7. Tous les États doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations
unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la présente Déclaration sur la base de
l’égalité, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États et du respect des droits souverains
et de l’intégrité territoriale de tous les peuples. »
3.4 Dans la résolution 1514, l’Assemblée générale désigne l’autodétermination comme un droit,
et non comme un principe. Cela pose la question de savoir si, au moment de l’adoption de ladite
résolution, elle considérait l’autodétermination comme un droit au regard du droit international
coutumier. Le Royaume des Pays-Bas estime qu’il convient de répondre par l’affirmative.
3.5 Rappelons que, dès 1952, l’Assemblée générale avait adopté un certain nombre de résolutions
sous le titre « Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes » dans lesquelles elle
affirmait que « les États membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation,
en ce qui concerne les populations des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle
placés sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (A/Res/637 A-BC,
16 déc. 1952). L’Assemblée générale avait également adopté en 1953 une résolution sur les
facteurs à prendre en compte pour déterminer si un territoire relève encore ou non du chapitre XI
de la Charte. Elle déclarait dans cette résolution que « chaque cas d’espèce doit être examiné et
tranché en tenant compte des circonstances qui lui sont propres et du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes » (A/Res/742 (VIII), 27 nov. 1953). En outre, la résolution 1188 (XII), adoptée par
l’Assemblée générale en 1957, réaffirme dans son premier paragraphe que « les États membres
qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes contribuent à assurer et
à faciliter l’exercice du droit [des peuples à disposer d’eux-mêmes] par les peuples de ces
territoires ».
3.6 Parmi les treize États s’étant abstenus de voter le projet de résolution 1188 (XII) dans son
ensemble, un certain nombre ont voté contre le premier paragraphe. Il s’agissait notamment d’États
administrant des territoires coloniaux. Il a parfois été suggéré que, puisque les principales
puissances coloniales s’étaient abstenues ou avaient voté contre les résolutions en faveur du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes, il semblait impossible de conclure à l’existence, à l’époque
en question, d’une règle de droit coutumier. Les débats précédant l’adoption du projet de résolution
1188 (XII) ne semblent cependant pas étayer cette conclusion. Comme il apparaît dans les débats,
la principale raison de l’abstention ou du vote négatif de nombreux États coloniaux en 1957 résidait
moins dans l’utilisation du terme « droit » que dans le fait que, selon eux, l’autodétermination ne
se limitait pas aux populations des territoires non autonomes (voir par exemple Documents
officiels de l’Assemblée générale, 12e session, 3e comm., 821e réunion, 26 nov. - 3 déc. 1957 :
Royaume-Uni (p. 303, paragraphe 4, et p. 325, paragraphe 62 : « [le Royaume-Uni] a voté contre
le premier paragraphe car même dans les États indépendants le principe d’autodétermination peut
ne pas être respecté [...] ») ; les Pays-Bas (p.313, paragraphe 4 : le Royaume des Pays-Bas
« souligne la distinction entre autodétermination interne et autodétermination externe et exprime
son étonnement face au confinement de la question dans son volet colonial par certains
représentants alors que de nombreuses populations hors de la sphère coloniale souhaiteraient
exercer leur droit à l’autodétermination et ne le peuvent pas ») ; Canada (p. 319, paragraphe 2 :
« il ressort de la discussion que la question de l’autodétermination ne se limite pas aux cas liés au
colonialisme traditionnel ») ; Nouvelle-Zélande (p. 321, paragraphe 21 : « il a été suggéré que la
question de l’autodétermination ne se posait en pratique que dans le cas des territoires non
autonomes. L’article premier du projet de Pactes [sur les droits de l’homme] n’a toutefois pas été
adopté selon ce principe. Il serait difficilement explicable à une grande partie du public mondial,
y compris les sujets des États policiers, que le droit à l’autodétermination est dans leur cas une
sorte de fiction constitutionnelle. Une telle interprétation priverait le [projet de] Pactes [sur les
droits de l’homme] et les Nations unies de toute autorité morale »).
3.7 Il apparaît qu’il existait dans les années 1950 non seulement une opinio juris concernant la
nature du droit à l’autodétermination en tant que droit international coutumier, mais aussi une
pratique des États largement établie, qui se reflète dans le fait qu’une trentaine de territoires non
autonomes et sous tutelle ont acquis leur indépendance avant l’adoption de la résolution 1514 le
14 décembre 1960. En outre, la comparaison de la terminologie utilisée entre 1952 et 1957 par
l’Assemblée générale dans ses résolutions sur le droit à l’autodétermination et de celle employée
dans la résolution 1514 révèle que cette dernière est beaucoup plus impérative, créant à tout le
moins l’impression qu’elle tend à exprimer le droit applicable. Il apparaît donc que la résolution
1514 reflète une règle de droit international coutumier existante en ce qui concerne le droit des
« pays et des peuples coloniaux » à disposer d’eux-mêmes.
3.8 Il apparaît en tout cas que le droit à l’autodétermination au sens de droit des peuples à choisir,
dans le contexte colonial, en faveur de l’indépendance, de l’association ou de l’intégration a peu à
peu atteint le statut de règle de droit international coutumier au cours des années 1960. Cela se
reflète dans les multiples résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale affirmant
l’existence d’un droit à l’autodétermination, mais aussi dans le démantèlement quasiment total, au
cours des décennies 1960-1970, du système de dépendance sous toutes ses formes : territoires non
autonomes, sous tutelle et autres territoires coloniaux. Il convient de noter à cet égard l’affirmation
de la Cour dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les États de la présence
continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970)
du Conseil de sécurité :
« les cinquante dernières années ont marqué [...] une évolution importante. Du fait de cette évolution il n’y a
guère de doute que la « mission sacrée de civilisation » avait pour objectif ultime l’autodétermination et
l’indépendance des peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s’est
beaucoup enrichi [...]. » (CIJ Recueil 1971, p. 16, paragraphe 52).
3.9 En outre, l’obligation de respecter et de promouvoir le droit à l’autodétermination des peuples
dans un contexte colonial, de même que l’obligation de s’abstenir de recourir à toute mesure de
coercition privant les peuples de ce droit, découle d’une norme impérative du droit international.
Durant les débats précédant l’adoption de la résolution 2625 en 1970, les États ont qualifié comme
suit le droit à l’autodétermination : « principe fondamental du droit international contemporain
s’imposant à tous les États » (A/AC.125/SR.41 (Pologne)), « l’une des normes fondamentales du
droit international contemporain » (A/AC.125/SR.40 (Yougoslavie)), « l’un des principes les plus
importants inscrits à la Charte » (A/AC.125/SR.69 (Japon)), « un principe du droit international
contemporain reconnu universellement » (A/AC.125/SR.70 (Cameroun)), et « indispensable à
l’existence de la communauté des nations » (A/AC.125/SR.68 (États-Unis)). Le caractère
fondamental du droit à l’autodétermination a été souligné dans le cadre du processus de
décolonisation et, à cet égard, les États l’ont explicitement qualifié de norme impérative du droit
international (Espagne, affaire du Sahara occidental, CIJ, Mémoires, Vol. I, p. 206-208 ; Algérie,
cas du Sahara occidental, CIJ, Mémoires, Vol. IV, p. 497-500 ; Maroc, cas du Sahara occidental,
CIJ, Mémoires, Vol. V, p. 179-180 ; Guinée-Bissao, cas concernant la Sentence arbitrale du 31
juillet 1989 (Guinée-Bissao c. Sénégal), ILR, Vol. 83, p. 1, paragraphe 24 ; et A/AC.125/SR.70, 4
déc. 1967, p. 4 (Roumanie)). Le droit à l’autodétermination a été caractérisé comme un « droit
inaliénable » (S/Res/264, 20 mars 1969 ; Déclaration et Programme d’action de Vienne de 1993,
tels qu’adoptés lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, section I.2, Commentaire
général n°12 de 1984 de la Commission des droits de l’homme sur l’article premier des Pactes de
1966, paragraphe 2). Dans le cas du Timor oriental, la Cour a observé que le droit à
l’autodétermination était « un des principes essentiels du droit international contemporain » et
estimé qu’il n’y avait « rien à redire » à l’affirmation selon laquelle le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes présente un caractère erga omnes (CIJ Recueil 1995, p. 90, paragraphe 29). Dans
son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, la Cour a observé que l’obligation de respecter le droit des peuples à
l’autodétermination est une obligation erga omnes (C.I.J. Recueil 2004, p. 136, paragraphe 155).
Faisant référence au cas du Timor oriental, la Commission du droit international décrit
« l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination » comme une norme dont le caractère
impératif « semble recueillir l’adhésion générale » (Commentaire sur l’article 40 du projet
d’Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, paragraphe 5). La
Commission du droit international affirme ensuite :
« [j]usqu’à présent, assez peu de normes impératives ont été reconnues comme telles. Mais diverses
juridictions, nationales et internationales, ont affirmé l’idée de normes impératives dans des contextes ne se
limitant pas à la validité de traités. Les normes impératives qui sont clairement acceptées et reconnues sont
les interdictions de l’agression, du génocide, de l’esclavage, de la discrimination raciale, des crimes contre
l’humanité et de la torture, ainsi que le droit à l’autodétermination » (Commentaire sur l’Article 26 du projet
d’Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, paragraphe 5).
3.10 La Cour a reconnu l’existence dans le droit international de normes impératives dans l’Affaire
des activités armées sur le territoire du Congo (Nouvelle requête : 2002), Compétence de la Cour
et recevabilité de la requête (CIJ Recueil, 2006, p. 32, paragraphe 64).
Les titulaires du droit à l’autodétermination et le principe d’intégrité territoriale
3.11 Bien que la Charte des Nations unies mentionne l’autodétermination « des peuples » et que
la résolution 1514 proclame que « tous les peuples » ont le droit de libre détermination, la pratique
des Nations unies jusqu’au milieu des années 1960 révèle que ce droit s’est principalement
développé dans le contexte colonial.
3.12 Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les États de la présence
continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970)
du Conseil de sécurité, la Cour observe que le développement de la portée du droit à
l’autodétermination ne se limite pas aux territoires sous tutelle. Elle affirme en particulier que :
« l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré
par la Charte des Nations unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires. La
notion de mission sacrée a été confirmée et étendue à tous les « territoires dont les populations ne
s’administrent pas encore complètement elles-mêmes » (art. 73). II est clair que ces termes visaient les
territoires sous régime colonial. » (CIJ Recueil 1971, p. 16, paragraphe 52).
3.13 Pour avoir une indication de ce que peut être un territoire non autonome auquel s’applique le
droit à l’autodétermination, il est possible de se référer à la résolution 1541 qui définit, dans le
Principe IV, un territoire non autonome comme « un territoire géographiquement séparé et
ethniquement ou culturellement distinct du pays qui l’administre », ce qui est souvent appelé la
« théorie de l’eau salée ». Le Principe V vient compléter le Principe IV en recensant de possibles
critères additionnels en vue de définir les territoires non autonomes.
3.14 La pratique des Nations unies en matière de décolonisation a étroitement collé à cette « théorie
de l’eau salée » et a donc considéré durant cette période de l’histoire que les territoires auxquels
s’appliquait le droit à l’autodétermination étaient – outre les territoires sous tutelle – ceux « sous
régime colonial », comme le note la Cour dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques
pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité (CIJ Recueil 1971, p. 16, paragraphe
52). Ce faisant, la Cour a appliqué, conformément à l’écrasante majorité des cas de la pratique des
Nations unies en matière de décolonisation, une définition territoriale plutôt qu’ethnique du sujet
ou titulaire du droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation.
3.15 Cette définition territoriale du sujet ou titulaire du droit à l’autodétermination est
inextricablement liée à l’applicabilité du principe d’intégrité territoriale au territoire colonial dans
le cadre de la mise en oeuvre du droit à l’autodétermination.
Dans la résolution 1514, l’Assemblée générale stipule au paragraphe 6 que :
« [t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un
pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies ».
Le paragraphe 4 de la même résolution souligne que « l’intégrité [du] territoire national [des
peuples dépendants] sera respectée ». Le terme « pays » tel qu’utilisé au paragraphe 6 de la
résolution 1514 semble se référer aux « territoires sous tutelle, [aux] territoires non autonomes et
[à] tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance » (paragraphe 5). La
pratique des Nations unies et de ses États membres peut sous-entendre que ce paragraphe sur le
principe de l’intégrité territoriale d’un territoire colonial reflète le droit international coutumier.
Le Royaume des Pays-Bas souhaite émettre trois observations à cet égard.
3.16 Premièrement, selon le Royaume des Pays-Bas, ni la résolution 1514 ni la pratique ultérieure
des États en matière de décolonisation ne doit être interprétée comme rendant illégal ou nul ab
initio le droit de l’État administrant sur le territoire colonial. La Charte des Nations unies ne
considère pas l’existence des colonies ou des régimes coloniaux comme une violation en soi du
droit international. Il s’est développé en revanche une règle juridique positive selon laquelle les
États administrant ces territoires étaient tenus d’y mettre fin à la colonisation conformément aux
voeux des habitants. Dans les cas où, en violation de cette obligation, les États administrants
refusaient de transférer la souveraineté au peuple ou aux autorités du territoire colonial, le droit à
l’autodétermination de ce peuple prévalait sur toute revendication de maintien de la souveraineté
de l’État administrant sur le territoire colonial en question. En conséquence, le choix d’un peuple
d’un territoire colonial de rompre les liens avec l’État administrant sans le consentement de celuici
ne pouvait être qualifié de violation du principe d’intégrité territoriale.
Deuxièmement, l’applicabilité du principe d’intégrité territoriale au territoire colonial signifie que
les États administrant de tels territoires, ainsi que les États tiers, étaient soumis à l’obligation
juridique internationale de respecter l’intégrité du territoire colonial. La tentative de l’Afrique du
Sud de morceler la Namibie en créant des bantoustans est un parfait exemple de la violation de ce
principe. Les Nations unies l’ont déclarée illégale et contraire aux dispositions de la Charte des
Nations unies (voir notamment S/Res/ 264, 20 mars 1969 ; S/Res/301, 20 oct. 1971 ; S/Res/366,
17 déc. 1974 ; S/Res/385, 30 jan. 1976. Voir aussi A/Res/2372 (XXII), 12 juin 1968 ; A/Res/2403
(XXIII), 16 déc. 1968 ; A/Res/31/146, 20 déc. 1976).
Troisièmement, il apparaît que, dans la pratique des Nations unies et des États, le droit à
l’autodétermination était interprété à la lumière du principe d’intégrité territoriale, ce qui signifie
que les Nations unies et la communauté internationale dans son ensemble ne pouvaient accepter le
morcellement d’un territoire colonial avant son accession à l’indépendance (ou son intégration ou
association) suite à la sécession unilatérale d’une partie de la population coloniale.
3.17 En conclusion, dans le contexte de la décolonisation, le droit à l’autodétermination
s’appliquait à l’ensemble des habitants d’un territoire colonial et non aux minorités, aux groupes
ethniques ni à des segments de la population de ce territoire. La définition du titulaire du droit à
l’autodétermination ou « droit de décolonisation » était donc avant tout territoriale. En règle
générale, l’autodétermination devait donc être accordée aux territoires sous tutelle ou non
autonomes dans leur ensemble. Mais cette règle générale connaissait des exceptions.
3.18 L’insistance des Nations unies sur la préservation de l’intégrité territoriale des territoires
dépendants ou coloniaux ne formait pas obstacle à la partition dans la mesure où tel était clairement
le souhait de la majorité de la population du territoire concerné. Dans le cas du territoire non
autonome des îles Gilbert et Ellice, par exemple, l’Assemblée générale a d’abord accepté la
division administrative du territoire colonial avant d’approuver la partition de la colonie suite au
souhait exprimé lors d’un référendum par les habitants des îles Ellice, qui deviendront l’État des
Tuvalu ( A/Res/32/407, 28 nov. 1977 et A/Res/3288 (XXIX), 13 déc. 1974). Il peut également être
fait mention de la séparation du Ruanda-Urundi, territoire sous tutelle, en deux États distincts, le
Rwanda et le Burundi (A/Res/1746 (XVI), 27 juin 1962) et de la division par le Royaume-Uni,
suite aux plébiscites organisés au Cameroun septentrional et au Cameroun méridional, du territoire
sous tutelle du Cameroun britannique en deux régions, celle du sud devenant le Cameroun et celle
du nord le Nigéria (A/Res/63 (I), 13 déc. 1946, A/Res/1350(XIII), 13 mai 1959 et
A/Res/1608(XV), 21 avril 1961). Citons encore l’exemple de la division, en 1978, du territoire
sous tutelle « stratégique » des Îles du Pacifique, avec l’accord des habitants tel qu’exprimé lors
de plusieurs référendums et du Conseil de tutelle (S/Res/683, 22 déc. 1990 et Rapport du Conseil
de tutelle au Conseil de sécurité sur le territoire sous tutelle des Îles du Pacifique, 1977-1978,
ONU, Documents officiels du Conseil de sécurité, 33e année, Supplément spécial n° 1, p. 75 sq.).
Parmi les quatre entités distinctes créées, trois sont devenues des États indépendants, à savoir les
États fédérés de Micronésie, les Palaos et les îles Marshall, la dernière – les îles Mariannes
septentrionales – ayant choisi l’association avec les États-Unis. Les Nations unies étaient disposées
à accepter la partition de ces territoires coloniaux, conformément aux voeux librement exprimés
des populations concernées.
3.19 En conclusion, dans le contexte de la décolonisation, les États administrants comme les pays
tiers étaient tenus, en vertu du droit international, de respecter l’intégrité territoriale des territoires
coloniaux. La partition n’était autorisée que si elle était clairement souhaitée par la majorité des
habitants du territoire concerné. Cette condition – le voeu librement exprimé de la population
concernée – constitue un principe fondamental de l’exercice du droit à l’autodétermination et sera
examiné plus en détail au paragraphe 3.23 ci-dessous.
Décolonisation et exercice du droit à l’autodétermination
3.20 Le jour suivant l’adoption de la résolution 1514, le 15 décembre 1960, l’Assemblée générale
a adopté la résolution 1541 (XV) intitulée « Principes qui doivent guider les États membres pour
déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’article 73
de la Charte, leur est applicable ou non ». Le Principe VI énonce trois critères sur la base desquels
« [o]n peut dire qu’un territoire non autonome a atteint la pleine autonomie » :
(a) Acquisition du statut d’État libre et souverain ;
(b) Libre association à un État indépendant ;
(c) Intégration à un État indépendant.
3.21 Comme formulé dans la résolution 1541, tout statut territorial spécifique choisi par les
habitants d’un territoire colonial dans l’exercice de leur autodétermination, qu’il s’agisse
d’indépendance, d’association ou d’intégration, signifie que le territoire colonial en question et
son peuple ont « atteint la pleine autonomie » et ont donc exercé leur droit à l’autodétermination,
du moins dans le contexte de la décolonisation.
3.22 Il faut noter que « l’indépendance » n’est qu’une des possibilités parmi d’autres, pour un
territoire colonial, d’exercer son droit à l’autodétermination. Nombreuses sont les résolutions de
l’Assemblée générale sur la décolonisation qui établissent le lien entre autodétermination et
indépendance, si bien que l’idée s’est largement répandue (à tort) que les termes étaient synonymes
en théorie ou, en tout cas, dans la pratique des Nations unies. Or, comme l’affirme le Principe V
de la résolution 2625 (« Le Principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes »), tout statut politique autre que l’indépendance, l’intégration ou l’association
choisi par un peuple dans le contexte colonial peut être considéré comme l’exercice de son droit à
l’autodétermination :
« La création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État
indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce
peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même. »
Le principe du « libre choix »
3.23 La résolution 1514 affirme que les peuples dans un contexte colonial doivent « librement »
déterminer leur propre statut politique (paragraphe 2). Selon le Principe VII de la résolution 1541,
l’association
« doit résulter d’un choix libre et volontaire des populations du territoire en question, exprimé selon des
méthodes démocratiques et largement diffusées »,
tandis que le Principe IX(b) affirme que l’intégration
« doit résulter du désir librement exprimé des populations du territoire, pleinement conscientes du
changement de leur statut, la consultation se faisant selon des méthodes démocratiques et largement diffusées
[...] ».
3.24 Bien que la résolution 1541 précise les implications générales de l’exigence d’une « libre »
détermination par un peuple dans un contexte colonial pour ce qui est de l’intégration et de
l’association, la pratique des Nations unies et des États montre que cette exigence s’applique
également au choix de l’indépendance ou de « l’acquisition de tout autre statut politique librement
décidé par un peuple » (résolution 2625). Comme l’affirme le juge Nagendra Singh dans sa
déclaration relative au Sahara occidental, « s’être assuré de la volonté librement exprimée des
habitants [...] constitue le sine qua non de toute décolonisation » (CIJ Recueil 1975, p.12, p. 81).
3.25 Le principe selon lequel la détermination du futur statut politique d’un peuple doit être
l’expression authentique du voeu de ce peuple en tant que sujet du droit à l’autodétermination
politique se reflète également dans d’autres instruments internationaux relatifs à la décolonisation :
« ils déterminent librement leur statut politique » (article premier des Pactes de 1966), « le droit
de déterminer leur statut politique, [...] sans ingérence extérieure » (résolution 2625).
3.26 Ce principe central, que l’on pourrait appeler « principe du libre choix », a été confirmé par
la Cour dans l’affaire du Sahara occidental, dans laquelle, sur la base de la résolution 1514 et de
ses propres affirmations dans les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue
de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du
Conseil de sécurité, elle affirme que « l’application du droit à l’autodétermination suppose
l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés » ( CIJ Recueil 1975, p. 12,
paragraphe 55). La Cour continue en définissant « le principe d’autodétermination [...] comme [...]
la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples » (CIJ Recueil 1975, p.12,
paragraphe 59).
3.27 Selon la Cour dans l’affaire du Sahara occidental, cette obligation de « respecter la volonté
librement exprimée des peuples » ne peut être écartée que dans les cas où la population d’un
territoire colonial « ne constitue pas un « peuple » pouvant prétendre à disposer de lui-même »
(comme dans le cas de Gibraltar, où les habitants n’étaient pas considérés comme constituant un
peuple en vue de l’autodétermination externe, voir résolution A/RES/2353 (XXII), 19 déc. 1967)
ou lorsqu’existe la « conviction qu’une consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de
circonstances spéciales » (CIJ Recueil 1975, p.12, paragraphe 59). Ou, comme le formule le juge
Singh dans sa déclaration relative à cette affaire : « le principe de l’autodétermination n’est écarté
que dans la mesure où l’on considère comme allant de soi la libre expression de la volonté de la
population, en ce sens que l’on sait le résultat acquis d’avance ou que des consultations ont déjà
eu lieu sous une forme quelconque ou encore que certaines particularités rendent cette consultation
superflue » (CIJ Recueil 1975, p.12, p. 81).
3.28 Rappelant la résolution 1514, l’Assemblée générale déclare dans la résolution 54/90 relative
au futur statut d’un certain nombre de territoires non autonomes que « des référendums, des
élections libres et régulières et autres formes de consultation populaire sont importants pour
connaître [l]es voeux et aspirations [des populations] » et reconnaît que « toutes les formules
possibles d’autodétermination des territoires sont valides dès lors qu’elles répondent aux voeux
librement exprimés des populations concernées » (A/RES/54/90, 4 fév. 2000 (Résolution adoptée
par l’Assemblée générale sur le rapport de la Commission des questions politiques spéciales et de
la décolonisation)).
3.29 La pratique des Nations unies en ce qui concerne l’obligation de respecter le principe du libre
choix fait preuve d’une quasi-uniformité. Garanti par les Nations unies, le respect de ce principe a
pris la forme de l’organisation et de la supervision d’élections, de référendums et de plébiscites,
en particulier dans les cas où l’exercice de l’autodétermination avait des chances d’aboutir à un
régime d’association ou d’intégration. Cela vaut par exemple pour le Togo sous administration
britannique (A/Res/944 (X), 15 déc. 1955), le Togo sous administration française
A/Res/1182(XII), 29 nov. 1957), le Samoa-Occidental (A/Res/1569(XV), 18 déc. 1960), les îles
Cook (A/Res/2005(XIX), 18 fév. 1965), la Guinée équatoriale (A/Res/2067(XX), 16 déc. 1965),
le territoire néo-zélandais de Nioué (A/Res/3285(XXIX), 13 déc. 1974), les îles Mariannes
septentrionales (A/Res/2160(XLII), 4 juin 1975) et les Comores (A/Res/3161(XXVIII), 14 déc.
1973). Dans les cas où il était probable que la population du territoire colonial opte pour
l’indépendance, la volonté de la population devait normalement s’exprimer par l’intermédiaire des
processus politiques habituels du territoire, sauf lorsque des arrangements spécifiques semblaient
nécessaires, comme aux îles Ellice où un référendum – conduisant à l’indépendance – a eu lieu en
1974 en présence d’observateurs des Nations unies (voir le Rapport de la mission de visite des
Nations unies aux îles Gilbert et Ellice, (A/AC. 109/L 984), 1974 et A/Res/3288(XXIX), 13 déc.
1974). De strictes normes démocratiques étaient donc en principe requises pour l’association ou
l’intégration, tandis que le choix pour l’indépendance devait être effectué librement mais pas
nécessairement sur la base de standards de vérification démocratiques, c’est-à-dire dans le respect
de la conception occidentale du principe « une personne, un vote ». Par exemple, en 1970, une
procédure de consultation des leaders d’opinion et des organisations organisée au Bahreïn suite à
l’accord entre l’Iran et les Royaume-Uni a été jugée acceptable. Le Royaume-Uni agissait en tant
que puissance protectrice, tandis que l’Iran avait des revendications de souveraineté sur le Bahreïn.
Conformément à l’accord entre ces pays, un représentant du Secrétaire général des Nations unies
a consulté des leaders représentatifs du Bahreïn en mars-avril 1970 et conclu dans son rapport que
« la majorité massive de la population de Bahreïn souhaite [...] un État pleinement indépendant »
(S/9772, 30 avril 1970, p. 11). Le rapport a été approuvé à l’unanimité par le Conseil de sécurité
(S/Res/ 278, 11 mai 1970).
3.30 Dans la pratique, « la volonté de la population » signifie la volonté de la majorité des habitants
d’un territoire colonial (H. Gros Espiell, La mise en oeuvre des résolutions des Nations unies
relatives au droit à l’autodétermination des peuples sous domination coloniale et étrangère, Étude
préparée par le rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/¬405 (Vol. 1), 20 juin 1978, p. 10-11). En cas de
doutes sérieux quant à l’authenticité du souhait exprimé en faveur de l’indépendance, des garanties
supplémentaires ont pu être exigées, comme l’illustre parfaitement l’exemple de la Rhodésie du
Sud sous le régime de I. Smith. Dans ce cas, le Conseil de sécurité a jugée invalide la proclamation
d’indépendance effectuée par le régime de la minorité blanche en Rhodésie du Sud en 1965
(S/Res/216, 12 nov. 1965) et demandé ensuite « que des dispositions soient prises en vue d’un
passage pacifique et démocratique au gouvernement par la majorité et à l’indépendance
véritables », de telles dispositions comprenant « l’organisation d’élections libres et équitables au
suffrage universel des adultes sous la supervision de l’Organisation des Nations unies » en vue de
« réaliser la véritable décolonisation du territoire » (S/Res/423, 14 mars 1978). Conclu le 12
décembre 1979, l’accord de Lancaster House en faveur d’élections et d’une période de transition
sous l’autorité britannique a été approuvé par le Conseil de sécurité (S/Res/463, 2 fév. 1980), qui
n’exigeait plus la supervision des élections par les Nations unies mais réclamait du Royaume-Uni
la création en Rhodésie du Sud de conditions d’élections libres, démocratiques et équitables
permettant véritablement le gouvernement par la majorité, et qui demandait à « tous les États
membres de respecter uniquement le choix exercé librement et dans des conditions équitables par
le peuple du Zimbabwe » (S/Res/463, 2 fév. 1980, paragraphe 9).
3.31 En ce qui concerne le principe du libre choix, le Royaume des Pays-Bas considère en principe
que les négociations entre l’État administrant et les représentants légitimes des habitants du
territoire colonial sur leurs relations futures ne font pas partie de l’exercice du droit à
l’autodétermination par le peuple concerné. De telles négociations peuvent contenir des accords
relatifs à la future coopération militaire ou à la coopération au développement, ou encore des
dispositions en matière de citoyenneté. Toutefois, si l’État administrant utilise de telles
négociations sur la coopération future pour influencer le libre choix de la population intéressée,
cela peut constituer une ingérence illégale et donc une violation du droit à l’autodétermination du
peuple concerné.
Fin du statut colonial
3.32 Une fois que les habitants d’un territoire colonial, grâce à l’expression libre de leur volonté,
ont véritablement exercé leur droit à l’autodétermination en optant pour l’indépendance,
l’intégration, l’association ou l’acquisition de tout autre statut politique, il est mis fin au statut
colonial du territoire et du peuple concernés. Il ressort de la pratique que, pour les territoires non
autonomes, la fin du statut colonial se formalise par le retrait du territoire concerné, par
l’Assemblée générale, de la liste des Nations unies des territoires non autonomes. Cela signifie
aussi que les obligations visées à l’article 73 de la Charte des Nations unies ne s’appliquent plus à
l’ancien État administrant. Dans le cas des territoires sous tutelle, il est mis fin à l’accord de tutelle.
En ce qui concerne les territoires non autonomes, suite à la réception d’informations de l’État
administrant à propos de l’exercice véritable du droit à l’autodétermination par les habitants d’un
territoire colonial et la vérification de ce processus, les Nations unies ont fait preuve d’une pratique
quasiment uniforme de déclaration de la possibilité de cesser la transmission d’informations au
titre de l’article 73e de la Charte et de retrait du territoire de la liste des territoires non autonomes.
Citons par exemple Porto Rico (A/RES/748(VIII) 27 nov. 1953), le Groenland (A/RES/849(IX)
22 nov. 1954), les Antilles néerlandaises et le Surinam (A/RES/945(X) 15 déc. 1955), l’Alaska et
Hawaii (A/RES/1469(XIV) 12 déc. 1959), le Nyassaland (A/RES/1953(XVIII) 11 déc 1963),
Malte (A/RES/1950(XVIII) 11 déc 1963), les îles Cook (A/RES/2064(XX) 16 déc. 1965), Nioué
(A/RES/3285(XXIX) 13 déc 1974), les îles Cocos (Keeling) (A/RES/39/30 5 déc. 1984), et le
Timor oriental (A/RES/56/282, 1er mai 2002).
Pour les territoires sous tutelle, après vérification de la réalisation des objectifs de l’accord de
tutelle, ce dernier a été abrogé, comme par exemple dans les cas de la Somalie (A/RES/1418(XIV),
5 déc. 1959), du Ruanda-Urundi (A/RES/1746(XVI), 27 juin1962), du Samoa-Occidental
(A/RES/1626(XVI) 18 oct. 1961), de Zanzibar (A/RES/1642(XVI) 6 nov. 1961), de Nauru
(A/RES/2347(XXII) 19 déc. 1967), du Papua-Nouvelle-Guinée (A/RES/3284(XXIX) 13 déc.
1974), et des Palaos (SC/RES/956 (1994) 10 nov. 1994).
3.33 Le droit des peuples dans un contexte colonial à exercer leur droit à l’autodétermination par
l’indépendance, l’intégration, l’association ou l’acquisition de tout autre statut politique prend
donc fin dès que le peuple concerné a effectué un libre choix en faveur de l’une de ces options. À
partir de ce moment, le peuple concerné a le droit de l’exercer au sein des frontières de l’État où il
vit (autodétermination interne). Sans préjudice d’une possible sécession consensuelle, le droit à
l’autodétermination externe au moyen d’une sécession unilatérale est, en vertu du droit
international, un ultimum remedium (voir paragraphe 2.7).
4. Violation du droit à l’autodétermination
L’autodétermination et les obligations et droits erga omnes
4.1 En vertu du droit à l’autodétermination, l’État administrant est tenu de respecter et de
promouvoir le droit des habitants du territoire colonial à disposer d’eux-mêmes. Ces derniers ont
le droit correspondant d’attendre de l’État administrant qu’il permette le respect et la promotion
de leur droit à disposer d’eux-mêmes. Il s’agit donc d’une obligation et d’un droit correspondant
de caractère erga singulum. Une violation du droit à l’autodétermination par l’État administrant
constitue un fait internationalement illicite qui engage la responsabilité internationale de cet État.
4.2 Il est entendu que l’État administrant est tenu de s’acquitter de son obligation de respecter et
de promouvoir le droit à l’autodétermination des habitants du territoire colonial à l’égard non
seulement des habitants eux-mêmes mais aussi de la communauté internationale dans son
ensemble. Il s’agit d’une obligation erga omnes. En conséquence, la violation du droit à
l’autodétermination des habitants du territoire colonial par l’État administrant engage la
responsabilité de cet État non seulement envers ces habitants, mais aussi envers les États tiers.
4.3 Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour a établi une « distinction essentielle » entre
les obligations d’un État envers un autre État et celles qui naissent « envers la communauté
internationale dans son ensemble » (CIJ Recueil 1970, p. 32, paragraphe 33). Concernant ces
dernières, la Cour précise ensuite que « [v]u l’importance des droits en cause, tous les États
peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les
obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes ». La Cour dresse une liste non
exhaustive des obligations existant envers la communauté internationale dans son ensemble, dont
« les principes et règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine [...] » (CIJ
Recueil 1970, p. 32, paragraphe 34). Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour observe que l’obligation de
respecter le droit à l’autodétermination est une obligation erga omnes (CIJ Recueil 2004, p. 136,
paragraphe 155). Faisant référence au cas du Timor oriental, la Commission du droit international
décrit l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination comme une obligation vis-à-vis de la
communauté internationale dans son ensemble (commentaire sur le chapitre III et l’article 48 des
Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, paragraphes 5 et 2).
4.4 Il est toutefois entendu que non seulement l’obligation de respecter le droit à
l’autodétermination mais aussi celle d’en promouvoir la réalisation constituent une obligation
erga omnes. À cet égard, la Cour souligne dans le cadre de l’affaire concernant l’édification d’un
mur dans le territoire palestinien occupé une corrélation directe entre le caractère erga omnes de
l’obligation des États par rapport au droit à l’autodétermination et les termes de la résolution 2625
(XXV) de l’Assemblée générale des Nations unies, selon laquelle
« [t]out État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du
principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux
dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations unies à s’acquitter des responsabilités que lui
a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe [...] » (CIJ Recueil 2004, p. 136,
paragraphe 156, souligné par le rédacteur).
L’obligation qu’ont les États non seulement de respecter le droit à l’autodétermination, mais aussi
d’en promouvoir la réalisation est également énoncée à l’article 1(3) des Pactes de 1966 et doit
s’entendre comme une règle de droit international coutumier.
4.5 Cependant, le droit d’un peuple à disposer de lui-même ne donne pas uniquement lieu à une
obligation erga omnes. Dans l’affaire du Timor oriental, la Cour a considéré
« qu’il n’y [avait] rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’euxmêmes,
tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’organisation des Nations Unies, est
un droit opposable erga omnes » (CIJ Recueil 1995, p. 90, paragraphe 29).
Cette constatation est intrinsèquement différente des affirmations énoncées par la Cour dans
l’affaire Barcelona Traction et celle relative à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, et revêt une importance fondamentale pour la protection juridique du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes en vertu du droit international. Du point de vue du Royaume des Pays-Bas,
la qualification par la Cour du droit à l’autodétermination comme droit opposable erga omnes
signifie qu’un peuple peut prétendre au respect de ce droit à l’égard non seulement de l’État dans
lequel il vit, mais aussi des autres États, voire de la communauté internationale dans son ensemble.
Dans un contexte de décolonisation, cela signifie que les habitants d’un territoire colonial peuvent
donc opposer leur droit à disposer d’eux-mêmes non seulement à l’État administrant, mais aussi à
la communauté internationale en tant que telle. Inversement, les membres de la communauté
internationale ont l’obligation correspondante de respecter le droit des habitants d’un territoire
colonial à disposer d’eux-mêmes. On peut avancer, compte tenu des affirmations de la Cour dans
l’affaire Barcelona Traction et celle relative à l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, et de par le caractère fondamental du droit à l’autodétermination en vertu du droit
international, que l’obligation correspondante conférée aux membres de la communauté
internationale doit être également considérée comme ayant un caractère erga omnes.
Conséquences juridiques de la violation du droit à l’autodétermination
4.6 Il a été avancé plus haut (paragraphe 3.1 sq.) que les habitants d’un territoire colonial, qu’il
s’agisse d’un territoire sous tutelle, d’un territoire non autonome ou de tous « autres territoires qui
n’ont pas encore accédé à l’indépendance » (résolution 1514, paragraphe 5), ont le droit de
disposer d’eux-mêmes et peuvent par conséquent déterminer librement leur futur statut politique
en choisissant l’indépendance, l’intégration, l’association ou l’acquisition de tout autre statut
politique.
4.7 Il a également été observé (paragraphes 3.11 à 3.19 ci-dessus) qu’appliqué à un territoire
colonial, le principe d’intégrité territoriale implique que l’État administrant un tel territoire ainsi
que les États tiers sont soumis à l’obligation juridique internationale de respecter l’intégrité de ce
territoire. En outre, il été établi que l’insistance des Nations unies sur la préservation de l’intégrité
territoriale des territoires dépendants ou coloniaux ne formait pas obstacle à la partition dans la
mesure où tel était clairement le souhait de la majorité de la population du territoire concerné.
4.8 Dans ce contexte, le Royaume des Pays-Bas souhaite émettre trois observations. Premièrement,
il existe une violation du droit du peuple concerné à disposer de lui-même dès lors qu’il a été établi
que (a) la partition d’un territoire colonial n’a pas résulté d’un souhait librement exprimé par les
habitants dudit territoire ou (b) l’approbation de la partition du territoire colonial a été obtenue par
l’État administrant ou un État tiers par l’exercice d’une pression de quelque nature que ce soit sur
les habitants ou leurs représentants légitimes. Si de tels procédés, mis en oeuvre par l’État
administrant, ont pour but de conserver un droit légal sur une partie du territoire colonial ou, mis
en oeuvre par un État tiers, d’obtenir un tel droit, il est entendu qu’aucun droit de cette nature ne
peut être conservé ni transféré en vertu du droit international. Étant donné le caractère impératif
du droit des peuples et des territoires coloniaux à disposer d’eux-mêmes, un tel droit serait nul et
non avenu ab initio, conformément au principe ex injuria jus non oritur. Ceci signifie par ailleurs
que le droit du peuple concerné à disposer de lui-même serait encore applicable à la partie du
territoire colonial détachée de ce dernier en violation du droit international. Néanmoins, l’absence
de consentement librement exprimé de la part des habitants du territoire colonial ou de ses
représentants au sujet de la partition doit être clairement établie.
4.9 Deuxièmement, le droit erga omnes des habitants d’un territoire colonial à disposer d’euxmêmes
a pour corollaire l’obligation des États tiers de respecter ce droit. Comme observé plus haut
(paragraphe 4.5), cette obligation conférée aux États tiers possède elle-même un caractère erga
omnes. Ceci signifie que les procédés d’un État tiers, qu’ils soient ou non corrélés à ceux de l’État
administrant, en violation du droit des habitants d’un territoire colonial à disposer d’eux-mêmes
équivalent à un fait internationalement illicite impliquant la responsabilité internationale de cet
État tiers, non seulement envers les habitants du territoire colonial, mais aussi envers les États tiers
ayant un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé.
4.10 Enfin, l’article 41 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite enjoint les États tiers à ne reconnaître comme licite aucune situation créée par une violation
grave d’une norme impérative du droit international général. Dans son commentaire sur l’article
41, la Commission du droit international observe que « [c]ette obligation s’applique dans le cas
des « situations » créées par ces violations, telles que, par exemple, la tentative d’acquisition de la
souveraineté sur un territoire par le biais du déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »
(paragraphe 5). Elle poursuit en observant que cette obligation « vise non seulement la
reconnaissance officielle de ces situations mais aussi l’interdiction de tous actes qui impliqueraient
une telle reconnaissance. » Cette règle juridique internationale et son applicabilité aux cas de
violation du droit à l’autodétermination ont été confirmées par la Cour. Dans l’affaire sur les
Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie,
la Cour observe que « la cessation du mandat et la déclaration de l’illégalité de la présence sudafricaine
en Namibie sont opposables à tous les États, en ce sens qu’elles rendent illégale erga
omnes une situation qui se prolonge en violation du droit international » (CIJ Recueil 1971, p. 16,
paragraphe 126). Les mêmes obligations sont considérées dans les résolutions du Conseil de
sécurité et de l’Assemblée générale concernant la situation en Rhodésie (notamment S/Res/216,
12 nov. 1965) et les bantoustans d’Afrique du Sud (notamment A/Res/31/6 A, 26 oct. 1976). Dans
son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, après avoir conclu à la violation de l’obligation erga omnes de respecter le
droit du peuple palestinien à disposer de lui-même (CIJ Recueil 2004, p. 136, paragraphe 155), la
Cour observe que « [v]u la nature et l’importance des droits et obligations en cause, [...] tous les
États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction
du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-
Est. » Elle poursuit en affirmant que tous les États « sont également dans l’obligation de ne pas
prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. » En outre, elle
observe qu’« [i]l appartient par ailleurs à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte des
Nations unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la
construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination »
(CIJ Recueil 2004, p. 136, paragraphe 159). En conclusion, Le Royaume des Pays-Bas avance que,
compte tenu du caractère impératif du droit à l’autodétermination, une violation grave de ce droit
oblige tout État à ne pas reconnaître la situation résultant de cette violation et à ne pas prêter aide
ni assistance au maintien de cette situation.
******

Document file FR
Document Long Title

Exposé écrit des Pays-Bas

Links