Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF
EXPOSÉ ÉCRIT
PRÉSENTÉ PAR LA
PRINCIPAUTÉ DE LIECHTENSTEIN
20 FÉVRIER 2018
[Traduction du Greffe]
1. Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 71/292
par laquelle elle a décidé, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander
à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’article 65 de son Statut, un avis
consultatif sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?»
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle
se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux,
en particulier ceux d’origine chagossienne ? »
2. Par ordonnance du 14 juillet 2017, la Cour internationale de Justice a décidé
que «l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, qui sont susceptibles de fournir des
renseignements sur la question soumise à la Cour pour avis consultatif, pourront le faire dans les
délais fixés par la présente ordonnance».
3. Le Liechtenstein entend se prévaloir de cette faculté et présente à la Cour les observations
ci-après, dans les délais fixés et en bonne et due forme.
I. Introduction
4. L’intérêt du Liechtenstein à présenter un exposé tient à sa conception du rôle important
que joue la Cour en donnant des avis consultatifs et, de façon plus générale, à son aspiration à
renforcer l’état de droit au niveau international, ce à quoi la Cour peut apporter un puissant
concours.
5. Le Liechtenstein s’est abstenu lors du scrutin sur la résolution 71/292, qui est à l’origine
de la requête pour avis consultatif. Cette résolution a cependant été adoptée par l’Assemblée
générale le 22 juin 2017, et c’est donc dûment que la question a été renvoyée devant la Cour.
6. Le Liechtenstein attache une grande importance au droit international public et aux
prérogatives de la Cour dans le traitement des questions de droit international. Par le présent
exposé, il entend faire connaître ses vues sur la compétence de la Cour et sur l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire de donner l’avis consultatif qui lui a été demandé.
II. Compétence de la Cour
a) La Cour est compétente pour donner un avis consultatif en vertu du paragraphe 1 de
l’article 65 de son Statut parce que ledit avis lui a été demandé par l’Assemblée générale
des Nations Unies, à ce dûment autorisée
7. La Cour tient sa compétence en matière consultative du paragraphe 1 de l’article 65 de son
Statut, qui lui confère le pouvoir de donner des avis consultatifs sur des questions juridiques à la
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demande de tout organe à ce autorisé par la Charte des Nations Unies1. Aux termes du paragraphe 1
de l’article 96 de la Charte des Nations Unies, l’Assemblée générale est l’un desdits organes
autorisés2.
8. Par sa résolution 71/292 du 22 juin 2017, l’Assemblée générale a demandé à la Cour de
donner un avis consultatif sur les deux questions précitées, satisfaisant ainsi aux conditions prévues
au paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour et à l’article 96 de la Charte des Nations Unies.
9. A la suite d’un vote enregistré, la résolution 71/292 a été adoptée par 94 voix contre 15,
avec 65 abstentions3. Elle a donc été adoptée régulièrement par la majorité requise des membres de
l’Organisation des Nations Unies présents et votants, et elle constitue par conséquent une décision
juridiquement valable4.
b) La résolution 71/292 pose des questions juridiques à la Cour
10. Pour entrer dans la compétence de la Cour, une requête pour avis consultatif doit poser
une «question juridique». La Cour a établi que les questions «libellées en termes juridiques et
soul[evant] des problèmes de droit international ... sont, par leur nature même, susceptibles de
recevoir une réponse fondée en droit5».
11. Même quand elles peuvent comporter une dimension politique, les questions juridiques
entrent dans la compétence de la Cour6. En effet, dans son avis consultatif relatif au Kosovo, la
Cour a rappelé ce qui suit :
«comme la Cour l’a maintes fois déclaré, qu’une question revête des aspects politiques
ne suffit pas à lui ôter son caractère juridique. La Cour ne saurait refuser de répondre
aux éléments juridiques d’une question qui, quels qu’en soient les aspects politiques,
l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir, en la présente
espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international. La Cour a également
précisé que, pour trancher le point — qui touche à sa compétence — de savoir si la
question qui lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature
politique des motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences
politiques que pourrait avoir son avis7.»
1 Paragraphe 1 de l’article 65 : «La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la
demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses
dispositions à demander cet avis.»
2 Article 96 : «L’Assemblée générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur
toute question juridique.»
3 Résolution 71/292 du 22 juin 2017.
4 Voir Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie
(Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971,
p. 22, par. 20 : «Toute résolution émanant d’un organe des Nations Unies régulièrement constitué, prise conformément à
son règlement et déclarée adoptée par son président, doit être présumée valable.»
5 Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1996 (I), p. 73, par. 15; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
6 Voir, par exemple, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 155, par. 41.
7 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
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12. De même, une requête qui sollicitait l’avis de la Cour sur les «conséquences juridiques»
de l’édification par Israël d’un mur dans le territoire palestinien occupé a été considérée comme
entrant dans la compétence de la Cour puisque celle-ci y était priée de «déterminer les principes et
règles existants, [de] les interpréter et [de] les appliquer …, apportant ainsi à la question posée une
réponse fondée en droit8».
13. Les questions posées par la résolution 71/292 ont un caractère juridique parce qu’elles
concernent le point de savoir si la décolonisation de Maurice a été validement menée à bien au
regard du droit international et quels effets juridiques s’ensuivraient dans le cas contraire. Pour
répondre à ces questions juridiques, la Cour devra déterminer quelles mesures doivent être prises
pour qu’une décolonisation soit validement menée à bien au regard du droit international et les
effets qui s’ensuivent dans le cas contraire.
III. Pouvoir discrétionnaire de la Cour de donner l’avis consultatif demandé
a) La Cour devrait répondre aux questions qui lui ont été adressées par l’Assemblée générale
14. Conformément au paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, la Cour conserve le pouvoir
discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle
soit compétente sont remplies9. Dans le cas de la résolution 71/292, il n’existe pas de raison
décisive pour opposer un tel refus.
15. La Cour n’exerce qu’avec la plus grande retenue ce pouvoir discrétionnaire qui est le
sien de refuser de donner un avis consultatif. Selon elle, «[s]a réponse constitue une participation
de la Cour, elle-même « organe des Nations Unies », à l’action de l’Organisation et, en principe,
elle ne devrait pas être refusée10». La Cour a également soutenu que seules des «raisons décisives»
pourraient l'inciter à refuser de donner un avis consultatif11.
16. Les questions posées à la Cour sont à la fois urgentes et pertinentes, et elles produiront
vraisemblablement et rapidement un effet pratique compte tenu du rôle reconnu à l’Assemblée
générale pour ce qui est de guider la décolonisation et de contribuer au développement général du
droit international12. La requête soulève des points importants concernant le droit à
l’autodétermination, et notamment le point de savoir si la décolonisation de Maurice a été
validement menée à bien et quels effets juridiques s’ensuivent si tel n’a pas été le cas.
b) La Cour ne devrait pas refuser de répondre aux questions de l’Assemblée générale
Même si une question posée à la Cour comporte un élément bilatéral sous-jacent, sa
jurisprudence veut clairement que la Cour donne un avis consultatif dès lors que cette question
8 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 38 (qui cite Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13).
9 Ibid., p. 157, par. 44.
10 Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65-71.
11 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234,
par. 14 ; Jugements du Tribunal administratif de l’O.I.T. sur requêtes contre l’ U.N.E.S.C.O., avis consultatif du
23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 86.
12 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12.
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«doit être regardée comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies»13. Tel est
assurément le cas ici, puisque la requête porte sur la décolonisation, question qui relève de la
compétence essentielle de l’Assemblée générale.
17. L’Organisation des Nations Unies dans son ensemble et l’Assemblée générale en
particulier ont tout intérêt à recevoir les conseils de l’organe judiciaire principal des Nations Unies
sur la légalité du processus de décolonisation et ses conséquences. Et, de fait, l’Assemblée générale
a décidé de demander ses conseils à la Cour sous la forme d’un avis consultatif sur les questions
juridiques précitées.
IV. Conclusion
18. Pour conclure, la Cour a compétence pour répondre aux questions précitées, et il n’existe
aucune raison décisive pour qu’elle refuse de donner un avis consultatif.
Vaduz, le 20 février 2018.
Le directeur du bureau des affaires étrangères
de la Principauté du Liechtenstein
(Signé) M. FRICK.
13 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 49 (voir aussi p. 159, par. 50 : «L’objet de la requête dont la Cour est saisie est
d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis
est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre
bien plus large que celui d’un différend bilatéral. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre un avis n’aurait pas pour
effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.»)
Exposé écrit du Liechtenstein