République du Congo
Affaire relative à certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France)
Observations additionnelles
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Affaire relative à certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France)
0 bservations additionnelles
Pour : la République du Congo,
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dont l'agent est Son Excellence Monsieur Roger MENGA, ambassadeur
extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Congo auprès de l'Union
européenne, de Sa Majesté le Roi des Belges, de Sa Majesté la Reine des Pays-Bas
et de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Luxembourg,
résidant 16, avenue Franklin Roosevelt, 1050 Bruxelles
Contre : la République française
Comme la Cour l'y a autorisée par son ordonnance du 16 novembre 2009, la
République du Congo présente les observations additionnelles ci-après.
Exposé des faits postérieurs au mémoire en réplique
1. Par arrêt du 10 janvier 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé
en toutes ses dispositions l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du
22 novembre 2004, cité dans le mémoire en réplique, et a renvoyé la cause et les parties
devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles.
L'arrêt visait, d'abord, les articles 689, 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale et
énonçait que, selon ces trois textes «peut être poursuivie et jugée par les juridictions
françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui, hors du territoire de la
République, s'est rendue coupable de torture au sens de l'article rr de la Convention contre
...
:t
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la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New
York, le 10 décembre 1984 ».
La Chambre criminelle visait, ensuite, les articles 40, 41 et 80 du code de procédure
pénale et déclare « que le procureur de la République tient des trois derniers articles susvisés
le droit de requérir l'ouverture d'une information au vu de tous renseignements dont il est
destinataire et que le réquisitoire introductif ne peut être annulé que s'il ne satisfait pas en la
forme aux conditions essentielles de son existence légale ».
Elle estimait que 1' arrêt attaqué avait violé ces principes en annulant le réquisitoire
considéré, alors que, d'une part, il était régulier en la forme et visait des procès-verbaux
d'enquête préliminaire joints en annexe, que, d'autre part, les personnes soupçonnées d'avoir
·commis les faits dénoncés étaient nommément visés dans la «plainte», et qu'enfin, étaient
-·lorelévés,
au moment de 1' engagement des poursuites, des éléments suffisants de la présence en
France d'au moins l'une d'entre elles, le général DABIRA ayant sa résidence habituelle sur le
territoire français où il est établi avec sa famille.
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, pour des motifs de pur
droit interne, s'est déclarée incompétente pour connaître de la suite de la procédure, au profit
du juge d'instruction de Meaux.
2. Dans l'intervalle s'était produit un événement capital dont la Cour de cassation ne
pouvait pas tenir compte puisqu'elle examine la légalité de la décision qui lui est déférée en se
plaçant à laquelle elle a été prononcée: les poursuites engagées au Congo~ depuis le 29 août
2000 à raison des faits mêmes qui faisaient l'objet de l'information suivie à Meaux depuis le
23 janvier 2002, aboutissaient à un procès au fond devant la chambre criminelle· de- la cour
d'appel de Brazzaville, qui se déroulait du 19 juillet au 17 août 2005 et se terminait par un
arrêt rendu à cette dernière date, qui prononçait l'acquittement de tous les accusés. Au nombre
de ceux-ci figuraient toutes les personnes visées dans les dénonciations ayant entraîné
l'ouverture de la présente information. Le général N'DENGUE, qui n'était pas au nombre de
ces personnes, était lui aussi acquitté.
Cet arrêt est devenu définitif.
Pour autant, le juge d'instruction de Meaux, à la connaissance duquel la défense du
général DABIRA a porté cet arrêt, n'a eu aucune réaction.·A ce jour, il est toujours saisi de la
poursuite, mais il n'a accompli aucun acte de procédure.
-._
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Discussion
3. Il résulte des termes de l'arrêt précité de la Chambre criminelle de la Cour de
cassation qu'elle n'a retenu comme fondement possible de la compétence des juridictions
françaises pour connaître des faits litigieux que les articles 689-1 et 689-2 du code de
procédure pénale. Implicitement, cet arrêt exclut, conformément à la jurisprudence
antérieure, toute compétence universelle en matière de crimes contre 1 'humanité qm
procèderait de la prétendue coutume internationale alléguée par les parties civiles.
Les articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale appartiennent au chapitre
; . I, intitulé « De la compétence des juridictions françaises », du titre IX de ce code, « Des
iWl'actions commises hors du territoire de la République».
L'article 689-1 dispose qu'en application des conventions internationales visées
. -~.,.
... aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se
trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la
République de 1 'une des infractions énumérées par ces articles.
L'article 689-2 applique le principe ainsi énoncé aux personnes coupables de
torture au sens de l'article 1er de la convention adoptée à New York le 10 décembre 1984.
4. L'article 692 du dit code, par lequel débute le chapitre II du titre IX précité, qui
est intitulé « De 1' exercice des poursuites et de la juridiction territorialement
compétente», dispose :
«Dans les cas prévus au chapitre précédent, aucune poursuite ne peut être exercée
contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les
mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite ».
Le cas de compétence prévu aux articles 689-1 et 689-2 relève donc de ces
conditions d'exercice de la poursuite. La compétence qu'il institue est subsidiaire par
rapport à celle de l'État territorialement compétent, dès lors que celui-ci a exercé sa
propre compétence jusqu'au jugement définitif de la personne visée et, en cas de
condamnation, jusqu'à l'exécution de la sentence.
Il tombe sous le sens que les juridictions françaises sont liées par les dispositions
de l'article 692, sans pouvoir exercer, pour quelque raison que ce soit, un contrôle au fond
sur la décisiOJ?. de la juridiction étrangère compétente. Les chefs de compétence institués
par l'article 689-1 du code de procédure pénale sont dérogatoires au droit commun et, par
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conséquent, insusceptibles d'interprétation extensive. Au demeurant, ils sont strictement
dépendants des termes des conventions internationales qu'ils mettent en oeuvre.
5. Or, la convention, visée à l'article 689-2, contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984,
publiée par le décret n° 87-916 du 9 novembre 1987 (JO du 14 novembre 1987, p.
13.267), n'admet la compétence de l'État du lieu d'arrestation qu'à titre subsidiaire.
Tout le démontre.
En premier lieu, l'article 5 de cette convention dispose, dans son paragraphe 1, que
tout État Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fms de
connaître des infractions qualifiées d'actes de torture selon son droit pénal (infractions
-·~
vi'~'ées à l'article 4, incriminées en exécution de l'article 1er) dans trois cas: celui où
l'infraction a été commise sur son territoire (a); celui où l'auteur présumé de l'infraction
est un ressortissant de cet État (b) ; celui où la victime est un ressortissant du dit État, si ce
dernier le juge approprié.
Le paragraphe 2 du même article énonce, quant à lui que «Tout État Partie prend
également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître
· des dites infractions dans le cas où l'auteur présumé des faits se trouve sur tout territoire
sous sa juridiction et où ledit État ne l'extrade pas, conformément à l'article 8, vers l'un
des États visés au paragraphe 1 dzi présent article ». L'emploi de 1' adverbe « également »
comme la référence à 1' extradition vers 1 'un des États compétents en vertu du paragraphe
1 impliquent nécessairement le caractère subsidiaire de la compétence de .l'État du lieu
d'arrestation.
En deuxième lieu, 1' article 6 de la convention, qui règle les pouvoirs de 1 'État sur
le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d'avoir commis l'une des
infractions en cause en matière de détention(§ 1) et d'enquête préliminaire (§ 2), ajoute,
dans son paragraphe 4 :
« Lorsqu 'un État a mis une personne en détention, conformément aux dispositions
du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des circonstances qui la
justifient les États visés au paragraphe 1 de l'article 5. L'État qui procède à l'enquête
préliminaire visée au paragraphe du présent article en communique rapidement les
conclusions auxdits États et leur indique s'il entend exercer sa compétence ».
Ces dispositions corroborent le caractère subsidiaire de la compétence prévue par
l'article 5, paragraphe 2. Elles ne se comprennent, en effet, que par la volonté de donner
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aux États compétents 1' occasion en vertu du paragraphe 1 de cet article de demander
1' extradition de la personne soupçonnée en vue d'exercer cette compétence territoriale ou
personnelle.
Au demeurant, le législateur français, en rangeant le chef de compétence prévu par
l'article 689-2 du code de procédure pénale dans la classe de ceux auxquels s'applique
l'article 692, a manifesté on ne peut plus clairement qu'il en reconnaissait la subsidiarité
dans la convention du 10 décembre 1984.
6. Il importe de rappeler à cet égard que non seulement le procureur de la
République de Meaux n'a pas provoqué l'exécution par le gouvernement des obligations
découlant de l'article 6, paragraphe 4, précité, mais encore qu'il a ignoré une lettre que lui
~vait adressée le procureur de la République de Brazzaville.
Ainsi qu'il a été exposé, en effet, dans le premier mémoire de la République du
Congo, le 9 septembre 2002, le procureur de la République près le tribunal de grande instance
de Brazzaville avait adressé au procureur de la République près le tribunal de grande instance
de Meaux une lettre circonstanciée dans laquelle il lui disait être informé de la procédure
suivie devant ce tribunal contre le général DABIRA et lui faisait savoir que l'une des
organisations dénonciatrices mentionnées ci-dessus, l'Organisation congolaise des droits de
l'homme (OCDH) avait diffusé les mêmes accusations au Congo en 2000, ce qui avait amené
le garde des sceaux, ministre de la justice, du Congo, à faire procéder à une enquête.
Il ajoutait:
«A l'issue de cette enquête le ministre de la justice, estimant que les qéclarations de
certaines personnes entendues pouvaient comporter des faits susceptibles de s'analyser en
des infractions aux lois pénales de la République, avait demandé au Procureur de la
République de requérir l'ouverture d'une information contre X des chefs d'enlèvements et
disparitions de personnes. Par un réquisitoire introductif en date du 29 août 2000, le
Procureur de la République a effectivement requis l'ouverture d'une information des chefs
susdits. Le Doyen des juges d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Brazzaville a
ainsi été saisi de ces faits et a déjà accompli, à ce jour, plusieurs actes d'instruction ».
Il déclarait alors que l'ouverture d'une information du chef des mêmes faits par le
parquet de Meaux soulevait « un grave problème de conflit de compétence entre deux
juridictions appartenant à deux Etats souverains » et que les tribunaux congolais devaient
seuls demeurer compétents, pour trois motifs qu'il développait dans la suite de sa lettre.
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Le premier de ces motifs était que la compétence de chaque Etat pour juger les
infractions commises sur son territoire constitue un attribut d~ la souveraineté et un principe
d'ordre public international.
Le deuxième était que, même si les juridictions françaises avaient un titre de
compétence, ce qui était loin d'être le cas, le conflit de compétence devait être résolu en
faveur des juridictions congolaises, d'abord, parce que les faits allégués par les dénonciateurs
auraient eu lieu au Congo, ensuite, parce que ces prétendus crimes auraient eu pour auteurs et
pour victimes des Congolais, enfm, parce que, auteurs supposés, victimes et témoins se
trouvant au Congo, la justice congolaise était à même d'informer utilement, à la différence de
la justice française.
~ Le troisième motif était que la compétence instituée par l'article 689-1 précité du code
q.€7-procédure pénale français ne pouvait être que subsidiaire par rapport à celle de l'Etat sur le
territoire duquel les crimes allégués auraient été commis.
Le procureur de la République de Brazzaville concluait dans les termes suivants :
«La procédure diligentée par le juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de
Meaux vient ainsi à manquer sérieusement de fondementjuridique. C'est pour cette raison
que l'abandon pour incompétence de cette procédure par le juge français ferait utilement
cesser ce regrettable conflit susceptible de constituer une entrave sérieuse à la bonne
administration de la justice pénale internationale ».
Le procureur de la République de Meaux n'avait pas cru devoir honorer d'une réponse
la lettre de son collègue de Brazzaville, ce qui laisse soupçonner qu'il n'avait même pas avisé
le garde des sceaux, ministre de la justice, sous le couvert du procureur général près la cour
d'appel de Paris, de la démarche congolaise.
7. Il n'est pas besoin d'ajouter que la convention de New York précitée n'autorise
aucun contrôle au fond de la juridiction d'un quelconque État sur les décisions de la
justice des autres États.
Sans doute la convention portant statut de la Cour pénale internationale adoptée à
Rome le 17 juillet 1998 (article 17, paragraphes 1, a, b, et 2) ouvre-t-elle un tel contrôle à
cette Cour, dans des cas d'ailleurs limitativement et strictement définis, mais ce qui est
permis à une institution des Nations Unies s'exprimant au nom de la communauté
internationale ne s'aurait l'être à un organe judiciaire d'un État membre, qui n'est que
l'égal de tous les autres États. Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter à l'article 17
précité. Les cas qu'il prévoit (l'État normalement compétent n'a pas la volonté ou la
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capacité de mener à bien la procédure ; la décision a été prise dans le dessein de soustraire
la personne en cause à la justice; un retard injustifié ou le manque d'indépendance ou
d'impartialité des juges sont incompatibles avec la volonté de traduire cette personne en
justice) supposent soit l'impuissance de cet État, soit une collusion de sa part avec la
personne visée par les poursuites, en toute hypothèse un jugement de valeur sur 1 'action
du dit Etat. Or, aucune juridiction d'un État ne peut s'arroger le pouvoir de porter une
telle appréciation sur un autre État souverain.
Il faut ajouter que, choquante en soi comme contraire à la souveraineté de tous les
États, une semblable prétention serait plus choquante encore si l'État dont les juges
prétendraient contrôler au fond les jugements prononcés dans un autre État étaient ceux de
; l'ancienne puissance coloniale ayant dominé ce pays.
13. Ainsi 1' acquittement prononcé par la juridiction criminelle congolaise au profit
~~- du général DABIRA doit mettre obstacle à la continuation des poursuites exercées en
France contre lui. Il doit interdire pareillement toute poursuite contre une personne non
visée nommément par le réquisitoire introductif, quand bien même elle viendrait à se
trouver sur le territoire français.
Certes, il suffirait que le juge français actuellement' saisi applique 1' article 692
précité du code de procédure pénale pour qu'il soit satisfait aux obligations internationales
de la République française. Mais il ne le fait pas et son inertie qui dure depuis plus de
trois ans, quelle qu'en soit la cause (incurie ou mauvaise volonté) donne à craindre que
cette situation inadmissible se prolonge indéfiniment.
Le gouvernement français peut y faire mettre fm. En effet, l'article 30 du code de
procédure pénale confère au ministre de la justice le pouvoir «d'enjoindre (au procureur
général), par instructions écrites et versées au dossier ... de saisir la juridiction saisie de
telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes». De telles instructions
s'imposent, dès lors qu'il s'agit de faire respecter par un organe de l'État les obligations
internationales de la République française.
En conclusion, La République du Congo demande à la Cour de dire que la
République française devra, par les voies de droit appropriées selon son droit interne,
faire cesser la procédure pénale suivie devant le juge d'instruction du tribunal de grande
Observations additionelles de la République du Congo