Duplique du Chili

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153-20170915-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14932
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À L’OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS
À L’OCÉAN PACIFIQUE
(BOLIVIE c. CHILI)
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI
VOLUME 1 SUR 3
15 SEPTEMBRE 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
A. La position inchangée du Chili ................................................................................................. 1
B. L’argumentation évolutive de la Bolivie .................................................................................. 2
C. Le différend pour lequel la Cour est compétente ..................................................................... 6
CHAPITRE 2. LE CADRE JURIDIQUE RÉGISSANT LE DIFFÉREND .......................................................... 8
A. Aucune «obligation générale de négocier» un accès souverain à l’océan Pacifique pour
la Bolivie n’incombe au Chili .................................................................................................. 8
B. Obligations de négocier découlant d’une intention d’être juridiquement lié ........................... 9
C. L’argument de la Bolivie sur la création d’une obligation de négocier par estoppel,
attentes légitimes et acquiescement ....................................................................................... 14
D. Règles et principes applicables lorsque s’est fait jour une obligation de négocier ................ 20
CHAPITRE 3. L’INEXISTANTE «ENTENTE HISTORIQUE DATANT DU XIXE
SIÈCLE» QUI AURAIT
PERDURÉ APRÈS LE RÈGLEMENT GLOBAL CONVENU DANS LE TRAITÉ DE PAIX DE 1904 ........... 27
A. En négociant et en concluant le traité de paix de 1904, la Bolivie a abandonné sa
revendication d’un port .......................................................................................................... 29
B. Le traité de paix de 1904 constituait un règlement exhaustif qui n’était assorti
d’aucune obligation de négocier un accès à la mer pour la Bolivie ....................................... 34
C. Conclusions : le traité de paix de 1904 conserve toute son importance ................................. 36
CHAPITRE 4. ECHANGES DIPLOMATIQUES DE 1920 À 1926 .............................................................. 38
A. Le procès-verbal de 1920 n’a créé aucune obligation juridique............................................. 38
B. La proposition Kellogg de 1926 et les échanges y afférents n’ont pas créé ni confirmé
d’obligation juridique............................................................................................................. 46
CHAPITRE 5. LES NOTES DIPLOMATIQUES DE 1950 .......................................................................... 51
A. Les notes diplomatiques de 1950 n’ont ni créé une quelconque obligation juridique ni
confirmé l’existence d’une telle obligation ........................................................................... 51
B. Les discussions conduisant aux notes de 1950 n’ont pas créé ni confirmé d’obligation
juridique ................................................................................................................................ 55
C. Les événements qui ont suivi les notes de 1950 n’ont pas créé d’obligation juridique,
ni confirmé l’existence d’une telle obligation ........................................................................ 56
CHAPITRE 6. LE PROCESSUS DE CHARAÑA, DE 1975 À 1978 ........................................................... 68
A. La déclaration commune de Charaña n’a ni créé ni confirmé quelque obligation
juridique ................................................................................................................................ 69
- ii -
B. Adoption de lignes directrices de négociation, août-décembre 1975 ..................................... 77
C. Négociations entre la Bolivie et le Chili, et consultation avec le Pérou ................................. 81
D. Conclusions ............................................................................................................................ 89
CHAPITRE 7. ECHANGES POLITIQUES ULTÉRIEURS AU COURS DE LA PÉRIODE PRÉCÉDANT LE
RÉTABLISSEMENT DE LA DÉMOCRATIE AU CHILI ........................................................................ 93
A. Les résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains et le
comportement qui s’y rapporte n’ont pas créé, ni confirmé, quelque obligation de
négocier un accès souverain ................................................................................................... 93
B. Le Chili n’a pas accepté d’obligation de négocier sur un accès souverain durant la
phase dite de la «nouvelle approche» .................................................................................. 102
CHAPITRE 8. UN ENGAGEMENT CONSTRUCTIF APRÈS LE RÉTABLISSEMENT DE LA
DÉMOCRATIE AU CHILI .............................................................................................................. 105
A. Aucune obligation juridique n’a été créée ni confirmée entre 1990 et 2011 ........................ 105
B. La présente instance résulte d’un changement de position de la Bolivie ............................. 111
CHAPITRE 9. AUCUNE OBLIGATION JURIDIQUE N’A ÉTÉ CRÉÉE PAR UNE SÉRIE DE
COMPORTEMENTS ...................................................................................................................... 121
A. Aucune série de comportements constants et continus ne témoigne de l’existence
d’une quelconque obligation de négocier sur un accès souverain ....................................... 121
B. La répétition de manifestations de volonté politique n’atteste d’aucune intention de se
lier juridiquement ................................................................................................................. 124
C. Aucune obligation juridique n’a été créée par estoppel ....................................................... 126
D. Aucune obligation juridique n’a été créée par la «notion» des attentes légitimes ............... 130
E. Aucune obligation juridique n’a été créée par acquiescement .............................................. 131
CHAPITRE 10. OBSERVATIONS FINALES ET CONCLUSION .............................................................. 133
A. Demande de décision de la Bolivie ...................................................................................... 133
B. Résumé de l’argumentation du Chili .................................................................................... 133
C. Conclusion du Chili .............................................................................................................. 135
Appendice A. Les traités de 1895 sont sans effet, de sorte que ni eux ni leur contenu ne
sauraient constituer la base d’un «marché» ou d’une «entente» durable ............................. 136
Appendice B. Informations complémentaires concernant les notes diplomatiques de 1950 .... 143
___________
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. Dans la présente duplique, le Chili répond directement aux arguments, en grande partie
nouveaux, avancés par la Bolivie dans sa réplique. Ce faisant, il ne répète pas le contenu de son
contre-mémoire, même s’il maintient toutes les positions qui y sont énoncées.
1.2. La Bolivie a exposé son argumentation à trois reprises : dans son mémoire, oralement au
cours de la phase relative à l’exception préliminaire et telle qu’elle la présente maintenant dans sa
réplique. Ainsi que nous le verrons plus loin, des changements importants sont intervenus dans la
manière dont la demande a été énoncée dans ces diverses écritures et plaidoiries. La difficulté
centrale pour la Bolivie demeure néanmoins celle-ci : elle est incapable d’invoquer un accord, une
déclaration unilatérale ou une ligne de conduite établissant une obligation de négocier un accès
souverain à l’océan Pacifique. L’accent désormais placé, dans la réplique de la Bolivie, sur
l’estoppel et les attentes légitimes n’y change rien.
A. LA POSITION INCHANGÉE DU CHILI
1.3. La position du Chili, qui repose sur une interprétation claire des documents versés au
dossier, et qui est pleinement attestée par ceux-ci, est la suivante :
a) En 1904, le Chili et la Bolivie ont conclu un traité de paix fixant la frontière entre eux et
établissant à titre perpétuel un droit de libre transit vers la mer en faveur de la Bolivie. Le traité
de paix de 1904 a réglé l’ensemble des questions qui opposaient les deux Etats à la date de sa
conclusion, ainsi que l’a reconnu la Bolivie à ce moment-là.
b) Depuis 1904, le Chili a, en diverses occasions, tenté d’engager un dialogue avec la Bolivie pour
déterminer s’il était possible de parvenir à une formule satisfaisante permettant de lui accorder
un accès souverain à la mer. Toutefois, ni l’expression d’une disposition à entamer des
négociations, ni les négociations en soi ne créent d’obligation juridique de négocier. Dans le cas
contraire, les Etats seraient, dans une large mesure, dépouillés de l’espace diplomatique
nécessaire à l’exploration des possibilités de règlement des différends qui les opposent.
c) La question centrale dans cette affaire est celle de savoir si les échanges diplomatiques sur
lesquels s’appuie la Bolivie ont engendré une obligation juridique de négocier. La réponse est
non. En outre, l’agrégation d’éléments qui n’attestent pas individuellement d’une intention
d’être lié ne saurait créer une telle volonté par accumulation. Que la volonté du Chili et de la
Bolivie au fil des ans soit appréciée sur une base individuelle ou cumulative, la Cour ne
trouvera nulle part d’accord du Chili pour «négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un
accord assurant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique»1, non plus que
d’engagement en ce sens. Cette formule a été élaborée par la Bolivie aux fins de cette
procédure. Elle ne figure dans aucun des documents invoqués par la Bolivie, laquelle ne saurait
la faire apparaître comme par magie par référence à l’estoppel ou à des attentes légitimes.
d) Le Chili s’est, en plusieurs occasions et selon des modalités diverses, efforcé de répondre de
manière constructive au souhait de la Bolivie d’améliorer son accès au Pacifique, ainsi qu’il l’a
fait pour d’autres questions importantes pour l’un des deux pays, ou pour les deux. La Bolivie
attache une grande importance à l’engagement du Chili, mais il est difficile de concevoir
1 Mémoire de la Bolivie (ci-après «MB»), par. 500 a) ; et réplique de la Bolivie (ci-après «REB»), p. 192, par. a).
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comment un Etat voisin désireux d’entretenir des rapports harmonieux pourrait agir autrement.
Un Etat peut se dire disposé à «prêter l’oreille» aux voeux d’un Etat voisin, sans pour autant
qu’il en résulte d’obligation juridique d’agir de la sorte. La politique étrangère chilienne a
consisté à chercher à améliorer les relations avec la Bolivie. Le Chili s’est toutefois efforcé de
la conduire en prenant en compte ses propres intérêts, ce qui n’est guère surprenant, et en
s’exprimant prudemment, en évitant de s’obliger. Ces échanges politiques n’ont pas créé
d’obligation juridique. Si le Chili avait cru ou craint le contraire, il n’aurait tout simplement
ouvert aucun dialogue portant sur une question aussi sensible d’un point de vue politique.
e) Depuis le rétablissement de la démocratie en 1990, le Chili a noué avec la Bolivie un dialogue
constructif portant sur un ensemble de questions. L’une d’entre elles était la poursuite de
l’amélioration de l’accès de la Bolivie à la mer. A aucun moment, cependant, en vingt ans de
dialogue, la Bolivie n’a dit que le Chili avait l’obligation de négocier un accès souverain. De
fait, ce dialogue politique bilatéral se poursuivait lorsque la Bolivie a annoncé qu’elle allait
saisir la Cour. Cette affaire est née d’impératifs internes boliviens. En 2009, la Bolivie a
réformé sa Constitution, de manière à ce que celle-ci proclame le «droit inaliénable et
imprescriptible [du pays] sur le territoire donnant accès à l’océan Pacifique»2. Cette
revendication constitutionnelle était assortie d’une obligation pour la Bolivie d’agir à cet égard
au plus tard en décembre 2013. D’où la procédure actuellement devant la Cour3.
B. L’ARGUMENTATION ÉVOLUTIVE DE LA BOLIVIE
1.4. A l’inverse de la position du Chili, qui n’a pas varié, la réplique contient la troisième
version de l’argumentation présentée à la Cour par la Bolivie. Ces changements de position
illustrent parfaitement la difficulté qui gît au coeur de l’argumentation de la Bolivie et qui est
l’incapacité d’identifier un quelconque document établissant une obligation de négocier.
1.5. Dans son mémoire, la Bolivie usait d’une argumentation reposant sur un supposé droit à
un accès souverain. Elle affirmait que la Bolivie «[était] privée de littoral depuis plus d’un siècle
alors même qu’elle possède un droit à un accès souverain à la mer, droit qu’elle n’a pas été
autorisée à exercer»4.
a) L’existence de ce supposé droit de la Bolivie constituait le socle de l’allégation selon laquelle le
Chili avait une obligation de négociation conduisant à un résultat précis, c’est-à-dire,
«l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord assurant à celle-ci un
accès pleinement souverain à l’océan Pacifique»5. La Bolivie sollicite de la Cour une décision
donnant effet à cette supposée obligation de parvenir à un «résultat prédéterminé»6, c’est-à-dire,
à une cession à la Bolivie d’une partie du territoire chilien («accès pleinement souverain»).
b) Cette obligation de négocier serait, selon la Bolivie, antérieure à 19907, et reposerait sur des
accords et obligations découlant de la conduite ou de promesses unilatérales du Chili censément
2 Constitution de l’Etat plurinational de Bolivie, 7 février 2009, duplique du Chili (ci-après «DC»), annexe 447,
article 267 et neuvième disposition transitoire. Voir plus loin chap. 8, sect. B ci-après.
3 Voir plus loin, par. 8.16.
4 MB, par. 20. Voir également MB, par. 94 et 21, 36, 96, 143, 254, 271-273, 338, 493, 497 et 498.
5 MB, par. 500 a).
6 MB, par. 404. Voir également, par exemple, MB, par. 287.
7 Ainsi que souligné par le Chili dans le paragraphe 9.1 de son contre-mémoire, aucun événement postérieur à
1900 n’est débattu dans la section du mémoire de la Bolivie traitant du «processus de formation de l’obligation
chilienne» (MB, par. 291-396).
3
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révélatrices de l’intention du Chili d’être lié8. L’accent était mis dans le mémoire sur une série
de «principaux événements» et en particulier sur l’accord de cession territoriale de 1895
(présenté comme créant l’obligation pour le Chili de transférer la souveraineté sur un territoire
de la Bolivie)9.
1.6. Dans ses plaidoiries concernant l’exception préliminaire du Chili, la Bolivie est revenue
sur ses précédentes affirmations concernant un droit préexistant à un accès souverain. Elle a
tardivement reconnu que l’accord de cession territoriale de 1895 n’était jamais entré en vigueur et
qu’il était «dépourvu de tout effet»10. La Bolivie a également renoncé à prétendre qu’existait une
obligation de résultat pour commencer à invoquer une simple obligation de comportement11, tout
en déclarant également que la notion d’«accès souverain» pourrait englober «une zone spéciale
ou ... toute autre solution concrète»12. Ces changements avaient pour but de parer à l’exception de
compétence du Chili selon laquelle l’argumentation avancée par la Bolivie dans sa requête et son
mémoire impliquait de faire abstraction de l’article VI du pacte de Bogotá dans la mesure où, en
sollicitant une décision ordonnant une négociation qui conduirait à une cession territoriale, la
Bolivie tentait de revenir sur une «question ... réglée ... ou ... régie» par le traité de paix de 190413.
1.7. Avec la réplique bolivienne, la Cour est désormais confrontée à une troisième version de
l’argumentation de la Bolivie.
a) Etant revenue sur sa revendication d’un droit antérieur à un accès souverain, la Bolivie
s’efforce désormais de développer une argumentation fondée sur le prétendu «effet cumulatif de
plus d’un siècle de comportement constant du [Chili]»14. Cette nouvelle argumentation insiste
sur l’estoppel, les attentes légitimes et l’acquiescement. Elle contredit indubitablement
l’argumentation du mémoire. La thèse défendue dans celui-ci était que le Chili avait manqué à
ses obligations envers la Bolivie en raison d’une supposée dégradation progressive des
conditions (censément) convenues d’une négociation15. Rompant avec cette logique, la Bolivie
s’appuie désormais sur une allégation de «continuité» et d’accumulation depuis le XIXe siècle,
et affirme que le Chili a soudainement dénoncé l’obligation de négocier en 201116.
8 MB, chap. II, partie III, sect. B.
9 MB, par. 5-18.
10 Voir contre-mémoire du Chili (ci-après «CMC»), par. 1.8 et 2.4-2.9 ; et affaire relative à l’Obligation de
négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/19, p. 43-44, par. 16.
11 Voir second tour de plaidoiries de la Bolivie le 8 mai 2015, affaire relative à l’Obligation de négocier un accès
à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/21, p. 18, par. 9. Voir également le rejet dépourvu d’ambiguïté, par la
Bolivie, lors du second tour, de la position défendue par le Chili qui était que la Bolivie demandait à la Cour d’ordonner
au Chili de renégocier pour faire de l’accès bolivien non souverain à travers le territoire chilien un accès souverain :
affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/21, p. 27-28, par. 11.
12 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/19,
p. 50-51, par. 3.
13 Voir exposé de l’opinion dissidente de Mme la juge ad hoc Arbour en l’affaire relative à l’Obligation de
négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 653,
par. 25-26.
14 REB, par. 7.
15 MB, par. 400 et suiv., et par. 434.
16 Voir, par exemple, REB, par. 13, 346 et 472.
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b) En outre, nonobstant la position adoptée lors de la phase de l’exception préliminaire, il est
maintenant manifeste qu’en réclamant un «accès pleinement souverain à la mer», la Bolivie
veut, une nouvelle fois, obtenir du Chili une cession territoriale17.
c) A la différence, ici aussi, de ce qu’elle soutenait auparavant, la Bolivie invoque désormais
l’existence d’«engagements postérieurs à 1990»18.
1.8. Cette argumentation mouvante est une réaction à la réfutation point par point, par le
Chili, de l’utilisation faite par la Bolivie de situations distinctes de dialogue diplomatique entre le
Chili et la Bolivie comme fondement de sa demande. Ce glissement, dans la réplique de la Bolivie,
vers une argumentation reposant sur le caractère cumulatif d’un comportement ayant débuté au
XIXe siècle souligne à la fois les lacunes de l’argumentation initialement défendue par la Bolivie et
le caractère changeant de la thèse avancée par elle devant la Cour d’une obligation juridique fondée
sur des rapports diplomatiques.
1.9. Les nouveaux arguments de la Bolivie sont analysés plus loin dans la présente duplique.
Trois aspects de l’argumentation changeante de la Bolivie appellent toutefois un commentaire en
préambule.
1.10. Tout d’abord, la Bolivie a cherché, dans son mémoire, à remédier à l’absence de toute
obligation apparente dans les documents sur lesquels elle s’appuyait en invitant la Cour à les
interpréter dans le contexte d’un supposé droit préexistant à un accès souverain dont elle situait la
source dans l’accord de cession territoriale de 1895. Une telle argumentation n’est plus tenable
pour la Bolivie. Celle-ci a été contrainte de reconnaître que l’accord de cession territoriale de 1895
n’était jamais entré en vigueur et qu’il était dépourvu de tout effet. Loin de se laisser décourager, la
Bolivie s’efforce, dans sa réplique, de parvenir à la même fin en invoquant, de manière très
générale, un «compromis historique remontant au XIXe siècle»19, dont l’origine n’est pas identifiée,
ainsi qu’une obligation «qui perdure» de négocier tant que la «cause» n’en a pas disparu20. Pour ce
faire, la Bolivie invoque, et applique à tort, son droit civil interne. L’argumentation du Chili est, à
l’inverse, enracinée dans le droit international, et repose sur une analyse de chacun des documents
sur lesquels s’appuie la Bolivie.
1.11. Ensuite, lors des audiences sur l’exception préliminaire, la Bolivie a suggéré que
l’«accès souverain» pouvait inclure «une zone spéciale ou ... toute autre solution concrète»21. Il
s’agit-là d’une déclaration particulièrement importante au regard de l’argument du Chili selon
lequel la décision demandée par la Bolivie dans son mémoire exigerait nécessairement de «défaire»
le traité de paix de 1904. Après avoir défendu l’existence d’une compétence pour connaître de sa
demande sur une certaine base, la Bolivie ne saurait à présent changer de nouveau d’argumentation
en revenant à une demande fondée sur une obligation de négocier pour obtenir rien de moins
qu’une cession territoriale.
17 REB, par. 138.
18 REB, par. 312-318.
19 Voir plus loin, chap. 3.
20 REB, par. 474.
21 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/19,
p. 50-51, par. 3.
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1.12. Enfin, la Bolivie s’est, dans sa réplique, efforcée de détourner l’attention de la question
fondamentale de l’identification par elle d’un accord ou d’une autre source de l’obligation juridique
qu’elle invoque, à laquelle se rattache nécessairement toute son argumentation. Ainsi a-t-elle posé,
de diverses manières, la question, qu’elle qualifie de «simple [et] décisive», de savoir pourquoi, si
le Chili n’avait pas l’obligation de négocier, il avait, en diverses occasions, manifesté la volonté de
le faire22.
1.13. La question n’est ni simple ni décisive.
1.14. Le dialogue que le Chili a périodiquement engagé, au fil des ans, avec la Bolivie relève
par essence de la diplomatie politique, motivée en partie par le bon voisinage et en partie par
l’intérêt national, avec la volonté d’explorer des possibilités de quid pro quo. Dans le cas des
échanges diplomatiques de juin 1950, le Chili a par exemple été attiré par la possibilité d’un accord
avec la Bolivie aux termes duquel cette dernière lui permettrait, en contrepartie d’un accès
souverain à la mer, de s’alimenter en eau dans le lac Titicaca et d’autres lacs des hauts-plateaux
andins à des fins d’irrigation et de production hydroélectrique. Ces aménagements auraient été
réalisés dans le cadre d’un projet de grands travaux financé par les Etats-Unis discuté entre le
président chilien González Videla et le président américain Truman en mai 195023. Lors du
processus de Charaña, au cours de la période de 1975 à 1978, le Chili a seulement accepté de
dialoguer avec la Bolivie sur la base d’un échange territorial entre les deux Etats24.
1.15. Ces discussions n’ont en aucune manière été motivés par un quelconque sentiment
d’obligation juridique. De surcroît, le Chili y a chaque fois pris part en sachant que le traité de paix
de 1904 avait réglé les différends territoriaux entre les parties, et que, de ce fait, la Bolivie n’avait
aucun droit à une quelconque partie du territoire chilien. Si un accord avait dû être trouvé, il
l’aurait été dans des conditions acceptables pour le Chili. Celui-ci n’avait pas l’obligation
d’octroyer un accès souverain à la Bolivie, ni aucune obligation d’en négocier un.
1.16. Dans le dernier paragraphe de sa réplique, la Bolivie reconnaît qu’en diverses
occasions, le dialogue ouvert par le Chili avec la Bolivie était lié aux intérêts chiliens, mais
demande comment le Chili peut désormais prétendre que ses intérêts ne sont plus compatibles avec
la négociation d’un accès souverain au Pacifique pour la Bolivie25. Cette question est
fondamentalement erronée. Les intérêts du Chili ne sont pas au coeur de la présente espèce, et
encore moins les impressions subjectives de la Bolivie à cet égard. Cette affaire est centrée sur
22 REB, par. 318, 389 et 477. Dans le paragraphe 318, la Bolivie demande également pourquoi le Chili a, à
plusieurs reprises, dit qu’il existait un «besoin» pour la Bolivie de disposer d’un accès souverain au Pacifique. La Bolivie
répète cette allégation tout au long de sa réplique sans pour autant faire référence à la moindre déclaration à l’appui de
son affirmation (voir, par exemple, REB, par. 151, 154 e), 321, 341, 342 et 348). Il existe pourtant une réponse simple
qui est que le Chili n’a jamais fait référence à un tel «besoin» depuis la conclusion du traité de paix de 1904. Il convient à
cet égard, à titre d’illustration, de comparer la note bolivienne de juin 1950, qui mentionnait un «besoin» d’obtenir un
accès souverain, avec la note chilienne en réponse et le mémorandum Trucco de 1961 qui, l’un comme l’autre,
évoquaient «la possibilité de satisfaire les aspirations de [la Bolivie] tout en préservant [l]es propres intérêts [du Chili]»
(voir plus loin, chap. 5). Il est arrivé que le Chili mentionne, ponctuellement et de manière sporadique, un «besoin pour la
Bolivie de disposer d’un accès souverain» (voir, par exemple, note du président du Chili no 685, 30 septembre 1975, voir
MB, annexe 70, citée dans REB, par. 341 ; déclaration commune des ministres des affaires étrangères du Chili et de la
Bolivie, 10 juin 1977, CMC, annexe 222, citée dans REB, par. 341 ; et note du président du Chili, 7 janvier1884, MB,
annexe 36, citée dans REB, par. 475).
23 Voir plus loin, chap. 5, par. 5.14.
24 Voir plus loin, chap. 6.
25 REB, par. 477.
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l’interprétation objective des instruments dont la Bolivie affirme qu’ils ont créé des obligations
juridiques. La principale tâche de la Cour est donc de déterminer si, par le libellé des diverses
déclarations invoquées par la Bolivie, le Chili a manifesté une intention d’être lié.
1.17. Une obligation juridique de négocier ne naît pas simplement d’une volonté de
participer à des négociations. Ce que la Bolivie attend de la Cour (la greffe, après coup, d’une
obligation juridique de négocier sur un dialogue politico-diplomatique) va à l’encontre des
principes juridiques et revient à vider la diplomatie de sa substance.
C. LE DIFFÉREND POUR LEQUEL LA COUR EST COMPÉTENTE
1.18. Dans son arrêt du 24 septembre 2015 sur l’exception préliminaire, la Cour remarquait
que : «[d]ans sa requête, la Bolivie ne demande pas à la Cour de dire et juger qu’elle a droit à pareil
accès»26.
1.19. La Cour a décrit en ces termes le différend à l’égard duquel elle s’est déclarée
compétente :
«[à] la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’objet du différend réside dans
la question de savoir si le Chili a l’obligation de négocier de bonne foi un accès
souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique et, dans l’affirmative, si le Chili a manqué
à cette obligation»27.
Elle a également souligné que, «[m]ême à supposer, arguendo, que la Cour conclue à l’existence de
pareille obligation, il ne lui appartiendrait pas de prédéterminer le résultat de toute négociation qui
se tiendrait en conséquence de cette obligation»28.
1.20. Il s’ensuit que le différend à l’égard duquel la Cour s’est reconnue compétente porte
sur la question de savoir si le Chili a l’obligation de négocier de bonne foi un accès souverain pour
la Bolivie et, si tel est le cas, s’il a manqué à cette obligation.
1.21. En revanche, il ne s’agit pas d’un différend concernant un droit de la Bolivie à un accès
souverain. Il ne s’agit pas non plus d’un différend concernant une obligation de négocier pour
parvenir à un résultat assurant à la Bolivie un accès souverain à la mer.
*
* *
26 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604, par. 32.
27 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 605, par. 34. Les termes de la demande de redressement de la Bolivie
n’ont pas été repris, mais les mots «de bonne foi» ont été utilisés en lieu et place de «en vue de parvenir à un accord
assurant».
28 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 605, par. 33.
9
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1.22. Après cette introduction, le Chili en viendra, dans le chapitre 2 de la présente duplique,
à l’examen des questions pertinentes de droit international. Il abordera, dans le chapitre 3, la
nouvelle allégation de la Bolivie concernant l’existence d’un «compromis historique remontant au
XIXe siècle», nonobstant la conclusion du traité de paix de 1904, ainsi que le fait que les traités de
1895 ne sont jamais entrés en vigueur et sont dépourvus de tout effet.
1.23. Dans les chapitres 4 à 8, le Chili traitera de chacune des périodes ultérieures, ainsi que
de chaque document ou échange au cours de chacune d’elles, dont la Bolivie prétend qu’ils donnent
lieu à une obligation de négocier.
1.24. Dans le chapitre 9, le Chili répondra à la nouvelle argumentation de la Bolivie qui
repose sur l’idée de continuité, ainsi qu’à l’allégation bolivienne selon laquelle une obligation de
négocier a résulté d’une accumulation d’événements.
1.25. Enfin, dans le chapitre 10, le Chili conclura la présente duplique par un résumé de son
argumentation et ses conclusions.
1.26. La présente duplique s’accompagne des 81 annexes énumérées dans la liste qui y est
jointe. Celles-ci sont organisées par ordre chronologique dans les volumes 2 et 3. Le Chili a
commencé à numéroter les annexes déposées avec cette duplique à compter de l’annexe 374, les
documents précédents ayant été soumis avec les pièces de procédure précédentes. Avec la version
électronique de la présente duplique, le Chili a fourni une liste complète de toutes les annexes
déposées par les Parties organisées par ordre chronologique, ainsi que toutes les annexes
elles-mêmes, organisées de la même manière.
10
- 8 -
CHAPITRE 2
LE CADRE JURIDIQUE RÉGISSANT LE DIFFÉREND
2.1. Dans son essence, le différend à l’examen porte sur le point de savoir si, lors des divers
échanges sur lesquels s’appuie la Bolivie, le Chili a fait montre d’une intention d’être tenu, en vertu
du droit international, de négocier avec la Bolivie sur la question de l’accès souverain à l’océan
Pacifique. Puisqu’il est clair que le Chili n’a manifesté aucune intention de ce type, la Bolivie
affirme qu’il a une obligation de négocier découlant non seulement d’«accords individuels
formels», mais «aussi de sources et de processus juridiques tels que des accords informels ou
tacites, l’acquiescement, des actes unilatéraux et des doctrines comme l’estoppel, reposant sur des
comportements clairs et cohérents»29. Dans la mesure où il est également clair qu’aucune
obligation de négocier ne saurait naître de la sorte, la Bolivie invoque en outre une «obligation de
négocier en vertu du droit international général» concernant «toute question demeurée en suspens»
«restant à régler»30. Ces diverses tentatives pour créer une source juridique d’obligation de
négocier en relation avec un accès souverain à la mer sont toutes dépourvues de fondement, mais si
la Bolivie pouvait établir que le Chili avait une obligation juridique de négociation, les questions
restantes porteraient sur son contenu, ainsi que sur le fait de savoir si elle a été violée et si elle
perdure à ce jour.
2.2. Ce chapitre traite donc du cadre juridique pertinent pour :
a) l’«obligation générale de négocier» qui, selon la Bolivie, s’appliquerait dans cette affaire
(section A) ;
b) la création d’obligations de négocier par l’intention d’être lié par une telle obligation
(section B) ;
c) les arguments de la Bolivie en matière de création d’obligations de négocier par effet i) de
l’estoppel ; ii) d’attentes légitimes ; et iii) de l’acquiescement (section C) ; et
d) les questions qui se posent si une obligation de négocier est créée, en particulier i) quant à son
contenu ; ii) concernant les circonstances dans lesquelles une obligation ultérieure en remplace
une autre, antérieure ; et iii) en relation avec son extinction (section D).
2.3. Les éléments de faits sur lesquels s’appuie la Bolivie sont évalués, dans les chapitres
suivants, par référence au cadre juridique analysé dans ce chapitre.
A. AUCUNE «OBLIGATION GÉNÉRALE DE NÉGOCIER» UN ACCÈS SOUVERAIN
À L’OCÉAN PACIFIQUE POUR LA BOLIVIE N’INCOMBE AU CHILI
2.4. La Bolivie soutient que le Chili a une obligation de négocier un accès souverain à la mer
dont l’origine se trouve dans «l’obligation générale de chercher à régler les différends», telle
qu’énoncée, principalement, dans le paragraphe 3 de l’article 2 et l’article 33 de la Charte des
Nations Unies31. La Bolivie affirme qu’une obligation générale de négocier «s’applique à l’égard
29 REB, par. 164.
30 REB, chap. 4, en particulier par. 168.
31 REB, par. 167-175.
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- 9 -
de toute question pendante devant être réglée entre deux pays (ou plus)»32, et notamment à la
«question maritime»33, qu’elle décrit comme «pendante» entre la Bolivie et le Chili car «[la
première] [avait] renoncé à son territoire maritime au profit du [second] dans l’espoir qu’elle se
verrait restituer un accès souverain à la mer»34.
2.5. L’obligation imposée par la Charte des Nations Unies consiste à régler les différends par
des «moyens pacifiques». La négociation en est un, mais il en est bien d’autres, et il n’existe pas
d’obligation de négocier par préférence à d’autres moyens de règlement pacifique des différends.
2.6. En outre, l’obligation ne concerne que le règlement des «différends». Elle ne s’applique
pas à «une question pendante ... dev[ant] être réglée». Il n’existe pas, dans cette affaire, de
différend quant au fait de savoir si la Bolivie possède un droit à un accès souverain. Les deux Etats
ont reconnu que tel n’était pas le cas35. Il n’existe donc pas de base sur laquelle la Charte des
Nations Unies ou une source équivalente36 pourrait imposer une «obligation générale de négocier»
à la Bolivie et au Chili en relation avec un accès souverain à l’océan Pacifique. L’unique différend
pertinent entre les deux Etats est survenu en 2011 et porte sur l’existence d’une obligation de
négocier un accès souverain à l’océan Pacifique. Dans l’hypothèse où une «obligation générale» de
règlement des différends par des moyens pacifiques s’appliquerait, elle ne concernerait que le
différend survenu en 2011 concernant l’existence d’une obligation de négocier un accès souverain
à l’océan Pacifique.
2.7. En outre, toute obligation découlant de l’article 33 de la Charte des Nations Unies
s’applique aux différends «susceptible[s] de menacer le maintien de la paix et de la sécurité
internationales», condition qui n’est clairement pas remplie en l’espèce.
B. OBLIGATIONS DE NÉGOCIER DÉCOULANT D’UNE INTENTION
D’ÊTRE JURIDIQUEMENT LIÉ
1. Création d’obligations de négocier par accord explicite
2.8. La Bolivie convient avec le Chili qu’«une obligation juridique de négocier ne peut se
faire jour que s’il apparaît, sur la base d’une interprétation objective, que les Etats intéressés
entendaient qu’il en aille ainsi»37. La question de savoir si les Etats ont l’intention requise doit être
tranchée à partir des «termes employés et des circonstances dans lesquelles [un instrument] a été
élaboré»38. La Bolivie reconnaît qu’elle doit «démontrer en quoi les divers actes du Chili attestent
32 REB, par. 168.
33 Concernant le sens de la «question maritime», voir par. 8.8 ci-après.
34 REB, par. 174. Concernant le rôle des «attentes», voir par. 2.26-2.33 ci-après.
35 REB, par. 27. Voir également par. 1.20-1.21 ci-dessus.
36 Il n’existe pas non plus de base permettant à la Bolivie d’invoquer, dans le paragraphe 170 de sa réplique, les
articles 24 et 25 de la Charte de l’Organisation des Etats Américains (OEA). Le contenu de ce paragraphe et du précédent
vaut donc également à cet égard.
37 REB, par. 180, citant pour l’approuver le contre-mémoire du Chili, par. 4.1.
38 Affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, par. 96 (cité
dans REB, par. 84, note 79). Voir également affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 121, par. 23.
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- 10 -
de son intention d’être lié»39. Elle n’en continue pas moins à s’attacher, au lieu de cela, aux
manifestations chiliennes de la «disposition» à négocier, au motif qu’«il n’y a pas d’opposition
entre les termes «disposition» et «intention» ; l’affirmation de l’une (la disposition) indique
l’existence de l’autre (l’intention)»40. La Bolivie, et il s’agit là d’un point décisif, doit montrer non
que le Chili avait simplement l’intention de négocier (ainsi que les Etats le font constamment),
mais qu’il avait l’intention d’être lié en ce sens par le droit international. La Bolivie s’efforce de
faire disparaître cette distinction importante.
2.9. L’un des points clés qui oppose les Parties est donc celui de savoir si l’expression d’une
«disposition» à négocier manifeste l’intention d’un Etat de créer une obligation juridiquement
contraignante de négocier. Pour le Chili, et dans la pratique diplomatique courante, l’expression
d’une disposition à négocier n’engendre pas d’obligation juridique de le faire. A l’inverse, la
Bolivie soutient que l’existence d’une «disposition» démontre une intention de créer une obligation
juridique41. L’argument de la Bolivie relève du sophisme : «le Chili a en fait exprimé sa disposition
à négocier un accès souverain et avait donc une intention d’être lié»42.
2.10. La position de la Bolivie est dépourvue de sens, tant d’un point de vue pratique que
juridique. Concernant le premier aspect, les Etats doivent être libres d’exprimer leur disposition à
négocier sur une question donnée sans devenir de la sorte juridiquement tenus de le faire. Toute
règle contraire aurait une incidence négative évidente sur les relations diplomatiques. Du point de
vue juridique, il va de soi que la rédaction employée dans un instrument donné sera cruciale pour
déterminer si l’Etat ou les Etats qui en sont les auteurs avaient, en agissant de la sorte, l’intention
d’être liés, en vertu du droit international, par les termes dudit instrument. La simple formulation
d’une disposition à négocier n’équivaut pas à l’expression d’une intention de s’engager, au regard
du droit international, à négocier. Même l’utilisation de termes tels que «convenir» ne constituera
pas nécessairement une preuve d’une telle intention.
2.11. Tel a été le cas dans l’affaire Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse, à l’occasion
de laquelle le tribunal a été amené à examiner une déclaration commune accompagnée d’un
39 REB, par. 80. Voir également MB, par. 300 ; et convention de Vienne sur le droit des traités, signée à Vienne le
23 mai 1969 (entrée en vigueur le 27 janvier 1980), RTNU, vol. 1155, p. 331 (la convention de Vienne sur le droit des
traités), alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2. L’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 ne s’applique pas directement
car la Bolivie n’a pas ratifié la convention de Vienne sur le droit des traités, laquelle ne s’appliquerait, de toute façon,
qu’aux traités conclus après son entrée en vigueur en 1980 (voir art. 4). Toutefois, dans son essence, la définition du traité
(un accord régi par le droit international) reflétait le droit international coutumier en 1950 (voir l’analyse des vues des
rapporteurs spéciaux de la Commission du droit international (CDI) Brierly, Lauterpacht et Fitzmaurice en 1950, 1953,
1956 et 1959 dans Ph. Gautier, «Article 2», in O. Corten and P. Klein (eds), The Vienna Conventions on the Law of
Treaties (2011) 33, p. 40-45 et O. Corten et P. Klein (éd.), Les conventions de Vienne sur le droit des traités (2006) 45,
p. 56-62. Voir également, Organisation des Nations Unies (ONU), Bureau des affaires juridiques, Manuel des traités du
Secrétariat des Nations Unies (2012), par. 5.3.4 :
«[u]n traité ou un accord international doit entraîner pour les parties des obligations juridiquement
contraignantes au regard du droit international, et non de simples engagements politiques. Il doit être clair
au vu de l’instrument, quelle que soit sa forme, que les parties ont l’intention d’être juridiquement
contraintes au regard du droit international.»
40 REB, par. 80.
41 REB, par. 80. Voir également REB, par. 10, 79-80, 141, 153-154, 177-179, 181, 185-186, 216 et 477.
42 REB, par. 10 (les italiques sont de nous).
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15
- 11 -
communiqué comportant une série de points dont les premiers ministres provinciaux participants
avaient «convenu[]»43. Le tribunal a rappelé que des facteurs tels que
«l’absence de document signé, surtout s’il s’agit d’une question aussi importante que
la détermination d’une frontière internationale ; le recours à un libellé qui est vague ou
qui ne semble pas énoncer un engagement immédiat, le fait que les parties aux
négociations aient eu le sentiment commun que leur accord de principe allait être
énoncé plus tard dans un document formel ou passer par un mécanisme quelconque de
mise en oeuvre avant de devenir obligatoire ... peuvent, pris séparément ou dans leur
ensemble, mener à la conclusion qu’une déclaration ne constitue pas un accord
obligatoire au regard du droit international»44.
2.12. En application de ces principes, le tribunal a jugé que ni la déclaration commune ni le
communiqué (dont les termes étaient imprécis et conditionnels) n’avaient valeur contraignante, et il
a conclu, s’agissant de la déclaration commune, que son «libellé ... correspond[ait] plus à celui
qu’aurait un accord politique, préliminaire ou provisoire, lequel pourrait mener à la conclusion
d’un accord formel, mais qui n’est pas lui-même cet accord»45. Dans l’affaire du Golfe du Bengale,
le Tribunal international du droit de la mer a, de même, jugé qu’un procès-verbal commun n’était
pas juridiquement contraignant bien que le mot «convenu» ait été utilisé46. Le Tribunal a également
reconnu dans cette affaire que la répétition de termes n’ayant pas un caractère juridiquement
contraignant n’avait pas pour effet de les rendre contraignants47.
2.13. Dans sa réplique, la Bolivie accuse le Chili d’adopter une «approche subjective» quant
à l’établissement d’obligations juridiques car, dans son contre-mémoire, le Chili a souligné que la
Bolivie n’avait pas allégué l’existence d’une obligation de négocier au moment où elle prétend
maintenant que serait née cette obligation48. Cependant, ainsi que l’a confirmé la Cour dans
l’affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), les circonstances dans
lesquelles un instrument a été élaboré et la conduite des parties à ce moment-là sont importantes
pour apprécier l’intention des parties, interprétée objectivement49. La conduite contemporaine des
deux Etats est donc pertinente pour déterminer, de manière objective, s’ils avaient, ou non,
43 Arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Ecosse concernant
certaines parties des limites de leurs zones extracôtières au sens de la Loi de mise en oeuvre de l’Accord Canada -
Nouvelle-Ecosse sur les hydrocarbures extracôtiers et de la Loi de mise en oeuvre de l’Accord Atlantique Canada -
Terre-Neuve, sentence rendue par le tribunal d’arbitrage au terme de la première phase, 17 mars 2001, 128 ILR 425
(Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Écosse, première phase). Voir par. 4.16 concernant le texte de la déclaration
commune.
44 Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse, première phase, par. 3.18.
45 Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse, première phase, par. 7.3 ; voir également par. 7.5. Voir aussi
République des Philippines contre la République populaire de Chine, affaire CPA n° 2013-29, sentence sur la
compétence et la recevabilité, 29 octobre 2015 (Philippines c. Chine, compétence et recevabilité), par. 242-243. La Cour
a récemment souligné l’importance d’analyser un texte dans son ensemble pour en interpréter un passage particulier :
affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt du
2 février 2018, par. 65 et 70-80. Voir également Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 120-122, par. 23-30.
46 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du
Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, affaire n° 16 (Golfe du Bengale), par. 92-98.
47 Golfe du Bengale, par. 98. Voir également CMC, par. 4.10.
48 REB, par. 148.
49 Affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 44, par. 107.
Voir également affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 427-428, par. 258 et p. 429, par. 262-263 ; et
D.P. O’Connell, International Law (1970), p. 205.
16
- 12 -
l’intention de créer des droits et obligations en vertu du droit international50. L’allégation, en de
rares occasions, de manière ponctuelle et tardive, par la Bolivie, au cours des décennies 1960 et
1980, d’une quelconque obligation juridique de négocier, et le rejet par le Chili de cette allégation
sont abordés plus loin51. Le fait qu’au cours des deux décennies qui se sont écoulées entre 1990 et
2011, alors que la Bolivie avait déjà annoncé son intention de saisir la Cour, ni la Bolivie ni le Chili
n’ait prétendu qu’une obligation de négocier concernant un accès souverain à la mer était née
antérieurement indique, objectivement, qu’aucun des deux Etats n’avait la moindre intention d’être
lié par une telle obligation.
2. Création d’obligations de négocier par accord tacite
2.14. La Bolivie soutient dans sa réplique que même si aucun des événements sur lesquels
elle s’appuie ne constituait un accord exprès régi par le droit international, la conduite des deux
Etats n’en a pas moins donné naissance à un accord tacite par lequel ils sont désormais liés52. Le
critère requis pour établir l’existence d’un accord tacite est fort strict. Tel est en particulier le cas
pour les questions liées à la souveraineté. Dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, la Cour a énoncé
ledit critère comme suit :
«[l]es éléments de preuve attestant l’existence d’un accord tacite doivent être
convaincants. L’établissement d’une frontière maritime permanente est une question
de grande importance, et un accord ne doit pas être présumé facilement»53.
2.15. La Bolivie s’appuie sur l’affaire Pérou c. Chili, dans laquelle la Cour a reconnu
l’établissement d’une frontière maritime par accord tacite54. Dans cette affaire, l’exigence du
caractère «convaincant[]» des «éléments de preuve» était remplie notamment au vu du libellé d’un
traité qui partait du principe que la frontière maritime avait déjà fait l’objet d’un accord : «[e]n
l’espèce, la Cour a devant elle un accord qui montre clairement qu’il existait déjà entre les Parties
une frontière maritime suivant un parallèle. L’accord de 1954 est un élément décisif à cet égard. Il
a pour effet de consacrer l’accord tacite en question.»55 Il n’existe rien, en l’espèce, d’équivalent à
l’accord de 1954. La Cour n’a conclu à l’existence d’accords tacites que dans des cas
exceptionnels, lorsque la conduite en cause n’est pas ambigüe et en l’absence de déclaration
contraire d’aucun des Etats concernés. En la présente affaire, la Bolivie et le Chili n’ont pas
considéré qu’ils avaient une obligation juridique de négocier un accès souverain. De fait, le Chili a
expressément contesté être assujetti à une telle obligation56.
50 CMC, par. 1.5 et 1.26.
51 Voir par. 5.20, 5.31 et 5.33-5.34.
52 REB, par. 6, 27, 165, 317 et 349.
53 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 735, par. 253 et p. 736, par. 256. Voir également Golfe du Bengale,
par. 117 ; et Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 38-39, par. 91.
54 REB, par. 165 b).
55 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 39, par. 91.
56 Voir par. 5.20, 5.30, 5.31 et 5.33 ci-après.
17
- 13 -
3. Création d’obligations de négocier par déclaration unilatérale
2.16. La Bolivie reconnaît que l’intention objective de l’Etat auteur d’une déclaration
unilatérale est décisive pour déterminer si celle-ci crée une obligation juridique57. Une intention
objective de s’engager à négocier au regard du droit international ne saurait être établie par
l’expression unilatérale d’une disposition à négocier58. La question pertinente est celle de savoir si
un Etat a formulé une déclaration claire et spécifique attestant d’une intention d’être juridiquement
lié d’une certaine manière59.
2.17. La Bolivie soutient que, dans l’affaire des Essais nucléaires, «la Cour n’a pas écarté la
possibilité qu’une disposition à faire quelque chose se transforme en un engagement juridique»60.
En fait, la Cour a jugé, pour reprendre le passage cité par la Bolivie, que : «[q]uand 1’Etat auteur de
la déclaration entend être lié conformément a ses termes, cette intention confère à sa prise de
position le caractère d’un engagement juridique ...»61. La Bolivie ajoute la remarque suivante : «[la
Cour] a donc indiqué que l’intention était le critère central, sans l’assortir de conditions»62. Or, il va
de soi que la Cour a formulé des conditions. Elle a dit très clairement que l’intention de l’Etat en
relation avec la déclaration devait être qu’il «entend[e] être lié conformément a ses termes»63.
2.18. La Bolivie ne traite pas non plus de l’arrêt dans l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), dans lequel la Cour a jugé que, dans un contexte bilatéral, où
des Etats sont à même, dans le cours normal de leurs relations, de s’obliger juridiquement par un
accord, une approche encore plus restrictive s’appliquait à la création d’obligations juridiquement
contraignante sur la base de déclarations unilatérales64. Dans cette affaire, comme dans celle qui a
opposé le Burkina Faso au Mali, «[r]ien ne s’opposait en l’espèce à ce que les Parties manifestent
leur intention de reconnaître le caractère obligatoire des conclusions [d’une commission spécifique]
par la voie normale : celle d’un accord formel fondé sur une condition de réciprocité», plutôt que
d’une déclaration unilatérale65. Le fait que l’argumentation de la Bolivie comporte de nombreuses
références à des communiqués et déclarations66 renforce, et n’affaiblit nullement, la conclusion
importante de l’arrêt Burkina Faso/Mali. Si le Chili avait eu l’intention de s’engager juridiquement
à négocier avec la Bolivie et, s’il faut en croire les affirmations boliviennes, s’il a manifesté une
telle intention de manière unilatérale non pas une seule fois mais de manière répétée, alors
pourquoi ne l’a-t-il pas exprimée par la voie normale, c’est-à-dire, par un accord bilatéral entre les
deux Etats ? La réponse évidente est qu’il n’existait pas d’intention d’être lié.
57 REB, par. 154 a).
58 Voir CMC, par. 4.16-4.22.
59 Voir CMC, par. 4.20 ; et affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 573-574, par. 39-40.
60 REB, par. 154 c) (les italiques sont de nous).
61 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 ; et Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46.
62 REB, par. 154 a).
63 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 ; et Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46.
64 CMC, par. 4.21-4.22, faisant référence à l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 574, par. 40.
65 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 574, par. 40.
66 REB, par. 196.
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2.19. La Bolivie ne traite pas non plus l’argument chilien selon lequel, à la différence des
circonstances très particulières qui caractérisaient l’affaire des Essais nucléaires, dans laquelle
l’obligation assumée pouvait être exécutée unilatéralement, des négociations ne sauraient être
unilatérales67. Les négociations requièrent la participation d’au moins deux parties. Il s’ensuit
qu’un engagement à négocier implique des obligations réciproques des deux parties négociantes
putatives. Il s’agit précisément d’une situation dans laquelle il serait légitime de s’attendre à ce
qu’existe «un accord formel fondé sur une condition de réciprocité»68.
C. L’ARGUMENT DE LA BOLIVIE SUR LA CRÉATION D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER
PAR ESTOPPEL, ATTENTES LÉGITIMES ET ACQUIESCEMENT
1. Estoppel
2.20. Dans son mémoire, la Bolivie ne mentionne l’estoppel qu’en passant69. Puisque le
contre-mémoire chilien a clairement établi que la Bolivie ne pouvait démontrer l’existence d’une
intention objective du Chili d’être lié par une obligation juridique de négocier, la Bolivie ménage
désormais une place importante à l’estoppel pour éviter d’avoir à apporter la preuve d’une intention
d’être lié70. Pour invoquer l’estoppel, il faudrait que la Bolivie démontre l’existence de chacun des
éléments suivants :
a) qu’une déclaration claire et non équivoque a été formulée par un Etat à l’intention d’un autre71 ;
b) que la déclaration était volontaire, inconditionnelle et faite par une personne habilitée à la
formuler72 ;
c) que l’Etat à l’intention duquel a été formulée la déclaration a, sur la base de celle-ci, modifié sa
position à son détriment ou au profit de l’Etat auteur de la déclaration, ou qu’il a subi un
préjudice73 ; et
d) que la confiance ainsi placée dans une telle déclaration était raisonnable au regard des
circonstances74.
67 CMC, par. 4.22.
68 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 574, par. 40.
69 REB, par. 332.
70 REB, chap. 6, p. 126-142, en particulier par. 323.
71 Emprunts serbes, arrêt no 14, 1929, C.P.J.I. série A no 20/21, p. 39 ; Plateau continental de la mer du Nord
(République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969,
p. 26, par. 30 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 303-304, par. 57 ; et D. Bowett, «Estoppel before International Tribunals and
its Relation to Acquiescence» (1957) 33 BYIL 176, p. 188-189.
72 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 307-308, par. 139 ; et D. Bowett, «Estoppel before International Tribunals and its Relation
to Acquiescence» (1957) 33 BYIL 176, p. 190.
73 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 26, par. 30 ; Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 81, par. 228 ; Différend frontalier
terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990,
p. 118-119, par. 63 ; et D. Bowett, «Estoppel before International Tribunals and its Relation to Acquiescence» (1957) 33
BYIL 176, p. 193-194.
20
- 15 -
2.21. Bien que la Bolivie reconnaisse certains de ces éléments75, elle attribue à l’estoppel un
effet considérablement plus important que ne le permet le droit international. La Bolivie soutient
que l’estoppel s’applique lorsque des déclarations ou une ligne de conduite «n’exprimaient pas une
intention d’être lié, ou lorsqu’un doute subsiste à cet égard»76. Il s’agit là d’une affirmation
inexacte contredite par les deux décisions invoquées par la Bolivie à l’appui de son argument.
Aussi bien le juge Fitzmaurice dans son opinion individuelle dans l’affaire du Temple de
Préah Vihéar que le Tribunal arbitral dans celle de l’Aire marine protégée des Chagos indiquent
explicitement que le rôle joué par l’estoppel est limité aux situations d’incertitude. Lorsqu’il est
certain qu’il n’existe pas d’obligation car un Etat n’a clairement pas exprimé d’intention d’être lié
juridiquement, l’estoppel ne peut s’appliquer77.
2.22. La Bolivie a donc tort lorsqu’elle affirme que l’«objet» de l’estoppel est de constituer
une autre base pour une obligation lorsqu’il est clair que l’Etat n’a exprimé aucune intention d’être
lié juridiquement78. Ce faisant, la Bolivie s’efforce de transformer ce qui est en fait le véritable
«objet» de l’estoppel (la cohérence et la bonne foi dans les rapports interétatiques) en source
d’obligation juridique79. La Cour a néanmoins reconnu de manière constante que la bonne foi ne
saurait créer de nouvelle obligation juridique : bien que le «principe de la bonne foi [soit] «l’un des
principes de base qui président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques» ... ; il n’est
pas en soi une source d’obligation quand il n’en existerait pas autrement»80. Le principe de la
bonne foi n’est pertinent «que [pour] l’exécution d’obligations existantes»81.
2.23. L’estoppel ne doit pas, non plus, être présumé à la légère82. La raison en est que
l’estoppel est une forme de fin de non recevoir. Le juge Fitzmaurice a expliqué dans son opinion
individuelle dans l’affaire du Temple de Preah Vihear que l’estoppel «empêch[ait] l’affirmation de
ce qui, en fait, pourrait être vrai. Par conséquent, son emploi doit être sujet à certaines
restrictions»83. Sir Robert Jennings a, de même, écrit que :
74 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 303, par. 57 (une telle confiance ne serait raisonnable que si ladite déclaration
avait été formulée «d’une manière claire et constante») ; Santa Isabel Claims (Etats-Unis d’Amérique c. Etats-Unis du
Mexique), 26 avril 1926, IV RIAA, p. 803 ; et D. Bowett, «Estoppel before International Tribunals and its Relation to
Acquiescence» (1957) 33 BYIL 176, p. 193-194.
75 REB, par. 336.
76 REB, par. 326 (les italiques sont de nous).
77 Opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 63 ; et Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos (Maurice
c. Royaume-Uni), sentence, 18 mars 2015 (162 ILR 1), par. 445-446. Voir également, A. McNair, The Law of Treaties
(1961), p. 486.
78 Voir REB, par. 323 : «l’objet de l’estoppel ... est précisément d’offrir une base pour des obligations autres que
l’intention d’être lié» (les italiques sont de nous).
79 La Bolivie reconnaît que l’estoppel provient du principe de bonne foi : REB, par. 320, 331 et 337.
80 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94 (les italiques sont de nous) ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 297, par. 39.
81 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 304, par. 59.
82 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 308, par. 140-142 ; et M. Shaw, International Law (7e éd., 2014), p. 375.
83 Opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 63.
21
22
- 16 -
«le principe de l’estoppel en droit international doit être abordé avec une certaine
prudence, car une fois libéré des multiples chaînes techniques qui limitent strictement
son application en common law, dont, après tout, il dérive par analogie, il présente le
danger de paraître applicable à pratiquement n’importe quelle situation dans laquelle
un Etat a, expressément ou tacitement, adopté une certaine attitude à l’égard d’une
question juridique. Ce qui ne tend qu’à masquer les questions et principes juridiques
réellement en cause.»84
2.24. L’examen des déclarations censées constituer le fondement d’un estoppel formulées
dans le contexte d’échanges diplomatiques et politiques requiert une prudence particulière. Dans
l’arrêt ELSI, la Cour a rejeté l’argument selon lequel l’Italie ne pouvait être admise à soutenir que
les voies de recours locales n’avaient pas été épuisées, et elle a, ce faisant, reconnu qu’il était
«difficile de tirer une telle conclusion de la correspondance échangée alors que l’affaire en était
encore au stade diplomatique»85.
2.25. La Bolivie ne reconnaît pas que le champ d’application de l’estoppel soit limité de la
sorte. Elle préfère se limiter à une présentation superficielle de l’estoppel, qu’elle décrit comme
l’un des multiples principes juridiques au moyen desquels elle tente de fabriquer une obligation
juridique dont il est clair qu’elle n’existe pas. Ce faisant, ainsi qu’il ressort sans ambiguïté des
éléments de fait étudiés dans les chapitres suivants de cette duplique, la Bolivie ne réunit les
éléments constitutifs de l’estoppel pour aucune des déclarations sur lesquelles elle prétend
s’appuyer, non plus que, comme nous le verrons dans le chapitre 986, pour ce qu’elle décrit comme
la «ligne de conduite» du Chili.
2. Attentes légitimes
2.26. La Bolivie fait, dans son mémoire, référence en passant à la «notion[] juridique[]»
d’«attentes légitimes», sans s’étendre davantage sur sa source en droit, sa teneur ou son application
en l’espèce87. Dans sa réplique, les «attentes légitimes» sont devenues un élément important de
l’argumentation bolivienne, sans qu’aucune tentative crédible ne soit, là non plus, faite pour établir
l’existence, en droit international, d’une notion d’attentes légitimes comme source d’obligation
juridique applicable aux rapports entre Etats88.
2.27. Sa réplique montre par contre clairement que la Bolivie a usé de la notion d’attentes
légitimes dans le but de tenter de contourner l’exigence de confiance préjudiciable nécessaire à
l’établissement de l’estoppel. En se focalisant exclusivement sur les positions qu’aurait exprimées
le Chili, sur l’effet d’accroissement des attentes boliviennes qui leur est prêté, ainsi que sur le point
de savoir si le Chili a satisfait ces attentes, la Bolivie s’efforce de détourner l’attention de son
incapacité à prouver qu’elle s’est fiée, à son détriment, auxdites positions. Elle se borne à dire que,
84 R. Jennings, The Acquisition of Territory in International Law (1963), p. 41. Voir également, Délimitation de
la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
p. 310, par. 148 évoquant «[l]es problèmes que peut poser en général l’application de cette notion en droit international» ;
et J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (8e éd., 2012), p. 420-421, précisant qu’«il convient de
souligner que l’estoppel est approché, en droit interne, avec la plus grande prudence, et que le «principe» n’est pas
particulièrement cohérent en droit international, son incidence et ses effets n’étant pas uniformes».
85 Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 44, par. 54.
86 Voir par. 9.13-9.26.
87 MB, par. 332, 334, 337, 396, 409 et 436. La notion a été traitée de manière toute aussi hâtive lors de l’audience
sur l’exception préliminaire : CR 2015/19, p. 19, par. 17 ; CR 2015/21, p. 12-13, par. 12, et p. 32, par. 6.
88 Voir sa simple affirmation à cet effet dans le paragraphe 328 de sa réplique.
23
- 17 -
en raison du «principe» des attentes légitimes, elle est «en droit de s’appuyer»89 sur les positions
invoquées, et que le fait que ces attentes aient été déçues lui a causé un «important préjudice»90.
2.28. En cherchant à soutenir que «le fait de créer puis de décevoir des attentes légitimes
peut, au regard du droit international, donner lieu à des obligations juridiques»91, la Bolivie invoque
trois affaires dont aucune ne va dans le sens de son argumentation. La première, l’affaire Aboilard,
qui date de 1905, concerne des positions exprimées par Haïti envers une personne physique, et non
un Etat, dont le non-respect constituait un comportement contraire aux règles minima pour le
traitement des étrangers92. La deuxième, l’affaire Corvaïa, tranchée par la Commission de
règlement des demandes italo-vénézuélienne en 1903, a établi que l’Italie ne pouvait être admise à
se prévaloir de la nationalité italienne du baron Corvaïa alors même que celui-ci l’avait perdue par
effet du droit italien93. Il s’agit d’une simple application du principe d’estoppel, qui ne mentionne
pas même la notion d’attentes légitimes. La troisième, Gold Reserve c. Venezuela, se contentait de
passer en revue cinq systèmes de droit interne à l’appui de sa suggestion implicite selon laquelle le
«principe» des attentes légitimes serait un principe général du droit applicable à la relation entre
Etats et investisseurs étrangers94. Il est clair que ceci ne saurait être suffisant pour établir
l’existence d’une règle applicable entre Etats en tant que règle générale du droit international.
2.29. A supposer même que la Bolivie ait raison, et qu’il existe bien un «principe» d’attentes
légitimes dans le contexte de la protection des investissements étrangers95, elle n’explique pas
comment un tel «principe» pourrait créer des obligations applicables aux rapports entre Etats, que
ce soit en général ou, dans cette affaire, entre la Bolivie et le Chili. Elle n’est pas à même de le faire
pour au moins trois raisons.
2.30. Premièrement, les attentes légitimes d’un investisseur ne sont pas une source de
l’obligation juridique de l’Etat d’accueil. Leur création et le fait qu’elles puissent être déçues sont
pertinents pour établir la violation d’une obligation conventionnelle préexistante d’assurer à des
89 REB, par. 339.
90 REB, par. 348. Voir également, REB, par. 319.
91 REB, par. 328.
92 REB, par. 329 ; affaire Aboilard (France/Haïti), sentence, 26 juillet 1905, XI RIAA (affaire Aboilard), p. 79-80.
Voir également, Merrill & Ring Forestry L.P. c. le Gouvernement du Canada (ALENA), sentence, 31 mars 2010, p. 80,
note 139, citant l’affaire Aboilard dans le contexte d’une analyse du développement de la norme minimale de traitement
des étrangers.
93 REB, note 484 citant l’affaire Corvaïa, 1903, X RIAA, p. 633.
94 Gold Reserve Inc. c. République bolivarienne du Venezuela, (affaire CIRDI n° ARB(AF)/09/1), sentence,
22 septembre 2014, par. 575-576, faisant référence aux droits argentin, anglais, français, allemand et vénézuélien.
95 REB, par. 339.
24
- 18 -
investisseurs et à leurs investissements un «traitement juste et équitable», ou des règles minima de
traitement des étrangers contenues dans le droit international coutumier96.
2.31. Deuxièmement, la Bolivie ignore les limites attachées à la notion d’attentes légitimes,
même dans le contexte des investissements étrangers, et notamment le fait que de simples
«déclarations de nature politique ... ne créent pas d’attentes légitimes»97, et qu’il est nécessaire que
des investisseurs se soient fiés à la déclaration ou à la conduite dont il est dit qu’elle a généré
l’attente légitime98.
2.32. Troisièmement, même si un «principe» d’attentes légitimes existait en tant que règle
indépendante de droit international applicable aux Etats dans leur relation verticale avec les
personnes physiques et morales sous leur juridiction, la transposition d’un tel principe dans le droit
international général applicable horizontalement entre Etats est totalement dépourvue de
fondement99.
2.33. Il n’existe aucune règle, en droit international, engageant la responsabilité juridique de
l’Etat au motif que les attentes d’un autre Etat ne sont pas satisfaites. La tentative de la Bolivie
pour user d’un «principe» d’attentes légitimes comme d’une base indépendante de création
d’obligations juridiques entre Etats est un défi à la logique et dépourvue de tout fondement.
3. Acquiescement
2.34. La Bolivie n’a fait aucune mention de l’acquiescement dans son mémoire, et ne l’a
évoqué qu’à deux reprises, sans s’y attarder, lors de l’audience sur l’exception préliiminaire100.
Dans sa réplique, il est devenu l’une des «multiples sources de droit» sur la base desquelles la
96 CMS Gas Transmission Company c. République argentine (affaire CIRDI n° ARB/01/8), décision
d’annulation, 25 septembre 2007, par. 89 : «[b]ien que des attentes légitimes puissent naître du fait d’une conduite
habituelle entre l’investisseur et l’Etat d’accueil, il ne s’agit pas, en soi, d’obligations juridiques, encore qu’elles puissent
être pertinentes pour l’application d’une clause de traitement juste et équitable contenue dans le traité bilatéral
d’investissement». Ainsi que l’a récemment réaffirmé un autre tribunal dans une affaire d’investissement, des attentes,
«quelques légitimes qu’elles soient», ne sont pas «en soi des normes», et le «[d]roit international ne confère pas un
caractère contraignant à ce qui n’en avait pas initialement» : Blunsun S.A., Jean-Pierre Lecorcier et Michael Stein
c. République italienne (affaire CIRDI n° ARB/14/3), sentence, 27 décembre 2016, par. 371. C’est donc à tort que la
Bolivie allègue que «l’objet des ... attentes légitimes est précisément d’offrir une base pour des obligations autres que
l’intention d’être lié» : REB, par. 323 (les italiques sont de nous).
97 El Paso Energy International Company c. République argentine (affaire CIRDI n° ARB/03/15), sentence,
31 octobre 2011, par. 378. Voir également Parkerings-Companiet AS v. Lithuania (affaire CIRDI n° ARB/05/08),
sentence, 11 septembre 2007, par. 344 : «tout espoir ne saurait constituer une attente au regard du droit international».
98 Il faut également que la confiance soit raisonnable. Voir, par exemple, Duke Energy Electroquil Partners et
Electroquil S.A. c. République de l’Equateur (affaire CIRDI n° ARB/04/19), sentence, 18 août 2008, par. 340 ; et Marion
Unglaube c. République du Costa Rica (affaire CIRDI n° ARB/08/1), sentence, 16 mai 2012, par. 269-270.
99 Voir, par exemple, S.D. Myers Inc. c. le Gouvernement du Canada (CNUDCI), sentence partielle,
13 novembre 2000, par. 263 ; et Saluka Investments B.V. c. République tchèque (CNUDCI), sentence partielle, 17 mars
2006, par. 300 et 305-306. Dans l’affaire Gold Reserve c. Venezuela (affaire CIRDI n° ARB(AF)/09/1), sentence,
22 septembre 2014, par. 576, le Tribunal a souligné que la
«notion d’attentes légitimes existe dans diverses traditions juridiques pour lesquelles des attentes peuvent
être raisonnablement ou légitimement créées pour une personne privée par le comportement constant
et/ou les promesses de son partenaire juridique, en particulier lorsque ce dernier est l’administration
publique dont dépend cette personne privée» (les italiques sont de nous).
100 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/21, p. 18, par. 7, et p. 28,
par. 12.
25
26
- 19 -
Bolivie tente de fabriquer une obligation juridique qui n’existe pas101, et ce, bien qu’elle se borne à
affirmer que des obligations internationales peuvent trouver leur origine dans l’acquiescement102.
2.35. Les affaires dans lesquelles des juridictions ou tribunaux internationaux ont estimé
qu’il y avait eu acquiescement concernaient des situations dans lesquelles les circonstances
requéraient une protestation pour préserver des droits, et où l’abence d’une telle protestation valait
consentement tacite à l’abandon de ces droits103. La jurisprudence et la doctrine citées par la
Bolivie le prouvent. Elles ont trait à l’acquiescement du Honduras à la perte de son droit à faire
valoir une revendication territoriale104, à la perte par la France de son droit à empêcher des
compagnies aériennes américaines de desservir certaines destinations à partir de Paris105, à la perte
par le Nicaragua de son droit à contester la validité d’une sentence arbitrale106 et d’un traité107, qui
l’un comme l’autre déterminaient des droits territoriaux et maritimes, ainsi qu’à la perte par le
Royaume-Uni de droits sur la haute mer par acquiescement à la méthode norvégienne de
délimitation de sa mer territoriale108. Le Bolivie n’a pas expliqué en quoi les circonstances de
l’acquiescement allégué par elle pouvaient conduire à la création d’une obligation juridique, et n’a
présenté aucune jurisprudence ni doctrine à l’appui de sa position.
2.36. La Bolivie ne cherche pas non plus à démontrer que les silences spécifiques qu’elle
invoque équivalaient au consentement du Chili à la création d’une obligation juridique de négocier.
Il va de soi que tout défaut d’objection ne vaut pas acquiescement. La portée juridique d’une
absence de protestation doit être appréciée à la lumière de l’ensemble des éléments de fait et des
circonstances afin de déterminer si le silence vaut ou non consentement109. Au nombre des facteurs
pertinents pour l’évaluation de cette portée juridique figurent : la nature de l’atteinte aux droits de
l’Etat silencieux résultant des assertions ou des actes qu’il n’a pas contestés, ainsi que la mesure
dans laquelle ces droits ont été directement et substantiellement affectés par ces assertions ou
actes110 ; la mesure dans laquelle l’Etat silencieux a eu connaissance des assertions ou actes qui
n’ont pas été contestés (notoriété)111 ; la période durant laquelle aucune protestation n’est
101 REB, par. 149, 161, 189, 258, 317 et 344, et notes 153 et 360.
102 REB, par. 6, 27, 164, 165, 293, 317 et 349.
103 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 50-51, par. 121 ; affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951,
p. 138-139 ; et I. MacGibbon, «The Scope of Acquiescence in International Law» (1954) 31 BYIL 143, p. 143 : le terme
«acquiescement» «est employé pour décrire l’inertie d’un Etat confronté à une situation dans laquelle ses droits sont
menacés ou violés : il n’est pas destiné à suggérer les formes dans lesquelles un Etat peut signifier son consentement ou
accord de manière positive».
104 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 577, par. 364.
105 Interprétation de l’Accord relatif aux services de transport aérien entre les Etats-Unis d’Amérique et la
France, 22 décembre 1963, XVI RIAA (Interprétation de l’Accord relatif aux services de transport aérien), p. 62-66.
106 Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 1960, p. 209 et 213.
107 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 859, par. 79-80.
108 Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 138-139.
109 R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law (9e éd., 1996), p. 1194-1195.
110 Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 139 ; et R. Jennings et A.
Watts, Oppenheim’s International Law (9e éd., 1996), p. 1195.
111 Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 138-139.
27
- 20 -
intervenue112 ; et la mesure dans laquelle le silence ou l’inaction ont a été maintenus de manière
claire, durable et systématique113.
2.37. L’acquiescement suppose de déduire le consentement d’un Etat de son silence. Cette
déduction doit reposer sur «une probabilité telle qu’elle atteint à la quasi-certitude»114, ou
«manifestée clairement et sans aucun doute»115. La Bolivie est très loin de s’acquitter de cette
charge de la preuve, et de fait, elle n’a accompli aucun effort significatif en ce sens.
D. RÈGLES ET PRINCIPES APPLICABLES LORSQUE S’EST FAIT JOUR
UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER
2.38. Le Chili ne reconnaît pas avoir jamais assumé la moindre obligation juridique de
négocier avec la Bolivie concernant un accès souverain au Pacifique, que ce soit en vertu d’un
accord ou autrement. Même en supposant, arguendo, qu’une telle obligation ait existé, la Bolivie
n’a pas identifié correctement les principes juridiques qui seraient pertinents pour en établir le
contenu (sous-section 1), ainsi que pour déterminer si elle aurait pu être supplantée par une
obligation ultérieure (sous-section 2) ou si le Chili s’en serait acquitté (sous-section 3).
1. Déterminer le contenu d’une obligation de négocier
2.39. Le contenu d’une quelconque obligation, y compris d’une obligation de négocier, doit
être déterminé par référence aux conditions de l’instrument ou de la déclaration qui la crée116. Il est
donc essentiel de s’intéresser au premier chef aux termes spécifiques employés par les Etats dans
un document ou une déclaration créant une obligation, ainsi que de les interpréter afin d’établir le
contenu de l’obligation précise que les Etats en question ont acceptée.
2.40. La Bolivie sait pertinemment qu’il n’existe dans aucun des documents sur lesquels elle
s’appuie d’obligation correspondant au contenu qu’elle avance en exposant la décision qu’elle
sollicite. La Bolivie soutient donc que : «[l]e droit international donne nombre d’indications sur le
comportement requis dès lors qu’une obligation de négocier s’est fait jour et que son objet a été
défini d’un commun accord»117. La Bolivie se contente alors de repérer les mots «accès souverain»
dans un document, prétend qu’il s’agit de l’«objet» des négociations requises, puis s’efforce
d’extraire le reste du contenu de l’obligation alléguée non des termes employés dans ce document
(ce qui lui est impossible), mais de «lignes directrices» générales dont elle affirme que la source se
trouve ailleurs.
112 Ibid. ; et Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 859, par. 79-80.
113 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 309, par. 146 ; et Interprétation de l’Accord relatif aux services de transport aérien, p. 64.
114 Affaire Grisbådarna (Norvège c. Suède), sentence, 23 octobre 1909, (1910) 4 AJIL 226, p 234 ; et
J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (8e éd., 2012), p. 419.
115 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 51, par. 122. Voir également l’opinion dissidente commune de MM. les juges Simma et Abraham,
Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 126-127, par. 29.
116 Affaire du lac Lanoux (Espagne, France), 16 novembre 1957, XII RIAA, p. 306-307. Voir également CMC,
par. 4.26.
117 REB, par. 112.
28
- 21 -
2.41. La «ligne directrice» susceptible d’être tirée de la jurisprudence sur les obligations de
négocier est toutefois que chacune voit le jour dans des circonstances différentes, que la source en
est différente, et que ces circonstances et cette source sont essentielles pour déterminer le contenu
de toute obligation.
2.42. La délimitation de droits étatiques concurrents est l’une des situations qui a engendré
des obligations de négocier. Ainsi, dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries, sur
lesquelles s’appuie la Bolivie118, l’objectif des négociations était «de circonscrire les droits et les
intérêts des Parties, les droits préférentiels de 1’Etat riverain d’une part, les droits du demandeur
d’autre part»119.
2.43. C’est lorsqu’existent de tels droits concurrents qu’il a été établi que le compromis
requis par chacune des parties à la négociation devait être le plus important. Dans les affaires de la
Compétence en matière de pêcheries, la Cour a jugé que :
«[la] tâche [des deux Etats] sera[it] de conduire leurs négociations dans un esprit tel
que chacune doive, de bonne foi, tenir raisonnablement compte des droits de l’autre
dans les eaux entourant l’Islande au-delà de la limite des 12 milles, afin de parvenir à
une répartition équitable des ressources halieutiques, fondée sur les données de la
situation locale et prenant en considération les intérêts d’autres Etats qui ont dans la
région des droits de pêche bien établis»120.
2.44. De même, dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, également citées
par la Bolivie121, les Etats ont, dans le contexte d’une délimitation de droits sur le plateau
continental, «l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce qui
n’est pas le cas lorsque l’une d’elles insiste sur sa propre position sans envisager aucune
modification»122.
2.45. Des obligations de négocier ont également vu le jour dans des situations où, sans qu’il
soit nécessaire de délimiter des droits concurrents, il n’en existait pas moins un droit sous-jacent
auquel se rapportaient les négociations. Un tel droit sous-jacent existait, par exemple, dans
l’arbitrage sur la question de Tacna et d’Arica : le Chili et le Pérou avaient chacun le droit que soit
organisé un plébiscite123. L’obligation de négocier portait sur les conditions de ce plébiscite, et le
compromis requis par chacune des parties, dont l’importance était moindre que dans les affaires
ayant trait à des droits concurrents, était décrit ainsi :
«concernant les négociations en vue de parvenir à un tel accord, elles ont conservé les
droits d’Etats souverains agissant de bonne foi. Aucune partie n’a renoncé au droit à
proposer des conditions qu’elle tenait pour raisonnables et adéquates pour la tenue
d’un plébiscite, ou à s’opposer à des conditions proposées par l’autre qu’elle
118 MB, par. 249-250.
119 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 31, par. 73.
120 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 33, par. 78
(les italiques sont de nous).
121 REB, par. 114.
122 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85 a) (les italiques sont de nous).
123 Question de Tacna et d’Arica (Chili, Pérou), 4 mars 1925, II RIAA (Question de Tacna et d’Arica), p. 926.
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considère comme malavisées. L’accord pour la conclusion d’un protocole spécial aux
conditions indéterminées ne signifiait pas que l’une ou l’autre des parties soit tenue
de conclure un accord qui ne soit pas satisfaisant pour elle, à la condition qu’elle n’ait
pas agi de mauvaise foi.»124
2.46. Au cours des négociations, un protocole (le protocole Billinghurst-Latorre) a été signé
par les deux Etats, mais n’a pas été adopté par la chambre des députés chiliennes, et d’autres
propositions ont été avancées par le Chili sans que le Pérou y réponde125. Ainsi qu’indiqué par
l’arbitre, le «Chili n’était pas plus tenu de ratifier le protocole Billinghurst-Latorre que le Pérou ne
l’était d’accepter plus tard les propositions du Chili»126. L’arbitre a, en outre, déclaré que le Chili et
le Pérou
«ayant remis à un accord ultérieur la détermination des conditions du plébiscite
doivent être réputés avoir convenu que chaque Partie devrait avoir le droit de formuler
des propositions, et de contester les propositions de l’autre, pour autant qu’elle agisse
de bonne foi»127.
2.47. Dans ces situations, il n’existe pas d’exigence qu’une partie à une négociation prenne
en compte quelque intérêt ou proposition d’une autre partie. Les Etats doivent examiner de bonne
foi les propositions de celle-ci mais en dehors de cela, demeurent libres de formuler des
propositions et de s’opposer à d’autres, et ils ne sont pas tenus de renoncer à leurs intérêts ni de
parvenir à un accord qu’ils ne considèrent pas comme satisfaisant.
2.48. Il n’existe pas, en l’espèce, de conflit de droits concurrents comme dans les affaires de
la Compétence en matière de pêcheries ou du Plateau continental de la mer du Nord, et il n’existe
pas même de droit sous-jacent sur lequel portent des négociations, comme c’était le cas dans
l’arbitrage sur la Question de Tacna et d’Arica. La Bolivie ne dispose pas d’un droit sous-jacent
d’accès à la mer, et c’est ainsi qu’elle présente maintenant explicitement son argumentation128. Elle
cherche, par une négociation, à obtenir du Chili un nouveau droit d’accès souverain, mais elle ne
dispose pas d’un tel droit, ni ne prétend en disposer. Dans ces circonstances, où l’unique droit
qu’elle revendique est celui de négocier, la Bolivie ne saurait établir d’analogie avec le contenu
d’obligations de négocier en cause dans des affaires où la négociation portait sur des droits
sous-jacents, concurrents ou non.
2.49. Si une quelconque obligation avait existé (ce qui n’est pas le cas), il aurait seulement
pu être exigé que les termes de celle-ci, tels qu’ils figuraient dans le document censé l’avoir créée,
soient mis en oeuvre de bonne foi. Ainsi qu’indiqué dans les chapitres suivants par référence aux
déclarations et documents particuliers dont la Bolivie prétend qu’ils ont créé une obligation, les
termes de toute obligation de négocier n’auraient ressemblé en rien aux affirmations de la Bolivie
dans sa demande129.
124 Question de Tacna et d’Arica, p. 929 (les italiques sont de nous).
125 Question de Tacna et d’Arica, p. 930-932.
126 Question de Tacna et d’Arica, p. 934.
127 Question de Tacna et d’Arica, p. 933.
128 Voir, par exemple, REB, par. 27 : «[l]a Bolivie ne saurait prétendre que son accès souverain constitue un
«droit». Elle affirme que des négociations sont requises sur cette matière.»
129 Voir en particulier par. 5.9, 5.39, 6.7-6.12,6.27-6.30 et 10.2 ci-après.
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2. Une obligation de négocier en remplace une autre
2.50. Conscient de la faiblesse de chacun des événements sur lesquels elle s’appuie, la
Bolivie explique, dans l’introduction à sa réplique, qu’à «maintes reprises», le Chili a conclu des
accords et fait des déclarations unilatérales qui «ont créé et confirmé» l’obligation de négocier
alléguée130. Elle soutient que le procès-verbal de 1920, le mémorandum Matte de 1926, les notes de
1950, le processus de Charaña, les communiqués du 13 novembre 1986 et la déclaration d’Algarve
de 2000 constituaient des accords contraignants131. La Bolivie affirme en outre que tous
concernaient le même objet132 et que tous étaient liés à la prétendue entente133. La Bolivie considère
notamment que le processus de Charaña avait le même objet que les notes de 1950, et soutient que
le Chili avait, «dans les années 70, accepté de nouveau d’engager des négociations sur cette
question»134.
2.51. La Bolivie estime que ces divers accords allégués se «renforcent» ou se «consolident»
les uns les autres135. Il s’agit là d’une erreur. Ainsi qu’indiqué dans le contre-mémoire du Chili136,
sans que la Bolivie le conteste dans sa réplique, la règle pertinente en matière d’annulation et de
remplacement d’un accord antérieur par un autre plus récent est celle reflétée dans le paragraphe 1
de l’article 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités :
«Un traité est considéré comme ayant pris fin lorsque toutes les parties à ce
traité concluent ultérieurement un traité portant sur la même matière et : a) [s]’il
ressort du traité postérieur ou s’il est par ailleurs établi que selon l’intention des parties
la matière doit être régie par ce traité ; ou b) [s]i les dispositions du traité postérieur
sont incompatibles avec celles du traité antérieur à tel point qu’il est impossible
d’appliquer les deux traités en même temps.»137
130 REB, par. 13. Voir également, REB, par. 176 et 181.
131 REB, par. 199, 228, 264, 316 et 443.
132 REB, par. 94 :
«[d]ans leurs échanges, la Bolivie et le Chili ont systématiquement identifié la matière des négociations
dans lesquelles elles étaient désireuses d’entrer, c’est-à-dire, l’octroi à la Bolivie d’un accès souverain à
l’océan Pacifique ... . Il existe de multiples exemples d’échanges entre les deux Etats dans lesquels le
Chili s’engage sur ce point.» (Les italiques sont de nous.)
Voir également la REB, par. 190.
133 Voir, par exemple, REB, par. 198.
134 REB, par. 389.
135 REB, par. 197 ; Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/21, p 34,
par. 9.
136 Voir CMC, par. 7.7 a) et 7.22, et note 442.
137 Convention de Vienne sur le droit des traités, article 59. Les règles énoncées dans cette disposition reflètent le
droit international coutumier. Voir F. Dubuisson, «Article 59», in O. Corten et P. Klein (éd.), The Vienna Conventions on
the Law of Treaties (2011) 1325, p. 1328-1332, par. 6-16, et in O. Corten et P. Klein (éd.), Les conventions de Vienne sur
le droit des traités (2006) 2091, p. 2095-2102, par. 6-16. Lors de la Conférence de Vienne, en 1968 et en 1969, aucun
Etat n’a contesté la règle contenue dans l’article 59. Voir Conférence des Nations Unies sur le droit des traités,
documents officiels, documents de la conférence (1971), Rapport de la Commission sur l’ensemble de ses travaux lors de
la première session de la conférence, p. 180. L’article a été adopté à l’unanimité des 104 voix. Voir Conférence des
Nations Unies sur le droit des traités, documents officiels, 2e session, 1969 (1970), 21e réunion, p. 111.
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- 24 -
2.52. La règle posée par l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 59 est que l’intention requise
sera apparente lorsque le traité ultérieur régira l’intégralité de la matière du traité antérieur138.
Quant à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 59, il prévoit que deux traités ne peuvent être
appliqués en même temps lorsque, par exemple, ils requièrent des choses contradictoires.
2.53. La Bolivie ne peut affirmer de manière crédible qu’une obligation de négocier
supposément créée il y a plus d’un siècle perdure aujourd’hui sous une forme inchangée, alors
même (selon la Bolivie) qu’a été conclue une série d’accords différents portant sur la même
matière et que les termes de ces accords ne sont pas les mêmes. En particulier, comme nous le
verrons dans le chapitrej 6139, si les notes de 1950 et les documents se rapportant au processus de
Charaña avaient créé des accords contraignants (ce qui n’est pas le cas), le second aurait
nécessairement annulé et remplacé le premier, car l’un comme l’autre auraient régi la même
matière et auraient également requis que se produisent des choses différentes. L’affirmation
bolivienne selon laquelle il existe «nombre d’accords cohérents et de déclarations unilatérales
indiquant [la] détermination [du Chili] à négocier»140 est démentie par les documents cités à l’appui
de celle-ci.
3. Exécution et extinction d’obligations de négocier
2.54. A moins qu’une obligation de résultat n’ait été convenue explicitement141, il n’existera
pas d’obligation d’obtenir un résultat, et encore moins un résultat particulier142. L’une des questions
qui est susceptible de se poser est donc celle de savoir à quel moment l’exécution d’une obligation
de comportement143 aura été poursuivie suffisamment pour qu’elle soit considérée comme
exécutée, et soit ainsi éteinte.
2.55. Même dans le cas où le critère serait que des négociations aient été poursuivies «autant
que possible»144, le Chili se serait acquitté de l’obligation de négocier censée lui incomber. Mais,
138 Voir, par exemple, Comptes rendus analytiques de la quinzième session, Annuaire de la Commission du droit
international 1963, vol. I, 709e séance, p. 244, par. 81 (sir Humphrey Waldock, rapporteur spécial) : «les parties, bien
qu’elles n’aient pas manifesté en termes exprès leur intention de mettre fin au premier traité, montrent néanmoins
clairement qu’en concluant le nouveau traité elles entendent régler en totalité la matière qui faisait l’objet de l’ancien
traité» (les italiques sont de nous).
139 Voir par. 6.60 ci-après.
140 REB, par. 197 (les italiques sont de nous).
141 Ainsi qu’indiqué dans le chapitre 1, la Cour s’est reconnue compétente pour connaître d’un différend
concernant une obligation supposée de comportement, et non de résultat. Voir par. 1.18-1.21 ci-dessus.
142 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt du 2 février
2018, par. 90 et 95 ; Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine
c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 132 et 134 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132-133, par. 158 ; et Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif,
1931, C.P.J.I. série A/B no 42, p. 116.
143 La Bolivie soutient dans sa réplique que les obligations de négocier «ne se répartissent pas nettement en deux
catégories distinctes (les obligations de comportement et les obligations de résultat». La Bolivie pose comme principe
qu’à une extrémité du spectre se trouvent les obligations de résultat et à l’autre les «obligations inconditionnelles», et que
les «obligations conditionnelles» se trouvent quelque part entre les deux (voir REB, par. 117-118). Les obligations que la
Bolivie décrit comme «inconditionnelles» et «conditionnelles» sont néanmoins, les unes comme les autres, des
obligations de comportement.
144 Voir REB, par. 386 ; et Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif, 1931,
C.P.J.I. série A/B no 42, p. 116.
34
- 25 -
ainsi qu’il l’a expliqué dans son contre-mémoire145, le critère adéquat, au regard des circonstances
de l’espèce, serait qu’elles aient été conduites de bonne foi, que de réels efforts aient été faits pour
négocier au cours d’une période de temps raisonnable au regard des circonstances.
2.56. Dans sa réplique, la Bolivie avance, au sujet du sens de l’expression «autant que
possible», deux arguments extrêmes dont aucun n’est exact146. Elle commence par soutenir que le
sens de l’expression «est consacré par la théorie générale des obligations selon laquelle chaque
obligation procède d’une cause. Tant que cette cause n’a pas disparu, l’obligation subsiste.»147
Selon la Bolivie, la «cause» de l’obligation alléguée de négocier en l’espèce résiderait dans
l’«intérêt commun»148 des Parties à ce que la Bolivie obtienne un accès à la mer. A l’appui de
l’allégation selon laquelle il s’agit d’un «intérêt mutuel»149, la Bolivie cite une déclaration chilienne
de 1884, ignorant allègrement que celle-ci était antérieure au traité de paix de 1904, avant
d’alléguer (sans citer le moindre élément de preuve) que les «mêmes motifs» et «exactement les
mêmes raisons» que celles exprimées en 1884 avaient motivé toutes les négociations entre les deux
Etats jusqu’en 2011150. La Bolivie invoque les travaux de Paul Reuter à l’appui de son argument
concernant la «cause» d’une obligation151, mais se méprend sur ce point. La position de Reuter était
qu’une obligation de négocier persiste jusqu’à ce qu’il soit évident qu’il n’existe pas de probabilité
raisonnable que la négociation aboutisse152. Il n’a pas dit qu’elle perdurait tant que l’«intérêt
commun» allégué subsistait.
2.57. Ensuite, la Bolivie soutient que, même si les négociations échouent, elles n’auront pas
été poursuivies «autant que possible»153. La Bolivie invoque à cet égard les affaires du Plateau
continental de la mer du Nord, dans lesquelles la Cour a jugé que les négociations avaient échoué
car aucune des parties n’était prête à revoir sa position154. Ainsi qu’indiqué précédemment155,
l’obligation alléguée de négocier en l’espèce n’est pas comparable à celle en cause dans les affaires
du Plateau continental de la mer du Nord, qui avait trait à la délimitation des droits sur le plateau
continental.
145 Voir CMC, par. 4.39.
146 Le but de l’argument avancé dans les paragraphes 385 et 386 de la réplique de la Bolivie est difficile à
discerner. La remarque de la Cour permanente était que les négociations devaient être poursuivies «autant que possible».
L’implication évidente est que, sur cette base, il n’est pas nécessaire de les poursuivre au-delà de ce moment.
147 REB, par. 474 (les italiques sont de nous).
148 REB, par. 475.
149 REB, par. 476.
150 REB, par. 475 et 476, citant la note du président chilien en date du 7 janvier 1884, MB, annexe 36.
151 REB, par. 474.
152 P. Reuter, «De l’obligation de négocier», Processo internazionale, Studi in onore di Gaetano Morelli (1975),
p. 726 et 727 : «une telle obligation subsiste tant qu’il existe raisonnablement des chances d’aboutir, car une obligation
cesse d’exister quand elle a perdu sa cause». L’affirmation infondée de la Bolivie selon il avait toujours, entre 1884 et
2011, «existé une ferme conviction qu’une solution était toujours à portée et réalisable», est fallacieuse. Voir REB,
par. 476.
153 REB, par. 473.
154 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 48, par. 87 :
«les Royaumes du Danemark et des Pays-Bas, convaincus que le principe de l’équidistance était seul
applicable et cela par l’effet d’une règle obligatoire pour la République fédérale, ne voyaient aucun motif
de s’écarter de cette règle ; de même que, vu les considérations d’ordre géographique dont il est fait état
au paragraphe 7 ci-dessus in fine, la République fédérale ne pouvait accepter la situation résultant de
l’application de cette règle» (les italiques sont de nous).
155 Voir par. 2.42-2.44 et 2.48 ci-dessus.
35
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2.58. En outre, des négociations ont pu être poursuivies «autant que possible» lorsqu’elles
échouent, deviennent futiles ou débouchent sur une impasse. Dans l’affaire Géorgie c. Fédération
de Russie, la Cour a, après avoir cité l’avis consultatif en l’affaire du Trafic ferroviaire entre la
Lithuanie et la Pologne156, dit que :
«[s]i la Cour conclut que la Géorgie a véritablement tenté d’engager de telles
négociations avec la Fédération de Russie, elle se penchera sur la question de savoir si
la Géorgie les a poursuivies autant que possible dans le but de régler le différend. Pour
ce faire, elle recherchera si les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont
abouti à une impasse avant que la Géorgie ne dépose sa requête devant la Cour.»157
2.59. Dans son mémoire, la Bolivie reconnaît en effet qu’une obligation de négocier «cesse»
lorsque des négociations «ont été correctement et complètement épuisées ou que toute négociation
est devenue inutile»158. Des négociations auront également été poursuivies «autant que possible»
lorsque deux Etats auront négocié de bonne foi, mais qu’il sera devenu apparent que leurs intérêts
respectifs sont irréconciliables ou mutuellement incompatibles159. Aucune base ne permettrait de
dire que la Bolivie ou le Chili auraient pu être tenus d’accepter des suggestions avancées par l’autre
qu’ils considéraient contraires à leurs intérêts propres160.
Conclusion
2.60. Le point de droit essentiel que la Bolivie continue de tenter d’éviter est qu’il ne peut
exister d’obligation juridique de négocier que si, d’un point de vue objectif, telle est l’intention des
Etats concernés. Sans intention claire de créer des obligations juridiques, qu’il convient d’établir à
partir du contenu d’un document et des circonstances dans lesquelles celui-ci a été élaboré, il n’y a
pas d’intention de négocier des Etats. Ainsi que le montrent les chapitres suivants, ni la Bolivie ni
le Chili n’ont jamais fait montre de leur intention de créer une obligation juridique de négocier.
2.61. La Bolivie est également incapable de démontrer qu’une obligation de négocier a été
créée i) par estoppel ; ii) sur la base d’attentes légitimes ; ou iii) par acquiescement, bien qu’elle
s’efforce d’user de manière erronée de ces notions.
2.62. En outre, même si le Chili avait une obligation juridique de négocier avec la Bolivie au
sujet d’un accès souverain au Pacifique, que ce soit en application d’un accord ou autrement (ce qui
n’est pas le cas), le contenu de cette obligation serait bien plus limité que ne le prétend la Bolivie,
étant donné qu’elle n’imposerait à aucun des Etats de renoncer à ses intérêts ou de conclure un
accord qu’il considère peu satisfaisant, et qu’elle aurait été exécutée et serait éteinte.
156 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132, par. 158.
157 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 134, par. 162 (les italiques
sont de nous).
158 REB, par. 281.
159 Voir Philippines c. Chine, compétence et recevabilité, par. 349 :
«[l]e fait que des négociations plus durables n’aient pas eu lieu et qu’aucun accord n’ait été conclu ne
témoigne pas d’un manque d’intérêt ou d’un engagement insuffisant de l’une ou l’autre des parties, mais
de vues mutuellement incompatibles quant aux modalités de déroulement de ces conversations» (les
italiques sont de nous).
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CHAPITRE 3
L’INEXISTANTE «ENTENTE HISTORIQUE DATANT DU XIXE
SIÈCLE» QUI AURAIT
PERDURÉ APRÈS LE RÈGLEMENT GLOBAL CONVENU DANS
LE TRAITÉ DE PAIX DE 1904
3.1. La Bolivie soutient dans sa réplique que le Chili est lié par une «entente historique
fondamentale datant du XIXe siècle, à savoir que la Bolivie cédait ses territoires côtiers en échange
d’un accès souverain à la mer sur la frontière septentrionale, alors non définie, entre le Chili et le
Pérou»161. Ce nouvel argument remplace l’accord de cession territoriale de 1895 sur lequel la
Bolivie se fondait dans son mémoire et qu’elle décrivait alors comme «constituant
incontestablement [un] accord[] formel[] et juridiquement contraignant[]»162, qui «cré[ait] pour le
Chili l’obligation internationale de «céder» une zone de territoire prédéfinie établissant
concrètement un accès souverain à la mer pour la Bolivie»163. Celle-ci reconnaît désormais, après la
décision de la Cour164, que : «l’accord de cession territoriale de 1895 n’est, au bout du compte, pas
entré en vigueur»165. La Bolivie n’en cherche pas moins dans sa réplique à utiliser le contenu de
l’accord de cession territoriale de 1895 comme s’il s’agissait de celui de son «entente
historique»166. Selon la Bolivie cette «entente historique» a été conclue d’une manière non précisée,
à un moment indéterminé avant l’accord de cession territoriale de 1895167, dont la Bolivie affirme
désormais que ses dispositions auraient simplement «confirmé» l’«engagement» déjà pris168.
3.2. Cette «entente historique», à l’origine inconnue, est désormais l’un des pilliers de
l’argumentation de la Bolivie, qui repose sur l’affirmation qu’il existe «en effet une unité» ou une
«continuité des engagements du Chili», et ce «depuis le XIXe siècle»169. La Bolivie explique que
les événements ultérieurs des XXe et XXIe siècles sur lesquels elle s’appuie sont «tous liés à
l’entente historique initiale et à [l’]engagement [chilien] qui en découle»170, et qu’ils sont survenus
«conformément à ladite entente»171.
3.3. La nouvelle «entente historique remontant au XIXe siècle» de la Bolivie n’existe pas :
160 Voir par. 2.47-2.49 ci-dessus.
161 REB, par. 142.
162 REB, par. 368.
163 REB, par. 340.
164 Voir Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 599, par. 4.2-4.8 ; et Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili),
CR 2015/18, p. 44-45, par. 49-52.
165 REB, par. 8. Voir MB, par. 9, 36, 71-88 (en particulier 76), 115, 131, 167, 228, 311, 338-344, 355, 368, 388,
410-411, 416, 428 et 497, dans lesquels la Bolivie fondait sa demande sur l’accord de cession territoriale de 1895 sans
reconnaître que celui-ci n’était jamais entré en service.
166 REB, par. 142 et 198. Voir également, REB, par. 8, 177, 182 et 188.
167 REB, par. 8.
168 REB, par. 8.
169 REB, par. 197.
170 REB, par. 198.
171 REB, par. 142.
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a) Les traités de 1895 ne sont pas entrés en vigueur car la Bolivie et le Chili sont convenus, par un
échange de notes de 1896, qu’à moins que deux protocoles auxdits traités ne soient approuvés
par le congrès de chaque pays, les traités de 1895 seraient «dépourvus de tout effet»172. Cette
condition n’a pas été remplie, de sorte que, par application de l’accord entre les parties, les
traités de 1895 étaient, et demeurent, «dépourvus de tout effet». La Bolivie ne saurait affirmer
de manière crédible que le contenu de l’accord de cession territoriale de 1895 n’en reflétait pas
moins un engagement juridiquement contraignant préexistant à l’origine indéterminée qui aurait
perduré après qu’il eut été convenu que les traités de 1895 seraient «dépourvus de tout effet».
La Bolivie a choisi de s’abstenir, dans sa réplique, de tout commentaire concernant la
déclaration du ministre bolivien des affaires étrangères au congrès de son pays en 1900 selon
laquelle les traités de 1895 avaient «été abandonnés et [avaient] sombré dans l’oubli»173. Aucun
des deux Etats n’a alors suggéré, contrairement à la position maintenant adoptée par la Bolivie,
que l’accord de cession territoriale de 1895 n’en édictait pas moins une obligation juridique
durable.
b) Une fois que les traités de 1895 sont devenus dépourvus de tout effet, le Chili et la Bolivie ont
entamé de nouvelles négociations et reformulé la base sur laquelle ils entendaient conclure un
traité de paix.
c) Le Chili n’était plus disposé à envisager une cession de territoire côtier sous son contrôle et sur
lequel il pourrait, au bout du compte, exercer sa souveraineté, mais il était prêt à accorder à la
Bolivie un droit perpétuel de libre transit sur le territoire chilien, à lui verser une indemnisation
monétaire, et à mettre à sa disposition des fonds supplémentaires pour la construction de voies
ferrées reliant la Bolivie à l’océan Pacifique pour qu’elle puisse jouir de son droit de libre
transit.
d) La Bolivie a soigneusement pesé sa position et accepté ces avantages «comme un moyen de
pallier l’absence de port par la construction de voies de communication dont elle a[vait] grand
besoin», ainsi qu’«à titre de compensation pour la perte d’un avantage remplacé par un autre»,
et elle a, sur cette base, négocié un règlement par lequel elle a été à même d’accroître les
avantages conférés à la Bolivie par le Chili en contrepartie de l’abandon par elle de sa
revendication d’un port et de sa reconnaissance de la souveraineté chilienne sur l’ensemble du
territoire à l’ouest de la frontière convenue174.
e) Le traité de paix de 1904 était donc un règlement négocié complet conclu par la Bolivie et le
Chili, qui apportait une solution à toutes les questions qui les opposaient alors175. Ni la Bolivie
ni le Chili n’ont suggéré, que ce soit en 1904 ou dans les premières années qui ont suivi, qu’il
existait, parallèlement au traité de paix de 1904, une obligation de négocier à l’avenir sur un
accès souverain à la mer pour la Bolivie. Au contraire, la Bolivie a clairement indiqué, au
moment du traité de paix de 1904, que celui-ci réglait «tous nos problèmes»176 et fixait «nos
172 Note no 117 en date du 29 avril 1896 adressée au ministre chilien des affaires étrangères par l’envoyé
extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili, exception préliminaire du Chili (ci-après «EPC»),
annexe 5 ; note n° 521 en date du 29 avril 1896 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la
Bolivie au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères, EPC, annexe 6 ; et note no 118 en date du 30 avril 1896
adressée au ministre chilien des affaires étrangères par l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Bolivie
au Chili, EPC, annexe 7.
173 Voir CMC, par. 2.5, faisant référence au rapport du ministre des affaires étrangères de la Bolivie au congrès de
son pays du 20 août 1900, CMC, annexe 104, p. 23.
174 Circulaire du ministère bolivien des affaires étrangères à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
25 janvier 1901, DC, annexe 375, p. 66.
175 Voir en outre CMC, chap. 3.
176 Bulletin du Congrès bolivien, 2 février 1905, EPC, annexe 30, p. 119. Voir par. 3.21. a) ci-après.
41
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frontières, déterminées de manière claire et définitive»177. Lorsque la Bolivie a, par la suite,
cherché à obtenir un accès souverain à la mer, elle ne l’a pas fait en alléguant qu’une obligation
de négocier avait été créée au XIXe siècle et existait parallèlement au traité de paix de 1904,
ainsi qu’elle le fait maintenant devant la Cour. Elle a, au lieu de cela, demandé la revision ou
l’annulation du traité de paix de 1904178. La Cour a remarqué, ce qu’a réitéré la Bolivie, que
cette dernière ne cherche pas à mettre en cause devant elle «la validité du traité de paix
de 1904»179. La Bolivie n’en soutient toutefois pas moins que le traité de paix de 1904 n’avait
pas un caractère exhaustif, affirmant qu’une obligation de négocier au sujet d’un accès
souverain à l’océan Pacifique avait été créée antérieurement au traité de paix de 1904, et avant
même l’accord de cession territoriale de 1895, et que la même obligation continue avait perduré
après que cet accord de cession territoriale de 1895 avait été privé de tout effet, et même après
l’entrée en vigueur du traité de paix de 1904180.
3.4. En réponse à l’invocation par la Bolivie, comme base d’obligations juridiques dont elle
affirme qu’elles perdurent à ce jour, d’événements antérieurs au traité de paix de 1904, le Chili
démontrera dans ce chapitre qu’en négociant le traité de paix de 1904, la Bolivie a abandonné sa
revendication d’un port en échange d’autres avantages (section A) ; et que le traité de paix de 1904
était un règlement négocié exhaustif qui n’était assorti d’aucune obligation de négociation d’un
accès à la mer pour la Bolivie (section B). Les conclusions tirées à la fin de ce chapitre (section C)
ont trait à l’importance du traité de paix de 1904 pour les échanges ultérieurs entre les deux Etats
lorsque la Bolivie a exprimé le souhait d’obtenir un accès souverain à la mer181. Un plus ample
exposé des traités de 1895 et des circonstances dans lesquelles ils sont devenus «dépourvu[s] de
tout effet» du fait de l’échange de notes en 1896, de sorte que ni eux-mêmes ni leur contenu ne
sauraient constituer la base d’un quelconque «marché» durable, figure en appendice A à la présente
duplique.
A. EN NÉGOCIANT ET EN CONCLUANT LE TRAITÉ DE PAIX DE 1904,
LA BOLIVIE A ABANDONNÉ SA REVENDICATION D’UN PORT
1. Le Chili a proposé des avantages à la Bolivie
en lieu et place d’un port
3.5. Le 13 août 1900, le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz a écrit au ministre
bolivien des affaires étrangères : «[j]’ai l’honneur de remettre à Votre Excellence la présente note
qui comporte une explication soigneuse des bases définitives pour la paix acceptées par mon
gouvernement». Le Chili proposait «en échange de la cession définitive du littoral bolivien» que le
Chili a) assume les obligations financières incombant à la Bolivie en relation avec ce territoire ;
b) finance la construction d’une voie ferrée reliant un port chilien à la Bolivie ; et c) déclare le port
chilien relié à la Bolivie par cette voie ferrée «libre de droits pour les marchandises et les produits
177 Bulletin du Congrès bolivien, 2 février 1905, EPC, annexe 30, p. 123. Voir par. 3.21. c) ci-après.
178 Voir CMC, par. 5.1, et par. 4.13-4.16 ci-après concernant la conduite de la Bolivie dans le cadre de la Société
des Nations. Pour une expression moderne d’une approche équivalente dans le contexte de la Constitution bolivienne de
2009, voir les paragraphes 8.15-8.19 ci-après qui ont trait à la conduite de la Bolivie devant l’Assemblée générale de
l’Organisation des Etats américains (OAS) en 2012.
179 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 603, par. 30 ; et REB, par. 34.
180 Voir Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), CR 2015/19, p. 10-11, par. 4.
181 Voir CMC, par. 3.2 et 3.3.
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acheminés à travers celui-ci dans leur transit vers la Bolivie, ainsi que pour les marchandises et les
produits exportés par le même»182.
3.6. Le ministre chilien soulignait que le ministre des affaires étrangères bolivien lui avait
déjà indiqué que «les offres présentées ne constituaient pas une compensation suffisante pour la
perte du littoral bolivien, et que la Bolivie avait besoin d’un port et d’une liberté commerciale
absolue». La demande bolivienne de disposer d’un «port» était, à ce moment-là, une demande pour
obtenir un «contrôle perpétuel sur une zone comprenant l’un des ports connus à ce jour», et non
une demande de pleine souveraineté territoriale. Le Chili a donné son accord concernant tous les
aspects commerciaux des demandes boliviennes, mais a déclaré que la requête de la Bolivie de
disposer d’un port était «une demande doublement difficile et quasiment impossible à accorder».
La raison en était que, dans les zones où se trouvaient des ports, «toutes les villes [étaient]
chiliennes» et qu’«il n’y [avait] pratiquement pas de boliviens»183. Il s’agit là d’un fait historique
important que la Bolivie a refusé de reconnaître.
3.7. Le ministre chilien qualifiait les traités de 1895 de «pactes prématurés, morts-nés». Il
précisait que «l’opinion publique dans [s]on pays [avait] sensiblement évolué depuis les derniers
jours de 1895. [Les Chiliens] [avaient] changé de manière de penser.» Après avoir décrit l’exigence
de la Bolivie de contrôler un port, et expliqué pourquoi le Chili n’entendait pas l’accepter, le
ministre écrivait : «[n]ous sommes donc contraints d’écarter cette exigence qui vient empêcher un
accord amiable entre les deux pays»184.
2. La Bolivie a fini par abandonner sa revendication d’un port
et a réclamé, et reçu, à la place, d’autres avantages
3.8. Une semaine après que le Chili avait soumis à la Bolivie ces nouvelles bases d’un traité
de paix, le ministre des affaires étrangères bolivien rendait compte en ces termes aux Congrès de
son pays : Des traités de 1895, il disait : «[c]inq ans se sont écoulés, et les pactes ont été
abandonnés et oubliés». Il exposait les bases d’un traité de paix définitif qui venait d’être proposé
par le Chili, et précisait qu’elles «avaient fait l’objet de discussions, mais qu’aucun accord définitif
n’avait été atteint». Il soulignait que le Chili avait indiqué «qu’il ne rendr[ait] pas un pouce de
territoire sur la côte bolivienne»185.
3.9. En octobre 1900, le ministre des affaires étrangères bolivien a alors répondu à la lettre
du Chili de la même année, dont il est question plus haut, dans les paragraphes 3.5 à 3.7. Le
ministre des affaires étrangères bolivien indiquait avoir soumis au Congrès de la Bolivie les bases
d’un traité de paix proposé par le Chili. Concernant l’exigence de la Bolivie de disposer d’un port,
182 Note en date du 13 août 1900 adressée par le ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie au ministre des
affaires étrangères bolivien, EPC, annexe 27, p. 75-76.
183 Note en date du 13 août 1900 adressée par le ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie au ministre des
affaires étrangères bolivien, EPC, annexe 27, p. 76-78.
184 Note en date du 13 août 1900 adressée par le ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie au ministre des
affaires étrangères bolivien, EPC, annexe 27, p. 80-81.
185 Rapport en date du 20 août 1900 adressé au Parlement bolivien par le ministre bolivien des affaires étrangères,
CMC, annexe 104, p. 23-24.
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- 31 -
il écrivait : «[n]ous sommes d’accord pour dire qu’il s’agit de la seule difficulté qui empêche la
conclusion d’un accord entre les deux républiques»186.
3.10. Le ministre bolivien des affaires étrangères exposait alors longuement et
énergiquement la logique de l’exigence de la Bolivie de disposer d’un port. Concernant la province
littorale, il remarquait :
«[a]ucune cession absolue de propriété n’ayant donc eu lieu, la cession demandée par
le Chili devrait faire l’objet de nouvelles négociations et stipulations, ce qui est le cas.
Il est, par conséquent, légitime de comparer les bases et d’en apprécier l’équité.»187
3.11. Il déclarait que, le Chili n’étant plus prêt à concéder un port à la Bolivie, «[s]on pays
[avait] besoin de réflexion», et précisait que la Bolivie «dans ses négociations était en droit d’agir
avec calme, en réfléchissant ses intérêts». Il concluait en annonçant que «le Congrès bolivien
étudier[ait] les bases proposées par les deux ministères des affaires étrangères», et en annonçant
que «les négociations en cours se poursuivr[aient] dans des conditions pacifiques et cordiales»188.
Tel est effectivement ce qui s’est passé.
3.12. Le ministre bolivien des affaires étrangères a envoyé à ses légations à l’étranger, en
janvier 1901, une circulaire résumant les négociations. La Bolivie n’en a déposé qu’une partie en
annexe 234 à sa réplique. Une version complète de cette circulaire démontre que le ministre
bolivien des affaires étrangères insistait sur la «série de conditions contraignantes» imposées à la
Bolivie par la convention d’armistice de 1884, ainsi que sur le fait qu’il était souhaitable que la
Bolivie la «remplace par une paix définitive, même si elle devait se résigner à accepter des
sacrifices douloureux». La Bolivie rappelait à ses propres représentants qu’avant les traités de
1895, un protocole du 19 mai 1891 avait «exclu l’idée d’un port pour la Bolivie» et que
«ce protocole avait, après une résistance acharnée au sein du Congrès bolivien, été approuvé par
celui-ci»189.
3.13. Cette même circulaire se poursuit, dans les pages omises par la Bolivie dans l’annexe
qu’elle a déposée auprès de la Cour, par une description de la «solution» que les deux Etats avaient
commencé à élaborer. Elle montre que, lorsqu’il est devenu clair que le Chili ne cèderait pas de
territoire côtier à la Bolivie, le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz et le président bolivien se
sont engagés dans «un échange d’idées honnêtes et amical ... en vue de parvenir à une solution
éventuelle» qui permettrait à la Bolivie de développer efficacement son commerce, ainsi que de
recevoir «une compensation équitable et de satisfaire le sentiment d’ardente nécessité éprouvé par
186 Note n° 25 du 25 août 1900, adressée par le ministre des affaires étrangères bolivien au ministre
plénipotentiaire du Chili en Bolivie, EPC, annexe 29, p. 342.
187 Note no 25 du 25 août 1900, adressée par le ministre des affaires étrangères bolivien au ministre
plénipotentiaire du Chili en Bolivie, EPC, annexe 29, p. 359.
188 Note no 25 du 25 août 1900, adressée par le ministre des affaires étrangères bolivien au ministre
plénipotentiaire du Chili en Bolivie, EPC, annexe 29, p. 364-365.
189 Circulaire du ministère bolivien des affaires étrangères à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
25 janvier 1901, DC, annexe 375, p. 59-60. Le protocole de paix préliminaire conclu entre la Bolivie et le Chili le 19 mai
1891 est joint en DC, annexe 374.
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- 32 -
le peuple bolivien»190. Ce compte rendu bolivien contemporain des négociations faisait état des
éléments suivants :
«[i]l a donc été dit : dans l’hypothèse où la Bolivie renoncerait à son port, condition
indispensable de ses progrès et de son développement commercial, il était
indispensable que lui soient fournis d’autres moyens susceptibles de palier l’absence
d’un port, et qu’elle ne recoive compensation, dans la mesure du possible, au titre de
l’absence d’un port, dont le Chili affirmait qu’il ne pouvait le lui accorder .
Il est alors apparu que ces moyens, peut être les seuls possibles, pourraient être
la construction de voies ferrées et de routes reliant la Bolivie non seulement à l’océan
Pacifique mais également aux régions isolées de l’ouest et du nord-ouest, ce qui est en
fait l’un de ses besoins les plus pressants.
Le montant minimum requis pour répondre à ce besoin a été fixé à deux
millions de livres sterling.
Ce montant était conçu non pas comme une somme d’argent à recevoir en
contrepartie des territoires cédés, mais comme un moyen de pallier l’absence de port
par la construction de voies de communication dont elle avait grand besoin ; ainsi qu’à
titre de compensation pour la perte d’un avantage, remplacé par un autre qui pouvait
être fourni.»191
3.14. Ce document interne bolivien de 1901 s’achevait sur la conclusion suivante :
«notre gouvernement persistera dans ses efforts indéfectibles pour parvenir à un
accord amiable équitable que les deux nations recherchent depuis si lontemps. Il ne
fait aucun doute dans mon esprit que cette tâche requerra la volonté d’hommes savants
et raisonnables des deux pays, afin de parvenir à la paix, qui ... correspond à l’intérêt
ultime des nations.»192
3.15. Au gré de l’évolution des négociations, la Bolivie s’est efforcée d’obtenir, et a
finalement reçu, des avantages supplémentaires. L’année suivante, en avril 1902, le chargé
d’affaires bolivien au Chili, Julio César Valdés, a écrit au président bolivien, le général Pando, pour
lui rendre compte des réunions qui se déroulaient au Chili entre, d’une part, lui-même et
Félix Avelino Aramayo, qui était le négociateur en chef de la Bolivie pour le traité de paix de 1904,
et d’autre part, le président chilien Riesco, concernant les conditions dudit traité, qui n’était alors
pas encore abouti. Comme la circulaire adressée par la Bolivie à ses légations en 1901, ce
document interne bolivien mérite d’être examiné entièrement car il donne une indication de
l’approche adoptée par le pays dans les négociations avec le Chili concernant les questions qui
continuaient à opposer les deux Etats à ce moment-là. Le chargé d’affaires bolivien informait
notamment le président de la Bolivie de ce qui suit :
«[n]ous avons, lors de la conférence solennelle avec M. Riesco et son cabinet, pu
prendre connaissance des idées de son gouvernement, et recueillir certaines
190 Circulaire du ministère bolivien des affaires étrangères à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
25 janvier 1901, DC, annexe 375, p. 65-66.
191 Circulaire du ministère bolivien des affaires étrangères à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
25 janvier 1901, DC, annexe 375, p. 66 (les italiques sont de nous).
192 Circulaire du ministère bolivien des affaires étrangères à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
25 janvier 1901, DC, annexe 375, p. 67 (les italiques sont de nous).
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- 33 -
déclarations spécifiques qui devraient être très révélatrices dans la perspective de
solutions futures. Nous pouvons donc, d’ores et déjà, considérer que les bases ci-après
seront celles du traité de paix : reconnaissance de nos dettes, conformément à ce qui a
déjà été étudié dans les accords de mai 1895 et aux propositions de la mission König ;
liberté douanière et, par conséquent, recouvrement de notre souveraineté commerciale,
compensation décente pour la cession du littoral, suffisante pour couvrir nos besoins
en matière de viabilité, comme souhaité par le pays. Ces idées cruciales, résumées et
traduites dans les bases du traité que, de manière confidentielle, M. Aramayo a soumis
au Gouvernement chilien, n’ont rencontré ni opposition ni objections fondamentales ;
le ministère des affaires étrangères est actuellement en train de les analyser pour être
en mesure d’exprimer un point de vue franc. Je ne crois pas qu’elles subiront de
modifications drastiques ni qu’elles se heurteront à une opposition féroce. Au
contraire, je crois que le gouvernement appréciera la situation et l’occasion que nous
lui offrons de parvenir à la solution à laquelle il lui tarde d’aboutir.»193
3.16. La Bolivie considérait ces conditions, plus onéreuses pour le Chili que celles proposées
par celui-ci en 1900 (voir paragraphe 3.5 ci-dessus), comme des conditions qu’elle «offr[ait] au
Chili». Elle notait que les deux Etats considéraient que le traité de paix de 1904 «[devait] être
conclu rapidement pour prévenir tout échec, et éviter qu’il n’échoue si jamais le temps était donné
aux débats publics, toujours passionnés, de le détruire et de le démanteler»194.
3.17. Ce rapport bolivien insistait sur l’importance que revêtait alors pour la Bolivie «des
voies ferrées pour déplacer nos industries et faire entrer en action le capital étranger», ainsi que sur
le «but essentiel» que représentait l’«indépendance douanière» et, en conséquence, «la création
d’autorités douanières dans des ports chiliens». Tels étaient alors les «éléments essentiels» pour la
Bolivie, et il était précisé qu’ils avaient «été garantis»195. Le traité de paix de 1904 était le produit
de négociations portant sur toutes matières alors considérées comme non réglées, et il était regardé
par les deux Etats comme un résultat satisfaisant sur la base duquel ils étaient prêts à s’engager au
regard du droit international.
3.18. Tel est également ce qui ressort des écrits du ministre des affaires étrangères du Chili
qui a finalement signé le traité de paix de 1904, M. Emilio Bello Codesido. Dans son ouvrage sur
les négociations du Chili avec la Bolivie et le Pérou, publié en 1919, il a indiqué ce qui suit :
«de nouvelles bases d’un traité de paix avec la Bolivie émergèrent, et l’idée d’offrir à
ce pays une région ouverte sur la mer fut écartée car irréaliste, bien qu’il se soit agi
d’une aspiration logique pour un pays enclavé. Il n’appartenait pas au Chili de
répondre positivement à cette attente. Les négociations de 1895 l’ont démontré.»196
3.19. M. Codesido poursuit en citant de larges extraits des mémoires du ministre des affaires
étrangères chilien à compter de 1902 au sujet de la visite de l’ambassadeur bolivien Aramayo
193 Lettre du 10 avril 1902 adressée par la légation de Bolivie au Chili au président bolivien, DC, annexe 376, p. 1
de l’original.
194 Lettre du 10 avril 1902 adressée par la légation de Bolivie au Chili au président bolivien, DC, annexe 376, p. 1
de l’original.
195 Lettre du 10 avril 1902 adressée par la légation de Bolivie au Chili au président bolivien, DC, annexe 376, p. 2
de l’original.
196 E.B. Codesido, Annotations to the History of Diplomatic Negotiations with Peru and Bolivia 1900-1904
(1919), DC, annexe 383, p. 189.
48
49
- 34 -
(celle-là même décrite dans le rapport interne de la Bolivie évoqué au paragraphe 3.15 ci-dessus),
porteur des bases d’un accord «accepté par le Gouvernement bolivien». Ce document se lit comme
suit :
«[a]u cours des réunions consacrées à cette question, les éléments suivants ont été
particulièrement envisagés :
1) l’abandon, par la Bolivie, de toute aspiration à disposer d’un port sur le Pacifique ;
2) l’indépendance commerciale de ce pays, qui accordait au Chili le statut de la
nation la plus favorisée ;
3) le paiement par le Chili, sous forme de rente, d’un montant destiné à la
construction de voies ferrées qui offriraient un débouché aisé sur le Pacifique pour
les produits boliviens.
Un accord quasiment définitif fut atteint sur ces points, et la négociation
progressa suffisamment pour aboutir une fois les représentations diplomatiques de
chaque pays mises en place, avec la nomination des ministres plénipotentiaires.»197
3.20. Sur cette base, le texte définitif du traité de paix de 1904, décrit en détail dans le
chapitre 3 du contre-mémoire du Chili et résumé dans le paragraphe 3.24 ci-après, a été négocié
entre la Bolivie et le Chili.
B. LE TRAITÉ DE PAIX DE 1904 CONSTITUAIT UN RÈGLEMENT EXHAUSTIF
QUI N’ÉTAIT ASSORTI D’AUCUNE OBLIGATION DE NÉGOCIER
UN ACCÈS À LA MER POUR LA BOLIVIE
3.21. La Bolivie allègue, dans sa réplique, que la «Bolivie a renoncé à son territoire maritime
au profit du Chili dans l’attente de se voir restituer un accès souverain à la mer»198. Si l’on veut
bien laisser de côté le point essentiel selon lequel l’«attente» d’un Etat ne saurait créer une
obligation en engageant un autre199, il apparaît, au vu de l’historique de la négociation tel
qu’exposé dans la section précédente, ainsi que des termes mêmes du traité de paix de 1904, que la
Bolivie ne nourrissait pas d’attente de ce type lorsqu’elle a négocié le traité de 1904 et accepté
d’être lié par celui-ci. En outre, en soutenant qu’une telle attente aurait légitimement survécu au
traité de paix de 1904, la Bolivie n’a pas répondu aux arguments suivants avancés dans le contremémoire
du Chili :
a) En présentant le traité de paix de 1904 au Congrès bolivien pour approbation, en 1905, le
président de l’organe législatif bolivien a déclaré :
«[l]’acte le plus important du Congrès, qui engage la responsabilité de celui-ci devant
le pays et devant l’histoire, est l’approbation du traité de paix, de commerce, de
cession territoriale et de délimitation frontalière conclu avec la République du Chili,
qui met fin à l’armistice en vigueur depuis la guerre du Pacifique. Les négociations
197 E.B. Codesido, Annotations to the History of Diplomatic Negotiations with Peru and Bolivia 1900-1904
(1919), DC, annexe 383, p. 191.
198 REB, par. 174. Voir également, Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili),
CR 2015/21, p. 11-12.
199 Voir par. 2.26-2.33 ci-dessus.
50
- 35 -
ont été longues, laborieuses et difficiles, et ont abouti à cette entente, qui répond à
toutes nos préoccupations.»200
b) Ainsi qu’il l’expliquait, et que l’a indiqué le Chili dans les paragraphes 3.10 et 3.15, et la
figure 1, de son contre-mémoire, la délimitation de la frontière entre la Bolivie et le Chili était
complète, y compris entre les provinces côtières de Tacna et d’Arica (l’une comme l’autre étant
déjà sous contrôle chilien) et, à l’est de celles-ci, la Bolivie201. Il s’agissait là d’une différence
marquée par rapport à la situation des traités de 1895, où aucune frontière n’avait été délimitée
entre, d’une part, Tacna et Arica, et de l’autre, la Bolivie. Une comparaison entre la frontière
incomplète envisagée en 1895 et la frontière complète finalement délimitée en 1904 figure dans
l’illustration suivant le paragraphe A.2 de l’appendice A.
c) Sur cette base, le président de la Bolivie, répondant à la déclaration du président du Congrès
bolivien, a fait observer que le traité de paix de 1904 «met[tait] un terme à un certain nombre
d’incertitudes et d’hésitations qui persistaient depuis un quart de siècle», que sa conclusion
«a[vait] exigé le sacrifice de [leurs] sentiments les plus forts envers le pays dans ses moments
d’angoisse» et qu’il permettrait à la Bolivie de prospérer «[d]ans [ses] frontières claires et
déterminées de manière définitive»202.
3.22. Le fait que la Bolivie abandonne sa revendication d’un port sur le Pacifique et accepte
à la place le régime de libre transit et d’autres avantages qui lui étaient conférés par le traité de paix
de 1904 n’a pas manqué de susciter une certaine opposition dans le pays. Le président bolivien leur
a répondu en concluant ses remarques à l’intention du Congrès :
«[f]ort heureusement, compte tenu des conditions incluses dans le traité de paix, qui
garantit pleinement notre souveraineté en matière douanière, les bénéfices pour la
Bolivie ne se feront pas attendre. Bientôt, les faits et leur réalité incontestable
dissiperont les scrupules patriotiques de ceux qui pensaient avoir trouvé des défauts
dans le traité ; de la même manière, ceux qui l’ont soutenu énergiquement et sans
équivoque ressentiront l’agréable frisson procuré par le sentiment du devoir
accompli.»203
3.23. Il est clair que «chaque délimitation ... a pour conséquence de répartir les parcelles
limitrophes de part et d’autre de ce tracé»204. La Cour a également souligné que, «[d]’une manière
générale, lorsque deux pays définissent entre eux une frontière, un de leurs principaux objectifs est
d’arrêter une solution stable et définitive»205. Dans la mesure où la Bolivie considère qu’un «accès
souverain» implique une souveraineté sur un territoire côtier206, il ne pourrait s’agir que d’un
territoire dont la souveraineté a été attribuée au Chili lors de la délimitation complète des frontières
convenues entre la Bolivie et le Chili en 1904. En prétendant qu’existait une obligation de négocier
200 CMC, par. 3.6, citant Bulletin du Congrès bolivien, 2 février 1905, EPC, annexe 30, p. 119 (les italiques sont
de nous).
201 Voir en outre le protocole au traité de paix et d’amitié de 1904 entre la Bolivie et le Chili, 20 octobre 1904,
DC, annexe 378, mentionné dans le mémoire de la Bolivie, par. 93 ; traité relatif à la démarcation des frontières entre le
Pérou et la Bolivie, 23 septembre 1902, DC, annexe 377 ; et traité relatif à la rectification des frontières entre le Pérou et
la Bolivie, 17 septembre 1909, DC, annexe 379.
202 Bulletin du Congrès bolivien, 2 février 1905, EPC, annexe 30, p. 123.
203 Bulletin du Congrès bolivien, 2 février 1905, EPC, annexe 30, p. 123.
204 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 563, par. 17.
205 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34.
206 Voir, à cet égard, par. 1.5.-1.11. ci-dessus.
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un accès souverain à la mer pour la Bolivie qui serait née avant le traité de paix de 1904 et aurait
perduré sans être interrompue par celui-ci, la Bolivie soutient qu’il s’agissait d’un traité de paix
fixant une frontière et répartissant, entre la Bolivie et le Chili, la souveraineté sur le territoire de
chaque côté de cette frontière, dont les deux parties étaient déjà convenues, au moment de sa
signature, de négocier pour le modifier. Cette thèse est contraire au caractère exhaustif et définitif
du traité de paix de 1904, à l’historique de la négociation de celui-ci, et à la manière dont le
président de la Bolivie et le président du Congrès bolivien le décrivaient lorsqu’il a été approuvé
par le législateur bolivien.
3.24. Les termes du traité de paix de 1904 n’étaient pas explicitement ou implicitement
subordonnés à quelque élément extérieur. Le règlement historique entre la Bolivie et le Chili,
faisant suite à la guerre du Pacifique, était contenu intégralement dans ce traité. La Bolivie
reconnaissait la souveraineté chilienne sur l’ensemble du territoire côtier à l’ouest de la
délimitation complète de la frontière convenue entre les deux Etats. Le Chili accordait à la Bolivie
les avantages importants prévus par le traité de paix de 1904 qui sont décrits en détail dans le
chapitre 3 du contre-mémoire du Chili, et peuvent se résumer ainsi :
a) le rétablissement de «relations de paix et d’amitié» ;
b) une certitude quant à l’intégralité de la frontière entre les deux Etats ;
c) un «droit de transit commercial absolu et inconditionnel» dans l’ensemble du territoire et des
ports chiliens, «à titre perpétuel» ;
d) le droit de mettre en place des bureaux de douane boliviens dans les ports chiliens ;
e) la construction et le financement de la voie ferrée Arica-La Paz reliant la capitale bolivienne à
un port important ; et
f) des garanties destinées à faciliter l’investissement dans d’autres voies ferrées en Bolivie.
3.25. Dans sa réplique, la Bolivie évoque en passant le droit de libre transit et d’autres
avantages que lui a accordé le Chili dans le traité de paix de 1904, alléguant que : «[d]ans la
pratique, le régime de libre transit est … fortement restreint et limité, et il est loin d’être respecté
par le Chili»207. En ce qui concerne le contenu juridique du régime de libre transit, la Bolivie n’a
contesté aucun aspect de la description, contenue dans la section B du chapitre 3 du
contre-mémoire du Chili, du large accès à l’océan Pacifique elle dont jouit sur le territoire chilien
conformément au traité de paix de 1904 et aux instruments conclus par la suite pour améliorer et
élargir cet accès. L’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique était au coeur du règlement négocié
exhaustif contenu dans le traité de paix de 1904. Quant aux allégations de la Bolivie selon
lesquelles le Chili ne respecterait pas ses obligations en matière de libre transit, le Chili les rejette
car elles sont dépourvues de fondement ; il est d’accord avec la Bolivie pour dire qu’elles ne jouent
aucun rôle dans l’affaire dont est saisie la Cour.
C. CONCLUSIONS : LE TRAITÉ DE PAIX DE 1904 CONSERVE
TOUTE SON IMPORTANCE
3.26. Il n’existe aucune «entente historique» ayant pris effet avant le traité de paix de 1904,
et, a fortiori, aucune qui ait ensuite survécu au règlement exhaustif convenu dans ce traité. Le traité
207 REB, par. 40.
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de paix de 1904 répartissait la souveraineté sur les territoires situés de part et d’autre de la frontière
complète qu’il délimitait et établissait, à titre perpétuel, un droit de libre transit en faveur de la
Bolivie. Le Chili ayant déjà accordé d’importants avantages à la Bolivie dans le traité de paix de
1904, une part essentielle des échanges consacrés au vingtième siècle à d’éventuelles améliorations
ultérieures de l’accès de la Bolivie à la mer a porté sur la compensation qu’elle serait prête à
consentir au Chili en contrepartie. Aucune entente historique ne restait à mettre en oeuvre. Pour
conclure une nouvelle entente après le traité de paix de 1904, il aurait fallu que les deux Etats
engagent de toutes nouvelles négociations et que chacun reçoive sa part d’avantages. En outre, le
traité de paix de 1904 énonçait le cadre convenu dans lequel se serait inscrite toute négociation
portant sur un transfert de souveraineté sur un territoire.
3.27. A compter de 1904, les discussions et négociations n’ont donc pas porté sur un
différend territorial, ni sur des droits concurrents, ni non plus sur un quelconque droit bolivien
d’accès à la mer, mais seulement sur le fait de savoir si le statu quo mis en place par le traité de
paix de 1904 pouvait être modifié de quelque manière que ce soit, ou si un nouveau dispositif
pouvait être élaboré en parallèle à celui-ci208. Une obligation juridique de conduire de telles
négociations ne pouvait donc naître que si les deux Etats l’acceptaient, et elle ne pouvait qu’être
limitée au respect de bonne foi des conditions d’une telle acceptation209. Ainsi que cela a été
démontré dans ce chapitre, il est impossible de prétendre qu’une obligation juridique de négocier
un nouvel accord après le traité de paix de 1904 ait été créée avant celui-ci et qu’elle ait perduré
après sa conclusion. Comme le démontrent les chapitres suivants, aucune obligation juridique de ce
type ne s’est fait jour après le traité de paix de 1904.
208 Voir en outre par. 2.39-248 ci-dessus.
209 Voir par. 2.49 ci-dessus.
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CHAPITRE 4
ECHANGES DIPLOMATIQUES DE 1920 À 1926
4.1. Dans les années qui ont immédiatement suivi le traité de paix de 1904, la Bolivie a
accepté le règlement exhaustif auquel elle était parvenue avec le Chili dans ce traité, et s’y est
conformée. Lorsque la Bolivie a cherché, dans les années vingt, à revenir sur ce règlement, elle ne
l’a pas fait sur la base d’une «entente historique» censée avoir perduré parallèlement au traité. Elle
a, en revanche, cherché à obtenir la revision ou l’annulation du traité de paix de 1904, en accord
avec le fait que celui-ci était un règlement exhaustif parallèlement auquel n’existait aucune
obligation de négocier un accès souverain.
4.2. La réalité en ce qui concerne les documents des années vingt sur lesquels continue à
s’appuyer la Bolivie est la suivante :
a) le procès-verbal de 1920 indiquait expressément qu’il ne créait pas d’obligation juridique
(section A). La Bolivie ne peut se dérober à ce fait élémentaire ;
b) les événements qui ont suivi le procès-verbal de 1920, et notamment la proposition Kellogg de
1926 et le mémorandum Matte lié, n’ont ni créé ni repris d’obligation de négocier d’accès
souverain à la mer (section B).
A. LE PROCÈS-VERBAL DE 1920 N’A CRÉÉ AUCUNE
OBLIGATION JURIDIQUE
4.3. L’allégation de la Bolivie selon laquelle le procès-verbal de 1920 aurait donné naissance
à une obligation de négocier un accès souverain à la mer est indéfendable au vu du libellé de ce
document (sous-section 1), de la correspondance qui l’a précédé (sous-section 2) et des échanges
qui l’ont suivi (sous-section 3).
1. Le texte du procès-verbal de 1920
4.4. Le procès-verbal 1920 indique que le ministre chilien a proposé sept «idées ou points
fondamentaux» susceptibles de constituer les «bases d’un accord».
a) Au point I, le traité de paix de 1904 était présenté comme «défini[ssant] une fois pour toutes les
relations politiques des deux Etats et règl[ant] définitivement l’ensemble des questions
découlant de la guerre de 1879». Au point III, il était précisé que «l’aspiration de la Bolivie à
disposer de son propre port était remplacée par la construction de la voie ferrée» et le «reste des
obligations contractées par le Chili» par le traité de paix de 1904210. Ces mentions sont
totalement incompatibles avec la thèse aujourd’hui défendue par la Bolivie selon laquelle un
engagement à négocier trouverait son origine dans une «entente historique» antérieure au traité
de paix de 1904 qui aurait survécu à celui-ci.
b) Au point V, le Chili déclarait «accept[er] d’ouvrir de nouvelles négociations dans le but de
répondre aux aspirations du pays ami, à la condition que le Chili remporte le plébiscite»211.
210 Procès-verbal du 10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 323 et 325.
211 Procès-verbal du 10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 325.
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4.5. Dans son mémoire, la Bolivie n’a pas appelé l’attention de la Cour sur le passage du
procès-verbal de 1920 le plus pertinent pour déterminer si ce document créait une obligation
juridique. Il s’agit du suivant :
«[é]tant donné que les présentes déclarations ne contiennent aucune disposition créant
des droits ou obligations pour les Etats représentés par leurs auteurs, le ministre des
affaires étrangères de Bolivie déclare qu’en accord avec la préservation de la liberté
pour les deux gouvernements de diriger leurs efforts diplomatiques de la manière
prenant le mieux en compte leurs intérêts respectifs ...»212.
Il s’agit là d’une preuve concluante de l’intention des signataires du procès-verbal de 1920 de ne
contracter aucune obligation juridique213.
4.6. Après l’avoir ignoré dans son mémoire, la Bolivie soutient maintenant dans sa réplique
que cette stipulation «renvoie non pas à l’accord sur le fait de négocier l’accès souverain mais aux
modalités de cet accès»214. Il s’agit d’un argument fallacieux. Les termes de la réserve sont larges.
Elle s’applique clairement aux «présentes déclarations» consignées dans le procès-verbal et ne sont
nullement limitées à une mention particulière concernant les «modalités» de l’accès de la Bolivie à
la mer.
4.7. Il n’existe aucune base à l’allégation bolivienne selon laquelle il conviendrait de
distinguer «la question centrale de l’affaire» ayant donné lieu à l’accord constaté dans le procèsverbal
de 1920 et les «points secondaires», qui conduit la Bolivie à conclure que seuls les seconds
ne seraient «obligatoire[s] que lorsque serait conclu un accord formel»215. La Bolivie s’efforce de
se dérober à l’effet de la réserve en la confondant avec le paragraphe précédent du procès-verbal,
qui comporte une déclaration du ministre bolivien expliquant qu’une compensation «fera[it] l’objet
d’un accord préalable pour éviter les divergences quant aux détails compromettant l’exécution des
aspects essentiels». L’idée que la réserve générale était, d’une manière ou d’une autre, limitée à ce
paragraphe, ou que la question de la compensation qui serait fournie au Chili constituait un simple
détail, est indéfendable.
4.8. En outre, les termes employés ailleurs dans le procès-verbal de 1920 indiquent
qu’aucune obligation juridique n’a été confirmée ni créée. Le ministère bolivien des affaires
étrangères a décrit la proposition du Chili comme dictée par la «cordialité et le rapprochement
politique» et «aussi spontanée qu’amicale», reconnaissant «l’élévation d’esprit qui l’anime»216. Ces
212 Procès-verbal du 10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 339.
213 A l’appui de l’argument avancé par elle selon lequel le Chili aurait souscrit un engagement dans le
procès-verbal de 1920, la Bolivie invoque un livre publié en 2004. Dans le passage que ne cite pas la Bolivie, l’auteur a
écrit que le document de 1920 «n’[était] pas un traité. Il énumère simplement les bases d’un traité futur et consigne les
préoccupations mises en avant par le Chili et la Bolivie à cet égard» (O. Pinochet de la Barra, Chile and Bolivia: How
much longer! (2004), REB, annexe 352, p. 39).
214 REB, par. 202.
215 Tout en contestant que la réserve ait un quelconque effet juridique, la Bolivie s’efforce simultanément d’en
profiter en soutenant que le fait qu’une telle réserve ne figure pas dans d’autres échanges démontre que ceux-ci ont créé
des obligations juridiques : voir REB, par. 201. Il sera évident pour la Cour que l’inclusion d’une réserve expresse n’est
pas une condition requise pour éviter la création d’une obligation juridique. Il est, au contraire, nécessaire de démontrer
l’existence d’une intention de créer une obligation juridique.
216 Procès-verbal du 10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 327 et 329.
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- 40 -
termes n’attestent aucune intention de créer une obligation juridique217. Le ministre bolivien a
également reconnu que le représentant du Chili avait précisé que la possibilité que le Chili envisage
une éventuelle cession était subordonnée à l’obtention d’une souveraineté inconditionnelle sur
Tacna et Arica au moyen du plébiscite alors envisagé218. Cette condition n’a jamais été remplie. Le
plébiscite n’a jamais eu lieu et finalement, le Pérou a conservé sa souveraineté sur Tacna, tandis
que le Chili obtenait celle sur Arica.
2. La correspondance antérieure au procès-verbal de 1920 ne confirme pas
l’interprétation que la Bolivie fait de celui-ci
4.9. Le procès-verbal de 1920 ne pouvant créer aucune obligation juridique, la Bolivie
s’appuie, dans sa réplique, sur la correspondance qui le précède qui, selon ses dires, confirmerait
l’«intention sous-tendant l’acte de 1920»219.
4.10. La Bolivie se réfère donc à un mémorandum du 22 avril 1910, adressé par la Bolivie au
Chili et au Pérou. Evoquant ses «aspirations», la Bolivie demandait si le Chili et le Pérou étaient
prêts à «écouter des propositions» de la Bolivie concernant la question d’un port, et offrait de
proposer «des bases et compensations satisfaisantes dans le cas où ils accepteraient de prendre part
à des négociations»220. La Bolivie envoya au Chili, le 29 avril 2010, une nouvelle lettre dans
laquelle elle évoquait ses «aspirations à la possession d’un port sur le Pacifique», et déclarait
qu’elle «écouterait le Chili avec une déférence absolue», et que, dans l’hypothèse où ce dernier
estimerait «préférable de reporter l’examen de cette question», elle se conformerait à son souhait221.
Trois points méritent d’être soulignés à cet égard.
a) Tout d’abord, la Bolivie indiquait, dans son mémorandum de 1910, que «[l]e cabinet de La Paz
[était] prêt à proposer à ceux de Santiago et de Lima des bases et compensations satisfaisantes
dans le cas où ils [auraient] accept[é] de prendre part à des négociations»222. Une fois encore,
cet élément est incompatible avec l’existence d’une quelconque entente historique ayant
survécu au traité de paix de 1904 et que le Chili n’aurait pas encore exécuté.
b) Ensuite, le Chili a répondu, le 14 août 1910, en expliquant qu’au vu des dispositions prises avec
le Pérou concernant Tacna et Arica, il n’était pas en mesure de discuter de la cession d’Arica
avec la Bolivie. Il a toutefois fait état de sa volonté de s’entretenir d’«autres moyens de servir
les intérêts commerciaux [de la Bolivie]», y compris par la mise à disposition d’installations
pour le commerce bolivien dans les ports chiliens223. De toute évidence, ceci ne laisse
nullement transparaître quelque intention de s’engager juridiquement à négocier un accès
souverain.
217 Au point c) du paragraphe 204 de sa réplique, la Bolivie cite le procès-verbal de 1920 comme faisant référence
à «la réalisation de ses attentes légitimes», traduction utilisée dans le protocole (Acta Protocolizada) du 10 janvier 1920,
MB, annexe 101. Le mot «attente» est une traduction inexacte de l’espagnol aspiraciones. Il est traduit exactement par
«aspiration» en six autres occasions en annexe 101 au mémoire de la Bolivie, et partout dans la traduction chilienne en
annexe 118 au contre-mémoire du Chili.
218 Procès-verbal du 10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 331.
219 REB, par. 205.
220 Mémorandum de la Bolivie du 22 avril 1910, MB, annexe 18, p. 90-91.
221 Lettre adressée, le 29 avril 1910, par le ministre des affaires étrangères de Bolivie au ministre plénipotentiaire
du Chili en Bolivie, DC, annexe 380.
222 Mémorandum de la Bolivie du 22 avril 1910, MB, annexe 18, p. 91.
223 Lettre en date du 14 août 1910 adressée par le ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie au Gouvernement
bolivien, DC, annexe 381.
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c) Enfin, la Bolivie a répondu, le 29 août 1910, en indiquant qu’elle soumettrait, le moment venu,
des propositions concernant des avantages potentiels pour le commerce bolivien dans les ports
chiliens224. Il n’a aucunement été suggéré que le Chili avait une quelconque obligation juridique
de négocier, et à supposer que tel ait été le cas, aucune proposition n’a été avancée225.
4.11. La Bolivie insiste également sur deux documents de 1919.
a) Tout d’abord, elle continue de se référer à une note interne bolivienne à l’appui de ses
allégations selon lesquelles le ministre des affaires étrangères chilien aurait déclaré, en
mai 1919, que «la demande de la Bolivie de disposer de son propre port sur l’océan Pacifique
sur la base de conditions conformes au règlement de 1895 était légitime et juste»226. En fait,
cette note interne fait référence au «désir [de la Bolivie] de disposer d’un port», et ne fait
aucune référence au «règlement de 1895».
b) Ensuite, la Bolivie soutient qu’une proposition soumise par le ministre chilien des affaires
étrangères le 9 septembre 1919 confirme l’interprétation du procès-verbal de 1920 qu’elle a
avancée. Dans ce document, le Chili expliquait que le traité de paix de 1904 «défini[ssait] une
fois pour toutes les relations politiques des deux Etats et règl[ait] définitivement l’ensemble des
questions découlant de la guerre de 1879», et que «la construction de la voie de chemin de fer»
et l’«exécution du reste des obligations contractées par le Chili» venaient «remplac[er]»
l’«aspiration de la Bolivie à disposer de son propre port»227. Le Chili ajoutait que, «dans le but
de bâtir des fondations solides en vue de l’union future des deux pays, le Chili [était] désireux
de rechercher les moyens pour la Bolivie d’acquérir son propre débouché sur la mer», et dans
un autre paragraphe, qu’il «accept[ait] d’ouvrir de nouvelles négociations dans le but de
répondre aux aspirations du pays ami»228. Ces mots ne témoignent pas d’une intention de
s’obliger juridiquement à négocier, et toutes négociations devaient porter sur des «aspirations»
de la Bolivie. Le Chili était également clair quant au fait que son accord pour ouvrir de
nouvelles négociations était «subordonné à un triomphe chilien lors du plébiscite»229, condition
224 Lettre adressée, le 29 août 1910, par le ministre des affaires étrangères de Bolivie au ministre plénipotentiaire
du Chili en Bolivie, DC, annexe 382.
225 La Bolivie s’appuie sur une déclaration de 1913, dont l’auteur est son ancien président Montes, présentées
comme réitérant le droit de la Bolivie à disposer de son propre port sur le Pacifique. Le document auquel il est fait
référence, la note de la légation de Bolivie du 25 avril 1913, MB, annexe 41, ne contient aucune déclaration de cette
nature. Il ressort en outre du document desdites déclarations que M. Montes exprimait une opinion personnelle.
226 MB, par. 98 ; et REB, par. 206, dans lesquels la Bolivie paraphrase sans la citer la note du ministre bolivien
des affaires étrangères et des cultes n° 126 du 24 mai 1919, MB, annexe 42, p. 179. Le Chili soulignait dans son contremémoire
que la traduction anglaise de cette note était un document signé d’«Alberto Gutiérrez, Ministre des affaires
étrangères du Chili» (CMC, par. 5.11). Comme l’indique l’original espagnol, il a été envoyé par le ministre des affaires
étrangères bolivien à l’envoyé de la Bolivie au Chili, ainsi que le reconnaît elle-même la Bolivie.
227 Mémorandum chilien du 9 septembre 1919, CMC, annexe 117, par. I et III, cité dans REB, par. 207.
228 Mémorandum chilien du 9 septembre 1919, CMC, annexe 117, par. IV et V.
229 Mémorandum chilien du 9 septembre 1919, CMC, annexe 117, par. V ; et note en date du 21 novembre 1919
adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili par le ministre bolivien des affaires
étrangères, DC, annexe 384, p 4, mentionnant cette condition lorsque le Chili a, une nouvelle fois, évoqué cette
proposition, en novembre 1919. Voir également, Rios Gallardo, After the Peace… The Chilean-Bolivian Relations
(1926), REB, annexe 241, p 91, confirmant que le Chili ne serait pas prêt à discuter d’un accès de la Bolivie à la mer tant
que la situation de Tacna et d’Arica ne serait pas réglée.
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qui n’a jamais été remplie. Le Bolivie oublie également de mentionner qu’elle n’avait, à ce
moment-là, pas jugé bon d’accepter la proposition chilienne230.
3. Les échanges qui ont suivi le procès-verbal de 1920 n’ont pas établi
d’engagement juridiquement contraignant
4.12. La Bolivie invoque de supposées déclarations du Chili après le procès-verbal de 1920
et commence par affirmer qu’elles confirmaient l’interprétation des parties «sur l’objectif des
négociations convenues»231. En fait, les déclarations auxquelles fait référence la Bolivie ne sont
autres que des extraits du procès-verbal lui-même232. La déclaration explicite de l’intention de ne
pas créer de droits ni d’obligations s’applique donc à elles. La Bolivie s’appuie alors sur des
échanges entre les parties postérieurs au procès-verbal de 1920 pour soutenir qu’ils établissent en
soi un engagement juridiquement contraignant pour le Chili233. Tel n’est pas non plus le cas.
a) Déclarations devant la Société des Nations
4.13 En 1921, la Bolivie a voulu porter devant la Société des Nations une demande en
revision ou en nullité du traité de paix de 1904. S’il avait existé alors, parallèlement au traité de
paix de 1904, une «entente historique» créant une obligation pour le Chili de négocier un accès
souverain au Pacifique pour la Bolivie, il ne fait guère de doute que cette dernière aurait cherché à
obtenir du Chili qu’il le respecte, au lieu de demander à la Société des Nations de réviser ou
d’annuler le traité de paix de 1904.
4.14. Au lieu de se colleter avec cet aspect difficile pour son argumentation, la Bolivie
préfère invoquer une partie d’une déclaration du Chili devant la Société des Nations en 1921 selon
laquelle «la Bolivie [pouvait] chercher à obtenir satisfaction par des négociations directes» et, ce
faisant, elle exercerait «le ... droit ... de négociations ... avec le Chili»234. Sur cette base, la Bolivie
soutient que le «Chili a reconnu catégoriquement une obligation de négocier un accès souverain
avec la Bolivie»235. Tel n’est clairement pas le sens du document.
4.15. Dans sa déclaration, le délégué chilien expliquait que son pays serait «heureux» de
discuter avec la Bolivie «des meilleurs moyens de faire avancer [le] développement de celle-ci», et
non qu’il y était tenu en conséquence du procès-verbal de 1920 ou autrement, ni non plus qu’il était
prêt à discuter d’un accès souverain. Après une brève déclaration d’un représentant de la Bolivie, le
230 Lettre en date du 21 novembre 1919 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la
Bolivie au Chili par le ministre bolivien des affaires étrangères, DC, annexe 384. L’importance attachée par la Bolivie,
dans la note de bas de page n° 273 de sa réplique à une description par le chargé d’affaires des Etats-Unis en Bolivie dans
une communication en date du 6 octobre 1919 adressée au secrétaire d’Etat américain (télégramme n° 732.2515/503, du
6 octobre 1919, du chargé d’affaires des Etats-Unis en Bolivie au secrétaire d’Etat des Etats-Unis, REB, annexe 235)
n’est d’aucun secours à la Bolivie dans ses efforts pour prouver une quelconque intention de se lier de la partt du Chili.
231 REB, par. 204.
232 Le paragraphe 204 a) de la réplique de la Bolivie est une citation du deuxième paragraphe du procès-verbal du
10 janvier 1920, CMC, annexe 118, p. 323 ; le paragraphe 204 b) est une citation des paragraphes IV et V, p. 325 ; et le
paragraphe 204 c) une citation des quatrième et cinquième paragraphes, p. 333 (citant la traduction établie par la Bolivie
du procès-verbal de 1920, jointe en annexe 101 du mémoire de la Bolivie).
233 REB, par. 208 et suiv.
234 Compte rendu de la vingt-deuxième séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations, 28 septembre
1921, CMC, annexe 120, p. 467 et 469 (les italiques sont de nous).
235 REB, par. 203.
61
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délégué chilien a fait la déclaration qu’invoque maintenant la Bolivie, qu’il convient de reproduire
dans son entier :
«la Bolivie se décide, enfin, à exercer le seul droit qu’elle puisse faire valoir : celui de
négociations directes avec le Chili, non dans le but d’obtenir la révision du traité de
1904, mais, ainsi que je l’ai dit avant, d’étudier avec le Chili les meilleurs moyens de
faire avancer son développement.»236
Il n’est manifestement pas question d’un quelconque «droit ... de négociations ...» ; la déclaration
concerne plutôt les moyens de faire avancer le développement de la Bolivie. Il ne s’agit là que d’un
exemple de la nécessité pour la Cour de faire preuve de prudence à l’égard des citations partielles
fallacieuses dont regorge la réplique de la Bolivie.
4.16. La Bolivie s’appuie également sur un passage d’une lettre du délégué chilien auprès de
la Société des Nations en date de septembre 1922 dans lequel celui-ci indiquait que son pays était
«tout disposé à entrer en négociations à ce sujet»237. La Bolivie soutient que cette proposition
atteste bien que «le Chili consentait à négocier directement avec la Bolivie»238. La Bolivie s’efforce
d’établir une analogie entre la déclaration du Chili et celle de la France par laquelle celle-ci se
déclarait «prête à procéder à des essais souterrains», examinée par la Cour dans les affaires des
Essais nucléaires. Cette analogie est trompeuse. Dans ces affaires, l’affirmation par la France du
fait qu’elle était prête à agir s’accompagnait de davantage de déclarations dépourvues
d’ambigüité239. La lettre invoquée par la Bolivie ne comporte pas de formule dépourvue
d’équivoque. Le fait que le représentant chilien se déclare «prêt» à discuter d’«autres moyens»
d’accéder à la mer ne saurait être interprété comme attestant d’une intention objective de créer une
obligation juridique. En ce qui concerne l’«objet» de toutes discussions, la Bolivie soutient que ces
déclarations faisaient référence à «la question d’un accès souverain»240. Mais le texte même de la
lettre reposait sur un élément allant dans la direction contraire. Le représentant du Chili rappelait
que le président chilien «ne reconnaissait pas [au] Gouvernement [bolivien] le droit de réclamer un
port sur l’océan Pacifique, aspiration à laquelle il avait renoncé dans le traité de paix de 1904, en
obtenant en échange de leurs engagements de la part du Chili, qui les a entièrement exécutés». Il
236 Compte rendu de la vingt-deuxième séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations, 28 septembre
1921, CMC, annexe 120, p. 469 (les italiques sont de nous) ; voir également, p. 467.
237 REB, par. 209-210, faisant référence à la lettre en date du 19 septembre 1922 adressée au secrétaire général de
la Société des Nations par le délégué chilien à l’Assemblée générale de la Société des Nations, CMC, annexe 123.
A l’appui de son interprétation de la lettre chilienne, la Bolivie renvoie aux mémoires du président chilien Alessandri,
publiés en 1967 (REB, note de bas de page 279). Dans ceux-ci, il était simplement suggéré que le Chili serait enclin à
«prêter l’oreille, lors de nouvelles négociations, aux aspirations de la Bolivie, moyennant compensation». La Bolivie
omet, en outre, de citer le point de vue du président Alessandri à l’époque, qu’il exprimait ainsi : «nous
considérons ... que la situation dans laquelle nous nous trouvons par rapport à la Bolivie est entièrement réglée : nous ne
devons rien à la Bolivie, même si nous ne refusons pas de nous entretenir de nouvelles bases ou propositions en vue d’un
arrangement sans lien avec le traité» (A. Alessandri Palma, Memoirs of my Government, Volume I (1967), REB,
annexe 294, p. 77).
238 REB, par. 210. Voir également, REB, note de bas de page 278.
239 La Cour a notamment insisté sur le caractère sans équivoque des propos du président français, qui avait
expliqué : «[j]’avais moi-même précisé que cette campagne d’expériences atmosphérique serait la dernière, et donc les
membres du gouvernement étaient complètement informés de nos intentions à cet égard», et du ministre de la défense
français, selon lequel «il n’y aurait pas d’essai aérien en 1975», Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 266, par. 37 ; et Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 471,
par. 40 et 43.
240 REB, par. 210.
62
63
- 44 -
ajoutait également que «les aspirations de la Bolivie pourraient trouver satisfaction par d’autres
moyens»241.
b) Discussions bilatérales entre le Chili et le Pérou en 1921
4.17. Le Bolivie soutient que, dans le contexte de conversations bilatérales conduites entre le
Chili et le Pérou en 1921 pour tenter de régler le différend qui les opposait au sujet de la
souveraineté sur Tacna et Arica, le Chili aurait réitéré son intention de négocier avec la Bolivie242.
4.18. En décembre 1921, la Bolivie a approché le Chili et proposé que la question de son
accès au Pacifique soit examinée lors d’une conférence internationale243. La Bolivie s’appuie
désormais sur une ligne de la réponse chilienne dans laquelle le ministre des affaires étrangères du
Chili rappelait que le Gouvernement bolivien avait précédemment été «invité … à exposer
directement au Chili son point de vue concernant ses aspirations à disposer d’un port sur le
Pacifique»244. Cette déclaration est à la base de l’allégation de la Bolivie selon laquelle le Chili
aurait réitéré son intention de négocier.
4.19. L’intention clairement exprimée par le Chili était exactement l’inverse. Le Chili
insistait sur le fait que le traité de paix de 1904 avait établi «les conditions d’une justice et d’une
équité convenant au [Chili et à la Bolivie]», ainsi que la «manière dont la Bolivie était reliée à la
mer». Il rappelait qu’il avait, par la suite, invité la Bolivie «à exposer directement au Chili son
point de vue concernant ses aspirations à disposer d’un port sur le Pacifique», et que celle-ci
n’avait présenté, en retour, aucune proposition245. Il ne se déclarait pas, en 1921, à nouveau prêt à
participer à des discussions. Tout au contraire, le Chili ne se considérait en aucune manière tenu
d’examiner de nouvelles propositions de la Bolivie, et répondait : «[l]es antécédents présentés me
conduisent à déclarer à Votre Excellence que mon gouvernement ne s’estime pas tenu d’examiner
les propositions contenues dans la note télégraphique à laquelle je réponds»246. Cette note ne
241 Lettre en date du 19 septembre 1922 adressée au secrétaire général de la Société des Nations par le délégué
chilien à l’Assemblée générale de la Société des Nations, CMC, annexe 123, p. 391.
242 REB, par. 212. La Bolivie ne prétend pas que le Chili avait l’intention de s’obliger juridiquement à négocier,
mais seulement que le Chili avait l’intention de négocier (voir, à cet égard, par. 2.8-2.10 ci-dessus).
243 Note du 20 décembre 1921 adressée au ministre des affaires étrangères du Chili par le ministre des affaires
étrangères de Bolivie, REB, annexe 236, p. 138.
244 Note du 21 décembre 1921 adressée au ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili par le ministre des affaires
étrangères du Chili, DC, annexe 385, p. 3.
245 Note du 21 décembre 1921 adressée au ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili par le ministre des affaires
étrangères du Chili, DC, annexe 385, p. 2 et 3.
246 Note du 21 décembre 1921 adressée au ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili par le ministre des affaires
étrangères du Chili, DC, annexe 385, p. 3.
64
- 45 -
démontre en aucune manière l’existence d’une quelconque intention du Chili de créer une
obligation juridique de négocier avec la Bolivie247.
c) La correspondance de 1923
4.20 La Bolivie continue à invoquer la correspondance entre le Chili et la Bolivie du début
de l’année 1923248. Dans sa lettre du 6 février 1923, le Chili rejetait une fois de plus la demande
bolivienne de revision du traité de 1904, mais indiquait qu’il était «animé du plus grand esprit de
conciliation et d’équité, [et qu’il] demeur[ait] attentif aux propositions du Gouvernement
[bolivien]»249. La Bolivie soutient que l’expression de cette bonne volonté équivaut à un accord du
Chili pour ouvrir des négociations consacrées au sujet d’un accès souverain à la mer. La Bolivie
n’explique nulle part comment, en se déclarant «animé du plus grand esprit de conciliation» à
l’égard des propositions, le Chili manifestait une intention de s’engager juridiquement à négocier
un accès souverain. Il semble que l’allégation de la Bolivie concernant le lettre du 6 février 1923
repose sur le segment de phrase «mettra tout en oeuvre pour consulter [la Bolivie]», contenu dans
la lettre du 6 février 1923, au sujet duquel elle soutient que «l’emploi du futur simple reflète
l’engagement d’adopter un comportement»250. Le Chili ne convient nullement que ces mots, ou
même le futur simple utilisé, exprime une quelconque obligation juridique. Quoi qu’il en soit, la
Bolivie a finalement refusé l’invitation chilienne en affirmant que, si le Chili refusait d’étudier une
revision du traité de paix de 1904, elle ne participerait à aucune négociation251.
4.21. Dans une seconde lettre, datée du 22 février 1923, le Chili répétait qu’il était «disposé à
examiner les propositions que souhaiterait lui présenter le Gouvernement bolivien»252. La Bolivie
voit là l’expression d’un engagement juridiquement contraignant. Ainsi qu’expliqué plus haut dans
le chapitre 2, le fait de se déclarer disposé à débattre de propositions ne suffit pas en soi à attester
247 La Bolivie attache également de l’importance à un mémorandum uruguayen adressé à la Bolivie dans lequel
l’Uruguay évoquait la «volonté» manifestée par le Chili d’examiner des «solutions directement avec la Bolivie» (REB,
par. 213 ; et service d’information du ministère des affaires étrangères du Chili, Chile and the Aspiration of Bolivia for a
Port in the Pacific (1922), REB, annexe 238, p. 156). L’affirmation d’une «volonté» chilienne d’étudier des solutions en
concertation avec la Bolivie ne saurait en aucune manière témoigner d’un sentiment d’obligation juridique. Il n’existe
non plus aucune trace d’une quelconque obligation juridique dans les souvenirs conservés par le chargé d’affaires
bolivien de sa conversation avec le ministre des affaires étrangères du Chili du 27 janvier 1922 : note no 117, en date du
27 janvier 1922, adressée au ministre des affaires étrangères bolivien par le chargé d’affaires de la légation de Bolivie au
Chili, REB, annexe 239.
248 REB, par. 214. Un compte rendu complet de cette correspondance figure dans le contre-mémoire du Chili :
par. 5.21-5.29. La Bolivie ne traite pas des arguments avancés par le Chili dans les paragraphes 5.22 à 5.24, 5.26 et 5.28 à
5.29.
249 Note en date 6 février 1923 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili
par le ministre des affaires étrangères chilien, CMC, annexe 125, p. 405.
250 REB, par. 215.
251 Note en date 12 février 1923 adressée au ministre des affaires étrangères chilien par l’envoyé extraordinaire et
ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili, EPC, annexe 40.
252 Note en date 22 février 1923 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili
par le ministre des affaires étrangères chilien, CMC, annexe 126, p. 415.
65
- 46 -
une intention de s’engager juridiquement à le faire253. De surcroît, le Chili a bien indiqué qu’il
n’entendait pas discuter de «revendication maritime», mais seulement de «libre accès à la mer»254.
4.22. La Bolivie cite alors une déclaration d’avril 1923 du président chilien selon laquelle
celui-ci était «résolu à adopter à l’égard des aspirations de la Bolivie une attitude généreuse», tout
en rappelant que, «d’un point de vue juridique, [le Chili] n’av[ait] aucun engagement à l’égard de
la Bolivie»255. La Bolivie soutient que cette réserve «se référait spécifiquement à la revision du
traité de 1904»256. Rien ne permet de le penser. Tout au contraire, la déclaration présidentielle avait
trait à sa résolution explicite d’examiner les «aspirations de la Bolivie».
B. LA PROPOSITION KELLOGG DE 1926 ET LES ÉCHANGES Y AFFÉRENTS
N’ONT PAS CRÉÉ NI CONFIRMÉ D’OBLIGATION JURIDIQUE
4.23. Dans la perspective du plébiscite prévu par le traité de paix de 1883 entre le Chili et le
Pérou, la Bolivie a proposé au Chili de collaborer avec lui dans le but de contribuer à son succès
lors de cette consultation, en contrepartie d’un engagement chilien à céder un port à la Bolivie à
l’occasion du transfert du Pérou au Chili de la souveraineté sur le territoire à l’issue du plébiscite.
Le Chili a accepté cette idée dans son principe. La volonté manifestée par le Chili était néanmoins
conditionnée par un succès au plébiscite. A ce moment-là, la Bolivie le comprenait257.
4.24. Le plébiscite envisagé par le traité de paix de 1883 entre le Chili et le Pérou n’a
finalement pas eu lieu, et le Chili et le Pérou se sont attachés à régler la question de la souveraineté
sur Tacna et Arican avec les bons offices des Etats-Unis. Dans ce contexte, la question d’une
possible cession de territoire à la Bolivie a été soulevée, et la Bolivie affirme dans la réplique que
le Chili s’est «mis d’accord avec les Etats-Unis sur ses propositions spécifiques visant à octroyer à
la Bolivie un accès souverain à la mer»258. Ainsi que le démontrent les éléments de preuve ci-après,
la cession de territoire à la Bolivie était l’une des options mises en avant par le Secrétaire d’Etat
253 Voir par. 2.8-2.13. A l’appui de l’argument avancé par elle, la Bolivie invoque une référence du rapporteur
spécial de la CDI à une «déclaration ... [par laquelle] Cuba di[sait] vouloir «sans contester son statut d’acte unilatéral à
caractère contraignant (REB, note de bas de page 287). Il s’agit d’une déclaration dont les termes diffèrent de manière
significative, formulée dans un tout autre contexte. Elle ne comporte pas le mot de «volonté». En outre, la question qui
intéressait le rapporteur spécial était celle de savoir si un acte décrit par un Etat (Cuba) comme un don pouvait être
considéré comme une transaction commerciale par le pays destinataire (l’Uruguay) qui en déduisait le prix des
marchandises reçues de la dette lui étant due. Les deux Etats étaient d’accord sur le fait qu’un acte juridique avait été
accompli, mais l’un (Cuba) considérait cet acte (de donation) comme unilatéral par nature. Le rapporteur spécial a décrit
l’affaire comme «intéressant», sans toutefois exprimer de point de vue sur celui-ci. La référence n’est d’aucun secours à
la Cour : voir Huitième rapport sur les actes unilatéraux des Etats, doc. A/CN.4/557, 26 mai 2005, p. 35-36, par. 36-43.
254 Note en date 22 février 1923 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili
par le ministre des affaires étrangères chilien, CMC, annexe 126, p. 415.
255 «Le président Alessandri expose les grandes lignes de la politique étrangère du Chili», El Mercurio (Chile),
4 avril 1923, CMC, annexe 127, p. 423.
256 REB, par. 217.
257 Note du 31 mars 1926 adressée au ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili par le ministre des affaires
étrangères de Bolivie, REB, annexe 240, p. 77, 79 et 81. Dans sa réponse, la Bolivie a cherché à modifier la base de sa
proposition, déclarant que toute initiative liée à une participation ou coopération de la Bolivie au plébiscite était
intempestive. La Bolivie a aussi indiqué que le Chili recevrait compensation.
258 REB, par. 222.
66
67
- 47 -
Kellogg259, et elle a été discutée par le Chili et les Etats-Unis. Ces discussions n’ont cependant
jamais donné naissance à aucune obligation ; elles étaient en outre subordonnées au résultat du
différend opposant le Chili et le Pérou.
1. La proposition Kellogg et le mémorandum Matte
4.25. Le 30 novembre 1926, le Secrétaire d’Etat Kellog a remis au Chili et au Pérou un
mémorandum dans lequel il suggérait la cession à la Bolivie de Tacna et d’Arica260. Le Chili a
répondu au Secrétaire d’Etat américain le 4 décembre 1926 avec ce qu’il est convenu d’appeler le
mémorandum Matte.
4.26. Dans sa réplique, la Bolivie soutient que le mémorandum Matte s’inscrivait «dans une
ligne de conduite claire adoptée par le Chili en vue d’accorder à la Bolivie un accès souverain à
l’océan Pacifique». La Bolivie évoque à cet égard les ««assurances» exprimées «à maintes
reprises» et «publiquement» [par le Chili] pendant cette période quant aux négociations relatives à
l’accès de la Bolivie à la mer»261. La Bolivie n’en demeure pas moins incapable de produire le
moindre document, qu’il émane d’elle ou du Chili, comportant une telle assurance ou y faisant
référence262.
4.27. Dans le mémorandum Matte lui-même, le Chili insistait sur le fait que la proposition
Kellog «[allait] bien au-delà des concessions que le Gouvernement chilien [était] généreusement en
mesure de consentir», notamment parce qu’elle supposait de «céder définitivement à la République
de Bolivie le territoire en litige» entre le Chili et le Pérou263. Le Chili affirmait également
clairement que «ni la justice ni l’équité ne permett[aient] de justifier cette demande, qu[e la
Bolivie] présente aujourd’hui comme étant un droit»264. La position alors énoncée par le Chili est
incompatible avec l’idée qu’il se serait considéré comme lié par une obligation juridique de
négocier avec la Bolivie, et encore moins une obligation dont la création serait antérieure à 1895 et
qui aurait perduré en dépit du traité de paix de 1904.
4.28. La Bolivie soutient également dans la réplique que le mémorandum Matte constituait
«une offre du Chili de négocier un accès souverain à la mer», que dans le mémorandum, le Chili «a
259 Voir procès-verbal en date du 4 juin 1926 de la rencontre des plénipotentiaires du Pérou et du Chili dans le
cadre de la mission de bons offices du Secrétaire d’Etat américain, REB, annexe 247 ; mémorandum en date du
30 novembre 1926 du Secrétaire d’Etat, REB, annexe 21 ; télégramme no 723.2515/2415 en date du 9 juin 1926, adressé
à l’ambassadeur des Etats-Unis au Chili par le Secrétaire d’Etat américain, REB, annexe 248 ; et mémorandum chilien du
23 juin 1926, REB, annexe 20.
260 Mémorandum sur Tacna et Arica en date du 30 novembre 1926 adressé aux Gouvernements chilien et
péruvien par le Secrétaire d’Etat américain, CMC, annexe 128.
261 REB, par. 219 et 220.
262 La Bolivie s’appuie sur une lettre envoyée au Secrétaire d’Etat américain par l’ambassadeur des Etats-Unis au
Chili (télégramme no 723.2515/2124 envoyé au Secrétaire d’Etat américain par l’ambassadeur des Etats-Unis au Chili,
11 avril 1926, REB, annexe 244). Toutefois, la teneur d’une correspondance interne échangée entre deux représentants
des Etats-Unis ne saurait être pertinente pour l’appréciation de l’existence d’une obligation de négocier entre la Bolivie et
le Chili.
263 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères, CMC, annexe 129, p. 436.
264 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères, CMC, annexe 129, p. 435.
68
- 48 -
accepté de résoudre le problème d’enclavement de la Bolivie» et que le mémorandum
«constituait ... une promesse unilatérale et une expression de la position du Chili»265.
4.29. Chacune de ces affirmations est erronée. La vérité se trouve dans le mémorandum
Matte lui-même :
a) le Chili exprimait l’idée qu’«au cours des négociations qui se sont déroulées cette année avec
les bons offices du département d’Etat et dans le cadre de la formule de division territoriale, le
Gouvernement chilien n’a[vait] pas rejeté la possibilité d’accorder une bande de territoire et un
port à la nation bolivienne»266. Le Chili maintenait sa position suivant laquelle, si le plébiscite
prévu par le traité d’Ancón conduisait à l’établissement définitif de sa souveraineté sur Tacna et
Arica, il «honorerait ses déclarations concernant l’examen des aspirations de la Bolivie»267. Le
Chili n’exprimait de la sorte aucune intention de générer une quelconque obligation juridique,
que ces termes soient considérés isolément ou lus conjointement avec la note de la Bolivie en
date du 7 décembre 1926268. En outre, l’expression de l’intention du Chili d’honorer ses
déclarations était subordonnée à un plébiscite en sa faveur ; or, aucun plébiscite n’a jamais eu
lieu.
b) Le Chili a indiqué clairement qu’il n’avait à aucun moment renoncé à sa «solide position
juridique», et a exprimé le souhait de «préciser une nouvelle fois que le fait qu’il examine
pareilles propositions ne saurait signifier qu’il renonce aux droits en cause»269. Dans sa
réplique, la Bolivie explique que ces termes sont compatibles avec une obligation de négocier.
La question n’est cependant pas là ; il s’agit de savoir si le Chili a créé ou confirmé une
obligation de négocier. Or, il ne l’a pas fait : le mémorandum Matte n’était pas adressé à la
Bolivie et la réserve de droits du Chili qu’il comportait était incompatible avec une quelconque
intention de créer une obligation juridique.
2. Note de la Bolivie du 7 décembre 1926
4.30. La Bolivie n’en prétend pas moins, dans sa réplique, avoir accepté l’«offre chilienne»
par une note datée du 7 décembre 1926270. Le mémorandum Matte n’était cependant pas une offre
adressée à la Bolivie par le Chili. Consciente de cette difficulté, la Bolivie affirme que le
mémorandum lui a été communiqué par la voie diplomatique. Tel est bien le cas271, sans que cela
suffise néanmoins à établir d’une manière ou d’une autre une quelconque intention du Chili de se
lier envers la Bolivie.
265 REB, par. 224, 225 et 227.
266 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères, CMC, annexe 129, p. 435-436 (les italiques sont de
nous).
267 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères, CMC, annexe 129, p. 436 (les italiques sont de
nous).
268 Note en date 7 décembre 1926 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Chili en
Bolivie par le ministre des affaires étrangères bolivien, CMC, annexe 130.
269 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères, CMC, annexe 129, p. 436.
270 REB, par. 227 ; et note en date 7 décembre 1926 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
du Chili en Bolivie par le ministre des affaires étrangères bolivien, CMC, annexe 130.
271 Lettre en date du 5 décembre1926 adressée au ministre des affaires étrangères bolivien par la légation du Chili
en Bolivie, DC, annexe 386.
69
- 49 -
4.31. Les termes de la note bolivienne du 7 décembre 1926 ne suggèrent nullement
l’existence d’une quelconque obligation juridique, mais font, au contraire, allusion à l’«attitude
conciliante» et aux «dispositions amicales» du Chili ; la Bolivie concluait en outre en «rappel[ant]
qu’[elle] encourage[ait] les pays voisins et amis à soumettre toutes propositions qu’ils
souhaiteraient formuler»272. La Bolivie ne suggérait nulle part «que des négociations étaient
requises»273 et n’affirmait pas non plus que le Chili avait contracté une quelconque obligation
juridique, mais évoquait la «politique» de la Bolivie et ses «aspirations»274.
4.32. En fin de compte, la proposition Kellogg n’a été acceptée ni par le Chili ni par le
Pérou275. La Bolivie l’a reconnu à l’époque, et elle n’a pas prétendu que le Chili avait une
obligation de négocier un accès souverain276. Le Chili n’a pas obtenu la souveraineté sur la
province de Tacna et ne s’est pas engagé juridiquement à négocier avec la Bolivie au sujet de
l’octroi à celle-ci d’un accès souverain au Pacifique où que ce soit dans la province d’Arica.
3. La Bolivie prétend à tort n’avoir «pas cessé de réitérer sa revendication»
4.33. Une période de silence prolongée a fait suite au mémorandum Matte de 1926, en partie
parce qu’en 1929, la province de Tacna a été rendue au Pérou, et en partie en raison du conflit armé
qui a opposé la Bolivie au Paraguay dans les années 1930. La Bolivie n’en affirme pas moins
n’avoir «pas cessé de réitérer sa revendication».
a) La Bolivie invoque le mémorandum de 1936 présenté par elle au ministre des affaires
étrangères péruvien dans lequel elle déclarait qu’elle «cherchait à préparer le terrain pour que le
Pérou consente à des négociations futures entre le Chili et la Bolivie qui donnerait à celle-ci une
voie d’accès à l’océan Pacifique»277. Il s’agissait d’une communication de la Bolivie au Pérou
(et non au Chili) par laquelle la Bolivie communiquait «des bases ou des thèmes … d’un plan
de rapprochement entre la Bolivie et le Pérou»278. Il n’existe aucune raison de suggérer qu’avec
ce mémorandum, la Bolivie a «réitér[é] sa revendication» contre le Chili.
b) La Bolivie invoque également une conférence multilatérale qui a eu lieu en Argentine en 1936
lors de laquelle elle dit avoir appelé «l’attention [des participants] sur [son] enclavement»279.
Au cours de cette conférence, la Bolivie a clairement dit qu’elle «ne demandait rien», et sa
position était alors que «le moment n’était toujours pas venu d’élever la question [d’un port] au
272 Note en date 7 décembre 1926 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Chili en
Bolivie par le ministre des affaires étrangères bolivien, CMC, annexe 130, p. 443 et 445.
273 Voir REB, par. 227.
274 Note en date 7 décembre 1926 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Chili en
Bolivie par le ministre des affaires étrangères bolivien, CMC, annexe 130, p. 441 et 443.
275 Mémorandum en date du 12 janvier 1927 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des
Etats Unis d’Amérique par le Gouvernement péruvien, CMC, annexe 131.
276 Voir circulaire du ministère des affaires étrangères bolivien à l’intention des légations de Bolivie à l’étranger,
21 janvier 1927, DC, annexe 387.
277 REB, par. 355.
278 Note en date du 11 juin 1936 adressée au ministre des affaires étrangères bolivien par le ministre
plénipotentiaire de la Bolivie au Pérou, REB, annexe 249, p. 125.
279 REB, par. 355.
70
71
- 50 -
niveau diplomatique»280. La Bolivie n’a pas laissé entendre que le Chili avait quelque obligation
juridique de négocier.
4.34. Ces deux événements isolés sont en fait incompatibles avec l’existence d’une
quelconque obligation de négocier un accès souverain à la mer, que celle-ci ait résulté du
procès-verbal de 1920, du mémorandum Matte ou de toute autre source.
Conclusion
4.35. Le fait que la Bolivie ait continué à s’appuyer sur le procès-verbal de 1920 (alors
même que celui-ci indiquait qu’il ne créait aucune obligation juridique) révèle la fragilité de son
argumentation. Les événements qui ont précédé et suivi le procès-verbal de 1920, auxquels fait
référence la Bolivie, ne changent d’aucune manière la conclusion selon laquelle les deux Etats
n’avaient pas créé d’obligation juridique. Aucune obligation de ce type n’a, non plus, été créée
dans le cadre de la proposition Kellogg, qui n’a pas été formulée par la Bolivie ou à l’intention de
celle-ci et à laquelle le Chili a répondu en indiquant qu’il n’était soumis à aucune obligation
juridique.
4.36. Après l’échec de la proposition Kellogg et le traité de Lima de 1929 entre le Chili et le
Pérou, le silence tomba sur le sujet de l’accès de la Bolivie à la mer et il perdura jusque dans les
années 40. Les documents sur lesquels s’appuie la Bolivie pour soutenir le contraire et affirmer
l’existence d’un «comportement continu» sont présentés par elle comme ayant conduit à l’échange
de notes entre la Bolivie et le Chili en 1950 ; ils sont donc abordés dans ce contexte dans le chapitre
suivant, ainsi que dans l’appendice B.
280 E.J. Holland, A Historical Study of Bolivia´s Foreign Relations 1935-1946 (1967), REB, annexe 295,
p. 230-231.
72
- 51 -
CHAPITRE 5
LES NOTES DIPLOMATIQUES DE 1950
5.1. La Bolivie affirme dans sa réplique qu’au regard du droit international, les notes
diplomatiques des 1er et 20 juin 1950 constituent un traité, et que les dispositions en sont «claires et
sans équivoque»281. La Bolivie affirme que, dans les notes de 1950, «les deux Etats se sont engagés
i) à négocier ; et ii) à le faire sur la base d’un résultat convenu, à savoir l’accès souverain à la
mer»282.
5.2. Les notes de 1950 n’ont ni créé ni confirmé d’obligation juridique. Elles constituaient
des expressions diplomatiques divergentes de ce que chaque Etat considérait comme politiquement
acceptable. Le fait qu’aucune négociation n’ait jamais été conduite en vertu de l’accord qui, selon
la Bolivie, aurait été conclu à ce moment-là, tend à confirmer l’idée que les notes de 1950 n’ont
donné lieu à aucune obligation. En outre, au cours de la décennie qui les a suivies, la Bolivie n’a
prétendu ni qu’il existait une quelconque obligation, ni que l’absence de négociation constituait une
violation d’une obligation. Il ressort clairement de leur nature et de leur contenu (section A), du
comportement des Parties avant la conclusion des notes (section B) et des événements postérieurs
(section C) que les notes de 1950 n’impliquaient pas d’obligation juridique.
A. LES NOTES DIPLOMATIQUES DE 1950 N’ONT NI CRÉÉ UNE QUELCONQUE
OBLIGATION JURIDIQUE NI CONFIRMÉ L’EXISTENCE
D’UNE TELLE OBLIGATION
5.3. Le 1er juin 1950, la Bolivie a présenté une proposition formelle de négociation qui, dans
sa partie pertinente, était rédigée comme suit :
«[c]es nombreux éléments témoignant d’une orientation très claire de la politique
internationale de la République du Chili, j’ai l’honneur de vous proposer que nos deux
gouvernements entament officiellement des négociations directes en vue de satisfaire à
ce besoin vital que représente pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique,
et de résoudre ainsi le problème de l’enclavement de ce pays en tenant compte des
avantages mutuels des deux peuples et de leurs intérêts véritables»283.
5.4. Dans sa note du 20 juin 1950, le Chili n’a pas donné son accord à la proposition
bolivienne. Il n’a pas accepté que les deux gouvernements «entament officiellement des
négociations directes en vue de satisfaire à ce besoin vital que représente pour la Bolivie un accès
souverain à l’océan Pacifique». Au lieu de cela, la note chilienne indiquait (dans sa partie
pertinente) :
«[l]es divers éléments rappelés dans la note à laquelle j’ai l’honneur de répondre
montrent que le Gouvernement du Chili est parfaitement disposé à examiner, dans le
cadre de négociations directes avec la Bolivie et sans préjudice de la situation
juridique créée par le traité de paix de 1904, la possibilité de répondre aux voeux de
votre gouvernement et ce, dans le respect des intérêts du Chili.
281 REB, par. 228.
282 REB, par. 236.
283 Note en date du 1er juin 1950 adressée au ministre des affaires étrangères chilien par l’ambassadeur de Bolivie
au Chili, DC, annexe 398, p. 3 (les italiques sont de nous).
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A cette occasion, j’ai l’honneur de vous informer que mon gouvernement
entend demeurer fidèle à cette position et que, dans un esprit d’amitié fraternelle
envers la Bolivie, il est disposé à entamer officiellement des négociations directes en
vue de trouver la formule qui permettrait à la Bolivie de se voir accorder un accès
souverain à l’océan Pacifique, et au Chili d’obtenir des compensations de nature non
territoriale tenant pleinement compte de ses intérêts.»284
5.5. Trois conclusions découlent des termes très différents employés par le Chili dans sa note
du 20 juin 1950.
5.6. Premièrement, les notes de 1950 ne pouvaient constituer un traité, ainsi que l’allègue la
Bolivie, car aucun accord n’est intervenu. Comme l’a souligné le Chili dans son contre-mémoire, si
l’Etat A fait une proposition X et l’Etat B, une proposition Y, il va de soi qu’aucun accord n’a été
conclu285. Dans sa réplique, la Bolivie n’a pas répondu à cet argument en indiquant avoir accepté, à
un moment quelconque après le 20 juin 1950, la contre-proposition formulée dans la note chilienne.
Au lieu de cela, elle s’efforce d’obscurcir un point très fondamental en s’attachant au fait que des
versions provisoires des notes ont été échangées par les deux Etats avant l’envoi des versions
définitives286. Cet aspect n’est toutefois pas pertinent au regard de l’argument avancé par le Chili.
Ce n’est pas parce qu’un Etat A fait une proposition X et sait par avance que l’Etat B fera une
proposition Y qu’existe subitement la correspondance requise entre X et Y. Soucieux de ce qui leur
paraissait politiquement et publiquement acceptable, les deux Etats ont simplement coordonné,
dans une certaine mesure, la communication de positions différentes. Le fait de désigner du nom de
«travaux préparatoires»287 des discussions politiques précèdant la rédaction d’instruments
diplomatiques ne fait pas un traité international, ou la preuve d’une intention de créer une
obligation juridique, de deux déclarations différentes par lesquelles des Etats se déclarent disposés
à négocier.
5.7. Deuxièmement, les notes de 1950 n’attestaient pas une intention d’être lié. Ainsi
qu’indiqué dans le chapitre 2 ci-dessus, et comme le reconnaît la Bolivie, pour déterminer si un
instrument crée une obligation juridique, «[i]l est ... déterminant d’établir l’intention des parties de
créer des droits et des obligations régis par le droit international, et ce, de manière objective»288.
Leur intention objective d’agir de la sorte doit être appréciée au regard des dispositions de
l’instrument et des circonstances dans lesquelles il est rédigé289. De ce fait, les termes utilisés,
interprétés dans leur contexte, sont cruciaux pour déterminer si un instrument donné crée ou
confirme une obligation juridique.
5.8. Chose étonnante, la Bolivie attache peu d’importance au libellé des deux notes : elle ne
fait pas une analyse exhaustive de sa propre note et ne répond pas sérieusement à l’analyse des
termes de la note chilienne contenue dans le contre-mémoire du Chili. Pour la Bolivie, une
déclaration indiquant que le Chili «est disposé à entamer officiellement des négociations directes»
284 Note en date du 20 juin 1950 adressée à l’ambassadeur de Bolivie au Chili au ministre des affaires étrangères
chilien, DC, annexe 399, p. 2 (les italiques sont de nous).
285 CMC, par.

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