14730
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À CERTAINES ACTIVITÉS MENÉES PAR LE NICARAGUA
DANS LA RÉGION FRONTALIÈRE
(COSTA RICA c. NICARAGUA)
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
SUR LA QUESTION DE L’INDEMNISATION
29 AOÛT 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE 2. LA MÉTHODE DE CALCUL DE L’INDEMNISATION ........................................................... 3
I. La méthode d’évaluation du Nicaragua ..................................................................................... 3
II. La méthode d’évaluation du Costa Rica ................................................................................... 4
A. La méthode du transfert de bénéfices utilisée par le Costa Rica ......................................... 5
i) La méthode du transfert de bénéfices n’a pas supplanté celle de la commission
d’indemnisation des Nations Unies au rang de meilleure pratique............................... 6
ii) Les juridictions nationales n’utilisent pas la méthode du transfert de bénéfices .......... 7
iii) Les lettres de sources non costa-riciennes produites dans la réplique .......................... 8
B. Les hypothèses erronées concernant les «services environnementaux» ........................... 10
i) Les effets supposés sur «la formation du sol et la lutte contre l’érosion» .................. 10
ii) Les effets supposés sur l’«atténuation des risques naturels» ...................................... 12
iii) L’évaluation erronée concernant les «services de régulation des gaz et de la
qualité de l’air» ........................................................................................................... 14
iv) L’hypothèse erronée consistant à tabler sur une durée de cinquante ans pour
l’ensemble des effets .................................................................................................. 15
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 18
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 19
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 20
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. En application de l’ordonnance de la Cour en date du 18 juillet 2017, qui a fixé les dates
d’expiration des délais pour le dépôt par les Parties d’une réplique et d’une duplique sur la question
de l’indemnisation, le Nicaragua a l’honneur de soumettre la présente duplique en réponse à la
réplique déposée par le Costa Rica le 8 août 2017.
1.2. Conformément à l’instruction de la Cour limitant le second tour d’écritures à un bref
examen de «la seule question de la méthodologie retenue dans les rapports d’experts présentés par
les Parties dans le mémoire et contre-mémoire, respectivement, sur la question de l’indemnisation
due en l’espèce», la présente duplique tient en deux chapitres, suivis des conclusions du Nicaragua.
1.3. Le chapitre 2, qui fait suite à la présente introduction, bat tout d’abord en brèche
l’allégation costa-ricienne selon laquelle la méthode d’évaluation retenue par le Nicaragua, qui est
calquée sur celle du comité de commissaires chargé des réclamations environnementales au sein de
la commission d’indemnisation des Nations Unies, serait dépassée ou aurait d’une autre manière
été supplantée par la méthode prétendument «nouvelle» adoptée par le Costa Rica, dite du
«transfert de bénéfices». Contrairement à ce que soutient ce dernier, le Nicaragua démontre dans la
présente duplique que la commission d’indemnisation des Nations Unies avait connaissance de la
méthode dont le Costa Rica privilégie aujourd’hui l’emploi, mais qu’elle a choisi de l’écarter en
raison de sa propension à générer des résultats erronés.
1.4. La méthode utilisée par le Costa Rica n’a pas gagné en fiabilité depuis que la
commission d’indemnisation des Nations Unies a refusé de l’employer. Comme le faisait encore
observer la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique dans un rapport
qu’elle a adopté en 2014 dans ce domaine, la méthode du Costa Rica peut se révéler «d’une
imprécision extrême si elle n’est pas employée avec précaution»1 [traduction du Greffe]. C’est
pourquoi la méthode de la commission d’indemnisation des Nations Unies, que le Nicaragua a
retenue, continue d’être considérée comme le reflet des meilleures pratiques internationales pour
l’évaluation d’effets environnementaux.
1.5. Le reste du chapitre 2 démontre que rien dans la réplique ne vient réfuter la
démonstration du Nicaragua mettant en lumière les nombreux vices méthodologiques entachant la
démarche du Costa Rica. Ces vices concernent notamment : les prétentions du Costa Rica au titre
de la perte des services de «formation du sol et de lutte contre l’érosion» et «d’atténuation des
risques naturels», alors que ceux-ci n’ont pas été touchés par les travaux du Nicaragua ; le refus du
Costa Rica de reconnaître que l’environnement de la zone litigieuse s’est naturellement régénéré
depuis l’achèvement desdits travaux ; son évaluation inexacte des effets sur la capacité de la zone
litigieuse de réguler les gaz à effet de serre et la qualité de l’air ; et ses prétentions au titre d’effets
dont il soutient à tort qu’ils perdureront cinquante ans.
1 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, décision VIII/25 : «mesures d’incitation :
application des outils d’évaluation de la diversité biologique et des ressources et fonctions de la diversité biologique»,
doc. UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/25, 15 juin 2006, annexe (citée dans conférence des parties à la convention sur la
diversité biologique, décision XII/14 : «responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 14 de la
convention», doc. UNEP/CBD/COP/DEC/XII/14, 17 octobre 2014, par. 2 f)).
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1.6. Les vices qui entachent la méthode d’évaluation retenue par le Costa Rica, telle que
décrite dans sa réplique, sont exposés plus avant dans deux rapports d’experts présentés ci-après en
réponse à cette pièce, à savoir :
un rapport d’experts rédigé conjointement par Mme Cymie Payne et M. Robert Unsworth, qui
ont respectivement exercé les fonctions de conseiller juridique et conseiller technique auprès
du comité de commissaires chargé des réclamations environnementales au sein de la
commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport qui répond aux questions
méthodologiques soulevées dans le rapport de la Fundación Neotrópica présenté par le
Costa Rica2 ;
un rapport d’expert rédigé par M. G. Mathias Kondolf de l’Université de Californie (Berkeley),
qui répond au rapport de M. Colin Thorne présenté par le Costa Rica3.
1.7. La duplique s’achève sur les conclusions du Nicaragua, à savoir que l’indemnisation due
au Costa Rica à raison des dommages matériels causés par les actes illicites du Nicaragua, tels que
constatés par la Cour, ne saurait excéder 188 504 dollars.
2 Cymie R. Payne et Robert E. Unsworth, rapport sur la méthode retenue pour le calcul de l’indemnisation due à
raison des dommages causés à l’environnement (second rapport), 25 août 2017 (ci-après le «second rapport Payne et
Unsworth»). Duplique du Nicaragua sur la question de l’indemnisation (ci-après «DNI»), annexe 1.
3 Réponse de M. G. Mathias Kondolf à l’analyse de son rapport antérieur (CMNI, annexe 2) faite par
M. Colin R. Thorne, 24 août 2017 (ci-après le «second rapport Kondolf»). DNI, annexe 2.
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CHAPITRE 2
LA MÉTHODE DE CALCUL DE L’INDEMNISATION
I. LA MÉTHODE D’ÉVALUATION DU NICARAGUA
2.1. Ainsi que l’a reconnu la Cour dans son ordonnance du 18 juillet 2017, les Parties,
s’appuyant sur leurs rapports d’experts respectifs, ont proposé des méthodes différentes pour
évaluer l’indemnisation due au Costa Rica au titre des travaux menés par le Nicaragua dans la zone
litigieuse.
2.2. Pour le Nicaragua, la méthode à retenir est celle qui est habituellement utilisée par les
cours et tribunaux –– y compris par le comité de commissaires chargé des réclamations
environnementales au sein de la commission d’indemnisation des Nations Unies –– pour
déterminer le montant approprié d’une indemnisation due à raison de dommages causés à
l’environnement. Cette méthode comporte deux volets.
2.3. Premièrement, le Costa Rica a droit à une indemnisation au titre des «coûts de
restauration». Il s’agit des coûts qu’il a raisonnablement engagés pour remédier aux conséquences
des travaux du Nicaragua. La seule mesure de remise en état que le Costa Rica a exécutée a
consisté à construire une digue pour fermer le caño oriental de 2013, comme l’avait recommandé le
Secrétariat de la convention de Ramsar. Aucune autre mesure de cet ordre n’a été suggérée par le
Secrétariat, ni envisagée par le Costa Rica. Partant, les frais de remise en état que le Costa Rica a
engagés se limitent aux sommes raisonnablement dépensées dans le cadre du projet de construction
de la digue, qui n’excèdent pas 153 517 dollars4.
2.4. Deuxièmement, le Costa Rica a droit à une indemnisation au titre des «coûts de
remplacement». Il s’agit des coûts liés au remplacement des services environnementaux qui soit ont
été perdus soit risquent de l’être jusqu’à la reconstitution de l’environnement de la zone touchée.
Suivant la pratique habituelle en matière d’évaluation, le montant doit en être calculé en se référant
au prix qui devrait être payé pour financer la conservation d’une zone équivalente jusqu’à ce que
les services fournis par la zone touchée soient de nouveau assurés. En l’espèce, ce montant est aisé
à calculer puisque, dans le cadre d’un programme de conservation de l’habitat, le Gouvernement
costa-ricien offre aux propriétaires fonciers et aux communautés un dédommagement annuel de
309 dollars par hectare5. Si l’on applique ce montant sur une période de trente ans (plus longue que
celle nécessaire pour la reconstitution de l’environnement dans la zone touchée) aux 6,19 hectares
qui, selon le Costa Rica, ont été endommagés par les travaux du Nicaragua, on obtient un montant
qui n’excède pas 34 987 dollars6.
2.5. Cette méthode à deux volets reflète les meilleures pratiques internationales, ce dont
témoigne le fait que le comité de commissaires chargé des réclamations environnementales au sein
4 Voir le contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation (ci-après «CMNI»), par. 4.36-4.38,
4.45 ; voir également Cymie R. Payne et Robert E. Unsworth, rapport d’évaluation des dommages causés à
l’environnement, 26 mai 2017 (ci-après le «rapport Payne et Unsworth de mai 2017»), p. 33, CMNI, annexe 1, p. 136.
5 Les chiffres ci-dessus sont exprimés en dollars courants (2017).
6 Voir CMNI, par. 4.41-4.44 ; voir également le rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 34, CMNI, annexe 1,
p. 137. Le calcul effectué est empreint de prudence puisqu’il est fondé sur le remplacement de tous les services
écologiques fournis par la zone touchée sur l’intégralité de la période de trente ans, alors que l’environnement de cette
zone s’est déjà largement régénéré. Voir le second rapport Payne et Unsworth, p. 6, 27, note 106. DNI, annexe 1.
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de la commission d’indemnisation des Nations Unies y ait eu recours pour calculer le montant de
l’indemnisation due par l’Irak à l’Arabie saoudite au titre des dommages qu’il avait causés à
l’environnement côtier de celle-ci. La commission d’indemnisation a, en particulier, alloué à
l’Arabie saoudite des indemnités à la fois pour ses coûts de restauration et pour ses coûts de
remplacement. Les coûts de restauration ont été «évalués sur la base du coût d’un programme de
remise en état adapté aux sites touchés», dont le but était de faire en sorte que l’environnement
côtier retrouve son état d’origine7. Compte tenu de la durée escomptée des travaux de restauration
de l’environnement (entre vingt-cinq et quarante ans), la commission d’indemnisation a également
alloué à l’Arabie saoudite une indemnisation pour ses coûts de remplacement au titre des services
écologiques perdus durant cette période8. Ces coûts ont été «évalués sur la base du coût des
réserves littorales susceptibles de procurer des services écologiques supplémentaires pour
remplacer les services perdus»9.
2.6. Cette méthode à deux volets non seulement est calquée sur celle retenue par la
commission d’indemnisation des Nations Unies, mais est fréquemment employée par les
juridictions nationales. Ainsi, comme il est exposé dans le rapport Payne et Unsworth, les
Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne l’ont intégrée à leurs régimes d’indemnisation en
matière environnementale10.
2.7. Dans sa réplique, le Costa Rica ne conteste pas que la méthode retenue par le Nicaragua
soit également celle adoptée par la commission d’indemnisation des Nations Unies, ni qu’elle soit
fréquemment utilisée par les juridictions nationales. Il admet en outre que cette méthode traduisait
les dernières avancées en matière d’évaluation lorsque la commission d’indemnisation a statué en
2005, il y a de cela seulement douze ans11.
II. LA MÉTHODE D’ÉVALUATION DU COSTA RICA
2.8. Bien qu’il soit communément admis que la méthode d’évaluation retenue par le
Nicaragua reflète les meilleures pratiques à suivre pour chiffrer l’indemnisation due à raison de
dommages causés à l’environnement, le Costa Rica propose à la Cour d’en utiliser une autre. Non
content de demander le remboursement des dépenses engagées pour construire la digue (ainsi que
des indemnités supplémentaires au titre de certaines autres «mesures de restauration»)12, le
Costa Rica réclame près de 3 millions de dollars (2 823 111,74 dollars) pour ce qu’il prétend être le
7 Rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 33, CMNI, annexe 1, p. 136 ; voir également ibid., p. 8, CMNI,
annexe 1, p. 111.
8 Ibid., p. 8-9, CMNI, annexe 1, p. 136-137.
9 Ibid., p. 33, CMNI, annexe 1, p. 136 ; voir également le second rapport Payne et Unsworth, p. 16. DNI,
annexe 1.
10 Second rapport Payne et Unsworth, p. 1, 13. DNI, annexe 1.
11 Outre le fait que, dans sa réplique, le Costa Rica soutient à tort que la méthode des coûts de remplacement n’est
plus une méthode «moderne» une allégation qui est réfutée ci-dessous , c’est à peine s’il tente de contester l’emploi
en l’espèce des estimations utilisées dans le cadre de son programme de conservation de l’habitat. Voir RCRI, par. 2.14.
Ainsi que l’expliquent Payne et Unsworth dans leur rapport, aucune des distinctions que le Costa Rica cherche à établir
par exemple, le fait que le programme ait été créé pour favoriser la conservation et que les sommes soient versées à
des propriétaires privés n’enlève quoi que ce soit à l’opportunité d’utiliser ces estimations pour chiffrer les coûts de
remplacement en l’espèce. Second rapport Payne et Unsworth, p. 32-33. DNI, annexe 1.
12 Voir Fundación Neotrópica, «Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement résultant de la
construction de caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire
costa-ricien d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015»,
3 juin 2016 (ci-après le «rapport Neotrópica de juin 2016»), p. 61. Mémoire du Costa Rica sur la question de
l’indemnisation (ci-après «MCRI»), vol. I, annexe 1.
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«coût social» des travaux du Nicaragua, qui correspond à la valeur estimée des «biens et services
écosystémiques» perdus13. Ce montant proprement exorbitant résulte de graves erreurs
méthodologiques, dont les principales sont mises en lumière ci-après.
A. La méthode du transfert de bénéfices utilisée par le Costa Rica
2.9. Le Costa Rica reconnaît que le comité de commissaires chargé des réclamations
environnementales au sein de la commission d’indemnisation des Nations Unies s’est servi de la
méthode d’évaluation que le Nicaragua préconise en l’espèce. Il reconnaît également que celle-ci
reflétait les meilleures pratiques en la matière lorsque la commission d’indemnisation a rendu ses
sentences en 2005. La principale divergence entre les Parties réside dans le point de savoir si,
depuis 2005, la méthode utilisée par la commission pour chiffrer l’indemnisation due à raison de
dommages environnementaux a été supplantée au rang de meilleure pratique par la méthode fondée
sur le «transfert de bénéfices» proposée par le Costa Rica, qui consiste à évaluer les services
environnementaux assurés par la zone litigieuse en se référant aux valeurs attribuées à de tels
services dans d’autres lieux et d’autres contextes. Le Costa Rica a beau tenter de faire croire le
contraire, tel n’est pas le cas.
2.10. C’est de manière totalement infondée que le Costa Rica affirme que «ces dernières
années ont vu apparaître de nouvelles méthodes» –– notamment celle qu’il prie la Cour
d’utiliser qui «tendent à reconnaître toute l’ampleur, et parfois la persistance, des dommages
causés à l’environnement»14. Pour tenter d’étayer ses dires, il ajoute :
«le Nicaragua s’appuie essentiellement sur la pratique de la commission
d’indemnisation des Nations Unies, ce qui pose problème car celle-ci a conclu son
examen des réclamations concernées en 2005, soit l’année même de la publication de
l’instrument fondamental qui a généralisé l’emploi de la méthode et de la terminologie
des «services écosystémiques» –– à savoir l’Evaluation des écosystèmes pour le
millénaire, instrument qui, en 2006, a reçu un accueil favorable de la conférence des
parties à la convention sur la diversité biologique»15.
2.11. La publication de l’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire n’a toutefois pas
entraîné un tel changement de cap dans la manière de calculer les indemnisations. Cet instrument a
simplement mis en lumière l’importance et la valeur des services pouvant être assurés par
l’environnement naturel16. Il n’y avait rien de nouveau à cela. De fait, le comité de commissaires
chargé des réclamations environnementales au sein de la commission d’indemnisation des
Nations Unies a tenu compte des services assurés par l’environnement et a accordé les indemnités
dues en conséquence, en utilisant précisément la même méthode d’évaluation que celle mise en
avant par le Nicaragua en l’espèce. Selon Payne et Unsworth, «la méthode consistant à intégrer les
services écosystémiques dans l’analyse des dommages environnementaux à fin de réparation était
13 En particulier, le Costa Rica dénombre six services environnementaux au titre desquels il demande une
indemnisation. Ces services concernent : le bois sur pied, d’autres matières premières, la régulation des gaz, l’atténuation
des risques naturels, la formation du sol et la lutte contre l’érosion, et la biodiversité (habitat et renouvellement des
populations). MCRI, par. 3.16.
14 Réplique du Costa Rica sur la question de l’indemnisation (ci-après «RCRI), par. 2.6.
15 Ibid., par. 2.8 (citation omise).
16 Second rapport Payne et Unsworth, p. 11, 12 et 16. DNI, annexe 1.
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utilisée bien avant 2005, et la commission d’indemnisation a examiné plusieurs réclamations qui
s’appuyaient sur cette méthode, faisant droit à certaines d’entre elles»17.
2.12. Si elle a tenu compte de la perte de services environnementaux lorsqu’elle a accordé
des indemnisations, la commission a cependant refusé de suivre, comme l’aurait voulu le plaignant,
la méthode du «transfert de bénéfices» à laquelle a aujourd’hui recours le Costa Rica18. Ainsi
qu’exposé dans le rapport Payne et Unsworth, «la commission d’indemnisation des Nations Unies a
envisagé et écarté l’utilisation de la méthode du transfert de bénéfices proposée par l’Iran», qui
prônait la même démarche que la Fundación Neotrópica en l’espèce19. Payne et Unsworth
expliquent également dans leur rapport que la commission d’indemnisation a écarté cette méthode
à juste titre, car son manque de précision avait été clairement établi20.
i) La méthode du transfert de bénéfices n’a pas supplanté celle de la commission
d’indemnisation des Nations Unies au rang de meilleure pratique
2.13. Aucun des rapports cités par le Costa Rica ne vient étayer son argument selon lequel la
méthode du transfert de bénéfices aurait supplanté celle de la commission d’indemnisation des
Nations Unies au rang de meilleure pratique. Par exemple, le Costa Rica ne trouve aucun appui
dans la décision XII/14 intitulée «Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de
l’article 14 de la Convention» adoptée en 2014 par la conférence des parties à la convention sur la
diversité biologique (ci-après «la conférence des parties»)21. Il note certes à raison que cette
décision fait référence à un rapport de synthèse établi en 2008 par le secrétaire exécutif de la
conférence des parties ; mais loin d’approuver le recours au «transfert de bénéfices», ledit rapport
souligne plutôt le manque de fiabilité de cette méthode.
2.14. En particulier, le rapport de synthèse relève que le transfert de bénéfices, s’il est
«relativement économique et rapide» pour évaluer les services environnementaux, a néanmoins fait
«l’objet d’une grande controverse dans la littérature économique, parce qu’il a souvent été utilisé
à mauvais escient»22. Qui plus est, cette méthode est jugée utile uniquement aux fins d’élaboration
de politiques, dans les situations où les décideurs peuvent «préférer des chiffres rapides et
économiques au détriment de la précision, à condition que des normes de qualité minimales soient
respectées»23. Tel peut être le cas par exemple lorsque les décideurs souhaitent obtenir «au moins
une indication sur le caractère éventuellement excessif du coût des mesures de restauration
proposées par rapport aux avantages attendus de ces mesures»24. Mais une telle démarche est
impropre pour une juridiction qui cherche à chiffrer précisément l’indemnisation qu’un Etat est
tenu de verser à un autre du fait de ses actes illicites.
17 Second rapport Payne et Unsworth, p. 12. DNI, annexe 1.
18 Ibid., p. 14.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 RCRI, par. 2.10.
22 «Responsabilité et réparation dans le cadre du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la diversité
biologique, rapport de synthèse sur les informations techniques concernant les dommages causés à la diversité biologique
et les méthodes d’évaluation et de restauration des dommages causés à la diversité biologique[,] ainsi que [sur l]es
informations [concernant] les mesures prises et les expériences au niveau national/intérieur», doc. UNEP/CBD/
COP/9/20/Add.1, 20 mars 2008, par. 136 (les italiques sont de nous).
23 Ibid.
24 Ibid.
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2.15. L’utilité limitée du transfert de bénéfices est confirmée dans un autre rapport publié en
2007 par le secrétariat de la convention sur la diversité biologique, sous le titre An Exploration of
Tools and Methodologies for Valuation of Biodiversity and Biodiversity Resources and Functions.
Après avoir relevé que cette méthode fait l’objet d’une «controverse considérable», le rapport
signale qu’elle peut se révéler appropriée lorsque «les décideurs souhaitent … des réponses rapides
(mais pas nécessairement définitives) de la part des administrateurs»25.
2.16. Un autre rapport encore, également mentionné dans la décision XII/14, confirme que la
méthode du transfert de bénéfices n’est pas fiable pour chiffrer une indemnisation26. Ce rapport-là,
qui porte sur les «outils d’évaluation écologique», met en garde contre cette méthode en signalant
qu’elle peut se révéler «d’une imprécision extrême si elle n’est pas employée avec précaution, de
nombreux facteurs pouvant varier même dans des cas apparemment «similaires»» [traduction du
Greffe]27, ajoutant qu’elle peut être «appliquée lorsque les économies de temps et d’argent sont
privilégiées au risque d’une certaine perte de précision (par exemple, dans le cas des évaluations
rapides)» [traduction du Greffe]28. Rien n’indique que le transfert de bénéfices soit une méthode
d’évaluation appropriée, ou suffisamment précise, qui puisse être utilisée par les juridictions pour
chiffrer l’indemnisation due à raison de dommages écologiques spécifiques.
2.17. En réalité, aucun des rapports de la conférence des parties mentionnés précédemment
ne laisse entendre que la méthode du transfert de bénéfices soit indiquée pour évaluer des
dommages environnementaux.
ii) Les juridictions nationales n’utilisent pas la méthode du transfert de bénéfices
2.18. Dans sa réplique, le Costa Rica ne conteste pas que les juridictions nationales évitent
d’avoir recours à la méthode du transfert de bénéfices. Ainsi que le Nicaragua l’a déjà relevé dans
son contre-mémoire, dans la version 2016 du Federal Resources Management and Ecosystem
Services Guidebook, document élaboré avec l’appui de l’organisme américain chargé de la
protection de l’environnement et en coordination avec de nombreuses parties prenantes aussi bien
publiques que non gouvernementales, il est souligné qu’avec la méthode appliquée par le
Costa Rica, il faut s’attendre à «des erreurs importantes ou à des estimations inexactes» dues «à
l’agrégation incorrecte de valeurs marginales, à la non-prise en compte des relations spatiales des
écosystèmes avec leurs bénéficiaires humains et de leur évolution dans le temps, ainsi qu’à d’autres
erreurs de généralisation»29. Cela n’est pas démenti dans la réplique.
2.19. A défaut de pouvoir donner des exemples d’affaires où la méthode du transfert de
bénéfices qu’il préconise aurait été utilisée par les juridictions d’autres pays pour évaluer des
25 Secrétariat de la convention sur la diversité biologique, An Exploration of Tools and Methodologies for
Valuation of Biodiversity and Biodiversity Resources and Functions, CBD Technical Series no 28, 2007, p. 20-21.
26 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, décision XII/14 intitulée «Responsabilité et
réparation dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention», doc. UNEP/CBD/COP/DEC/XII/14,
17 octobre 2014, par. 2 f) (citant la décision VIII/25 intitulée «Mesures d’incitation : application des outils d’évaluation
de la diversité biologique et des ressources et fonctions de la diversité biologique», doc. UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/25,
15 juin 2006, annexe).
27 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, décision VIII/25, annexe, p. 8 (les italiques
sont de nous).
28 Ibid.
29 Voir CMNI, par. 4.11 ; voir aussi le rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 20, CMNI, annexe 1, p. 123
(citant National Ecosystem Services Partnership (NESP), Federal Resource Management and Ecosystem Services
Guidebook (2e éd., 2016), disponible à l’adresse https ://nespguidebook.com (dernière consultation le 26 mai 2017)).
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dommages écologiques, le Costa Rica invoque sa propre pratique. Cependant, seul un des
documents produits à l’appui de la réplique traite de la méthode du transfert de bénéfices : il s’agit
d’une lettre émanant de chercheurs costa-riciens qui décrivent un «projet de recherche» en cours,
dans le cadre duquel cette méthode est appliquée pour évaluer les services écologiques assurés par
les zones humides du pays30. Mais l’objectif du projet est de «faciliter la mise en oeuvre de diverses
mesures au titre des politiques nationales, telles que la politique sur les zones humides»31. Ce
document ne montre donc aucunement que le transfert de bénéfices soit utile pour chiffrer une
indemnisation, comme voudrait le faire croire le Costa Rica32.
2.20. Pour le reste, l’examen par le Costa Rica de sa propre pratique, dans la réplique,
consiste à exposer que les tribunaux costa-riciens appliquent parfois la méthode dite «IPS», ainsi
appelée d’après le nom de l’organisme costa-ricien qui l’a mise au point, l’Instituto de Políticas
para la Sostenibilidad (Institut des politiques de développement durable). Cependant, rien ne donne
à penser que cette méthode IPS impose, ou permette seulement, de faire appel au transfert de
bénéfices, et aucune des lettres émanant de personnes habituées à l’appliquer ne montre que cette
méthode serait appropriée ici, ou qu’elle serait acceptée par les tribunaux costa-riciens dans des
circonstances comme celles de la présente espèce.
iii) Les lettres de sources non costa-riciennes produites dans la réplique
2.21. Dans son contre-mémoire, le Nicaragua faisait observer que le caractère peu orthodoxe
de la méthode d’évaluation utilisée par le Costa Rica ressortait en particulier du fait que celui-ci se
fondait exclusivement sur un rapport de la Fundación Neotrópica, une organisation costa-ricienne
non gouvernementale qui peut difficilement être considérée comme une source impartiale. Dans le
mémoire, les sources non costa-riciennes brillaient par leur absence33. La réponse du Costa Rica à
cette lacune a consisté à produire dans sa réplique les lettres de deux sources non costa-riciennes.
Cependant, l’une et l’autre confirment en réalité que l’adhésion à la méthode du transfert de
bénéfices pour évaluer le montant d’une indemnisation demeure marginale34.
2.22. La première lettre est de M. Joshua Farley, professeur à l’Université du Vermont, qui
exhorte la Cour à punir le Nicaragua pour ce qu’il dit être un «acte criminel»35. En particulier,
M. Farley considère que si, «[d]ans les affaires de droit civil, il s’agit généralement d’apporter
réparation à l’individu lésé …[, d]ans les affaires de droit pénal, en revanche, il s’agit souvent de
pénaliser l’auteur de l’infraction afin de dissuader ceux qui seraient tentés à l’avenir de l’imiter»36.
Et d’ajouter : «De mon point de vue, la destruction environnementale en question était un acte
criminel et il serait plus efficace de pécher par une indemnisation excessive que par une
30 Rapport de la Fundación Neotrópica sur la question de la méthode retenue pour l’évaluation des dommages
causés à l’environnement, 3 août 2017 (ci-après le «second rapport Neotrópica»), appendice 3 : note de Mme Moreno et
M. Olman Segura en date du 20 juillet 2017, p. 54. RCRI, annexe 1, p. 84.
31 Ibid., p. 55.
32 De plus, les auteurs de cette lettre conviennent qu’«[i]l est généralement recouru [à cette méthode] en cas
d’impossibilité de procéder à une étude détaillée par manque de ressources budgétaires et/ou de temps, lorsque le but de
l’exercice est de mesurer les [bénéfices]». Ibid.
33 Voir CMNI, par. 4.3.
34 De fait, dans son rapport annexé à la réplique, la Fundación Neotrópica dit clairement que sa conception peu
judicieuse de l’évaluation doit être considérée à la lumière de ce qu’elle présente elle-même comme son «esprit novateur»
et son «attache[ment] … à exploiter de nouvelles disciplines, réflexions et recherches scientifiques». Second rapport
Neotrópica, p. 7. RCRI, annexe 1, p. 37.
35 Second rapport Neotrópica, appendice 11 : note de M. Joshua Farley en date du 1er août 2017, p. 107 (les
italiques sont de nous). RCRI, annexe 1, p. 137.
36 Ibid.
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indemnisation insuffisante.»37 M. Farley n’est pas d’un grand secours au Costa Rica. Au contraire,
il met en évidence la faiblesse de sa thèse. Le Nicaragua n’a été jugé coupable d’aucun acte
criminel. Le rôle de la Cour n’est pas non plus de lui infliger une punition. Rien ne vient donc
justifier l’indemnisation réclamée par le Costa Rica, que M. Farley qualifie lui-même
d’«excessive».
2.23. L’autre lettre produite par le Costa Rica émane d’une organisation appelée «Earth
Economics»38. Toutefois, le principal auteur du rapport Neotrópica siégeant au comité consultatif
de cette organisation39, cette lettre ne constitue pas une analyse indépendante des travaux de la
Fundación Neotrópica. En outre, sa teneur trahit la même partialité que celle dont la lettre de
M. Farley est empreinte : le Nicaragua est là encore désigné comme un criminel devant être puni,
comme s’il était coupable «d’une intrusion et d’un vol [dans un] domicile». En tout état de cause,
Earth Economics semble avoir une conception de l’évaluation vraiment peu orthodoxe, allant
jusqu’à soutenir que le Costa Rica a droit à une indemnisation bien supérieure aux près de
3 millions qu’il réclame pour dommages à l’environnement, et même supérieure à celle
recommandée par la Fundación Neotrópica :
«Nombre de Costa-riciens ont été lésés par cette invasion et cette destruction
illicites d’un trésor national, tout comme le serait une famille victime d’une intrusion
et d’un vol à son domicile. Ce coût-là n’a pas été pris en considération et la Cour
devrait comptabiliser ce dommage important. Sur la base de mon expérience en
matière de dommages environnementaux, j’estime que ce coût est à lui seul aussi
élevé, si ce n’est plus, que celui des dommages commerciaux et écosystémiques
évalués par Neotrópica.»40
2.24. Le reste des lettres jointes à la réplique ne sert pas davantage la cause du Costa Rica.
L’une, d’une seule page, émane de M. Robert Costanza41, qui se borne à répondre à une
observation formulée par le Nicaragua dans son contre-mémoire, à savoir qu’une étude dont il était
le coauteur n’incluait pas l’évaluation des dommages au nombre des utilisations de la méthode des
services environnementaux42. M. Costanza reconnaît que son étude ne mentionnait pas l’évaluation
des dommages parmi les sept différentes utilisations citées, estimant qu’elle ne fait pas partie de ses
applications les plus évidentes43. Il déclare simplement dans sa lettre que la liste «n’exclut pas
expressément l’évaluation des dommages comme l’une des applications»44. M. Costanza se garde
manifestement d’approuver un quelconque aspect de l’évaluation proposée par le Costa Rica, ou de
laisser autrement entendre que le Nicaragua se fourvoie d’une façon ou d’une autre dans sa
démarche.
37 Ibid.
38 Second rapport Neotrópica, appendice 6 : note de M. David Batker (Earth Economics) en date du
28 juillet 2017, p. 69. RCRI, annexe 1, p. 99.
39 Voir Earth Economics, liste des membres du groupe consultatif (désignant M. Bernardo Aguilar-González
comme un conseiller sur les outils d’évaluation des écosystèmes), disponible à l’adresse suivante :
www.eartheconomics.org/advisory-group (dernière consultation le 22 août 2017).
40 Second rapport Neotrópica, appendice 6 : note de M. David Batker (Earth Economics) en date du
28 juillet 2017, p. 71. RCRI, annexe 1, p. 101.
41 Second rapport Neotrópica, appendice 1 : note de M. Robert Costanza en date du 26 juillet 2017, p. 49. RCRI,
annexe 1, p. 79.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 M. Costanza ajoute qu’elle «peut être considérée comme un mode d’«analyse des politiques», c’est-à-dire une
application incluse dans la liste». Ibid.
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2.25. La lettre d’une page et demie de M. Rudolf de Groot (de l’Université de Wageningen)
qui semble n’avoir pas examiné les rapports d’experts concernés n’aide pas non plus le
Costa Rica45. M. Rudolf de Groot ne fait référence qu’à la lettre du vice-ministre costa-ricien des
affaires étrangères et n’indique pas avoir lu, ni même reçu, les rapports de la Fundación Neotrópica
ou de Payne et Unsworth46. Les termes qu’il cite à l’appui de sa conception de la position exposée
dans le rapport Payne et Unsworth n’y figurent pas, ce qui semble indiquer qu’il reprend en fait
non pas les termes du rapport lui-même mais ceux que le vice-ministre costa-ricien des affaires
étrangères a utilisés pour le décrire47. Quoi qu’il en soit, M. de Groot confirme les limites de la
méthode utilisée par le Costa Rica, dont il estime qu’elle est «intimement lié[e] à une période et à
un contexte donnés et, par conséquent, comporte une grande marge d’incertitude»48, d’où la
nécessité de l’«utiliser avec prudence», met-il en garde49.
B. Les hypothèses erronées concernant les «services environnementaux»
2.26. Dans son contre-mémoire, le Nicaragua a montré que le Costa Rica demandait à être
indemnisé au titre des effets supposés des travaux nicaraguayens sur «la formation du sol et la lutte
contre l’érosion» ainsi que sur «l’atténuation des risques naturels», et ce, en dépit de l’absence du
moindre élément prouvant que l’un ou l’autre de ces services en ait réellement pâti50. Dans sa
réplique, le Costa Rica tente tardivement de remédier à cette absence de preuves en présentant un
rapport de M. Colin Thorne. Toutefois, ce dernier n’examine pas la question de la méthode
d’évaluation, contrairement aux prescriptions de l’ordonnance du 18 juillet 2017. En fait,
M. Thorne avait précédemment déclaré devant la Cour qu’il n’était pas compétent pour donner un
avis d’expert sur ce point lorsque, en réponse à la question d’un juge, il avait admis qu’il n’était
«pas spécialiste du domaine de l’évaluation des biens et services écologiques»51. Il n’est donc pas
étonnant que son rapport n’étaye en rien la demande du Costa Rica visant à obtenir près de
1,2 million de dollars d’indemnisation au titre d’effets supposés sur «la formation du sol et la lutte
contre l’érosion» ainsi que sur «l’atténuation des risques naturels»52.
i) Les effets supposés sur «la formation du sol et la lutte contre l’érosion»
2.27. «La formation du sol» et «la lutte contre l’érosion» sont clairement définies dans les
ouvrages scientifiques. Comme M. Kondolf l’explique, la formation du sol désigne «le processus
par lequel le sol se forme au fil du temps» et la lutte contre l’érosion, les «conditions ou pratiques
qui empêchent l’érosion ou la freinent»53.
45 Second rapport Neotrópica, appendice 2 : note de M. Rudolf de Groot en date du 28 juillet 2017, p. 50. RCRI,
annexe 1, p. 80.
46 Autre indication de sa méconnaissance des faits de l’espèce, il fait référence aux «zones humides côtières»
parmi les écosystèmes dont il est seulement en mesure de «suppose[r] [qu’ils] sont en jeu dans le présent différend».
Ibid. (les italiques sont de nous).
47 Par exemple, dans sa lettre, M. de Groot prétend répondre à une déclaration selon laquelle «l’approche SE
[axée sur les services écosystémiques] n’est pas suffisamment solide pour calculer les coûts de la perte de l’écosystème».
Ibid. Les termes cités ne figurent ni dans le rapport Payne et Unsworth, ni dans aucun autre des documents fournis par le
Nicaragua.
48 Ibid., p. 51 (les italiques sont de nous).
49 Ibid. (les italiques sont de nous).
50 Voir CMNI, par. 4.17-4.22.
51 Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 40 (Thorne).
52 Voir le rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 32 (tableau 1). CMNI, annexe 1, p. 135.
53 Second rapport Kondolf, p. 1. DNI, annexe 2.
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2.28. Ni le Costa Rica dans sa réplique, ni M. Thorne dans son rapport ne contestent les faits
qui comptent le plus pour déterminer si ces services ont été affectés, à savoir que, comme on peut
s’y attendre dans une zone tropicale où se déposent continuellement d’énormes quantités de
sédiments fertiles en provenance de l’amont du fleuve, les caños se sont rapidement comblés et
sont à présent recouverts par la végétation54. Dès lors, il n’y a tout simplement aucun problème lié à
la formation du sol ou à la lutte contre l’érosion55.
2.29. Contrairement à ce que M. Thorne cherche à faire croire, aucun élément de preuve ne
permet de conclure que les matériaux venus combler les caños diffèrent sensiblement, à quelque
égard que ce soit, de ceux déplacés par le Nicaragua à l’occasion de ses travaux. M. Kondolf
explique que le sol sur lequel les caños sont situés «s’est également formé sous l’action d’un
processus de dépôts d’alluvions» et qu’il n’y a «aucune raison de penser que les matériaux qui se
sont récemment déposés dans les caños soient très différents de ceux déposés par le passé»56.
2.30. Le Costa Rica n’a présenté aucune donnée ni aucun autre élément de preuve en
provenance de la zone litigieuse qui démontre l’existence de différences significatives. Cette
omission frappe d’autant plus qu’il bénéficie d’un accès exclusif à la zone litigieuse et dispose
d’une station de surveillance à proximité57. Il lui aurait donc été aisé de prélever des échantillons
des matériaux déposés dans les caños et d’en comparer la composition avec celle des matériaux
présents dans les zones voisines. M. Thorne lui-même affirme qu’il faut «recueillir des données
techniques (par exemple des mesures précisant les propriétés des sédiments remplissant les
caños)», puis analyser ces données «pour se forger une opinion sur le niveau de régénération des
zones excavées et dégagées par le Nicaragua»58. Le Costa Rica n’a cependant présenté aucune
information de ce type à la Cour.
2.31. Le Costa Rica n’a pas non plus présenté d’éléments démontrant que l’érosion se soit
accentuée, et encore moins qu’elle se soit accentuée du fait des travaux du Nicaragua. Aucune
image satellite ni photographie aérienne n’atteste l’existence de changements dans la zone
litigieuse depuis que les travaux ont été achevés. Il s’agit encore là d’une omission frappante de la
part du Costa Rica, vu que celui-ci survole la zone à intervalles réguliers et se procure des images
satellite59.
2.32. A défaut de pouvoir faire état d’éléments démontrant l’existence de répercussions sur
«la formation du sol et la lutte contre l’érosion», telles que ces expressions s’entendent
habituellement, M. Thorne concentre son examen sur «la biologie du sol, en particulier la
microbiologie»60. Celle-ci relève toutefois de services concernant entre autres le «cycle nutritif», la
«lutte contre les parasites et les maladies» et la «régulation [des] déchets»61, que la Fundación
54 Ibid., p. 1.
55 Ibid., p. 1-2.
56 Ibid., p. 2-3.
57 Voir MCRI, par. 3.29 f)-k) (où sont décrites la construction et l’exploitation, à proximité de la zone litigieuse,
d’une station de surveillance au titre de laquelle le Costa Rica demande à être indemnisé).
58 Analyse du rapport de M. G. M. Kondolf, par M. Colin R. Thorne, 28 juillet 2017 (ci-après le «rapport Thorne
de juillet 2017»), p. 3. RCRI, annexe 2, p. 167.
59 Voir MCRI, par. 3.24 a)-d), 3. 29 a) et l)-m) (décrivant les survols de la zone litigieuse par le Costa Rica et
l’acquisition d’images satellite, au titre desquels il demande à être indemnisé).
60 Rapport Thorne de juillet 2017, p. 9-12. RCRI, annexe 2, p. 173-176.
61 Voir le second rapport Kondolf, p. 2. DNI, annexe 2.
21
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23
- 12 -
Neotrópica a dissociés de la «formation du sol et [de] la lutte contre l’érosion» dans son rapport
annexé au mémoire62. La Fundación Neotrópica les a même exclus de son évaluation précisément
parce qu’elle manquait d’éléments d’appréciation, concluant qu’il était impossible d’«estim[er leur]
valeur»63. M. Thorne ne prétend pas avoir obtenu ou analysé de tels éléments.
2.33. Enfin, il ressort clairement de la réplique que l’évaluation du Costa Rica quant aux
effets supposés des travaux du Nicaragua sur «la formation du sol et la lutte contre l’érosion» est
fondée sur le coût de remplacement du sol enlevé pour dégager les caños64. Toutefois, ni le
Costa Rica ni le Secrétariat de la convention de Ramsar n’a recommandé que les matériaux qui
remplissent actuellement ces caños soient retirés et remplacés par des matériaux différents. Aucun
projet en ce sens n’a assurément été présenté à la Cour. Il n’existe donc absolument aucune raison
justifiant d’indemniser le Costa Rica pour le coût d’une telle opération65.
ii) Les effets supposés sur l’«atténuation des risques naturels»
2.34. Le nouveau rapport de M. Thorne n’étaye pas davantage les prétentions formulées par
le Costa Rica, à hauteur de 184 581 dollars, au titre d’effets supposés sur la capacité de la zone
litigieuse d’atténuer les risques naturels66.
2.35. Le Nicaragua a relevé dans le contre-mémoire que la Fundación Neotrópica n’avait pas
expliqué en quoi la zone litigieuse offrait une quelconque protection contre les risques naturels, ni
en quoi ses travaux avaient pu avoir une incidence sur ce service67. En réponse, le Costa Rica nous
renvoie dans sa réplique au rapport de M. Thorne, lequel affirme sans preuves à l’appui que
la zone litigieuse est devenue plus vulnérable aux inondations côtières, à l’intrusion saline et à
l’érosion côtière68.
2.36. M. Thorne ne présente aucune preuve à l’appui de ce qu’il avance. Il se contente de
mentionner un rapport Ramsar de décembre 201069. Or, ce rapport a été établi avant que le caño ne
soit à nouveau comblé et à une époque où l’on craignait fût-ce de manière infondée qu’il
finisse par capter l’intégralité des eaux du fleuve San Juan70. Hormis sa recommandation ultérieure
concernant la construction d’une digue dans le caño oriental de 2013, le Secrétariat de la
62 Voir le rapport Neotrópica de juin 2016, tableaux 3, 4, 5, 8, 9 et 11. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 103, 110-111,
113-114, 129-130, 132 et 134.
63 Ibid., p. 46. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 132.
64 Voir ibid., p. 53 («Le coût de remplacement est utilisé pour le service écosystémique de formation de sols/lutte
contre l’érosion. Il résulte de la multiplication du volume de sol excavé … par les coûts des excavations et mouvements
de terre par mètre cube publiés par l’Association costa-ricienne des ingénieurs et architectes.»). MCRI, vol. I, annexe 1,
p. 139.
65 Rien n’indiquant qu’il soit nécessaire de procéder à un tel remplacement ne serait-ce qu’une seule fois, il ne
saurait être soutenu que le Costa Rica doive en supporter chaque année le coût pendant cinquante ans, ce à quoi aboutirait
la multiplication du coût de remplacement par les cinquante années escomptées par la Fundación Neotrópica pour la
reconstitution de la zone. Voir le second rapport Payne et Unsworth, p. 21. DNI, annexe 1.
66 Rapport Neotrópica de juin 2016, tableau 3. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 103.
67 CMNI, par. 4.21-4.22.
68 RCRI, par. 2.22.
69 Voir le rapport Thorne de juillet 2017, p. 12-13. RCRI, annexe 2, p. 176-177.
70 Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide d’importance internationale du nord-est des
Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica, 17 décembre 2010. Mémoire du Costa Rica, vol. IV, annexe 147,
p. 83-136.
24
- 13 -
convention de Ramsar n’a jamais préconisé de mettre en oeuvre la moindre mesure pour parer à un
risque accru d’inondation côtière ou d’intrusion saline. La digue a, en tout état de cause, totalement
suffi à atténuer le «faible» risque associé au caño de 201371.
2.37. Le dossier ne contient pas davantage d’éléments démontrant que les travaux du
Nicaragua aient pu accentuer la vulnérabilité de la zone litigieuse à l’érosion côtière. Le rapport de
M. Thorne confirme au contraire que, dans cette zone, l’érosion côtière s’inscrit dans le cadre d’un
processus plus général qui dure depuis de nombreuses années72. Ainsi que l’explique M. Kondolf,
les éléments recueillis au fil du temps démontrent que le pouvoir de la mer des Caraïbes d’éroder la
côte «est plus fort que les modifications locales de la végétation, des racines, de la taille des
particules ou d’autres facteurs»73.
2.38. Rien ne permet de penser que les travaux du Nicaragua, dont la nature a déjà effacé
toute trace, aient fragilisé le terrain au point d’influer sensiblement sur ce processus plus général.
Aucune des images satellite n’indique que le profil de l’érosion côtière ait changé au cours des sept
dernières années, pas même à la suite du violent ouragan qui a frappé la zone en novembre 201674.
Fait révélateur, le Secrétariat de la convention de Ramsar n’a recommandé la prise d’aucune
mesure visant à protéger la zone litigieuse d’un risque accru d’érosion côtière découlant des
travaux du Nicaragua.
2.39. Enfin, même à supposer que les travaux du Nicaragua aient entamé la résistance de la
zone litigieuse aux catastrophes naturelles (ce qui n’est pas le cas), l’évaluation que fait le
Costa Rica de la perte de ce service hypothétique est entièrement fondée sur un transfert de la
valeur établie dans une étude portant sur la Thaïlande, dans laquelle il s’agissait de quantifier le
coût de la construction d’une barrière spécialement conçue pour remplacer des fonctions
d’atténuation des risques naturels perdues à cause de la destruction de mangroves côtières75.
Manifestement, M. Thorne n’avalise pas le choix de la Fundación Neotrópica de transposer à la
présente affaire des valeurs propres à la Thaïlande, et la réplique ne fournit aucun autre élément
justifiant de procéder ainsi. En particulier, aucun élément ne démontre qu’il serait nécessaire, par
suite des activités du Nicaragua, de construire une quelconque infrastructure pour protéger la zone
litigieuse des risques naturels, ni n’indique quels en seraient les conséquences et les coûts au regard
des caractéristiques physiques et socioéconomiques particulières de cette zone. Le Costa Rica n’a
présenté aucun projet en ce sens et n’a nullement laissé entendre que de nouvelles infrastructures
lui semblaient effectivement nécessaires, ou qu’il ait l’intention d’en construire.
71 Voir le rapport de la mission consultative Ramsar n° 77 : zone humide d’importance internationale du nord-est
des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica, 10-13 août 2014, p. 18-20. Pièce jointe no 5 de la lettre ECRPB-
090-2014 en date du 22 août 2014 adressée à M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour internationale de Justice, par
M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 374-376.
72 Voir le rapport Thorne de juillet 2017, p. 15 (citant les pages I-4–I-29 de son premier rapport). RCRI, annexe 2,
p. 179.
73 Second rapport Kondolf, p. 4. DNI, annexe 2.
74 Ibid., p. 4.
75 Voir les addenda explicatifs de la Fundación Neotrópica à son rapport d’évaluation pécuniaire, 8 décembre
2016, p. 6. MCRI, vol. I, annexe 2, p. 166. Voir également le second rapport Neotrópica, p. 37. RCRI, annexe 1, p. 67.
Second rapport Payne et Unsworth, p. 20. DNI, annexe 1.
25
26
- 14 -
iii) L’évaluation erronée concernant les «services de régulation des gaz et de la qualité de
l’air»
2.40. La réplique est loin d’étayer les prétentions du Costa Rica, à hauteur de
937 509 dollars, concernant l’incidence supposée des travaux nicaraguayens sur la capacité de la
zone litigieuse de réguler les gaz et la qualité de l’air en contribuant «à la purification de l’air et à
l’équilibre des gaz à effet de serre»76.
2.41. Le Nicaragua a démontré dans son contre-mémoire que ces bienfaits profitent au
monde entier et que le Costa Rica n’a donc droit qu’à sa minuscule part du total mondial, pour
autant que ces services aient été touchés77. Dans la réplique, ce dernier se contente de répondre que
«[l]e fait que certains des services écosystémiques perdus auraient pu bénéficier aux populations
d’autres pays ne dispense nullement le Nicaragua de son obligation d’indemniser le Costa Rica»78.
Il soutient ainsi qu’il a droit à une indemnisation pour d’hypothétiques dommages subis par des
Etats tiers, ce qui est contraire au principe du droit de la responsabilité de l’Etat selon lequel
l’indemnisation doit compenser «le dommage subi par l’Etat lésé du fait de la violation»79. Le
Costa Rica ne peut tout simplement pas être indemnisé pour des dommages causés à d’autres Etats.
Il n’a du reste pas démontré qu’un quelconque dommage spécifique lui ait été causé.
2.42. Le Costa Rica ne conteste pas dans sa réplique que, ainsi qu’exposé dans le contremémoire,
la Fundación Neotrópica a, pour déterminer la valeur hypothétique des services de
régulation des gaz assurés par la zone litigieuse, retenu la valeur la plus élevée figurant dans la
littérature qu’elle a examinée (14 955 dollars par hectare) –– montant tiré de la thèse de master
d’une étudiante costa-ricienne qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation par des spécialistes , tout
en faisant abstraction des valeurs inférieures fournies par d’autres études80.
2.43. Le Costa Rica ne conteste pas davantage dans sa réplique qu’il s’agit ici de la valeur du
stock de carbone, c’est-à-dire de la valeur totale de l’ensemble du carbone piégé dans 1 hectare.
Cette valeur reflète donc les dommages maximaux qui pourraient théoriquement être causés aux
services de régulation des gaz et de la qualité de l’air si chaque molécule de carbone était libérée
dans l’atmosphère81. Ce processus ne pouvant se produire qu’une seule fois, il est absurde
d’appliquer cette valeur chaque année pendant une période de cinquante ans, comme le fait le
Costa Rica ; une fois libéré, le carbone ne peut l’être à nouveau82. Dans sa réplique, le Costa Rica
76 Rapport Neotrópica de juin 2016, p. 18. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 104.
77 CMNI, par. 4.26.
78 RCRI, par. 2.23.
79 Commission du droit international, projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs (ci-après le «projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat»), Annuaire de la
Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, commentaire de l’article 36, par. 4 (les italiques sont
de nous) ; voir également CMNI, chap. 3.
80 CMNI, par. 4.24.
81 Ibid., par. 4.25.
82 Ibid., par. 4.31.
27
28
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ne tente nullement de répondre à ce fait incontestable, alors que plus de 95 % de son évaluation
concernant les services de régulation des gaz et de la qualité de l’air en dépend83.
iv) L’hypothèse erronée consistant à tabler sur une durée de cinquante ans pour l’ensemble
des effets
2.44. Les erreurs méthodologiques décrites plus haut sont aggravées par l’obstination du
Costa Rica à réclamer une indemnisation pour la perte de services environnementaux sur pas moins
de cinquante ans.
2.45. Par exemple, lorsqu’il réclame 462 490 dollars à raison des arbres abattus, le
Costa Rica suppose que les mêmes arbres seront coupés chaque année pendant cinquante ans84, ce
qui est impossible, le bois ne pouvant être récolté qu’une seule fois.
2.46. Dans sa réplique, le Costa Rica se défend d’avoir adopté une telle hypothèse, soutenant
que les arbres se trouvent dans une zone où la récolte de bois est interdite85. Mais même s’il dit vrai
au sujet des restrictions en matière d’exploitation forestière, cela ne change rien à l’hypothèse
émise dans son évaluation. En effet, le Costa Rica recourt au «prix du bois sur pied» pour estimer
la valeur des arbres — ce qui suppose que les arbres seront effectivement abattus — et applique
cette valeur annuellement à chaque arbre pendant cinquante ans86. Ainsi qu’observé dans le rapport
Payne et Unsworth, «rien, dans les domaines de l’économie, des finances ou de la comptabilité, ne
justifie d’additionner [c]es valeurs» de cette façon87.
2.47. Le Costa Rica échoue tout aussi piteusement dans sa tentative plus générale de
défendre le délai de reconstitution de cinquante ans dont il prône l’adoption. Pour fonder ses
prétentions à cet égard, il affirme qu’il s’agit de la «période établie pour que l’écosystème puisse
récupérer sa capacité minimale à fournir les services écosystémiques perdus»88, ce qui est faux pour
au moins trois raisons.
2.48. Premièrement, ainsi qu’il est précisé dans la réplique, ce délai de reconstitution de
cinquante ans repose sur l’hypothèse que l’âge moyen des arbres abattus était de 115 ans,
hypothèse elle-même fondée sur des données recueillies sur le site du caño de 2010, comme il
ressort des annexes 145 et 154 du mémoire du Costa Rica sur le fond89. Or, ces données ne peuvent
être utilisées pour déterminer l’âge moyen des arbres. Plus précisément :
83 Le total calculé par la Fundación Neotrópica pour la première année est de 43 641,24 dollars. Voir le rapport
Neotrópica de juin 2016, p. 60, tableau 14. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 146. Cela correspond à seulement 4,7 % du
montant total finalement réclamé au titre du service de «régulation des gaz et de la qualité de l’air», qui s’élève à
937 509 dollars. Voir le rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 32, tableau 1. CMNI, annexe 1, p. 135. Voir
également CMNI, par. 4.29. Second rapport Payne et Unsworth, p. 21. DNI, annexe 1.
84 CMNI, par. 4.29.
85 RCRI, par. 2.24 a).
86 Ibid.
87 Second rapport Payne et Unsworth, p. 23. DNI, annexe 1.
88 Rapport de la Fundación Neotrópica de juin 2016, p. 59. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 145.
89 RCRI, par. 2.24 a).
29
30
- 16 -
seuls les arbres d’un diamètre supérieur à 10 centimètres ont été pris en considération, ce qui
accroît considérablement l’âge moyen90 ;
les taux de croissance appliqués étaient «probablement inférieurs à la moitié du taux de
croissance correct (donnant des âges trop élevés pour les arbres)», ce qui accroît encore l’âge
moyen91 ;
les rapports invoqués par le Costa Rica font état d’arbres qui seraient plus vieux que le sol sur
lequel ils se trouvent (dont l’âge a été estimé par M. Thorne), ce qui est impossible92 ;
même si les données provenant du site du caño de 2010 étaient fiables, rien ne justifierait
d’appliquer des valeurs fondées sur ces données au site du caño de 201393. Comme M. Thorne
l’a exposé en avril 2015, «le sol et la végétation que travers[ait] le premier caño étaient par
nature différents de ceux qui se trouv[aient] à l’emplacement des deuxième et troisième
caños[,] situés beaucoup plus au nord et sur des terres beaucoup plus jeunes» ; à cet endroit, il
n’y avait «pas d’arbres aussi âgés que ceux» mesurés en 201094.
Dans sa réplique, le Costa Rica ne répond à aucune de ces failles, qui étaient pourtant déjà toutes
mises en évidence dans le contre-mémoire et les rapports d’experts y annexés95.
2.49. Deuxièmement, la réplique ne donne aucune information sur la reconstitution de la
zone litigieuse. Cette lacune mérite d’autant plus d’être relevée que le Costa Rica jouit d’un accès
exclusif à ce territoire. Dans son rapport annexé à la réplique, M. Thorne décrit les données qu’un
«expert de l’environnement rigoureux» recueillerait pour mesurer la reconstitution, y compris
celles concernant des «variables essentielles (telles que la hauteur des arbres)» que l’on pourrait
analyser «pour se forger une opinion sur le niveau de régénération des zones excavées et dégagées
par le Nicaragua»96. En conséquence, le Costa Rica aurait dû, selon son propre expert, recueillir et
présenter des éléments de preuve de cette nature pour justifier le délai de reconstitution qu’il prône
d’adopter. Or il ne l’a pas fait, ce qui dessert sa cause.
2.50. Troisièmement, la littérature que M. Thorne cite en lieu et place de données recueillies
dans la zone litigieuse porte exclusivement sur le temps nécessaire aux ressources forestières
touchées pour recouvrer leur capacité de fournir des services liés à la biodiversité97. Cependant,
90 Rapport de M. G. Mathias Kondolf, examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta
du fleuve San Juan (mai 2017) (ci-après le «rapport Kondolf de mai 2017»), p. 5. CMNI, annexe 2, p. 159.
91 Ibid.
92 Ibid., p. 5, note 10. CMNI, annexe 2, p. 159.
93 Ibid., p. 6 et note 11 ; voir également CMNI, par. 4.30, note 167.
94 Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 42 (Thorne) ; voir également CMNI, par. 2.12.
95 Pour sa part, la Fundación Neotrópica se contente d’affirmer, sans présenter d’éléments de preuve, qu’elle
dispose de «données fiables sur l’élément dont la reconstitution prendra le plus de temps, à savoir les arbres». Second
rapport Neotrópica, p. 35. RCRI, annexe 1, p. 65. Ainsi qu’exposé plus haut, cette affirmation est toutefois dépourvue de
fondement. En outre, la Fundación Neotrópica continue plus généralement de prendre pour argent comptant ce qui est dit
dans les rapports soumis par le Costa Rica au stade du fond de l’affaire, en dépit du fait que ces rapports ont été
discrédités par les experts du Nicaragua. Voir ibid., p. 29. RCRI, annexe 1, p. 59.
96 Rapport Thorne de juillet 2017, p. 3 et 23. RCRI, annexe 2, p. 167 et 187. M. Thorne préconise également
d’«effectu[er] des mesures précises de la hauteur des arbres (anciens et nouveaux) sur le terrain ... au moyen d’un ruban
d’arpentage et d’un clinomètre — une méthode simple mais efficace» — et de procéder à «un échantillonnage par
quadrats pour dénombrer et identifier la végétation colonisatrice, ce qui ... perm[ettrait] d’établir des comparaisons
directes avec les assemblages de végétation dans les zones adjacentes [non] dégagées par le Nicaragua». Ibid., p. 23.
RCRI, annexe 2, p. 187.
97 Rapport Thorne de juillet 2017, p. 16-23. RCRI, annexe 2, p. 180-187.
31
32
- 17 -
1,5 % seulement de l’évaluation du Costa Rica a trait à la biodiversité98. La réplique ne contient
aucune explication convaincante justifiant l’adoption d’un délai de cinquante ans pour l’un
quelconque des autres services au titre desquels une indemnisation est demandée. De fait, le
rétablissement des autres services, tels que la fourniture de «matières premières» (arbustes et autres
végétaux utilisables par des communautés humaines, par exemple) ne prendra pas cinquante ans,
tant s’en faut99.
*
* *
2.51. En résumé, la réplique n’infirme en rien la conclusion selon laquelle la méthode à
retenir, aux fins de déterminer le montant de l’indemnisation due au Costa Rica à raison des effets
sur l’environnement des travaux menés par le Nicaragua dans la zone litigieuse, est celle suivie par
le comité de commissaires chargé des réclamations environnementales au sein de la commission
d’indemnisation des Nations Unies. Sont ainsi susceptibles d’indemnisation : 1) les dépenses
raisonnablement engagées pour construire la digue destinée à fermer le caño oriental de 2013 ; et
2) les dépenses nécessaires pour assurer pendant trente ans la protection d’une zone d’habitat
équivalente, sur la base du prix établi à cet effet dans le cadre du programme costa-ricien de
conservation de l’habitat.
98 Voir le rapport Payne et Unsworth de mai 2017, p. 32, tableau 1. CMNI, annexe 1, p. 135. La somme de
40 730 dollars estimée par la Fundación Neotrópica pour les services liés à l’habitat et au renouvellement des populations
(biodiversité) représente 1,44 % du montant total de 2 823 112 dollars.
99 Rapport Kondolf de mai 2017, p. 6, CMNI, annexe 2, p. 160 ; voir également le second rapport Kondolf, p. 5-6.
DNI, annexe 2.
- 18 -
CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés ci-dessus, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger
que la somme due à la République du Costa Rica à raison des dommages matériels causés par les
actes illicites du Nicaragua sur le territoire litigieux, tels que constatés par la Cour, ne saurait
excéder 188 504 dollars.
Fait à La Haye, le 29 août 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
M. Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
33
- 19 -
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que la présente duplique et les documents y annexés sont des
copies exactes et conformes des documents originaux.
Fait à La Haye, le 29 août 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
M. Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
35
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE Document Page
1
Rapport sur la méthode retenue pour le calcul de l’indemnisation due à
raison des dommages causés à l’environnement, par
Mme Cymie R. Payne et M. Robert E. Unsworth, 25 août 2017
2
2 Réponse de M. G. Mathias Kondolf à l’analyse de son rapport antérieur
(CMNI, annexe 2) faite par M. Colin R. Thorne, 24 août 2017
40
ANNEXE 1
RAPPORT SUR LA MÉTHODE RETENUE POUR LE CALCUL DE L’INDEMNISATION DUE À RAISON
DES DOMMAGES CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT, PAR MME CYMIE R. PAYNE ET
M. ROBERT E. UNSWORTH, 25 AOÛT 2017
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua)
Indemnisation
Rapport sur la méthodologie d’évaluation de l’indemnisation due à raison
des dommages environnementaux
(deuxième rapport)
Professeur Cymie R. Payne, J.D., Rutgers University
et
Robert E. Unsworth, Industrial Economics, Incorporated
25 août 2017
- 3 -
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. RÉSUMÉ ........................................................................................................................................... 4
II. QUALIFICATIONS DES AUTEURS .................................................................................................... 7
III. APPLICATION DE LA MÉTHODOLOGIE FONDÉE SUR LE COÛT DE REMPLACEMENT AUX
INFORMATIONS COMMUNIQUÉES PAR LE COSTA RICA ................................................................. 9
IV. LES CRITIQUES FORMULÉES PAR LE COSTA RICA À PROPOS DE LA MÉTHODOLOGIE
UTILISÉE PAR LA COMMISSION D’INDEMNISATION DES NATIONS UNIES SONT INFONDÉES ........ 11
A. Les différences écologiques ne sont pas pertinentes pour le choix de la méthode ................. 11
B. La méthodologie de la CINU est appropriée et compatible avec la meilleure pratique
actuelle ................................................................................................................................... 13
i) Les services écosystémiques servent depuis les années 1970 à analyser, gérer et
évaluer l’environnement ................................................................................................... 13
ii) La CINU a examiné des demandes portant sur des dommages évalués à l’aide de
méthodologies fondées sur les services écosystémiques .................................................. 15
iii) Les régimes de responsabilité environnementale ont été établis avant les services
écosystémiques reconnus de 2005 .................................................................................... 17
iv) La CINU a examiné des demandes d’indemnisation fondées sur la méthodologie du
transfert d’avantages ......................................................................................................... 18
v) Les autorités citées par le Costa Rica soutiennent la méthodologie de la CINU,
mais appellent à la prudence en cas de recours à la méthodologie du transfert
d’avantages ....................................................................................................................... 20
V. INDÉPENDAMMENT DU FAIT DE SAVOIR SI L’APPROCHE AXÉE SUR LES SERVICES
ÉCOSYSTÉMIQUES CONVIENT, L’ANALYSE EFFECTUÉE PAR NEOTRÓPICA EN L’ESPÈCE NE
RESPECTE PAS LES MEILLEURES PRATIQUES ............................................................................... 21
A. Application défectueuse de la méthodologie du transfert d’avantages .................................. 22
i) La ressource ou le service évalué sont-ils analogues à ceux décrits dans la
littérature ? ........................................................................................................................ 24
ii) La population (humaine) affectée présente-t-elle des caractéristiques très
semblables ? ...................................................................................................................... 24
iii) Les estimations initiales transférées sont-elles vraiment fiables ? .................................... 24
B. Malgré les clarifications de Neotrópica, l’approche utilisée comporte un risque de
double comptabilisation ......................................................................................................... 25
C. Utilisation incorrecte de valeurs capitalisées comme valeurs annuelles ................................ 25
D. Méprise au niveau du taux d’actualisation ............................................................................. 29
E. Non-conformité de l’analyse de Neotrópica aux normes méthodologiques ........................... 30
VI. LE COÛT DE REMPLACEMENT PERMETTANT DE MESURER LES DOMMAGES DE MANIÈRE
VALABLE ET ÉQUITABLE, IL CONVIENT BIEN EN L’OCCURRENCE ............................................... 32
- 4 -
i) Il n’est pas indispensable que l’indemnisation revête la forme de valeurs de
bien-être social .................................................................................................................. 33
ii) L’estimation basée sur le coût de remplacement est raisonnable ..................................... 35
RÉFÉRENCES ..................................................................................................................................... 36
GLOSSAIRE ....................................................................................................................................... 36
I. RÉSUMÉ
Dans son ordonnance du 18 juillet 2017, la Cour a demandé des informations
supplémentaires « sur la seule question de la méthodologie retenue dans les rapports d’experts
présentés par les Parties … sur la question de l’indemnisation due en l’espèce ». Dans notre rapport
d’expert du 26 mai 2017, nous avons décrit les aspects juridiques et techniques de l’estimation et
de l’évaluation de l’indemnisation due à raison de dommages environnementaux utilisées au niveau
national et international lorsqu’une partie est juridiquement tenue d’indemniser une autre en raison
du préjudice causé. La méthodologie que nous avons décrite, généralement désignée sous le titre de
« méthodologie axée sur le coût de remplacement » est utilisée par les tribunaux internationaux et
nationaux pour gérer un large éventail de dommages environnementaux infligés dans les conditions
les plus diverses. Le recours au coût de remplacement pour établir un dommage peut, en qualité de
méthode la plus couramment employée, être considéré comme une meilleure pratique. Elle
convient à l’estimation et à l’évaluation de l’indemnisation en l’espèce puisqu’elle permet de
déterminer les dommages environnementaux associés à la construction de deux caños et à
l’arrachage d’arbres et de végétation en République du Costa Rica (Costa Rica) par la République
du Nicaragua (Nicaragua) en 2010 et 2013.
Il a déjà été procédé à la restauration primaire du site endommagé proposée par le Costa
Rica, de sorte qu’aucun travail de restauration supplémentaire n’est envisagé et que ce pays
réclame désormais une indemnisation à raison des coûts associés à cette tâche1.
Nous supposons que le site sera laissé en l’état afin de se reconstituer naturellement et que,
par conséquent, des services de remplacement devront être assurés pendant cette période de
régénération qui devrait durer 20 à 30 ans. La pratique internationale et nationale reconnaît la
nécessité d’inclure la valeur des services écosystémiques perdus pendant cette période dans les
réparations dues à raison du préjudice environnemental. Cet élément du remède est désigné sous le
terme de réparation compensatoire ou d’indemnisation intermédiaire. A notre avis, l’approche
basée sur le coût de remplacement répond à cette norme de réparation des pertes provisoires le
temps que l’écosystème endommagé se régénère.
L’approche basée sur l’évaluation des dommages intermédiaires que nous proposons vise à
estimer le coût de remplacement de l’habitat dans la zone endommagée pour une période de 20 à
30 ans correspondant au temps dont le site a besoin pour se remettre. Notre estimation du coût se
fonde sur le montant des paiements versés à des parties privées pour protéger les habitats sur leurs
terres dans le cadre d’un programme de conservation bien établi au Costa Rica2.
Notre approche ne tente pas d’établir la valeur théorique du changement écologique survenu
sur ce site, mais propose plus concrètement d’indemniser le Costa Rica en supportant le coût des
services de remplacement le temps que le site endommagé se régénère.
1 Mémoire du Costa Rica sur la question de l’indemnisation (MCRI), p. 60 à 71.
2 Cymie R. Payne & Robert E. Unsworth, Rapport sur la méthodologie d’évaluation de l’indemnisation due à
raison des dommages environnementaux, 26 mai 2017 (Payne & Unsworth mai 2017), p. 33.
- 5 -
L’approche utilisée par la Fundación Neotrópica (Neotrópica) pour évaluer l’indemnisation à
raison des dommages intermédiaires due en l’espèce est décrite par le Costa Rica comme
l’approche « axée sur les services écosystémiques ». Elle est censée comprendre deux phases :
1) l’identification des services écosystémiques perdus et 2) l’affectation subséquente d’une valeur
pécuniaire auxdits services.
Dans le cadre de la détermination de la valeur pécuniaire, le Costa Rica a recours à l’une des
diverses méthodologies d’évaluation des services écosystémiques dite « du transfert d’avantages ».
Cette dernière implique l’estimation des dommages associés aux services endommagés en
recourant aux valeurs pécuniaires transférées (récupérées) depuis des études réalisées dans le passé
sur d’autres sites3.
Ces valeurs sont ensuite additionnées de manière à produire le montant total des dommages.
Lorsque cette technique est appliquée, elle vise beaucoup plus souvent à estimer des pertes au
niveau de l’usage direct par l’homme, s’agissant par exemple de pêche sportive, de tourisme ou de
loisirs de plage. Deux raisons expliquent cette pratique : lesdits services sont beaucoup plus
homogènes d’un site et d’un cas à l’autre et la littérature disponible en pareille circonstance est
généralement plus abondante et permet de recourir à des fonctions de transfert d’avantages de
manière à accroître la précision par rapport à une simple application de valeurs unitaires. Le
transfert d’avantages n’est pas couramment utilisé pour évaluer les pertes provisoires de toute la
gamme des services écologiques – et notamment de l’atténuation des risques naturels ou de la
biodiversité – dans le cadre d’une action judiciaire (voir ci-dessous)4. Pour ces raisons et d’autres
encore, la meilleure pratique en présence de pertes de services écologiques consiste à utiliser les
coûts de remplacement sur la base d’équivalences en matière d’habitat.
Dans notre rapport du 26 mai 2017, nous sommes parvenus à la conclusion que l’approche
axée sur l’évaluation des services écosystémiques – y compris les hypothèses spécifiques et les
décisions analytiques sur lesquelles repose la sélection par Neotrópica des services à évaluer et les
postulats posés pour procéder à l’évaluation pécuniaire en l’espèce – « n’est pas conforme à la
pratique acceptée en matière d’estimation des dommages causés aux ressources naturelles, et que
3 Les méthodes d’évaluation primaire génèrent des estimations de dommages spécifiques aux conditions
prévalant sur un site précis. Les tribunaux internationaux comme la Commission d’indemnisation des Nations Unies
(CINU), les tribunaux arbitraux et le Fonds du FIPOL utilisent en priorité le coût de la restauration primaire dans les
affaires relatives à des dommages environnementaux. Burlington Resources Inc. et autres c. République d’Equateur,
CIRDI, affaire n° ARB/08/5, Décision sur les demandes reconventionnelles (7 février 2017) (octroi d’une indemnisation
à raison de dommages environnementaux associés à des activités d’exploitation minière sur la base du coût de
l’assainissement du sol et des eaux souterraines, de l’assainissement des puits de rejet des boues et de prise en
considération des différentes utilisations des parcelles concernées en fonction de leurs sensibilités respectives [depuis les
zones comprises dans le Programme sur l’homme et la biosphère de l’UNESCO, jusqu’à celles relevant de la région de
l’Amazone, en passant par des terres indigènes ou bien vouées à l’agriculture ou à l’industrie] ; Convention internationale
de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ; Convention
internationale de 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution
par les hydrocarbures.
4 M.T. Huguenin, M.C. Donlan, A.E. van Geel et R.W. Paterson, « Assessment and Valuation of Damages to the
Environment » in Cymie R. Payne et Peter H. Sand, « Gulf War Reparations and the UN Compensation Commission :
Environmental Liability » (Oxford University Press 2011), p. 78-80.
- 6 -
l’évaluation des dommages ainsi obtenue n’est ni fiable ni appropriée à des fins d’indemnisation »5.
Nous avons relevé, entre autres problèmes, que l’approche utilisée par Neotrópica inclut une
indemnisation à raison de services environnementaux ne semblant pas avoir été perdus6 ; applique
annuellement de manière incorrecte des valeurs capitalisées au-delà de la période d’analyse de
50 ans (ce qui entraîne la comptabilisation inappropriée et répétée desdites valeurs)7 ; et ne respecte
pas les normes économiques saines dans la mesure où elle applique des valeurs empruntées à des
cas extrêmement dissemblables pour évaluer les dommages en l’espèce8. Dans son rapport du
3 août 2017, Neotrópica s’abstient de corriger son analyse sur l’un quelconque de ces points et
affirme au contraire que son estimation initiale des dommages est en fait correcte est défendable,
voire prudente9.
En réponse à la demande d’information de la Cour sur la méthodologie qu’il convient
d’appliquer pour établir les dommages, Neotrópica affirme entre autres que les approches utilisées
par la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU) en 2005 «sont dépassées et
antérieures à l’approche majoritaire basée sur les services écosystémiques»10. En fait, l’approche
générale sur laquelle se fonde Neotrópica pour calculer les dommages à savoir l’identification et
l’évaluation de services écosystémiques existait déjà bien avant le lancement des procédures
devant la CINU.
De plus, l’approche spécifique d’évaluation choisie en l’occurrence par Neotrópica – à savoir
le transfert d’avantages – a été examinée et rejetée par la CINU dans ses délibérations. Neotrópica
affirme également que les approches utilisées par cette commission étaient différentes et
inapplicables en l’espèce, car l’environnement écologique en cause dans les deux affaires diffère.
Comme indiqué tout au long du présent rapport, les techniques standards utilisées pour évaluer les
dommages affectant des ressources environnementales sont communes à tous les écosystèmes et,
contrairement aux affirmations énoncées dans le rapport de Neotrópica, s’appliquent à toute une
série d’écosystèmes dans le contexte des demandes d’indemnisation adressées à la CINU. Ces
affirmations ne corroborent par conséquent en rien le choix méthodologique ou les conclusions de
Neotrópica.
5 Payne & Unsworth mai 2017, « Résumé ». Dans son rapport du 3 août 2017, Neotrópica suggère que nous
faisons preuve de partialité dans notre évaluation afin de minimiser les dommages. Les auteurs de ce document déclarent
notamment : « Les experts du Nicaragua prétendent que, compte tenu de l’intervalle des différentes valeurs, il serait
opportun de sélectionner la valeur dans l’étude répondant le mieux aux problèmes de l’évaluation sur le site de référence
(Payne & Unsworth, 2017). Ils n’indiquent toutefois pas celle qui conviendrait le mieux dans cette optique. À supposer
que nous appliquions les critères d’analogie en matière de proximité, de méthodologie et de milieu socioculturel, cette
proposition irait à l’encontre des intérêts du Nicaragua, dans la mesure où l’étude la plus récente – produite à l’aide d’une
meilleure méthodologie (télédétection) et réalisée dans un contexte socioculturel et écologique semblable – est celle de
Camacho-Valdez, V. et autres (2014). Or, son application entraînerait la sélection d’une valeur par hectare environ trois
fois supérieure », Rapport de la Fundación Neotrópica d’août 2017, réplique du Costa Rica sur la question de
l’indemnisation (RCRI), annexe 1, p. 35. Comme nous l’avons clairement indiqué dans les curriculum vitae insérés au
début de notre soumission originale, Unsworth et Payne ont consacré leur longue carrière à l’évaluation objective à la fois
des approches adéquates et des valeurs pécuniaires appropriées en matière de dommages environnementaux. Notre seul
souci est de fournir à la Cour une évaluation objective des dommages conforme aux meilleures pratiques.
6 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 29 et 30, sect. V.D. & V.E.
7 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 23 à 26, sect. IV. Pour plus de détails, voir plus bas.
8 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 23 à 26, sect. IV.B.
9 Fundación Neotrópica, août 2017, rapport, RCRI, p. 29. Tout au long de son rapport, ainsi que dans les lettres
qu’elle produit – sous forme d’appendices – à l’appui de ses affirmations, Neotrópica qualifie ses estimations de
« prudentes », c’est-à-dire se situant probablement au-dessous de la valeur réelle des pertes. Compte tenu des hypothèses
formulées par Neotrópica et des calculs qu’elle a effectués, rien ne permet de croire que son estimation des dommages est
prudente et, de toute manière, ces commentaires ne font que renforcer la conclusion que le modèle des services
écosystémiques utilisés en l’occurrence débouche sur des résultats extrêmement incertains.
10 Fundación Neotrópica, août 2017, rapport, RCRI, p. 43.
- 7 -
Les craintes que nous avons exprimées dans notre rapport du 26 mai 2017 persistent : nous
estimons que la réaction de Neotrópica n’est pas conforme aux principes économiques sains
prévalant en matière d’évaluation des dommages environnementaux, dans le but de réparer le
préjudice infligé à la partie lésée. Les faits et les arguments nouveaux présentés par Neotrópica
dans son rapport du 3 août 2017, ainsi que les commentaires formulés à leur égard par les personnes
sollicitées à cette fin, ne font que renforcer nos craintes.
La Cour a déterminé qu’une indemnisation devrait être versée par le Nicaragua en l’espèce.
Les systèmes naturels sains fournissent des services environnementaux essentiels. L’importance de
ces systèmes – et notamment de la zone humide affectée par les activités du Nicaragua – n’est pas
remise en cause. Nous ne contestons pas non plus la nécessité de verser une indemnisation en cas
de préjudice résultant d’une action illégale. La question soulevée devant la Cour est de savoir
comment mesurer correctement les dommages afin d’indemniser le Costa Rica conformément aux
pratiques internationales établies et aux principes économiques sains. Afin de nous conformer à cette
norme, nous avons choisi dans notre rapport du 26 mai 2017 d’évaluer séparément les dommages
en recourant à une technique plus appropriée et plus largement acceptée basée sur le coût d’achat
de mesures de conservation visant à remplacer les pertes provoquées par les activités du Nicaragua.
Nous estimons que la Cour n’est pas tenue de se fonder sur une technique d’évaluation hautement
incertaine et très peu fiable, mais pourrait à la place accorder au Costa Rica une indemnisation
suffisante pour lui permettre de compenser le préjudice causé par le Nicaragua. Cette approche,
utilisée par la CINU et d’autres instances, reflète les meilleures pratiques en matière d’évaluation
des dommages environnementaux. L’estimation des dommages que nous avançons est comprise
entre 27 034 et 34 987 dollars des Etats-Unis et reflète le coût d’un programme de conservation
s’étalant sur une période comprise entre 20 et 30 ans et conçu pour compenser le préjudice
environnemental causé aux ressources naturelles du Costa Rica. Le Costa Rica conteste le caractère
approprié de l’application de ces estimations dans ce contexte, tout en s’abstenant manifestement
de proposer une autre estimation des coûts. Là encore, nous pensons qu’une approche basée sur le
coût de remplacement constitue un remède approprié en l’espèce et a le mérite d’éviter les
inconvénients inhérents à l’approche choisie par Neotrópica.
II. QUALIFICATIONS DES AUTEURS
Cymie Payne est professeur associée à la Rutgers University, The State University of
New Jersey, où elle enseigne le droit de l’environnement, le droit relatif au changement climatique
et le droit international de l’environnement. Ses domaines de recherche se concentrent sur le droit
international relatif à l’environnement et aux ressources naturelles. Elle a dirigé des équipes et
travaillé comme juriste dans le cadre du programme d’examen des demandes de réparation au titre
d’un dommage environnemental de la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU) à
Genève, Suisse, et du programme de suivi des indemnisations accordées. Elle est intervenue en
qualité de conseil juridique pour le compte de l’Union internationale pour la conservation de la
nature (IUCN) devant le Tribunal international du droit de la mer dans les affaires où cette
juridiction a rendu des avis consultatifs concernant des activités d’exploitation minière et de
pêche dans les grands fonds marins. Elle a également conseillé la délégation de l’IUCN au comité
préparatoire pour l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant en vertu
de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et
l’utilisation durables de la biodiversité marine des zones situées au-delà des limites des juridictions
nationales. Elle a été directrice du Global Commons Project et directrice associée du Centre du
droit, de l’énergie et de l’environnement de l’Université de Californie à Berkeley. Elle a pratiqué le
droit des ressources naturelles et de l’environnement au sein du ministère de l’intérieur des
Etats-Unis et du cabinet d’avocats Goodwin, Procter. Elle siège à la Commission mondiale du droit
de l’environnement de l’IUCN et à la commission pour la gestion durable des ressources naturelles
en vue du développement [Committee on Sustainable Natural Resource Management for
Development] de l’International Law Association ; elle a également fait partie du conseil exécutif
de l’American Society of International Law. Elle est titulaire d’un doctorat en jurisprudence délivré
- 8 -
par la faculté de droit de l’Université de Californie à Berkeley et d’une maîtrise de la Fletcher
School of Law and Diplomacy.
Robert Unsworth travaille en qualité de directeur principal et de directeur chez Industrial
Economics, Incorporated (IEc), une société ayant son siège à Cambridge, Massachusetts,
Etats-Unis. Expert internationalement reconnu dans le domaine de l’économie des ressources
naturelles et de l’évaluation des dommages environnementaux, il se concentre sur l’identification
des méthodes appropriées en matière d’évaluation des changements environnementaux dans le
contexte de contentieux compliqués, de l’élaboration de législations, de gestion des ressources
naturelles et de prise de décisions politiques. Au cours de ses 32 ans de carrière, il s’est intéressé à
toute une série de problèmes liés à l’évaluation des dommages infligés aux ressources naturelles et
à la restauration subséquente de l’environnement. Il a publié de nombreux articles sur ce sujet dans
des revues professionnelles, y compris son texte fondateur consacré à l’analyse de l’équivalence
des habitats (HEA). Il est intervenu comme témoin expert dans des affaires visant des demandes
d’indemnisation au titre de dommages environnementaux provoqués par des feux de végétation, de
rejet de déchets dangereux et d’altération illégale d’écosystèmes. Il a rédigé des documents
d’orientation sur les meilleures pratiques en matière d’évaluation des ressources naturelles et de
l’environnement, y compris les approches d’évaluation des dommages infligés à des zones
humides, des écosystèmes forestiers et des systèmes aquatiques ; des impacts sur les communautés
autochtones ; des ressources culturelles et récréatives et des eaux souterraines.
L’expérience de M. Unsworth sur les questions pertinentes dans le cadre de la présente
opinion englobe l’aide qu’il a prêtée à la Commission d’indemnisation des Nations Unies pour
identifier et examiner les méthodes disponibles en matière d’évaluation des dommages
environnementaux résultant de la guerre du Golfe de 1990-1991. Dans le cadre de cette tâche, il a
fait des exposés devant la Commission sur les méthodes d’évaluation économique et de calcul des
coûts envisageables, en précisant à chaque fois les avantages et les inconvénients d’une application
dans le contexte d’allégations de dommage environnemental. Il a fourni des conseils d’experts en
économie à divers organismes fédéraux ou étatiques des Etats-Unis et il a notamment participé, en
qualité de spécialiste des ressources naturelles, aux négociations avec BP concernant les dommages
provoqués par le déversement accidentel d’hydrocarbures consécutif à l’explosion de la
plate-forme offshore Deepwater Horizon. Il a évalué en tant qu’expert des propositions relatives à
l’élaboration de méthodes de détermination de l’indemnisation au titre d’un préjudice
environnemental dans le cadre de la directive de l’Union européenne sur la responsabilité
environnementale. Il a rédigé pour la Commission mondiale des barrages (CMB) un rapport
décrivant les usages potentiels de l’économie du bien-être pour procéder à une solide évaluation
des impacts environnementaux et sociaux des projets de construction de barrages hydroélectriques
importants à l’échelle mondiale. Il a récemment été invité à faire une présentation lors d’un
séminaire – consacré à la protection de l’environnement dans le cadre des conflits armés – parrainé
par les missions permanentes du Danemark, de Finlande, d’Islande, de Norvège et de Suède auprès
des Nations Unies en soutien au travail en cours de la Commission du droit international des
Nations Unies.
M. Unsworth est titulaire d’une maîtrise en sciences de la forêt de la Yale University (avec
une spécialisation en économie des ressources naturelles et de l’environnement) et d’une licence avec
mention en sylviculture (avec une spécialisation en économie de la forêt) de la State University of
New York, College of Environmental Science and Forestry. Il a donné des conférences sur
l’évaluation des dommages environnementaux dans plusieurs universités prestigieuses (Tufts
University, Yale University, Boston College Law School et University of Houston Law Center) et
il participe à de nombreux séminaires d’experts.
- 9 -
III. APPLICATION DE LA MÉTHODOLOGIE FONDÉE SUR LE COÛT DE REMPLACEMENT
AUX INFORMATIONS COMMUNIQUÉES PAR LE COSTA RICA
Afin d’appliquer les meilleures pratiques aux informations communiquées par le Costa Rica,
nous avons recommandé une méthodologie basée sur le coût de remplacement afin d’évaluer
l’indemnisation due au Costa Rica11. Le coût de remplacement correspond à la mesure monétaire
du coût de la fourniture d’un écosystème ou d’un service écosystémique de substitution (par
exemple l’achat de crédits de conservation en vue de compenser un préjudice). Les coûts de
remplacement servent le plus souvent dans le cadre de la restauration secondaire (également
désignée sous le terme de restauration compensatoire ou de réparation intermédiaire) lorsqu’une
restauration primaire s’avère impossible ou que la régénération naturelle promet d’être longue. Par
exemple, la législation des Etats-Unis définit le remplacement comme « le remplacement d’une
ressource endommagée par une ressource fournissant des services identiques ou sensiblement
analogues lorsque cette substitution vient s’ajouter à toutes les autres substitutions effectuées ou
prévues dans le cadre de l’effacement ou de la correction du dommage et que celle-ci dépasse le
niveau de réaction approprié pour le site tel qu’il a été fixé [par la réglementation. »12.
Le Costa Rica a procédé à une évaluation limitée de l’étendue et de la nature du dommage. Il
prétend que :
6,19 ha d’habitat ont été affectés13 ;
9 502,72 mètres cubes de sols ont été enlevés14 ;
211 mètres cubes par hectare de bois sur pied ont été enlevés15 ; et
des canaux ont été creusés à trois endroits et à deux moments16.
Aux fins de calcul de notre estimation d’un coût raisonnable de remplacement, nous
acceptons la position de Neotrópica, à savoir que 6,12 hectares d’habitat ont perdu des services, et
11 La terminologie de l’évaluation des services écosystémiques et de l’estimation des dommages
environnementaux étant quelque peu ésotérique, nous avons cru bon d’ajouter un glossaire à la fin du présent rapport,
lequel contient des définitions empruntées à la fois à la littérature économique et aux législations pertinentes en vigueur.
Chaque fois qu’un terme défini dans glossaire apparaît pour la première fois dans le corps du texte, il est signalé par une
mise en gras.
12 US Code of Federal Regulations, 43 CFR 11.14 ; voir aussi la Directive 2004/35/CE du Conseil de l’UE du
21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages
environnementaux (ci-après « la Directive de l’UE sur la responsabilité environnementale »), JO L143/56 (2004), telle
qu’amendée par : la Directive du Conseil 2006/21/CE, JO L102, la Directive du Conseil 2009/31/CE, JO L140 et la
Directive du Conseil 2013/30/UE, JO L170, art. 2.11, annexe II 1.2.3.
13 Fundación Neotrópica, Evaluation pécuniaire des dommages environnementaux résultant de la construction de
caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le gouvernement nicaraguayen en territoire Costa Rica sur l’île de
Portillos, communiquée en vertu de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015 (rapport de la
Fundación Neotrópica de juin 2016), p. 56, MCRI, vol. I, annexe 1.
14 Rapport de la Fundación Neotrópica de juin 2016, p. 53.
15 Ibid., p. 53.
16 Ibid., p. 10.
- 10 -
nous supposons en outre que tous les services écosystémiques correspondant à cette zone ont été
perdus pour 20 à 30 ans, alors même que le processus de régénération est déjà en cours17.
Dans les cas analogues à celui-ci, l’indemnisation doit se fonder sur le coût de la restauration
primaire et, en tant que de besoin, secondaire des ressources endommagées18. Tout le monde
s’accorde à dire que les canaux comblés se sont remplis dans le cadre de processus naturels et que
le Costa Rica a construit une digue sur le site oriental de 2013 dans le cadre de ce que nous
qualifierions une restauration primaire. Le Costa Rica réclame séparément une indemnisation à
raison du coût supporté au titre de cette activité19.
Le Costa Rica n’a pas indiqué s’il comptait tenter des opérations supplémentaires de
restauration primaire en vue, par exemple, de remplacer des arbres ou de la terre déplacée. Il
affirme que la reconstitution naturelle (à savoir la régénération sans intervention humaine) prendra
50 ans20. Dans son examen des demandes d’indemnisation du Costa Rica, G. Mathias Kondolf
indique que les périodes de reconstitution varient entre un et deux ans concernant le comblement
des caños, entre un et cinq ans concernant la repousse de l’herbe et des broussailles et entre quatre
et cinq ans concernant le rétablissement des arbres à un niveau suffisant pour assurer la plupart des
fonctions normalement fournies par une zone boisée21. Compte tenu des différences d’opinions sur
la durée escomptée de reconstitution et sachant que certains services pourraient mettre plus
longtemps que d’autres à se reconstituer, nous avons accepté aux fins de notre analyse la période de
reconstitution indiquée par le Costa Rica22. Dans le cadre de notre estimation des dommages, nous
supposons par conséquent que le remplacement intégral prendra entre 20 et 30 ans, ce qui équivaut
en termes de valeur actuelle à la période de 50 ans prévue par Neotrópica23.
Les meilleures pratiques en matière de dommages intermédiaires sont censées fournir des
services de remplacement relevant du même type et de la même qualité que ceux affectés et dotés
également d’une valeur comparable24. Plus spécialement, ce procédé suppose le calcul de
l’indemnisation au titre des pertes intermédiaires sur la base du coût des projets pouvant fournir des
services écosystémiques équivalant à ceux perdus plutôt que de l’étude économique de la valeur
17 MCRI, p. 33 ; Mathias Kondolf, mai 2017, Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant
le delta du fleuve San Juan, in Rapport de la Fundación Neotrópica (2016) ; addenda explicatifs au rapport intitulé
« Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement résultant de la construction de caños et de l’arrachage d’arbres
et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire costa-ricien d’Isla Portillos, déposée en application de
l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015 », en réponse à la demande d’éclaircissements formulée
par le Nicaragua dans sa lettre HOL-EMB-280 adressée à l’ambassadeur du Costa Rica, M. Sergio Ugalde, p. 3.
18 La restauration primaire implique des actions visant à restaurer les conditions qui prévalaient avant
l’événement sur le site endommagé (en comblant par exemple les caños dragués). La restauration compensatoire, quant à
elle, fournit des services de remplacement jusqu’à ce que les actions réparatrices ou la régénération naturelle prennent fin.
19 RCRI, p. 5.
20 MCRI, p. 33
21 G. Mathias Kondolf, Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta du fleuve San
Juan, mai 2017 (CMNI, annexe 2, p. 160), p. 6.
22 Rapport de la fondation Neotrópica sur la question de la méthodologie d’évaluation des dommages
environnementaux (« rapport de la Fundación Neotrópica d’août 2017 »), RCRI ; G. Mathias Kondolf, Examen de la
demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta du fleuve San Juan (mai 2017) (« rapport Kondolf de mai
2017 »), p. 6
23 C’est-à-dire que la valeur actuelle du préjudice sur 50 ans, dès lors que le dommage disparaît avec le temps, est
environ 14 fois supérieure à la perte de la première année ; à supposer une perte totale d’une durée comprise entre 20 et
30 ans, cette valeur est comprise entre 13,6 et 17 fois la perte de la première année.
24 15 CFR 990.53 c) 2) (US Oil Pollution Act regulations).
- 11 -
pécuniaire des services perdus25. La comparabilité est généralement établie au moment de la
sélection du service de remplacement. Une approche courante dans ce type de calcul établissant un
lien entre l’indemnisation et le remplacement effectif des services perdus consiste à se référer au
paiement accordé à des propriétaires terriens pour préserver des zones, par ailleurs non protégées,
dotées de valeurs de services écosystémiques comparables. Compte tenu de l’expérience du Costa
Rica en matière de financement de programmes de services écosystémiques et de l’existence de
zones humides non protégées dans ce pays, y compris dans la région de l’île Portillos26, cette
approche est envisageable27. Nous notons que le Costa Rica n’a aucunement suggéré que la
protection d’une telle zone serait impossible. Dans le cadre de notre estimation des dommages à
l’aide de cette approche, nous avons sélectionné le prix unitaire le plus élevé acquitté pour les
services écosystémiques au Costa Rica, tel qu’il est indiqué par l’International Institute for
Environment and Development (IIED)28. Nous avons ensuite calculé le coût représenté par l’achat
des services écosystémiques à ce tarif maximal par hectare sur 20 et 30 ans. Là encore, bien que
Neotrópica conteste cette approche, elle ne suggère aucune autre mesure de coût, préférant se
contenter d’affirmer que seule une évaluation économique du niveau de bien-être est acceptable en
ce qui concerne l’estimation des dommages.
IV. LES CRITIQUES FORMULÉES PAR LE COSTA RICA À PROPOS DE LA MÉTHODOLOGIE
UTILISÉE PAR LA COMMISSION D’INDEMNISATION DES NATIONS UNIES
SONT INFONDÉES
A. Les différences écologiques ne sont pas pertinentes
pour le choix de la méthode
Le Costa Rica suggère que le processus de traitement des demandes d’indemnisation par la
CINU ne saurait servir de modèle pertinent, dans la mesure où « l’environnement de la zone
humide concernée en l’espèce est radicalement différent » de celui qui faisait l’objet des demandes
examinées par le comité de commissaires de cet organe29. Neotrópica déclare dans son rapport : « la
méthodologie proposée par le Nicaragua sous-estime nettement les dommages environnementaux,
y compris en recourant à une comparaison déplacée avec des dommages survenus au début des
années 1990 dans des conditions quasiment désertiques »30.
Cette affirmation est trompeuse dans la mesure où les pays plaignants de la région du Golfe
possèdent des caractéristiques écologiques très diverses et où le choix entre les méthodologies
d’évaluation considérées par la CINU et celles proposées par le Costa Rica ne dépend pas de
l’écosystème en question.
25 Il s’agit de la méthode utilisée généralement par la CINU, telle qu’elle est décrite plus en détail ci-dessous et
dans Payne & Unsworth, mai 2017, p. 33. Voir également : US Department of the Interior, Natural Resource Damage
Assessment and Restoration Federal Advisory Committee Final Report (2007) p. 15, tel que ce document peut être
consulté à l’adresse : http ://www.nrdarpracticeexchange.com/documents/Final%20FACA%20Report%20May%
202007.pdf.
26 Ramsar Sites Information Service : Annotated List of Wetlands of International Importance, Costa Rica («La
zone sert principalement à l’agriculture, mais l’élevage extensif de bétail, le tourisme et la pêche constituent également
des activités importantes.» [Traduction du Greffe.]). Document consulté pour la dernière fois le 22 août 2017 à l’adresse :
https ://rsis.ramsar.org/sites/default/files/rsiswp_search/exports/Ramsar-Sites-annotated-summary-Costa-Rica.pdf?1503
421030.
27 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 33 et 34.
28 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 34 ; Porras, I., Barton, D.N, Miranda, M. et Chacón-Cascante, A. (2013),
« Learning from 20 years of Payments for Ecosystem Services in Costa Rica », International Institute for Environment
and Development, Londres.
29 RCRI, par. 2, 6, p. 6.
30 Rapport de la Fundación Neotrópica d’août 2017, RCRI, annexe 1, p. 34.
- 12 -
Les demandes d’indemnisation dont est saisie la CINU visent toute une série d’écosystèmes,
dont des sites répertoriés par Ramsar situés en Iran (zone humide de Shadegan) et en Jordanie
(zone humide d’Al-Azraq)31. La CINU a examiné des demandes d’indemnisation au titre de
dommages infligés à des écosystèmes situés dans le désert, des zones côtières et le fond
océanique32 ; des terres agricoles et des pâturages naturels compactés par les réfugiés et leurs
troupeaux33 ; et des écosystèmes désertiques endommagés par des véhicules militaires à chenilles34.
La grande diversité des types d’écosystèmes mentionnés dans les demandes présentées à la
Commission d’indemnisation des Nations Unies ressort également de la brochette d’experts
engagés comme conseillers du comité de commissaires F4 [F4 Panel] dans des domaines tels que :
l’écologie et la botanique du désert, l’agriculture, la sylviculture, les techniques de remise en état
du milieu terrestre ou marin, la biologie marine, l’écologie et la géomorphologie côtière, la
géologie, l’hydrogéologie et la qualité de l’eau35.
Même si le choix d’une méthodologie d’évaluation dépend de nombreux facteurs, la littérature ne
suggère pas de tenir compte des considérations géographiques. Au contraire, la pratique semble
démontrer qu’il n’en est rien. La directive de l’Union européenne sur la responsabilité36 suggère
d’appliquer sur un pied d’égalité des méthodologies à des Etats aussi différents écologiquement
que l’Italie et la Suède37. La réglementation des Etats-Unis relative à l’endommagement des
ressources naturelles applique les mêmes méthodologies d’évaluation aux incidents se produisant
dans divers endroits allant de l’Alaska à Hawaï38. Comme nous l’avons expliqué dans notre rapport
initial, même si les services fournis peuvent varier, les outils dont on dispose pour évaluer les
dommages sont identiques.
31 CINU, « Report and Recommendations made by the Panel of Commissioners Concerning the First
Instalment of ‘F4’ Claims » U.N. doc. S/AC.26/2001/16 (2001) par. 140, ci-après « CINU, première tranche F4 »,
disponible uniquement en anglais ; CINU, « Report and recommendations made by the Panel of Commissioners
concerning part one of the fourth instalment of ‘F4’ claims », U.N. Doc. S/AC.26/2004/16 (2004) par. 140, ci-après
« CINU, quatrième tranche F4 », partie 1 ; Payne & Unsworth, mai 2017, p. 16 ; Convention relative aux zones
humides d’importance internationale particulièrement comme habitats de la sauvagine, Recueil des traités des
Nations Unies, vol. 996, n° 14583, p. 245 ; liste Ramsar, art. 2.1.
32 CINU, première tranche F4, par. 13 (les réclamations incluaient : « endommagement du littoral ;
endommagement de pêcheries ; endommagement de zones humides [mangroves, désert côtier et eau douce] et de
pâturages ; endommagement de forêts, de terres agricoles et de bétail » [traduction du Greffe]) ; CINU, «Report and
recommendations made by the Panel of Commissioners concerning the fifth instalment of ‘F4’ claims»,
S/AC.26/2005/10 (2005), ci-après «CINU, cinquième tranche F4» (réclamations visant des dommages infligés à des
zones marines, des environnements marins – y compris des barrières de corail, des pêcheries et des zones subtidales et
intertidales, des déserts, des espèces en péril et des forêts).
33 CINU, cinquième tranche F4, par. 175 à 181 (Iran), par. 353 à 366 (Jordanie).
34 CINU, « Report and recommendations made by the Panel of Commissioners concerning the third instalment of
‘F4’ claims », UN Doc. S/AC.26/2003/31 (2003), par. 62, ci-après « CINU, troisième tranche F4 ».
35 CINU, quatrième tranche F4, partie 1, par. 54.
36 Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale.
37 Stevens & Bolton LLP, « The Study on Analysis of Integrating the ELD into 11 National Legal frameworks »,
rapport final préparé pour la Commission européenne – DG Environnement (2013).
38 Par exemple, U.S. Department of Commerce, National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA),
Damage Assessment and Restoration Plan and Environmental Assessment (DARP/EA) en ce qui concerne le
déversement accidentel de carburant diesel survenu le 11 janvier 2010 sur un site d’Adak Petroleum, (2013) 16 (Alaska),
disponible à l’adresse : https ://casedocuments.darrp.noaa.gov/northwest/adak/admin.html ; US Department of the
Interior, Final Restoration Plan and Environmental Assessment for the May 14, 1996 Chevron Pipeline Oil Spill into
Waiau Stream and Pearl Harbor, Oahu, Hawaii (1999), disponible à l’adresse : http ://www.gc.noaa.gov/
gc-rp/ph-fea2.pdf.
- 13 -
B. La méthodologie de la CINU est appropriée et compatible avec
la meilleure pratique actuelle
Le Costa Rica prétend que l’approche axée sur les services écosystémiques a été élaborée
après la publication du programme de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, de sorte
que la méthodologie prônée par cette commission n’est plus pertinente et revêt un caractère
obsolète39. Il déclare que l’application de cette approche « pose problème dans la mesure où la
Commission d’indemnisation des Nations Unies a mis fin à son traitement des demandes
d’indemnisation en 2005, c’est-à-dire l’année même de la publication du principal instrument
intégrant l’approche et la terminologie axées sur “les services écosystémiques”, à savoir le rapport
consacré à l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire [Millenium
Ecosystem Assessment] »40. Le Costa Rica prétend également que son approche est défendue par
des études et des décisions du programme pour l’environnement des Nations Unies et des parties à
la convention sur la diversité biologique41.
i) Les services écosystémiques servent depuis les années 1970 à analyser, gérer et évaluer
l’environnement
Comme indiqué dans notre résumé, la terminologie du Costa Rica mériterait d’être clarifiée.
Lorsque les experts de ce pays mentionnent « l’approche axée sur les services écosystémiques », ils
font référence à l’identification des services ayant été perdus et ont recours aux transferts
d’avantages, à savoir l’une des diverses méthodologies d’évaluation desdits services, pour leur
affecter une valeur pécuniaire. La présente section est consacrée à l’historique de ces méthodes.
L’approche axée sur les écosystèmes est une approche analytique dans laquelle
l’écosystème constitue l’unité étudiée « en appliquant les méthodes scientifiques appropriées se
concentrant sur les niveaux de l’organisation biologique, laquelle comprend la structure essentielle,
les processus, les fonctions et les interactions entre les organismes et leur environnement »42. Elle
peut servir à la fois à la réglementation et à la gestion43. Les services écosystémiques ou services
environnementaux sont « des fonctions assurées par une ressource naturelle au bénéfice d’une
39 RCRI, par. 2,6, p. 6 (« ces dernières années ont vu apparaître de nouvelles méthodes –– notamment dans le
cadre des travaux des Nations Unies et de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique –– qui
tendent à reconnaître toute l’ampleur, et parfois la persistance, des dommages causés à l’environnement »), rapport de la
Fundación Neotrópica d’août 2017, RCRI, annexe 1, p. 45.
40 RCRI, par. 2,8, p. 7 ; rapport de la Fundación Neotrópica d’août 2017, annexe 1, p. 43 ; l’objectif de
l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire « était d ’évaluer les conséquences de l’évolution des écosystèmes sur
le bien-être de l’Homme et d’établir la base scientifique des actions requises pour un renforcement de la conservation
des écosystèmes, de leur exploitation de manière durable et de leurs contributions au bien-être de l’Homme », Rapport
de synthèse de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Island Press, Washington, DC 2005).
41 PNUE, « Guidelines for the Development of Domestic legislation of Liability, Response Action and
Compensation for Damage Cause by Activities Dangerous to the Environment » adoptées par le conseil d’administration
du Programme des Nations unies pour l’environnement dans sa décision SSXI/5, partie B, du 26 février 2010 (ses lignes
directrices ne mentionnent aucune technique spécifique d’évaluation et définit les damages en recourant notamment à la
notion de service) ; conclusions du Groupe d’experts juridiques et techniques sur la responsabilité et la réparation dans le
cadre du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la diversité biologique, UNEP/CBD/COP/8/27/Add.3
(18 octobre 2005) (les coûts de restauration constituent la seule méthodologie d’évaluation mentionnée, la CINU est
mentionnée comme source) ; rapport de synthèse de la CBD (n84) (recommande l’approche adoptée par la CINU, émet
des réserves sur la méthodologie du transfert d’avantages) ; décision XI/16 de la CBD (aucune mention d’une technique
d’évaluation/approche en matière de compensation spécifique) ; UNEP/CBD/COP/11/INF/17 (document établissant des
liens entre la biodiversité et les stocks de carbone, mais n’abordant pas le sujet de l’évaluation économique) ; et
UNEP/CBD/COP/11/INF/18 (bibliographie relative à la restauration environnementale).
42 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 894, disponible uniquement
en anglais,
43 Douglas P. Wheeler, Keynote Address, 24 Ecology L.Q. 623, 630 (1997) (description de l’application de
l’approche axée sur les écosystèmes à la gestion de l’environnement en Californie).
- 14 -
autre ressource naturelle ou du public »44. Le concept peut servir à la fois à qualifier et à quantifier
le préjudice environnemental. Nous utilisons le concept de services écosystémiques dans le cadre
d’une étape intermédiaire du processus d’évaluation de l’environnement endommagé. Les
fonctions écosystémiques contribuent à la fourniture d’un service écosystémique, mais doivent
davantage s’analyser comme des « intermédiaires » ou des facteurs dans le processus de fourniture
dudit service (c’est le cas, par exemple, de la régulation des émissions de gaz assurée par les
écosystèmes, laquelle n’est pas un service)45.
Aux fins de l’affectation d’une valeur aux modifications des écosystèmes associés à une
action, les économistes ont longtemps jugé utile de prendre en considération les services fournis
par ces écosystèmes46. En fait, dès les années 1980, le ministère de l’intérieur des Etats-Unis a
explicitement exigé de tenir compte des changements affectant les services au moment d’évaluer
les dommages infligés à des ressources naturelles47. Le rapport consacré à l’évaluation des
écosystèmes pour le millénaire soulignait à quel point il est important de comprendre l’éventail
complet des services fournis par les écosystèmes, y compris la manière dont ceux-ci peuvent être
impactés par l’activité humaine48 et décrivait des méthodes d’évaluation économique largement
reconnues comme susceptibles de permettre leur évaluation49.
Ni la publication du rapport consacré à l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, ni la
publication en 1997 d’un article par Costanza et autres pour procéder à « une première
approximation de l’ampleur relative des services écosystémiques globaux »50 n’ont modifié l’état
actuel des connaissances scientifiques en matière d’évaluation des dommages écosystémiques,
44 Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale, art. 2.13 ; voir aussi Rashid Hassan,
Robert Scholes, Neville Ash, éditeurs, « Ecosystems and human well-being : current state and trends : findings of the
Condition and Trends Working Group » (Island Press 2005), Appendix D, Glossary, 895, tel que cet ouvrage peut être
consulté (uniquement en anglais) à l’adresse https ://www.millenniumassessment.org/en/Condition.html#download
(Millennium Ecosystem Assessment Glossary) ; règlement d’application du CERCLA (loi des Etats-Unis sur
l’intervention, l’indemnisation et la responsabilité en matière d’environnement), «le terme services désigne les fonctions
physiques biologiques assurées par la ressource, y compris les fonctions utilisées par l’être humain. Lesdits services
résultent des caractéristiques physiques, chimiques ou biologiques de la ressource.» US 43 CFR 11.14. Dans le même
texte, on lit également : «Aux fins de la présente section, les services incluent la fourniture d’un habitat, de nourriture et
d’autres éléments indispensables aux ressources biologiques, aux loisirs, ainsi qu’à d’autres produits ou services utilisés
par l’être humain, au contrôle des inondations, à la recharge des eaux souterraines, à l’assimilation des déchets et aux
autres fonctions comparables pouvant être assurées par des ressources naturelles.» US 43 CFR 11.71 e).
45 Par exemple, « [l]es processus et fonctions écosystémiques correspondent aux interactions biologiques,
chimiques et physiques entre les composants d’un écosystème. Ces processus et fonctions ne constituent pas des produits
finals, mais simplement une étape dans la production de services écosystémiques complets. » [Traduction du Greffe.]
Boyd, James et Spencer Banzhaf, « What are Ecosystem Services ? The Need for Standardized Environmental
Accounting Units », in Ecological Economics 63, p. 620 (2007).
46 Ainsi, Elliff et Kikuchi soulignent que : « [l]a reconnaissance explicite du terme “services écosystémiques” est
assez récente, même si l’idée que des écosystèmes naturels soutiennent la société humaine est ancienne. » [Traduction du
Greffe.] Elliff, Carla I. et Ruy K.P. Kikuchi, «The ecosystem service approach and its application as a tool for integrated
coastal management», Natureza et Conservacao 13 :105-111, 106 (2015). Nombreux sont les textes anciens dans le
domaine de l’économie environnementale qui se concentrent sur la description des méthodes permettant d’évaluer la
contribution d’une ressource naturelle au bien-être des peuples, y compris l’article fondateur de Freeman publié pour la
première fois en 1979 : Freeman, A.M., III, « The Benefits of Environmental Improvement : Theory and Practice » (Johns
Hopkins University Press for Resources for the Future : Baltimore, 1979).
47 51 Federal Register 27750 (1986).
48 « L’Evaluation pour le millénaire se concentre sur la manière dont l’Homme a modifié les écosystèmes et dont
les changements ayant affecté les services écosystémiques ont des effets sur son bien-être », Evaluation des écosystèmes
pour le millénaire, 2005 - Les écosystèmes et le bien-être de l’Homme : Un cadre d’évaluation », document pouvant être
consulté en anglais à l’adresse : http ://millenniumassessment.org/en/Framework.html. Un résumé en français peut-être
consulté à l’adresse : http ://millenniumassessment.org/documents/document.6.aspx.pdf.
49 Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, 2005 - Les écosystèmes et le bien-être de l’Homme : Un cadre
d’évaluation », chap. 6 : « Concepts of Ecosystem Value and Valuation Approaches ».
50 Robert Costanza et autres, « The value of the world’s ecosystem services and natural capital », Nature,
vol. 387, n° 6630 (1997), p. 253.
- 15 -
même si ces deux publications ont permis d’attirer l’attention des non-spécialistes sur ce sujet
important.
Il est utile de noter la distinction entre valeur et évaluation. L’évaluation est le « processus
d’expression d’une valeur pour un bien ou un service spécifique dans un certain contexte (par
exemple une prise de décision), généralement sous une forme permettant un comptage, souvent une
somme d’argent, mais également par le biais de méthodes et de mesures empruntées à d’autres
disciplines (sociologie, écologie, etc.) »51. Sous l’angle économique, elle exprime la volonté des
hommes de payer pour un service écosystémique dans l’hypothèse d’un marché parfait reflétant les
interdépendances entre les hommes et les systèmes naturels. Les valeurs de bien-être social ou
valeurs « supplémentaires » sont les valeurs que le public attribue à un service écosystémique en
plus du coût de fourniture de celui-ci52, c’est-à-dire « la contribution d’une action ou d’un objet à
des buts, objectifs ou conditions spécifiques à l’utilisateur »53.
Une pléthore de méthodologies économiques les plus diverses a été élaborée en vue
d’évaluer les services écosystémiques, lesquelles pourraient toutes s’appliquer dans le cadre de
l’approche axée sur ces services. La technique du transfert d’avantages auquel le Costa Rica a eu
recours n’est que l’une d’entre elles. Le transfert d’avantages est utilisé aux fins d’évaluation
depuis les années 197054. Les experts approuvant l’utilisation de cette approche devraient
également mettre en garde contre les risques de son application abusive, tels qu’ils sont décrits
ci-dessous.
ii) La CINU a examiné des demandes portant sur des dommages évalués à l’aide de
méthodologies fondées sur les services écosystémiques
La commission d’indemnisation des Nations Unies a effectivement tenu compte de services
écosystémiques pour évaluer des dommages environnementaux, comme nous l’avons déjà expliqué
dans notre rapport de mai 201755. Il n’existe aucun lien logique entre la solidité et la pertinence de
la méthodologie de la CINU et la date de publication de l’Evaluation par les Nations Unies des
écosystèmes pour le millénaire, dans la mesure où la référence aux services écosystémiques pour
analyser les préjudices environnementaux dans le contexte d’une demande de réparation remonte
bien avant 200556 et où la CINU a examiné plusieurs demandes fondées sur cette méthode et a
même fait droit à certaines d’entre elles.
Les personnes ayant introduit des demandes devant la CINU au titre de dommages
environnementaux réclamaient le plus souvent une compensation des coûts – supportés dans le
cadre de leurs activités relevant de la réaction, du suivi, de l’évaluation, de la réparation et de la
restauration – dans des circonstances où la réparation ou la restauration s’avérait impossible.
S’agissant par exemple d’un écosystème situé sur le littoral, endommagé par un déversement
d’hydrocarbures et trop fragile pour qu’on applique des solutions immédiates, les requérants ont
51 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 902.
52 Voir, par exemple : Freeman, A.M., III, Joseph A. Herriges, and Catherine L. Kling. 2014 The Measurement of
Environmental and Resource Values : Theory and Methods. Third Edition. Resources for the Future Press : New York,
p. 12, 13, 46 et 47.
53 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 902.
54 Johnston, Robert J., John Rolfe, Randall S. Rosenberge, et Roy Brouwer, « Introduction to Benefit Transfer
Methods, in Benefit Transfer of Environmental and Resource Values, A Guide for Researchers and Practitioners »,
(Editors : Johnston, R.J., Rolfe, J., Rosenberger, R., Brouwer, R. (eds.) Springer 2015) p. 20.
55 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 16 et 17.
56 Voir, par exemple, Gretchen Daily, « Nature’s Services » (1997) ; Nick Hanley et Clive L. Spash,
« Cost-benefit analysis and the environment » (1993) ; David W. Pearce et R. Kerry Turner, « Economics of natural
resources and the environment » (1990) ; Carol Adaire Jones, « Economic Valuation of Resource Injuries in Natural
Resource Liability Suits », 126 J. Water Resources Plan. & Mgmt. 358-65 (2000).
- 16 -
utilisé d’autres approches permettant d’exprimer la valeur des services écosystémiques perdus en
termes de compensation financière. Un des commissaires de la « tranche » de demandes F4 a
d’ailleurs écrit à ce propos :
Dans son évaluation de ces dommages environnementaux, le comité a pris en
compte un certain nombre de nouvelles méthodologies élaborées à cette fin dans les
systèmes contemporains de droit et d’économie de l’environnement, sur la base du
témoignage informel d’éminents experts en la matière [note de bas de page : dont les
professeurs Robert Costanza (Vermont) et feu David W. Pearce (Londres)]. Tout en
estimant l’évaluation contingente rétrospective et les enquêtes « sur les coûts de
transport » inadéquates pour quantifier la perte alléguée d’usages récréatifs du littoral
au Koweït et en Arabie Saoudite, il a accepté la méthode « habitat equivalency
analysis (HEA) [méthode de l’équivalence Habitat] » comme un moyen approprié
pour déterminer la nature et l’ampleur de l’indemnisation requise afin de compenser la
perte de services écologiques – qu’il s’agisse de pâturages utilisés par la faune en
Jordanie, d’habitats riverains naturels au Koweït en Arabie saoudite, etc. – […] en
présence de services écologiques ayant été perdus de manière irrémédiable à la suite
de la guerre du Golfe de 1991 (comme les pertes de type Humpty-Dumpty), le seul
remède praticable consistait à fournir aux pays victimes de nouveaux services
écologiques d’une valeur à peu près équivalente. La solution retenue en définitive a
donc consisté à élaborer trois projets compensatoires tels qu’ils sont sommairement
décrits, de même que leur modification, dans les annexes techniques au rapport final
du Comité. [Notes de bas de page omises.]57
Dans l’une de ces demandes, la Jordanie proposait une étude de suivi et d’évaluation basée
sur une analyse Habitat Equivalency Analysis (HEA) [analyse selon la méthode de l’équivalence
Habitat] afin de développer différentes options de restauration en vue « de refléter l’ampleur et la
durée dans le temps des dommages infligés aux ressources et de quantifier en termes monétaires la
perte de “services écosystémiques’ dans des zones marines »58. L’analyse HEA permet d’évaluer au
niveau adéquat les efforts de restauration requis pour compenser un préjudice spécifique, en
établissant une équivalence entre l’échelle des dommages et les avantages inhérents à l’action
compensatoire grâce au recours à un outil de mesure des services59. La CINU a rendu une décision
qualifiant l’étude proposée par la Jordanie « de mesure appropriée pour permettre aux autorités
jordaniennes d’essayer d’évaluer ces impacts environnementaux et les options envisageables en
matière de restauration, et qualifiant les méthodes proposées de pratiques internationalement
reconnues »60. La commission a également pris deux décisions concernant des demandes
introduites par la Jordanie dans lesquelles cette dernière a eu recours à l’analyse HEA et à
l’évaluation des services écosystémiques perdus dans des environnements désertiques61 et des
zones humides62.
57 Peter Sand, «Compensation for Environmental Damage from the 1991 Gulf War», 35 :6 in Environmental
Policy and Law 244-249 (décembre 2005). Pour une analyse de la mise en oeuvre de ces approches dans les systèmes
juridiques nationaux, voir Union européenne, « Study on Analysis of integrating the ELD into 11 national legal
frameworks : Final Report » (16 décembre 2013, disponible uniquement en anglais).
58 CINU, première tranche F4, par. 338, 339 et 342.
59 Zafonte, Matthew et Steve Hampton, 2007, « Exploring Welfare Implications of Resource Equivalency
Analysis in Natural Resource Damage Assessments » in Ecological Economics 61 (134 à 145).
60 Ibid., par. 339.
61 CINU, première tranche F4, par. 344 et 348.
62 CINU, première tranche F4, par. 352 et 354.
- 17 -
La Jordanie, le Koweït et l’Arabie saoudite ont également eu recours à l’analyse HEA pour
évaluer les dommages intermédiaires de certains sites touchés pour lesquels la régénération
naturelle pendant des décennies constituait le seul remède envisageable63. Ces Etats ont défendu
leur recours à l’analyse HEA, comme indiqué dans le rapport de la CINU, en faisant valoir que :
Il s’agit d’une méthodologie largement acceptée et souvent utilisée pour
quantifier la perte écologique de services associés à des déversements accidentels
d’hydrocarbures ou d’autres contaminants. Selon les requérants, l’analyse HEA
constitue un mécanisme approprié pour affecter les coûts d’une restauration
compensatoire à des solutions de rechange capables de fournir des ressources et des
biens comparables en nature et en qualité aux pertes subies. Aux yeux des
commissaires, les méthodologies qu’ils ont utilisées dans le cadre de la cinquième
tranche « F4 » sont des méthodes internationalement acceptées aux fins de
détermination de l’ampleur des pertes de ressources naturelles de manière à ce qu’une
compensation correcte puisse être accordée64.
Les rapports publiés par le comité de la CINU démontrent par conséquent que plusieurs Etats
ayant introduit des demandes devant la commission ont présenté leurs dommages écologiques sous
forme de services écosystémiques perdus et que la commission s’est longuement penchée sur la
question de la validité et de l’acceptation générale de cette approche dans le cadre d’une procédure
judiciaire internationale.
iii) Les régimes de responsabilité environnementale ont été établis avant les services
écosystémiques reconnus de 2005
Les services écosystémiques étaient reconnus dans le cadre de l’évaluation des dommages en
vue de l’indemnisation d’un préjudice environnemental aux Etats-Unis et dans l’Union européenne
avant 2005 lorsque le processus d’examen des demandes par la CINU a pris fin. La méthodologie
que nous recommandons en l’occurrence se fonde sur le concept de services écosystémiques.
Les services constituent un élément de l’analyse en vertu du Comprehensive Environmental
Response, Compensation, and Liability Act of 1980 (CERCLA) des Etats-Unis selon lequel les
autorités publiques doivent identifier des options différentes en ce qui concerne «i) la restauration
ou la réhabilitation des ressources naturelles affectées afin qu’elles soient de nouveau capables de
fournir le même niveau de services qu’avant l’événement perturbateur, ou ii) le remplacement et/ou
l’acquisition de ressources naturelles équivalentes capables de fournir de tels services »65. Le
règlement d’application du CERCLA définit les services comme « les fonctions physiques et
biologiques assurées par la ressource, y compris sous l’angle des utilisations par l’homme desdites
fonctions. Ces services correspondent à la qualité physique, chimique ou biologique de la
ressource »66. Ils incluent « la fourniture d’un habitat, de nourriture et d’autres éléments
63 CINU, cinquième tranche F4, par. 73 et 356 à 366 (demande introduite par la Jordanie au titre de dommages
infligés à des pâtures et à des espèces menacées d’oryx et de gazelles des sables), 420-428 (demande introduite par le
Koweït au titre de dommages infligés à des pâtures et autres sites terrestres), 606-610 (demande introduite par l’Arabie
saoudite au titre de dommages infligés à des zones de pâturage situées dans le désert), 676-682 (demande introduite par
l’Arabie saoudite au titre de dommages infligés à des écosystèmes riverains). Le Koweït a également réclamé une
indemnisation intermédiaire au titre de ressources riveraines perdues en se fondant sur une autre méthodologie dite « du
taux d’actualisation par hectare et par an », laquelle a été acceptée (ibid., par. 442 à 457).
64 Ibid., par. 79.
65 43 CFR 11.82.
66 43 CFR 11.14 – Définitions. L’approche suivie par les Etats-Unis en matière d’indemnisation des dégâts
environnementaux exige des autorités publiques qu’elles préparent une évaluation dite NRDA (pour « natural resource
damage assessment ») des dommages infligés à une ressource naturelle. La NRDA est définie comme « le processus
consistant à collecter, compiler et analyser des informations, des statistiques ou des données en se conformant aux
méthodologies prescrites pour déterminer les dommages infligés aux ressources naturelles ».
- 18 -
indispensables aux ressources biologiques, aux loisirs, ainsi qu’à d’autres produits ou services
utilisés par l’être humain, au contrôle des inondations, à la recharge des eaux souterraines, à
l’assimilation des déchets et aux autres fonctions comparables pouvant être assurées par des
ressources naturelles »67. En vertu du CERCLA, la phase de quantification d’une évaluation des
dommages infligés une ressource naturelle exige « de déterminer la mesure dans laquelle les
services de la ressource naturelle ont été réduits en raison du dommage établi au cours de la phase
d’évaluation du préjudice »68.
La loi des Etats-Unis équivalente dans le domaine du déversement accidentel
d’hydrocarbures, l’Oil Pollution Act of 1990 (OPA) inclut également les services comme concept
fondamental dans le but de « permettre à l’environnement et au public d’obtenir réparation au titre
des préjudices infligés à des ressources et à des services naturels »69. Cette loi impose à la fois une
restauration primaire (« toute action, y compris une régénération naturelle, permettant de remettre
les ressources et les services naturels en état ») et une réparation compensatoire (« action visant à
compenser les pertes intermédiaires de ressources et de services naturels survenus pendant la
période allant de la date de l’incident jusqu’à la reconstitution »)70. Pour plus de détails sur la
manière de calculer une restauration compensatoire, voir plus bas la section VI.
De même, la Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale définit
« les dommages » comme une modification négative d’une ressource naturelle71.
iv) La CINU a examiné des demandes d’indemnisation fondées sur la méthodologie du
transfert d’avantages
Comme indiqué dans notre rapport de mai 2017, dans son examen de la cinquième tranche,
la CINU a examiné et rejeté la méthodologie basée sur le transfert d’avantages proposée par
l’Iran72. Dans son rapport, le comité compétent a fait valoir que : « la valeur des services
écologiques utilisés par l’Iran pour calculer ce montant est celle estimée dans l’article publié par
R. Costanza et autres intitulé «The value of the world’s ecosystem services and natural capital»,
Nature, volume 387, no 6630 (1997), p. 253 »73. Or, c’est précisément la même approche que
Neotrópica utilise pour procéder à son estimation des dommages.
Le Costa Rica a recours à la méthodologie du transfert d’avantages pour évaluer une série de
services écosystémiques perdus pendant une certaine période. Cette méthodologie repose sur
l’adoption de valeurs pécuniaires découlant d’une estimation primaire effectuée sur la base de
données provenant d’un autre site74. Le transfert d’avantages est une approche dans le cadre de
laquelle des estimations obtenues (quelle que soit la méthode employée) dans un contexte sont
utilisées pour estimer des valeurs dans un contexte différent75. La législation des Etats-Unis
67 43 CFR 11.71 e).
68 43 CFR 11.71 a). Cette disposition législative, la sous-section 11.71 d), indique spécifiquement comment
sélectionner les services et les méthodologies.
69 15 CFR 990.10.
70 15 CFR 990.30.
71 Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale, art. 2.2.
72 CINU, cinquième tranche F4, par. 175. Peter H. Sand, Environmental Principles Applied, in Payne & Sand,
182-183 ; CINU, cinquième tranche F4, par. 178. Parmi les autres facteurs indiqués dans l’évaluation de la CINU figure
l’absence de preuves attestant de l’ampleur du dommage et la probabilité que des facteurs étrangers à l’invasion du
Koweït par l’Iraq aient pu contribuer au dommage. Ibid., 177.
73 CINU, cinquième tranche F4, note de fin de texte 35.
74 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 14.
75 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 895.
- 19 -
désigne l’application choisie par Neotrópica comme la méthodologie basée sur les valeurs
unitaires, mais se concentre sur les pertes d’utilisation par l’homme de ressources naturelles dans sa
définition de ladite approche. Pour reprendre les explications énoncées dans la loi CERCLA,
«les valeurs unitaires sont des valeurs en dollars prédéfinies pour divers types
d’expériences du public, récréatives ou autres, non commercialisées. Lorsque cela
s’avère possible, il est préférable de recourir à des valeurs unitaires de la région des
ressources affectées et à des valeurs unitaires très semblables à l’expérience récréative
ou autre dont la perte a été constatée.»76
Alors que la méthodologie d’évaluation des transferts d’avantages utilisée par Neotrópica a
été développée dans les années 1970, son utilisation dans le cadre des indemnisations est limitée.
La législation des Etats-Unis relative à la responsabilité environnementale – élaborée bien avant la
parution en 1997 de l’article de Costanza mentionné par Neotrópica – permettait de recourir au
transfert d’avantages pour évaluer « les expériences récréatives ou autres perdues » (pêche, loisirs
de plage, etc.) lorsque des « valeurs unitaires très semblables » à celles perdues peuvent être
trouvées77. La fiabilité des résultats obtenus en appliquant cette méthodologie dépend de la
pertinence du transfert et des hypothèses associées (pour plus de détails, voir plus bas la section V).
La législation et les normes élaborées aux Etats-Unis et dans l’Union européenne après que
la CINU a cessé ses fonctions n’ont pas adopté le transfert d’avantages comme une approche
« rapide » axée sur les services écosystémiques pour évaluer les modifications des écosystèmes
résultant d’un préjudice environnemental. Comme noté dans le contre-mémoire de la République
du Nicaragua sur la question de l’indemnisation (mai 2017), plusieurs autorités comme le National
Ecosystem Services Partnership (NESP) ont explicitement rejeté l’approche axée sur les services
écosystémiques et basée sur un transfert « rapide » d’avantages. Or c’est précisément celle que
Neotrópica utilise. Selon le NESP :
Un large nombre de transferts décrits dans la littérature ancienne consacrée aux
services écosystémiques (notamment dans les journaux non économiques) et utilisés
dans les outils d’évaluation desdits services applique des méthodes vouées à la
production d’erreurs importantes ou d’estimations erronées, surtout en raison de
l’agrégation incorrecte de valeurs marginales, de l’impossibilité de prendre en
considération les relations spatiales entre les écosystèmes et leurs bénéficiaires
humains ainsi que leur évolution au fil du temps et d’autres erreurs de généralisation.
Par exemple, les études consacrées au transfert d’avantages dans le but d’évaluer des
services écosystémiques relevant d’un biome spécifique ou bien à l’échelle mondiale
sont généralement considérées comme invalides par les économistes et comme peu
susceptibles de contribuer valablement au processus de prise de décision. De même,
les outils d’évaluation des services écosystémiques se contentant de multiplier une
valeur unitaire par la surface d’un écosystème ne reflètent pas l’évolution de la valeur
des services écosystémiques en fonction du nombre d’utilisateurs ou de bénéficiaires
ou bien de la raréfaction des ressources.78
En outre, l’Union européenne a créé une « boîte à outils » censée permettre la détermination
de la valeur pécuniaire d’un dommage environnemental, dans laquelle – il convient de le
76 43 CFR 11.83 c) 2) vi).
77 51 Federal Register 27750 (1986).
78 National Ecosystem Services Partnership (NESP), Federal Resource Management and Ecosystem Services
Guidebook. (2nd ed. Durham : National Ecosystem Services Partnership, Duke University 2016), tel que ce document
peut être consulté à l’adresse suivante : https ://nespguidebook.com.
- 20 -
souligner – l’approche utilisée par Neotrópica n’est pas considérée comme une méthodologie
acceptée79.
En bref, selon Neotrópica, les parties qui introduisaient devant la CINU une demande
d’indemnisation d’un dommage environnemental résultant de l’occupation illégale du Koweït par
l’Iraq n’avaient pas à leur disposition l’approche qu’elle a elle-même suivie, à savoir
l’identification de services écosystémiques suivie d’une évaluation à l’aide de la méthodologie du
transfert d’avantages. Comme indiqué plus haut, ce n’est tout simplement pas le cas. Neotrópica se
fonde également sur la date de la publication du rapport d’évaluation par les Nations Unies des
écosystèmes pour le millénaire pour démontrer une évolution de l’état de la science en matière
d’évaluation des écosystèmes. Même si ledit rapport constitue un document important reflétant le
résultat d’une prise de conscience sur plusieurs dizaines d’années de l’importance des écosystèmes
pour le bien-être de l’homme, il n’est pas le premier à souligner la valeur des services
écosystémiques80. L’état de la science n’a aucunement été bouleversé en 2006.
v) Les autorités citées par le Costa Rica soutiennent la méthodologie de la CINU, mais
appellent à la prudence en cas de recours à la méthodologie du transfert d’avantages
En ce qui concerne l’utilisation de la méthodologie fondée sur le transfert d’avantages
Le Costa Rica mentionne plusieurs fois le rapport de synthèse sur l’évaluation préparée par
la Conférence des Parties à la Convention sur la biodiversité (CdP à la CBD)81 et prétend que ledit
document prône l’utilisation de sa méthodologie, ce qui impliquerait l’obsolescence de l’approche
observée par la CINU82. Au contraire, le rapport de synthèse la mentionne de manière favorable
alors qu’il contient plusieurs mises en garde concernant la méthodologie du transfert d’avantages.
En ce qui concerne l’approche suivie par la CINU en qualité de méthodologie internationale
d’évaluation du coût de la réparation complémentaire et compensatoire, le rapport de synthèse de la
CdP à la CBD précise également :
Dans le contexte des dommages temporaires infligés à des ressources naturelles
sans valeur commerciale, certaines conclusions de la Commission d’indemnisation des
Nations Unies – concernant son travail relatif à la responsabilité de l’Iraq dans les
dommages environnementaux résultant de l’invasion et de l’occupation du Koweït –
sont pertinentes83.
79 REMEDE, Resource Equivalency Methods for Assessing Environmental Damage in the EU, Deliverable 13 :
«Toolkit for Performing Resource Equivalency Analysis to Assess and Scale Environmental Damage in the European
Union» (juillet 2008).
80 Elliff, Carla I. et Ruy K.P. Kikuchi, «The ecosystem service approach and its application as a tool for
integrated coastal management», Natureza and Conservacao 13 : 105-111 (2015).
81 CdP à la CDB : Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention
sur la diversité biologique : Rapport de synthèse sur l’information technique relative aux dommages causés à la
biodiversité et les approches pour l’évaluation et la réparation des dommages causés à la biodiversité, ainsi que les
informations sur les mesures et les expériences nationales/internes, UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1 (20 mars 2008)
(rapport de synthèse de la CdP à la CBD) ; CdP à la CDB : Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2
de l’article 14 de la Convention sur la diversité biologique, UNEP/CBD/COP/DEC/XII/14 (2014) (qui tire des
enseignements de plusieurs études dont le rapport de synthèse de la CdP à la CDB). Voir également CdP à la CDB :
Mesures d’incitation : application des outils d’évaluation de la diversité biologique et des ressources et fonctions de la
diversité biologique, UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/25 (2006), annexe («[la méthode du transfert d’avantages] est encore
au stade de l’élaboration. Il faudrait que d’autres travaux soient réalisés afin de vérifier sa validité dans les études où elle
sert à évaluer la biodiversité.»).
82 RCRI, par. 2.8 à 2,12.
83 Rapport de synthèse de la CdP à la CBD, par. 128.
- 21 -
Le rapport de synthèse de la CdP à la CBD passe ensuite en revue l’utilisation et l’appréciation par
le comité F4 de la CINU de plusieurs aspects de diverses méthodologies d’évaluation avant de
conclure :
Cependant, le comité n’a pas jugé les difficultés potentielles en cause
suffisamment sérieuses pour rejeter globalement ces méthodologies ou pour conclure
que leur utilisation est contraire aux principes du droit international. Le comité a
rappelé sa position : les mesures de réparation des ressources endommagées devraient
se concentrer sur la restauration primaire c’est-à-dire sur le rétablissement des
fonctions écologiques. Par conséquent, les mesures de restauration compensatoire
devraient être considérées uniquement en présence de preuves suffisantes que la
restauration primaire ne parviendra pas à indemniser intégralement les pertes
identifiées. Ce n’est que dans ce cas que la méthodologie peut être considérée comme
un outil utile pour déterminer à quel point la restauration compensatoire est nécessaire
et faisable dans les circonstances de l’espèce84.
Le rapport de synthèse de la CdP à la CBD décrit le transfert d’avantages comme « une
méthode comparativement peu onéreuse et rapide », mais ayant également soulevé « de vives
controverses dans la littérature économique, dans la mesure où elle est souvent utilisée de manière
inopportune »85. Citons notamment ce passage :
Il arrive que, dans le contexte d’une prise de décision, on soit prêt à tolérer une
certaine imprécision, à condition de respecter les normes minimums de qualité, dans le
but d’obtenir rapidement des données chiffrées. Par exemple, à supposer que des
données d’évaluation soient disponibles sur les dommages causés à la biodiversité et
leur restauration dans un cas très semblable, le transfert d’avantages peut fournir au
moins une indication quant à la question de savoir si le coût des mesures de
restauration proposées est excessif par rapport aux bénéfices qu’on en attend86.
Tout cela indique la nécessité d’appliquer avec grand soin et de manière limitée la méthode
choisie par le Costa Rica et mise en oeuvre par ce pays de la manière analysée à la section V du
présent rapport.
V. INDÉPENDAMMENT DU FAIT DE SAVOIR SI L’APPROCHE AXÉE SUR LES SERVICES
ÉCOSYSTÉMIQUES CONVIENT, L’ANALYSE EFFECTUÉE PAR NEOTRÓPICA
EN L’ESPÈCE NE RESPECTE PAS LES MEILLEURES PRATIQUES
La question de savoir quelle approche en matière de dommages devrait être utilisée pour
calculer l’indemnisation en l’espèce dépend en grande partie de la question de savoir si l’analyse de
Neotrópica est conforme aux meilleures pratiques correspondant aux méthodes choisies. En dépit
de nos observations concernant des lacunes importantes telles qu’elles étaient contenues dans notre
rapport précédent adressé à la Cour, Neotrópica n’a pas modifié son approche, ses hypothèses ou
ses calculs, préférant invoquer une série de nouveaux arguments dans le but d’essayer de
corroborer son analyse et ses résultats. Dans la présente section, nous résumons nos quatre
principales préoccupations relatives à la manière dont Neotrópica applique l’approche de
l’économie écologique : 1) on peut douter que le transfert d’avantages auquel elle procède est
conforme aux meilleures pratiques établies ; 2) il existe un risque de double comptabilisation d’une
catégorie de services à l’autre (notamment en cas d’utilisation de la valeur du bois d’oeuvre sur le
marché comme valeur approximative d’un écosystème composé d’arbres vivants en plus des
84 Ibid., par. 130.
85 Ibid., par. 136.
86 Ibid.
- 22 -
valeurs non marchandes des mêmes services) ; 3) l’addition des valeurs des services
écosystémiques au fil du temps est incorrecte ; et 4) il règne une certaine confusion quant à l’objet
du taux d’actualisation sociale utilisé par Neotrópica. Nous présentons également une description
de la manière dont l’analyse aurait pu être effectuée selon les meilleures pratiques.
La valeur actuelle et le taux d’actualisation sociale sont deux concepts clés. La valeur
actuelle est celle qui correspond à un flux projeté des futurs avantages (ou coûts), en fonction d’un
élément chronologique (taux d’actualisation) exprimé sous la forme d’une somme unique
aujourd’hui87. Le calcul de la valeur actuelle d’un service écosystémique implique généralement le
recours à un taux d’actualisation social positif. Le taux d’actualisation social est le taux sans
risque auquel la société troque la consommation actuelle de biens et services pour des biens et
services futurs88. Il s’agit donc du taux servant à convertir un flux de dommages futurs en une seule
valeur actuelle.
A. Application défectueuse de la méthodologie du transfert d’avantages
Neotrópica déclare expressément ne pas avoir procédé à la moindre évaluation primaire en
l’espèce. Elle a préféré appliquer des valeurs existantes prélevées dans la littérature et d’autres
sources pour générer une estimation des dommages. Comme indiqué plus haut, alors que le
transfert d’avantages sert à évaluer les pertes en services humains (par exemple l’impossibilité de
profiter des plages après un déversement accidentel d’hydrocarbures), cette méthodologie n’est pas
-- selon notre expérience appliquée dans le contexte de l’évaluation de la responsabilité
environnementale à raison de pertes de services écologiques tels que la formation du sol, la
biodiversité ou l’atténuation des risques naturels. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le
simple transfert de valeurs extraites de la littérature par opposition à un transfert de fonctions de
valeur89. Dans ce cas, l’estimation de la perte basée sur le coût de remplacement en recourant
à une équivalence d’habitat est beaucoup plus fréquemment appliquée. Cette préférence tient pour
une grande part au défi inhérent à l’exécution d’un transfert valable, notamment l’absence dans la
littérature d’études visant directement le type de la modification écosystémique en cause, l’énorme
87 U.S. Environmental Protection Agency, National Center for Environmental Economics, mai 2014, « Guidelines
for Preparing Economic Analyses », p. 6-2.
88 Ibid., p. 6-6.
89 La valeur des services écosystémiques, comme les loisirs, est fonction des attributs spécifiques du site en cause
(par exemple le fait de savoir si la plage visitée dispose d’installations comme des douches), de la nature du changement
mesuré (par exemple la perte totale ou partielle de la ressource naturelle fournissant le service) et de la méthode utilisée
pour valoriser ledit service s’agissant par exemple de savoir si les valeurs se fondent sur le comportement observé ou les
préférences déclarées des utilisateurs (sur la base notamment d’enquêtes publiques), une pratique généralement perçue
comme moins fiable. Les fonctions de transfert d’avantages expliquent les différences entre les résultats des diverses
études utilisant lesdits facteurs. Cette manière de procéder permet à un chercheur désireux de transférer des valeurs de
mettre les attributs des sites et le problème d’évaluation en cause en équation, afin de procéder à une estimation plus
précise des valeurs. Les transferts de valeurs d’unité, tels que ceux effectués par Neotrópica, portent sur de simples
moyennes (voire des valeurs individuelles) empruntées à la littérature sans ajustement pour le problème spécifique
d’évaluation en cause. « Lorsque vous avez le choix entre transférer une fonction ou une estimation ponctuelle, il vaut
mieux transférer l’intégralité de la fonction de demande (dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le transfert de la
fonction d’avantages) que l’estimation unique (dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le transfert du point
d’avantage). » U.S. Office of Management and Budget, Circular A-4 : Regulatory Analysis (septembre 2003)].
- 23 -
variation de nature entre les types d’écosystèmes évalués, ainsi que d’autres facteurs. Tous ces
éléments contribuent à générer des valeurs résultantes très incertaines90.
En ce qui concerne l’élaboration d’une estimation des dommages primaires, Neotrópica
déclare :
L’investissement en temps et le coût d’application de ces méthodes peuvent être
considérables, car ils dépendent de la collecte systématique d’informations primaires
et secondaires qui doit s’effectuer de manière rigoureuse, par le biais du cadre de
services environnementaux décrits plus haut. C’est pourquoi d’aucuns les qualifient de
méthodes lentes. La technique d’évaluation dite « du transfert des avantages » s’est
répandue dans les années 1990. Cette technique rapide a fait des adeptes grâce aux
travaux de Costanza et autres (1997) diffusés dans notre hémisphère notamment par
l’Institut économique Gund de l’Université du Vermont aux Etats-Unis et l’ONG
Earth Economics91.
Comme indiqué plus haut, l’interprétation par Neotrópica de l’histoire de la méthodologie
basée sur le transfert d’avantages est erronée. Ceci dit, en rejetant le recours aux méthodologies
« lentes » (c’est-à-dire la recherche primaire des dommages marginaux résultant des changements
écologiques sur le site affecté) et en proposant une analyse basée sur un transfert « rapide »
d’avantages, Neotrópica se place dans l’obligation de respecter les meilleures pratiques relatives à
cette méthode d’évaluation92. Il en va notamment ainsi parce que l’approche retenue, celle du
transfert d’avantages fondée sur de simples valeurs unitaires, est également celle qui comporte le
plus grand risque d’erreur, dans la mesure où elle offre également le moins de possibilités
d’ajustement des valeurs existantes en l’espèce93.
En cas de recours au transfert d’avantages, l’application de cette méthode doit au moins
satisfaire certaines conditions : i) la ressource ou le service évalué doivent être très semblables sur
le site de référence et sur le site d’application ; ii) la population (humaine) affectée doit présenter
des caractéristiques très semblables94 ; et iii) les estimations initiales transférées doivent
elles-mêmes être vraiment fiables. Toutefois, notre sentiment est que l’analyse effectuée par
Neotrópica ne répond pas à ces critères.
90 L’incertitude inhérente à un transfert « rapide » d’avantages fondé sur des valeurs unitaires ressort d’un rapport
écrit par l’un des analystes de Neotrópica, Rudolf de Groot. Dans ce document, l’intéressé explore les variations dans les
estimations des services écosystémiques fournis par différents types d’habitats. Il convient de souligner que, si la valeur
moyenne obtenue pour les zones humides du littoral se monte approximativement à 190 000 dollars des Etats-Unis,
l’écart type est d’environ 384 000 dollars des Etats-Unis. Ce résultat implique que la vraie valeur pourrait en fait être de
zéro. La valeur médiane est de 12 162 dollars des Etats-Unis, ce qui suggère fortement que les estimations sous-jacentes
ne sont pas réparties normalement. De telles statistiques indiquent clairement que, si l’estimation d’un service
écosystémique peut être mathématiquement calculée en recourant à une approche fondée sur le transfert d’unités, les
résultats ainsi obtenus peuvent grandement varier en fonction des services inclus, des hypothèses formulées et des études
exploitées. Rudolf de Groot et autres, « Global estimates of the value of ecosystems and their services in monetary units »
in Ecosystem Services 1, 50-61 (2012).
91 Rapport de la Fundación Neotrópica, juin 2016, MCRI, vol. I, annexe 1, p. 110.
92 A comparer à l’examen par la CINU de la demande koweïtienne fondée sur une évaluation contingente,
cinquième rapport de la CINU consacré à la tranche F4, par. 463 et 464 (de graves problèmes techniques en matière de
mise en oeuvre de l’évaluation contingente ont conduit les commissaires à rejeter la demande alors même qu’il était
probable que le Koweït avait subi des pertes intermédiaires d’activités récréatives).
93 Voir, plus haut, la section IV.B.iv).
94 Freeman, A.M., III, Joseph A. Herriges et Catherine L. Kling, The Measurement of Environmental and
Resource Values : Theory and Methods 420 (troisième édition, Resources for the Future Press : New York, NY 2014).
- 24 -
i) La ressource ou le service évalué sont-ils analogues à ceux décrits dans la littérature ?
La pertinence de la valeur indiquée dans la littérature au regard du problème d’évaluation en
cause constitue un élément essentiel de tout transfert valable. La sélection de ladite valeur exige la
compréhension de la différence entre les valeurs marginales et moyennes des biens
environnementaux, dans la mesure où bon nombre de valeurs présentées dans la littérature sont des
moyennes (c’est-à-dire la valeur moyenne par hectare d’un écosystème entier) et non la valeur de
petits changements affectant des composants d’écosystèmes). Les économistes reconnaissent que la
valeur totale d’une ressource peut s’avérer extrêmement élevée. Par exemple, nous serions tous
prêts à payer des fortunes pour éviter de manquer totalement d’eau douce, mais beaucoup moins
pour ajouter quelques litres à notre approvisionnement actuel. Les valeurs moyennes — telle que
celles utilisées par Neotrópica — sont calculées sous forme de la valeur totale d’un écosystème
divisée par la surface totale de la ressource. Les valeurs marginales reflètent la perte éprouvée
lorsqu’une petite portion d’un écosystème (comme le complexe de la zone humide Humedal Caribe
Noreste) est affectée et peuvent être largement inférieures. La valeur correcte de l’indemnisation à
accorder au Costa Rica est la valeur marginale de la zone humide affectée et non la valeur moyenne
que Neotrópica tente de calculer en transférant des valeurs extraites de la littérature.
Comme indiqué dans notre rapport initial, Neotrópica n’a pas identifié quantitativement la
relation entre le préjudice et la modification des services écosystémiques. Par exemple, alors que
ses experts livrent des réflexions supplémentaires sur l’importance des sols pour le fonctionnement
correct d’un écosystème dans leur nouveau rapport, ils n’expliquent pas pourquoi une demande
d’indemnisation basée sur le volume du sol déplacé pourrait constituer une bonne manière de
mesurer l’ampleur du préjudice. A supposer, par exemple, que les caños soient deux fois plus
profonds et que le volume du sol déplacé augmente par conséquent de 200 %, l’impact doublerait-il
lui aussi ? De même, Neotrópica utilise pour la protection du littoral une valeur extraite d’une
étude consacrée à la perte d’une mangrove située sur le littoral thaïlandais. En pareil cas, le
contexte et l’ampleur du changement sont totalement différents. Le degré d’erreur associée à de tels
transferts est inconnu, mais pourrait s’avérer important.
ii) La population (humaine) affectée présente-t-elle des caractéristiques très semblables ?
Bien que certaines des valeurs utilisées (comme celle du bois sur pied sur le marché) soient
spécifiques au Costa Rica, Neotrópica ne tente à aucun moment d’ajuster celles qu’elle utilise pour
les services d’atténuation des risques naturels ou d’habitat et de frayère au contexte costa-ricien.
Comme nous l’avons analysé en détail dans notre rapport initial, la notion de valeur d’atténuation
des risques naturels a été élaborée en 2002 dans le contexte de l’évaluation des services fournis par
une mangrove riveraine en Thaïlande, tandis que les services d’habitat et de frayère sont une notion
empruntée à des études réalisées en 2002, 2007 et 2014 dans le contexte de zones humides situées
au Mexique, aux Philippines et en Thaïlande. Ainsi, Neotrópica ne tente à aucun moment dans ses
premier ou deuxième rapports de se conformer au critère de comparabilité entre la population sur le
site endommagé et celle étudiée sur le site de référence.
iii) Les estimations initiales transférées sont-elles vraiment fiables ?
Tout chercheur effectuant un transfert d’avantages doit s’efforcer de vérifier la fiabilité des
études d’où il tire les valeurs. Neotrópica ne semble pas faire beaucoup d’efforts pour examiner les
valeurs sous-jacentes qu’elle transfère pour plusieurs services inclus dans son évaluation. Par
exemple, comme indiqué dans notre rapport initial, la valeur que les analystes de cette fondation
interprètent comme valeur annuelle de la séquestration de carbone sur un hectare de zone humide
riveraine correspond en fait à la valeur actuelle des services de séquestration disponibles sur une
telle zone. Même un examen superficiel de l’étude de référence aurait permis de corriger cette
erreur d’interprétation ; pourtant, cette lacune n’a pas été réparée dans le deuxième rapport. La
- 25 -
fiabilité de l’estimation des dommages à laquelle Neotrópica procède n’est assurée que si les
valeurs contenues dans l’étude de référence sont valides ; un examen rigoureux des études
sous-jacentes constitue par conséquent une condition sine qua non à tout transfert d’avantages
sérieux.
B. Malgré les clarifications de Neotrópica, l’approche utilisée comporte
un risque de double comptabilisation
Dans notre rapport du 26 mai 2017, nous avons soulevé des craintes concernant le risque de
double comptabilisation inhérent à l’approche d’évaluation utilisée par Neotrópica dont le rapport
contient le passage suivant :
L’agrégation des valeurs constitue, elle aussi, un défi identifié dans cette étude.
Les évaluations fondées sur la méthode basée sur le transfert d’avantages doivent
procéder à l’ajout de services avec la plus grande prudence, de manière à éviter la
double comptabilisation de valeurs de services écosystémiques. Tant que lesdits
services sont totalement indépendants, l’ajout des valeurs demeure possible. Le
problème est beaucoup plus compliqué s’agissant d’agréger un grand nombre de
services : un exercice soumis au risque d’ajout de valeurs mutuellement exclusives ou
redondantes95.
Cette réponse n’atteste en rien que l’approche adoptée par Neotrópica en matière
d’indemnisation des dommages, abstraction faite de la sélection des services à évaluer, ne saurait
exclure les doubles comptabilisations. En l’occurrence, ce n’est pas l’énumération des nombreux
services qui génère ce risque, mais la manière dont lesdits services sont évalués.
Plus spécialement, les analystes de Neotrópica affectent une valeur aux fonctions de
production de bois sur pied et de fibre dans la zone affectée. Ils précisent dans leur rapport ne pas
supposer que ces ressources auraient été récoltées, mais utilisent malgré tout le manque-à-gagner
comme mesure indirecte de la valeur de l’écosystème. Le recours au manque-à-gagner pour estimer
la valeur que le public attribue à un écosystème n’est pas en soi un procédé vicié. Ainsi, lorsqu’un
propriétaire se voit interdire de récolter des arbres sur ses terres par une loi nationale adoptée en
vue de préserver les valeurs de séquestration de carbone et d’habitat fournies par des arbres adultes,
la valeur du manque-à-gagner peut servir à estimer la limite inférieure de la valeur que le public
attribue à ces services. En d’autres termes, nous savons que la société est « disposée à payer » au
moins ce montant pour protéger lesdits services sous la forme des coûts écologiques de l’activité
économique.
Toutefois, en évaluant aussi les services protégés et en ajoutant ces valeurs au
manque-à-gagner associé au bois sur pied, Neotrópica court le risque de comptabiliser deux fois
lesdites valeurs. En fait, il existe deux mesures distinctes d’une même chose : la première consiste à
renoncer à la valeur économique pour protéger un écosystème de manière à ce qu’il puisse
continuer à fournir des services et la deuxième correspond à la valeur des services eux-mêmes. En
recourant à la valeur sur le marché du bois sur pied comme valeur approximative d’un écosystème
non perturbé avant de l’ajouter à d’autres services protégés par l’interdiction de récolte, Neotrópica
court le risque de comptabiliser deux fois les mêmes valeurs pour l’écosystème en jeu.
C. Utilisation incorrecte de valeurs capitalisées comme valeurs annuelles
Nous avons relevé dans notre rapport de mai 2017 que Neotrópica commet une erreur en
prenant la valeur de biens ou en présentant la valeur de divers services fournis par les ressources en
95 Fundación Neotrópica, rapport d’août 2017, p. 21 (RCRI, annexe I, p. 51).
- 26 -
dollars des Etats-Unis de 2010 et en les additionnant pendant 50 ans en appliquant un taux
d’actualisation de 4 %. Cette erreur conduit à une surestimation des dommages de l’ordre de
33 %96.
Les calculs spécifiques effectués par Neotrópica sont affichés ci-dessous, tels qu’ils ont été
extraits de son rapport initial.
Par exemple, dans notre rapport initial, nous montrons que la valeur utilisée par Neotrópica
pour les services de « régulation des émissions de gaz » est déjà une valeur actuelle (de 14 982 dollars
des Etats-Unis) et n’a donc pas besoin d’être additionnée pendant 50 ans pour générer la valeur
globale actuelle des dommages, comme cela apparaît clairement dans le tableau qui suit. Nous
verrons plus loin dans le présent document que ce montant, s’il était acquitté aujourd’hui,
compenserait intégralement la perte continue des services de régulation des émissions de gaz. Cette
erreur n’a pas été corrigée par Neotrópica dans son nouveau rapport et génère une surestimation
importante des dommages (par un coefficient de 20). De même, la valeur des services de
« formation du sol » utilisée par Neotrópica reflète le coût de remplacement du sol sur le site en se
fondant sur un coup emprunté à une autre étude. Il est superflu d’entreprendre des actions de
remplacement du sol chaque année pendant 50 ans (à supposer que cette opération s’impose
vraiment, elle ne devra être effectuée qu’une seule fois ; à supposer qu’il s’agisse d’une valeur de
substitution des services de formation du sol, celle-ci ne devrait être déterminée qu’une seule fois)
et, par conséquent, d’additionner cette valeur de remplacement chaque année pendant 50 ans. Cette
manière de procéder conduit à une surestimation importante des dommages.
96 Nous avons déjà signalé plus haut que la valeur annuelle des services de séquestration de carbone utilisée par
Neotrópica est supérieure de plus de deux ordres de grandeur à la valeur annuelle mentionnée par de Groot ; à notre avis,
cette différence tient simplement au fait que Neotrópica interprète à tort cette valeur comme une valeur annuelle.
- 27 -
Figure 1
Résumé des calculs effectués par Neotrópica pour estimer les dommages97
Bien ou service
écosystémique
Zone affectée Montant et unité de
référence de la perte
Valeur
pécuniaire par
unité
Perte totale
estimée en
dollars des
Etats-Unis (2016)
Provisionnement
Bois sur pied (inclut le
coût d’opportunité des
forêts ou COF)
C2010 211 m3/ha pour le bois
sur pied avec un taux de
récolte de 50 % et un
COF de 6 m3/ha par an
au titre de la croissance
et d’un taux de récolte
de 50 % sur 2,48 ha
$64.65 $19,558.64 La valeur actuelle
du bois sur pied
enlevé.
CE2013 211 m3/ha pour le bois
sur pied avec un taux de
récolte de 50 % et un
COF de 6 m3/ha par an
au titre de la croissance
et d’un taux de récolte
de 50 % sur 0,43 ha
$40.05 $1,970.35
Autres matières
premières (fibre et
énergie)
C2010 (y
compris les
zones
nettoyées)
Valeur du service par
ha. sur 5,76 ha
$175.76 $794.06
CE2013 Valeur du service par ha.
sur 0,43 ha
$175.76 $38.14
Régulation et support
Régulation des
émissions de
gaz/qualité de l’air
(inclut le stock et le
flux annuel)
C2010 Valeur du service par ha.
sur 2,48 ha
$14,982.06 $37,139.03 La valeur actuelle
des services de
régulation des
émissions de gaz
(voir la section
Services dans le
rapport du 26 mai
2017).
CE2013 Valeur du service par ha.
sur 0,43 ha
$14,982.06 $6,502.21
Atténuation des
risques naturels
C2010 Valeur du service par ha.
sur 2,48 ha
$2,949.74 $7,312.11
CE2013 Valeur du service par ha.
sur 0,43 ha
$2,949.74 $1,280.19
Formation du
sol/contrôle de
l’érosion
C2010 Coût du remplacement
de 5 815 m3 de sol
enlevé (collecte et
transport)
$5.87 $33,610.69 Coût du
remplacement
unique du sol sur
le site.
CE2013 Coût du remplacement
de 3687,72 m3 de sol
enlevé (collecte et
transport)
$5.87 $21,315.00
Habitat et frayère
(biodiversité)
C2010 Valeur du service par ha.
sur 2,48 ha
$855.13 $1,613.52
CE2013 Valeur du service par ha.
sur 0,43 ha
$855.13 $282.49
Total du coût social
pour la première année
C2010 $100,028.04
CE2013 $31,388.38
Total du coût social
sur 50 ans
C2010 $2,148,820.82
CE2013 $674,290.92
2 148 820 dollars des Etats-Unis est la valeur actuelle, à un taux de 4 %,
d’une série de valeurs de 100 028 dollars chacune pendant 50 ans. Comme
indiqué, Neotrópica suppose que la perte annuelle calculée pour la
première année se reproduira pendant 50 ans en déduisant chaque année
4 % correspondant au taux d’actualisation.
97 Rapport de la Fundación Neotrópica, juin 2016, p. 60.
- 28 -
Neotrópica, dans son rapport, défend ce calcul en faisant valoir qu’il est conforme aux
normes de comptabilité de la richesse applicables au capital naturel (c’est-à-dire la valeur des biens
naturels détenus par une nation, comme le stock de l’ensemble du bois sur pied). Ses analystes
déclarent notamment :
Nous ne supposons en aucune manière qu’il aurait été possible de maintenir une
exploitation durable en prélevant [tous les ans] la moitié de la croissance annuelle des
arbres. Nous émettons l’hypothèse que la dégradation du bien se reflétera chaque
année dans les comptes physiques, naturels et économiques du Costa Rica sous forme
d’une diminution de la valeur pécuniaire des biens naturels du pays, jusqu’à ce que les
dommages soient intégralement réparés. C’est pourquoi, grâce au recours à un taux
d’actualisation, nous avons comptabilisé la perte annuellement en déduisant de la
valeur annuelle la récupération du volume comptabilisé98.
Que le préjudice continue ou pas pendant 50 ans, aucune règle économique, financière ou
comptable ne justifie l’addition des valeurs présentées pendant 50 ans. La valeur en capital (d’un
écosystème) est égale à la valeur actuelle du flux de services qu’un écosystème générera dans le
cadre d’une gestion ou d’un régime institutionnel spécifique99. A supposer qu’un hectare de forêts
abrite pour 1 000 dollars des Etats-Unis de bois sur pied, cette valeur patrimoniale est correctement
mesurée comme égale à 1 000 dollars. Lorsque le compte national sera recalculé l’année suivante,
la valeur (à supposer que le bois n’ait pas été récolté et que la valeur sur le marché n’ait pas
sensiblement évolué) sera, elle aussi, vraisemblablement de l’ordre de 1 000 dollars des Etats-Unis.
Si quelqu’un récolte illégalement le bois, le compte national diminuera de 1 000 dollars. A
supposer, cependant, que l’auteur de cet acte verse des dommages d’un montant de 1 000 dollars, le
compte national contiendra désormais ces fonds. La nation lésée n’aura pas besoin d’être
indemnisée chaque année au titre du préjudice subi pour maintenir le même niveau de richesse.
Dans l’analyse de Neotrópica, les divers services écosystémiques sont évalués comme des
valeurs actuelles (qu’il s’agisse du bois sur pied, du coût du remplacement du sol ou des valeurs
perdues en matière de séquestration du carbone) qui peuvent être mesurées et compensées une fois
pour toutes. Cette erreur de logique est la plus grave que nous ayons identifiée dans le rapport de
Neotrópica. Elle conduit à elle seule à surestimer les dommages par un coefficient de presque 20 et
souligne les raisons pour lesquelles l’analyse ne répond pas aux meilleures pratiques et ne saurait
constituer une base solide d’indemnisation.
Cette erreur peut être décrite plus formellement dans le contexte de la comptabilisation du
capital naturel. Alors que le PIB mesure les performances économiques d’un pays, la
comptabilisation du capital naturel tente de capturer l’importance des biens naturels (forêts,
ressources halieutiques, etc.) affectant le bien-être social et économique des gens. Neotrópica décrit
l’initiative lancée par la Banque mondiale en matière de comptabilisation de la richesse et
d’évaluation des services écosystémiques (le plus souvent désignée par son acronyme anglais
WAVES) pour mesurer l’importance des biens environnementaux par le biais de méthodes de
comptabilisation du capital naturel. Or, le programme WAVES mentionne la norme pertinente
élaborée par la Commission de statistique des Nations Unies dite « cadre central du système de
comptabilité économique et environnementale » (cadre central du SCEE).
Le cadre central du SCEE décrit en détail la manière dont les valeurs actuelles nettes des
biens environnementaux devraient être calculées dans le contexte de la comptabilisation du capital
naturel. Plus spécialement, en ce qui concerne les ressources récoltables (bois sur pied ou
extraction de minéraux), la valeur actuelle nette est fonction des flux de ressources louées au fil du
98 Aguilar-González, B., Carranza-Vargas, M., Hidalgo-Chaverri, M., Fernández-Sánchez, A., Monge-Vargas, R.,
Castro- Jiménez, M., 3 août 2017, Rapport de la fondation Neotrópica sur la question de la méthodologie d’évaluation
des dommages environnementaux, p. 32.
99 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire 893.
- 29 -
temps et du taux d’actualisation. Réciproquement, toute ressource louée pendant une année donnée
est elle-même une fonction du taux d’extraction (taux de récolte) ; le flux des ressources louées au
fil du temps devrait donc refléter les fluctuations des taux d’extraction. Par conséquent, à supposer
que, selon l’analyse de Neotrópica, l’intégralité du volume du bois sur pied récoltable soit extraite
pendant la première année, les années suivantes devraient refléter des taux d’extraction nuls. Le
volume d’extraction intégral ne devrait pas être inclus dans les comptes de chaque année.
Comme indiqué, Neotrópica fait valoir que le bois sur pied sur le site n’aurait pas été
réellement récolté, de sorte qu’un prix in situ devrait être utilisé pour estimer la location des
ressources. Pourtant, que le bois soit destiné à être récolté ou pas, l’évaluation d’une ressource
naturelle à l’aide de la valeur actuelle d’un flux suppose la formulation de certaines hypothèses
concernant le taux d’extraction. En ce qui concerne l’évaluation du bois sur pied n’étant pas destiné
à être récolté, le cadre central du système de comptabilité économique et environnementale (SEEA)
suggère ce qui suit :
Il convient ensuite de formuler une hypothèse concernant le futur profil des
extractions et l’évolution prévue des prix … Une manière simple d’y parvenir est de
supposer que la quantité d’extraction la plus récente constitue la meilleure estimation
des futures extractions … Une autre manière consiste à supposer un taux constant
d’extraction...100 [Traduction du Greffe.]
Par conséquent, en replaçant les calculs de la valeur actuelle dans le contexte de la
comptabilisation du capital naturel, Neotrópica ne change rien au fait qu’elle devrait formuler des
hypothèses concernant un flux de changements affectant le stock de bois sur pied au fil du temps.
Neotrópica pourrait supposer qu’un 50e de ce bois aurait pu être extrait chaque année ou bien que
tout le bois aurait été récolté la première année et plus rien ensuite. Supposer que tout le bois
récoltable (à savoir 50 % du bois sur pied) aurait pu être extrait chaque année est tout simplement
incorrect.
D. Méprise au niveau du taux d’actualisation
Dans leur rapport initial, les analystes de Neotrópica explicitent la sélection d’un taux
d’actualisation pour leur calcul et concluent en faveur d’un taux de 4 % en faisant notamment
valoir que :
Le choix du taux d’actualisation est un point délicat, qui fait l’objet de
discussions approfondies dans la littérature sur l’économie écologique. Ce taux est
appliqué en tant que convention économico-financière pour déterminer la VAN,
puisque l’on considère que pour cette valeur future il convient de prendre en compte le
coût de renonciation consistant à utiliser le capital à d’autres fins.
et
[Cette section] se termine par l’estimation pécuniaire de la valeur des
dommages environnementaux, réalisée sur une période prospective de cinquante ans
pour laquelle on peut escompter une reconstitution complète, sur la base d’un taux
d’actualisation pour l’environnement de 4 % aux fins de détermination de la valeur
actuelle nette101.
Rien n’indique dans ce rapport que le taux d’actualisation utilisé présente la moindre
corrélation avec la régénération de l’écosystème affecté que les analystes de Neotrópica tentent
100 Cadre central du SCEE des Nations Unies, 2015, p. 220.
101 MCRI, p. 33.
- 30 -
d’évaluer. Pourtant, dans leur nouveau rapport, les intéressés essaient – pour apaiser nos craintes
relatives à l’absence de prise en considération de la régénération de la zone au fil du temps –
d’avancer une raison :
Enfin, comme explicité dans la suite du présent rapport (voir la section VIII.E.),
nous avons supposé une récupération potentielle du volume du bois sur pied et, par
conséquent, décidé d’appliquer un taux d’actualisation à la valeur actuelle nette du
dommage à un horizon prévisionnel de 50 ans. Les études récentes concluent à un taux
moyen de récupération après abattage dans les forêts d’Amérique centrale de 95 % au
bout de 141 ans (soit environ 0,71 % par an). Au niveau mondial, les estimations de la
même étude concluent, sur la base de l’observation de 166 événements de même
nature (Cole et autres, 2014), à un taux de récupération annuelle de 0,41 % après des
bouleversements dus à l’action humaine. En pareil cas, le temps de récupération
approcherait les 244 ans. En supposant un taux d’actualisation de 4 % pour les calculs
de la valeur actuelle nette dans le cadre de notre évaluation pécuniaire, nous partons
en fait de l’hypothèse d’un taux de récupération élevé de 1,71 % par an.
et
Le Nicaragua prétend que nous avons commis une erreur dans la
comptabilisation de plusieurs services écosystémiques sélectionnés en excluant toute
reprise de la fourniture des services au fil du temps. Ce n’est pas le cas. L’une des
raisons pour lesquelles nous avons soigneusement opté pour un taux d’actualisation de
4 % dans notre évaluation tient à ce que ledit taux doit correspondre à la vitesse de
récupération de l’écosystème102.
Comme nous l’avons indiqué, cette déclaration n’a cependant pas été suivie d’une discussion
ou d’un examen des modalités de la reconstitution des écosystèmes dans le rapport initial de
Neotrópica. Même si un taux d’actualisation peut se comporter d’une certaine manière comme un
taux de régénération, il s’agit d’un élément différent qui, en outre, ne se prête généralement pas aux
exercices de mesure. De toute façon, cette réponse ne fait que ressortir le manque de rigueur de
l’analyse de Neotrópica.
E. Non-conformité de l’analyse de Neotrópica aux
normes méthodologiques
Les économistes ont surmonté bon nombre des obstacles mentionnés plus haut pour parvenir
à évaluer les services écosystémiques. Par exemple, au lieu de recourir à une approche « rapide » de
transfert d’avantages par unité de valeur, Neotrópica aurait pu appliquer un modèle de services
écosystémiques tel que celui proposé dans le cadre du Natural Capital Project103, et/ou se
conformer au cadre de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire. Il
suffit de jeter un oeil sur ce dernier pour se convaincre du non-respect des normes dans l’analyse de
102 Rapport Kondolf mai 2017, addenda explicatifs au rapport « Evaluation pécuniaire des dommages à
l’environnement résultant de la construction de caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement
nicaraguayen sur le territoire costa-ricien d’Isla Portillos, dans la zone humide dite l’“Humedal Caribe Noreste”, déposée
en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice à La Haye » rédigé en réaction à la demande de clarification
exprimée par le Nicaragua dans la note adressée à l’ambassadeur Sergio Ugalde (HOL-EMB-280) », p. 10.
103 Le projet Natural Capital Project résulte d’une collaboration entre le Woods Institute for the Environment de
la Stanford University, le World Wildlife Fund, l’Institute on the Environment at the University of Minnesota et The
Nature Conservancy. Il a permis de développer une série d’outils de modélisation conçus pour évaluer les changements et
les arbitrages en matière de services écosystémiques, y compris des modèles dits InVEST (acronyme de l’anglais
« Integrated Valuation of Ecosystem Services and Tradeoffs » pouvant être traduit par « évaluation intégrée des services
écosystémiques et des arbitrages en la matière »). Ces modèles se concentrent sur l’établissement de liens entre des
modèles de productions écologiques biophysiques et des méthodes d’évaluation économique. Pour plus de détails, voir
https ://www.naturalcapitalproject.org/.
- 31 -
Neotrópica. Mentionnons à ce propos que bon nombre d’autres institutions donnent des consignes
très semblables en matière d’évaluation des services écosystémiques. Citons à ce propos le manuel
« Federal Resource Management and Ecosystem Services Guidebook » (NESP, 2016) publié par le
partenariat National Ecosystem Services Partnership (NESP) et l’initiative baptisée « Economie des
écosystèmes et de la biodiversité » (TEEB) (TEEB, 2011), tels qu’ils sont mentionnés dans notre
rapport de mai 2017104.
En fait, la principale autorité citée par Neotrópica, à savoir l’approche définie par l’Institut
des politiques de durabilité (IPS), se fonde sur un examen minutieux du degré de changement
affectant les services écosystémiques. Plus spécialement, Neotrópica déclare :
Le troisième composant de notre cadre méthodologique est la méthode dite IPS
(du nom de l’institut l’ayant inventée) d’évaluation des dommages environnementaux.
Elle impose la prise en considération de l’état de la zone concernée avant la
commission des dommages environnementaux, de manière à déterminer la part de
responsabilité imputable aux actes de l’auteur de l’infraction. Elle recommande
l’application de méthodes d’estimation VTE pour déterminer le coût monétaire des
dommages sociaux et biophysiques. Elle prescrit également l’estimation de ce coût
pour l’avenir jusqu’à ce que l’écosystème en cause retrouve sa capacité à fournir des
fonctions et des services au même niveau que celui qui prévalait avant la commission
des dommages environnementaux105.
Il s’agit là d’un cadre fondamental bien accepté de l’évaluation des services écosystémiques.
Une remarque importante s’impose néanmoins à ce stade, à savoir que la méthodologie IPS ne
prescrit pas le recours à la méthode du transfert « rapide » d’avantages, mais énonce une série de
méthodes pouvant être appliquées. Elle requiert également une comparaison minutieuse des
services fournis avant et après le changement évalué, y compris la récupération desdits services au
fil du temps, et non une simple comptabilisation du nombre d’hectares affectés.
Le chapitre de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire
consacré aux concepts et approches en matière d’évaluation des écosystèmes explique que
l’essentiel du travail dans l’évaluation de n’importe quel service écosystémique porte sur la
quantification des relations biophysiques. En d’autres termes, la première étape consiste à répondre
à la question suivante : Comment le changement ou le préjudice subi par l’écosystème affecte-t-il
les fonctions de celui-ci ? Les liens de cause à effet entre la modification de l’écosystème et son
fonctionnement biophysique sont représentés par les flèches continues « relations biophysiques »
dans la figure 2.
104 National Ecosystem Services Partnership (NESP) (2016), Federal Resource Management and Ecosystem
Services Guidebook. 2nd ed. Durham : National Ecosystem Services Partnership, Duke University,
https ://nespguidebook.com ; et TEEB, février 2011, The Economics of Ecosystems and Biodiversity for National and
International Policy Makers tel que ce document peut être consulté à l’adresse http ://www.teebweb.org/
publication/teeb-in-national-and-international-policy-making/.
105 Rapport de la Fundación Neotrópica, août 2017, p. 12.
- 32 -
Figure 2
Evaluation de la modification de l’écosystème : comparaison avec l’approche observée par Neotrópica
Légendes (de haut en bas et de gauche à droite) :
Déforestation, modification des flux hydrologiques, modification du volume d’eau disponible pour l’irrigation,
modification de la production de produits agricoles irrigués, modification du revenu des ménages agricoles, autres
modifications du fonctionnement de l’écosystème, autres modifications des services écosystémiques, autres impacts sur
l’activité humaine, autres impacts sur le bien-être humain, relations biophysiques, évaluation au sens étroit du terme (prix
des récoltes produites en irriguant), Approche de Neotrópica.
Malheureusement, Neotrópica saute presque complètement cette étape importante comme
indiqué sur la ligne rouge en pointillé dans la figure 2. Par exemple, son rapport tente à plusieurs
reprises de corroborer les valeurs choisies pour le service d’atténuation des risques naturels en
déclarant simplement qu’il s’agit d’un service écosystémique important fourni par la zone humide et
qu’il devrait donc être inclus. Il ne s’agit pas de remettre en question l’importance de l’écosystème
de la zone humide. La question en jeu est de savoir comment les divers services fournis par la
zone humide affectée ont changé sous l’angle quantitatif en raison des actions du Nicaragua. Par
conséquent, la première étape de toute évaluation d’un service écosystémique devrait consister à
déterminer la manière dont un événement particulier affecte la capacité de la zone humide en cause
à assurer cette fonction.
VI. LE COÛT DE REMPLACEMENT PERMETTANT DE MESURER LES DOMMAGES
DE MANIÈRE VALABLE ET ÉQUITABLE, IL CONVIENT BIEN
EN L’OCCURRENCE
Nous pensons qu’une approche directe basée sur le coût de remplacement permet de
déterminer de manière plus rapide et efficace les dommages en l’instance. Plus spécialement, nous
proposons afin d’indemniser le Costa Rica que les dommages soient fixés au niveau du coût
des actions de conservation nécessaires pour protéger un habitat analogue susceptible de subir des
changements ou de disparaître. Comme indiqué plus haut, c’est l’approche la plus couramment
employée en matière d’évaluation de la responsabilité environnementale et elle a le mérite d’éviter
- 33 -
bon nombre d’écueils inhérents à une évaluation pécuniaire reposant sur des notions d’économie
écologique et l’approche du transfert d’avantages106.
Neotrópica formule deux arguments principaux pour rejeter notre approche basée sur le coût
de remplacement s’agissant d’estimer les dommages en l’espèce :
1. « … le coût de remplacement (au niveau des écosystèmes) est en fait celui qui
convient le moins parmi toutes les méthodes d’évaluation de la valeur (effet de
bien-être) des avantages des écosystèmes (et de leurs services)…»107 et
2. Le coût de remplacement spécifique que nous appliquons, sur la base d’un
programme en vigueur au Costa Rica relatif au paiement des services
écosystémiques, n’est pas applicable en l’espèce108.
Analysons ces deux arguments en détail.
i) Il n’est pas indispensable que l’indemnisation revête la forme de valeurs de bien-être
social
Neotrópica cite Rudolf de Groot pour affirmer que les valeurs de bien-être social devraient
constituer la base de l’indemnisation :
« pour autant que je sache, selon la littérature y compris mes propres études, le coût de
remplacement (au niveau de l’écosystème) est actuellement la méthode d’évaluation
des services écosystémiques la moins adaptée pour estimer la valeur (effet de
bien-être) des avantages des écosystèmes (et de leurs services) et par conséquent l’état
de cet effet après la perte d’un écosystème, dans la mesure où elle est déconnectée des
avantages réels (valeurs) fournis par l’écosystème intact »109.
Cette affirmation se fonde sur l’hypothèse que les dommages en l’espèce devraient refléter la
perte de valeurs de bien-être social. Dans ce contexte, lesdites valeurs refléteraient ce que la société
est disposée à payer pour éviter la perte des services d’un écosystème depuis le moment où les
dégâts ont été commis jusqu’à la régénération de la ressource à son état initial. Cependant, comme
indiqué plus haut, aucun principe du droit international ou règle économique n’oblige à supposer
que les dommages écologiques doivent être mesurés en termes de bien-être social. Autrement dit,
lorsqu’une solution de remplacement valable peut être trouvée, la Cour n’est pas tenue
d’approfondir l’évaluation écologique dans ses moindres détails, dans la mesure où – comme de
Groot l’a fait remarquer – cet exercice « […] est intimement lié à une période et un contexte donnés
et, par conséquent, comporte une grande marge d’incertitude »110. De plus, selon la théorie
économique, lorsque le coût d’un remplacement équivalent est inférieur à la perte de la valeur
économique, l’indemnisation au moyen d’un remplacement constitue le moyen de procéder le plus
106 Comme indiqué, nous supposons un remplacement intégral pendant 20 ou 30 ans de l’habitat endommagé.
Compte tenu de l’ampleur de la perte en l’instance (environ 6 ha), nous n’avons pas cru bon d’ajuster l’échelle de
remplacement correspondant à la gravité du préjudice ou à la reconstitution de la ressource. Ces facteurs seraient
normalement pris en considération dans les cas impliquant un préjudice plus important (c’est-à-dire affectant une zone
plus large) auquel cas, ils provoqueraient probablement une révision à la baisse de l’estimation du dommage.
107 Rapport de la Fundación Neotrópica, août 2017, p. 41.
108 Rapport de la Fundación Neotrópica, août 2017, p. 41 et 42.
109 De Groot, Rudolf, Appendice 2 : Note de Rudolf de Groot, in annexe 1 : Rapport de la fondation Neotrópica
sur la question de la méthodologie d’évaluation des dommages environnementaux, 3 août 2017, p. 50.
110 De Groot, Rudolf, Appendice 2 : Note de Rudolf de Groot, in annexe 1 : Rapport de la fondation Neotrópica
sur la question de la méthodologie d’évaluation des dommages environnementaux, 3 août 2017, p. 51.
- 34 -
pertinent et le plus efficace. Dans la mesure où le remplacement est disponible en l’espèce, nous
pensons que le coût de celui-ci devrait servir à établir le montant des dommages111.
L’évaluation appropriée des dommages dépend du contexte juridique. Pourtant, au moins
une des opinions citées par Neotrópica suppose une évaluation de la perte non conforme au droit
international. Joshua Farley s’exprime en effet en ces termes :
Pour conclure, j’aimerais formuler quelques observations au risque d’énoncer
des arguments peu pertinents du point de vue strictement juridique. Dans les affaires
de droit civil, la justice consiste à imposer une réparation par l’individu coupable à
l’individu victimisé. Cela s’applique certainement en l’espèce. Dans les affaires de
droit pénal, pourtant, le but est fréquemment de dissuader les futures transgressions en
pénalisant l’auteur de l’infraction. De mon point de vue, la destruction
environnementale en question était un acte criminel et il serait plus efficace de pécher
par excès de paiement que par insuffisance de paiement112.
Cette déclaration est empreinte d’un parti pris manifeste, car l’auteur ne prône pas une
méthode susceptible d’indemniser le public costa-ricien, mais une peine revêtant la forme d’un
« excès de paiement ». Les réparations dues au titre d’une perte ou d’un préjudice environnemental
provoqué par la violation par le Nicaragua de la souveraineté territoriale du Costa Rica
revêtent un caractère réparateur et non punitif113. La Commission du droit international, dans ses
commentaires relatifs au projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat, a estimé que « l’allocation
de dommages-intérêts punitifs n’est pas reconnue en droit international, même en cas de violations
graves d’obligations découlant de normes impératives »114.
Aucune règle économique et aucun principe de droit international ne permet de supposer que
les mesures basées sur le coût de remplacement inférieur aux valeurs de bien-être social constituent
une compensation trop faible pour la partie lésée. En bref, à supposer que la Cour puisse allouer
une indemnisation permettant au Costa Rica de remplacer les services perdus, le public costa-ricien
serait réputé avoir été remboursé.
111 Les commentaires de Rudolf de Groot, de Neotrópica et d’autres laissent à penser que le coût de
remplacement sera toujours inférieur à la valeur de bien-être perdue. Pourtant, il n’y a aucune raison de penser qu’il en va
toujours forcément ainsi ; par exemple, on peut envisager des situations dans lesquelles une solution de remplacement
efficace serait disponible auquel cas, pour certaines ressources, le coût de cette solution pourrait dépasser le montant de
l’évaluation par le public de la perte au niveau du bien-être).
112 RCRI, annexe 1, appendice 11, p. 137.
113 Affaire relative à l’usine de Chorzów, Allemagne c. Pologne, Cour permanente de justice internationale,
série A, No. 17 (1928) 47 ; commentaires des articles 31 et 36 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat à raison
de faits internationalement illicites, rapport de la Commission du droit international concernant les travaux de sa 53e
session, UN GAOR, 56th Sess., Supp. No. 10, UN Doc. A/56/10 (2001).
114 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat à raison de faits internationalement illicites et
commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, partie 2 (2001), 113 ; Velásquez
Rodriguez c. Honduras, Reparations and Costs, Inter-American Court of Human Rights, [Series C, No. 7 (1989)]
(«L’«indemnisation équitable» mentionnée à l’article 63 [1] de la Convention pour désigner la réparation revenant à “la
partie lésée” revêt un caractère compensatoire et non punitif. Même si certains tribunaux nationaux, notamment dans les
pays de Common Law, accordent des dommages d’un montant suffisant pour dissuader ou servir d’exemple, ce principe
ne prévaut pas pour le moment en droit international.»). Voir aussi, Le Manuel de la Convention de Ramsar,
paragraphe 1.7.5 (6e édition, 2013) (« La Convention de Ramsar n’est pas un régime régulateur et n’applique aucune
sanction punitive pour des violations ou le non-respect des engagements découlant du traité »). Voir également U.S.
Superfund Act, 42 U.S. Code § 9607 c) 3) (autorisant de contraindre la partie responsable à verser des dommages-intérêts
punitifs lorsqu’il s’est abstenu de réparer malgré les injonctions).
- 35 -
ii) L’estimation basée sur le coût de remplacement est raisonnable
Comme indiqué, l’approche fondée sur les dommages que nous proposons consiste à estimer
le coût du remplacement intégral de l’habitat de manière à indemniser le Costa Rica à raison des
dommages infligés à la zone pour 20 à 30 ans, ou bien jusqu’à ce que le site se reconstitue. Cette
estimation se fonde sur le montant de paiement à des particuliers, tel qu’il a été communiqué, afin
de permettre aux intéressés de protéger des habitats forestiers sur leurs terres dans le cadre d’un
programme de conservation bien établi au Costa Rica115. Cette pratique est généralement désignée
sous le terme de « paiement au titre de services écosystémiques (PES) ». Dans le cadre d’un plan
PES, les propriétaires et les communautés détenant des droits en matière de développement de
zones naturelles reçoivent une rémunération afin de les inciter plutôt à protéger lesdites zones.
Cette méthode de protection des zones contre le risque de développement et de dommages
écologiques permettrait de rembourser le public pour les pertes subies sur le site affecté par les
actions du Nicaragua.
Neotrópica formule quatre arguments pour rejeter l’estimation basée sur le coût de
remplacement, telle que nous l’appliquons. Le premier tient à ce que le tarif versé par le
FONAFIFO (Fonds national pour le financement des forêts) « est loin de constituer un système de
permis négociables » (p. 41). Cette affirmation ne permet pas de savoir si la valeur utilisée est trop
élevée ou trop faible. Toutefois, elle semble indiquer que lesdits paiements ne reflètent pas la
valeur économique. En fait, nul ne s’attend à ce qu’ils reflètent les valeurs sociales de l’habitat.
Autrement dit, ces primes d’incitation sont allouées à des particuliers dans le cadre d’un
programme PES pour encourager les actions visant à protéger l’habitat et indiquer aux propriétaires
participants le coût d’opportunité résultant de la non-exploitation économique optimale de leurs
terres. Les paiements représentent le coût des services de remplacement et non la valeur pécuniaire
desdits services. En l’espèce, l’objectif est de protéger un habitat analogue à celui endommagé par
les actions du Nicaragua et il pourrait être atteint, selon nous, dans le cadre d’un programme PES.
Deuxièmement, Neotrópica prétend que ces fonds sont uniquement utilisés pour soutenir des
propriétaires fonciers privés et ne sauraient être destinés à des zones protégées publiques116. De
même, dans une lettre séparée, un représentant du FONAFIFO, Jorge Mario Rodriguez Zuñiga,
souligne que les programmes PES existants ne sont pas conçus pour inciter les organes chargés
d’administrer le domaine public à prendre des mesures de conservation, mais se concentrent sur les
paiements versés aux propriétaires privés. Comme indiqué plus haut, il ne s’agit pas d’une
limitation de notre estimation des dommages, dans la mesure où rien ne s’oppose à ce que la
restauration des services écosystémiques perdus en l’instance puisse avoir lieu sur des terres
privées. Une telle initiative paraîtrait logique, dans la mesure où cette incitation économique vise à
convaincre les propriétaires privés d’optimiser la valeur économique de leurs terres, c’est-à-dire de
mener des actions souvent requises aussi pour favoriser la conservation. En bref, il n’y a aucune
raison que l’indemnisation ne puisse pas être accordée en l’instance sous la forme du remplacement
de services écosystémiques profitant à l’ensemble du public sur des terres privées117.
Troisièmement, Neotrópica avance qu’aucun programme PES en vigueur au Costa Rica ne
concerne les zones humides. Pourtant, des habitats protégés par le FONAFIFO — à savoir les
zones forestières — existent sur le site endommagé. Le Costa Rica ne suggère pas qu’il serait
impossible de protéger un tel habitat ailleurs dans le cadre d’un programme PES. Le coût prévu
d’un tel programme est fonction des coûts d’opportunité supportés par la partie privée. Autrement
dit, les primes d’incitation versées doivent compenser la perte financière supportée par le
propriétaire. Le recours au tarif maximal consenti dans le cadre du programme existant, à savoir le
115 Payne & Unsworth, mai 2017, p. 33.
116 RCRI, p. 11.
117 Il convient de faire remarquer qu’aucun des services supposés avoir été perdus par Neotrópica ne suppose un
accès public.
- 36 -
procédé que nous avons choisi, permet de mesurer indirectement et de manière raisonnable le coût
qui se serait avéré nécessaire dans ce contexte. Neotrópica et ses analystes s’abstiennent
notamment de fournir une estimation indépendante du coût d’un programme PES conçu pour
réparer ces dommages et préfèrent se cantonner à l’idée que seule une évaluation des services
écosystémiques permettrait de réparer correctement les dommages provoqués par les actions du
Nicaragua.
Quatrièmement, Neotrópica prétend que le programme PES géré par le FONAFIFO n’a pas
été élaboré dans le but de réparer les dommages environnementaux. A l’appui de cette thèse, les
auteurs de son rapport citent la lettre de M. Zuñiga dans laquelle l’intéressé déclare que le
programme élaboré aux fins de la conservation des terres forestières n’a pas été conçu pour
compenser les pertes de services environnementaux. Nous comprenons que le programme, tel
qu’il est actuellement en vigueur, n’a pas été établi pour fournir un mécanisme d’indemnisation ;
ceci dit, ses objectifs coïncident avec la volonté de remplacer les services perdus en l’espèce.
Comme indiqué par M. Zuñiga, au nom du Fonds national pour le financement des forêts, « le tarif
établi pour les différentes catégories de paiement des services environnementaux a été conçu
comme un moyen de promouvoir les efforts de conservation et de permettre aux propriétaires de
financer des initiatives durables »118. Tel est précisément le but poursuivi en l’instance, s’agissant
de remplacer des services perdus.
Nous pensons que l’approche basée sur le coût de remplacement pour déterminer les
dommages compensatoires en l’espèce reflète les meilleures pratiques et constitue une bonne
solution au problème en cause. Nous considérons par conséquent que notre estimation comprise
entre 27 034 et 34 987 dollars des Etats-Unis est une mesure fiable et appropriée des dommages
commis et que le versement de cette somme permettrait de compenser intégralement le Costa Rica
pour toutes les pertes de services écosystémiques en l’instance.
RÉFÉRENCES
[Non reproduites]
GLOSSAIRE
Transfert d’avantages : Approche fondée sur l’évaluation économique dans laquelle les
estimations obtenues (quelle que soit la méthode employée) dans un contexte sont utilisées pour
estimer des valeurs dans un autre contexte119. La législation des Etats-Unis désigne ce procédé
comme la méthodologie basée sur les valeurs unitaires et se concentre dans sa définition sur les
pertes d’utilisation par l’homme de ressources naturelles. En particulier la loi US CERCLA
explique que « les valeurs unitaires sont des valeurs en dollars prédéfinies pour divers types
d’expériences du public, récréatives ou autres, non commercialisées. Lorsque cela s’avère possible,
il est préférable de recourir à des valeurs unitaires de la région des ressources affectées et à des
valeurs unitaires très semblables à l’expérience récréative ou autre dont la perte a été constatée »120.
Valeur en capital d’un écosystème : Valeur actuelle du flux de services qu’un écosystème
générera dans le cadre d’une gestion ou d’un régime institutionnel spécifique121.
118 Rapport de la Fundación Neotrópica, août 2017, RCRI, annexe 1, p. 130 à 131.
119 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 895.
120 43 CFR 11.83 c) 2) vi).
121 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 893.
- 37 -
Réparation compensatoire (également appelée restauration secondaire ou réparation
intermédiaire) : Somme réclamée par l’administrateur des ressources naturelles à titre
d’indemnisation en cas d’endommagement, de destruction ou de perte de ressources ayant affecté
l’écosystème122.
Dommages : Ce terme peut désigner des dommages, mais également un préjudice. La Directive de
l’Union européenne sur la responsabilité environnementale définit les dommages comme « une
modification négative mesurable d’une ressource naturelle ou une détérioration mesurable d’un
service lié à des ressources naturelles, qui peut survenir de manière directe ou indirecte »123. Le
protocole additionnel de Nagoya – Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation définit « les
dommages » comme : « un effet défavorable sur la conservation et l’utilisation durable de la
diversité biologique, en tenant compte des risques pour la santé humaine, qui : i) est mesurable ou
autrement observable en tenant compte, lorsque cette information existe, des conditions initiales
établies scientifiquement et reconnues par l’autorité nationale compétente, compte tenu de toute
autre variation d’origine naturelle et anthropique ; et ii) est significatif au sens donné dans le
paragraphe 3 ci-après [au sens donné dans un autre endroit du protocole] »124. Dans la législation
des Etats-Unis, le préjudice, l’endommagement ou la perte (« un changement défavorable et
mesurable, à long ou à court terme, dans la qualité chimique ou physique ou dans la viabilité d’une
ressource naturelle »), ou la destruction (« la perte totale et irréversible d’une ressource
naturelle »)125.
Approche écosystémique : Approche analytique qui considère l’écosystème comme l’unité à
étudier « en appliquant les méthodes scientifiques appropriées se concentrant sur les niveaux de
l’organisation biologique, laquelle comprend la structure essentielle, les processus, les fonctions et
les interactions entre les organismes et leur environnement »126. Elle peut servir à la fois à la
réglementation et à la gestion127.
Services écosystémiques ou Services environnementaux : « Fonctions assurées par une ressource
naturelle au bénéfice d’une autre ressource naturelle ou du public »128. Le concept peut servir à la
fois à qualifier et à quantifier le préjudice environnemental. Nous utilisons le concept de services
écosystémiques dans le cadre d’une étape intermédiaire du processus d’évaluation de
l’environnement endommagé.
122 US Code of Federal Regulations, 43 CFR 11.14.
123 Directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation
des dommages environnementaux, art. 2.2.
124 Protocole additionnel de Nagoya – Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de
Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, 2010 (non encore entré en vigueur), art. 2.
125 US Code of Federal Regulations, 43 CFR 11.14.
126 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, 894.
127 Douglas P. Wheeler, Keynote Address, 24 Ecology L.Q. 623, 630 (1997) (décrivant l’approche écosystémique
en matière de gestion de l’environnement en Californie).
128 Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale, art. 2.13. ; voir aussi Rashid Hassan,
Robert Scholes, Neville Ash, éditeurs, « Ecosystems and human well- being : current state and trends : Findings of the
Condition and Trends Working Group » (Island Press 2005), Appendix D, Glossary, 895, disponible à l’adresse :
https ://www.millenniumassessment.org/en/Condition.html#download (Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies
des écosystèmes pour le millénaire, disponible uniquement en anglais) ; règlement d’application du CERCLA (loi des
Etats-Unis sur l’intervention, l’indemnisation et la responsabilité en matière d’environnement), «le terme ‘service’
désigne les fonctions physiques et biologiques assurées par la ressource, y compris sous l’angle des utilisations par
l’homme desdites fonctions. Ces services correspondent à la qualité physique, chimique ou biologique de la ressource»,
US 43 CFR 11.14. On peut lire plus loin dans le même instrument : «[a]ux fins de cette partie, les services incluent la
fourniture d’un habitat et de nourriture et répondre à d’autres besoins en matière de ressources biologiques, de loisirs,
d’autres produits utilisés par l’homme, de contrôle des inondations, de recharge des eaux souterraines, d’assimilation des
déchets et autres fonctions pouvant être remplies par les ressources naturelles», US 43 CFR 11.71 e).
- 38 -
Fonctions écosystémiques : Fonctions qui contribuent à la fourniture d’un service écosystémique,
mais doivent davantage s’analyser comme des « intermédiaires » ou des facteurs dans le processus
de fourniture d’un service écosystémique (c’est le cas, par exemple, de la régulation des émissions
de gaz assurée par les écosystèmes, laquelle n’est pas un service)129.
Habitat Equivalency Analysis (HEA) [analyse selon la méthode de l’équivalence Habitat] :
Evaluation de l’ampleur de la restauration compensatoire requise pour réparer un préjudice
spécifique, en établissant une équivalence entre l’ampleur de ce dernier (déterminé à l’aide d’une
mesure du service) et les avantages de l’action compensatoire130.
Dommages intermédiaires : voir restauration compensatoire
Valeur actuelle : Valeur équivalente d’un flux projeté des futurs avantages (ou coûts), en fonction
d’un élément chronologique (taux d’actualisation) exprimé sous la forme d’une somme unique
aujourd’hui131. Le calcul de la valeur actuelle d’un service écosystémique implique généralement le
recours à un taux d’actualisation social positif.
Coût de remplacement : Méthodologie servant le plus souvent dans le cadre de la « restauration
secondaire » lorsqu’une restauration primaire s’avère impossible ou que la régénération naturelle
promet d’être longue. Par exemple, la législation des Etats-Unis définit le remplacement comme
« le remplacement d’une ressource endommagée par une ressource fournissant des services
identiques ou sensiblement analogues lorsque cette substitution vient s’ajouter à toutes les autres
substitutions effectuées ou prévues dans le cadre de l’effacement ou la correction du dommage et
que celle-ci dépasse le niveau de réaction approprié pour le site tel qu’il a été fixé [par la
réglementation]»132.
Coût de restauration : Coût monétaire du rétablissement d’un écosystème endommagé à son état
initial sur le site où le préjudice a été causé (par exemple la plantation d’arbres)133. Le coût de
restauration est généralement analysé dans le cadre de la « restauration primaire » des actions visant
à réparer un écosystème endommagé134.
129 Par exemple, « les processus et les fonctions écosystémiques sont constitués d’interactions biologiques,
chimiques et physiques entre les composants d’un écosystème. Ces processus et fonctions ne sont pas des produits finals,
mais des étapes intermédiaires dans la production de services écosystémiques finals » (Boyd, James and Spencer
Banzhaf, 2007, «What are Ecosystem Services ? The Need for Standardized Environmental Accounting Units» in
Ecological Economics 63, p. 620.) De même, le glossaire de l’évaluation par les Nations unies des écosystèmes pour le
millénaire définit « la fonction écosystémique » comme une caractéristique intrinsèque de l’écosystème en cause liée à
une série de conditions et processus par le biais desquels un écosystème maintient son intégrité (par exemple la
productivité primaire, la chaîne alimentaire où les cycles biogéochimiques). Les fonctions écosystémiques incluent des
processus tels que la décomposition, la production, le cycle des nutriments et les flux de nutriments et d’énergie. »
[Traduction du Greffe.] («Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, 2005 - Les écosystèmes et le bien-être de
l’Homme : Un cadre d’évaluation », Appendix 4 : Glossary, p. 210 (disponible uniquement en anglais).
130 Zafonte, Matthew and Steve Hampton, 2007 : «Exploring Welfare Implications of Resource Equivalency
Analysis in Natural Resource Damage Assessments» in Ecological Economics. 61 (134-145).
131 U.S. Environmental Protection Agency, National Center for Environmental Economics, May 2014, Guidelines
for Preparing Economic Analyses, p. 6-2.
132 US Code of Federal Regulations, 43 CFR 11.14 ; voir aussi Directive 2004/35/CE sur la responsabilité
environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, art. 2.11, annexe II
1.2.3.
133 Convention sur la diversité biologique, Rapport de synthèse sur l’information technique relative aux
dommages causés à la biodiversité et les approches pour l’évaluation et la réparation des dommages causés à la
biodiversité, ainsi que les informations sur les mesures et les expériences nationales/internes,
UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1 (20 mars 2008) UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1, par. 77.
134 43 CFR 11.14 et 43 CFR 11.15 ; Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale,
annexe II, 1.
- 39 -
Taux d’actualisation social : Taux sans risque auquel la société troque la consommation actuelle
de biens et services pour des biens et services futurs135. Il s’agit donc du taux servant à convertir un
flux de dommages futurs en une seule valeur actuelle.
Restauration secondaire : voir restauration compensatoire
Évaluation : « Processus d’expression d’une valeur pour un bien ou un service spécifique dans un
certain contexte (par exemple une prise de décision), généralement sous une forme permettant un
comptage, souvent une somme d’argent, mais également par le biais de méthodes et de mesures
empruntées à d’autres disciplines (sociologie, écologie, etc.) »136 [Traduction du Greffe.]
Valeur : Expression sous l’angle économique de la disposition des hommes à payer pour un
service écosystémique. Les valeurs de bien-être social ou valeurs « supplémentaires » sont les
valeurs que le public attribue à un service écosystémique en plus du coût de fourniture de
celui-ci137, c’est-à-dire « la contribution d’une action ou d’un objet à des buts, objectifs ou
conditions spécifiques à l’utilisateur »138.
(Signé) Cymie R. PAYNE. (Signé) Robert E. UNSWORTH.
Date : Le 25 août 2017.
___________
135 Ibid., p. 6-6.
136 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, p. 902.
137 Voir, par exemple : Freeman, A.M., III, Joseph A. Herriges et Catherine L. Kling, 2014 : «The Measurement
of Environmental and Resource Values : Theory and Methods», Third Edition, Resources for the Future Press :
New York, NY, p. 12, 13, 46 et 47.
138 Glossaire de l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire, p. 902.
- 40 -
ANNEXE 2
RÉPONSE DE M. G. MATHIAS KONDOLF À L’ANALYSE DE SON RAPPORT ANTÉRIEUR (CMNI,
ANNEXE 2) FAITE PAR M. COLIN R. THORNE, 24 AOÛT 2017
Réponse à l’« Analyse du rapport de G.M. Kondolf (annexe 2) »
par Colin R. Thorne
G. Mathias Kondolf, 24 août 2017
I. Introduction et portée
J’exerce la profession de géomorphologiste fluvial spécialisé en gestion et restauration
environnementales des cours d’eau. Je suis professeur depuis 29 ans à l’University of California
Berkeley où j’enseigne l’hydrologie, la restauration des cours d’eau, la planification
environnementale et la science environnementale.
En mai 2017, j’ai soumis un rapport annexé au contre-mémoire du Nicaragua
examinant la demande d’indemnisation du Costa Rica au titre de prétendus dommages
environnementaux commis dans le delta du fleuve San Juan (« Kondolf 2017 », annexe 2 au
CMNI). Dans un rapport daté du 25 juillet 2017, Colin Thorne a commenté mon rapport, critiqué
mes méthodes et mes conclusions et formulé ses propres conclusions concernant l’impact
environnemental (« Thorne 2017 », annexe 2 au CMNI). Le but du présent rapport est de répondre
à ces commentaires.
A titre de remarque liminaire, je relève que Thorne consacre une partie importante de son
rapport à une argumentation soulignant l’importance des zones humides. Je ne saurais que partager
son point de vue sur la valeur et l’importance de ces zones. Néanmoins, la question posée en
l’occurrence vise la détermination de la méthode appropriée pour évaluer les dommages matériels
infligés à la zone humide en raison des activités du Nicaragua.
Sur ce point, comme expliqué ci-dessous, les critiques et les conclusions de Thorne se
fondent sur des hypothèses erronées concernant l’environnement du delta du San Juan et des
processus géomorphologiques actifs dans cette zone et/ou ne sont corroborées par aucune preuve
en provenance de cet endroit.
II. Formation du sol et contrôle de l’érosion
Mon rapport de mai 2017 examinait la demande d’indemnisation du Costa Rica à raison de
la perte de services «de formation du sol» et de «contrôle de l’érosion». Je faisais observer
l’absence de preuves attestant que lesdits services ont eu à souffrir des travaux réalisés par le
Nicaragua. Rien dans le rapport de Thorne n’incite à s’écarter de cette conclusion.
Une bonne partie de la réponse de Thorne concerne des processus et des concepts distincts
de la formation du sol et du contrôle de l’érosion tels que ces termes sont généralement compris. La
«formation du sol» désigne des processus qui produisent du sol au fil du temps, tandis que le
«contrôle de l’érosion» désigne des conditions ou des pratiques de nature à prévenir ou à réduire ce
phénomène. Par conséquent, comme expliqué dans mon rapport précédent, les concepts de services
de formation du sol et de contrôle de l’érosion concernent les sites dans lesquels ces processus
permettent de transformer de la roche en sol et l’érosion susceptible de mobiliser des particules du
sol et de les transporter en aval, c’est-à-dire des terres sèches soumises au risque d’érosion. Le delta
du San Juan où le Nicaragua a réalisé ses travaux ne répond à aucune de ces caractéristiques. Il est
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situé dans la zone de dépôt du bassin du fleuve et reçoit des charges énormes de sédiments en
provenance des aires de captage en amont. Dans la région du delta, le processus dominant n’est pas
l’érosion, mais le dépôt. Compte tenu de la charge élevée en sédiments du fleuve et de la pente
quasi nulle du delta, les caños ont été rapidement comblés, ce que Thorne ne conteste pas.
Thorne affirme que j’ai sous-estimé les différences entre les matériaux extraits dans le cadre
du creusement des caños et celui qui a comblé ces derniers depuis. Sur ce point, il se concentre
dans son rapport sur le rôle des microbes dans le sol en illustrant ses propos de diagrammes
montrant les relations entre les décomposeurs, les microbiomes et les végétaux (Thorne 2017, p. 7 à
10). Cependant, ces relations ne relèvent pas de la «formation du sol», mais plutôt d’autres services
comme «le cycle des nutriments», «la lutte contre les parasites et les maladies » et « la régulation
d’autres déchets». Je note que la fondation Neotrópica a jugé bon de traiter toutes ces questions
séparément de la «formation du sol» dans son rapport annexé au mémoire du Costa Rica sur la
question de l’indemnisation et les a expressément exclues de son évaluation en raison du manque
de preuves suffisantes (Fundación Neotrópica 2016, p. 46).
En tout cas, Thorne se trompe en affirmant que les sédiments ayant fini par combler les
caños depuis leur nettoyage ne permettent pas la croissance des végétaux. Il confond la formation
du sol à long terme sur une roche-mère érodée avec la formation du sol sur un limon alluvial
récemment déposé et dont la fertilité à l’arrivée est avérée. Thorne analyse le premier cas, alors que
la situation dans le delta du San Juan relève du second.
Rien ne corrobore l’affirmation de Thorne selon laquelle il faudra des décennies pour que la
communauté biologique puisse se reconstituer dans les caños emplis à nouveau. La croissance des
végétaux (facilement observable sur les photographies des caños et reconnue par Thorne lui-même)
génère un matériau organique et des processus connexes, même en l’absence d’arbres matures qui
n’apparaîtront qu’au bout de plusieurs étapes successives de régénération. Le fait que des dépôts
alluviaux riches n’aient pas besoin de subir des processus de formation du sol longs de plusieurs
siècles pour devenir fertiles ressort notamment de la joie avec laquelle les cultivateurs des plaines
inondables et des deltas ont de tout temps accueilli les inondations, année après année, dans la
mesure où ce phénomène favorise les bonnes récoltes (et notamment l’agriculture basée sur le blé
précoce dans les deltas du Nil et de la Mésopotamie). Prétendre, comme le fait Thorne, que ces
dépôts alluviaux sont stériles constitue une contrevérité.
De plus, aucune preuve n’a été produite suggérant que le matériau ayant comblé les caños
est différent de celui en ayant été extrait. La zone où se trouvent ces canaux résulte en effet
elle-même d’un processus de dépôt alluvial. Les seuls changements importants ayant modifié ces
dernières années le processus de dépôt dans la région du delta sont les suivants : 1) une énorme
augmentation de la charge sédimentaire du San Juan résultant de la déforestation massive
d’affluents drainant des régions montagneuses du Costa Rica depuis le début des années 1970, et
2) le déplacement de la plus grande partie du débit et de la charge sédimentaire du San Juan vers le
fleuve Colorado, un processus amorcé dès le XIXe siècle. Aucun de ces changements n’a
vraisemblablement modifié le calibre ou la composition des sédiments déposés par le fleuve à cet
endroit. Rien ne permet par conséquent de penser que le matériau récemment déposé dans les caños
diffère sensiblement de celui déposé dans le passé, tel qu’il a été enlevé par le Nicaragua.
En particulier, dans ses rapports relatifs aux territoires litigieux, Ramsar n’a formulé aucune
recommandation concernant la nécessité d’entreprendre des mesures de restauration
supplémentaires en raison des travaux effectués par le Nicaragua. Cette organisation n’a jamais
affirmé que le matériau ayant comblé les caños ne résiste pas suffisamment à l’érosion pour que la
zone humide reste saine ou bien qu’il devrait contenir des microbes ou des substances nutritives
différents ou plus nombreux.
Selon Thorne : «Les photos et échantillons révèlent que les sédiments remplissant les caños
et s’accumulant dans les zones dégagées sont le plus souvent des sédiments qui ont été déposés
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dans le lit du fleuve, à savoir un mélange de sable et de limon, avec un peu d’argile» (Thorne 2017,
p. 8). Pourtant, l’intéressé ne présente aucune donnée ou analyse scientifique corroborant cette
assertion. Sa mention d’«échantillons» ne lasse pas d’intriguer et soulève maintes questions
concernant la valeur indicative d’iceux, l’endroit où ils ont été prélevés, la manière dont ils ont été
analysés et les raisons ayant incité à ne pas les communiquer. L’échantillonnage effectué
réellement sur le terrain, tel qu’il est mentionné par Thorne, devrait permettre de se prononcer de
manière catégorique sur les sédiments sans recourir à des formules vagues comme «il semble
probable que …» (Thorne 2017, p. 8). De même, les déclarations de Thorne concernant l’éventail
des tailles des sédiments ayant comblé les caños et «ce que l’on sait» de ce matériau en général
sont formulées en l’absence de toute justification (Thorne 2017, p. 10).
Le fait que Thorne s’abstienne de fournir des données sur le sujet contredit sa propre
observation selon laquelle «une méthode scientifique et techniquement fiable «inclurait» des
mesures précisant les propriétés des sédiments remplissant les caños» (Thorne 2017, p. 3).
Curieusement, c’est à moi qu’il reproche l’absence de telles mesures. Pourtant, le Costa Rica
jouissant d’un accès exclusif aux caños, seuls Thorne ou d’autres consultants recrutés par ce pays
auraient pu procéder aux mesures et prélever des échantillons.
III. Atténuation des risques naturels
Dans mon rapport de mai 2017, je relevais l’absence de preuves produites par Neotrópica et
le Costa Rica et attestant d’une perte de services d’atténuation des risques naturels fournis par la
zone affectée et attribuable aux travaux du Nicaragua (Kondolf 2017, p. 4 et 5). En réponse, Thorne
prétend que je n’ai pas tenu compte de l’éventail des risques potentiels et cite un certain nombre de
prétendus risques supplémentaires (Thorne 2017, p. 12 à 16). Cependant, dans ses affirmations il
omet d’aborder le point central de mon rapport, à savoir que le Costa Rica n’a pas produit la
moindre preuve catégorique de la perte du service écosystémique d’atténuation des risques
naturels.
Thorne mentionne d’abord «les inondations côtières et l’intrusion d’eau salée» en se référant
au rapport Ramsar de 2010 (Ramsar 2010, p. 12 et 13). Ce dernier, cependant, énonce de simples
prévisions concernant le risque de voir le San Juan dévier vers la lagune de Harbour Head, avant
que le caño ne soit comblé. Ce scénario a bien été envisagé, mais il ne s’est pas réalisé. Ramsar n’a
jamais souligné, ni dans ce rapport ni dans les suivants, la nécessité de prendre la moindre mesure
pour protéger la zone humide contre les inondations côtières ou l’intrusion d’eau salée. En fait, son
rapport de 2014 estime faible le risque d’intrusion d’eau salée dans le caño Este (Ramsar 2014,
p. 18). Même si, en raison de ce faible risque, l’organisation a cru bon de prendre la précaution de
recommander la construction de la digue érigée ensuite par le Costa Rica, elle n’a formulé aucune
autre recommandation sur la question, ce qui indiquerait qu’elle considère le risque d’intrusion
d’eau salée ou d’inondation comme atténué.
Thorne se concentre aussi sur ce qu’il dépeint comme «la menace bien plus importante
d’érosion côtière» pesant sur la zone humide (Thorne 2017, p. 13). Cependant, il y a une différence
entre affirmer que l’érosion côtière est un risque menaçant le delta du San Juan et prétendre que les
travaux menés par le Nicaragua ont accru ledit risque. Dans son rapport, Thorne entretient
cependant cette confusion. Par exemple, il mentionne une série de cartes et d’images satellite
figurant dans l’un de ses rapports antérieurs comme preuves d’une érosion historique. Ces cartes et
images renforcent l’argument émis dans mes propres rapports antérieurs selon lequel l’érosion
côtière dans le delta du San Juan est un processus massif, historique et continu. Elles révèlent en
fait que l’érosion côtière enregistrée au cours des siècles passés relève d’un processus largement
uniforme et cohérent révélateur d’une capacité de la mer des Caraïbes à éroder les terres supérieure
aux variations locales en matière de végétation, de racines, de taille des particules et autres
facteurs comme cela ressort des positions séquentielles du littoral depuis les premières
photographies aériennes qui remontent à 1940 (Fouache et Gutiérrez 2017, fig. 87).
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Les affirmations de Thorne selon lesquelles les travaux du Nicaragua ont porté atteinte à la
capacité du delta du San Juan à résister à ce processus constant d’érosion revêtent un caractère
spéculatif et ne sont corroborées par aucun élément de preuve. Aucune des images produites ne
révèle une modification du profil de l’érosion côtière au cours des sept dernières années attribuable
à ces travaux mineurs. En outre, ni Thorne ni le Costa Rica n’ont présenté d’autres données.
Au contraire, alors que Thorne dans son rapport inclut des prévisions d’accélération de
l’érosion circonscrite à la zone des caños, il omet de mentionner qu’aucun phénomène de ce type
n’a été observé pendant l’ouragan Otto qui a frappé le San Juan fin novembre 2016. Le fait
qu’aucune desdites prévisions ne se soit matérialisée au cours de cet événement climatique majeur
(constituant un excellent «test» desdites prévisions) porte sérieusement atteinte aux assertions de
l’intéressé. En outre, Ramsar n’a pas recommandé la moindre action visant l’érosion côtière. Rien
n’indique que, aux yeux de cette organisation, la zone humide courrait des risques naturels
différents ou accrus du fait des travaux du Nicaragua.
Il convient également de noter que l’analyse par Thorne de l’érosion côtière va bien plus loin
que les éléments retenus par la fondation Neotrópica aux fins de son évaluation. Cette dernière se
concentre dans son rapport sur la question de l’érosion côtière en tant que risque naturel, ce
phénomène étant mentionné uniquement sous la rubrique «contrôle de l’érosion» dans le tableau 9
(Fundación Neotrópica 2016, p. 46).
Même à supposer des preuves d’une réduction des services d’atténuation des risques
naturels, la fondation Neotrópica prétend évaluer cette perte en transférant une valeur empruntée à
une étude spécifique à la Thaïlande publiée en 2002 (Barbier et autres, 2002). Il est remarquable
que Thorne s’abstienne de faire le moindre commentaire sur cette étude et les valeurs qui en ont été
extraites en vue de leur application à la situation présente. Cette omission est importante, dans la
mesure où, en l’espèce, l’environnement est totalement différent (à savoir qu’il s’agit d’une zone
sédimentaire, dépourvue de structures protectrices linéaires comme le site étudié en Thaïlande, etc.)
et où Thorne n’a pas avancé la moindre raison qui pourrait laisser accroire que les deux situations
sont comparables même de loin.
IV. Période de reconstitution
Enfin, Thorne conteste la thèse selon laquelle l’état de reconstitution dans 20 ans de la zone
affectée par les travaux du Nicaragua sera suffisant pour restaurer au moins la majorité des services
fournis par la zone humide avant la perturbation. Cependant, sa conclusion se fonde sur bon
nombre des hypothèses erronées décrites plus haut.
En ce qui concerne les services de formation du sol et de contrôle de l’érosion, Thorne
explique de manière très vague que leur reconstitution naturelle prendra, selon les cas, «entre des
dizaines d’années et plusieurs millénaires» (Thorne 2017, p. 7 et 8) ou «des dizaines d’années voire
des siècles» (Thorne 2017, p. 8). Pourtant, comme indiqué plus haut, ces services n’ont pas été
touchés. Les longues périodes de reconstitution mentionnées par Thorne (qui peuvent aller jusqu’à
plusieurs siècles voire des millénaires) concernent le processus de décomposition de la roche-mère
en sol et non des sédiments fertiles, récemment déposés, couramment utilisés dans l’agriculture et
soutenant des écosystèmes importants. De toute façon, le relief dans lequel les caños ont été
creusés est né à une époque historique récente, comme en témoignent son apparition sur des cartes
des XVIII et XIXes siècles. Par conséquent, selon les preuves historiques, ce relief n’est vieux que
de quelques centaines d’années et ne présente aucune des caractéristiques stables suggérées par
Thorne dans sa description. De plus, rien ne prouve que le matériau déposé dans les caños après
leur nettoyage soit fondamentalement différent de celui en ayant été extrait, dans la mesure où,
comme indiqué plus haut, les processus alluviaux ayant provoqué le dépôt de sédiments à l’époque
n’ont pas fondamentalement changé.
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A l’avenant, malgré les assertions de Thorne selon lesquelles la capacité de la zone à
atténuer les risques naturels comme l’érosion a été réduite à titre permanent par les activités du
Nicaragua (Thorne 2017, p. 16), ni lui ni le Costa Rica n’ont produit la moindre preuve
déterminante qu’il en va bien ainsi, comme nous l’avons expliqué plus haut.
Thorne consacre la plus grande partie de son analyse du temps de reconstitution sur la
période qui sera nécessaire à la régénération de la biodiversité dans une zone affectée, avant de
conclure qu’une partie des fonctions ne pourra jamais être restaurée (Thorne 2017, p. 16 à 23).
Toutefois, il ne produit aucune preuve spécifique au site contestant ma position selon laquelle
«[l]es arbres poussant en quatre à cinq ans ne seraient pas équivalents aux spécimens plus gros dont
on a rapporté la coupe durant le dégagement du caño 2010, mais ils réaliseraient la plupart des
fonctions escomptées pour une zone boisée, notamment en termes d’habitat et de fourniture de
ressources alimentaires» (Kondolf 2017, p. 6). En fait, Thorne reconnaît que «la repousse des
herbes, broussailles et essences pionnières dans les zones dégagées par le Nicaragua a été rapide»
(Thorne 2017, p. 23).
L’incapacité de Thorne à produire des preuves spécifiques au site pour corroborer ses
affirmations ressort notamment des reproches qu’il m’adresse pour ne pas avoir directement
mesuré la taille des arbres poussant dans le caño comblé, une omission qu’il qualifie de «critique la
plus sévère» de mes méthodes (Thorne 2017, p. 23). Selon lui, «[u]n expert de l’environnement
rigoureux aurait effectué des mesures précises de la hauteur des arbres (anciens et nouveaux) sur le
terrain en octobre 2016 au moyen d’un ruban d’arpentage et d’un inclinomètre : une méthode
simple, mais efficace» (Thorne 2017, p. 23). Et d’ajouter plus loin
«[u]n expert de l’environnement rigoureux aurait recouru à un échantillonnage par
quadrats pour dénombrer et identifier la végétation colonisatrice, ce qui aurait permis
d’établir des comparaisons directes avec les assemblages de végétation dans les zones
adjacentes qui n’ont pas été dégagées par le Nicaragua» (Thorne 2017, p. 23).
Thorne ferait mieux d’adresser ses critiques au Costa Rica qui jouit d’un accès exclusif au
site, de sorte que lui-même ou d’autres consultants de cet Etat auraient pu procéder aux mesures
qu’il prône. Personnellement, je n’étais pas en mesure de le faire. Par conséquent, c’est au
Costa Rica qu’il convient d’imputer cette omission qualifiée de «grave erreur méthodologique»
(Thorne 2017, p. 23).
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Duplique du Nicaragua sur la question de l'indemnisation