DISCOURS DE S. EXC. M. RONNY ABRAHAM, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE, À L’OCCASION DE LA SOIXANTE-DOUZIÈME SESSION
DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le 26 octobre 2017
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
C’est pour moi un honneur de m’adresser une nouvelle fois à l’Assemblée générale au
moment où elle procède à l’examen du rapport annuel de la Cour internationale de Justice relatif à
l’activité de celle-ci au cours de l’année écoulée. Je suis heureux de perpétuer ainsi une tradition
déjà très ancienne.
Je me réjouis d’avoir l’occasion de le faire devant une Assemblée réunie sous la présidence
de S. Exc. M. Miroslav Lajčák, que je tiens à féliciter chaleureusement pour son élection ; mes
voeux les plus sincères l’accompagnent dans l’exercice de cette éminente mission.
Entre le 1er août 2016, date du début de la période couverte par le rapport de la Cour, et
aujourd’hui, jusqu’à 19 affaires contentieuses et une procédure consultative ont été pendantes
devant la Cour.
Au cours de cette même période, la Cour a tenu des audiences dans six affaires. La Cour a
tout d’abord entendu les plaidoiries des Parties sur les exceptions préliminaires présentées par le
Kenya en l’affaire de la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya). Elle a
ensuite tenu des audiences sur trois demandes en indication de mesures conservatoires présentées,
successivement, dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale
c. France), dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale pour la répression
du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie) et dans l’affaire Jadhav (Inde
c. Pakistan). Enfin, début juillet 2017, la Cour a entendu les plaidoiries des Parties sur le fond dans
les affaires de la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica
c. Nicaragua) et de la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica
c. Nicaragua), qui ont été jointes en février 2017.
Depuis le 1er août 2016, la Cour a en outre rendu quatre arrêts et trois ordonnances en
indication de mesures conservatoires. Les trois premiers arrêts portent sur les questions de
compétence et de recevabilité soulevées dans les affaires des Obligations relatives à des
négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement
nucléaire (Iles Marshall c. Inde), (Iles Marshall c. Pakistan) et (Iles Marshall c. Royaume-Uni) ; le
quatrième porte sur les exceptions préliminaires soulevées par le Kenya en l’affaire relative à la
Délimitation maritime dans l’océan Indien. Quant aux ordonnances en indication de mesures
conservatoires, elles ont été rendues, successivement, dans l’affaire introduite par la Guinée
équatoriale contre la France, dans celle introduite par l’Ukraine contre la Fédération de Russie et
dans l’affaire introduite par l’Inde contre le Pakistan.
*
- 2 -
[Traduction]
Comme il est d’usage, je vais à présent vous exposer succinctement le contenu de ces
décisions.
Ayant présenté les trois arrêts rendus par la Cour le 5 octobre 2016 dans les affaires des
Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires
et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), (Iles Marshall c. Pakistan) et (Iles Marshall
c. Royaume-Uni) lors du discours que j’ai eu l’honneur de prononcer l’an dernier devant cette
Assemblée, je ne reviendrai pas sur les décisions en question. Je commencerai donc par rappeler
certains éléments de l’arrêt rendu par la Cour le 2 février 2017 sur les exceptions préliminaires
soulevées par le Kenya en l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien
(Somalie c. Kenya).
A cet égard, permettez-moi de rappeler tout d’abord certains aspects factuels.
La Somalie et le Kenya, deux Etats d’Afrique de l’Est dont les côtes sont adjacentes, sont
parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ou «CNUDM»). Selon le
paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, l’Etat partie qui entend fixer la limite extérieure de son
plateau continental au-delà de 200 milles marins doit présenter des informations sur celle-ci à la
Commission des limites du plateau continental (que j’appellerai simplement par la suite la
«Commission des limites» ou la «Commission»). La Commission a pour fonction d’adresser aux
Etats côtiers des recommandations sur des questions concernant la fixation de la limite extérieure
de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins. En cas de différend sur tels ou tels espaces
maritimes, elle refuse d’examiner les demandes se rapportant aux espaces en litige sans l’accord
préalable de tous les Etats concernés.
Comme la Cour le rappelle dans son arrêt, la Somalie et le Kenya ont signé le 7 avril 2009
un mémorandum d’accord dans lequel chaque Etat s’engageait à ne pas objecter aux
communications de l’autre à la Commission en ce qui concerne la limite extérieure du plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Le sixième paragraphe dudit mémorandum prévoyait
également que «[l]a délimitation des frontières maritimes dans les zones en litige … fera[it] l’objet
d’un accord entre les deux Etats côtiers … après que la Commission aura[it] achevé l’examen des
communications séparées effectuées par chacun des deux Etats … et formulé ses
recommandations». Au cours des années qui ont suivi, chacune des Parties a formulé puis levé une
objection à l’examen de la demande de l’autre par la Commission. Leurs demandes sont
actuellement en cours d’examen.
Le 28 août 2014, la Somalie a introduit une instance contre le Kenya devant la Cour, en
demandant à celle-ci de déterminer, sur la base du droit international, l’intégralité du tracé de la
frontière maritime unique départageant l’ensemble des espaces maritimes relevant de la Somalie et
du Kenya dans l’océan Indien, y compris sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins.
Comme base de compétence, la Somalie invoquait les déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour faites par les deux Etats. Le Kenya a toutefois soulevé deux exceptions
préliminaires, l’une concernant la compétence de la Cour et l’autre, la recevabilité de la requête.
Dans son arrêt en date du 2 février 2017, la Cour a tout d’abord examiné l’exception
d’incompétence soulevée par le Kenya. Dans ce contexte, le Kenya soutenait que la Cour n’avait
pas compétence pour connaître de l’affaire du fait de l’une des réserves contenues dans sa
déclaration formulée en vertu de la clause facultative, réserve qui exclut les différends au sujet
desquels les parties sont convenues «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de
règlement». Il plaidait que le mémorandum constituait un accord à l’effet d’avoir recours à un autre
mode de règlement. Les dispositions pertinentes de la CNUDM sur le règlement des différends
constituaient également, selon lui, un accord quant à un mode de règlement.
- 3 -
La Cour a tout d’abord examiné la question de savoir si le mémorandum d’accord entrait
dans le champ de la réserve du Kenya. Après analyse du statut juridique de cet instrument au regard
du droit international, elle a conclu qu’il s’agissait d’un traité valide qui était entré en vigueur à sa
signature et liait les Parties en droit international. Elle a ensuite procédé à l’interprétation du
mémorandum et a conclu que les Parties n’y étaient pas convenues «d’avoir recours à un autre
mode ou à d’autres modes de règlement» au sens de la réserve du Kenya à sa déclaration
d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, de sorte que cet instrument n’entrait pas dans
le champ de ladite réserve.
La Cour s’est alors penchée sur la question de savoir si la partie XV de la CNUDM (intitulée
«Règlement des différends») constituait un accord entre les Parties quant au mode de règlement du
différend les opposant au sujet de leur frontière maritime, au sens de la réserve du Kenya. Elle s’est
intéressée en particulier à l’article 282 de la convention, qui dispose que, «[l]orsque les Etats
Parties qui sont parties à un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention
sont convenus, dans le cadre d’un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière,
qu’un tel différend sera soumis, à la demande d’une des parties, à une procédure aboutissant à une
décision obligatoire, cette procédure s’applique au lieu de celles prévues dans la présente partie, à
moins que les parties en litige n’en conviennent autrement». La Cour a considéré que l’expression
«ou de toute autre manière» figurant à l’article 282 couvrait le consentement à sa compétence qui
découle de déclarations faites en vertu de la clause facultative, même lorsque ces déclarations
comportent une réserve allant dans le même sens que celle du Kenya. Elle en a conclu que
conformément à l’article 282, les déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative
constituaient un accord conclu d’une «autre manière» en vue de régler les différends relatifs à
l’interprétation ou à l’application de la CNUDM dans le cadre d’une procédure devant elle, laquelle
procédure s’appliquait dès lors «au lieu» de celles prévues dans la section 2 de la partie XV. En
conséquence, le différend ne se trouvait pas exclu, du fait de la partie XV de la CNUDM, du champ
de la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative.
La Cour a conclu que l’exception préliminaire à sa compétence soulevée par le Kenya devait
être rejetée. Elle a ensuite examiné la seconde exception préliminaire du Kenya, qui portait sur la
recevabilité de la requête.
La Cour a rappelé que le Kenya avançait deux moyens pour contester la recevabilité de la
requête. Son premier argument consistait à soutenir que les Parties étaient convenues dans le
mémorandum d’accord de ne délimiter leur frontière par voie de négociation qu’une fois achevé
l’examen par la Commission des limites de leurs demandes respectives. Etant précédemment
parvenue à la conclusion que le mémorandum d’accord n’imposait pas aux Parties d’attendre le
résultat des travaux de la Commission, et qu’il ne leur imposait pas de recourir à un mode
particulier de règlement de leur différend relatif à leur frontière maritime, la Cour a également
rejeté cet aspect de la seconde exception préliminaire du Kenya. Le deuxième argument du Kenya
consistait à plaider que le retrait par la Somalie de son consentement à l’examen de la Commission
des limites emportait violation du mémorandum d’accord. La Cour a observé que la violation par la
Somalie d’un traité en cause en l’affaire n’affectait pas en soi la recevabilité de sa requête. Partant,
elle a conclu que l’exception préliminaire relative à la recevabilité de la requête somalienne devait
être rejetée.
La Cour a en conséquence déclaré qu’elle avait compétence pour connaître de la requête
déposée par la République fédérale de Somalie le 28 août 2014 et que ladite requête était recevable.
Par une ordonnance datée du 2 février 2017, la Cour a fixé au 18 décembre 2017 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Kenya en l’affaire.
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La procédure est donc actuellement pendante.
*
Comme je l’ai dit plus tôt, au cours de la période considérée, la Cour a également rendu trois
ordonnances en indication de mesures conservatoires dont je vais à présent vous exposer
brièvement la teneur, dans l’ordre chronologique.
La première a été rendue le 7 décembre 2016 en l’affaire relative aux Immunités et
procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). En tant que ressortissant français, je n’ai pas
exercé la présidence dans cette affaire, conformément au paragraphe 1 de l’article 32 du Règlement
de la Cour. C’est le vice-président de la Cour qui a assuré cette fonction, en application de
l’article 13 du Règlement. Je rappellerai tout d’abord que, le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale a
introduit contre la France une instance au sujet d’un différend ayant trait à l’immunité alléguée de
juridiction pénale du vice-président équato-guinéen, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi
qu’au statut juridique d’un immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. La Guinée équatoriale
soutenait notamment que, en engageant des procédures pénales contre son second vice-président
chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat et en ordonnant la saisie pénale immobilière d’un
bâtiment abritant, selon elle, l’ambassade équato-guinéenne en France, cette dernière avait manqué
de respecter les immunités que le droit international lui reconnaît et violé sa souveraineté.
Quelques semaines plus tard, le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale a présenté une
demande en indication de mesures conservatoires par laquelle elle priait la Cour de prescrire à la
France, notamment, de suspendre toutes les procédures pénales engagées contre le vice-président
de la République de Guinée équatoriale ; de veiller à ce que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à
Paris soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France et, en
particulier, d’assurer son inviolabilité ; et de s’abstenir de prendre toute autre mesure susceptible
d’aggraver ou d’étendre le différend soumis à la Cour.
La Guinée équatoriale entendait fonder la compétence de la Cour sur deux instruments, à
savoir la convention contre la criminalité transnationale organisée et le protocole de signature
facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
Dans son ordonnance, la Cour, conformément à sa pratique habituelle, a tout d’abord
cherché à établir si les clauses juridictionnelles contenues dans ces instruments lui conféraient
compétence prima facie pour se prononcer sur le fond, lui permettant, si les autres conditions
requises à cet effet étaient remplies, d’indiquer des mesures conservatoires. Après analyse des
éléments pertinents, la Cour a considéré qu’elle n’avait pas compétence prima facie en vertu du
paragraphe 2 de l’article 35 de la convention contre la criminalité transnationale organisée pour
connaître de la demande de la Guinée équatoriale relative à l’immunité alléguée de
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Elle a en revanche conclu qu’elle avait compétence
prima facie en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de
Vienne pour connaître du second volet de ce différend, relatif à l’immeuble sis au 42 avenue Foch.
Elle a donc estimé pouvoir, sur cette base, examiner la demande en indication de mesures
conservatoires de la Guinée équatoriale en ce qu’elle avait trait à cet immeuble.
S’étant déclarée incompétente, prima facie, pour connaître des violations alléguées de la
convention contre la criminalité transnationale organisée, la Cour ne s’est intéressée qu’au droit
prétendu de la Guinée équatoriale à «l’inviolabilité des locaux de sa mission diplomatique», au
sujet duquel était invoqué l’article 22 de la convention de Vienne. Elle a conclu que les conditions
requises par son Statut pour qu’elle indique des mesures conservatoires concernant l’immeuble sis
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au 42 avenue Foch à Paris étaient remplies, et a en conséquence prescrit à la France de prendre,
dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, toutes les mesures à sa disposition pour que les
locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au
42 avenue Foch à Paris jouissent d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité.
Le 19 avril 2017, la Cour a rendu une deuxième ordonnance en indication de mesures
conservatoires, cette fois en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale pour
la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie).
Cette instance avait été introduite le 16 janvier 2017 contre la Fédération de Russie par
l’Ukraine, qui dénonçait des violations de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme (ou «CIRFT») et de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (ou «CIEDR»). S’agissant de la CIRFT, l’Ukraine
soutenait que la Fédération de Russie, en violation de ses obligations au titre de cette convention,
n’avait pas pris les mesures voulues pour empêcher le financement, par des personnes publiques ou
privées se trouvant sur son territoire, d’actes de terrorisme en Ukraine et qu’elle avait, à maintes
reprises, refusé d’enquêter sur «des auteurs d’infractions se trouvant sur son territoire et sur
lesquels l’Ukraine avait appelé son attention», ainsi que de les poursuivre ou de les extrader.
S’agissant de la CIEDR, l’Ukraine soutenait que la Fédération de Russie, en violation de ses
obligations au titre de cette convention, avait imposé dans la péninsule de Crimée «la suprématie
des Russes de souche» et s’était livrée à une discrimination systématique à l’égard des Ukrainiens
de souche et des Tatars de Crimée.
L’ordonnance de la Cour faisait suite à une demande en indication de mesures conservatoires
également déposée par l’Ukraine le 16 janvier 2017. Dans cette demande, l’Ukraine déclarait que
son but était de faire protéger, dans l’attente de la décision de la Cour sur le fond, les droits qu’elle
estimait tenir des deux conventions susmentionnées.
Dans son ordonnance, la Cour a commencé par rappeler qu’elle n’avait pas, aux fins de sa
décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, à établir l’existence de violations
des obligations incombant aux Parties en vertu de l’une ou l’autre de ces conventions, mais devait
seulement déterminer si les circonstances exigeaient l’indication de mesures conservatoires à l’effet
de protéger des droits.
Elle a déclaré avoir pleinement conscience du contexte dans lequel cette affaire était portée
devant elle, en particulier des combats qui faisaient rage dans de grandes parties de l’Ukraine
orientale, et de la destruction, le 17 juillet 2014, de l’avion de la Malaysia Airlines assurant le
vol MH17 alors qu’il survolait le territoire ukrainien sur le trajet entre Amsterdam et
Kuala Lumpur, événements qui avaient causé de nombreux morts. La Cour a néanmoins rappelé
que l’affaire dont elle était saisie était d’une portée limitée. S’agissant des événements survenus
dans la partie orientale de son territoire, l’Ukraine avait introduit l’instance uniquement sur la base
de la CIRFT. Dans le cas des événements survenus en Crimée, elle se fondait exclusivement sur la
CIEDR, de sorte que la Cour n’avait pas, comme l’Ukraine l’avait d’ailleurs explicitement reconnu,
à statuer sur quoi que ce soit d’autre que des allégations de discrimination raciale formulées par
cette dernière.
La Cour a en outre rappelé aux Parties que, dans sa résolution 2202 (2015), le Conseil de
sécurité avait approuvé l’«ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk» qui
avait été adopté et signé à Minsk le 12 février 2015. Elle a déclaré attendre des Parties qu’elles
s’emploient à mettre pleinement en oeuvre, tant individuellement que conjointement, cet «ensemble
de mesures» afin de parvenir à un règlement pacifique du conflit sévissant dans l’est de l’Ukraine.
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La Cour s’est également penchée sur la question de savoir si les clauses juridictionnelles
contenues dans la CIRFT et la CIEDR lui conféraient prima facie compétence pour se prononcer
sur le fond, lui permettant, si les autres conditions requises à cet effet étaient remplies, d’indiquer
des mesures conservatoires. Elle a considéré que les éléments de preuve à sa disposition suffisaient
à établir, prima facie, qu’il était satisfait aux conditions procédurales préalables à sa saisine qui
étaient énoncées au paragraphe 1 de l’article 24 de la CIRFT et à l’article 22 de la CIEDR.
La Cour s’est alors intéressée aux droits dont la protection était recherchée et a estimé que
les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits
invoqués par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT n’étaient pas remplies. S’agissant de la
CIEDR, elle a considéré que les conditions auxquelles son Statut subordonnait l’indication de
mesures conservatoires étaient réunies. Elle a donc conclu que, afin de protéger les droits
revendiqués par l’Ukraine concernant la situation en Crimée, la Fédération de Russie devait,
conformément aux obligations lui incombant au titre de la CIEDR, i) s’abstenir de maintenir ou
d’imposer des limitations à la capacité de la communauté des Tatars de Crimée de conserver ses
instances représentatives, y compris le Majlis ; et ii) faire en sorte de rendre disponible un
enseignement en langue ukrainienne. La Cour a ajouté que les deux Parties devaient s’abstenir de
tout acte susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend dont elle était saisie ou d’en rendre la
solution plus difficile.
Quelques semaines plus tard, le 18 mai 2017, la Cour a rendu une troisième ordonnance en
indication de mesures conservatoires, celle-ci en l’affaire Jadhav (Inde c. Pakistan). Dans sa
requête, introduite le 8 mai 2017, l’Inde reproche au Pakistan d’avoir violé l’article 36 de la
convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 en ce qui concerne un
ressortissant indien, M. Jadhav, condamné à mort au Pakistan. L’Inde affirme qu’elle n’a été avisée
de la détention de M. Jadhav que plusieurs semaines après son arrestation, et que le Pakistan a
manqué d’informer l’intéressé de ses droits. Elle fait également grief aux autorités pakistanaises de
lui dénier, en violation de la convention de Vienne, le droit de communiquer avec M. Jadhav par
l’entremise de ses autorités consulaires, en dépit de ses demandes répétées. L’ordonnance de la
Cour répondait à une demande en indication de mesures conservatoires également déposée le
8 mai 2017.
Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, l’Inde soutenait que la violation
de la convention de Vienne dont elle tenait le Pakistan pour responsable l’avait «empêché[e]
d’exercer les droits qu’elle tenait de [cette] convention, et [avait] privé le ressortissant indien de la
protection que celle-ci lui reconna[issait]». Elle ajoutait que M. Jadhav «sera[it] exécuté, à moins
que la Cour, par des mesures conservatoires, ne prescrive au Gouvernement du Pakistan de prendre
toutes les mesures nécessaires pour qu’il soit sursis à cette exécution tant qu’elle ne se sera[it] pas
prononcée sur le fond» de l’affaire.
Dans son ordonnance, la Cour, après avoir conclu, d’une part, qu’elle avait, prima facie,
compétence en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de
Vienne sur les relations consulaires et, d’autre part, que les conditions auxquelles son Statut
subordonnait l’indication de mesures conservatoires étaient réunies, a prescrit au Pakistan de
prendre toutes les mesures à sa disposition pour que M. Jadhav ne soit pas exécuté tant qu’elle
n’aurait pas rendu sa décision définitive en l’instance, et de porter à sa connaissance toutes les
mesures qui auraient été prises en application de son ordonnance. La Cour a également décidé que,
jusqu’au prononcé de sa décision définitive, elle demeurerait saisie des questions faisant l’objet de
cette ordonnance.
*
- 7 -
[Original]
J’en viens et je repasse au français aux nouvelles instances introduites devant la Cour
au cours de la période considérée. Outre les deux affaires que j’ai évoquées à l’instant –– dont l’une
oppose l’Ukraine à la Fédération de Russie et l’autre, l’Inde au Pakistan et dans lesquelles la
Cour a rendu des ordonnances en indication de mesures conservatoires, quatre nouvelles
procédures ont été engagées, trois en matière contentieuse et une en matière consultative.
Une première instance a été introduite le 16 janvier 2017 par la République du Costa Rica
contre la République du Nicaragua au sujet d’un «[d]ifférend relatif à la définition précise de la
frontière dans la zone de la lagune de Los Portillos/Harbor Head et à l’établissement par le
Nicaragua d’un nouveau camp militaire» sur la plage d’Isla Portillos. Je préciserai à cet égard que,
compte tenu de la nature des demandes formulées par le Costa Rica dans cette nouvelle affaire et
du lien étroit que celles-ci entretiennent avec certains aspects du différend en l’affaire de la
Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), la
Cour a décidé de joindre les instances dans les deux affaires le 2 février 2017. Des audiences ayant,
comme je l’ai indiqué en introduction, été tenues début juillet 2017, cette nouvelle affaire est
actuellement en cours de délibéré.
Une deuxième affaire a été portée devant la Cour le 2 février 2017. A cette date, la Malaisie
a déposé une demande en revision de l’arrêt rendu par la Cour le 23 mai 2008 en l’affaire relative à
la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge
(Malaisie/Singapour). Dans sa requête, la Malaisie soutient qu’«il existe un fait nouveau de nature
à exercer une influence décisive au sens de l’article 61» du Statut de la Cour, lequel autorise, sous
certaines conditions, un Etat à demander la revision d’un arrêt. La Malaisie se réfère en particulier
à trois documents découverts dans les archives nationales du Royaume-Uni entre le 4 août 2016 et
le 30 janvier 2017. Elle affirme que ces documents mettent en lumière un fait nouveau, à savoir que
«certains des plus hauts représentants de l’administration coloniale britannique et de
l’administration singapourienne étaient conscients de ce que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne
faisait pas partie du territoire souverain de Singapour» au cours de la période pertinente. Selon elle,
«la Cour serait nécessairement parvenue à une conclusion différente quant à la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh si elle avait eu connaissance de ces nouveaux éléments de preuve».
Quelques mois plus tard, le 30 juin 2017, la Malaisie a saisi la Cour d’une nouvelle affaire en
déposant une demande en interprétation de l’arrêt rendu par la Cour le 23 mai 2008 en l’affaire
relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge
(Malaisie/Singapour). La Malaisie fonde sa demande en interprétation sur l’article 60 du Statut de
la Cour, qui dispose que, «[e]n cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient à
la Cour de l’interpréter, à la demande de toute partie». Elle invoque également l’article 98 du
Règlement de la Cour. Le demandeur indique que «la Malaisie et Singapour ont tenté de mettre en
oeuvre l’arrêt de 2008 par des processus de coopération». A cette fin, expose la Malaisie, elles ont
établi une commission technique conjointe, notamment chargée de «la délimitation des frontières
maritimes entre les eaux territoriales des deux pays». Selon la Malaisie, les travaux de cette
commission ont abouti à une impasse en novembre 2013. La Malaisie affirme que «[l]’une des
raisons de cette impasse est que les Parties n’ont pas été en mesure de s’entendre sur le sens de
l’arrêt de 2008 en ce qui concerne South Ledge et les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh».
Il me reste, pour finir ce tour d’horizon, à mentionner la demande d’avis consultatif
présentée en juin 2017 par votre Assemblée au sujet des effets juridiques de la séparation de
l’archipel des Chagos de Maurice en 1965.
D’un point de vue procédural, la Cour a, comme vous le savez, décidé dans son ordonnance
datée du 14 juillet 2017 «que l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres [étaient]
susceptibles de fournir des renseignements sur la question soumise à la Cour pour avis consultatif».
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Elle a fixé au 30 janvier 2018 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur la
question pourraient être présentés à la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son
Statut et au 16 avril 2018 la date d’expiration du délai dans lequel les Etats ou organisations qui
auraient présenté un exposé écrit pourraient présenter des observations écrites sur les autres
exposés écrits conformément au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut.
*
J’en viens maintenant aux demandes de crédits budgétaires pour l’exercice biennal
2018-2019 que la Cour a transmis cette année à votre Assemblée. La Cour est pleinement
consciente des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’Organisation et ses Etats Membres, et de la
nécessité pour les Nations Unies dans leur ensemble, et pour la Cour en particulier, de faire preuve
de la rigueur budgétaire qui s’impose dans ce domaine. Les crédits demandés par la Cour cette
année, en légère augmentation, répondent à cet égard à des besoins indispensables pour garantir
une bonne administration de la justice internationale et réaliser ainsi le mandat que lui confère la
Charte des Nations Unies. Le budget de la Cour représente moins de 1 % du budget régulier de
l’Organisation. Au vu de son rôle prééminent et de son activité en croissance constante, la Cour
constitue sans aucun doute un mode de solution pacifique des différends d’un rapport
coût/efficacité particulièrement exceptionnel. La Cour est convaincue de pouvoir compter sur la
compréhension et l’appui de l’Assemblée dans ce contexte.
Le soutien de l’Assemblée sera en particulier nécessaire pour fournir à la Cour les moyens de
mettre en oeuvre un progiciel de gestion intégré (Umoja) au cours du prochain exercice biennal. Ce
progiciel, qui a été conçu pour faciliter et simplifier l’information entre tous les domaines d’activité
au sein du Secrétariat des Nations Unies, y est utilisé depuis 2016. Les estimations revisées des
ressources budgétaires requises en vue de sa mise en oeuvre ont été communiquées au Secrétariat
par la Cour. L’adoption de ce progiciel, et les implications d’un tel projet pour l’administration de
la Cour, compte tenu de la petite taille et des spécificités de son Greffe, ont requis diverses études
préalables. Celles-ci ayant été menées à bien, la Cour a pu prendre les décisions qui s’imposaient et
est à présent prête à déployer le progiciel choisi (Umoja) dans les meilleurs conditions possibles.
*
Voilà qui met fin à la troisième allocution que j’ai l’honneur de vous adresser en tant que
président de la Cour internationale de Justice. Le moment semble bien choisi pour évoquer la
confiance que la communauté internationale continue de témoigner à la Cour en lui soumettant les
différends les plus variés, chacun d’entre eux soulevant d’importantes questions juridiques qui
touchent à de nombreux domaines du droit international. Au-delà du rôle manifeste qu’elle a joué
et continue de jouer dans la consolidation et le développement du droit régissant des
questions que l’on pourrait qualifier de classiques, telles les délimitations territoriales et maritimes,
la Cour est de plus en plus amenée à se prononcer sur des questions au coeur des préoccupations
actuelles de la communauté internationale, telles que, par exemple, celles relatives à la préservation
de l’environnement. Aux questions de fond qu’elle est appelée à trancher viennent régulièrement se
greffer des procédures incidentes qui conduisent la Cour à traiter sans cesse plusieurs affaires en
même temps. L’augmentation du nombre de demandes en indication de mesures conservatoires
révèle que les Etats n’hésitent pas à se tourner vers la Cour, en situation de crise, lorsqu’un risque
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de préjudice irréparable est susceptible d’être causé à leurs droits. La Cour sait alors mobiliser
l’ensemble de ses ressources pour offrir une réponse rapide et adaptée à des situations urgentes.
Quelle que soit la mission que les Etats lui confient, la Cour garde toujours à l’esprit sa
préoccupation première, celle de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales
par l’application du droit.
*
[Traduction]
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Je tiens à vous remercier de m’avoir donné cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Je vous présente tous mes voeux de réussite pour cette soixante-douzième session de
l’Assemblée générale.
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Discours de S. Exc. M. Ronny Abraham, président de la Cour internationale de Justice, à l’occasion de la soixante-douzième session de l’Assemblée générale des Nations Unies