1 Exposé de Nick Gales, titulaire d’une licence en médecine et chirurgie vétérinaires (BVMS)
et d’un doctorat (PhD), Directeur scientifique,
Programme antarctique australien,
15 avril 2013
1. Introduction
1.1. Le présent exposé s’appuie sur mon expérience directe en tant que membre actif du
comité scientifique de la commission baleinière internationale (ci-après «la CBI» ou «la
commission») au cours des 10 dernières années, membre expérimenté de la communauté
scientifique internationale travaillant sur les mammifères marins depuis plus de 30 ans, et
responsable d’un programme scientifique international de grande envergure. Une copie de mon
curriculum vitae est jointe aux informations concernant les preuves par expertise transmises à la
Cour par lettre en date du 24 janvier 2013.
1.2. Le comité scientifique est essentiel au bon fonctionnement de la commission. Je
démontrerai ci-après que la séparation des tâches entre le comité scientifique et la commission, le
premier traitant des questions scientifiques et la seconde des orientations générales, explique en
2 grande partie que le comité scientifique se soit si honorablement acquitté de sa mission, en
produisant des résultats scientifiques faisant autorité dans le monde entier (voir ci-après la
section 2, «Le comité scientifique»).
1.3. A l’opposé, la première phase du programme japonais de recherche scientifique sur les
baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial («JARPA») et sa deuxième phase
(«JARPA II») ont été la principale source de dissensions et de dysfonctionnements au sein du
comité scientifique (voir ci-après la section 3, «Le comité scientifique et la chasse à la baleine au
titre d’un permis spécial»).
1.4. D’après mon expérience au sein du comité scientifique, les difficultés soulevées par
JARPA et JARPA II proviennent du caractère vague de ces deux programmes, qui ne suivent pas
un calendrier et des objectifs clairs, et de l’impossibilité pour le comité scientifique d’engager
avec leurs promoteurs un dialogue fondé sur des données factuelles, ce qui l’a privé de sa
capacité d’influer sur leur contenu et leur structure. Ces facteurs ont entravé les efforts du comité
scientifique pour jouer pleinement son rôle en tant qu’organe chargé d’examiner les programmes
de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial et de formuler un avis scientifique à leur sujet.
1.5. Dans son contre-mémoire, le Japon affirme que le comité scientifique n’a pas critiqué
JARPA et JARPA II, et qu’il a même reconnu la contribution apportée par ces deux programmes
à ses travaux (voir, par exemple, le contre-mémoire du Japon, note de bas de page n° 629 et
paragraphes 34, 11.2-11.3, 4.16, 4.33, 5.16, 5.142, et 9.27-9.28). J’analyserai ci-après ces
affirmations et démontrerai que la nature du débat sur JARPA et JARPA II empêche le comité
scientifique de fournir à la commission un avis constructif et consensuel sur ces programmes
(voir ci-après la section 4, «Le contre-mémoire du Japon»).
1.6. Les rares fois où un consensus a pu être obtenu sur une déclaration succincte
concernant les deux programmes japonais, celle-ci se bornait à évoquer l’intérêt potentiel, restant - 2 -
à démontrer, qu’ils pouvaient présenter pour un aspect des travaux du comité scientifique. Ce
potentiel reste aujourd’hui encore à démontrer alors que ces deux programmes sont mis en œuvre
depuis plus de 25 ans et qu’ils utilisent des méthodes létales qui demeurent, en substance,
inchangées depuis leur lancement.
1.7. Les avis techniques du comité scientifique sur les données issues du programme
JARPA se sont limités à quelques problèmes de méthodologie dans le cadre de son analyse de
données aux propriétés complexes, telles que le biais généré par la collecte de données dans le
3 cadre d’opérations de chasse, à la différence d’une expérience minutieusement préparée,
obéissant à des objectifs clairs et appliquant des méthodes adaptées. Ces exemples seront
examinés ci-après.
1.8. Je démontrerai que la contribution des programmes japonais de chasse à la baleine
dans l’océan Austral au titre d’un permis spécial à notre connaissance du petit rorqual de
l’Antarctique, en particulier en matière de conservation et de gestion de cette espèce, a été
négligeable (voir ci-après la section 5, «Les programmes JARPA et JARPA II ont-ils apporté une
contribution importante à notre connaissance du petit rorqual de l’Antarctique ?»)
1.9. En dernier lieu, je présenterai dans ses grandes lignes un cadre de recherche fondé sur
la coopération ayant largement fait ses preuves, mis en œuvre avec l’appui et la coopération du
comité scientifique. Ce projet offre une solution de rechange aux programmes JARPA et JARPA
II unilatéralement décidés par le Japon, et peut apporter des réponses tout à fait satisfaisantes aux
questions importantes liées à la conservation et à la gestion des petits rorquals, sans qu’il soit
nécessaire de les tuer (voir ci-après la section 6, «Le Partenariat pour la recherche dans l’océan
Austral : un nouveau modèle de recherche scientifique fondée sur la coopération et le recours à
des méthodes non létales»).
2. Le comité scientifique
2.1. Le comité scientifique est largement reconnu en tant qu’organisme faisant autorité, à
l’échelle internationale, sur les questions de conservation et de gestion des baleines. Or, pour
s’acquitter avec succès de son mandat, à savoir procéder à des évaluations, entreprendre des
recherches et formuler des avis sur des questions d’intérêt pratique à des fins de gestion, le
comité scientifique, comme tout autre organisme scientifique du même type, doit avant tout
exercer ses fonctions techniques en se tenant en dehors du débat sur les orientations générales.
2.2. A l’annexe 2 du présent exposé, je donne une description générale du processus
décisionnel et des méthodes de travail du comité, ainsi que trois exemples pertinents de son
expertise scientifique. Plusieurs de ces réalisations n’ont été possibles que grâce à la capacité du
comité à appliquer sa méthodologie scientifique, de manière exhaustive et appropriée.
2.3. Dans l’un de ces exemples, l’élaboration d’une méthode convenue pour calculer les
limites de capture dans le cadre de la chasse commerciale — la procédure de gestion révisée ou
RMP —, j’expliquerai que ce succès est dû au fait que cette procédure s’inscrit dans un cadre
expressément conçu pour garantir que toute décision de politique générale est le reflet d’une
instruction reçue de la commission. Les délibérations du comité scientifique se sont donc - 3 -
4 toujours limitées à la sphère technique, les solutions proposées répondant aux objectifs de
conservation de la commission, ou à sa politique générale en la matière.
2.4. La RMP a été conçue après l’instauration du moratoire sur la chasse commerciale.
Cette rupture avec le processus annuel d’approbation des limites de capture a été déterminante à
la fois pour le comité scientifique et la commission. Elle a permis une réflexion sur les raisons de
l’échec de la gestion précédente des stocks de baleines à des fins de conservation.
2.5. Le fonctionnement de la CBI avant le moratoire se caractérisait notamment par une
confusion des responsabilités entre le comité scientifique et la commission sur les questions
scientifiques et sur celles relatives aux orientations générales et à la gestion. Le modèle antérieur
à la RMP, la nouvelle procédure de gestion (NMP), imposait au comité scientifique de procéder à
une classification des populations de baleines selon qu’elles pouvaient ou non être chassées. Les
failles du processus technique que cette classification était censée suivre ont exposé le comité
scientifique à une pression politique indue (voir également l’annexe 2).
2.6. On peut donc dire que ce n’est que depuis l’introduction du moratoire sur la chasse
commerciale que le comité scientifique est réellement parvenu à isoler, sur le plan fonctionnel,
ses processus scientifiques des considérations de politique générale. Ce rééquilibrage au sein de
la CBI a permis au comité scientifique d’appliquer des normes de recherche scientifique
éprouvées et fondées sur des données factuelles, tout en laissant la commission trancher les
débats politiques complexes liés à la chasse, à l’exception notable de la chasse au titre d’un
permis spécial (voir la section 3 ci-dessous).
3. Le comité scientifique et la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial
3.1. La difficulté pour le comité scientifique d’assumer pleinement son rôle à l’égard des
programmes JARPA et JARPA II — rôle qui consiste à examiner les propositions de permis et à
formuler un avis à leur sujet — contraste fortement avec la plupart de ses autres sphères
d’activités.
3.2. A bien des égards, les débats sur JARPA et JARPA II perpétuent les
dysfonctionnements du comité scientifique avant l’instauration du moratoire. Ce lien avec des
pratiques passées est particulièrement manifeste à deux égards :
i) les programmes JARPA et JARPA II mettent presque exclusivement l’accent sur la
collecte de données obtenues par des méthodes létales dans le but d’évaluer des
paramètres biologiques ; et
5 ii) la capacité du comité scientifique à formuler des avis au sujet de JARPA et JARPA II
sur la base de données factuelles est compromise.
3.3. J’examinerai ces deux aspects en recherchant dans quelle mesure ils ont évolué ou
changé depuis le lancement du programme JARPA il y a 26 ans, et en particulier dans quelle
mesure ils continuent d’être problématiques dans le cadre de JARPA II. - 4 -
L’importance accordée aux données obtenues par des méthodes létales et l’utilisation des
paramètres biologiques
3.4. L’échec de la NMP repose sur la prémisse erronée selon laquelle les données issues
des activités de chasse peuvent être utilisées pour estimer de manière précise les paramètres
biologiques requis pour déterminer les limites de capture. La RMP a donc soigneusement évité le
recours à de telles données (voir Kirkwood 1992, CBI 1994).
3.5. Au cours des 25 ans pendant lesquels le comité scientifique a travaillé sur la RMP, et
pendant lesquels cette procédure a subi maintes révisions, les données issues des programmes
JARPA et JARPA II n’ont été d’aucune utilité.
3.6. Il est à noter que, lorsque le comité scientifique applique les procédures de gestion de
la chasse aborigène de subsistance en vue de fixer les limites de capture appliquées à cette chasse,
il n’utilise pas les paramètres biologiques estimés d’après les données obtenues par des méthodes
létales, et ce, malgré l’abondance des échantillons disponibles grâce aux activités de chasse.
3.7. En dépit de ces éléments et de l’évolution extraordinaire des techniques de recherche
au cours des 25 dernières années, qui ont vu se développer des méthodes efficaces et non létales
(notamment celles examinées ci-après à la section 6) dont l’application constitue un progrès
incontestable, le programme JARPA II, à l’instar de JARPA, demeure presque exclusivement axé
sur les méthodes de recherche létales, lesquelles, pour l’essentiel, sont restées inchangées durant
toutes ces années.
La capacité du comité scientifique à examiner les projets et à formuler un avis à leur sujet sur
la base de données factuelles
3.8. Le paragraphe 30 du règlement annexé à la Convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine de 1946 définit le rôle du comité scientifique dans
l’évaluation des permis spéciaux délivrés par un pays. L’un des aspects fondamentaux de cette
évaluation consiste notamment à émettre un avis sur les objectifs de recherche.
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3.9. En principe, la tâche du comité scientifique, lorsqu’il examine les programmes de
chasse au titre d’un permis spécial et formule un avis à leur sujet, ne devrait pas être plus difficile
que lorsqu’il se penche sur les autres questions scientifiques relevant de ses compétences. Dans
les exemples décrits à l’annexe 2, le comité a évalué toutes les positions contradictoires en
appréciant leur valeur scientifique, lors d’un débat vif et de discussions intenses. Et surtout, il a
fixé les étapes suivantes à mettre en œuvre pour résoudre les incertitudes, et a donc réellement
fait avancer le processus sans rester prisonnier d’un débat où les positions étaient souvent
extrêmement tranchées. En d’autres termes, le comité scientifique a eu à jouer un rôle
éminemment scientifique et est parvenu à mener à bien sa mission en appliquant la méthodologie
scientifique normale d’examen et d’analyse structurée. La démarche scientifique, en l’occurrence,
a prévalu. - 5 -
3.10. Comme je l’ai indiqué, tel n’a pas été le cas lorsque le comité scientifique a été
amené à examiner des activités de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial et à formuler un
avis à leur sujet, et plus particulièrement les programmes JARPA et JARPA II. En matière
d’évaluation, une démarche scientifique normale se caractérise par une certaine souplesse vis-à-
vis des questions particulières que peut soulever une proposition, mais comprend généralement
deux étapes :
i) Evaluation de la validité scientifique de la proposition globale (les objectifs/hypothèses
de la proposition ont-ils une justification scientifique et tentent-ils d’apporter une
réponse à des questions scientifiques importantes ou pertinentes ?) ; et
ii) Evaluation des méthodes proposées (les méthodes de collecte et d’analyse des données
envisagées et les délais proposés permettront-ils d’apporter des réponses aux questions
posées ?).
3.11. Lorsque des animaux doivent être utilisés dans une expérience, en particulier lorsque
les méthodes employées sont invasives ou létales, l’évaluation cherchera systématiquement à
déterminer, d’une part, si ces objectifs pourraient être atteints par des moyens non létaux ou
moins invasifs et, d’autre part, si le nombre d’animaux utilisés n’est pas supérieur au nombre
requis pour obtenir des résultats probants et ne risque pas de porter préjudice aux populations
dont font partie les animaux prélevés (pour en savoir plus sur les normes internationales relatives
à ces questions d’éthique et de bien-être, voir Gales et al. 2009).
3.12. Dans un cadre normal, lorsque le comité scientifique est appelé à résoudre un conflit
dans lequel s’expriment des positions scientifiques diamétralement opposées, il évalue chaque
point de vue sur la base des données factuelles. La simple expression d’un point de vue contraire
ne suffit pas en soi à l’empêcher de formuler un avis, à moins que ce point de vue contraire ne
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soit étayé par des éléments scientifiques.
3.13. Le comité scientifique a tenté de mettre en œuvre cette méthodologie lorsque le
Japon a proposé pour la première fois son programme JARPA. De nombreux documents ont été
soumis au comité, et de fait publiés dans des revues à grande diffusion, dans lesquels des avis
scientifiques ont été exprimés en toute légitimité et objectivité sur les objectifs du programme,
jugés mal définis et irréalisables, notamment en ce qui concerne les taux de mortalité liés à l’âge
(voir Cooke 1987, de la Mare 1987, 1989, 1990, Goodman 1988, Goodman et Chapman 1988,
Holt 1987). Le Japon s’est déclaré en désaccord avec ces points de vue (voir CBI 1988) mais,
malgré une tentative de riposte (voir Sakuramoto et Tanaka 1989), n’a pas été en mesure de les
réfuter. Le bien-fondé des inquiétudes soulevées par Cooke et d’autres chercheurs (voir Tanaka
1990) a fini par s’imposer. Le Japon a, en conséquence, ajusté ses méthodes d’analyse dans le
cadre du programme JARPA, sans pour autant modifier sa méthode de collecte des données, et a
continué d’avoir recours à des méthodes létales et à fixer lui-même ses limites de capture. En
résumé, les analyses prospectives de JARPA, au sein du comité scientifique, montraient
qu’aucune estimation exploitable de la mortalité liée à l’âge ne pourrait être obtenue (voir de la
Mare 1990a, 1990b), ce qui a finalement été confirmé au bout de 18 ans, lors de l’achèvement du
programme.
3.14. Le comité scientifique et la commission ont tenté à plusieurs reprises de proposer une
nouvelle procédure d’examen des programmes de chasse au titre d’un permis spécial, afin - 6 -
d’obtenir de meilleurs résultats. La version la plus récente, intitulée «Process for the Review of
Special Permit Proposals and Research Results from Existing and Completed Permits»
(Procédure d’examen des propositions de permis spéciaux et des résultats des recherches
effectuées dans le cadre des permis en vigueur ou échus), également appelée «Annexe P» (voir
CBI 2009a), décrit sommairement les domaines dans lesquels le comité scientifique peut
commenter les nouveaux programmes au titre de permis spéciaux, les rapports annuels, les
examens à mi-parcours des programmes en cours ou encore les évaluations finales des
programmes achevés. L’Annexe P prévoit une phase d’examen faisant intervenir plusieurs
scientifiques externes, la responsabilité ultime de l’évaluation incombant néanmoins au comité
scientifique.
3.15. Il est important de noter que la question de l’examen préalable des programmes de
chasse au titre d’un permis spécial n’a pas créé un blocage au sein du comité scientifique
simplement parce que des baleines continuaient d’être tuées ou que des points de vue totalement
contradictoires étaient exprimés. Les mêmes difficultés se posent au comité pour de nombreuses
autres questions scientifiques, notamment celles examinées à l’annexe 2. Dans le cadre d’une
8 démarche scientifique normale, le débat évalue de manière critique les bases factuelles de toutes
les informations et de tous les points de vue présentés, détermine un plan de travail et progresse
vers une conclusion commune. De fait, je considère qu’un programme proposé au titre d’un
permis spécial, qui pose des questions scientifiques pertinentes, prévoit de recourir à des
méthodes dont il a été démontré qu’elles apportent la meilleure solution scientifique, et a fait
l’objet d’une évaluation scientifique authentique, n’a aucune raison de créer un blocage au sein
du comité scientifique comme les programmes JARPA et JARPA II.
3.16. Les principales difficultés rencontrées par le comité scientifique dans son évaluation
de JARPA et de JARPA II sont les suivantes :
i) l’absence d’objectifs clairs et réalisables de ces deux programmes, et par conséquent
l’absence d’un cadre scientifique permettant de les évaluer ;
ii) la nature et la durée indéfinies de JARPA II ;
iii) la réticence des promoteurs du programme à s’engager dans un dialogue fondé sur des
données factuelles pouvant être analysées par le comité scientifique ; et
iv) l’incapacité du processus d’évaluation à imprimer, dans la pratique, un changement aux
programmes JARPA et JARPA II.
3.17. Une évaluation en bonne et due forme de JARPA et JARPA II par le comité
scientifique supposerait de résoudre ces quatre difficultés. Je les examinerai ci-après l’une après
l’autre.
3.18. L’absence d’objectifs clairs et réalisables. Comme l’a expliqué le Professeur
Mangel, dont j’ai lu l’exposé, un programme mené «en vue de recherches scientifiques» doit
s’appuyer sur des objectifs ou des hypothèses qui doivent être clairs, sensés et atteignables à
l’aide des outils dont dispose le scientifique. Dans un cadre aussi clairement défini, il est possible
d’évaluer de manière objective : i) la pertinence et l’importance de la question à laquelle répond
l’objectif ; et ii) la probabilité et la mesure dans laquelle les méthodes scientifiques envisagées - 7 -
peuvent permettre de répondre à la question posée. En l’absence d’un cadre directeur doté
d’objectifs clairs et réalisables, les autres étapes de l’évaluation sont vouées à l’échec.
3.19. La position du comité scientifique cadre parfaitement avec celle du Professeur
Mangel, comme le montre l’Annexe P. Dans ce document, le comité scientifique note que les
objectifs devraient, notamment, être quantifiés dans la mesure du possible et démontrer leur
9 pertinence en termes de conservation et de gestion des stocks de baleines ou d’autres espèces de
la faune marine. Le comité demande également que soit formellement précisé en quoi ces
objectifs tendent à apporter des réponses à une série de questions, dont celles énoncées dans ses
recommandations, et contribuent à la réalisation de ses travaux dans des domaines tels que la
RMP.
3.20. S’agissant de JARPA II (et, dans une large mesure, de JARPA), cette démarche
scientifique fondamentale qui dote un programme d’objectifs clairs et réalisables fait défaut. Le
Professeur Mangel a confronté les objectifs du programme aux normes attendues de la recherche
scientifique. Je suis d’accord avec ses conclusions et ne les reprendrai pas ici, si ce n’est pour
attirer l’attention sur le premier objectif de JARPA II. En effet, la question que le Japon entend
examiner au titre de l’objectif 1, l’écosystème de l’océan Austral, m’occupe au premier chef en
tant que directeur scientifique du programme antarctique australien. La compréhension de l’océan
Austral, de ses écosystèmes, de leur influence sur les processus climatiques planétaires et,
inversement, de leur vulnérabilité à ces processus, constitue le principal élément de notre
programme antarctique et d’ailleurs de tout programme national de ce type. C’est pourquoi, à
travers le programme antarctique australien, je suis parfaitement au courant de la plupart des
initiatives qui visent à améliorer notre compréhension de l’écosystème de l’Antarctique et en suis
partie prenante.
3.21. A moins d’être intégré à une problématique scientifique vérifiable, le premier objectif
de JARPA II, «Suivi de l’écosystème de l’Antarctique», ne saurait être considéré comme relevant
de la «recherche scientifique». L’écosystème de l’Antarctique, qui s’étend des virus aux baleines
et qui met en jeu des interactions et processus complexes et encore mal compris entre ses
composantes physiques et biologiques, est immense. De nombreuses initiatives de grande
envergure ont été mises en place à l’échelle internationale pour améliorer notre connaissance de
certains éléments spécifiques de l’écosystème de l’Antarctique, dont il est démontré qu’ils
pourraient apporter des réponses utiles à quelques-unes de nos questions. Ces initiatives se
déroulent sur une période précise. Chacune définit les composantes de l’écosystème à étudier (par
exemple la productivité de l’océan dans une zone particulière et son rapport avec le courant
circumpolaire antarctique), les méthodes pratiques qui rendront compte de cette interaction
(généralement fondées sur des modèles conçus à partir des connaissances actuelles) et le délai
dans lequel les objectifs spécifiés seront réalisés. L’objectif de JARPA II, «Suivi de l’écosystème
de l’Antarctique», de nature vague, ne remplit aucun des critères requis et ne se prête à aucune
forme d’évaluation pratique.
10 3.22. Contrairement à JARPA II, l’institut japonais pour la recherche polaire (NIPR)
apporte une importante contribution à la connaissance scientifique de l’océan Austral et du
continent antarctique. L’Australie entretient des liens particulièrement étroits avec le NIPR, car
elle est présente aux côtés du Japon en Antarctique oriental. Comme le programme antarctique
australien, le NIPR vérifie la qualité et la pertinence scientifiques de ses projets de recherche en
les soumettant à un examen international par des pairs avant de lancer ses expéditions. Engagé - 8 -
dans un dialogue international et rendant régulièrement compte des progrès de ses travaux, le
NIPR est un exemple d’organisation menant un authentique programme de recherche
scientifique.
3.23. Le programme JARPA II fonctionne de manière totalement isolée et sans aucune
référence aux travaux du NIPR. Les travaux de recherche du NIPR et les nombreux programmes
internationaux sur l’océan Austral menés par le Japon et ses scientifiques ne sont absolument pas
repris dans la proposition de permis pour JARPA II. Le NIPR ayant pour principal objectif
d’améliorer notre compréhension des écosystèmes de l’Antarctique, une telle absence
d’harmonisation entre un programme consacré à l’ensemble de l’écosystème et celui poursuivi
par JARPA II est difficilement compréhensible sur le plan scientifique. Si JARPA II était
réellement mené «en vue de recherches scientifiques», on pourrait s’attendre à ce qu’il soit relié
d’une manière ou d’une autre aux activités scientifiques plus larges entreprises par le Japon dans
l’océan Austral. Or tel n’est pas le cas.
3.24. Il est vrai que le Japon a mené une étude en collaboration pendant la dernière saison
du programme JARPA, lequel a duré 18 ans. Lors de l’évaluation finale de son programme par la
CBI, le Japon a présenté des résultats issus d’une étude menée conjointement en 2004/2005 par
son programme et un navire de l’institut japonais de recherche sur les pêcheries en eaux
lointaines (voir Naganobu et al. 2006). L’étude portait sur les interactions en mer de Ross entre
l’océanographie, le krill et les cétacés à fanons. Le groupe de travail chargé de l’évaluation de
JARPA a accueilli favorablement l’approche multidisciplinaire adoptée dans cette étude et a
souligné la valeur des données produites. Les auteurs d’un document connexe, qui rendait compte
de l’utilisation de sonars scientifiques dans le cadre de JARPA (Murase et al. 2006), ont conclu
que les études multidisciplinaires de ce type pouvaient mettre en évidence des relations
écologiques entre le krill et les cétacés à fanons. Ces résultats ont récemment été publiés dans des
revues scientifiques à comité de lecture (voir Murase et al. 2013). De manière plus fondamentale,
seules des données non létales ont été recueillies pendant les études conjointes et ont fait l’objet
par la suite d’une analyse et d’une publication. Aucune étude conjointe de ce type n’a été menée
11 dans le cadre de JARPA II et aucune donnée comparable à celles recueillies par l’étude conjointe
n’a été présentée au comité scientifique.
3.25. La nature et la durée indéfinies de JARPA II. Outre la fixation d’objectifs clairs et
vérifiables, une autre composante essentielle de la recherche scientifique consiste à arrêter un
calendrier précis et à expliquer comment il a été conçu. Une évaluation en bonne et due forme
cherchera à vérifier le bien-fondé des hypothèses avancées et à émettre un avis sur leur
probabilité de réussite. En l’absence de calendrier, il est difficile de vérifier ces éléments.
L’absence de calendrier génère également des incertitudes quant au caractère approprié de la
taille des échantillons.
3.26. En outre, les programmes à long terme doivent impérativement prévoir des étapes,
c’est à dire indiquer un niveau de connaissances prévisible dans un délai déterminé. Il est courant
de lier ces étapes à des règles d’arrêt pour s’assurer que, au cas où les progrès du programme ne
seraient pas conformes aux prévisions, les travaux pourront être interrompus jusqu’à ce qu’une
meilleure approche soit élaborée. JARPA II ne prévoit ni calendrier, ni étapes, ni règles d’arrêt,
privant ainsi le processus d’évaluation de toute possibilité d’appréciation des progrès du
programme par rapport aux objectifs. Ce programme semble être très mal défini. - 9 -
3.27. La réticence des promoteurs du programme à s’engager dans un dialogue fondé
sur des données factuelles. Les divergences d’opinion sont un élément important et courant, qui
permet de faire progresser la connaissance et la compréhension scientifiques. Au sein du comité
scientifique, presque tous les problèmes complexes donnent lieu à de telles divergences.
Différents scientifiques présentent leurs points de vue, en les étayant par des données probantes.
Le comité scientifique a pour rôle d’examiner la base factuelle de chacun de ces points de vue et
de mettre en place une méthodologie (souvent assortie d’un plan de travail précis) menant à la
résolution des différences par le poids de la preuve scientifique. Comme indiqué précédemment,
le comité scientifique a mené à bien ce travail sur de nombreuses questions (voir les exemples qui
en sont fournis à l’annexe 2).
3.28. Cela n’a pourtant pas été le cas lors de l’évaluation de JARPA et de JARPA II, le
Japon semblant estimer qu’il n’était pas tenu d’apporter une réponse sérieuse aux critiques
d’ordre scientifique émanant des membres du comité, ni même de débattre de la base scientifique
de ses propres positions. Au contraire, le Japon s’est borné à exprimer son désaccord avec
certaines critiques et à réaffirmer ses propres positions. Une telle résistance n’a pas sa place dans
12 le débat scientifique. Tous les aspects de JARPA (et par la suite de JARPA II), y compris ses
objectifs, méthodes et analyses, sont restés quasiment inchangés en dépit des critiques dont le
programme était l’objet. Les promoteurs de JARPA et JARPA II, et plus largement de tous les
programmes de chasse au titre de permis spéciaux, soumettent des rapports et participent à des
évaluations, sans pour autant répondre aux préoccupations scientifiques légitimes ni modifier
leurs propositions en fonction du débat scientifique, notamment des opinions contraires qui leur
sont opposées.
3.29. Cette absence de dialogue a considérablement entravé la capacité du comité
scientifique à soumettre un avis constructif et consensuel à la commission. Quant à l’évaluation
des objectifs des programmes et à l’utilité des méthodes proposées, la démarche du comité se
résume, à peu de choses près, à un bref constat des points de vue opposés. Ces constats (se
bornant à reprendre les positions de chacun) sont caractéristiques des rapports annuels du comité
scientifique, notamment de chaque rapport produit depuis le lancement de JARPA II (voir, par
exemple, CBI 2006, 2007, 2008, 2009b, 2010a, 2011a, 2012a). Ces vues divergentes sont
généralement annexées intégralement au rapport du comité scientifique, et se contentent souvent
de renvoyer aux déclarations formulées lors de précédentes réunions.
3.30. Si l’on peut dire du comité scientifique qu’il a présenté chaque point de vue
contradictoire à la commission de manière équilibrée, l’absence d’arbitrage en ce qui concerne
leur validité scientifique et leur caractère probant a conduit à un nivellement de ces points de vue.
3.31. S’il est irréfutable que «[les] vues [des scientifiques] restent [parfois]
irréconciliables», comme l’indique le Japon (voir le contre-mémoire du Japon, par. 2.53), de
telles divergences ne devraient être portées à l’attention de la commission qu’après une tentative
d’évaluation de leur validité scientifique. Les arguments pour et contre les programmes JARPA et
JARPA II relèvent bien évidemment de la compétence du comité scientifique, qui doit
déterminer, de manière objective et réfléchie, la validité de chaque point de vue.
3.32. L’incapacité du processus d’évaluation à imprimer, dans la pratique, un
changement aux programmes JARPA et JARPA II. Toute fonction d’évaluation reste dénuée - 10 -
d’objet pratique si elle n’exerce aucune influence sur le programme qu’elle tend à évaluer. Si le
but de l’évaluation finale d’un projet est d’émettre un avis impartial sur le degré de réalisation des
13 objectifs déclarés, les évaluations initiales et à mi-parcours revêtent une importance toute
particulière pour déterminer si un programme mérite encore d’être poursuivi et/ou comment il
pourrait être modifié pour être plus efficace. Sans ce résultat pratique, l’évaluation n’offre que
peu d’intérêt.
3.33. Le processus par lequel le comité scientifique a tenté d’évaluer la proposition de
permis pour JARPA II et l’influence qu’a eue l’évaluation de JARPA sur JARPA II montrent
bien l’importance de ce point.
3.34. Le Japon a présenté au comité scientifique sa proposition de permis pour JARPA II
lors de la réunion annuelle de 2005 (voir CBI 2006). Il se proposait de lancer le programme
JARPA II au cours de l’été austral 2005/2006 et avait revu à la hausse les prises létales de petits
rorquals de l’Antarctique, qui passaient d’un maximum de 440 par saison dans le cadre du
programme JARPA à 935 (soit une hausse de 112 %). Il prévoyait également de capturer de
nouvelles espèces, dont 50 baleines à bosse et 50 rorquals communs par saison. Le programme
JARPA avait pris fin au cours de la saison 2004/2005 et le comité scientifique envisageait son
évaluation pour la fin 2006. Ce calendrier d’évaluation visait à s’assurer que le Japon disposerait
de suffisamment de temps pour terminer l’analyse de toutes les données recueillies pendant les 18
années du programme, notamment celles recueillies en 2004/2005.
3.35. Si les objectifs de JARPA II étaient quelque peu différents de ceux de JARPA, le
programme sur le terrain est demeuré quant à lui presque inchangé. Il impliquait en substance de
tuer des baleines (et même un nombre considérablement plus élevé d’individus) et de recueillir
une série presque identique de mesures sur les animaux morts.
3.36. Aucune évaluation du projet JARPA II ne pouvait logiquement avoir lieu en
l’absence d’une évaluation de la phase initiale, JARPA, pour apprécier la mesure dans laquelle
les méthodes communes aux deux phases de la recherche permettraient d’atteindre les objectifs
annoncés. De fait, selon la proposition de permis pour JARPA II, les travaux de recherche
envisagés apportaient des réponses à des questions auxquelles ne permettaient pas de répondre les
données existantes, alors que près de 7 000 baleines avaient déjà été tuées dans le cadre de
JARPA.
3.37. En janvier 2005, le Japon a réalisé sa propre évaluation du programme JARPA.
Néanmoins, le comité scientifique a décidé que cette démarche ne serait pas parrainée par la CBI
(voir CBI 2005). Certains membres du comité scientifique ont fait observer qu’une telle
auto-évaluation, dont 27 des 39 participants étaient issus de l’institut japonais de recherche sur les
14 cétacés (17) ou d’agences publiques chargées des pêcheries (10), ne donnerait pas une
appréciation objective du programme (voir CBI 2006). Le rapport rédigé à l’issue de l’évaluation
japonaise n’a été que très peu commenté lors de la réunion de 2005 du comité scientifique et n’a
pas été soumis ni examiné dans le cadre de l’évaluation menée par le comité en 2006.
3.38. Lors de la réunion de 2005, au cours de laquelle le Japon a présenté sa proposition
pour JARPA II, dans une démarche inédite, 63 membres du comité scientifique, dont - 11 -
47 représentants de 16 délégations nationales (sur un total de 31) et 16 participants invités ont
soumis un document dans lequel ils se déclaraient «dans l’incapacité d’engager un processus
d’évaluation de la proposition du JARPA II qui soit scientifiquement défendable». Ils indiquaient
par ailleurs que «cette proposition ne pourra[it] être examinée par le comité scientifique qu’une
fois l’évaluation de JARPA achevée» (voir Childerhouse et al. 2006). Une réponse soumise par
cinq membres de la délégation japonaise a réfuté cette déclaration et soutenu que le comité
scientifique avait l’obligation d’évaluer la proposition de permis pour JARPA II, en vertu du
paragraphe 30 du règlement (voir CBI 2006).
3.39. Le comité scientifique a ensuite poursuivi ses travaux, sans les 63 auteurs de la
déclaration, qui avaient soulevé des préoccupations touchant à la démarche scientifique elle-
même. Compte tenu de l’ampleur et de la durée indéterminée de JARPA II, de la brève discussion
qui a eu lieu au sein d’une petite partie non représentative du comité scientifique (CBI 2006) et
de l’absence de toute évaluation légitime de la première phase du programme, le comité
scientifique ne saurait être réputé avoir rempli ses obligations au titre du paragraphe 30, ni au
regard de tout autre critère scientifique.
3.40. Le groupe de travail de la CBI chargé d’évaluer le programme JARPA s’est réuni au
Japon en décembre 2006 et a présenté son rapport lors de la réunion annuelle du comité
scientifique de 2007 (voir CBI 2008). Il convient de noter que cette évaluation s’est déroulée avec
la pleine participation des scientifiques japonais qui avaient mené les recherches et qui n’ont eu
de cesse de défendre leur propre programme et de faire valider le contenu du rapport. Dans un
processus d’évaluation scientifique normal, les auteurs de la recherche participent à l’évaluation
uniquement dans la mesure nécessaire pour présenter leurs travaux et répondre aux demandes
d’éclaircissements.
3.41. Bien que le programme ait été mis en œuvre pendant 18 ans et soumis à une
15 évaluation à mi-parcours près de dix ans auparavant, aucun de ces objectifs annoncés n’avait été
atteint. Des problèmes majeurs ont été recensés pour chacun des objectifs et diverses
recommandations ont été formulées pour la suite des recherches.
3.42. Surtout, aucune des recommandations du groupe de travail n’a laissé entendre que
des données létales seraient indispensables à l’avenir pour réaliser l’un quelconque des objectifs
du programme. Elles n’ont pas non plus souligné la nécessité éventuelle d’élargir la taille des
échantillons.
3.43. De nombreuses questions abordées par le groupe de travail ont remis en cause la
nécessité de tuer les baleines pour recueillir des données et ont souligné les recommandations
relatives aux techniques non létales susceptibles de produire des résultats plus intéressants. Ainsi,
le groupe de travail a reconnu ce qui suit (voir CBI 2008) :
[D]es échantillons prélevés dans les aires de reproduction (tels qu’ils
pourraient être obtenus par un suivi satellitaire et par des biopsies) faciliteraient
considérablement les analyses [des structures de stocks] et pourraient se révéler
indispensables pour résoudre les questions liées à la structure des stocks et aux
mélanges des espèces au sein de la zone de recherche de JARPA. - 12 -
3.44. Au paragraphe 5.40 de son contre-mémoire, le Japon répond à cette recommandation
de manière lapidaire, en déclarant :
«Il convient toutefois de relever que l’on ignore où se trouvent les aires de
reproduction du petit rorqual de l’Antarctique, hormis celles situées au large du
Brésil. En tout état de cause, les recherches menées dans le cadre de JARPA ont
démontré que les analyses d’échantillons prélevés dans les aires d’alimentation
renseignent sur la structure des populations de petits rorquals de l’Antarctique.»
3.45. D’importants problèmes ont également été soulevés concernant l’analyse des
échantillons, tels que le cérumen accumulé dans les oreilles et le contenu de l’estomac.
3.46. En ce qui concerne les échantillons de cérumen, la proposition de permis pour
JARPA II ne fait aucune mention de l’incapacité de la première phase du programme à préciser
les estimations relatives aux taux de mortalité du petit rorqual de l’Antarctique, alors que près de
7 000 bouchons d’oreille ont été prélevés sur des baleines tuées dans le cadre de JARPA. Elle ne
suggère aucune modification méthodologique en conséquence, et ne fait pas davantage mention,
plus généralement, de l’utilisation à d’autres fins des données liées à l’âge (par exemple l’âge de
la maturité).
3.47. Le Japon affirme que le recueil de cérumen aux fins de la détermination de l’âge est
l’une des principales raisons d’être de JARPA et de JARPA II (voir, par exemple, CBI 2006),
mais ne tient pas compte des multiples questions soulevées par le comité scientifique en ce qui
concerne les bouchons de cérumen et l’estimation de l’âge de la maturité (notamment l’analyse
de la «couche intermédiaire») (voir également ci-après le paragraphe 5.9).
3.48. S’agissant du contenu de l’estomac, l’évaluation de JARPA a émis diverses réserves
en ce qui concerne l’analyse et l’interprétation des données. Il a été relevé que les travaux de
16 recherche n’avaient fait que confirmer une information déjà connue, à savoir les deux espèces de
krill dont se nourrit le petit rorqual de l’Antarctique, et avaient fourni des estimations de
consommation journalière qui n’étaient pas plus précises que celles publiées avant le début de
JARPA (voir CBI 2008). Les réserves importantes soulevées lors de l’évaluation finale de
JARPA n’ont pas donné lieu à des changements de stratégie pour le programme JARPA II.
3.49. D’après ce que j’ai pu observer en participant aux réunions du comité scientifique,
l’évaluation de JARPA n’a eu aucune incidence pratique sur les principaux aspects de JARPA II
qui exigeaient la mise à mort des baleines. À cet égard, l’évaluation de la première phase de
JARPA n’a eu aucune conséquence pratique sur sa seconde phase, JARPA II, bien plus
importante.
3.50. Pour résumer, le débat fondamental sur le caractère scientifique des objectifs et des
méthodes de JARPA et JARPA II n’a pu être tranché au sein du comité scientifique. Les
méthodes létales initialement proposées pour JARPA sont demeurées, à peu de choses près,
inchangées depuis 26 ans. Les préoccupations d’ordre scientifique soulevées par le caractère
vague des objectifs fixés et la faible probabilité que les méthodes choisies permettent d’atteindre
les objectifs déclarés, contrairement à des méthodes non létales plus efficaces, sont restées lettre - 13 -
morte. L’incapacité du comité scientifique à peser sur les méthodes et analyses appliquées chaque
année par les promoteurs du programme, qui découle directement de l’incapacité de ces derniers
à s’engager dans un processus d’évaluation et à en tenir compte, a conduit en substance à une
impasse. Cette situation explique le désengagement de nombreux scientifiques du comité. Rares
sont ceux qui s’engagent dans le processus annuel d’évaluation et d’échanges sur le programme
JARPA II. Ceux, peu nombreux, qui se livrent à un tel exercice préfèrent faire des renvois aux
déclarations formulées les années précédentes plutôt que de perdre un temps précieux à répéter un
point de vue qui n’a pu progresser, faute de discussions utiles.
4. Le contre-mémoire du Japon
4.1. Dans son contre-mémoire, le Japon avance plusieurs affirmations qui montreraient, à
des degrés divers, le soutien du comité scientifique aux programmes JARPA et JARPA II. Pour
ce faire, il s’appuie principalement sur les arguments suivants :
le comité scientifique a approuvé JARPA et JARPA II en tant que programmes scientifiques
légitimes (voir le contre-mémoire du Japon, paragraphe 60) ;
les méthodes non létales qui pourraient être utilisées à la place des méthodes retenues par
17
JARPA et JARPA II sont considérées par le comité scientifique comme impraticables ou trop
imprécises, et certaines données ne peuvent être acquises que par des moyens létaux (voir,
par exemple, le contre-mémoire du Japon, paragraphes 4.13 et 4.61) ;
le processus par lequel le comité scientifique évalue les documents qui lui sont soumis
constitue une évaluation par les pairs (voir, par exemple, le contre-mémoire du Japon,
paragraphe 4.108) ; et
le comité scientifique a validé les données issues de JARPA et de JARPA II à plusieurs
reprises lors de ses travaux (voir, par exemple, le contre-mémoire du Japon, sections II.2 et
II.3).
4.2. Nombre de ces affirmations ne s’appuient sur aucune source ou référence faisant
autorité. Celles qui mentionnent des références renvoient essentiellement au rapport rédigé par le
comité scientifique dans le cadre de l’évaluation finale de JARPA.
4.3. Comme je l’ai décrit ci-dessus, l’avis formulé par le comité scientifique au sujet de
JARPA et JARPA II à l’intention de la commission fait état d’opinions diamétralement opposées
et s’abstient d’évaluer la valeur scientifique des points de vue exprimés par les membres du
comité scientifique. Par conséquent, les déclarations portant un jugement de valeur sur ces deux
programmes ont rarement réuni un consensus. Le paragraphe le plus souvent mentionné par le
Japon apparaît dans l’évaluation à mi-parcours et dans l’évaluation finale de JARPA (voir CBI
2008) :
«[M]ême si les résultats de JARPA n’étaient pas requis pour la gestion au titre de la
RMP, ils seraient susceptibles d’améliorer la gestion des petits rorquals de
l’hémisphère sud sur les points suivants…» - 14 -
4.4. Le texte évoque ensuite la manière dont ces données pourraient être utiles à certains
aspects de la RMP, tels que la mise en œuvre d’essais de simulation. Les autres déclarations du
comité scientifique auxquelles renvoie le Japon dans son contre-mémoire concernent des
déclarations similaires sur l’utilité potentielle des données produites dans diverses analyses en
cours.
4.5. Il est à noter que cette déclaration a été répétée dans l’évaluation à mi-parcours et dans
l’évaluation finale de JARPA, mais que, au cours des dix années qui se sont écoulées entre les
deux évaluations et même après, ces prévisions ne se sont pas réalisées.
4.6. Il apparaît d’emblée qu’aucune des déclarations mentionnées par le Japon ne saurait
18 être interprétée comme une approbation par le comité scientifique des programmes JARPA et
JARPA II. Comme indiqué précédemment, JARPA et JARPA II sont des programmes de collecte
de données qui sont menés en dehors des mécanismes normaux de la recherche scientifique. De
tels programmes génèrent, par nature, des données. Le comité scientifique étant saisi de questions
liées à la conservation et à la gestion des baleines, il est parfaitement disposé à examiner toutes
données disponibles susceptibles de contribuer à ses travaux et analyses. Pourtant, même s’il est
vrai que le comité scientifique a examiné ces données, deux points essentiels méritent d’être
relevés : i) il n’a approuvé ni JARPA ni JARPA II en tant que méthodes scientifiques permettant
d’obtenir de telles données ; et ii) comme il est précisé plus haut, il n’a demandé aucune donnée
supplémentaire susceptible d’être obtenue uniquement par des moyens létaux.
4.7. Il ressort en premier lieu des données recueillies dans le cadre de JARPA et JARPA II
que, à l’exception éventuelle des données relatives à la structure des stocks (voir ci-après le
paragraphe 4.8), elles ne confirment en rien leur utilité potentielle annoncée aux fins des travaux
du comité scientifique en matière de conservation et de gestion des baleines. Lors de ses réunions
annuelles, le comité scientifique émet de nombreuses recommandations sur les besoins de la
recherche et les données qu’il convient de recueillir afin de répondre à des questions scientifiques
de première importance. Or, on ne trouve dans le contre-mémoire du Japon aucune trace d’une
quelconque déclaration du comité scientifique indiquant la nécessité d’obtenir des données
létales supplémentaires sur les baleines de l’océan Austral afin de compléter d’une manière ou
d’une autre ses travaux. Aucune déclaration de ce type ne figure dans les documents du comité
scientifique.
4.8. S’agissant de la structure des stocks, il est vrai que les analyses des données
génétiques issues de JARPA ont permis de corroborer l’hypothèse de l’existence d’au moins deux
populations de petits rorquals dans la zone d’opérations de JARPA et d’une zone de mélange
étendue de ces deux populations au sud de l’Australie. Néanmoins, deux éléments minimisent
considérablement l’apparente utilité de cette découverte. Premièrement, cette structure des stocks
de petits rorquals avait déjà été identifiée avant le programme JARPA (voir Wada et Numachi
1979). Si JARPA a permis de confirmer cette structure par de nouveaux éléments probants, il n’a
donné lieu à aucune découverte supplémentaire. Deuxièmement, il importe de noter que les
rapports du comité scientifique, l’évaluation finale du programme JARPA et la propre évaluation
par le Japon de son programme JARPA mentionnent le fait que les informations sur la structure
19 des stocks et le mélange des populations gagneraient à être recueillies à l’aide d’échantillonnages
non létaux dans les aires de reproduction et à l’aide du suivi par satellite des déplacements des
cétacés (voir CBI 2008, Japon 2005). Il est également irréfutable que des échantillons génétiques
de toute espèce de baleine peuvent être obtenus par des méthodes non létales, au moyen de - 15 -
biopsies. En tant que telle, la soi-disant révélation de JARPA sur la structure des stocks aurait pu
être effectuée de la même manière, et même plus efficacement à mon sens, grâce à des techniques
non létales.
4.9. Dans son contre-mémoire, le Japon avance également plusieurs affirmations sur la
valeur des données issues des programmes JARPA et JARPA II en ce qui concerne les
interactions entre le petit rorqual et son environnement. Certes, le comité scientifique considère
que les interactions des baleines avec leur environnement constituent un aspect important de son
travail. De fait, cette question est suffisamment importante pour que le comité scientifique ait
organisé, en 2008, un atelier conjoint avec la commission pour la conservation de la faune et la
flore marines de l’Antarctique (CCAMLR). J’étais alors le coordonnateur du groupe de travail du
comité scientifique sur la modélisation de l’écosystème et j’ai en partie coordonné les travaux de
cet atelier, au sein duquel les comités scientifiques des deux organisations étaient très largement
représentés.
4.10. L’atelier avait pour objet explicite d’examiner les données nécessaires pour
développer des modèles d’écosystème dans le but d’améliorer la gestion et la conservation des
prédateurs du krill (dont font partie les baleines) au sein de l’écosystème marin de l’Antarctique
et de contribuer ainsi aux travaux de la CBI et de la CCAMLR. Après avoir déterminé les
données nécessaires à la modélisation de l’écosystème et examiné les données disponibles, les
participants à l’atelier ont cherché à identifier et à classer par ordre de priorités les déficits de
connaissances et les types de programmes de recherche indispensables pour lever les nombreuses
incertitudes liées aux modèles d’écosystème.
4.11. Un rapport sur l’atelier a été présenté lors de la réunion du comité scientifique de
2009 (voir CBI 2010b). Il émettait nombre de recommandations utiles sur les déficits de
connaissances à combler de manière prioritaire. Surtout, ce rapport ne formulait aucune
recommandation, ni ne faisait état de la moindre donnée, susceptible de légitimer de quelque
manière que ce soit le programme JARPA II, y compris plus généralement de confirmer la
nécessité des prélèvements létaux, et ce, en dépit du fait que l’un des objectifs majeurs annoncés
du programme fût le mode d’interaction entre les baleines de l’Antarctique et le krill et, plus
généralement, l’environnement.
20 4.12. Le Japon a également affirmé dans son contre-mémoire que le processus par lequel le
comité scientifique évaluait les documents qui lui étaient soumis constituait une évaluation par
les pairs (voir, par exemple, le contre-mémoire du Japon, paragraphe 4.108). Comme indiqué
précédemment, ce n’est à l’évidence pas le cas, compte tenu de la manière dont les discussions
sur JARPA et JARPA II se sont déroulées au sein du comité scientifique. Une évaluation par les
pairs est une appréciation indépendante et généralement anonyme réalisée par des confrères
scientifiques dont la compétence est reconnue. Les auteurs des documents évalués disposent d’un
droit de réponse, mais n’interviennent pas dans l’évaluation. L’évaluation par les pairs et la
réponse des auteurs sont ensuite examinées par un tiers indépendant (généralement le rédacteur
en chef d’une publication scientifique) et une décision est prise quant à la validité et la qualité du
document et quant à l’opportunité de sa publication dans la littérature scientifique. Les
discussions conflictuelles qui ont eu lieu au sein du comité scientifique en ce qui concerne
JARPA et JARPA II ne représentent en aucun cas une forme d’évaluation par les pairs crédible. - 16 -
4.13. En résumé, dans son contre-mémoire et lors des discussions au sein du comité
scientifique, le Japon s’est appuyé sur des déclarations émanant de multiples sources selon
lesquelles certains aspects des données recueillies dans le cadre de ses programmes seraient
potentiellement utiles à telle analyse ou évaluation. Néanmoins, force est de constater qu’aucun
de ces renvois ne saurait être assimilé à une quelconque approbation de la part du comité
scientifique de la nécessité de JARPA ou JARPA II, ni des objectifs ou méthodes adoptés par ces
programmes. En outre, le comité scientifique a en réalité été très critique à l’égard de ces
programmes. Si le Japon peut affirmer avoir suivi l’avis du comité scientifique concernant
certaines analyses particulières, il n’est absolument pas établi qu’il soit prêt à changer son
programme pour revenir sur sa décision autoproclamée de procéder à des captures létales de
baleines. C’est bien l’absence manifeste de justification scientifique de ce prélèvement létal qui
explique les critiques adressées par nombre des membres du comité scientifique, lesquelles n’ont
pas incité le Japon à changer le moins du monde la teneur de ses programmes.
5.Les programmes JARPA et JARPA II ont-ils apporté une contribution importante à
notre connaissance du petit rorqual de l’Antarctique ?
5.1. Face au déclin des populations de grands cétacés dans l’océan Austral et aux premières
mesures de protection adoptées par la CBI, les nations baleinières se sont de plus en plus tournées
vers le petit rorqual de l’Antarctique, une espèce bien plus petite (mais relativement abondante).
5.2. Les inquiétudes de la communauté internationale sur l’état des populations de baleines
n’ont cessé de croître pour aboutir, en 1972, à un appel à un moratoire sur la chasse commerciale
21 à la baleine par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, auquel la CBI a apporté
une double réponse. Le comité scientifique a soutenu qu’une interdiction totale de la chasse à la
baleine n’était pas scientifiquement justifiée et que la gestion des baleines «requ[érait] une
régulation individuelle des stocks» (CBI 1973). Cette position a conduit à une modification de la
NMP. Le comité scientifique a également indiqué qu’«en lieu et place d’un moratoire, il
conviendrait de soutenir une recherche intensive sur les cétacés, pendant dix ans». Cette seconde
recommandation a conduit aux études menées dans le cadre de la décennie internationale de la
recherche sur les cétacés (IDCR). Les travaux préparatoires ont débuté en 1975 et les études
elles-mêmes, à la fin de 1978.
5.3. Au début de ces études, 6 000 à 9 000 petits rorquals de l’Antarctique étaient capturés
chaque année dans le cadre de la chasse commerciale, essentiellement par l’URSS et le Japon. Le
débat faisait rage au sein de la CBI sur la méthode de fixation des limites de capture. À l’époque,
cette méthode était arrêtée d’après une estimation du nombre de baleines pouvant être tuées au
sein d’une population dont la stabilité devait être maintenue. En d’autres termes, le nombre de
naissances devait être égal au nombre de baleines tuées dans le cadre de la chasse, en plus de
celles mortes de manière naturelle. Ces estimations du «taux annuel de remplacement» variaient
de 0,5 à 7 % de la population (ce qui signifie qu’il était possible de tuer entre 0,5 et 7 % de
l’estimation d’abondance d’une population de baleines chaque année, pour que la population
reste stable). Pour le petit rorqual de l’Antarctique, la CBI a négocié un taux de remplacement de
3,5 %, mais le débat au sein du comité scientifique s’est poursuivi à la fois sur le taux de
remplacement et sur les estimations d’abondance.
5.4. Les études axées sur le petit rorqual dans le cadre de l’IDCR se sont penchées sur ces
sujets de désaccord au sein du comité scientifique en s’intéressant tout particulièrement aux - 17 -
estimations d’abondance et aux schémas de déplacement des animaux, les premières à l’aide de
campagnes d’observation non létales et les secondes à l’aide de marques « Discovery», qui
constituaient à l’époque la meilleure technique pour les espèces de baleines pélagiques. Ce
dispositif de marquage consiste à fixer dans la peau de la baleine un cylindre métallique sur
lequel est gravé un numéro unique, puis à enregistrer le lieu du marquage et le lieu de
prélèvement de la baleine ainsi marquée si celle-ci est tuée dans le cadre d’activités de chasse
commerciale. On peut donc dire que les questions essentielles que la CBI entendait résoudre par
ces études avaient trait à l’abondance et aux déplacements des animaux dans les aires de
nourrissage. D’autres informations scientifiques sur le petit rorqual de l’Antarctique ont été
obtenues à partir de baleines prélevées dans le cadre de la chasse commerciale, notamment
certaines données biologiques dont on pensait à l’époque qu’elles permettraient de calculer les
22 taux de remplacement. A l’époque, la CBI appliquait la NMP, qui s’appuyait explicitement sur
ces données biologiques. Comme je l’indique à l’annexe 2, la NMP a échoué justement parce que
l’estimation des paramètres biologiques découlant des données issues de la chasse n’atteignait
manifestement pas le niveau de précision nécessaire et que leur utilisation, dans un contexte de
gestion, ne présentait aucun intérêt pratique.
5.5. Pendant l’été austral 1985/1986, date à laquelle le moratoire sur la chasse commerciale
à la baleine est entré en vigueur, le comité scientifique avait déjà conclu que ces campagnes
d’observation devaient être modifiées. Cette modification a eu lieu et a conduit à la réalisation de
deux séries d’études circumpolaires au cours des deux décennies suivantes — les programmes
IDCR et SOWER (programme de recherche sur les baleines et l’écosystème de l’océan
Austral) —, qui ont fourni l’essentiel des connaissances actuelles sur le petit rorqual de
l’Antarctique. Pour dire les choses simplement, ces deux études ont fourni de nouvelles données
sur le petit rorqual de l’Antarctique utiles à sa conservation et à sa gestion, qui ont permis au
comité scientifique :
d’estimer l’abondance absolue des petits rorquals de l’Antarctique par secteur et dans
l’ensemble de l’océan Austral ;
d’estimer potentiellement les tendances de l’abondance des petits rorquals de l’Antarctique
par secteur et dans l’ensemble de l’océan Austral ;
de préciser certains aspects de l’habitat des petits rorquals de l’Antarctique au nord de la
limite des glaces ;
de comparer la répartition de l’habitat des petits rorquals de l’Antarctique à celle d’autres
espèces de baleines ; et
d’améliorer notre compréhension de certains aspects du comportement des petits rorquals,
par exemple la taille du groupe.
5.6. Les programmes IDCR/SOWER ont également apporté de nouveaux éléments et de
nouvelles informations sur d’autres grands cétacés de l’océan Austral.
5.7. A peu près à la même période, le Japon a participé et apporté son soutien aux
programmes collectifs IDCR/SOWER, tout en poursuivant, de manière unilatérale, ses
programmes JARPA/JARPA II. - 18 -
5.8. En 1987, lorsque le Japon a débuté la mise en œuvre de son programme JARPA,
l’essentiel des connaissances en matière de conservation et de gestion des petits rorquals de
l’hémisphère sud pouvait être résumé comme suit.
Les estimations d’abondance des petits rorquals faisant appel aux techniques notoirement
23
problématiques, fondées sur des mesures de capture par unité d’effort, avaient été
abandonnées au profit d’estimations directes issues de campagnes d’observation. Les effectifs
des stocks reproducteurs, indispensables à l’application de la NMP, n’étaient pas connus. Des
analyses génétiques antérieures avaient permis d’établir qu’aux moins deux stocks
reproducteurs se côtoyaient, dans une zone qui n’allait pas au-delà des aires IV et V de la
CBI (approximativement le 130 méridien de longitude est (voir Wada et Numachi 1979). La
localisation exacte des autres limites géographiques (au moins une autre devait exister)
n’était pas connue. Celle des aires de reproduction ne l’était pas davantage, bien que la zone
au large du Brésil fût fortement suspectée. Les marques Discovery ont montré que les
baleines avaient tendance à être recapturées à d’autres saisons à proximité des zones où elles
avaient été initialement marquées.
Il était devenu évident que les informations biologiques issues d’animaux prélevés dans le
cadre de la chasse commerciale prêtaient à confusion dans la mesure où les baleines tuées ne
représentaient pas une section transversale réelle, ou encore «un échantillon aléatoire» de la
population totale. On savait que les taux de gestation étaient élevés, avec une estimation
corrigée de 0,78 par an (ce qui signifie que près de huit femelles adultes sur 10 tuées étaient
pleines). Le taux de mortalité naturelle n’était pas connu, mais estimé entre 0 et 0,1 (ce qui
signifie qu’entre 0 et 10 % de la population disparaissait chaque année), la mortalité naturelle
étant réputée dépendre de l’âge de l’animal.
Les estimations du taux de rendement maximum de renouvellement (TRMR) et le rendement
de remplacement (RR) tirés de l’analyse des paramètres biologiques étaient très vagues, et
n’offraient pas la précision requise pour la bonne application de la NMP. Les études
méthodologiques ont démontré de manière claire que seules des estimations vagues du
TRMR et du RR pourraient être obtenues (voir de la Mare 1990a, 1990b). Autrement dit, il
était fort probable que nous n’aurions jamais pu vérifier le TRMR de manière suffisamment
précise pour l’appliquer dans un mécanisme de gestion.
Le petit rorqual était connu pour se nourrir presque exclusivement de krill de l’Antarctique.
En se fondant sur le lien théorique entre masse corporelle et consommation alimentaire, on
estimait que le petit rorqual ingérait environ 4 % de sa masse corporelle chaque jour. Ces
estimations journalières n’ont pu être converties en estimations plus précises de la
consommation annuelle totale par individu, les dates d’arrivée et de départ des baleines dans
24 les aires de nourrissage étant inconnues et réputées variables selon l’âge, le sexe et l’état
reproductif de chaque individu.
5.9. La contribution des programmes JARPA/JARPA II, après plus de 25 ans de mise en
œuvre, à la conservation et à la gestion du petit rorqual est négligeable. A cet égard, l’état actuel
des connaissances sur le sujet et sur certains thèmes intéressant les travaux du comité scientifique
peut être résumé de la manière suivante :
Les récentes estimations d’abondance du petit rorqual de l’Antarctique proviennent
exclusivement des programmes IDCR/SOWER, qui n’utilisent pas de méthodes létales.
L’évaluation des études d’abondance du programme JARPA a conclu qu’elles étaient - 19 -
biaisées à maints égards sur le plan méthodologique, notamment en raison de leur lien étroit
avec les activités de chasse (voir CBI 2008).
Les effectifs des stocks reproducteurs restent inconnus et peu d’informations supplémentaires
ont été recueillies sur la présence d’au moins deux populations dans la zone ayant sa limite
e
géographique à proximité du 135 méridien de longitude est. On ne sait toujours pas
précisément où se trouvent les autres limites géographiques (ou du moins l’autre limite). A
l’exception du stock reproducteur potentiel déjà identifié au large du Brésil, les autres aires
de reproduction ne sont toujours pas connues, alors que leur localisation et l’échantillonnage
génétique des individus évoluant dans ces aires apporteraient une mine d’informations qui
permettraient de mieux comprendre, à partir de données génétiques, le mélange des
populations dans les aires de nourrissage.
Ce défaut d’informations sur la structure des populations de petits rorquals a été pris en
compte dans la conception de la RMP. Des tests de simulation de la RMP ont montré que la
fixation de limites de capture pour chaque intervalle de 10° de longitude permettait de lever
les incertitudes sur la taille des effectifs, les limites géographiques des stocks, la variabilité
des fourchettes retenues et le chevauchement des multiples stocks reproducteurs éventuels
dans les aires de nourrissage. Les programmes JARPA/JARPA II n’ont apporté aucune
connaissance supplémentaire sur l’ampleur des déplacements des individus, information qui
pourrait pourtant permettre une application moins circonspecte des règles de la RMP sur les
populations multiples. Les moyens les plus efficaces pour étudier les déplacements des
baleines sont non létaux : suivi par satellite, identification des individus par leur empreinte
génétique (obtenue à partir de biopsies) ou par leurs marques naturelles (reconnues par
identification photographique). Le succès récent du marquage et des biopsies effectuées sur le
petit rorqual de l’Antarctique, dans la mer de Ross et la péninsule antarctique occidentale,
25
démontre à la fois la faisabilité et les avantages scientifiques d’une telle approche (voir
ci-après le paragraphe 6.14).
L’un des objectifs majeurs de JARPA était de fournir des estimations de la mortalité naturelle
par groupe d’âge, c’est-à-dire la proportion d’individus de chaque tranche d’âge disparaissant
chaque année. Cet objectif a été abandonné après quelques années au profit d’une estimation
moyenne pour l’ensemble des classes d’âge. L’évaluation du programme JARPA par la CBI
en décembre 2006 a conclu que, au vu de l’incertitude associée à l’estimation tirée d’un
échantillonnage réalisé sur près de 7 000 baleines, ce paramètre restait «effectivement
inconnu» (voir CBI 2008). L’affirmation du Japon, au paragraphe 4.124 de son
contre-mémoire, selon laquelle les problèmes liés aux estimations de la mortalité naturelle
dans le cadre du programme JARPA étaient désormais résolus, de sorte que «la précision des
estimations des taux de mortalité naturelle … est à présent jugée satisfaisante» est inexacte.
Le Japon confond la résolution d’un problème identifié par le comité scientifique — les
variations constatées entre différentes «lectures» des mêmes données liées à l’âge — avec la
résolution de tous les problèmes recensés. Force est de constater que les estimations de
JARPA sur la mortalité naturelle sont à ce point imprécises que notre connaissance des
estimations de mortalité reste, pour l’essentiel, identique à ce qu’elle était au début de
JARPA.
Les analyses visant à déterminer l’âge des animaux tués dans le cadre de JARPA restent aussi
confuses que celles tirées de la période de la chasse commerciale. Aucun nouvel élément
relatif au petit rorqual de l’Antarctique n’a été validé par le comité scientifique sur la base de
ces données. - 20 -
Il est établi que les taux de gestation sont élevés, l’estimation de 0,78 par an, réalisée avant le
programme JARPA, demeurant une valeur acceptée. Il est utile de noter que la gestation peut
être déterminée par des moyens non létaux, au moyen de biopsies (St Aubin 2001).
En 2009, le groupe de travail du comité scientifique sur le TRMR a considéré comme peu
fiables les estimations du TRMR du petit rorqual fournies par le programme JARPA, en
raison des difficultés liées aux possibles changements dans les capacités de charge de l’océan
Austral (à savoir le nombre de baleines qu’une zone océanique peut supporter en termes de
proies disponibles et d’autres facteurs environnementaux) et des problèmes d’interprétation
des données de capture par âge (CBI 2010c). Ces conclusions du groupe de travail ne
26 faisaient que reprendre une observation précédente selon laquelle le TRMR ne pouvait pas
être estimé de manière suffisamment précise pour être directement utile aux politiques de
gestion.
Les estimations de la consommation alimentaire journalière tirées de JARPA n’ont pas
permis d’améliorer la précision des données établies d’après les principes énergétiques
généraux. Le problème reste entier pour convertir la consommation journalière en
consommation totale car les dates d’arrivée et de départ des baleines des aires de nourrissage
demeurent inconnues et varient probablement avec l’âge, le sexe et l’état reproductif de
l’individu. La recherche létale de JARPA/JARPA II ne permet pas de répondre à cette
question car il faudrait suivre les déplacements des animaux vivants, une technique de
recherche qui a été évitée dans le cadre des programmes JARPA/JARPA II.
Les scientifiques japonais ont publié divers documents à l’issue des programmes JARPA et
JARPA II. Néanmoins, pour des programmes de cette ampleur et bénéficiant d’un
financement aussi important, le nombre et la pertinence (pour la conservation et la gestion
des cétacés) de ces documents sont particulièrement modestes. Compte tenu du très grand
nombre de baleines tuées et ayant fait l’objet de prélèvements et d’analyses dans le cadre de
ces programmes, la masse de données obtenues aurait dû être considérable. Il n’est donc pas
surprenant que certains documents proviennent de différentes analyses exploratoires et
opportunistes peu utiles aux objectifs du programme. Ainsi, les deux documents évalués par
les pairs cités par le Japon comme issus de JARPA II (voir le contre-mémoire du Japon,
paragraphe 5.99 et note de bas de page 774) abordent la morphologie microscopique du cœur
des petits rorquals et l’évolution de leurs ovaires.
Les affirmations selon lesquelles l’analyse de ces données pourrait être pertinente à certains
égards ne sont pas non plus surprenantes. On retient essentiellement des publications (qui
constituent la référence sur laquelle peut s’exercer le jugement scientifique) l’absence
presque totale de documents consacrés aux objectifs réels de ces deux programmes. Compte
tenu des difficultés rencontrées, dès l’origine, pour doter ces programmes d’objectifs
clairement définis, on s’attendrait, dans un processus scientifique normal, à une phase
d’autocorrection, à la modification des objectifs et des méthodes pour s’assurer du bien-fondé
des questions posées et des méthodes retenues pour leur apporter une réponse.
5.10. Même si cela est sans rapport avec la chasse commerciale et sa gestion par la CBI, il
27
reste encore beaucoup à apprendre sur l’interaction entre le petit rorqual de l’Antarctique et son
environnement. Comme son prédécesseur, JARPA II n’a nullement contribué à cette
connaissance, en raison même des méthodes létales utilisées. Les réponses à ces questions
importantes impliquent des efforts de recherche fondés sur la coopération, en lien avec des
programmes intégrés offrant une vision d’ensemble du système océanique austral. Plusieurs
programmes ayant adopté cette démarche et dotés de plusieurs millions de dollars sont - 21 -
actuellement menés dans l’océan Austral, dans le cadre de projets nationaux circumpolaires. Ces
programmes sont généralement coordonnés par des organisations internationales telles que le
Comité scientifique pour les recherches antarctiques (CSRA), le Comité scientifique pour les
recherches océaniques (CSRO), la CCAMLR et bien entendu la CBI. Tous les membres de la
CBI participant à la recherche dans l’océan Austral, y compris le Japon, participent à cette action
commune. Les résultats de ces travaux constituent l’essentiel de notre savoir sur tous les éléments
qui constituent la richesse de l’océan Austral (y compris les baleines). Il est à noter que si
l’Australie et le Japon entretiennent des liens de collaboration extrêmement fructueux et étroits en
matière de recherche en Antarctique et dans l’océan Austral, à travers plusieurs de ces
organismes de recherche, l’institut japonais de recherche sur les cétacés et ses programmes
JARPA et JARPA II sont totalement isolés de ces mécanismes. Le partenariat pour la recherche
dans l’océan Austral, au sein de la CBI, offre un cadre scientifique non létal fondé sur une action
commune pour les travaux sur le petit rorqual de l’Antarctique et d’autres espèces de baleines, en
coopération avec d’autres projets scientifiques internationaux (voir ci-dessous la section 6). Ce
programme offre toute la souplesse nécessaire pour intégrer de nouvelles priorités de recherche et
concevoir de nouveaux projets afin de mettre en œuvre lesdites priorités dans un esprit de
coopération. Les avantages de cette approche ont d’ores et déjà été démontrés par de nouvelles
découvertes utiles pour répondre aux impératifs de conservation et de gestion. Elle a notamment
confirmé la faisabilité technique du suivi par satellite et des biopsies sur le petit rorqual de
l’Antarctique.
5.11. L’arrêt de programmes unilatéraux et improductifs, tels que JARPA II, et le
redéploiement des efforts au profit d’un partenariat contribueraient à sortir le comité scientifique
de l’impasse dans laquelle il se trouve par rapport à la chasse au titre de permis spéciaux et à
rétablir un processus scientifique efficace sur lequel pourraient s’appuyer les futures recherches.
28 6. Le partenariat pour la recherche dans l’Océan austral : un nouveau modèle de recherche
scientifique fondée sur la coopération et le recours à des méthodes non létales
6.1. En 2009, le Gouvernement australien a proposé que la CBI adopte une nouvelle
approche structurée en faveur d’une recherche régionale, non létale et fondée sur la coopération,
intitulée «Partenariat pour la recherche dans l’océan Austral» (SORP), (voir Australie 2008).
L’Australie avait observé que le comité scientifique était généralement très efficace lorsqu’il
s’agissait d’évaluer des informations sur les populations de baleines et de définir les questions
prioritaires en matière de recherche. Manquait toutefois un mécanisme qui permettrait aux pays
de mettre au point, collectivement, des projets spécifiquement consacrés à ces questions.
6.2. Le comité scientifique a approuvé cette proposition d’une approche régionale et
collective de la recherche, en l’occurrence dans l’océan Austral. La première étape dans
l’élaboration des projets menés dans le cadre du SORP a consisté à passer en revue les questions
et les objectifs scientifiques que le comité scientifique avait déjà identifiés. Il s’agissait de
reprendre les recommandations qu’il avait formulées dans ses rapports annuels et de les classer
par ordre de priorités suivant deux critères : la réponse à la question était jugée essentielle et il
était possible d’y répondre dans un délai raisonnable. Des rencontres mettant l’accent sur la
représentativité, la collaboration et la consultation ont réuni des experts internationaux, qui ont
passé en revue toutes les questions prioritaires et retenu cinq projets de recherche. Chaque projet
au titre du SORP a recours à des techniques de recherche non létales et bénéficie directement
d’une approche régionale fondée sur la coopération. Il a également été proposé d’organiser un - 22 -
atelier sur l’élaboration de techniques de recherche non létales. Le comité scientifique a examiné
et approuvé les projets et l’atelier proposés dans le cadre du SORP.
6.3. Les cinq projets retenus dans le cadre du SORP concernent :
i) le projet sur la baleine bleue de l’Antarctique : vers une meilleure estimation de
l’abondance circumpolaire (voir ci-après le paragraphe 6.8) ;
ii) l’étude de l’abondance, de la répartition et de la présence saisonnière de la baleine bleue
et du rorqual commun dans l’océan Austral au moyen de méthodes acoustiques
passives ;
iii) la répartition et le mélange éventuel des populations de baleines à bosse de l’hémisphère
sud autour de l’Antarctique ;
29 iv) l’écologie alimentaire et le rapport de prédation entre les baleines à fanons et le krill :
étude comparative à échelles multiples dans les régions de l’Antarctique (voir ci-après
les paragraphes 6.14 à 6.17) ; et
v) la répartition, l’abondance relative, les schémas de migration et l’écologie alimentaire de
trois écotypes d’épaulards dans l’océan Austral.
6.4. L’atelier, intitulé «Baleines vivantes dans l’océan Austral, progrès des méthodes de
recherche non létales sur les cétacés», a eu lieu au Chili en mars 2012. 124 personnes de 16 pays
différents y ont participé et plus de 1 500 l’ont suivi en direct par visiophonie. Un colloque d’une
journée, présentant les nouvelles méthodes de recherche non létales sur les baleines, a été suivi
d’un atelier de deux jours consacré à divers sujets : l’évaluation de la santé des cétacés, les
progrès des techniques de suivi à long terme par satellite, la structure dynamique des populations
et la variabilité environnementale, et une estimation du régime alimentaire et des quantités
absorbées par des moyens non létaux. Le rapport complet de l’atelier est disponible à l’adresse
suivante : http ://www.simposioballenas.cl/wp-content/uploads/SC 64 014 Report-of-the-SORP
Living-Whale-Symposium Rev1.pdf.
6.5. Il est à noter que toutes les priorités de recherche établies par le comité scientifique
dans ses rapports annuels, sur les cinq dernières années au moins, qui impliquaient le recueil de
données sur les cétacés de l’océan Austral, ont pu être traitées de manière efficace par des
méthodes non létales (voir Anonyme 2009). Par conséquent, le fait que le SORP envisage
exclusivement le recours à des techniques non létales n’a nui à aucune des priorités de recherche
du comité scientifique identifiées lors de l’exercice mentionné au paragraphe 6.2 ci-dessus.
6.6. En outre, lorsqu’il a examiné et analysé les projets envisagés dans le cadre du SORP,
le comité scientifique n’a pas recommandé qu’une quelconque technique létale soit employée
dans le cadre de ces projets. De fait, et cela est confirmé par les informations dont je dispose mais
également par ma participation aux travaux du comité scientifique, ce dernier, dont le Japon est
membre, n’a recommandé pour aucun domaine de recherche le recours à des méthodes létales.
6.7. Les pays qui ont participé aux travaux du SORP sont l’Afrique du Sud, l’Allemagne,
l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Chili, les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Norvège, la - 23 -
Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Malgré plusieurs invitations et expressions d’intérêt de la
part des scientifiques japonais, le Japon a décliné toute adhésion au SORP. Toutefois, en qualité
30 de membre du comité scientifique, le Japon est libre de formuler et de recommander des priorités
de recherche pour le SORP ou toute autre initiative du comité scientifique. A ma connaissance, il
n’a suggéré aucune priorité de recherche exigeant des méthodes létales, en dehors de ses propres
objectifs dans le cadre de la chasse au titre d’un permis spécial.
Projet sur la baleine bleue de l’Antarctique
6.8. La conception, la planification et la mise en œuvre des projets dans le cadre du SORP
suivent un processus scientifique complet, comme celui présenté par le Professeur Mangel. Le
projet sur la baleine bleue de l’Antarctique, que nous avons déjà mentionné et qui est le projet
phare du SORP, en est un bon exemple.
6.9. Ce projet est consacré à la baleine bleue, le plus gros animal vivant de la planète, qui
fut très gravement menacé d’extinction il y a seulement quelques décennies. Le projet compte
plusieurs objectifs spécifiques, parmi lesquels la vérification des deux hypothèses suivantes : la
population se serait progressivement rétablie depuis la dernière estimation d’abondance de 1998
et l’espèce serait représentée par une population unique dans la région de l’Antarctique.
6.10. Les promoteurs du SORP ont reconnu qu’il s’agissait d’un projet ambitieux, compte
tenu de la relative rareté des baleines bleues, des difficultés logistiques liées aux opérations dans
les eaux de l’Antarctique et des coûts associés. La première étape d’une préparation détaillée de
ce projet consistait à mettre sur pied une équipe compétente, à rechercher les méthodes les plus
efficaces pour obtenir une nouvelle estimation d’abondance des baleines bleues et à évaluer sa
faisabilité logistique. Cette seule étape a demandé deux ans car elle nécessitait d’évaluer toutes
les données d’observation et de capture dans le cadre d’une analyse mesurant l’efficacité relative
des différentes techniques (notamment l’étude par transect ou le marquage-recapture), afin
d’estimer l’abondance selon le niveau de précision fixé. Des documents ont été soumis au comité
scientifique tout au long de cette période afin qu’il formule des recommandations (voir
Childerhouse 2010, Childerhouse 2011a, Kelly et al. 2011, Kelly et al. 2012, Miller et al. 2012,
Miller 2012, Wadley et al. 2012, Bell2012, Baker et al. 2012). Ces recommandations ont permis
d’adapter le projet en modifiant la nature des analyses et en traitant les questions de manière plus
approfondie. Ces analyses ont permis de conclure qu’une technique, appelée
«marquage-recapture» (utilisant des empreintes ADN issues de biopsies non létales et la
comparaison de marques naturelles provenant de photos d’identification), offrait un potentiel
31 considérable, mais uniquement si le taux de rencontre avec les baleines bleues était plus élevé que
celui obtenu avec des méthodes d’observation habituelles.
6.11. Il a été convenu, après consultation et approbation par le comité scientifique, que la
prochaine étape du projet consisterait à évaluer l’efficacité des techniques acoustiques passives
pour localiser les baleines bleues et augmenter le taux de rencontre avec ces animaux. Une étude
pilote a été menée, en 2012, au large de la côte est de l’Australie avec des baleines bleues
pygmées en lieu et place de baleines bleues de l’Antarctique. Cette étude internationale menée en
coopération pendant deux à trois semaines, a permis d’éprouver et d’affiner l’équipement et le
processus décisionnel, mais également d’évaluer pour la première fois l’utilité de la méthode
(voir Miller et al. 2012). Cette première étude a ensuite donné lieu, en 2013, à une expédition de
six semaines dans l’Antarctique afin de tester le matériel et de tenter cette approche avec les - 24 -
baleines bleues de l’Antarctique (voir Wadley et al. 2012). Cette expédition a pu démontrer que
les baleines bleues pouvaient être détectées par des moyens acoustiques, à plusieurs centaines de
kilomètres de distance, avant d’être repérées par le navire. Lorsque les baleines étaient à distance
d’observation, des canots étaient mis à la mer depuis le navire (lorsque les conditions
météorologiques le permettaient, soit en général deux jours sur trois) afin d’effectuer, à partir du
navire et des canots, les relevés photographiques et les biopsies indispensables non seulement à
l’analyse des marquages-recaptures mais également à l’évaluation de la structure de la
population. Les canots étaient également utilisés pour déployer des balises permettant un suivi
satellitaire de l’animal au cours des semaines et des mois suivants.
6.12. Au total, 84 baleines bleues ont été observées durant l’expédition, dans 39 groupes
différents. 57 d’entre elles ont été photographiées avec un niveau de qualité suffisamment élevé
pour permettre leur identification individuelle, 23 biopsies ont été effectuées et deux baleines ont
été marquées pour un suivi par satellite (voir les photos et les vidéos sur
http ://www.antarctica.gov.au/media/news/2 013/australias-successful
antarctic-blue-whale-voyage). Le taux de rencontre et le volume de données recueillies ont
dépassé toute espérance. De fait, les 57 baleines bleues identifiées par photographies au cours de
cette seule expédition s’approchent du total de 63 photos de baleines bleues prises dans tout
l’Antarctique pendant plus de 30 années d’expédition dans le cadre des programmes
IDCR/SOWER. Les données issues de cette expédition seront transmises au comité scientifique
en juin 2013 et permettront d’estimer l’importance de la hausse du taux de rencontre que permet
l’acoustique passive.
6.13. Le projet est aujourd’hui suffisamment avancé pour qu’il soit possible de soumettre
au comité scientifique des recommandations claires en matière de recherche sur les techniques les
plus adaptées pour atteindre les objectifs et sur les ressources nécessaires, en termes de navires,
32 pour remplir les objectifs dans un délai précis. Si la phase préparatoire du projet a duré plusieurs
années, les évaluations approfondies, les analyses préparatoires, les études pilotes et les
présentations répétées au comité scientifique, ainsi que le retour d’information de celui-ci et
d’autres experts internationaux, ont permis de concevoir un projet de recherche fiable, bénéficiant
de protocoles clairs, d’un calendrier précis et de la rigueur voulue pour atteindre des objectifs
parfaitement identifiés.
Interactions entre les baleines à fanons et le krill
6.14. Un autre projet SORP, intitulé «l’écologie alimentaire et le rapport de prédation entre
les baleines à fanons et le krill : étude comparative à échelles multiples dans les régions de
l’Antarctique», s’intéresse directement au comportement alimentaire du petit rorqual de
l’Antarctique et à ses rapports écologiques avec d’autres espèces, une thématique censée être
également explorée par le Japon dans le cadre de JARPA II. Néanmoins, ce projet adopte une
approche fondamentalement différente de celle du Japon. Par exemple, il émet plusieurs
hypothèses claires et vérifiables, tendant notamment à savoir si : i) la baleine à bosse et le petit
rorqual de l’Antarctique sont en concurrence pour le krill dans les mêmes habitats écologiques ;
et ii) si la baleine à bosse et le petit rorqual de l’Antarctique utilisent des stratégies alimentaires
similaires dans différentes régions de l’Antarctique (voir Childerhouse 2011b). Le projet SORP a
également recours à des techniques non létales efficaces. - 25 -
6.15. Dans le cadre de ce projet, pendant l’été austral 2012/2013, une mission d’étude
conjointe Etats-Unis-Australie et une équipe de recherche américaine déployées dans la mer de
Ross ont recueilli pour la première fois des données sur le comportement alimentaire du petit
rorqual de l’Antarctique, y compris des données sur son comportement en plongée et sur ses
déplacements, outre des mesures du krill dans la zone et des données comparatives sur la baleine
à bosse, qui se nourrit dans des habitats similaires. Cette méthode met en œuvre un ensemble
complexe et intégré d’outils de recherche non létale, parmi les plus récents, qui ont pour la
plupart été utilisés dans le cadre du projet sur la baleine bleue de l’Antarctique : biopsies,
identification photographique, mesures du krill à l’aide de sonars, et marquage multiple des
individus à l’aide de balises à court terme (pour quelques heures à quelques jours) pour les
données tridimensionnelles de déplacement (y compris la manière dont se nourrissent ces
baleines, dites «baleines engouffreuses») et de balises à long terme (pour plusieurs jours à
plusieurs mois) pour les données relatives aux déplacements et parfois aux profondeurs de
plongée. Les photographies et les vidéos de la mise en œuvre de ces techniques sont présentées à
l’adresse suivante :
33 http ://www.antarctica.gov.au/media/news/2013/significant-advances-in-non-lethalresearch-on-a
ntarctic-minke-whales.
6.16. Le succès des récentes missions de recherche sur le petit rorqual de l’Antarctique
démontre qu’un navire disposant de canots d’étude et de scientifiques compétents peut déployer
le même ensemble d’outils de recherche non létaux pour cette espèce spécifique que ceux qui ont
été utilisés pour nombre d’autres espèces de cétacés. Ce constat est en totale contradiction avec
les affirmations du Japon selon lesquelles de telles techniques ne sont pas transposables au petit
rorqual de l’Antarctique (voir le contre-mémoire du Japon, paragraphes 4.62, 4.75, 4.79, 4.82, et
5.49-5.50).
6.17. Autre enseignement important des projets SORP, vérifié à l’occasion d’autres grands
projets collectifs de recherche non létale sur les baleines, les techniques non létales sont plus
efficaces lorsqu’elles sont combinées et appliquées ensemble pour répondre à des problématiques
particulières.
Le Pacifique Nord
6.18. Le modèle SORP de recherche menée en coopération en vue de traiter les
thématiques prioritaires de la CBI, dont le concept est probablement né à l’occasion des
expéditions IDCR/SOWER, est également en train d’être adopté par la CBI dans d’autres régions.
Celle-ci développe depuis quelques années le programme de recherche sur les baleines et
l’écosystème du Pacifique Nord (CBI-POWER), qui tente de déterminer l ’état des populations
de baleines dans le Pacifique Nord et d’apporter les données scientifiques nécessaires à de
bonnes mesures de conservation et de gestion . Le Japon, la Corée et les Etats-Unis en sont les
principaux partenaires, l’Australie ayant quant à elle activement participé à la conception des
études. Le projet met en œuvre des outils uniquement non létaux.
Observations générales sur les initiatives de recherche en coopération
6.19. Le contraste entre les programmes internationaux menés en coopération soutenus par
la CBI (y compris le programme SORP), qui ont fait leurs preuves en appliquant un processus
scientifique normal, et les programmes unilatéraux JARPA et JARPA II conduits au titre de - 26 -
permis spéciaux, est flagrant. Le Japon a lui-même fourni l’essentiel des ressources et a été l’un
des acteurs essentiels des programmes IDCR/SOWER et CBI POWER, et a ainsi pu constater
tous les avantages de ce type de collaboration.
6.20. Ces programmes collectifs constituent des solutions de remplacement aux approches
34 inutiles et non scientifiques adoptées dans le cadre des programmes JARPA et JARPA II. De fait,
le Japon dispose dès à présent d’une solution de rechange à la poursuite de JARPA II, à savoir le
programme SORP, qui intègre des technologies et des techniques de pointe répondant à tous les
impératifs de recherche scientifique en matière de conservation et de gestion des baleines.
Néanmoins, il a pour l’heure choisi de ne pas mettre en œuvre une telle approche. - 32 -
40
Annexe 2 : Processus décisionnel et méthodes de travail du comité scientifique
1. La commission baleinière internationale (CBI) a créé son comité scientifique pour qu’il
émette, à son bénéfice, des avis dans le domaine de la conservation et de la gestion des cétacés. Le
comité scientifique se réunit chaque année et organise plusieurs ateliers distincts pour faire
progresser les travaux liés aux thématiques prioritaires.
2. Le comité scientifique se compose d’environ 200 scientifiques, parmi lesquels plusieurs
chercheurs faisant autorité dans la science sur les cétacés. Il est constitué de délégués nationaux
issus des pays membres et de participants invités disposant d’une compétence particulière utile aux
travaux du comité scientifique.
3. Le comité scientifique est dirigé par une présidence issue de ses rangs, élue par les
délégués. La présidence prend ses avis auprès du comité scientifique mais également d’un comité
directeur constitué des coordonnateurs des différents sous-comités et groupes de travail du comité
scientifique.
4. Les tâches et le plan de travail du comité scientifique sont définis en fonction des priorités
et des instructions de la commission. Cette dernière approuve le plan de travail et affecte un budget
destiné à financer les activités du comité scientifique.
5. Chaque année, le comité scientifique examine de nombreux documents soumis par ses
membres, près de 200 en moyenne, qui sont ensuite débattus. Il se contente de prendre note de
certains documents, tandis que d ’autres font l’objet d’un examen plusapprofondi et peuvent donner
lieu à d’autres documents de travail. Dans tous les cas, la présidence du comité scientifique cherche
toujours à obtenir un consensus. Compte tenu de la complexité de certaines problématiques, un tel
consensus n’est pas toujours possible. Dans ce cas, l’ensemble des points de vue est transmis à la
commission, en général avec une proposition de programme de travail permettant de résoudre les
incertitudes et les divergences de vues. En général, le comité scientifique et la commission n’ont eu
qu’à se féliciter de ce solide processus scientifique, qui leur a permis de résoudre de nombreuses
questions scientifiques ayant une incidence directe sur la conservation et la gestion des baleines.
Ces avancées scientifiques sont souvent le fruit de la mise en œuvre de techniques inédites qui se
sont imposées à l’échelle internationale, et qui trouvent des applications au sein de la communauté
scientifique en général.
6. L’efficacité et la qualité, reconnue au niveau internationale, des travaux du comité sur les
questions scientifiques ressort clairement des trois exemples suivants :
L’élaboration de la procédure de gestion révisée
7. L’échec de la réglementation de la chasse commerciale et l’effondrement des populations
mondiales de baleines sont bien connus. En revanche, les raisons de cet échec le sont moins.
Pendant la majeure partie du XX siècle, le principal mécanisme de détermination des quotas de
chasse était celui de la CBI, au sein de laquelle les nations concernées se sont évertuées à obtenir
les quotas les plus élevés possibles. Le comité scientifique se réunissait une fois par an, mais il
n’existait pas de séparation claire entre une procédure scientifique indépendante, relevant de la
compétence du comité scientifique, et les questions relatives aux orientations générales et à la - 33 -
gestion, relevant de la compétence de la commission. Par conséquent, l’influence du comité
scientifique sur les décisions relatives aux captures était bien plus négligeable qu’aujourd’hui. En
1960, lorsqu’il ne fut plus possible d’ignorer la situation dramatique dans laquelle se trouvaient les
populations de baleines, la CBI nomma un groupe de trois scientifiques externes, spécialisés dans
la dynamique des populations, qui furent chargés d’émettre des avis sur les captures de baleines.
C’est en grande partie sur avis de ce groupe que la CBI cessa de chasser la baleine bleue et la
baleine à bosse, dont la population avait déjà fortement diminué. En revanche, les avis de ce groupe
n’ont pas suffisamment pesé sur le plan scientifique pour dissuader la CBI de continuer à allouer
des quotas de chasse non viables pour le rorqual commun et d’autres espèces. Néanmoins, on peut
41 affirmer que l’apport représenté par les meilleures données scientifiques disponibles pour guider les
décisions visant à protéger certaines espèces a, au moins en partie, été démontré.
8. En 1972, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement (précurseur du Programme
des Nations Unies pour l’environnement) a approuvé une proposition visant à instaurer un
moratoire mondial interdisant la chasse à la baleine, considéré comme la mesure la plus efficace
pour stopper le déclin des populations de baleines. Les Etats-Unis ont soutenu l’approche des
Nations Unies et ont proposé à la CBI d’instaurer un moratoire sur la chasse commerciale pendant
dix ans. Cette proposition a été rejetée au profit de la proposition australienne d’une nouvelle
procédure de gestion (NMP). On a considéré que la NMP garantirait la viabilité des captures au
moyen d’un processus scientifique fiable. Le principe scientifique sous-tendant la NMP, qui
consistait à concevoir un cadre scientifique auquel le comité scientifique devait se référer pour
formuler ses avis, était sage, mais a achoppé sur deux points clés. Premièrement, l’idée selon
laquelle on pouvait obtenir des estimations d’échelle et de tendances suffisamment précises et
exactes pour un petit nombre de paramètres biologiques, qui pouvaient être utilisées de manière
fiable dans le contexte de gestion requis s’est avérée erronée. Deuxièmement, dans la mesure où la
NMP n’apportait aucune réponse aux incertitudes liées à un ensemble de paramètres scientifiques
déterminants pour les limites de capture et ne clarifiait pas les règles de classification des
populations pouvant ou non être chassées, le comité scientifique a été soumis à de fortes pressions
politiques, qui ont miné ses efforts pour mener à bien une évaluation scientifique indépendante et
appropriée. De fait, la NMP imposait au comité scientifique de prendre des décisions politiques qui
étaient clairement du ressort de la commission .
9. Il a donc, de nouveau, été impossible de freiner la poursuite de l’exploitation
commerciale, faute d’accord sur une politique générale et des règles de gestion fondées sur des
données scientifiques, outre l’incapacité à séparer et à isoler les fonctions du comité scientifique de
celles de la commission. La CBI a finalement abandonné la NMP pour adopter en 1982 un
moratoire sur la chasse commerciale, qui est entré en vigueur lors de la saison de chasse 1985/1986
en Antarctique.
10. Le moratoire sur la chasse commerciale a ménagé un temps de réflexion, au-delà des
débats annuels sur les limites de capture, et permis au comité scientifique d’entreprendre la difficile
révision des procédures de gestion afin de tenir compte des échecs passés. Surtout, le comité
scientifique a veillé à ce que les éléments scientifiques sur lesquels reposerait toute nouvelle
approche en matière de gestion puissent être recueillis sans difficulté (estimations d’abondance et
données relatives aux captures) et à ce que les éléments nécessitant une décision de politique
générale, par exemple la mesure dans laquelle une population de baleines pourrait être exploitée,
relèvent de la responsabilité de la commission.
11. Alors que le débat au sein de la commission continuait de refléter des positions opposées
quant à l’avenir de la chasse commerciale, le comité scientifique a poursuivi ses travaux et mis au
point ce qu’on appelle aujourd’hui la procédure de gestion révisée (RMP), dans le cadre d’un - 34 -
processus difficile puisqu’il s’agissait d’une démarche scientifique totalement inédite. Différents
scientifiques ont développé des modèles concurrents pour la RMP, qui ont été expérimentés à
l’aide de processus et de modèles convenus et discutés de manière approfondie à l’occasion de
nombreuses réunions du comité scientifique. La RMP repose sur une simulation dans laquelle les
hypothèses et les données alimentant les modèles peuvent être testées virtuellement en imaginant
différents scénarios de chasse. En d’autres termes, elle s’attaque explicitement aux incertitudes.
12. Finalement, la RMP elle-même a représenté un nouveau paradigme en matière de
pêcheries en ce qu’elle a établi une stratégie de gestion pouvant être mise à l’épreuve par des tests
de simulation, fixé des limites de capture en fonction de la qualité des données disponibles, et
prévu un retour d’information ainsi que des méthodes d’évaluation permettant de rétablir les
populations à des niveaux d’abondance suffisants et de les y maintenir avec un degré élevé de
certitude. Ce type d’évaluation de la stratégie de gestion fait désormais partie des approches
régionales modernes de gestion des pêcheries.
42 13. La RMP a été conçue pour éliminer la dépendance envers les paramètres biologiques, à
l’origine des divergences irréconciliables et insolubles qui caractérisaient la formulation d’avis
dans le cadre de la NMP. De fait, la RMP s’appuie exclusivement sur des données qui peuvent être
obtenues par des méthodes non létales. Cette caractéristique n’est pas le fruit d’une conception
opposée à la recherche létale, mais procède d’une démarche visant à déterminer les paramètres qui
peuvent être mesurés de manière fiable et sont indispensables aux décisions en matière de gestion,
et avant tout l’abondance des populations. En réalité, la RMP peut parfaitement fonctionner avec
seulement deux types d’information, à savoir les estimations d’abondance et les informations sur
l’historique des captures (pour tenir compte des prélèvements opérés dans la population). D’autres
informations, bien que non indispensables, concernent la structure des stocks et le degré de
mélange des différents stocks dans les zones pertinentes qui seront soumises à la chasse.
14. La RMP est conçue pour fonctionner avec différents niveaux de connaissances. Lorsque
les connaissances sont de qualité (estimations précises d’abondance et bonne compréhension du
mélange des populations), les limites de capture ne doivent pas nécessairement être extrêmement
prudentes, le volume maximal de capture pouvant par conséquent être plus élevé. En revanche,
lorsque les connaissances sont plus incertaines, la fixation des limites de capture doit être effectuée
de manière plus circonspecte, ce qui tend généralement à réduire le volume de capture.
L’abondance des baleines ayant tendance à évoluer pour des raisons naturelles mais également
anthropiques, la RMP réduira les volumes de capture si les estimations d’abondance ne sont pas
actualisées. En l’absence d’une estimation d’abondance convenue au cours des dix années
précédentes, les captures doivent être réduites à zéro.
15. Telles sont les seules informations (estimations d’abondance et historique des captures)
indispensables à la RMP. Comme indiqué précédemment, celle-ci a été conçue pour éliminer la
dépendance envers les paramètres biologiques. Au lieu de se fonder sur les différentes
caractéristiques biologiques des baleines dans le monde réel (une information manifestement
inaccessible au comité scientifique dans le cadre de la NMP), la RMP met en œuvre des
simulations qui prennent en considération (et vérifient) les fourchettes et les variations plausibles
des caractéristiques biologiques et des paramètres environnementaux qui les sous-tendent. Au
final, on obtient un résultat fiable par rapport aux incertitudes liées à ces caractéristiques
biologiques et environnementales.
16. Le comité scientifique a présenté à la commission trois options possibles pour fixer, aux
fins de gestion, le taux de diminution d’une population de baleines visée par la chasse commerciale - 35 -
(également appelé «niveau d’ajustement»), afin qu’elle puisse se prononcer en connaissance de
cause sur le taux de diminution acceptable. Les options présentées par le comité scientifique ont
permis à la commission de déterminer si le taux de diminution des populations de baleines relevant
de la RMP devait représenter 60, 66 ou 72 % de la taille qu’aurait atteinte cette même population si
elle n’avait pas été visée par des opérations de chasse. La commission a opté pour l’option la plus
prudente, à savoir 72 %.
17. Sur instruction de la commission, le comité scientifique peut appliquer la RMP à l’une
quelconque des populations de baleines et émettre des avis sur les limites de capture, sur la base de
règles scientifiques claires et communément admises. De fait, à l’exception de son étape finale, à
savoir le calcul des limites de capture, la RMP a été appliquée à de nombreuses populations,
notamment au petit rorqual de l’Antarctique, depuis sa création. Seules les opérations de chasse
commerciale gérées par la CBI exigeant la fixation de limites de capture, entraînent la mise en
œuvre complète de la RMP, y compris le calcul des limites de capture. Tant que des mesures de
gestion telles que le moratoire et le sanctuaire de l’océan Austral (qui ont tous deux explicitement
fixé à zéro les prélèvements commerciaux de baleines) resteront en vigueur et qu’un plan de
gestion révisé (voir ci-après) n’aura pas été approuvé, il est peu probable que le comité scientifique
se voie demander de mettre en œuvre cette dernière étape.
18. Une caractéristique importante de la RMP est que ses composantes et hypothèses sont
susceptibles d’être revues et corrigées. Pour les composantes scientifiques, une révision de la RMP
peut être déclenchée par des analyses démontrant au comité scientifique qu’une modification
pourrait améliorer un ou plusieurs aspects du fonctionnement de la procédure. Ces révisions ont
43 jalonné le travail du comité scientifique depuis la conception de la RMP et ont conduit à l’adoption
de modifications des règles scientifiques. Il convient de relever qu’aucune révision de ce type n’a
été déclenchée par les résultats de JARPA ou JARPA II, et que les données dérivées de ces
programmes n’ont eu aucune incidence sur les révisions de la RMP. De même, la commission peut,
si elle le souhaite, modifier les orientations générales intégrées au processus de la RMP, et
demander par exemple au comité scientifique d’évaluer un projet de RMP selon un niveau
d’ajustement différent.
19. La chasse commerciale à la baleine ne pourra reprendre qu’après que la CBI aura
développé et adopté ce qu’on appelle le plan de gestion révisé (RMS), qui a vocation à régir toute
opération de chasse commerciale. S’il est adopté, le RMS proposera des règles en matière
d’observation et de contrôle indépendants des opérations de chasse et prévoira l’obligation de
documentation et de vérification de la totalité des captures et de toute autre donnée de gestion
nécessaire pour réglementer l’industrie baleinière. La CBI n’a pour l’instant approuvé aucun RMS.
20. L’élaboration de la RMP démontre que, lorsqu’il se limite aux questions scientifiques, le
comité scientifique peut élaborer des outils et formuler des avis utiles, y compris dans un
environnement où les positions liées aux politiques à mettre en œuvre sont diamétralement
opposées.
21. Le débat politique légitime sur l’opportunité de la reprise de la chasse commerciale reste
de la responsabilité de la commission. - 36 -
La gestion de la chasse aborigène de subsistance; les baleines du Groenland dans les mers de
Bering-Chukchi-Beaufort
22. L’une des missions importantes du comité scientifique est d’adresser à la commission
des avis sur la gestion de la chasse de subsistance pratiquée par les communautés autochtones. Au
même titre que d’autres formes de chasse, la chasse de subsistance fait l’objet d’une polémique au
sein de la CBI, même si celle-ci gère depuis plusieurs décennies une activité durable de chasse
aborigène pratiquée par des Etats membres et réglemente ces captures par le biais de plusieurs
mécanismes.
23. Les modèles scientifiques développés par le comité scientifique tiennent compte des
aspects techniques de la structure, de la taille et des tendances démographiques des populations de
baleines. La CBI fixe une limite de capture souhaitée pour une population donnée, sur la base des
besoins exprimés par une communauté autochtone puis vérifie que cette limite de capture est viable
au regard du modèle développé par le comité scientifique. Ces procédures de gestion de la chasse
aborigène de subsistance (Aboriginal Subsistence Whaling Management Procedures, ASWMPs)
mettent en balance les objectifs de conservation des populations de baleines et les besoins exprimés
par les communautés pratiquant la chasse à la baleine traditionnelle.
24. En Alaska, les communautés autochtones chassent les baleines du Groenland depuis très
longtemps. Malheureusement, la population de ces baleines a été gravement réduite par la chasse
commerciale au cours du XIX siècle ; depuis les années 1970, néanmoins, plusieurs études ont
montré que leurs effectifs progressaient à nouveau. Les limites de capture (à savoir le nombre
d’animaux frappés par un harpon) sont déterminées par une procédure de gestion spécialement
créée par la CBI pour cette chasse. Les baleines chassées par cette communauté font partie de la
population BCB (baleines du Groenland prises dans les stocks des mers de Bering-Chukchi-
Beaufort) dont on considérait qu’elle représentait une population unique et croissante de baleines.
En 2005, des scientifiques norvégiens ont apporté la preuve génétique que les baleines tuées par les
chasseurs de l’Alaska pouvaient au contraire provenir de deux populations distinctes. Le risque de
réduire une population par rapport à l’autre étant manifeste, une telle découverte était de nature à
affecter le résultat de la procédure de gestion et à conduire à une diminution des limites de capture.
25. Il a été demandé au comité scientifique de résoudre les incertitudes liées à la taille des
effectifs soumis à la chasse. Les travaux engagés à cette fin portaient notamment sur l’analyse
génétique des matériaux collectés et archivés dans le cadre des chasses précédentes. Ces analyses
44 ont été pratiquées dans plusieurs laboratoires internationaux et ont été parmi les plus complètes
réalisées sur une population de mammifères. Les résultats ont conduit le comité scientifique à
rendre un avis consensuel selon lequel il s’agissait d’une seule et même population de baleines et la
procédure de gestion en vigueur était adaptée. Cette recherche menée en coopération a permis
d’élaborer un nouveau cadre analytique pour les études génétiques de populations échantillonnées
sur les routes migratoires, qui a par la suite fait l’objet d’une publication dans la littérature
scientifique à grande diffusion (voir Jorde et al. 2007).
26. Cette fois encore, alors que l’avis rendu par le comité scientifique comportait
potentiellement des implications politiques pour certains pays membres, le processus scientifique a
suivi son cours et s’est conclu par un avis consensuel sensé, adressé à la commission. - 37 -
Déterminer l’abondance des petits rorquals de l’Antarctique
27. L’une des fonctions essentielles du comité scientifique est d’adresser à la commission
des avis sur l’état des populations mondiales de baleines. Ces estimations d’abondance sont utiles
pour plusieurs raisons, notamment pour déterminer le niveau de repeuplement des stocks après leur
exploitation et, pour certains pays, pour envisager une chasse future.
28. Chaque année, le comité scientifique passe au crible les documents rendant compte des
estimations d’abondance, et détermine si les techniques et les conclusions sont suffisamment
fiables pour lui permettre d’approuver ces estimations. Dans la plupart des cas, les estimations
portent sur des populations de baleines qui migrent par les eaux côtières et se prêtent donc assez
facilement à des études. C’est notamment le cas de la baleine à bosse, de la baleine franche et de la
baleinegrise.
29. Plus difficile est l’estimation des populations de baleines qui passent l’essentiel de leur
vie dans des habitats situés au large. C’est le cas par exemple du petit rorqual de l’Antarctique, de
la baleine bleue de l’Antarctique et du rorqual commun.
30. Les techniques utilisées pour estimer ces populations s’appuient généralement sur des
observations non létales bien structurées, qui dénombrent les individus évoluant dans une partie de
la zone dans laquelle elles sont censées vivre. Si elles sont simples sur le plan conceptuel, ces
méthodes et analyses (également appelées échantillonnage à distance) n’en restent pas moins
complexes dans la mesure où toutes les baleines évoluant dans l’ensemble de la zone ne seront pas
nécessairement observées. La probabilité d’observer une baleine varie selon la distance, les
conditions d’observation, le type d’habitat, la taille du groupe, le comportement et la taille de
l’animal. En outre, les baleines ne sont pas toujours visibles en raison du temps qu’elles passent
sous la surface et sont connues pour évoluer de manière irrégulière et imprévisible dans leur
habitats.
31. Pendant trois décennies, le comité scientifique a mené des études en Antarctique depuis
un navire de recherche, son objectif premier étant d’estimer l’abondance des petits rorquals de
l’Antarctique. Ces études (qui s’inscrivaient au départ dans le cadre du programme de la décennie
internationale de la recherche sur les cétacés (IDCR), puis du programme de recherche sur les
baleines et l’écosystème de l’océan Austral (SOWER)) constituent un modèle de recherche
puissant et efficace placé sous la direction de la CBI. Le Gouvernement japonais fournissait les
navires (généralement deux navires de recherche par an) tandis que la Russie a mis à disposition un
navire pendant les six premières années. Un comité directeur du comité scientifique, composé
d’experts compétents, a conçu les études, qui ont été conduites par un panel de scientifiques
internationaux. Les membres de ce comité directeur ont analysé les résultats, plusieurs groupes
développant leurs propres méthodes. Ces études étaient placées sous le contrôle du comité
scientifique et étaient totalement indépendantes, et structurellement différentes, des études menées
par le Japon dans le cadre de JARPA et JARPA II. Des scientifiques de nombreux pays, notamment
d’Australie, ont participé à ce comité directeur et aux analyses susmentionnées. Chaque année, les
analyses issues de ces études étaient présentées et discutées.
45 32. Ce processus a conduit à un consensus selon lequel la première série d’études (entre
1978 et 1984, appelée circumpolaire 1, ou CPI) était conçue de manière incorrecte de sorte que les
analyses des résultats ne pouvaient corriger d’importants effets qui faussaient les estimations
d’abondance. Les deuxième et troisième séries d’études réalisées entre 1985 et 1991 (CPII), puis - 38 -
entre 1991 et 2004 (CPIII) étaient mieux conçues et les méthodes d’analyse ont été améliorées au
fur et à mesure. Néanmoins, la question du mode d’analyse le plus adapté restait entière.
33. Récemment, de nouvelles analyses des estimations d’abondance ont été menées par un
groupe mandaté par le Japon et un autre par l’Australie et le Royaume-Uni. Chaque groupe a
développé ses propres modèles statistiques, vérifié leur efficacité sur des ensembles simulés de
données identiques mis au point par le comité scientifique, avant de les appliquer aux données
issues des études. Les différences de résultats ont été examinées et largement débattues et, en
2012, les meilleurs éléments de chaque modèle ont été fusionnés, donnant lieu à un consensus sur
les estimations d’abondance des petits rorquals de l’Antarctique, à deux périodes différentes de la
série d’études (CPII :1985-1991 et CPIII :1991-2004). Pour parvenir à ces estimations
d’abondance consensuelles, les scientifiques ont dirigé les opérations internationales
d’échantillonnage à distance, notamment par l’application de statistiques spatiales. Les outils mis
au point pour dénombrer les petits rorquals de l’Antarctique seront progressivement appliqués à
d’autres espèces pour qui se posent des problèmes scientifiques similaires.
34. Alors que les estimations ponctuelles (c’est-à-dire le milieu de la fourchette
statistiquement plausible de chaque estimation) des deux études circumpolaires semblent très
différentes (515 000 pour CPIII et 720 000 pour CPII), il n’existe en réalité aucune différence
statistique significative entre les deux estimations. Cela s’explique par le fait que les fourchettes
statistiquement plausibles de chaque estimation se chevauchent dans une large mesure (361 000 à
733 000 pour CPIII et 512 000 à 1 012 000 pour CPII). Autrement dit, il est statistiquement
plausible qu’il n’y ait aucune différence entre les deux estimations. Néanmoins, la différence entre
les deux estimations n’est pas loin d’être statistiquement significative et le comité scientifique
étudie les explications plausibles, y compris celle d’une absence totale de différence. D’autres
explications sont possibles, notamment un déclin réel de l’abondance générale, un recul de
l’abondance dans la zone soumise à l’étude dû à une modification de la répartition des petits
rorquals entre les études (autrement dit, les baleines se seraient déplacées entre les études, vers
des zones externes à l’étude, par exemple vers la banquise), ou des problèmes techniques liés aux
méthodes retenues par l’étude qui ont conduit à conclure, à tort, à l’existence de différences.
35. Le comité scientifique s’est d’ores et déjà appuyé sur un large éventail de données
potentiellement utiles pour alimenter cette étude, notamment la télémétrie par satellite de la glace,
les données disponibles sur les déplacements du petit rorqual autour de la banquise, les tendances
d’abondance d’autres prédateurs du krill et les modifications connues de l’environnement de
l’Antarctique. Il a récemment été suggéré que les données de capture par âge issues de JARPA et
JARPA II pourraient contribuer à ce travail. Nonobstant le fait qu’une telle possibilité ne saurait,
par définition, être vérifiée tant qu’une évaluation en bonne et due forme n’aura pas été effectuée, il
semble probable que les principaux problèmes qui ont faussé l’interprétation de ces données au
cours des deux dernières décennies limiteront leur utilité sur cette question et que d’autres
ensembles de données, plus fiables constitueront une meilleure source d’informations.
36. Les études IDCR/SOWER sont de parfaits exemples de la manière dont le comité
scientifique peut planifier, coordonner et mettre en œuvre les efforts de recherche qui répondent
aux questions scientifiques prioritaires que se pose la CBI. Ces études ont été achevées en 2010. - 39 -
Conclusion
37. Les exemples susmentionnés démontrent la capacité du comité scientifique de la CBI à
traiter de questions scientifiques complexes et à les résoudre à l’aide de processus scientifiques
46 normaux. L’approche adoptée par le comité scientifique s’est avérée fiable, malgré le débat
conflictuel sur la chasse à la baleine, et a conduit à la formulation d’avis scientifiques de qualité à
l’intention de la commission.
Référence citée dans l’annexe 2
Jorde, P.E., Schweder, T., Bickham, J.W., Givens, G.H., Suydam, R., Hunter, D., Stenseth,
N.C., 2007. «Detecting genetic structure in migrating bowhead whales off the coast of Barrow,
Alaska». Molecular Ecology 16, 1993-2004.
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Exposé de M. Nick Gales (expert nommé par l'Australie)