Résumés des arrêts, avis coDocument non officielnces de la Cour
internationale de Justice
LICÉITÉDEEUTILISATIONDESARMESNUCEÉAIIQES
Avisconsultatifdu8juillet1996
La Cour a donné son avis consultatifisurla requête "E. Par sept voixcontre sept,par la voixprépon-
présentéepar l'Assembléegéneraledes Nations Unies déimtedu Président,
dans l'affaire concernant la licéide l'iitilisationdes
armes nucléaires.Le paragraphefinalde l'avisest ainsi "Il ressort des exigences susmentionnéesque
libellé la menace ou l'emploid'armes nucléaires serait
généralemenctontraire aux règles dudroit inter-
"Par ces motifs, nationalapplicabledanslesconflitsarmés,etspé-
'%A COUR, cialementaux principeset règlesdu droit huma-
nitaire;
"1) Par treize voixcontre une, "Au vu de l'état actuel du droit international,
"Décidede donner suite àla demancied'aviscon- ainsiquedes élémentd sefaitdontelledispose,la
sultatif; Cour ne peut cependant conclure de façon défi-
nitive que la menace ou l'emploi d'armes nu-
"POUR: M. Bedjaoui, président; PA.Schwebel, cléaires serait liciteou illicitedans unecoiis-
vice-président; MM. Guillaume, Slnahabuddeen, tance extrêmede légitimedéfensedans laquelle
Weeramantry,Ranjeva,Herczegh,Shi,Fleischhauer, la survieinême d'unEtat seraiten cause;
Koroma,Vereshchetin,Ferrari Bravo, lume Higgins,
juges; "'POUR : M. Bedjaoui, président; MM. Ranjeva,
"CONTRE :M.Oda,juge. Herczegh, Shi, Fleischhauer, Vereslichetin, Ferritri
Bravo,juges;
'2) Répondde la manière suivanteà la question "CONTRE :M.Schwebel,vice-présidentM , M.Oda,
poséepar l'Assembléegénérale : Guillaume, Shahabuddeen, Weeramanû-y,Koroma,
"A. A l'unanimité, MnneHiggins,juges.
"Ni le droit international coutumier ni le droit
international conventionnel n'autorisent spéci- 'F. Al'unanimité,
fiquement la menace ou l'emploi d'armes nu- "Il existe une obligationde poursuivre de bonne
cléaires; foiet de mener àterme des négociationscondui-
sant audésmement nucléairedans tous ses as-
"B. Par onze voixcontre trois, pets, sous un contrôle international strict et ef-
"Ni le droit international coutumier ni le droit ficace."
internationalconventionnelne conlportent d'in-
terdiction complèteet universellede la menace * * *
ou de l'emploides armes nu clé ai en tant que
telles;
La Cour était composée comme suit : M. Bedjaoui,
"Pour : M. Bedjaoui,président;M. &:hwebel,vice- président; M. Schwebel, vice-président;MM. Oda,
président,MM. O&, Guillaume,Ranjeva,Herczegh, Guillaume, Siiahabuddeen, Weeramantry, Ranjeva,
Shi, Fleischheuer, Ver~hchetin, Fe:- Bravo, Herc~qh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin,
MmeHiggins,juges; Ferrari Bravo, Mme Higgins,juges; M. Valencia-Os-
"CONTRE : MM. Shahabuddeen, Weeramantry, pina,grefler
Koroma,juges. M. Bedjaoui,président,MM.Herczegh,Shi,Veresh-
chetirietFerrari Bravo,juges, ontjoint des déclarations
"C. A l'unanimité, àl'avisconsultatifdelaCour.MM.Guillaume,Ranjeva
''Estillicitela menaceou l'emploide la force au etFltischhauer ont joint à l'avis les exposésde leur
moyen d'armes nucléairesqui serautcontraire B opinion individuelle; M. Schwebel, vice-président,
l'Article 2, paragraphe 4, de la Charte des Na- MM. O&, Shahabuddeen, Weeramanuy, Kororna et
tions Unies et qui ne satisferait pasutes les MmeHigginsj,uges ontjoint àl'avis lesexposésdeleur
prescriptions de son Article;1 opiniondissidente.
Présentation de la requêteet suite de la procédure
"D. A l'unanimité,
"La menace ou l'emploid'armes riucléaiiesde- (par. l9)
vrait aussi êtrecompatibleaveclesexigencesdu La Cour rappelled'abord que,par une lettre en date
droitinternationalapplicabledanslesconflitsar- du 19décembre1994,enregistréeau Greffele 6janvier
més,spécialementcellesdes principes et règles 1995,le Secrétairegénéral de l'organisation des Na-
du droit internationalhumanitaire,ainsiqu'avec tions Unies a officiellementcommuniquéau Greffierla
les obligationsparticulières en vertudes traités décisionprise par l'Assembléegénérale de soumettre
et autres engagementsquiontexpressémenttrait cettequestionàlaCourpouravisconsultatif.Ledernier
aux armes nucléaires; paragraphede la résolution49/75 K, adoptéepar l'As-
110question,disposeque l'Assemblée9générale:rioncela soncaractèrede "questionjuridique9et à"enlever àla . .
par sonStatut".En outre,la Courconsidèreque la na-
"Décide ,onfonnkmentau paragrapht:1de 1'Arti- turepolitiquedesmobilesquiauraientinspirélarequête
cle96delaChartedes Nations Unies,deden~ander à et les implicationspolitiquesque pourrait avoir l'avis
la Cour internationalede Justice de rendre dans les donnésontsanspertinenceau regarddel'établissement
meilleursdélaisunavisconsultatifsurlaquestionsui- de sacompétencepourdonneruntel avis.
vante :"Est-il permisen droitinternatiorialderecou-
toutecirconstance ?"l'emploid'armesnucléairesen Pouvoir discrétionnairdee la Courde donnerunavis
consultatifpar.14à 19)
La Courrécapituleensuitelesdifférentesétapesdela Leparagraphe1del'article65duStatutdispose :"La
procédure. Cour peiidonnerunavisconsultatif. .."(C'estlaCour
Compétencede la Cour (par.10à 18) quisouligne.)Ilnes'agit paslàseulementd'unedisposi-
La Courexamineenpremierlieulaquestionclesavoir tionprésentantle caractèred'unehabilitation.Comme
si elle a compétencepour donner une réponse à lade- la Cour l'a soulignéà maintesreprises, son Statut lui
mande d'avis consultatif dont l'a saisie1'Assemblée laisse aussi le pouvoir discrétionnaee décider sielle
généraleet,dans l'affirraative,s'ilexisteraitdesraisonsoit ou non donner l'avis consultatif quilui aé de
pour ellederefuserd'exercerunetellecorripétt:nce. mandé, unefois qu'ellea établisa compétencepour ce
La Cour relèvequ'elyletiresa compétencepour don- faire.Dms cecontexte,laCoura déjà eul'occasionde
ner des avisconsultatifsdu paragraphe1de l'article65 notercequisuit :
de son Statut et que la.Charte des Natioiis Unies, au "L'avisest donnéparla Cournonaux Etats, mais
paragraphe1desonAndcle96,dispose : à l'Organehabilité pourle lui demander;la réponse
constitueuneparticipationdelaCour,ellemême'or-
peut dcmanderegàlaCiourinternationaletieJiisticeun ganedesNations Unies', à l'actionde l'organisation
avisconsultatifsurtoute questionjuriditlue." et,enprincipe,ellenedevraitpasêtrerefusée."(Inter-
prétationdes traitésdepaixconclusaveclaBulgarie,
CertainsEtats qui se sont opposésà ce que la Cour laHongrieet laRoumanie,première phase,avis con-
rende un avis en l'es+& ont soutenuque1'As;semblée sultatg C.I.J.Recueil1950,p.71 ;...)
d'avisconsultatifsurunequestionjuidiquc:quesicelle-
ci seposedansle cadrede leur activité.Del'avisde la Dans l'histoire de la présenteCour, aucun refus,
Cour, peu importe que cette interprétationtlu para- fondésuriepouvoirdiscrétionnaire delaCour,dedon-
graphe 1 de l'article6 soit ou non correcte; en l'es- ner suiteàunedemanded'avisconsultatif n'aété enre-
pEce,l'Assemblée généra aleompétence en toutétatde ames nucléairesffpar unEtat dans unconflit anné,olees
causepoursaisirlaCour.Seréférantaux Artic1.e10,ll refus de donner à l'Organisationmondialede la santé
et 13de la Charte,laCsur constateque la question qui l'avis consultatif sollicité par eété justifiépar le
luiest poséeest pertinenteau regardde maintsaspects défautdecompétence de laCouren l'espèce.
desactivitésetpréocculpationdsel'Assernt,léie:6nérale,
notammentencequiconcernelamenaceoul'emploide Plusieursmotifs ont étéinvoquésen l'espèce pour
la force dans les relationsinternationales,le processuconvaincrela Cour qu'elledevrait,dans l'exercicede
dedésarmementetled6veloppementprogressifdudroit sonpouvoirdiscrétionnairer,efuserdedonnerl'avisde-
international. mandé ~arl'Assemblée ~6néraleC.ertainsEtats.ensou-
"Questionjuridique" (par.13) tenant que la question;osée à la Cour seraitfloue et
La Cour rappellequ''ellea déjheu occasion d'indi- abstraite,ontsembléentendrequ'iln'existaitaucun dif-
querquelesquestions de révoncireàocet argument. ilconvient d'opérerune
distilktion entre les conditionsqui régissentlap&-
''libelléesntermesjuridiqueset soul[evant]despro- dure contentieuse et celles qui s'appliquentaux avis
mêmessd,usceptibles,derevoir..une réponsefond&ure consultatifs.Lafinalitdelafonctionconsultativen'est
endroit. ..[et]ontenprincipeuncaractirejllridique" pas de régler- du moins pasdirectement- des diffé-
(Sahara occidental, avis consultatif, CXJ. Recueil rends entre Etats, maisde donnerdes conseilsd'ordre
1975,p. 18,par. 15). juridique aux organeset institutionsqui en font la de-
mande.Lefaitquelaquestion posée à laCourn'aitpas
lui a poséeconstitue effectivementune cluestionjuri- traitàundifférend ne par suiteamenerla
dique,car laCsur estpriéedeseprononcersurlepoint cou rrefuserde donner sollicité. ' ~ ~ ~rgu-~
de savoir si la menace ou l'emploid'armesnucléaires mentsconceniaient la craintque le caractèreabstrait
est compatibleaveclesprincipesetdg1es:pertinentsdu de laquestionne conduirelacour à seprononcer
droit international.Pour ce faire,la Cour doitdétermi-surda hypothèsesou àentrerdansdesconjecturessor-
ner lesprincipesetrèglesexistants,lesintc:rprdteretlestant ducadre de safonctionjudiciair: lefaitquerAs-
appliquerà lamenace ou à l'emploid'mn nucléaires, semblée générelle sollicifaitravis consulwif; qu'une
apportant ainsiàla question poséeuneré]?onsefondée dponse delaCourenl,espèce êtrepréju&cia-
en droit. bleaux négcciationssurledésarmemene tsemit,encon-
Le faitque cette questionrevête parai:lleursdes as- séquencec ,ontraire l'intérêdte l'Organisationdes Na-
pectspolitiques,c0mm.ec'est, parlanaturedeschoses, tions Unies;et qu'enrépondant à la questionposéela
lecasde bon nombredequestionsqui vierinent àsepo- Cour dépasseraitsa fonction judiciairepour s'arroger
serdans la vieinternati.ona, e suffitpaàlapriverde unefonctionlégislative.
1.11 La Cour ne retient pas ces arguments et elle conclut Caractéristiquespropres auxames nucléaires(par.-35
qu'elle a compétencepour donner un avis sur la ques- et 36)
tion qui luia étposéepar l'Assemblée g6:néralet qu'il La Cour relèveque,pour appliquer correctement,en
n'existe aiicune "raison décisive"pour qu'elle use de l'espke, le droit de la Charte concernant l'emploi de
son pouvoir discrétionnairede ne pas doinnercet avis. la force, ainsi que le droit applicable dans les conflits
'Foiitefois,elle fait remarquer qu'un tout autre point estarméc;e,t notamment le droit humanitaire, il est impé-
celuide savoir silaCour,compte tenu des exigencesqui ratif que la Cour tienne compte des caractéristiques
pèsentsur elle en tant qu'organejudiciairt:, sera en me- uniques de l'armenucléaire,et en particulier desa puis-
sure de donner une réponsecomplèteàla.question qui sance destructrice, de sa capacitéd'infliger des souf-
lui a étposée,ce qui,en toutétatdecause:,est différent frances indiciblesàl'homme,ainsi que de son pouvoir
d'un refus de répondre. de caliser des dommagesaux générations à venir.
Formulationde laquestionposée(par. 20et 22)
Disp~vitionsde la Chartequiont trait à lamenaceouà
La Cour n'estime pas nécessaire de :seprononcer l'ertaploillaforce (par. 37à 50)
sur les divergencespossibles entre versions française et La Cour examine ensuite la question de la licéité
anglaise de la question posée.Celle-ci l'a6téavec un ou de l'illicéid'un recours aux armes nucléairesà la
objectif clai:déterminerce qu'ilen est de la licéitou lurniè-redes dispositions de la Charte qui ont traàtla
de l'illicéitde la menace ou de l'emploi d'armes nu- menace ou àl'emploide la force.
cl6aires. Dès lors, la Cour constate que iii l'argument L'lirticle 2,paragraphe 4,de laCharte,interdit lame-
visant les conclusionsjuridiques à tirer dl: remploi du nace oul'emploidelaforcecontre l'intégrité territoriale
mot "permis" nilesquestions de chargede lapreuvequi ou l'iindépendancepolitique de tout Etat, ou de toute
en d6coulerait ne présententd'impomnclr particulière autre manière incompatibb avec les buts des Nations
aux fins de trancher les problèmes dont la Cour est Unies.
saisie.
L'interdiction de l'emploide laforce est àexaminerà
Le droitapplicable(par. 23à34) la lumièred'autres dispositions pertinentes delaCharte.
En son Article 51, celle-ci reconnaît le droit naturel
Pourrépondre à la question que lui pots& l'Assem- de légitimedéfense, individuelleou collective, en cas
bléegénéraiel,aCourdoit déterminer,apri!sexamen du d'a~:ssion armée.Un autre recours licite à la force est
langeensemble denormes dedroit internztionalqui s'of- envisagéàl'Article 42,selon lequel le Conseil de sécu-
freàelle,quel pourrait êtreledroit pertinent applicable. ritépt:ut prendre des mesures coercitives d'ordre mili-
tairec:onformémena tu Chapitre VI1de la Charte.
La Cour considèrequec'est uniqueme~itau regarddu Ces dispositions ne mentionnent pas d'armes parti-
droit applicabledans lesconflits m6s9 et non auregard culièms.Elle s'appliquent à n'importe quel emploi de
du Pacte international datif aux droits civils et po- la force, indépendamment des armes employées.La
litiques, quel'on pourra dire,commel'ont alléguéplu- Charte n'interditni ne permet expressément l'emploi
sieurs tenants de l'illicéitéde l'emploi d'armes nu- d'auciine arme particulière, qu'il s'agisseou non de
cléaires,si tel cas deécèsprovr~qiaé par l'emploid'un l'armen:ucléaire.
certain type d'mes aucours d'unconflit anniédoitêtre
considéré,comme une privation arbitraire tlela viecon- Le &oit de recourirà la légitimedéfense conformé-
traireà l'article 6 du Pacte. La Cour relève aussi que ment hl'Article 51est soumisaux conditions de néces-
I'interàicciondu génocideserait une ri?glepertinente en sitéet de proportionnalité.Ainsi que la Cour l'adéclaré
l'occurrence s'il étaitétablique le recours aux armes dans l'affaire desActivitis militaireset paramilitaires
nucléairescomporte effectivement l'é!émeid ~tintentio- au Nicaragua et contre celui-ci(Nicaraguac. Etats-
nalité, dirigcontre un groupe comme tel, que requiert Unisd'Amérique[ )C.Z.J. ecueil1986,p. 94,par. 1761i,l
l'article 11de la Convention pour la préventionet la ré- existe une "règle spécifique. ..bien établie en droit
pression du crime de génocide. Or, del'avisde la Cour, international coutumier" selon laquelle "la légitimedé-
il ne serait possible de parvenir à une telle conclusion fense nejustifierait que des mesures proportionnées à
qu'après avoirpris àQmenten considératioin lescircons- l'agression arméesubieet nécessaires poury riposter".
tancespropres àchaque cas d'espèce.La Clourconstate Le principe de proportionnaliténe peut pas, par lui-
aussi que, si le droit international existanitrelatif à lamême,exclure le recoursaux armes nucléairesen légi-
protection et àla sauvegarde de l'environnement n'in- time défenseen toutes circonstances. Mais en même
terditpas spécifiquemeritl'emploid'armes'nucléairesi,l temps,,un emploi de la force qui serait proportionné
met en avantd'importantesconsidérations d'ordre éco- confoimémentau droit de la légitimedéfensedoit,pour
logique qui doivent êtredûment prises en compte dans êtrelicite, satisfaireaux exigences du droit applicable
Pecadrede la mise en Œuvredes principes et règlesdu dans les conflitsarmés,donten particulier les principes
droit applicable daris les conflits armés.
et règlesdu droit humanitaire. La Cour relève que la
A la lumieredece quiprécède,la Cour c~mclutquele nature mêmede toute ame nucléaireet les risques gra-
droit applicableàlaquestion dont ellea étésaisiequiest ves qtii lui sont associéssont des considérations sup-
le plus directement pertinent est le droit relatif à l'em-plémeiitairesque doivent garder àl'esprit lesEtats qui
ploi de la force, tel que consacrépar la ChartedesNa- croient pouvoir exercer une riposte nuclthire en légi-
tions Unies, et le droit applicable dans les conflits ar- time défenseen respectant les exigences de la propor-
més,qui régitla conduite des hostilités, ainsique tous tionali.té.
trait& concernant spécifiquementl'arme n.ucléaire que En vue de diminuerou d'éliminerlesrisques d'agres-
la Cour pourrait considérerwmmepertine:nts. sion illicite, les Etats font parfois savoir qu'ils détien-nent certainesarmesdestinées àêtreemployéesenlégi-
time défensecontre tointEtat qui violerait leur.intégrité traiter spécifiquementde la menace ou de l'emploi de
ces armes, témoignentmanifestement des préoccupa-
temtoriale ou leur indé:pendancepolitique.La question tions queces armes inspirent de plus en plus à la com-
de savoir si une intention affichéederecourir 2la force, munautéinternationale; elle en conclut que ces traités
dans le cas où certains événementsse produiraient, pourraient en conséquenceêtreperçus comme annon-
constitue ou non une "menace" au sens d!el'Article 2, çant unefuture interdiction généraledel'utilisationdes-
paragraphe 4, de la Charte est tributaire cledivers fx- dites armes,mais necomportent pas en eux-mêmes une
teurs. Les notions de "rnenace"et &"emploi"delaforce telleinterdiction.Pourcequiest desTraitésdeTlatelolco
au sens del'Article 2, paragraphe4,delaCharte vont de et de Rarotongaet leursProtocoles, ainsi quedes décla-
pair, en ce sens que si, dans un cas doilné,l'emploi rationsfaites dans lecontexte delaprorogation illimitée
mêmede la force est illicit- pour quelque saison que du Traitésur la non-proliférationdes armes nucléaires,
ce soit- la menace d'y recourir le sera egalement.En ilressort de ces instruments:
bref, un Etat ne peut, Olemanièrelicite, se déclarerprêt a) Qu'un certain nombre d'Etats se sont engagés
àemployer la force que si cet emploi est c:onformeaux à ne pas employer d'armes nucléairesdans certaines
dispositions de laCharte. Du reste, aucun Eta.t- qu'il zones (Amériquelatine, Pacifique Sud) ou contre cer-
ait défenduou non lapolitiquede dissuasicln-- n'a sou- tains autres Etats (Etats non dotés d'armesnucléaires
tenu devant la Cour qu'il serait licitedeenacer d'em- parties ail Traitésur la non-proliférationdes armes nu-
ployer la force au cas .oùl'emploi de la force envisagé cléaires);
serait illicite.
Règles qui régissentla licéitt!OU l'illicéid,,Sarmes b) Que toutefois, mêmedans ce cadre, les Etats
nucléairesen tant qoretelles (par.49à73) dotésd'armes nucléairesse sont réservéle droit de re-
courir à ces armes danscertainescirconstances; et
La Cour, après avoir examinéles dispositions de la
Charte relativesà la me:riaceou àl'emploitlelaforce, se C) Que ces réserves n'ontsuscie aucune objection
penche ensuitesur ledroit applicabledans lessituations de la part desparties aux TraitédeTlatelolco ou de Ra-
de conflit armé . lle traite d'abord de la.question de rotonga, ou de lapart du Conseil de sécurité.
savoir s'ilexiste en droit international des règliesspéci- La Cour passe ensuite à l'examen du droit interna-
fiques quirégissentla1i.céitéu l'illicéidiirecours aux tional coutumier à l'effet d'établirsi on peut tirer de
armes nuclkaires en taiit que telles; elle passe ensuite àcette sourcededroit uneinterdiction delamenaceou de
l'examen de la questio~nqui lui a étéposée à 1ilumière l'emploides armesnucléairesen tant que telles.
du &oit applicable dans les conflits armésproprement
dit,c'est-à-dire des priiicipes et règlesdu droit humani- Elle constate que les menibres de la communauté
tair applicable dans lesdits conflits ainsi que du droit internationale sont profondémentdiviséssur lepoint de
dela neutralité. savoir si le non-recours aux armes nucléaires pendant
La Cour rappelle à titre liminaire qu'il n'existe au- les cinquante dernières annéesconstitue l'expressioii
cune prescription spécifiquede droit internationalcou- d'une opiniojuris. Dans ces conditions, la Cour n'es-
tumier ou conventionnel qui autoriserait ].amenace ou time pas pouvoir conclure à l'existence d'une telle opi-
l'emploi d'armes nuclkaires ou de quelqui: autre arme, niojuris.
en général oudans certaines circonstances, en'particu-
lier lorsqu'il y a exercicejustifiéde lagitimedéfense. Elle observe que l'adoption chaque annéepar l'As-
Il n'existe cependant pas davantage de pilincipeou de semblée générale, à une large majorité,de résolutions
règle de droit international qui feraitdélxndired'une rappelant le contenu de la résolution 1653 (XVI) et
autorisation particu1ièi:ela licéitkde la menace ou de priant les Etats Membres de conclure une convention
l'emploi d'mes nucl4kires ou de tout autre ,arme.La interdisant l'emploi d'armes nucléaires en toute cir-
pratique des Etats moiitre que l'illicéide l'emploide constance est révélatricedu désird'une trèsgrandepar-
certaines mes en tant que telles ne résultepas d'une tiedelacommunautéinternationale defranchir, par une
absence d'autorisation, mais se trouve au (contrairefor- interdictionspécifiqueet expressede l'emploidel'arme
mulée en termes de prc~hibition. nucléaire, uneétapesignificativesur le chemin menant
au désarmement nucléaire complet. L'apparition, en
Il n'apparaît pasà la Cour que l'emploi.d'armes nu- tant que lex lata, d'une règle coutu.mièreprohibant
cléaires puisse être regardé comme spkifiiquement spécifiquement l'emploides mes nucléairesen tant
interdit sur la base de certaines dispoisitions de la que telles se heurte aux tensions qui subsistent entre,
deuxième Déclarationde 1899,du règlementannexéà d'une part,.une opiniojuris naissante et, d'autre part,
la Convention IV de 1907ou duProtocolede Cenèvede une adhésionencoreforte àla pratique de la dissuasion
1925.La tendancea été jusqu'à présent,en ce qui con- (dansle cadre de laquelle est réservéle droit d'utiliser
cerne les armes de destruction massive, de les déclarer ces armes dans l'exercice du droit de légitimedéfense
illicitesgrâceàl'adoption d'instruments s~iécifiques.a contre une agression arméemettant en danger les inté-
Cour ne trouvepas d'iiiterdiction spkifiqiie di1recours rêtsvitaux de 1'Etaten matièrede sécuiité).
aux armes nucléaires ciansles traitésqui prohibent ex- Ledroit internationalhumanitaire(par. 74 à 87)
pressémentl'emploi de certaines armes de destruction
massive; et elle relève qu'au cours des deux dernières La Cour n'ayant pas trouvéde règleconventionnelle
décenniesde nombreuses négociations orit ét6menées de portéegénéralen , i de règlecoutumière interdisant
au sujetdes armes niicléaires:dles n'ontpis at~outiàun spécifiquement la menaceou l'emploi des armes nu-
traitd d'interdiction généraldu même type quepour les cléairesen tant quetelles, abordeensuite la question de
armes bactériologiqueset chimiques. savoir si le recours aux armes nucléairesdoit êtrecon-
La Cour note que 11:straitésqui portent exclusive- sidérécommeilliciteau regarddes principes et règlesdu
ment sur l'acquisition, la fabrication, laiossession,le droit internationalhumanitaireapplicable dans les con-
déploiementet la miseil l'essaid'mes nucléaires,sans flits armés,ainsiquedu droit de la neutralité.
1.1 Aprèsavoir esquissé l'historique du d8éveioppement Le principe de neutralitébar. 88et-89)
de l'ensemblede règlesappelées àI'originie''laiset cou-
tumes de la guerre" et désignées aujourcl'huipar I'ex- La Courestimeque, commedans lecasdes principes
pression "droit international humanitaire", la Cour du droit hirinanitaireapplicable dans les conflits armés,
constate que les principes cardinauxcontenus dans les ledri~itintemationai ne laisse aucun doutequant au fait
textes formant le tissus du droit humanitaire sont les que le principe deneiliralit- quel qu'en soit le con-
suivants. Le premier principe est deseinéi protégerla tenu .--qui a un caractèrefondamental analogie àcelui
population civile et les biens deractkre civilet etablit des principes etr&gieshumanitaires, s'applique (sous
la distinction entre combattants et non-combattants; les reserve des dispositions pertinentes de la Charte des
Etats nedoivent jamais prendre pour cib1,edes civils,ni Nations Unies) àtous lesconflitsarmésinternationaux,
en conséauenceutiliser des armes aiaisoiit dans l'inca- quel que soit letype d'me utilisé.
pacitédeAdistinguerentre cibles ciiiles ou cibles miii- Conséquencesqu'il y a lieu de tirer de l'applicabilité
taires. Selonle second principe,ilnefaut pas causerdes du droit inbmational et du principe de neutralité
maux superflus aux combattants : il est donc interdit (par.90 à 97)
d'utiliser deses leurcausantde tels maux ou aggra-
vant inutilement leurs souffrances; en application dece La Cour relève que, si I'applicabilit6aux armes nu-
second principe, les Etats n'ont pas un choix illimité c1éaii:esdes principes et règles du droit humanitaire
quantaux mes qu'ils emploient. ainsiquedu principedeneutralitén'est guèrecontestée,
les conséquencesqu'il y a lieu de tirer de cette applica-
La Cour cite égalementlaclausede Mar-tens,énoncée bilitésont en revanche controversées.
poix la premièrefois dans la Convention :[de La Haye
de 1899concernantles loiset coutumes dl:laguerre sur Selonun point devue,lefaitque lerecours aux mes
terre et qui s'est révélée treun moyen efficace pour nucléairessoit régipar le droit des conflits armésne
faireface àl'évolution rapidedes techniques inilitaires. signifiepas nécessairementqu'ilsoitinterdit en tant que
Une version contemporaine de laditeclause se trouve à tel. Selon unautre point de vue, le recours aux armes
l'article premier, paragraphe2,du Protocole addition- nuclkaires ne pourrait en aucun cas être compatible
nel I de 1977,qui se litcomme suit : avec les principes et règlesdu droit humanitaire et est
doncinterdit. Une o~inionanalorniea étéex~riméeDour
"Da~isles cas non prévus parle présent Protocole ce qui est des effetidu principlde neutratte. Il a ksi
ou par d'autres accords internat ion aules person- étésoutenu par certains que ce princige, comme les
nes civiles et les combattants restent sous la sauve- principes et règles du hit humanitaire, prohiberait
gardeet sous l'empiredes principes du thit desgens, l'emploi d'une arme dont les effets nepoumierit être
tels qu'ils résultent desusages établis,des principes limitdisen toute certitude aux territoires des Etats en
de l'humanie et des exigences de 1aconscience pu- confl:it.
blique." La Cour relève que, eu égardaux caractéristiques
La large codification du droit humanitaire et l'éten- uniques des armes nucléairesaiixquelles la Cour s'est
duede l'adhésion auxtraitésquienont résiiltéa,insique référkci-dessus, l'utilisation de ces armes n'apparaîî
effec1:ivementguèreconciliableavec le respect des exi-
le fait que les clauses de dénonciationccintenues dans gericasdu droit applicabledans lesconflitsarmésNéan-
les instruments de codification n'ont jarnais 6t6 utili- moins, laCour consid5requ'ellene disposepas des é16
sées,ont permis à.la communautéinkrna1:ionalede dis- ments suffisants pour pouvoir conclure avec certitude
poser d'un corps de ~P,gleconventionnelles qui étaient que 1"emploid'armes nucléairesserait nécessairement
déjà devenues coumnaièresdans leur gmrmdemajorité contraireauxprincipes et r&glesdu droit applicabledans
et qui correspondaient aux principes humanitaires les les conflits armésen toute circonstance. La Cour ne
plus universellementreconnus. Ces règlesindiquent ce saurait au demeurant perdre devuele droitfondamental
que sont les conduites et comportements nomalement qu'a tout Etat à la survie, et donc le droit qu'il a de
attendusdesEtats. recourir Bla légitimedéfense, conformément à 1'M-
Passant à la question de l'applicabilith des princi- cle 51 de la Charte, lorsque cette survie est en cause.
pes etrkglesdu droit humanitaireà lamenaceou Zl'em- Elle lie peut davantage ignorer la pratique dénommée
ploi éventuelsd'armes n.ucléairesl,a Cour note que les "politiquede dissuasion"à laqiielleune partie apprécia-
armes nucléairesontétéinventéesaprbs l'apparitionde ble de la communautb internationalea adhérépendant
la vluvart des princims et règles dudroit humanitaire des années.
apbliiable dani les conflits &s, les conférencesde
1949et de 1974-19?7n'ont pas traité de ces mes, et En conséquence,au vu de l'étatactuel du droitinter-
celles-cisont différentesdesmes classiquestant sur le nationalpris dans son ensemble,tel qu'elle l'aexaminé,
plan qualitatif que sur le plan quantitatif. On ne peut ainsi que des élémentsde fait àsa disposition, la Cour
cependant en conclure que lesprincipes et règlesétablis est amenée à constater qu'elle ne saurait conclure de
du droit humanitsbireapplicable dans les conflits armés façon définitiveà la lic6it6 ouà l'illicéide l'emploi
nes'appliquent pas aux armesnucléaires. lUnetellecon- d'mies nucléairespûrun Etat dans une circonstance
clusion méconnaîtraitla nature intrinsèqu.ementhuma- extrêmede légitimedéfensedans laquelle sa survie
nitaire des principes juridiques en jeu, qui imprègnent mêmeserait en cause.
tout le droit des conflitsméset s'applialuent Btoutes
lesformesdeguerreet atoutes lesamies,ccllesdupassé, Obligation de négocier le ddsarmement nucldaire
commecelles du présentet de l'avenir.11est significatif (par.98B 103)
h cet égardque la thèseselonlaquelleles règlesdudroit Coinpte tenu des questions éminemmentdifficiles
humanitairene s'appliqueraient pas aux armes nouvel- que sc~ulèvle'applicational'arme nucléairedu droit re
les, en raison mêmede leur nouveauté,n'.aitpas 6t6in- latifàl'emploide la force, et surtout du droit applicable
voquéeen l'esMe. dans ]:esconflits més, la Cour estimedevoirexaminerun autre aspect de la question posée,dan:;un contexte clivage géographique,il explique les raisons qui l'ont , .
plus large. amenéàadhérerau prononcéde la Cour.
A terme, le droit intt:rnational, et avec 1.uila stabilitA cet effet, il souligne en premier lieu le caractère
del'ordrz international.qu'ila pour vocation ci(:régir,nearticulièrement exigeant du droit humanitaire et la
peuvent que so~ffrirdes divergencesde vuesquisubsis- vocation de ceirii-ci à s'appliquer en toutes circons-
tent aujourd'hui quant:au statut juridique d'imeamie tances. De rnanikre plus spécifique,il conclutl'arme
aussi meurtrière que l'me nucléaire.Il s'avère par nucléairea,rme aveugle,désrabilisedoncpar naturele
conséquentimportant (derriettrefinA cetétatilechose : droithumanitaire, droitdudiscernement dans l'utilisa-
le désmement nuclkaire complet promis d!elongue tiondes armes.L'arme nucléairem , alabsolu,déstubi-
datese prést:ntecomme lemoyen priviIégi.d ée:parvenir lise le droit humanitaireen tant que droit du moindre
àce résultat. mal.Ainsil'existencemêmd ee l'armenucltfaireconsti-
tueungrand dt!! &l'existence mêmd eudroit humni-
La Cour mesure dans ces circonstances toute l7im- taire, sans compter les effets à long terme domma-
portancede laconsécriltionparl'articleVIdu Traitésur geables pour I'environnement humain dans le respect
la non-proliférationdes armes nuclkaires d'une obliga- duquel ledroit àla viepeut s'exercer".
tion denégocierde bonilefoiund6samement nucléaire. M. Redjaoili estinle que "la légitimedéfens- fOt-
La portéejuridique de:l'obligationco~isiiléréi:épasse elle exercéedans des conditions extrêmesniettant en
gation en cause ici esitcelle de parveniàmuii résultat cause la survie mêmed'un Etat - ne put engendrer
précis- le désarmement nucléairedais -tousses as- une situation dans laquelle un Etat s'exonéreraitlui-
mêmedu respect des normes "intrcansgressiblesd "u
pects - par l'adoptiori d'un comportement dhterminé, droit international humanitaire". Selon lui, on ferait
àsavoir la poursuite de bonne foi de négociationsen la preuve d'imprudence en plaçant sans hésitationla sur-
matière.Cette double obligation de négociere:tde con- vie d'un Etat au-dessusde la survie de l'humanitéelle
clure concerne formellement les 182 Etzits parties au &me.
c'est-à-dire la très grande majoritéde la conununauté
internationale.Defait, toute recherche réalisted'un d6- L'ob.jectifultime de toute action dans le domaine
sarmement générae lt complet, en parthiliep lu clé aire,es mes nucléairesétantle désmement nucléaire,
M. Bedjaoui insiste finalement sur l'importance de
nécessitela coopérationdetous les Etats. l'obligationde négocierde bonne foi un désarmement
nucléaire,que la Cour a d'ailleurs reconnue.Il estime
pour sa part possible d'allerau-delà des conclusions de
la Cour en la matikre et de soutenir "au'il existe en
Au terme de son avis,laCour souligneque saréponse réalitéune double obligation générale Ô,pposableerga
à la question qui lui a étéposépar I'Assemktléegéné- omnes, de négwierde bonnefoiet de parvenir auréSul-
raie repose sur l'ensenible des motifs qu7t;iexposés tat recherche"; en eu égard a l.una-
ci-dessus (paragrapheri20 à 103),lesquelridoivent être ni,té, au moins femelle, dont elle fait cette
lusà lalumikrelesuns ,desautres.Certains decesmotifs obligationpossède désormais selon luiune mu-
ne sont pas de natureitfaire l'objet de coiic1u;siomfor-tumière,
mellesdansle paragraphefinal del'avis; il:;engardent *
pas moins, aux yeux de la Cour, touteleur importance. * *
Déclaration de M. Herczegh
M. Herczegh, dans sa dklaratjon, considkre que
Déclarationde M. Bedjaoui,présidena l'avisconsultatif auraitu résumerd'une manière plus
prkise I'état actueldu droit international quant à la
Aprèsavoir signalélquele paragraphe E;du dispositif question de la menaceet de l'emploid'armes nucléaires
a étéadop6 par sept voix contre sept, avec la voixpré- "en toute circonstance". Il a votéen faveur de l'avis et
pondérantedu prbsident, M. Bedjaoui a soulignéd'em- notamment du point E de son paragraphe 105,car il ne
bléequec'est avecune:grandeminutieet lesens aigude voulait pas se dissocier des nombreuses conclusions
ses responsabilitésut:laCour a proc&é;B l'examende expriméeset intéjyéesdans cet avis, qu'il fait siennes
toiis lesaspects de laquestionconiplexepûséepar l'As- entièrement.
sembléegénérale. Plindique que la Couriitoutefois dû Décla?ation de M.Shi
constater que,en 176tatctueldudroitinternational,c'est
malheureusement là uiie question àlaquellelaCour n'a M. Shi, qui a votéen faveur du dispositif de l'avis
pas étéen mesure dedonner uneréponseclair(:.Ilpense consultatif de PaCour, a cependant des rkserves au sujet
que l'avis ainsi rendu a au moins le méritede signaler du rôle que la Cour attribuela politique de dissuasion
les imperfections du droit international et d'inviter lepour dégagerl'existence d'une règle coutumière sur
Etats àles corriger. l'emploides armesnucléaires.
M. Bedjaoui indique:que 17incapacit6de la Cour d'al- Selon lui, la6dissuasionnucléaire"est une politique
ler au-delà ne saurait "en aucune manikreêt=interpré- que certains Etats dotésd'mes nucléaires, appuyée
téecommeuneporte entrouvertepar celle:-ci à.larecon- par les Etats qui ont acceptéla protection de leur para-
naissance de la licéittzde la menace oir de l'emp!oi pluie nucléaire,ont adoptédans leurs relations avec
d'mes nucléaires". Selon lui,la Cour ne fait que pren-d'autres Etats. Cette pratique relève de la politique
dre acte de l'existenice d'une incertitude juridique. internationale et n'a pasde valeurjuridique du point de
Agrèsavoir fait observerque le vote des rnembresde la vue de la formation d'une rkglecoutumièreinterdisant
Cour surle paragraphe E du dispositif nereflktepas un l'emploides mes nuclhires. Il ne serait guère compatible avec la :Fonctionjudi- dissuasion a enrayéle développementde cette règle.Si
ciaire de la Cour que celle-ci,pour déterminerune règle elle a empêché la mise en Œuvrede l'interdiction de
du droit existant régissant l'emploides armes nucléai- l'arme nucléaire,il n'en susbsiste pas moins que cette
res, aittenir compte de la 'politique de clissuasion". inkrcliction, "toute nue", est demeuréeen l'étatet con-
tinue de produire ses effets, au moins au niveau du
Laissant donc de côtéla nature de la politiquede dis- fardeau de la preuve, en rendant plus difficileaux puis-
suasion, on peut observer que les Etats qui y adhèrent, sancesnucléairesde sejustifier dans lecadre de lathéo-
quoiqu'ils soient des membres importants et puissants rie de:la dissuasion.
de la communauté internationaleet joueiit un rôle im-
portant en matièrede politique internationale, ne cons- Opinionindividuellede M. Guillaume
tituent aucunement une grande proportion de la com- Après s'êtreinterrogésur la recevabilitéde la de-
munauté internationale. mandied'avis, M.Guillaumemarque enpremier lieuson
En outre, la structure de laommunautc!desEtatsest accord avec la Cour sur lefait que lesarmesnucléaires,
baséesurle principe de l'égalitésouveraineL .a Cour ne comme toutes les armes, ne peuvent êtreutiliséesque
dans l'exercicedudroit delégitimedéfensereconnupar
saurait considérer lesEtats dotésd'armes;nucléaireset
leurs alliésdu point de vue de leur pouvoir matériel, l'Article51delaCharte.En revanche,ildéclareavoireu
mais doit plutôt les envisager du pointde vue du droit des &utes sur l'applicabilitédudroit humanitairetradi-
international. Toute importance indûmentaccordée àla tionnel à l'emploiet surtout à la menace d'emploi des
pratique de ces Etats matériellement puissants quine arme3 nucléaires. Il ajoute qu'il ne peut cependant sur
constituentqu'une fraction de lacommun;auté desEtats ce pointque s'enremettre auconsensus qui s'estdégagé
ne serait pas seulement contraire au principe de l'éga- devait la Cour entre les Etats.
litésouveraine des Etats mais rendrait aussi plus diffi- Passant à l'analyse du droit applicable dans les con-
cile de donner une idéeexacte et appropriée.de l'exis- flitsarmés,il note que celui-ciimpliquepour l'essentiel
tence d'une règlecoutumière sur 17empl.od ies armes des comparaisons dans lesquelles s'opposent consi-
nucléaires. dérationsd'humanite et exigences militaires. Ainsi les
Déclarationde M. Vereshchetin dommages collatérauxcausés aux populations civiles
nedoiventpas être"excessifs"par rapport à"l'avantage
Dans sa déclaration,M. Vereshchetin explique les militaireattendu". Les souffrancescauséesauxcombat-
raisons qui l'ont amené à voter en faveur du para- tants ne doivent pas être"supérieurs aux mauxinévi-
graphe 2, E du dispositif qui semble supposer l'indéci- tables que suppose la réalisation d'objectifs militaires
sion de la Cour. Selon lui, dans une procédure consul- légitiines".Dece faitlesarmesnucléairesdedestruction
tative, où il n'est pas demandé à la Cour de réglerun massiivene sauraient êtreutiliséesde manièreliciteque
véritable différend maisde dire le droit tel qu'elle le dans des cas extrêmes.
perçoit, la Cour ne doit pas essayer de combler une
lacune ou d'améliorer un droitqui n'est pas parfait. On Cherchant à définirces cas, M. Guillaume souligne
ne saurait reprocher àla Cour de faire preuve d'indéci- que ni laChartedes Nations Unies, ni aucune règlecon-
sionou de se déroberlorsque le droit sur lequeliliiiest ventionnelleou coutumièrenesauraitporter atteinteau
demandéde se prononcer est lui-même indécis. droit natureldelégitimedéfensereconnupar l'Article 51
Selon M. Vereshchetin, l'avis rend compte de ma- de la Charte. Il en déduitque le droit international ne
nièreadéquatede la situation juridique a.ctuelleet fait peut priver un Etat du droit de recourir à l'arme nu-
ressortir les moyens les plus appropriésd.emettre finà cléairesice recours constitue l'ultime moyenparlequel
l'existencede "zones grises"dans le statut:juridique des ilpeut assurer sa survie.
armes nucléaires. Il regrette que la Cour ne l'ait pas reconnu explicite-
ment,mais soulignequ'elle l'a fait implicitement.Ellea
Déclarationde M. FerrariBravo certes concluqu'elle nepouvait,dansces circonstances
hl. Ferrari Bravo regrette que la Cour ait arbitraire- extrêmes, conclurede façon définitiveà la licéité ou à
l'illiclodes armesnucléaires.Elle a estiméen d'autres
ment répartiendeuxcatégoriesla longuelignedes réso- termc:squ'en pareillescirconstances le droit ne fournit
lutions de l'Assembléegénkralequi traitent de l'arme aucuiiguideaux Etats. Mais,si ledroit est muet dans ce
nucléaire.Ces résolutionssont fondamentales.Telest le cas, 1,esEtats, dans l'exercice de leur souveraineté, de-
cas de larésolution1,1du 24janvier 1946,quidémontre
clairement l'existence d'un véritable engagement so- meurentlibresd'agir commeils l'entendent.
lenneld'éliminertoute arme atomique,dont la présence Dèslors ilrésulte implicitement,maisnécessairement
dans lesarsenaux militairesétaitjugéeillicite.La guerre du paragraphe 2, E de l'avis de la Cour, que les Etats
froide, intervenue peu après, a empêché le déve- peuvent recourir à "la menace ou àl'emploides armes
loppement de cette notion d'illicéitée,n suscitant l'ap- nucléaires dans une circonstance extrêmede légitime
parition du concept de dissuasion nucléairequin'a au- défensedans laquellela surviemêmed'unEtat seraiten
cunevaleurjuridique. La théoriede ladissiuasion,sielle cause:".En reconnaissant ur!tel droit,la Cour a reconnu
a crééune pratique des Etats nucléaireslutde leurs al- par làr-mêmle a licéitdes politiques de dissuasion.
liés, n'apas étéen mesure de créer unepratique juri-
dique sur laquellefonder le débutdecréationd'une cou- Opinionindividuellede M.Ranjeva
tume internationale. Ellea, par ailleurs,concouruélar- Dans son opinion individuelle, M. Ranjeva a tenu à
gir le fosséqui séparel'Article2,paragraj)he4,de l'Ar- souligner que pour la première fois la Cour, de façon
ticle 51de la Charte. non tiiuivoque, dit que l'emploiou la menace de l'em-
La Cour aurait dti procéderà une analyse construc- ploi ties armes nucléairesest contraire aux règlesdu
tive du rôle des résolutions de 1'Asseml~lég eénérale. droit international, applicable notamment aux conflits
Celles-ci, dès l'origine, ontcontribud à la formation armé: et spécialementaux principeset règlesdu droit
d'unerègleinterdisant l'arme nucléaireL . a théoriedela huma.nitaire.Cette réponse indirecte à la question de
11l'Assembléegénérale sejustifie àson avis par la nature en particulier aux principes et règlesdudroit humani- .
mêmedu droit des coniflitsarmés, applicablesans con- taire.M. Fleischhauer se féliciteensuite du fait que la
sidérationde la quaiibode victime ou d'iigresseur. Ce Cour a cependant admis que cette conclusion peut être
caractère explique que:la Gour n'a pas P().YISjusqu'à soumise àcertainesrestrictions. Autrement, laCour au-
retenir l'exception de légitiniedéfenseextrêmemettant rait donnéla préf6renceà l'un des deux ensembles de
en cause la survie de 1'Etatcomme con!&tionde principes en cause par rapport à l'autre. Or, tous ces
suspension de l'illicéilté.a pratique des Erats inon- principes sontdes principesjuridiques de rang égd.
tre,de l'avisdeM. Ranjeva,qu'un pointde:nori-retoura M.Fleischhauer est ensuited'avis que la Cour aurait
été atteint:leprincipe de la lici6téde 19utilisa.ou de pu et aiirait dii aller plus loinet déclarer que,en vue de
la menaced'emploi de l'arme nucléairen'a pas étésou- concilier les principes en conflit, il y avait lieu d'appli-
tenu; c'est à titre de jiistification d'une eitceptioii Bcquer leiirpluspetitdériominateurcommun.Celarevient
principe acceptécomne étant de droit que les Etats àdire que le recours aux mes nucléairespourrait être
dotés d'armes nucléaii-estentent d'expoa:r 1e.sraisons une option licitejustifiéedans un cas extrêmedelégi-
de leur attitude; le mziillagede plus en plus serré des time défenseindividuelleou collective en tant que der-
régimesjuridiques des .mes nucléairess'inscritdans la nier recours pour un Etat victime d'une attaque pkr-
consolidation et la mise en Œuvrede l'obligationfinale pétrée avecdes mes nucléaires, bactériologiquesou
de résultat: le désarmementnucléairegdné~iliséC . es chimiquesou menaçantautrement son existence même.
données représentent dnsi l'avènementd'une pratique Selon M. Fleischhauer, cette vue est confirmée parla
constante et uniforme :une opiniojuris éniergznte. pratique juridiquement pertinentedes Etats en matière
M. R.anjeva,toutefois,estime que l'égalitéde traite de légitimedéfense.
ment que l'avis a réservéetant au principe de la licéité
qu'à celui de l'illicéine se justifie pas. :Ld9Assemblée Pour qu'un recours aux annes nucléairespuisse être
g6néralea définitrèscllairementl'objet desa cpestion : considéré justifik, il faudrait cependant, non seulement
le droit international aiitorise-t-ill'emploiou kamenace que la situation soit extrêmemais que toutes les con-
d'emploi des armes nucléairesen toute circoinstance? ditions attachéesen droit international à la licéitéde
En parlant simultané~ientet surtout sur !.einêmeplan l'exercicedudroitde légitimedéfense,ycompris lacon-
de licéitet de l'illicéitc!l,a Cour a 6thamenàeadopter dition de proportionnalité, soientremplies. Lapossibi-
une acception libéraledela notion dequestionjuridique lit&d'admettre le caractère licite de la menace ou de
dans une procédure consultative, car dca.énavmtest l'emploid'armes nucléairesdans un cas particulier est
recevableunequestiondont l'objetestde demiinderàla ainsi soumise àdes limitesextrêmementétroites.
Cour de s'interroger srirdes questions que d'aucuns ne
se posent pas. M. Fleischhauer souscrit enfin i l'existence d'une
En conclusion, M. Ranjeva, tout en ayant conscience obligationgénérald eesEtatsde poursuivre debonne foi
des critiques que les ]?rofessionnelsdu tiroit et de la et de mener àbien des négociationsaboutissant au dé-
question judiciaire ne manqueront pas de fc~rmulerà sarmement nucléairegénéralet complet sous un con-
l'encontre de l'avis,estime en définitiveQuecelui-cidit trôle international strict et efficace.
fidèlement le droit, tout en précisant le; limites dont
le dépassement relève de la compétencedes Etats. Il **ion dissidentede M. schwebel, vice-pr~sidentdela
forme néanmoins lesciuhaitque iamais une jiiridiction cou,
n'ait à devoir statuer ilans lei termes du second alinéa
du paragraphe E. Tout en souscrivant dans une graridemesure àl'avis
de la Cour.M. Schwebel. vice-rïrésident.iointà ce der-
Opinionindividuelle deM. Fleischhauer nier une opinion dissidente en ;aison de ion "profond"
M. Fleischhauer soliligne, dans son opinic~nindivi- d6saccord avec la conclusion principale du dispositif,
duelle. aue le droit international est encore aux vrises aux de laquelle:
avec la &chotomie, &coulant de l'existence mêmedes "Au vu de I'ht actuel du droit international, ainsi
armes nucléaires'qu'il Ya entre*d'une Part*le droit que des éléinentsdefaitdont elledispose, la Cour ne
applicable dans les coliflits armés,et en ~)articulierles peut cependant conclure de façon définitiveque la
règleset les principes du droit humanitaire, et, d'autre menaceou l'emploid'-es nucléairesserait liciteou
Part, le droit naturel d~elégitimedéfense.Conlpte tenu illicitedansunecirconstance delégitimedéfensedans
des caractéristiques dt:~armes nucl6aires, letir emploi laquellela surviemêmed'un Etat serait en cause."
ne semble guère compatible avec le droit hunnanitaire,
mais il seraitporté gravement atteinte au droi.tde légi- Cefa ,sant.laCour conclut
timedéfensesiun Etat,.victime d'une attaque perpétrée ~~~~y~ll~ pas #opinion sur la ques~on capitale
avec des armes nucl&aues,chimiques, bact6riologiques de la menace ou de l'emploide la force 5 notre épo-
ou autres et quiconstitiierait unegravemeriacepour son que. .que ledroit international et donc cour
existence même,se vo:yaitentièrementprivéclela pos- rien à dire. Après évertuéependant de longs
sibilitéd'utiliser des armesnucléairesen tant qu'ultime moisàapprécierledroit,la cour dkouvre qu'iln'existe
recours licite. pas.S'agissantdesintérêtssuprêmes desEtats, laCour
ne tient pas compte de l'évolutiondu droit au ving-
Dans son opinion iridividaielle,M. Fleischliauer ap- tième sikle, laissedecôtélesdispositionsdelaCharte
prouve la constatation de la Cour selonlacluellele droit des Nations Uriies,alors qu'elleest "l'organe judiciaire
inteniational applicable dans les conflits m.és, et en principal"del'organisation,et adopte,dansdestermes
particulier les règleset:principes du droitun.nnitaire, empreints de Realpolitik,une position ambivalente à
s'appliquent aux armes nucléaires.Il souscrit àla con-
clusion de la Cour selon laquelle la menace ou l'emploi ternational moderne. Si telle doitêtresa conclusionn-
d'mes nucléairesserilit,d'une manière@%néide c,on-
traire aux règlesapplicables dans ies conflit,xmés ,t ultime, la Gour aurait mieux fait d'user de sonncon-
1.17 testable pouvoir discrétionnairede ne rendre aucun d'écoinomie et d'opportunitéjudiciaires, la Cour aurait.
avis." dû exercer son pouvoir discrétionnairede s'abstenir de
L'indécisionde la Cour n'est conforme ni àson Sta- donner un avis en réponseàlademande.
tut, nià sa jurisprudence, ni aux événementsqui font SelonM. Oda, la question contenuedansla demande
ressortirlecaractère licite de la menaceou de l'emploi d'avis n'est pas libelléede manièreadéquateet il n'y a
d'armes nucléairesdans certainescirconstancesextra- pas eii de consensus significatif ausein de l'Assemblée
ordinaires. Ainsi, la menace que l'Iraq a perçue comme générale au sujet decette demande d'avis présent&en
une menace d'emploi d'armes nucléaires, etqui a pu le 1994.Après avoir examiné l'évolution jusqu'en1994
dissuader de recourir à des armes chimiques et bio- des r15solutionspertinentes de l'Assembléegénérale
logiques contre les forces de coalition au cours de la relativesà une convention sur l'interdiction de l'utili-
guerre du Golfe, "étaitnon seulement parfaitement li- sation des armes nucléaires,il relève que l'Assemblée
cite, mais aussi éminemmentsouhaitable" générale est loin d'êtreparvenue àun accord siir l'éla-
Si les principes du droit international humanitaire boration d'une convention qui frapperait d'illicéité
régissentl'emploidesarmes nucléaireset s'ilest "extrê- 1'empl.odiesarmesnucléaires.A lalumièredecet histo-
mement difficilede concilier l'emploi.. .des armes nu- rique, il semblerait que de la demande d'avis ait été
cléairesavecl'application de ces principes", il ne s'en- prépairée et rédigéen,on pas pour établirl'état dudroit
suit pas que l'emploi des armes soit nécessairementet international sur la question, mais pour tenter de pro-
invariablement contraire àces principes. Mais l'on ne mouvoirl'éliminationtotaledes armesnucléaires,c'est-
saurait admettre que l'emploid'armes nuc:léaires àune à-direpour des mobiles éminemment politiques.
échelleentraînantou pouvant entraîner la ]mortde "mil-
lions depersonnes, quipériraientsans disctinction dans M. Oda fait observer que le maintien du régimedu
un véritableenfer et du fait des retombéesde portée cinq lltats dotés d'armes nucléaireset les Etats nonles
considérable. ..rendant inhabitable une grande partie dotés d'armesnucléaires. Puisque lescinq Etats dotés
de la planète, voirela planètetout entière, pourraitêtre d'armlesnucléairesont donné à maintes reprises des
licite". La conclusion de la Cour, selonla~quellla me- assurzincesaux Etats non dotés d'armesnucléairesde
nace ou l'emploides armes nucléaires serait "générale- leur iritention de ne pas employer les armes nucléaires
ment" contraire aux règlesde droit interniitional appli-
cables dansles conflitsarmés,n'estpas 'Ué:raisonnable". emploi des armes nucléairessont presque nulles, étant
donnéla doctrineactuellede la dissuasion nucléaire.
L'affaire, dans son ensemble, illustre une tension
sans précédententre la pratique des Etats et les prin- M.Oda soutient qu'un avisconsultatif nedevrait être
cipes juridiques. La pratique des Etats montre que des rendu que s'ilest véritablementnécessaire.Au cas par-
armes nucléairesont été fabriquéeset déployées depuis ticulier, la demande que l'Assembléegénérale a adres-
une cinquantained'années, que leur déploiementsup- séeàlaCourauxfins d'obtenir un avis sur ledroitinter-
pose une menaced'emploi éventuel("ladissuasion") et nationalactuel relatif l'emploides armesnucléairesne
que la communauté internationale, loin de déclarerilli- répontlait Baucune nécessiténi à aucune justification
cite la menace ou l'emploid'armes nucléairesen toute rationnelle.Il souligne égalementque, pour des raisons
circonstance,a reconnu dans les faits ou expressément d'écoriomiejudiciaire, il convient de ne pas abuser du
qu'ilest descirconstancesdans lesquellesilest possible droit cledemander des avis consultatifs.
d'employer des armes nucléairesou de menacer de le Au terme de son opinion, M. Oda souligne qu'il es-
faire. Cette pratique étatiquen'est pas celle d'un objec- père vivement que les armes nucléaires soient com-
teur persistant isoléet secondaire, mais celle des mem- plètement éliminks,tout en affirmantqueladécisionen
brespermanents du Conseilde sécurité,soutenusparun lamatièrerelèvedes négociationspolitiques entre Etats
nombre considérabled'autres Etats, et non des moin- àGenifve(auseindelaConférencedu désarmement)ou
dres, qui, pris ensemble, représentent l'essentiel de la àNew York (au sein des Nations Unies), et non pas de
puissance mondiale ct une grande partie de la popula- l'orgaiiejudiciaire siàL,aHaye.
tion du globe.
Le Traitésur la non-proliférationdes armes nucléai- M. Oda a votécontre lepoint 2, E du dispositif puis-
res et les garanties de sécurinégativeset :positivesdes que les ambiguïtésqui y apparaissent ne viennent que
Etats dotésd'armes nucléairesunanimement acceptées confinmer,selon lui,qu'ilaurait étplus prudent pour la
par leConseil de sécurité indiquentque lacommunauté Cour de refuser d'embléede donner un avis consultatif
internationale admet la menace ou l'emploi des armes en l'espèce.
nucléairesdans certainescirconstances. Il ressort d'au- Opiniondissidentede M. Shahabuddeen
tres traités relatifs aux armes nucléairesque ces der-
Selcml'opinion dissidentede M. Shahabuddeen, l'As-
nièresne sontfrappéesd'uneinterdiction générale nien sembl~kgénérale posait essentiellement la question de
droit conventionnel ni en droit coutumier. savoir si, dans lecas particulier des armes nucléaires,il
Les résolutionsde l'Assembléegénérale en sens con- étaitpossible de concilier, d'une part, le besoin impé-
traire ne sont ni normatives ni déclaratoiiresdu droit ratif d'un Etat de se défendreet,d'autre part, le besoin
international existant. Face Bunopposition constante et non moins impératifde s'assurer que, ce faisant, il ne
immrtante, la réitération desrésolutionsde 1'Assem- mettrait pas en périlla survie du genre humain. Si une
bl& générale témoignede leur inefficacité dans le pro- conciliiationentre ces deux besoins n'étaitpas possible,
cessusde formation du droit et de leur absence d'effet lequel d'entre eux devait l'emporter ?La question était
pratique. manifestement difficile;maisl'obligationde laCour d'y
Opinion individuellede M. Oda répontireétait évidente. M. Shahabuddeen n'est pas
conva:ncu de l'existence de difficultés juridiques ou
M. Oda a votécontre lepremier point du dispositif de pratiqiies pouvant empêcherla Cour de donner une
l'avisde laCour parce qu'ilestime que,pourdesraisons réponiieclaire au problème réellement posé parl'As-
IIsembléegénérale. Avectout le respect qu'il doit à la tions civiles;causent des dommagesàdesEtats voisins;
Cour, M. Shahabudden estime que celle-ci aurait pu et provoquent stress psychologique et syndromes de peur
aurait dû donner une réponse claire,dans iJn sens ou comme aucuneautrearme n'ajamaisfait.
dans l'autre.
S'ilest vrai qu'iln'existe aucuntraiténi aucune règle
Opiniondissidente de M. Weerarnantry juridique interdisant expressément les armes nucléai-
L'opinion de M.Weerarnantry est fondéesur la pro- res en tant quetelles, de multiplesprincipes dedroit in-
position que la menace OU l'emploid'armes nuc:léaiies ternational, et en particulier de droit humanitaire inter-
est illiciteentoutescircor;!stansuellesqu'ellessoient. national, ne laissent aucun doute quantà l'illicéides
La menace ou l'emploi d'armes nucléaires violent en armes nucléaires,quand on considèreleurs effets com-
effet les principesonda~nentauxdu droit international muns.
et constituent la négationmême des soucishiimanitaires
du droit humanitaire. Ils vont àl'encontre di1droit con- Parmi ces principes figurent l'interdiction de causer
ventionnel, et en particulier du Protocole de Gerièvede des souffrances superflues; le principe de proportion-
1925interdisant l'emploi de gaz et de l'article 23,a, du nalité; leprincipeétablissantune distinction entre com-
Règlementde La Haye de 1907.Il sont contraires au battants et civils; le principe interdisant de causer des
principe fondamental de la valeur et de ladignitéde la dommages àdes Etats neutres; l'interdiction de causer
personne humaine sur lequelrepose ledroit. Ils mettent des dommages graves et durables à l'environnement;
en danger l'environnementd'une manière quicompro- l'interdiction du génocide;et les principes de base du
met la vie entièresur laplanète. droit relatif aux droitsde l'homme.
En outre, des dispositions conventionnelles spécifi-
M. Weeramantry a regrettéque la Cour ne se pro- quesdu ProtocoledeGenèveinterdisant l'emploidegaz
nonce pas directement et.catégoriquementainsi. (1925) et du Règlementde La Haye (1907)sont claire-
Certainesparties de l'avis de la Cour sont:cependant ment applicablesaux armes nucléaires puisqu'elles in-
utiles, dans la mesure où ylest expressémeiitconfirmé
que les armes nucléairessont soumisesàdes limites dé- terdisent l'utilisation de poisons. Les radiations relè-
coulant de la Charte des;Nations Unies, des principes vent directement de cette catégorieet l'interdiction de
générauxdu droit international, des principes dludroit l'utilisation de poisons est certes une des plus vieilles
humanitaireinternational et detoute une garnmed'obli- règlesdes loisde laguerre.
gations conventionnelles..l s'agitlà de la p:remi.dé- Dans son opinion dissidente, M. Weeramantry ap-
claration judiciairenternationale en ce sens, àlaquelle pelle égalementl'attention sur les originesanciennes et
il sera possible'apporte:rdes précisionsàl'avenir. multiculturellesdeslois delaguerre et sur lefaitque les
règlesde base correspondantessont reconnues dans les
Dans son opinion dissidente, M. Weermintry expli- traditions culturelles hindoues, bouddhistes, chinoises,
que que, depuis l'époque= d'Henri Dunant, 'ledroit hu- juives, islamiques,africaines, ainsi que dans la culture
manitaire s'est inspiré d'une perception réaliste des moderne européenne.Entant que telles, les règles hu-
horreurs de la guerre ainsi quede la nécessiide:leres- manitaires de la guerre ne doivent pas êtreconsidérées
treindre conformément aux impératifsde la conscience comme un sentiment nouveau inventéau XIX~siècleni
de l'humanité.Les armes nucl~res ont iridéfiniment commereposant si faiblement sur les traditions univer-
multipléles horreurs de la guerre classique. Il est dou- sellesqu'elles peuventêtrf acilementécartées.
blement clair aujourd'hui queles principes tiu droit hu-
manitaire régissentcette situation. M. Weeramantry souligne aussi qu'il ne saurait y
M. Weeramantry exanninede manière assezd.étaillée avoir deux catégoriesde lois de la guerre applicables
leshorreurs de laguerre iiucléaire,faitressortir lecarac-simiiltanément aumêmeconflit, selon qu'il s'agitd'ar-
tère singulier que revêtentà bien des égardsle:;annes mes classiques ou d'armes nucléaires.
nucléaires,mêmeparmi les armes de destn~cticjnmas-
sive,en raison desattein1:esqu'ellesporteniilasantéde L'analyse de M. Weeramantry comprend des consi-
l'homme et à l'environnement, ainsi que de:la rnanière dérationsphilosophiques et montre qu'aucun système
dont elles détruisenttouitesles valeurs de l'hum~nité. juridique crédiblene saurait comporter une règle légi-
timant un acte susceptiblede détruirela civilisationen-
Les armesnucléairessèmentlamort etlatiestiuction; tière dont ce systèmejuridique fait précisément partie.
provoquent cancers, leticémie,chéloïdeset des maux La doctrine moderne montre qu'une règlede cette na-
analogues; causent des troubles gastro-intestinaux,car- ture,quipourraittrouver saplacedans le règlementd'un
dio-vasculaires et des niaux analogues; continuent de club suicidaire, ne saurait figurer dans aucun système
provoquer, des décenniesaprèsleur emploi, les problè- juridique raisonnable- et le droit international consti-
mes desantésusmentiorinés;portentatteinte aux droits tueavanttout un tel système.
à l'environnement des générationsàvenir; engenhnt
tares, retard mental et lésionsgénétiques; sont:poten- M. Weeramantry conclut son opinion en seréféran t
tiellementsusceptibles deprovoquer un hivernucléaire; l'appel du manifeste Russell-Einstein consistant à se
contaminent et détruisenitlachaînealimentaire;mettent rappeler son humanitéet oublierle reste, en dehors du-
en ~érillesécosvstèmes.Droduisentdesniveauxdecha- quel se pose le risque d'une hécatombeuniverselle. A
le& et d'explosio mnords, produisent des radia.tionset cet égard,M.Weeramantry souligne que le droit inter-
des retombées radioactives,provoquentde Ibrutalesim- national disposede la gammenécessairede principes et
pulsions électromagnétiquese ~ndnent unedésintégra- pourrait considérablementcontribuer à dissiper l'om-
tion sociale; mettent en périltoute l'humanité;mena- bre du champignon nucléaireet à annoncer un nouvel
centla survie du genrehumain; dévastent tc~uteculture, âgeradieuxdénucléarisé.
ontdes effets sur des milliersd'années;meriacenttoute
viesur laplanète;portent irrémédiablemena ttteinteaux La Cour aurait donc dû répondreàla question posée
droits des générationsfutures; exterminentdes popula- d'une manièreclaire,convaincante et catégorique.
11Opiniondissidentede M.Kororna dant etprécisenlamatièreetque l'argumentrelatif à ses
prétendueslacunes n'est pas du tout probant. ..Selon
Dans son opinion dissidente, M. Koroma dit qu'il lui,iln'étaitpas possible deparvenir àun nonliquetsur
n'est fondamentalement pas d'accord avec la conclu- la question portée devant la Cour.
sion de la Cour selon laquelle :
"Au vu de l'état actueldu droit international, ainsi Ru ailleurs, après avoir analysé les élémentsde
que des éléments de fait dont elleispc~sel,a Cour ne preuve,M.Koroma est arrivé à lamêmeconclusionque
peut cependant conclure de façon définitiveque la la Cour selon laquelleles mes nucléaires,lorsqu'elles
menace ou l'emploid'armes nucléairesseraitliciteou sont employées,ne permettraient pas de distingueren-
illicitedans unecirconstance extrême delégitime dB tre civils et militaires,qu'elles provoqueraient la mort
fense dans laquelle la surviemêmede :I'Etatserait en de niilliers, voire de millions, de civils, qu'elles cause-
cause." raierit des maux superflus aux survivants, toucheraient
Selon M. Koroma, cette conclusion lie saurait être les ;;énérationsà venir, endommageraient les hôpi-
soutenue sur labasedudroit internationalexistant nieu taux et contamineraient l'environnement naturel, les
égardau poids et à l'abondance des preuves et autres alimentset l'eau potablepar laradioactivité,privant par
éléments quiont étéprésentés à la Cour. M. Koroma là m2melesrescapésde moyens de survie,en violation
estime que, sur la base du droit existant.,en particulierdes ConventionsdeGenèvede 1949et de leurProtocole
du droit humanitaire et des éléments clont disposent additionnel I de 1977.Il s'ensuit que l'emploide telles
la Cour, l'emploi des armes nucléaires entraînerait en armes serait illicite.
toute circonstance au moins une violatioiidesprincipes Bienqu'ilsedissociede laprincipaleconclusion dela
et règlesde ce droit et est donc illicite. Couir,M. Koroma préciseque l'avis ne devraitpas être
considérécommedépourvu de toute significationou de
M. Koroma souligneaussi que, bien que les vues des tout iiitérêtjuridiques. es conclusions normatives qui
Etats soient partagées sur la question des effets de y figurentdevraient êtreregardéescommedes avancées
l'emploi des armes nucléaires ainsique sur la manière dans le processus historique consistant à imposer aux
dont la question aurait dûêtr eortéedevant la Cour, il conflits armésdes limitesjuridiques etàréaffirmerque
estime que, après avoirétablique l'Assembléegénérale les armes nucléairessont soumises au droit internatio-
étaitcompétentepour poserlaquestion et:qu'iln'yavait nd et àia primauté du droit. Selonlui, l'avisconsultatif
pas de motif déterminantpour nepas rendre un avis,la de la Cour constitue pour un tribunal de cette impor-
Courauraitdû s'acquitter de sa fonctionjudiciaire etse tanci: la premisre occasion de déclareret de r&ffirmer
prononcer en l'occurrence sur la base da droit interna- que la menace ou l'emploi des armes nucléairescon-
tional existant.. Koroma regrette que la Cour, après trairement à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, qui
avoir conclut que : interdit l'emploi de la force, serait illicite et incompa-
"la menace ou l'emploid'armes nucléairesserait gé- tible avec les exigencesdu droit international relatives
néralementcontraireaux règlesdu droiitinternational aux conflits annés. Cette conclusion, quoique condi-
applicable dans les conflits armés,et:spécialement tionrielle,Quivaut àun rejet de l'argumentselon lequel
aux principes et règlesdu droit humanitaire", les armes nucléairesne relèvent pas du droit humani-
taire puisqu'elleslui sont ultérieures.
(conclusion à laquelle M. Koroma sousc:rit,sauf en ce
qui concerne le mot "généralement")n ,'ait pas répondu EI~conclusion, M. Koroma regrette que la Cour ne
à la véritable question qui luiétaitposéede savoir si la soit pas alléejusqu'au bout de ses prononcés normatifs
menaceou l'emploid'armesnucléairesen.toute circons- et qu'elle ne soit pas arrivéà la conclusion inévitable
tance serait illiciteen vertu du droit international. qu'il est impossibled'envisager des circonstances dans
M. Koroma soutient que la réponse de la Cour a lesqiiellesI'eniploides mes nucléairesau cours d'un
tournéautour de la "survie de 1'Etat"alors que laques- conflit arméne soit pas illicite, vu les caractéristiques
tion qui lui avait époséeavaittrait àla Ilickide l'em- notoires de ces armes. Une telle conclusion aurait per-
ploi des armes nucléaires.En conséquence,ilconsidère mis Pla Cour, gardienne de la légalitédu systèmedes
que l'avis de la Cour est non seulemenitindéfendable Nalions Unies, d'apporter une contribution très pré-
en droit, mais est égalementsusceptiblede déstabiliser cieuse à ce qui a étédécrit commela question la plus
l'ordre juridique internationalexistant puisqu'ilfaitdes importante du droit international qui se pose au-jour-
Etats qui disposeraient de telles armes ]!esjuges de la d'hui àl'humanité.
licéitéde leur emploi et qu'il remet de plus en cause le
régimede l'emploide la force et de la légitimedéfense OpiniondissidentedeMmeHigsins
tel que régipar la Charte des Nations Unies, tout en M:meHigginsajoint àl'avis l'exposéde son opinion
limitant- bien qu'involontairement - les contraintes dissidente,dans laquelleelleexpliquequ'elle n'apas été
juridiques relatives aux armesnucléairesquis'imposent en mesure de souscrire à la conclusion de la Cour,
aux Etats quien sont dotés. au paragraphe 2,E du dispositif.De sonpoint de vue,la
Dans son opinion dissidente, M. Koroma dresse un Cou]:n'apas appliquélesrèglesdu droit humanitaire de
tableau de ce qu'il estime êtrele droit applicableà la façon systématiqueet tmnsparente pour montrer com-
question, analyse les éléments la disposition de la ment elleparvient à la conclusion énoncéeau paragra-
Cour et arrive àla conclusion que le proinoncéaux ter- phez! , du dispositif.Le sensdupremieralinéadupara-
mes duquel "au vu de l'état actuel dudroit internatio- graphe 2, E n'est d'ailleurspas clair. Mme Higgins se
déclareégalementopposéeau nonliquetque contient la
nal", la Cour ne peut affirmer que l'emploi des armes deuxièmepartie du paragraphe 2, E, estilnant qu'il est
nucléairesest illicite n'est pas du tout convaincant. Il inutileetjuridiquementerroné.
considère qu'il existe bien un droit subistantiel,abon-
Résumé de l'avis consultatif du 8 juillet 1996