Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIRE DE L’ÎLE DE KASIKILI/SEDUDU (BOTSWANA c. NAMIBIE)
Arrêt du 13 décembre 1999
Dans son arrêt sur l’affaire de l’Île de Kasikili/Sedudu Dit que la frontière entre la République du Botswana
(Botswana c. Namibie) la Cour a décidé, par onze voix et la République de Namibie suit la ligne des sondages
contre quatre, que « la frontière entre la République du les plus profonds dans le chenal nord du fleuve Chobe
Bo tswana et la République de Namibie suit la ligne des autour de l’île de Kasikili/Sedudu;
sondages les plus profonds dans le chenal nord du fleuve POUR : M. Schwebel, Président; MM. Oda,
Chobe autour de l’île de Kasikili/Sedudu » et, par onze voix Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
contre quatre également, que « l’île de Kasikili/Sedudu fait Vereshchetin, Mme Higgins, M. Kooijmans, juges;
partie du territoire de la République du Botswana ».
CONTRE : M. Weeramantry, Vice-Président;
La Cour a ajouté à l’unanimité que, « dans les deux MM. Fleischhauer, Parra-Aranguren, Rezek, juges;
chenaux autour de l’île de Kasikili/Sedudu, les ressortissants 2) Par onze voix contre quatre,
et les bateaux battant pavillon de la République du
Botswana et de la République de Namibie doivent Dit que l’île de Kasikili/Sedudu fait partie du
bénéficier, sur pied d’égalité, du régime du traitement territoire de la République du Botswana;
national ». M. Schwebel, Président; MM. Oda, Bedjaoui,
Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
La Cour était composée comme suit : M. Schwebel, Vereshchetin, Mme Higgins, M. Kooijmans, juges;
Président; M. Weeramantry, Vice-Président; MM. Oda,
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, CONTRE : M. Weeramantry, Vice-Président;
Koroma, Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra- MM. Fleischhauer, Parra-Aranguren, Rezek, juges;
Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Valencia-Ospina, 3) À l’unanimité,
Greffier. Dit que, dans les deux chenaux autour de l’île de
Kasikili/Sedudu, les ressortissants et les bateaux battant
* pavillon de la République du Botswana et de la
* * République de Namibie doivent bénéficier, sur pied
d’égalité, du régime du traitement national. »
Le texte complet du dispositif de l’arrêt est ainsi libellé :
« 104. Par ces motifs, *
LA COUR, * *
1) Par onze voix contre quatre,
_______________________________
Lire la suite à la page suivante
139 MM.Ranjeva et Koroma, et M me Higgins, juges, ont Botswana et de ses prédé cesseurs, depuis 1890 au
joint des déclarations à l’ar rêt. MM.Oda et Kooijmans, moins;
juges, ont joint les exposés de leur opinion individuelle. 4. Que la frontière entre la Namibie et le Botswana
M. Weeramantry, Vice-Président, et MMF . leischhauer, autour de l’île de Kasikili/Sedudu suit le centre (c’est-à-
Parra-Aranguren et Rezek, juge s, ont joint les exposés de dire le thalweg) du chenal sud du Chobe;
leur opinion dissidente.
5. Que, pour ce qui est du statut juridique de l’île de
* Kasikili/Sedudu, celle-ci fait partie du territoire soumis à
la souveraineté de la Namibie. »
* *
Le contexte de l’affaire
Rappel de la procédure et des conclusions des Parties
(par. 1 à 10) (par. 11 à 16)
La Cour donne alors une description de la géographie de
La Cour commence par rappeler que, par une lettre
conjointe en date du 17 mai 1996, le Botswana et la la zone en question, illustrée par trois cartes croquis.
Namibie ont transmis au Gref fier le texte original d’un La Cour rappelle ensuite l’historique du différend qui
oppose les parties, qui trouve son origine dans la course
compromis entre les deux États, signé à Gaborone le engagée entre les puissances coloniales européennes au
15février 1996 et entré en vigueur le 15 mai 1996, dont XIX esiècle pour le partage de l’Afrique. Au printemps de
l’article I se lit comme suit :
«La Cour est priée de déterminer, sur la base du 1890, l’Allemagne et la Grande-Bretagne entamèrent des
Traité anglo-allemand du 1 erjuillet 1890 [un accord négociations en vue de parv enir à un accord en ce qui
concerne leur commerce et leurs zones d’influence en
conclu entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne qui Afrique. Le Traité du 1 erjuillet 1980 qui en a résulté
porte sur les sphères d’influence des deux pays en délimitait notamment les sphères d’influence de
Afrique] et des règles et principes du droit international, l’Allemagne et de la Grande-Bretagne dans le sud-ouest de
la frontière entre la Namibie et le Botswana autour de
l’île de Kasikili/Sedudu ainsi que le statut juridique de l’Afrique; cette délimitation est au cŒur de la présente
cette île. » affaire.
Au cours du siècle suivant, le statut des territoires en
La Cour rappelle ensuite les étapes successives de la cause subit diverses mutations. Le 30 septembre 1966, la
procédure et énonce les conclusions des Parties : République indépendante du Botswana vit le jour sur le
Les conclusions finales du Botswana présentées à
l’audience du 5 mars 1999 étaient les suivantes : territoire de l’ancien protectorat britannique du
Bechuanaland, tandis que la Namibie (dans laquelle la
« Plaise à la Cour : bande de Caprivi est située) a accédé à l’indépendance le
1) de dire et juger : 21 mars 1990.
a ) que le chenal nord et ouest du Chobe au Peu après l’indépendance de la Namibie, des
voisinage de l’île de Kasikili/Sedudu constitue le divergences de vues apparurent entre les deux États au sujet
“chenal principal” du Chobe conformément aux de l’emplacement de la frontière autour de l’île de
dispositions du paragraphe 2 de l’article III de l’Accord Kasikili/Sedudu. En mai 1992, il fut convenu de soumettre
anglo-allemand de 1890; et que : la détermination de la frontière autour de l’île à une
b p )artant, la souveraineté sur l’île de commission mixte d’experts techniques. En février 1995, le
rapport de la commission mixte dans lequel celle-ci
Kasikili/Sedudu appartient exclusivement à la
République du Botswana; et en outre annonçait qu’elle n’était pas parvenue à une conclusion
2) de déterminer la frontière autour de l’île de acceptée de part et d’autre sur la question qui lui était posée
Kasikili/Sedudu sur la base du thalweg dans le chenal a été examiné et il fut décidé que le différend serait soumis à
nord et ouest du Chobe. » la Cour internationale de Justice, pour règlement définitif et
obligatoire.
Les conclusions finales de la Namibie dont il a été donné
lecture à l’audience du 2 mars 1999 étaient les suivantes :
« Plaise à la Cour, rejetant toutes prétentions et Les règles d’interprétation applicables
au Traité de 1890
conclusions contraires, de dire et juger : (par. 18 à 20)
1.Que le chenal situé au sud de l’île de
Kasikili/Sedudu est le chenal principal du Chobe; La Cour commence par observer que le droit applicable
2.Que le chenal situé au nord de l’île de à la présente espèce trouve tout d’abord sa source dans le
traité de 1890 par lequel le Botswana et la Namibie
Kasikili/Sedudu n’est pas le chenal principal du Chobe; reconnaissent s’être liés. Pour ce qui est de l’interprétation
3. Que la Namibie et ses prédécesseurs ont occupé
et utilisé l’île de Kasikili et ont exercé sur elle leur de ce traité, la Cour note que ni le Botswana ni la Namibie
juridiction souveraine au su et avec l’acquiescement du ne sont parties à la Convention de Vienne du 23 mai 1969
sur le droit des traités, mais que l’un et l’autre estiment que
140l’article 31 de la Convention de Vienne est applicable en La sphère d’influence réservée à la Grande-Bretagne
tant qu’expression du droit international coutumier. est bornée à l’ouest et au nord-ouest par la ligne
Selon l’article 31 de la Convention de Vienne sur le susmentionnée. Elle comprend le lac Ngami.
droit des traités : Le cours de la frontière décrite ci-dessus est tracé
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le d’une façon générale d’après une carte établie
officiellement pour le Gouvernement britannique en
sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur
contexte et à la lumière de son objet et de son but. 1889. »
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte Pour ce qui est de la région concernée par la présente
comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus : affaire, cette disposition situe la limite entre les sphères
d’influence des parties contractantes dans le «chenal
a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu principal du Chobe; elle ne fournit toutefois, pas
entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion d’un
traité; davantage que d’autres dispositions du Traité, de critères qui
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à permettraient d’identifier ce « chenal principal ». Il convient
l’occasion de la conclusion du Traité et accepté par les également de noter que la version anglaise parle du
« centre » du chenal principal (centre of the main channel )
autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au que la version allemande utilise le terme «thalweg» dudit
Traité. » chenal ( Thalweg des Hauptlaufes ). Observant que le
La Cour indique ensuite qu’elle va procéder à
l’interprétation du Traité de 1890 en appliquant les règles Botswana et la Namibie n’ont eux-mêmes pas exprimé des
positions réellement différentes sur le sens de ces termes, la
d’interprétation exprimées dans la Convention de Vienne Cour indique qu’elle considérera donc que les mots « centre
de 1969. Elle rappelle qu’ du chenal principal» inclus dans le paragraphe 2 de
«un traité doit être interprété de bonne foi suivant le l’article III du Traité de 1890 ont le même sens que les mots
sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte « Thalweg des Hauptlaufes ».
et à la lumière de son objet et de son but.
De l’avis de la Cour, le véritable différend entre les
L’interprétation doit être fondée avant tout sur le texte Parties concerne l’emplacement du chenal principal où se
du Traité lui-même. Il peut être fait appel à titre situe la frontière. Pour le Botswana, celle-ci doit être
complémentaire à des moyens d’interprétation tels les déterminée «sur la base du thal weg dans le chenal nord et
travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles ouest du Chobe », tandis que, pour la Namibie, elle « suit le
le Traité a été conclu». ( Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, centre (c’est-à-dire le thalweg) du chenal sud du Chobe».
C.I.J. Recueil 1994, p. 21 et 22, par. 41.) La Cour observe qu’on doit présumer que les parties
contractantes, en introduis ant l’expression c«henal
principal » dans le projet de traité, ont voulu lui attribuer un
Le texte du traité de 1890 sens précis. Aussi la Cour indique-t-elle qu’elle
(par. 21 à 46) entreprendra d’abord de déterminer quel est le chenal
principal. Elle recherchera à cet effet le sens ordinaire de
La Cour examine en premier lieu le texte du traité de
1890, dont l’article III se lit comme suit : l’expression «chenal principal» en se référant aux critères
les plus couramment utilisés en droit international et dans la
«Dans le Sud-Ouest africain, la sphère d’influence pratique des États, que les Parties ont invoqués.
réservée à l’Allemagne est délimitée comme suit :
1. Au sud, par une ligne qui part de l’embouchure
de l’Orange et suit vers l’amont la rive nord de ce fleuve Critères pour identifier « le chenal principal »
jusqu’à son intersection avec le 20 e degré de longitude (par. 29 à 42)
La Cour note que les Parties au différend s’accordent sur
est.
2.À l’est, par une ligne qui part du point un grand nombre de critères permettant d’identifier le
d’intersection susmentionné et suit le 20 e degré de « chenal principal », mais s’opposent sur la pertinence et sur
longitude est jusqu’à son intersection avec le l’applicabilité de plusieurs de ces critères.
22 eparallèle de latitude sud, suit ce parallèle vers l’est Selon le Botswana, les critères pertinents sont les
e suivants: la profondeur et la largeur les plus grandes, la
jusqu’à son intersection avec le 21 degré de longitude
est; puis suit ce méridien vers le nord jusqu’à son configuration du profil du lit, la navigabilité et le plus grand
intersection avec le 18 parallèle de latitude sud; suit ce volume d’écoulement des eaux. Le Botswana souligne par
parallèle vers l’est jusqu’au Chobe, et suit le centre du ailleurs l’importance, au regard de l’identification du chenal
chenal principal de ce fleuve jusqu’à son confluent avec principal, de la «capacité du chenal», de la «vitesse du
le Zambèze, où elle s’arrête. courant » et du « volume écoulé ». La Namibie admet que
Il est entendu qu’en vertu de cet arrangement, [«es critères envisageables pour assurer
l’Allemagne a libre accès au Zambèze depuis son l’identification du chenal principal d’un fleuve
protectorat par une bande de territoire qui en aucun point comportant plus d’un chenal sont: le chenal le plus
ne doit avoir une largeur inférieure à 20 milles anglais. large, le chenal le plus profond ou le chenal qui
141 transporte la plus grande proportion de l’écoulement Cour n’est en conséque nce pas convaincue par
annuel de ce fleuve. Dans de nombreux cas, le chenal l’argumentation de la Namibie concernant l’existence d’un
principal présente ces trois caractéristiques réunies. » grand chenal «principal», dont le chenal sud visible ne
Elle ajoute cependant, évoquant les brusques variations serait que le thalweg.
du niveau des eaux du Chobe, que
«[n]i la largeur ni la profondeur ne constituent des Visibilité
(par. 38)
critères appropriés pour déte rminer quel chenal est le
chenal principal ». La Cour ne peut pas non plus conclure que, du point de
Parmi les critères possibles, la Namibie accorde donc un vue de la visibilité – ou physionomie générale –, le chenal
poids décisif au débit: selon elle, le chenal principal est sud l’emporte sur le chenal nord comme la Namibie l’a
celui qui déplace la plus grande proportion de
soutenu.
l’écoulement annuel du fleuve ». La Namibie a également
fait valoir qu’une autre tâche essentielle consistait à Configuration du profil du lit du chenal
déterminer le chenal qui est le plus utilisé pour le trafic (par. 39)
fluvial.
La Cour remarque que les Parties se sont exprimées sur Ayant examiné les arguments développés par les Parties,
l’un ou l’autre aspect des critères, les distinguant ou mettant ainsi que les cartes et photographies qu’elles ont produites,
la Cour ne peut non plus en conclure que, par la
l’accent sur leur complémentarité et leurs rapports avec configuration du profil de son lit, le chenal sud constituerait
d’autres critères. Avant de s’exprimer sur le rôle et
l’importance respectifs des différents critères ainsi retenus, le prolongement principal et naturel du cours du Chobe
la Cour constate en outre que la situation hydrologique avant la bifurcation.
actuelle du Chobe autour de l’île de Kasikili/Sedudu peut
être présumée identique pour l’essentiel à celle qui existait Navigabilité
lors de la conclusion du traité de 1890. (par. 40 à 42)
Cour relève que la navigabilité des cours d’eau présente
La profondeur une grande diversité selon les conditions naturelles qui
(par. 32)
prévalent. Ces conditions peuvent empêcher l’utilisation du
Nonobstant toutes les difficultés que présentent la cours d’eau en question par des navires à fort tonnage
réalisation de sondages de profondeur et l’interprétation de chargés de marchandises, mais permettre la circulation de
leurs résultats, la Cour parvient à la conclusion que le chenal bateaux légers à fond plat. En l’espèce, les données fournies
nordest plus profond que le chenal sud en termes de par les Parties tendent à prouver que la navigabilité des deux
chenaux autour de l’île de Kasikili/Sedudu est limitée par
profondeur moyenne, et l’est même en termes de profondeur leur manque de profondeur. Cette situation incite la Cour à
minimale.
considérer que, de ce point de vue, le «chen al principal»
Largeur dans cette région du Chobe est celui des deux qui offre les
(par. 33) conditions les plus favorables à la navigation. De l’avis de la
Cour, c’est le chenal nord qui répond à ce critère.
En ce qui concerne la largeur, la Cour conclut, sur la Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que le
base d’un rapport qui remonte à 1912, ainsi que de chenal nord du Chobe autour de l’île de Kasikili/Sedudu
photographies aériennes pris es entre 1925 et 1985 et
doit être considéré comme son chenal principal suivant le
d’images satellites réalisées en juin 1975 que le chenal nord sens ordinaire des termes figurant dans la disposition
est plus large que le chenal sud. pertinente du traité de 1890. Elle observe que cette
conclusion est étayée par les trois examens effectués sur le
Débit site en 1912, en 1948 et 1985, qui ont conduit à la
(par. 34 à 37) conclusion que le chenal principal du Chobe était le chenal
En ce qui concerne le débit, c’est-à-dire le volume d’eau nord.
transportée, la Cour n’est pas en mesure de concilier les
chiffres présentés par les Pa rties, qui ont une conception L’objet et le but du Traité de 1890
(par. 43 à 46)
tout à fait différente de ce que sont les chenaux en question.
La Cour est d’avis que, pour dé terminer le chenal principal, La Cour recherche alors comment et dans quelle mesure
elle doit tenir compte de la laisse des basses eaux, et non des l’objet et le but du Traité peuvent clarifier le sens à attribuer
lignes de crues. Il ressort du dossier que, en temps de crues, à ses termes. Il s’agit en l’esp èce non d’un traité délimitant
l’île est submergée par les inondations et toute la région des frontières à proprement pa rler mais d’un traité
prend l’apparence d’un lac immense. Les deux chenaux
n’étant plus distinguables, il n’est pas possible de délimitant des sphères d’influence, que les Parties acceptent
néanmoins comme le Traité déterminant la frontière entre
déterminer lequel de ces chenaux est le chenal principal. La leurs territoires. La Cour relève que les puissances
142contractantes en choisissant les termes «centre du chenal Le rapport Eason (1912)
principal, avaient l’intention d’établir une frontière (par. 53 à 55)
séparant leurs sphères d’influence même dans le cas d’un La Cour partage l’avis, énoncé par la Namibie et accepté
cours d’eau ayant plusieurs chenaux. par le Botswana dans la version finale de son
La Cour observe que la navigation semble avoir été un argumentation, que le rapport Eason et les circonstances qui
élément qui a orienté le choix des puissances contractantes
lorsqu’elles ont procédé à la délimitation de leurs sphères l’entourent ne sauraient être considérés comme constitutifs
d’une «pratique ultérieurement suivie dans l’application du
d’influence, mais elle ne considère pas qu’elle ait été le seul Traité» de 1890, au sens de l’alinéa b du paragraphe 3 de
but des dispositions du paragraphe 2 de l’article III du l’article 31 de la Convention de Vienne.
Traité. En se référant au chenal principal du Chobe, les
parties entendaient à la fois s’assurer la libre navigation sur
ce fleuve et procéder à une dé limitation aussi précise que La correspondance Trollope-Redman (1947-1951)
possible de leurs sphères d’influence respectives. (par. 56 à 63)
En 1947, un entrepreneur de transport du Bechuanaland,
La pratique ultérieurement suivie M.Ker, se proposa de faire descendre du bois d’Œuvre par
(par. 47 à 80) le Chobe en empruntant le chenal nord. Il obtint
l’autorisation nécessaire de l’administrateur compétent dans
Dans l’instance, le Botswana et la Namibie se sont la bande de Caprivi, le major Trollope, mais saisit
abondamment référés à la conduite ultérieure des parties au également les autorités du Bechuanaland. À la suite d’un
Traité de 1890 – ainsi qu’à celle de leurs successeurs – en rapport conjoint intitulé «Frontière entre le protectorat du
tant qu’élément d’interprétation de celui-ci. Si les Parties à
la présente affaire conviennent que les accords interprétatifs Bechuanaland et la partie orientale de la bande de Caprivi:
et la pratique ultérieure constituent des éléments île de Kasikili» établi par le major Trollope et M.Redman
(commissaire de district à Kasane, Bechuanaland) en 1948,
d’interprétation d’un traité en vertu du droit international, en et transmis à leurs autorités respectives, donna lieu à divers
revanche elles s’opposent sur les conséquences qu’il y a lieu échanges de correspondance entre celles-ci.
de tirer des faits de l’espèce quant à l’interprétation du En 1951, un échange de correspondance entre
Traité de 1890.
Le paragraphe 3 de l’article 31 de la Convention de M.Dickinson, qui avait entre-temps succédé à M.Redman
comme commissaire de district à Kasane (Bechuanaland) et
Vienne de 1969 sur le droit des traités, qui, comme il a déjà le major Trollope aboutit au gentlemen’s agreement
été indiqué, reflète le droit coutumier, est ainsi libellé : suivant :
«3. Il sera tenu compte, en même temps que du « a) nous admettons ne pas être du même avis sur le
contexte :
problème juridique relatif à l’île de Kasikili et la
a ) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties question connexe de la voie d’eau septentrionale;
au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application b ) les arrangements administratifs que nous prenons
de ses dispositions; ci-après sont absolument sans préjudice du droit des
b )de toute pratique ultérieurement suivie dans responsables du protectorat et de ceux de la bande de
l’application du traité par laquelle est établi l’accord des Caprivi de poursuivre l’examen de la question juridique
parties à l’égard de l’interprétation du Traité; »
visée à l’alinéa a s’il est jugé souhaitable de le faire à un
Aux fins d’étayer l’interprétation qu’il donne du moment quelconque et ces arrangements ne pourront pas
paragraphe 2 de l’article III du Traité de 1890, le Botswana être invoqués pour soutenir que l’un ou l’autre des
invoque principalement trois séries de documents: un territoires a admis quoi que ce soit ou bien a renoncé à
rapport de reconnaissance du Chobe établi en août 1912 par quelque prétention que ce soit; et
un officier de police du protectorat du Bechuanaland, le
c ) compte tenu de ce qui précède, la situation
capitaine Eason; un arrangement intervenu en août 1951 redevient celle qui existait de facto avant que toute la
entre un magistrat de la partie orientale de la bande de question prenne un aspect litigieux en 1947 – c’est-à-
Caprivi, le major Trollope, et un commissaire de district du dire que l’île de Kasikili continuera d’être utilisée par les
protectorat du Bechuanaland, M.Dickinson, ainsi que les membres des tribus du Caprivi et que la voie d’eau
échanges de correspondance ayant précédé et suivi cet septentrionale continuera de servir de “voie de
arrangement; et un accord conclu en décembre 1984 entre circulation ouverte à tous”. »
les autorités du Botswana et celles de l’Afrique du Sud à
Chaque partie avait toutefois formulé une mise en garde
l’effet de charger une commission mixte d’effectuer un levé en ce qui concernait sa position dans toute polémique
commun sur le Chobe, ainsi que le rapport de cette concernant cette île à l’avenir.
commission.
143 La Cour observe que chacune des Parties à la présente 1982. Les photographies ne font apparaître aucun
instance invoque à l’appui de ses thèses le rapport conjoint changement important de l’emplacement des chenaux. »
de MM.Trollope et Redman et la corresp ondance qui s’y Ayant examiné la correspond ance échangée par la suite
rattache. À la suite de son examen de l’ensemble de la entre les autorités de l’Afrique du Sud et du Botswana, la
correspondance, la Cour conc lut que les événements ci- Cour estime qu’elle ne peut conclure que, en 1984 et 1985,
dessus rapportés, qui se sont déroulés entre 1947 et 1951, l’Afrique du Sud et le Botswana se seraient accordés sur
révèlent l’absence d’accord en tre l’Afrique du Sud et le davantage que l’envoi de la commission mixte d’experts. La
Bechuanaland quant à l’emplacement de la frontière autour
de l’île de Kasikili/Sedudu et au statut de l’île. Ces Cour ne peut en particulier conclure que les deux États se
seraient accordés d’une manière ou d’une autre pour se
événements ne sauraient dès lors être constitutifs d’une reconnaître juridiquement liés par les résultats du levé
« pratique ultérieurement suivie dans l’application du Traité conjoint effectué en juillet 1985. Ni les procès-verbaux de la
[de 1890] par laquelle est ét abli l’accord des parties à réunion tenue à Pretoria le 19 décembre 1984 ni les termes
l’égard de l’interprétation du Traité» (Convention de du mandat confié aux experts ne permettent d’établir un tel
Vienne de 1969 sur le droit des traités, art. 31, par. 3, al. b). accord. Bien plus, la correspo ndance que les autorités sud-
A fortiori ne peuvent-ils avoir donné lieu à un «accord ...
africaines et botswanaises ont échangée par la suite apparaît
entre les parties au sujet de l’ interprétation du Traité ou de démentir l’existence de tout accord en ce sens: dans une
l’application de ses dispositions» (ibid ., art. 31, par. 3, note verbale du 4 novembre 1985, le Botswana a invité
al. a). l’Afrique du Sud à accepter les conclusions des experts; non
seulement l’Afrique du Sud n’a pas donné cette acceptation,
L’étude conjointe de 1985 mais elle a, à plusieurs reprises, insisté sur la nécessité pour
(par. 64 à 68) le Botswana de négocier et de s’entendre sur la question de
En octobre 1984, un incident, au cours duquel des coups la frontière avec les autorités compétentes du Sud-Ouest
de feu furent tirés, mit aux prises des membres des forces africain/Namibie, voire de la future Namibie indépendante.
armées botswanaises et des soldats sud-africains qui se Présence des Masubia sur l’île
déplaçaient à bord d’une petite embarcation sur le chenal (par. 71 à 75)
sud du Chobe. Lors d’une réunion tenue à Pretoria, le
19décembre 1984, entre des représentants de divers Dans l’instance, la Namibie a elle aussi invoqué, à
ministères de l’Afrique du Sud et du Botswana, il apparut l’appui de ses thèses, la condu ite ultérieure des parties au
que l’incident s’était produit à la suite de divergences traité de 1890. Dans son mémoire, elle a soutenu que cette
d’interprétation sur l’emplacement exact de la frontière
conduite
autour de l’île de Kasikili/Sedudu. Au cours de cette «est pertinente dans la présente controverse pour trois
réunion, référence fut faite aux termes du Traité de 1890 et raisons distinctes. En premier lieu, elle corrobore
il fut convenu «qu’il y avait urgence à réaliser une étude l’interprétation du traité ... En deuxième lieu, elle
conjointe afin de déterminer si le chenal principal du Chobe constitue un deuxième fondement totalement distinct de
était situé au nord ou au sud de l’île ». L’étude conjointe fut
réalisée au début du mois de juillet 1985. Les conclusions la revendication de la Namibie en vertu des doctrines
jointes au rapport d’étude étaient les suivantes : concernant l’acquisition de te rritoires par prescription,
acquiescement et reconnaissance. Et, en dernier lieu, la
«e chenal principal du Chobe contourne conduite des parties montre que la Namibie était en
maintenant l’île Sidudu/Kasikili par l’ouest et par le possession de l’île à l’époque où il a été mis fin au
nord (voir carte en annexe). régime colonial, fait qui est pertinent pour l’application
Les preuves dont on dispose semblent indiquer que du principe de l’uti possidetis. »
tel a été le cas au moins depuis 1912. Selon la Namibie, la conduite ultérieure sur laquelle elle
Il n’a pas été possible de vérifier si une inondation se fonde consiste dans
particulièrement violente a changé le cours du fleuve «[l]e contrôle et l’utilisation de l’île de Kasikili par les
entre 1890 et 1912. Le cap itaine Eason, de la police du Masubia de la bande du Caprivi, l’exercice de la
protectorat du Bechuanaland, déclare à la page 4 du
juridiction sur l’île par les autorités responsables
chapitre I du rapport mentionné précédemment que des namibiennes et le silence gardé par le Botswana et ses
inondations ont eu lieu en 1899 et en juin et juillet 1909. prédécesseurs pendant près d’un siècle en pleine
À supposer que le chenal principal du fleuve se soit connaissance de cause... »
jamais trouvé au sud de l’île, il est probable que La Cour indique qu’à ce stade de sa décision, elle n’a
l’érosion de la vallée Sidudu, que l’on peut voir figurée
sur la carte C en annexe , a provoqué l’ ensablement pas à se pencher sur l’argument namibien relatif à la
prescription. Elle se contentera de rechercher si la présence
partiel du chenal sud. très ancienne, et qui n’a pa s soulevé d’objections, de
Des photographies aériennes montrant les chenaux membres de la tribu des Masubia sur l’île de
du fleuve au voisinage de l’île se trouvent dans les Kasikili/Sedudu est constitutive d’unep« ratique
archives des services cartographiques des deux pays. ultérieurement suivie dans l’application du Traité [de 1890]
Elles ont été prises en 1925, 1943, 1972, 1977, 1981 et par laquelle est établi l’Accord des parties à l’égard de
144l’interprétation du traité» (Convention de Vienne de 1969 cartes et les croquis disponible s montrent que dès l’époque
sur le droit des traités, art. 31, par. 3b). Pour qu’une telle où des explorateurs européens ont procédé à un levé un tant
pratique puisse être démontrée, il faudrait au moins que soit peu détaillé du Chobe, à partir des années 1860 et par la
deux éléments soient établis: d’une part, que l’occupation suite, un chenal nord autour de l’île était connu et
de l’île par les Masubia ait participé de la conviction des régulièrement représenté. Toutefois, le Botswana ne tente
autorités du Caprivi que la frontière fixée par le Traité de pas pour autant de démontrer que la frontière se trouverait
1890 suivait le chenal sud du Chobe; et d’autre part, que ce de ce fait dans le chenal nord. Sa position générale est plutôt
fait ait été pleinement connu et accepté par les autorités du que le matériau cartographique place la frontière dans le
Bechuanaland comme confirmant la frontière fixée par le chenal sud de façon bien moins systématique que la
traité. Namibie le prétend.
Rien ne montre, de l’avis de la Cour, que la présence La Cour commence par rappeler les termes dans lesquels
intermittente sur l’île d’habitants de la bande de Caprivi ait la Chambre chargée de connaître de l’affaire du Différend
eu un lien avec des prétentions territoriales des autorités frontalier (BurkinFaaso/République du Mali) s’est
capriviennes. Il semble par conséquent à la Cour que, du exprimée sur la valeur probante des cartes :
côté du Bechuanaland, puis du Botswana, la présence «les cartes ne sont que de simples indications, plus ou
intermittente des Masubia sur l’île n’ait inquiété personne et moins exactes selon les cas; elles ne constituent jamais
ait été tolérée, à tout le moins, parce qu’elle n’apparaissait – à elles seules et du seul fait de leur existence – un titre
pas liée à une interprétation des termes du Traité de 1890. territorial, c’est-à-dire un document auquel le droit
La Cour conclut ainsi que l’utilisation paisible et ouverte, international confère une valeur juridique intrinsèque
pendant des années, de l’île de Kasikili/Sedudu par les
membres de la tribu des Masubia du Caprivi oriental n’est aux fins de l’établissement des droits territoriaux. Certes,
dans quelques cas, les cartes peuvent acquérir une telle
pas constitutive d’une «pratique ultérieurement suivie dans valeur juridique mais cette valeur ne découle pas alors
l’application du traité» [de 1890], au sens de l’alinéa b du de leurs seules qualités intrinsèques: elle résulte de ce
paragraphe 3 de l’article 31 de la Convention de Vienne sur que ces cartes ont été intégrées parmi les éléments qui
le droit des traités. constituent l’expression de la volonté de l’État ou des
États concernés. Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque
*
des cartes sont annexées à un texte officiel dont elles
La Cour conclut de tout ce qui précède que la conduite font partie intégrante. En dehors de cette hypothèse
ultérieure des parties au Traité de1890 n’a donné lieu à clairement définie, les cartes ne sont que des éléments de
aucun «accord ... entre les parties au sujet de preuve extrinsèques, plus ou moins fiables, plus ou
l’interprétation du Traité ou de l’application de ses moins suspects, auxquels il peut être fait appel, parmi
d’autres éléments de preuve de nature circonstancielle,
dispositions», au sens de l’alinéa a du paragraphe 3 de pour établir ou reconstituer la matérialité des faits.»
l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit
des traités, et qu’elle n’a pas davantage donné lieu à une (C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54.)
quelconque «pratique... suivie dans l’application du Traité Après avoir examiné le dossi er cartographique qui lui a
par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de été soumis, la Cour ne s’estime pas à même de tirer des
l’interprétation du Traité», au sens de l’alinéa b de cette conclusions de celui-ci, eu ég ard à l’absence de toute carte
même disposition. traduisant officiellement la volonté des parties au Traité de
1890, ainsi que de tout accord exprès ou tacite entre celles-
Les cartes en tant que preuve ci ou leurs successeurs sur la validité de la frontière
(par. 81 à 87) représentée sur une carte, et compte tenu du caractère
incertain et contradictoire du matériau cartographique qui
Chacune des deux Parties a produit comme éléments de lui a été soumis. Celui-ci ne peut dès lors «conforte[r] une
preuve à l’appui de ses thèses un grand nombre de cartes, conclusion à laquelle le juge est parvenu par d’autres
qui remontent jusqu’à 1880. La Namibie souligne que la moyens, indépendants des cartes» ( Différend frontalier
majeure partie des cartes produites dans l’instance, même
celles qui proviennent de sources coloniales britanniques et (Burkina Faso/République du Mali ), C.I.J. Recueil 1986 ,
p.583, par.56). Il n’est pas davantage susceptible de
qui n’ont pas pour objet de figurer les frontières du modifier les résultats de l’interprétation textuelle du Traité
Bechuanaland, tendent à indiquer que la frontière autour de de 1890 à laquelle la Cour a procédé ci-dessus.
l’île de Kasikili/Sedudu se trouve dans le chenal sud du
Chobe. La Namibie y voit « une forme spéciale de “pratique « Le centre du chenal principal » ou Thalweg
ultérieurement suivie” et ... au ssi un aspect de l’exercice de
la compétence et de l’acquiescement à celle-ci qui aboutit à (par. 88 et 89)
l’acquisition d’un titre par prescription». Pour sa part, le L’interprétation des dispositions pertinentes du Traité
Botswana attache une import ance moindre aux cartes, et de1890 à laquelle la Cour a procédé ci-dessus l’amène à
relève notamment que la plupar t des cartes anciennes sont conclure que la frontière entre le Botswana et la Namibie
trop peu détaillées, ou d’une échelle trop petite, pour être autour de l’île de Kasikili/Sedudu, définie par ce traité,
utiles en l’espèce. Le Botswana fait cependant valoir que les passe dans le chenal nord du Chobe.
145 Selon le texte anglais du Traité, le tracé de cette frontière Après avoir résumé les arguments que chacune des
suit le «centre» du chenal principal, tandis que le texte Parties a fait valoir, la Cour observe que les Parties
allemand mentionne le «thalweg». La Cour a déjà indiqué conviennent entre elles que la prescription acquisitive est
que, dans l’esprit des parties au Traité de1890, ces deux reconnue en droit internationa l, et qu’elles conviennent de
termes étaient synonymes, et que le Botswana et la Namibie surcroît des conditions auxquelles un titre territorial peut
n’avaient eux-mêmes pas exprimé des positions réellement être acquis par prescription, mais qu’elles s’opposent sur le
différentes à cet égard. point de savoir si ces conditions sont réunies dans le cas
d’espèce. Leur désaccord a essentiellement trait aux
Il ressort par ailleurs des tr avaux préparatoires du Traité conséquences juridiques qui peuvent être tirées de la
que les parties contractantes s’ attendaient l’une et l’autre à
ce que la navigation sur le Chobe soit possible, et qu’elles présence sur l’île de Kasikili/Sedudu des Masubia du
avaient toutes deux l’intention d’exploiter cette possibilité. Caprivi orienta:lalors que la Namibie se fonde
Bien que les parties aient, en 1890, utilisé de façon essentiellement sur cette présence, considérée à la lumière
interchangeable les termes « thalweg » et « centre du de la notion d’«administration indirecte», pour prétendre
chenal», le terme «thalweg» exprime, de façon plus que ses prédécesseurs ont exercé sur l’île une autorité
étatique constitutive d’un titre, le Botswana y voit une
précise que ne le fait l’expr ession «centre du chenal»,
l’intention commune de tirer parti des possibilités de simple activité «privée» dénuée de toute pertinence au
navigation. En conséquence, c’est ce premier terme que la regard du droit international.
Cour estime déterminant au paragraphe 2 de l’article III. La Cour poursuit en faisant observer qu’aux fins de la
Le Botswana et la Namibie ayant convenu, dans les présente espèce, elle n’a pas à s’attarder sur le statut de la
réponses qu’ils ont apportées à une question posée par un prescription acquisitive en droit international ou sur les
conditions d’acquisition d’un titre territorial par
membre de la Cour, que le thalweg était constitué par la
ligne des sondages les plus profonds, la Cour conclut que la prescription. La Cour considère, pour les motifs exposés ci-
frontière suit cette ligne dans le chenal nord autour de l’île après, que les conditions énoncées par la Namibie elle-
de Kasikili/Sedudu. même ne sont pas remplies et que l’argumentation
namibienne relative à la prescription acquisitive ne peut en
conséquence être retenue, Il résulte de cet examen que,
La prescription acquisitive même si des liens d’allégeance ont pu exister entre les
(par. 90 à 99) Masubia et les autorités du Caprivi, il n’est pas établi que
La Namibie fonde cependant sa revendication sur l’île les membres de cette tribu occupaient l’île «à titre de
de Kasikili/Sedudu, non seulement sur le Traité de 1890, souverain», c’est-à-dire y ex erçaient des attributs de la
mais encore, à titre subsidiaire, sur la doctrine de la puissance publique au nom de ces autorités. Au contraire, il
prescription. La Namibie soutient en effet qu’ ressort du dossier de l’affaire que les Masubia utilisaient
« en vertu de l’occupation et de l’utilisation continues et l’île de façon intermittente, au gré des saisons et selon leurs
exclusives de l’île de Kasikili ainsi que de l’exercice besoins, à des fins exclusivement agricoles; cette utilisation,
d’une juridiction souveraine sur cette île depuis le début antérieure à l’établissement de toute administration
du siècle, au vu et au su des autorités responsables au coloniale dans la bande de Caprivi, semble s’être ensuite
Bechuanaland et au Botswana et avec leur acceptation et poursuivie sans être liée à des prétentions territoriales de la
acquiescement, la Namibie a acquis un titre par Puissance administrant le Capriv i. Certes lorsque, en 1947-
prescription sur l’île ». 1948, la question de la frontière dans la région s’est posée
pour la première fois entre les autorités locales du
Le Botswana estime que la Cour ne peut prendre en protectorat du Bechuanaland et celles de l’Afrique du Sud,
considération les arguments de la Namibie relatifs à la
prescription et à l’acquiescement car ceux-ci ne s’inscrivent et qu’on a estimé que le « chenal principal» du Chobe
pas dans le cadre de la question qui lui a été soumise aux autour de l’île était le chenal nord, les autorités sud-
termes du compromis. africaines se sont prévalues de la présence des Masubia sur
La Cour note que, aux termes de l’articleI du l’île pour prétendre qu’elles possédaient un titre fondé sur la
prescription. Toutefois, dès ce moment, les autorités du
compromis, elle est priée de dé terminer la frontière entre la Bechuanaland ont considéré que la frontière se situait dans
Namibie et le Botswana autour de l’île de Kasikili/Sedudu et le chenal nord et que l’île faisait partie du protectorat; après
le statut juridique de cette île «sur la base du Traité anglo-
allemand du 1 erjuillet 1890 et des règles et principes du quelques hésitations, elles ont refusé de satisfaire les
droit international ». De l’avis de la Cour, en se référant aux prétentions sud-africaines sur l’île, tout en reconnaissant la
«règles et principes du droit international», le compromis nécessité de protéger les intérê ts des tribus du Caprivi. La
autorise non seulement la Cour à interpréter le Traité de Cour en infère d’une part que, pour le Bechuanaland, les
activités des Masubia sur l’île étaient une question
1890 à la lumière de ceux-ci , mais également à faire une indépendante de celle du titre sur celle-ci, et d’autre part
application indépendante desdits règles et principes. La que, lorsque l’Afrique du Sud a officiellement revendiqué ce
Cour estime en conséquence que le compromis ne lui
interdit pas de connaître des arguments relatifs à la titre, le Bechuanaland n’a pas accepté cette revendication,
prescription avancés par la Namibie. ce qui excluait un acquiescement de sa part.
146 De l’avis de la Cour, la Namibie n’a pas prouvé avec le et III du dispositif relatifs au statut de l’île de
degré de précision et de certitude nécessaire que des actes Kasikili/Sedudu :
d’autorité étatique susceptibles de fonder autrement 1. Par l’effet dévolutif att aché au choix du chenal nord
l’acquisition d’un titre par pres cription selon les conditions comme chenal principal, l’arrêt a retenu la solution la moins
qu’elle a énoncées auraient été accomplis par ses invraisemblable en l’absence d’une comparaison
prédécesseurs ou par elle-même sur l’île de Kasikili/Sedudu. systématique des deux chenaux de navigation; ainsi
s’explique le rattachement de l’île de Kasikili/Sedudu au
Le statut juridique de l’île et les deux chenaux territoire botswanais.
qui l’entourent 2. Le communiqué de Kasane a créé des obligations
(par. 100 à 103) juridiques à la charge des deux États parties au litige à
propos de la jouissance et l’exercice des droits de leurs
Au terme de son interprétation du paragraphe 2 de ressortissants dans la zone pertinente; en plus du droit de
l’article III du traité de 1890, la Cour est parvenue à la navigation et de pêche dans le chenal, s’ajoute celui du libre
conclusion que la frontière entre le Botswana et la Namibie
autour de l’île de Kasikili/Sedudu suit la ligne des sondages accès dans les eaux environnantes et sur le territoire de l’île
les plus profonds dans le chenal nord du Chobe. La Cour de Kasikili/Sedudu.
n’ayant pas retenu l’argumentation namibienne relative à la Par ailleurs, en ce qui concerne la présence des Masubia
sur l’île de Kasikili/Sedudu, la proposition énoncée au
prescription, il s’ensuit pour ce motif aussi que l’île de paragraphe 98 de l’arrêt selon laquelle :
Kasikili/Sedudu fait partie du territoire du Botswana.
La Cour note toutefois que le communiqué de Kasane du « même si des liens d’allégeance ont pu exister entre les
24mai 1992 prend acte du fait que les Présidents de la Masubia et les autorités du Caprivi, il n’est pas établi
Namibie et du Botswana sont convenus et ont décidé que : que les membres de cette tribu occupaient l’île “à titre de
souverain”, c’est-à-dire y ex erçaient des attributs de la
« c) l’interaction sociale existante entre la population puissance publique au nom de ces autorités »
namibienne et celle du Botswana devait se poursuivre;
d )les activités économiques comme la pêche n’a pas une portée de caractère général, et ne vise que les
devaient continuer, étant entendu qu’aucun filet de circonstances particulières de la présente affaire.
pêche ne devait être tendu en travers du fleuve;
Déclaration du juge Koroma
e ) la navigation devait rester sans entrave et, entre
autres, les touristes devaient pouvoir se déplacer Dans sa déclaration, M K.oroma félicite les
librement ». Gouvernements de la Namibie et du Botswana pour leur
À la lumière des dispositions précitées du communiqué décision de porter le différend qui les opposait devant la
de Kasane, et en particulier de son alinéa e, ainsi que de Cour afin qu’il soit réglé de manière pacifique. Il rappelle
l’interprétation qui a été donnée de cet alinéa devant elle en que des différends semblables ont par le passé entraîné de
l’espèce, la Cour, qui en vert u du compromis est habilitée à graves conflits armés, mettant en danger la paix et la
déterminer le statut juridique de l’île de Kasikili/Sedudu, sécurité des États impliqués.
conclut que les Parties se sont mutuellement garanti la Il déclare en outre que, co mpte tenu de sa mission, il
liberté de navigation, sur les chenaux autour de l’île de était inévitable que la Cour c hoisisse, parmi les différentes
Kasikili/Sedudu, pour les bateaux de leurs ressortissants
interprétations possibles du Traité anglo-allemand de 1890,
battant pavillon national. Il en résulte que, dans le chenal l’une d’elles comme représenta nt l’intention commune des
sud autour de l’île de Kasikili/Sedudu, les ressortissants de parties à l’égard de l’emplacement de la frontière et du
la Namibie et les bateaux battant son pavillon sont en droit statut de l’île. Il précise qu’en faisant ce choix, la Cour a
de bénéficier et bé néficieront du traite ment accordé par le notamment tenu compte du principe de l’ uti possidetis ,
Botswana à ses propres ressortissants et aux bateaux battant principe reconnu dans l’ordr e juridique africain en ce qui
son propre pavillon. Les ressortissants des deux États et les
bateaux battant pavillon du Botswana ou de la Namibie concerne les frontières des États du continent.
M.Koroma ajoute que la Co ur, tout en appliquant ce
seront soumis aux mêmes conditions en ce qui concerne la principe, a décidé que, conformément aux principes
navigation et la protection de l’environnement. Dans le contemporains du droit applicable aux cours d’eau
chenal nord, chaque Part ie accordera ég alement aux internationaux ainsi qu’au communiqué de Kasane, les
ressortissants et aux bateaux battant pavillon de l’autre ressortissants et les bateaux battant pavillon de la
Partie, sur un pied d’égalité, le régime de traitement
national. République du Botswana et de la République de Namibie
doivent bénéficier d’un traitement égal dans les eaux de
l’autre État.
Déclaration du juge Ranjeva M.Koroma est d’avis que l’arrêt devrait donner à la
frontière entre les deux pays la validité juridique nécessaire
M.Ranjeva précise l’interprétation qu’il donne de la
réponse à l’article I du compro mis concernant les articles II et garantir le traitement équ itable d’une ressource naturelle
commune.
147 Déclaration du juge Higgins opérations qui dépendent largement de connaissances
scientifiques que la Cour aurait dû acquérir en s’assurant le
M Higgins expose, dans sa déclaration, que
contrairement à ce qui est dit dans l’arrêt, la Cour ne concours d’experts désignés par ses soins.
procède pas à un exercice d’interprétation d’un traité Ce n’est cependant pas la solution que la Cour a retenue.
d’après le sens ordinaire des mots qu’il contient. Ce que fait M. Oda ne conteste toutefois pas la décision que la Cour
a prise de sa propre initiative sans l’aide d’experts
la Cour, c’est appliquer en 1999 à une portion d’un fleuve
que l’on connaît bien aujourd’hui un terme général choisi indépendants de retenir le chenal nord comme étant le
par les parties en 1890. Pour ce faire, la Cour doit en même chenal principal du Chobe et , partant, comme étant la
temps prendre en considération ce qu’étaient, dans leur frontière sur le parcours de ce fleuve entre les deux États.
ensemble, les intentions des parties en 1890 et l’état des Tout comme la Cour, M. Oda est d’avis que la notion de
connaissances à l’époque au sujet de la zone en question. «prescription acquisitive» n’a aucun rôle à jouer dans la
À son avis, il n’y a pas lieu d’accorder un grand poids à présente affaire.
des critères liés à la navigation, étant donné que l’on sait M.Oda conclut que cela fait de nombreuses décennies
aujourd’hui que les espoirs des parties concernant la que le chenal nord, comme il ressort de certaines pratiques
navigation jusqu’au Zambèze étai ent erronées. Le réalisme et de certains rapports d’étude consacrés à la région, est
doit plutôt conduire la Cour à relever les critères présentant considéré comme le chenal pr incipal séparant les zones
un caractère pertinent pour ce qui est de l’autre intention des situées sur les rives nord et sud dans la région de l’île de
parties – à savoir parvenir à déterminer une frontière claire, Kasikili/Sedudu dans le Chobe. Ces facteurs seraient, de
ceci étant un objectif qui peut encore être atteint par la l’avis de M.Oda (qui s’oppose sur ce point à la position
décision de la Cour. adoptée par la Cour) ceux qui seraient les plus pertinents
La question de la configuration générale des lieux est pour aider la Cour à déterminer aujourd’hui la frontière
donc importante. Bien que l’arête du Chobe constitue la rive entre les deux États. Pour M.Oda, l’intention originale des
parties, en saisissant la Cour internationale de Justice par la
dominante dans les deux chenaux, c’est, tout au long de voie d’un compromis, était de faire déterminer
l’année, le chenamenord qui paraît être le plus large et le plus
visible. Pour M Higgins, un grand nombre de facteurs, l’emplacement de la frontière.
aussi instructifs et intéressant s soient-ils, ne sont guère
pertinents pour la tâche confiée à la Cour. Opinion individuelle du juge Kooijmans
M. Kooijmans a voté en faveur de l’ensemble des parties
Opinion individuelle du juge Oda du dispositif de l’arrêt. Il es t toutefois en désaccord avec la
M.Oda a voté en faveur du dispositif de l’arrêt car il Cour lorsqu’elle estime que le compromis l’autorise, par la
référence qu’il fait aux «règles et principes du droit
souscrit à la conclusion de la Cour selon laquelle le chenal
nord du Chobe constitue la frontière entre le Botswana et la international», à appliquer ceux-ci indépendamment du
Namibie. traité et à examiner la demande subsidiaire de la Namibie,
M.Oda éprouve toutefois de la difficulté à bien saisir qui est une demande de reconnaissance de son titre sur
l’enchaînement logique du raisonnement de la Cour dans Kasikili/Sedudu sur la base de la théorie de la prescription
l’arrêt. Celui-ci, selon lui, accorde une importance excessive acquisitive. Selon M.Kooijmans, cette partie de la requête
de la Namibie devrait être déclarée irrecevable puisque le
à la Convention de Vienne sur le droit des traités alors que compromis interdit à la Cour de déterminer le statut de l’île
le recours à cette convention ne se justifie pas d’après lui
pour interpréter le Traité anglo-allemand de 1890. Il ne indépendamment du Traité; or , c’est exactement ce que la
souscrit pas non plus à la démarche de la Cour qui consiste à Cour aurait fait si elle avait conclu à la validité de la
examiner surtout la pratique an térieure pour rechercher si demande de la Namibie.
celle-ci contiendrait des indices d’un « accord ultérieur » ou Dans la seconde partie de son opinion, M.Kooijmans
émet l’idée que les engagements mutuels pris par les Parties
d’une «pratique ultérieure» au sens de la Convention de dans le communiqué de Kasane de 1992 concernant
Vienne.
M. Oda esquisse ensuite sa conception de l’affaire. l’utilisation des eaux autour de l’île de Kasikili/Sedudu
Après avoir examiné le contexte de la saisine de la Cour, rendent compte à l’évidence des éléments nouveaux apparus
récemment en droit international comme le principe de
M.Oda estime que, le compro mis n’ayant pas été rédigé l’utilisation équitable et raisonnable des ressources
avec la clarté qui sied, les Parties auraient dû être invitées à hydriques partagées. Le Chobe autour de l’île constitue
préciser leur position commune sur la question de savoir si indubitablement une portion d’un cours d’eau au sens de la
elles considéraient la détermination de la frontière, qui
aboutirait ensuite à la détermination du statut juridique de Convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des
l’île de Kasikili/Sedudu, comme une question unique ou cours d’eau internationaux à des fins autres que la
bien si elles considéraient ces deux questions comme navigation, laquelle définit le cours d’eau comme «un
système d’eaux de surface et d’eaux souterraines
distinctes. constituant, du fait de leurs relations physiques, un
Pour M.Oda, identifier le chenal principal et, plus ensemble unitaire et aboutissa nt normalement à un point
particulièrement, déterminer son emplacement sont des d’arrivée commun». Bien que cette convention ne soit pas
148entrée en vigueur, elle consacre certains principes et règles, Il examine les différences existant entre les traités
tels que la règle de l’utilisation équitable qui est désormais traitant de sphères d’influence et les traités frontaliers stricto
bien établie en droit international. L’utilisation actuelle des sensu ainsi que l’importance qui s’attache à une telle
eaux autour de l’île à des fins touristiques peut difficilement distinction dans le domaine des délimitations frontalières.
être considérée comme partic ipant du transport fluvial et Il consacre d’assez longs développements à la question
s’apparente davantage aux usages à des fins autres que la de l’instauration de régimes internationaux conjoints
navigation qui fait l’objet de la Convention de 1997. Dans destinés à préserver l’environnement.
les négociations qu’elles auront à l’avenir au sujet de
l’utilisation des eaux autour de Kasikili/Sedudu, les Parties En définitive, le point de vue qu’exprime
M. Weeramantry dans son opinion est que, si l’île appartient
devront donc se laisser guider par les règles et principes à la Namibie, il faudrait instaurer entre les deux pays un
énoncés dans la convention de 1997. régime international conjoint pour préserver son
environnement.
Opinion dissidente de M. Weeramantry,
Vice-Président
Opinion dissidente du juge Fleischhauer
Dans son opinion dissidente, M.Weeramantry, Vice-
Président, est d’avis que, pui sque les expressions «chenal M.Fleischhauer a voté cont re les paragraphes 1 et 2 du
dispositif de l’arrêt de la Cour. Il se dissocie du sens que la
principal» et «Thalweg des Hauptlaufes» employées dans Cour attribue à l’expression «chenal principal de ce
le Traité de 1890, peuvent s’interpréter de différentes fleuve»/«Hauptlauf dieses Flusses» que celle-ci interprète
façons, rechercher le sens dans lequel ces expressions comme visant le chenal nord plutôt que le chenal sud du
étaient entendues à l’époque par les Parties ne pouvait que Chobe à hauteur de l’île de Kasikili/Sedudu. Le rejet par la
faciliter de manière importante leur interprétation. Cour de la thèse de la Namibie sur l’acquisition d’un titre
L’utilisation constante de l’île de Kasikili/Sedudu par les
par prescription sur l’île fait que son désaccord sur
Masubia pendant plus de cinquante ans après la signature du l’interprétation de l’expression «chenal principal de ce
traité, l’absence de reconnaissance de leur part d’un titre au fleuve »/« Hauptlauf dieses Flusses » a une incidence sur
profit d’un autre État, l’absence de toute objection face à un son appréciation non seulemen t de l’emplacement de la
tel usage ou de toute revendication de la part des frontière mais aussi du statut territorial de l’île. C’est la
prédécesseurs en titre du Botswana, tout cela conduit à raison pour laquelle il a voté non seulement contre le
penser qu’entre les parties au Tr aité et leurs représentants il
était entendu à l’époque que les Masubia ne franchissaient premier mais aussi contre le deuxième paragraphe du
dispositif. M.Fleischhauer a cependant voté en faveur du
pas les frontières nationales. En conséquence, ces éléments troisième paragraphe.
montrent que le chenal sud du Chobe doit être la frontière M. Fleischhauer rejoint la Cour dans son analyse du rôle
indiquée dans le Traité de 1890. La conduite des de la prescription dans la présente affaire, mais formule une
gouvernements, plus d’un demi-siècle après ces faits, alors observation supplémentaire.
que la situation générale et les relations entre les États ont
profondément changé, ne saurait refléter ce qui a été
Opinion dissidente du juge Parra-Aranguren
entendu à l’époque.
Le mot « accord » figurant à l’article 31, paragraphe 3 b, 1. M.Parra-Arangurenrelève, tout comme l’arrêt, que le
de la Convention de Vienne sur le droit des traités ne Botswana et la Namibie ne s’accordent pas sur le sens de
s’entend pas simplement d’un accord verbal; il s’applique à l’expression « centre du chenal principal (Thalweg des
un accord qui peut se traduire par une action ou une Hauptlaufes) [du Chobe] » figurant au paragraphe 2 de
abstention, une affirmation ou le silence. l’article III de l’Accord anglo-allemand de 1890; que le
traité lui-même ne la définit pas; qu’aucune autre des
M.Weeramantry, dans son op inion, analyse le principe
du thalweg et souligne l’ambivalence des critères dispositions du traité ne donne par implication d’indications
scientifiques et du critère de navigabilité, dès lors qu’il utiles pour l’interpréter et que ce membre de phrase doit
s’agit de déterminer le chenal principal. dans ces conditions s’interpréter conformément au droit
international coutumier tel qu’il est exprimé à l’article 31 de
Il souligne la richesse de l’île de Kasikili/Sedudu en tant la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des
qu’habitat naturel de la faune ainsi que les principes traités. Aussi faut-il, conformément à l’alinéa b du
juridiques qui découlent de ce fait.
M.Weeramantry traite ensuite de l’utilisation équitable, paragraphe 3 de cet article, examiner «toute pratique
à des fins de navigation, des fleuves frontières et de la ultérieurement suivie dans l’application du Traité par
laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de
manière dont un juge peut trancher la question de la l’interprétation du Traité » tout en gardant toujours à l’esprit
démarcation d’une frontière qui implique le démantèlement que cet accord peut être établi non seulement par la conduite
ou la division d’un écosystème. commune ou parallèle des parties, mais aussi par les actes
Il évoque également la part qu i peut être faite à l’équité d’une seule de celles-ci si l’autre y acquiesce ou ne s’y
dans le tracé d’une frontière.
oppose pas.
1492. Pour M.Parra-Aranguren, le rapport du capitaine Eason africain (la Namibie), aucune des parties au Traité anglo-
(de 1912), le rapport conjoint établi par MM.Trollope et allemand de 1890 n’avait compétence pour reconnaître, que
Redman (de 1948), l’échange de lettres auquel celui-ci a ce soit par accord exprès ou par la pratique ultérieure, que le
donné lieu entre 1948 et 1951 et le rapport de M. Renew (de « chenal principal » susmentionné du Chobe était le chenal
1965) conduisent à conclure que les Masubia du Caprivi nord et non le chenal sud ét ant donné que cette nouvelle
oriental étaient les seuls membres de tribus à avoir utilisé interprétation aurait modifié le territoire assujetti au mandat.
l’île de Kasikili/Sedudu du moins jusqu’en 1914, que leur L’accord qui s’était établi à l’ origine a en conséquence été
occupation de cette île était paisible et publique et que leurs maintenu, ce qui conduit M.Parra-Aranguren à conclure
chefs, comme le reconnaît le Botswana, « étaient devenus en que l’île de Kasikili/Sedudu fait partie de la Namibie et que
un certain sens des agents de l’administration coloniale» le chenal sud du Chobe est le «chenal principal» visé au
(voir le paragraphe 85 de son opinion dissidente). Il estime paragraphe 2 de l’article III de l’Accord anglo-allemand de
par conséquent que la pratique ultérieure de l’Allemagne et 1890.
de la Grande-Bretagne traduisait leur accord sur le fait que
l’île de Kasikili/Sedudu faisait partie du Sud-Ouest africain Opinion dissidente du juge Rezek
allemand et que le chenal sud du Chobe était le «chenal
M.Rezek, dans son opinion dissidente, souligne les
principal» visé au paragraphe 2 de l’article III de l’Accord ambiguïtés de la géographie dans la région de
anglo-allemand de 1890.
3. M.Parra-Aranguren rappelle en outre que la pratique Kasikili/Sedudu. Il critique les arguments ayant trait à la
ultérieure des parties à l’Accord anglo-allemand de 1890 navigabilité, à la visibilité et au prolongement naturel de la
n’est pertinente que jusqu’au début de la Première Guerre rivière lors de la bifurcation. Il interprète le Traité anglo-
mondiale, lorsque le Caprivi oriental a été occupé par des allemand de 1890 à la lumière de l’histoire, prenant en
considération la conduite des parties, le principe du partage
forces rhodésiennes en septembre 1914, qu’aucune pratique équitable des ressources du co urs d’eau, la cartographie,
ultérieure des parties au Traité n’était possible pendant que l’occupation effective de l’île par les Masubia du Caprivi. Il
les troupes britanniques exerçaient un contrôle de facto sur
le Sud-Ouest africain, que la Société des Nations a confirmé affirme la prééminence des éléments conduisant à la
en 1920 l’institution du mandat pour le Sud-Ouest africain détermination de la frontière dans le chenal sud et de la
et que, pendant toute la durée du mandat pour le Sud-Ouest souveraineté de la Namibie sur Kasikili/Sedudu.
150151152
Résumé de l'arrêt du 13 décembre 1999