Résumés des arrêts, avis conDocument non officielces de la Cour
internationale de Justice
AFFAIREDES MINQUIEIRS ET DES ÉCRÉHOUS
Arrêd tu 17 novembre1953
L'affaire des Minquiers et des Ecréhous avait été quesindicationssur lapossession des îlots litigieux. Le
soumise à la Cour en vertu d'un compromis conclu Royaume-Uni les invoque pour prouver que les îles de
entre leRoyaume-Uniet laFrance le 29décembre1950. la Manche étaient considéréescomme une entité, et
A l'unanimité,la Cour dit que la souverainetésur les que, parconséquent,puisque lesprincipales îlesétaient
îlots et rochers des groupes des Ecréhous et des Min- tenues par l'Angleterre, celle-ci possédait également
quiers, dans la mesure où ces îlots et rochers sont les groupes litigieux. Selon la Cour.il paraît s'en dé-
Uni.eptiblesd'appropriation. appartient au Royaume- qu'il soit possible d'en tirer une conclusion définitive
quant à la souverainetésur lesgroupes, celle-cidevant,
en dernière analyse, dépendre des preuves se référant
directement à la possession.
Dans son arrêt.la Cour commence par rappeler la ]Deson côté,le Gouvernementfrançais voit une pré-
tâche que les parties luiont confiée.Les deux groupes soinption en faveur de sa souveraineté dans le lien
d'îlots dont il s'agit se trouvent entre Jersey, une des féodalentre leroi deFrance, suzerainde l'ensemblede
îlesbritanniques de laManche,et la côte française. Les la Normandie, et le roi d'Angleterre, son vassal pour
Ecréhousen sontdistants de 3.9 millesd'une part et de ces territoires.l invoqueàcet égardunarrêtde lacour
6,6 d'autre part; les Minquiers de 9,8 milles d'une part de France de 1202condamnant Jean sans Terre à la
et de 16,2 milles d'autre part, 8 milles séparant ce commisedetoutes lesterres qu'iltenaiten fiefdu roide
derniergroupe des îlesChausey, qui appartiennent àla France, ycompris l'ensemble de laNormandie. Mais le
France. Aux termes ducompromis, laCourest invitée à Gouvernement du Royaume-Uni soutient que le titre
dire laquelle des parties a produit la preuve la plus féodaldes rois de France sur la Normandie étaitpure-
convaincante d'un titre à ces groupes, et toute pos- ment nominal. II conteste que les îles de la Manche
sibilitéde leur appliquer le statut de territoire sans aient étéreçues en fief du roi de France par le duc de
maître à (terra rtullius) est écartée. D'autre part.le Normandie et conteste la validité,voire l'existence, de
fardeau de la preuve est réservé :il s'ensuit donc que l'arrêt de1202.Sans résoudre ces controverses histo-
chacune des parties doit apporter la preuve des titres riques, la Cour considère qu'il suffit de dire que les
qu'elle allègueet des faits sur lesquels elle se fonde. coiiséquencesjuridiques qu'on prétendattacher au dé-
Enfin, quand le compromis parle d'îlots et rochers sus- membrement du duché deNormandie en 1204,lorsque
ceptibles d'appropriation, il faut considérer que ces la Normandie fut occupée par les Français, ont été
mots se réfèrent aux îlots et rochers matériellement dépassées par lesnombreux événementsqui se sont
susceptiblesd'appropriation. La Cour n'a pas à déter- produits au cours des sièclessuivants. Mais, cequi, de
miner le détaildes faits pour chaque élémentdes deux l'avisde la Cour, a une importancedécisive,ce ne sont
groupes. pas des présomptions indirectes fondées sur des don-
La Cour examine ensuite les titres produits par les nées remontant au Moyen Age, mais les preuves se
deux parties. Le Gouvernement du Royaume-Uni fait rapportant directement à la possession des groupes.
découlerle sien de la conquêtede l'Angleterre par le Avant de considérerces preuves, la Cour examine
duc de Normandieen 1066.L'union ainsiétablieentre tout d'abord certaines questions communes aux deux
l'Angleterre et le duchéde Normandie. lequel englo- groupes. Le Gouvernementfrançais afait valoirqu'une
bait les îles de la Manche, durajusqu'à 1204,lorsque convention relative aux pêcheries conclue en 1839,
Philippe-Auguste de France a conquis la Normandie sans avoir régléla question de la souveraineté, affecte
continentale. Mais, ses tentatives pour occuper éga- cependant cette question :lesgroupes litigieuxseraient
lement les îles ayant échoué,le Royaume-Uni soutient inclus dans la zone de pêchecommune instituée par
quetoutesles îlesde laManche, ycomprislesEcréhous cette convention. IIrésulteraitausside laconclusion de
et lesMinquiers. sontrestéesunies àl'Angleterreet que cette conventionqu'aucune des deuxpartiesne saurait
cette situationde fait aétéconsacréejuridiquement par invoquer des actes postérieurs, impliquant manifesta-
les traités conclus par la suite entre les deux pays. Le tioride souveraineté.La Cour ne retient pas ces thèses
Gouvernementfrançais soutient pour sa part qu'après car la convention a trait aux eaux seulementet non à
1204le roi de France tenait les Minquiers et les Ecré- l'usage du territoire des îlots. Dans les circonstances
hous de mêmeque certaines autres îles proches du spécialesdelaprésente affaire,et prenantenconsidéra-
continent et invoque les mêmestraitésdu Moyen Age tion la datà laquelle est véritablementnéun différend
que le Royaume-Uni. entre les deux gouvernements au sujet des groupes, la
Cour prendra en considération tous actes des parties,
La Cour constate qu'aucun de ces traités (traitéde excepté ceux qui auraient étédictés par l'intention
Parisde 1259,traitéde Calais de 1360,traité de Troyes d'ainéliorerla position en droit de l'une ou de l'autre.
de 1420)ne précise quelles îles étaient tenues par le
roi d'Angleterre ou par le roi de France. II y a cepen- Passant à l'examen de la situation de chacun des
dant d'autres documents anciens qui apportent quel- groupes, et pour ce qui est du groupe des Ecréhousenpari:iculier, la Cour constate, en se fondansur divers Le Gouvernementfrançais afait valoir certainsfaits.
documents du Moyen Age, que le roi d'Angleterre y 11soutient que les Minquiers ont étéune dépendance
exerçait lajustice et y percevait ses droits.es docu- des îles Chausey, données par le duc de Normandie à
ments montrent en outre qu'il existait à l'époque des l'abbaye du Mont-Saint-Michel en 1022.En 1784,une
liens étroits entre les Ecréhous et Jersey. correspondance fut échangéeentre des autorités fran-
A.udébut du XIX' siècle, ces liens devinre:àtnou- !;aisesà l'occasion d'une demande de concession se
veau plus étroitsà raison de l'importance grandissante rapportant aux Minquiers présentée parun ressortis-
de ].apêchedes huîtres. La Cour attache une valeur sant français. La Cour constate que cette correspon-
pro'bante à divers actes se rapportantà l'exercice par (lance ne contient rien qui vienàel'appui de la préten-
Jersey de la juridiction et de l'administration locale. tion française actuelleà la souveraineté mais qu'elle
ainsi qu'à la législation,telles que des procédures cri- révèleune certainecraintedecréer des difficultésavec
minelles se rapportant a.ux Ecréhous, la perception la Couronned'Angleterre. Le Gouvernementfrançais
d'impôts sur les maisons ou cabanes habitables cons- soutientque, depuis 1851,ila assuméseul la charge du
truites sur les îlots depuis 1889,l'enregistrementJer- balisage etde l'éclairagedes Minquiers sansrencontrer
sey de contrats se rapportant à des immeubles situés d'objection du Royaume-Uni, mais la Cour constate
aux Ecréhous. que les bouéesinstalléesparleGouvernementfrançais
iiux Minquiers ont étt placées hors des récifs du
L,eGouvernement franc;aisallèguel'interdictionfaite groupe,dans lebut d'aider lanavigationà l'entrée eàla
par les Etatsde Jersey en 1646de pêcherauxEcréhous sortie des ports français et de protéger les bateaux
et a.uxChausey et la limitation apportée par eux aux contres lesdangereux récifsdes Minquiers. Le Gouver-
visites aux Ecréhous en 1692. Il mentionne aussi des nement français fait étatégalementde diverses visites
échangesdiplomatiques entre les deux gouve:rnements c~fficiellesaux Minquiers et de l'édification en 1939
au clébutdu XIX'siècleetauxquelsétaientannexéesdes d'une maison surl'un des îlots avec un subside du maire
cartes sur lesquelles les Ecréhous sont pc~rtées,au de Granville, en Normandie continentale.
moinsenpartie, en dehorsdeseauxdeJersey et traitées
conime res rzullius.Dans une note au Foreign Officedu La Cour n'estime pas que les faits invoqués par le
15 décembre 1886, le Gouvernement français reven- ifouvernement français soient suffisants à démontrer
diquait pour la première fois la souveraineté sur les que la France ait un titre valable aux Minquiers. En
Ecréhous. particulier les divers actes desIX' et xxc siècles ne
En appréciant à la lumière de ces faits la valeur :sauraientêtreconsidéréscomme preuve suffisantede
relaltivedes prétentions d.esdeux parties, la Cour con- L'intention de ce gouvernement de se comporter en
clut quela souveraineté sur les Ecréhous appartient au :souverainsurles îlots et ne présententpas un caractère
Royaume-Uni. :permettantdelesconsidérer comme une manifestation
lie l'autorité étatique surces îlots.
En ce qui est du groupedes Mirzquiers,la Cour cons-
tate:qu'en 1615. 1616, 1611et 1692la compétencejudi- Dans ces circonstances, et eu égard à l'opinion
ciaire de la Cour seigneuriale du fief de Noirmont à 'expriméeplus haut sur les preuves produites par le
Jersey s'était exercée à l'occasion d'épaves trouvées (Gouvernement du Royaume-Uni, la Cour est d'avis
aux Minquiers. en raison du caractère territorial de ,quela souveraineté sur les Minquiers appartient à ce
cette compétence. ,dernier.
L'l'autrespreuvesserapportant àlafindu XVIII'siècle
au :rIxcet au xxc siècles ont étéproduites concernant
des enquêtes pratiquées B Jersey à propos de:cadavres
troiivés aux Minquiers. l'édification sur les îlots de Seprévalant du droit que leurconfèrel'article 57du
maisons ou cabanes habitables par des personnes de Statut, MM. BasdevantetCarneiro,juges, tout en s'as-
Jersey qui ontpayé à ce titre l'impôt foncier, I'enregis- sociantà la décisionde la Cour, ontjoint à l'arrêt les
trement àJersey de contrats de vente se rapportant à exposésdeleur opinionindividuelle. M. Alvarez,juge,
des immeubles aux Minquiers. Ces divers faits mon- tout en s'associant lui aussila décisionde la Cour, a
trent que les autorités de Jersey ont, de plusieurs ma- Faitune déclarationexprimant le regret que les parties
nières, exercé une admiriistration locale ordinaire aux aient donnéune importanceexcessiveaux preuves re-
Minquiers pendant une période prolongéeet que, pen- montant au Moyen Age et n'ont pas tenu un compte
dant une grande partie #duXIX' et au xxe isiècle,les suffisant de l'état du droit international et de ses ten-
a~t~oritésbritanniques y ont exercé des fonctions éta- dances actuelles en matière de souveraineté ter-
tiques. ritoriale.
Résumé de l'arrêt du 17 novembre 1953