Audience publique tenue le lundi 26 juin 2000, à 18 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Guillaume, président

Document Number
116-20000626-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2000/20
Date of the Document
Bilingual Document File
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Non -corrigé Uncorrected

CR 2000/20

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LA HAYE THE HAGUE

ANNEE 2000 YEAR 2000

Audience publique Public sitting

tenue le lundi 26 juin 2000, held on Monday 26 June 2000,
à 16 heures, au Palais de la Paix, at 4 p.m., at the Peace Palace,

sous la présidence de M. Guillaume, President Guillaume
président presiding

en l'affaire des in the case concerning

Activités armées sur le territoire du Congo Armed Activities on the Territory of the Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda) (Democratic Republic of the Congo v. Uganda)

____________ _______________

COMPTE RENDU VERBATIM RECORD

____________ _______________

Présents : M. Guillaume, président Present: President Guillaume
M. Shi, vice-président Vice-President Shi

MM. Oda Judges Oda
Bedjaoui Bedjaoui
Ranjeva Ranjeva
Herczegh Herczegh
Fleischhauer Fleischhauer
Koroma Koroma
Vereshchetin Vereshchetin
Mme Higgins Higgins

MM. Parra-Aranguren Parra-Aranguren
Kooijmans Kooijmans
Rezek Rezek
Al-Khasawneh Al-Khasawneh
Buergenthal, juges Buergenthal

M. Couvreugrr,effier RegistCrouvreur

__________

La République démocratique du Congo est The Democratic Republic of the Congo is
representée par : represented by: e Mr. Michel Lion, Advocate at the
M Michel Lion, avocat au barreau de
Bruxelles, Brussels Bar,

comme agent; as Agent;

S.Exc. SheOkitundu, ministre des droits H.E. Mr. She Okitundu, Minister of
humains, Human Rights,

comme conseiller et avocat; as Adviser and Advocate;

M. Ntumba Luaba, professeur de droit Mr. Ntumba Luaba, Professor of Public
international public à l’Un iversité de Kinshasa, International Law, University of Kinshasa,
chef du département de droit international Head of the Department of Public International
public, Law,

MO.livier Corten, professeur de droit Mr. Olivier Corten, Professor of Public
international public à la faculté de droit et à International Law, Faculty of Law and Institute

l’Institut d’études europé ennes de l’Université of European Studies, Université libre de
libre de Bruxelles, Bruxelles,

comme conseils et avocats; as Counsel and Advocates;

MO.livier Mushiete, conseiller du Mr. Olivier Mushiete, Adviser to the
ministre des droits humains, Minister of Human Rights,

comme conseiller; as Adviser;
Mlle Florence Desternes, avocat au barreau de Ms Florence Desternes, Advocate at the

Bruxelles, titulaire d’un D.E.C. en droit Brussels Bar, postgraduated in international
international, law,

M. François Dubuisson, su ppléant à la faculté Mr. François Dubuisson, Assistant Lecturer,
de droit de l’Université libre de Bruxelles, Université libre de Bruxelles,

Mlle Laurence Weerts, at taché de recherche au Ms Laurence Weerts, Research Assistant,

centre de droit international de l’Université libre Centre for International Law, Université libre de
de Bruxelles, Bruxelles,

M. Bokungu Boningo, assistant à la faculté de Mr.BokunguBoningo, Assistant at the Faculty
droit de l'Université de Kinshasa, of Law of the University of Kinshasa,

comme assistants de recherche. as Research Assistants.

La République de l'Ouganda est representée par : The Republic of Uganda is represented by:

S. Exc. l’honorable M. Bart M. Katureebe, S.C., H.E. the Honourable Bart M. Katureebe,
M.P., Attorney General de la République de S.C., M.P., Attorney General of the
l’Ouganda, Republic of Uganda,

comme agent, conseil et avocat; as Agent, Counsel and Advocate;

M.IanBrownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre MIr.nrownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A.,
de la Commission du dr oit international, Member of the International Law Commission,
professeur émérite de dr oit international public Emeritus Chicele Professor of Public
(chairehichele) à l’Université d’Oxford, International Law, University of Oxford,
membre de l’Institut de droit international, Member of the Institut de droit international,

M.PaulS. Reichler, cabinet Foley, Hoag et Mr. Paul S. Reichler, Foley, Hoag and Eliot
Eliot (LLP), Washington D.C., membre du LLP Washington D.C., Member of the Bar of

barreau de la Cour su prême des Etats-Unis, the United States Supr eme Court, Member of
membre du barreau du District of Columbia, the Bar of the District of Columbia, comme conseils et avocats; as Counsel and Advocates;

S.Exc. M. Arthur Gakwandi, ambassadeur, H.E. Ambassador
ministère des affaires étrangères, Kampala, Dr. Arthur S. Gakwandi, Ministry of

Foreign Affairs, Kampala,
comme conseiller;
as Adviser;
M.LucianTibaruha, directeur du service des Mr. Lucian Tibaruha, Director Legal

avis juridiques du ministère de la justice, Advisory Services, Mi nistry of Justice,
Kampala, Kampala,

comme conseil. as Counsel.

__________

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L'audience est ouverte. La Cour se réunit aujourd'hui pour entendre,
conformément au paragraphe 3 de l'article 74 de son Règlement, les observations des Parties au sujet de la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République démocratique du Congo en
l'affaire desctivités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) .

L'instance a été introduite le 23 juin 1999 par le dépôt au Greffe de la Cour d'une requête du Gouvernement de
la République démocratique du Congo contre la République de l'Ouganda. Dans cette requête, le Gouvernement
de la République démocratique du Congo se réfère, pour fonder la compétence de la Cour, aux déclarations
faites par les deux Etats en application du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut.

La République démocratique du Congo soutient dans sa requête que l'Ouganda a perpétré des actes d' agression
armée sur le territoire de la République démocratique du Congo en violation de la Charte des Nations Unies et
de la Charte de l'Organisation de l'unité africaine. Elle précise que

«[c]ette agression armée de troupes ougandaises en territoire congolais a entraîné entre autres la
violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo,
des violations du droit international humanitaire et des violations massives des droits de l'homme».

La République démocratique du Congo ajoute que :

«Par la présente requête, [elle] entend qu'il soit mis fin au plus tôt à ces actes d'agression dont elle
est victime et qui constituent une sérieuse menace pour la paix et la sécurité en Afrique centrale en
général et en particulier dans la région des Grands Lacs.

Elle entend également obtenir réparation pour les actes de destruction intentionnelle et de pillage
ainsi que la restitution des biens et ressources nationales dérobées au profit de l'Ouganda.»

J'inviterai à présent le greffier à bien vouloir donner lecture de la décision demandée à la Cour, telle qu'elle est

formulée au chiffre IV de la requête de la République démocratique du Congo.

Le GREFFIER :

«En conséquence, tout en se réservant le droit de compléter et préciser la présente demande en
cours d'instance, la République démocratique du Congo prie la Cour de

Dire et juger que :

a) l'Ouganda s'est rendu coupable d'un acte d'agression au sens de l'article 1 de la résolution 3314
de l'Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1974 et de la jurisprudence de la Cour
internationale de Justice, en violation de l'article 2,agraphe 4, de la Charte des Nations Unies; b) de même, l'Ouganda viole continuellement les conventions de Genève de 1949 et leurs
protocoles additionnels de 1977, bafouant ainsi les règles élémentaires du droit international
humanitaire dans les zones de conflits, se rendant également coupable de violations massives des

droits de l'homme au mépris du droit coutumier le plus élémentaire;

c) plus spécifiquement, en s'emparant par la force du barrage hydroélectrique d'Inga, et en
provoquant volontairement des coupures électriques régulières et importantes, au mépris du
prescrit de l'article 56 du protocole additionnel de 1977, l'Ouganda s'est rendu responsable de très
lourdes pertes humaines dans la ville de Kinshasa forte de 5 millions d'habitants et alentour;

d) en abattant à Kindu, le 9 octobre 1998, un Boeing 727, propriété de la compagnie

Congo Airlines, et en provoquant ainsi la mort de quarante personnes civiles, l'Ouganda a
également violé la convention relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944 signée
à Chicago, la convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite
d'aéronefs et la convention de Montréal du 23 septembre 1971 pour la répression d'actes illicites
dirigés contre la sécurité de l'aviation civile.

En conséquence, et conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées, dire
et juger que :

1) toute force armée ougandaise participant à l'agression doit quitter sans délai le territoire de la
République démocratique du Congo;

2) l'Ouganda a l'obligation de faire en sorte que ses ressortissants, tant personnes physiques que
morales, se retirent immédiatement et sans condition du territoire congolais;

3) la République démocratique du Congo a droit à obtenir de l'Ouganda le dédommagement de

tous les pillages, destructions, déportations de biens et des personnes et autres méfaits qui sont
imputables à l'Ouganda et pour lesquels la République démocratique du Congo se réserve le droit
de fixer ultérieurement une évaluation précise des préjudices, outre la restitution des biens
emportés.»

Le PRESIDENT : Conformément au paragraphe 2 de l'article 40 du Statut, le greffier a immédiatement
communiqué la requête au Gouvernement ougandais. En outre, conformément au paragraphe 3 de la même
disposition, des copies de la requête ont été transmises aux Membres des Nations Unies, par l'entremise du
Secrétaire général, ainsi qu'aux autres Etats admis à ester devant la Cour.

Par une ordonnance en date du 21 octobre 1999, la Cour, compte tenu de l'accord des Parties, a fixé au
21 juillet 2000 et au 21 avril 2001 les dates d'expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la République
démocratique du Congo et du contre-mémoire de la République de l'Ouganda, respectivement.

Le 19 juin 2000, la République démocratique du Congo a déposé au Greffe de la Cour une demande en
indication de mesures conservatoires, dans laquelle elle expose notamment que

«depuis le 5 juin dernier, la reprise des combats opposant les troupes armées de la République de
l'Ouganda à une autre armée étrangère ont causé des dommages considérables à la République
démocratique du Congo et à sa population»,

elle indique que «[c]es agissements ont fait l'objet d'une condamnation unanime, y compris par le Conseil de
sécurité de l'Organisation des Nations Unies ... agissant en vertu du chapitre VII de la Charte...» La République
démocratique du Congo soutient qu'«[e]n dépit de la formulation de promesses et de déclarations de principe, la
République de l'Ouganda a poursuivi sa politique d'agression, ses interventions armées brutales, ses exactions et

ses pillages». Elle ajoute que «[c]haque jour qui passe cause à la République démocratique du Congo et à ses
habitants un préjudice grave et irréparable» et qu'il est «urgent que les droits de la République démocratique du
Congo soient garantis, conformément à la Charte des Nations Unies et au Statut de la Cour». Elle expose enfin
que sa demande «se greffe directement sur le différend qu'elle a porté» devant la Cour, dont «la compétence
prima facie ... ne saurait faire de doute».J'inviterai à présent le greffier à bien vouloir donner lecture du passage de la demande dans lequel sont
énoncées les mesures conservatoires que le Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la
Cour d'indiquer.

Le GREFFIER :

«Sur la base des motifs de fait et de droit qui viennent d'être indiqués, la République démocratique
du Congo demande à la Cour d'indiquer d'urgence les mesures conservatoires suivantes :

1) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit ordonner à son armée de se retirer
immédiatement et complètement de Kisangani;

2) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit ordonner à son armée d'arrêter
immédiatement tout combat ou activité militaire sur le territoire de la République démocratique du
Congo, de se retirer immédiatement et complètement de ce territoire, et doit cesser immédiatement
de fournir, directement ou indirectement, tout appui à tout Etat ou tout groupe, organisation,
mouvement ou individu se livrant ou se disposant à livrer des activités militaires sur le territoire de
la République démocratique du Congo;

3) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit prendre toutes les mesures en son pouvoir
pour que les unités, forces ou agents qui relèvent ou pourraient relever de son autorité, qui
bénéficient ou pourraient bénéficier de son appui, ainsi que les organisations ou personnes qui
pourraient se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence, cessent immédiatement de
commettre ou d'inciter à commettre des crimes de guerre ou toute autre exaction ou acte illicite à
l'encontre de toutes les personnes sur le territoire de la République démocratique du Congo;

4) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit cesser immédiatement tout acte ayant pour

but ou pour effet d'interrompre, d'entraver ou de gêner des actions visant à faire bénéficier à la
population des zones occupées de leurs droits fondamentaux de la personne, en particulier à la
santé et à l'éducation;

5) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit cesser immédiatement toute exploitation
illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, ainsi que tout transfert
illégal de biens, d'équipements ou de personnes à destination de son territoire;

6) le Gouvernement de la République de l'Ouganda doit dorénavant respecter pleinement le droit à
la souveraineté, à l'indépendance politique et à l'intégrité territoriale que possède la République
démocratique du Congo, ainsi que les droits et libertés fondamentales que possèdent toutes les
personnes sur le territoire de la République démocratique du Congo.

En tout état de cause, la République démocratique du Congo se permet de rappeler
respectueusement à la Cour les pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 41 de son Statut et 75
de son Règlement, qui l'autorisent en l'espèce à indiquer toutes les mesures conservatoires qu'elle
estimerait nécessaires en vue de mettre fin à la situation intolérable qui perdure en République

démocratique du Congo, et en particulier dans la région de Kisangani.»

Le PRESIDENT : Dès réception du texte de la demande en indication de mesures conservatoires, le greffier,
conformément au paragraphe 2 de l'article 73 du Règlement, en a fait tenir une copie certifiée conforme à
l'agent de l'Ouganda. Il en a également informé le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

Le jour même du dépôt de la demande, j'ai adressé à chacune des Parties, en application du paragraphe 4 de
l'article 74 du Règlement de la Cour, une lettre appelant leur attention «sur la nécessité d'agir de manière que

toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets
voulus».

Selon l'article 74 du Règlement de la Cour, une demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur
toutes autres affaires. La date de la procédure orale doit être fixée de manière à donner aux parties la possibilité
de s'y faire représenter. En conséquence, par des communications en date du 20 juin 2000, les Parties ont étéinformées que la date d'ouverture de la procédure orale prévue au paragraphe 3 de l'article 74 du Règlement, au
cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la demande en indication de mesures
conservatoires, avait été fixée au 26 juin 2000 à 16 heures.

Je constate la présence devant la Cour des agents et conseils des deux Parties. La Cour entendra aujourd'hui la
République démocratique du Congo, qui est le demandeur sur le fond et a présenté la demande en indication de
mesures conservatoires. Elle entendra la République de l'Ouganda lors d'une audience qui se tiendra le
28 juin 2000, à 16 heures. Chaque Partie disposera d'un temps de parole maximal d'une heure et demie.

e
Je donne donc à présent la parole à M Michel Lion, agent de la République démocratique du Congo. Maître,
vous avez la parole.

M. LION : Je vous remercie, Monsieur le président.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, j'ai l'honneur de me présenter devant
vous en qualité d'agent de la République démocratique du Congo, comme vous venez de le rappeler, dans le
cadre de la requête introductive d'instance déposée au Greffe de la Cour le 23 juin 1999.

Je tiens à vous dire, au nom de toute la délégation congolaise, combien nous apprécions de plaider devant vous
aujourd'hui, en toute sérénité, cette affaire urgente et préoccupante.

La requête introductive d'instance tendait à constater que des forces armées ougandaises avaient envahi en
nombre important, appuyé par un matériel militaire impressionnant et ultra moderne, le territoire de la
République démocratique du Congo en violation flagrante de l'article 2 paragraphe 4 de la Charte des
Nations Unies.

Il s'en était suivi des pillages, déportations de populations civiles congolaises, massacres, viols, exploitation
illégale des richesses, destruction de la faune et de la flore, notamment.

Si le Gouvernement congolais a été contraint de déposer ce 19 juin une demande en indication de mesures
conservatoires, c'est en prenant en considération des événements d'une gravité exceptionnelle devant lesquels la
République démocratique du Congo ne pouvait rester sans réaction.

A ce sujet, il n'est plus à démontrer que l'Ouganda a engagé à Kinsangani, troisième ville en importance du
Congo, des combats meurtriers l'opposant à l'armée rwandaise en vue de s'assurer le contrôle de cette ville clé
et de ses immenses richesses.

Depuis la seconde guerre mondiale, c'est la première fois que deux armées régulières étrangères se livrent,
entre-elles, à des combats sur un territoire tiers en vue de s'approprier les richesses de celle-ci.

Triste constatation quand on sait que la victime de ces combats insensés est la population congolaise parmi
laquelle l'on peut déplorer des centaines de morts, des milliers de blessés et la destruction quasi systématique
d'une ville naguère très prospère.

Je me dois, au nom du Gouvernement congolais, de stigmatiser avec force l'attitude irresponsable d'un
gouvernement qui, aidé par ailleurs par des puissances étrangères occultes, tente par des moyens que réprouvent
les principes les plus élémentaires du droit international et de la morale de s'approprier les richesses
considérables des territoires occupés en République démocratique du Congo et ce, sur le dos d'une population
qui n'attend qu'une seule chose : vivre dans la paix !

L'or, le diamant, le bois, le café, les trafics de tout genre doivent-ils primer les souffrances d'un peuple
indépendant prisonnier d'une armée qui n'a aucun respect de la personne humaine et qui, à plus de 600
kilomètres des frontières ougandaises, se comporte en conquérant.

Les témoignages récents rapportés par les médias sur les événements de Kisangani étaient difficilement
supportables et j'ai encore cette image devant les yeux d'un homme dont toute la famille a été décimée, dont la
maison a été anéantie par les bombardements à l'arme lourde qui, avec un regard poignant vers le cameraman,demandait : «pourquoi la communauté internationale nous abandonne-t-elle, n'avons-nous plus le droit de
vivre» et qui suppliait qu'une réaction énergique intervienne.

C'est vrai que la communauté internationale s'est très peu préoccupée du sort des 60 millions de Congolais pour
lesquels la guerre déclenchée le 2 août 1998 est une guerre de trop.

La situation économique du Congo est catastrophique.

Priorité est donnée à l'effort de guerre, une grande partie des richesses naturelles du Congo sont aux mains des
Ougandais et la population congolaise des territoires occupés est systématiquement opprimée, vivant dans la
crainte sous la menace des armes.

Si actuellement un calme précaire existe à Kisangani, ville martyre complètement détruite, il faut bien être
attentif au fait que l'armée ougandaise a amassé de nouvelles troupes et des chars le long de la frontière,
préfigurant de vives craintes du Gouvernement congolais de voir déclencher dans les jours qui viennent une
nouvelle offensive d'envergure des envahisseurs ougandais en République démocratique du Congo.

L'Ouganda défie ouvertement la communauté internationale, forte de son impunité.

Aucun embargo sur les armes n'a été décrété à l'égard d'un pays qualifié il y a peu de temps par les Etats-Unis
d'Amérique de «meilleur élève de l'Afrique» et qui a bénéficié d'un allègement substantiel de sa dette à l'égard
du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale notamment de 700 millions de dollars en avril 1998.

Aucune sanction n'a été prise à l'égard d'un pays dont l'ambition est claire : provoquer l'éclatement de la
République démocratique du Congo et annexer une partie de son territoire.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je tiens à ce stade-ci de ma plaidoirie à
épingler, d'une façon succincte, les multiples interventions du Gouvernement congolais auprès d'instances
internationales et africaines tendant à obtenir un règlement pacifique du conflit et de situer la saisine de la Cour
internationale de Justice par la République démocratique du Congo dans ce contexte.

C'est ainsi que tout naturellement le Gouvernement congolais a saisi les instances onusiennes, à maintes
reprises : le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale, et, d'autre part, la Commission des droits de l'homme,
l'Organisation de l'aviation civile internationale ainsi que les instances africaines : l'Organisation de l'unité
africaine, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, la Communauté de développement de

l'Afrique australe et enfin, la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale.

Ce qu'il faut constater et déplorer, c'est que l'Ouganda ne s'est jamais soumis à la résolution 1234 du Conseil de
sécurité du 9 avril 1999 qui ordonnait le respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de
l'indépendance de la République démocratique du Congo ainsi que le retrait ordonné des forces non invitées par
le gouvernement légal et ce, en dépit des initiatives de paix qui ont abouti notamment à l'accord de Syrte
cosigné le 18 avril 1999 avec la République démocratique du Congo pour instaurer la paix sur le territoire de
celle-ci; ainsi qu'à l'accord de Lusaka du 10 juillet 1999, et à son protocole de Kampala du 14 avril 2000.

La présente demande en indication de mesures conservatoires se justifie dès lors par le souci du Gouvernement
congolais de voir respecter d'urgence les droits les plus élémentaires que lui confère le droit international.

La demande pressante du Gouvernement congolais présentée devant vous aujourd'hui va s'articuler sur les
points suivants :

1. Son Exc. le ministre des droits humains She Okitundu présentera la gravité des faits et montrera qu'ils

exigent d'urgence l'indication des mesures conservatoires demandées.

2. Ensuite, le professeur Ntumba Luaba montrera que ces mesures s'imposent au vu des violations flagrantes
par l'Ouganda des droits conférés à la République démocratique du Congo par le droit international.

3. Et enfin, le professeur Olivier Corten montrera à la Cour que les conditions juridiques nécessaires luipermettant d'indiquer les mesures conservatoires sollicitées sont réunies.

Je conclurai ensuite très brièvement l'argumentation de la République démocratique du Congo.

Ici s'arrête mon exposé et je vous remercie, Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole à Monsieur
le ministre She Okitundu.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Maître, et je donne maintenant la parole à Monsieur le ministre She
Okitundu.

M. OKITUNDU :

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi dès l'abord de vous exprimer
l'immense plaisir que je ressens de m'adresser pour la première fois à l'organe judiciaire principal des Nations
Unies.

2. Il me revient de traiter d'un point d'une grande importance concernant la persistance et la gravité des faits
commis par l'Ouganda contre la République démocratique du Congo (RDC) et sur son territoire, en violation

flagrante du droit international général et coutumier.

3. Monsieur le président, pour la clarté de mon exposé, je vous propose de l'aborder en quatre axes principaux :

- la présence militaire et paramilitaire sur le territoire congolais de l'armée ougandaise;

- les affrontements armés de Kisangani : «une guerre dans la guerre d'agression»;

- le pillage et l'exploitation illicite des ressources de la République démocratique du Congo (RDC);

- la persistance et l'aggravation des exactions qui touchent directement la population civile.

L'exposé se terminera sur quelques propositions.

I. La présence militaire et paramilitaire sur le territoire congolais
de l'armée ougandaise

4. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, comme il est de notoriété publique, les autorités
politiques ougandaises l'ont reconnu dans diverses enceintes internationales (Organisation des Nations Unies,
Organisation de l'unité africaine, les rencontres régionales), ainsi que dans de nombreuses déclarations, la
République démocratique du Congo, mon pays, fait l'objet d'une agression armée caractérisée de la part de
l'Ouganda et de certains autres pays voisins, depuis le 2 août 1998.

5. Depuis cette date à ce jour, l'Ouganda occupe de façon continue une partie substantielle du territoire de la
République démocratique du Congo, et ce malgré les protestations maintes fois réitérées du gouvernement légal
et légitime, ainsi que les appels au retrait lancés par le Conseil de sécurité et d'autres institutions internationales.
On n'est pas en présence de simples incidents frontaliers ou d'incursions armées mais d'une occupation
permanente du territoire.

6. Les forces étrangères ougandaises, «non invitées» par le gouvernement légal de la République démocratique

du Congo, pour reprendre l'expression du Conseil de sécurité dans la résolution 1234 du 18 avril 1999, par leur
présence et l'occupation continue d'une bonne partie du territoire congolais, où les autorités ougandaises ont
même créé de nouvelles entités politico-administratives, violent de façon grave et flagrante les règles
fondamentales sur lesquelles se fondent autant les Nations Unies que l'Organisation de l'unité africaine.

7. Qui peut encore contester aujourd'hui qu'il s'agit là d'un emploi illicite de la force contre l'intégrité territoriale
et l'indépendance politique d'un autre Etat, ainsi que d'une manière incompatible avec les buts des Nations
Unies alors que leur Charte demande aux Etats Membres de s'en abstenir ?8. Comment qualifier autrement ces faits que de parler d'une agression caractérisée patente et avérée telle que la
définit la résolution 3314 adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1974 par l'article
premier «l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou

l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations».

9. Par ailleurs, l'Ouganda s'illustre également par le soutien militaire direct et illicite à des forces armées
irrégulières à la création desquelles il a participé activement, tantôt par des attaques communes, tantôt par une
contribution logistique significative. Il s'agit plus d'agents congolais de l'Ouganda que de véritables rebelles
congolais.

II. Les affrontements armés répétés entre l'Ouganda et

un autre pays voisin dans la ville de Kisangani

10. Les affrontements armés répétés terrifiants, voire apocalyptiques, à l'arme lourde et automatique, entre les
troupes ougandaises et celles d'un autre pays, à Kisangani, troisième grande ville de la République
démocratique du Congo peuplée d'environ un million d'habitants, témoignent du niveau de gravité atteint par la
guerre d'agression caractérisée dont notre pays est victime depuis le 2 août 1998 : «une guerre dans la guerre
d'agression», comme l'ont qualifié de nombreux commentateurs; «Une guerre d'un autre âge», comme l'a
souligné un éminent homme politique.

11. Ce conflit entre armées étrangères sur le sol congolais et même dans le sous-sol, alliés rivalisant pour la
possession des richesses et le partage du fabuleux butin de guerre, fait voler en éclat la thèse d'un soi-disant
conflit interne ou d'une guerre civile. Le rapporteur spécial des Nations Unies, Monsieur Roberto Garreton qui,
dans son premier rapport hésitait, voire s'abstenait de parler d'un conflit armé international, s'est fait désormais
une autre opinion, en repensant la qualification de ce conflit : «La République démocratique du Congo est ...
confrontée non plus à un seul conflit mais à plusieurs, certains ayant des dimensions internes, d'autres un
caractère international.» (Commission des droits de l'homme, cinquante-sixième session, E/CN.4/2000/42.)
Cette position devrait encore évoluer à la lumière de la résolution 1304 (2000) du Conseil de sécurité.

12. Non seulement les premiers affrontements armés ont provoqué d'énormes dégâts matériels mais surtout ils
ont causé de nombreuses pertes en vies humaines et compromis la campagne nationale de vaccination dans l'est
du pays, par la destruction de trois millions de doses de vaccin, exposant ainsi à la poliomyélite plusieurs
millions d'enfants civils congolais.

13. Forts de l'intensification de la formation des recrues armées, mercenaires et après avoir procédé à des
mouvements massifs de recrutement des enfants dans la rue, l'Ouganda va lancer le 5 mai 2000, des attaques
contre les troupes de l'autre pays voisin qui dureront presque une semaine, toujours dans la ville de Kisangani.

14. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et de nombreux gouvernements à travers le monde ont réagi et
condamné ces agissements inadmissibles du point du droit international et des valeurs humanitaires. Ainsi, par
la voie de son président, le conseil a estimé «que ces actes de violence contreviennent directement à l'accord de
Lusaka, au plan de désengagement de Kampala en date du 8 avril 2000, [et] au cessez-le-feu du 14 avril
2000...». (S/PRST/2000/15; déclaration du 5 mai 2000).

15. Le communiqué lu par le porte-parole du département d'Etat américain, M. Richard Baider, le 5 mai dit

notamment que

«Le Gouvernement des Etats-Unis condamne avec vigueur les attaques que les forces armées
ougandaises ont lancées ce matin contre les troupes de l'armée rwandaise à Kisangani en
République démocratique du Congo. Ces attaques ont causé la mort des civils congolais.

Elles constituent une violation de la souveraineté du Congo et une violation flagrante de l'accord de
Lusaka ... il n'y a aucune raison pour qu'une force quelconque disposant de soldats au Congo

déclenche ses opérations.» (Source : bureau des programmes d'information internationale du
département d'Etat.)

16. Malgré divers injonctions et rappels à l'ordre, l'Ouganda n'entend pas se détourner de ses desseins funestes à
l'endroit de la République démocratique du Congo. C'est ainsi qu'il reprendra les combats avec les troupes del'autre pays, pour la troisième fois à Kisangani, à la date du 5 juin 2000.

17. Si les deuxièmes affrontements armés ont enregistré quelques dizaines de morts et des centaines de blessés,

les troisièmes ont provoqué le décès de plusieurs centaines de personnes et des milliers de blessés, comme en
témoigne un communiqué du comité international de la Croix Rouge. Ainsi se trouve également augmenté le
nombre de personnes disparues, de veufs ou veuves et d'orphelins, de réfugiés et de personnes déplacées,
accentuant la catastrophe humanitaire dans cette partie du pays.

Le monde entier a assisté en direct à la destruction d'une ville, de ses monuments dont la cathédrale et de ses
habitants.

18. C'est ainsi que le conseil de sécurité, dans sa récente résolution 1304 précitée du 16 juin 2000, agissant en
vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies :

- «Condamne à nouveau sans réserve les combats entre les forces ougandaises et rwandaises à
Kisangani, en violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République
démocratique du Congo, et exige que ces forces et celles qui leur sont alliées mettent fin aux
affrontements»;

- «Exige également :

a) que l'Ouganda et le Rwanda, qui ont violé la souveraineté et l'intégrité territoriale de la
République démocratique du Congo, retirent toutes leurs forces du territoire de la République
démocratique du Congo sans plus tarder, conformément au calendrier prévu dans l'accord de
cessez-le-feu et le plan de désengagement de Kampala en date du 8 avril 2000».

19. Dans ses explications données au Parlement ougandais, lors de sa séance du dimanche 28 mai 2000 sur la

présence des troupes ougandaises en territoire congolais et les combats avec les troupes du Rwanda, le
président, Yoveri Museveni insiste sur des divergences d'ordre stratégique. Mais c'est le journal ougandais New
Vision qui a raison lorsqu'il estime qu'au-delà il s'agit d'un problème de rivalités économiques pour la mainmise
sur les richesses du Congo ( New Vision du 1 juin 2000 et Radio-France-internationale, journal matinal du
2 juin 2000).

III. La persistance et l'aggravation des rivalités économiques
pour la mainmise sur les richesses du Congo

20. La possession des richesses de la République démocratique du Congo et le pillage de ses ressources
constituent une des causes majeures de la guerre d'agression. Des réseaux mafieux se sont tissés avec des
interconnexions et ramifications internationales, comprenant des officiels ougandais civils et militaires. Des
noms sont même cités par des observateurs aussi indépendants que Colette Braeckman dans son ouvrage
L'enjeu congolais publié en 1999 aux éditions Fayard à Paris, ou l'organisation non gouvernementale
«Observatoire Gouvernance et Transparence». Après des enquêtes sur terrain, notamment à Naïrobi et à

Kampala, cette dernière est arrivée à la conclusion suivante : «à la faveur de la guerre, l'Ouganda et le Rwanda
s'adonnent à un trafic systématique des richesses minières et agro-forestières des provinces congolaises».

21. Trafiquants de diamant, d'or et d'autres matières précieuses et ressources rares, blanchisseurs de narco-
dollars et marchands des canons sont présents sur le terrain, intéressés à la poursuite de la guerre en République
démocratique du Congo et ayant partie liée avec l'Ouganda et l'autre pays agresseur.

22. Aujourd'hui l'Ouganda et le Rwanda, impliqués dans la poursuite de la guerre, sont devenus exportateurs de

diamant, or et d'autres matières qu'ils ne produisent pas. Des compagnies aériennes ougandaises, dont les forces
aériennes ougandaises, ainsi que des compagnies ougandaises bien connues opèrent intensivement sur le
territoire de la RDC.

23. Les ressources de la flore et de la faune font également l'objet d'une intense exploitation et d'une déportation
accrue sinon d'un massacre. C'est le cas des éléphants, des gorilles, des rhinocéros et des okapis.24. Tout démontre que la guerre ne pourra s'arrêter que si l'on met fin au pillage des ressources de la
République démocratique du Congo.

IV. La persistance et l'aggravation des exactions qui touchent
directement la population civile

25. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, la guerre est, par essence un déni fondamental des
droits de l'homme. Ainsi nombreuses sont les atteintes aux droits de l'homme depuis le déclenchement de la
guerre d'agression contre la République démocratique du Congo par l'Ouganda et d'autres pays voisins : tueries
et massacres en particulier des personnes vulnérables. Torture et traitements inhumains et cruels; arrestations,
camps de concentration et déportation des Congolais; viol de plusieurs femmes et de jeunes filles; diffusion

délibérée du VIH utilisé comme arme de guerre...

26. Les valeurs et les normes fondamentales du droit international humanitaire sont bafouées et piétinées :
attaques indiscriminées contre les populations civiles; destruction des hôpitaux, dispensaires, écoles, barrages,
églises et autres biens à caractère civil...

27. Les affrontements sanglants entre les ethnies Hema et Lendu dans l'Ituri, région sous contrôle des forces
ougandaises, attisés et instrumentalisés par celles-ci, ont fait, en janvier et février 2000, selon les estimations

des organisations humanitaires, entre cinq milles et sept milles morts. Les organisations non gouvernementales
des droits de l'homme affirment que la participation de l'armée ougandaise dans ces massacres est effective
(communiqué de l'ASSADHO repris dans le journal congolais Le Palmares no 1764 du 13/2/2000 p. 5).

28. En conséquence tant que durera la guerre d'agression et la présence des troupes ougandaises et autres sur le
territoire congolais, les droits de l'homme et les valeurs du droit international humanitaire ne cesseront d'être
ignorés et violés.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, pour éviter que l'irréparable à répétition se commette
ou s'accentue et que l'irréversible soit atteint, le Gouvernement de la République démocratique du Congo
sollicite de la Cour, conscience universelle de la justice mondiale, d'indiquer d'urgence les mesures
conservatoires vitales pour la République démocratique du Congo et sa population.

Il serait sans doute par ailleurs souhaitable, dans la mesure où la compétence judiciaire de la Cour le lui
autorise, que des mesures soient prises également, pour plus d'efficacité à l'endroit de toute autre autorité civile

ou militaire étrangère non invitée se trouvant sur le territoire congolais.

Comme la Cour elle-même l'a dit dans l'affaire de Certaines dépenses C(I.J. Recueil 1962 , p. 168) : «Il est
naturel d'accorder le premier rang à la paix et à la sécurité internationales, car les autres buts ne peuvent être
atteints que si cette condition fondamentale est acquise.» L'indication des mesures conservatoires appropriées
nous placera déjà sur la voie de la paix.

Je vous remercie, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour de votre attention, et vous prie,

Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole à Monsieur Ntumba Luaba, conseil et avocat de la
RDC.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le ministre. Et je donne maintenant la parole à M. le
professeur Ntumba Luaba.

M. LUABA :

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est avec autant d'honneur que de réel plaisir que je
me présente pour la première fois devant votre illustre et prestigieux prétoire, la plus haute juridiction
mondiale, en qualité de conseil et avocat de la République démocratique du Congo.

2. Dans le cadre de l'exposé de la République démocratique du Congo, il me revient de traiter de la partie
relative aux graves atteintes aux droits de la République démocratique du Congo du fait de la présence armée
de l'Ouganda sur son territoire.3. A sérier et à qualifier les actes commis par l'Ouganda du fait de l'illicéité de sa présence et de son
comportement en République démocratique du Congo, il est évident que tous les principes les plus élémentaires
du droit international public, tels qu'ils se trouvent consignés dans la Charte des Nations Unies et consacrés par

la coutume internationale, sont allègrement violés. L'engagement de la responsabilité internationale de
l'Ouganda du fait des dommages causés à la République démocratique du Congo et à ses habitants ne fait
l'ombre d'aucun doute.

4. Bien que l'ensemble des principes soient inextricablement liés, pour la clarté de mon exposé, ils sont
présentés dans l'ordre suivant :

- la violation du respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de la

République démocratique du Congo;

- la violation de l'interdiction du recours à la force;

- la violation de l'interdiction de l'intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale des Etats;

- la violation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes;

- la violation de l'obligation de régler pacifiquement les différends internationaux;

- la violation flagrante et massive de l'obligation de respecter les droits de l'homme; et enfin

- la violation de l'obligation d'appliquer les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité.

I. La violation du respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale
et de l'indépendance politique de la République démocratique du Congo

5. Par ses actions armées contre la République démocratique du Congo, l'occupation militaire d'une partie
substantielle de son territoire et le soutien actif aux groupes armés irréguliers, l'exploitation illicite des
ressources, l'Ouganda viole manifestement la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de
la République démocratique du Congo.

6. Ce faisant l'Ouganda porte atteinte au socle des relations entre Etats Membres de l'ONU et même à
l'existence des Nations Unies. En effet, l'article 2, paragraphe 1 de la Charte dispose que : «L'Organisation est
fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres.» Faudrait-il également rappeler ici,
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, que le préambule de la Charte proclame la foi des
peuples des Nations Unies dans l'égalité des droits «des nations, grandes et petites» ?

7. Consacrant le principe de l'égalité souveraine des Etats, la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée Générale,
précise que :

- «chaque Etat jouit des droits inhérents à la pleine souveraineté;

- chaque Etat a le devoir de respecter la personnalité des autres Etats;

- l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de l'Etat sont inviolables;

- chaque Etat a le droit de choisir et de développer tout aussi librement son système politique,
social, économique et culturel».

8. Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , la Cour rappelle
également que tout le droit international repose sur le principe fondamental de la souveraineté des Etats : «la
liberté qu'un Etat a de choisir son système politique, social, économique et culturel», de même que ses options
de politique extérieure et ses alliances (C.I.J. Recueil 1986 a,rêt du 27 juin 1986 , p. 133).

9. Malgré les appels réitérés de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation de l'unité africaine aurespect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance de la République démocratique du
Congo, l'Ouganda n'a pas daigné obtempérer, se moquant éperdument des institutions et des normes
internationales.

II. La violation de l'interdiction du recours à la force

10. La violation flagrante par l'Ouganda de la prohibition du recours à la menace ou à l'emploi de la force,
«principe fondamental du droit international» énoncé à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies
découle clairement, outre des attaques répétées contre les forces armées congolaises, de la présence continue et
même permanente de l'armée ougandaise sur le territoire congolais, ainsi que de son soutien actif et substantiel
aux groupes armés irréguliers qui combattent le Gouvernement légitime de la République démocratique du

Congo.

11. Nous sommes là en présence d'une véritable occupation, contraire aux principes les plus élémentaires du
droit international contemporain et aux relations qui doivent normalement exister entre Etats civilisés épris de
paix. La résolution 2625 (XXV) sur les questions amicales entre les Etats ne dispose-t-elle pas que «le territoire
d'un Etat ne peut faire l'objet d'une quelconque occupation militaire» ?

12. A vrai dire il ne peut s'agir d'autre chose que d'une agression en bonne et due forme par l'armée ougandaise,

«force non invitée» sur le territoire congolais pour reprendre le concept du Conseil de sécurité (résolution 1234
du 18 avril 1999).

13. En effet, tous les actes posés par l'Ouganda directement ou indirectement sont constitutifs d'une agression
armée telle qu'il ressort de l'annexe à la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies.

14. Il suffit, selon l'article 3 de cette résolution de l'accomplissement de l'un quelconque de ces actes pour qu'il
y ait agression : invasion ou attaque du territoire d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat; occupation

militaire, même temporaire; bombardement, emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d'un autre
Etat, le fait de s'engager dans des actions de soutien à des forces irrégulières opérant sur le territoire d'un autre
Etat... La caractéristique du comportement de l'Ouganda est de cumuler tous ces actes ainsi prohibés, au point
qu'on est fondé à parler d'une véritable tentative de «statocide».

15. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, excusez ce néologisme. Mais, j'estime que le terme
«statocide» exprime mieux la réalité des faits que commet l'Ouganda et qui violent une norme aussi impérative
et fondamentale que l'interdiction de recours à la force ( C.I.J. Recueil 1986 ,rrêt du 27 juin 1986 , par. 190).

III. La violation de l'interdiction de l'intervention dans les affaires
relevant de la compétence nationale des Etats

16. Par le recours à la force armée, le soutien actif à des groupes armés irréguliers luttant contre le
Gouvernement légitime de la République démocratique du Congo, par le contrôle et la gestion directe ou
indirecte d'une partie du territoire congolais, en tentant d'imposer un régime politique de son choix, par
l'exploitation de ses ressources, l'Ouganda viole manifestement le principe de non-intervention dans les affaires
de la compétence nationale des Etats qui a également une base coutumière.

17. De façon claire, la résolution 2625 l'explicite ainsi :

«Aucun Etat ni groupe d'Etats n'ont le devoir d'intervenir, directement, pour quelque raison que ce
soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat.

En conséquence, non seulement l'intervention armée, mais aussi toutes autres formes d'ingérence

ou toute menace, dirigées contre la personnalité d'un Etat ou contre ses éléments politiques,
économiques et culturels, sont contraires au droit international.»

Aussi demande-t-elle aux Etats de

«s'abstenir d'organiser, d'aider, de fomenter, de financer, d'encourager ou de tolérer des activités
armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d'un autre Etat ainsi que d'intervenir dans les luttes intestines d'un autre Etat».

18. La Cour a toujours condamné de telles pratiques contraires au droit international. Aussi dans son arrêt rendu

dans l'affaire du Détroit de Corfou affirmait-elle :

«Le prétendu droit d'intervention ne peut être envisagé que comme une manifestation d'une
politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu à des abus les plus graves et qui ne
saurait... trouver aucune place dans le droit international.» ( C.I.J. Recueil 1949 , p. 35.)

19. La Cour a eu l'avantage de préciser la portée de ce principe dans l'arrêt relatif aux Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) :

«d'après les formulations généralement acceptées, ce principe interdit à tout Etat ou groupe d'Etats
d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre
Etat. L'intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de
souveraineté des Etats permet à chacun d'entre eux de se décider librement.» ( C.I.J. Recueil 1986,
p. 108, par. 205.)

Selon la Cour, le fait d'appuyer et d'assister, dans le territoire d'un autre Etat, «des bandes armées dont l'action

tend à renverser le gouvernement, cela équivaut à intervenir dans ses affaires intérieures» ( C.I.J. Recueil 1986 ,
p. 124, par. 241).

20. Comme pour l'agression dont l'article 5 de la résolution 3314 dit qu'«aucune considération de quelque
nature que ce soit, politique, économique, militaire ou autre ne saurait justifier une agression», l'intervention
dans les affaires d'un autre Etat ne peut en droit international, rencontrer de la compréhension.

21. A son sujet, le professeur Ian Brownlie admet que

«la pratique suivie ultérieurement par les Etats Membres des Nations Unies n'a donné lieu à aucune
dérogation en droit international général. Une telle dérogation constituerait en principe une
aberration majeure.» (I. Brownlie, plaidoirie dans l'affaire Yougoslavie c. Etats membres de
l'OTAN, voir http://www.icj-cij.org.)

IV. La violation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

22. Aux termes de l'article premier, paragraphe 2, de sa Charte, l'Organisation des Nations Unies entend
«développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droit des
peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes...»

23. Selon la résolution 2625 (XXV), en vertu de ce principe, «tous les peuples ont le droit de déterminer leur
statut politique en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique,
social et culturel». En conséquence, «tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition
qui priverait les peuples ... de leur droit à disposer d'eux-mêmes, de leur liberté et de leur indépendance».

24. Il est donc patent que par ses atteintes à la souveraineté, à l'intégrité territoriale et à l'indépendance de la
République démocratique du Congo, de même que par ses multiples interventions directes et indirectes dans les
affaires de la République démocratique du Congo, l'Ouganda viole de manière flagrante le droit du peuple
congolais à disposer de lui-même.

Ce comportement illicite entraîne des violations tout aussi flagrantes que massives d'autres principes essentiels
du droit international.

V. La violation de l'obligation de régler pacifiquement
les différends internationaux

25. C'est le corollaire ou l'autre versant de l'interdiction de la menace ou du recours à la force dans les relations
internationales. Il est consacré à l'article 2, paragraphe 3, de la Charte de l'Organisation des Nations Unies : «Les Membres de l'Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques
de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en
danger.»

26. En persistant dans le recours à la force malgré les diverses tentatives offertes par la République
démocratique du Congo d'un règlement pacifique (accord de Syrte du 9 avril 1999, accord de Lusaka du
10 juillet 1999, nombreuses rencontres diplomatiques), ainsi que, nonobstant, les rappels à l'ordre de
l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation de l'unité africaine, l'Ouganda se place en marge des
Nations Unies et hors la loi internationale.

VI. La violation flagrante et massive de l'obligation de respecter

les droits de l'homme

27. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Dans son exposé, le ministre des droits humains de
la République démocratique du Congo a passé en revue les nombreuses et graves atteintes aux droits de
l'homme commises par l'Ouganda, ainsi que la mise sous le boisseau, par ce pays, du droit international
humanitaire dans ses attaques et l'occupation d'une bonne partie du territoire de la République démocratique du
Congo.

28. L'Ouganda a perpétré ses multiples forfaits soit directement par ses propres troupes et agents, soit par son
assistance ou son encouragement aux agissements de forces irrégulières sur le territoire de la République
démocratique du Congo. Parfois, il s'est abstenu là où il pouvait agir et empêcher.

29. Ce faisant, l'Ouganda viole de manière flagrante l'obligation générale de favoriser le respect universel et
effectif des droits de l'homme, consacré notamment à l'article 55 de la Charte et dans de nombreux autres
instruments internationaux.

30. Comme le souligne Gérard Cohen-Jonathan, sur chaque Etat pèse l'obligation intégrale de respecter et de
faire respecter les droits de l'homme (G. Cohen-Jonathan, Responsabilité pour atteinte aux droits de l'homme,
dans La responsabilité dans le système international , SFDI, Colloque du Mans, Pédone, Paris, 1991, p. 127-
128).

Cette obligation a un fondement, non seulement conventionnel, mais aussi coutumier. Ainsi, l'article premier
commun aux quatre conventions de Genève de 1949 engage les parties à respecter et à faire respecter le droit
international humanitaire. Ce que l'Ouganda n'a pas fait.

31. La Cour a jugé dans l'affaire Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique C.I.(. Recueil 1986 , p. 114, par. 218) que
certaines règles devant être appliquées dans les conflits armés ne présentant pas un caractère international prévu
par l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève de 1949 «constituent aussi en cas de conflits armés
internationaux, un minimum...» Il s'agit de règles qui ... correspondent à ce qu'elle a appelé en 1949 des
«considérations élémentaires d'humanité.» ( Détroit de Corfou, C.I.J. Recueil 1949 , p. 22.)

VII. La violation de l'obligation d'appliquer les résolutions
adoptées par le Conseil de sécurité

32. En persistant à demeurer sur le territoire de la République démocratique du Congo, par la présence de ses
forces armées «non invitées» et par une occupation illicite permanente, l'Ouganda fait fi de l'ensemble des
résolutions adoptées par le Conseil de sécurité.

33. Il s'agit notamment des résolutions 1234 d'avril 1999, 1291 de 2000 et 1304 du 16 juin 2000 qui l'invitent et
l'obligent à respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance de la République démocratique du
Congo.

34. Peu importe pour l'Ouganda que l'article 25 de la Charte stipule que «Les Membres de l'Organisation
conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte.»

35. Dans l'affaire de l'ncident aérien de Lockerbie , la Cour a rappelé que «les Membres de l'Organisation des
Nations Unies sont dans l'obligation d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité prisesconformément à l'article 25 de la Charte» (ordonnances du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992 ).

36. A défaut de suivre le Conseil de sécurité, peut-être l'Ouganda écoutera-t-il aujourd'hui la Cour !

37. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, peut-on encore se poser des questions sur
l'engagement de la responsabilité internationale de l'Ouganda ? Elle saute aux yeux, elle est évidente. Par ses
actions ou omissions liées à l'agression et à l'occupation militaire d'une partie substantielle du territoire de la
République démocratique du Congo en violation de ses obligations internationales, l'Ouganda a commis des
dommages graves et massifs à l'endroit de la République démocratique du Congo et de sa population qui
exigent une juste réparation.

38. L'Ouganda ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en soulevant des arguments d'un autre âge, comme le
«droit de suite» ou la «protection de ses intérêts vitaux». Il ne saurait non plus prétexter des difficultés que
connaît le processus de réconciliation nationale en République démocratique du Congo, processus qui est
entièrement étranger au différend juridique opposant l'Ouganda à la République démocratique du Congo dans le
cadre de la présente instance. De toute manière, comme la Commission du droit international l'a confirmé tout
au long de ses travaux sur la responsabilité de l'Etat, aucune cause d'exonération (qu'il s'agisse d'une contre-
mesure, d'un état de nécessité ou d'une autre excuse) ne saurait justifier la violation de règles qui relèvent du
droit impératif, comme l'interdiction de l'agression.

39. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le professeur de droit international que je suis se
trouve fréquemment interpellé par ses étudiants et par le commun des Congolais qui l'interrogent sur l'utilité,
voire l'existence même du droit international s'il ne sert pas à protéger les Etats et leurs populations face aux
actions bellicistes d'autres Etats.

40. N'oublions jamais que, comme le rappelle si bien Monique Chemillier-Gendreau, «avec le droit
international, il s'agit des bonheurs et des souffrances de tous les peuples de la Terre» (M. Chemillier-
Gendreau, Humanité et souverainetés - essai sur la fonction du droit international, La Découverte, Paris, 1995,

p. 8).

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le sort du peuple de la République démocratique du
Congo est entre vos mains.

Je vous remercie de votre attention et vous demande, Monsieur le président, de bien vouloir céder la parole à
mon collègue, le professeur Olivier Corten.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur et je donne maintenant la parole à Monsieur le
professeur Olivier Corten.

M. CORTEN : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi tout d'abord de vous
faire part de l'immense honneur que je ressens au moment de paraître une nouvelle fois devant vous.

e
Comme M Lion vous l'a indiqué, il me revient de traiter de la dernière partie de l'argumentation de la
République démocratique du Congo, en vous montrant que toutes les conditions juridiques requises pour
l'indication des mesures conservatoires demandées sont réunies.

L'article 41 du Statut confère un pouvoir d'appréciation considérable à la Cour, en prévoyant qu'elle peut
indiquer des mesures conservatoires. La seule condition explicitement énoncée est que les circonstances exigent
l'adoption de telles mesures. S. Exc. le ministre des droits humains vous a montré que tel était indéniablement le
cas en l'espèce eu égard à l'extrême gravité de la situation prévalant sur le terrain. Le

professeur N'Tumba Luaba vient de vous montrer que tel était aussi le cas eu égard aux violations graves et
persistantes par l'Ouganda des règles les plus essentielles de l'ordre juridique international, et en particulier des
droits de la République démocratique du Congo. Dans ces circonstances, seuls de très sérieux obstacles tirés
des limites de la compétence judiciaire de la Cour pourraient être de nature à s'opposer à l'indication des
mesures conservatoires demandées.

Monsieur le président, ces obstacles n'existent pas. Si la jurisprudence internationale a progressivement énoncédes limites encadrant la marge d'appréciation de la Cour, aucune de ces limites ne pose problème dans notre
affaire. On peut à cet égard formuler trois affirmations que je détaillerai dans le cadre de cette plaidoirie :

- premièrement, les conditions de l'urgence des mesures et du caractère irréparable du dommage sont remplies;

- deuxièmement, les conditions de l'existence d'un lien adéquat entre les mesures demandées et les droits
protégés, ainsi que celles relatives à la compétence prima facie de la Cour pour connaître de ces droits, sont
également remplies;

- troisièmement et enfin, aucune circonstance particulière propre au contexte politique et diplomatique qui
entoure notre affaire ne fait obstacle à l'indication des mesures demandées.

I. La réunion des conditions de l'urgence des mesures et du caractère
irréparable du dommage

Commençons donc, si vous le permettez, par vérifier la réunion des conditions de l'urgence des mesures et du
caractère irréparable du dommage.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, chaque jour qui passe, le territoire de la République
démocratique du Congo continue d'être occupé, ses ressources et ses biens font l'objet d'un pillage organisé, ses
habitants sont enlevés, blessés ou tués. Dans ces conditions, il est difficile d'imaginer dommage plus
«irréparable» que celui-là ou situation plus propice à l'indication des mesures conservatoires que celles-là.

Comme la Cour permanente de Justice internationale l'a précisé dans l'affaire de la Dénonciation du traité du 2
novembre 1865 entre la Chine et la Belgique - les références sont dans le texte écrit -, un dommage irréparable
est celui qui résulte d'une violation éventuelle du droit international qui «ne saurait être réparée moyennant le
versement d'une simple indemnité ou par une autre prestation matérielle» ( Dénonciation du traité sino-belge du

2 novembre 1865 : ordonnance des 8 janvier, 15 février et 18 juin 1927, C.P.J.I., érie Asn° 8, p. 7). Aucune
restitution, indemnité, ou prestation matérielle quelconque ne pourra entièrement réparer la mort, la souffrance
et l'humiliation que subissent quotidiennement la République démocratique du Congo et ses habitants.

La jurisprudence existante est constante sur ce point. Lorsqu'un conflit armé se développe et met en danger non
seulement les droits et intérêts de l'Etat mais aussi la vie de ses habitants, l'urgence des mesures conservatoires
et le caractère irréparable du dommage ne sauraient faire de doute. Et on pourrait dans cette perspective citer de
nombreux précédents : l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (C.I.J. Recueil 1984) ,

l'affaire duDifférend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) C.I.J. (ecueil 1984 , p. 10, par. 21),
l'affaire duGénocide (Bosnie-Herzégovine/Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) (C.I.J. Recueil 1993) ou
encore l'affaire de la Frontière terrestre et maritime (Cameroun/Nigéria) C.I.J.(Recueil 1996 , p. 23, par. 42).
On peut même élargir la perspective, en citant d'autres précédents dans lesquels la protection de l'individu a
justifié aux yeux de la Cour l'indication de mesures conservatoires en dehors de toute situation de conflit armé,
comme, par exemple, dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (C.I.J.
Recueil 1979) . On sait aussi que, dans deux affaires récentes, la vie d' un seul individu a justifié l'indication de
mesures tendant à éviter que l'irréparable ne se produise (et il s'agit de l'affaire de la Convention de Vienne sur
les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d'Amérique ordonn),ce du 9 avril 1998 ,
C.I.J. Recueil 1998 ; ainsi que de l'affaireLagrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique) ordonn,nce du

5 mars 1999 C.,.J. Recueil 1999 ).

A fortiori faut-il d'urgence indiquer des mesures lorsque, au-delà de l'Etat congolais en tant que tel, ce sont des
centaines voire des milliers de personnes qui sont condamnées à une mort certaine si l'Ouganda est en mesure
de poursuivre sa politique d'agression, son occupation, ses pillages et ses exactions.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la circonstance que certaines hautes autorités
ougandaises aient officiellement déclaré accepter de retirer leurs troupes de la région de Kisangani et qu'une

amorce de retrait ait effectivement eu lieu n'est évidemment nullement de nature à remettre en cause cette
conclusion.

D'abord et en fait, il faut relever que ces déclarations ne visent que la région de Kisangani, et non l'ensemble du
territoire congolais. Elles ne concernent donc qu'un aspect très limité et circonscrit du différend. Ensuite, on nesaurait évidemment accepter comme seule garantie la simple formulation de promesses qui, au demeurant, n'ont
pas été respectées dans le passé. Même si on se limite à la seule région de Kisangani, et comme Son Excellence
le ministre des droits humains vous l'a rappelé, c'est la troisième fois que l'Ouganda se livre à une agression

armée, après les guerres d'août 1999 et de mai 2000. L'engagement formel qu'il a pris à deux reprises au moins,
les 8 et 15 mai 2000, et il s'agit ici de documents répertoriés aux Nations Unies (S/2000/445), de mettre fin aux
hostilités et de se retirer de Kisangani, ne l'a pas empêché de récidiver, comme le Conseil de sécurité l'a regretté
dans sa résolution 1304 du 16 juin dernier. Alors même qu'il y a quelques jours il formulait de nouvelles
promesses, l'Ouganda massait d'ailleurs ses troupes aux abords de la région, menaçant à tout moment de
déclencher une nouvelle offensive.

En tout état de cause, la jurisprudence internationale est une fois encore limpide en pareilles circonstances :
l'existence d'engagements par lesquels l'une ou l'autre partie accepterait de mettre immédiatement fin aux actes

qui sont à la base de la demande en indication de mesures conservatoires, n'empêche pas la Cour d'accéder à
celle-ci. Dans l'affaire duDifférend frontalier Burkina Faso/République du Mali , les parties s'étaient toutes
deux engagées formellement à cesser toute action militaire. La Chambre a cependant bel et bien indiqué des
mesures conservatoires, en précisant

«tout en se félicitant du fait que les Parties ont pu parvenir à un accord prévoyant le cessez-le-feu
et ainsi mettre fin aux actions armées qui ont donné lieu aux demandes en indication de mesures
conservatoires, [la Chambre] ne s'en trouve pas moins confrontée au devoir que lui impose l'article
41 du Statut de rechercher par elle-même quelles mesures conservatoires du droit de chacun

doivent être prises à titre provisoire» (I.J. Recueil 1986 , p. 10, par. 25).

Dans l'affaire de laFrontière terrestre et maritime , la Cour a également refusé de faire droit à l'argument du
Nigéria, qui estimait que la demande du Cameroun était devenue sans objet en raison d'un communiqué officiel
annonçant la fin des hostilités (.I.J. Recueil 1996 , p. 22, par. 36 et 37). Elle a donc, ici encore, en dépit d'un
cessez-le-feu non seulement proclamé mais aussi effectif quoique précaire, indiqué des mesures conservatoires
préservant les droits des Etats parties et aussi protégeant la vie de leurs habitants.

De la même manière, les actes, promesses ou déclarations posés par les officiels ougandais en l'espèce ne
constituent pas un élément privant d'objet la demande de la République démocratique du Congo.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est donc en parfaite conformité avec votre
jurisprudence que le Congo vous demande d'indiquer des mesures urgentes visant à ce que l'irréparable ne se
produise plus.

II. La réunion des conditions d'un lien adéquat entre les mesures demandées

et les droits protégés, et de la compétence prima facie
de la Cour pour connaître de ces droits

J'en viens à présent au deuxième volet de cette plaidoirie, celui qui a trait à l'existence d'un lien adéquat entre
les mesures demandées et les droits protégés, ainsi qu'à l'établissement de la compétence prima facie de la Cour
pour connaître de ces droits.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous invite à comparer le texte de la demande en

indication de mesures conservatoires présentée le 19 juin dernier par le Congo, qui a été lu tout à l'heure, à celui
de sa requête du 23 juin 1999, que nous avons également entendu. Les catégories de fait visées sont
semblables : actions armées, pillages, exactions. Les règles de droit applicables sont similaires : non-recours à
la force, non-intervention, protection des droits de la personne. Pour autant, et à ce stade préliminaire de la
demande en indication de mesures conservatoires, la République démocratique du Congo ne demande pas à la
Cour de condamner l'Ouganda, de lui réclamer une indemnité au titre de réparation due, ou même de déclarer,
en tout cas dans le dispositif de la demande en indication de mesures conservatoires, que l'Ouganda a violé le
droit international. Le retrait des troupes, ou la fin du soutien aux forces irrégulières, sont prescrites non en tant
que conséquences du constat de la violation préalable du droit international par l'Ouganda, mais seulement en

tant que mesures préservant les droits de la République démocratique du Congo jusqu'à ce que la Cour ait pu
trancher le différend sur le fond. Dans ces conditions, les demandes formulées correspondent, mutatis mutandis,
à celles que la Cour a indiquées dans d'autres précédents qui ne sont pas sans rapport avec la présente espèce,
qu'il s'agisse de l'affaire destivités militaires, du Différend frontalier, du Génocide , ou encore de la Frontièreterrestre et maritime (références supra ).

Quant à la compétence prima facie de la Cour pour connaître du différend qui fait l'objet de la requête, elle ne

saurait faire de doute. L'Ouganda comme le Congo ont, respectivement les 3 octobre 1963 et 8 février 1989,
déposé une déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, conformément à l'article 36,
paragraphe 2, de son Statut. Si on excepte la condition de réciprocité, ces déclarations ne contiennent aucune
réserve excluant certaines catégories de différends en raison de la matière qu'ils recouvriraient (ratione
materiae) ou de la date de leur survenance ou encore de celle sur les faits sur lesquels ils portent (ratione
temporis). L'Ouganda n'a d'ailleurs à ce jour soulevé aucune exception préliminaire. Si tel devait soudainement
être le cas, c'est à un stade ultérieur et spécifique de la procédure que la Cour serait invitée à se prononcer. Dans
l'affaire desActivités militaires, la Cour a affirmé sa compétence prima facie précisément parce qu'elle était en
présence de deux déclarations d'acceptation déposées en application de l'article 36, paragraphe 2, de son Statut,

alors que l'une de ces déclarations (celle du Nicaragua) voyait sa validité contestée et que l'autre (celle des
Etats-Unis) contenait une réserve directement pertinente pour l'affaire en question ( C.I.J. Recueil 1984 , p. 180,
par. 26). La Cour à fortiori doit affirmer sa compétence prima facie dans notre affaire puisqu'on est en présence
de deux déclarations dont la validité ne saurait faire de doute et qui ne contiennent aucune réserve qui serait
susceptible d'empêcher la Cour d'exercer sa juridiction.

III. L'absence d'obstacle tiré des circonstances particulières du contexte politique et diplomatique de la
présente affaire

J'en arrive maintenant à la troisième et dernière étape de cette plaidoirie. Aucun élément tiré du contexte
politique et diplomatique qui entoure la présente affaire n'est susceptible d'empêcher la Cour de prendre les
mesures que les circonstances exigent. Je traiterai en particulier de deux éléments : d'abord, l'adoption par le
Conseil de sécurité d'une résolution directement pertinente dans notre affaire; ensuite, le fait qu'un Etat tiers à
l'instance soit lui aussi impliqué dans le conflit qui déchire la République démocratique du Congo.

Monsieur le président, nous savons tous que, il y a quelques jours à peine, et à la demande pressante du Congo
lui-même, le Conseil de sécurité a adopté une résolution - la résolution 1304 du 16 juin 2000 - dans laquelle il a

exigé que l'Ouganda retire ses troupes non seulement de Kisangani mais aussi de l'ensemble du territoire
congolais, et ceci sans plus tarder. Le retrait des troupes ougandaises, c'est en substance ce que le Congo
demande à la Cour d'indiquer, non pas en tant que mesure politique visant au maintien de la paix et de la
sécurité internationales mais sur un plan judiciaire. On ne peut cependant tirer de cette compétence parallèle du
Conseil et de la Cour un obstacle quelconque à l'exercice par celle-ci de sa juridiction. La jurisprudence est très
claire sur ce point, et on doit citer ici encore la Cour dans l'affaire desctivités militaires et paramilitaires au
Nicaragua C.(.J. Recueil 1984 , p. 185, par. 37 et 186, par. 39). Plus précisément dans l'affaire du Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, la Cour a indiqué des mesures reprenant en substance des
demandes que le Conseil avait préalablement formulées dans une résolution adoptée quelques jours plus tôt

(C.I.J. Recueil 1979; ordonnance du 15 décembre 1979, et résolution 457 (1979) du 4 décembre 1979 du
Conseil de sécurité). Le Congo ne lui demande pas autre chose aujourd'hui. Ce n'est que si les mesures
demandées à la Cour entraient en contradiction avec celles édictées par le Conseil qu'un problème pourrait
survenir et on se rappelle à cet égard les affaires de l'ncident aérien de Lockerbie C.(.J. Recueil 1992 , p. 14-15
et 126-127). Mais tel n'est nullement le cas dans notre espèce, où la demande présentée par la République
démocratique du Congo est parfaitement compatible avec les exigences du Conseil de sécurité.

Par ailleurs, et j'en viens ici à un deuxième élément du contexte politique et diplomatique de cette affaire, vous
aurez certainement relevé que la résolution 1304 ne vise pas uniquement l'Ouganda mais aussi le Rwanda.

Vous aurez également relevé que si le 23 juin 1999, trois requêtes distinctes ont été déposées, dont une contre
l'Ouganda, et l'autre contre le Rwanda, c'est uniquement à l'encontre de l'Ouganda que la République
démocratique du Congo a estimé opportun d'introduire une demande en indication de mesures conservatoires.

Ces circonstances particulières ne sont évidemment pas de nature à empêcher la Cour d'indiquer les mesures
conservatoires qui font l'objet de la présente instance, et ce pour des raisons de fait comme de droit.

En fait, tout d'abord, les demandes en indication de mesures conservatoires présentées par le Congo ne visent,
en l'espèce et à ce stade, que l'Ouganda. Il ne s'agit pas de demander à la Cour d'enjoindre à un Etat non partie à
l'instance d'adopter un comportement donné. La Cour peut donc parfaitement se prononcer sur une demande quiconcerne spécifiquement et exclusivement l'Etat ougandais même si, proprio mutu , de sa propre initiative, il ne
serait pas exclu, si elle l'estime opportun, qu'elle indique par ailleurs des mesures conservatoires à l'encontre
d'autres Etats dans le cadre d'autres différends juridiques, pourvu que ces différends juridiques relèvent de sa

compétence prima facie.

En tout état de cause, la jurisprudence internationale est claire : il est parfaitement concevable que des instances
soient introduites séparément et parallèlement par un même Etat demandeur contre plusieurs Etats défendeurs
concernant des faits qui s'inscrivent dans le cadre d'un même conflit, y compris dans le domaine militaire. On
pense en particulier aux dix affaires relatives à la Licéité de l'emploi de la force (ordonnances du 2 juin 1999),
aux deux affaires de la Compétence en matière de Pêcheries (C.I,J. Recueil 1973) ou aux deux affaires de

l'ncident aérien de Lockerbie (C.I.J. Recueil 1992 ). Cette possibilité de distinguer dans le cadre d'un même
conflit impliquant plusieurs Etats autant de procédures judiciaires qu'il existe de relations juridiques bilatérales
implique logiquement la possibilité pour un Etat de n'introduire qu'une demande à l'égard d'un Etat défendeur.
C'est en ce sens que, dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , la
Cour a indiqué des mesures conservatoires à l'encontre des Etats-Unis alors que d'autres Etats non parties à
l'instance (et on pense en particulier mais pas seulement à El Salvador) étaient impliqués dans le conflit. La
Cour a d'ailleurs à cette occasion écartée résolument l'argument des Etats-Unis pour qui les demandes
nicaraguayennes devaient être rejetées parce qu'elles étaient «inextricablement liées aux droits et intérêts

d'autres Etats» (C.I.J. Recueil 1984 , p. 184, par. 35).

Dans notre cas également, un tel argument à supposer qu'il soit soulevé devrait être écarté. La Cour peut
indiquer des mesures à l'encontre de l'Ouganda, sans évoquer à ce stade la situation particulière actuelle ou
juridique des autres Etats impliqués dans le conflit en République démocratique du Congo, qu'il s'agisse
d'ailleurs du Rwanda ou d'autres Etats encore. La République démocratique du Congo ne demande nullement à
la Cour de se prononcer sur les droits d'un Etat non-partie à l'instance.

En définitive, il n'existeaucun obstacle susceptible d'empêcher la Cour d'exercer sa juridiction en indiquant les
mesures conservatoires qui s'imposent. C'est en parfaite conformité avec sa jurisprudence que la Cour peut et
doit accéder à la demande du Congo.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, depuis près de deux années, le Congo est victime
d'une agression, d'une occupation, de pillages et d'exactions qui relèvent de la notoriété publique. Ces
événements sont relatés quotidiennement par la presse, locale, régionale et internationale, et ils sont reproduits

dans de nombreux rapports d'institutions ou d'organisations internationales compétentes. Ils constituent sans
doute, comme M Lion vous l'a indiqué en commençant, un épisode sans précédent dans l'histoire de ces
dernières décennies.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous avez aujourd'hui un rôle qui, comme certains
commentateurs avisés l'ont souligné, peut, au stade des mesures conservatoires, contribuer non seulement au

maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais aussi à la protection des droits de la personne
(R. Higgins, «Interim Measures for the Protection of Human Rights», Columbia Journal of International Law ,
1997, vol. 36, p. 91 et ss.). Il est impératif et urgent que vous exerciez ce rôle pour mettre fin à un conflit qui
déchire depuis trop longtemps le c_ur du continent africain.

Monsieur le président, je vous remercie de votre bienveillante attention, et vous demande de bien vouloir céder
e
la parole à M Lion afin qu'il conclue l'argumentation de la République démocratique du Congo.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur et je donne maintenant la parole à M e Michel Lion.

M. LION : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la demande introduite ce 19 juin présente
un caractère d'extrême urgence et les exposés que vous avez suivis avec une attention toute particulière
l'établissent clairement.

Le fait que Monsieur le président de la Cour ait le jour même du dépôt de la requête fait usage de la faculté que
lui laisse l'article 74 paragraphe 4 du Règlement de la Cour d' «agir de manière que toute ordonnance de la
Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus» (les italiques sont
de nous) démontre à suffisance de droit l'importance que la Cour attache à cette affaire.Je tiens dès lors ici à réaffirmer le maintien intégral de la demande telle que développée dans la demande en
indication de mesures conservatoires déposée lundi dernier et dont M. le greffier nous a donné la lecture tout à
l'heure. Si la Cour le souhaitait, je veux bien reprendre les six points, je m'en réfère sinon expressément aux six

points en demande d'indication de mesures conservatoires sollicitées et ce, sous la réserve de toute autre mesure
que les membres de la Cour jugeraient appropriées. C'est donc non seulement le Gouvernement congolais tout
entier mais aussi soixante millions de Congolais qui attendrons avec sérénité et confiance la décision que votre
haute juridiction prononcera.

J'ai dit et je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Maître. La Cour prend note du fait que les conclusions d'indication de

mesures conservatoires présentées par la République démocratique du Congo à l'issue de cette audience orale
coïncident avec celles qui ont été présentées par écrit, qui ont été lues tout à l'heure par notre greffier. Ceci met
un terme à la séance d'aujourd'hui. La Cour se réunira à nouveau demain 27 juin à 10 heures pour écouter la
plaidoirie de l'Etat de Bahreïn dans l'affaire opposant ce pays à l'Etat de Qatar. De même, elle se réunira le
mercredi le 28 juin à 10 heures pour écouter la suite de la plaidoirie de l'Etat de Bahreïn dans cette affaire. Dans
la présente affaire, elle se réunira le mercredi 28 juin à 16 heures pour écouter la plaidoirie de la République de
l'Ouganda en l'espèce. La séance est levée.

L'audience est levée à 17 h 45.

___________

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Audience publique tenue le lundi 26 juin 2000, à 18 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Guillaume, président

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