C 4/CR 91/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Thursday 18 April 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)
__________________
VERBATIM RECORD
__________________
ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le jeudi 18 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))
________________
COMPTE RENDU
__________________
- 2 -
Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina
___________
- 3 -
Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
___________
- 4 -
The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
- 5 -
Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodriguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
- 7 -
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
Honduras à La Haye,
- 8 -
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
- 9 -
M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
- 10 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. I give the floor to Professor
Bardonnet to proceed with his presentation.
M. BARDONNET : Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Président, Messieurs les
Juges, à la fin de mon exposé hier, j'ai tenté d'esquisser un tableau de la pratique des Etats
concernant les rapports entre les limites administratives et les limites foncières. Et j'ai montré en
premier lieu que les collectivités territoriales et les communautés d'habitants peuvent posséder des
biens fonciers hors de leur territoire, en d'autres termes que les limites administratives ne sont
nullement, comme semble le croire El Salvador, des lignes infranchissables. Mais cette première
proposition doit être immédiatement complétée, Monsieur le Président, par une seconde proposition
qui en constitue le corollaire naturel, et que l'on peut formuler dans les termes suivants:
Seconde proposition : les biens fonciers extérieurs au territoire des collectivités locales et des
communautés d'habitants sont soumis, en règle générale, à la juridiction et à l'administration des
autorités dans le ressort desquelles ils sont implantés
L'appropriation foncière extérieure, avons-nous vu, est sans effet sur le tracé des limites
administratives. En conséquence, cette appropriation extérieure, en sa forme collective et à fortiori en
sa forme privée, ne peut se concevoir que dans le respect du droit applicable aux territoires où ces
biens sont situés.
Cette soumission de principe à la juridiction locale, à la lex rei sitae permet de distinguer de
toute évidence cette situation de celle, tout à fait étrangère au présent différend, des enclaves. Dans
ce dernier cas, dont la Cour a eu à connaître dans l'affaire du Droit de passage en territoire indien
ou dans l'affaire relative à la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières, on se trouve en
présence - l'hypothèse des Etats enclavés étant particulière - on se trouve en présence de parties du
territoire d'un Etat donné qui se trouvent entourées de tous côtés par le territoire d'un autre Etat.
L'Etat des enclaves n'est pas moins le souverain territorial dans les enclaves considérées que sur son
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territoire principal. En d'autres termes, les enclaves signifient que le territoire d'un Etat n'est pas d'un
seul tenant, d'un seul morceau.
Le statut des biens fonciers extérieurs, qu'ils forment ou non un ensemble continu, c'est-à-dire
qu'ils soient contigus ou séparés, est naturellement tout autre que celui des enclaves. Cependant il
convient de remarquer, Monsieur le Président, que si l'on appliquait la thèse que soutient devant vous
la Partie adverse à des biens fonciers extérieurs séparés, détachés du territoire salvadorien, cela
reviendrait très exactement à leur reconnaître le statut d'enclaves. Ce qui est évidemment
insoutenable, puisque précisément l'appropriation de terres par une communauté d'habitants ou par
une collectivité territoriale étrangère et à fortiori par un simple ressortissant étranger ne peut avoir
pour conséquence, par une sorte de coup de baguette magique, de placer les terres en question en
dehors du territoire où elles se trouvent.
De toute manière, le droit applicable à ces terres extérieures n'est autre que celui qui est
déterminé par leur localisation : le fait qu'elles soient la propriété de communautés d'habitants ou de
collectivités territoriales étrangères et moins encore de particuliers n'y change absolument rien. En
fait, il ne s'agit, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que d'une application du principe
général de l'exclusivité de la souveraineté territoriale, tant il est vrai que l'autorité qui s'exerce à
l'intérieur d'une aire géographique donnée doit monopoliser l'intégralité des fonctions d'Etat et
exclure toute autre autorité. N'est-ce pas ce que le Chief Justice Marshall voulait dire déjà en 1812
dans l'affaire du Schooner Exchange, en déclarant que "la juridiction de la nation à l'intérieur de son
propre teritoire est nécessairement exclusive et absolue" (Judicial Settlement of Controversies
between States of the American Union Casses decided in the Supreme Court of the United States,
Collected and Edited by James Brown Scott, New York, Oxford U.P., 1918,vol. I, p. 402) ?
N'est-ce pas la même idée que la Cour permanente de Justice internationale, dans son arrêt rendu le 7
septembre 1927, dans l'affaire du Lotus rappelait dans un dictum souvent cité:
"La limitation primordiale qu'impose le droit international à l'Etat est celle d'exclure -
sauf l'existence d'une règle permissive contraire - tout exercice de sa puissance sur le territoire
d'un autre Etat. Dans ce cas, la juridiction est certainement territoriale; elle ne pourrait être
exercée hors du territoire, sinon en vertu d'une règle permissive découlant du droit
international coutumier ou d'une convention" (C.P.J.I. série A n° 10, p. 18-19)?
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N'est-ce pas encore la même idée qu'affirmait, avec l'autorité qu'on lui connaît, le président
Max Huber, en considérant dans la sentence Palmas du 4 avril 1928, la souveraineté territoriale
comme étant: "le droit d'...exercer, à l'exclusion de tout autre Etat, les fonctions étatiques" ou encore
comme étant "le droit exclusif d'exercer les activités étatiques" (RSA, vol. II, p. 838-839; trad. fr.,
RGDIP, 1935, vol. XLII, p. 163-164) ?
Dès lors, conformément à ce principe universellement admis, les biens extérieurs sont soumis,
en règle générale, à la juridiction locale, c'est-à-dire à la juridiction du ressort dans lequel ils sont
implantés. Les autorités publiques, administratives ou juridictionnelles, compétentes à l'égard de ces
biens fonciers ne sont donc pas celles de la communauté d'habitants ou de la collectivité propriétaire,
mais bien celles de la communauté d'habitants ou de la collectivité sur le territoire desquelles les
biens en question sont situés. Elles sont par conséquent compétentes pour y exercer les pouvoirs de
police, mais aussi pour authentifier la propriété de ces biens ou encore pour statuer sur les litiges qui
peuvent naître à leur sujet. Le territoire d'une entité donnée n'est rien d'autre que l'espace physique où
cette entité exerce valablement ses compétences, ce qui comprend éventuellement les biens fonciers
appartenant à une autre entité "étrangère". La pratique des Etats, aussi bien sur le plan interne que
sur le plan international, donne d'innombrables illustrations de cette soumission de principe à la
juridiction locale, dont je me bornerai à donner quelques exemples. Le professeur Nieto a déjà
montré la place qu'occupe en droit espagnol, métropolitain ou colonial, l'exclusivité territoriale des
compétences des collectivités publiques; je n'y reviens donc pas. Mais je souhaiterais montrer,
Monsieur le Président, que ce principe trouve des applications intéressantes dans les Etats fédéraux,
comme en témoigne notamment la pratique suisse. On peut lire ainsi, sous la plume du
professeur Knapp :
"Dès lors que le droit public suppose ... l'exercice de la puissance publique ... il ne peut
être applicable que sur le territoire soumis à cette puissance. Une loi administrative genevoise
ne s'applique que dans le canton de Genève; une loi administrative fédérale ne vaut qu'en
Suisse... Réciproquement, une autre loi administrative cantonale ne s'applique pas à Genève;
une loi administrative étrangère ne s'applique pas en Suisse." (Précis de droit administratif,
Bâle, 3e
éd., 1988, p. 38, par. 184.)
C'est dire qu'en Suisse, le principe fondamental est celui, comme le dit le même auteur, de "la stricte
territorialité de droit public, limitée aux frontières de chacune des corporations de droit public à base
- 13 -
territoriale" (ibid., p. 38, par. 185). C'est dire, à titre d'exemple, que les pouvoirs de police des
autorités d'un canton s'étendent, en principe, à tout le territoire de ce canton, y compris aux terres et
aux dépendances appartenant à un autre canton.
La pratique internationale n'ignore pas davantage des situations de ce genre. A cet égard, le
statut du "Pays Quint", à la frontière franco-espagnole, est significatif, car il ne va pas sans rappeler,
sur le plan géographique, sociologique, voire juridique, les problèmes soulevés par les terres de la
montagne de Tepanguisir ou de la montagne de Naguaterique. En effet les habitants de la vallée
française de Baïgorry ont des droits de propriété, d'usage et d'exploitation remontant au XIIIe
siècle
sur les pâturages du "Pays Quint", situés en territoire espagnol. Or, lorsque la frontière pyrénéenne
a été définitivement fixée, les différents traités alors conclus entre l'Espagne et la France, notamment
le 2 décembre 1856, le 28 décembre 1858 et le 15 décembre 1911, ont confirmé que ces terres des
habitants de Baïgorry demeuraient placées sous la souveraineté et partant sous la loi espagnole (cf.
Ch. Rousseau, "Les frontières de la France", RGDIP, 1954, t. 58, p. 356-357).
La situation de la forêt du Mundat, à la frontière franco-allemande - à laquelle il a été fait
allusion dans le contre-mémoire hondurien (CMH, vol. I, chap. 6, p. 185-186) - telle qu'elle résulte
d'un échange de notes du 10 mai 1984 (CMH, annexes, vol. I, annexe III.2, p. 132-135), mérite
également d'être rappelée. Par cet accord, qui dissocie clairement souveraineté et propriété, la
République fédérale d'Allemagne avait reconnu "à la République française la propriété du territoire
de la forêt du Mundat", qui est située en territoire allemand, à proximité de la commune française de
Wissembourg. Mais, d'un autre côté, le même échange de notes franco-allemand prévoit, entre
autres dispositions montrant la soumission de cette forêt à la juridiction locale, que la République
française est "enregistrée au livre foncier en tant que propriétaire conformément au droit allemand".
Il en est de même, à la frontière germano-autrichienne, où la commune bavaroise de Füssen est
propriétaire depuis 1848 de bois et de pâturages dans le Tyrol, sur le territoire de plusieurs
communes autrichiennes et notamment de celles de Reutte et de Vils. Or ces terrains qui ont été
restitués à la commune de Füssen en 1962, après avoir été transférés à l'Autriche par le traité d'Etat
du 15 mai 1955, sont soumis à la législation autrichienne (cf. B. Schlögel, Grenzenüberschreitende
- 14 -
interkommunale Zusammenarbeit, Erich Schmidt Verlag, p. 372-374, par. 11).
Je souhaiterais citer un dernier exemple, Monsieur le Président, si vous m'y autorisez : il s'agit
d'un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes, rendu le 6 juillet 1988, dans l'affaire
Scherrens contre Maenhout, dont le texte correspond au document n° 12 de votre dossier. Sans
doute, cette décision concerne-t-elle l'interprétation de la convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et à l'exécution des décisions en matière civile
et commerciale et elle porte par conséquent sur des biens fonciers privés. Mais on sait bien,
Messieurs, que la Partie adverse n'hésite pas à placer sur le même pied, sur le même plan, malgré ses
dénégations de principe (CMS, chap. 2.22, p. 24; trad. fr., p. 16), la possession d'un titre relatif à
des terrains communaux et la possession d'un titre conférant la simple propriété privée d'une terre :
telle est bien la thèse d'El Salvador dans le secteur de Goascorán. C'est dire que la décision de la
Cour de Justice de Luxembourg est d'un intérêt particulier dans le présent différend. Dans cette
affaire, il s'agissait de savoir quels tribunaux étaient compétents pour connaître d'un litige concernant
le bail d'une ferme dont les terres étaient situées de part et d'autre de la frontière belgo-néerlandaise.
La ferme faisant l'objet du litige était composée d'un côté de bâtiments et d'un terrain agricole situés
en territoire belge et, de l'autre côté, de plusieurs parcelles de terrains, situées en territoire
néerlandais, sans d'ailleurs être contiguës aux parcelles belges. La Cour de Luxembourg a jugé, et
même si cette réponse de principe est susceptible de comporter des exceptions sur lesquelles je
reviendrai dans quelques instants, que, dans cette hypothèse d'une propriété immobilière située dans
deux Etats parties à cette convention de Bruxelles : "sont exclusivement compétents à l'égard des
biens immobiliers situés sur le territoire de chaque Etat contractant les tribunaux de cet Etat"
(C.J.C.E. Recueil 1987-1988, p. 3806). La solution ainsi retenue, qui s'explique sans doute par
l'idée de la nécessaire exécution des jugements à intervenir sur le territoire de l'Etat où les parcelles
concernées sont situées, est claire : il y a compétence des tribunaux belges et application de la loi
belge pour les terres situées en Belgique; il y a compétence des tribunaux néerlandais et application
de la loi néerlandaise pour les terres situées aux Pays-Bas. Cette solution est d'autant plus
remarquable qu'il avait été plaidé devant la Cour, notamment par la commission de Bruxelles, que
- 15 -
l'unité économique de la ferme devait faire céder le pas au principe de l'exclusivité de la compétence
territoriale.
Les quelques exemples, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que je viens d'évoquer
suffisent pour montrer que la soumission de principe à la juridiction locale et aux autorités
localement compétentes, dans l'hypothèse de biens fonciers extérieurs, est universellement admise.
Elle vaut naturellement pour les terres privées qui avaient été attribuées, en 1694, à
San Juan Bautista de Fuentes, dans le secteur de Goascorán. Elle vaut tout aussi bien pour les terres
communales, pour les "ejidos" attribués aux communautés indigènes. Permettez-moi à cet égard,
Monsieur le Président, de revenir un instant sur le secteur de la montagne de Naguaterique que j'ai
évoqué hier et d'esquisser une comparaison entre le titre de terres du 17 décembre 1776 de la
communauté indienne de Jocoara située - rappelons-le - dans la province hondurienne de Comayagua
et le titre de terres du 16 novembre 1815 des villages de Perquin et Arambala, situés dans la province
salvadorienne de San Miguel. Cette comparaison illustre, me semble-t-il, très clairement la portée de
l'exclusivité du principe de la compétence territoriale. Comme vous pouvez le lire dans le
document n° 2 de votre dossier, dans le titre de Perquin et Arambala de 1815, le président de la
"Real Audiencia" de Guatemala a expressément ordonné "à tous les juges de la province de
San Miguel et de celle de Comayagua de protéger et de défendre dans leur possession" les habitants
de Perquin et Arambala (CMS, annexes, vol. IV, annexe VI.1, p. 148, pour la version espagnole et
p. 33 pour la version anglaise). En revanche, comme vous pouvez le constater dans le document
n° 3 de votre dossier, dans le titre de Jocoara de 1776, le juge supérieur des terres de la "Real
Audiencia" de Guatemala a exclusivement ordonné "au sous-délégué de la province de Comayagua
qu'une fois requis avec ce titre par les Indiens (de Jocoara), de leur remettre la possession des terres
mentionnées, ses montagnes, ses eaux, ses prés et abreuvoirs royaux, ses éléments corporels et
actuels" (MH, annexes, vol. III, annexe VII.1.9, p. 1269). Ce qui signifie, à la lumière du principe
de l'exclusivité de la compétence territoriale, que les terres de Jocoara relevaient de la seule
juridiction de la province hondurienne de Comayagua, alors que les terres de Perquin et Arambala
relevaient à la fois de la juridiction de la province salvadorienne de San Miguel et de la juridiction de
- 16 -
la province hondurienne de Comayagua.
Ce secteur de Naguaterique fournit également une autre illustration, tout aussi significative, à
la soumission de principe à la juridiction locale, et ceci à l'occasion d'un incident de procédure qui est
survenu au cours du litige entre Jocoara et Perquin et Arambala, litige dont le
professeur Gonzalez Campos vous parlera en détail. Qu'il me suffise de rappeler (voir CMH, vol. I,
chap. 9, p. 358-360) que, lorsque les habitants de Perquin et Arambala ont demandé en mai 1769,
qu'il soit procédé à un arpentage de leurs terrains communaux, ils se sont adressés tout
naturellement au juge des terres de la province salvadorienne de San Miguel, Don Antonio Guzman.
Or, au cours de la procédure qui a suivi, les habitants de Jocoara se sont plaints de l'attitude de
Don Antonio Guzman qui, d'après eux, aurait favorisé les habitants de Perquin et Arambala.
Et ce qui est remarquable, c'est que le tribunal des terres de l'"Audiencia" de Guatemala, le
tribunal supérieur par conséquent, a été convaincu par leur argumentation. Comme vous pouvez le
constater dans le document n° 3 de votre dossier, l'instance supérieure - dans son jugement du
8 mai 1773 - a blâmé "l'attitude injuste ... que ... Don Antonio Guzman a prise dans plusieurs
démarches" (MH, annexes, vol. III, annexe VII.1.9, p. 1267). Elle l'a même sévèrement sanctionnée
en réservant aux habitants de Jocoara "des droits de dommages et intérêts sur sa personne et ses
biens". L'instance supérieure de l'"Audiencia" de Guatemala a critiqué l'attitude du juge des terres de
la province salvadorienne de San Miguel, Don Antonio Guzman, parce qu'il n'avait pas agi comme
cela lui avait été prescrit en accord avec son homologue de la province hondurienne de Comayagua
alors que précisément, les terres litigieuses de Naguaterique étaient situées dans la province
hondurienne de Comayagua et non pas dans la province salvadorienne de San Miguel. C'est ce que
montrent les pièces du dossier de cette affaire que vous trouverez dans les annexes du mémoire
hondurien (MH, annexes, vol. III, annexe VII.1.9, p. 1253-1254 et 1257-1261), et notamment les
écritures des parties déposées devant le tribunal des terres de la "Audiencia" de Guatemala sur
lesquelles ce dernier s'est fondé pour élaborer son jugement du 8 mai 1773. Pourquoi
Don Antonio Guzman a-t-il été blâmé ? Il a été blâmé pour n'avoir pas respecté le principe de
l'exclusivité de la compétence territoriale et par conséquent pour n'avoir pas respecté les limites
- 17 -
interprovinciales alors reconnues.
Considérer cependant, Monsieur le Président, que cette soumission au droit local et aux
autorités locales des "ejidos" extérieurs, ne doit comporter aucune exception, donnerait une image
incomplète, non seulement de la pratique espagnole, mais plus généralement de la pratique des Etats
en ce qui touche les rapports entre limites administratives et limites foncières et j'en arrive ainsi à la
troisième proposition précédemment annoncée.
Troisième proposition : une autorité publique peut agir, à titre exceptionnel, dans le ressort de
compétence d'une autre autorité publique pour administrer les biens fonciers extérieurs, avec
l'autorisation d'une autorité publique supérieure.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la soumission de principe à la juridiction locale
n'est pas absolue. Pour des raisons évidentes de bonne administration, elle doit nécessairement
comporter des assouplissements. La territorialité des compétences d'une autorité publique,
administrative ou judiciaire, peut par conséquent être aménagée. Et cette répartition rationnelle des
compétences n'est pas propre au droit colonial espagnol; elle est de portée générale comme je
voudrais le montrer brièvement par quelques exemples.
L'affaire Scherrens c. Maenhout, citée il y a un instant et qui correspond au document n° 12
de votre dossier, doit être mentionnée, bien qu'elle corresponde, je le rappelle, à une situation tout à
fait particulière. La Cour de Luxembourg a en effet admis dans son arrêt du 6 juillet 1988, relatif,
rappelons-le, à l'application de la convention de Bruxelles de 1968, que le principe de l'exclusivité de
la compétence territoriale et de la lex rei sitae pouvait comporter des dérogations. Il n'est pas exclu,
a relevé la Cour,
"que puissent se présenter des cas où une propriété immobilière, dont les éléments sont
situés dans deux Etats contractants, mais font l'objet d'un seul contrat de bail, présente
des particularités telles qu'une exception à la règle générale de compétence exclusive
décrite ci-dessus s'impose. Il pourrait en être ainsi, par exemple, lorsque les biens
immobiliers situés dans un Etat contractant sont contigus avec les biens dans l'autre
Etat et que la propriété est presque entièrement située dans l'un de ces Etats. Dans de
telles circonstances, il peut être approprié de regarder la propriété comme une unité et
de la considérér comme étant entièrement située dans un de ces Etats aux fins
- 18 -
d'attribution aux tribunaux de celui-ci d'une compétence exclusive à l'égard du bail
d'immeuble" (CJCE Recueil 1988-7, p. 3805, par. 14).
Ce qui veut dire sans doute que, dans certains cas, l'accessoire suit le principal. Ce qui veut dire
aussi que l'application en quelque sorte distributive de la lex rei sitae et de la dualité des juridictions
compétentes peut s'effacer, pour des raisons de simplicité, devant les circonstances propres à une
situation. Mais il s'agit là encore, d'un cas très particulier.
Le droit interne, en revanche, procède fréquemment à des aménagements de la territorialité des
compétences de l'autorité publique. Le mécanisme de la délégation de compétence est trop
universellement appliqué pour qu'il soit utile de l'évoquer longuement. Et ce qui est certain, c'est
qu'il est possible, sur cette base, qu'une autorité publique se voit reconnaître le droit de prendre une
décision hors du ressort géographique qui lui est normalement attribué. Cette situation implique
l'intervention d'une autorité supérieure mais l'histoire montre parfois que dans le passé la
réglementation de la compétence ratione loci était moins affinée et que cet acte supérieur n'était pas
nécessaire.
L'histoire de la géographie municipale anglaise est à cet égard d'un exceptionnel intérêt. Ainsi
les rapports qui ont été établis sur l'étendue de la compétence locale, avant que ne soit adopté le
premier "Municipal Corporations Act" de 1835, montrent bien que certaines corporations
municipales effectuaient des inspections dans un district dont les limites ne coïncidaient pas avec
celui sur lequel elles avaient autorité.
"On rencontre souvent [observent Ridlich et Hirst dans leur ouvrage sur 'Le
Gouvernement local en Angleterre' (p. 288)] des territoires compris dans les limites de
l'autorité corporative, mais qui échappent à sa juridiction. On en trouve, par exemple, à York,
Lincoln, Norwich, Winchester et Chichester. Ils sont ordinairement issus de privilèges
ecclésiastiques ou formaient autrefois l'emplacement du château du seigneur du bourg."
Les dérogations à l'exclusivité de la juridiction locale étaient par conséquent fréquentes dans
l'histoire administrative anglaise du XVIIIe
et du début du XIXe
siècle.
La pratique contemporaine des Etats fédéraux connaît tout aussi bien, mais sur une base
juridique préétablie, des exceptions à l'exclusivité de la compétence territoriale. Il existe ainsi, en
droit suisse, des mécanismes permettant aux autorités d'un canton d'exercer certaines compétences
- 19 -
sur le territoire d'un autre canton. Mais, pour être valable, cette renonciation à l'exercice de la
compétence territoriale doit reposer soit sur une règle d'un ordre juridique supérieur comme une loi
fédérale, soit sur une convention intercantonale. M. Knapp, dans son ouvrage de droit administratif
déjà cité, donne ainsi l'exemple d'un canton ayant autorisé un autre canton à exercer certaines de ses
compétences sur son territoire : il s'agit d'une convention du 22 mai 1964 entre le canton de Genève
et le canton de Vaud, concernant l'exercice par les autorités du canton de Vaud de la police de la
circulation sur les sections genevoises de l'autoroute Genève-Lausanne (RS/GE. H/1/15; Précis de
droit administratif, op. cit., p. 39, par. 193). De même, dans des Etats unitaires comme la France,
on connaît, dans des domaines aussi importants que la mise en oeuvre des plans Orsec et des plans
d'urgence, des mécanismes similaires. Les articles 5 et 8 de la loi du 22 juillet 1987 relative à
l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des
risques majeurs ont ainsi prévu lorsque les opérations de secours intéressent le territoire de plusieurs
départements, la possibilité pour le premier ministre de donner le droit au préfet d'un département
d'intervenir sur le territoire des autres départements concernés (JORF, 23 juillet 1987, p. 8199).
De tels transferts de compétences, Monsieur le Président, ne vont pas sans rappeler, dans leur
esprit et leur finalité sinon dans leur technique et leur objet, ce qui est survenu à propos des terres de
la montagne de Tepanguisir. Si vous vous reportez au document n° 1 du dossier qui vous a été remis
hier et qui concerne les toutes premières pages du titre de terres de Citala de 1776, vous remarquerez
que les habitants de Citala, de la province de San Salvador, plus précisément même du distrist de
Chalatenango, ont adressé leur requête, le 10 février 1776, au sous-délégué de ce même district de
Chalatenango, Don Lorenzo Jimenez Rubio, que nous avons déjà croisé sur notre chemin à plusieurs
reprises hier matin. Or, Monsieur le Président, quel était l'objet de cette requête ? Elle tendait
"à ce que l'on augmente les pouvoirs du sous-délégué de ce district,
Don Lorenzo Jimemez Rubio, pour qu'il leur mesure dans la juridiction de la province de
Gracias a Dios les montagnes de Tepanguisir dont ils veulent se faire octroyer les terres"
(MH, annexes, vol. IV, annexe IX.1.2, p. 1795).
Il suffit d'avoir entrevu, aujourd'hui encore, ce village de Citala, isolé et comme perdu, dans
l'étroite vallée du Rio Lempa, au confluent de cette rivière, qui n'est guère qu'un torrent tumultueux,
avec la Quebrada Gualcho, au pied des montagnes d'une grande beauté, mais sauvages et
- 20 -
inhospitalières; il suffit, disais-je, d'avoir entrevu cet univers pauvre, mais sans doute tragique et
douloureux, sans doute proche de celui, décrit avec le talent que l'on sait, par Garcia Marquez dans
Cent ans de solitude, il suffit de cela, Monsieur le Président, pour exprimer toute son admiration
pour les habitants de ce même village qui, il y a plus de 200 ans, se préoccupaient aussi précisément
de la répartition des compétences ratione loci entre les autorités coloniales de la province
hondurienne de Gracias a Dios, de celles de la province de San Salvador. Cela voulait dire qu'ils
avaient une conscience particulièrement forte de la localisation des terres de la montagne de
Tepanguisir hors de la province à laquelle ils appartenaient.
Il est tout aussi remarquable, Monsieur le Président, que quelques jours après que cette
requête des habitants de Citala ait été déposée, le juge des terres de l'Audiencia de Guatemala,
Don Manuel Antonio de Arredondo y Pelegrin, ait, par un jugement du 20 février 1776, que vous
pouvez consuler dans le document n° 1 de votre dossier, "donné compétence" au juge des terres du
district de Chalatenango, Don Lorenzo Jimenez Rubio, pour qu'il procède à l'arpentage des terres de
la montagne de Tepanguisir. Et le même juge supérieur de Guatemala a ajouté - et je me permets,
Messieurs, d'attirer respectueusement votre attention sur ce point - que ce jugement du
20 février 1776 devait être notifié au juge des terres de la province hondurienne de Gracias a Dios
"pour qu'il prenne connaissance du fait que ce tribunal principal s'est introduit dans le
domaine de sa compétence seulement pour l'affaire qui nous y occupe et que l'on n'y déroge
sous aucune prétexte" (MH, annexes, vol. IV, annexe IX.1.2, p. 1798).
Le Gouvernement du Honduras regrette que, de l'autre côté de la barre, on n'ait tenu aucun
compte de cette délégation de compétences limitée dans le temps et quant à son objet et qu'on puisse
conclure, de l'attribution des terres de la montagne de Tepanguisir aux habitants de Citala, le
transfert automatique de ces terres dans la province de San Salvador (CMS, chap. 2.40, p. 35-36 et
chap. 3.5-3.8, p. 41-43; trad. fr., p. 22 et p. 25-26). Ne faut-il pas rappeler qu'en droit moderne le
mécanisme de la délégation de compétences que j'ai évoqué implique 1) qu'elle soit fondée sur un
texte, 2) qu'elle soit consentie par une autorité à une autre autorité et enfin et surtout 3) que le
désaisissement de l'autorité normalement compétente ne vaut que pendant le temps que subsiste la
délégation de compétences. Il en était exactement de même dans l'ancien droit colonial espagnol. Pas
- 21 -
plus que l'attribution des terres de la montagne de Tepanguisir à la communauté indienne de Citalá
n'a modifié les limites entre les provinces de San Miguel et de Comayagua, pas plus la compétence
ratione loci du juge des terres du district de Chalatenango, exceptionnellement élargie par l'autorité
supérieure pour un seul acte, n'a été maintenue, une fois cet acte accompli, une fois cette compétence
exercée.
*
* *
Aux termes de ces observations, il apparaît, Monsieur le Président, que la thèse générale du
Honduras dans le contentieux terrestre qui l'oppose à El Salvador - et tout spécialement pour les
secteurs de Tepanguisir, de Naguaterique et de Goascorán sur lesquels j'ai insisté, mais également
pour le secteur de Dolores que vous exposera M. González Campos — il apparaît donc que la thèse
générale du Honduras s'insère logiquement dans la pratique générale des Etats pour ce qui touche les
rapports entre les limites administratives et les limites foncières. Pour terminer, je souhaiterais
énumérer sous une forme brève, les trois thèses juridiques principales qui caractérisent, à l'issue des
plaidoiries de MM. De Visscher et Nieto et de cet exposé, la position du Honduras.
1) Le Honduras ne peut admettre, comme le prétend El Salvador, que les limites foncières ont
toujours coïncidé, nécessairement et absolument, avec les limites administratives, pendant la période
coloniale. Dans plusieurs des secteurs précités, il existait des terrains communaux, des "ejidos" ainsi
que des propriétés privées situées dans une province mais appartenant à des communautés
d'habitants, à des villages situés dans une autre province ainsi qu'à des particuliers originaires d'une
autre province. Les limites des juridictions provinciales n'étaient pas des lignes "infranchissables",
pour reprendre la formule de M. Paul de Lapradelle.
2) Le Honduras ne peut pas davantage admettre la thèse d'El Salvador suivant laquelle dans
les situations où limites administratives et limites foncières ne coïncident pas, les limites foncières
l'emportent sur les limites administratives clairement établies et soient érigées en frontières
- 22 -
internationales. Ce serait déduire la souveraineté de la propriété. Ce serait subordonner le droit
public au droit privé. Ce serait dénaturer le principe de l'uti possidetis juris. Ce serait aller à
l'encontre du droit applicable au présent différend tel qu'il résulte de la combinaison de l'article 5 du
compromis et de l'article 26 du traité général de paix.
3) Enfin, d'une façon plus générale, le Honduras ne peut pas admettre, comme le soutient sans
le dire El Salvador, que, dans les circonstances de l'espèce, le fait prime le droit. La fonction
stabilisatrice de l'uti possidetis juris est fondée, comme l'a souligné en 1986 l'arrêt
Burkina Faso/Mali, sur "le respect des limites territoriales au moment de l'accession à
l'indépendance" (C.I.J. Recueil 1986, p. 566, par. 23).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous prie de m'excuser d'avoir été aussi long et
je vous remercie de votre grande patience et de l'attention que vous avez bien voulu prêter à mes
observations. Merci.
- 23 -
The PRESIDENT: I thank Professor Bardonnet. His intervention concludes the presentation
of Honduras concerning the whole of the general questions and I now give the floor to the Agent of
El Salvador, Ambassador Alfredo Martinez Moreno to start his presentation on covering the same
ground.
Mr. MARTINEZ MORENO: Mr. President, Members of the Chamber. It is - once again - a
significant honour for me to represent my country as Agent before this Chamber of the International
Court of Justice.
As our Foreign Minister has said to you in his introductory remarks, the Republic of
El Salvador has long been awaiting this day, when we could in earnest and in substance present the
claims and arguments of El Salvador before this high tribunal.
This promises to be a long case, as the Judges are well aware. Although we will do all in our
power to be as brief as possible, it will still be lengthy. In terms of points of law and issues,
however, it is a simple case, and we will attempt to be as brief and to the point as possible in our
presentations.
Indeed, Mr. President, in your opening remarks you reminded us of the provisions of
Article 60 of the Rules of the Court and the desire of the Chamber that both sides in this case respect
not just the letter, but also the spirit, of that Rule.
In light of this reminder, I have restricted my opening remarks to a bare minimum. Rather
than a more expansive treatment in response to the remarks and numerous points made by my
distinguished colleague Ambassador Valladares Soto, I would prefer to make only a few points at
this stage.
It will be the design and structure of our pleadings, Mr. President, that each counsel will pick
up on and deal with the major questions "of principle" tht have been raised by Honduras and which
relate to his part of the overall case. Thus any general points that have been made by Professor
De Visscher, or Professor Daniel Bardonnet, or Professor Alejandro Nieto, will be dealt with not all
together, but in their proper place and order in the course of our pleadings, by our various counsel
- 24 -
charged with particular responsibilities.
Our present hope is that the representatives of El Salvador will appear in the following order
and manner:
(i) First, Professor Prosper Weil will open for El Salvador in response to the opening statement
of Honduras and in order to deal with the subject and purpose of the litigation.
(ii) When that portion of the pleading is completed, Dr. Eduardo Jimenez de Arachaga and I will
plead for El Salvador in questions relating to the land boundary.
(iii) The next area of the case relates to the juridical status of the islands, and will be addressed by
Dr. Francisco Roberto Lima and by Mr. Keith Highet.
(iv) They will be followed by our Foreign Minister, Jose Manuel Pacas, in relation to the juridical
status of the waters of the Gulf of Fonseca, and by myself, concerning the 1917 Judgment of
the Central American Court of Justice.
(v) The juridical status of the maritime spaces will then be handled by Mr. Lauterpacht.
(vi) In conclusion, I will make a closing statement on behalf of my Government. This will
complete the case of the Republic of El Salvador.
Mr. President, at the outset, I should like to say that El Salvador fully shares the wishes of
Honduras to see this case resolved in a mutually satisfactory manner. However, the fact that
El Salvador must differ from Honduras on many points - especially the question of the task of the
Chamber - should not be seen as reflecting any departure from this objective. The fact is that the
special agreement and the Treaty of Peace represent the outer limits of where the Parties were
prepared to go. El Salvador has no desire or intention of going beyond those limits by asserting that
the task of the Chamber is to do something that is not reflected in those undertakings.
Among other things, Mr. President, this is part of El Salvador's position about the issue of
"delimitation". As our counsel will more fully develop later, this is an issue which is either
nonexistent or premature. It is certainly one that was never intended to arise for the Chamber in this
- 25 -
case.
___________
Before asking you to call on Professor Weil, Mr. President, I feel that it is important to react
to several significant statements that were made by the distinguished Agent for Honduras and by
Professor De Visscher.
(i) First, the Republic of El Salvador is very concerned about the implications of one
particular assertion by Ambassador Valladares Soto in his opening statement. This was, and I quote
from the verbatim record, to the effect that:
"both Parties agree that the law applicable to the dispute over the delimitation of the land
frontier and to the island dispute is the principle of uti possidetis juris, which we must fix at
the critical date of 1821".
Mr. President, the exact references are in this text (C 4/CR 91/1 of 15 April 1991 at 25; emphasis
added).
El Salvador must take immediate and strong exception to the statement that El Salvador
agrees that this is "the" law applicable.
It is unnecessary for me to do more than remind the Chamber of the very terms of Article 5 of
the Special Agreement and Article 26 of the Treaty of Peace.
Article 5 of the Special Agreement asks the Chamber to:
"take into account the rules of international law applicable between the Parties, including,
where pertinent, the provisions of the General Peace Treaty" (emphasis added).
When one turns to Article 26 of the General Peace Treaty, it is as clear as a bell. In the
context of the land frontier, Article 26 says as follows (it is my translation, Mr. President). It has
two sentences. The first says:
"For the delimitation of the frontier in the zones in controversy, the Mixed Boundaries
Commission shall take as a basis the documents published by the Spanish Crown or by
whatever other Spanish authority, secular of ecclesiastical, during the colonial period, that
indicate clearly ["senalen"] the jurisdiction or boundaries of territories or settlements."
The second sentence of Article 26 then continues, Mr. President, to say:
"Equally" [it says "igualmente" as the first word of the second sentence]. "Equally to
be taken into account are other probatory means and arguments of a juridical, historical, or
human nature, or of whatever other character, admitted under international law, that the
Parties may introduce."
- 26 -
El Salvador, Mr. President, is bound by the provisions of this Article and so is Honduras.
Honduras cannot therefore say that "the law applicable to the dispute over the delimitation of the
land frontier and to the island dispute is the principle of uti possidentis juris": it is only part of the
law.
(ii) My second point, Mr. President, is related to the first. Professor De Visscher, in his
eloquent presentation, read a sentence from the Memorial of El Salvador and accused El Salvador of
repudiating the principle of uti possidetis juris. That occurred, Mr. President, at the foot of page 72
of the verbatim record of 15 April 1991 (C 4/CR 91/1).
The sentence which Professor De Visscher read, however, was contained in a section of our
Memorial devoted to the dispute concerning the islands.
It is true that we do not recognize the exclusive effect of the principle of uti possidetis in
respect of the islands, for two reasons:
- First, Article 26 of the Treaty of Peace, which I have just read to the Chamber, only applies
(according to its text) to the land frontier dispute.
- Second, the islands dispute is not a conflict of delimitation but one of attribution of
sovereignty over a detached territory.
Therefore, with respect to the islands, it should be clearly understood that El Salvador is
asserting both historic title and effective possession. Far from repudiating historic titles, our position
incorporates it and demonstrates that it is confirmed by the effectivités. In fact, El Salvador
contends that it has a far better historic title, in any case, to the islands, than does Honduras. This
question will be dealt with in detail by our colleagues Francisco Roberto Lima and Keith Highet.
(iii) The third point, Mr. President. Professor De Visscher has made reference to the use by
El Salvador of the decision of the Chamber of the Court in the Burkina Faso/Mali Frontier Dispute
case (C 4/CR 91/1 of 15 April 1991 at 71-74), implying that our earlier reliance on that decision is
inconsistent with a backing-away from the doctrine of uti possidetis juris - the point that I have just
mentioned.
El Salvador does not need to remind the Chamber of the actual reasoning in
- 27 -
Burkina Faso/Mali. The Chamber will recall that the Burkina Faso/Mali precedent contemplated,
in essence, three eventualities. They were:
(i) that historical title and effective possession might both support a given result;
(ii) that historical title might go one way and effective possession might go another way; and
(iii) that effective possession comes to bear when there is no demonstrable historical title on either
side.
The position of El Salvador is that effective possession - "effectivités" - only comes into play
in this case in the first and third instances just mentioned: where effectivités are confirmatory of
historic legal title, or where effectivités can be introduced where there is no clear historic title - but
never in the second instance, where there is an apparent conflict between historic title and
effectivités.
This distinction is one, Mr. President, with an important difference.
It should be kept in mind while listening to the further argumentation of Honduras as well as
the expositions to be made by the Republic of El Salvador.
___________
Thank you, Mr. President.
May I now please ask you to call upon Professor Prosper Weil?
The PRESIDENT: Thank you very much. I thank Ambassador Alfredo Martinez Moreno
and I call on Professor Prosper Weil.
M. WEIL : Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Permettez-moi avant tout de vous
dire l'honneur et le plaisir que je ressens à prendre la parole devant une Chambre de la Cour à la
composition aussi prestigieuse. Permettez-moi également d'exprimer au Gouvernement
d'El Salvador ma gratitude pour la confiance qu'il m'a témoignée en me chargeant d'exposer ses vues
- 28 -
sur l'interprétation du compromis qui confie à la Chambre la mission de régler pacifiquement, dans le
respect du droit, un litige aussi important pour les deux pays.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges.
I. LE PROBLEME
Pour aborder la question de l'interprétation du compromis et, par voie de conséquence, celle de
la mission impartie à la Chambre il n'est pas, me semble-t-il, de meilleure voie que de prendre pour
point de départ la manière dont la Chambre a elle-même abordé ce problème dans son arrêt du
13 septembre 1990 rendu sur la requête du Nicaragua à fin d'intervention.
S'appuyant sur l'article 2 du compromis entre El Salvador et le Honduras qui, sous l'intitulé
"Objet du différend", spécifie ce que "Les Parties demandent à la Chambre", l'arrêt du 13 septembre
déclare :
"Le différend opposant El Salvador et le Honduras, qui est l'objet de ce compromis,
concerne plusieurs questions distinctes quoique liées à certains égards. Il est demandé à la
Chambre de délimiter la frontière terrestre entre les deux Etats dans les zones ou secteurs non
décrits à l'article 16 du traité général de paix qu'ils ont conclu le 30 octobre 1980... Il est
demandé aussi à la Chambre de 'détermine[r] la situation juridique des îles' et celle des
'espaces maritimes'." (C.I.J. Recueil 1990, p. 100, par. 23.)
Aucune difficulté, le professeur De Visscher l'a confirmé, en ce qui concerne le différend
terrestre, qui fait l'objet de la première question soumise à la Chambre. En vertu du
paragraphe premier de l'article 2 du compromis, la Chambre est appelée, de manière très classique, à
procéder à la délimitation de la ligne frontière entre les deux pays dans les zones ou secteurs où
ceux-ci ne sont pas parvenus à un accord; et, selon l'article 6 du compromis, cette délimitation
effectuée par la Chambre sera suivie à brève échéance, de manière non moins classique, par une
démarcation sur le terrain confiée à une commission spéciale désignée à cet effet. Aucune
divergence donc, je le répète, ne sépare les Parties sur la mission de la Chambre pour ce qui est du
différend terrestre : la Chambre est appelée à achever par la voie judiciaire la délimitation terrestre
laissée inachevée par le traité de paix de 1980 (cf. C 4/CR 91/1, p. 50).
La seconde question soumise à la Chambre concerne, d'une part, le différend insulaire, et
d'autre part le différend maritime dans sa double composante : à l'intérieur du golfe de Fonseca et à
l'extérieur du golfe de Fonseca. Cette fois-ci la Chambre n'est plus appelée par le compromis à
- 29 -
délimiter une ligne frontière avant sa démarcation mais à déterminer une situation juridique. Que
la mission ainsi confiée à la Chambre à l'égard du contentieux insulaire et du contentieux maritime
ne peut pas être comprise comme étant de la même nature que celle qui lui est impartie à l'égard du
contentieux terrestre, cette simple différence de vocabulaire suffirait à elle seule à le montrer. Sans
aller plus loin pour le moment, on peut raisonnablement estimer que les Parties n'auraient pas choisi
de recourir à une différenciation terminologique aussi marquée si elles avaient entendu se référer à un
seul et même concept dans la définition des deux questions posées à la Chambre.
En ce qui concerne le litige insulaire, le Honduras ne fait pas la moindre difficulté pour
reconnaître cette différence. Contrairement au litige terrestre, il s'agit ici, écrit-il, "d'un contentieux
d'attribution en souveraineté et non de délimitation" (M/H, p. 4). Le Honduras se déclare
expressément d'accord avec l'interprétation préconisée par El Salvador, selon laquelle déterminer la
situation juridique des îles signifie déterminer si la souveraineté sur les îles appartient à El Salvador
ou au Honduras, la solution de cette question étant étrangère à toute délimitation (CM/H, p. 633;
cf. M/ES, par. 1.2). [ Ce sont les mots employés]. Le Honduras en conclut qu'"on peut ainsi
constater qu'il existe un parfait accord entre les Parties" au sujet de l'interprétation du concept de
détermination de la situation juridique en ce qui concerne les îles (loc. cit.). Comme l'a déclaré
Paul De Visscher, "[d]éterminer le statut des îles, c'est désigner celui des deux Etats qui en détient
légitimement la souveraineté" (C 4/CR 91/1, p. 51). C'est en conséquence sur la toile de fond de la
distinction classique entre conflits de délimitation et conflits d'attribution que le différend insulaire a
été abordé par les Parties (cf. CM/ES, p. 141 et suiv.).
De son côté, [me semble-t-il,] la Chambre ne paraît pas non plus éprouver de difficulté à cet
égard - je veux dire à l'égard du différend insulaire -, puisque dans son arrêt du 13 septembre 1990
elle définit la décision qu'elle est appelée à prendre sur la situation juridique des îles comme une
décision "au sujet de la souveraineté" sur les îles (C.I.J. Recueil 1990, p. 119, par. 65; cf. aussi
par. 66).
Si je puis me permettre une comparaison, la mission confiée à la Chambre à l'égard du
différend insulaire dans la présente affaire évoque celle que la France et le Royaume-Uni avaient
confiée à la Cour lorsqu'elles lui avaient demandé dans leur compromis :
- 30 -
"de déterminer [on notera le mot] si la souveraineté sur les îlots et rochers des groupes des
Minquiers, d'une part, et des Ecréhous, d'autre part ... appartient à la République française ou
au Royaume-Uni".
La Cour a estimé que par cette formule du compromis les Parties avaient "exclu le statut (on notera
à nouveau le mot : le statut) de res nullius comme celui de condominium" (C.I.J. Recueil 1953,
p. 52). Dans notre affaire, même si les Parties ont recouru à une formulation apparemment moins
contraignante, elles n'ont pas pensé plus que ne l'ont fait la France et le Royaume-Uni pour les
Minquiers et les Ecréhous à une solution de condominium ou de res nullius : chacune des îles du
golfe de Fonseca relève de la souveraineté soit d'El Salvador soit du Honduras. Ce que les Parties
attendent de la Chambre, c'est qu'au lendemain de son arrêt il soit établi clairement, par une décision
judiciaire faisant droit, qui, du Honduras ou d'El Salvador, exerce la souveraineté sur chacune de ces
îles (exception faite, bien entendu, de Zapata Grande et des Farallones, dont l'appartenance
respective au Honduras et au Nicaragua ne fait pas difficulté).
Sans doute les Parties divergent-elles au sujet de l'étendue du différend insulaire - toutes les
îles du golfe ou seulement deux d'entre elles (sur ce problème c'est à mon ami Keith Highet qu'il
appartiendra d'exposer les vues d'El Salvador) -; il n'en reste pas moins que, de l'avis du Honduras
comme de celui d'El Salvador, la mission confiée à la Chambre par le paragraphe 2 au sujet du
différend insulaire n'est pas de la même nature que celle que lui confie le paragraphe premier au sujet
du différend terrestre : à l'égard du différend terrestre, nul doute, la Chambre est investie d'une
mission de délimitation; au sujet du différend insulaire, nul doute non plus, la Chambre est investie
d'une mission d'attribution de souveraineté, et cette mission est exclusive de toute délimitation,
c'est-à-dire de tout tracé d'une ligne frontière séparant la juridiction de l'une des Parties de celle de
l'autre. Mais alors, Monsieur le Président, surgit une question, dont l'intérêt n'échappera pas à
la Chambre : à partir du moment où le Honduras admet (et il a raison de l'admettre) que le concept
de "détermination de la situation juridique" est distinct - et même exclusif - de celui de "délimitation"
lorsqu'il s'agit du différend insulaire, en vertu de quelle logique peut-il soutenir que lorsqu'il s'agit du
différend maritime ce même concept de "détermination de la situation juridique" est inséparable de
celui de "délimitation" ? En vertu de quelle logique le Honduras peut-il écrire, à quelques pages
d'intervalle et presque d'un même trait de plume, qu'il rejoint El Salvador pour estimer que la
- 31 -
détermination du régime juridique des îles "est sans rapport avec la délimitation" et que "la
détermination du statut juridique des eaux suppose la délimitation" (CM/H, p. 633 et 684) ? En
vertu de quelle logique ce qui est vérité pour les îles, dans les premiers mots du paragraphe 2 de
l'article 2 du compromis, deviendrait-il subitement contre-vérité pour les espaces maritimes, dans les
derniers mots de ce même paragraphe ?
Le différend sur le différend - pour reprendre l'expression que j'ai employée ici même il y a
quelques mois - se trouve ainsi circonscrit très étroitement à l'interprétation des mots : "Les parties
demandent à la Chambre ... qu'elle détermine la situation juridique ... des espaces maritimes."
Comment lire cette disposition ? Comment la comprendre ? C'est sur ce problème précis et sur ce
problème seulement que les Parties divergent.
Monsieur le Président, si vous le permettez, bien qu'il ne soit que 11 h 15, il me serait
personnellement agréable, pour ne pas couper mon développement ultérieur, d'interrompre ici. Je
vous en remercie.
THE PRESIDENT: I thank Professor Prosper Weil and the Chamber is going to take a short
break and will resume in 15 minutes.
L'audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
- 32 -
The PRESIDENT : please be seated. I give the floor to Professor Prosper Weil.
M. WEIL :
II. LA DOUBLE NATURE DU COMPROMIS : DIRECTIVES POUR L'INTERPRETATION
Monsieur le Président, compte tenu des intéressants développements que le professeur Paul De
Visscher a consacrés aux principes d'interprétation, il me semble nécessaire, avant d'entrer dans le
fond du problème, de souligner que l'interprétation du compromis doit être conduite en tenant compte
de la double nature que cet instrument revêt en droit international.
D'un côté, le compromis est l'acte juridique créateur du lien juridictionnel sur lequel repose la
compétence du juge international; il doit donc être interprété comme tel.
D'un autre côté, le compromis est un traité international entre deux Etats; il doit donc
également être interprété comme tel.
Etant donné qu'il n'est pas acquis d'avance que les principes et règles gouvernant
l'interprétation des instruments conférant compétence au juge international coïncident exactement, à
tous égards, avec les principes et règles gouvernant l'interprétation des traités internationaux, je
voudrais, si vous me le permettez, m'arrêter pendant quelques instants sue ces deux aspects du
compromis. De cet examen se dégageront, du moins je l'espère, quelques directives d'interprétation
qui permettront de résoudre le problème concret d'interprétation soulevé dans la présente instance.
A. Le compromis est l'instrument générateur de la compétence de la Chambre
Le compromis est en premier lieu et essentiellement l'instrument par lequel deux Etats
expriment leur consentement, et en même temps leur souhait, de voir régler un différend par la voie
judiciaire. Il est l'un des moyens de donner expression à ce que votre Chambre a désigné, d'un terme
appelé à devenir classique, "le principe général de la juridiction consensuelle" (C.I.J. Recueil 1990,
p. 133, par. 94), principe inlassablement rappelé par la Cour, et qui constitue la pierre angulaire du
règlement judiciaire des différends dans le système international.
Selon l'analyse rigoureuse qu'en a fait la Chambre dans son arrêt du 13 septembre dernier, le
règlement judiciaire international obéit au "schéma" - c'est le mot que vous avez employé - au
schéma suivant:
- 33 -
"deux Etats, ou davantage, conviennent que la Cour connaîtra d'un différend particulier; leur
consentement peut être donné sur une base ad hoc, par voie de compromis ou autrement, ou
résulter de l'invocation, en présence de ce différend particulier, d'une clause juridictionnelle
d'un traité ou du mécanisme de l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour" (C.I.J. Recueil
1990, p. 133, para. 95).
Que la Cour soit saisie par l'une ou par l'autre de ces voies, le "principe fondamental qui veut que la
compétence de la Cour pour connaître d'un différend et le trancher dépende du consentement des
parties à celui-ci" (Plateau continental (Jamahiryia arabe libyenne/Malte), requête à fin
d'intervention, C.I.J. Recueil 1984, p. 22, par. 34) ne signifie pas seulement que les parties doivent
avoir donné leur consentement, leur accord au règlement judiciaire; il signifie aussi - et c'est là le
point qui nous intéresse aujourd'hui - que c'est le consentement des parties qui détermine le contenu
et l'étendue des questions sur lesquelles le juge a compétence pour se prononcer. Cette double
fonction du compromis - expression du consentement des parties au règlement judiciaire d'une part,
définition des contours de la compétence du juge d'autre part - cette double fonction du compromis,
dis-je, a été mise en lumière par la Cour dans l'arrêt sur la requête de l'Italie à fin d'intervention dans
l'affaire entre la Libye et Malte:
"Dans une affaire soumise par compromis, c'est ce compromis, consacrant le
consentement des Parties au règlement de leur différend par la Cour, qui indique à celle-ci
l'étendue de son action." (C.I.J. Recueil 1984, p. 24, par. 38)
Dans les affaires soumises à la Cour par la voie d'une requête unilatérale sur la base d'une
clause juridictionnelle de portée générale, c'est essentiellement sur les prétentions et les conclusions
des parties que le juge s'appuiera pour déterminer l'étendue de sa mission. Dans les affaires soumises
à la Cour par la voie d'un compromis, c'est dans le compromis que le juge trouvera la définition des
questions sur lesquelles il aura à se prononcer. Il est à peine besoin de rappeler le dictum toujours
cité de l'affaire du Lotus:
"la Cour ayant été saisie de la présente affaire au moyen de la notification d'un compromis...,
c'est dans les termes de ce compromis plutôt que dans les conclusions des Parties qu'elle doir
rechercher quels sont les points précis sur lesquels il lui appartient de se prononcer" (Lotus,
C.P.J.I. série A n° 10, p. 12).
L'actualité de ce principe est attestée par sa citation récente dans la sentence arbitrale rendue
en 1986 dans l'Affaire concernant le filetage à l'intérieur du golfe du Saint-Laurent entre le
Canada et la France (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIX, p. 239, par. 21).
- 34 -
De même lit-on dans l'arrêt rendu sur la requête de l'Italie à fin d'intervention entre la Libye et
Malte que:
"[L]a Cour attache une grande importance à l'élément de la volonté des Etats, exprimée
dans un compromis ou autre instrument établissant sa compétence pour définir la portée d'un
différend soumis à la Cour..." (C.I.J. Recueil 1984, p. 28, par. 46.)
L'importance du compromis pour la définition de la portée, de l'étendue, des contours du
différend soumis à la Cour se trouve attestée également par la disposition de l'article 34, paragraphe
2, du Réglement de la Cour, qui prescrit d'accompagner la notification du compromis de l'indication
de "l'objet précis du différend... pour autant que cela ne résulte pas déjà clairement du compromis".
Cette spécificité du compromis en tant que véhicule du principe général de la juridiction
consensuelle ne saurait être perdue de vue.
Dans ses écritures comme par la bouche de son conseil, la Partie adverse n'a cessé de qualifier
de restrictive, et de critiquer comme restrictive, l'interprétation qu'El Salvador donne à l'expression
"détermination de la situation juridique des espaces maritimes" aussi bien à l'intérieur du golfe (M/H
p. 689) que dans le Pacifique (CM/H p. 13), et elle lui oppose une approche extensive selon laquelle,
pour citer le Honduras lui-même:
"dans le respect de la volonté des Parties, les termes de l'accord en vertu duquel la juridiction
est saisie doivent recevoir pleinement l'interprétation donnant à l'objet du diffférend sa pleine
signification, comme au règlement judiciaire toute son efficacité" (CM/H p. 670).
Monsieur le Président, il me semble tout à fait inutile d'entrer dans la controverse sur
l'interprétation restrictive ou extensive des instruments créateurs d'un lien de juridiction. Peut-être,
d'ailleurs, l'approche n'est-elle pas exactement la même selon que l'on est en présence d'une clause
conventionnelle de juridiction de caractère général, d'un compromis ad hoc ou d'un instrument
unilatéral définissant un consentement au règlement judiciaire (telles une déclaration unilatérale
d'acceptation de la juridiction ou une réserve apportée à cette acceptation). Il me suffira de constater,
avec l'arrêt des Zones franches, que l'interprétation appropriée d'un compromis est tout simplement
celle qui permet à ses clauses - ce sont les mots de l'arrêt - "de déployer leurs effets utiles" à
condition que "cela ne (soit) pas faire violence à leurs termes" (C.P.I.J. série B n° 13, p. 19). Donner
toute sa signification à la "détermination de la situation juridique des espaces maritimes", nous en
sommes parfaitement d'accord. Mais si cela doit aboutir à faire violence aux termes du compromis,
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l'interprétation dite extensive, destinée à donner le maximum d'effet et d'ampleur au compromis, n'est
alors plus acceptable.
C'est dans cet esprit, par exemple, nous pouvons le rappeler, que le tribunal arbitral auquel la
France et le Royaume-Uni avaient demandé de tracer la ligne délimitant leur plateau continental a
estimé que sa compétence n'allait pas jusqu'à délimiter un espace tellement resserré, situé entre les
îles Anglo-Normandes et les côtes françaises, que toute délimitation du lit de la mer, du plateau
continental, aurait inévitablement emporté une délimitation de la mer territoriale. Au prix de laisser
non délimitée une partie des espaces maritimes entre les deux pays, le tribunal arbitral a estimé qu'en
l'absence de "manifestation claire et sans réserve du consentement des Parties", sa compétence
portait exclusivement sur la délimitation du plateau continental et qu'il cessait dès lors d'être
compétent dès lors que la ligne qu'il tracerait délimiterait aussi, inévitablement, en raison de la
situation géographique, la mer territoriale des Parties (Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XVIII, p. 152, par. 20).
Dans notre affaire où le compromis demande à la Chambre de "déterminer la situation
juridique des espaces maritimes", ne serait-ce pas de toute évidence "faire violence à [ses] termes"
que de lire cette clause comme si elle demandait à la Chambre qu'elle "délimite les espaces
maritimes"?
Tout le consentement, mais rien que le consentement. C'est exactement cette manière
d'aborder l'interprétation du compromis, sans avoir "besoin de faire appel à des principes
d'interprétation soit restrictive soit extensive" (Jugements du Tribunal Administratif de l'OIT sur
requêtes contre l'Unesco, C.I.J. Recueil 1956, p. 97) que la Cour a fait sienne récemment dans
l'affaire Libye/Malte. Elle a écrit :
"La Cour tenant sa compétence du compromis entre les Parties, la définition de la tâche
qui lui est ainsi confiée consiste avant tout à rechercher quelle a été l'intention des Parties par
interprétation de cet instrument. La Cour ne doit pas excéder la compétence que lui ont
reconnue les Parties, mais elle doit exercer toute cette compétence." (C.I.J. Recueil 1985,
p. 23, par. 19.)
"Volonté des Etats", "volonté commune des Parties", "consentement des Parties", "intention
des Parties", voilà les mots-clés employés par la jurisprudence à propos de l'interprétation de
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l'instrument générateur de la compétence qu'est le compromis. C'est l'aspect subjectif, on le voit, qui
domine l'interprétation du compromis en tant qu'instrument générateur de la juridiction consensuelle.
B. Le compromis est un traité international
Mais le compromis n'est pas seulement un instrument conférant compétence à une juridiction
internationale; le compromis revêt aussi le caractère d'un traité international, et à ce titre son
interprétation relève des règles coutumières qui ont trouvé expression dans les articles 31 et 32 de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Les écritures et plaidoiries révèlent une parfaite
convergence des parties sur ce point (CM/H p. 669-670; R/H p. 2 et R/ES p. 156; cf. C 4/CR 91/1,
p. 48 et 54), et je n'insisterai donc pas.
Or, comme chacun le sait, la règle d'interprétation exprimée par la convention de Vienne
commande, elle, de s'attacher moins à l'intention subjective des Parties qu'à l'analyse objective du
traité, qui doit être interprété, le professeur De Visscher l'a rappelé, de bonne foi suivant le sens
ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet de son but. Le texte,
tout le texte, rien que le texte : voilà en quelque sorte l'essence de la règle coutumière exprimée dans
la convention de Vienne.
Une question, un peu académique peut-être, mais qui n'est pas dépourvue d'intérêt, vient alors
à l'esprit : ne risque-t-on pas, dans certains cas, de se heurter à une contradiction entre la recherche
subjective de l'intention des Parties, qui inspire l'interprétation du compromis en tant qu'expression
du consentement au règlement judiciaire, d'une part, et, d'autre part, l'approche objective et textuelle
qui domine l'interprétation des traités internationaux ?
La philosophie qui inspire la règle générale de la convention de Vienne me paraît devoir
écarter tout risque de ce genre. Comme l'expliquait la Commission du droit international dans son
commentaire du projet d'articles dont est issue la convention, l'article 31
"est fondé sur l'opinion selon laquelle il faut présumer que le texte est l'expression authentique
de la volonté des Parties et que, par suite, le point de départ de l'interprétation est d'élucider le
sens du texte et non pas de rechercher ab initio quelles étaiesnt les intentions des Parties"
(Annuaire CDI, 1966, vol II, p. 240).
Bien avant la convention de Vienne, sir Gerald Fitzmaurice tirait déjà un enseignement du
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même ordre de la jurisprudence de la Cour :
"the intentions of the framers of a treaty must be presumed to have been expressed in the
treaty itself, and are therefore to be sought primarily in the actual text, and not in any
extraneous source... The text is the expression of the will and intention of the Parties"
(Fitzmaurice, "The Law and Procedure of the International Court of Justice", British Year
Book of International Law, vol. 28, 1951, p. 7, et vol. 33, 1957, p. 205 et 207).
Et au lendemain de la convention de Vienne, le professeur Reuter, dans l'une de ces formules
synthétiques dont il avait le secret, expliquait ainsi la conception qui sous-tend les dispositions de la
convention:
"[L]'interprétation consiste à retrouver la volonté des Parties à partir d'un texte... [E]n
présence d'un texte écrit, on est passé ... d'une volonté à un texte; l'interprétation sera alors
l'opération inverse par laquelle on revient du texte à la volonté qui l'a fait naître... [C']est
l'incarnation d'une volonté dans un texte qui est en cause. La soumission au texte est ... la
règle cardinale de toute interprétation." (P. Reuter, Introduction au droit des traités, Paris,
P.U.F., 2e
éd.., 1985, p. 84-85, par. 139-140. - Traduction anglaise in Introduction to the
Law of Treaties, Londres, 1984, p. 74-75.)
Un pont est ainsi jeté par le droit international entre l'approche subjective axée sur la
recherche de l'intention des Parties et l'approche objective de l'analyse textuelle.
C'est en conséquence au principe de la primauté du texte comme révélateur de l'intention des
Parties qu'il convient de s'attacher dans notre affaire en vue de définir la portée de la disposition
litigieuse du compromis : à moins, comme le prévoit l'article 32 de la convention de Vienne, de
conduire à un résultat manifestament absurde ou déraisonnable - ce n'est pas le cas ici, on le verra -
c'est le texte du compromis tel que les Parties l'ont conclu qui révèle ce qu'elles ont entendu
demander à la Chambre et qui, par voie de conséquence, détermine l'étendue de la mission de la
Chambre. Il y a parfaite coïncidence entre la subjectivité de l'interprétation du compromis en tant
qu'instrument générateur de la compétence de la Chambre et l'objectivité de l'interprétation du
compromis en tant que traité international.
C'est à la lumière de ces observations, de caractère très général, que je me propose à présent,
Monsieur le Président, de tenter de dégager la signification des termes litigieux.
III. LE SENS DES TERMES EMPLOYES
La Chambre, on le sait, est appelée par les Parties à déterminer la situation juridique des
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espaces maritimes. Aucune divergence sur le sens et le contenu des mots "espaces maritimes" : pour
El Salvador comme pour le Honduras, il s'agit à la fois des eaux du golfe de Fonseca et des eaux
situées au-delà de la limite de fermeture du golfe. Sur ce premier point, pas de problème. Seul fait
problème le sens de l'expression "détermination de la situation juridique". ["determina la situación
jurídica"]
A. "Détermination de la situation juridique" et "délimitation"
Attachons-nous d'abord, si vous le voulez bien, Monsieur le président, au sens naturel et
ordinaire des termes employés.
Je me permettrai à cet égard une observation d'une simplicité qui frise la banalité : comme je
l'ai déjà noté, lorsque dans un texte dont les termes ont été très certainement pesés avec soin on a
recours à des expressions aussi dissemblables que "délimiter la ligne frontière" et "déterminer la
situation juridique", l'une pour un aspect du différend, le différend terrestre, l'autre pour les autres
aspects du différend, le différend insulaire et le différend maritime, on peut raisonnablement tenir
pour acquis, à tout le moins prima facie, que ce n'est pas au même concept que l'on a entendu se
référer dans les deux cas.
Et pourtant, en dépit de cette évidence au moins apparente, la Partie adverse a déployé des
efforts considérables pour tenter de convaincre la Chambre qu'en raison de ce qu'elle appelle la
"liaison substantielle entre statut et délimitation" (CM/H p. 687), la détermination de la situation
juridique des espaces maritimes comporte nécessairement leur délimitation.
A y regarder de près, cette thèse baigne d'ailleurs dans une certaine confusion. Deux thèmes
sensiblement différents, et à certains égards même contradictoires, sont, en effet, avancés
concomitamment par le Honduras.
Selon un premier thème, le Honduras reconnaît que la détermination de la situation juridique
des espaces maritimes signifie avant tout la définition de leur régime juridique, mais il soutient
qu'elle ne signifie pas que cela et qu'elle comporte aussi leur délimitation. C'est ainsi, si je ne me
trompe, qu'il faut comprendre la position exprimée par le Honduras dès les toutes premières pages de
son mémoire, lorsqu'il soutient, dans une formule très élégante, qu'à l'égard des espaces maritimes la
Chambre est appelée à exercer "une fonction de qualification juridique et de délimitation" (M/H
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p. 6). Selon cette théorie, la mission de la Chambre serait donc double : déterminer la situation
juridique au sens exact et précis du terme et, en plus, procéder à la délimitation.
Mais parallèlement à ce premier thème court un autre leitmotiv, sensiblement différent, plus
carré, plus brutal en quelque sorte, selon lequel déterminer la situation juridique des espaces
maritimes c'est très exactement délimiter ces espaces, rien de plus et rien d'autre. L'expression
"déterminer le statut juridique" appliquée aux espaces maritimes, écrit le Honduras,
"ne peut avoir d'autre sens que de demander à la Chambre ... de procéder à la délimitation de
ces espaces... La fonction de délimitation des espaces maritimes est en effet la forme
habituelle et, en l'espèce, la seule forme concevable de la détermination du régime juridique
de ces espaces" (CM/H p. 11-12).
Mais laissons là ces nuances. Peu importe finalement qu'aux yeux du Honduras la
détermination de la situation juridique des espaces maritimes inclue leur délimitation en plus de la
définition de leur régime juridique ou que le concept de détermination de situation juridique d'un
espace maritime soit synonyme de celui de délimitation; dans les deux cas, l'idée centrale de la
théorie du Honduras me semble être que, s'agissant d'espaces maritimes, détermination du statut
juridique et délimitation sont indissociables, tant et si bien que demander à la Chambre de déterminer
la situation juridique des eaux du golfe et des espaces extérieurs "implique" et "suppose" - ce sont les
mots employés par le Honduras - la compétence de la Chambre pour procéder à leur délimitation;
dans un grand élan d'enthousiasme il arrive même au Honduras d'écrire que la question de la
délimitation des espaces maritimes est "consubstantielle" à celle de la détermination de leur statut
juridique (M/H p. 594). En un mot comme en cent, à en croire le Honduras,
"l'interprétation correcte du compromis conduit très naturellement à conclure que la réalisation
de l'objet du différend soumis à la Chambre de la Cour implique une délimitation pleine et
entière de tous les espaces maritimes relevant de chacun des deux Etats, et ce, aussi bien à
l'extérieur qu'à l'intérieur du golfe" (CM/H p. 669).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la conception hondurienne du lien substantiel
entre statut juridique et délimitation est contraire aux données les plus fermement établies du droit de
la mer.
Déterminer le titre d'un Etat sur un espace maritime est une chose, délimiter les projections
maritimes de deux ou plusieurs Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face en est une autre.
Le titre, faut-il le rappeler intéresse la détermination des droits et juridictions qu'un Etat est habilité
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à exercer sur des espaces maritimes dans l'absolu, vers le large. Il exprime la relation juridique entre
l'Etat côtier et les espaces maritimes adjacents à ses côtes et défitnit le statut juridique, le régime
juridique, des divers types de juridictions reconnues par le droit international. La délimitation, quant
à elle, consiste à tracer une démarcation, une séparation, une frontière en un mot, entre des Etats
voisins lorsque la situation géographique ne permet pas à chacun d'eux de jouir de son titre jusqu'à
l'extrême limite des projections maritimes dont il pourrait bénéficier si les projections de l'autre Etat
ne venaient pas mordre sur les siennes. Déterminer si un Etat possède un titre juridique sur un
espace donné et déterminer la nature de ce titre (eaux intérieures, mer territoriale, plateau
continental, zone économique exclusive), c'est se prononcer sur la situation juridique de cet espace.
Tracer une ligne divisoire entre l'espace qui restera à l'Etat A et l'espace qui restera à l'Etat B, dans
une situation où les deux Etats ont l'un et l'autre un titre juridique sur un même espace, c'est procéder
à la délimitation.
La jurisprudence ne laisse aucun doute sur la pertinence de cette distinction, imposée par la
logique et la nature des choses.
Dans l'affaire du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a déclaré :
"La délimitation est une opération qui consiste à déterminer les limites d'une zone
relevant déjà en principe de l'Etat riverain... (Elle) consiste essentiellement à tracer une ligne
de démarcation entre des zones relevant déjà de l'un ou de l'autre des Etats intéressés."
(C.I.J. Recueil 1969, p. 22, par. 18 et 20.)
"Le fait qu'une zone, prise comme une entité, relève de tel ou tel Etat, est sans
conséquence sur la délimitation exacte des frontières de cette zone." (Op. cit., p. 32, par. 46.)
Par ce prononcé, expliquera plus tard l'arrêt Tunisie/Libye,
"[l]a Cour avait ... distingué nettement entre un principe servant à justifier l'appartenance
d'une zone à un Etat [c'est le problème du titre] et une règle destinée à préciser l'étendue et les
limites de cette zone [c'est le problème de la délimitation] (C.I.J. Recueil 1982, p. 47, par. 44).
Au cours de la récente procédure orale relative à l'intervention du Nicaragua, le Honduras s'est
lui-même appuyé sur cette distinction pour soutenir que le Nicaragua ne devait être admis à
intervenir que sur la seule question du régime juridique des eaux du golfe, à l'exclusion de toute
question de délimitation. A l'audience du 7 juin 1990 le conseil du Honduras a déclaré ce qui suit :
- 41 -
"delimitation is a quite separate matter from the condominium issue... I believe (Nicaragua) is
mistaken in assuming that a legal interest in the one necessarily means a legal interest in the
other" (C 4 CR 90/4, p. 41).
C'est ce point de vue - avec la distinction sur laquelle il repose entre détermination du régime
juridique et délimitation - que la Chambre a fait sien dans son arrêt du 13 septembre 1990 en
autorisant le Nicaragua à intervenir sur la détermination du régime juridique des espaces maritimes
situés à l'intérieur du golfe de Fonseca mais en lui déniant tout intérêt juridique à intervenir sur une
éventuelle délimitation de ces mêmes espaces. J'espère ne pas trahir la pensée de la Chambre en
comprenant qu'à ses yeux les deux concepts et les deux opérations ne se confondent pas.
Cela étant, que l'on me comprenne bien : titre et délimitation ne sont bien entendu pas
étrangers totalement l'un à l'autre. Entre les deux concepts il existe un double rapport.
En premier lieu, la délimitation suppose le titre. Plus exactement, l'existence de deux ou
plusieurs titres concurrents sur un même espace — en l'occurrence d'un titre salvadorien et d'un titre
hondurien — constitue la condition nécessaire de la délimitation, puisque celle-ci consiste en fin de
compte à déterminer le sacrifice que chacun des Etats concernés doit consentir sur l'espace auquel il
a un titre. Sans titres concurrents, pas de délimitation.
C'est dans cette perspective que, dans un passage de l'arrêt sur le Plateau continental de la
mer Egée, plusieurs fois cité dans les écritures de la Partie adverse, la Cour a estimé qu'un différend
relatif à la délimitation du plateau continental et de la Turquie "non seulement a trait au 'statut
territorial' mais concerne directement celui-ci" (C.I.J. Recueil 1978, p. 37, par. 89). C'est parce
qu'un différend sur la délimitation implique que soit préalablement établi le titre des Etats concernés
à une zone de plateau continental regardée par la jurisprudence comme "une émanation de la
souveraineté territoriale de l'Etat riverain et un accessoire automatique de celle-ci" que l'on peut dire
de ce différend, estime la Cour, qu'il a trait au statut territorial de ces Etats (op. cit., p. 36, par. 86).
Ce n'est donc pas du tout, contrairement à ce que croit le Honduras (CM/H p. 13 et 687), parce que
le statut juridique implique ou suppose la délimitation que la Cour s'est prononcée comme elle l'a fait
sur la réserve grecque, mais, tout à l'inverse, parce que la délimitation suppose le titre.
En second lieu - mais c'est là un aspect du rapport entre titre et délimitation qui ne concerne
pas notre affaire et que je rappellerai seulement pour mémoire -, le choix des critères, circonstances
- 42 -
pertinentes et méthodes de délimitation doit s'inspirer de la base juridique du titre des Etats côtiers
sur l'espace qu'il s'agit de délimiter : le titre commande la délimitation; pas de délimitation en faisant
abstraction du titre. C'est là le sens du passage de mon ouvrage sur le droit de la délimitation
maritime que la Partie adverse m'a fait l'honneur de citer, et que je ne mentionnerai pas s'il n'avait
servi d'argument au Honduras :
"La délimitation est étroitement liée à la base du titre juridique. La délimitation ne peut
être comprise en dehors du titre; elle est fille du titre." (Perspectives du droit de la
délimitation maritime, p. 53.)
Cela signifie qu'on ne délimite pas un plateau continental dont le titre est fondé sur la distance de la
même manière et selon les mêmes critères qu'un plateau continental fondé sur le prolongement
naturel physique. Ceci n'est pas seulement une opinion personnelle, dont le poids ne pèserait pas
lourd. C'est le point de vue de la Cour, qui s'est prononcée sans ambiguïté sur ce problème dans
Libye/Malte :
"La base juridique de ce qui est à délimiter et du titre correspondant ne saurait être sans
rapport avec la délimitation... Le critère (de délimitation) est lié au droit relatif au titre
juridique d'un Etat sur le plateau continental." (C.I.J. Recueil 1985, p. 30, par. 27 et p. 46,
par. 61.)
Nous touchons ainsi du doigt l'erreur fondamentale commise par le Honduras dans sa théorie
du lien substantiel entre titre et délimitation. Il existe - je serai le dernier à le nier - une double
subordination de la délimitation au titre : la délimitation suppose le titre; elle est commandée par le
titre. L'erreur du Honduras consiste à inverser ce rapport et à inférer de la subordination de la
délimitation au titre à la subordination du titre à la délimitation. Titre et délimitation sont à coup sûr
unis, nul ne le niera, par un rapport profond, mais ce rapport est à sens unique. Le courant descend
du titre à la délimitation; il ne remonte pas de la délimitation au titre. Les deux opérations ne se
confondent pas, les deux opérations restent distinctes, et — c'est cela qui nous intéresse ici — la
question du titre peut se poser et peut être envisagée indépendamment de celle de la délimitation.
Tel est le cas, bien sûr, lorsque les côtes d'un Etat sont séparées des côtes d'un autre Etat par
une distance telle (plus de 400 milles) que le titre de chacun peut s'épanouir entièrement, jusqu'à son
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extrême limite extérieure vers le large. La détermination de la situation juridique, du statut, du titre,
se fera alors, pour chacun des deux Etats, par définition même, indépendamment de toute question de
délimitation.
Mais tel est le cas aussi lorsque le différend entre deux Etats porte précisément sur l'existence
d'une concurrence de titres, condition indispensable à toute délimitation. Dans ce cas la
détermination de la situation juridique, c'est-à-dire, plus simplement, la constatation qu'il existe, ou
qu'il n'existe pas, un chevauchement de titres appelant une délimitation constitue une opération
autonome, spécifique, préalable à l'opération de délimitation et distincte de celle-ci.
Telle est précisément la situation qui se présente dans notre affaire, où le litige qui oppose les
Parties sur la situation juridique des espaces maritimes doit nécessairement être résolu de manière
préalable et séparée, car c'est la solution que la Chambre apportera à ce litige qui conditionnera
l'éventualité même d'une délimitation.
La substance du litige sur la situation juridique des espaces maritimes du golfe et du Pacifique
sera débattue par nos collègues des deux côtés de la barre tout au long de cette procédure. Il me
suffira d'en rappeler les très grandes lignes, de manière à mettre en lumière l'intérêt considérable que
présente concrètement dans notre affaire l'interprétation spécifique qu'El Salvador préconise pour le
concept de "détermination de la situation juridique des espaces maritimes".
De l'avis d'El Salvador - pour le résumer en deux mots - ni la situation juridique des eaux du
golfe de Fonseca ni celle des espaces situés au large de la ligne de fermeture du golfe ne comportent
le chevauchement, la superposition, la concurrence de titres qui est la condition nécessaire d'une
délimitation. A l'intérieur du golfe, le régime juridique des eaux qu'El Salvador vous décrira exclut
tout chevauchement. A l 'extérieur du golfe, El Salvador estime que le Honduras n'a aucun titre quel
qu'il soit, et il n'y a donc pas davantage de chevauchement entre un titre salvadorien et un titre
hondurien qui puisse donner lieu à délimitation. Bref, ni la situation juridique dans les espaces
intérieurs ni la situation juridique dans les espaces extérieurs ne se prêtent à délimitation.
Le Honduras, bien sûr soutient le contraire : pour lui, le régime de communauté d'intérêts à
l'intérieur du golfe, et l'existence d'un titre du Honduras à une mer territoriale, à un plateau
continental et à une zone économique exclusive à l'extérieur du golfe créent une situation juridique
- 44 -
qui appelle une délimitation entre lui et El Salvador.
Voilà le conflit sur la situation juridique. Ce que la Chambre est appelée à décider, c'est si la
situation juridique des espaces maritimes tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du golfe est telle que la
décrit El Salvador, c'est-à-dire exclusive de toute délimitation entre lui-même et le Honduras, ou si
elle est telle que la décrit le Honduras, c'est-à-dire appelant une délimitation.
Si la Chambre conclut, dans le golfe ou en dehors du golfe, à une situation juridique ne
comportant pas de chevauchement de titres entre El Salvador et le Honduras, la question de
délimitation ne se posera pas. Si, au contraire, la Chambre conclut, dans le golfe ou en dehors du
golfe, à une situation juridique comportant un chevauchement de titres, il appartiendra aux Parties de
procéder à cette délimitation comme le font tous les Etats du monde dont les côtes se font face ou
sont adjacentes, c'est-à-dire par la voie d'un accord entre les Parties ou par la "voie de substitution",
selon l'expression de l'arrêt du Golfe du Maine (C.I.J. Recueil 1984, p. 292, par. 89), du règlement
par tierce partie. Ce n'est pas à la Chambre statuant sur la base du compromis de 1986 qu'il
reviendra de procéder hic et nunc à cette délimitation : cette tâche, les Parties ne la lui ont pas
confiée, et elle est en conséquence étrangère à sa compétence.
Le professeur Paul De Visscher a évoqué la question de savoir si la Chambre, pour s'acquitter
de ce qu'il pense être sa mission de délimitation, doit se contenter de définir les principes et règles du
droit international applicables ou si elle doit procéder au tracé d'une ligne plus ou moins précise
(C 4/CR 91/1, p. 64). Mais, Monsieur le Président, le seul fait de poser ou d'avoir à poser cette
question démontre qu'il n'existe aucun accord des Parties pour confier la délimitation à la Chambre.
Chaque fois que dans le passé la question "principes" ou "ligne" s'est posée - et Dieu sait qu'elle s'est
posée un certain nombre de fois - c'est parce qu'il existait un compromis chargeant une juridiction
d'une mission de délimitation et définissant en termes plus ou moins clairs l'étendue de cette mission.
Ici, rien de tel; pas la moindre disposition du compromis demandant à la Chambre de procéder à la
délimitation des espaces maritimes et fixant l'étendue de cette mission. A la question de
M. De Visscher, il ne peut y avoir de réponse, car il n'y a pas place, dans la présente instance, pour
une délimitation.
La situation, on le constate, ne se prête à aucune ambiguïté. Les termes controversés
- 45 -
signifient exactement ce qu'ils disent : la Chambre est appelée à déterminer la situation juridique des
espaces maritimes, c'est-à-dire à définir leur régime juridique, leur statut juridique. C'est cette
mission-là que les Parties ont confiée à la Chambre, et nulle autre.
Voilà, Monsieur le Président, pour le sens naturel et ordinaire des termes employés.
B. Le contexte
Elargissons à présent, si vous le voulez bien, le champ de notre investigation, et tournons-nous
vers le contexte de la disposition litigieuse : ce contexte, j'espère le montrer, vient entièrement
corroborer l'interprétation qu'impose l'analyse du texte lui-même.
Il faut rappeler ici le prononcé de la Cour permanente qui est à la mémoire de chacun :
"Pour examiner la question actuellement pendante devant la Cour, à la lumière des
termes mêmes du traité, il faut évidemment lire celui-ci dans son ensemble, et l'on ne saurait
déterminer sa signification sur la base de quelques phrases détachées de leur milieu et qui,
séparées de leur contexte, peuvent être interprétées de plusieurs manières." (Compétence de
l'OIT pour la réglementation internationale des conditions du travail des personnes
employées dans l'agriculture, C.P.J.I. série B n° 2, p. 23.)
Comme toute convention internationale, le compromis de 1986 forme un tout, et l'on ne saurait
interpréter telle de ses dispositions, fût-elle même la plus directement pertinente, en la détachant de
son environnement. On songe au vieux principe du Code civil français selon lequel "[t]outes les
clauses des conventions s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens
qui résulte de l'acte tout entier" (article 1161).
a) Le contexte le plus proche et le plus immédiat, auquel il convient de se référer en premier
lieu, est constitué bien sûr par les autres dispositions de l'article 2 du compromis, c'est-à-dire par la
disposition de l'alinéa 2 relative au différend insulaire et par la disposition de l'alinéa premier relative
au différend terrestre. Nul ne contestera, je pense, que l'article 2, qui définit l'objet du litige - c'est le
titre de l'article "Objeto del litigio" - et énonce les questions posées à la Chambre, doit faire l'objet
d'une lecture intégrée, car il forme un ensemble dans lequel les termes de chacune des deux
questions sont éclairés par ceux de l'autre. On peut évoquer à ce sujet l'attitude adoptée par la Cour
permanente lorsqu'elle a déclaré :
"On ne peut ... ignorer que l'article 435, et par sa place dans le traité de Versailles et
par sa genèse, forme un tout : on ne saurait donc interpréter le second alinéa en faisant
abstraction de l'alinéa premier." (Zones franches de la Haute Savoie et du Pays de Gex,
C.P.J.I. série A/B n° 46, p. 140.)
- 46 -
On ne saurait en particulier, pardonnez-moi d'y insister à nouveau, faire abstraction de la
différence manifeste entre les concepts et la terminologie auxquels recourent les deux alinéas. Du
premier au second le changement est frappant, éclatant. Dans le second alinéa, contrairement au
premier, il n'est pas question de "délimiter", il n'est pas question de demander à la Chambre qu'elle
trace une "ligne frontière" appelée à séparer la juridiction d'El Salvador d'un côté, de celle du
Honduras, de l'autre. La Partie adverse fait elle-même état, à juste titre, des "particularités du
différend selon la nature des espaces" (MH, p. 4) et, je l'ai indiqué, elle tire les conséquences qui
s'imposent de la différence de concepts et de terminologie entre les deux parties de l'article 2 lorsqu'il
s'agit de la détermination de la situation juridique des îles : pas plus pour le Honduras que pour
El Salvador il n'est en effet question de demander à la Chambre de tracer une quelconque ligne de
délimitation dans aucune des îles. Je ne peux m'empêcher de répéter la question que j'ai déjà posée :
par quel miracle la "détermination de la situation juridique" du second alinéa, à laquelle le Honduras
reconnaît un sens autonome lorsqu'il s'agit des îles, deviendrait-elle brusquement synonyme de la
"délimitation" de l'alinéa premier lorsqu'il s'agit des espaces maritimes ? Pareille flexibilité dans
l'interprétation ne me paraît véritablement pas acceptable.
b) Mais le contexte immédiat et proche de la disposition litigieuse n'est pas le seul qui vienne
en éclairer la signification. Si l'article 2 du compromis forme un tout, le compromis tout entier
constitue également un ensemble qui ne saurait pas davantage se prêter à une lecture éclatée.
Le préambule constitue à cet égard un élément du plus haut intérêt. Qu'il soit légitime de s'y
référer, je ne pense pas que cela nous sera contesté : la convention de Vienne cite expressément le
préambule d'un traité comme faisant partie du contexte qui vient éclairer les termes du traité. Dans
bien des cas, comme l'a noté la Cour, "[l]e but et l'objet de (la) convention sont indiqués dans le
préambule" (Droits des ressortissants des Etats-Unis d'Amérique au Maroc, C.I.J. Recueil 1952,
p. 196). Or, que lit-on dans le préambule du compromis ? Très précisément que si les Parties ont
par le traité de paix délimité partiellement "la frontière terrestre des deux Républiques", elle ne sont
pas parvenues, dans le délai qu'elles s'étaient assigné, à un accord direct (je cite la suite en espagnol
afin d'éviter toute controverse de traduction)
"sobre las diferencias de límites existentes con respecto a las demás zonas terrestres en
- 47 -
controversia, y en lo relativo a la situación jurídica insular y de los espacios marítimos".
La description - et la distinction - des deux volets du différend n'auraient pu être faites avec plus de
clarté : d'une part, les "diferencias" qui portent sur les "límites" en ce qui concerne les zones
terrestres demeurées en suspens après le traité de paix; d'autre part, les divergences en ce qui
concerne ("en lo relativo") la situation juridique des îles et des espaces maritimes. Pour le premier
volet il s'agit de "límites"; pour le second, qui concerne les îles et les espaces maritimes, plus
question dans le préambule de "límites", mais de "situación jurídica".
Autre disposition instructive du compromis : l'article 6 relatif à l'exécution de l'arrêt de la
Chambre. Cet article confie à une commission spéciale de démarcation le soin d'entreprendre, dans
les trois mois du prononcé de l'arrêt, "la démarcation de la ligne frontière fixée par l'arrêt" - ce qui se
réfère de toute évidence à la "ligne frontière" dont le tracé est demandé à la Chambre plus haut dans
le compromis, c'est-à-dire à la ligne frontière terrestre visée au paragraphe premier de l'article 2. De
la combinaison des termes employés à l'article 2 et des termes qui figurent à l'article 6 il ressort,
au-delà de tout doute possible, que le différend insulaire et le différend maritime sont d'une nature
autre que le différend terrestre. Le différend terrestre est un différend de délimitation, dont la
solution par la Chambre doit être suivie, comme le prescrit l'article 6, d'une démarcation. Le
différend insulaire et le différend maritime ne se situent pas dans le cadre de la dialectique classique
et traditionnelle délimitation-démarcation de frontière; ils ne doivent pas être compris sur la toile de
fond de cette distinction. La solution que la Chambre va leur apporter n'appellera pas de mesure
particulière d'exécution du type d'une démarcation et se suffira en quelque sorte à elle-même.
Il me paraît en revanche inutile, dans le cadre de l'examen des dispositions du compromis tout
entier conçu comme le contexte et l'environnement de la disposition litigieuse, de m'attarder sur
l'intitulé du compromis, qui a donné lieu à ce que le Honduras appelle "la guerre de la virgule"
(CMH, p. 14). Comme El Salvador l'a exposé dans ses écritures (MES, par. 1.11-1.12, et CMES,
p. 9-11), cet intitulé vise séparément la controverse "frontalière terrestre", d'un côté, la controverse
"insulaire et maritime de l'autre", et ne doit pas être lu comme se rapportant à une "controverse
frontalière" qui serait à la fois terrestre, insulaire et maritime. Appliquer le concept de "controverse
frontalière" à la controverse insulaire conduirait au surplus à un résultat manifestement absurde et
- 48 -
déraisonnable aux yeux des deux Parties, puisque le différend sur les îles n'a jamais porté dans le
passé, et ne porte pas davantage aujourd'hui, sur une délimitation à l'intérieur d'une île, qui se
trouverait ainsi relever de deux souverainetés séparées. Dans son ordonnance du 8 mai 1987 la Cour
a décidé que l'adoption, "aux seules fins de déterminer le titre à donner à l'affaire", d'une traduction
anglaise et française qui pourrait donner à penser que le "différend frontalier" est à la fois "terrestre,
insulaire et maritime" est "sans préjudice de l'interprétation adéquate des dispositions du compromis
définissant l'objet du différend" (C.I.J. Recueil 1987, p. 11, par. 5). Ceci ne paraît régler le
problème et il n'est pas nécessaire d'y insister davantage.
c) Laissons donc là cette question, somme toute secondaire. Si l'on quitte à présent le
compromis lui-même pour se tourner vers un contexte un peu plus lointain, à savoir le traité général
de paix de 1980, l'interprétation préconisée par El Salvador se confirme encore davantage, si cela est
possible, et l'interprétation proposée par le Honduras se trouve condamnée encore davantage, si cela
est possible.
Cette extension du contexte de la disposition controversée à un instrument distinct, le traité de
paix, est-elle justifiée, est-elle légitime ? Il me semble que oui, puisque dans son préambule comme
dans ses articles 1 et 2 le compromis se présente lui-même comme une "application" (le mot figure à
l'article premier) et un prolongement du traité général de paix. Comme l'écrit à juste titre le
Honduras - il paraît à ce sujet d'accord avec nous - il existe entre le traité de paix de 1980 et le
compromis de 1986 un lien à la fois procédural et substantiel (CMH, p. 678). Non seulement, en
effet, le compromis a été conclu, je viens de le rappeler, en application du traité de paix, mais,
comme l'écrit à juste titre le Honduras,
"[l]es termes dans lesquels l'article 2 du compromis de 1986 définit l'objet de la demande
sont ... directement inspirés de ceux par lesquels l'article 18 ... du traité de 1980 déterminait
les fonctions de la Commission mixte de délimitation... [E]n particulier la formulation
'déterminer le régime juridique des îles et des espaces maritimes' se retrouve mot à mot à la
fois à l'alinéa 4 de l'article 18 du traité et à l'article 2 du compromis, le traité peut donc être
considéré comme faisant partie du contexte de la disposition controversée." (Loc. cit.)
Regardons donc de plus près, si vous me le permettez, Monsieur le Président, ce traité général
de paix de 1980, et en particulier son article 18.
Après avoir, dans un chapitre intitulé "De la frontera definida", "délimité" (le mot figure à
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l'article 16) six secteurs de la frontière terrestre, le traité de paix institue à l'article 18 une
commission mixte de limites à laquelle il confie plusieurs fonctions différentes, numérotées
soigneusement de 1 à 4, qu'il n'est pas sans intérêt de reprendre ici dans le détail :
Première fonction : "Démarquer la ligne frontière décrite à l'article 16 du traité."
Deuxième fonction : "Délimiter la ligne frontière dans les zones non décrites à l'article 16 du
traité."
Troisième fonction : "Démarquer la ligne frontière dans les zones controversées une fois
achevée la délimitation de ladite ligne."
Quatrième fonction : "Déterminer la situation juridique des îles et des espaces maritimes."
Et un peu plus loin, l'article 31 précise que si, dans un certain délai, un accord n'aura pu être
réalisé (je lis à nouveau en espagnol pour éviter des problèmes de traduction), "sobre las diferencias
de límites en las zonas en controversia, en la situación jurídica insular o en los espacios maritimos",
les Parties entreprendront la rédaction d'un compromis destiné à saisir la Cour internationale de
Justice. On ne peut manquer de noter la parenté de cette formule avec celle, que j'ai citée il y a un
instant, du préambule du compromis.
Monsieur le Président, on ne saurait qu'apprécier - j'allais dire : admirer - la rigueur
terminologique du traité de paix et, dans son sillage, du compromis :
- d'un côté une "ligne frontière" (linea fronteriza) qui est, dans un premier temps, "délimitée",
selon le cas, soit par le traité de paix lui-même, soit par la commission mixte de limites, soit par la
Cour internationale de Justice; et qui est ensuite, dans un second temps, "démarquée" par la
commission mixte de limites, ou (pour ce qui est des secteurs que la Chambre va délimiter) par la
commission spéciale visée à l'article 6 du compromis;
- d'un autre côté, une "situación jurídica insular y de los espacios maritimos" [(situation
juridique, insulaire et maritime)], dont le traité de paix confie la "détermination" à la commission
mixte de limites et, en cas d'échec, à la Cour internationale de Justice, et à l'égard de laquelle il n'est
question ni dans le traité de paix, ni dans le compris de "démarcation".
Chaque mot est à sa place, chaque mot est choisi avec soin : "délimiter", puis "démarquer" une
"ligne frontière" terrestre; "déterminer la situation juridique des îles et des espaces maritimes". Pas
- 50 -
une seule fois, ni dans le traité de paix ni dans le compromis, un mot n'est employé pour un autre.
Pas une seule fois le moindre flou conceptuel ou terminologique.
d) S'il m'est permis maintenant d'élargir encore davantage le contexte, une autre remarque du
même ordre vient à l'esprit.
Monsieur le Président, au moment de la conclusion du compromis, en 1986, il existait déjà,
qui oserait le nier, une importante pratique tant conventionnelle que judiciaire en matière de
délimitation maritime. La matière n'en était plus à ses premiers balbutiements. Les accords de
délimitation - y compris ceux conclus entre certains Etats d'Amérique centrale et d'Amérique du
Sud - parlaient de "délimitation" du plateau continental ou de délimitation d'une "frontière maritime"
(maritime Boundary). L'expression "délimitation des espaces maritimes" figurait également dans le
texte de certains accords. A moins d'erreur de ma part, aucune convention de délimitation [ne parlait
ou] ne définissait son objet comme étant la détermination juridique des espaces maritimes. Ce
langage n'était pas celui des accords de délimitation.
Quant au vocabulaire des compromis saisissant la Cour ou des tribunaux arbitraux, il n'était
pas moins éclairant. La plupart de ces compromis faisaient mention de la "délimitation" des zones de
plateau continental relevant de chacune des Parties. Le compromis entre la France et la
Grande-Bretagne demandait à un tribunal arbitral le tracé de la ligne ou des lignes délimitant leur
zone de plateau continental, et le compromis entre le Canada et les Etas-Unis demandait à une
Chambre de la Cour de définir "le tracé de la frontière maritime unique divisant le plateau
continental et la zone de pêche" des deux pays. Dans certaines affaires, il était demandé à la
juridiction internationale de définir les principes et règles applicables, avec un degré de précision
variant selon les affaires et en laissant aux Parties une marge, variant elle aussi selon les affaires,
pour le tracé effectif de la ligne de délimitation; dans d'autres, il lui était demandé de tracer
elle-même la ligne. Mais aucun des compromis dans aucune des affaires soumises au règlement
judiciaire ou arbitral ne demandait au juge ou à l'arbitre de "déterminer la situation juridique des
espaces maritimes".
Dans le compromis de 1986, au contraire, il n'est fait mention ni des principes et règles du
droit international applicables à une délimitation, ni du tracé d'une ligne de délimitation, ni d'une
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frontière maritime unique, mais de la détermination de la situation juridique des espaces maritimes.
Si les rédacteurs du compromis avaient entendu investir la Chambre d'une mission de délimitation,
pourquoi ne l'auraient-ils pas tout simplement dit ? Pour quelle raison se seraient-ils écartés d'une
pratique terminologique si fermement établie ? Les deux Gouvernments, celui du Honduras comme
celui d'El Salvador, connaissaient à coup sûr le jargon de la matière, et nous avons pu constater que
tant dans le compromis lui-même que dans le traité de paix, ils ont su à la perfection exprimer ce
qu'ils voulaient dire, en recourant toujours au mot approprié. S'ils ont demandé à la Chambre non
pas la délimitation des espaces maritimes, mais la détermination de leur situation juridique, cela ne
peut être, me semble-t-il, que pour une seule et unique raison : parce qu'ils ne voulaient pas lui
demander la délimitation.
Il faut rappeler à cet égard le principe, posé par la Cour permanente dans l'affaire du
Groënland oriental, selon lequel les termes employés dans un traité international — et le compromis
en est un — doivent être pris dans leur "acception usuelle" :
"Si l'une des Parties allègue qu'un sens inusité ou exceptionnel doit y être attaché, c'est cette
Partie qui doit établir le bien-fondé de ce qu'elle avance." (C.P.J.I. série A/B n° 53, p. 49.)
Ce principe, on le sait, est repris au paragraphe 4 de l'article 31 de la convention de Vienne :
"Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il a été établi que telle était l'intention des
Parties."
Dans le cas présent, rien, absolument rien ne permet de penser qu'en écrivant "détermination
de la situation juridique" les Parties au compromis aient eu l'intention de s'écarter du sens ordinaire,
usuel, des termes employés. Le recours constant et sans faille, que ce soit dans le même article, dans
le même compromis ou dans le traité de paix, aux termes les plus exactement appropriés dans le
langage juridique usuel de la matière[, la matière maritime,] permet au contraire d'être assuré qu'en
parlant de situation juridique, c'est à la situation juridique que les Parties se sont référées et non pas
à autre chose.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de cette lecture commentée du texte dans son
contexte, une conclusion très ferme se dégage. Loin d'être "obscure", comme aimerait le faire croire
le Honduras (RH, p. 1098), [- c'est le mot qu'il emploie dans sa réplique écrite -] la disposition du
- 52 -
compromis relative au différend maritime est au contraire d'une parfaite clarté et dit très exactement
ce qu'elle veut dire. Ce que le Honduras attend de la Chambre, ce n'est en définitive rien de
moins que de lire la disposition du compromis lui demandant qu'elle détermine la situation juridique
des espaces maritimes comme si elle était rédigée de la manière suivante: "Les Parties demandent à la
Chambre qu'elle détermine les espaces maritimes et, le cas échéant, qu'elle les délimite", ou encore
comme si elle était écrite, plus simplement, de la manière suivante: "Les Parties demandent à la
Chambre qu'elle délimite les espaces maritimes." Mais ce n'est pas cela qui est écrit. Ni dans l'un ni
dans l'autre cas, pareille distorsion du texte du compromis n'est acceptable. Dans le premier cas, on
ajouterait au texte adopté par les Parties des mots qui n'y figurent pas. Dans le second, on
substituerait purement et simplement au texte adopté par les Parties un texte différent, plus au goût
actuel du Honduras que le texte auquel il a souscrit et qui le lie.
J'irai même plus loin. Même si l'on admettait un instant, à titre de pure supposition, que les
Parties aient eu l'intention - je veux dire l'intention intérieure, subjective - de demander à la Chambre,
au cas où il lui apparaîtrait qu'il y a lieu à délimitation, d'effectuer immédiatement cette dernières
dans le cadre de la présente instance, il ne serait quand même pas possible de donner effet à une telle
intention par la voie d'une interprétation qui conduirait à changer le texte du compromis.
Souvenons-nous que la Cour permanente a refusé "d'élargir le texte du traité et d'y voir des
stipulations représentées comme étant le résultat des intentions proclamées par les auteurs du traité,
mais que ne formule aucune disposition du traité lui-même" (Accès et stationnement des navires de
guerre polonais dans le port de Dantzig, C.P.J.I. série A/B n° 43, p. 144). Comme l'écrivait sir
Gerald Fitzmaurice,
"[t]he intentions or presumed intentions of the framers (of a treaty) cannot be invoked to fill in
the gaps, or to import into the treaty something which is not there, or to correct or alter words
or phrases the meaning of which are apparently plain" (British Year Book of International
Law, vol. 28, 1951, p. 7).
Dans le même ordre d'idées, même si l'on admettait un instant, de nouveau à titre de pure
supposition, [qu'au cas où il y aurait lieu à délimitation,] qu'au cas où la Chambre jugerait qu'il y a
lieu à délimitation il serait finalement plus satisfaisant, plus commode, plus rapide, plus simple d'en
terminer immédiatement avec cette opération dans la présente instance, ce ne serait quand même pas
- 53 -
là une raison suffisante pour accepter une interprétation conduisant à lire le compromis autrement
qu'il n'est écrit. L'interprétation n'est pas un exercice consistant à récrire rétrospectivement une
disposition claire parce que l'interprète la jugerait aujourd'hui inadéquate ou défectueuse. La
jurisprudence est absolument formelle à ce égard:
"Le devoir de la Cour est nettement tracé. Placée en présence d'un texte dont la clarté ne
laisse rien à désirer, elle est tenue de l'appliquer tel qu'il est, sans qu'elle ait à se demander si
d'autres dispositions auraient pu être ajoutées ou substituées avec avantage." (Acquisition de
la nationalité polonaise, C.P.J.I. série B n° 7, p. 20.)
C'est dans cette perspective, si j'ai bien conpris, que la Cour internationale a refusé, il y a
quelques années, d'autoriser le Secrétaire général des Nations Unies, en vue d'assurer le
fonctionnement d'une commission créée par les traités de paix postérieurs à la seconde guerre
mondiale, à remédier au refus de l'une des parties de désigner son représentant à cette commission en
nommant lui-même le tiers membre de cette commission. Si "le refus de s'acquitter d'une obligation
conventionnelle est de nature à engager la responsabilité internationale", déclare la Cour, "[u]n tel
refus n'autorise cependant pas à modifier les conditions d'exercice du pouvoir de désignation... telles
qu'elles ont été prévues par les traités". Et c'est à cette occasion[, et dans cet arrêt, et dans ce
passage,] que la Cour a énoncé la formule lapidaire demeurée célèbre, que tous les litigants
invoquent devant vous: "La Cour est appelée à interpréter les traités, non à les réviser"
(Interprétation des traités de paix, C.I.J. Recueil 1950, p. 229). La pertinence de ce dictum pour
notre affaire méritait peut-être d'être rappelée.
Dans la même perspective, la Cour, dans l'affaire du Droit des ressortissants des Etats-Unis
d'Amérique au Maroc, tout en constatant que l'interprétation à laquelle elle était parvenue de
certaines dispositions de l'acte d'Algésiras "aboutit à des résultats qui peuvent ne pas paraître
absolument satisfaisants", a déclaré qu'elle "ne peut, par voie d'interprétation, tirer de l'acte une règle
générale qu'il ne contient pas..." (C.I.J. Recueil 1952, p. 199).
Peut-être le Honduras regrette-t-il aujourd'hui d'avoir souscrit à une rédaction - mieux encore,
d'avoir lui-même proposé une rédaction — du compromis qui ne prévoit pas la compétence de la
Chambre pour effectuer immédiatement la délimitation au cas même où la Chambre concluerait à
une situation juridique appelant une délimitation. Peut-être le Honduras pense-t-il qu'il aurait mieux
- 54 -
valu, ou qu'il aurait été plus simple ou plus rapide de charger la Chambre à la fois de déterminer la
situation juridique des eaux du golfe et du Pacifique et, le cas échéant, de les délimiter. Mais ce n'est
pas par la voie d'une interprétation conduisant à la dénaturation du texte qu'il peut atteindre pareil
résultat.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
"Si les mots pertinents, lorsqu'on leur attribue leur signification naturelle et ordinaire,
ont un sens dans leur contexte, l'examen doit s'arrêter là."
Ce prononcé de la Cour (Admission aux Nations Unies, C.I.J. Recueil 1950, p. 8)
m'autoriserait à arrêter là mon exposé. Si je dois néanmoins le poursuivre quelque peu, c'est parce
que, pour tenter de justifier sa lecture de la disposition litigieuse du compromis, le Honduras tente
une subtile opération de sauvetage qui va nous entraîner au coeur du problème de l'interprétation de
la disposition controversée. Mais, j'espère parvenir à le montrer, cette opération ne réussit pas à faire
échapper la lecture hondurienne de la disposition controversée au naufrage auquel la condamne
l'interprétation du texte dans son contexte.
Cette opération se déroule sur deux fronts, à certains égards proches l'un de l'autre : sans
délimitation, soutient le Honduras - et le professeur Paul De Visscher l'a confirmé avec fermeté
l'autre jour - la détermination juridique des espaces maritimes ne sert à rien; sans délimitatiom,
allègue le Honduras, la présente instance ne conduira pas au règlement complet et définitif, recherché
par les Parties, de tous les aspects du différend.
Il me faut donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, solliciter encore votre attention et
votre patience pour faire justice de cette double argumentation.
IV. L'ARGUMENT HONDURIEN DE L'EFFET UTILE
Premier argument abondamment développé par le Honduras : déterminer le statut des espaces
maritimes sans qu'il soit procédé en même temps à leur délimitation n'a pas de sens, n'a pas d'utilité :
"Sans délimitation le statut n'est rien, ou plus exactement, il n'est qu'une coquille vide, une
qualification sans contenu", lit-on dans les écrits du Honduras (CM/H p. 687). Interpréter le
compromis comme confiant à la Chambre la détermination du régime juridique des espaces en cause
mais non leur délimitation, soutient le Honduras, conduirait "à priver de tout objet la demande
- 55 -
adressée à la Chambre" (CMH, p. 672; cf. p. 680). En conséquence, avance le Honduras, "une
déclaration de titre sans détermination de la zone où s'exerce ce titre serait un exercice dépourvu de
toute signification" (RH, p. 1104; cf. p. 5). Et le Honduras de prendre appui sur le vénérable
principe
"selon lequel le juge doit toujours s'efforcer de préférer l'interprétation qui confère un sens aux
termes du traité à l'interprétation qui aurait pour effet de priver le texte de tout sens
quelconque" (CMH, p. 11).
"Un titre juridique sans délimitation de sa portée est un titre vide de toute substance concrète",
a dit de manière lapidaire mon ami Paul De Visscher lundi dernier (C4/CR 91/1, p. 62).
Monsieur le Président, je m'abstiendrai d'entrer dans les controverses savantes auxquelles a
donné lieu le principe d'interprétation dit de l'effet utile dont le Honduras fait état avec tant
d'insistance. Sans nier bien sûr l'existence de ce principe, je dois toutefois rappeler, et je m'en
tiendrai à cela, les doutes exprimés à ce sujet par la Commission du droit international dans le
commentaire de son projet d'articles relatif à l'interprétation des traités (Annuaire CDI, 1966, vol. II,
p. 239), et surtout le prononcé bien connu de la Cour elle-même selon lequel :
"Le principe d'interprétation exprimé par la maxime ut res magis valeat quam pereat,
principe souvent désigné sous le nom du principe de l'effet utile, ne saurait autoriser la Cour à
étendre la clause ... dans un sens qui ... contredirait sa lettre et son esprit." (Interprétation des
traités de paix, C.I.J. Recueil 1950, p. 229.)
Laissant là ce débat quelque peu stérile d'herméneutique juridique, je me bornerai à dénoncer
l'idée centrale sur laquelle repose l'argumentation adverse, à savoir que déterminer le régime
juridique d'espaces maritimes serait un exercice académique dépourvu de portée concrète s'il ne
débouchait pas immédiatement sur le tracé d'une ligne de délimitation. Ce qu'El Salvador est accusé
par le Honduras de demander à la Cour, c'est une décision vide, sans substance, sans portée. Cette
idée, Monsieur le Président, est tout simplement fausse. J'ai déjà mis en lumière précédemment
l'autonomie et la spécificité des deux opérations et montré que chacune d'elles présente un intérêt
propre. Dans la présente affaire, concrètement, comment pourrait-on dénier toute utilité ou toute
portée à la décision par laquelle la Chambre déterminera, avec force de res judicata, d'une part si
dans le golfe un titre du Honduras entre en concurrence avec un titre d'El Salvador, et d'autre part si
- 56 -
le Honduras possède au-delà de la ligne de fermeture du golfe des projections maritimes, des droits et
juridictions maritimes entrant en concurrence avec ceux d'El Salvador et du Nicaragua ? L'intérêt
présenté par la décision que la Chambre prendra sur ce problème sera d'autant plus grand que c'est
précisément ce double problème de régime juridique et de titre, et non pas le tracé d'une ligne de
délimitation, qui divise au premier chef les deux pays.
Les deux pays attachent à ce problème de régime juridique une importance telle qu'ils lui ont
donné écho dans leurs Constitutions respectives. La Constitution d'El Salvador de 1962, par
exemple, disposait que le "[l]e golfe de Fonseca est une baie historique soumise à un régime
spécial"; et la Constitution salvadorienne de 1983 prévoit que le territoire d'El Salvador comprend,
entre autres,
"les eaux territoriales et en communauté du golfe de Fonseca, lequel constitue une baie
historique ayant le caractère d'une mer fermée, dont le régime, est déterminé par le droit
international et par la sentence" de 1917.
Et ce concept de régime spécial se retrouve dans la Constitution du Honduras de 1982, qui prévoit
que "[l]e golfe de Fonseca pourra être soumis à un régime spécial". Les prises de position
exprimées sur ce problème par les représentants d'El Salvador et du Honduras sur la troisième
conférence sur le droit de la mer attestent également de l'importance que revêt ce problème de statut
juridique aux yeux des deux Etats.
Quant aux espaces extérieurs du Pacifique, qui oserait nier que c'est la question de l'existence
de projections maritimes du Honduras au-delà de la fermeture du golfe, la question de l'accès du
Honduras au Pacifique, qui constitue la pomme de discorde essentielle entre les deux pays ? La
Chambre n'aura pas manqué d'être frappée par la vigueur avec laquelle l'agent du Honduras a
défendu la vision d'un Honduras, Etat riverain non seulement du golfe de Fonseca mais du Pacifique
lui-même (C4/CR 91/1, p. 34-36). El Salvador, la Chambre le sait, rejette cette vision avec non
moins de vigueur.
Loin de représenter une "coquille vide", une décision sans substance, sans intérêt, sans portée
et parfaitement inutile, la solution que la Chambre apportera à ce double différend de situation
juridique dans le golfe et dans le Pacifique aura une portée considérable. [et le mot est faible.] Si la
Chambre décide en faveur de la thèse d'El Salvador, il n'y aura rien à délimiter. Si elle décide en
- 57 -
faveur de la thèse du Honduras, il y aura lieu à délimitation dans l'avenir. Est-ce là, Monsieur le
Président, Messieurs les Juges, un "exercice dépourvu de signification" ?
Il me reste, Monsieur le Président, à faire justice, ou à tenter de faire justice, du second
argument hondurien, celui lié à l'idée du règlement définitif auquel le compromis appelle la Chambre.
Si vous me le permettez, bien qu'il ne soit pas tout à fait 13 heures, j'aimerais arrêter là et
poursuivre demain matin.
The PRESIDENT: I thank Professor Prosper Weil. We adjourn the meeting until tomorrow
morning at 10 o'clock when he will proceed with his presentation.
L'audience est levée à 13 heures.
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Audience publique de la Chambre tenue le jeudi 18 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre