COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
N 2014/12
Le 3 mars 2014
Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie)
La Cour dit que l’Australie doit faire en sorte que le contenu des éléments saisis
ne soit pas utilisé au détriment du Timor-Leste
LA HAYE, le 3 mars 2014. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son ordonnance sur la demande en
indication de mesures conservatoires présentée par le Timor-Leste le 17 décembre 2013 en l’affaire
relative à des Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie). Cette demande faisait suite à la saisie, le 3 décembre 2013, et la
détention ultérieure, par «des agents australiens, de documents, données et autres biens appartenant
au Timor-Leste ou que celui-ci a le droit de protéger en vertu du droit international». Selon le
Timor-Leste, les éléments saisis comprendraient notamment des documents, des données et des
échanges de correspondance, entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques, qui se rapportent à
un Arbitrage en vertu du traité du 20 mai 2002 sur la mer de Timor actuellement en cours entre le
Timor-Leste et l’Australie.
Dans son ordonnance, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
elle a décidé, par douze voix contre quatre, que l’Australie devra faire en sorte que le contenu
des éléments saisis ne soit d’aucune manière et à aucun moment utilisé par une quelconque
personne au détriment du Timor-Leste, et ce, jusqu’à ce que la présente affaire vienne à son
terme ;
elle a également décidé, par douze voix contre quatre, que l’Australie devra conserver sous
scellés les documents et données électroniques saisis, ainsi que toute copie qui en aurait été
faite, jusqu’à toute nouvelle décision de la Cour ;
elle a par ailleurs dit, par quinze voix contre une, que l’Australie ne devra s’ingérer d’aucune
manière dans les communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques ayant trait à
l’Arbitrage en vertu du traité du 20 mai 2002 sur la mer de Timor actuellement en cours entre
le Timor-Leste et l’Australie, à toute négociation bilatérale future sur la délimitation maritime,
ou à toute autre procédure entre les deux Etats qui s’y rapporte, dont la présente instance
devant la Cour. - 2 -
Raisonnement de la Cour
1. Compétence prima facie (par. 18-21)
La Cour note que le Timor-Leste entend fonder la compétence de la Cour en la présente
espèce sur la déclaration qu’il a faite le 21 septembre 2012 en vertu du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut, et sur celle qu’a faite l’Australie le 22 mars 2002 en vertu de cette même disposition.
Considérant que ces déclarations semblent prima facie constituer une base sur laquelle elle pourrait
fonder sa compétence pour se prononcer sur le fond de l’affaire, la Cour conclut qu’elle peut
connaître de la demande en indication de mesures conservatoires que le Timor-Leste lui a
présentée.
2. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées (par. 22-30)
La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de
l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Dès lors, elle ne peut exercer ce pouvoir
que si les droits allégués par la partie qui demande des mesures apparaissent au moins plausibles.
Par ailleurs, un lien doit exister entre les droits qui font l’objet de l’instance pendante devant la
Cour sur le fond de l’affaire et les mesures conservatoires sollicitées.
La Cour observe tout d’abord que le principal grief du Timor-Leste est qu’il y a eu violation
de son droit de communiquer de manière confidentielle avec ses conseils et avocats au sujet de
questions se rapportant à une procédure arbitrale en cours et à d’éventuelles futures négociations
relatives à la délimitation maritime entre le Timor-Leste et l’Australie. Elle note que ce droit
allégué pourrait être inféré du principe de l’égalité souveraine des Etats, l’un des principes
fondamentaux de l’ordre juridique international qui trouve son expression au paragraphe 1 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Plus spécifiquement, relève-t-elle, il convient de
préserver l’égalité des parties lorsque celles-ci se sont engagées, conformément au paragraphe 3 de
l’article 2 de la Charte, dans le règlement, par des moyens pacifiques, d’un différend international.
La Cour considère, en conséquence, qu’au moins certains des droits que le Timor-Leste cherche à
protéger à savoir le droit de conduire une procédure d’arbitrage ou des négociations sans
ingérence de la part de l’Australie, y compris le droit à la confidentialité de ses communications
avec ses conseillers juridiques et à la non-ingérence dans lesdites communications sont
plausibles.
La Cour s’intéresse ensuite à la question du lien entre les droits dont la protection est
recherchée et les mesures conservatoires demandées. Elle conclut qu’il existe un lien entre les
droits invoqués par le Timor-Leste et les mesures conservatoires demandées, celles-ci visant, par
leur nature même, à protéger les droits revendiqués par le Timor-Leste de conduire, sans ingérence
de la part de l’Australie, l’arbitrage et les futures négociations précités, et de communiquer
librement avec ses conseillers juridiques à cette fin.
3. Risque de préjudice irréparable et urgence (par. 31-48)
La Cour rappelle qu’elle tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une
procédure judiciaire. Ce pouvoir ne sera exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un
risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour
n’ait rendu sa décision définitive.
De l’avis de la Cour, si l’Australie ne protégeait pas immédiatement la confidentialité des
éléments que ses agents ont saisis le 3 décembre 2013, un préjudice irréparable pourrait être causé
au droit du Timor-Leste de conduire sans ingérence une procédure arbitrale et des négociations. En
particulier, elle considère que la position de celui-ci dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité
sur la mer de Timor et des futures négociations maritimes avec l’Australie pourrait être très - 3 -
gravement compromise si les éléments saisis étaient divulgués à une quelconque personne
participant ou susceptible de participer à cet arbitrage ou à ces négociations au nom de l’Australie.
La Cour note toutefois que l’Attorney-General de l’Australie a pris un engagement écrit, le
21 janvier 2014, comprenant notamment l’assurance qu’aucune entité du Gouvernement australien
n’aurait accès aux éléments saisis à toute fin ayant trait à l’exploitation des ressources de la mer de
Timor ou aux négociations y relatives, ainsi qu’à la conduite de la procédure devant la Cour ou de
l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor. Elle relève également que l’agent de l’Australie
a indiqué que «l’Attorney-General du Commonwealth d’Australie a[vait] le pouvoir effectif et
manifeste de prendre des engagements liant l’Australie, tant au regard du droit australien que du
droit international». Précisant que, dès lors qu’un Etat a pris un tel engagement quant à son
comportement, il doit être présumé qu’il s’y conformera de bonne foi, la Cour estime n’avoir
aucune raison de penser que l’engagement écrit en date du 21 janvier 2014 ne sera pas respecté par
l’Australie.
La Cour constate néanmoins que, dans certaines circonstances touchant à la sécurité
nationale, le Gouvernement de l’Australie envisage la possibilité de faire usage des éléments saisis.
Elle relève par ailleurs que l’Australie ne s’est engagée à garder sous scellés les éléments en cause
que jusqu’à ce que la Cour rende sa décision sur la demande en indication de mesures
conservatoires. La Cour en déduit que, si l’engagement écrit de l’Attorney-General en date du
21 janvier 2014 contribue de manière importante à atténuer le risque imminent de préjudice
irréparable que la saisie des éléments susmentionnés fait peser sur les droits du Timor-Leste et, en
particulier, son droit à ce que la confidentialité de ces éléments soit dûment protégée, il ne
supprime pas entièrement ce risque.
La Cour conclut de ce qui précède que les conditions requises par son Statut pour qu’elle
puisse indiquer des mesures conservatoires sont remplies.
*
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor,
vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, CançadoTrindade, Yusuf,
Greenwood,Mmes Xue, Donoghue ,MM. Gaja, Bhandari, juges ; MM. Callinan, Cot, juges ad hoc ;
M. Couvreur,greffier.
*
M. le juge KEITH joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge
C ANÇADO T RINDADE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge
G REENWOOD joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; Mme la juge DONOGHUE
joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hocALLINAN joint à
l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente.
___________ - 4 -
Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé n 2014/2, auquel sont
annexés des résumés des opinions dissidentes et individuelles. Le présent communiqué de presse,
le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
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Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.
___________
La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international,
dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique, et un aspect administratif. Les langues
officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule
juridiction universelle à compétence générale.
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (ou
CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas
au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire
indépendant composé de juges libanais et internationaux qui ne relève pas des Nations Unies ni du
système judiciaire libanais), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux dont elle facilite le fonctionnement,
conformément à la Convention de La Haye de 1899).
___________
Département de l’information :
M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)
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